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University of Ottawa
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SOCIÉTÉ
GÉOGRâPil
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D'ARCHÉOLOGIE
LJ^ FROVIISrOE ' ID'OK.^TSr
FONDÉE EN 1 S78
D 0 LltizLX
TOI\/CE XlIX: . — 1899
O R AN
Imprimerie Typographique et Lithographique L. FOUQ.UE
«//c Tbiiillitr, 4 (Place KUbcr)
1899
Dr
621874
SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE & D'ARCHÉOLOGIE
PROVINCE D'ORAN
TOME XIXe. — 1899
TABLE DES MATIÈRES
1>AGE
Liste générale des membres de la Société au 1" janvier 1899. . I
Sociétés correspondantes XII
Ouvrages offerts à la Société en 1897-18915 XIII
Errata concernant le bulletin précédent XVI
Compte-rendu de l'Assemblée générale du 28 mai 1899 XVII
Composition du Bureau du Comité pour 1899-190U XXVII
Congrès et Sessions à Paris en 190(J XXVIII
Congrès national des Sociétés françaises de Céographie. . . . . XXIV
Comité de la Société (séance du i décembre 1899) XXX
Etat numérique des passagers embarqués et débarqués daos
le département d"()ran, pendant l'année 1898 XXXI
Statistique du Mouvement de la Xavigation dans le départe-
ment d'Oan, pendant l'année 1898 XXXII
Statistique du Mouvement (lommercial des ports du départe-
ment d'Oran. pendant l'année 1898 XXXIX
Relevé du Trafic des gares Karguentali et Oran-Marine, pendant
l'année 1898 XLIV
Station Météorologique de Santa-Cruz (Oran) XLVI
J. Caxal. — La coaqa.''te de l'Algérie i souvenirs rétiospec-
tils), Mùst.ipiia hiMi Isuiai'l 1, ITI. 377
Paul Ruff. — Cln-onique géographique "-'5, 355
TABLE DES MATIERES
PAGES
F. DouMERGUE. — Essai sur la Faune erpétologique do
rOranie 197, 501
J. BouTY. — Notes sur les divers tracés de chemins de fer
. Transsahariens en étude en Algérie 2G1
Paul Ruff. — Vœux et compte-rendu du XX' Congrès des
Sociétés de Géographie 297
L'-Colonel Derrien. — Rapport sur le Concours ouvert en
1899 par la Société dr; Géograpliie
d'Oran 310
J. BouTY. — Concours ouvert par la Société de Géographie
d'Oran 310
L'-Colonel Derrien. — Station Météorologique de Santa-
Cruz (Oran) '. 311
E. DouTTÉ. — Les Djebala du Maroc, d'après les travaux
de M . A. Mouliéras 313
A. Mouliéras. — Hagiologie Mag'ribine 374
Louis Gentil. — Résumé d'une conférence sur l'Histoire
du Massif du Santa-Cruz (Oran) .... ^523
Commandant Azéjia. — Essai sur l'Hydrologie et la Géologie
de la région de Saïda 429
Commandant De.maeght. — Notice sur les fouilles exécutées
dans les ruines de Portus-
Magnus 485
L'-C Derrien. — Inscriptions inédites de la Maurétanie
Césarienne 497
BIBLIOGRAPHIE
Paul RuFF. — L'Atlas marocain, de M. Paul Schnell 30
E. DouTTÉ. - Bulletin bibliographique de l'Islam Maghribin. 33
D' Carton. — L'Architecture sacrée de l'Afrique païenne,
d'après un livre de M. Gagnai et Gauckler. 133
E. DouTTÉ. — L'Apocalypse d'Esdras 3G6
Liste pérale ki leires de la Société
au l*^" janvier 1899
PRÉSIDENT HONORAIRE
M. MoNBRUN, Avocat à Oran.
MEMBRES D'HONNEUR
MM. Le Gouverneur Général de rAlgérie,
Le Général Commandant 'a Division d'Oran.
Le Préfet d'Oran.
De Brazza, ancien Gouverneur du Congo.
A. HÉRON de Villefosse, Membre de l'Institut.
René Gagnât, id.
Le Conseil Général du Département d'Oran.
Le Commandant Marchand, Explorateur.
MEMBRES HONORAIRES
MM, Elysée Reclus, Géographe.
Jules Verne, à Paris.
Binger,
Cavon, I
MiZON, j
Monteil, I
Moustier,
Nanssen,
Nordenskiold
Trivier,
Vermink,
Zweifel,
) explorateurs.
LISTE GENERALE DES MEMBRES DE LA SOCIETE
MEMBRES HONORAIRES CORRESPONDANTS
MM. René Basset, Directeur de l'Ecole Supérieure des Lettres
à Alger.
Augustin Bernard, Professeur à l'Ecole Supérieure des
Lettres à Alger.
Carton, Médecin-Major au 19*^ Piégiment de Chasseurs.
A. L. Delattre (des Pères Blancs), Correspondant de
l'Institut à Cartilage.
P. Gaukler, Directeur du Service des Antiquités et
Beaux-Arts de la Tunisie.
Gentil, Préparateur au Collège de France.
MEMBRES ÉLUS A L'ASSEMBLÉE GÉNÉRALE
DE 1898
BXJR,E A.XJ
MM. Derrien, Lieutenant-colonel en retraite, Président.
MouLiÉRAS, Professeur de la Chaire Publique d'Arabe
d'Oran, l^^" Vice-Président.
GoYT, Géomètre principal du Service Topographique,
2me Vice-Président.
BouTY, Contrôleur principal des Mines, en retraite,
Secrétaire Général.
GiLLOT, Professeur au Lycée, Secrétaire-Adjoint.
RuFF, id. id.
PocK, Caissier de la Caisse nationale d'Épargne, Tré-
sorier.
MEMBRES DU COMITÉ ADMINISTRATIF
MM. Amillac, Médecin-Dentiste, Membre.
BoissiN, Directeur de l'Ecole Sédiman, id.
Daux, Proviseur du Lycée, id.
DiDiÈRE, Géomètre, id.
Flahault, Ingénieur, ' id.
Gravereau, Juge au Tribunal civil, id.
Hadj Hassan, Conseiller général, id.
LISTE GÉNÉRALE DES MEMBRES DE LA SOCIÉTÉ III
MM. Jacques fils, Avocat-défenseur, Membres.
JuLLiAN Charles, Armateur, id.
KocH, Ingénieur civil, id.
PoussEUR, Directeur du Gaz, id.
Renard, Directeur de l'Ecole Karguentah, id.
PiENUCCi, Inspecteur des Postes et Télégraphes, id.
Robert, Interprète militaire en retraite, id.
Tartavez, Officier d'Administration principal en
retraite, id.
Tommasini, Médecin, id.
IV LISTE GÉNÉRALE DES MEMBRES DE LA SOCIETE
MEMBRES TITULAIRES
MM. Alès, Médecin à Mers-el-Kébir.
Allard, Inspecteur principal de la G"^ F. -A. à Per-
régaux.
Alliot, Administrateur à Ain-Temouchent.
Amîllag, Médecin-dentiste à Oran.
Ancey, Administrateur à Fort-Gueydon.
André, Propriétaire à Bel-Abbès.
Antona (César), Géomètre à Oran.
Antona (Joseph), Géomètre à Roseville (Oran).
Aron, Avocat à Oran.
AsTiER, Pasteur Protestant à Mostaganem.
AuFFRÇT, Instituteur à Oran.
Aymé, Conducteur des Pont et Chaussées à Saïda.
MM. Banton (abbé), Professeur au Séminaire d'Oran.
Barber, Consul d'Angleterre à Oran.
Barré, Avocat à Oran.
Barthélémy, Pharmacien à Oran.
Bastide, Maire de Bel-Abbès.
Ben Daoud, Colonel en retraite.
Bernauer, Médecin à Oran.
Bessière, Professeur au Séminaire d'Oran.
Beyna, Directeur de la C'e Algérienne à Oran.
Bister, Interprète judiciaire à Aïn-el-Arba.
Blanchet, Entrepreneur de peinture à Oran.
Bloch, Banquier à Mostaganem.
Blondelle, Inspecteur des Contributions Directes à
Gonstantine.
Blondelle ^Georges), Négociant au Sig.
Blum, Professeur au Lycée de Montpellier.
BoissiN, Directeur de l'École Sédiman à Oran.
Bossi, Curé à Saint-Lucien.
BouÉ, Entrepreneur de peinture à Oran.
LISTE GENERALE nfi:S MK:\IHRKS DE LA SOCIETE V
MM. BouTY, Contrôleur principal des Mines en retraite
à Oran.
BOUGNOL, Notaire à TIcmcen.
I5RUNACHE, Administrateur à Aïn-Fczza.
Brunel, Géomètre principal à Mustapha.
BuRGART, Constructeur-mécanicien à Oran.
MM. Gabanel, Chef de Gare à Oran.
Cabanel, Huissier à Mostaganem.
Cabrol, Négociant à Oran.
Gairol, Photographe à Oran.
Canal, Agent voyerà Bel Abbès.
Gardona, Chancelier du Consulat d'Espagne à Oran.
Carrafang, Conseiller général de Saïda.
Carli, Représentant de Commerce à Oran.
Cartier, Entrepreneur à Arzew.
Castanié, Ingénieur en Chef des Mines de Beni-Saf
à Oran.
Castanié (fils), Armateur à Oran.
Cayla (Emile), Ingénieur à Oran.
Cercle de la Mosquée à Oran.
Chabaud (Camille), Propriétaire à Ain Temouchent.
Chancogne (Ernest), Directeur du Comptoir d'Es-
compte de Mascara.
Chandelier (Marins), Propriétaire du Café Riche à
Oran.
Cheilard. Commandant en retraite à Alger, membre
perpétuel.
Cholet, Directeur de la Cie de l'Ouest Algérien, à Oran.
CoHEN-SoLAL, Profcsseur d'arabe au Lycée d'Oran.
Conseil Municipal de Bel-Abbès.
Id. de Perrégaux.
Id. de Relizane.
Id. de Saint-Denis-du-Sig.
Gourrech, Intituteur à Eckmiihl (Oran.)
Courserant, Notaire honoraire à Mostaganein.
Courtin\t, Avocat-défenseur à Oran.
Couture, Chef d'Escadron d'Artillerie en retraite à
Oran.
VI LISTE GÉNÉRALE DES MEMBRES DE LA SOCIÉTÉ
D
MM. Dagne, Architecte à Oran, membre perpétuel.
Daniel Paul, Négociant à Oran.
Daux, Proviseur du Lycée d'Oran.
Delignon, à Barcelone, Membre perpétuel.
Derrien, Lieutenant colonel en retraite à Oran, membre
perpétuel.
Delrieu, Pilote à Oran.
Dessirier, Général de Division.
DiDiÈRE, géomètre à Oran.
DouiNE, Propriétaire à Frendah.
Doumergue, Professeur au Lycée d'Oran.
DouTTÉ, Professeur d'Arabe à la Médersa de Tlemcen.
Dragon, Architecte à Oran.
DupuY, Liquoriste à Oran.
DuREL, Propriétaire à Oran.
DuzAN, Maire de Saint-Leu.
MM. Emerat, Conseiller général à Oran.
EscLALY, Picprésentant de commerce à Oran.
Etienne, Député d'Oran, à Paris.
MM. Fabre (abbéj. Curé de Kléber.
Fabriès, Médecin à Bel-Abbès.
Fauran, Vérificateur au Service Topographique à
Constantine.
Faure (Firmin), Député d'Oran, à Paris,
Faure, Entrepreneur à Oran.
FÉRAUD, Ingénieur civil à Alger.
Filliat r Joseph), Suppléant du Juge de paix à
Montagnac,
Flahaut, Ingénieur à Oran,
Flamand, Professeur à l'Ecole supérieure des Sciences
à Alger.
FouLD (Alfred-Israël), Propriétaire à Oran.
FouQUE (Laurent), Conseiller général à Oran.
LISTE GENERALE DES MKMlîRF.J^ DE LA SOCIETE VII
MM. FouREAU, Explorateur, à Bussière Poitevine (Haute-
Vienne).
Frette, Négociant à Oran.
Froget, Propriétaire à Oran.
G
MM. Gachet (Paul), Négociant à Oran.
Gail (de;. Conservateur des Eaux et Forêts à Oran.
Garoby, Secrétaire Général de la Préfecture à Oran.
Garouste, Conseiller général à Bel-Abbès.
Gaucher, Médecin à Alger.
Gaudefroy Demombynes, 2, rue de Lille, à Paris.
Gavarry (Xavier), Vétérinaire sanitaire à Relizane.
Getten, Ingénieur en chef des Ponts et Chaussées à Oran,
membre perpétuel.
Gibbal, Architecte à Oran.
Gillot, Professeur au Lycée d'Oran.
(tIrardot, Lieutenant de Gendarmerie à Cannes.
GiRAUD (Alphonse). Négociant à Oran.
GiRAUD (Hippolyte), Avocat à Oran.
GiRAUD (Jules), Négociant à Oran.
GiRAUD (Edmond), Avocat à Alger.
Gobert, Maire d'Oran.
Gourlier, Administrateur-adjoint à Nédroma.
Goyt, Géomètre principal à Oran, membre perpétuel.
Grandjean, Instituteur a Ain-Temouchent.
Gravereau. Juge au Tribunal civil à Oran.
Grégoire, Interprète judiciaire à Tenez.
Grivel, Propriétaire au Sig.
GsELL, Professeur à l'École Supérieure des Lettres à
Alger.
GuÉRiDO, Conseiller de Préfecture à Oran.
GuioL, Propriétaire à Bou-Henni.
MM. Hadjj FTassan, Conseiller général à Oran.
Hassan (Léon), îs'égociant à Oran.
Havard, Président du Conseil général, à Tlemcen.
VIII LISTE GENERALE DES MEMBRES DE LA SOCIETE
MM. Heintz, Imprimeur à Oran.
Hertogh, Propriétaire à El-Ançor.
Huertas (Emile), Curé d'Àïn-el-Turck.
Huertas (Raphaë), Aumônier des S. S. Trinitaires à
Oran,
MM. Jacques, Sénateur d'Oran.
Jacques (fils), Avocat-défenseur à Oran.
Jarsaillon, Propriétaire à Oran.
Jouane id.
MM. Jauffret (fils). Entrepreneur de peinture à Oran.
Jullian (Cliarles), Armateur à Oran.
K
MM. Kanoui (Edmond), Avocat à Oran.
Kermina, Entrepreneur du port à Mostaganem.
Krumb, Commis de Préfecture à Oran.
KocH, Ingénieur civil à Oran.
MM. Lapaine, Secrétaire général de Préfecture à la Roche-
su r-Yon.
Laure, Interne à l'Hôpital civil d'Oran.
Laurent, Maire de Perrégaux.
Leguay, Commandant au 131*^ d'Infanterie à Cou-
lommiers.
Lemoine, Conducteur des Travaux du P.-L.-M. à
Perrégaux.
Leruste, Directeur du Crédit foncier à Oran.
Lescure, Médecin à Oran.
LÉVY (Salomon), Consul de Venezuela à Oran.
Loge Maçonnique de Y Union Africaine à Oran.
LopÉo, Inspecteur du Crédit foncier à Oran.
LuPY, Receveur municipal à Arzew.
M
MM. Mahé, Conducteur des Ponts et Chaussées à Mascara.
Mantoz, Inspecteur des Contributions diverses à Oran.
LISTK GÉNÉRALE DES MEMBRES DE LA SOCIÉTÉ IX
MM. Marchand, Chef d'Escadron en retraite à Tunis, hiem-
hre perpétuel.
Marquet, Lieutenant à l'École de Saint-Cyr,
Mayaudon, Notaire au Sig.
Mellet, Géomètre à Oran.
Mercier, Chef du Dépôt au P.-L.M. à Oran.
Merle, Géomètre principal à Oran.
Mhammed BEN Rahhal, Propriétaire à Nédroma.
MiLSOM, Propriétaire à Beni-Saf.
MoNDOT, Médecin à Oran.
MoTELEY (Albert), Propriétaire à El-Ançor.
MouLiÉRAS, Professeur de la Chaire Publique d'arabe
d'Oran.
Moulin (Gustave,) Caissier à la C'^ des Eaux à Oran.
MuGNiER, Arbitre de Commerce à Oran.
MuHL, Géomètre à Eckmuhl.
N
MM. Navarre, Greffier-notaire à Montagnac.
Nessler, Vice-consul d'Autriche à Oran.
Ney (Napoléon;, à Paris, membre perpétuel.
NicoLAï, Capitaine du port à Oran.
MM. Ollivier, Propriétaire à Bou-ïlélis.
Ondedieu, Chef d'escadron d'artillerie, en retraite, à
Oran.
Oudri, Général commandant la Subdivision de Mascara.
MM. Pallu de Lessert, Avocat à Paris.
Paris, Propriélaiie à Relizane.
Pastre, Architecte à Bel-Abbès.
Patohni, Interprète principal à la Division d'Oran.
Pequignot, Directeur des salines d'Arzew.
Perès, Directeur des mines d'or de Madagascar à
Tananarive.
Peyret-Doi'.tail, Médecin de colonisation a Montagnac.
X LISTE GÉNÉRALE DES MEMBRES DE LA SOCIETE
MM. PiNCEMAiLLE, Ingénieur des Ponls et Chaussées à
Mascara.
PiTTOLET, Notaire à Oran.
PocK, Caissier de ]a Caisse Nationale d'épargne à Oran.
PoiNDRELLE, Capitaine commandant l'annexe de Saïda.
PoiNSSOT, à Paris, membre perpétuel.
Pointeau, Notaire à Nemours.
PoTTiER, Notaire à Oran.
PoussEUR, Directeur du gaz à Oran.
PouYER, Entrepreneur à Oran.
Prades, Répartiteur des Contributions directes à
Nemours.
Prally, Notaire à A.m-Temouchent.
Prestat, Président du Conseil d'Administration de la
Société des Eaux à Oran.
Priou, Propriétaire à Mostaganem.
Q
M. QuiÉVREUX (fils), Propriétaire à Saint-Lucien.
MM. Reclus (Onésime), Géographe à Sainte-Foy-la-Grande
(Gironde).
Renard, Directeur de l'Ecole Karguentah à Oran.
Renucci, Inspecteur des Postes et Télégraphes à Oran.
RÉUNION des Officiers à Oran.
Réunion des Officiers à Bel-Abbès.
RiCHOMME, Lieutenant au i"^ Bataillon d'Afrique à Oran.
Robert, Interprète militaire en retraite à Oran.
Rochefort (de), Agent principal de la C'« Transatlanti-
que à Oran.
Rochisani, Directeur des Postes et Télégraphes à
Oran.
Roque, Pharmacien à Oran.
RouziÈs, Instituteur à Tizy.
Ruff, Professeur au Lycée d'Oran.
S
MM. Sabatier, Avocat-défenseur à Tlemcen
Saint-Amans (Aristide), Propriétaire à Tlemcen.
LISTR GÉNÉRALE DES MEMBRES DE LA SOCIETE XI
MM. SAiNT-(hR, Propriétaire à Tlemcen.
Sainte-Germain, Avoué à Oran.
Saintpierre (Charles', Négociant à Oran.
Sajous, Géomètre à Oran.
Sandras, Médecin à Oran.
Sarrochi, Géomètre à Oran.
Sartin, Gretfier au Tribunal civil d'Oran.
Secrétariat de l'Évéché.
Sépulchre (abbé), Aumônier de l'Hôpital civil d'Oran.
Simon, Propriétaire aux Hamyan, Saint-Leu.
Soipteur, Conseiller général à Tlemcen.
SouiN (Auguste), Propriétaire à Marnia
Spréafico, Médecin à Oran.
Stephanopoli, Conseiller de Préfecture à Oran.
Supérieur du Séminaire d'Oran.
T
MM. Tabary, Inspecteur des Douanes.
Tartavez, Officier principal d'Administration en retraite
à Oran.
Terrade, Entrepreneur à Oran.
Thibaudat, Receveur des Postes à Karguentah, Oran.
Thiébaut, Conservateur des Hypothèques à Oran.
Thommasini, ^lédecin à Oran.
Tournoux, Receveur des Postes en retraite à Oran.
Tricot, Négociant à Oran.
Tridon, Commandant de Gendarmerie à Rlida.
TuROT, Maire de Saint-D -nis-du-Sig.
V
MM. Yallois, Capitaine en retraite à Arzew.
Yauvilliers, Inspecteur desContribulionsdirectesàNice.
Varnier, Sous-Préfet de Bel-Abbès.
ViÉNOT, Propriétaire à Oran.
VoGLEY, Consul de Belgique à Boafarik.
W
M. Wolters, Chef de Dépôt de l'Ouest- Algérien à Bel-Abbès.
X
M. XiMENÈs, Administrateur à Mascara.
Z
M. ZuANi, Capitaine|du'^port à Ajaccio.
SOCIÉTÉS CORRESPONDANTES
Sociétés de Géographie. — Alger. — Bordeaux. — Douai.
— Le Havre. — Lille. — Lorient. — Lyon. — Marseille. —
Montpellier. — Nancy. — Nantes. - Paris. — Rochefort. —
Rouen. — Toulouse.
New- York. — Manchester. — Bruxelles — Anvers. — Rio-
Janeiro. — Edimbourg. — Le Caire. — Madrid. — Amsterdam.
— Budapest. — Rome. — Lisbonne. — Buenos-Ayres. —
Saint-Pétersbourg. — Helsingfors. — Berne. - Saiot-Gall. —
Neufchâtel. — Genève.
SOCIÉTÉS DIVERSES
Ecole supérieure des Lettres d'Alger. — Société Historique
algérienne. — Société Eduenne. — Académie d'Hippone. —
Société Archéologique de Constantine. — Socié!é de Borda
(Dax). — Société d'Etudes des Haules-Alpes. — Société des
Etudes coloniales et maritimes de Paris. — Revue Coloniale
de Paris. — Association Philotechnique de Paris. — Société
Nationale des Antiquaires de France. — Comité des Travaux
historiques et scientifiques. — Ecole Française de Rome. —
Association des anciens Elèves des Ecoles supérieures du
Commerce et de l'Industrie. — Société des Études Indo-
Chinoises. — Société Philomatique de Saint-Dié. — Institut
de Garthage à Tunis.
ÉTRANGER
Canada. — The Canadian institute, Toronto.
Guatemala. — Sociedad guatematecade de Ciencias.
Mexique. — Société scientifique « Antonio Alzate » de Mexico.
RÉPUBLIQUE Argentine. — Académie nationale des Sciences
de Cordoba.
Russie. — Section impériale d'Archéologie à Saint-Péters-
bourg.
Suède. — Académie des Belles-Lettres, d'Histoire et des
Antiquités de Stockholm.
Belgique. — Analecta Rollandiana de Bruxelles.
Rome. — Instituto Archéolôgiço germanico.
Belgique. — Revue économique d'Anvers.
OUVRAGES OFFERTS A LA SOCIÉTÉ
Auguste MouLiÉRAS. — Le Maroc Inconnu, tome l^r. Explo-
ration du Rif. Avec cartes au 2.10^000
Lucien Jacquot. — Monographie archéologique de la région
de Mila.
Fernand Foureau. — Au Sahara — Mes deux missions
de 1892 et 1893.
Ch. Vars. — Girta — ses monuments, son administration,
ses magistrats.
Gouvernement Général de FAIgéric. — Tableau général des communes
de l'Algérie.
Louis FoREST. — La naturalisation des Juifs algériens et
l'Insurrection de 1871.
n ■ , î Henri Gindre. — En Afrique australe et à Madagascar.
) Michel ViLLAZ. — Débuts d'un émigrant en Nouvelle-
»^^i'^^^[ Calédonie.
iPoMEL. — Paléontologie-Monographies
(8 volumes).
E. FiCHEUR. — La Kabylie du Djurjura.
D'" Oscar Baumann. — Die Insel Sansibar.
RÉGENCE DE TuNis. — Noticc sur la Tunisie à l'usage des
émigrants.
G.-B.-M. Flamand. — Note sur deux " Pierres écrites ».
Léon ViGNOLS. — Les explorateurs et les marins bretons.
D"" Carton. — Les sépultures à enceinte de Tunise.
Id . — Un édifice de Dougga en forme de temple
phénicien,
Id. — Étude sur les travaux hydrauliques des
Romains en Tunisie.
Paul Gauckler. — Enquête sur les installations hydrauliques
romaines en Tunisie.
MÂRKi Sândor. — Eurôpa a Magyarok honfoglalâsa idejében.
MAGAr.HÂES Lima. — 0 centenario no Estrangeiro.
Fernandes Costa. ~ Hymno do centenario da India.
Id. — A viagem da India.
Luciano CORDEmo. — Batalhas da India — Como se perden
Ormuz.
Wenceslau DE MoRAES. — Dai-Nippon (0 grande Japâo).
XIV OUVRAGES OFFERTS A LA SOCIETE
David LoPES. — Chronica dos reis de Bisnaga.
Id. — Textos em Aljami'a portuguesa.
J. Leite DE Vasconcellos. — Religiôes da Lusitania.
Esteves Pereira. — Dos feitos de D. Christovam da Gama.
LazarusGoLDSCHMiT e Esteves Pereira. ~ Vida do abba Daniel
do Mosteiro de Sceté.
Adolpho LouREiRO. — No oriente de Napoles à Cliina.
Teixeira de Aragâo. — Vasco da Gama e a Vidigueira.
Gouv' G" de l'Algérie. — H. -M. -P. de La Martinière et N. Lacroix.
Documents pour servir à 1 étude du Nord-
Ouest Africain (4 volumes, 1 atlas).
D"" Bertholon. — Exploration anthropologique de l'île de
Gerba (Tunisie).
Général C.-L Bratianu. — Grigore G. Tocilescu. — Marele
dictionar géographie al Romaniet.
D'' Carton. — La restauration de l'Afrique du Nord.
Fernand Foureau. — Mon neuvième voyage au Sahara et au
pays Touareg, mars-juin 1897.
D, Menant. — Les Parsis — Histoire des communautés
zoroastriennes de l'Inde.
R. Lambert Playfair. — Bibliography of Algeria.
Id. — A. Bibliography of Morocco.
A. Auric. — Note sur la réponse du Calendrier Grégorien.
René Basset. — Le tableau de Cébès.
C. Madrolle. — Les peuples et les langues de la Chine
méridionale.
G.-B.-M. Flamand. — De FOranie au Gourara.
Id. — Géologie et productions minérales du
bassin de l'Oued Saoura.
Ed. Piette et J. de la Porterie. — Études d'ethnographie
préhistorique — Fouilles à Brassempouy, en 1896.
Jules Devjllard. — Archéologie — Procédés de reproductions.
Raymond Teissière. — Marchand et le Haut-Nil.
Nelly Blum. — La croisade de Ximénès en Afrique.
M.-L. Gentil. — Note sur l'existence des teiTains gypseux
dans la province d'Oran, 1898„
G.-B.-M Flamand. — Notions élémentaires sur la lithologie
et la géologie appliquées aux grandes
zones culturales de l'Algérie et de la
Tunisie.
R. Gagnât. — Revue archéologique — Revue des publications
épigraphiques, Antiquités romaines (1898).
CARTES OFFERTES A LA SOCIÉTÉ XV
O jftuRTES
R. DE Flotte de Roquevaihë. — Carte du Maroc, éch.
l.OOO.OOQe.
Spicq. — Carte de la Boucle du Niger, éch. i-^^^^^.
G.-B.-M. Flamand. — Carte de l'itinéraire suivi par la mission
Flamand, éch. ^j^.^;^.
Id. — Croquis du bassin de l'Oued Sahoura,
Carlos Gallardo. — Carte des territoires des Misiones
(République Argentine).
E:FtFt.^T^^
Quelques coquilles regrettables se sont glissées dans le
travail de M. E. Reisser, publié dans le dernier Bulletin
et ayant pour titre : Uyi Coin de la Maurétanie Césarienne.
Il y a lieu de lire :
Page 203, 6« ligne : demeurerail au lieu de demeurait.
Page 228, 7« ligne : PATRiAE au lieu de PATRiœ.
Page 233, 8" ligne : dans TIGA VA au lieu de de TIGAVA.
Page 236, 19e ligne : rejoignait au lieu de rejoignit.
Page 247, 26^ ligne : étant au lieu de était.
SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE ET D'ARCHÉOLOGIE D'ORAN
Assemblée générale du 28 Mai 1899
Présidence de M. le Colonel IDERRIEN, Président
Aussitôt l'ouverture de la séance, et après la lecture des
articles 7, 8 et 14 de nos statuts, la parole est donnée à M. Bouty,
secrétaire général, pour le compte-rendu des travaux du Comité,
pendant la période 1898-1899, il est reproduit ci-après :
Messieurs,
Conformément aux prescriptions de nos statuts, je viens
vous faire le compte-rendu de la situation de notre Société et
des travaux qu'elle a accomplis pendant cette période de une
année, que nous terminons aujourd'hui. Je serai aussi bref que
possible, afin de ne pas trahir votre patience.
Je diviserai mon travail en cinq paragraphes.
§ l'-r. — Effectif de la Société
En ce qui concerne notre effectif, il est à peu près le même
que l'année dernière ; c'est-à-dire, qu'il y a presque équilibre
entre les nouvelles adhésions et les pertes par décès, départs
ou démissions. Voici les chiffres totalisés :
Membres actifs 244
Membres d'honneur 11
Membres honoraires 20
Total. ... 275
Parmi les membres d'honneur, nous avons compté le
commandant Marchand; un diplôme d'honneur lui a été délivré
ainsi qu'à M. le Gouverneur Général Lafferrière, en vertu de
nos statuts.
Dans le compte des pertes, je citerai particulièrement
M. Pomel, Directeur honoraire de l'Ecole des Sciences d'Alger,
XVIII COMPTE-RENDU DEL'ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DU 28 MA1 1899
ancien Sénateur d'Oran, et membre correspondant de l'Institut.
M. Pomel était Président d'honneur de notre Société depuis
sa tondation. C'était un travailleur infatiguable, un érudit pro-
fond, universellement connu du monde scientifique pour ses
belles découvertes géologiques et paléontologiqiies.
Nous devons citer également M. Gabanou, notre biblio-
thécaire, aussi décédé, un de nos Camarades les plus dévoués.
§ 2. — Travaux du Comité
Le Comité administratif s'est réuni onze fois. Il s'est occupé
très soigneusement des atfaires administratives proprement
dites. En dehors de ces affaires, il a délibéré sur les questions
suivantes :
1° Musée.
Par suite du décès du regretté commandant Demaeght,
créateur du Musée qui porte aujourd'hui son nom, la place de
Conservateur, que le Conseil municipal lui avait confiée, était
devenue vacante. A la suite de l'intervention du Comité, qui
s'est réservé, sur cet établissement cédé par nous à la Ville, une
certaine action quasi- morale, et sur sa proposition, M. Moulié-
ras, professeur de la Chaire d'arabe à Oran, et 1"'' Vice-prési-
dent de notre Société , a été nommé Conservateur en
remplacement de M. Demaeght.
2° Sur la proposition formulée par M. Mouliéras, il a été
décidé que nous célébrerions, en 1902, le millénaire de la
fondation de la ville d'Oran. Le Comité a ajouté qu'à cet égard,
des dispositions seront prises, en temps utile, pour que notre
Cité soit le siège du 23'-' Congrès national des Sciences françaises
de Géographie, de manière à donner le plus grand éclat
possible à cette fête particulièrement commémorative, et pour
laquelle les populations espagnoles et musulmanes nous
prêteront un précieux concours. Des commissions spéciales
seront désignées en vue d'une entente avec d'autres Sociétés
locales.
3° Au sujet du Concours ouvert par notre Société, et relatif à
la publication de notices, mémoires ou monographies, intéres-
sant notre province, trois concurrents ont répondu à notre
appel ; ce sont : MM. Michel Antar, Canal et Métra. Sur la pro-
COMPTE-RENDU DE L' ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DU 28 MAI 1899 XLK
position d'un Comité spécial, des médailles de vermeil ont été
accordées aux deux premiers auteurs, et une médaille d'argent
au troisième. Elles seront distribuées aujourd'hui s'il y a lieu.
4<» Le Comité a décidé que le nom des principaux explora-
teurs du continent africain, décèdes, ligiireraientdansle cadre
du nouveau diplôme, atin de perpétuer, i)armi nous, les noms
de ces courageux et glorieux ciloyens;
5" La Société de Géogvaiphie de Berlin a invité la Nôtre à
prendre part au 1'' Concours international de Géographie, qui
doit se réunir à Berlin prochainement. Cette invitation a été
acceptée. M. Augustin Bernard, professeur à l'École Supérieure
des Lettres, à Alger, et un de nos collègues les plus dévoués,
nous représentera à cette haute et savante Réunion.
60 En ce qui concerne l'Exposition Universelle de 1900, le
Comité décide qu'une collection du Bulletin sera envoyée à
Paris, ainsi que des photographies amplifiéees des Mosaïques
d'Arzew. M. Mouliéras fera, à cet égard, le nécessaire.
70 Ainsi qu'il est d'usage de le faire annuellement, le Comité
a accordé divers prix aux élèves des lycées, collèges et écoles
communales qui font partie de la Société.
8° Notre Société a reçu divers ouvrages et cartes qui ont
été classés dans notre bibliothèque et mis à la disposition des
membres de la Société, sans déplacement.
§ 3. — Conférences
Plusieurs conférences et communications verbales impor-
tantes ont été faites par divers membres de la Société. Je citerai :
1° La conférence de M. Uoutté, sur la Société Musulmane,
dont il connaît à fond l'organisation. Le succès a été complet.
M. Doutté nous a promis d'autres contérences sur le même
sujet.
2'i M. Gentil, préparateur au Collège de France, et lui aussi,
membre de notre Société, a réussi à nous intéresser particu-
lièrement, malgré l'aridité du sujet choisi ; il nous a dépeint
la constitution géologique assez complexe du massif monta-
gneux du Murdjajo ou du Santa-Cruz ; il nous a communiqué
aussi une découverte paléontogique fort importante qu'il a faite
XX COMPTE- H ENDU DE l' ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DU 28 MAI 1899
à Lamoricière : il s'agit d'un grand saurien entièrement inédit
et parfaitement déterminable.
30 M. Monbran, notre Président honoraire, a fait au Comité,
où assistaient plusieurs membres de la Société léunis h cette
occasion, un compte-rendu très attrayant du Congrès national
de Géographie qui a siégé, l'année dernière, à Marseille, où
notre dévoué député, M. Etienne, et lui, représentaient notre
Société. Il nous a fait connaître l'importance de certaines
décisions prises par le Congrès, notamment en vue de l'achè ■
vement immédiat de la section du Transsaharien occidental,
comprise entre Djenien-bou-Kezg et Igli.
4° Notre Président, M. le colonel Derrien, a donné, dans la
salle du théâtre municipal, avec le concours de la Société de
l'Enseignement par l'Aspect, une très intéressante conférence
sur la prévision du temps. L'organisateur de l'Observatoire
météréologique de Santa-Cruz était là, en plein dans son
sujet. Malgré le caractère scientifique de cette conférence, la
nombreuse assistance qui l'écoutait très attentivement ne lui a
pas ménagé ses applaudissements.
§ 4. — Congrès divers
Nous avons pris part à divers congrès ou réunions savantes,
en France et en Algérie.
lo Congrès national des Sociétés de Géographie de Marseille;
nos mandataires, je l'ai déjà dit, étaient notre député
M. Etienne et M. Monbrun ;
2" Congrès national des Sociétés de Géographie réuni
dernièrement à Alger; nous y étions représentés officiellement
par notre Président : M. le Colonel Derrien. Y assistaient
également : MM. Mouliéras, Doutté, Augustin Bernard, Piuff
et Bouty.
Notre sympathique Président a donné connaissance, dans la
séance d'ouverture, d'un rapport sur les travaux de notre
Société. Mais, au cours de la réception des délégués, dans la
grande salle du Tribunal de Commerce, il fut atteint d'une
grave et subite indisposition, qui le mit dans l'obligation
absolue do rentrer de suite à Oran. M. Mouliéras, l*^'' Vice-
président, le remplaça comme délégué.
COMPTE-RENDU DE l'ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DU 28 MAI 1890 XXI
Votre Secrétaire général a, dans une conférence spéciale,
développé la question du chemin de fer transsaharien par
l'Ouest de l'Algérie, c'est-à-dire, par la province d'Oran. Il a
publié, à cet elfel, une brochure clairement déduite, traitant
d'une façon précise la question technique, négligée, et pour
cause, par les auti-es conférenciers. Les conclusions de la
brochure sont à peu près conformes au vœu émis par la
Commission des vœux ; il est ci-après reproduit.
Le Congrès émet le vœu :
« !" Qu'il soit procédé, dans le plus bref délai possible, à
(( l'occupation de l'arrière pays algérien et principalement des
ft oasis du Touat ;
({ 2» Qu'il soit procédé, d'urgence, au prolongement des
« lignes de pénétration algérienne, et notamment, celle d'Aïn-
« Sefra au Touat, par Duveyrier »
Ce vœu est la consécration la plus éclatante de l'excellence
de l'entreprise que nous poursuivons depuis plus de 20 ans et
des efforts que nous y avons appliqués.
Pour les autres questions traitées au Congrès, M. Rutï lera
un compte-rendu spécial.
3° Congrès National pour l'avancement des Sciences, réuni
à Toulouse. M. de Rey Pailhade, ancien président de cette
Société, a bien voulu nous représenter. Ce Congrès a
obtenu un grand succès. La question de la division décimale
du temps et des angles y a été traitée savamment. Un diplôme
m'a été décerné au sujet de l'exposition d'une montre double
cadran décimal et duodécimal.
4" Congrès d'archéologie de Bourges. L'époque tardive de
l'invitation n'a pas permis, à notre grand regret, d'y assister.
>^ 5. — Bulletin
Notre publication trimestrielle voit son succès grandir de
plus en plus, par suite de l'importance et de la variété des
articles publiés, et surtout, du méi'ite littéraire et scientifique
de leurs auteurs. On peut avancer, sans crainte d'être taxé
d'exagération, que notre Bulletin est le plus complet et le plus
intéressant de la plupart des publications de même nature
faites en France et à l'étranger.
XXII COMPTE-RENDU DE l'ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DU 28 MAI 1899
A Dieu ne plaise que je me livre ici à une analyse littéraire
des divers articles que notre Bulletin a insérés, pour cause, je
l'avoue humblement, d'incompétence. Et puis, comment
mettre en relief avec tout l'éclat voulu, tant de si intéressants
sujets dans si peu d'espace et en si peu de temps.
Cependant, comme le simple titre qui figure dans le
sommaire de nos Bulletins est insuffisant pour solliciter
l'attention des lecteurs, permettez-moi quelques légères indi-
cations sommaires sur les sujets signalés pour corriger la
sécheresse du titre. Je vous promets d'être bref.
i" M. Beisser, ancien élève de l'École des Hautes-Études,
nous a dévoilé un coin de la Maurétanie césarienne, particu-
lièrement dans la région des Attafs, c'est-à-dire, le pays
compris entre Orléansville, Duperré, et le pied des montagnes
qui constituent les contreforts secondaires de l'Ouarsénis. Il a
exécuté, avec succès, divers fouilles, grâce auxquelles on a
exhumé des ruines de romaines très importantes.
On sait que la Maurétanie césarienne est très pauvre en fait
de ruines de cette origine ; elle n'a pas du tout, à cet égard,
rimportance de la Numidie et de la Tunisie, sur lesquelles de
savants archéologues ont publié déjà des travaux descriptifs
nombreux, généralement très appréciés. Les recherches de
M. Beisser ont donc été d'autant plus difficiles. Malheureuse-
ment, quelques actes de vandalisme irréiléchis ou inconscients
ont nui à la conservation de ces ruines. M. Beisser recommande,
à qui de droit, de prendre les mesures nécessaires pour
préserver ce qui reste encore. Nous formulons le même vœu.
2° M. Augustin Bernard, cet infatigable travailleur que les
lecteurs du Bulletins connaissent et apprécient hautement, a
fait une très intéressante analyse de divers documents pouvant
servir à l'étude du N.-O. africain. Jamais œuvre et circonstance
ne furent plus opportunes. Tous les regards se tournent,
enfin, vers les oasis de l'extrême Sud algérien, disons mieux :
oranais, à propos du chemin de fer transsaharien. L'auteur
met en 'relief les beaux travaux de MM. de Lamartinière
et Lacroix ; il signale également les données géographiques,
géologiques et économiques obtenues par M. Flamand, dans sa
mission de « L'Oranie au Gourara «.
COMPTE-RENDU DE l'ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DU 28 MAI 1899 XXtlI
> Le Collaboi-ateur le plus actif et le plus assidu de notre
Bulletin, j'ai noiiuiié M. Canal, a publi'3, comme souvenir
rétrospectif, la biographie du général Mustapha ben Ismaël,
un des rares chefs indigènes qui aient rendu à l'Algérie et à
la France, des services remarquables. Son dévouement, sa
fidélité ont été inébranlables. Il était le Chef de la grande et
puissante famille des Ben Daoud, que tout le monde, dans
notre province, connaît si avantageusement.
4° M. Mouliéras, notre laborieux Vice-président, le savant
auteur de l'ouvrage intitulé : « Maroc inconnu », attaque le
problème islamique : Fatalisme et Pessimisme. Il montre les
grandes cités orientales pliant sous le joug du Coran, ce code
ennemi de tout progrès moral et scientifique. C'est grâce aux
prescriptions coraniques que le Croyant ignore et ignorera
toujours la connexion intime qui existe entre l'évolution
psychologique et Tévolutipn économique. Les oreilles des
musulmans resteront toujours sourdes au bruit de ces princi-
pes, ajoute M. Mouliéras.
5» Nos lecteurs se souviennent que le docteur Carton nous
a représentés, l'année dernière, avec un succès très manifeste,
au Gongrè-5 colonial de Bruxelles. Il vient de donner, dans
notre Bulletin, une analyse approfondie de l'intéressant ouvra-
■ge publié par MM. Gagnât et Gaukler, sur l'architecture sacrée
de l'Afrique payenne. C'est surtout sur la Tunisie romaine
que se sont portées les études archéologiques de ces messieurs
et ce, avec une persévérance des plus louangeuses.
6° Notre collègue, M. Doutté, un vrai bénédictin, ainsi ((ue
j'ai pris la liberté de le qualifier déjà, nous a donné, dans le
Bulletin, la bibliographie de l'Islam Maghribin. Comme
M. Mouliéras, M. Doutté est un arabisant très distingué. Pour
la composition de son ouvrage, notre savant collègue a
consulté et analysé plus de 300 documents rédigés en ditlé-
rentes langues. Ce chiffre est effrayant, il est l'indice d'une
patience soutenue, doublée d'une puissance de travail des
plus fécondes, et d'un esprit de coordination méthodique
vraiment extraordinaire.
7» Enfin, je citerai, pour mémoire, puisqu'il en a été déjà
question, la « Fin de la Croisade de Ximénès en Afrique », de
XXIV COMPTE RENDU DE l'ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DU 28 MAI 1899
feueM'"« Nellie Blum. Cet ouvrage est une œuvre remarquable ;
il constitue un chapitre de notre histoire crânienne fort inté-
ressant à connaître, dans une ville qui porte encore les armes
de l'énergique Cardinal sur certains monuments.
8° Les Chroniques géographiques de notre collègue M. Rutï,
que j'ai gardées pour la fin, embrassent, pour ainsi dire, le
monde entier ; elles nous tiennent exactement au courant des
découvertes géographiques nouvelles, — des travaux des
explorateurs, — des principaux faits militaires dont l'écho
lointain arrive ainsi jusqu'à nous, — de la construction de nou-
velles voies ferrées dans les colonies inter-océanniennes, etc..
Une étude comparative permet, hélas, d'établir notre
passivité en présence de l'activité dévorante que la Belgique
et l'Angleterre déploient pour couvrir de voies ferrées le
centre de l'Afrique, depuis Karthoum jusques au Cap, et de
l'embouchure du Congo au Nil et au Tanganika. Le travail de
M. Ruff complète heureusement, et à propos, l'intérêt que
notre Bulletin soulève.
Telle est. Messieurs, bien résumé, l'œuvre de notre Société.
Vous partagerez, j'en suis sur, mon sentiment, en votant des
remerciementschaleureux aux collaborateurs, aussi savants que
désintéressés, de notre Bulletin, et des félicitations aii Comité
administratif pour son zèle et son dévouement.
Notre excellent trésorier, M. Pock, va vous donner connais-
sance de notre situation financière.
M. Pock fait connaître aussitôt la situation financière de notre
Société à ce jour. Elle peut se résumer ainsi :
Recettes 4.02Gf93
Dépenses 3.062 25
Total .... 964 68
Mais il convient d'ajouter qu'un certain nombre d'articles de
dépenses ne sont pas encore réglés. Néanmoins la situation est
bonne.
COMPTE-RENDU UE l'aSSEMBLÉE GÉNÉRALE DU 28 MAI 1809 XXV
Après cette lecture, M. le Colonel Derrien s'exprime ainsi:
(( Aux deux rapports que vous venez d'entendre, j'ai peu de
choses à ajoulcr. C'est d'abord de remercier nos deux collè-
gues pour le zèle et le dévouement qu'ils ne cessent de nous
témoigner, dans leurs fonctions, pour la prospérité de notre
Ccmpagnie.
(( M. Bouty vous a parlé de la participation de notre Société
au Congrès National des Sociétés de Géographie d'Alger, réuni
dans la semaine de Pâques, et du succès remporté par notre
iransaaharien. Une ti es grande part de ce succès en revient à
notre Secrétaire général. Ses travaux antérieurs surtout, et le
mémoire qu'il a lu au Congrès, au moment de la conférence,
renfermait des arguments irréfutables. Il a été établi, avec
preuves à l'appui, que le Tracé Occidental était le seul qui
mettait bien en relief les qualités et les propriétés techniques
absolument indispensables à une entreprise de celte nature, et
dont les tracés concurrents étaient à peu près dépourvus,
notamment en ce qui concerne cette condition sans laquelle
aucune voie ferrée ne peut être exploitée utilement, à savoir :
eau d'alimentation abondante et de bonne qualité. D'autre part,
il a été démontré que la ligne Oran-Touat ferait naître un
mouvement considérable de voyageurs et de marchandises.
Enfin, les avantages politiques et stratégiques de notre trace
ont été mis vivement en lumière.
« Une indisposition subite et assez grave, ajoute M. le Pré-
sident, m'a privé du plaisir de suivre toutes les séances du
Congrès ; mais dans la première journée, j'ai eu la satisfaction,
après la lecture de mon rapport sur les travaux de la Société,
d'entendre M. de Brazza, président du Congrès, représen-
tant de M, le Ministre de l'Instruction Publique, rendre hom-
mage à nos efforts, à notre persévérance. Il se déclare très
honoré d'être membre de notre Société.
(( C'est que, en elïet, noire Bulletin, qui est en quelque sorte
l'âme de notre Compagnie, est de plus en plus apprécié en
France et à l'Étranger. Aussi bien, je saisis avec empressement
cette occasion pour exprimer celle pensée, que nous devons
un tribut de reconnaissance à tous nos dévoués et savants col-
laborateurs, pour le zèle désintéressé et le dévouement dont
XXVI COMPTE-BENDU DE L'ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DU 28 MAI 1899
ils ont fait preuve pour l'année 1898-1899 ; je manifeste le môme
sentiment en laveur des membres du Comité administratif ».
Des applaudissements unanimes et approbatifs accueillent
les propositions de M. le Président.
M. le Colonel Derrien rend compte ensuite du résultat du
concours ouvert l'année dernière, et ayant pour objet l'étude
de questions détermmées. Trois concurrents se sont présen-
tés, ajoute M. le Colonel, il donne leurs noms. Ce sont :
MM. Michel Antar (?), Canal et Métra. 11 fait une analyse rapide
de leurs travaux, il indique la nature des récompenses accor-
dées : Médaille de vermeil à MM. Michel Antar et Canal ;
médaille d'argent à M. Métra.
Conformément aux prescriptions des articles 7 et 8, il est
procédé à la nomination de huit membres formant le tiers du
Comité administratif à remplacer. Le scrutin donne les résul-
tats suivants, classés par ordre alphabétique. Ce sont :
MM. Bouty, Derrien, Doumergue, Flahaut, de Gail, Gillot,
Frette, Pousseur.
Ce résultat proclamé, la séance est levée. La nomination du
bureau a été renvoyée à la séance du Comité, du 5 juin pro-
chain.
Le Secrétaire général,
BOUTY.
-'-'S^f^^^K'^'
COMPOSITION DU BURP:AU du COMITE
POUR 1899- 1900
Dans sa réunion du 5 juin 1899, le Comité a renouvelé
ainsi qu'il suit son bureau.
Ont été élus :
Président: M. le Lt-Colonel Derrien.
ier Vice Président : M. Mouliéras (Géographie).
2^ Vice-Président: M. de Gail (Archéologie).
Secrétaire général : M. Bouty.
Trésorier : M. PoCK.
Bibliothécaire archiviste : M. Boissix.
Secrétaire de la Com'tnission de Géographie : M. Ruff.
Membre adjoint à cette Commission : M. Tartavez.
Secrétaire de la Commission d' Archéologie : M. Gillot.
Membre adjoint à cette Commission : M. Goyt.
Par suite de la nomination en France de MM. de Gail et
Ruff, le Comité, dans sa réunion du 2 octobre, a élu
M. Gillot, 2*^ Vice-Président et M. Jules Renard, Secrétaire
de la Comm-ission de Géographie.
M. Flahault, ingénieur civil, a remplacé M. Gillot
comme Secrétaire de la Commission d'Archéologie.
Le Comité a décidé d'adresser des remerciements à
MM. Ruff et de Gail pour les services qu'ils ont rendus à la
Société.
M. Ruff a été, de plus, nommé à l'unanimité membre
honoraire correspondant de la Société.
CONGRÈS ET SESSIONS A PARIS EN 1900
De nombreux Congrès doivent avoir lieu au cours de
l'Exposition universelle de 1900. à Paris. Notre Société a été
conviée officiellement à prendre part à ceux :
1" Du 5 juin, à la Sorbonne, 38« Congrès des Sociétés
savantes de Paris et des Départements ;
2" Du 14 juin, Congrès international de Numismatique,
dans la salle du Congrès de lExposition ;
3» Du 30 juillet au 5 août, Congrès Colonial international, à
l'Hôtel de la Société de Géographie ;
4° Du 6 au 11 août. Congrès international de Sociologie
Coloniale, à l'Hôtel de la Société de Géographie ;
5° Du 8 au 15 août, Congrès de l'Art public, à l'Hôtel-de-
Ville ;
6° Du 20 août, X XI*' Congrès national des Sociétés françaises
de Géographie, à l'Hôtel de la Société de Géographie.
Le Ministre de l'Instruction publique et des Beaux-Arts
nous a, en outre, fait connaître que la 24« Session des
Sociétés des Beaux-Arts des départements s'ouvrira, à Paris,
le 5 juin 1900, dans la salle de l'hémicycle de l'Ecole des
Beaux-Arts.
?JM. les Membres de la Société qui auraient l'intention de
présenter à ces Assemblées des mémoires, analyses ou
communications trouveront les programmes et les renseigne-
ments nécessaires chez M. BOUTY, secrétaire général de la
Société.
Congrès National des Sociétés Françaises
DK GÉOGRAPHIE
Paris, le 15 Juin 1809.
Monsieur le Président,
La XXl'- session du Congrès nalional des Socii'ti's françaises
de Groîfniphie. dont l'organi-at on a été confiée à la Société
(Je GéograpJi! ., se liendra à Paris du -20 au i^4 aoù' l'dOO.
A Celte occasion, la Société sera heureuse de inetlie son
hôtei, in lUguré il \ a vingt et un ans, par la première lé inion
des Sociéiés t'ranç;i:ses de Géograpliie, à la elispo:-iti<;)n des
nienibies du Congre-, qui pourront y tenir leurs séances et y
recevoir leur corre-<pondance.
Les membres de votre Société, qui auraient des questions à
proposer au Cf>ngrès. [leuvent, dès mdntenanf, les adresser
au Secrétariat, boulevard Saint-Germain, 184.
Nous ne saur-ions trop appeler votre otlention sur l'impor-
tance exceptionnelle de cette session, (jui coineidei'a avec
l'Exposition Universelle de 1900.
Yeuiilez agréer. Monsieur le Président, Texpression de nos
sentiments les plus distingués.
Le Secrétaire général,
HULOT.
Le Président
de la Commission centrale,
G. Marcel.
Le Président de la Société,
Membre de l'Institut,
Milne-Edwards.
oom:it:ê ide L-A. sooiete
SÉANCE DU 4 DÉCEMBRE 1899
Les membres du Com.ité administratif de la Société se
sont léunis le 4 décembre, sous la présidence de M. le
lieutenant-colonel Derrien.
Dans cette séance, le Comité a été informé que M. Pouyanne,
inspecteur général des Mines, résidant à Alger, et directeur de
la Carte géologique de l'Algérie, accordait, à la Société, une
subvention do 160 francs, en échange de 100 exemplaires
du travail de M. le commandant Azéma, sur la géologie
et Vhydrologi':: des environs de Saida.
M. le Président a annoncé également qu'une autre subven-
tion de 400 francs a été votée par le Conseil municipal de
Saïda pour le même objet.
M. Ficheur, professeur à l'École des sciences d'Alger,
a adressé, à la Société, une notice biographique sur M. Poinel,
ancien président du Conseil général d'Oran, Miicien Sénateur
du département, membre correspondant de l'Institut, direc-
teur honoraire de l'École des Sciences d'Alger, chevalier de la
Légion d'Honneur ; qualités et titres auxquels il convient
d'ajouter celui de Président d honneur de notre Société de
Géographie.
Tout le monde, à Oran, a connu M. Pomel, dont le savoir
égalait la modestie ; il restera comme une des figures les plus
marquantes et les plus sympathiques de l'Algérie. Ses
travaux scientifiques sont considérables ; il a publié plus de
187 mémoires, notes ou volumes sur la géologie, la paléonto-
logie, la zoologie, l'entomologie et la botanique.
Ce sont ces divers titres que M. Ficheur invoque pour
appuyer un vœu en faveur de l'attribution du nom de Si. Pomel
à un des nouveaux villages à créer dans notre département.
Ce vœu a trouvé en haut lieu de chaleureux approbateurs.
Le Comité a accepté avec empressement la proposition de
^I. Ficheur. Il a décidé, en même temps, qu'un extrait de la
délibération sera adressé à M. licheur, pour qu'il le transmette
à M. le (Gouverneur général.
M. le Président a officiellement fait part à ses collègues du
décès de MM. de Varigny, président de la Société de géographie
d'Alger; Barbier, secrétaire général de la Société de géographie
de l'Est, et Henry Purisch, président de la Société de géogra-
phie de New-York. N^ tre Compagnie est en relations suivies
avec ces Sociétés, elle déplore très vivement ces pertes et
s'associe aux deuils qui les frappent.
Enfin, la question de la célébration du millénaire de la
fondation d'Oran a été reprise ; il a été décidé que l'organi-
sation des Commissions et Sous-Commissions ferait l'objet d'un
examen spécial.
ETAT NUMÉRIQUE DES PASSAGERS DU PORT D'ORAN
XXX
ÉTAT numérique des passagers débarqués et embarqués dans le port d'ORAN
pendant Tannée 1898
MOIS
Janvier
Février
Mars . . .
Avril
Mai
Juin.
Juillet
Août
Sopleuibre. .
Octobre
Novembre
Décembre . . .
Totaux.
ARRIVÉES
FRANÇAIS
'
î
TOTAL
Ci\ib
Uililaircs
inTAI,
«
760
650
1.425
1.089
2.514
702
429
1.131
895
2.026
693
583
1.270
79?
2.C6S
835
485
1.320
1.258
2.578
909
6:^2
1.541
7.8.54
9 . 395
850
308
1 .218
786
2.104
1.138
594
1.732
682
2.414
1.993
59!
2.58'i
961
3.545
3.822
783
4.605
1 100
5.765
2.268
533
2.801
1 . 066
3.867
1.205
2.0'iO
3.255
1.527
4.7b'2
869
672
1.541
1.149
2.690
10.063
8 . 366
24.429
19 219
43 6'i8
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FRANÇAIS
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989 185
.356
583
432
1.792 1.444
953 249
971
1.980
660
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XXXII
MOUVEMENT DE LA NAVIGATION
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XXXVIII
MOUVEMENT DE LA NAVIGATION
Relevé total du mouvement des Ports du Département d'Oran pendant l'année 1898
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PAVILLONS
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STATISTIQUE OU MOUVEMENT COMMERCIAL DES FORTS
(In tloi)artC!uent dOraii, pendant l'année 18ÎKS
comparé au mouvement de l'année 1897, et par nature de marchandises
EXPORTATIONS
Nous devons les rciiscigiiemenls publias
lans les tableaux
du déparlement
ci-après, à M. lin
d'Oian
.spccteur principe
des Douanes
jDÈSlG.NATION des M.\RCH.\)iDI>Ev
1
UNITÉS
Ensemble
des porfs en 1898
PORT mm
seul
Ensemble
des ports eo 1897
PORT D'URAS
seul
Animau.x \ ^^^^ <J« ^oainie.
Tètes
1 224
1.213
1.239
1 2j2
vivants ( bestiaux..
»
489.139
489.139
360.934
359.370
Graisses, suif brut et
saindoux
Kilûg.
80.788
1.377.143
80.788
1.340.883
133.178
932.758
132.989 '
i
878.423 ■
1
i Peaux brutes
, Laines en masse ....
»
2 5U5.UI)G
2.474.9.33
2.660.403
2 6 il. 552
So'es
»
»
208
13.624
208
10.072
197
22.613
197
21.772
Cires brutes
Poissons de mer ....
»
143.832
134.390
179.877
179.877
■ Corail brut
»
Quintal
735
616.471
482.805
735
560.943
454.392
438
392.844
273.829
438 !
338.908 '
252.077
1
Os, sabots et cornes
de bétail
j Froment.
: \ Maïs ....
»
483
483
56
56
1 Céré.\les <
] Orge ....
»
382.177
244.236
88.527
52.795
1 Avoine . .
»
551.031
4G6.137
280.329
267.883
Farines
»
Kilog.
936
1.904.755
692
1.575.y35
1.555
2.164.435
1 .455
2.162.055
verts ....
Légumes j secs et leurs
' farines. . .
»
1.111.414
978.729
743.238
735.238
Pommes do terre . . .
»
787.894
576.899
474.381
284.876
Alpistes
»
36.000
32.500
1.100
1.100
XL
MOUVEMENT COMMERCIAL
EXPORTATIONS Tsuite)
DESIGNATION des Jl\ltCH,\XDISES
UNITÉS
Ensemble
(les ports eii 1808
PORT D'ORAN
seul
Eoseiiible
des jjiirts en 1807
PORT D'ORAN
seul
f frais
Kilog.
1.538. 4 50
1.410.693
1.186.689
1.176.825
Fruits< secs on lapés
»
81. -Me
79.845
64.950
63.067
' oléagineux..
»
»
»
332.700
322.560
/' en feui'les . .
Tabacs
( fal.riqués . .
»
»
495
277.708
495
277.499
9.161
278.840
9.161
192.043
1 . d'olives
HuiLKsj jg graines
( grasses . .
»
240.5^2
198.460
31.618
30.316
»
.57.292
57.292
4.333
4.333
1
en graines
»
239.85 1
2..9.cs:0
316.7:0
316.76ii i
\ en tiges brutes.
Lin (
»
»
»
»
» 1
/ tCillé, peigné el
1
»
\ en étoupes.. .
»
»
»
»
Joncs et roseaux bruts
»
1.700
l.TOi»
1.100
1.100
1
Alfa
»
»
86.619.916
210
67.911.336
24(1
72. 85. 620
1.5 :ll
55.15'i 220
1.5 0
Feuilles de palmiers nains . .
Crin végétal.
»
12.214.078
11.5811.463
16.768.918
16.l9it.2U0
Liège
»
98.4'iG
98 446
9 1.8 -H)
91.820
Écorces à tan
»
7.514.003
7.514 0li3
7.281.116
7.268.102 i
Fourrages et son
»
3.196.766
2.152.293
2.262.324
1.5 1.988
Drilles
»
782.422
754 979
605.2;'9
.583.2:]5
Plomb V métal brut). .
Quinlal
«
»
7
7 !
de fer . . .
»
3.665.070
»
3. 4 56.. 570
))
\ de cuivre
»
»
»
»
»
Minerais
1 de plomb.
»
333
124
42
42
\ de zinc . .
»
40
40
38
38
Vins de toute sorte. .
Litre
118.647.954
89.727.595
125.875.111
94.280.604
Eaux-de-vie et alcools
Lilrc d'alcool
1.503.664
1.299.926
1.876.917
1.250 238
Peaux préparées et
ouvrées eu peau . . .
Kilog.
43.860
43.852
58.981
58.981
MOUVEMENT COMMERCIAL
XLI
IMPORTATIONS
IDESIGNATIIIN des MARCHAÎiDlSES
i
1
UNITÉS
EDsemble
des ports en 1898
PORT D'ORAN
seul
Ensemble
des [torts en 1807
PORT D'ORAN
seul
1
Animaux [ bêles de somme...
Tête
2 635
2.635
1.144
1.444
vivaiils ' bestiaux. . . .
»
263.779
»
586
573
Viandes salées
Kilog.
306.618
269.193
334.418
298.482
Fromages
»
783 523
711.381
862.528
-93.438
Beurre
»
»
144.407
461.005
438.417
139.976
380.578
437.233
134.504
425.857
148.002
l:J0.460
325.979
96.266
Graisses
Peaux brutes
Soies
»
i;
1.102.507
»
1.072.094
967.330
»
945.993
Poissons de nier
Froment.
Quintal
65.. 528
65.527
1.911
I.9C8
l Maïs ....
CÉRÉALES ;
1 Orge ....
»
101.186
130.193
129.764
104.519
65.477
175.307
13.586
170.190
\ Avoine .
»
22
22
40
11
Farines
»
Kilog.
»
68.063
4.276.076
6,323.143
65.294
3.075.180
5.493.914
59.997
3.360.958
7.595.896
49.063
1.663.893
6.514.557
Riz
Pommes de terre . . .
Légumes secs
y
3.130.833
2.635.948
2.874.832
2.519.341
; secs ou tapés
Fruits] ,
[ oléagmeux..
»
1.896.044
1.837.035
1.304.727
1.279.156
»
714.103
713.124
601.560
.596.170
Glucose
»
53.952
446.813
53.383
425.836
34.951
404.009
30.906
383.810
( brut
Sucre .
( raffine
»
5.941.538
4.894 401
5.512.358
5.039.363
Café
»
»
1.777.945
212.564
1.676.611
189.462
1.618.651
201.749
1.398.484
183.753
Chicorée
XLII
MOUVEMENT COMMERCIAL
IMPORTATIONS (suite)
î
jDÊSlGNATlON des MARCHANDISES
UNITÉS
Ensemble
despoitseDl898
PORT D'ORAN
seul
Ensemble
des ports en 1897
PORT D'ORAN
seul
Thé
Kilog.
D
31.371
1.982
31.006
1.826
24.774
488
24.376
204
Poivre
Mandons, châtaignes
et leurs farines . . .
>
346.869
315.645
370.654
354.817
Cannelles et cassia
lignea
»
3.212
2.682
271
150
Muscade, macis et
vanille
»
230
2-29
79
79
girofle
0
»
21
4-^9.560
21
417.290
120
746.306
119
735-650
; en feuilles..
Tabacs
( fabriqués . .
»
2.307
2.276
168.478
58.626
i d'olives ....
»
451.680
431.822
325.478
301.223
Huiles ( d'aiil esgraine-
^ grasses
»
4.074.379
3.476.909
4.214.839
3.580,091
, b uts ou
^«'^ équarris..
1.(00 kil.
9.047
4 162
9.601
9.. 519
à construire ]
\ sciés
»
11.628
7.660
Il 667
2.707
Mater, de toute sorte.
Kilog.
31.?31 732
23.039.124
19.957.243
16.141.796
Houille.
Quintal
Kilog.
536.773
330 549
427.644
265.382
414.975
188.796
319.765
135.828
Huiles et j brutes
pétroles ( raffinés ....
»
1.170.577
14,572
2.353.490
216.769
Boissons (vinsordin..
Litre
1.890.806
1.863.205
1.585.4.56
1.557.313
fermentées { vinsdeliq..
»
347. 09S
325.4.57
200.249
181.940
Eaux-de-vie, alcools
et liqueurs
Litre d'alcool
484 530
425.130
2.355,319
2.216.021
Bière
Litre
718.129
711.847
726.515
726.182
Poteries
Kilog.
4.923.6^6
1.194.546
3.758.931
1.125 189
1
4.429.125
1.143.243
3.967.457
1.085.330
Verres et cristaux. . .
MOUVEMENT COMMERCIAL
IMPORTATIONS (suite)
XLIII
ÎSIGNATION des MARCHANDISES
UNITÉS
Eûsemble
des ports en '18118
PORT D'OR^N
seul
Euseuible
des ports en 1897
PORT D'ORAN
seul
de lin et
chanvre .
de
Kilog.
198.833
193.454
113.457
100.831
lie juto . .
»
»
2.33G.15G
2 4'i9.G'i2
2.236.226
2.408.570
1.134,674
1.596.158
1.095.077
1.563.830
Tissus
de coton . .
de laine. . .
»
199.285
129.653
261.089
194.705
de soie. . . .
4.270
»
4.279
0
7.283
30
7.272
30
autres ....
Papiers et carton .
))
2 439.439
2.234.100
1.875.255
1.791.473
Peaux préparées
ouvrages en peau
et
»
451.321
376.890
482 943
413.798
Machir
ques
Ouvaj:
les et mécan
i-
1.912.239
5.836.106
1.845.177
5.394.140
764.913
3.874.648
688.810
3.243.629
^es et métau3
«L .
Duvrages de sparte-
rie,
1 de c(
le vaiHierie et
3rderie
»
129.401
122.225
112.740
102.541
r
BOUTY,
Secrétaire Général.
* ♦ —
RELEVÉ du Trafic de la Gare de Karguentah, de la Compagnie P.-L.-M.
PEN'DXNT L'ANNÉE 1898
DÉSIGNATION DES MARCHANDISES
Céréales
Son et farines
Houille et coke
Tuiles et briques
Alfa . .
Crin végétal
Denrées
Chaux, ciment et plâtre ....
Liège et écorces
Soufre et sulfate
Vin
Alcool
Engrais
Oranges, citrons et mandarines
Huiles
Tabac
Foin et paille
Fûts vides
Laines
Arbres vivants
Divers
. Bois . . . •
Matériaux . . . ' Pierres. . .
( Fers ....
Transport de la Compagnie . .
Guerre
Légumes et fruits frais ....
Pastèques et melons
Bois et charbon de bois ....
Totaux. . .
EXPEDITIONS ARRIVAGES
420 1"
. 433
226
457
368
22
.460
690
43
119
988
627
317
126
I3r.
.193
18
»
.586
.388
50
293
.216
458
159
6
75
25. 875 f'*'
6.144t"'
1.874
22
»
17.021
579
1
32
646
31
36.761
69
»
2 '24
83
17
1.041
196
676
22
2.538
93
96
52
8.660
410
1.077
948
6.399
85. 706 f"
OUSEHVATIONS
RELEVÉ du Trafic de la (iare d'Oran-Marine, de la Compagnie P.-L.-M.
PENDANT L'ANNEE 1898
!
DÉSIGNATION DES MARCHANDISES
EXPÉDITIONS
Iiiiporlalioiis
ARRIVAf.ES
Exportati^'iis
OBSERVATIONS
i Céréales
1 0.967 t--
1.82G
»
14.946
5.075
s
9
8
4.524
3.751
547
266
676
544
»
091
115
6
1.222
»
s
2.282
1.539
10.722
14.762
102. 189 t""
674
»
B
B
775
2.289
30.696
))
3.778
»
»
10.192
159
580
190
')
79
79
1.434
>
1 1
93
43
1.594
Son et farine
Minerai de zinc
Houille et coke
Tuiles et briques
Bois à brûler, charbon de bois. . . .
Crin végétal
Alfa
Liège et écorces *.
Soufre et sulfates
Vin
Alcool
Engrais divers
Oranges
Huile
' Tabdc
Foin et paille
Fûts vides
,'' Pierre
( Fer
Transports de la Compagnie
Divers
Totaux
74.4691-'
154.858 t""
XLVI
OBSERVATIONS METEOROLOGIQUES
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T^A. OOKTQXJÊTE IDE L'^LO-DÉRIE
SOUVENIRS RÉTROSPECTIFS
MUSTAPHA BEN ISMAEL
Au Colonel BEN DAOUD,
Officier Supérieur de Cavalerie en retraite,
• S\Ceml>re de la Société de Géographie et d' Archéologie d'Oran,
Depuis de longues années, étudiant par les détails
es brillants faits d'armes, si glorieux pour nos soldats,
qu'a enregistrés l'Histoire de la conquête de l'Algérie,
le nom de votre valeureux aïeul, le général Mustapha
BEN IsMAEL, avait frappé mon esprit. Je m'étais promis,
dès lors, sans parvenir à réaliser mon désir, de faire
une étude biographique sur votre grand ancêtre, ce
vaillant homme de guerre qui constitue une des
figures les plus remarquables du temps dé nos guerres
d'Afrique ; que l'on vit de 1832 à 1843 versant son sang
sur tous les champs de bataille de la province de
l'Ouest, en tête des goums des Douairs et des Smélas,
à côté de nos généraux qui l'avaient apprécié à une si
haute valeur.
Le moment est venu de réaliser mon rêve. Ayant
connu l'agha Mohamed ben Daoud, votre vénéré père ;
le chef incontesté des Deouïdia, ainsi que son insépa-
rable condisciple et ami, le bach-agha Si Ahmed ould
Cadi, qui furent en leur jeune âge les conseillers et les
frères d'armes de Mustapha ben Ismaël ; ayant égale-
ment connu l'agha Mustapha ben Diff, de Mostaganem,
et, plus récemment, mes bons amis les deux caïds
Mazari, de Lamoricière et de Sebdou (1), tous, vos pa-
rents ou alliés, issus de la grande famille des Deouïdia,
(l) Ce dernier vient d'èlre élu délégué musulman aux Délégalions
linancières de l'Algérie,
îfi PREFACE
dont vous êtes originaire, je ne saurais mieux faire,
comme préface à mon étude, que j'ai pu enfin réaliser,
que de vous en oiïrir la dédicace, à vous qui avez em-
brassé, comme vos aïeux, la carrière des armes, et de
vous prier de transmettre à tous les membres de votre
famille l'expression de la grande admiration que m'ont
inspirée les hauts faits d'armes du généralMustapha
ben Ismaël, le héros des guerres de l'Oranie, le martyr
de Zemmorah.
J. CANAL, •
de la Société de Géograpin'e et d'ArcIiéologie d'Or an .
INTRODUCTION
Le nom du général Mustapha ben Ismaël a été si intimement
mêlé aux grandes luttes de la conquête de l'Algérie, qu'il
mérite d'être cité à côté de ceux de Pélissier, de Bedeau, de
Gavaignac, de Lamoricière et de Bugeaud, auxquels il prodigua
pendant douze ans (1831-1843), tous les efforts de sa haute
vaillance ; toute son énergie, toute son activité, tout son
chevaleresque dévouement.
Il versa son sang pour la France, dont il a été, pendant
les guerres d'Algérie, le plus fidèle soutien parmi les musul-
mans ralliés à notre cause.
Sa gloire, déjà ancienne, établie et proclamée sous le gou-
vernement des Turcs, grandit plus encore et s'affirma sous les
plis de notre drapeau qu'il avait fait sien.
Les hommes de la trempe et du caractère peu banal de
Muslapha Ismaël, sont trop rares ; de semblables types, même
dans les grandes luttes de notre histoire militaire, sont trop
peu communs pour qu'il ne convienne pas de chercher à
retenir l'attention sur cette grande et noble figure.
Le moment est venu de tirer ce héros de l'oubli et de graver
son nom sur l'airain de l'Histoire. A ce titre, le général Musta-
pha ben Ismaël mérite de passer à la postérité et de figurer au
livre d'or de la conquête de l'Algérie.
MUSTAPHA BEN ISMAËL
Généalogie de Mustapha ben Ismaël
Qu'était-ce que Mustapha ben Ismaël?
Il était issu de la la grande tribu des Behaïtsia originaire des
Oulad el Messaoud, une fraction delà tribu des Amehal, ou
El Mehal, également désignée sous le nom de Oulad bou Beker.
Cette tribu d'EI Mehal était autrefois composée des Arabes,
Koreïchites qui formèrent la fraction des Beni-Maghzoum,
laquelle se distinguait des autres par la couleur noire de sa
bannière.
Elle descendait des djouad, nobles musulmans, venus de
rOrient pour faire la conquête de l'Afrique septentrionale. A
la suite de leur émigration envahissante vers le nord-ouest, la
tribu d'El-Mehal vînt s'établir dans la région de l'Algérie
comprise entre Miliana et Mostaganem, dans la plaine et aux
abords du Chélif.
Mostaganem conserve encore une ancienne citadelle, connue
sous le nom de Bordj-el-Mehal, aujourd'hui le «Fort des Gigo-
gnes », transformé en prison, qui atteste par sa présence et
son architecture byzantine, du passage de ces émigrés conqué-
rants.
Le fondateur de cette famille des Behaïtsia se nommait
Bachir. Homme doué d'un brillant courage et d'une haute
vaillance, qui avait conquis son titre de héros dans les guerres
que les Turcs livrèrent aux Mehal pour les attirer sous leur
domination.
A sa mort, Bachir laissa quatre fils en bas âge : El Moufok,
Ismaël', Eudda et Youssef. Lorsque ces derniers eurent atteint
un certain .âge, l'aîné, El Moufok, se rendit auprès des Turcs
qui venaient d'occuper Mascara, et se fit nommer caïd des
Douairs, dans la plaine de la M'Iéta, près d'Oran ; il appela
aussitôt auprès de lui ses trois jeunes frères qui vinrent l'y
rejoindre, et occupa ce poste jusqu'à sa mort.
MUSTAPHA BEN ISMAEL 5
Son fils, El Kadi, trop jeune pour lui succéder, resta sous la
tutelle de son oncle Isniaël, (jui lui donna plus tard sa lille en
mariage.
A cette époque, l'agalyk des Douairs était confié à un nommé
Ghérit'-el-Kerdi, dont Isrnaël ben Bachirétait le khalifa, c'est-à-
dire le lieutenant. A la mort de Ghérif-el-Kerdi, son khalifa,
Ismaël ben Bachir, de la famille des Behaïtsia, lui succéda à
son tour dans ses hautes fonctions, et, lorsqu'il mourut, il
laissa lui-même trois fils : Kaddour-el-Kébir, Mustapha et
Kaddour-el-Seghir.
Le premier, en sa qualité d'aîné, hérita du titre et des hautes
fonctions d'Agha des Douairs ; et c'est au décès de ce dernier
que le second fils d'Ismaël ben Bachir, Mustapha hen Ismaël,
fut à son tour proclamé Agha de cette tribu des Douairs, qui
fut la meilleure et la plus fidèle alliée des Français, dès leur
établissement à Oran.
Il résulte de cette filiation que l'Agha Mustapha ben Ismaël
était le petit-fils du fameux Bschir, le fondateur de cette
famille des Behaïtsia, qui a peuplé, par la suite, \i plaine de la
M'iéta.
Il occupait ces hautes fonctions, sous le gouvernement Turc
du bey Hassan, dernier gouverneur d'Oran, lors du débarque-
ment des Français dans cette place, le 13 décembre 1830.
La première fois que le nom de Mustapha ben Ismaël est
cité, se rapporte à l'occupation de Mers el-Kébir par le Général
de Damrémont qui s'était emparé du fort Saint-Grégoire, trois
jours après son débarquement.
La ville d'Oran, se trouvant menacée d'un bombardement
si elle ne se rendait pas à discrétion, le vieux bey Hassan
dépêcha à Mers-el-Kébir, quartier général des troupes françai-
ses, l'Agha des Douairs, Mustapha ben Ismaël et Hadj Morcelli,
pour lui annoncer que, dans l'impossibilité où il se trouvait de
soutenir honorablement la lutte, n'ayant à sa disposition que
90 hommes de milice turque, il invitait le général français à
venir prendre possession de la ville, s'il ne voulait la voir en
proie au pillage et à la désolation. Cette prise de possesion,
sans combat, eut lieu le 4 janvier 1831. Le bey Hassan s'em-
6 MUSTAPHA BEN ISMAEL
barqua peu après pour Alger, où il fut reçu avec égards et
distinction.
On voit par ce court aperçu, que l'Agha des Douairs fut
le premier ambassadeur, le premier personnage musulman
qui entra en relation avec les troupes françaises dès leur
arrivée à Oran. C'est sans doute à cette circonstance, qu'il dût
son admiration et son enthousiasme pour la France, sentiments
qui ne se démentirent jamais jusqu'à sa mort.
Mustapha ben Ismaël était né à la M'iéta, vers l'année 1764.
Il avait donc déjà 67 ans, quand nous le mettons en scène au
commencement de 1831.
Les hautes et nobles qualités que nous lui avons connues, il
les possédaient déjà sous le gouvernement turc qui l'avait en
si grande considération.
C'était un guerrier aux instincts éminemment militaires qui
le distinguèrent d'une façon toute particulière, et lui faisaient
tirer toujours un bon parti des éléments incomplets et informes
dont il disposait. Malgré son extrême rigueur pour l'obéissance
et la discipline, il était d'une telle impartialité, d'une telle
grandeur d'âme, qu'on l'avait surnommé : Mustapha-el-Haq
(Mustapha le Juste).
« Certes, dit Walsin-Esterhazy, dans l'histoire du Maghzen
d'Oran, il fallait qu'il fut doué d'un sens moral bien profond
et d'un grand esprit de noble équité, pour mériter ce glorieux
surnom, à une époque où, investi d'un immense pouvoir,
arbitraire, discrétionnaire, il fut si hautement apprécié comme
agent principal d'un gouvernement basé sur la violence et la
spolation.
« Il était reconu, parmi les gens peu scrupuleux dans leur
foi, au milieu desquels il vivait, que la jjarole de Mustapha
était la plus solide des garanties et, sous ce rapport, la dernière
partie de sa vie fut digne de celles qui l'avaient précédé. Il
donna, plus tard, sa parole à la France et, jamais, dans
les circonstances difficiles qu'il eut à traverser avec nous,
malgré les dégoûts dont il fut souvent abreuvé, son expérience
des hommes de son temps et des choses de son pays, son
dévouement dans les combats, sa coopération dans les conseils,
MUSTAPHA BEN ISMAEL 7
ne nous firent défaut toutes les fois qu'on voulut bien les invo-
quer ; toutes les fois qu'on y eut recours, h
Pour l'intelligence de ce qui va. suivre, nous devons nous
reporter à deux années après la prise d'Alger (1832), époque à
laquelle s'est révélé l'émir Abdelkader ould Mahieddin, comme
prince des vrais croyants (titre qu'il se plaisait à se décerner lui-
même) et régénérateur de la nationalité arabe, attendu que ce
furent préciséuient les deux, tribus limitrophes, les Douairs et
les Smélns, constituées en maghzen, et objet de cette étude,
qui contre-balançèrent rin[luence d' Abdelkader et contri-
buèrent le plus, par leur alliance avec les Français, à détruire
son prestige et à renverser sa puissance.
Apparition d' Abdelkader
Ce fut le 28 septembre 1832 que le jeune Abdelkader, fils de
Mahieddin, fut salué avec la plus grande solennité, sultan des
Arabes, sur le territoire de la plaine d'Eghris, à la Ghetna,
demeure de son père.
Abdelkader, né en 1807, avait conséquemment 25 ans; il
avait déjà accompli avec son père le pèlerinage de la Mecque
et était consacré El Hadj.
Dès son avènement, le nouveau souverain fit écrire à tous
les chefs de la contrée, notamment à Mustapha ben Ismaël, à
El hadj Mazari, à El hadj bel Hadri, et à Mohamed bel Kadi,
lesquels commandaient les quatre groupes Douair, Smélas,
Gharaba et Bordjia, pour les inviter à reconnaître sa souve-
raineté, se ranger sous son obéissance et v^enir prêter, à
Mascara, entre ses mains, le serment de vasselage et de fidélité.
Lorsque cet ordre impératif parvint à la M'iéta, les chefs de
l'ancien maghzen turc se réunirent sous la présidence de
l'agha des Douair, Mustapha ben Ismaël, pour délibérer sur le
parti à prendre. Dans le conciliabule qui s'en suivit, Mustapha
déclara énergiqucinent qu'il ne pouvait consentir à se
soumettre à l'autorité d'Abdelkader. fils d'un obscur marabout
8 MUSTAPHA BEN ISMAEL
des Hachem, homme de zaouïa (1), hier encore inconnu, et
qu'il refusait de se rendre à son appel.
Ses compagnons lui objectèrent qu'un tel refus d'obéissance,
en pareil cas, les exposerait à la déconsidération et au mépris
de leurs correligionaires et serait de nature à leur attirer
de graves désagréments.
Trop fier pour s'associer à une démarche qui ne pouvait que
le rabaisser et l'amoindrir, Mustapha ben Ismaël leur répondit,
en se retirant : « Puisque c'est ainsi que vous l'entendez,
agissez à votre guise, mais ne comptez pas sur moi car je ne
m'associerai jamais à une semblable détermination ».
L'assemblée persévéra néanmoins dans son idée de
soumission et décida d'envoyer deux délégués : El hadj
bel Hadri et Moktar el Eudda, qui se rendirent à Mascara,
porteurs de riches présents et prêtèrent le serment d'obéissance
à l'émir, heureux et flatté d'être pris au sérieux.
Le premier fut aussitôt nommé agha du maghzen et le
second caïd des Douairs.
Le maghzen d'Abdelkader, ainsi constitué, était calqué sur
celui des Turcs, que commandait précédemment l'agha
Mustapha. Il se composait de ce qu'on appelait les quatre
tribus moghaznia, qui formaient la milice permanente du
gouvernement établi et qui se recrutait dans la région d'Oran.
C'étaient : 1° Les Douairs et les Smélas de la plaine de la
M'iéta, occupant les terres comprises entre Oran, le Sig et
Aïn-Témouchent ; 2" Les Gharabas, compris entre Oran, le Sig
et Arzew ; 3° Les Bordjias, occupant le pays de la plaine de
l'Habra, entre Oran, Perrégaux et Mostaganem.
Ces quatre tribus jouissaient de certaines immunités de
paccages et autres ; elles ne payaient pas d'impôts.
Chacune d'elles était sous les ordres d'un caïd et à la tête
de ce grand commandement administratif et militaire, était
placé l'Agha du maghzen. Ensemble, elles fournissaient de 350
à 400 cavaliers, bien disciplinés et des mieux aguerris. Les
terrass ou hommes de pied, conduisaient les convois de
(1) De la part d'un q-iiPri-Ler comme Mustaplia ben Ismarl, répilliètc de
« homme de zaouïa « était un terme de mépris, similaire à celui de
calotin, on homme de sacristie.
MUSTAPHA BEN ISMAEL 9
mulets et de chameaux destinés aux transports des vivres
et bagages de ce petit corps d'armée.
El hadj bel Fladri et Moktar el Eudda après avoir reçu
l'investiture des mains du nouveau Sultan, rentrèrent dans
leurs tribus, où l'autorité de Mustapha ben Ismaël régnait
encore, respectée et vivace, par la force des choses du passé.
Malgré cette manifestation solennelle de Mascara, les
Douairs et Smélas n'avaient été accueillis qu'avec un esprit de
défiance et d'hostilité à peine déguisé. Les Hachem et Abdel -
kader ne pouvaient pas plus oublier leurs griefs contre les
anciens dominateurs du pays, que ceux-ci ne pouvaient par-
donner aux nouveaux maîtres, leur puissance de fraîche date,
qu'ils jalousaient et ne subissaient qu'avec répugnance.
Cet esprit d'animosité prit un caractère encore plus tranché
par suite de la scission qui s'opérait au sein du maghzen par la
nomination d'El hadj bel Hadri au poste d'agha, au lieu
et place de Mustapha ben Ismaël.
Bel Hadri quitta donc, peu après, la plaine de la M'iétapour
se rendre, avec ses tentes, et celles peu nombreuses, de ses
clients les plus dévoués, à Mascara, auprès d'Abdelkader qui
l'attendait.
De ce tait, le Maghzen se trouva divisé en deux fractions,
désormais ennemies, l'une à Mascara, au service de l'Emir,
l'autre restée à ia M'iéta, demeurant fidèle à son vieux chef
Mustapha ben Ismaël et coiiocrvant son indépendance et sa
liberté d'action.
Ostensiblement, et bien que frappé dans son amour-propre,
le vieil agha ne montra aucun ressentiment des faits qui
venaient de se passer. Il se recueillit, retiré dans ses terres de
la M'iéta, avec ses adhérents, la plupart des Douairs, qui
devaient lui rester fidèles. Aussi, lorsque en mai 1833, Abdel-
kader réunit toutes ses forces pour combattre nos troupes qui,
sous le commandement du général Desmichels, commenraient
à opérer des sorties et à faire des reconnaissances aux environs
d'Oran, il se forma deux camps dans lesquels chaque chet
reçut les honneurs séparément : celui d'Abdelkader établi au
figuier de Massoulan (actuellement Valmy) et celui de Musta-
pha ben Ismaël, traité à l'égal du Sultan, établi à Missergliin,
10 MUSTAPHA BEN ISMAEL
Dans quelques escarmouches vigoureusement repoussées
par la petite garnison d'Oran, les deux goums manœuvrèrent
chacun isolément, et, après l'action, où l'avantage resta aux
troupes françaises, chacun se retira dans une direction opposée.
Cependant le pouvoir d'Abdelkader ne s'établissait que diffi-
cilement : son autorité était loin de s'affermir, et des tribus,
même les plus voisines de Mascara, étaient en état continuel
d'hostilité : Ainsi, par exemple, les Angad des Hauts-Plateaux
venus faire leur soumission à Abdelkader, furent autorisés à
rentrer dans le Tell et à s'installer sur le territoire des Oulad
Ali (Oued-Imbert) avoisinant les Beni-Ameur (plaine de Bel-
Abbès). Puis, afin de prévenir toute agression de la part de
ceux-ci contre leurs anciens ennemis et nouveaux voisins, il
donna l'ordre aux Douairs de protéger les Angad et de les
appuyer en cas d'attaque.
Mais, l'influence et l'autorité de l'Émir étaient si précaires
que ses ordres ne furent pas exécutés. Les Beni-Amcur, pour-
suivant leur haine et leur vengeance, tombèrent inopinément
sur les Angad et les razzièrent. Ceux-ci se replièrent sur les
Douairs qu'ils entraînèrent à leur secours ; puis, reprenant
l'offensive, ils infligèrent à leurs ennemis une sanglante défaite,
où leur chef Bou-Gliouïcha trouva la mort.
Se voyant battus et chassés de leurs cantonnements, les
Beni-Ameur employèrent l'intrigue pour corrompre les gens
de l'entourage de l'Émir, auquel on persuada que Mustapha-
ben Ismaël et les Douairs voulaient le renverser et s'emparer
de Mascara.
L'Émir, très hésitant, que les graves conflits du moment ren-
daient ombrageux, croyant, sans doute de bonne foi, que son
pouvoir était menacé par une trahison, donna aussitôt l'ordre
aux tribus du nord de Tlemcen : Oulhassa, Trara, Gliossel,
Médiouna et Oulad Riah, de marcher contre les Douairs, les
Smélas et les Angad, pendant que lui irait les attaquer à revers,
décidé à les exterminer et à effacer jusqu'à leur nom.
Informés du sort qui les attendait, par des lettres que le
hasard fit tomber entre les mains de Mustapha ben Ismaël,
leur ancien chef, toujours vénéré des siens, les Douairs,
renforcés de tous ceux que la nostalgie delà M'iéta avaient fait
rentrer de Mascara, organisèrent la résistance.
MUSTAPHA BEN ISMAEL 41
Combat d'Aïn-Fezza
C'est à ce moment que le vieil Agha rentra en scène. Comme
l'offensive était sa tactique dominante, après avoir coordonné
toutes les forces disponibles de l'ancien maghzen, il se porta
à deux jours de marche vers l'ouest, sous les bois d'oliviers
d'Hennaya, auprès des sources des Ghossel et prit position
attendant fermement le défi d'Abdelkader.
Le lendemain, dès l'aurore, les goums de l'Emir étant
signalés au sud-est, vers Tlemcen, Mustapha, à la tête de ses
fidèles Douairs, marcha résolument à leur rencontre. Après
avoir dépassé la petite vallée de la Saf-Saf, entre Négrier
et Ouchba, il tomba sur les cavalier de l'Emir, vers le point où
se trouve actuellement le village d'Aïn-Fezza.
Là, une sanglante bataille s'engagea, poursuivie avec un rare
acharnement et se termina par la déroute de l'armée de l'Emir
et la prise de tous ses trophées (12 janvier 1833). Ce dernier,
trop confiant dans ses forces et son habileté, s'était laissé
surprendre inopinément par un guerrier de carrière beaucoup
plus habile et plus expérimenté que lui.
Personnellement, l'Emir fit des prodiges de valeur et eut
deux chevaux tués sous lui ; mais que pouvait-il contre l'élan
impétueux de Mustapha et de ses Douairs ? Démonté et
presque sans armes, il allait périr ou être pris, ce qui était tout
comme, sans le dév^ouement de son cousin Miloud ben Taïeb,
qui l'arracha de la mêlée, le prit en croupe sur son cheval et
l'entraîna loin du théâtre de la lutte. La monture de l'Emir, sa
selle et ses armes, restèrent entre les mains des vainqueurs.
Miloud ben Taïeb et son puissant cousin, auxquels la fuite
avaient donné des ailes, rentrèrent presque seuls à Mascara.
Dans celte première rencontre, Abdelkader apprit à ses
dépens à quel terrible adversaire il avait à faire.
Mustapha ben Isniaël, au contraire, sortit de la lutte plus
estimé, plus grandi que jamais. Les Douairs et les Smélas
l'acclamèrent pour leur seul et unique chef et lui firent une
ovation grandiose.
12 MUSTAPHA BEN ISMAEL
Encouragé par ce succès, Mustapha avant de quitter la
région, passa par Tlemcen où il revît plusieurs de ses anciens
compagnons d'armes et profita de cette occasion pour négocier
une alliance avec Sidi Hamadi, chef Turc de cette ville, lequel
ne se souciait guère de perdre son indépendance pour entrer
dans le giron de l'Emir Abdelkader qui cherchait à s'imposera
toute rOranie.
C'est donc grandi par ce beau fait d'armes d'Aïn-Fezza que
l'Agha des Douairs, ayant recouvré son ancienne autorité,
rentra à la M'iéta chargé de butin pris à l'ennemi.
Bataille de la Tafna
{Septembre iS33)
Cependant, avec une rare opiniâtreté, une persévérance
résolue, Abdelkader continuait à organiser son petit royaume.
Après quelques jours de recueillement passés chez son père à
la Glietna, il reprît ses enrôlements et créa des corps d'infan-
terie et de cavalerie régulière. Nomma à leur tête des aghas,
des caïds, des cheiks et prépara avec un soin minutieux
l'armement et l'équipement de ses troupes reconstituées.
Quand ces préparatifs furent achevés, obsédé par l'idée fixe
de gagner à sa cause Tlemcen et les tribus de l'ouest, il
marcha de nouveau contre les Douairs campés à ce moment
sur les bords de la Tafna, où ils avaient obtenu l'autorisation
de faire du fourrage dans la boucle formée par cette rivière et
son affluent l'Oued Zitoun, vers le marabout de Sidi-Bou-
Lenouar.
Abdelkader, pour assouvir sa haine, cherchait une occasion
de se venger des dédains de Mustapha ben Ismaël, cet intrai-
table vieillard, que rien n'avait pu séduire et dont l'opposition
importune le fatiguait, en conlrecarnint tous ses projets. Il
résolut de le punir de sa témérité et de s'imposer à lui par la
force.
Dès que Mustapha apprît les projets de l'Einir et la convoca-
tion des goums et des troupes régulières, il se rendit à Oran et
MUSTAPHA BEN ISMAEL 13
lit au général Desiiiichels, avec lequel il avait déjà tenté
d'entrer en pourparlers, de nouvelles propositions, offrant,
pour lui et ses tribus, soumission complète et adhésion à
la France, en échange de la rupture avec Abdelkader.
Le général repoussa avec hauteur ces nouvelles avances et
tout mode d'arrangement avec les Douairs ; il appuya même
son refus d'une démonstration militaire sur Misser^hin.
Méconnu des Français, en butte à la vengeance d'AbdeIka
der et réduit à ses seules forces, Mustapha résolut de quitter
le pays. Il se souvint que le Sultan du Maroc, avec lequel il
avait entretenu autrefois des relations amicales, n'avait jamais
eu pour lui que de bons procédés, francs et loyaux. Il décida
donc tous les Douairs et Smélas à se retirer avec lui au Maroc.
Précédé de la nombreuse émigration de ses deux fidèles
tribus, il se dirigea vers l'ouest, à marches forcées pour faire
jonction avec ses cavaliers restés au fourrage à Sidi bou
Lenouar. Le troisième jour, à peine arrivait-il en cet endroit,
que les éclaireurs de l'Emir furent signalés à leur poursuite.
La fuite devenait impossible. Personne, du reste, ne la
conseilla, elle n'était pas dans les habitudes du vieil Agha.
Aussi prit-il bien vite son parti de cette nouvelle agression.
En cette difficile conjecture, encombré d'impedimenta, il mit
en sûreté les femmes, les enfants et son convoi de bagages,
puis, avec la promptitude et la résolution qui lui étaient
familières, il forma ses pelotons de cavaliers et à leur tête, se
porta, sans hésiter, le fusil haut, à la rencontre de son ennemi.
Dès qu'il l'aperçut il fit sortir des rangs ses cinquante meilleurs
cavaliers des mieux montés, les hardis compagnons de sa
bonne ou mauvaise fortune. Il s'avança à la tète de cette petite
phalange de héros, au pas, tandis qu'il avait envoyé les Smélas
faire une diversion sur la droite de l'ennemi, pour tenter de le
tourner.
A son allure calme et froide, au petit nombre des cavaliers
qui l'entouraient ; l'Emir pensa qu'il venait implorer son par-
don. Mais, arrivé à une petite distance de l'immense ligne de
cavaliers qu'il avait devant lui, Mustapha donna tout-à-coup le
signal de la charge ; avec son impétuosité accoutumée il tomba
comme la foudre sur le groupe qui entourait l'Emir.
14 MUSTAPHA BEN ISMAEL
A cette attaque inopinée, tout-à-fait imprévue, surpris de
tant d'audace et avant d'avoir eu le temps de prendre leurs
dispositions de combat, les cavaliers d'Abdelkader, dont la
ligne fut rompue par ce choc violent, terrifiés par la vue de
Mustapha qui leur inspirait une crainte effroyable, se disper-
sèrent dans toutes les directions, en une piteuse débandade,
vivement poursuivis par le reste du maghzen, qui attendait
embusqué non loin de là, le signal convenu pour faire irruption.
Tous les chevaux de main, ou de gada, que les tribus
voisines venaient d'offrir sur le passage de l'Emir, une grande
partie des mulets de charge et tous les bagages restèrent entre
les mains des vainqueurs de ce hardi coup de main.
Abdelkader, isolé de son escorte, abandonné dans la panique
qui s'en suivit et n'ayant autour de lui qu'une dizaine de fidèles
serviteurs, prît vivement la fuite et ne s'arrêta qu'à la Sikkak,
comptant sur la nuit pour rallier son monde et arrêter les effets
de cette déplorable déroute. Cette fois encore il ne dut son
salut qu'à la vitesse de son cheval.
Son habile adversaire connaissait trop bien la portée de
de l'influence morale due à ce succès, pour en rester là, et ne
pas poursuivre ce qu'il avait si heureusement commencé.
Dans la nuit même, alors que tout paraissait s'être livré au
repos, avec sa connaissance parfaite du terrain sur lequel il
opérait, laissant ses douars dressés au lieu même de leurs
campements, avec leurs feux allumés et entretenus, il tomba
de nouveau et à l'improviste sur le camp de l'Émir, mal gardé,
mal défendu et revenu à peine de sa première panique de la
journée.
Les cavaliers du maghzen, livrés à leur instinct de pillage
et de rapine, furent lancés comme un tourbillon au milieu des
tentes et des bivouacs, où ils avaient carte blanche. Ils mirent
tout à feu et à sang. Cette fois la victoire fut complète : les
tentes, les drapeaux, insigne du commandement, la nouba de
l'Émir (musique arabe), tous les mulets d'approvisionnement
et les effets de campagne tombèrent entre les mains des cava-
liers de Mustapha ben Ismaël.
Grâce à l'obscurité de la nuit et au dévouement de ses
serviteurs, Abdelkader put se soustraire encore à la vengeance
MUSTAFHA BEN ISMAEL 15
de l'Agha. Malgré toutes les recherches, on ne put le joindre.
Encore une fois, il était sauvé. Toutefois, la victoire fut chère-
ment payée, dans cette mémorable journée : l'Agha Mustapha
fut grièvement blessé aux deux mains, sept à huit balles tra-
versèrent ses vêtements ; les caïds douairs et smélas sous ses
ordres, Mohamed ould Kadi, El hadj Mazari, Ismaël ould Kadi
et quelques autres, furent également blessés. Trente des meil-
leurs cavaliers restèrent sur le champ de bataille ; en un mot
les belligérants avaient montré, de part d'autre, le même
courage et une égale intrépidité.
Le Général Desmichels
Après cette double victoire, Mustapha ben Ismaël se flatta
intérieurement que, mieux que par le passé, il réussirait à
s'entendre avec l'autorité française, vers laquelle il se sentait
invinciblement attiré. Il pensa que, mieux avisé, le général
commandant la place d'Oran lui réserverait un meilleur accueil.
Il lui écrivit pour lui faire part de ses succès, réclama à
nouveau sa protection contre son adversaire, qu'avec sa luci-
dité et sa clairvoyance, il signalait comme un ennemi commua.
Par suite d'un déplorable aveuglement, manquant de
perspicacité et de jugement, le général Desmichels, persévérant
dans la voie désastreuse où il s'était engagé, mit les envoyés de
l'Agha en prison et rejeta brutalement ses offres. Puis,
mettant le comble à son entêtement, il invita Abdelkader à ne
pas se laisser décourager par ce premier revers et, pour
remonter son moral (d'aucuns disent « et son matériel »),
il lui envoya 400 fusils et une quantité considérable de poudre
et de munitons.
Ce furent ces 400 fusils français qui permirent à l'Émir de
constituer son premier bataillon d'infanterie régulière, que,
peu après, nos soldats rencontrèrent devant eux dans maints
combats. Ce furent ces fusils français qui se retournèrent les
premiers contre nous.
« On ne peut s'empêcher, dit le général Walsin-Estherazy,
auquel nous empruntons ces notes, on ne peut s'empêcher,
16 MUSTAPHA BEN ISMAEL
dit-il, d'être saisi d'un sentiment d'amer regret, quand on
réfléchit sur les faits et les événements qui se passèrent à cette
époque, en voyant les fautes et les erreurs qui marquèrent
notre politique dans ce pays, depuis l'origine de notre occu-
pation.
a Qui pourrait dire combien de temps, de dépenses et de
sang nous eussent été épargnés si, mieux instruits sur les
hommes dont on pouvait tirer parti si avantageusement, sur
leur solide organisation militaire, les premiers représentants
de la France, dans la province de l'Ouest, ne s'étaient pas
obstinés aveuglément à repousser d'une façon systématique et
irréfléchie, les anciens soutiens de la puissance turque, pour
tendre, par tous leurs efforts, et avec un inexplicable engoue-
ment, à créer une puissance nouvelle et rivale, à donner la vie
et la consistance à une nationalité qui n'existait, pas et qu'on
devait rendre, forcément, hostile à notre domination, en
l'aidant aussi puissamment à se constituer. »
C'est à la suite de son échec de l'Oued Zitoun, que l'Émir,
rentré à Mascara, eut connaissance de la démarche infruc-
tueuse de Mustapha auprès du général Desmichels. Il eut alors
la pensée d'entamer, lui-même, des pourparler avec le général
français et dépêcha auprès de lui son khalifa El Miloud ben
Arache, tant pour le remercier des armes et munitions qu'il
venait si bénévolement de lui octroyer, que pour se ménager
un répit, en vue de s'organiser pour mieux nous combattre
plus tard.
L'envoyé d'Abdelkader fut accueilli avec de grands témoi-
gnages d'amitié et reçu avec les-plus grands honneurs à Oran.
Après quelques pourparlers où l'astuce arabe eût facilement
raison de la crédulité du général, ce dernier signa, le 26 février
1834, ce fameux traité de paix avec Abdelkader, qui devait
faire de ce prêtre de zaouia, de cet ichir (enfant), comme
l'appelait Mustapha ben Ismaël, un véritable souverain, ayant
ses ambassadeurs à Oran et ses consuls à Mostaganem et à
Arzew. Ce fût le capitaine de cavalerie, devenu plus tard le
général Daumas, qui fut envoyé à Mascara, auprès de l'Émir,
comme consul et représentant de la France,
MUSTAPHA BEN ISMAEL 17
On peut convenir, d'après les faits de l'Histoire, et sans
contester la bonne foi dn général français, qui croyait peut-
être faire do la bonne. politique, que ce fut lui, Desmichels,
qui créa la puissance d'Abdelkader et mit dans ses mains les
verges qui devaient par la suite nous faire si cruellement
fouetter.
En effet, le traité portait, entre autres clauses, que le gou-
vernement français s'engageait à fournir à l'Émir la quantité
d'armes de guerre (contre qui'}) dont il aurait besoin, en
échange des bestiaux, des blés, et des fourrages nécessaires à
l'approvisionnement des troupes françaises.
Toutes ces denrées et approvisionnements avaient été précé-
demment offerts au général, par des tribus amies : les Douairs
et Sméla.s ; il pouvait se les procurer sans aucune compromis-
sion, aux portes d'Oran, sans être astreint à s'allier avec
l'ennemi de notre race et pactiser avec lui.
C'est à cette même occasion que la général Desmichels dit à
Miloud ben Arache, ambassadeur d'Abdelkader : « Conseillez
à votre maître, de ma part, de s'attacher avant tout à organiser
une armée régulière et fortement disciplinée, s'il veut com-
battre avec succès les Douairs et les Smélas ; car ceux-ci sont
solidement constitués en maghzen sérieux et sont bien
aguerris ».
Ce traité désastreux du 26 février 1834, conséquence de
décevantes illusions, fut un acte impolitique, maladroit et
rétrograde qui faillit compromettre, dès le principe, notre
domination en Algérie, et nous valut dix années de luttes
opiniâtres et de combats meurtriers. Le plus grand tort des
Français, ce fût l'idée fixe et généralement admise à l'époque,
d'une occupation restreinte et littorale, du genre de celle des
Espagnols au Maroc (1) qui depuis 1496 n'y ont obtenu aucun
résultat appréciable ; ce fût le manque de foi en l'avenir ; l'idée
d'en faire un camp et non une colonie ; ce fût enfin cette
pensée renversante de traiter comme un souverain légitime,
égal au roi de France, un ambitieux fanatique, surgi des
événements, que pas un de ses coreligionnaires ne considérait
(1) Ceuta, Melilla, Alhucèmos, Peùon de Vêlez et les Iles Zaffarines,
3
18 MUSTAPHA BEN ISMAEL
encore comme un chef authentique et durable. En le traitant
sur le pied de l'égalité, on donnait la consécration à une
autorité éphémère, que le fils de Mahieddin ne tenait que des
hasards de l'heure présente.
Le général Desmichels passait cependant pour un homme de
tête et d'action ; on lui avait laissé à Oran presque toute
latitude. Gomme on le voit il en usa étrangement.
Mustapha ben Ismaël à Tlemcen
A la suite des événements que nous venons de citer, les
Douairs et Smélas, les Bordjias et une partie des Angad, leurs
alliés, étaient venus établir leurs campements sous les murs de
Tlemcen, où on les accueillit avec faveur comme de précieux
auxiliaires.
Mustapha ben Ismaël attendait anxieusement la réponse
du général Desmichels. Il avait consenti sur les conseils de ses
kaUfas, notamment sur les vives instances de Mohamed el
Kadi, à faire cette inutile et humiliante démarche, pour assou-
vir sa haine et sa vengeance contre Abdelkader, et surtout pour
atténuer les regrets qu'éprouvaient les Douairs d'avoir été
contraints d'abandonner leurs terres de la M'iéta.
Il ressentit cruellement l'affront que lui fit subir le général
Desmichels. Dans cet état de choses, répudié par les Français ;
en butte, désormais, aux luttes incessantes que ne manquerait
pas de lui susciter son ennemi, soutenu par eux ; mettant dans
la balance sa ferveur et sa foi musulmanes, il ne lui restait
plus, malgré son aversion profonde pour Abdelkader, d'autre
alternative que de lui faire sa soumission aux conditions les
plus avantageuses possibles pour ses fidèles tribus dont il
plaçait l'intérêt au-dessus du sien propre.
En un mot^ en envisageant froidement cette éventualité il ne
songeait qu'au bien-être de ceux qu'il appelait ses enfants, à I3
nostalgie qui s'emparait d'eux, loin de la M'iéta. Son neveu et
ami Mohamed el Kadi était tombé gravement malade à Tlemcen.
Cet homme réputé comme un des meilleurs chefs des Douairs,
devait mourir trois mois après, laissant pour lui succéder
MUSTAPHA BEN ISMAEL 19
comme caïd des Douairs, son fils, Si Ahmed ould Kadi, qui
devait occuper par la suite, au milieu de nous, une si grande
place en qualité de Bach-agha de Frenda et commandeur de la
Légion d'honneur.
Donc, pendant que, déçu dans toutes ses espérances et
après bien des hésitations, Mustapha ben Ismaël songeait
à mettre son projet à exécution, bien qu'il n'en eut encore
confié le secret à aucun des siens, l'Émir, plus puissant que
jamais, ayant reconstitué, grâce à l'appui des Français, tous
ses contingents, s'avançait inopinément vers le vieil Agha des
Douairs, par El Gor et Sebdou, avec des forces considérables,
pour venger ses affronts d'Hennaya, de l'Oued Zitoun et de la
Sikkak.
La paix du traité Desmichels lui avait permis de réunir les
contingents de toutes les tribus, depuis les bords du Ghélif
jusqu'à la frontière de l'Ouest, contingents qui eussent hésité
à marcher avec lui sans l'appui et la protection ostensibles du
général d'Oran, qu'il avait le talent de savoir faire valoir bien
haut.
Mustapha n'avait pour lui, en dehors de son fidèle maghzen,
que Chikr el Ghomeri et les cavaliers Angad-Sahariens, alliés
douteux, sur la fidélité desquels il ne pouvait guère compter.
Il prévoyait bien l'issue du combat qu'il lui serait difficile de
soutenir avec quelque avantage ; cependant pour céder avec
honneur, il ne chercha pas à l'éviter.
Les deux goums ennemis se rencontrèrent à Méraz, pays
des Angad du Tell. De nombreux coups de fusils furent
échangés dans cette escarmouche peu meurtrière, manquant
d'enthousiasme et d'entrain, tant Mustapha était redouté de
ses nombreux adversaires. L'avantage, cependant, douteux
pendant toute la journée, finit par rester aux troupes de
l'Émir.
Mustapha ben Ismaël, vaincu par le nombre, fut aussi digne
dans son revers qu'il avait été convenable et retenu à la suite
de ses triomphes ; il ne consentit à une entrevue sollicitée par
Abdelkader que lorsque les principaux chefs des Hachem
eurent été donnés en otage aux Douairs.
20 MUSTAPHA BEN ISMAEL
Cette entrevue fut grave et sérieuse. L'Agha Mustapha
demeura inflexible et sourd à toutes les alléchantes propositions
dont il fut l'objet. Il ne se laissa pas fléchir, personnellement,
par les titres affectueux que lui prodigua le jeune sultan et,
finalement, il refusa de se rendre à Mascara.
Tout son plaidoyer, toute son éloquence fut dépensée pour
faire rentrer les Douairs et les Smélas dans les bonnes grâces
de l'Émir et leur faire restituer leurs terres de la M'iéta. Il eut
gain de cause.
Quant à lui, il déclara vouloir faire abnégation de tout grand
commandement et continuer à vivre comme il avait toujours
vécu du temps des Turcs et au milieu d'eux qu'il avait servis
avec fidélité et dévouement pendant tant d'années. Enfin,
il manifeste avec énergie son intention bien arrêtée de se
retirer de la lutte et d'aller s'enfermer sous les murailles du
Méchouar de Tlemcen, avec les Coulouglis, ses enfants.
Abdelkader, malgré toutes ses objurgations, ne put
s'opposer à une aussi inébranlable résolution. Plus de
cinquante familles des Douairs, fidèles à la fortune de leur
vénéré chef, acceptèrent, par dévouement pour lui, la prison
qu'il s'était volontairement choisie et partirent à Tlemcen avec
lui, pendant que tout le reste de la tribu, avec les Smélas et
les Bodjia, regagnait la plaine de la M'iéta.
La vieille citadelle connue sous le nom de Méchouar, à Tlem-
cen, et le bordj Mehal, ou fort des Cigognes, de Mostaganem,
étaient les deux seuls points de l'ancienne Régence, oii les
Turcs et les Coulouglis (fils de Turcs et de femmes arabes) se
fussent maintenus, grâce à l'abri de leurs solides murailles.
Partout ailleurs ils avaient été expulsés ou exterminés, à tel
point qu'en ce moment, on n'en trouve presque plus de traces
en Algérie.
Quant aux Coulouglis de Tlemcen, enfermés dans le Mé-
chouar, en butte aux hostilités des Hadars de la ville et des
persécutions des agents d' Abdelkader, sans cesse en lutte avec
eux, ils accueillirent Mustapha ben Ismaël comme un père et •
un libérateur. L'Agha, muni d'un sauf-conduit de l'Émir, put
traverser la ville et s'enfermei* avec ses Douairs, restés fidèles
à sa personne, dans la vieille torteresse légendaire.
MUSTAPHA BEN ISMAEL 21
Depuis trois ans déjà, cette brave et indomptable garnison
turque, combattait chaque jour, étroitement bloquée par les
Hadars de la ville et les adhérents de l'Émir qui campaient aux
abords.
« Séparée, dit le duc d'Orléans (1), ignorée du reste du
monde, sans espérance de secours, sans retraite ni capitula-
tion possibles, destinée à s'éteindre au milieu des Arabes
qui l'usaient sans la vaincre, elle avait résisté à l'ennemi au
découragement, aux privations.
« Elle a même résisté, ajoute notre auteur, à l'aveugle com-
plicité de la France avec Abdelkader, n'ayant que 400 fusils
pour 800 hommes. C'était au milieu des rangs ennemis, dans
des sorties presque quotidiennes, qu'elle allait chercher les
armes qui lui manquaient dans des luttes individuelles dont
le singulier caractère de grandeur rappelait les combats
antiques ».
A de tels hommes il fallait un chef comme Mustapha ben
Ismaël. Ils ne pouvaient en trouver un plus brave. Il resta
enfermé avec eux, dans le Méchouar, pendant trois autres
années (1833-1836), partageant leurs misères, leurs privations
et leurs combats.
Le siège du Méchouar de Tlemcen est le pendant du siège de
Troie ; il est digne des temps d'Homère.
Délivrance éphémère de Tlemcen
Au commencement de 1836, le maréchal Glausel, gouver-
neur général de l'Algérie, ému des récits épiques et lamen-
tables qu'on lui faisait des défenseurs du Méchouar, que le
vieil agha des Douairs nous conservait intact (c pour nous, sans
nous et malgré nous », résolut de s'emparer de Tlemcen et de
délivrer les derniers enfants des Turcs, restés seuls dans cette
vaste nécropole, dont le blocus se resserrait chaque jour davan-
tage et qui finissait par manquer totalement de vivres.
(1) Lee Campagnes d'Afrique.
22 MUSTAPHA BEN ISMAEL
La nouvelle de la position critique de Mustapha ben Ismaël
fit accélérer le départ de la colonne expéditionnaire^ forte de
7,500 hommes, qui partit d'Oran le 8 janvier 1836,
Pendant que la colonne française était en marche, les
anciens alliés des Douairs, dans leurs dernières luttes, les
Angad, apprenant les secours que le maréchal Glausel appor-
tait à Mustapha et aux Goulouglisde Tlemcen, se rapprochèrent
de cette place sous la conduite du fils de Chikr-el-Ghomri,
dont le père avait été récemment mis à mort à Mascara, par
ordre de l'Emir.
Ils venaient vendre aux assiégés quelques denrées d'appro-
visionnement qui leur faisaient défaut et s'entretenir avec
l'Agha Mustapha de ce qu'il convenait de faire dans les
circonstances présentes. C'est ainsi que les Angad vinrent
étabhr leurs campements dans les ruines de Mansourah.
L'Emir toujours aux aguets, ayant appris les projets du
maréchal, et la marche des Angad sur Tlemcen, quitta préci-
pitamment Mascara pour tâcher de les y devancer. Il réunit
dans la plaine de M'Cid, les goums des Hachem et des Béni
Amer, gens de rapine, toujours prêts à monter à cheval pour
la razzia et le pillage. Le surlendemain, Abdelkader, arrivant
à Tlemcen à la pointe du jour, tomba à l'improviste sur le
campement des Angad à Mansourah et mit à feu et à sang
toutes les tentes qu'il pouvait atteindre.
Les Coulouglis du Méchouar entendant une vive fusillade du
côté du campement des Angad, sortirent en foule et en
désordre pour se porter au secours de leurs alliés. Abdelkader
profita habilement de cette faute. Il les laissa s'engager avec
ses cavaliers d'avant-garde et vint se placer sur leurs derrières.
Lorsque les Coulouglis rappelés par le bruit du combat qui se
produisit derrière eux revinrent du camp des Angad, ils
furent promptement dispersés, coupés de la ville et pris entre
deux feux dans Une sorte d'embuscade. Soixante-quinze de
leurs meilleurs soldats restèrent sur le champ de bataille, dans
cette terrible mêlée, connue sous le nom de « Combat de
l'Aoucheba » et 75 têtes coupées, promenées sous les murs de
Tlemcen, vinrent jeter, dans cette malheureuse cité, l'épou-
vante et la consternation.
MUSTAPHA BEN ISMAEL 23
Cependant, à l'approche des troupes françaises qu'il ne se
souciait pas d'affronter, Abdelkader songea à battre en retraite
vers Mascara ; mais avant de quitter la ville, joignant la
dérision à la cruauté, il fit jeter, avec des frondes, par dessus
les murs de la citadelle, les oreilles des braves Goulouglis tués
au combat de l'Aoucheba. Il y fit ajouter quelques pains; dans
l'un d'eux on trouva un billet ainsi conçu :
« De la part de l'Emir Abdelkader, prince des vrais croyants,
en attendant la chair de porc que les Français vous appor-
tent ». Et cet exploit accompli, il se retira, loin des baïonnettes
françaises.
Trois jours après cette triste affaire, le 13 janvier 1836,
la colonne du maréchal Glausel faisait son entrée dans Tlemcen,
et la population turque, imposant silence à son deuil, fêtait au
bruit des salves d'artillerie, l'arrivée tardive de l'Armée
libératrice.
Au son des clairons, le Méchouar ouvrit enfin ses portes à
la délivrance. Tous les Goulouglis valides voulurent se porter
au devant du Maréchal.
Le chef de cette vaillante milice, ce vieillard à la barbe
blanche^ à l'œil de feu « jeune au combat, vieux au conseil »,
toujours et quand même digne et imposant, Mustapha ben
Ismaël était à leur tête.
C'était toujours ce même patriarche calme et fier ; ses yeux
clairs respiraient la franchise que ne parvient pas à atténuer la
rudesse du teint.
Loyal serviteur, fidèle allié, dévoué à la France, c'était
un de ces hommes d'énergie et de sang qu'aucun dévouement
ne rebute, qu'aucun sacrifice n'abat.
Fier du petit nombre de ses guerriers ; montrant les
brèches du Méchouar avec l'orgueil qu'un vieux soldat apporte
à faire valoir ses blessures, il salua ainsi le maréchal Glausel :
— « Vois, dit-il, ces vieilles murailles encore solides, nous
les avons gardées pour la France. Ges jours derniers j'ai
perdu, au champ d'honneur, soixante-quinze de mes plus
braves enfants ; mais en te voyant j'oublie nos malheurs
passés ; je me confie à ta loyauté, à ton honneur, à ta réputa-
24 MUSTAPHA BEN ISMAEL
tion. Nous nous remettons à toi, moi, les miens et tout ce que
nous possédons, et s'il nous est donné de combattre à tes
côtés, je te jure que tu seras content de nous >•.
L'autorité d'Abdelkader, après le brillant succès qu'il venait
d'obtenir sous les murs de Tlemcen, avait recouvré tout son
prestige ; il put faire évacuer la partie de la ville occupée par
les Hadars, dans laquelle commandait Ben Nouna, une de ses
créatures. Entraînant à sa suite tous les habitants, il se retira
dans les montagnes des Béni Ournid et des Béni Smiel.
Le maréchal établit ses troupes dans les maisons aban-
données et s'occupa d'organiser les moyens de défense et
d'administration de cette ville qu'il avait décidé d'occuper.
{A suivre). J. CANAL
CHRONiaUE GÉOGRAPHIQUE
Afrique. — La mission Foureau-Laniy poursuit sa route
vers le sud dans les meilleures conditions. De Temassinin, où
elle était parvenue le 19 novembre dernier et où un poste
fortifié a été établi, elle s'est dirigée vers le lac Menghough
déjà atteint par M. Foureau en 1895. Puis la mission s'est
élevée sur les pentes du Tassili, plateau rocailleux, dépourvu
d'eau, traversé seulement d'étroits sentiers. Elle est arrivée
sans encombre à Bir-El-Garama où fut massacré le colonel
Flatters (1). De ce point la petite colonne est parvenue à Bir-
Asiou. Elle doit se trouver actuellement' à Agadès d'où elle
gagnera le Niger. D'après de récentes nouvelles les Touareg
Azdjer d'abord effrayés ont ensuite été rassurés par les déclara-
tions pacifiques de M. Foureau.
M. Gentil, nommé Commissaire du Cbari, rejoint actuelle-
ment son poste. Le capitaine Bretonnet l'y précède. Les graves
événements, dont le Baguirmi a été le théâtre il y a quelques
'mois et que l'on a connus par la mission de Béhagle, exigent
une prompte et énergique intervention.
Le Gouvernement du Congo belge projette, après la voie
ferrée de Matadi-Léopoldville, d'autres lignes importantes :
lo du Congo au Haut-Nil par l'Ilimbri et l'Ouellé ; — 2^ du
Sankourou-Kassaï au Manyéma et au Katanga par Nyangoué
et jusqu'au Tanganika ; — 3° du Manyéma au Lomami pour
tourner les Stanley-Falls (2).
A Madagascar, on a inauguré, le 23 décembre dernier, le
premier tronçon du chemin de fer de Tamatave à Ivondro, La
(1) V. Rev. de Géog . de Drapeyron, fév. 1899, p. 109.
(2) V, Btdl. Soc. Languedoc, de Géog., A" trimestre 1898.
26 CHRONIQUE GEOGRAPHIQUE
voie atteint aujourd'hui les rives du Manangareze sur lequel ^
été jeté un pont provisoire.
La mission de Bonchamps à travers l'Abyssinie et vers le
Nil Blanc, dont le chef a donné un intéressant compte-
rendu (1), a eu un malheureux épilogue.
En revenant sans avoir pu atteindre son but, elle laissait
deux de ses membres, MM. Potter et Faivre qui, plus heureux,
purent avec une mission russe arriver jusqu'au fleuve. Mais
au retour M. Potter, un peintre de valeur, fut assassiné sans
qu'on ait pu vonger sa mort. M. Faivre a été ensuite chargé
par M. Lagarde qui représente la France en Abyssinie de
ravitailler la mission Marchand.
On sait que la mission avait atteint, le 11 janvier, Itiop en
remontant la Sobat. Elle a dû ensuite abandonner sa flottille
pour se diriger par la voie de terre vers Addis-Ababa. D'après
les dernières nouvelles (2) elle était arrivée, le 8 février, à Bouré,
à une vingtaine de journées de marche de la résidence du
Négus. Elle y a été ravitaillée et sans doute après quelques
jours de repos elle a repris sa route. D'Addis-Ababa elle
gagnera Djibouti. La dernière partie de l'exploration a permis
de dresser la carte du bassin inférieur de la Sobat et le capitaine
Baratier a établi celle de la province dont Bouré est le chef-
lieu. Les membres de la mission auront fait jusqu'au bout
preuve d'une admirable et énergique activité.
*
* *
Le rêve gigantesque de Cecil Bhodes semble en voie d'exé-
cution ; avant peu une voie ferrée anglaise unira Alexandrie
au Cap. En efTet du côté du nord le chemin de fer atteint
bientôt Karthoum et l'on parle de le prolonger sur Fachoda.
Au sud un récent discours de Cecil Rhodes annonce la pro-
chaine construction d'un tronçon de Boulouwayo au Tanganika
d'oi^i l'on continuera jusqu'à 1 Ouganda. Il faut se rappeler
la rapidité avec laquelle les Anglais construisent ces voies
(1) V. Bull. Soc. Géog. Paris, i* trimestre 1898.
(2) Temps du 12 mars.
CHRONIQUE GÉOGRAPHIQUE 27
immenses (18 mois seulement pour 950 kilomètres sur la ligne
de Boulouwayo). Il y a là un exemple à suivre.
Asie. — L'Indo-Ghine française, plus heureuse que l'Afrique
française, va grâce à son autonomie financière être dotée d'un
réseau de voies ferrées auquel sera consacré l'emprunt de
200 millions autorisé par le Parlement.
Les lignes décidées sont au nombre de cinq :
1° De Haïphong à Hanoï et Laokay ;
2° De Hanoï à Nam-Dinh et à Vinh ;
G*^ De Tourane à Hué et à Quang-Tri ;
4^ De Saigon à Khan-Hoa et à Lang-Bian ;
.o» De Mytho à Cantho.
En outre le Gouvernement de l'Indo-Chine est autorisé
à donner la garantie d'intérêt à la Compagnie qui sera conces-
sionnaire de la ligne chinoise de Laokay à Yun-Nan-Sen.
La première de ces lignes motivée par l'insuffisante naviga-
bilité du Fleuve Rouge assurera le développement des relations
commerciales avec le Yun-Nan, Hanoï deviendra le centre
d'un réseau important. La capitale du Tonkin sera en effet
reliée par une ligne en construction à la ligne déjà exploitée
de Phu-Lang-Thuong à Langson, prolongée en Chine jusqu'à
Long-Tchéou dans le Kouang-Toung, sur un affluent du
Si-Kiang.
La ligne de Hanoï à Vinh formera l'extrémité septentrionale
d'une grande voie traversant tout l'Annam pour aboutir au
Mékong inférieur, et dont les lignes de Tourane à Quang-Tri,
de Saigon à Khan-Hoa et de Mytho à Cantho formeront des
tronçons. La première traverse des régions très riches. Celle
de Tourane à Quang-Tri présente un grand intérêt militaire et
politique à cause de la capitale annamite Hué, et aussi parce
qu'elle se rattachera au tronçon en construction qui doit
rejoindre le Sé-Bang-Hien, aftluent du Mékong. Sur le plateau
de Lang-Bian enfin il est question d'établir un sanatorium.
Ce réseau a, dans l'ensemble, un développement d'environ
1..500 kilomètres, auxquels ont peut ajouter les 450 kilomètres
de Lao Kay à Yung-Nan Sen, ligne réservée à une compagnie
française qu'autorise le gouvernement chinois.
28 CHRONIQUE GÉOGRAPHIQUE
La situation financière de la colonie permet de prévoir des
excédents de recettes suffisants pour gager l'emprunt et faire
face aux dépenses d'exploitation pendant les premières années.
« Tous ces travaux ne pourront manquer de contribuer puissam-
ment au progrès économique et politique de l'Indo-Chine. Ils
assureront d'une manière définitive la sécurité de toutes les
parties de notre domaine indo-chinois. Ils faciliteront la dis-
persion des indigènes dans des régions fertiles où ils n'ont pas
encore osé pénétrer et dont la mise en valeur permettra aux
exportations de s'accroître, augmentera la richesse des indi-
gènes et, par suite, accroîtra leur capacité d'achat des produits
Ils permettront aux commerçants, aux industriels et aux
agriculteurs européens de pénétrer dans des régions d'où ils
sont maintenant écartés par l'absence de voies de communica-
tion. Ils assureront des placements avantageux aux capitalistes
français. Ils augmenteront notre autorité morale et matérielle
aux yeux des peuples annamites et chinois. Ils nous fortifieront
au point de vue militaire et maritime et ils contribueront
puissamment à asseoir l'influence de la France dans l'Extrême-
Orient (1) ».
Amérique. — La politique des Etats-Unis subit actuellement
une évolution fort importante. La récente guerre, en leur assu-
rant une influence prépondérante à Cuba et à Porto-Rico dans
les Antilles, aux Philippines en Extrême-Orient, leur a ouvert
de nouveaux champs d'exploitation. Les États-Unis cessent
d'ailleurs de se contenter du rôle de producteurs de matières
premières, et ils veulent, avec les vieilles nations industrielles
d'Europe, prendre leur part dans la' conquête de nouveaux
débouchés. L'outillage constitué dans les six ou sept dernières
années leur permet de pourvoir -aux grandes commandes
métallurgiques dans de meilleures conditions de rapidité et de
prix que les nations les mieux outillées, même l'Angleterre. On
peut déjà constater en Extrême-Orient le résultat de cette
concurrence. Le commerce allemand d'importation en Chine
est tombé, en i8!)7, de 56 à 40 millions ; l'importation améri-
caine atteignaitt, dès 1896, 90 millions. Au Japon, les Anglais
(l) Bull, des Etudes colon, et marit. 3J dée. I89i5, p. 3G6.
CHRONIQUE GÉOGRAPHIQUE 29
ne peuvent plus lutter avec les Âméncains pour les fournitures
de locomotives et de machines. La production minérale des
États-Unis atteignait, en 1896, une valeur de 738 millions
de dollars contre 349 contre l'Angleterre, 390 pour l'Allema-
gne, 1 10 pour la France. La production du fer s'élevait, en
1897, à 9.807.000 tonnes : celle de la houille à 194 millions de
tonnes (contre 202 en Angleterre). Ce sont les chiffres les plus
élevés qui aient été atteints, Enfin, les chiffres du commerce
extérieur, en 1897, sont aussi les plus élevés qui ont été cons-
tatés : 1.100 millions de dollars à l'exportation et 742 millions
de dollars à l'importation (1).
Régions polaires. — On avait cru un instant avoir retrouvé
dans le Nord-Est de la Sibérie des traces de l'expédition
Andrée, Des renseignements fournis par des Toungonses,
du gouvernement de Krasnoiarsk, laissaient supposer que les
cadavres des trois membres de l'expédition et les débris de
leur ballon pouvaient avoir été rencontrés dans une région
déserte. Mais l'enquête a révélé qu'il n'en était rien et qu'il
s'agissait d'une fausse nouvelle. Le mystère reste impénétrable.
Les deux expéditions dirigées vers les régions arctiques,
l'une par le lieutenant américain Peary, l'autre par le compa-
gnon de Nansen. le capitaine norvégien Sverdrup (2), se
sont mises en route l'été dernier. Le 13 août, le lieutenant
Peary se disposait à pénétrer dans la mer de Kane. Le 4 août,
le capitaine Sverdrup, à bord du Fram. quittait Upernivik
se proposant de gagner égalemant l'extrémité septentrionale
du Groenland par la côte occidentale de cette terre arctique.
Enfin, l'expédition danoise du lieutenant Amdrup (3) a
entrepris l'exploration de la côte orientale du Groenland (4).
On est toujours sans nouvelles de l'expédition de Gerlach
vers le pôle antarctique. L'expédition Borchgrevink a quitté
l'Angleterre à la fin du mois d'août, se dirigeant vers la terre
Victoria. Elle retrouvera peut-être la trace du passage de la
Belgica, dont le sort inspire des inquiétudes.
Paul RUFF.
/l) V. Annales de Géographie, l.j janvier 1890, p. Oi.
(Il Y. Hull. t'im. Société arch. et Géog. Oran, avril-juin 1898.
(3) Id. id.
[__( i) V. Coiuptes-reudus de la Société de Géographie de Paris, aoiU-UOV. 1898.
BIBLIOGRAPHIE
de M. Paul SCHNELL
Notre distingué collègue, M. Aug. Bernard, écrivait naguère
ici même, en étudiant une nouvelle carte du Maroc publiée
par M. R. de Flotte de Roquevaire : « On ne peut désormais
s'occuper de la cartographie du Maroc sans consulter le mé-
moire de M. Schnell qui mériterait d'être traduit en fran-
çais (2) 0. Ce vœu a été rempli par celui-là même qui le
formulait et la traduction de la savante dissertation de M.
Schnell sur l'Atlas Marocain est venue s'ajouter à la remar-
quable collection des Publications de l'Ecole des Lettres
d'Alger.
Disons tout d'abord'que le traducteur a su rendre avec une
clarté parfaite, une netteté et une précision absolues le texte
souvent difficile. La simplicité, la sobriété élégante de la forme
permettent de suivre sans fatigue la discussion si ardue des
renseignements au milieu desquels l'auteur recherche la vérité.
Quelques notes du traducteur complètent et rectifient parfois
les détails fournis par le livre sur certains faits qui ont été
l'objet de recherches récentes, postérieures au mémoire publié
en 1892, dans les Mitteilungen de Petermann.
Comme le disait M. Aug. Rernard, dans l'étude citée plus
haut, rien ou presque rien de ce qui concerne son sujet n'a
échappé à M. Schnell. Il a élucidé avec une sagacité pleine de
prudence les questions si importantes qui se posent à propos de
l'Atlas Marocain. Il a mis en œuvre avec une sûreté de mé-
thode toute scientifique les observations fournies par les
voyageurs, suppléant à l'absence de renseignements directs à
l'aide de renseignements indirects, ou, lorsque ceux-ci fai-
saient eux-mêmes défaut, à l'aide d'hypothèses solidement
établies et dont la vraisemblance s'impose. Il a pu ainsi relier
(0) L'tÂtlas Marocain, d'après les documents originaux, par M. Paul
Schnell, traduit par M. Augustin Bernard. Profes=;eur Jr Géographie
de l'Afri [lie à l'Eco'e Supérieure des Lettres d'Alger. — Bulletin de corres-
pondances africaines. fPublicalions de l'Ecole Supérieure des Lettres d'Alger)
E. Leroux, éditeur, Paris.
iï) 'Bull, trivi. delà Soc. dcGéog. ctd'Archéol. d'Oran, l. XVIL fasc. LXXII:
Une nouvelle carte du Maroc, par M. Aug. BERNARD.
BIBLIOGRAPHIE 31
entre eux les itinéraires des explorateurs de R. Caillié, Rholfs,
Lenz, Schaudt, De Gastries, La Martinière, du rabbin Mardo-
cliée, etc., et surtout du vicomte de Foulcauld qui a fourni à la
géographie de l'Atlas Marocain la plus importante et la plus
précieuse contribution.
L'histoire sommaire de l'exploration de l'Atlas Marocain,
qui forme le premier chapitre, est fort intéressante, car elle
montre les difficultés presque insurmontables qu'a présentée
jusqu'à notre époque l'étude de cette région. 11 faut arriver
jusqu'aux plus récentes explorations pour établir une division
nette et justifiée des différents massifs qui constituent l'Atlas
Marocain et qui forment quatre systèmes distincts : le Haut-
Atlas, avec au nord le Moyen-Atlas, et au sud l'Anti-Atlas, au-
delà duquel s'élève, parallèlement à l'Oued Draa, le Djebel
Bani. Ces quatre chaînes sont également orientées du sud-
ouest au nord-est et se relient plus ou moins complètement les
unes aux autres.
L'étude de la genèse du système de fAtlas indique claire-
ment la place qu'occupent les chaînes marocaines dans l'en-
semble des massifs du Nord-Ouest africain. Ces chaînes
(( composées presque exclusivement de roches paléozoïques et
mesozoïques, et dont le plissement paraît s'être terminé à la
fin de l'ère secondaire » (1), doivent être distinguées des
« chaînes calcaires algéro-tunisiennes » qui se sont élevée§
surtout pendant la période tertiaire et qui ont subi une com-
pléter modification d'aspect pendant la période quartenaire,
ainsi que des « fragments rompus de l'ancienne chaîne côtière » .
Cette distinction fondée sur la géologie permet de séparer les
chaînes marocaines de ce que l'auteur appelle le plateau des
Schotts ou Sebkhas, et du littoral du Sahel, constitué surtout,
au Maroc, par le Rif.
La deuxième partie du livre comprend l'étude détaillée des
renseignements que nous possédons sur les différentes chaînes
marocaines. Nous ne pouvons qu'admirer la méthode avec
laquelle M. Schnell a élucidé les innombrables difficultés que
soulevait la géographie de ces régions. Il s'agissait de contrôler
les unes par les autres des observations rapportées par des
explorateurs d'inégale valeur scientifique, des renseignements
souvent indirects, souvent contradictoires, que compliquaient
(l) Atlas marocain, p. 47,
32 BIBLIOGRAPHIE
encore les différences d'orthographe. L'auteur ne s'avance
qu'avec la plus entière prudence et ne donne comme certains
que les faits qui se dégagent d'une manière incontestable de
son analyse critique. 11 y a là une sorte de condensation de
tout ce que l'on sait sur cette région.
Ainsi sont successivement étudiés : le Haut- Atlas et ses
contreforts; le Moyen-Atlas séparé de la chaîne précédente par
le profond sillon où coulent à l'ouest l'oued El Abid, un des
affluents supérieurs de l'oued Oum er Piebia, e.t à l'est la
Moulouia ; l'Anti-Atlas également séparé du Haut-Atlas par
un sillon qu'occupent à l'ouest l'oued Sous et à l'est le cours
supérieur de l'oued Draa ; enfin le djebel Bani. L'ouvrage se
termine par l'exposé du relief des hautes plaines qui forment,
entre le Haut-Atlas et l'Océan, une série de terrasses parmi
lesquelles la grande plaine de Maroc (Marrakech) est l'objet
d'une étude détaillée.
Ce mémoire, dont l'intérêt est si considérable, sert en
quelque sorte de commentaire à la carte au 1 /1.750.000c qui
"raccompagne et qui est fort remarquable par la clarté du
relief. On y retrouve aisément les indications fournies par le
livre et les itinéraires y sont assez clairement marqués. Nous
n'aurions à présenter qu'une légère critique au sujet de
la confusion qui s'établit parfois entre le pointillé désignant
les cours d'eau insuffisamment établis et celui qui sert à
marquer les itinéraires européens incomplètement connus et
les itinéraires par renseignements ; mais ce n'est là qu'un
détail. La carte, pour la reproduction de laquelle M. de Flotte
a prêté son concours, est complétée par un carton reprodui-
sant les environs de Maroc à 1/1 .000.000^.
Nous devons être reconnaissants à M. Augustin Bernard
d'avoir facilité l'accès d'un ouvrage appelé à rendre les plus
grands services à tous ceux qu'intéresse l'étude du Nord-Ouest
africain. Cette région si voisine de nous et cependant si peu
connue commence à peine à nous dévoiler ses secrets. 11 ne
semble pas que le brigandage, l'anarchie, le fanatisme qui
ferment ce pays aux explorateurs soient près de disparaître, et
« les trésors qui dorment encore inexploités dans le sein
de cette terre si richement dotée par la nature (1) » attendront,
sans doute, longtemps encore, que la civihsation reprenne
possession du Maroc, Dans l'état actuel de nos connaissances,
l'ouvrage qu'a traduit M. Bernard contient tout ce que nous
savons sur l'Atlas marocain. Paul RU FF.
(l) Atlas marocain, p. 303,
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE
DB
PAR
Edmiond DOXJTTÉ
I
1897. — 1er semesti-e 1898
-<^^(^^^>^
T^^IBLrE:
Pages
I. — Ouvrages généraux '.périodiques, bibliographies, sta-
tistiques, encyclopédies, etc.) 38
II. — Ouvrages d'ensemble sur la religion musulmane.. . . 44
III. — Dogmatique et histoire religieuse 47
ÏV. — Sciences musulmanes 58
V. — Droit musulman l'iO
VI. — Islam des divers pays musulmans fiT
VII. — L'islamisme et le christianisme : mission, réforme.. 74
VIII.— Islam de l'Afrique Mineure : clergé, maraboutisme,
confréries mystiques 7(S
IX. — Histoire des Musulmans en général et de ceux de
l'Afrique Mineure en particulier ÎS3
X. — Folke-Lore de l'Afrique Mineure 94
XI. — Sociologie de l'Afrique Mineure : ouvrages intéres-
sant les mœurs, coutumes et institutions '.Hi
XII. — Ouvrages littéraires : études de mœurs, romans,
livres de touristes 1 05
XIII. — Questions indigènes 1 08
XIV. — Ouvrages arabes édités en vue des Musulmans ;
ouvrages arabes édités par des Musulmans 114
XV. — Etude des langues et littératures arabes et berbères . 119
Appendice 124
Index des noms d'auteurs 129
-^-(ÏÎC^^^r>^2>^-
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE
DE
L'ISLAM MAGHRIBIN
Cette bibliographie embrasse : 1» les ouvrages ou articles
de revues qui concernent directement l'Islam de l'Afrique
mineure et des contrées voisines (Tripoli, Sahara, Soudan),
et ceux qui, étant relatifs à l'Islam en général, intéressent
nécessairement tous les pays où le mahométisme compte des
sectateurs ;
2^ Les ouvrages intéressant les indigènes musulmans de
l'Afrique mineure, au point de vue historique, économique,
sociologique, et ceux qui sont consacrés à- ce qu'on est convenu
d'appeler ici les « questions algériennes », questions dont
l'étude est naturellement connexe avec celle de la religion
musulmane ;
3'J Les ouvrages destinés à propager dans le N.-W. de
l'Afrique la connaissance des questions musulmanes et orien-
tales, de la langue et de la littérature arabes.
Elle s'étend du i«'' janvier 1897 au ler juillet 1898 approxi-
mativement ^1) et comprend seulement des ouvrages écrits
dans l'une des langues latine, française, allemande, anglaise,
espagnole, italienne et arabe (2). Elle ne comprend pas les
comptes-rendus, analyses, chroniques, notices bibliogra-
phiques, etc. .(3).
(1) Nous disons approxiraativotnsnt. parc3qiie, d'une part, les différents
périodiques utilisés nous parviennent irréguliéreinent et que, de l'autre,
la date exacte (mois) de l'apparition des ouvrages mentionnés ne nous
est pas toujours connue, en sorte que plusieurs de ceux qui devraient
figurer ici, pour le 1" semestre 189c^. sont ranvoyés à la prochaine biblio-
graphie, et que d'autres qui appartiennent au "i"" semestre 1898, figurent
néanmoins ici. Peut-être voudra-t-on bien nous pardonner ce défaut en
raison de la difficulté que nous avons eue h nous procurer dos informa-
tions exactes dans ce pays.
(2) Nous ne nous dissimulerons pas que cette bibliographie est néces-
sairement fort incomplète et nous nous en excuserons sur la pénurie des
ressources bibliographiques dont nous avons disposé à Alger ; nombre
de périodiques des plus répandus n'ont pu être dépouillés par nous.
Nous ne desespérons pas néanmoins de combler ces lacunes dans naître
prochaine bibliographie et d'y faire un rappel des ouvrages de 1897 et 1898
qui auront été omis ici. Quelque imparfait que soit notre travail nous
n'aurions pu le mener au point où il est si nous n'avions été favorisés
des conseils érudits de notre savant maître, M. René Basset, directeur
de l'Ecole Supérieure des Lettres d'Alger, et si nous n'avions eu la res-
source des bibliothèques universitaire et nationale, dont les conserva-
teurs. MM. Paoli et Maupas, nous ont comblé de bienveillance. Qu'ils
reçoivent ici nos remerciements publics.
(3) Nous avons soigneusement marqué d'un astérisque, tous les ou-
vrages que nous n'avons pas examinés par nous-mêmes.
6
38 BULLETFN BIBLIOGRAPHIQUE DE L'ISLAM MAGHRIBIN
I. - OUVRAGES GÉNÉRAUX
(Périodiques, Bibliographies, Statistiques, Encyclopédies, etc.)
Les périodiques où se trouvent disséminés les mémoires
intéressant l'Islam sont extrêmement nombreux; on n'attend
pas que nous en fassions ici une énumération. En dehors des
revues de premier ordre, comme le Journal Asiatique, la
Revue de l'Histoire des religions (1), le Zeitschrift der deuts-
chen rnorgenlandischen GeseLlschaft, VImperiai and asiatic
quaierly Revieio, etc., il y a lieu de mentionner spécialement
ici trois périodiques qui se sont fondés dans ces derniers
temps et qui sont exclusivement consacrés aux questions in-
téressant les Musulmans.
Le premier, intitulé Al Machriq^ «l'Orient», est édité par
les Pères de Beyrouth, qui ont déjà tant fait pour les études
arabes. Bi-mensuelle, cette revue compte déjà une vingtaine
de numéros de 48 pages, contenant des articles écrits dans
un style arabe élégant et clair.
La deuxième revue, V Union Islamiqnc, publit'.e au Caire et
dirigée par M. Eug. Glavel, un Français de là-bas, patriote
ardent et convaincu, a commencé à paraître en 1897. Rédigée
à la fois en arabe et en français, contenant des articles de
spécialistes sur tous les sujets qui intéressent l'Islam, ['Union
Islamique était, dans la pensée de son auteur, destinée à devenir
un terrain d'entente pour le public instruit des deux mondes chré
tien et musulman. Il voulait encore qu'elle pût servir de trait
d'union entre les diverses collectivités mahométanes depuis le
Maroc jusqu'aux Indes. Il ambitionnait de pouvoir rassembler en
un faisceau les forces éparses, les efforts des gens de bonne foi,
des savants, des écrivains, des publicisles, pour assigner à
l'évolution de la société islamique une orientation aussi con-
forme que possible à nos idées occidentales. Nous analyserons
plus loin quelques-uns des articles publiés par l'Union Isla-
mique dans sa courte existence. Disons seulement qu'il est
regrettable que l'on n'ait pas cru devoir encourager une tentative
aussi intéressante : l'Algérie, moins que tout autre pays, eût
dû s'en désintéresser, s'il est vrai que tout pays musulman est
solidaire de ceux où l'on professe également la religion de
Mahomet. Quoiqu'il en soit, l'Union Islamique a disparu après
quelques numéros. Ces numéros seront du reste consultés,
non seulement par ceux qui s'intéressent au monde de l'Islam
en général, mais encore par ceux qui se livrent à l'étude
difficile de la langue arabe : le texte arabe des articles est en
effet une merveille de traduction fidèle et aisée. Les arabisants
(1) Les Allemands manquaient jusqu'à ce jour d'uue revue de ce genre:
les Archiv fur Religio7iswissenschaft, dont le premier fascicule a paru
chez Mohr, à Fribourg en Brisgau, comblent cette lacune.
BULLETIN lilBLIOGRAPHIQUE DE L'ISLAM MAGHRIBIN 39
verront là avec quelle élégance les traducteurs ont vaincu les
plus grandes difliciiltés et avec quelle souplesse ils sont
parvenus à exprimer dans un style classique les idées les plus
incompatibles en apparence avec le génie de la langue arabe {[).
L'Union Islamique a été remplacée par deux journaux ([uo-
tidiens, l'un publié en français sous le titre : Le Courrier
d'Orient, et l'autre en arabe, sous le titre 'ix^ J-^î o» L^lj-xJ:;'!
{La Nouvelle Dépêche), mais ayant avant tout un caractère
politique.
La troisième des revues auxquelles nous avons fait allusion
est la Revue de Vlslam, publiée à Paris, sous la direction de
M. Dujarric. Elle mérite notre attention: ce n'est pas qu'elle
se recommande précisément par la grande valeur des mémoires
qu'elle a publiés, ainsi qu'on le verra dans la suite de ce bulletin;
inais c'est encore une tentative qui aurait peut-être pu être
plus encouragée qu'elle ne semble l'avoir été. Il y a certaine-
ment en France et en Algérie suffisamment de gens qui s'inté-
ressent aux études musulmanes pour légitimer l'existence-
d'une Revue de l'Islam.
Parmi les revues qui se consacrent exclusivement aux ques-
tions intéressant l'Afrique du Nord, il faut citer, en dehors
du présent Bulletin, de la Revue Africaine et des deux re-
cueils des sociétés du département dé Gonstantine, le Bulle-
tin de la Société de Géographie d'Alger qui, à peine né, vient
de conquérir sa place aux premiers rangs. L'Algérie Nouvelle
publiée par M. Cat contient de précieuses contributions à l'étude
des questions indigènes. La Vie Algérienne et Tunisienne de
M. Lissagaray, n'a vécu qu'un an ; elle méritait mieux. Sous
des dehors littéraires et avec les allures d'un journal de vulga-
risation, elle cacha souvent une grande sûreté d'information ;
maint érudit africain l'a du reste enrichie d'articles du plus
haut intérêt. La Revue Algérienne est avant tout une revue
d'art et de littérature, à laquelle la politique n'est pas étran-
gère non plus ; on y trouve cependant cà et là quelques arti-
cles qui, sans avoir une grande valeur au point de vue de
l'érudition, sont néanmoins à prendre en considération dans
une bibliographie algérienne (2).
La plupart des grandes revues publient des bibliographies
plus au moins complètes ; au point de vue qui nous intéresse
ici nous devons signaler en première ligne les comptes-ren-
dus de la Revue de l'histoire des religions, en particulier le
compte-rendu des périodiques (Islam) dû à la plume si com-
(1) Voy. par exemple la traductioD d'un extrnit de l'ouvrage de M. Mou-
liéra.s sur le Maroc Inconnu, n" 4, p. 62-65 et Tl'1'-'> où les difliciiltés-
qu'offrait le texte -sont surmontées d'une façon magistrale.
(2) Par exemple en 13!17 {2' semoslre) : Le Khammès, par Tr.ebora,
p. 7'2. — Le pélerinatje île la Mecque, par [renée Philippe, p. 89. —
Laïla El Aknyalia, par Taïb Alphonse, p. ;i7(), — A travers l'Islam,
par F. Leraoine, pp. 585, 649, 7UU, 716, 743, 786.
40 BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE l'iSLAM MAGHRIBIN
pétente de M. Piené Basset, directeur de l'Ecole Supérieure
des Lettres d'Alger. LOrientalische Bibliograp/iie (1) reste
naturellement une source abondante de renseignements, par-
fois incomplète cependant en ce qui concerne l'Afrique
Mineure.
A ce dernier point de vue, l'apparition du supplément donné
par M. Playfair à sa Bihliography of Alger ia (2) est une véri-
table bonne fortune pour tous les travailleurs algériens. L'ou-
vrage primitif de M. Playfair se terminait en 1887, avec le
numéro 4745. Le supplément s'arrête en 1895 avec le
numéro 7763 ; sur ce nombre, plus.de 2.0<30 articles comblent
les lacunes de la première partie. Les tables, communes aux
deux parties, paraissent faites avec plus de soin que dans le
premier volume. En ce qui concerne l'histoire, on peut consi
dérer la bibliographie de M. Playfair comme presque parfaite ;
il ne restera plus à y ajouter que quelques unités par ci, par là.
La série desouvrages purementlittéraires est un peu mcJins com-
plète: on ne trouve pas, par exemple (au moins dans les tables),
le charmant conte de P. Loti : Les trois Dames de la Casha,
édité plusieurs fois ; parmi les romans de valeur littéraire
moindre, mais néanmoins répandus, nous ne trouvons pas
Le Ravin maudit, ni Le Roi des Chemins, de Louis Noir. Les
ouvrages orientaux ont été, de la part de M. PI., l'objet d'une
attention spéciale: il en manque pourtant un certain nombre;
en revanche, d'autres figurent, qui ne semblaient pas avoir leur
place nécessairement marquée dans une bibliographie algé-
rienne. Ainsi on y trouve le , *-jLsr*-' isjo ^dv (3) (Kharîdat-
el-'Adjàib) d'Ibn el Ouardi, et le ^-.c Vi w-Lîj (Ouafaiât-el-
A'iân) d'Ibn Khallikân et on n'y trouve ni Al Maqqarî, ni la
série des dictionnaires biographiques publiés par M. Codera.
Au point de vue scientilique, la bibliographie de M. PI. est
franchement défectueuse et contient- d'innombrables et impor-
tantes lacunes. Telle qu'elle est cependant dans son ensemble,
elle sera pendant longtemps encore le vade-mecum indispen-
sable des érudits algériens.
Le Kitâh Iktifâ al QounoiV (4), de M. Edouard Albert Van
Dyck, ne nous est connu, pour le moment, que par le compte-
Ci) Or. Bibl. XI lahrgang. Erstes Halbjahresheft (1891 . I. Semester).
A l'heure on nous écrivons ces lignes, le 2» semestre de 1897 n'est pas
encore paru.
(2) Sir R. Lambert Playfair, k. c, m. g. : Supplément to the bihlio-
graphy of Alger ia froni the earliest times to 1895. 1 vol. 321 p., Lon-
dres, 1898.
(3) Nous prévenons ici, une fois pour toutes, que notre imprimeur ne
possédant pas dans ses caractères le lâ sans points surmonté du hamza,
celui-ci est partout remplacé par un simple ià pointé.
(4) A^^xJ \ _«-'tj^''î y^^ y <>j->^ j^ ^ ^^iiJ! »Lsx5'i ^'jS"
1* lA^A _» ini^
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE L'ISLAM MAGHRIBIN 41
rendu de M. R. Vollersdansle Zeitsch. deutsch. morg. Gesellsch.
(Bd. Li, ^'^ Heit, page 340) (Ij. C'est, d'après ce savant, une
bibliograpliie des ouvrages de la littérature arabe qui n'est pas
sans mérite. M. Vollers signale comme particulièrement inté-
ressantes pour les européens, les notices consacrées aux auteurs
modernes. A côté de cela on rencontre de nombreuses mépri-
ses qui devront être rectifiées dans une nouvelle édition avant
que le livre puisse être consulté avec fruit en Europe. L'ou-
vrage, qui du reste est considérable (611 p.), s'appuie surtout
sur le FUirist de la bibliothèque khédiviale.
M. Victor Chauvin a poursuivi, en 1897 et en 1898, la publi-
cation de son vaste répertoire bibliographique des ouvrages
relatifs aux Arabep, parus en Europe depuis le commencement
du siècle ('2). Les deux nouveaux volumes parus concernent
Kalîla et Dimna, Loqmân, le roman d'Antar et les autres
romans de chevalerie. C'est un des plus remarquables monu-
ments d'érudition de notre époque.
M. E. Lambrecht a publié le 1" volume du catalogue de la
Bibliothèque de l'Ecole des Langues orientales (3). Cette pre-
mière partie coii^prend tout ce qui est relatif à la langue arabe.
La bibliothèque de TEcole commence a être fort riche ; on
relèvera dans son catalogue mainte indication utile.
Nous avions déjà de M. René Basset plusieurs catalogues de
bibliothèques indigènes ; il vient d'ajouter à cette série celui
des manuscrits delà zaouia d'EI Hamel (4j. Cette zaoui a appar-
tient à l'ordre des Rah'maniya et est située entre Bousaada et
Djelfa. Elle ne comprend que 53 ouvrages, dont aucun n'otïre
du reste une bien grande valeur. Tout l'intérêt du catalogue de
M. R. B. gît dans les annotations bibliographiques abondantes
et sûres qui accompagnent chaque article. A propos de chaque
ouvrage, nous trouvons l'énumération des commentaires qui
en ont été faits, et force détails sur la vie des auteurs et com-
mentateurs, le tout tiré de dictionnaires biographiques dont
un certaii^ nombre sont inédits ou difficiles à se procurer.
Notons parmi les 53 numéros de l'ouvrage : l'article ►^v^'°
v,_^=>.L<.l ^.'1 qui intéresse spécialement l'Afrique du Nord, —
et une bibliographie extrêmement remarquable des ouvrages
concernant El Bokhâri (n» 51) où sont énumérés près de 70
(1) Depuis que ces lignes ont été écriles nous avons eu entre les mains
le i^iSS^] . }LX^ et nous avons pu constater la justesse des observa-
tions de M. Vollers.
(2) V. Chauvin : Dihliogra])/tie des ouorages arahes ou relatifs au-v
Arabes, publiés dans l'Europe clirétienne, de Î810 à iSSô.II Kalîla.
1 vol. Lièf,'e, 1897. — /// Loqmàne et les fabulistes. Barlaam. Antar
et les romans de chevalerie. 1 vol. Liège 1898.
{'6) E. Lambrecht : Calalo'jiie de lu Bibhotliéque de l'Ecole des
langues orientales rircintes. Tome I. Linguistique. 1. Philologie. 2.
Langue arabe. 1 vol. Paris, 1807.
(4) René Basset. — Les Manuscrits arabes de la Zaouia d'EI Uamel.
in Giornale d. Société a<iatica itatiana, vol. dec. 1897, p. 43-97,
42 BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE l'ISLAM MAGHRIBIN
commentaires avec détails biographiques sur leurs auteurs, et
où le Directeur de l'Ecole des Lettres d'Alger déploie une
érudition vraiment énorme.
La statistique triennale publiée par le Gouvernement
Général (1) est le principal recueil statistique concernant
l'Algérie : son cadre, déjà assez restreint, vient encore
d'être réduit. Elle pourrait être fort intéressante au point de
vue qui nous occupe ; malheureusement, les statistiques spé-
ciales aux indigènes y prennent une place relativement faible.
Cependant, dans la démographie, on a cherché à présenter à
part les résultats intéressant exclusivement les Musulmans;
mais, à la page 2^, une note, qui donne à réfléchir, nous
avertit que les chiffres inscrits, en ce qui concerne les musul-
mans, ne doivent être considérés que comme approximatifs.
C'est ce que comprendront sans peine tous ceux qui savent
avec quel soin les khodjas de douars tiennent à jour leurs
registres d'état-civil. Il y en aurait trop long à dire sur les
résultats de la fameuse loi de 1882.
Il est intéressant de prendre connaissance des statistiques
qui se rapportent à la situation des indigènes au point de
vue de l'enseignement supérieur. On y voit, par exemple,
que, depuis la création de l'Ecole de Droit, sur 1,101 diplô-
mes, il n'en a été délivré que 4 à des Musulmans ; on y voit
encore que l'Ecole a délivré 259 diplômes de licencié en droit
et seulement 22 certificats supérieurs de législation algérienne
(examen qui comporte du droit musulman). L'école des Lettres
est celle qui, ayant le plus développé son enseignement au
point de vue africain et oriental, s'est mise le mieux en
harmonie avec les besoins du pays. Il y a là les éléments
d'une école coloniale africaine qui pourrait être appelée à un
grand avenir, s'il ne régnait à cet égard, dans les hautes sphères
administratives, les plus regrettables divergences de vues.
En ce qui concerne l'enseignement de l'arabe, l'Ecole des
Lettres a iJélivré, depuis sa fondation, 296 brevets d'arabe
(dont 21 à des indigènes) — 39 brevets de kabyle (dont 2 à des
indigènes) — 40 diplômes d'arabe (dont 5 à des indigènes) —
et 2 diplômes de berbère (dont 1 à un indigène), tm addition-
nant tous les diplômes délivrés par les quatre écoles, on trouve
que, depuis leur fondation, elles en ont délivré 3.767, dont
56 seulement à des musulmans! Il nous faudrait pi us de place que
nousn'en avonsànotre disposition pour examiner les statistiques
qui concernent l'enseignement secondaire et l'enseignement
primaire au point de vue indigène; les dernières sont peut-être
plus satisfaisantes qu'il n'est de mode de le dire. Le tableau
concernant les médersas gagnerait à être plus développé :
111 élèves ont fréquenté ces écoles en 1896.
(i) Gouvernement Général de l'Algérie. Statistique générale de
l'Algérie. Années 1894, 1895 et 1896. 1 vol., 238 pp., Alger 1897.
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE L'ISLAM MaGHHIBIN 43
On regrette de ne trouver dans la statistique triennale aucun
renseignement sur les cultes et la justice musulmans. D'une
façon générale, c'est très certainement l'exiguité des crédits
alloués qui est la cause de ces lacunes : sur mainte question
qui serait pour nous du plus haut intérêt, nous ne possédons
que de maigres indications.
liCS encyclopédies sont appelées à devenir souvent pendant
de longues années le guide presque unique d'une grande partie
du public qui n'a pas le temps de recourir aux sources; à ce titre,
les spécialistes sont en droit de demander à ces répertoires de
fournir aux gens du monde un résumé exact des ouvrages
originaux dans chaque branche de la connaissance. Le ISouveau
Larousse Illustré (1) ne parait pas devoir encourir grand
reproche à cet égard. Les articles qui touchent à l'orientalisme
sont en général traités avec compétence et clarté ; le.s plus
importants d'entre eux sont du reste signés de noms qui sont
une garantie pour le lecteur. Signalons : les articles Averrhoès
(M. Raoul Allier) et Avicenne (M. Louis Coqueliu; qui offrent
de bons résumés ; — l'article sur le Bâh, dû à la plume,
si autorisée en pareille matière de M. Joachim Menant; — les
articles Abdclkader, Alger, Algérie, Atlas, sont l'œuvre de
M. Augustin Bernard : c'est dire que le sujet y est traité avec
la plus grande compétence et une mesure parfaite; — les
articles Arabe (histoire et civilisation) et ^ra&ie (exploration et
histoire) sont l'œuvre de M. Froidevaux : ils donnent une bonne
vue d'ensemble des faits. On aurait cependant aimé y trouver
au moins trois ou quatre lignes sur l'histoire antéislamique
des Arabes. 11 y est dit simplement que «cette histoire est fort
mal connue « ; peut-être n'est-ce pas suffisant. A l'article
Arabie (exploration) l'auteur n'a pas cité les voyageurs qui
nous ont renseigné &ur La Mecque, comme Roches, Snouck-
Hurgronje, etc., ... : ces détails sont sans doute renvoyés à
l'article : La Mecque ; — l'article Arabe (langue, littérature
et beaux-arts) dont l'auteur est M. Fagnan est d'une expo
sition claire et méthodique ; — à l'article Almohades, il
aurait fallu, dans la bibliographie, citer le travail de Goidziher
comme étant le seul que la science européenne ait produit sur
ce sujet. Nous ne devons toutefois pas reprocher aux auteurs
des omissions que le cadre restreint dont ils disposaient ne
leur permettait pas d'éviter ; — l'article Berbères est du
Docteur Verneau ; on aurait souhaiter y trouver deux ou trois
lignes résumant le peu qu'on sait de la position du berbère par
rapport aux autres langues. Les articles courts du dictionnaire
paraissent en général moins soignés ; l'article .^1/ Gazzali, par
exemple, est franchement défectueux ; pourquoi, au mot
.'rmrou ben al Ass, garder cette orthographe vicieuse et si
répandue de Amrou pour Amr ou Amer 9 cela est cause que ce
(1) Nouvecm Larorn^^e Illustré en sept volumes. Directeur: Claude
Auge. Parait par fasc. à la librairie Larousse, Paris, s. d.
44 BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE L'ISLAM MAGHRIBIN
personnage et Amrou al Caïs qui le suit dans l'ordre alpha-
bétique paraissent avoir porté le même nom ! Ces légères
critiques ne sont pas du reste pour méconnaître la grande
valeur du Nouveau Larousse pris dans son ensemble.
La portion de la Grande Encyclopédie (4) parue en 1897 et
1898 ne contient que peu d'articles relatifs aux musulmans.
Parmi ces articles, ceux de M. L. Leriche se recommandent par
leurprécision et parune indication exactedessourcesauxquelles
doit se reporter le lecteur désireux de posséder de plus amples
renseignements : les articles Mâreb, La Mecque, Médine,
Al Meiddni sont à cet égard des modèles'. Citons encore :
l'article Al Maqrizî, signé A. -M. B. ; — le paragraphe intitulé
Médecine chez les Arabes, sous l'article Médecine, offre un bon
résumé de l'histoire de l'art médical chez les musulmans ; —
les articles Al Mervoân et Al Masoudi, tous deux anonymes,
le dernier un peu faible. Nous parlerons plus loin de l'article
Maroc, dû à M. de Lamartinière.
L'idée d'une encyclopédie de l'Islam, analogue à l'ancien
d'Herbelot, mais composée suivant toutes les exigences de la
science moderne, date de 1892. Depuis cette époque, elle a fait
son chemin et la question a avancé d'un grand pas au
Congrès des Orientalistes tenu à Paris en 1897: M. Goidziher
est actuellement à la tête du mouvement et il est permis
d'espérer que le siècle ne s'écoulera pas sans que cette grande
œuvre soit commencée (2j.
II. OUVRAGES D'ENSEMBLE SUR LA RELIGION MUSULMANE
Les traités généraux d'histoire des religions font naturel-
lement une importante place, dans leur programme, à
l'islamisme. A ce titre nous devons signaler ici la 2'"^ édition*
du Manuel de l'histoire des religions, de M. Chantepie de la
Saussaye (3), ouvrage trop connu pour que l'éloge n'en soit
pas superflu.
M. G. -M. Grant a fait paraître un livre intitulé : * L'Orient et
la Bible. Les grandes religions, qui vient d'être traduit en
français (i). Il contient, parait-il, une brève mais excellente
étude sur le mahométisme.
(1) La Grande Encyclopédie. Paris, s. d. Lamirault (ea cours de
publication).
(2) Voyez pour cette question et pour le compte-rendu du Congrès des
Orientalistes, Gaudefrov Demombynes. dans le Bulletin d'Oran,
21° année, tome XVriI. "fasicule LXXVIT, avril-juin 1898, page 129 —
MM. Gaudefroy Demombynes et Mohammed bso Rahal représentaient la
Société d'Oran au Congrès de Paris.
(3) Chantepie de la Saussaye, Leitrbuch der Religionsgeschichte,
1' edit. Frib. en Hr. 1897. Cf. Compte-rendu de J. Réville, in Reo. Hist.
Rel., 19» ann., t. XXXVIfl, n» I, juillet-août 1898. p. 64.
(4) G.-M. Grant, L'Orient et la Bihle. Les rjrandes religions, traduit
de l'anglais par Cl. de Faye, 1 vol., 198 pp., (ienève 1897.
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE L ISLAM MAGHRIBIN 4t
Signalons encore un ouvrage de M. Forlong*, sur les
religions comparées de l'Asie (1), dont le 10« chapitte est
intitulé : Mohammed, Vhlam et la Mecque.
Nous serons moins bref touchant l'ouvrage de notre
compatriote, M. Carra de Vaux, sur le mahométisme (2>,
ouvrage qui s'adresse avant tout au grand public ; mais il n'y
a pas de doute que les spécialistes ne le lisent également avec
plaisir et même profit. La place nous manque pour dire tout
le bien qu'il en faudrait dire. Eornons-nous donc à une brève
analyse. — Le livre débute par un tableau rapide et coloré de.
l'Arabie antéislamique. — La vie du Prophète est retracée
dans les deux chapitres suivants ; l'auteur y a bien marqué
l'opposition qui existe entre les deux périodes de la prédica-
tion de Mahomet, ia période mecquoise et la période médi-
noise. — Dans le chapitre III, il nous entrelient des difficultés
qui de tout temps surgirent dans l'Islam, à propos de la
succession au khalifat : on sait que le Prophète ne laissa point
de règle à cet égard. M. C. de V. incline à penser que ce ne
fut pas là un oubli et qu'il entendit remettre au sort des
armées le soin de désigner son successeur. Et ce semble bien,
en effet, être un des (logmes musulmans que la force fonde la
légitimité. — Dans les chapitres suivants, l'auteur nous montre
comment l'Islam parfit sa législation, raisonna son dogme,
adopta une mystique. En ce qui concerne la loi, il plaça le
critérium de l'orthodoxie dans l'autorité des docteurs. En ce qui
concerne le dogme, celui-ci ne fut fondé qu'après une longue
période de contlits pendant laquelle le libre examen, sous la
forme du mo'tazilisme, faillit ruiner l'Islam, u Plusieurs
grands hommes survinrent qui sauvèrent l'Islam de cette
décadence », nous dit l'auteur (p. 84), et il nous cite El R'azzàli.
On attend'iit ici, avant tout, le nom du célèbre El Ach'âri, le
fondateur de la théologie orthodoxe. M. G. de V. nous reparle,
du reste, d'El Pv'azzàlî, qu'il a spécialement étudié, dans le
chapitre suivant consacré au mysticisme musulman. C'est de
la Perse avant teut, suivant l'auteur, qu'est venu ce mysti-
cisme (3). Il nous dit ensuite quelques mots de plusieurs des
confréries mystiques musulmanes (Qâdriya, Aissaoua, etc.)
(1) Major géncr;il G. G. II. Forloni,--. Short studies in the science of
comparative religions, embracinf/ more especially tfiose of Asia,
1 vo!. 6\ XXVIII — 663 yp. Londres.
(2) Carra de Vaux, Etudes d'histoire orientale. Le mahométisme ,
Le génie sémitique et le génie aryen dans l'Islam, Paris, 1898.
(.3) (^e rapprochement nous parnit plus fondf- que ceux que MM. Depont
et (Joppolaiii ont indique dans le,ur grand ouvrage {Les confréries
religieuses musulmanes. Ager, 1897, p. 79) entre les Alexandrins et les
Coùfis. Nous savons (jue les mystiques alexandrins, y compris Plolin.
furent traduit^ en arahe, mais il semble bien que le çoulisme soit venu
de la Perse avant tout. (Sur Plolin, que MM. Depont et Gopnolani pensent
n'avoir pas ,';té traduit en arabe, voy. 8teinschneijer. Die arahische
Uebersetzungen aus dem Griechischen, in Beihefte zum Central^lntc
fur Bihliothekstcesen, XII, 1893, n" 39 (G3), p. 78 et n- h'J (83), p. 1(17).
46 BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE L'ISLAM MAGHRIBIN
Malgré tout, le çoufisme n'a pu répondre entièrement aux
aspirations mystiques des peuples musulmans, e L'Islam nous
apparaît comme ayant eu des destinées plus vastes que son
génie. . . La religion que Mahomet apporta au monde manqua
d'amour et de tendresse» (p. 102). Aussi dans la deuxième
partie, l'auteur va nous montrer comment les peuples courbés
sous le joug de l'Islam ont réagi contre ce Joug : c'est ce qu'il
appelle la réaction aryenne. Et il nous retrace la tragique
histoire des Alides (1). Montrant que l'idée du mahdî a toujours
dominé dans les doctrines chi'ites, il la présente comme étant
aussi, avant tout, d'origine persane ; c'est une variante de
l'idée de la victoire dernière d'Ormnz sur Ahriman. —
Les Ismaïliens et les Dr uzes font ensuite l'objet de deux chapitres
intéressants. Puis retraçant l'histoire du çoufisme, M. C. de
V. montre avec beaucoup de raison les services que ce mysti-
cisme a rendus à l'Islam en lui fournissant de puissants agents
de propagande (2). Enfin le livre se termine par un résumé
de l'histoire du bâbisme, manifestation la plus récente 'de ce
grand duel entre le génie aryen et le génie sémite sous la ban-
nière de l'Islam, dont l'auteur a voulu nous retracer les prin-
cipaux épisodes. II conclut qu'il nous appartient, à nous
autres aryens, de prendre parti pour ce qui nous ressemble et
de favoriser toutes ces rébellions, tous ces efforts, toutes ces
renaissances de l'aryanisme dans l'Islam. Il adresse un salut
aux peuples qui, ayant refusé de s'incorporer à l'Islam, sont
écrasés et foulés par lui. « Nulle prudence, dit-il, ni nul res-
pect du fait accompli ne peuvent nous empêcher d'appeler de
nos vœux le moment où, relevés de leur opprobre, ils renaî-
tront à la liberté ». Le livre est éciit dans un style élégant,
délicat, coloré ; les idées sont présentées avec tact et mesure ;
l'appareil scientifique des références est allégé de tout ce qui
ne conviendrait qu'à des spécialistes; l'exéculion typographi-
que est fine et plaisante à l'œil (3). On pouirait souhaiter que
ce livre fiît répandu en Algérie et en Tunisie ; nombre de ceux
qui, par goiat ou par besoin professionnel, ont le dé.-ir de fixer
leurs idées sur les questions islamiques retireraient autant de
fruit de la lecture de ce petit livre que de celle de maint gros
volume.
(1) La transcription de j r^N^ par Amrou nous sstnble fâcheuse et de
nature à induira en erreur sur !a véritable prononciation de ce mot.
(2) C'est avec raison aussi que, dans la noie de la p. 99'j, l'auteur
soupçonne Duveyrier d'exagéialiou dans sou tableau d'^. la puissance des
i^enoussiya (La confrérie de Sid Moliammed ben Ali es Senoussi, i88i)-
Cette brochure a contribué à crÀPr une véritable iét^ende sur les Senous-
siya et à répandre dans le public, sur les confréries, deî Idées fausses et
regrettables.
(à) On regrette cependant, comme l'a remar.^ué M. l'abbé 'Ihabot, dans
la Revue critiqxie, qu'une correctinn insuffisante ait laissé passer d^-;
nombreuses coquilles dans un-; édition d'ailleurs si élégante.
bulli:tin bibliographique de l'islam maghribin 47
M. Robinson*a fait paraître un livre sur l'avenir dumahomé-
lisme, si l'on en juge par le titre que nous connaissons seul (1).
Dans y Impérial ond asiatic qua/erly Re iew, le professeur
Montet (2) appelle l'attention des orientalistes sur ce fait,
remarquable et unique dans l'histoire, qu'une civilisation et
une religion (l'islamisme) reconnues comme inférieures par
les t-uropéens les moins prévenus, non seulement main
tiennent leurs positions, mais encore agrandissent tous les
jours leur domaine. Il faudrait, d'après l'auteur, pour élucider
ce point, une série d'études spéciales faites dans chaque con-
trée de l'Islam par des personnes au courant des langues par-
lées dans les états musulmans, des doctrines religieuses de
l'Islam, des grands travaux récemment parus à ce sujet, per-
sonnes qui devraient être impartiales et sympathiques aux
musulmans, dans la mesure permise à un chrétien. Il faudrait
rechercher quel est l'état moral de chacun des peuples musul-
mans. Cette étude intéresserait au plus haut degré l'Europe
entière et spécialement l'Angleterre.
Un article de M. Réville* sur l'Islam dans le New World
nous est inconnu (3) : il en est de même de l'ouvrage de
M. D. Kimon sur la * Pathologie de Chlam (4).
III. — DOGMATIQUE & HISTOIRE RELIGIEUSE
Les Reste des Arabischen Heidentmns de M. J. Wellhausen (5)
sont certainement l'ouvrage capital de ces dernières années en
ce qui concerne la religion antéislamique des Arabes et les
origines de l'Islam. Il est d'une importance comparable à celle
des Mohammedanische Stiidien de Goldziher Aussi a-t-il eu les
honneurs d'une deuxième édition, dans laquelle l'auteur a
introduit quelques modifications, à la vérité peu importantes.
Le grand intérêt de l'ouvrage est dans la masse énorme de
faits qu'il présente systématiquement rangés et qui sont des
documents d'autant plus importants qu'ils sont garantis par la
profonde connaissance qu'a l'auteur des textes d'où ils sont
tirés. Le livre de M. AV. a tranché une question qui fut
(1) Rev. Charles H. Hoiun.'jos-. Mohamweclanifiw. Has it any
future ? (Witli an iulroriucion tiy ihe 1 ev. \V. B. (Ini pi nier), Londres,
1897, (annonf'p «Inns As. quat. Rei:., oct. 1807, p. 446).
(2) K. MONTKT : Scheme for an inquiry concerning in It^lani, in
The imp. and asiat. quat. Rev. and col. Rcc, April 1898, p. 427.
(3) A. Réville : Some aspects of Islam in New World, VI, 5SJ-550.
(4) D. Kimon : La Pathologie de l'Islam et lesvioyensde le détruire-
I. vol. 1;'- 1897. Paris.
(5) .1. Wellhausen Reste des arabischen Heidentums, Z\v Au-sr..
Berlin, 1.S97, '?.Vl p. Cf. iSnouck-Hurgronje, in lier. Hist Rel., t. XX,
10« ann., 1889, p. 64 seq.
48 BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE l'iSLAM MAGHRIBIN
longtemps débattue, nous voulons dire l'existence avant
l'Islam d'un véritable polythéisme arabe ; du reste les divinités
antéislamiques étaient aussi des dieux de clan, des dieux de
tribu. Le culte était extrêmement simple et le rôle de la
prière absolument secondaire. Les sacrifices n'étaient pas des
offrandes ; mais l'effusion du sang des victimes sur la pierre
consacrée au dieu représentait simplement la communion
entre la divinité et le fidèle. Tout ce qui concerne les inter-
dictions, les prescriptions de pureté et d'impureté, la circon-
cision est étudié avec un grand soin par M. W. Il nous montre
comment l'Islam s'est dégagé du polythéisme aniéislamique :
la Ka'ba fut le Panthéon arabe où vinrent se confondre tous
les dieux de la Péninsule ; les rites entourant le principal
sacrifice (V^) passèrent en bloc dans l'Islam ; avec le maho-
métisme, ^ le culte diminue, la religion devient prépondérante.
Le nouveau dieu, y^Uî, c'est-à-dire « la divinité », a un carac-
tère essentiellement religieux. Ce nom vague n'était pas
nouveau, on s'en servait souvent pour désigner des dieux dont
les noms étaient ineffables. Peu à peu Allah devint l'unique
Dieu, Qu'on nous permette à cette occasion de remarquer que
l'emploi de ce nom par les poètes antéislamiques ne prouve
pas comme le prétend le P. Cheikho que ces poètes aient été
chrétiens. Il y a à cet égard des passages de la poésie antéisla-
mique qui sont significatifs. Far exemple, ce vers d'Aous ibn
Hadjar (édition Geyer, 11, 2, p. 7 Ûu texte et 36 de la trad.) :
a Par Allât et 'Ouzzà et par ceux qui les adorent, et par
Allah qui eSt au-dessus de ces deux divinités )i.
Notre maître M. Resé Basset, examinant à propos de ce vers
la thèse du P. Cheikho, faisait remarquer qu'on pourrait avec
autant de raison soutenir que le père du Prophète, qui s'appe-
lait 'Abdallah, c'est-à-dire le a serviteur d'Allah », était chrétien
lui aussi.
C'est avant tout dans les poètes antéislamiques qu'il nous
faut aller chercher les renseignements sur l'ancienne religion
des Arabes. Mais ces poètes sont loin d'être tous édités: leur
collection se complète néanmoins de jour en jour. Citons dans
cet ordre d'idées: les* Chawâïr eVArah dont le père Cheikho (1)
poursuit la publication — deux articles de M. Goldziher sur
la *H'amâsa d'El Bohvori f2) et sur les * Divans des tribus
arabes (3) — le divan du célèbre Hàtim T'ay, devenu si fameux
dans les légendes arabes par sa générosité, a été édité et traduit
ri) Le p. Cheikho : Chawùir el arab (^ ^* ' i^'j^)' ^^^^' '^^ f-
(2) Goldziher : Zm- Haviâsa des Bxihturi, in Wien. Zeitsch. f. d.
Kiinde des Morgenl., XI, 161-163.
(3) Goldziher : Some notes on llie dhcans of the arahic tvihes, in
Journ. ûfroy. asiat. soc, 1897, 325-334.
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE L'ISLAM MAGHRIBIN 49
par M. Schultess (1). On consultera en même temps les
importantes notes crituiues que J. Barth-('2) a publiées au sujet
de cette édition dans le Zeilscli, d. cleutsch. morg. Gesellsch. (3).
— Sur la poésie antéislamique en général, on pourra lire l'arti-
cle de M. J. VVcllIiausen, dans Cosmopolis (4).
Nous ne possédons pas encore en français une vie de
Mahomet analogue aux ouvrages de Muire, Sprenger, Krelil,
Grimme, etc., .... Mais nous avons à signaler l'apparition de
deux ouvrages français relatifs au Prophète et à sa prédication.
Le premier, l'ouvrage de MM. Lamairesse et Dujarric sur
Mahomet (5), est en principe une traduction de la partie du
Rawdhat-as-Safâ relative à la vie du Prophète. Le Rawdhat-
as-Safà est l'œuvre du célèbre historien persan Mirkhond, mort
en 1498. Il serait évidemment extrêmement précieux pour nous
d'avoir la traduction exacte d'une biographie de Mahomet par
un auteur chî'ite. La comparaison d'un tel document avec les
autres biographies orthodoxes que nous possédons ne pourrait
manquer d'être fort intéressante. Malheureusement nous ne
savons pas exactement à quel genre de version nous avons
atTaire avec l'ouvrage de MM. L. et D. Le fait que le traduc-
teur déclare souvent en note qu'il traduit littéralement tel ou
tel passage, semble bien indiquer qu'il ne s'agit en général
que d'une traduction libre. Il y a plus : en mamt endroit les
auteurs mélangent avec le texte de Mirkhond leurs propres
dissertations critiques, en sorte qu'on n« sait pas toujours si
c'est Mirkhond qui parle ou non. Notre incompétence
absolue en matière de persan nous interdit de juger de la tra-
duction, mais la liberté que nous venons de signaler nous fait
craindre que les auteurs n'aient décoré de ce nom une para-
phrase contenant à la fois des additions et des lacunes. Nous
devons ajouter que les passages ajoutés au texte ainsi que les
notes sont en général assez faibles ei dénotent une connais-
sance imparfaite de la littérature du sujet ; les références sont
défectueuses ou ne sont pas données ; les mots arabes sont
souvent écrits incorrectement. On se serait attendu à ce que
les auteurs comparassent çà et là, puisqu'ils joignaient des
notes critiques à leur ouvrage, les récits de Mirkhond aux
récits des orthodoxes, en particulier d'Ibn Hichàm etd'Aboul-
(l) Frdr, Schultess • Der Dhoân des arah. Dichters Hâtim Tey
nebst Frarjinenten, hrsg.ûhers. u. erlaût I vol. Leipzig, 1897.
(i) J. Barth : Zur KritiU und Erldaerung des diicans flàtim.
Tejjs, in ZeitscJi. d. deutsch. morgenl. Gesellsch., 1898, LU, 1" Heft,
p. 6'i-Tl.
(3) Le diwan de 'Antara vient d'Otre édité en Egypte (Caire, 1898).
(i) Wellhausen : Die alte arabische Poésie, in Ces)nopolis, I,
592-604.
"(5) Vie de Mahomet d'apriis la traduction, par E. Lamairesse et
G. Dujarric. Paris. — T. I, Des origines de Mahomet jusqu'à la bataille
d'Ohod, 1897. — T. II, Depuis la bataille d'Ohod jusqu'à l'élection
d'Abou Bekr, 1898.
50 BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE L'ISLAM MAGHRIBIN
féda, qui ont été traduits et édités en Europe. Or, il semblerait
résulter de la note 2 de la page 46 du tome I, que les auteurs
n'ont pas eu directement connaissance de Tédition d'Albouféda,
par Desvergers, et, d'autre part, il n'y a pas dans l'ouvrage une
seule référence à la traduction d'Ibn Hichàm, par Weil.
Cependant, les auteurs connaissent, au moins de nom, l'his-
torien arabe, puisqu'ils lui ont consacré une notice (I, p. 63;.
C'est surtout dans l'introduction historique qu'apparaît la
faiblesse de l'appareil critique. Alors que l'Arabie antéisla-
mique a déjà été l'objet d'une littérature abondante, on voit
MM.L. etD. s'appuyer presque exclusivement par instants sur
des autorités comme VHistoire des A)-abes de Sédillot ou une
Histoire Universelle éditée à Amsterdam en 1760 ! Cependant,
ces réserves faites, il n'est pas impossible de tirer profit du
livre. Nous n'avons pas encore pu personnellement l'exa-
miner en détail et le comparer aux Sirat-en-Nahî orthodoxes
que nous connaissons ; mais d'un examen superficiel de
l'ouvrage il nous semble résulter qu'il est facile de faire la part
de ce qu'ont ajouté les auteurs et de ce qui provient du texte
persan, et cette dernière partie nous paraît être très utilisable.
Elle constitue la seule biographie de Mahomet un peu étendue
qui ait été traduite en français et on peut fort bien en recom-
mander la lecture. Si au lieu de vouloir trop faire, MM. L. et D.
s'étaient volontairement bornés à nous donner une traduction
de l'ouvrage persan, sans commentaires, ils auraient composé
un livre précieux, auquel on n'aurait pu reprocher que le plus
ou moins de fidélité delà traduction. Tel qu'il est on pourra
encore se servir de leur livre comme d'un répertoire utile des
principaux faits de la vie du Prophète (i >.
Ajoutons pour finir que !e style de la traduction e.^t aisé et
que l'exécution typographique ne laisse pas à désirer. Les au-
teurs nous annoncent du reste un troisième volume sur les
quatre premiers khalifes et « une étude aussi documentée
que possible sur les sociétés secrètes et les sectes religieuses
dans l'Islam », sujet qui décidément est bien à la mode.
Le deuxième travail sur Mahomet est celui de M. Spiro (2) :
il n'est pas encore entre nos mains à l'époque où nous écri-
vons ces lignes et nous sommes réduits à en renvoyer l'ana-
lyse à la prochaine chronique.
On annonce l'apparition prochaine à Leipzig d'un tra-
vail sur la doctrine de Mahomet, par M. 0. Pautz (3). —
M. Carra de Vaux a donné un article sur la * Légende de
(1) Un examen plus ap irofon U du livre auquel nous nous sommes
livrés depuis que c s lignes ont été écriies. nous fait craindra d'avoir
émis une appréciation iro]) favorable. (Note ajoutée pendant l'impression;.
(2) J. Spiro, Mohammed et le Koran, Montauban, 1897. 79 p.
(.;j) (). Pavtz, .Muhammad's Lehre von den Offenbarung quellen-
maessig untersuc/it. Cet ouvrage vient de paraître al nous en donnerons
l'analyse dans la prochaine i.-hronique. (Note ajoutée en cours d'impres-
sion).
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE L'ISLAM MAGHRIBIN 51
Baliirà (1), ce soi-disant moine nestorien qui paraît avoir joué
un certain rôle aupn's du Prophète.
Parmi les articles parus dans le * recueil puljlié en Dionneur
de feu Alexandre Kohut (2), nous avons à signaler ici ceux de
M. de Gœje qui ne croit pas, comme Sprenger, que Mahomet ait
connu une bible traduite en arabe, et celui de M. Schreiner
qui rapporte des citations d'auteurs arabes contenant des
traductions de versets de la Bible où les musulmans voulaient
trouver l'annonce de la venue de leur Prophète. Dans le
même ordre d'idées, nous trouvons dans VAsiatic quaterly
Review, l'annonce par M. Montet, qui en tait grand cas, d'un
livre de M. * il. B. Smith (3) sur l'influence des écritures
saintes sur la doctrine musulmane (4;.
Le très -intéressant travail de M. Theodor Noeldeke sur quel-
ques points l'histoire primitive de l'Islam (5) nous a été
connu trop tard pour que nous puissions en donner ici l'ana-
lyse détaillée qu'il mérite ; nous demandons la permission de
ne le citer que pour mémoire et d'en renvoyer aussi le compte-
rendu à la prochaine chronique.
Du mémoire de M. E. Blochet(6;, sur l'histoire religieuse de
l'Iran, nous ne relevons, dans la portion parue, que le
fragment suivant qui intéresse spécialement le point de vue
auquel nous nous plaçons ici. Il s'agit de l'Imàm caché, et le
fragment se trouve dans le paragraphe intitulé: 1. De Vinfluerice
de la religion mazdéenne sur les croijances des peuples turcs
(p. 33). « Il est certain, dit M. Bl., qu'il y a ici une adaptation
musulmane de la légende Bahràm Amâvand (voir E. BloChet,
Rev. arch.. année 1896, p. 189 et Rev. Hist. Rel., 1895, Textes
religieux pehlvis). Ce qui en est la meilleure preuve, c'est la faci-
lité avec laquelle beaucoup de Guèbres de Perse ont accepté le
Bàbisrae. En réalité, le Bâb ne prétend point être autre chose
que le douzième imâm à venir, aussi les Guèbres l'ont-ils assi-
milé facilement à Bahràm Amâvand. Cette légende se retrouve
dans les pays iraniens sous d'autres formes; \e Shâh-i-zendeh ou
(1) G.vRRA DE Vaux : La légende de Bahlrà ou « Un moine chrétien
auteur du Coran», in Rev. de l'Or, chrét., 1897.
Cl) Semitic studies m memory of Rov. D' .Vlexamier Kohut, editcd
by George Alexander Kohut, with portrait and memoir. tierlin, 1897
615 p. (Journ. Asiat , 9' sér., t. IX. p. 'doS.)
(3) H. B. Smith .• The Bible and Islam, or the influence of the old
and new Testaments on the religion of Muhammed, being the Elu
Lectures for 1897. Londres. \S97. (^lontm, Quaterly report on semitic
studies and vrientalism ia .\siatic qu it. Rec, July JS'JS, p 121).
(4) Signalons encore : H. Hirschfeld, Historical aiïd legendary
controcersies beticeen Mohammed and theRabbis, mJeio.quat Rev.,
X, p. lU0-il6, (juu nous ne connaissons pas.
(h) Theodor Noeldeke, Zur tendenzioesen Gestaltung der Urgeschi-
chte des Islam's, in Zeitsch. viorgenland. Gesellsch., Bd LIT, Heft I
18')8. lG-33.
(6) E. Blochet, Études sur l'histoire reli(]ieuse de l'Iran, m Rev,
Hist. Rel., 19' année, t. XXXVIII, n" 1, juillet-août 1898.
52 BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE L' ISLAM MAGHRIBIN
« roi vivant « qui, suivant la légende, est caché au fond d un
puits à Samarcande, n'est encore, évidemment, qu'une islami-
sation de Bahrâm Amàvand d.
L'ouvrage de M. Patton siir Ali'mad ihn H'anhal. (1) est une
biographie très soignée de l'imàm Ah'med, puisée aux sources
originales et accompagnée de l'histoire des persécutions
exercées par les khalifes qui favorisaient le mo'tazilisme
ou rationalisme, jusqu'à Al Wâtsiq, à l'époque duquel
les hanbalites commencèrent à respirer et de persécutés
devinrent persécuteurs.
Au Congrès des orientalistes, dans la section des langues et
archéologie musulmanes, M. Bevan a longuement discuté
l'étymologie du mot zendik (^>yij ) employé souvent dans le
sens général de « hérétique ». M. Bevan fait venir ce mot
de l'araméen, d'autres savants préfèrent le tirer de l'iranien.
Faisons remarquer que dans le langage vulgaire d'Alger , =^>0-^J
signifie encore vaurien, tnanvaïs sujet ; chose plus curieuse,
ce mot sert aussi à désigner la franc-maçonnerie européenne.
Les Algériens appellent Xi j.i;.1 v,_^L:e-^î les francs-maçons, et
leurs loges ai j..'j.Ji o-^c Iç^
M. Pérès a fait au Congrès de Carthage une communication
sur VOrigine des sectes tnusulmancs (2) dont le titre seul est
donné sans aucun texte dans les comptes-rendus du Congrès.
Les rapports originels de l'islamisme et du nestorianisme
sont connus ; à ce titre, cette dernière religion intéresse plus
ou moins l'histoire de l'Islam. Nous pouvons donc signaler ici
le travail de M. Ed. Chavannes sur le Nestorianisme et
l'inscription de Kara-Balgassoun (3) ; c'est d'autant plus le cas
que, d'après M. Ch., il n'est nullement certain que la religion
à laquelle se rapporte la fameuse inscription ne soit pas tout
simplement le mahométisme. — M. P. Casanova a donné dans
le Journal asiatique une notice très importante sur un manus-
crit de la Bibliothèque nationale, rédigé par un partisan des
(1) W. Patton, Ah'mad ihn H'anbal and tha Milina. A hiography
of the hnâin including on account of the mohanimedan inquisition
called the Mi/i'na, 1 vol. 1897. Leyde. Nous n'avons pas lu l'ouvrage de
M, Patton et nous n'avons vu qu'au dernier moment, 1*^! compte-rendu
que M, René Basset en a donné dans la Revue de l'Histoire des Religions,
mais nous avons eu sous les yeux le compte-rendu de M. Goidziher,
paru dans le l" fascicule du Zeitsch. f. deutsch. morgen Gesellsch.
M. Goidziher, tout en jujïeant très favorablement l'œuvre de M. Patton,
propose quelques corrections (p. 159). Son article débute par des
considérations fort intéressantes sur les rapports du hanbalisrae et du
walihabisme (pp. 156-157).
(2) Perès : De l'origine de certaines sectes fanatiques musulmanes
et de l'importation en Occident de quelques-unes de leurs doctrines,
inC. R. 25°'°sess. A. F. A. S. Impart. Doc. off. et Proc.-oerb.,-^. 246.
(3) Ed. Chavannes : Le nestorianisme et l'inscription de Kara-
Balgassoun, in Journ. Asiat., 9= sér., t. IX, 1897, pp. 43-81.
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE L'ISLAM MAGHRIBIN 53
Assassins (1) ; l'auteur y signale des ressemblances frappantes
entre les doctrines des Ismaïliens et celles des Frères de
kl Pureté. St. Guyard avait déjà indiqué ce point de vue, mais
M. C. va plus loin et pense que les doctrines Ismaïliennes sont
contenues entièrement dans les épîtres des Frères de la
Pureté. ({.... En y ajoutant la croyance en l'imâm caché,
jj.x-^-i] jlfi^ , qui doit apparaître un jour pour établir le
bonheur * universel, elle réalisait la fusion de toutes les
doctrines idéalistes, du messianisme et du platonisme »....
« En tout cas, on peut affirmer que les Garmates et les Assas-
sins ont été profondément calomniés quand ils ont été accusés
par leurs adversaires d'athéisme et de débauche » .... « La
doctrine apparaît très pure, très élevée, très simple même ....
c'est une sorte de panthéisme mécaniste et esthétique ....,
reposant sur l'harmonie générale de toutes les parties du
monde, harmonie voulue par le créateur parce qu'elle est la
beauté même » . . . . « Nous avons là un exemple .... d'une
doctrine très pure et très élevée en théorie, devenue entre les
mains des fanatiques et des ambitieux une source d'actes
monstrueux et méritant l'infamie qui est attachée à ce nom
historique d'Assassins ». — L'article de M. Max Van Berchem
sur l'épigraphie des Assassins de Syrie (1) est fort important
pour l'histoire de la secte en Syrie, mais est d'un intérêt trop
étranger à notre programme pour pouvoir être analysé ici. —
Il en est de même de l'article de M. Dovéria sur les musulmans
et les manichéens chinois (3j.
Le livre de M. Muir, * Àlohanimedan controversy etc., (4),
est la réunion en un volume d'un certain nombre d'articles
déjà anciens sur la controverse musulmane, les biographies
de Mahomet, les sources de la Tradition, etc.. Gertains de ces
articles ont un demi-siècle d'existence.
Le livre de M. Arendzen (5), sur le Culte des images *
(traduction d'Abou Korra), est une dissertation inaugurale.
(1) P. Casanova : Sotice .sur un manuscrit de la secte des Assassins,
in Journ. Asiat., 0' sér., t. XI, n° 1, 1808, p. [51 seq. — A propos de ce
travail, notre savant maitre, M. René Bas-;et, nous a fait remarquer qu'on
avait parfois confondu l'ouvrage des Frères de Basra avec l'œuvre de
Maslamali el Madjriti (de Madrid), qui est souvent aussi intitulée :
■ ■^ vV^^ '^i *V ^' y ^ ^^ ^^^ source d'équivoques qu'il importe de
signaler.
(2J Max Van Berchem ; Epigrap/iie des Assassins de Syrie, in
Journ. Asiat., fX° sér., t. IX, n" 3, mai-juin 1897. Cet article est le déve-
loppement d'une note parue dans C. R. Ac. Inscrip. et B.-L., 1897,
4» sér., t. XXV, mars-avril, p. 201.
(!)) Devéria : Musulmans et Manicliéens chinois, in Journ. Asiat.,
9* sér., t. X, p. 4'i5-484, 1897.
(4) W. Muir: Mohammedan controversy, biographies of Mohatn-
niad, Sprenger on tradition, the Indian liturgy and the psalter
1 vol. 18!)7. Londres. ' •
(ô) Arendzen ; Theodori Abu Kurra de cidtu imaginuni libellus e
codice arabica nunc primuin editus, latine versus, iilustratus.
Bonnœ, 1897.
54 BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE L'ISLAM MAGHRIBIN
qui ne peut manquer d'intérêt, mais dont nous n'avons pas eu
connaissance directement.
On trouvera dans les Lexikalische Studien (1) de M. Friedrich
Schwally, deux articles extrêmement intéressants à propos
des mots ïj-v./» et ^^à.^, minàra et minhar ( « minaret » et
« chaire »). L'auteur recherche l'origine des minarets en
s'appuyantsurdes arguments d'ordre linguistique. Il étudie les
rapports du minaret avec le clocher et les relations qui peuvent
exister entre les deux principaux mots employés en arabe
pour désigner le minaret, c'est-à-dire 5,là^ et <..-^j^. La note sur
le minhar, sur les différentes acceptions du mot et son origine
éthiopienne n'est pas moins intéressante. L'auteur signale la
ressemblance frappante des mots rr^^» et tnanubrium. II donne
des détails sur les conditions dans lesquelles furent construits
les premiers mlnbars — M. Goldziher a donné dans la Revue
de VHistoire des Religions une note sur le sens des expressions
i^îJJs (ombre de Dieu) et ô^Î Aç.i^ (khalife de Dieu) (2).
A.vec son incomparable érudition, le savant orientaliste
recherche l'origine et la signitication de ces locutions. Il
établit que la première doit s'entendre métaphoriquement :
omhre équivaut ici à lieu de refuge. De même, c'est à tort
que l'on traduit khalifat Allah ( a^J' Aç^i^. ) par «lieutenant
de Dieu » : il faut comprendre ici, lieutenant (du prophète)
établi par Dieu. Le génitif de &^i a ici un sens subjectif
comme lorsque l'on dit Jo \ U» dans le sens de « meurtre
commis par Zeid », par exemple : i — ' l_.I„3 -^--ij S--'-^ — ^ —
Le même auteur a donné une autre note sur les change-
ments de nom dans l'Islam (3). Ces changements paraissent
avoir, à plusieurs reprises, préoccupé le législateur religieux.
Mahomet changea beaucoup de noms, généralement parce qu'ils
rappelaient des souvenirs païens ou qu'ils étaient de mauvais
augure ; d'autre fois, sans que nous en apercevions la raison,
_ (. y f f
(p. ex. ^"t_; changé en y^\ y>;.=^ ou en v /.à.; j — ^^r changé en
ô.^3ij>..x — ♦-.xj changé en <:-l^. D'autres fois, il pensait que
tel nom avait quelque chose d offensant pour la majesté de
(1) Friedrich Schwally : Lexikalische Studien. in Zeiisch. d.
deutsch. morgenl. Gesellsch.. LU. Bd. I Heft. 1898, n" 2l(5jU>>) et 22
( f.vi./), pp. 143-146 et 146-14S.
(2) GOLDZIHER : Du sens propre des expressions «ombre de Dieu »,
a khalife de Dieu », pour désigner tes chefs dans l'Islam, in Rev. Hist.
Rel.. 16" année, t. X.XX.V, n" 3. mai-juin. p. 33U seq.
(3) Goldziher; Gesetzliche Bestimmungen ùber Kunia-Namen im
Islam in Zeitsch. d. deutsch. morgenl. Gesellsch., Ll Bd, 2" Heft, pp.
256-266.
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE L'ISLAM MAGHRIBIN 55
Dieu, comme lorsqu'il changea ^^ i, qui est un des attributs
d'AUâh, en ^^; . Ces changements n'étaient pas toujours
acceptés sans résistance. C'est ainsi qu'un individu appelé ^ ^=v,
nom de mauvais augure, ne voulut pas troquer ce nom contre
celui de J-^--».
Dans les premiers temps de l'Islam on changea presque tous
les noms théophores qui rappelaient le paganisme ; on trouve
cependant le nom de Hobal jusqu'au V<^ siècle de l'Hégire. Les
esclaves recevaient un nom nouveau à leur affranchissement,
même quand ils avaient déjà un nom arabe. Les Berbères eux-
mêmes, si attachés à leurs coutumes, en vinrent à altérer leurs
noms dès qu'ils jouèrent dans l'Islam un rôle politique impor-
tant. (Zeitsch. d. deutsch. niorg Gesellsch, XLI. p. 109).
Dans les premiers siècles de l'Hégire, les altérations ne por-
taient pas sur le nom patronymique ou koiinia (/^^•^ ). Omar
défendit le premier l'usage du nom de Ahou'Isâ ( ^-^.^^yî).
M. Gold. cite à ce propos un passage de la glose d'Al Bâdjoûrî
sur les Ghamaïl de Tirmidzî, passage qui rapporte que le nom
d'Abou'lsà est blâmable parce que le prophète dit que 'Isa,
c'est-à-dire Jésus, n'avait pas de père, a.'. /tV ^^^ J. Mais
comme Tirmidzi lui-même portait ce nom d'Abou'lsà, le com-
mentateur ajoute que la détènse du Prophète ne visait que les
premiers temps de l'Islam =='3:01 AjdL*^;c'î Xc oLxJl J-ô-cst- ^Sj
Le nom d'Abou-1-Qàcem avait été aussi interdit comme étant
un kounia du Prophète, pris d'un fils mort en bas-âge, et les
recueils de traditions rapportent un hadits suivant lequel le
Prophète aurait dit: >Lj.>o fy.'.io' V ^ ^^b'^<s*"V. Actuelle-
ment cependant ce kounia est répandu dans tout le monde
musulman, ce qu'on explique en disant que le prophète avait
défendu de donner à la lois au même individu son Aj^f et son
♦-.', mais non de les donner séparément. Plus tard Al R'azzàlî
en vint à dire que l'interdiction ne concernait que l'époque du
prophète : ^^->^i J-- ■^' **-^ ^j^^ =—• ^^ .^ -ui*.'' J-?
L'interdiction de la forme diminutive dans les noms (inter-
diction qui, du reste, ne s'appliqua jamais aux noms consacrés
par l'usage, comme v--^ ou bien ^i>>^^^) tenait au sens
péjoratif attaché au diminutif. Abou Tammâm, p. ex. dans des
56 BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE l'iSLAM MAGHRIBIN
vers satiriques, dit à certain Moûsâ : , w— ;_j-^ ' . Il en fut de
même pour les diminutifs en \ » (oûn) dont M. G. cite un ou
deux exemples (1).
A une époque assez tardive, on restreignit l'emploi du nom
*^il, Allah, dans les noms de personnes, en dépit de Cor,, sour.
33, V. 14, qui dit : U-^iT I /i) ^\ LyM \j,kA .^A'^ W}'^i
« 6 croyants, répétez fréquemment le nom de Dieu ». Le juris-
consulte Abou Bekr Ach Ghàchî al Kafïàl (+ 365) qui avait
peut-être subi l'influence des livres religieux juifs sous ce
rapport, paraît être le promoteur de cette prescription.
>'ous devons encore à la plume aussi érudite que féconde
du savant professeur de Buda-Pest un article sur le Culte
des Saints en Egypte (2)'^, article que nous n'avons pu, à notre
grand regret, nous procurer ici et un article sur VAscétisjne
dans les premiers temps de V Islam (3), paru encore dans la
Revue de l'Histoire des Religions, et dont voici une courte
analyse :
Dans les premiers temps de l'Islam, il y eut une tendance à
l'ascétisme, inspirée surtout par l'exemple des moines chré-
tiens, car le Prophète paraît bien avoir toujours été hostile
aux mortifications frahbàniya, .^-^.'l>>j). De nombreux hadits
nous ont conservé quelques-unes des pratiques ascétiques de
ce temps, hadits auxquels on ne peut qu'ajouter foi, car ils se
terminent régulièrement par une condamnation formelle de
ces pratiques par le Prophète. Plus tard, lorsque le çoufisme
eut pris définitivement pied dans l'Islam, on découvrit des
hadîts qui permettaient le célibat et la vie anachorétique deux
cents ans ou trois cent quatre-vingts ans après l'Hégire. Mais
bien avant cette époque des individus pieux avaient été portés
à l'ascétisme et s'étaient livrés aux mortifications habituelles
aux anachorètes chrétiens. M. G. cite des exemples d'individus
qui se faisaient lier les membres ; d'autres gardaient volontai-
rement le célibat, auquel le Prophète semble avoir été tout à
fait hostile. Dès avant l'Islam on faisait vœu de faire à pied le
pèlerinage à la Ka'ba : d'autres se faisaient conduire au temple
saint, tirés à la manière des chameaux, au moyen d'une corde
attachée à un anneau passé dans leur nez ; Mahomet, d'après
Al Bokliâri, coupa de sa main un de ces licols. Le
vœu du silence, probablement imité des chrétiens, semble
avoir été déjà connu de Mahomet lui-même : c'est du moins
(DM. René Bassetafaitremarquer (/?eiv Hist. Rel.. 19'ana ,t. XXXVII,
w 1. p. HT), que ces diminutifs sont très nombreux en Occident; Khal-
doun, Abdoun, Zeïdoun, Badroun, Lebboun, etc., et un féminin: Naz-
houn, nom d'une poétesse d'Espagne.
(2) GoLDZiHEB : Aus dent viohammedanische Heiligenkuïtus in
Aegypîen, in Globus, LXXI, n" 1315, p. 233-24U.
(H) GoLDZiHER : De l'ascétisme aux premier.? temps de l'Islam, ia
Rev. Hist. Rel., 19« aan., t. XXXVIi, n° 3, mai-juin, 314-324.
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE l'ISLAM MAGHRIBIN 57
ce qui peut ressortir d'un passage du Coran (sour. XIX, v.
27-30). Les préceptes relatifs au silence sont en général rap
portés à .lésus. M. G. en donne des exemples intéressants
empruntés à VlJiiâ-'onlonm-ad-din. Le Prophète était aussi
hostile au \'œu du silence qu'aux autres pratiques ascétiques :
c'est ce qui résulte des hadits empruntés par l'auteur à Al
Bokhàrî. Une nommée Zaïnab avait fait le pèlerinage sans
rompre le silence (.^"^.^>' ^'-^) : Abou Bekr condamna cette
pratique comme étant d'origine païenne.' Cependant la
taciturnité est devenue une vertu célébrée dans les recueils
biographiques comme l'apanage des hommes pieux. L'épithète
,^^.^.'i J.^ , katsir-aç-çamt, « très- silencieux » leur est sou-
vent donnée. Toutefois, le silence n'est jamais devenu chez
les musulmans la règle constitutionnelle d'un ordre religieux.
Les rè;j;lements des confréries mystiques comme les Khalwa-
tiya prévoient seulement des périodes d'isolement (5»i=>.
khatica), de quarante jours par exemple, pendant lesquels ils
ne peuvent proférer que le Là ilâha illa allah, j^' "^rj!^.
Puisque nous en sommes sur l'ascétisme, mentionnons ici
la Sn^e édition du grand ouvrage de M. Zockler* sur l'ascétisme
et le monach'isme (i) : d'après l'auteur, bien que l'ascétisme ait
été connu dans l'Inde beaucoup de temps avant notre ère,
cependant c'est le christianisme qui l'a développé. Quoique
n'ayant pas eu originellement de caractère ascétique, le chris-
tianisme.a^ organise et caractérisé définitivement l'ascétisme et
le monachisme. Quant à l'Islam, l'ascétisme n'y serait repré-
senté que p:ir de simples privations imposées au nom des
principes religieux et les associations à caractère monacal
qu'on y rencontre seraient imitées du christianisme. (3n voit que
dans la première partie de cette thèse, l'auteur n'est peut-être
pa3 tout à t;tit en parfaite concordance avec M. Goldziher.
M. Clavel i pubUé une étude sur la tolérance chez les musul
mans (2), dans laquelle il cherche à prouver que l'Islam s'est
montré tout aussi "tolérant que le christianisme et que les lois
religieuses Uiusulmanes n'impliquent pas nécessairement le
fanatisme que l'on reprx)che au sectateurs de la religion de
Mahomet, Nous pensons, en ce qui nous concerne, que poser
la question en termes aussi généraux c'est provoquer des
discussions interajinables et peu fécondes. Aucune religion
n'est nécessairement intolérante ; tous les dogmes sont suscep-
tibles d'évoluer, et d'autre part, le monde de 1 Islam renferme
tellement de races dilférentes que les généralisations sont
toujours dangereuses quand il s'agit de l'apprécier en bloc.
(1) 0. Zockler : Ashese und Mœnchtum, zioeite (janzlicli veu
bearbeitete und Mark ver melirte Auflar/e der Kritisdien Gesr/iic/ite
der Askese. 1" vol.. Frankf. a. M., VII 1-322 pp., 18U7.
(2) Eug. Clavel: De la tolérance clie: les iniisuhnans, étude jihilo-
sophique, in Un. Islam-, n" 2, 3, i, WM .
58 BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE l'ISLAM MAGHRIBIN
Toutefois l'étude de M. Clavel est écrite dans un esprit de
conciliation remarquable et dont on doit tenir compte à
l'auteur (1).
IV. — SCIENCES MUSULMANES
Philosophie, Théologie
Les diverses parties du grand travail de M. Steinschneider
sur les traductions arabes du grec avaient paru dans différents
périodiques : les Virchoiv's Archiv fur Pathologie, le Zeitsch.
fur Mathemat., \eZcxUch. d. deutsch. mo>genl. Gesellsch. et le
Centralblatt fur Bibliotheksivescn. Elles ont été réunies en un
volume qui a paru à Leipzig (2). C'est un ouvrage de premier
ordre et destiné à faire époque. — M. H. Suter a cependant
présenté sur cet ouvrage {deuxième section : Mathématiques)
une série d'observations critiques (3 ., souvent assez vives,
dont il pourra évidemmen têtre utile de tenir compte. — Le même
auteur a publié la deuxième édition d'une très intéressante
plaquette (4) oîi l'on trouvera un excellent exposé des condi-
tions dans lesquelles les Arabes ont connu et traduit les
classiques anciens et de la manière dont s'est effectuée par leur
intermédiaire la transmission des sciences de l'Orient à
l'Occident.
On pensait jusqu'à présent(Woepke)que les Arabes n'avaient
pas pour leur calcul algébrique de système complet de notation :
leur algèbre, croyait-on, était surtout discursive et parlée.
M. Salih Zéky Efendi (5) vient de découvrir un manuscrit qui
donne une notation aussi complète que possible. ^4/. Djahr oua
el-mouqâbala, Al.« U.1 ' j j.^4^! , s'effectuait donc dans les mêmes
conditions que chez nous, a Les algébristes arabes ont, il est
(1) Signalons ici, sans savoir au juste à la>|iielle de nos divisions ils se
rappoi't'.-nt, les deux ouvrages suivants que nous n'avons pas pus en main :
Leonhardt Otto : Mel.l.a-Pilger in MihicJiner Neuef^te NacJirichten,
20 janvier 1897 ("ex Orientalisah. BihUor/.' — Sir R . F. Hurton ; T/ie Jeio^
t/ieGijpsy ond el Islam, 8°. Londres (annoncé z?i T/ie At/iemeicm, ^atur-
day, Àpiil 16, 1898 — List ofneio Hooks, p. 501.)
(2) Mor. Steinschneider : Die arahischen Ueberset:ungen aus dem
Griechischen. 1 vol., Leipzig, 1897. —'Cet ouvrage a été couronné par
l'Acadénnie des Inscriptions et Belles-Lettres de Paris.
(3) Heinrich St'trr: Bemerliungen z-u Herrn Steinsrlineiders Ahhan-
dlunçj : « Die arab. Vehersetz. aus d. Griedi. ». Zweiter Ahsclmitt.
Mathematik., in Zeitsch. d. deutsch. morg. GeseJlscli. LI Bd, III Heft,
p. 426-431.
(4) H. Suter: Die Araber nls Vermittler der Wissenscbaften und
deren Uebergang rnn Orient in den Occident. Vortrag, Gehcdten an
der .94. laliresrersanunlunq des Vereins sclnveiz. Gyninasialle^ rer,
in Baden am 30 Sejit. J89i.'Zio. Aufl. 1 brocli., 32 pp.' Aarau. 1897.
(5) Salih Zéky Efendi : Notation algébrique chez- les Orientaux, in
Journ. Asiat., 9» sér., t. XI, n" 1, janv.-fév., p. 35 seq.
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE L'ISLAM MAGHRTBIN 59
vrai, imité les Grecs. Mais ils ont été plus loin qu'eux. Ils ont
enrichi l'algèbre tant par des découvertes importantes que par
l'adoption d'un système très développé de notation ». —
MM. Beslhorn et Heiberg* ont continué leur édition d'un
commentaire arabe des éléments d'Euclide (l), d'après un
manuscrit de Leyde (2).
La remarquable traduction de la Senoussia donnée par M.
Luciani a motivé un article de M. G. Delphin (3j dans le Jour-
nal Asiatique. Suivant l'auteur la a.qidat-a&-çoughrâem^v\in\.e
son nom à un terme du syllogisme, parce qu'elle fait suite à
la /îowb^'â et à l'oHstô. Dans l'impossibilité où nous sommée,
vu notre manque de compétence spéciale d'analyser ici l'article
du savant directeur de la Médersa d'Alger, contentons-nous
d'en citer ce fragment : m Si dans Senoussi, on retrouve 'ins-
piration de certains passages de Platon et d'Aristote, il n'est
guère probable qu'il ait bien connu ces deux philosophes
dans l'ensemble de leur doctrine. Ce qu'il y a de plus remar-
quable chez cet auteur, c'est la netteté avec laquelle il déve-
loppe les principaux problèmes théologiques qui agitaient
l'Ecole. Son mérite est de les avoir étudiés avec un sens
philosophique inconstestable, ne s'en tenant point seulement
aux mots, comme beaucoup de ses contemporains. Il était, du
reste, en grand progrès sur son époque et c'est faire de son
livre un éloge qui a sa valeur que de constater qu'il nous a
conduits plusieurs fois au seuil de la philosophie moderne.»
Signalons en terminant ce paragraphe les variantes que
vient de donner M. Fausto Lasinio (4), d'après un manuscrit
de Leyde dont il n'avait pas eu connaissance en 1872, à son
édition du Commentaire d'Ibn Rochd sur la Poétique d'Aris-
tote (5).-
(1) Besthorn et J. L. Heiberg: Codçc Leideni^U S99. /. Euclidis
elementa ex interpretatione al Hadsclidsc/ia'lschii. Kjobjnhavn, Gy.-
dendal.
^2) Signalons ici une étude sur la chimie aralie insérée par M. Ber-
THELOT dans son livre Science et Morale, p. 416-45? ' 1 vol. f^'. 518 pp.,
Pari.s. 1897). étudt' fort inléressaute à raison de la compétenc.i spéciale de
l'auteur, mais dépourvue d ; toutes référfînc'^s (renseignement ajouté en
cours d.'imprension).
(3) G. Delphin : La phUosojilde du Cheildi Senoussi. in Journ asiat
9" sér., t. rx, n" 2, sepl.-oct. 1897.
(4) Fausto Lasinio : Studj sopra Arerroe. in Ginrn. délia Sor.
Asiat. ital., vol. X.I, 1807-I89.S p. 141-1.^?.
(5) Voy. infrà. le compd^-rendu de l'édition (avec traduclion') que \I.
René Basset vient de <lonnerile la vrsion arabe du Tahleau de Cchùs.
(p. 1151.
60 BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE L'ISLAM MAGHRIBIN
V. — DROIT MUSULMAN
Nos orientalistes n'ont jusqu'ici que fort peu travaillé les
ouçoul al fiqh (1) (-^tz H J^^ î ). C"est cependant une branche
des connaissances musulmanes qu'il est indispensable de
cultiver si l'on veut bien comprendre l'esprit de l'islamisme et
le sens de son évolution. Aussi les orientalistes, non moins
que les jurisconsultes, accueilleront-ils avec faveur l'article
que vient de donner à ce sujet M. Snouck Hurgronje (2). On
n'avait jusqu'ici en français sur ces matières qu'un seul ou-
vrage étendu : nous voulons parler de la Théorie du droit
musulman de Sawas-Pacha, ouvrage intéressant, mais com-
posé un peu en dehors des règles de la méthode scientifique
européenne.
Un compte-rendu détaillé en fut donné en 1893 par
M. Ignace Goldziher dans le Byzantinische Zeitschrift (3),
compte-rendu dans lequel le savant orientaliste relevait un
certain nombre d'imperfections et d'erreurs. Sawas-Pacha
n'accepta point les reproches de M. Goldziher auquel il
répondit par un mémoire fort aigre (4). L'article de M. Snouck
Hurgronje, dont nous entretenons nos lecteurs en ce moment,
est en prin-cipe une réplique à Sawas-Pacha; mais à ce propos
l'auteuf a méthodiquement exposé ses idées sur les fondements
du droit musulman, en sorte que sous couleur de critiquer
Sawas-Pacha, l'érudit hollandais nous a donné un mémoire de
fond ; car, bien qu'il déclare que son article est écrit en vue
de ceux qui, sans s'occuper spécialement d'orientalisme,
s'intéressent à l'évolution de l'Islamisme, il n'est pas douteux
que même de vieux arabisants trouvent profit à le lire.
On sait que les quatre sources du droit musulman sont : le
Coran ( \î yS), la sounna ( Aà^), Vidjmâ' ( 9''^^) et le qiyâs (, ^^.La).
Au sujet du Coran, M. Sn. H. rappelle qu'il a déjà établi que
primitivement ce mot signifiait « récitation » et non pas
«lecture». Il s'élève avec insistance contre l'erreur, si
répandue ici, dans le public, que les cadis musulmans jugent
d'après le Coran. « Il est vrai que de tout temps, les cadis ont
(1) Il se prépare en ce moment, pour paraître dans la collection d'ou-
vrages arabes à l'usage des médersas. une traduction d'un des traités
d'ouçoul les plus répandus, le si.j'Kc^J ^ç^.
(2) Le droit musulman, par Snouck Hurgronje, in Rev. Hist. ReL,
19- ann., t. XXXVH, n- 1-2, p. 1 et p. 165.
(3) Byzant. Zeitsch., II, 1897, pp. 317-325.
(4) Le droit musulman expliqué. Réponse à un article de M. Ignace
Goldzitier, par Sawas-Pacha, ancien ministre des Affaires étrangères
de Turquie. Paris 1896.
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE l'ISLAM MAGHRIBIN 61
cité des passages du Coran, mais ils ne peuvent les utiliser
que sous le couvert de l'autorité des ouvrages juridiques par
lesquels ils sont liés ; tout comme un théologien catholique
ne pourra dérivei' des Ecritures les loci probantes d'un dogme
qu'en suivant la loi de l'Eglise » (p. 5 du t. à p.)
En ce qui concerne la tradition, l'auteur insiste bien sur ce
point que les h'adits n'ont aucune valeur comme témoignages
directs de la vie de Mohammed ; on doit, comme l'a démontré
M. Goldziher (i), les considérer seulement comme l'exposé
d'opinions qui régnaient dans tel ou tel groupe ou école (p. 8)
Chaque école avait ses collections de traditions et la grande
autorité qui s'attache à quelques recueils vient de ce qu'ils
représentaient les doctrines qui peu à peu avaient reçu
l'estampille de l'orthodoxie. On voit par là combien est fausse
cette idée, si répandue chez les orientalistes, que ce fut
l'abondance et la dilfusion des matériaux qui déterminèrent
quelques traditionnistes à fixer définitivement la soiinna. La
grande autorité qui s'attache aux six çaJiili et à quelques
autres ouvrages an-^.logues n'a pas sa source dans la person-
nalité de leurs auteurs: elle tient seulement aux circonstances
historiques qui tirent triompher les doctrines qu'ils profes-
saient (pp. i2-l3).
Les pages consacrées à ridjmâ' par M. Sn. H. sont des plus
intéressantes: il montre comment, lorsque les hérésies et le
scepticisme envahirent l'Islam, il ne suffit plus d'en appeler à
h. parole de Dieu et à la tradition. Car l'anthenlicilé même
de ces deux sources était contestée ; comment dans ces condi-
tions garantir l'authenticité du Coran lui-même ? comment
prouver que les interprétations qu'on en donnait étaient les
bonnes? pourquoi les hadits n'auraient-ils pas été rapportés
inexactement ou expliqués arbitrairement? <■ De même que
l'Eglise catholif|ue, cherchant une source de vérité toujours
accessible, en vint à se déclarer infaillible, de même la corn-*
inunauté musulmane fut amenée à se déclarer élevée au-dessus
de toute erreur ». En réalité l'Idjinà' est «l'axiome fondamen-
tal du dogme et du droit dans l'Islam » ; seule, elle met fin au
doute. C'est donc à tort que les musulmans cherchent à la
légitimer par le Coran et la Sounna, puisque seule elle peut
garantir ce même Coran et <'-.(.'tte même Sounna (pp. 15-16).
Les ouvrages d'ourunt la définissent : « l'unanimité des savants
d'une époque déterminée concernant une détermination juri-
dique » (p. 24). Nous avons dit « des samints » ; après les
quatre premiers khalifes : en effet les Ibuqahâ '^ .^^s) s'oppo
sèrent de plus en plus aux Oumarà {^\ r.4). Ceux-là formèrent
d'abord de nombreuses écoles (^_^^ ' ^^) qui se réduisirent
finalement à quatre, en somme peu différentes les unes des
(Ij Dalis le 11'' vol. de. Muhammedanisclie Studien.
62 BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE l'ISLAM MAGHRIBIN
autres ; encore ces différences (c^.Ls jl-'^wt) sont-elles données
comme nécessaires. Le désaccord doit exister ; un h'adits l'a
prédit ; la partialité en faveur de telle ou telle des quatre
écoles, ._.-~ajti', est blâmable. Le Mizâne du célèbre Ech-Gha'rànî
est consacré à démontrer que les quatre ynadzhahs sont égale-
ment vrais et se complètent pour s'adapter aux divers besoins
des sociétés musulmanes.
La connaissance du droit tel qu'il est exposé dans les ouvra-
ges classiques de chaque école du fiqh est la base de toute
instruction musulmane : l'étude du Coran et de la Sounna est
accessoire. Ainsi pour nos malékites africains, l'étude de quel
ques traités, parmi lesquels il faut placer au premier rang le
Moukhtaçar de Khelîl ben Ishaq est fondamentale : aussi
appellent-ils toujours celui-ci Sidi Khelîl, par respect.
Quant au rpyds, M. Su. H. remarque avec beaucoup de
raison qu'il n'a pas sa place marquée parmi les fondements du
droit. Il n'est pas autre chose que la logique et spécialement
le genre d'induction appelé analogie, appliqué à l'élude des
autres sources. Il n'a pas plus de titre à être un açl-al-fiqh que
la grammaire par exemple. Pourquoi donc l'a-t-on placé sur
le même rang que les autres ouçoiil ? c'est simplement un
souvenir des luttes violentes que se livrèrent entre elles les
écoles qui défféraient les unes des autres par l'usage plus ou
moins grand qu'elles faisaient du raisonnement analogique.
Avec autant de raison on aurait pu admettre au nombre des
fondements du droit le Rai ( ^^j) qui n'est autre que le bon
sens appliqué aux cas qui se trouvent sans analogues dans le
Coran ou la Sounna. Il eut été plus rationnel de mettre au
nombre des sources, la 'âda (ï:>lc) ou 'ourf (^ ^j^), c'est-à-
dire la coutume. Mais quoique admise par tous, elle ne fut
jamais comptée parmi les ouçoul al fiqh.
La fin du mémoire de M. Sn. H. est spécialement consacrée
à critiquer l'ouvrage précité de Sawas-Pacha. Le savant hollan-
dais est particulièrement dur pour Tex-ministre de Turquie,
mais il faut avouer que ses virulentes critiques portent juste.
Nous n'avons pas à les analyser : notons seulement au passage
la phrase suivante qui semble représenter les conclusions
de l'auteur, conclusions d'un haut intérêt, puisqu'elle émane
d'un orientaliste de premier ordre qui a passé sa vie parmi
les musulmans, depuis ceux du Hidjaz jusqu'cà ceux de
rinsulinde : « L'influence de la loi musulmane, à moins de
changements politiques tout à fait imprévus, sera longtemps
encore très grande dans le domaine pédagogique ; sur le
terrain pratique il lui faudra reculer devant des principes dont
elle ne peut s'accommoder sous peine de se transformer de
fond en comble. De plus, à la longue, dans de pareilles condi-
tions, le zèle pour l'étude de la loi se ralentira, et on l'étudiera
moins. Provisoirement pourtant, les rabbins musulmans
peuvent dormir tranquilles de ce côté-là » (p. M).
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE l'ISLAM MAGHRIBIN 63
La Revue Algérienne et Tunisienne de législation et de juris-
prudence est avaiU tout un journal rapportant la jur'isprudence
des tribunaux algériens : on n'y trouve pas les contributions à
l'étude du droit" musulman qu'on serait autorisé à chercher
dans une Revue publiée par l'Fxole Supérieure de Droit d'Alger.
Nous ne trouvons, à ce point de vue, que trois articles à
y relever, pour la période qui nous occupe. — L'un est un
mémoire de M. Marcel Morand sur l'autorité de la chose jugée
en droit musulman (1). On admettait que la -maxime tes
judicata pro veritate Juihetur n'était j as d'une application
générale en droit musulman. Dans une étude très serrée,
M. M. M. établit, par des arguments puisés chez les juris-
consultes arabes et accompagnés de toutes les références
nécessaires aux textes originaux, que la présomption de vérité
qui s'attache aux jugements rendus en matière musulmane est
en principe définitive. — L'autre article est une deuxième
étude de M. Mercier (2) sur le hobovs ou ivaqf, à propos
du récent ouvrage de M. Clavel (Le ouahf ou hobous. 2 vol.,
Le Caire, 1896) Une controverse s'est élevée entre ces deux
savants au sujet de la théorie du hobous ; il semble bien que
M. Mercier, avec sa grande pratique des textes juridiques
arabes, ait. raison sur M. Clavel, mais nous ne pouvons analyser
ici, même sommairement, sou article. — Le troisième article est
encore une étude sur le hobous, par M. Eyssautier (3). Ce
nouveau travail est consacré à élucider la question suivante :
Le liohous est-il frappé de caducité au préjudice des dévolutaires
i7ttermédiaires et du dévolutaire définitif par Valiénation
totale ow partielle des biens ^reut's? Contrairement aux conclu-
sions de M. Mercier, M. E. résout la question négativement. —
On pourra encore lire, comme se rattachant à cette question
des hobous la note signée H. B. sur la réforme de la législation
des biens hobous en Tunisie (4) et parue dans les Questions
diplomatiques et coloniales.
On lira avec intérêt l'article de M. Mercier sur la bechâra(f));
l'auteur y fait un expbsé clair et précis de cette institution
qu'il compare au malandrinaggio de Sicile. M. Clavel a
retrouvé dans Diodore de Sicile un passage relatif à la
becbàra qui doit être du reste une institution aussi vieille
que les voleurs eux-mêmes. M. Mercier semble penser, et avec
raison, que la jurisprudence des tribunaux vis-à-vis des
(1) M. Morand : De l'autoriti' de la chose jugée en droit musulman,
In Rev . AIq. et Tvn. de U'cj. et de jurisp , i;i'= antj., 189/. oct.-no\ .
(2) Mercier : Deuxième étude sur le /lobous ou ouahf. in Rer. Alg. et
Tun. de lég. et de jurisp., 13" ann., aoùt-sept. 1^97, p. 113 seq.
(3) Eyssautier: La propriété foncière en Algérie (le liahous) in
Rev. Alg. et Tun. de lég. et de jurisp , 1898. \t ann.. p. 13-54 (ir- de
juin et de juillet .
( '0 H. B. : La réforme de la législation des l)iens /ujhous en 'l'xmisie,
in Questions dt/plomatiques et coloniales, 2" ann., n" 311. 15 m.TÏ 1898, p. 78.
(5) Mercier : La BeclUir.i, in Union Islamique, n° 1, 1897, p. 7.
64 BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE L'ISLAM MAGHRIBIN
becchârs, si elle sauvegarde les principes, est très onéreuse
pour les colons.
Dans sa notice sur la gestation à long terme (1) en droit
musulman, M. Abdallah ben Caïd A mor a étudié au point de
vue scientitique cette disposition de droit musulman qui
permet de considérer l'enfant comme endormi dans le sein de
sa mère et de porter ainsi légalement la durée de la grossesse
jusqu'à quatre et même cinq ans. M. Abd. s'est appliqué, en
rappelant surtout les faits de télégonie bien constatés, à démon-
trer que la science ne contredisait pas nécessairement cette
disposition.
A part ces articles de revues, nous n'avons à citer en fran-
çais, pour la période que nous embrassons, qu'un seul ouvrage
d'érudition sur le doit musulman (2). Encore n'est-il pas
l'œuvre d'un arabisant algérien. Il paraît que ce n'est pas
encore une vérité banale ici que ceux qui travaillent spéciale-
ment, par goût ou par profession, le droit musulman, doivent
nécessairement connaître la langue arabe. On sourirait de celui
qui prétendrait étudier ou enseigner le droit romain, s'il ne
connaissait pas le latin; quand il s'agit d'arabe tout cela est
changé. Aussi sommes-nous relativement dépourvus en Algérie
de bons ouvrages sur le droit musulman. Une des parties les
plus arides et les plus difficiles de celte étude est certainement
celle qui est relative aux successions ; les jurisconsultes arabes
en ont fait en quelque sorte une science à part. On ne peut pas
adresser à M. Marçais (3) le reproche de n'avoir pa- puisi'i aux
sources pour composer son ouvrage sur les successions musul-
manes. Certes, il a pu tirer un grand secdurs des ouvrages de
ses prédécesseurs, par exemple, du beau livre de M. Luciani
{Traité des Successions musulmanes oh intestat, Paris, 1890);
mais il a remonté aux sources mêmes, aux commentaires cora-
niques, aux recueils de traditions et à leurs commentateurs ;
il a fait mieux, il a recherché, à travers tous ces textes, quelle
pouvait être lk)rigine du droit successoral musulman dans la
coutume antéislamique.
La première partie de son ouvrage est exclusivement consa-
crée à cette étude (pp. 1-146) qui est des plus intéressantes.
Les femmes, aux temps de la Ai»-^ étaient privées de droits
successoraux, sauf la mère qui, par une sorte de survivance
de l'époque oii le matriarcat était le régime familial des
Bédouins, avait peut-être quelques droits. L'auteur incline
aussi à considérer l'mstilution des .^L:^ , "iV . . 3 (expression que
(1) Abdallah BEN Gaïd Amor : Essai médico-légal — Les gestations
à long terme et le droit musulman, v\ Union Islamique, 1, pp. 14-19.
(2^ La thès^e de M. Sorbier de PouGnadoresse: La justice française
en Tunisie, 1 vnl. XXIV. 43i p.. 8', Monipelliyr 1807. nous est inconuue ;
peut-être n'intéresse-t e le pas le droit musulman.
(3) W. :Marçais: De^ parents et alliés successV îles en droit musul-
man. 1 vol- 8», 195 p. Rennes, 1898.
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE L'iSLAM MAGHRIBIN 05
nous traduisons liabituellement par cognais) comme un ves-
tige de l'antique matriarcat arabe Au demeurant, il se range
à l'avis de R. Smith et pense que le matriarcat avait à peu
près complètement disparu au VIP siècle. Chemm faisant,
M. M. donne quelques indications sur la situation morale de
la femme avant l'Islam, indications qui sont des plus intéres-
santes, Toutes les assertions sont accompagnées de références
aux textes arabes eux-mêmes.
La 2e et la 3^ partie du livre sont consacrés à l'exposé des
règles successorales ; on n'attend pas que nous en donnions
ici même une simple analyse. Disons seulement que le travail
de M. M., écrit dans un style châtié se lit aisément et qu'on
est heureux de trouver, avec l'exposé de la doctrine, le détail
de sa genèse et l'historique des etïorts laits par les juriscon-
sultes pour coordonner en un système plus ou moins homo-
gène les règles du droit successoral.
On souhaiterait voir paraître souvent en Algérie des livres
aussi intéressants que celui que M. J. Ribera a consacré à
l'étude des origines de la. justice aragonnaise (1). Son livre est
destiné à prouver la thèse suivante : « Que la justice d'Aragon,
comme toute l'organisation judiciaire de ce peuple, procède,
par imitation ou par copie, de l'organisation judiciaire des
musulmans d'Espagne ». L'ouvrage est précédé d'une préface
de M. Fr. Codera ; il est écrit avec une grande méthode et d'une
lecture fort agréable. C'est la réunion de six conférences. La
première est consacrée à étudier les rapports des musulmans
et des chrétiens au moment de la domination des Béni Houd à
S^ragosse ; c'était une cour peu dévote, tout envahie par
la philosophie et le rationnalisme et où vivaient des savants
qui, comme Avenpace, étaient un objet d'horreur pour un
dévot musulman ; des traités se concluaient entre les arabes et
les chrétiens ; des mariages unissaient des princesses chré-
tiennes aux sultans mahométans. Les noms des poids, des
mesures, des monnaies arabes ont passé en espagnol ; des
mots comme hj^ (souq), marché, se trouvent dans le nom
d'une foule de rues, places, marchés à Alicante, Tolède, Valence,
Saragosse. L'organisation des armées d'Aragon elle-même,
longtemps regardée comme originale, fut copiée de celle des
Arabes ; l'auteur l'établit avec un grand luxe de preuves.
Dans la deuxième conférence, il examine successivement les
fonctions administratives et judiciaires dont le nom a passé de
l'arabe en espagnol (voy. entre autres, Valcalde, p. 77 seq.),
puis il recherche quelle peut être l'origine de la justice
aragonnaise ; après une discussion serrée, il ne trouve pas cette
origine dans les institutions européennes et il en conclut qu'il
faut la chercher dans la justice arabe des musulmans d'Espa-
(I) Julian Ribera : Origenes ciel Justicia de Aragon, t vol. Sara-
3sse. 1897.
gosse
66 BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE L'ISLAM MAGHRIBIN
gne, et particulièrement dans celle des états limitrophes du
royaume espagnol de Saragosse.
La troisième conférence est particulièrement intéressante :
M. J. R. y établit d'abord l'existence d'une justice musulmane
et indique quelles étaient ses raisons d'être et sa mission. Mais
cette organisation judiciaire est-elle d'origine islamique ? non,
les premiers khalifes ne l'ont pas connue, non plus que
l'Arabie antéislamique. Il y avait à côté de l'Arabie un
pays qui possédait une organisation judiciaire complète, c'était
la Perse: la justice arabe fut une imitation de la justice
persane (p. 125). Ainsi s'explique qa'Ali ait été le premier
khalife qui ait jugé les auteurs d'attentats. L'organisation ainsi
copiée de la Perse s'étendit à tous les pays musulmans, entra
en Espagne avec les Omeïades et s'y implanta. Or la justice
d'Aragon est absolument différente par son organisation et
par ses caractère? des institutions judiciaires européennes et
d'autre part, elle est absolument semblable dans ses principaux
traits à celle des Arabes d'Espagne. C'est ce que Fauteur établit
avec force (p. 140).
La quatrième conférence est employée à expliquer que la
justice aragonnaise, telle qu'on la connaît, n'aurait pu prendre
spontanément naissance dans l' Aragon, étant donnée la situa-
tion de ce pays. Examinant ensuite les différences qui existent
entre la justice arabe et la justice d'Aragon, l'auteur explique
d'où proviennent ces différences dans son système. Le cin-
quième chapitre traite de questions plus générales : M. .1. R.
y expose une théorie de l'imitation des institutions d'un peu-
ple par un autre ; il continu ^ dans la sixième conférence en
formulant les conditions générales de l'imitation. Puis il appli-
que les lois qu'il vient de découvrir ainsi à l'explication de la
justice aragonnaise par l'imitation de la justice musulmane.
Les pp. 301 à 330 sont à ce point de vue extrêmement intéres-
santes.
Enfin dans la septième et dernière conférence l'auteur cher-
che à prouver que les raisons qu il a données d'une façon géné-
rale pour soutenir sa thèse sont aussi concluantes que des
témoignages directs, et qu'un document même d'Alphonse le
Batailleur, déclarant que l'organisation judiciaire d'Aragon fut
empruntée aux Arabes, n'ajouterait rien de plus à sa démons-
tration. A ce propos, l'auteur se lance de nouveau dans des
considérations fort intéressantes d'ailleurs, sur la méthode
historique et sur le témoignage (p. 350). Comme on le voit,
les trois dernières conférences dépassent la portée première
de l'ouvrage. Peut être y a-t-il là un léger défaut de propor
lions dans l'ensemble ; mais le lecteur à qui ce défaut vaut
d'intéressants développements sociologiques serait mal venu
à s'en plaindre. Quant à ce qui est de la thèse de l'auteur, il
serait fort téméraire à nous de prétendre à juger ces cosas de
Espana par nous-mêmes ; nous ne pouvons que nous retran-
cher derrière l'avis de M. Godera, le prince des orientalistes
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE L'ISLA.M MAGHRIBIN 67
espagnols, qui déclare qu'elle le satisfait entièrement. L'ou-
vrage de M. J. R. se termine par un appendice où figurent des
extraits d'Al Mawardi (A^jlii^.'! ^l^^sV), une étude sur les
capitulations aragonnaises et une autre sur diverses fonctions
judiciaires espagnoles d'origine arabe (1).
En dehors des ouvrages d'érudition, nous n'avons plus à
citer, en ce qui concerne le droit musulman, que la traduction*,
par M. J. Abribat, d'un traité de notariat publié en 1875 par
le Cheikh Mohammed El-Touàti, ouvrage dont nous n'avons
entendu dire que du bien ('2), et le Code civil musulman
de M. V. Meysonnasse (3), dans lequel l'auteur a cherché à
ranger les matières du droit musulman suivant l'ordre du code
civil français. Evidemment, une telle méthode a le défaut irré-
médiable d'empêcher l'étudiant de se rendre compte de l'esprit
général du droit musulman et de morceler ce qui, pour être
entièrement compris, ne saurait être divisé ; mais au point de
vue pratique, le livre pourra être fort utile à ceux qui, con-
naissant leur code civil français, voudront retouver rapide-
ment les dispositions légales correspondant à tel ou tel article
dans le droit musulman.
VI. — ISLAM DANS DIVERS PAYS MUSULMANS
(non compris l'Afrique Mineure) (4)
Dans un article d'une trentaine de pages, M. L. de Gonten-
son (5) passe en revue les divers pays musulmans et étudie la
situation de chacun deux, ainsi que l'avenir qui leur est
réservé.
Les Turcs, dit M. de Contenson. n'ont jamais été que des
soldats et ne paraissent ])as susceptibles de faire autre chose ;
les Arabes des villes de la Syrie et de la Mésopotamie semblent
(î) Nous aurions désiré vivement, mais nous n'avons pas 6u Toccasioa
de. voir l'article suivant : Lith. P. A., Le vecchie leggi comrnerciali
d'Italia imitano forse le musulmane? in Atti e Mem. d. R. Ace. di se.
d. '''adora, XIII, 181)7, pp. :iSb-6il.
(2) Le Cheikh Mohammed el Bachiret-Touati : Recueil de notions
de droit musulman (rite maléhi et rite lianéfi) et d'actes notariés,
traduit et annoté par .J. Abribat. Tunis. 1897.
(3) V. Meysonnasse : Code ciril musulman suivant le cadre du
code civil français, 1 vol. Paris, 1898.
(4) (Je chapitre, est nécessairement très incomplet. Il comprend surtout
les ouvrages faits en français ou intéressant indirectement l'Afrique du
Nord. Pour une énumérat'ion plus complète, voir VOrientalische Biblio-
graphie .
{h) L. DE Contenson: Les peuples musulmans, in Le Correspondant,
10 mai 1897, p. 442.
68 BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE L'ISLAM MAGHRIBIN
plongés dans une atmosphère de mort et d'insouciante apathie ;
les nomades arabes sont restés tels qu'ils étaient à l'origine de
l'Islam et, les conditions de leur vie ne paraissant pas devoir
changer de sitôt dans leurs déserts, ils resteront probablement
lo igtemps ce qu'ils sont aujourd'hui ; en Egypte, les idées
européennes ont violemment heurté la religion, qui ne paraît
pas s'en être tirée à bon compte et qui ne semble pas pouvoir
résister à l'assaut de la critique et du libre examen.
Parlant des extraordinaires progrès de l'Islam au Soudan,
l'auteur examine la valeur de la thèse, souvent soutenue, que
notre intérêt nous commande de favoriser en Afrique le déve-
loppement du mahométisme ; il s'efforcj de prouver que cette
thèse n'est pas juste et cite l'exemple de l'Algérie où la religion
creuse entre nous et les indigènes un infranchissable tossé.
Remarquons cependant qu'il resterait à prouver que les nègres
sont comparables aux indigènes algériens. L'auteur à ce propos
se demande ce que deviendra en Algérie, à côté de l'élément
colonisateur, le musulman des villes ou le kabyle des campa-
gnes, et il pose la question sans y répondre. Quatre ou cinq
lignes seulement sont consacrées au Maroc. Il n'y a pas lieu de
croire, selon M. de C, que l'islamisme arrivera à se ressaisir
dans le Turkestan où la russification est menée avec suite
et énergie. Le mahométisme hindou pourrait être plus redou-
table pour les Anglais. Mais il semble impossible que les
musulmans chinois arrivent à émerger de la masse des Célestes.
Aux Indes néerlandaises, au contraire, les musulmans semblent
faire de constants progrès, ainsi qu'aux Pbi'ippines où ils ont
mené la campagne contre les Espagnols. Mais en résumé aucun
peuple musulman ne parait à l'auteur capable de relever
victorieusement le drapeau de l'Islam ; pqurra-t-il y avoir une
réforme musulmane, un néo-mahométisme renouvelant les
dogmes surannés du Coran ? alors au lieu d'être un obstacle
au progrès, l'islamisme y ferait au contraire participer les
millions de fidèles qui le portent si profondément gravé dans
leurs cœurs. Mais l'auteur laisse au lecteur le soin de répondre
à la question. Quant à la conquête matérielle du monde de
rislam, elle se fera tout naturellement par l'armée pacifique
des ingénieurs et des capitalistes.
Dans [eur Album géograpliique Çl), MM. Marcel Dubois et
Camille Guy décrivent tour à tour les pays musulmans depuis
le Congo jusqu'à l'insulinde. Les divers types de ces pays sont
représentés par des gravures judicieusement choisies, et un
certain nombre de celles-ci sont intéressantes à notre point de
vue spécial (centres religieux, missions religieuses, etc.) A
noter cependant que la gravure de la pi. 16 ne parait pas re-
présenter la Mecque comme l'indique la légend3, mais plutôt un
campement de quelque endroit sacré des environs. La même lé-
(1) Marcel Uubois et Camille Guy : Album géographique, t. II ; Les
régions tropicales, [ vol., 244 p., Paris, 1897.
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE L'ISLAM MAGHRIBIN 69
gende dit : « Bien peu d'Européens ont pu atteindre cette ville
sacrée ; M. Courtellemonty a pénétré, en 1895, au prix de mille
dangers ». Du moment (juc l'on ne citait qu'un des voyageurs
qui a pénétré à la Mecque, M. Courtellemont était le dernier à
choisir, car si sa relation (1) est élégamment écrite et char-
mante à lire au point de vue impressionniste, son voyage est
certainement celui qui a le moins donné de résultats scientifi-
ques. La VII*^ livraison du tome III de VAlhum géograpJiique
(en cours de puhlication) contient quelques données intéres-
santes à notre point de vue (Maroc). Mais pourquoi écrire
encore les Berbères « Cheul » (,p. 109) ? De telles altérations
d'un nom très usuel ne sont pas permises aux géographes d'une
nation qui possède plus de la moitié de l'Afrique du Nord.
Hàtons-nous de dire du reste que ces critiques de détail
n'atteignent pas l'ensemble de l'œuvre si utile de MM. M. D.
et C. G.
M. Rouhi el Khalidi nous a donné un dénombrement intéres •
sant des Musulmans du monde entier (2). Malheureusement il
ne nous fait pas connaître très exactement les sources aux-
quelles il a puisé, ce qui fait que l'on hésite un peu sur le
de-^ré de confiance qu'il convient d'accorder définitivement
à sa statistique. Voici néanmoins les chiffres adoptés par l'au-
teur dans sa récapitulation générale :
Europe 10.749.448
.\sie 133.439.972
Afrique et Océan Indien 101 .031 .000
Océanie 37.035.000
Total 282.225.420
Le détail de ces chifïres ne laisse pas que d'être intéressant.
Observons cependant que l'auteur prend pour l'Algérie le
chiffre de 3.500.00, alors que le recensement de 1896, connu à
l'époque où a été écrit l'article, a donné celui de 3.764.076.
M. G. B. Pvossi a publié ses impressions de voyage dans l'Afri-
que du Nord, l'Egypte et le Yemen (3). En ce qui concerne la
première de ces régions, l'auteur n'a fait que traverser rapide-
ment la Tunisie et il n'y a pas grand chose à relever dans
cette partie de sa relation. Notons seulement des appréciations
comme celle-ci, toujours flatteuses pour notre amour-propre
(1) Gervais-Courtellemont : Mon voyage à la Mecque^ Paris, 1893.
(2) Rouhi el Khalidi : Statistique de l'univers musulman, in Rev.
de l'Isl., 2' ann., 1897, p. 113. — L'époque tardive à laquelle nous en
avons pris conraissaiice, nous oblige à renvoyer à la procliaine chroni-
que l'examen du travail, beaucoup plus complet, donné par M. H. Jansen
sur le même sujet, (Verbreitunçi des Islams).
(;<) G B. Rossi : Nei paesi d'Islam, in Barberia, in Egitto, il Pelle-
grino d'Islam, el Yemen. Impressioni e Ricordi. 1 vol. Rocca S.
Casciano, 1897, 8, 236 pp.— <.f Rossi : El Yemen avanti il Profeta, in
Rassegn. nationale, Florence, 16 juillet 1897.
8
70 BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE l'ISLAM MAGHRIBIN
national : « La France cherche à se créer ici de nouveaux
Français et tout fait prévoir qu'elle y réussira» (p. 17, il s'agit
de Mehdia). L'auteur aurait peut-être mieux fait de s'abstenir
de citations arabes, tellement il les transcrit d'une façon défec-
tueuse et incorrecte. Qui reconnaîtra -^^j-,, (J^^^ clans
hescuni arf 0X1 bien , ^L dans Uiià esc ou encore ^t ,^_QL±r-l^
dans musc /ro//"? (p. 21). La partie consacrée au pèlerinage est
celle qui offre le moindre intérêt : on y trouve un exposé des
rites du :^ qui n'a rien d'original. La partie de l'ouvrage con-
sacrée au Yémen, en revanche, est à retenir : l'auteiar y a
effectué un séjour en 1891, lors de l'insurrection qui marqua le
début de la guerre turco-arabe. On y trouve quelques détails
à noter sur la culture et l'origine du café (deux légendes à ce
sujet, p. 159 et p. 160), sur les habitations et les mosquées de
Sanàa (p. 183 seq, avec une gravure intéressante) et enfin un
historique de la guerre à laquelle nous avons fait allusion plus
haut.
M. de Landberg explore l'Arabie du Sud de la même façon
que M. Mouliéras explore le Maroc (1) ; placé comme celui-ci
aux portes du pays qu'il étudie, c'est d'Aden qu'il recueille sur
toute la région méridionale de la Péninsule les informations
les plus minutieuses et les plus intéressantes. Gomme le savant
professeur d'Oran, c'est à la source même que M. de Landberg
puise les trésors de renseignements qu'il livre aux orientalistes
d'Europe dans ses Arabica, dont le n° V vient de paraître (2) ;
c'est aux indigènes qu'il s'adresse directement, ce sont des
négociants, des laboureurs, de simples bédouins qui l'instrui-
sent de leurs propres mœurs et coutumes, de leur histoire, de
la configuration de leur pays, du nombre de leurs villages, de
l'organisation de leurs tribus, des particularités de leurs
dialectes. Non content de s'adresser au peuple, l'auteur est
aussi en relations avec les puissants de l'Arabie ; il entretient
une correspondance avec les petits sultans de ces pays.
Comme le Maroc Inconnu, les Arabica ont un caractère
presque encyclopédique et ils constituent comme celui-ci une
inépuisable mine de renseignements pour le géographe, le
linguiste, le folkeloriste, l'historien Nous voudrions
analyser ici ce V^ fascicule des Arabica, mais le cadre de cette
chronique ne nous permet pas d'en parler plus longuement (3) ;
nous tenions seulement à signaler le rapport qui existe entre
la méthode de travail de l'auteur et celle de M. Mouliéras ; à la
(1) Cf p. X.
(2) Comte de Landberg: Arabica. N" V., 1 vol , 320 pp., Leyde,
1898 (Nous devons nos remerciements à M. René Basset qui a eu l'obli-
geance de nous prêter cet ouvrage).
(3) A signaler cependant la très intéressante note sur Quelques ser-
ments et pratiques sacramentelles de l'Arabie qui occupe les pp. 123
à 176.
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE L'ISLAM MAGHRIBIN 71
condition d'être maniée par des maîtres comme eux, cette
métliode est de nature à rendre à la science les plus importants
services. — Nous ne pouvons, faute de l'avoir eu entre les
mains, que mentionner le voyage en Arabie* de M. Hirschqui
a parcouru le (( Mahraland » et le Hadramout (1). — Sous le
titre modeste d' Excursions au Yémen (2), MM. D. Gharnay et
A. Deflers ont publié un bon voyage, avec d'intéressantes
représentations de types bédouins et de paysages. Leur relation
se termine par des considérations sur la persistance, chez les
musulmans actuels, de l'architecture antéislamique, considé-
rations qui méritent vivement d'être lues. On s'étonne d'autre
part que les auteurs qui parlaient l'arabe traduisent « Marhàha »
par : « .le suis votre serviteur ».
On sait que le Sultan de Gonstantinople, le Chérif du Maroc
et l'Emir de Boukhara prétendent également au khalifat ;
mais le premier est celai qui est reconnu par le plus grand
nombre de croyants. M. Vambéry ayant dit que « le Sultan
est le Commandeur des Croyants et que sa position dans l'Islam
est supérieure à celle du pape dans la Chrétienté », Nawàb
Abdarrachid Khàn (3) s'est élevé contre cette thèse et a montré
avec raison que c'est là une grande exagération. Le sultaii est
le défenseur incontesté de la foi, mais une grande partie des
musulmans, sans parler des chi'ites, ne le reconnaissent pas
comme khalifat Allah (^^Ji 'À:.A=^). En outre sa position ne
ressemble en rien à celle du pape. — Sur ce sujet de la légitimité
du khalifat de Gonstantinople, on lira avec beaucoup d'intérêt,
un article de M. Malcolm Mac GoU sur les musulmans de l'Is-
lam et le Sultan (4). Les musulmans de l'Inde ont souvent
reconnu le Sultan comme, khalife et l'auteur se préoccupe des
dangers que cet état d'esprit pourrait faire courir à l'Angle-
terre. Il rappelle l'hostilité des musulmans sujets russes contre
le sultan et les avantages que la Russie retira de cette hostilité
lors de sa dernière guerre avec la Turquie.
M. Vambéry adonné un article (5) sur la Situation des Turcs
en Europe, article dans lequel il recherche quelles peuvent
être les causes du déclin de la Société turque : ils n'ont pas su
assimiler leurs sujets et c'est là, conclut l'auteur, la raison de
leur décadence.
(1) L. HiRSCH : Reisen in Sûd-Arabien, Mahraland und Hadraynôut.
Leyde. 1897.
(2) Désiré Gharnay et A. Deflers : Excursions au Yémen, in Tour
du Monde, n°* des 4 et It juin 1898 iiS et 24). — Cf DR Soc. de Géog. de
Paris, 1897, p. 413-416.
Ci) Nawab Abdurrashid Khan : Professor Vambéry on the Sultan,
in As. quat. Rev., III, 1897, p. 43U.
(4) Malcolm Mac Cull : The musulmans of India and the Sultan,
in Conte mporary Review, février 1897, p. 280-294.
(5) H. Vambéry: Die Stellung der Turken in Europa, in Geoo.
Ztitschr,, 1897, III, p. 249 seq.
72 BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE L'ISLAM MAGHRIBIN
Nous ne saurions naturellement songer un seul instant ici à
donner la liste même très-écourtée des ouvrages et des innom-
brables articles suscités par la question d'Orient, les massacres
d'Arménie (1), les troubles de Crète. Mentionnons seulement,
comme n'ayant aucun caractère politique et comme renfer-
mant des détails intéressants, la note de M. Ardaillon sur la
répartition des musulmans et des chrétiens en Crète (2).
C'est seulement par une analyse du Tour du Monde que
nous avons eu connaissance du travail de M. Hassert sur la
Haute Albanie (3). Nous extrayons de cette analyse le passage
suivant : « Les Albanais ne sont pas tous mahométans, il s'en
faut ; et même, assure le D"" Hassert, beaucoup de ceux qui se
sont convertis à l'islamisme, restent en secret catholiques.
Mais ce christianisme secret ou avoué consiste en une série
de pratiques plus païennes qu'évangéliques ».
Le livre de MM. Avelot et de la Nézière sur le Monténégro,
la Bosnie et l'Herzégovine (4) est avant tout un livre de tou-
riste ; on y glanera quelques détails sur les musulmans des
pays parcourus par les auteurs (5).
Nous ne sommes pas depuis assez longtemps à Tombouctou
pour que notre nouvelle possession ait été l'oi'jel de travaux
approfondis. En attendant on lira avec plaisir le livre de M.
Félix Dubois sur la capitale du Soudan ,6). Ce livre s'adresse
avant tout en grand public : il se lit facilement et l'œil est
retenu par les nombreuses et belles gravures qui illustrent le
texte. On n'y trouve que bien peu de détails sur l'Islam sou-
danais. La partie la plus importante du livre est consacrée à
l'histoire de Dienné et du royaume des Songhaïs. L'auteur in-
siste beaucoup sur l'origine égyptienne de ces populations et
sur les survivances de cultes égyptiens qui se retrouveraient
dans leur pratiques religieuses (p. 206). La plupart des détails
historiques donnés par l'auteur sont, dit-il, tirés du Tarikh-es-
Soûdân, dont-il s'est procuré une bonne copie et que M,
Hondas vient de publier (7). M. F. D. nous parait cependant
(1) Citons seulement, pour donner au moins une référence à ce sujet
l'article intitulé : La question arménienne, les nouveaux massacres,
les conversions forcées à l'Islam etc. in Reo. gen. de Droit internat,
public, 1897, juillet-août, n° 4, p. 533-57"?. L'tiistorien de l'Islam y trou-
vera de curieu.x détails et un bon résumé des faits.
(2) Ardaillon : Répartition des chrétiens et des musulmans dans
l'Ile de Crète, in Ann de Géog., VI, 1897. pp. 255-Î57, avec c.
(3) Ha.ssert : La Haute Albanie in Verhandl. d. Gesellsc/i. f. Erdk.
(analyse in Tour du Monde, 2 avril 1808, A travers le Monde, p. 112,
sans autre indication).
(4) H. AvELOT ET G. DE LA NÉZIÈRE : Monténégro, Bosnie, Herzé-
govine. 1 vol. 248 pp., Paris.
(5) Nous n'avons pas été à même de vérifier si, comme c'est probable,
le livre de M. AuerbaCH, Les races et les nationalités en Autriche-
Hongrie, 1 vol. 1898, Paris, coutenait des détails intéressant les popula-
tions musulmanes.
(6) Félix-Dubois; Tombouctou la Mystérieuse, 1 vol., Paris, 1897.
(7) Voy. infrA, p. 60.
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE L'iSLaM MAGHRIBIN 73
éprouver pour cet ouvrage un enthousiasme un peu excessif
quand il dit : a A le feuilleter, on goûte par moment le déli-
cat régal des pages d'Homère, d'Hérodote et de Froissart »
(p. 358 j.
Ailleurs il dit que le Tàrikh-es-Soûdân a été pour lui « un
guide charmeur et pittoresque à travers le Soudan ». On
éprouve cependant, malgré soi, quelque défiance à lire ce que
l'auteur en a extrait quand on voit la façon dont il défigure les
mots arabes. Est-ce une variété de prononciation locale qui
est cause que le titre du livre est constamment écrit Tarik-é-
Soudan ? (pp. iC2, 351, 353, etc.) Nous voulons bien croire
avec l'auteur que les bibliothèques soudaniennes furent jadis
d'une richesse extraordinaire, mais l'énumération des pp. 326-
327 n'est guère faite pour nous en donner une haute idée :
le Sahib (sic) de Bokhâri, le Djané (sic) d'Es-Soyouti, le
Sabib (sic) de Moslin (sic), VAlfiga (sic), les Chenail (sic) de
Tirmidzî, Sidi-Khelil, la Eisala d'Aboii Zeid, et, comme
ouvrages de littérature, les séances de Hariri et de Hamadâni !
Il est un peu téméraire, en s'appuyant sur cette seule énumé-
ration, de dire que les bibliothèques de Tombouctou
comprenaient presque toute la littérature arabe (p. 327). Les
incorrections qui précèdent doivent, évidemment, être mises
sur le compte de simples coquilles; mais elles sont réellement
un peu nouibreuses et un peu grosses ; p. ex., p. 334 :
« L'étudiant recevait un diplôme nommé adjaga (sic) ou
licence d'enseigner ». Ces défectuosités du reste n'empêchent
pas le livre d'être un excellent ouvrage de vulgarisation ;
quant aux spécialistes, ils, auraient mieux aimé un peu moins
d'érudition et un peu plus d'observation.
L'intéressante notice du Commandant de Lartigue, sur les
Maures du Sénégal et du iSoudan (1), ne contient sur la
religion que quelq^ues lignes peu importantes (2) — Il en est
de même du livre du Commandant Toutée (3). d'ailleurs bien
fait et intéressant ; on n'y trouve, au point de vue qui nous
occupe, que quelques maigres observations sur le caractère
du mahoméîisiiie des Noirs (p. ex., p. 65, p. 101, etc.) —
L'ouvrage de M. E. Hourst, dans lequel l'auteur a raconté son
voyage au Soudan, ne contient guère, à notre point de vue
spécial, que quelques détails qui répètent ce que Duveyrier
nous avait déjà appris sur les Touareg (4). — Entin, M. Saissy
a donné un court article de vulgarisation sur le fanatique qui
(1) Commandant R. de Lartigue : Notice sur les Maures du
Sénégal et du Soudan, in Renseign. colon, et docum., publiés par le
Com. de l'Afrique franc., 1897, n° 3, pp. 41-7'2.
(2) Voy. infrà, le compte-rendu du travail de M. Marcliand, p. 78.
<i) Commandant Toutée : Dahomé. Niger, Touareg, N'oies et récits
de vogage, 1 vol. 37U p., Paris.
(4) E. Hourst : Sur le Niger et nxi pays rie." Touareg, 1 vol. XII
— 479 pp., Paris 1898.
74 BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE L'ISLAM MAGHRIBIN
gouverne actuellement le Bornou (1) et une notice plus
étendue a été publiée par M. J. Daunis sur le même sujet (2).
Signalons encore, pour mémoire, et, comme échappant un
peu à notre cadre, les souvenirs de M. Cl. Huart* sur la ville
de Konia (3).
VII. — L'ISLAMISME ET LE CHRISTIANISME
(Mission, Réforme)
Les Principes de colonisation (4), de M. de Lanessan, sont
un livre intéressant, auquel la renommée de l'auteur, à la fois
naturaliste et homme politique, professeur à la Faculté de
médecine de Paris, puis Gouverneur général de l'Indo-Chine.
donne une haute portée. Bien que, dans son ensemble, il ne se
rapporte pas directement à notre sujet, cependant on lira avec
fruit le chapitre V, intitulé : « De la conduite à tenir envers
les indigènes au point de vue du respect des personnes,
des propriétés, de la religion, des mœurs et des coutumes
sociales », On y verra un remarquable exposé des raisons qui,
d'après l'auteur, rendent les missions catholiques moins
profitables à leur métropole que les missions protestantes.
Les catholiques recrutent surtout leurs adhérents dans les
classes pauvres, les protestants dans les classes supérieures.
Les catholiques apprennent avant toutes choses aux indigènes
le latin, et se préoccupent peu de leur enseigner le français ;
les protestants n'enseignent que leur propre langue nationale.
Les catholiques donnent de sublimes exemples d'humilité,
vivent de la vie, souvent misérable, des indigènes ; renonçant
à tout retour dans leur patrie, ils s'assimilent, pour ainsi dire,
à ces indigènes, n'ayant pour unique but que de leur commu-
niquer leur foi ; les protestants, au contraire, cherchent à
les amener à leur civilisation. D'ailleurs, d'une façon générale,
M. de Lanessan est opposé à la mission chez les peuples en
partie civilisés et attachés à leur religion, ce qui est le cas
de l'Algérie. Bien que n'ayant pas été écrites en vue de
l'Afrique du Nord, ces pages sont cependant fort instructives
pour tous ceux qui s'intéressent à nos questions indigènes.
M. Goldziher ne paraît pas croire à la possibilité d'évangéliser
les musulmans, si l'on s'en tient au titre de l'article qu'il
(1) A. Saissy ; L'énigme africaine. Rahah, in Vie alg. et tun.,
1897, p. 52.
(2) J. Daunis . Un conquérant soudanais, in Rev. de Paris,
15 janvier 1897.
(3) Cl. Huart : Konia, la ville des derviches tourneurs, Soxivenirs
d'un voyage en Asie-Mineure. Paris, 1897.
(4; G.-L. DE Lanessan : Principes de colonisation, 1 vol.
280 p., Paris, 1897.
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE L'ISLAM MAGHRIBIN 75
a publié sur la résistance de l'Islam à l'influencé chrétienne *
et que nous n'avons pu nous procurer ici (1).
Il n'en est pas de même de M. Schreiber, dont l'article sur
« l'Islam et la mission évangélique » (2) est la reproduction
d'une conférence qu'il avait faite à Halle. M. Schr. commence
par remarquer que l'œuvre des missions chrétiennes est beau-
coup moins avancée chez les peuples musulmans que chez les
autres, à cause de l'obstacle que mettent les gouvernements à
la conversion de leurs sujets. La religion musulmane, continue-
t-il, est du reste la seule religion avec le christianisme, qui
prétende à être universelle (p. 2 du t. à p.) C'est aussi la seule
actuellement, en dehors du christianisme, qui fasse des progrès.
Examinant ensuite la thèse d'après laquelle l'Islam pourrait
être considéré comme une religion aplanissant les voies au
christianisme, thèse brillamment soutenue chez nous par
M, de Castries (3), M. Schr. la combat vivement (pp. 2-7) Sans
doute, dit-il, l'Islamisme est encore la meilleure religion pour
ceux qui ne connaissent pas la religion chrétienne, mais elle
ne peut soutenir la comparaison avec cette dernière. Et il se
met aussitôt à reprocher à l'Islam sa sécheresse, son manque
d'amour, son fatalisme, les mœurs relâchées et la cruauté du
Prophète, le fanatisme qui vient de causer les épouvantables
boucheries d'Arménie, le manque de charité. Il représente
le mahométisme comme inapte à évoluer et signale éga-
lement les obstacles qu'oppose à sa propagation le fait que la
langue liturgique est nécessairement l'arabe. Il faut voir,
suivant l'auieur, dans l'Islam l'ennemi juré et irréconciliable
de la chrétienté, une religion fanatique et incapable d'aucune
tolérance (p. 8). Les peuples qui ont embrassé l'Islam sont
d'une moralité inférieure ; leur cruauté et leur manque de
bonne foi sont passés en proverbe Gomme programme d'action,
M. Schr. déclare (p. 10) que la mission doit se proposer deux
objectifs : l" prévenir l'Islam là où il fait des progrès parmi les
peuples pa'iens ; 2'^ ailleurs le combattre, l'évangile en main,
beaucoup plus énergiquement qu'on a fait jusqu'ici.
L'auteur jette ensuite un coup d'œil sur la situation de la
mission évangélique dans chacun des pays de l'Islam ; nous ne
pouvons le suivre dans cette revue. Indiquons seulement ce
qu'il rapporte au sujet de l'Afrique du Nord ; « A Tunis et à
Alger, déclare -t-il en substance, des missions anglaises tra-
vaillent, mais les résultats sont à peine sensibles, quoique les
convertis ne courent aucun risque sous la domination fran-
çaise » (p. 11). Il y a quelques détails intéressant à propos de
(1) GOLDZiHER ; Die Ujizur/aenglichkeit des Islams fur christliche,
Einflûsse. Warte des Tempels, LU, p. 389 seq.
(2) A. Schreiber : Der Islam und die erangelische Mission^Vortrag
gehalten auf der Prnrinzial-Missions-Konfertnz in Halle, \n Allf/.
Missions-Zeitschrift, XXIV pp. 145-150 et t. à p., Berlin, 1897.
Ci) L'Islam, impressions et études, 1 vol., Paris, 1896.
76 BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE L'ISLA.M MAGHRIBIN
l'Inde et de l'Insulinde. L'article se termine par des considé-
rations sur la politique du Sultan de Constantinople et les
massacres arméniens.
La note de M. Fr. Zeller sur l'Islam (1), dans ses rapports
avec la chrétienté*, est probablement conçue dans le même
esprit de prosélytisme.
Nous aurions été plus curieux encore de lire le travail de
M. Schneider (2) sur les kabyles et le christianisme * ; on sait
en effet combien, pendant ces dernières années les agisse-
ments des missions protestantes anglaises en Kabylie ont, à juste
titre, préoccupé le Gouvernement français. La presse quoti-
dienne a rempli à ce sujet pendant de longs mois d'innombrables
colonnes : M. Saint-Germain, alors député d'Oran, s'était fait
le promoteur de la campagne contre les missions protestantes
et il a donné dans la Vie Algérienne et Tunisienne un article
qu'on lira avec intérêt (3).
Si les missions chrétiennes cherchent à convertir les musul-
mans, ceux-ci d'autre part n'ont pas cessé de faire du prosély-
tisme. Bien mieux, dans ces derniers temps, on a vu chez les
nations d'occident des groupes d'individus se jeter dans l'isla-
misme, soit par pur dilettantisme, soit par l'instinctif besoin de
se raccrocher à une foi quelconque au moment où toutes les
croyances sombrent et où toutes les certitudes semblent préci-
pitées dans l'abîme des contingences. M. Lucien Heudebert nous
donne quelques détails sur le groupe des néo-musulmans de
Liverpool (4). Il y a là-bas une mosquée et plusieurs centaines
de fidèles dont le chef, M. Quilliam, s'intitule cheikh el Islam
des Iles Britanniques. Ce dernier est même l'auteur d'un ou-
vrage d'apologétique musulmane traduit en arabe et imprimé au
Caire, dont nous donnons le titre en note (5). A Paris, où il y a
déjà une colonie musulmane assez importante, et où il y aura
(1) Friedr. Zelleb ; Der Islam in s. Verhaeltn. z. Christentum, in
Christl. Orient, I, pp. 1U8-1U9.
(T) Voir Die Kabylen und das Christentum (anonyme?) in Glohus,
LXXI, p. 36i, (nacïi Schneider, Cbl. f. d. ges. kath. Missionsthaetiq-
keit in AfriLa, 1897, p 143).
(3) De Saint-Germain : Ces bons ctranqers, in Vie alq. et tun.. 1897,
p. 19.
(4) Lucien Heudebert : L'Islam, en Angleterre, in Rei\ de l'Islam
3' ann., n- 17. 1898. p. 28.
(5) Ljjî rUIc O'loL^^j.5'3 ^c ^J\^i^_^iJS' ji^^Im.^ 5j.^i;tJ|
y '^A^V 9 \(-\ù A.v«, Jjjf J<xS L-te-X^ J,l*)
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE L'ISLAM MAGHRIBIN 77
bientôt une mosquée (i), on dit que quelques français ont
adhéré à la rtîligion du Prophète. Parmi ceux de nos compa-
triotes qui ont embrassé la religion d'Allah, il faut mettre au
premier rang le député Grenier dont les faits et gestes ont,
pendant de longs mois, défrayé la chronique des journaux
quotidiens ; il s est surtout distingué par l'ardeur de ses con-
victions et l'enthousiasme avec lequel il les manifestait. La
Revue de l'Islam rendant compte d'une réunion de musul-
mans qui eut lieu à Paris, sous la présidence du député de
Pontarlier (2), donnait ce détail assez piquant : « Si l'on n'eût
su que l'on se Trouvait parmi des Egyptiens, des Persans, des
Tunisiens, des Arabes, des Turcs, l'on eût pris ces jeunes
gens en frac ou en habit, courtois et corrects, pour des Pari-
siens de la meilleure souche. Le D'' Grenier et son secrétaire
étaient d'ailleurs /-es seids qui fussent venus en costume africain».
Le cas du Docteur Grenier a beaucoup occupé, pendant
l'année 1897, les indigènes algériens : il ne paraît pas cependant
que ce nouveau moutanahbi ait eu une grande influence sur
ses coreligionnaires africains. En tout cas il n'a pas eu le temps
de propager son islam réformé à la Chambre, les électeurs de
Pontarlier n'ayant pas jugé à propos de confier un nouveau
mandat à ce Luther enturbanné comme l'appelait un de nos
excellents arabisants d'Algérie. Il a toutefois exposé ses idées
dans la Revue Algérienne (B). Ces idées ne sont pas toujours
très raisonnables. M. Ph. Grenier est non seulement musul
man, mais encore spirite. Il mélange l'occultisme et le
mahométisme ; c'est ainsi qu'il voit dans le Prophète une
réincarnation de Jésus Christ. Il a même trouvé la preuve de
cette assertion dans le Coran qui, dit-il « est un livre magnifi-
que, mais incompris jusqu'à notre époque par la plupart des
exégètes et des traducteurs européens ». L'ex-député de
Poniarlier y a trouvé bien d'autres choses à travers la traduc-
tion de Kasimirsky, qui n'en peut mais. Il faut dire qu'il
interprète cette traduction à sa façon. Il trouve que le Coran
est c( un dédale de paraboles et de métaphores ». Il réclame le
droit de l'interpréter à sa guise ; mais franchement il abuse de
ce droit et ses conceptions dépassent trop la portée de l'exégèse
pour relever de la critique spéciale des orientalistes ; son cas
peut intéresser le psychologue, non l'arabisant (4).
(I ) Nous n'avons pas lu un article de M. Hugues le Roux': Mahomet
à Paris, in ('.osmopolii^. 1807. I, p. 810.
('2) Gaston Uujarric : La colonie musulmane à Paris et le D'
Grenier, in Rev. de l'Islam, '2" ann.. avril 1897 (siippiém-nt au a- 17).
^3] Philippe (îrenieh : Judaïsme, christianisme et islammme, in
Rev. Alg., 2" sem. 18'J8. pp. 353, 385. 117, 449, ôl'i, 545.
(i) Parmi les innombrables articles de revues auxquels a donné lieu le
iéputi^ musulman, releNons seulement les suivants qui ont paru dans des
périodiques consacrés à l'Alg-érie et h la Tunisie: Une répons.^ à farticle
préc.\\é( judaïsme, christiccnismeet islamisme) in Rev Alg.,\b\(i.. p. (i81,
réponse signée V. Menclet et (jui no contient o-iiére ([uè des alta([ues
personnelles et injurieuses. — Le Réformateur de l'Islam, par A. Mou-
liéras, in Vie Alg. et Tun.. 1897, p. 57(i, article plein d'esprit et de bon
sens. — Est-il musulman ? par P. R., ibid., p. 44. — Le Député musul-
man, par de Béhagle, in Alg. Nouv., 14 février 1897. — Le Député
niu3ulm,an, par Nielly, ibid.. 14 mars 1897.
78 BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE L'ISLAM MAGHRIBIN
VIII. - ISLAM DE L'AFRIQUE MINEURE
(Clergé, Maraboutisme, Confréries mystiques)
Le Maghrib a toujours été par excellence le pays des saints
et le maraboutisme y a fleuri de tout temps ; nous n'avons
cependant pour cette année aucun ouvrage spécial à signaler
sur le culte des saints dans la Berbérie, si ce n'est une très
courte note de M. Jacquot sur les sanctuaires de marabouts
établis en plein air dans la petite Kabylie et les poteries qu'on
y rencontre (1).
En revanche, la littérature des confréries religieuses est
comme toujours abondante ; mais l'événement capital en cette
matière est l'apparition du grand travail de MM. Depont et
Goppolani (2). L'étendue de cet ouvrage, le luxe avec lequel il
est édité, le haut patronage dont il a été honoré, le retentisse-
ment qu'il a eu, l'influence qu'il est appelé à avoir sur notre
politique religieuse vis-à-vis des indigènes, appellent autre
chose qu'une rapide analyse au cours d'un bulletin bibliogra-
phique. Nous nous proposons d'en donner prochainement un
compte-rendu spécial Cô). L'intention évidente des auteurs de
faire quelque chose de définitif, ainsi que l'ampleur du pro-
gramme qui comporte en somme l'histoire de l'Islam africain,
donnent le champ libre à la critique scientifique. L'apprécia-
tion de l'ouvrage est du reste une chose complexe, car à côté
de documents d'un prix inestimable et d'aperçus qui frappent
le lecteur par leur justesse, on y trouve quelques défaillances
qui proviennent, sans nul doute, de la rapidité avec laquelle
MM. D. etc. ont été tenus d'exécuter leur travail. Au reste,
l'impression d'ensemble reste favorable à l'œuvre et très
sympathique aux auteurs.
Nous avons reporté ici la mention du travail de M. Marchand
sur la Religion musulmane au Soudan français (4), qui aurait
dû p-endre place dans le paragraphe VI ; ce travail est en effet
presque exclusivement consacré à l'étude des confréries reli
gieuses. La première partie du mémoire contient des géné-
ralités sur l'islamisme et les ordres mystiques. L'auteur
a largement puisé dans l'ouvrage de M. Pann, Marabouts
et Khouan. Cette partie, sans doute fort utile aux fonc-
tionnaires du Soudan, qui ont besoin d'être mis au courant
(1) Jacquot : De certaines poteries religieuses hobyles, in Rec.
archéol. Constant., 1895-1896, p. IU9.
(2) Octave Depont et Xavier Goppolani : Les confréries religieuses
musulmanes, puljlié sous le patronai^e de M, J. Cambon, Gouv. génér.
de l'Algérie. 1 vol. 576 p. 1897, Alg-r.
(3) Aucune analyse critique de l'ouvrage n'a encore, à notre connais-
sance du moins, éié donnée dans une revue d'érudition française.
C4) Marchand: La religion musulmane au Soudan français, in Ren
geignements col. et doc. puhl. p. le Com. de l'Af. Franc., 1897, n- 4'
pp. 81-110.
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE L'ISLAM MAGHRIBIN 70
de la question, n'olTre pas, h notre point de vue, dorigi-
nalité. Il n'en est pas de même de la seconde partie, con-
sacrée à l'étude du mouvement de propagande musulmane
et de l'intluence des ordres religieux au Soudan, qui est des
plus intéressants et qui constitue le document le plus complet
publié sur cette matière. « L'islamisme au Soudan n'a pas cette
vitalité, cette iorce d'expansion et surtout ce fanatisme qui le
rendent redoutable dans l'Afrique méditerranéenne. Le nom-
bre des musulmans pratiquants est une minorité, bien que
celui des sectateurs du Coran soit considérable Ici point
de ces khouans mystiques que l'exaltation du sentiment reli-
gieux peut conduire aux pires excès. Au contraire, les vrais
croyants font généralement preuve d'un large esprit de tolé-
rance » (p. lOJ). Les populations les plus fanatiques sont les
Peubls qui exagèrent les prescriptions coraniques, « bien ditfé-
rents en cela de certaines tribus touaregs auxquelles on
reproche une tiédeur non déguisée » (p. 110). Les deux ordres
religieux les plus répandus sont les Qàdriya et les Tidjàniya ;
aucune autre association n'a au Soudan de représentants parmi
les populations noires. Dans le Sud, les ordres religieux n'ont
aucune intluence; dans le Nord, les Derqaoua, les Chadzeliya
et les Senoussiya ont réussi à s'infiltrer. Ces derniers nous
intéressent particulièrement à cause de l'extraordinaire légende
qu'on a créé autour d'eux. « Les khouans senoussiya de Tom-
bouctou, au nombre de dix, sont tous des commerçants du
Touàt ou d'Insalah, habitant la ville depuis quelques années
ou seulement de passage pour y commercer. Contrairement à
l'assertion donnée par Duveyrier, il n'existe pas de zajuïa
ppéciale aux Senoussiya à Tombouctou » (p. 108 j. On n'en est
plus à compter les exagérations de la brochure de Duveyrier
sur laquelle il n'y a aucun fond à faire. M Mardi, nous donne
d'intéressantes statistiques sur la situation religieuse des diffé-
rentes régions du Soudan. Une carte de la répartition des
musulmans au Soudan accompagne le travail et sera consultée
avec fruit.
Tous les ordres religieux ne nous sont^pas systématiquement
hostiles : il en est un certain nombre qui sont plus ou moins
ralliés à notre cause et sur lesquels s'appuie notre politique
indigène. De ce nombre sont les Taïbiya, les Chikhiya,
les Tidjàniya.
Les premiers ont été l'objet d'un récent article dans l'excel-
lent Bulletin du Comité de l'Afrique française (1). L'auteur
anonyme y fait un vif éloge de la politique suivie, depuis tantôt
sept ans, à l'égard de la Maison d'Ouazzàne sur laquelle
s'appuie presque exclusivement notre action au Maroc.
Tout en reconnaissant les résultats obtenus par cette politique
(t) Les chérifs d'Ouazzan, in Bul . Com. Afriq. franc., 1898,
pp. r2U-i"22. — (Jf. un autre article sur le même sujet, mais beaucoup
plus court, ibd., pp. 63-64.
80 BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE l'ISLAM MAGHRÏBIN
et les nombreux services que nous a rendus Ja Maison
d'Ouazzâne, il est permis de se demander si l'auteur n'exagère
pas légèrement l'influence des Taïbiya (1) et s'il serait
absolument prudent de faire de la protection de cette famille
le pivot de toute notre diplomatie au Maroc. Toutefois, il faut
bien reconnaître qu'il ne nous était pas possible de ne pas
prendre les Taïbiya sous notre protection et c'est avec
beaucoup de raison que l'auteur fait valoir que « si le chef des
Taïbiya s'était réclamé de la protection d'une autre ambassade,
les complications les plus inattendues se seraient produites,
car nous aurions vu la direction d'un ordre religieux, si
populaire en Algérie, entre les mains d'une puissance étran-
gère ». La politique que nous suivons est donc bonne et, du
reste, elle a déjà, comme le remarque notre auteur, porté ses
fruits. Ceci posé, il nous sera permis de faire quelques réserves
sur le passage oii l'auteur dit, en faisant allusion au mariage
du chérif d'Ouazzâne et à ses habitudes d'intempérance :
« Nous aurions dû savoir que l'alliance avec une chrétienne
n'entachait nullement la réputation de notre protégé, puisque
Mohammed, lui-même, le divin Prophète, choisit pour une de
ses épouses Marie la Copte, et qu'enfin, sans excuser certains
goûts du chérif, ou n'est pas sans ignorer qu'au Maroc, les
montagnards et tous les Chorfa qui, ainsi que ceux d'Ouazzâne,
ont du sang kabyle, ne se font aucun scrupule d'apprécier le
vin qu'ils fabriquent». D'abord Marie la Copte n'a jamais été
l'épouse de Mahomet, mais seulement sa concubine, ce qui est
fort différent (2). Ensuite, en eût il été ainsi que cela n'autorise-
rait en aucune façon les croyants à agir de même. On sait, en
effet, que les droits du Prophète sont complètement réservés
et que les traités de fiqh consacrent un chapitre spécial à
l'étude du droit particulier à Mahomet. C'est ce qu'on appelle
les khaçâïç (, va-;— r=y). Enfin il est d'autant moins besoin
d'invoquer dans l'espèce la conduite du Prophète que le
mariage d'un musulman avec une chrétienne est parfaitement
légal. Il convient cependant d'ajouter qu'il est considéré
comme «blâmable » (ij^). La grande autorité des malékites
de l'Atrique du Nord, nous voulons dire Sidi-Khelil (3), le
déclare formellement. Il n'est pas douteux, à notre sens, que
le mariage avec l'anglaise n'ait été de nature à déconsidérer le
chérif aux yeux des dévots et des fanatiques. Mais il faut
convenir aussi que l'influence qu'il a sur la foule est trop bien
assise pour avoir pu être ébranlée de ce chef. — Quant au fait
de boire du vin, il est vrai que nombre de marabouts boivent
l'eau-de-vie ou maKya sans aucune retenue et même avec
(1) Cf. MOULIÉRAS, Le Maroc Inconnu, 1" partie, pp. 38 et 39.
(2) M. Carra de Vaux, dans son ouvra.^e analysé plus haut Le
mahométisme, est tombé dans la même errpiir (p 47, note).
(3) Cf. trad. Perron, II, p. 39U. Voy. infra, p. 88.
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE L'iSLAM MAGHRIBIN 81
excès ; il est vrai encore que les Berbères fabriquent avec
le raisin des produits plus ou moins complètement fermen-
tes (1). Il y a cependant une légère différence entre la
consommation du rdmet et la façon dont le chérif absorbait
continuellement les liqueurs fabriquées en Europe. 11 n'est
guère douteux que ces habitudes aient été exploitées à son
détriment auprès des foules par les ennemis politiques et
religieux de la maison d'Ouazzàne.
Plus importants encore que nos relations avec les Taïbiya
sont les rapports que nous avons à entretenir avec les Ghikhiya
ou plutôt avec les Oulad Sidi Chikh, car il semble bien qu'on
ne puisse les envisnger comme une confrérie semblable aux ■
autres. On sait que le dernier Gouverneur Général a considé-
rablement augmenté l'influence des Oulad Sidi Chikh en les
pourvoyant de commandements qui s'étendent fort loin dans
l'Est (aghalik d'El-Goléa, etc.,). Dans l'Ouest des tribus qui
leur avaient été enlevées depuis fort longtemps leur ont été
restituées (Trafi, Oulad Ziad). L'auteur anonyme d'un article
du Bulletin du Comité de l'Afrique Française (2) pense que
ces mesures n'ont peut-être pas été suffisamment pesées dans
leurs conséquences. Depuis tantôt trente ans nous nous étions
appliqués à circonscrire l'influence des Oulad Sidi Chikh.
Depuis 1882 en particulier, époque à laquelle ils sont rentrés
en grâce auprès de nous, nous avions accueilli leurs offres de
service, mais nous nous étions attachés à ne pas leur rendre
leur action sur un certain nombre de tribus importantes qui
devaient leur servir de contrepoids. L'histoire entière des
Oulad Sidi Chikh enseigne à celui qui veut bien l'étudier qu'en
adoptant cette politique, nous faisions œuvre de prudence et
nous suivions les leçons de l'expérience. Le dernier Gouver-
neur a, d'un trait de plume, rompu avec ces traditions et nous
replaçons petit à petit les Oulad Sidi Chikh dans la situation
où ils étaient avant 1864, sans avoir les mêmes excuses. Tel,
est en deux mots, le résumé de l'important article que nous
venons de citer, article qui parait écrit avec une grande
connaissance des choses de l'Extrême-Sud.
(^ette question des Oulad Sidi Chikh a toujours eu du leste
le privilège de faire couler beaucoup d'encre. En dehors de la
foule des articles écrits sans autorité sur celte matière, il faut
citer celui que M. MandeVille a donné dans les Questions
politiques et coloniales, dirigées par M. Pensa (3). La question
des Oulad Sidi Chikh y est examinée et la regrettable politique
suivie depuis quelques années dans l'Extrême-Sud y est très
exactement appréciée. L'article a avant tout une portée politi-
(1) MouLiÉRAS, op. land. p. 55.
(2) La politique de la France dans l'Extrême-Sud de l'Algérie, in
Bull. corn. Afr. Franc., 1898, p. 118-120.
(3) Mandeville : L'Algérie méridionale et le Touàt, in Quest,
diplom. et col., 2' ann., n* 23, 1" fév. 1898, p. 137-182.
82 BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE l'iSLAM MAGHRIBIN
que et les questions de religion y sont au second plan :
cependant l'auteur conteste énergiquemeht l'influence reli-
gieuse des Oulad Sidi Chikh au Touàt. — On trouvera dans la
Revue de M. Cat un court mais subtantiel article de M. Flamand
résumant la situation actuelle des Oulad Sidi Chikh (1).
Parmi les ordres religieux qui se sont rapprochés de nous,
celui des Tidjâniya est peut-être le plus sincèrement rallié
à notre cause. Nous avons à mentionner deux courts articles
de vulgarisation sur cette confrérie, l'un signé Ali el Fdouli (2),
l'autre L. Trotignon (3). Un événement important s'est produit
cette année dans l'histoire des Tidjânia ; nous faisons allusion
à la mort de Sidi Admed Et-Tidjàni, décédé dans le Souf en
avril 1897. En son honneur, un service religieux où assistaient
toutes les autorités d'Alger et auquel le gouvernement a
visiblement voulu donner un éclat particulier, a été célébré à
la mosquée de la Pêcherie a'Alger. Une brochure officielle a
été publiée à cette occasion (4).
En ce qui concerne les autres confréries nous ne trouvons à
mentioMuer que deux articles peu importants : Ali el Fdouli a
pubUé une courte note sur les Piahmaniya(5) ; M. H. Lorin (6)
nous a donné une description de plus des pratiques des
Aïssaouas L'auteur pense qu'en thèse générale on n'y découvre
aucune supercherie. Peut-être faut il cependant faire au char-
latanisme une part un peu plus grande que ne le pense
M. L. (7), sans nier toutefois qu'il n'y ait là des choses encore
peu expliquées (8).
(1) G.-B.-M. Flamand: Les Oulad Sidi Chikh, in L'Alg. Nouv.,
28 août 1878. — Cet article a été reproduit dans l'ouvrage que le même
auteur vient de publier sous le titre: De l'Oranie au Gourara, 1 vol.,
237 p.. 1898.
(2) Ali el Fdouli : Les Tidjânia, in Vie alg. et tun., 1897, p. 248.
(3) L. Trotignon : Les Marabouts de Témacin (notes sahariennes),
in Vie alg. et tun., 1897, p. 6(J5.
(4) Gouvernement général .- Cérémonie religieuse à la mosqxiée
de la pêcherie d'Alger en l'honneur de Sid Ahmed Et-Tidjâni, chef
de la confi-érie des Tidjàniya, décédé à Guemour (Oued Souf), le 20
avril 1897, 1 brocli., 12 p., Alger. 1897. — Cette cérémonie a fait éclore
dans les revues de nombreux articles : André Li.ard : Une cérémonie
funèbre musulmane à Alger, in Tour du Monde, n" du 8 janvier 1898.
A trav. le Monde, p. 13. — Voy. encore Bull. com. Afr . Franc.., 1897,
p. 183 et Alg nouv., n° du 9 mai 1997.
(5) Ali el Fdouli : Les Rahmânia, in Vie alg. et tun., 1897, p. 321.
(6) H. Lorin : Les Aïssaouccs, in Tour du Monde, n" du 2 octobre
1897, A trav. le Monde, p. 315.
(7) Cf à ce sujet de curieux détails dans les Mémoires de Robert Hou-
din, t. II, in fine.
(8) M. Cat vient de publier dans la Revue de» Deux Mondes, LXVIII*
ann., 1898, 4^ pér., t. CXLIX. 2Mivr., 15 sept., 1898. p. 375-4U4, un article
intitulé : L'islamisme et les confréries religieuses au Maroc. Il sera
analysé dans le prochain Bulletin Bibliographique.
HUr.LETIN BIJiLIOGRAPHIQUE DE l'ISLAM MAGHRIBIN 83
IX. — HISTOIRE DES MUSULMANS EN GÉNÉRAL
ET DE CEUX DE L'AFRIQUE MINEURE EN PARTICULIER
La chronologie est. un des fondements de l'histoire ; à ce
titre nous devons mentionner en première ligne sous la rubri
que « histoire », la * Concordance des ères musulmane et
chrétienne pour les quatorze premiers siècles de l'Hégire
de Si Mahammed Bel Khodja (1). Contrairement à ce que pense
l'auteur du compte rendu de cet ouvrage dans la Revue
Tunisienne (2), il existait déjà des concordances tort bien
faites (3), mais il n'est pas mauvais pour nous d'en posséder
une de plus, surtout lorsqu'elle est l'œuvre d'un savant
indigène (4).
L'histoire générale de MM. Lavisse et Rambaud, dont la
publication se poursuit lentement, ne peut manquer de nous in-
téresser (5). Dans le tome IX nous remarquons le chapitre XXII,
sur la Turquie et les peuples chrétiens, de 1792 à 1815
(M. Rambaud) : il contient peu de chose au point de vue
de l'histoire religieuse des musulmans, non plus que le cha-
pitre XXX sur l'Asie, THindoustan, la Perse et l'Afghanistan,
de 1800 à 1813 (même auteur). Il en est de même des chapitres
XXVI sur la Question d'Orient (M. A. J)ebidour), XXVll sur
l'Hindoustan, l'Iran et l'Asie centrale de 1814 à 1847 (M. A.
Métin) et XXVIII sur la Chine, l'Annam, la Malaisie et l'Insu-
linde (M. H. Cordier), qui se trouvent dans le tome X du même
ouvrage (6). Le chapitre XXIV de ce même volume est consacré
à l'Algérie et aux colonies françaises ; l'auteur anonyme y
retrace exclusivement et à grand traits les faits militaires
de la conquête. Le chapitre se termine par une bibliographie
historique concernant l'Algérie et les pays voisins. Cette
bibliographie devait nécessairement être incomplète ; mais on
est surpris d'y trouver mentionnées des non-valeurs alors que
des livres excellents, comme la Conquête d'Alger, de Nettement,
l'Histoire de l'Algérie, de M. Cat, l'Histoire d'Oran, du colonel
Derrien, etc., ... n'y figurent pas. — L'Album historique (7)
(l) Si M'hamed Bel Khodja : Concordance des ères musulmane et
chrétienne pour les quatorze premiers siècles de l'Hégire, commen-
çant le 16 juillet ÔSH et finissant le W novembre, ouvrage ■publié avec
le concours du Gouvernement tunisien, I vol. Tunis, 1897.
(2; Rev. Tun., 4« ann., n° 15, juillet 1897, p. 377.
(3) P. ex. : WuSTENFELD : Tabellen der muhamm. u. christl. Zeit-
rechnung. Leipzig, 1854 ; et la suite par Mahler.
(4) Si Mahammed Bel Khodja e.st chef de la Comptabilité de l' Adminis-
tration générale.
(5) Lavisse et Rambaud: Histoire Générale du IV° siècle à nos jours.
Tome IX. Napoléon. 180U-1815. 1 vol. lUll p., Paris, 1897.
(6) Même ouvrage. Tome X. Les monarchies constitutionnelles. 1815-
1847. l vol. 1U16 p., Paris, 1S98.
(7) A. Parmentier : Album historique, publié sous la direction de
M. Lavisse. Tome II. La fin du Moyen-Age (XIV et XV siècles). 1 vol.,
268 pp., 1897, Paris. ^ i> ^ fi
84 BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE L'ISLAM MAGHRIBIN
ne contient, dans son tome II, que quelques détails sans
importance, sur la civilisation des Maures en Espagne au XIV«
et au XVe siècles.
La traduction du Livre de F Avertissement et de la Bé^nsion
de Mas'oûdî, que vient de faire paraître M. Carra de Vaux (1),
est une importante contribution à l'étude de l'Histoire des
Musulmans. L'ouvrage fait partie de la collection d'ouvrages
orientaux publiés par la Société Asiatique, ^t est magnifique-
ment édité. Il s'agit d'une traduction du y^^^^xj! >, •sy
oti^W^ du célèbre Mas'oûdî, édité récemment par M. de
Goeje, dans la Bibliothcca geographonim arahicot um (Leyde,
1894). C'est une sorle de revue faite par l'auteur de tous ses
ouvrages antérieurs,' revue dans laquelle il ajoute, rectifie,
développe. En maint endroit il nous laisse à entendre que,
dans tel ou tel de ses livres, il avait donné d'abondants détails
sur l'Histoire de l'Islam et des hérésies qui l'ont déchiré ; la
perte de ces ouvrages est extrêmement regrettable. Le Kitâh-
at-tanbih nous fournit nombre de renseignements sur les
autres religions, p. ex. sur le zoroastrisme (p. 131), sur les
sectes chrétiennes et juives (p. 159), dont l'auteur avait fré-
quenté les représentants avec une égalité d'âme qui étonne
chez un musulman. L'énumération des empereurs romains
(p. 172 seq) contient également beaucoup de détails sur
l'histoire du christianisme ; on y remarque l'énumération
des conciles (p. 195, p. 218). Le livre se termine par une his-
toire du Prophète et des khalifes ; la portion qui traite des
expéditions du Prophète est la plus développée ; elle manque
d'ailleurs d'originalité. — 11 est malheureux que le livre, tout
en nous fournissant une très ample moisson de renseigne-
ments, nous en fasse regretter encore un plus grand nombre,
perdus pour nous avec les ouvrages du célèbre historien. On
nous saura peut-être gré de reproduire ici le jugement du
traducteur sur ce dernier : « Faut-il dire que Maçoudi honore
l'Islam ? Je ne sais. Sa culture, diverse et très spontanée, est
en déhnitive plus grecque qu'islamique. Sa gloire ne doit aller
à l'Islam qu'en passant par les khalifes, puisque ce sont eux
qui provoquèrent l'éveil des esprits dans le monde musulman,
en faisant briller de nouveau la splendeur du génie grec )i. —
Le style de la traduction de M. C. de V. est sobre, précis, clair.
L'annotation, particulièrement difficile dans un ouvrage dont la
matière est aussi variée, est amplement suffisante. Enfin, un
bon index rend le livre facile à consulter.
M. Carra de Vaux, qui est décidément infatigable, a encore
traduit en 1897 l'Abrégé des merveilles* (2), ouvrage dont
(1) Kitab-et-Tenbih. — Licre de l'avertissement et de la révision de
Maçoudi, traluit par Carra de Vaux. Paris, 1897, l vol., 570 p.
(2) Carra de Vaux ; L'abrétjé des merveilles, traduit d'après les
monuments de la bibliothèque nationale, m Actes soc. p/iilolog d
Paris, nouv. sér., . XI, 1697.
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE L'iSLAM MAGHRIBIN 85
l'auteur est inconnu, et qui consiste en une série de récits
appartenant plutôt à la légende qu'à l'histoire : création du
monde, description de la terre et des îles de l'Océan, histoire
(f Adam, de Sem, de l'ancienne Egypte .... On sait qu'il existe
chez les musulmans toute une littérature sur ces légendes
souvent bizarres, quelquefois fantastiques, dont il n'y a rien
ou à peu près rien à tirer pour l'historien, mais qui sont
intéressantes au point de vue de l'étude des croyances popu-
laires, du folke-lore. On ne sait si l'ouvrage traduit par M. G.
de V. n'est pas V Akhbâr-az-Zemàn de Mas'oûdî ou tout au
moins une copie plus ou moins altérée de ce livre Cl).
M. de Goeje a publié la Chro7^iqlle de 'Arih hen Sa'd^ÇI), qui est
le continuateur jde Tabari. C'est un ouvrage de grande impor-
tance en ce qui concerne l'histoire des musulmans de l'Espagne
et de l'Afrique Mineure. L'établissement du texte au moyen
d'un seul manuscrit extrêmement défectueux, offrait, parait-il,
des difficultés dont un maître seul pouvait venir à bout. —
L'édition, entreprise sous la direction du même orientaliste,
de la grande chronique de Tabari, à laquelle nous venons de
faire allusion, s'est poursuivie en 1898 par la publication du
XI" volume. Il est inutile d'insister ici sur l'importance capitale
de cette publication (3).
Bien que VHistoire de la Conquête d'Ahyssinie (4), éditée et
traduite par M. René Basset, ne semble pas, au premier abord,
intéresser l'Tslam africain, cependant les nombreuses notes
dont l'ouvrage est illustré, et où l'on retrouvera l'érudition
abondante et de bon a!oi, à laquelle M. R. B. a habitué ses
lecteurs, ont souvent une portée beaucoup plus générale que
ne le ferait croire le titre du livre. Une traduction du même
ouvrage a été également publiée cette année par MM. A d'Ab-
badie et Ph. Paulitschke ; mais cette traduction, semée de
nombreux contresens et dénuée de notes, ne saurait à aucun
égard être mise en parallèle avec l'œuvre de M. Basset (5).
(1) et E. Blochet, ia Rev. Hist. ReL, 19"^ année, t. XXXVII, n" 3,
mai-juin, pp. 442-444. — M. René Basset nous déclarait récemment qu'il
ne partageait pas Topinion qui fait de l'Abrégé des merveilles un frag-
ment de V Akhbàr-az-Zemàn .
(2) Annales quos scripsit Abu Djafar Mohammed ibn Djerîr At.-
Tabari, cum aiiis edidit M. de Goeje. Prima séries. — XI. — Rec.
E. Prym. 1 vol. Leyde, 1898.
(3) Tabari continuatus, quem edidit, indicibus etglossariis instruxit
DE Goeje. Lugd. Batav., 1897. 1 vol. XXVII.-r^^ pp.
(4) René Basset : Histoire de la Conquête de l'Abyssinie (XVI'
siècle) par Cliiliàb-ed-dîn Ahmed ben Abdelqàder, surnommé Arab-
Faqih. Texte arabe, fasc. I, 1 vol., 92 pp., 8°, Paris, 1897.
(5) A. d'Abbadie et Ph. Paulitschke : Futuh el Habacha. Conquêtes
faites en Abyssinie au XVI" siècle par l'imàm Muh. Ahnuxd, dit
Gragne. Version française de la chronique de Chihâb-ed-Din
Ahmad. 1 vol., Paris, 1898.
86 BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE l'ISLAM MAGHRIBIN
En ce qui concerne l'histoire des premiers temps de l'Islam,
il nous faut mentionner le travail que vient de publier M. G.
Van Vloten sur l'Histoire des Abbassides. L'époque tardive à
laquelle nous avon? pris connaissance de ce travail, extrême-
mement intéressant et d'une grande importance au point de
vue politique et religieux, nous oblige à en remettre l'analyse
à notre prochaine chronique (1).
L'histoire spéciale des Musulmans d'Espagne, de laquelle les
arabisants d'Afrique ne sauraient se désintéresser, a été l'objet
d'un livre de * Mohammed Hayad Khan que nous n'avons pu
voir (2) et d'un travail bibliographique tout récent, de M. Pons
Boigues, que nous n'avons pas eu le temps d'examiner et qui
sera analysé dans la prochaine chronique (3) D'autre part, on
annonce l'apparition prochaine d'un ouvrage de M. Godera,
sur la décadence et la chute des Almoravides en Espagne (4).
Le nom du célèbre orientaliste fait bien augurer d'un tel ou-
vrage qui continuera utilement l'œuvre magistrale de Dozy (5).
S'il est un coin de l'Histoire de France qui a été peu travaillé
et qui devrait spécialement attirer l'attention de nos orienta-
listes, c'est bien le chapitre de l'invasion sarrasine ; la littéra-
ture en est tellement maigre qu'elle ne compoile peut-être pas
rénumération de plus d'une douzaine de travaux. Encore la
plupart de ceux-ci sont-ils d'une valeur médiocre et jusqu'ici
les auteurs arabes n'ont jamais été mis sérieusement à contri-
bution. M. Précigou, dans un article sur les Sarrasins en
Limousin (6), n'a pas davantage puisé aux sources. Cependant
lorsque quelque orientaliste tentera de combler la lacune dont
nous venons de parler, il pourra peut-être trouver dans des
articles du genre de celui-ci, quelques indications. M. P. s'est
servi en grande partie de documents de deuxième main, mais
il a mis à contribution des ouvrages locaux qu'un aralDisant
pourrait ne pas connaître ou ne pas avoir la faculté de
consulter. Les Sarrasins auraient fondé Aubusson et y auraient
importé l'industrie des tapis ; même le type maure se retrou-
verait chez les ouvrières actuelles des fabriques de tapis (??).
Il serait resté des bandes irrégulières d'arabes dans le pays
(1) G. Van Vloten : Zur Abbassidengeschichte, in Zeits^cli. morgçnl.
Gesellsch. LU Bd, II Heft, 1898, p. 213-226 (Mansùr und die Aliden ; —
der Mahdî — Al Hàdi als Mahdi).
(2) MuHAMMAD Hayad Khan : The rise and fall of the muslim
empire in Spain, 1 vol.> 384 pp.,.Lahore, 1897.
(3) Pons Boigues : Ensayo bio-bibliografico sobre los historiadores
y geografos arabigo-espanoles, 1 vol., 514 pp., Madrid, 1898.
(4) Fr. Codera : Decadencia y desaparicion de los Almoravides
en Espana, dans la Coleccion de estudios arabes de iSaragosse.
(5) Mentionnons ici un article de M. Ferreiro dans Ja Riforma sociale,
1897, n" 3, intitulé : Ln sociologo arabe del secolo XIV (Ibn Khaldoun).
(6) A. Précigou : Les Sarrasins en Limousin après la bataille de
Tours, in Bull. Soc. Amis Se. et Arts de Rochechouart, t. Vil,
0« V, p. 109, 1897.
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE L'ISLAM MAGHRIBIN 87
plus de 3 ans après la bataille de Poitiers, puisqu'en 735
ils auraient ruiné le monastère de Solignac. — Un livre de
M. Gilles* (1), que nous n'avons pas vu, semble aussi, d'après
son titre, contenir quelques détails sur les Sarrasins dans le
pays d'Arles.
Les Annales du Maghrib sont naturellement le sujet que
travaillent de prétérence les érudits algériens et tunisiens, et
chaque année voit grossir le nombre des contributions à
l'histoire de l'Afrique Mineure.
M. Gaudefroy-Demombynes a commencé dans le Bulletin
de la Société d'Oran une intéressante série de notices sur les
saints et les jurisconsultes du Maghrib (2). Le premier article
dont nos lecteurs n'ont pas manqué d'apprécier l'érudition,
est consacré à Sidi-1-Medjaci, un des innombrables santons
dont on vénère le tombeau à Tlemcen. Il contient des détails
puisés aux sources, c.-à-d. dans Al-Maqqarî, dans le Boustàn
d'Ibn Meriem et dans Ibn Khaldoun. — Dans la Revue Afri-
caine, M. Fagnan poursuit la traduction des fragments d'Ibn-
al-Atsîr qui sont relatifs à l'Afrique et à l'Espagne (3). On sait
qu'elle est l'importance du célèbre auteur du Kâmil, comme
source historique. La portion traduite et publiée avec des notes
critiques dans les années 1897 et 1898 de la Revue Africaine,
comprend la période qui s'étend de l'an 710 à l'an 833 ; elle
contient le récit de la conquête de l'Espagne, les grandes
révoltes berbères du Ville siècle en Maghrib, le gouvernement
de Youçof avec Çomaïl en Espagne, l'avènement d'Abderrah-
mane-ed-Dàkhil, Hicham l'oméiade, El Hakam, la révolte du
faubourg, Ab lerrahmane. . . C'est comme on le voit une des
parties les plus importantes.
Un très court et assez mauvais article de M. Félix Lemoine
dans la Revue Algérienne (4) a valu aux lecteurs de ce coquet
périodique de la part de M. Mercier, le savant arabisant de
Constantine, une très-intéressante narration des aventures de
Doila Mencia de Monroy d'après le Nozhat-el-H'àdi et Diego de
Tprrès (5). Nous demandons seulement à faire une bien légère
(1) G. (JiLLES: Le pays d'Aigles en ses trois tribus: les Avatiques,
les Désuviates et les Anatilles, contenant depuis les siècles les plus
reculés l'histoire celtique, phénicienne , grecque, romaine et l'intro-
duction du christianisme, suioie d'une notice sur l'occupation arabe,
sur les incursions des Normands. . . d'après les textes, les monu-
ments et les poteries de chaque nation. Paris, 8, 1897.
(2) Gaudefroy-Demombynes : Saints et savants du Mar'reb, in
Bull. Soc. Géog. Arch. Oran, 20= ann., t. XVII, fasc. LXXII ; avril-juin
1897, p. 273-276.
(;i) FaGnan : Annales du Maghreb et de l'Espaqne, par Ibn-el-Athir.
in Rev. Afr., année-* 1»97 et 1898.
(4) Félix Lemoine : A travers l'Islam. Dç-fia Mencia de Monroi, in
Rev. Alg., n°(iu 11 décembre 189?-; .
(5) E. Mercier : Doila Mencia et le Chérif. Un roman historique, in
Rev. Alg., 1" sera. 1898, pp. 51-60.
88 BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE L'ISLAM MAGHRIBIN
observation : en laissant vivre Mencia à sa guise et selon les
coutumes portugaises, El-Maiidi n'enfreignait pas les prescrip-
tions de sa religion (p. 58, 1. 10). CiCtte façon d'agir n'était
peut-être pas du goût des dévots fanatiques. Du moins était-
elle conforme à la loi musulmane qui, dans le cas du mariage
d'un croyant avec une chrétienne, prescrit à celui-ci de laisser
son épouse pratiquer sa religion (1).
On sait que le Maroc a trouvé dans ces dernières années un
historien indigène, Ahmed ben Khaled En-Nâciri, connu sous le
nom d'Es Slàouî, du nom de la ville qu'il habite (Salé). Ce
lettré musulman a fait imprimer au Caire quatre volumes sur
l'histoire du Maroc (2), intitulés Kitâb al Istiqçâ. C'est de cet
ouvrage que M. Pellat a traduit un chapitre, celui qui a trait
à la bataille d'Isly, et l'a publié sous le titre de « La guerre du
Maroc racontée par nos adversaires » (3). Le chapitre ainsi tra-
duit se trouve à la page 132 seq. du t. IV et est intitulé : yoU:6^
v^ijC'i ^-r- '■ ^.^^^ilj La traduction de M. P. paraît bien fidèle
et il est intéressant de voir comment le Slâoui écrit l'histoire.
A vrai dire nous étions déjà renseignés à ce sujet par le très
remarquable article écrit sur le KUâb-al-Istiqçci dans la Revue
de M. Gat (4) par un éminent arabisant d'Alger, sous le pseu-
donyme de Taleb, article dans lequel lauteur fait une étude
critique de l'œuvre du Slâouî en général, et spécialement des
passages consacrés à la bataille d'Isly et à la guerre hispano-
marocaine de 1860. A la page 197 du texte, M. P. a traduit
JvJjA.;» par Menouil et le Comité de Lecture de l'Institut de
Garthage a ajouté en note (p. 250) : ce Menouil ne serait-il pas
simplement la traduction arabe du nom de Manuel ou même
du mot manuel ? » Il n'y a pas de doute à cet égard : les cita-
tions précédées des mots Sij^'' J^^ sont empruntées par le
Slâouî à un ouvrage espagnol, connu de ceux qui s'occupent
de l'histoire du Maroc (5), et ce n'est pas une de nos moindres
surprises que de voir un musulman aussi fanatique que l'est
l'auteur puiser dans les ouvrages des chrétiens, tSi^ ^^r^^ ! L,e
(1) Gf Khelîl, trad. Perron, II, p. 390 : «. . .Le mari n'a pas le droit
d'empêcher sa f.'inme chrétienne di^ suivre les hahitudes qu'elle a con-
tractées, ni d« l'empêcher d'aller aux églises », (extrait du commentaire
de Kherchi). Cpr Suprà, p. 80
(2) ^^^ V >fxi^ jj^ ,L^y ^i^sxJa' v^^LxT 4 vol., Caire,
1312. >3 ■ ^ ^
(3) Pellat : La guerre du Maroc racontée par nos adversaires,
xtraitde l'histoire des dynasties marocaines, jiar Ah'med ben Khaled
en Naceur, in Rev. Tun., 5= ann., n- 18, avril 1898, p. 244 seq.
(4) Taleb : Un historien musulman, in Atg. nouv., 1" an., 4' trim.,
n- 22 (1" nov. 1896), p. 329 seq. et n- 23 (8 nov. 1896J p. 345 seq.
(5) Rdo. P. Fr. Manuel Pablo Castellanos : Descripcion historica
de Marruecos y brève rasenade sus dinastias, 1 vol. Santiago, 1878,
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE L'iSLAM MAGHRIBIN 89
même Comité de Lecture du reste a fort bien reconnu que le
Slâouî avait mis en œuvre des documents officiels (p. 244) :
cela donne à son livre une importance exceptionnelle pour
l'histoire moderne et contemporaine du Maroc.
Le Kitâh al Istiqçâ intéresse autant nos voisins les Espagnols
que nous-mêmes, et M. Codera a donné sur cet ouvrage une
intéressante notice (1), dans laquelle il envisage surtout les
passages de l'œuvre du savant marocain qui se rapportent à
l'histoire d'Espagne. Nous y remarquons un dénombrement
des sources arabes dépouillées par le Slâouî ; d'après M. Cod.
le nombre des ouvrages consultés s'élèverait à 130, parmi
lesquels plus de la moitié nous seraient inconnus. D'une façon
générale le savant orientaliste espagnol apprécie hautement
l'importance du Kitâh al Istiqçâ pour l'histoire du Maghrib.
L'histoire de la domination portugaise au Maroc s'est enri-
chie d'une remarquable contribution de M. David Lopes (2).
Nous voulons parler des textes en aljamia publiés par cet
érudit. On appelle ainsi, le lecteur ne l'ignore pas, les textes
écrits en langue espagnole ou portugaise et en caractères ara-
bes (3). Les textes publiés par M. L. sont relatifs au gouverne-
ment de Safi (Asfi) par le Portugal au XYT^ siècle.
Tout ceux qui s'intéressent à l'Histoire de l'Afrique du Nord
ont entendu parler des remarquables fouilles de M. Blanchet
à la Qalaâ des Béni Hammad et à Sedrata, près de Ouargla.
Leur auteur en a rendu compte à l'Académie des Inscriptions
et Belles-L< ttres (4). Les ruines de la Qalaâ des Béni Hammad
étaient déjà connues, mais M. Bl. les a étudiées en détail et a
retrouvé des monuments d'un grand intérêt. « Toute une
civilisation d'art et d'industrie a vécu dans ces pays jusqu'à la
conquête turque et peut-être la connaissance du moyen-âge
berbère réserve-t-elle aux vrais amis de l'Algérie et à ses
habitants, avec bien des surprises, bien des motifs d'espérer en
l'avenir» (5). A propos des fouilles de M. Bl., M. Fagnan
a résumé dans V Algérie Nouvelle ce que les historiens arabes
nous ont appris de la Qalaâ des Béni Hammad (G). Les
(1) Fr. Codera : Un historiador marroquî coniemporaneo, in Bol.
Real. Acad. de la Hist , XXX, p. 251-274 —Nous devons communica-
tion de l'article de M. Codera à l'obligeance de notre maître, M. Mouliéras.
(2) David Lopes: Textos em aljamia portuguesa, docume^itos para
a historia da dominio portugués em Saftm, êxtraliidos dos originaes
da Torre da Tombo, 1 vol., 157 p., Lisbonne, 1897 (Communiqué par
M. R. Basset).
(3) Cf par ex. Coleccion de textos aljamiados, publicada por Pablo
Gil, 1 vol., Zaragoza, 1878. — Leyendas Moriscas sacadas de varias
manuscritos, por F. Guillen Robles, 3 vol., Madrid, 1885 (Communiqué
par M. R. Basset).
(4) CR Ac. Inscript, et B.-L., 3 septembre 1897 (sur la Kalaà des B.
Hammad).
(5) P. Blanchet : La Kalaà des Béni Hammad, in Tour du Monde,
n* du 29 janvier 1898, A travers le Monde, p- 33.
(6) Fagnan : La Kalaà des Béni Hammad, in Alg. Nouv., 8 aoû
1897,
90 BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE l'ISLAM MAGHRIBIN
découvertes de M. Bl. à Sedrata (4) ne sont pas moins intéres-
santes. Le palais a été entièrement déblayé : rien dans ce
palais ne traduit l'influence directe de l'Orient musulman.
M. Bl. y verrait plutôt le ressouvenir de l'art romain d'Afri-
que. 11 conclut que c'est au XI** siècle seulement, lors de
la deuxième invasion arabe, que l'Afrique a cessé complète-
ment de vivre sur le vieux fond de la civilisation romaine (2).
M. Coudray a publié dans V Algérie Nouvelle des extraits de
son mémoire pour le diplôme d'études historiques sur le
commerce à Tlemcen au Moyen- Age (3). Ces extraits, dont la
lecture fait regretter que le mémoire n'ait pas été publié inté-
gralement, concernent la situation des étrangers à Tlemcen
sous les Béni Ziyân. Ils contiennent d'intéressants détails sur
la Kissaria ou quartier franc de Tlemcen au XIV^ siècle, sur
la condition des chrétiens à cette époque, sur les milices fran-
ques, etc. Ajoutons, à propos des dynasties berbères de
Tlemcen, qu'on annonce en Espagne la publication par M. Ma-
riano Gaspar, de l'ouvrage d'un roi de Tlemcen (4). — D'au-
tre part, M. Mirante prépare en ce moment une traduction du
Ra\odhat-a7i-Nasrine , chronologie des Beni-Mérine, pour
paraître dans le Mobacher (5).
Deux importantes contributions ont été apportées à l'étude
de la domination espagnole, par notre collègue, M. Ruff, et
M™« N. Blum ; le travail du premier, relatif au gouvernement
du comte d'Alcaudete, n'a pas encore été publié, mais nous
pouvons dire que c'est une étude d'une grande valeur et dans
laquelle l'auteur ne laisse à peu près rien à glaner après lui.
— M™e N. Blum a publié ici même la Croisade de Ximénès en
Afrique (6) ; cet intéressant travail a été trop apprécié par les
lecteurs du Bulletin pour qu'il soit nécessaire d'en dire ici tout
le bien que nous en pensons. C'est une bonne œuvre histori-
que dans laquelle la clarté, la méthode et la précision n'excluent
pas toujours le tour pittoresque du récit. Ce sont là des qualités
rares dans un mémoire d'érudition. — Dans le Bulletin de la
Société historique de Madrid, M. Duro a donné un travail sur
(1) CR Ac. Inscr. et B.-L., 15 et 29 juillet 1898.
(2) Voir encore, au sujet des fouilles de M.Blanchet, à la Qalaà, le compte-
rendu de M. HOUDAS. in Bull. Com. Afr. Franc., 1898, p. 306-307.
(3) (Coudray : Les étrangers à Tlemcen sous les émirs Beni-Zeiyân,
in Alg. nouv., 16 et 24 octobre 1807. — D'autres estraits du mémoire de
M. Coudray ont été publiés dans le Bulletin de la Société de Géogra-
phie d'Alger, sous le titre de : Le Commerce de Tlemcen au Moyen-
Age. (Bull. Soc. Géog. Alg., 1' ann., 1897).
(4) Mariano Gaspar : El collar de perlas (obra de politica y adminis-
tracion) de Abu Hamud, rey de Tlemcen.
(5) ijl^ ^^ *.)j'> â-^ w5 j,«.àJI ^-•tojj — Il en existe un manus-
crit à la Bibliothèque Nationale d'Alger. CCat. Fagnan, n° 1737, T).
(6; N. Blum : La Croisade de Ximénès en Afrique, in BuV . Soc.
Oran. 1897, p. 319 (se continue en 1898).
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE L'iSLAM MAGHRIBIN 91
la perte de Bougie par l'Espagne (1), travail que nous ne
pouvons que mentionner, ne l'ayant pas examiné.
L'histoire de la domination turque dans la Régence d'Alger
continue à être beaucoup travaillée. Nous ne pouvons que citer
ici les ouvrages suivants qui sortent un peu de notre pro-
gramme : la traduction par M. Moliner-Violle d'un Dialogue de
Fraïf Diego Haëdo ('2); la publication des Documents de Venture
de Paradis déposés à la Bibliothèque Nationale (3); un exposé
de V Organisation administrative du royaume d'Alger sous
Hussein-dey, par M. Rinn (4); un livre de M. Baasch sur les
Rapports des villes hanséatiques avec la Régence (5j.
De même nous ne pouvons que mentionner, en ce qui con-
cerne la Tunisie : la note de M. Ed. Bonnet sur deux ambassades
tunisiennes envoyées au siècle dernier à la Cour de France (6) ;
— la traduction, par MM. Serres et Mohammed Lasram, d'une
chronique de Mohammed Seghir ben Yousset, composée
en 1177 H. (1763-64) et embrassant la période qui s'étend de
1705 à 1765 (7).
Au Congrès de Garthage, M. Gauckler a fait sur les
mosquées de Tunis une communication dont l'analyse^ consi-
gnée dans les procès-verbaux (8j , ne donne qu'une
idée insuffisante. — M. Gauckler a du reste commencé,
en collaboration avec M. R. (Jagnat, une belle publication sur
les monuments historiques de la Tunisie (9j. Ce grand ouvrage
formera deux séries, dont la deuxième comprendra les
monuments et inscriptions arabes.
(1) DuRO (Cesareo Fern. ) : Perdida de la ciudad de Bugia en Africa,
ano 1555. referida por un clerirjo vizcaino, testigo de rista., in Bol.
real. Ac. hist., XXIK, p. 465 seq.
(2) Moliner-Violle : De la Captivité à Alger, par Fray Diego Haëdo»
in Rev. Afr.. ih ann., 1897. p 157 (suite).
(3) Venture de Par.4Dis . Alger au XVIII' siècle, in Revue Afr.,
41'ann.. n° 224. 1" Irim. 1897 ^fin précédé d'une préface de M. Fagnan).
(4) L. Rinn : Le royaume d'Alger sous le dernier dey. in Reo. afr.,
41" ann., pp. 12l-;j31 et 42* ann.. p. 5.
(5) B.^.ASCH : Die Hansestadte und die Barbaresken, I vol. 8", Kassel,
1897.
(6j Ed. Bonnet : Deux ambassades tunisiennes à la Cour de
France {17 'iS- 1777). d'après les comptes-rendus manuscrits des
secrétaires -interprètes du roi. in C. R. 25"' sess. A. F. A. S Cong. de
Cartilage, 2"" part. Notes et mém., p. 697 seq.
(7) MoH.wiMED Seghir ben Yotissef, de Béja : Soixante ans
d'iiistoire de la Tunisie (1705-/765). Documents pour servir à
l'histoire des quatre premiers beys de la famille d'Ali Turki,
traduit en français par Victor Serres et Mohammed Lasram, in Rev.
Tunis., ann 1897, p. 96 seq.
(8) Gauckler : Sur les mosquées de Tunis, in G. R. 25* sess.
A. F. A. S. Cojig. de Carthage, \" part. Doc. off. et proc.-verb. p. 275.
(9) R. Gagnât et Gauckler : Les monuments historiques de la
Tunisie. Part. I. Les monuments antiques, avec des plans, par
E. Sadou.K. Livre \. Les Temples païens. Paris, 1898, fol.. 39 pi.
92 BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE L'ISLAM MAGHRIBIN
M. G. Loth a donné une petite Histoire de la Tunisie (1),
qui est un livre d'enseignement bien fait et bien proportionné;
on aurait, semble-t-il, aimé y retrouver les traits essentiels de
l'Histoire d'Algérie ; mais le programme officiel tracé à
l'auteur ne le lui permettait vraisemblablement pas ; il parait
qu'on peut très bien apprendre l'histoire de la Tunisie sans
même mentionner la bataille d'Isly ou la prise de Constantine.
Le petit livre de MM. Peytral et Marie Peytral, Eléments
simplifiés de chromologie algérienne {'2), est conçu sur un plan
différent et beaucoup plus modeste que celui de M. Loth. Cet
ouvrage sort du reste beaucoup trop de notre cadre pour que
nous puissions faire autre chose que le citer. Il en est de
même des travaux relatifs à la conquête de l'Algérie : les lettres
adressées au maréchal de Castellane (3) ; — l'article de M. de
Lamartinière sur la convention de Lalla-Marnia et la fron-
tière marocaine (4) ; — les Lettres et récits militaires de M.
Bâcher qui ne contiennent du reste que 40 pages sur l'Algé-
rie (5); — les Souvenirs militaires du général Montaudon (6),
dans lesquels l'auteur a consacré à la religion arabe quelques
pages (p. 150 seq) qui ne sont pas parmi les plus recomman-
dables de l'ouvrage; — la Prise de Bônt et de Bougie, par le
Général de Gornulier-Lucinière, et dont l'apparition est toute
récente (7).
L'histoire du Soudan est encore à faire ; nous avons parlé
plus haut, à propos du livre de M. F. Dubois (p. 72) du Tarikh
es-Soûdâne. M. Hondas vient, avec la collaboration de M. E.
Benoist, d'en éditer le texte arabe (8). La traduction suivra
prochainement et nous saisirons l'occasion pour analyser cet
important ouvrage. — M. Ismaïl Hamet a publié, dans la
Revue Africaine, le texte et la traduction du Noûr et Albâh du
(1) G. Loth ; Histoire de la Tunisie, depuis les origines jusqu'à
nos jours. Paris, 1898. 291 pp.
(2) G. H. Peytral et Marie Peytra.l : Eléments simplifiés de chro-
mologie algérienne à l'usage des écoles et des familles. 1 vol., Alger.
1898.'
(3) Cainpagne-i d'Afrique, 183o-!848. Lettres adressées au maréchal
de Castellane. Paris, 8-, 1898.
(i) H. DE Lamartinière : La convention de Lalla-Marnia et la
frontière algérienne de l'Ouest, iu Rev. Deux-Mondes, 15 avril 1897.
(5) Charles Bâcher : Lettres et récits militaires. Afrique et armée
d'Orient. 1 vol. Paris, 1897.
(6) G. Montaudon: Souvenirs militaires, Afrique, Crimée, Italie.
t. I. Paris, 8-, 1898.
(7) Général Comte de Cornulier-Lucinière : La prise de Bône et de
Bougie d'après des documents inédits {I8'i2-I8'i3) . 1 vol. 18- illustr.,
Pari's. 1898.
(8) Abderrahmane ben Abdallah bem Imran ben Amir es-Sadi
Tarihh-es-Soudan (Histoire du Soudan). Texte arabe édité par O.
Houdas, avec la collaboration de E. Benoist. Paris, 1898. in Publicat,
de l'Ecole des LL. 00. , sér. IV, vol. 12.
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE L'ISLAM MAGHRIBIN 93
Cheikh Otsmane, dit Ibn Foudiou (1). Ce Cheikh Otsmane est
le fondateur de l'empire du Socoto, mort d'après M. I. H. vers
1817. Le '^^iJ^jy dont on nous donne ici le texte et la traduc-
tion peut être intéressant pour l'étude de l'Islam soudanien.
Il nous montre le mahométisme essayant de lutter contres les
innombrables superstitions des nègres qui n'embrassent la reli-
gion du Prophète qu'en y transportant leurs coutumes païennes.
L'opuscule tout entier du Cheikh Otsmane est employé à
fulminer contre ces pratiques étrangères et même contraires à
l'esprit du pur Islam, mais qui, en réalité, se sont conservées
presque partout, comme il arrive chaque fois qu'un culte en
remplace un autre. Il est vraisemblable que l'Islam n'aura pas
raison des superstitions des noirs et un rigorisme comme celui
des Wahhabites n'aurait aucune chance de succès au Soudan.
— Dans une note complémentaire sur l'origine des Foulanes
ou peuplades Foulbé du Soudan, l'auteur parle d'un ouvrage
d'un frère du Cheikh Otsmane, intitulé Taziine el ouarqàt
(s^Là^jJÎ v-;^rO dont il n'a pu avoir connaissaixe et où il est
dit que les Foulanes descendent des compagnons de Oqba ibn
Nafi qui se serait avancé jusque dans le Sénégal. M. I. H.
trouve cette opinion très vraisemblable. Il tait remarquer
qu'entre sa deuxième expédition (653) et sa troisième (669),
Oqba resta dans les environs de Barka. Il suppose qu'il
aurait pu à ce moment pénétrer dans le Soudan. Il est invrai-
semblable, dit M. I H., que cet apôtre enflammé se soit tenu
prudemment pendant 16 années entières dans le seul pays de
Barka. Si l'on admettait cela, il faudrait admettre aussi que ce fut
lors de sa troisième expédition qu'il descendit dans le Soudan
par l'Ouest. A l'appui de sa thèse, M. I. IL invoque l'autorité
d'Ibn Khaldûun et d'Abou-el-Mahàsin ; il aurait pu y joindre
celle d'Ibn-al-Atsir qui dit qu'en 663, Oqba fit la conquête
d'une partie du Soudan (cette portion du Kâmil a été traduite
dans ]3L Revue Africaine même). Mais cette conquête, à la vérité,
nous paraît bien invraisemblable. A la suite du Noùr el Alhâh,
est une poésie en l'honneur du Cheikh Otsmane, sur le mètre
malhoùn, nous dit l'auteur, c'est-à-dire sur un rythme ne se
rapportant à aucun des 16 mètres classiques.
M. Sachau vient de publier dans les Mélanges de l'Ecole des
Langues orientales de Berlin, un important travail sur une
* chronique de Zanzibar (2), d'origine abâdhite et utilisée par
Salîl ibn Raziq dans son Histoire de l'Oman. Tout ce qui touche
aux pays abàdhites intéresse nécessairement la puissance qui
possède le Mzab.
(1) ISMAïL Hamet : No^iJ- el Eulbah {Lumière des cœura) du Cheikh
Otsmane ben Otsmane dit Ibn Foudiou, in Rec. Afr., 41° ann. n° 227,
4' trim. 1897, p. 2î)7 et 42» ann., n» 228, 1" trim. 1898, p. 58,
(2) Sachau : Ueber eine arabisclie chronik aus Zanzibar,
1'" partie, in Mittheil. d . Sewin. f. Or. Sprach., année I. fasc. II,
Berlin, 1898, pp. 1-19 (communiqué par M. René Basset).
94 BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE L'iSLAM MAGHRIBIN
X. — FOLKE-LORE DE L'AFRIQUE MINEURE
Il a été rendu compte ici même, des Nouveaux contes herhères
de M. René Basset, et nous ne pouvons que renvoyer à la
notice qu'en a donné M. Gaudefroy-Deraombynes (1). Nous
signalerons seulement à l'attention du lecteur, les neuf légen-
des religieuses publiées par M. Basset, comme se rapportant
directement à notre point de vue spécial. — Dans ce bulletin,'
M. René Basset, dont l'érudition est universelle et qui compte
au rang de nos folkeloristes les plus distingués, a étudié la
célèbre légende de la Tour fermée de Tolède (2) chez les histo-
riens arabes, puis chez les chroniqueurs espagnols et jusque
dans les récits populaires du Mexique où les Espagnols l'ont
transportée. L'auteur étudie l'évolution de la légende dans ces
différents milieux et l'influence qu'ont exercé l'une sur
l'autre, à cette occasion, les deux civilisations musulmane
et chrétienne. — Nous n'avons pas eu directement connais-
sance des travaux de folke-lore^ publiés par M. René Basset
dans la Reoue des traditions populaires. Ceux qu'il nous paraît
nécessaire de citer ici sont : les * Notes sur les mille et une
nuits {3), élude comparative des diverses recensions de ce
recueil et des * Légendes et contes arabes (4), qui contiennent
un grand nombre de pièces intéressant le point de vue
religieux. - Nous ne pouvons également que citer, pour les
mêmes raisons, les articles de M. A. Robert dans le même
recueil : * Légendes contemporaines (5) , relatives à des
marabouts indigènes ; * Croyances des indigènes des environs de
Sedrata (6j, relatives à des superstitions indigènes; * Médecine
populaire arabe (7) et * Chansons arabes chantées par les
femmes indigènes de Guehna pour endormir les enfants (8). —
M. Fabre a publié dans l'Algérie nouvelle une série de légendes
kabyles mises en vers élégants (9) qui font honneur au poète,
mais que les érudits eussent peut-être préféré voir remplacés
(1) René Basset : Nouveaux contes berbères. 1 vol. Paris, 1897.
XXVI, 373 pp.
(2) René Basset: La maison fermée de Tolède, in Bull. Soc. Géog.
et Arch. d'Oran, n" spécial à l'occasion du vingtenaii*e de la Société,
1 vol. Oran, 1898, p. 42.
(3) Rev. trad. popul., 1897, t. XII, pp. 146-152.
(4) Id. pp. 65-69. 243-253, 337-341, 400- 'i04, 477-484,
633-636 et 668-678.
(5) Id. pp. 272-273.
(6) Id.. pp. 59, 336, 531-532.
(7) Id. pp. 48. 262. 615-616.
(8) Id. pp. 86. — D'autre part, M. A Robert a donné
dans la Vie alg. et tun. de 1897 une chanson arabe des environs de
Gaelma pour endormir les enfants, texte arabe en caractères français
et traduction.
i9) C. Fabr£ : Légendes kabyles, in Alg. Nouv. iv des 6 juin, 27 juin
et 4 juillet 1897.
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE L'ISLAM MAGHRIBIN 95
par une prose plus fidèle au texte original. — Dans le même
recueil le même auteur, descendant du Parnasse, a raconté,
dans une prose facile et agréable, une légende des Ouadhia(-l).
M. Hans Stumine a publié des airs populaires de la Tuni-
sie (2). Cette collection qui vient d'être suivie d'un nouveau
recueil de contes et poésies populaires de Tripoli (3) fait partie
d'une série de travaux analogues poursuivis par le même
auteur sur le folke-lore et surtout sur la langue parlée de
l'Afrique mineure. M. H Stumme a déjà publié : une première
collection de contes et poésies populaires tunisiens ; une
étude sur le dialecte des Houwàra de l'Ouad Sous ; des mor-
ceaux en dialecte chelha ; des poésies populaires des Chlouh ;
une grammaire de l'arabe parlé de Tunis, avec glossaire (4).
Nous en donnons en note l'énumération exacte afin de montrer
comment les Allemands viennent butiner sur un terrain où le
zèle de nos arabisants d'Algérie et de Tunisie devrait, semble-
t-il, ne rien laisser à glaner à des étrangers. Il est bien mor-
tifiant pour notre amour-propre que la plupart des travaux
réellement scientifiques parus sur les dialectes arabes de
l'Afrique Mineure soient l'œuvre de savants allemands. — A
propos des travaux de M. Stumme sur les contes populaires du
Maghrib, on ne lira pas sans fruit l'article de M. Eckardt dans
la Deutsche Rundschau (5). L'auteur, après une description
pittoresque du café maure et du conteur arabe, développe
des considérations intéressantes au point de vue tolkeloriste,
sur les contes populaires de l'Afrique du Nord. Il croit, avec
apparence de raison, y retrouver certains vestiges du christia-
nisme (voy. en particulier p. 13:?, en bas). Au sujet du rapport
de ces légendes avec les légendes européennes, M. E. ne se
prononce pas. Sont-elles venues du Maghrib à l'Europe, ou
bien est-ce le contraire ? a Personne ne saurait trancher la
question. Les contes sont comme les feuilles entraînées par le
vent » (6),
(1) C. Fabre : Une lérjende des Ouadhia, in Alg. Nouv., 2 et 9 jan-
vier 1898.
('2) H. Stumme : Neue tunisische Sammlungen (Kinderlieder, Stras-
senlieder, Auszaehlreime, Raetsel. Arôbis, Geschichtchen, u. s. w).
Arab. Text . mit. Uehersetz. Leipzig. 1896, 48 pp.
(3) H. Stumme : Maerchen und Gedichte aus der Stadt Tripolis in
Nordafrica. Leipzig-, 1898.
(4) Tunisisc/te Maerchen inid Gedichte, Eine Sammlung prosaïsrJier
und poetisclter Stueche im arab. Dialelit der Stadt Tunis, nebst Ein-
leit. u. Uebersetz. Leipzig, 1895. — Der arabische Dialein der
Huioara des Wad Sus in Marokko (en collaboration avec A. Socin),
Leipzig, 1894. — Elf Stûche in Sc/tilhadiale!;t von Tazenoalt, in
Zeitsch. f. deutch. morgenl. Gesellsch., ISOi. — Maerchen der Schluh
van Tazerwalt, Leipzig, 1895. — Dichtkunst und Gedichte der Schluh,
Leipzig 1895. — Grammatik des tunisichen Arabisch. nebst Glossar,
Leipzig, 1896.
(5) J^ I. VON Eckardt : Magrebinische Volhsmaerchen, h\ Deutsche
Rundschau, 23 ann., 4"°= fasc. janvier 1897, pp. 12ii-133.
(6) Plusieurs ouvrages mentionnés au paragraphe XV ('p.ll9j, intéressent
les folke-ioristes en même temps que les philologues: p. ex., les légendes
Kabyles, de M. Moulieras ; les textes touaregs, de M. Masqueray, publiés
par MM. K. Basset et Demambynes, etc.
96 BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE L'ISLAM MAGHRIBIN
XI. — SOCIOLOGIE DE L'AFRIQUE MINEURE
(Ouvrages intéressant les Mœurs, Coutumes, Institutions)
Au début de ce paragraphe, nous devons signaler la très
remarquable bibliographie géographique que M. Augustin
Bernard a donnée au Bulletin de la Société de Géographie
d'Alger. Dans le chapitre V, en particulier, le savant géographe
d'Alger fournit un certain nombre d'indications qui se rappor-
tent à la sociologie de l'Afrique Mineure (1). — Nous devons
aussi mentionner, comme renfermant à ce même point de vue
d'importantes et inédites contributions, les Documents géogra-
phiques sur l'Afrique septentrionale, de M. René Basset (2) : ce
sont des traductions de textes intéressant surtout la géographie
pure, accompagnées d'un abondant et savant commentaire.
Le travail de M. Carnoy, intitulé L Islam, mœurs et coutu-
mes(3), se réfère surtout, en dépit de son titre trop compréhensif,
aux musulmans de l'Afrique du Nord. Il se compose d'une série
de mémoires sur les institutions, mœurs et coutumes musul-
manes ; cérémonies accompagnant la naissance, les funérailles,
la circoncision, etc., .... ; confréries religieuses ; vendetta ou
dia, ... On est bien obligé de reconnaître que ces études trahissent
une certaine inexpérience du sujet ; l'auteur ne paraît pas
avoir puisé aux sources. Il s'est contenté, le plus souvent, de
se reporter à des ouvrages ne méritant pas une grande
confiance, comme, par exemple, les brillants récits du général
Daumas. Ajoutons que, comme cela est, hélas ! trop fréquent
dans ces sortes d'ouvrages, l'orthographe des noms arabes est
peu respectée.
Dans la Grande Encxjclopédie, M. de la Martinière a donné
un long article, qui a été ensuite tiré à part, sur le Maroc. En
son ensemble, cet article offre un bon résumé de nos connais-
sances actuelles sur l'Empire des Chérifs. La partie la plus
remarquable, à raison des travaux spéciaux de l'auteur, est
celle où il nous décrit les monuments indigènes ou les vestiges
de la domination romaine, que lui même a contribué à retrou-
ver avec tant de succès. L'Histoire du Maroc occupe 33 colonnes
et présente un exposé détaillé des révolutions marocaines ; on
aurait peut-être préféré seulement quelques vues d'ensemble
appuyées sur un certain nombre de faits judicieusement
choisis ; mais il faut convenir que l'état des études historiques
sur le Maroc n'est pas encore tel qu'il soit possible d'avoir des
(1) Augustin Bernard : Revue bibliographique des travaux sur la
Géographie de l'Afrique Septentrionale, in Bull. Soc. Géog. Alger,
3' ann. , 1898, 1" trim. , p. 25 soq et t. à p.
(2) René Basset: Documents géographiques sur l'Afrique Septen-
trionale, traduits de l'arabe. 1 br. 5i p., Pans. 1898.
(3) Henri Carnoy L'Islam, mœurs et coutum,es, inRev. de l'Islam,
2'aûn..janv. 1897, p. 3 sep.
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE l'iSLAM MAGHRIBIN 97
conclusions générales. Au point de vue religieux, il y a peu de
chose à glaner dans l'article de M. de la M. ; il nous paraît
impossible d'admettre l'opinion de M. G. Charmes à laquelle
semble se ranger Fauteur, opinion suivant laquelle lors de ia
période brillante de l'empire musulman d'Espagne « ce qu'on
appelait la civilisation arabe, s'élaborait au Maroc et en partait
pour briller en Espagne ». On est étonné aussi de trouver des
renseignements comme ceux ci : « La théologie se confond au
Maroc avec la jurisprudence » (p. 217, col. 2). Les musulmans
n'ont jamais confondu le -X-^y (tawh'îd) et le -/^J.3 (fiqh) dans
aucun pays. Plus loin Al Bokhàrî est donné comme un
commentateur du Coran et cette erreur, surprenante chez un
voyageur au Maroc, est reproduite deux fois (p. 277, col. 2 et
p. 278, col. 1). Ces légères observations, destinées à sauvegar-
der les droits de la critique, n'empêchent pas l'article d'être un
des plus complets que la Grande Encyclopédie ait donnés
jusqu'ici et un des plus commodes à consulter.
Nous n'avons pas à analyser ici en détail les volumes récem-
ment parus du magnifique ouvrage de MM. H.-M.-P. de la
Martinière et N. Lacroix, sur le Nord-Ouest africain ; notre
savant maigre, M. Augustin Bernard, poursuit ici même cette
tâche avec sa haute compétence, et il convient que nous nous
bornions à quelques brèves indications. Le III^ volume des
Documents (1) contient un très remarquable essai historique sur
le Touat ; on y trouvera des détails sur les nombreux juifs toua-
tiens convertis à l'islamisme ; ces conversions, du reste forcées,
sesont poursuivies jusqu'à nos jours. Les confréries religieuses
au Touat sont particulièrement fanatiques (p. 199). Au Maroc,
où des puissances rivales se disputent la prépondérance, des
intérêts communs ont pu nous réunir à la maison d'Ouezzàn;
mais au Touat, les confréries n'ont de raison d'être qu'en se
montrant intransigeantes ; les Taïbiya et les Oulad Sidi Chikh
n'ont qu'une influence restreinte à cause de leurs compromis-
sions avec les chrétiens. Nous ne nous implanterons au Touat
que par la force, et si nous voulons employer pour cela les
Oulad Sidi Chikh, il faudra leur en donner les moyens. Les
auteurs, un peu plus loin, remettent au point la question des
Senoussiya : il n'y en a guère qu'au Tidikelt. L'ouvrage con-
tient enfin de nombreux et curieux détails sur les mœurs des
populations touatiennes. Le tome IV des Documents (2) est
concerné à la description détaillée des oasis du Touàt ; on y
trouve à glaner des renseignements innombrables et inédits
sur l'état social et les coutumes des habitants. Un magnifique
atlas de 11 cartes complète l'ouvrage, dont tous ceux qui
(1) H. M. p. DE LA Martinière; Documents pour servir à l'étude
du Nord-Ouest Africain, réunis et rédigés par ordre de M. Jules Cam-
bon, Gouverneur Général, t. III. Les oasis de l'Extrême-Sud Algérien
1 vol. XV, 544pp., 1897.
(2) Id. — t. IV, 1 vol. 591 pp., 1897.
98 BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE l'ISLAM MAGHRIBIN
s'intéressent à l'expansion de la France dans le Nord de
l'Afrique souhaitent ardemment de voir bientôt la continua-
tion.
Tandis que MM. de Lamartinière et Lacroix mettent en
œuvre les documents administratifs, les pièces de chancelle-
rie, les renseignements indigènes recueillis par nos officiers
de bureaux arabes, M. Mouliéras, dans son Maroc inconnu,
s'adresse exclusivement aux indigènes eux-mêmes ; ce sont
leurs récits qu'il enregistre, c'est de leur bouche qu'il recueille
la description de leur pays, et en définitive il ne fait que se
servir de la source dernière d'information de tout voyageur,
en ce qui regarde les mœurs et coutumes. Car quel voyageur
peut se vanter d'avoir tout vu ? la mobilité de l'explorateur
l'oblige à s'en rapporter sur la plupart des points au dire des
indigènes. M. Mouliéras n'opère pas autrement, mais avec
quels avantages sur l'explorateur ! C'est à loisir, dans le cabi-
net, qu'il interroge ses marocains, les tourne et les retourne,
et les contrôle les uns par les autres, c'est dans leur langue,
soit en arabe soit en berbère, qu'il leur adresse la parole avec
cette facilité d'élocution qui lui conquiert de prime abord les
bonnes grâces de tous les musulmans. Aussi son œuvre est-
elle un répertoire immense de renseignements absolument
originaux qu'aucun de ceux qui écrivent sur le Maroc ne
pourra se dispenser de consulter à chaque instant. Les socio-
logues surtout y pourront puiser à pleines mains des trésors
d'information. Le IL" volume du Maroc inconnu est sous
presse : il contiendra plus de 800 pages sur les seuls Djehàlâ.
A chaque tribu l'auteur a joint un historique fait d'après les
sources arabes les plus autorisées (1).
Il ne nous reste plus à citer sur l'empire chérifien qu'un arti-
cle de M. Harris sur les * Berbèrer, nomades du centre du
Maroc, que nous mentionnons d'après la Chronique Géogra-
phique de M. A Bernard (2).
Parmi les ouvrages généraux sur l'Algérie, celui de M.
Kœnig * (3) paraît être particulièrement important : nous n'a-
vons pu l'avoir à notre disposition. — Au congrès de Carthage,
(1) Ce deuxième volume vieat de paraître; il comptera parmi les
ouvrages les plus originaux qui aient jamais été publiés sur le Maroc.
C'est une véritable encyclopédie : marocaine, géographique, ethnogra-
phique, historique, philologique, religieuse, politique. . . Nul ne peut plus,
à quelque titre que ce soit, s'occuper de notre voisin de l'CJuest, sans
recourir préalablement au magistral travail du savant professnu' d'Oran.
C'est aussi le livre d'un bon Français, et tout bon Français qui s'inté-
resse à l'avenir colonial de son pays devrait l'avoir lu. Nous en reparlerons
longuement.
(2) W. B. Harris : The nomadic Berber of central Morocco, in
Geog. Journ., 1897, p. 638.
(3) A. Kœnig : Reisen uncl Forschungen in Algérien. Mit. 24 nach
photog. Aufnahm. gefertigt. Schioarzdr-BilcL, ià m. d. Hand col,
Taf.; 2Forbendr-Tdf. u. 1 Karte. Berlin, 168-426 pp., 1897.
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE L'ISLAM MAGHRIBIN 99
en 1896, M. Du mont avait déjà présenté quelques observa-
tions sur la démographie des indigènes et plusieurs membres
avaient attiré son attention sur l'intérêt qu'il y aurait à étudier
rinlluence exercée sur le renouvellement de l'espèce, la fré-
quence des naissances, la masculinité, la mortalité infantile,
par la polygamie, la précocité des mariages et la fréquence des
divorces. L'auteur s'était proposé de remplir ce programme et
de présenter au Congrès de 1897 le résultat de ses études :
l'insuffisance et la nature défectueuse des documents officiels
l'ont arrêté (1). L'énorme effort qu'a coûté l'application de la
loi sur l'état-civil est donc resté, à cet égard au moins, à peu
près complètement stérile ; c'est bien regrettable. Néanmoins
M. Dumont a pu obtenir dans ces mauvaises conditions quel-
ques résultats dont voici les plus intéressants : l'accroissement
énorme de la population musulmane tient en partie à des
recensements de mieux en mieux faits, en partie à l'excédent
des naissances ; — un grand nombre de naissances, mariages,
divorces ne sont pas déclarés, les omissions sont moindres en
ce qui concerne les décès ; — les mariages d'enfants existent
toujours, mais ils ne sont pas déclarés, et on n'en sait pas le
nombre ; — la fréquence extrême des divorces et la médiocre
fécondité du mariage musulman semblent les deux traits les
plus saillants de la démographie des musulmans algériens. —
Les très intéressantes monographies des communes de Boghari
et de Chellala publiées par M. Joly dans V Algérie Nouvelle, (2)
ne contiennent que relativement peu de choses à notre point
de vue et ont avant tout un intérêt géographique. — Il en est
de même d'une note de M. Pallary (3) sur le Dahra oranais,
dans laquelle nous ne trouvons à relever que la mention d'un^
sorte de mascarade célébrée par les indigènes et observée par
l'auteur ; on ne sait s'il faut rattacher cela aux « carnavals »
observés sur un différents points de l'Afrique du Nord.
En ce qui concerne la Tunisie, il nous faut nous arrêter
quelque temps à un ouvrage capital au point de vue sociolo-
gique : nous voulons parler du livre de M. Paul Lapie sur les ci-
vilisations tunisiennes (A) : c'est avant tout le livre d'un philo-
sophe. L'auteur qui d'ailleurs est un professeur de philosopiiie,
ratiocine à tout propos. Il ne lui suffit pas de rassembler pa-
tiemment les faits et de les analyser ; il veut les coordonner,
l) A. Dumont : Démographie des musulmans, in C R 26' sess.
A. F. A. S. Cong. de St-Eiienne, 1897, l" part. Doc. off. et proc.-verb
p. 527 et 2°"= part. Notes et mém., pp 589-614.
(2) A. Joly : La commune de plein exercice de Boghari, in l'Alg.
Nouv.. II, 1897, n- des 8, 19 et 22 août. - La commune indigente de
Chellala, annexe de Boghar, id. n- des 29 août et 5 sept. 1897.
(3) P. Pallary : Notes géographiques sur Le Dahra oranais^ in C if?-
25"» sess. A. F. A, S-. Cong-.' de Garth. 2°" part. Notes et mémoires,
1897, p. 659.
(4) Paul Lapie: Les civilisations tunisiennes. — Musulmans, Israéli-
tes, européens. Etude de psychologie sociale, Paris, 12- 1898.
100 BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE l'ISLAM MAGHRIBIN
les relier en un tout cohérent, bref il systématise continuelle-
ment. Son but est de montrer comment, dans la ville de Tunis,
les trois civilisations arabe, juive, européenne ont pu se déve-
lopper côte à côte et de rechercher quelle inflence elles exer-
ceront dans l'avenir les unes sur les autres. A vrai dire, l'au-
teur s'occupe presque exclusivement de la société musul-
mane et de la société Israélite, mais comme il les caractérise
en montrant comment elles différent de la nôtre, il embra&se
en réalité dans son étude les trois éléments européen, arabe,
juif.
L'idée maîtresse du livre est que les caractères des sociétés,
juive et arabe ne s'expliquent suffisamment ni par la race, ni
par la religion (p. 7 seq) ; il faut en chercher l'explication dans
l'âme des deux peuples. D'ailleurs l'auteur prend soin de faire
remarquer que par âme il n'entend ni une entité métaphysique,
ni cette conscience collective et permanente dont parlent
aujourd'hui les sociologues ; le mot âme ne désigne pour lui
que « des combinaisons originales de croyances et de coutu-
mes, des groupes de tendances communes à la plupart des
arabes ou des Israélites » (page 22), d'ailleurs modifiables par
des influences ethniques ou religieuses. La thèse fondamentale
de M. Lapie consiste à soutenir que l'âme arabe s'explique
entièrement par l'imprévoyance, l'ignorance de l'avenir, et que
l'âme juive s'explique au contraire par le souci de l'avenir,
oc L'âme juive est orientée vers l'avenir comme l'âme arabe
vers le passé » (p. 19). En partant de ce principe, l'auteur nous
trace un tableau fort intéressant de l'arabe et du juif (p. 13
seq). On ne saurait méconnaître la grande part de vérité que
renferme le système de M. Lapie, car c'est proprement un
système et il nous semble bien que, comme tel, il n'embrasse
pas l'ensemble des faits. Du moins rend-il bien compte de la
plupart d'entre eux ; le seul reproche à lui adresser c'est que
le sentiment de prévoyance ne semble pas^ au premier abord,
un élément psychologique assez simple pour rendre compte
intégralement de l'âme d'un peuple. Cependant l'auteur
poursuit rigoureusement sa démorL:tration et il applique
successivement son système à l'étude de la richesse, de la
famille, de l'état, de la religion et de l'art dans les sociétés
tunisiennes. La place nous manque pour le suivre à travers ce
vaste programme. Disons seulement quelques mots du cha-
pitre consacré à la religion (p. 189-256).
Il y a d'abord sur le fatalisme une série de réflexions fort
justes (p. lys seq). L'exposé des doctrines théologiques que
fait M. Lapie a cela de particulier quil n'est pas extrait,
et pour cause, des théologiens arabes. C'est seulement le
résultat d'entretiens que l'auteur a eus avec des savants
tunisiens : il est toujours intéressant pour nous de savoir ce
que pense à ce sujet l'élite des indigènes tunisiens.
Les lignes sur ce que nous appelons officiellement le clergé
musulman sont excellentes, ce A force d'en parler, dit-il, on le
BULLETIN IÎIllLIO(iRAPHIQUE DE L'ISLAM MAGHRIBIN 101
crée » (p. 231). L'auteur fait bien ressortir la dift'érence qui
existe entre les prêtres de chaque religion : « Le prêtre chrétien
est le délégué de Dieu parmi les hommes ; le prêtre musulman,
le prêtre israélite représentent les hommes devant Dieu t)
(p. 207). Puis M. Lapie examine les trois classes qui pourraient
remplacer un clergé dans l'Islam : les chets politiques, les
chorfa, les Khouans ; il pense, à tort peut-être, que les sociétés
religieuses sont avant tout des sociétés secrètes et qu'elles
(( jouent un rôle plus politique que religieux » (p. 209).
Il y a sur la pratique de la religion (p. 235 seq.) et sur
le culte des saints notamment, des passages remarquables
(p. 244-155). M. P. L. établit bien que le culte des saints est un
phénomène qui se produit dans toutes les religions ; d'après lui,
il n'est ni plus ni moins remarquable dans l'Islam qu'ailleurs:
(( les masses veulent rendre Dieu sensible... Partout où le senti-
ment et l'imagination se mettent à faire de la théologie, le
résultat est le même .... Le culte des marabouts n'est jamais
que la revanche du cœur et de la fa^taisie sur l'abstraction du
monothéisme » (p. 250).
La conclusion du livre est particulièrement intéressante.
C'est avant tout celle d'un professeur et de plus elle est la
conséquence logique de son œuvre si systématique. Nous ne
pouvons résister au plaisir de citer encore : « La prévision est
la dominante du caractère israélite, l'imprévoyance, celle du
du caractère arabe... Est-il donc impossible de développer
dans l'àme arabe, le goût de l'avenir et de faire sentir aux
Israélites la poésie du passé ? . . . Pour transformer ces âmes,
il ne suffit pas d'instruire les enfants des deux peuples. . . à la
sortie de l'école, l'influence des aînés détruit notre œuvre. . .
A cet éducation de la foule, il faut joindre une éducation de
l'élite. . . Les idées du peuple sont la menue monnaie des idées
de quelques hommes ; c'est à l'intelligence de ces hommes
que nous devons nous adresser ». L'auteur préconise donc
l'envoi en France des enfants indigènes d'une part et, de l'autre,
un enseignement supérieur approprié ; pour apprendre aux
Arabes à prévoir, et à douter du passé, on les cultivera parles
sciences expérimentales et la critique historique. « Le jour où
le Discours sur la Méthode serait compris et admiré par une
élite de jeunes Tunisiens, nous aurions donné à 1 àme arabe
plus de qualités nouvelles' qu'en apprenant l'histoire des rois
de France à cent mille enfants musulmans » (p. 300;.
Il se pourrait fort bien qu'on eût tort de ne vouloir voir là que
des rêveries de philosophe et nous pensons, pour notre part,
qu'il y a beaucoup à profiter dans le livre de M. P. L. Sans
cloute, attaché avant tout à son système, il voit tous les faits
sous un angle spécial, mais au moins son œuvre est harmo-
nieuse et bien ordonnée. Sa portée dépasse d'ailleurs celle
d'une étude locale, car bien que l'auteur se soit restreint à la
ville de Tunis, cependant la plupart de ses \'ues s'appliquent à
tous les indigènes de l'Afrique du Nord.
10
102 BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE L'ISLA.M MAGHRIBIN
Les faits sur lesquels il étaye ses raisonnements sont bien
observés, comme il fallait s'y attendre de la part d'un psycho-
logue ; ils sont en outre décrits dans une langue claire et
souvent avec un grand bonheur d'expression (voy. p. ex., p. 241
seq., la description des jours de repos de la semaine dans
chaque religionj. On voit en outre que les faits que l'auteur
n'a pas observés ont été puisés à des sources sûres; les études
faites par des étrangers (von Maltzan. p. ex.) ont été dépouillés
par M. P. L. Enfin, dédaignant de chercher, comme tant
d'autres, à faire illusion au lecteur sur son degré de connais-
sance de la langue arabe, il a pris soin d'avertir qu'il ignorait
cet idiome. Il convient d'ajouter qu'il a, à cet égard, si minu-
tieusement contrôlé ses renseignements qu'on ne relève chez
lui aucune de ces bévues si nombreuses chez d'autres qui
prétendent écrire une langue qu'ils ne connaissent pas.
Pourtant, comme il ne faut pas que la critique perde ses
droits, relevons à cet égard quelques très légères inexactitudes :
« Le vendredi s'appelle en arabe jour de la mosquée ». C'est
une erreur, le vendredi se nomme -Ax<v2rJL .,; , jour de
Vassenihlée, et non s.>»us:in ->j.; , jour de la mosquée (p. 209),
(( le Code est tiré du Coran ». C'est une proposition courante,
mais bieni nexacteen réalité (p. 194, 210, 218, etc. . . i On doit
conseiller à l'auteur de se mettre en garde contre la tendance
à étayer ses raisonnements sur des Jiadits. La critique moderne
a prouvé en etïet que les traditions n'ont de valeur que comme
expression de la doctrine de telle ou telle école (p. 219) « La
formule de l'Islam : a Mohammed est le Prophète de Dieu b
parait signifier : a Mohammed est le seul Prophète comme
Allah est le seul « Dieu ». Nous ne le croyons pas ; ce serait
certainement une hérésie que de nier les prophètes qui ont
précédé Mohammed ; celui-ci est seulement le Sceau des Pro-
phètes. Ces critiques, dont on pourrait allonger la liste,
n'altèrent pas du reste les grandes lignes du livre.
Nous devons nous borner à mentionner l'ouvrage de
M. Fitzner sur la * Régence de T'imis(i'), qui nous est inconnu.
— M. Bertholon, un de nos anthropologistes les plus actifs, a
publié une exploration anthropologique de file de Djerba (2).
Nous n'avons pas à nous arrêter aux hypothèses, souvent bien
aventureuses, que l'auteur émet sur les origines de la popu-
lation de file. M. B. revient sur la cynophagie (voy. in/rà)
déjà étudiée par lui au Congrès de Catthage ; il donne
d'intéressants détails sur la vie sociale des insulaires ; il pense
que le fait d'avoir échappé à l'Islam orthodoxe les a servis ; ils
ont, dit-il, une perfectibilité que n'ont pas les autres musul-
(1) FiTZT!iEii: Die Regentschaft Tunis. StreifziXge und Studien tn . 17
Vollbild.u. r Karte. Berlin, 1807.
(2) Bertholon : Exploration anthropologique de l'île de Gerba
(Tunisie) ia U Anthr opologie, VJII, a" 3, 4 et 5 (comm. p. 318).
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE L'iSLAM MAGHRIBIN 103
mans. Cette conclusion est au moins inattendue. L'auteur
signale, ciiez ces abàdhites l'érection de pierres droites,
cylindre coniques, sur les monuments du culte (il y a à ce
sujet une gravure intéressante). Ce serait, suivant M. B. un
vestige de l'antique litholàtrie (?) et même une trace du culte
phallique (7?). — Nous signalerons aussi, au point de vue
sociologique, un intéressant article de M. Mohammed Kaby
(de Tunis), sur les coutumes et les cérémonies relatives au
mariage en Tunisie (1). — M. H. Saladin a étudié les survi-
vances de l'architecture chrétienne dans l'architecture musul-
mane ("2). Il remarque la ressemblance des plans des mosquées
à nefs parallèles (grandes mosquées de Tunis, Kairouan,
Mehdia, Gafsa) avec celui de la basilique de Carthage
(Damous el Karita). De plus, en Tunisie, les mosquées ont été
ornées de colonnes empruntées pour la plupart aux édifices
byzantins ou aux monuments antiques. De même, les maisons
arabes reproduisent, d'après M. Sal., les traits essentiels des
maisons romaines telles que, par exemple, les villas d'Oudena,
déblayées par M. Gauckler.
M. Bertholon a fait relever les tatouages des principaux
prisonniers au bagne de La Goulette (3). Il les a, dit-il,
comparés <-• aux tatouages dont étaient porteurs des prison-
niers Lebou, Tamahou et européens, figurés sur le tombeau de
Seti fer », et il conclut que a la pratique des tatouages a été
importée par les tribus qui, sous le nom de Masa, Trakariou,
Lebou, etc., ont colonisé au XV*^ siècle avant notre ère la
portion orientale de la Berbérie». Ces conclusions, quelque
intéressantes qu'elles soient, ne nous paraissent cependant pas
s'imposer avec une grande évidence (4).
Le travail du même auteur sur la cynophagie (5) n'est pas
restreint à la Tunisie ; Djerba, Gabès, les oasis du Sud Tunisien,
celles du Sud Algérien, le Mzab et le Touat, renferment des
populations qui mangent la chair du chien. M. Bertholon
considérant que le tait de manger du chien est aussi honteux
(D Mohammed Kaby (de Tunis) : Le mariage en Tunisie, ia Rev.
alg. et tun., 1897, p. 438.
(2) H. Saladin : Les survivances des traditions antiques depuis
l'occupation arabe en Tunisie, in GR "25' s«ss A. F. A S. Cong. de
(Jànhagti en 18'j6. 2° part. Notes et mém., p. 799 se'i-
(3) D. Bertholon : Les origines des tatouages tunisiens, id 1" part.
Doc. off. et et proc.-verb., p. 199.
(4) M. le GOMTE DE CouronS'el dans ses Notes sur le Maroc, in
Quest. dipl. et col., 1 475. 15 juin 1897, parait convaincu que les croix
tatouées au front des Berbères marocains sont des vestiges du christia-
nisme. A ceu.K qui s'occupent du tatouage chez les musulmans nous
pouvons signaler ici l'ouvrage arabe intitulé: ^j-'=~- ^auJI ^ yùc
imprimé au Caire en 130 i H. ' ' "
(5; U' Bertholon : La cynophagie dans l'Afrique du Nord, in CR.
25' sess. A. F. A. S. Cong. de Carth. en 1896. 1" part. Doc, off. et
proc.-verb. p. 2(J7-i?08,
104 BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE l'iSLAM MAGHRIBIN
pour un musulman que celui de manger du porc, pense
que la cynophagie est antérieure à rislamisation de l'Afrique.
C'est en effet probable. Rappelons ici que nombre de tribus
de l'Afrique du Nord mangent le sanglier ; quelques-unes
même le domestiquent (1). Quant à la cynophagie, elle est
beaucoup plus répandue qu'on ne le suppose dans le Maghrib;
c'est ainsi que nous tenons d'une source digne de foi que les
indigènes de la région de Bou-Saâda mangent fréquemment le
jeune chien, quoiqu'en cachette. M. Berth. termine en disant
que ce qui constitue l'intérêt de la cynophagie, c'est qu'elle a
lieu « malgré l'opposition d'une religion excessivement stricte
et dont aucun indigène, sauf sur ce point spécial, n'ose s'affran
chir ». C'est aller un peu loin, car les exemples de coutumes
contraires à la législation musulmane sont très nombreux chez
les Berbères (2).
L'intérêt que présentent les discussions relatives à la condi-
tion de la femme dans l'Afrique du Nord nous a engagés à
réunir à la fin de ce paragraphe les travaux, peu nombreux du
reste, parus à ce sujet (3). M. Groult (4) déplore l'infériorité de
la situation de la femme musulmane ; cette infériorité n'est,
en effet, pas ilouteuse, mais il convient de remarquer que
la condition des femmes est encore beaucoup plus satisfaisante
dans l'Afrique du Nord que dans maint autre pays de l'Islam.
Où l'auteur nous paraît entrer dans la voie des utopies, c'est
lorsqu'il dit qu'il serait utile de conférer les droits politiques
aux indigènes et de leur imposer, par conséquent, le mariage
devant l'otticier d'état-civil français ; c'est encore lorsqu'il
attend de grandes choses de l'instruction des petites musul-
manes, lorsqu'il pense que les indigènes en viendront à
demander les premiers que la France prenne en main la cause
de l'émancipation fémimine en Algérie et en Tunisie !
M. Bernard d'Attanoux (5), dans la Revue de l'Islam, estime,
sans citer d'ailleurs aucune source, que le sort de la femme
avant l'Islam était bien plus malheureux qu'il ne fut après, que
Mahomet a beaucoup fait pour relever la condition de la fem.me
et que la femme orientale a joué sous les khalifes un rôle de
premier plan. « Mais, dit-il, le naturel a repris le dessus et
nous en sommes revenus, dans certaines contrées de l'Afrique
(1) Cf. MOULIÉRA.S : Le Maroc inconnu. Impartie, p. 57.
("2) Nous ne connaissons pas l'article de M. Gunckel : The symhol of
the hand, in tJie american antiquarian, qui pourrait renfermer des
choses intéressantes au point de vue religieux et africain.
(3) Rappelons ici, pour mémoire, la thèse de M . Helou Rahmin, publiée
en 1896: Etude sur la condition juridique des femmes musulmanes,
Paris 1896, 8° 182 p.
(4) Groult : De l'amélioration de la condition des femmes musul
mânes en Algérie et en Tunisie, in C. R. 25* sera. A. F. A. S. Gong, de
Carth. en 1890. 1' part. Doc. off. et proc.-cerh., p. 208.
(5) Bernard d'Attanoux : Condition sociale de la femme musul-
mane en Afrique, in Rev. de l'Isl., 2" an., janv. 1897, p. 4 seq.
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE L'iSLAM MAGHRIBIN 105
du Nord, aux mœurs d'avant Mahomet » Il est inutile de faire
remarquer combien sont stériles toutes ces assertions généra-
les, tant qu'elles ne sont pas étayées sur un ensemble de faits
précis ; rien n'étant d'ailleurs plus vague, plus difficile à
définir, plus relatif aussi que le bonheur d'une classe de la
société à telle ou telle époque. M. B. d'Att, insiste ensuite sur
la considération dont jouit la femme dans les sociétés berbères
et dans le Bornou.
Nous n'avons eu connaissance du livre du cheikh Mohammed
Es Snoussi (1) sur la Femme dans l'Islam que par un compte-
rendu de la Revue Tunisienne (2), dans lequel nous relevons
les lignes suivantes : « . . . L'auteur se prononce catégorique-
ment pour l'enseignement de l'écriture aux femmes et appuie
son avis sur ce fait que dans les premiers siècles de l'Islam, les
femmes savaient écrire . . . Mais la mission principale de la
femme est de s'occuper de son ménage, de l'éducation de ses
enfants et de soigner son mari ; si elle accomplit conscien-
cieusement ses devoirs, Dieu l'en récompensera plus que pour
tout autre bonne action ». Le bonhomme Ghrysale ne pensait
pas autrement.
On a mille fois signalé les abus du droit de Bjahr qui permet
de confier des filles impubères à des adultes et amène les abus
les plus monstrueux. M. Eyssautier a élaboré un projet de
loi (3) prévenant ces honteux attentats, assurant la répression
de ceux qui pourraient se produire et donnant à l'état-civil
indigène l'assiette la plus solide (4).
Xlf. — OUVRAGES LITTÉRAIRES
(Études de mœurs, Romans, Livres de touristes)
Nous serons brefs avec ces ouvrages qui ne rentrent pas
précisément dans le cadre que nous nous sommes tracé ; nous
ne ferons d.'e.xceplion que pour le Maître de l'Heure, de M. Hu-
gues Le Boux (5). Quoique étant avant tout une œuvre litté-
raire, ce beau roman réclame en effet ici une place spéciale. Il
abonde en faits bien observés, et tous ceux d'entre nous qui
ont habité l'intérieur le liront avec beaucoup d'agrément. Ils
prendront plaisir à y retrouver, minutieusement notés par un
(f) (iHEiKH Mohammed Es-Snoussi : Epanouissement de la Fleur,
ou étude sur la Femme dans l'Islam, traduit de l'arabe par Moliammed
Malii-ed-dine Es-Snoussi et Abdeli^ader Keljaïli. Tunis, 1897.
(2) Rev. Tun., n- 15, juillet 1897, p. 373.
(3) EYSSAUTiim : Projet de loi sur le mariaije des Indigènes, in Rev.
alg. et tun. leff. et jurisjir., l'M ann., juillet 1897, 9i3-lU3.
(i) A Taudience de rentrée de la Cour d'Alijer (jui vient d"avoir lieu,
M. Ktienne a choisi, comme sujet du discours h;^bituel, le droit de djahr.
(5) Hugues Le Roux : Le Maître de l'Heure, rouiau d'histoire et
d'aventures. Paris, 12', 1897.
106 BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE L'ISLAM MAGHRIBIN
bon observateur, mille petits détails qui passent inaperçus
pour un lecteur métropolitain. A ce titre, c'est un livre bien
algérien. C'est la démonstration éclatante de l'absurdité de ce
vieux préjugé qui veut qu'on ne puisse pas connaître les ques-
tions algériennes si on n'habite pas la colonie depuis vingt ou
trente ans. Il est d'ailleurs à noter que ceux qui soutiennent
cette thèse avec le plus d'acharnement, s'ils ont derrière eux
vingt ans de place du Gouvernement ou d'arcades Bab-Azoun,
n'ont guère jamais poussé leurs voyages d'études plus loin que
la Pointe-Pescade ou la Maison-Carrée. Ceux-là ne saisiront
pas quelle vérité il y a dans les types crayonnés par Hugues
Le Roux : Mazurier, l'ingénieur JBazire, le patriote Fabulé,
Campasolo, etc. Ce ne sont pas seulement les européens, mais
encore les indigènes que l'auteur a étudiés; si l'ignorance de
la langue arabe ne lui a pas permis d'approfondir ses études à
ce sujet, du moins a-t-il su profiter des renseignements que lui
ont donnés des conseillers compétents et avisés. Car quelle
exactitude dans des scènes comme celle de la djemâ'a (p. 216
seq, 226 seq, 236 seq) et de l'entrevue de Belkassem et de
Mokrànî (p. 259 seq ) ou des funérailles du Maître de l'Heure !
(p. 345 seq). — M. H. Le Roux a de plus étudié l'histoire, et bien
des Algériens pourront profiter à la lecture des pages où il
expose les causes de la révolte du bach-agha de la Medjana
(pp. 40-63). La fin du roman est bien un peu compliquée, et il
faut avouer que l'auteur donne à ses personnages (le curé, le
médecin ) une connaissance des mœurs arabes extraordi-
naire et qu'on est peu habitué à rencontrer chez ces fonction-
naires. Mais le sous-titre du livre ne permet pas de faire un
reproche de cette observation. L'auteur a donné un soin parti-
culier à l'étude des questions religieuses et il serait à souhaiter
que tous nos fonctionnaires fussent à ce sujet aussi bien
éclairés que lui. A ce titre le Maître de l'Heure ne pouvait être
passé sous silence dans cette revue.
Mais nous ne saurions citer ici les innombrables nouvelles,
études de mœurs, contes arabes qui ont i aru en 1897-1898.
La Revue Algérienne et la Vie Algérienne et Tunisienne ont
été les périodiques où ce genre littéraire fleurissait le plus.
Distinguons seulement deux ou trois de ces œuvres : Ame d'Es-
clave (1), par M. de Béhagle est une nouvelle faite par quelqu'un
qui connaît bien les mœurs indigènes. Cependant les nom-
breuses expressions arabes dont elle est semée ne sont pas
toujours bien correctes. On est surpris d'y trouver des asser-
tions comme celle-ci : « Le verbe aimer n'existe pas en arabe,
il se traduit énergiquement par vouloir ». La langue arabe,
régulière ou vulgaire, nous paraît au contraire fort riche en
mots de toute espèce se rapportant à l'amour. — M. L Derrien,
le très distingué président de la Société de Géographie d'Oran,
(i) Ferdinand de BéhaGle : Ame d'Esclave, étude de mœurs saharien-
nes, in Rev. hl. . 2' anu.. 1897. p. 55 sept.
BULLETIN BIBLIOGRAPinQUE DE l'ISLAM MAGHRIBTN 107
un oranais fort amoureux, et ajuste titre, de son pays natal,
rapporte, dans un article de la Vie Algérienne et Tunisienne^
des détails intéressants sur la fête que célèbrent annuellement
les nègres d Oran, en l'honneur de Sidi-Belal (1). - Dans le
même recueil, sous le titre de Bou 'Amâma, M. Mouliéras (2)
a lionne l'intéressant récit d'une entrevue du derviche
Mohammed bon Et-Taïeb, avec le célèbre révolté ; l'article est
écrit avec la verve et la profonde connaissance des arabes que
l'on sait.
Les récits de voyages faits par des touristes dans l'Afrique
du Nord, au point de vue impressioniste, sont toujours
nombreux. Citons : les Croquis Tunisiens écrits par une dame
sous le pseudonyme de Yasniina (3) ; — le voyage du Docteur
Yaroslav Sediatchek* en Tunisie et dans la province de Cons-
tantine (4) ; — des Notes et ] mpressions de M. Daubeil sur la
Tunisie (5); — deux livres sur Biskra, l'un de M. Hautfort (6),
l'autre de M. Barbet (7), etc., ....
Les Souvenirs d'un ancien Magistrat cVAlgérie (8) de
M. Roussel valent la peine d'èire lus. On y trouvera une série
de drames observés par un magistrat et racontés avec un vrai
sens des choses indigènes. L'auteur a su se garder des écarts
d'imagination et chacun de ses récits constitue véritablement
un document psychologique. — On en peut dire autant des
Types algériens publiés çà et là par M. Robert dans la Vie
algérienne et tunisienne (9) et qui ont ensuite été réunis en un
volume dont M. Gaudefroy-Demombynes a rendu compte ici-
même (10).
(1)1. Uehrii:\ : Oran. Le Vil'arje Xegrc. in Vie Alq. et Tun., 18'.)7,
p. 4G:3.
(2) A. MouLiKRAS: Bon. Amama en e lAh in Vie air/, et tun., I897t
p. 42.
('^) Yasmina : Croquis Tunisiens, 1 vol. Alger, 1897.
(i) Yaroslav Sedlatchek : Fine Reise nacJi Karthauo, 1 vol. 18',
Vienne, 18'JT.
(5) Daubkil .• Xotes et hn pressions sur la Tunisie, 1 vol. 18». Paris,
1897.
(6) Félix Hautkort : Au pays des palmes. Biskra. t vol. Paris, 1897.
(7) Gh. Barbkt : La Reine des Zibans. 1 broch. Alger, 1886. — Cette
brochure est illuslrért de photogravures charmantes.
(8) Rou-SSEL : Sourenirs d'un ancien Mariistrat d' Al'jérie. Paris. 12°.
1897.
(9) Vie alrf. et tun., 18TO. pf). 75, 332, G«8, etc.
(10) Bull. Soc. Arch. et Géoy . Oran, if)- ann.. t. XVII, fas". LXXII,
janv.-raars 1897,p. 14j.
108 BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE L'ISLàM MAGHRIBIN
XIII. — QUESTIONS INDIGÈNES (D
La deuxième édition du bel ouvrage de M. Leroy-Beaulieu
sur l'Algérie et la Tunisie (2) s'est augmentée de près de
150 pages ; c'est avant tout un ouvrage d'économie politique.
Une des parties les plus intéressantes au point de vue spécial
où nous nous plaçons ici est celle où l'auteur traite de l'ins-
truction des indigènes, dont il reste un grand partisan.
Indépendamment de l'enseignement primaire, il voudrait voir
aussi l'enseignement secondaire plus largement dispensé à nos
sujets musulmans. Il regrette beaucoup l'ancien collège arabe-
français. « Nos collèges ne poussent pas assez profondément
leurs racines dans les couches des populations arabes et
musulmanes » (p. 257). M. L.-B. voudrait encore que l'ensei-
gnement de la langue arabe fût plus répandu : « Il serait
désirable que beaucoup des habitants de l'Algérie, tant les
français que les indigènes, fussent bilingues et qu'ils se
servissent des deux idiomes, le français et l'arabe ; c'était
la condition des Alsaciens, c'est encore celle des Flamands,
des Basques et de beaucoup d'autres populations d (p. 254). —
M. L.-B. déplore enfin que les indigènes ne fréquentent
pas davantage nos cours d'enseignement supérieur. « Cepen-
dant, dit-il, les arabes ont excellé dans la médecine et dans les
sciences ». Il préconise, comme il est de mode actuellement,
l'enseignement industriel et agricole pour les indigènes. Nous
pensons que cet enseignement pourrait en effet leur convenir
à merveille ; mais s'il en profitaient trop, ce serait peut-être un
grand danger pour nous. M. L.-B. constate aussi que la Tunisie
a plus fait pour l'enseignement des indigènes que l'Algérie et
il semble bien qu'il ait raison. Encore faut-il ajouter que nous
avons affaire, dans la province de l'Est, à des populations plus
policées et plus studieuses que celles de l'Algérie. Au sujet des
médersas, l'auteur constate qu'elles sont trop chichement
dotées et que cet enseignement devait être beaucoup déve-
loppé.— Nous relevons en outre dans le livre les lignes suivan-
tes, sur l'assimilation des indigènes, lignes qui ne sont pas pour
^déplaire à des Algériens : « C'est en réalité un grand bonheur
pour nous que l'Algérie et la Tunisie soient occupées par des
Arabes et des Berbères mahométans. . Si les indigènes avaient
été moins réfractaires à nos croyances et à nos lois, il se serait
constitué une race de métis ; or, ces populations de métis ont
bien des inconvénients et offrent bien des dangers. Générale-
(li On voudra l)ien remarquer que nous nous sommes abstenus, à propos
des ouvrages qui sont cités dans ce paragraphe, de donner notre appré-
ciation sur les questions qui y sont agitées. Cette abstention est volontaire;
nous réservons expressément nos opinions personnelles sur ces questions
délicates et brûlantes, et nous prions le lecteur de bien vouloir ne pas
nous appliquer l'adage ; < Uni ne dit mot con.<;ent ».
(2; Paul Leroy-Beaulieu: L'Algérie et la luntsie, 1 vol., 620 p.,
PaTis, 1897.
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE L'ISLAM MAGHRIBIN 109
ment ces hybrides ne valent pas leurs parents et ont un état
mental instable. . ils constituent un élément moralement in-
férieur, jouisseur, intrigant, remuant, porté au mécontente-
ment et aux insurrections » (p. 585).
L'excellent livre de M, Wahl sur l'Algérie (1) n'a pas beau-
coup changé dans sa S'"» édition ; c'est toujours la même sûreté
d'information, la même sobriété de jugement. Au sujet des
Kabyles, M. W. dit : «... il faut reconnaître que ces gens-là,
pour différents qu'ils soient des arabes, sont presque aussi
différents de nous que les arabes eux-mêmes » (p. 209). — Au
sujet de l'assimilation : « Ici (dans la réforme du régime de la
propriété) encore, et plus manifestement peut-être que partout
ailleurs, la politique d'as.-imilation s'est révélée comme une
dangereuse utopie, elle a abouti à un échec complet » (p. 311).
— Au sujet de l'instruction des indigènes, l'auteur est affirma-
tif : « Nous ne prétendons pas que l'Ecole à elle seule suffise
à la tache de transformer un peuple, mais nous pensons que
c'est par elle qu'on peut agir le plus efficacement sur les esprits
et sur les cœurs » (p. 329).
Cette sempiternelle question de l'assimilation a soulevé un
débat au sein de la Société d'Anthropologie. M. Zaborowski
avait fait devant cette docte assemblée une communication (2)
dans laquelle il soutenait la thèse de l'assimilation. —
M. Bertholon (3) répondit par une communication conçue
en termes très-vifs, mais également exagérée, dans laquelle on
lit, par exemple, que « le Coran est un chant sauvage de
guerre contre les infidèles, c'est-à-dire les Français ». I;auteur
appuie cette assertion sur des citations du livre, dont il déuc^-
ture la véritable portée. On en trouverait tout autant chez
nous si on voulait fouiller notre littérature religieuse. Finale-
ment M. Zaborowski a répliqué dans une note très aigre (4)
et n'a pas eu beaucoup de peine à se servir des exagérations de
M. Bertholon pour écarter même ce qu'il y avait de juste dans
sa thèse. Somme toute, comme le remarque judicieusement
M. A. Bernard dans sa Bibliographie géographique, ces sortes
de tournois académiques ne font pas a^'ancer d'un pas la ques-
tion (5).
(1) Wahl. L'Ahiérie. '■'> éd. 1 vol. 1897, Pari.s.
(2) Zaborowski : De l'assini/lation des indiqènes de V Algérie, in
Bull. Soc. Ant'irop. Paris, t. VIII, IV' sér., 1897, fasc. 5.
(3) Bertholon : Quel doit être le rôle de la France dans l'Afrique
du Nord. ? Coloniser ou assimiler. Doiuments antho-polorjiques sur
laquestion. in Bull Soc. Anihrop., t. VIII. 4= sér. 1807. fasc. .'>, p. 509.
(4) Zaborowski; A ]jroj)Os de l'assimilation des indigènes algériens
in Bull. Soc. Anthrop., t. VIII, IV" sér., 1807, fasc. 6. '
(5) Une polémiqui; tout à fait semblable s'est proïkiite entre M. Zabo-
rowski et M. Laupts dans la Rev. Scient.. 1807. 1"sem.,p. 498 et 2«
sem., p. 335 et 587 * (A. Bernard, op. laud., p. 12 du t. à p.)
110 BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE l'iSLAM MAGHRÏBIN
Dans les deux articles sur les problèmes algériens qu'a
donnés aux Q'i.eatwns diploin'iti fues et coloninlos, (l) et à la
Bévue de Paris (2) le savant professeur de l'Ecole Supérieure
des Lettres d'Alger dont nous venons de citer le nom, il
effleure à peine les questions qui nous intéressent ici ; mais
chaque fois qu'il y touche, il le fait avec cette mesure, avec
cette sûreté de jugement, avec ce bonheur d'expression aux-
quels il a si bien habitué ses auditeurs des Ecoles.
Le mémoire de M. Mathieu sur le Sud-Ouest oranais et la
frontière marocaine (3) est avant tout l'œuvre d'un forestier ;
nous relevons quelques réflexions sur les indigènes qui
acceptent notre civilisation : « Ils ne sont ni assimilés, ni, au
fond, plus civilisés, car le relèvement suppose avant tout
une réforme morale qui leur fait défaut » L'auteur voudrait
qu'on laissât agir nos missionnaires : « sans négliger l'instruc-
tion qui développe l'intelligence, ils font appel à la morale
religieuse qui élève le cœur et fortifie la volonté ; f'ppuyés sur
les vérités premières qu'admettent les musulmans, ils leur
inspiient le resoect de la civilisation chrétienne et ils les rap-
prochent de la France ». — Sous le nom de Djebel Demmer,
M. Blanchet comprend la région montagneuse qui s'étend du
Djebel Nefousaau sud de Gabès (4). Le travail de M, Bl. est
avant tout géographique, nous relevons cependant les con-
clusions, au sujet du berbère de ces montagnes : « Préservé
par son isolement de la contagion qui a définitivement gagné
à la religion du nomade Mohammed tous les peuples pasteurs,
il n'a jamais accepté sincèrement les dogmes qu'on lui impo-
sait. . . Si rien ne vient modifier le cai'actère que nous leur con-
naissons, ce sont les gens de la montagne qui nous ouvriront
le Sahara ».
Le beau livre de M. L Lapaine sur les Communes mixtes et le
gouvernement des indigènes algériens(b) n'est pas seulement une
étude administrative ; sous couleur d'y présenter une réforme
dans la constitution des communes mixtes, l'auteur a touché
aux plus graves problèmes politiques concernant les indigènes
et il a traité à fond la question de l'assimilation avec la
compétence et l'autorité que peuvent donner une vie entière
passée dans la colonie et de longues années vécues dans
( 1) A. Bernard : L'Algérie et le nouveau Gouverneur, in Quest.
cliplom. et ol.. l"sept. 1898, p. 2u.
(2) Un Algérien: Problèmes aJrjériens, in Rev. de Paris, 15 mars
1898.
(3) A. Mathieu : Le Sud-Ouest oranais et la frontière marocaine,
inMém. de l'Acad. de Stanislas Oinnée 18?6). Nancy. 1897, GXLVIf
ann. . 5° sér., t. XIV. pp. 64-93.
(4) Blanchet; Le Djebel Demmer. in Ann. deGéog., 1897, p. 239.
(5) Les communes mixtes et le gouvernement des indigènes en Algérie, 1 vol . 8»'
Paris, 1897. — Cf. Ivan Lapaine, sous 1^; même litre, in C R •
£,6' sess. A. F. A. S. Gong, de S'-Etienne en 1897, 2" part. Notes et mém.'
p, 936-938.
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE l'ISLAM MAGHRIBIN 111
l'administration des indigènes. M. I. L. pense que les indigè-
nes sont prêts pour la vie municipale et c'est dans ce sens
qu'il oriente sa réforme de leur organisation. Nous ne pouvons
faire l'analyse du livre, rempli de documents inédits, de
comparai.>^ons suggestives et écrit d'un style qu'on a plaisir à
lire : " 11 n'y a pas chez les indigènes, conclut l'auteur, une
inaptitude spécifique au progrès; tout au contraire, ils présen-
tent, quoique on en ait dit, une très grande réceptivité à notre
éducation La France en Algérie sera fusionniste ou elle
ne sera pas : fusionniste au moins jusqu'au contact loyal,
jusqu'à la communion dans un minimum d'idées communes ;
fusionniste jusqu'à prendre dans la masse indigène des points
d'appui et de pénétration et jusqu'à solidariser pour cela
quelques-uns de ses éléments avec les nôtres '\
La petite plaquette de M. Cartier de Marchienne sur la
Tunisie, son passé, son présent, son avenir (1) ne contient
aucune conclusion intéressante, malgré son titre ambitieux.
Le développement des œuvres d'assistance, de prévoyance,
de solidarité est certainement un des moyens les plus efficaces
que nous puissions avoir pour modifier l'éjat d'âme des
indigènes et le rendre plus conforme au nôtre, si cela est
possible. Sur ces questions nous devons signaler : un article
de M. Colin sur les hôpitaux indigènes (2) ; — les publications
officielles . du Gouvernement général sur les Sociétés de
Prévoyance indigène (3); — un article de M. îagnan sur la
Société franco-musulmane de Secours mutuels d'Alger (4j.
La question de l'instruction des indigènes est toujours aussi
brijlante, quoique les partisans de l'instruction semblent avoir
perdu du terrain dans l'opinion publique. Voici néanmoins
1 énumération de quelques travaux se rapportant à la question.
M. Mohammed ben Cheneb (5) a publié le texte arabe et la
traduction d'un traité sur l'éducation ; ce livre, qui est anonyme,
est l'œuvre d'un t'âleb marocain. 11 est d'autant plus intéres-
sant pour nous que ces sortes d'ouvrages sont rares chez les
arabes. Relevons-y en courant les préceptes suivants . il faut
apprendre aux enfants le Coran, les grands faits historiques
( iLov'^ ^..,0-=s.î ), la vie des Saints. L'éducateur devra énu-
mérer fréquemment à l'enfant les châtiments auxquels on
(1) n. DE (IaRTIER I)K NtARt'HiENNE : La Tunisie, son passé, son présent)
son avenir, t vol., Paris. 1897
(?) COLIX : L'œuvre des hôpitaux indigènes en Algérie, in Rei' . fol.- et parlent.,
janvii'r I8P8. p. Ui'-i.
(3) Rapports sur les opérations des Sociétés indigènes de Prévoyance, i-enilant los
exfirci''es I83^>-9S et 18!)6-07. présentés à M. (iambon et â M. Lépine.
gouverneurs £,'énér;iux, par M. R^rsevi'le. secrétaire K'^néral du Gouver-
nement, 2 vol. 1891 et 1898. Alger, '215 et 45 pp.
(4) FaGXAN ■ Une société musulmane de Secours mutuels, in Algérie nouvelle
21 mai 1897.
(5 Mohammed ben Cheneb : Xotions de pédagogie musulmane, Alger. 1897. 8°.
112 BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE l'ïSLAM MAGHRIBIN
s'expose dans l'autre monde en contrevenant à la loi. L'auteur
paraît compter avant tout sur la crainte inspirée par ces
châtiments pour contenir l'enfant dans le droit chemin. Ce
point est assez caractéristique. 11 n'y a pas de différence entre
l'éducation des garçons et celle des filles. Il n'est pas blâmable
d'apprendre l'écriture à celles-ci L'opuscule se termine par
quelques mots sur la kharqa : l'auteur paraît surtout se préoc
cuper d'interdire les innovations introduites à notre époque
dans la cérémonie de la iif/îarr/a (A^^i^l cL_ o-^sr-i! ç.j,Jl)
telles que le fait d'orner l'école et la maison de l'enfant avec
des soieries, d'enjoliver les planchettes, de faire monter
l'enfant sur une mule comme une fiancée, de laisser pousser
des cris d'allégresse par les femmes. Tout cela est innovation,
c'est-à-dire hérésie ( Acj.; xîi) ^-»^? ), Ce dernier passage est
intéressant comme réaction de l'orthodoxie fanatique contre
les coutumes locales. On souhaiterait de voir plus souvent des
indigènes suivre les traces de M. Ben Gheneb et publier
d'aussi intéressantes études.
Les maîtres d'écoles, les étudiants, les savants ont été chez
les arabes l'objet de toute un littérature anecdotique. M. René
Basset dans un article de la Vie algérienne et tunisienne (1)
rapporte des anecdotes qui roulent principalement sur les
ruses qu'employaient les t'olba pour arriver à se remplir
l'estomac, ruses bien autrement substiles et audacieuses nous
dit l'auteur, que celles des personnages de Mïirger. Dans la
province d'Oran, la plupart des anecdotes sont rapportées
à un certain Ben Çekràn (Cf Delphin, Recueil de textes pour
l'étude de l'arabe parlé, Paris et Alger, 1891), qui aurait vécu
au milieu du siècle dernier et que plusieurs douars se disputent
l'honneur d'avoir vu naître. « Il est probable, ajoute spirituel-
lement M. Basset, que ses contemporains, ceux du moins qui
furent ses victimes, en étaient moins fiers ».
En fait d'articles généraux sur l'instruction des indigènes»
nous pouvons citer ceux de MM. Gastu (2j et Wahl (3) dans la
Vie algérienne et tunisienne, tous deux favorables à cette
instruction. M. Cat, dans sa Revue, est beaucoup moins affir-
rnatif (4) et conclut : « Les indigènes, en cette matière comme
en toutes les autres, se soumettent volontiers à nous ; mais en
somme l'instruction leur paraît inutile et au fond elle leur est
désagréable ». — C'est surtout dans le Bulletin de l'Enseigne-
ment des Indigènes de l'Académie d'Alger, que se trouvent
d'intéressants docunients à ce sujet : M. Vidal de la Blache
• (1) René Basset: Les tolha d'autrefois, in Vie al^. et lun., 1897, p. 186.
(2) Gastu; Faut-il donner de l'instruction aux indigènes?in Viealg. ettun., p. 165.
C^) Wahl: L'enseignement des indigènes, in Vie alg. et tun., p. 95.
(4) E. Cat ; Souvenirs de l'Extrême- Sud. Les indigènes et l'instruction obligatoire'
in KÂlg. Nouv., 1897, n" 1 et 2, 3-et lU janvier.
BULLETIN BlBLIOGRAl'HIQUE DE l'ISLAM MAGHRIBIN 113
n'a-t-il pas comparé les nombreux articles d'instituteurs qui
s'y trouvent avec Lettres édifiantes des Missions '? Dans un
intéressant travail, M. Paul Bernard (1) a repris une à une les
objections élevées contre les écoles indigènes. Peut-être
fait-il parfois preuve de quelque optimisme. Mais, à bien
des égards, il a remis !es choses au point et il a appuyé
ses assertions de chiffres des plus intéressants (2). — Dans un
article anonyme du même Bulletin (3), l'auteur fait remarquer
que dans nombre d'écoles françaises la fréquentation, d'après"
les statistiques ofticielles, est moins bonne que dans les écoles
indigènes. 11 est bien certain que plusieurs des arguments que
l'on fait valoir contre l'enseignement des indigènes sont égale-
ment valables co itre l'instruction des français. — Dans
VAlyéi'ie Nouvelle, M. G. Fabre (4) a raconté l'histoire mise en
vers d'une élève de la fameuse école de Taddert ou Fellah ;
cette histoire n'est pas bien encourageante. — M. Machuel,
directeur de l'enseignement public en Tunisie, a lu, au Congrès
des Orientalistes qui s'est réuni en 1897, une note sur l'ensei-
public en Tunisie, note dont le texte ne nous est pas encore
connu.
Les Réflexions de M. Gh. Saint- Galbre sur l'enseignement de
l'histoire et de la géographie à donner aux indigènes (5), se
rapportent sans doute plus spécialement aux élèves des méder-
sas : il faut « faire ressortir l'action constante et universelle de
la France, action toujours empreinte de désintéressement, de
sacrifice même. Opposons-là parfois à la politique d'intérêt,
d'égoïsme ou de spoliation qui fait toute l'histoire de certains
peuples ».
La question de l'enseignement supérieur des indigènes est
intimement liée à celle du développement des études africaines
et orientales dans le programme d'enseignement des Ecoles
Supérieures d'Alger. On trouvera à ce sujet des renseignements
dans les très intéressants articles de M. Paoli, sur l'enseigne-
ment supérieur à Alger (6). Une faculté algérienne ne sera via-
ble qu'autant que son enseignement sera adapté au pays etque
l'administration assurera des débouchés à ses élèves. — M. Ber-
thelot vient défaire réimprimer le discours qu'il prononça à
Alger en 1887 (7), comme Ministre de l'Instruction Publique.
(1) P. Bernard : Les écoles indigènes devant l'opinion publique, in Bull, enscgn.
ind. de l'Acad. d'Alger., 5"= ann., n° 56, p. 177 et n" 57, p. 5.
(2) Gf Mg. Nouv. du 30 janvier 1898.
(3) Bull, enseign . ind. de l'Acad. d'Alger, 5' ann., n° 50, p. 81.
(i) C. Fabre : Fathma, in Alg. Nouv. du 15 août 1897.
(5) Ch. SaINT-Calbre : Quelques réflexions sur l'enseignement de l'histoire et de
la géographie à donner aux indigènes, in 'Bull enseign. ind. xAcad . ,Alg . , 5' ROn.,
n' 53.
(6) Paoli : U Enseignement supérieur à Alger, in l'Alg. nouv., "27 juin, 4 juillet«
11 juillet et 18 juillet 1887.
(7) BekthelOt: Science et Morale, 1 vol., 8°, 518 pp., Paris, 1897. p. 147.
114 BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE L'iSLAM MAGHRIBIN
Le passage suivant n'est pas mauvais à reproduire : « Il faut que
vous montriez à vos élèves les applications de la science; je ne
dis pas seulement l'application à la société en général, mais
aussi et surtout à la société algérienne. Il faut que les professeurs
de l'Ecole de Droit enseignent à la fois à leurs auditeurs et le
droit français et le droit indigène, dans leurs relations récipro-
ques. Il faut que les professeurs d'histoire... s'attachent à faire
revivre le passé de cette terre d'Afrique et des civilisations
si diverses qui l'ont successivement dominée. Il faut que le
professeur de chimie expose particulièrement les applications
des lois abstraites de sa science aux produits algériens » (1).
XIV.— OUVRAGES ARABES ÉDITÉS EN VUE DES MUSULMANS
OUVRAGES ARABES ÉDITÉS PAR DES MUSULMANS
La collection d'ouvrages arabes édités pour l'usage des
médersas s'est enrichie cette année de plusieurs travaux. Cette
collection est particulièrement intéressante et nous semble
devoir attirer toute la sollicitude du Gouvernement. On serait
heureux de voir les indigènes érudits d'Alger suivre l'exemple
de leurs collègues de Fez et du Caire, et se mettre à réimpri
mer les ouvrages arabes classiques et même à composer de
nouveaux manuels ; cette collection pourrait évidemment
accueillir de semblables travaux et il ne semble pas qu'il serait
bien difficile d'en provoquer l'éclosion en encourageant quelque
peu nos « oulama » indigènes. La collection comprend ludiffé-
ramment des textes et des traductions On ne voit pas pour-
quoi les savants européens et les savants musulmans ne
contribueraient pas également à la grossir et pourquoi le
Gouvernement français n'arriverait pas, avec un peu de suite
dans les idées, à former pour l'Afrique du Nord, une collection
analogue à la magnifique Bibliotheca indica des Indes an-
glaises (2). La bibliothèque de l'Ecole des Langues orientales,
celle de l'Ecole des Lettres d'Alger ont une portée très géné-
rales, ne sont pas et ne peuvent pas être des « collections
d'auteurs musulmans ». Il y a là une belle œuvre à enlrepren-
(1) Nous n'avons y:)as vu le volume de M. Georges Viollier. intitulé:
Les deux Algérie, dont l'apparition est d'ailleurs tout à fait récente (l vol.,
Paris, 1808). Les questions indigènes y sont parait-il abordées.
(2) Ont paru dans la Bibliotheca indica, en 1897, indépendamment des nom-
breux ouvrages n'intéressant que l'hindouisme : Moiintakhabu-t-tawârikh
{■<^iyy^i V aST-^') by ' Abdu-l-Qàdir ibn i Muluh Shah, known as al Baddoni.
Translated front the original Persiaii aiid edited by G. Ranking . Vol. I. Calcutta.
— Ah'sanou-t-taqdsim fi ma'rifati-l-aqâlim ( ^^ Là ûT A3 ^xfi cl—— ♦Ai.-_S.X I w^cv' j
known as al Muqaddasi . Translated Jrom the arable and edited by G . S.A. Ranking and
R,. F. .Axpo. Vol. l, fasc. I. Calcutta.
UULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE l' ISLAM MAGHRIBIN 115
dre en Algérie ; le Mécène tiai la mènerait à bien y attacherait
son nom d'une façon impérissable. Les ouvrages publiés cette
année dans la collection des médersas sont au nombre de trois.
Le premier est un i^etit traité énumérant les 35 formes du
verbe avec leur signification C'est un résumé utile dont
M. Bagard a donné le texte et la traduction (1). Le traducteur
ne nous apprend pas le nom de l'auteur qui, paraît-il, serait
inconnu. On aurait su gré à M. Bagard d'en faire, en ce cas, la
déclaration, et de nous donner quelques détails sur le Bina,
son caractère, son utilité, sur les écoles dans lesquelles on
l'enseigne, etc. . . Au reste il convient de remarquer que ces
renseignements eussent surtout intéressé le lecteur européen
et que le livre servira presque exclusivement aux élèves des
médersas. La traduction est très claire et se lit très facilement.
L'exécution typographique est parfaite, comme du reste celle
de tous les ouvrages de la même collection. — Le deuxième
ouvrage est de M. G. Sicard qui a traduit un petit traité de
grammaire attribué à un nommé El 'At't'àr et rimé en vers
t'awîls (2). Ici, comme dans l'ouvrage de M. Bagard, on
aurait désiré quelques détails sur l'auteur et l'époque à laquelle
il vivait. La traduction, élégante et claire, est accompagnée de
notes qui complètent heureusement le texte.
Le troisième ouvrage paru cette année dans la collection des
médersas demande qu'on s'y arrête un peu plus longtemps.
Il est extrêmement intéréssaiit pour nous de voir comment
les arabes traduisaient les Grecs aux temps du khalifat de
Bagdad. L'érudit directeur de l'Ecole Supérieure des Lettres
d'Alger nous met à même d'étudier une de ces traductions en
publiant la version arabe du fameux Tableau de CébèsÇS), avec
une traduction française. L'auteur de cette version arabe est
Ibn Miskaouéih, trésorier du prince bouiide 'Adhad-ad-Doula
(mort en 421 H.). Elle est loin d'être toujours correcte et ce
n'est pas un des moindres attraits de la présente édition que
de voir M. R. Basset relever et expliqu'^r un à un les contre-
sens d'Ibn Miskaouéih dans les notes dont il a orné le texte
arabe. Ce dernier avait déjà été édile, mais il a été, dans
l'espèce, considéra,blement amélioré par son collationnement
avec un manuscrit de la Bibliothèque nationale. Il contient
un chapitre, le dernier, qui n'existait pas dans les textes
grecs qui nous sont parvenus. Ce chapitre est-il une addi-
tion du traducteur arabe ou bien existait-il réellement sur
le texte dont celui-ci s'est servi ? M. R. B. sans se prononcer,
incline vers cette deuxième hypothèse. La traduction française
(1 Bagard : El Bina, petit traité des formes du verbe, texte arabe
et traduction française, Aliter, 1X98. 42 |)p.
(l) ,1. Sicard : PetiT traité de yranimaire en vers, par El Attar.
Texte arabe et traduction, Alg-er, 1898 33 p.
(3) René BaSs^et Le tableau de Cébés, ver io7i arabe d'Ibn Miska-
ouéih, jnibliée et traduite arec une introduction et des notes. 1 br.
n et 6U pp., Alger, 1898.
116 BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE L'iSLAM MAGHRIBIN
est accompagnée de notes qui donnent tous les éclaircissements
nécessaifes et dont quelques-unes sont d'une abondance et
d'une érudition qui dépassent de beaucoup la portée d'une note
ordinaire. Enfin, dans une introduction bien proportionnée,
M. R. B. nous entretient, d'une part du Tableau de Cébès,
des écrivains auxquels on l'a attribué, des éditions qui en ont
été données et, de l'autre, du traducteur arabe, de sa biogra-
phie et de ses ouvrages. Le lecteur aborde ainsi l'étude du
texte en toute connaissance de cause.
La collection des médersas est d'ailleurs en bonne voie ; on
imprime en ce moment la traduction du Mîzàne par feu Perron ;
il se prépare en outre plusieurs traductions de traités classi-
ques, de technologie du hadits, de philosophie, d'astronomie
et de prosodie ; nous-mêmes enfin, avons mis sur le chantier
une traduction annotée de la Hamzia du Cheikh El Boùcîrî,
dont nous espérons la prochaine publication.
La voie de la presse a souvent paru une des meilleures pour
prendre contact avec les lettrés indigènes et il se publie actuel-
lement plusieurs périodiques arabes dans l'Afrique du Nord,
par ordre des gouvernements algérien et tunisien. Le plus
important est le Mohacher d'Alger, actuellement rédigé sous
la direction de M. Mirante, un de nos interprètes de l'armée
d'Afrique pour lequel la rhétorique arabe n'a guère de secrets.
Le Mohacher ne contient pas seulement la traduction des piè-
ces officielles ; on y trouve encore des variétés dont
la rédaction arabe est l'œuvre personnelle de M. Mirante;
de nombreux articles bibliographiques ; — des extraits des
Bulletins de la Société de Géographie de Paris, concernant
tout ce qui intéresse l'Afrique septentrionale; — des extraits de
l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres; — la traduction
des articles les plus marquants des journaux agricoles algé-
riens ; — le compte-rendu des événements militaires du Sou-
dan; — le résumé du voyage de Nansen au pôle Nord, de celui
d'Andrée ; — la traduction complète du traité d'arboriculture
fruitière algérienne de M. Vérot ; — la traduction entière du
travail de M. Violard sur la céramique berbère; (1) — la tra-
duction de la brochure officielle sur Et-Tidjàni (2), que nous
avons mentionnée plus haut. C'est comme on le voit un en-
semble considérable et qui dénote chez le Directeur du Moha-
cher, des connaissances et une activité peu communes.
Sous le titre de Nacîhat-el-Adjiâl (3) le Comité de l'Afrique
française publie de petits lascicules contenant chacun des
articles en arabe sur l'Egypte, la Tunisie, l'Algérie, le Maroc
et le Soudan. Nous avons sous les yeux le n° 3 de la l^^ année :
il contient un article intéressant sur les efforts que font en
Egypte les Anglais pour bannir la langue française de ce pays ;
(1) Cette traduction a été tirée à part à Alger.
(2) Voy. p. 9a.
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE l'ISLAM MAGHRIBIN 117
— un article sur la politique générale en Tunisie; — un article
sur l'interdiction du pèlerinage en Algérie ; — un article sur
la situation au Maroc; — enfin, des nouvelles du Soudan. Tout
cela rédigé dans un style simple, imprimé avec les élégants
caractères de l'Imprimerie Nationale, est de nature à inté-
resser les musulmans lettrés et curieux qui s'aviseraient de le
lire.
Depuis tantôt soixante-dix ans que nous sommes à Alger,
nous devrions avoir fondé une université musulmane (1) où
de véritables savants enseigneraient sous notre direction et au
besoin interpréteraient, suivant notre inspiration, les ouvrages
de théologie, de droit, de littérature arabe. A cet égard, nous
pouvons dire que nous avons failli à un devoir ; il n'y a sous
notre domination ni plus ni moins de lettrés qu'il n'y en avait
sous la domination turque. C'est pourtant par les lettrés
musulmans, comme l'a fort bien remarqué M. Lapie (2), que
nous pouvons surtout agir sur les masses. Il faut que les
jurisconsultes que nous formons possèdent une instruction
française suffisante pour apercevoir les avantages de notre
civilisation et le but que nous poursuivons vis-à-vis de leurs
coreligionnaires, mais il faut aussi qu'ils aient une instruction
musulmane qui leur assure la confiance et la vénération
de ceux-ci et qui leur permette de chercher un compromis
entre les deux civilisations en toute connaissance de cause.
Nous voudrions, répétons-le, les voir travailler et produire,
comme leurs confrères de l'Egypte, de la Syrie, de l'Inde, du
Maroc, pays dans lesquels il y a de véritables centres littéraires
arabes. A ce propos, on ne lira pas sans intérêt les détails
donnés par M. Aly Abou-el-Fetouh sur la célèbre Université
d'El Azhar (3). Elle ne compterait pas moins, actuellement,
de 19.000 étudiants suivant ses cours. « Les étudiants d'El
Azhar apprennent très peu par cœur, nous dit l'auteur. Tout
leur travail vise à bien saisir les textes et à prévoir les objec-
iions dont ils sont susceptibles ». Que n'en est-il de même
chez nous !
Pourquoi donc, en particulier, nos oulama seraient-ils
moins bien doués que ceux du Maroc? Nous aurions voulu
donner ici une énumération des ouvrages édités récemment à
Fez, mais ces livres ne portant pas de date, nous n'avons pas
été suffisamment renseignés sur ceux qui sont tout à fait
nouveaux et dès lors, notre liste se fût allongée démesurément.
A Tunis même, la vie intellectuelle musulmane est plus intense
(1) Voy. à ce pronos l'intéressant article intitulé : 4 Muhammadan
universityfor northern India, in Imp. and asial . quat. Rev ieiu (ociohev 1898^ vol. VI,
n» 12, p. 273-282), par J. Kennedy.
(2) Cf. p. 101.
(3) Aly Abou-el-Fetouh : L'Université d'EU^xhar, in Un. Islam, n" 2
et 3, 1897.
li
118 BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE l'ISLAM MAGHRIBIN
qu'à Alger et chaque année voit apparaître d'intéressants
ouvrages des savants musulmans tunisiens ; c'est là une
supériorité que nous ne pouvons dénier à notre voisine de
l'Est, mais que nous devrions faire tous nos efforts pour
conquérir. Parmi les livres arabes parus l'an dernier à Tunis,
citons seulement : un livre sur la généalogie du Prophète (1); —
un recueil d'actes judiciaires et notariés, du Gheikh Et Touâti (2);
— et des Foutovli Ifrlqiya (3), dont nous dirons deux mots,
d'après l'important article que M. René Basset a donné à
ce sujet, avant l'apparition de l'édition tunisienne que nous
signalons ici (4). On sait que les Foutoàhàt, comme disent les
Arabes, sont des récits de conquêtes absolument légendaires.
Elles forment une série de gestes en prose qui comprend :
FoutoiWech Châm (5), FoutoiW Miçr et FovtouK el Djezira,
attribuées au célèbre El Ouàqidi ; Foutouli el Yemen (6) et
Foutouli' Mekka, œuvres supposées d'Abou El H'asan 'Àlî el
Bekrî, personnage d'ailleurs entièrement inconnu. Il est
extrêmement remarquable que tous les manuscrits qui nous
ont conservé les Foutouli' Ifriqîya sont de provenance
maghribine. M. R. Basset en a étudié dix-huit (7) ; dans
ces manuscrits l'ouvrage est attribué tantôt à un nommé
Moghlat'aï, tantôt à El Ouâqidî, comme dans le manuscrit
désigné par la lettre 0 (8). L'édition tunisienne donne égale-
ment El Ouâqidî pour auteur ; il va sans dire que cette
y jLuàr-Il J^ ^J: ^^i J,:^ A/ilx-'î Js Jr.J"^'
il3U;c v^-Jl-ilî, Tunï 1314.
Tuais, 1314. — Cf. p. 67.
(3) ^Xi\j^\ J^ ^-^îï*" (^'-■^'-^ hny'^'rji'^ ~ "^"^is, 1315.
f4) R. Basset: Le livre des conquêtes de l'Afrique et du Maghreb, in Mél. de
Harhi, 1896, p. 26.
(5) Réimprimé au Caire en 1315 : <i.iUj»L.^;, jJjLjJ JjlJ) ~^y3
(6) Réimprimé au Caire en 1314: J.iJÎ , »«îy ,_3jr*-l' y^^ -y^y^.
(7) Il y en a 3 à la Bibliothèque nationale d'Alger (Fagnan : Cat. Mss. 'Bibl.,
Alger, n- 1612. 161.3, 1915.;
(8) C'est le manuscrit de Habichl. décrit par Hamaker : Incerti auctoHs
liber de expugnaiione Uemphidis et ^lexandriœ, Leyde, 1825, 4', p. XI (R.
Basset).
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE L'ISLAM MAGHRIBIN 119
attribution ne repose sur aucun fondement. Comme le
manuscrit de Habicht, cette nouvelle reconsion, si toutefois
elle diirère de ce dernier, donne un texte plus complet que les
autres ; le deuxième volume presque en entier est en effet
consacré à Ihistoire de la conquête des Mauritanies (1). Le
livre se débite beaucoup parmi les Algériens.
C'est en favorisant l'impression à Alger d'ouvrages rédigés
par des musulmans, sous une direction habilement tendan-
cieuse, qu'un gouvernement pourrait agir sur l'esprit des
indigènes. Malheureusement, en fait d'ouvrages pulDliés en
Algérie par des musulmans, nous n'avons rien trouvé en ce qui
concerne 1897-1898, si ce n'est un recueil de quelques prières
lithographie à Alger (2). C'est vraiment piteux comme produc-
tion littéraire.
XV. — ÉTUDE DES LANGUES & LITTÉRATURES
ARABES & BERBÈRES
L'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres continue à
encourager les études arabes par l'attribution de prix impor-
tants. Le sujet mis au concours pour le premier prix Bordin
en 1900 est le suivant : « Etude sur le Tefslr de Tabari et le
Kecchâf de Zamakhchâri. — Après avoir indiqué les origines
et le caractère de ces deux œuvres, y relever ce qu'elles
contiennent d'essentiel au point de vue de la métaphysique, du
droit, de l'histoire, de la grammaire et de la lexicographie en
s'en tenant aux résultats immédiatement applicables à l'inter-
prétation du texte coranique ». Ce programme d'ailleurs ne
nous paraît devoir tenter que des débutants qui ne reculent
devant rien ou des orientalistes passés maîtres dans leur spé-
cialité.
Nous n'avons pas l'intention de citer ici tous les ouvrages
consacrés à l'étude de la langue et de la littérature arabes ;
il nous faudrait, dans ce cas, mentionner en première
ligne des ouvrages généraux comme celui de Zimmern* sur
les langues sémitiques (3), — des grammaires comme celle de
MM. Durand et Cheikho (4), — des traduction de traités
arabes, comme celui de Sibawaihî (5), — des traductions de
(1) Le chapitre sur la prise de Tébessa a été traduit par Cherbonneau :
1(ev. ^fr., t. XIII, p. 224 et Rev. orient, et ^Ig., jaiiv. 1852.
(2) A^cJ^Î j J.^L^9 t-^^^ ~ ^'o^r, 1 plaq. lithog., 1315.
(.'5) H. Zimmern ; Vergleichende Grammatlk der Semitischen Sprachen. 1 vol
Berlin. 1898.
(4) Durand et Cheikho : Elementa grammaticœ arabicœcum cbrestomathia, lexico
varihque notis. Beyrout. 1<S97.
(5) G. John : Sibawaihî' s Btich ilher die Grammatik. Berlin, 1897 (en cours
de publication).
120 BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE L'iSLAM MAGHRIBIN
textes ayant surtout un intérêt littéraire, comme Hariri (1) ou
Djahiz (2). Nous voulons seulement énumérer ceux de ces
ouvrages qui ont été composés en vue de l'Algérie, de la
Tunisie et du Maroc.
Toutefois nous devons faire une exception pour le Manuel
d'Histoire de la Littérature arabe de M. Brockelmann (3) que
nous demandons la permission de présenter comme étant le
seul traité sérieux de ce genre que les arabisants aient à leur
disposition. Il n'existe actuellement rien de pareil en français ;"
mais nous avons entrepris de donner sous peu une traduction
de ce savant et précieux ouvrage (4),
M. Nallino a présenté, sur la grammaire de l'arabe parlé
tunisien publiée par M. Stumme (5), un ensemble d'intéres-
santes observations, qui dépasse de beaucoup la portée d'un
simple compte- rendu (6). L'auteur se montre particulièrement
dur pour nos arabisants algériens. — D'autre part M. Hartmann
adresse, dans la revue de Beyrouth, qui a pour titre Al
Machriq, un appel aux orientalistes pour l'étude scientifique
des idiomes arabes vulgaires (7); il est temps que l's algériens
qui se livrent à cette étude, coordonnent leurs connaissances
dans des mémoires d'allure véritablement scientifique et nous
donnent enfin la grammaire d'arabe parlé qu'attendent depuis
longtemps les linguistes et les philologues.
Le petit dictionnaire français-arabe de M. Gasselin (8), mal-
gré ses lacunes et ses nombreuses inexactitudes, rendra des
services, parce qu'il est actuellement le seul donnant à la fois
des expressions d'arabe parlé et d'arabe littéral. On y trouve
des incorrections regrettables dans un livre destiné aux élèves,
comme ^ià pour Jy (impératif) ou encore ^-^^ pour ^Is —
(1) Chenery et SteinGaSS : The assemblies of Al Hariri, translated from the
arable. 2 vol., Londres, 1897.
(2) Van VlOTEN : Le livre des beautés et des antithèses, attribué à ,Al Djahi^, de
Basra. Texte arabe. Leyde, 1898.
(3) Brockelmann : Handbuch der aràbischen Littcraturgeschichte. 1°'' fascicule.
Weimar, 1897.
(4) Mentionnons aussi la prochaine apparition du premier volume d'une
traduction du Mostatraf, le livre^ que connaissent tous les arabisants
algériens, du poiyi,n-aplie £/ lècfc/fc/. Le traducteur est M. G. Rat. Il aura
rendu un grand service, non seulement à ceux qui apprennent l'arabe,
mais encore à tous ceux qui s'iutéressjnt au monde de 1 Islam, surtout
si le livre est pourvu de références .
(5) Voy. supra, p. 95.
(6) G. A. Nallino: Osserva-^ioni sul dialetto arabo di Tunisi secundo la gramma-
tica dello Stumme, in L'Oriente, t. II, 1895-1896. paru en 1897, Rome et
Naples. ,. •
(7) M. Hartmann. — L'étude des idiomes arabes vulgaires — ^.aa*) ^„ <\,J^.fl.j*
v,.fX.-'ii «1—. UiLsrM Extr. d'Al Machriq, t. à p., 1 broch., Beyrouth, 1898.
(8) Gasselin : Dictionnaire français-arabe. 1 vol., 794 p., Alger, 1898.
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE L'ISLAM MAGHRIBIN 121
L'ouvrage de MM. Eidenschenk et Cohen Solal (1) est destiné à
rendre les plus grands services à ceux qui étudient la langue
vulgaire ; mais on devra observer qu'un grand nombre des
expressions qu'il contient sont particulières à la province d'O-
ran. M. Laune a donné un recueil d'actes administratifs et
judiciaires traduits en arabe ('2), qui est destiné à devenir le ^ade-
mecimi de ceux qui s'initient à la lecture difficile des actes. —
M, Houdas, dans son Pi^écis de graimnaire arabe (3),
a eu l'heureuse idée d'associer l'étude de la langue parlée et
celle de la langue régulière et d'expliquer l'une par l'autre ;
cette méthode, féconde entre toutes, est de nature à assurer le
succès de ce livre remarquable. L'auteur en a donné aussi un
abrégé (4), destiné à ceux qui ne veulent faire de l'arabe
qu'une étude superficielle. — Nous croyons savoir d'autre
part que M. Beikassem ben Sedîra prépare une grammaire
d'arabe littéral, ouvrage que sa profonde connaissance de
l'enseignement de l'arabe fait attendre avec impatience (5).
M. Raux a donné une intéressante et utile traduction de
divers morceaux de littérature arabe (6) contenus dans le cours
de littérature de M. Ben Sedîra, la Clirestomathie arabe, de
M. Mouliéras, etc.
Enfin, nous mentionnerons encore ici un travail lait par un
indigène algérien, M. Mohammed ben Braham, sur le Pluriel
brisé {!). I^'auteur aétudié tour à tour les innombrables formes
du pluriel brisé et a tâché de les ramener à quelques règles. Il
parait avoir extrait des auteurs arabes la plus grande partie
de ce qu'ils ont dit à ce sujet, et son ouvrage sera utile à con-
sulter comme répertoire. La liste des auteurs consultés ne
contient aucun des auteurs européens qui ont écrit sur la
matière et ils rie sont cités nulle part. Au reste, l'auteur a fait
avant tout une œuvre non pas de philologue, mais de gram-
mairien, de grammairien du reste érudit et ingénieux.
Nous avons parlé plus haut Tp. 95), des importants travaux
que les Allemands consacrent à l'étude des dialectes parlés de
l'Afrique du Nord ; dans cet ordre d'idées nous devons citer :
les Proverbes marocains (8) recueillis par M. Fischer, travail
(1) Eidenschenk et Cohen-80LAL : Mots usuels de la langue arabe, accompO'
gnés d'exercices. Oran, 1897.
(l) Laune: Manuel français-arabe ou recueil d'actes administratifs, judiciaires et
sous seing-privé, traduits en arabe. 1 vol., Alj^er. 1897.
(3) Houdas : Précis de grammaire arabe, 1 vol., Paris, 1897.
4) Houdas : Premières votions de langue arabe, 1 br. . Paris, 1897.
(5) Cet ouvrage vient de paraître, (note ajoutée pendant l'impression).
(6) A. Raux : Recueil de morceaux choisis arabes, l vol. 8°, 218 p., GODStan.
tine, 1897.
(7) Mohammed ben Braham : Le pluriel brisé, 1 vol. 8*, 1 18 p., Paris, 1897.
(8) Fischer: Marokkanische Sprichwxrter, in Mittheil. d. Seminacrs f. Orient.
Sprachenand. l;aenigl. Friedr.-lV'ilhelms .-Universitod ^.u 'Berlin, hrsg v. E. Sachau,
lahrg.I. Berlin. 1898 pp. 188 seq. (Je dois ;i l'ol)ligeanec de JI. l\e né Bas-
set, conimuuicalion de cet ouvrage.)
122 BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE DE L'ISLAM MAGHRIBIN
également intéressant au point de vue de la langue et du folke-
lore, et dans lequel l'auteur a apporté à ses références le plus
grand soin ; — Le travail de M. Seidel* sur la Littérature
populaire tunisienne (1) ; — Enfin il faut ajouter à cette liste
une étude de M. Williams Talcott* sur l'Arabe vulgaire
marocain (2). On le voit, les étrangers nous devancent sur
notre propre terrain.
Notre incompétence en matière de berbère nous fait un devoir
de mentionner sans commentaires les ouvrages de langue et
littérature berbères qui, à notre connaissance, ont été publiés
en 1897-1898. Ce sont: la Premiè«'e année de langue kahyle, de
M, A. Saïd(3); — les Légendes kahyles de M. Mouliéras(4), qui
constituent la plus grande collection de textes kabyles publiés
jusqu'à ce jour ; — la Grammaire mozahite, de MM.Ameur
Nour ben Si Lounis et Moka Messaoud (5); — les Textes de
M. Motylinski en berbère de Djerba (6); — la publication, par
MM. René Basset et Gaudefroy-Demombynes des Textes
touaregs de M. Masqueray (7) ; - - la traduction, par M. Moty-
linski du texte en dialecte du Djehel Nefousa jadis publié par
lui (8) ; — la notice de M. René Basset sur le dialecte des Béni
Iznacen (9) ; — et enfin le texte du Waoïidh avec traduction (10),
publié par M. Luciani, qui avait déjà donné dans la Revue
Africaine un article à ce sujet [Bev. Afr., 1892, p. 151 seq).
Ce H'aoudh, un des très rares textes berbères que nous
possédions, fut rédigé au siècle dernier par Mah'ammed ben Ali
ben Brahîm en dialecte tamazir't. Il est consacré à exposer les
principes du droit coranique musulman : l'auteur s'est natu-
rellement inspiré à peu près exclusivement de l'abrégé de
Khelîl. L'ouvrage n'offre donc pas un bien grand intérêt au
point de vue du droit musulman, mais sa publication est
d'une haute importance au point de vue philologique.
(1) Seidel ; "Beitraege ^. Kenntniss d. tunisischen Volkditteratur , in Zeitsch. f,
afrikan. und. oceanisch. Sprache. JU, pp. 186-188, 268-271.
(2) Williams Talcott : The spokm Arabie of North Morocco, in 'Beitraege x.
Assyriol. und sentit . Sbraclnuiss. 1897.
(3) A. SaïD : Une première année de langue Ttatyle, dialecte louaoua. Alger, 1897.
(4) A. MouliÉRAS : Légendes et Contes merveilleux de la Grande Kabylie. Texte
kalyle. 2' part., fasc. 1, Paris, 1898.
(5) Ameur Nour ben Si Lounis et Moka Messaoud ben Yahya :
Grammaire moiabite., Alger, 8°, 67 pp., 1897.
(6) De C. Motylinski: Dialogue et texte en berbère de Djerba, in Journ.
asiat., 9*sér., t. X, p. ;i77-4(JI, 1897.
(7) Masqueray : Observations grammaticales sur la grammaire touareg et textes
delà Tamahaq des Tattoq. Publié par R. BASSETet GaudefrOY-DemOMBYNES,
2 fasc. en 1897, p. 97-272.
(8) Dk 0. Motylinski : Le Djebel Nefousa, transcription, traduction française
et notes, avec une étude grammaticale. l"fasc., Paris, 1898.
(9) René Basset : K'otice sur le dialecte des IBeni Iznacen, in Giorn. délia Soc.
asiat. ital., vol. iindec, 1897-1898, p-. 1-13.
(10) Luciani : El Haoudh, 1 vol., Alger, 8°, 1897.
BULLETIN BIBLTOGRA.PHIQUE DE L'ISLAM MA.GHRIB1N 123
Et puisque nous venons d'énumérer les principales œuvres
des arabisants d'Algérie dans ces derniers temps, nous termi-
nerons en mentionnant deux articles de M. Cat consacrés à la
biographie de deux orientalistes qui ont bien mérité de la
Colonie, nous voulons dire Perron (4) et Masqueray (2).
Octobre 1898. Edmond DOUTTÉ.
^=I*E^-
(1) Cat : Biographies algériennes, in >y4lg. Nouv. du 3 avril 1898.
(2) Id. id. id. 20 février 1898.
AP*i>E]xr>iOE:
Depuis la rédaction de ce Bulletin bibliographique, de nouvelles
recherches nous ont amené a ajouter à notre travail les ouvrages
dont les titres suivent et dont la plupart ne nous sont encore connus
que de nom. Nous analyserons l'an prochain ceux dont le titre est
précédé d'une croix.
II. — Ouvrages d'ensemble sur la religion musulmane
KuTSCHE : Der Islam, seine geschiehtl. Entwiek. und kultur.
Bedeutung, in lahresberieht d. Ver. f. Erdkunde. Metz, xix,
pp. 42-61, 1897.
III. — Dogmatique et Histoire religieuse
Flago : Yoga or transformation. A comparative statement oj the
various religions dogmas concerning the soûl and ils destiny,
and of Akkadian, Hindu, Taoist, Egyptian, Hebrew, Greek,
Christian, Moharnmedan, Japonese and other magie. 1 vol. 8°,
New- York, 1898.
V. — Droit musulman
•f Pizzi, Italo : L'Islamismo e la guerrasanta in N. Anthol., 1891,
Lxix, pp. 5-35.
•f Carnoy (H.) : Les Kojioun ou chartes kabyles, in Tradition,
1897, XI, pp. 73-80.
•j- Sachau (Ed.): Muhammedanische Recht nach Schafiit. Lehre.,
Berlin, 1898.
VI. — Isilam des divers pays musulmans
Rafiuddin Ahmad : A Moslem's mew of the pan-islamic remval
in Nineteenth Century, xliii, pp. 517-526.
VIII. — Islam de l'Afrique mineure
•}- Valenza (Lina): / Ginun, gen.ii tutelari nella eredenza ebraïco-
tunisina, in Arch. p. lo stud. d. trad. prop., xv, pp. 435-
438, 1897.
IX — Histoire des musulmans en général et de ceux
de l'Afrique mineure en particulier
BouRNiGHON : L'invasion musulmane en Afrique, suivie du réveil
de la foi chrétienne dans ces contrées et de la croisade des
noirs entreprise par S. E. le Cardinal Lavigerie. 1 vol..
Tours, 1897.
APPENDICE 125
Céalis : De Sous.<ie à Gafsa. Lettres sur la campagne de Tunisie,
1881-1884. Préface de G. Larroumet. 1 vol., Paris, 1897.
f D. Mariano de Pano : Viaje a la Meea de un morisco aragones
en el siglo XVI. 1 vol., Sarragosse, 1897.
X. — Folke-Lore de l'Afrique mineure
•}• Valenza : Ninne-nanne di Tunisi, in Arch. p. l. stud. d. trad.
pop. 1897, XV, pp. 82-84.
XII. — Ouvrages littéraires : Études de mœurs, romans,
livres de touriste
Des Moustiers Mérinville : Une pointe dans le Sud algérien,
Tuggurth et la région du Sauf. 1897, 8°, 43 pp., Paris.
Landais : Impressions de deux voyages en Tunisie {1889-1S93J,
suivies d'une étude générale sur la Régence et sur les
bienfaits du protectorat. 1 vol., 1897, 171 pp.
Majersky : Eine Friïhlingsfahrt dureh Italien nach Tunis,
Algérien und Paris. 1vol., 230 pp., Francfort-sur-Mein, 1897.
XV. — Études des langues et littératures arabes
et berbères
•{• Recueil de diverses formules religieuses musulmanes. 1 vol.,
Constantine, 1897, 40 pp.
-{- Talisman arabe (texte arabe). 1 vol., Constantine, 1897.
Cherbonneau : Fables de Lokman. expliquées d'après une
méthode nouvelle, etc. 1 vol., Paris, 1897, ir6 pp.
Le Blanc de Prébois: Essai de contes kabyles avec traduction en
français (en cours de publication), 1" lasc, Batna, 1897.
Le Blanc de Prebois : Essai de contes kabyles, traduction arabe
et française. 1 vol., Constantine, 1897.
Ouvrages " incertœ sedis "
Anna May Wilson ; The days of Mohammed. 1 vol., Chicago, 1897.
Drouet : Au Nord de l'Afrique, in Société normande de
Géographie, xviii" Bulletin, pp. 102-130.
Frœucher ; L'Algérie, ia Union géog. du Nord de la France,
xvin, 1897, pp. 70-75,
Villebois-Mareuil : Au Sud Algérien, in Le Correspondant,
nM85,J897, pp. 3?-66.
126 APPENDICE
LISTE DE QUELQUES OUVRAGES ARABES ÉDITÉS
OU RÉÉDITÉS EN ORIENT EN 1314-1316
lo <:;^i •^^^J'^ ^ij^^ /:r^ f^h^^ ^ ^•î-^?'^ «t^*»*-'' ^ '^'*^
iriJJ^ J.;^ w' JlçJ , Boulaq, 1314.
2o ^j-X^' j,<«srl^>iu,4' j^« ï^^^ t— y}-^^ jy , Caire, 1315.
3» ^L.j^L^ J^-'i y JI^' ^bS , Bombay, 1814-1315.
4° ^jLir^ I .c:r^-^ , 9 vol., Boulaq, 1314 (splendide édition
entièrement vocalisée).
JLsr'^î j^î ^r:;-'^^ UV^j» ^ , Boulaq, 1314 (livre d'un grand
débit en Algérie).
6" ^l: «>jj.3 j-ysÇ.' k^>L*ix)! a3^j_jî Jr^^L) , Caire, 1314.
Caire, 1314 (Continuation de l'histoire des mamelouks de
Maqrizî, revue et corrigée par Ahmed Zéki Bey).
8° ^LiuJI ^j'X5 (voy. p. 118). — ,y<s^'î ~ jU3 (voyez p. 118).
9" ^j-wIViU .^l^\ c^^-" '^^j-'^ /^s^"^' f -"^^^ ('^*^ ,
Caire, 1314.
^J^jjUJ v^J-iî j L;jJî , Caire, 1316.
11" S^j^^ ^i^^ J '^'^'^ V'^^ -r-^''-^ ' ^^^^^' ^^1^-
12o ^^^J-U j'jr^ar'l ilL^ , Caire, 1314.
13° w.;^Lj .J) yojj j...a:iir^ <i_i,.i»L^> j ^*^ '' — ;ït^^ O*^
*?LJJ , Caire 1314.
^w.Ljt , Caire 1314.
150 ^xiL\} ^^-^.n ^^iL^ ê— v-.-^y! jo^j ^^JLsr^
Caire, 1315.
APPENDICE 427
16" ./>-^/!^.- j ^^JfCoU v--:-?-^'! ^ar---^_y ^Lsr-Ii .A>,j
(biographies des premiers personnages de l'Islamisme), Caire,
1315.
^^^^!i} if\-v«. <^ .t:r-^^^ r'' .,^'-*-' * >^'^ Aii.j»L^; j ^:^-»"l^^1
^L^'l Jl.^ <rr^U (Histoire du Prophète, de Hasanet Hoseïn,
des 12 imams, des 4 pôles de l'Islam, etc.), Caire 1315.
18° .JJ ..,.k'! J^,.à)! ^Ls. ^ .-,.iJI__;j-.iî ^Lxr
S.Î-J1 , Caire, 1315.
190 ^f j,;c _^; J.^s^^U'^ ^^=. ^^i;^'-^^ .r^ ^l^■l' wW
Jî>>j.4^l , Caire, 1315 (Recueil de traditions).
^jL^^-'l y , Caire, 1315.
210 ^, ^^f _,jLy ^,i^?r ^yc ^^^u j\jj^ ^lS ^ur
J^j. — v,^ , Alexandrie, 1315 (Hadits, exégèse, eschatologie).
22" ,.v-X--' JJUJ>'^^.> . C^;.3.,s^L! vJîLjt-'l H.<..._;._V _[jC.r
v^SjLx-'l , Caire, 1315 (morale, piété).
23» d-i,/L^,> ^ ^^^ c^^*- -^^-^^ J^^^ ^^ j' f-*^ *^-:i>=^
^yar-'J .j.;:-^"'^-!^ -3.^-= ^i^-^ V .r;^'^-^'''^ .r-^^''' ^^'■'■'^ Caire,
1315 (Hadîts).
^ji^\) iXxjlf ^ Cl»-!--» ^ji-^xV iiscî^j» ^ , Caire, 1315.
"250 ..-.ji ,L-i ... .o-;,^ii _;;uj A^r^j! j.;î,cti ^ur
L_^L; ûAi! j.— v_c (Manuel de civihté sur le plan des manuels
européens), Caire, 1315.
26o 'L.x^ ~\ ,x^ 'i^3 J.C ji^jùJ\ A;.^L=s. , Caire, 1315.
270 vot t--^' Si^^ (Cet ouvrage bien connu a toujours de
nombreuses éditions dans tout l'Orient, et à Fez également).
128 APPENDICE
Caire, 1314.
^j-s4^ ô^î jw^c, Boulaq, 1315.
30° ^;.;:)jUL^ ^-.-=^y^ r^j-^ i^ s^^^-^'' ^•^'-'^^ ' Caire, 1315.
^p"^^ (j^^V -♦''•'= '^ J^^'^'-t' ( '""' ^uJÎ ^'i^^l Aç=v-r iîU^IÎ
J,U,iLlI ^^Jj.;":^ ,.^-c J ,.^'-'iy, Caire, 1314.
32° -iLjj,.iuiJ Aj ^:^;^I o^L»l.-4' ^j-i^ , Caire, 1314.
33° ^^îj.^.^-'' ^,ij>'j^j> .<£^^i^ j ^.''3^.^." J.:l^j , Caire, 1315.
34° 5tX.-c jt_yO (voy. p. 49, no 3).
35» ,ki 'L^ilT J.-.^. ^J>.>» c. ^ yjt.}] 'Â^S sl.i>^]} JLàJ^ A^V-oH-''
I ■'■ ■■ c ■■ ^ ■■■ ■' -^ ^
^;L.^.JÎ J.C L.*_^l j..; _5-^-^ L.^.^"-^^ , Beyrouth, 1314.
(Le titre du livre indique qu'il s'agit d'un nouveau poëme à la
louange du Prophète. Le plan suivi est celui d'El Boûcîrî dans
sa célèhre Hamzia, mais les développements sont beaucoup
plus longs. Bien souvent, d'ailleurs, notre auteur n'a fait que
délayer les vers de la Hamzia. Il suffit de jeter un coup d'œil
sur la l""*^ page pour s'en apercevoir [cpr. le v, 4 et le v. 6 avec
le premier vers de la Hamzia]. Le mètre choisi par notre
poète est, comme chez El Boucîrî, le mètre illustré par
Hârits ben Hilliza. Dans sa courte préface, l'auteur annonce
du reste, qu'il a pris pour modèle El Boucîrî. Le poëme est
divisé en chapitres qui portent en tête l'indication de quelque
épisode de la vie de Mahomet: àjj.^'i J--j^3 a_1_<s_9. _. ij,Jj-/>
— 3'>-i»-'' »j3..o ^^ iU' , «^i — A:;i-^j , etc. — L'ouvrage
est orné de notes surtout grammaticales. Le style est en général
facile.) (1).
36» j^ iy-s^^ , Caire, 1314.
Décembre 1898.
E. D.
(l^ La plupart de ces livres sont répandus en Al.eérie : il pxiste du reste
également à Alger, un libraire intelligent et avisé qui peut rendre de
grands services aux orientalistes (Mourad ben Terki. rue Randon).
INDEX DES NOMS DES AUTEURS «>
Abbadie
Abdallah ben Caïd Amor....
Abdurraschid Kliaa (Nawàbj
Abou el Fetouh (Aly)
Abribat
Ahmad (Rafiuddin)
Ali el Fdouli
Alv (Abou el Felouh)
Allier
Ameur Nour ben Si Lounis. . .
Antara
Ardaillon
Arendzen
Attanoux (d')
Avelot
Auerbach. .
Auge .
Azoo
Pages
. 85
. Gi
117
67
m
82
117
43
122
48
72
53
104
72
72
43
114
Baascli 91
Bâcher 92
Bachir (Et Touati Mohammed
el) 67, 118
Bagard 115
Barbet 107
Barth 49
Basset (René) 40. 41, 56 85, 94, 96
115, 118, 122.
Beaulieu (P. -Leroy) 108
Béhagle{de) ." 77, 106
Belkacem beu Sedira 121
Benoist 92
Berchem (Van) 53
Bernard (Aug.) 96, 110
Bernard (P.) 113
Berthelot 59 81
Bertholon 102. 103, 109
Besthorn 59
Bevan 52
Blanchet 89, 90
Blochet 41
Blum 90
Boigues 86
Bonnet 91
Bournichon 126
Brockelmann 120
Burton 58
Pages
Gagnât 91
(Jarnoy 96, 124
Carra de Vaux 45,51, 84
Cartier de Marchiennes 111
Casanova 52
Castellane (de) 92
Gastries (de) 75
Cat 39, 82, 42. 123
Céalis 125
Chantepie de la Saussaye 44
Gharnay (de) 71
Jhauvin 41
Cha vannes 62
Cheïkho 48, 119
Cheneb (Mohammed ben) 111
Chennery 120
Cherbonneau 119, 125
CJavel 38, 57, 63
Codera 86, 69
Gohen-Solal 121
Colin m
Goppolani 45, 78
Cordier 83
Cornulier-Lucinière (de) 92
Coquelin 43
Contenson (de). 67
Coudray ,... 90
Couronnel (de) 103
Coiirtellemont (Gervais) 69
Uaubeil 107
Daunis 74
Debidour 83
Deflers 71
Delphin 59
Demombyues(Gaudefroy) 44, 87, 107
Depont ..' 45, 78
Derrien 106
Devéria 53
Drouel 125
Dubois (Félix) 72
Dubois (Marcel) 68
Dujarric 39, 49, 77
Dumont 99
Durand 119
Duro 91
Dyck (Van) '40
(1) Cet index ne comprend pas les noms des auteurs arabes cités page 126,
130
INDEX DES NOMS DES AUTEURS
Pages
Eckardt 95
Eideaschenk 121
Etienne 105
Eyssautier 63, 105
Fabre 94 113
Fagnan 43, 87, 89, 91. 111
Fdouli (Ali el) 82
Ferreiro 86
Fischer 121
Fitzner 102
Flagg '24
Flamand 82
Forlong 45
Frœliciier 125
Froidevaux 43
Gaspar 90
Gasselin 120
Gastu 112
Gauckler 91
Gaudeîroy Desmombyaes 44,85, 107
Gil 89
Gilles 87
Gœje (de) 85
Goldziher... 43. 48, 54, 56, 60, 75
Gouvernement Général. 42, 82, 111
Grant 44
Grenier 7]
Groult 104
Gunckel lOi
Guy • 68
Hamet (Ismaïl) 93
Hairis 98
Hartmann 120
Hassert 72
Hatim Tay 48
Hautlort 107
Hayad Khàn (Mohammed) 86
Heiberg 59
Helou (Rahmin) 104
Heudebert 76
Hirsch 71
Hirschfeld 51
Houdas 90, 92, 121
Houdin (Robert) 82
Hourst 73
Huart 74
Hurgronje (Snouck) 60
Irénée (Philippe) 39
Ismaïl (Hamet) 93
Jacquot 68
Jansen 69
Joly 99
John 119
Pages
Kabv (Mohammed) 103
Kennedy 117
Khalidi (Rouhi el) 69
Kimon 47
Kœnig 98
Kohut 51
Kutsche 124
Lacroix 97
Lamaîresse 49
Lamartiniére (de la). ... 92, 96, 97
Lambrecht 41
Landais 125
Landberg (de) 70
Lanessan (de) 74
Lapaine 110
Lapie 99
Larousse • 75
Larroumet, 125
Lartigue (de) . • 73
Lasinio 59
Laune 121
Laupts 109
Lavisse 83
Le Blanc de Prébois 125
Lemoine 39, 87
Lericlie 44
Leonhardt 58
Leroy-Beaulieu 1 08
Le Roux (Hugues) 77 105
Liard 82
Lissagarav 39
Lith .^ 67
Lopes 89
Lorin 82
Loth 92
Luciani 59, 122
Mac Coll Malcolm 71
Machuel 113
Mahler 83
Majersky 125
Malcolm (Mac Coll) 71
Mandeville 81
Manuel Pablo Gastellanos 88
Marçais 64
Marchand 78
Marchiennes (Cartier de) 111
Mareuil (Villebois)
Mariano de Pano 125
Masqueray 123
Mathieu 110
Menant 43
Menclet 77
Mercier 63, 87
INDEX DES NOMS DES AUTEURS
131
Pages
Mérinville (de Moustiers) '>1b
Messaoud Moka 122
Métin 83
Meysonnassa 67
M'hained (Si-bel Khodja) 83
Mirante 90, ll«
Mohammed benBraham 121
Mohammed ben Gheneb 111
Mohammed el Bachir El-Toa-
àti 67, 118
Mohaaimed Es-Senodssi lU")
Mohammed Hayad Khi*n 86
Mohaaamed Kaby 103
Mohammed Seghd'beo Yousef. 91
Mo';a (Messaoud.) 122
Moliner-Violle 9(
Montaudon (de) 92
Montet 47
Morand 63
Moiyl'aski 122
Mouli.éras 70, 77, 98, 107, 122
Moustiers (de — Mérinville) ... 125
Muir 53
Nallino 120
Nawâb (Abdurraschid Khàn). . 71
Néziére (de la} 72
NieUy 77
Nœldeke 51
Neur (Ameur ben Si Lounis) . . 122
Ouâqidî(El) 1)8
Pallary 99
PaoJi 113
Parmenlier 83
Patton 52
Paulitschke 85
Pautz • 48
Pellat 88
Pérès 52
Perron 123
Peytral (M.) 92
Peytral (Marie) 92
Pizzi 124
Playfair 40
Pougnadoresse (Sorbier de). . . . 6i
Prébois (Le Blanc de) 125
Précigou 86
Quilliam 76
Rafiuddin (Ahraad) 124
Rahmin (Helou) 104
Rambaud 83
Ranking 114
Pages
Rat 120
Raux 121
Réville 47
Ribera 65
Unn 91
Robert 9i, 107
Robinson 47
Robles 89
Rossi 69
Boiihiel Khalidi 69
Roussel 1 07
Roff 90
Sachau 93, 124
Saïd 122
Saint-Galhre 113
Saint-Germain (de) 76
Saissy 73
Saladin 103
Salih Zéky Efendi 58
Saussayrt (Ghantepie de la) 44
Sawas-Pacha 60
Schneider 76
Schreiber 75
Schreiner 51
Schultens 48
Schwally 54
Sedira (Belkacem ben) 121
Sedlatchek (Yaroslav) 107
Seidel 122
Senoussi (Mohammed Es-) 105
Sicard 115
Siàoui (Es-) 88
Smith 51
Snouck Hurgronje 60
Sorbier de Pougnadoresse 64
Spiro 50
Steingass 120
Steinschneider 58
Sf umme 95
Suter 58
Taïb (Alphonse.) 39
Talcott 122
Taleb 88
Touâti (El — Mohammed el Ba-
chir) 67, 118
Toutée 73
Trébora 39
Trotignon 82
Valenza 124, 125
Vambéry 71
Vaux (Garra de) 45, 51, 84
Venture de Paradis 91
132
INDEX DES NOMS DES AUTEURS
Pageë
Verneau ^■^
Vérot 116
Villebois-Mareuil 125
Violard ' Ht)
VioHier 114
Vloten(Van) 86, 120
Vollers 41
Wahl 100^ 112
Wellhausen 4/, 49
Pages
Wilson (Anna May) 125
Wûstenfeld 83
Yaroslav Sedlatchek 107
Yasmina 1'^'''
Zaborowski 109
Zéky 'Salih Efendl) 58
Zeller 76
Zimmern 119
Zockle.r ... ^^
y^r-
LlrclÉÉre Sacrée de l'AMpe Païenne
d'après un livre de MM. GAGNAT et GAUGKLERW
La Tunisie est incontestablement, parmi les anciennes pro-
vinces du monde romain, l'une de celles qui ont gardé le plus
de traces de la domination impériale, le plus de vestiges de la
profonde transformation que sa civilisation apporta dans les
différents pays où elle s'était implantée.
Si, dans les parties de l'Europe et de l'Asie, où Rome a régné
durant plusieurs siècles, les monuments ont été aussi nombreux
et parfois plus riches que dans l'Afrique romaine, des facteurs
y ont souvent agi, qui n'ont eu ici aucune action.
Les populations laborieuses et chrétiennes de la Gaule, pour
ne parler que de cette seule province ont, après la dislocation
de l'Empire, et le climat aidant, continué à cultiver le sol, à
élever des habitations. Dans cette contrée, quand les édifices
élevés par les Romains ont péri sous les coups du temps ou des
Barbares, citadins et cultivateurs en ont repris les maté-
riaux, les ont retaillés pour les utiliser dans de nouvelles
constructions.
C'est ainsi que les débris des temples, des antiques forte-
resses, devenus de véritables carrières, passèrent dans les
fondations des églises et des châteaux.
Bien plus, dans les campagnes, le paysan dont la ferme
s'élevait parmi les ruines de quelque pagus, de quelque exploi-
tation agricole, non content d'araser les murs devenus inutiles,
les bouleversa jusqu'au dessous du sol, pour étendre la surface
cultivée, et la charrue vint à son tour achever l'œuvre de
destruction, en dispersant les restes encore visibles des anti-
ques demeures.
(I) Les Monuments historiques de la Tunisie. — l"'" partie ; Les Monuments
o«h"(/;(M, publiés par MM. R. Gagnât et l^. Gauckler. — Les Temples païens,
Paris, Leroux, 1898.
12
134 l'architecture sacrée de l'afrique païenne
Aussi, en dehors de rares exceptions, n'est-ce que dans
la profondeur du sol que l'on retrouve quelques restes, bien
frustes, de l'occupation romaine.
Dans l'Afrique du Nord, au contraire, l'indigène en raison
de son indolence et de ses mœurs pastorales, se garda de
toucher à des édifices qui n'occupaient, en somme, qu'une
surface restreinte des vastes pacages où il mène ses troupeaux.
Au demeurant, comme il habite sous la tente, il n'avait que faire
des énormes pierres de taille que, lors des premières invasions,
son fanatisme avait respectées.
On sait, en effet, combien les restes de villes, de simples
pagi, de fermes même y abondent. Une inoubliable impression
saisit le voyageur lorsqu'il parcourt cette contrée. Capitules
encore debout, portes triomphales, monuments publics élevés
il y a 1,800 ans, y semblent abandonnés d'hier. Et ce ne sont
pas seulement ces restes imposants qui frappent, ce sont aussi
les portes des praedia, les enceintes de villas, les restes
de modestes rigoles où coula jadis l'eau des sources, les
ponceaux sur les ravins. Tous montrent combien industrieuse
et active fut une population qui n'avait laissé, sans l'aménager,
aucun point d'une contrée où règne aujourd'hui la solitude.
Facilement, on se croirait transporté dans un pays que ses
habitants, surpris par quelque catastrophe pompéienne, ont
abandonné brusquement, et qui est demeuré depuis tel qu'il
était alors, sans avoir connu la lente décomposition, œuvre du
temps, des météores et de l'homme.
La Tunisie est, sans contredit, celle de nos provinces de
l'Afrique du Nord où les ruines sont de beaucoup les plus
abondantes, les mieux conservées, les plus grandioses. Ce
n'est pas que l'Algérie n'en possède également, le beau livre
que M. Gagnât publie sur Timgad en ferait foi au besoin. Mais
ce pays, pendant les premières années de notre occupation,
a connu quelques-unes des vicissitudes que je viens d'indiquer
et qui ont privé l'Europe de tant de monuments antiques.
La fièvre de construction qui a sévi dans les centres de
nouvelle formation, l'irrespectueuse rapacité des entrepre-
neurs, souvent renforcée d'une sorte de haine contre les
restes du passé, y ont causé d'irréparables dégâts. Car, il faut
«1
l'architecture sacrée de L'AFRIQUE PAÏENNE 135
le reconnaître, ce sont ceux-là même qui se disent les héritiers
des Romains en Afrique qui ont fait disparaître les plus beaux
témoignages de leurs droits à ce patrimoine, les édifices laissés
par leurs prédécesseurs et que, par une ironie du sort, les
ravisseurs eux-mêmes avaient respectés.
Quant on se prit à s'émouvoir de la disparition des monu-
ments où notre civilisation retrouvait à chaque pas les
traditions de son art et même de sa littérature il était déjà bien
tard.
Fort heureusement, pour l'honneur de la science française,
1^ faute commise en Algérie a profité à la Tunisie et amené
la création d'un Service qui recueille et protège les vestiges du
passé d'une façon sinon complète, en raison des faibles
ressources dont il dispose, du moins dans une mesure suffisante
pour éviter d'irréparables pertes.
L'abondance et l'état de conservation de tant d'édifices
intéressants sont tels que la Tunisie constitue comme un
vaste musée dont les provinces sont, en quelque sorte, les
salles, et, les cités avec leurs édifices, les vitrines. C'est
l'inventaire de ce musée que, sous la protection d'un ministre
éclairé, la Direction des Antiquités et des Arts de la Régence
a entrepris.
11 se trouve, fort heureusement pour une œuvre aussi
considérable, que cette tache a été confiée aux deux savants
qui pouvaient l'accomplir dans les meilleures conditions :
M. Gagnât, dont le nom s'attache à tous les travaux importants
d'épigraphie africaine qui ont été exécutés dans ces dernières
années, et M. Gauckler à qui ses fonctions et le classement des
monuments historiques, dont il s'occupe avec tant de science,
ont donné une parfaite connaissance du sujet.
Un dessinateur dont la modestie égale le talent et qui, depuis
dix ans, avec la passion d'un artiste, a dessiné et photographié
tous les restes d'architecture qui se rencontrent dans la
contrée, M. Sadoux, a exécuté pour ce travail de nombreuses
et belles planches qui éclairent le texte. Un tel choix ne
pouvait être plus heureux.
Je dois enfin signaler le luxe des planches, des phototypies
surtout qui accompagnent celte publication et dont l'utilité,
136 l'architecture sacrée de L' AFRIQUE PAÏENNE
dans une étude de ce genre est aussi grande que celle du texte.
La beauté de ces illustrations me fait mèriie regretter que,
comme les auteurs ont d'ailleurs pris soin de nous en avertir,
ce travail ne soit point définitif.
A part quelques descriptions de monuments, sinon complè-
tes du moins assez documentées pour que des fouilles ulté-
rieures n'aient que peu de choses à nous apprendre à leur
égard, à part les résultats importants et encore inédits de
recherches faites récemment par le Service des Antiquités,
les auteurs ont dû se borner, en dressant cette liste des
temples païens, à en décrire seulement les restes apparents qui
gisent à la surface du sol.
De longues années s'écouleront avant qu'un déblayement
méthodique permette de compléter les renseignements que les
auteurs donnent, et c'est pourquoi ils ont, avec raison, voulu
dès maintenant nous faire connaître ce qui en est visible. On
doit souhaiter que plus tard, lorsqu'une étude définitive sera
entreprise, elle soit publiée dans les belles conditions d'édition
et d'illustration oi^i l'a été le travail de MM. Gagnât et Gauckler.
Une des grandes qualités de ce livre, la clarté, est due à ce
que les auteurs ont évité de se perdre dans les détails. Ils se
sont appliqués à nous faire connaître surtout les traits caracté-
ristiques de chaque monument. C'est une œuvre d'archéologue
et non d'architecte ou d'épigraphiste qu'ils ont faite. Quand ils
ont repris les études faites avant eux, ils en ont élagué tout ce
qui n'était pas essentiel.
Un tel mode amènera sans doute ceux qui voudront connaître
tous les détails, tous les documents : sculptures, inscriptions,
ex-votos, etc., trouvés dans les édifices étudiés, à recourir aux
mémoires antérieurs, indiqués dans les références. Il a le
précieux avantage pour le lecteur de ne lui offrir que ce qu'il
sait devoir y trouver, de ne pas l'égarer dans des descriptions
étrangères au but des auteurs qui est surtout, me sembie-t-il,
de permettre la comparaison de chaque monument aux cons-
tructions analogues de l'Afrique et du monde romain.
L'ouvrage se termine par un répertoire alphabétique.
Gomme c'est en quelque sorte un Corpus des temples de
l'Afrique que MM. G. et G. ont établi, il est à souhaiter que
l'architecture sacrée de L'AFRIQUE PAÏENNE 437
chaque volume renl'erme un répertoire par catégories : termes
des inscriptions relatifs à Tarchitecture des monuments
sacrés, liste et proportion de ceux qui sont de style dorique,
corinthien, etc.
Les auteurs me pardonneront une observation qui leur
prouvera combien fréquemment j'ai déjà consulté leur ouvrage.
Des nécessités typographiques, sans doute, sont cause que les
planches n'ont pas été numérotées et classées dans un ordre
conforme à celui où sont décrits les monuments, et qu'il n'y a
pas, dans le texte, de numéros renvoyant à ces planches. Il en
résulte une gène assez notable pour la consultation de ces
dernières.
Quoique les divisions du travail ne soient pas indiquées par
répartition en chapitres, il est facile d'en saisir la disposition.
Une première partie comprend les sanctuaires dont les
divinités ont pu être déterminées ; une autre, ceux que leur
plan général ou d'autres détails indiquent comme tels sans que
l'on sache quel dieu s'y trouvait. La troisième partie traite de
constructions que l'on suppose avoir été des temples, sans
preuves certaines à cet égard.
Il ne s'agit pas, d'ailleurs, le plus souvent, et comme
on pourrait s'y attendre, de monuments encore debout en tout
ou en partie. Les inscriptions, les historiens même sont les
seuls indices qui ont pu révéler l'existence en certaines
localités, d'édifices sacrés. C'est en s'appuyant sur de tels
renseignements que les auteurs ont pu dresser une si longue
liste. Ils ne s'en sont d'ailleurs pas seulement tenus à ce que
promettait le titre de leur travail et ont avec raison placé
à côté des temples, l'énumération des simples autels.
Le livre se termine par une étude, assez inattendue, sur une
synagogue. Je suppose que c'est parce que cet édilice est
le seul de son espèce que nous ait légué l'antiquité, en
Afrique, et parce qu'il fallait bien le placer dans une liste
de sanctuaires que les auteurs l'ont décrite ici. Mais, à vrai
dire, il me semble que les termes ce païens » et « synagogue »
ne peuvent être rapprochés et il eut été peut-être plus rationnel
déplacer ce monument en tête du volume que l'on con.sacrera
un jour aux églises.
138 l'architecture sacrée de L'AFRIQUE PAÏENNE
Le caractère de ce travail n'a pas permis aux auteurs de
présenter quelques considérations d'ensemble sur les temples
païens d'Afrique. Il y a peut-être quelque intérêt, après
l'analyse qu'ils nous ont ainsi donnée d'essayer une synthèse,
d'exposer les renseignements qui se dégagent de la lecture de
ce beau livre. C'est ce que je vais tenter, non sans l'avoir, au
préalable, feuilleté avec le lecteur, et en lui signalant les
passages les plus remarquables.
Voici d'abord les Gapitoles, et, à leur tête, le plus célèbre
d'entre eux, celui de Dougga (fig. 1), ce bel édifice, que son
état de conservation, ses harmonieuses proportions et l'admi-
rable situation où il s'élève, font tant regretter de ne pas voir
encore complètement dégagé.
Gela n'empêche pas l'étude qu'en a faite M. Saladin, et qu'ont
résumé les auteurs, d'être presque complète. Je ne saurais
m'empêcher de signaler, en passant, l'état d'abandon où se
trouve ce monument, exposé aux souillures et rongé par le
salpêtre. Depuis le cri d'alarme poussé, il y a 10 ans, par
M. Saladin, rien ou presque rien n'a été fait (1).
Le temple de Dougga est prostyle, tétrastyle, d'ordre corin-
thien. Il offre le type le plus habituel des temples africains.
Tout son fronton est encore debout et, détail curieux, le haut
chambranle à crossetles qui formait l'entrée de la cella,
demeure isolé et comme en équilibre (2), les murs adjacents
étant renversés.
Une étude presque entièrement nouvelle et que l'état des
lieux a permis de faire assez complète, es^ celle du Capitole
d'Henchir es Sounr (fig. 5). Le plan en est insolite : le pronaos
est flanqué de deux petites cellas, s'ouvrantsur ses côtés, dans
lesquelles sont des niches. C'est dans ces pièces que se seraient
trouvées les divinités parèdres. . . si l'édifice en question est
(1) J'ai pu seulement démolir en partie, en 1892, ime maison indigène
qui donnait sur le pronaos. Il faudrait encore abattre deux ou trois masures
adossées à l'édifice, et eu dégager le pied. Depuis que ces lignes ont été
écrites, on a, lors de mon dernier voyage à Dougga, en Octobre 1898,
décidé l'expropriation et le dégag'ement de ce monument, que réclamait
depuis longtemps le Service des Antiquités tunisiennes.
(2) Presqu'en face, un autre édifice ruiné ofTre une porte qui s'est
conservée dans les mêmes conditions, au Dar el Acheb .
l'architecture sacrée de l'afrique païenne 139
un capitole, car on a d'indices à cel égard, qu'un fragment
d'inscription de provenance incertaine.
Le pronaos du Capitole (ÏJlcnchir Matria (fig. 2), avec la
belle inscription de son fronton, ses colonnes cannelées et ses
trois soflites si richement sculptés, a été renversé tout d'une
pièce en avant (l).
Le Capitole de Medéina (fig. 7), avec sa cella flanquée de
deux ailes, sa terrasse, dépourvue de l'escalier qui précède
habituellement le pronaos, et des soffites richement sculptés,
semble avoir appartenu à un intéressant ensemble de construc-
tions placées denière lai.
L'étude du Capitole de Sbellla (fig. 3), avec ses trois temples
précédés d'un vaste péribole s'ouvrant par une jolie porte
triomphale, a été faite par M. Saladin, et résumée ici. A signa-
ler la beauté de l'appareil des cellas, leur bon état de conser-
vation, la richesse des soffites et des chapiteaux, l'aspect plein
de grandeur de l'ensemble qui en font un des monuments les
plus imposants de l'Afiique romaine.
Après les Capitoles , mention est faite de deux temples
d'Apollon, d'un temple d'Apollon et. Diane, dont il ne reste
que l'enceinte sacrée, et d'un autel d'Auguste divinisé (2).
Les Africains avaient, on le sait, à l'époque romaine, une
dévotion toute particulière pour certains dieux de leurs
ancêtres, qu'ils continuaient à adorer sous les apparences
nouvelles de divinités gréco-romaines. De ce nombre était la
Virgo Cœlestis ; rien d'étonnant à ce qu'on lui ait élevé un
grand nombre de sanctuaires.
L'étude, toute inédite, du temple de CelestiskDougga(i\g.9),
est des plus intéressantes. Par son péribole qu'entoure une
galerie demi-circulaire dont la disposition rappelle le croissant,
emblème de Céleste et qui portait autrefois les statues de villes
dont le nom est gravé sur la corniche, par son édicule central
(t) Les auteurs disent qu'il ne reste rien du tympan. Cependant, loi's
des fouilles que j'ai exécutées pour dégager cette partie du temple, j'ai
découvert une pierre coupée à firne de ses extrémités par deux faces
régulièrement inclinées et <[ui devaient incontestablement être au contre
du triangle. La [lartie antérieure, martelée, ne laisse' plus voir, d'ailleurs,
quelle en était l'orniuiienlalion.
(2) J'ai signalé (Bull. Archéol . 1890, p. 153, La nécropole de Bulla
Regia) un autel portant les mots : ARA DLVNAE qui doit être placé ici.
140 l'architecture sacrée de L'AFRIQUE PAÏENNE
en forme de temple, c'est un des monuments sacrés les plus
remarquables de la Tunisie (1).
Les temples de ou des Cérès ne nous sont connus que par
quelques inscriptions. Il en est de même de ceux dédiés à la
Concorde, à l'exception d'un temple de Dougga. dont j'ai pu,
avec quelque probabilité, identitier l'emplacement.
Parmi les sanctuaires d'Esculape, celui dont j'ai retrouvé
les restes à if'" es Zaouia, est le seul que l'on connaisse comme
étant encore en partie debout.
Des temples de la Fortune, il ne reste que quelques inscrip-
tions et de rares débris d'architecture.
Il en est de même de ceux qui ont été consacrés à Hercule.
Ceux de Junon, Jupiter, des Lares Augustes, de Liber Pater et
de Mars sont simplement cités dans des textes.
Le sanctuaire — qui parait être un édicule plutôt qu'un
temple à proprement parler — de Mater Magna à Mactar,
présente un détail curieux: deux uesfîgria, ou semelles de plomb,
encastrées dans un dallage.
La série des temples de Mercure est particulièrement inté-
ressante. Celuid'^jn- Toun^a, resté inachevé, d'après M. Saladin.
(et dont la divinité n'est pas certaine) est remarquable par
l'agencement de son appareil et l'ornementation de la
porte de sa cella.
A H'" Bez (fig. 11), le plan du sanctuaire est intéressant par
son péribole, dont la porte forme un arc en plein cintre soutenu
par deux pieds droits. M. Sadoux a dessiné et fait de cet
ensemble une étude aussi complète que le permet l'état de
cette ruine.
L'œdes Mercurii dell^ Kashat (fig. 10), offre une disposition
très remarquable. La partie principale en est un portique
circulaire de sept mètres de diamètre qui comprenait six
colonnes, et devait, lorsqu'il était debout, rappeller les temples
de Vesta à Rome et à Tivoli. Le sol en était revêtu de mosaïques.
La petite cella de TJnihurnica (2), avec une niche dans le
(U Je ne trouve pas, dans cette liste des sanctuaires de Célesle. l'autiel
que j "ai découvert dans la Rekba et publié dans le 'bulletin archéologique
(1805. [II. Kote sur quclqua ruines de la Tunisie, p. 3o6) : delesti aug(ustœ) sac(rum).
Cceatius Maximus saccrdos pontifcx ARAM quant loverat de suoposvits.
(2) Elle est située, contrairement à ce que les auteurs ont écrit, d'après
moi, sur ia rive droite de la rivière voisine.
l'architecture sacrée de L'AFRIQUE PAÏENNE 141
mur du fond et deux niches dans ses parois latérales, renfer-
mait les statues de Mercnrius Sobrius, Genius Sesase, Pantheus
Augitstus.
Après deux inscriptions relatives à Neptune, une dédicace à
la Piété Auguste, quatre textes de temples dédiés à Pluton, se
trouve la mention de trois autels à cette dernière divinité (l).
Après l'autel à Priape, de TA ((ôurnica, viennent les temples de
Saturne, qui, comme sa compatriote Celestis, était si en honneur
en Afrique. Longue et intéressante série.
Au Djehel bon Korneïn, on n'a pas trouvé de temple à pro-
prement parler, mais, sur le sommet d'une montagne, sur un
a haut lieu », une aire à ciel ouvert, où étaient déposées de
nombreuses stèles votives, auprès d'un autel en maçonnerie.
Les stèles offrent de curieuses représentations du Salurnus
Balcaranensis. Cette figure a des caractères très particuliers
et il eût été intéressant d'en reproduire ici un des types.
Le sanctuaire de Dougga (fig, 8) est un temple qui, comme
celui de Celestis. offre un plan tout particulier. On sait que,
parmi les restes de l'antique cité on trouve aussi ceux d'une en-
ceinte berbère et un mausolée punique, ce qui fait de ce point le
plus complet peut-être de toute l'Afrique du Nord au point de
vue de l'étude du pré-romain, Saturne de Dougga n'étant qu'une
forme plus récente de Baal.
On accédait par le côté de son portique au vestibule (2) que
précédait, non pas un escalier, mais une terrasse. Derrière lui
(1) L'inscription d'Aïn-Gliechil à Frugiferus Augustus ne portant
mention ni d'édifice, ni d'un ara, c'est par erreur qu'elle a été placée au
nombre de textes signalant un autel.
(2) Il y a quelques divergences entre la manière dont les auteurs,
s'appuyant en partie sur une étude de M. Parmentier, ont compris la
restitution de certains détails et celle ([ue j'en avais proposée antérieu-
rement. On me pardonnera de répondre ici un peu longuement, aux
arguments qui ont été mis en avant, puisqu'il s'agit d'un monument
que j'ai dé^^agé et longuement étudié moi-même. 11 est vrai que M. P;
dit que le dégagement de l'ériilice commencé par moi, a été achevé
ensuite, c'est-à-dire par lui. Le nombre des mètres cubes qui a été
enlevé après moi a été, en effet, de 4 ou 5. En outre, actuellement, le
temple n'est pas encore complètement dégagé, car il y a des parties où
il est impossible de le faire sans un outillage spécial, à cause des dan-
gers que présenterait ce travail, et il reste encore deux citernes à
déblayer.
Il n'existe aucune trace de la porte qui, d'après .MM. G. et G., s'ou-
vrait au sud du vestibule. Rie.n n'indique, par conséquent, qu'elle ait
été très simple et il n'est pas nécessaire, d'admettre qu'elle ait existé,
si l'on pense avec moi, que le vestibule ait eu la même forme que lès
142 l'architecture sacrée de L'AFRIQUE PAÏENNE
s'étendait une vaste cour rectangulaire dallée, entourée d'une
galerie à colonnes, où l'on remarque l'empreinte de deux
vestigia analogues à ceux du temple de la Mater Magna, de
Mactar. Dans le fond sont trois cellas où il a été trouvé un
certain nombre de débris de sculpture, stucs à reliefs, statues,
autels, etc..
Le sanctuaire de Khanguet el Hadjaj, qui ne fut peut-être
pas un temple, renfermait aussi des vestigia Cl).
Des débris trouvés à Carlhage font soupçonner où s'élevait
le temple de Serapis.
Viennent ensuite trois inscriptions à Tellus, trois autres à
Venus, quatre aux Victoires et deux à la Virtus Augusta.
Dans rénumération des temples dont on a retrouvé les restes
ou que citent des textes, sans qu'on en connaisse la divinité,
je remarque l'édifice demi-circulaire d'Aï7-i-Tounga, Sa forme,
analogue au péribole du temple de Céleste à Dougga, fait dire
à MM. C. et G. qu'il est tout à tait probable qu'il s'agit ici d'un
temple de la même divinité. Cependant, le temple des eaux de
Zaghouan — qui n'est pas seulement un réservoir, — a aussi
une forme demi-circulaire. Les auteurs n'en font pas un
sanctuaire à Céleste, ni même un temple, ce qui indiquerait
que, d'après eux, cette disposition n'est pas toujours suffisante
pour motiver la détermination qu'ils proposent. Je rappellerai,
(I) Je ne vois rien, dans la dédicace à Saturne de Mrira, qui mentionne
un temple ou un autel, ni qui la différencie des nombreux textes africains
relatifs à des divinités que les auteurs ont laissé de côté.
pronaos qui existent habituellement en avant des temples de l'Afrique.
On verra pourquoi, contrairement à M. P.. je ne saurais croire qu'il
en ait été autrement. Les fragments du pilastres, dont-il invoque la
présence pour établir sa restitution de deux ailes latérales au vestibule
ont pu, comme je l'ai écrit, se trouver aussi bien à la partie posté-
térieiire qu'en avant de celui-ci. Le massif de maçonnerie situé en
avant de la cour a supporté un emmarchcment, qui a servi pendant la
période où l'édifice n'a pas eu de vestibule, je n'ai jamais supposé
qu'il y ait eu là un escalier de grandes dimensions.
Le mur que M. P. croit ancien, et qu'il a trouvé dans le sol du
vestibule, ne forme pas un angle très aigu avec la façade, comme l'a
écrit cet architecte. Il est facile de voir qu'il s'est seulement détaché
inégalement du mur voisin, contre lequel il était appliqué, de façon à
en être actuellement plus rap|iroché ver.s l'une de .ses extrémités que
vers l'autre. Ce « déco'Iem-'nt » a même produit un effet bizarre qui
aurait du frapper ; la face libre du mur est courbe, sa partie inférieure
étant demeurée en place. Quant aux stèles libyques et aux. poteries qui
prouveraient son ancienneté, M. P. n'en ayant pas donné la descrip-
tion, il m'est impossible d'en parler, mais l'aspect de cette construction
l'architecture sacrée de L'AFRIQUE PAÏENNE 143
encore à ce sujet que Tissot a vu, dans l'édifice de Zaghouan,
un sanctuaire d'Astarte, la Juno poUicitatrix pluviarum.
Le temple de Bir Faouera avec son péribole (1), olTre celte
particularité curieuse que les murs de la cela portent le nom
des souscripteurs qui l'ont fait construire.
Le temple d'El Boula est assez bien conservé. Sa voûte
d'arête, l'élévation de niches qu'il offre, font admettre à
M. Saladin que c'était un mausolée. Mais ces raisons n'ont
pas convaincu les auteurs, puisqu'ils ont placé tout de même
ici la description de ce monument. L'ouverture munie de
rainures où glissait une dalle, donnant sur une pièce placée
sous le pronaos, doit être rapprochée de celle de certains
mausolées. Les auteurs voient en elle une lucarne, je croirais
volontiers que c'était la seule entrée du soussol.
Le temple d'i/i" Debbik a également un sous-sol ou crypte,
placé au-dessus d'une citerne et de disposition intéressante.
Jusqu'ici on a peu de renseignements sur ces locaux sous-
jacents auK temples. Les auteurs en indiquent une série dont
l'exploration pourra peut être amener de curieuses découvei'tes.
(1) Cet édifice, par son enceinte, peut être rapproché d'un temple d'H'
Bez. J'ai publié dans le 'Bulletin de la Société Nationale des antiquaires de France
(T. LVI. 1897, p, 59, Un édifice de Doiigga en jornie de temple phénicien), un
monument avec péribole s'ouvrant en avant sur un escalier et ayant même
sur les deux dont il vient d être question la supériorité d'offrir à sa partie
po-térieure les restes d'un icmple prostyle dont l'emmarchement, le
pranaos et la cella sont parfaitement reconnaissab'.es. Je m'étonne de ne
point le trouver signalé ici. J'ajouterai d'ailleurs que, grâce au travail de
ÂIM. G. et G-., j'ai acquis la conviction t(u'il n'avait rien de phénicien et
que ce n'était pas non plus comme on l'a supposé, un Capitole.
ne m'a p;iru différer en rien de celui des murs qui ont été élevés au
pied du monument, pour le soutenir, et qui sont certainement plus
récents.
En ce qui concerne les citernes, comme elles ne s'étendent pas sous
les colonnes même de la colonnade N., et qu'il y a, en ce point, un
mur très solide pour en supporter le poids, je ne vois pas en quoi la
présence d'une voùle, solide, puisqu'elle a résisté jusque maintenant, eût
été plus dangereuse que celle d'un reuiblai qui eut été nécessaire en ce
point pour maintenir l'horizontalité du sol. Je ne pense même pas.
d'ailleurs, et rien n'indique que les salles voûtées qui sont sous la colon-
nade aient été des citernes. Enfin, les parois de toutes ces voûtes sont
exactement d'équerre avec les autres murs du temple et cette raison doit,
à mon avis, faire admettre que tous sont contemporains. J'ajouterai que
l'appareil et le mortier m'ont paru exactement iiareils de part el d'autre,
et qu'enfin il n'y a pas traces de niccorden.ent comme il devrait y en
exister, si l'on avait relié ensemble des murs d'époque différente.
Le sol ancien, que l'on a cru voir sous le dalla.ge de la cour, me parait
être simplement la couche de ciment sur latiuelie reposait ce dallage, et
qui s'est effrondée lors du bouleversement de l'édifice. C'est la conviction
144 l'architecture sacrée de L'AFRIQUE PAÏENNE
A ce point de vue, le temple d'i/'" Kashat forme un ensemble
remarquable avec plusieurs salles en sous sol, s'ouvrant à
l'extérieur par de larges portes.
Le temple d'H^ Khima (fig. 4), transformé ultérieurement
en basilique, avec son sanctuaire de dimensions restreintes
d'ordre composite est d'un type original, se rapprochant
du Capitole de Medeïna, par ses deux ailes (1).
La crypte de Ksar Soudâne est intéressante par sa corniche
et les consoles diversement moulurées qui l'ornent. Instincti-
vement, je l'ai rapproché du sous-sol d'un monument funéraire
d'Aïn-Trab que j'ai étudié (2).
On a trouvé à Mactar, provenant d'un temple néo-punique,
une très curieuse dédicace en cette langue, dont la traduction
est de M. Berger.
Le péribole d'un temple de Sidi Amara est seul visible, avec
sa porte ornementale, pourvue de niches et sa cour entourée
d'un portique en marbre gris. Un soffite porte des griffons
magnifiquement sculptés.
A Sidi Medien (fig. 6), un temple à la cella flanquée, vers
sa partie antérieure, de deux petites pièces, rappelle le Capitole
de Medeïna.
(1) D'après la coupe qui est donnée de cet édifice, les deux pilastres
placés en avant de la cella reposeraient sur un plan situé au rnème niveau
que le sol de cette pièce. Je trouve, au contraire, dans mes notes person-
nelles, que les bases en sont placées sur le soubassennent de l'escalier
conduisant à la cella. disposition qui est rare, et en raison de laquelle j'ai
poussé assez minutieusement mes recherches de ce côté. Ce détail me
parait mériter d'être revu.
(2) Carton : Découv. épigraph. et archéolog., p. 252.
que j'ai acquise en faisant la fouille qui a mis ce sol à décou\ert. 11 y a
un seul point où il existe un mur t[ui ne .soit pas d'équerre avec ceux du
temple, c'est dans le sol de la colonnade Sud, et je regrette que M, I^. ne
l'.iit pas vu, car il y a réellement quelque difficulté à en expliquer la
présence.
(Jn n'a trouvé aucune trace de la mosaïque qui, d'après les auteurs,
aurait revêtu le sol de la galerie.
M. P suppose qu'il existait une salle basse .sous le vestibule antérieur,
et s'appuie, pour soutenir son opinion, sur l'a'^pect du parem-^nt. 11 me
spmbl'- plutôt que ces joints apparents, quehpies soignés qu'il.-> aient été,
devaient filutôt décorer l'extérieur que l'intérieur d'une salie, celle-ci fut-
elle un sous-sol. Quant au soupirail qui aurait donné sur cette salle, cest
simplement la sect'on d'un aqueduc qui recevait les eaux de la cour,
et. traversant le sol du vestibule, aboutissait à l'extérieur à<i monument.
Il y a. en effet, ce qui semble avoir échappé à M. P.. dans le mur de la
façade, un orifice semblable, situé en face du précédent, à peu prés à la
même hauteur, et présentant des traces d'enduit tel qu'on en trouve dans
les petits aqueducs.
l'architecture sacrée de L'AFRIQUE PAÏENNE 145
La cella du temple de Zamphour, avec sa frise si diverse-
ment ornée, est aussi le sanctuaire d'une divinité indéterminée.
Sous le titre : Temples incertains, les auteurs décrivent
quelques ruines qui leur paraissent être celles de sanctuaires,
et des fragments de sculpture, d'ex-votos, des inscriptions qui
semblent se rapporter à des édilices sacrés.
Ils énumèrent ensuite un certain nombre de restes d'archi-
tecture, relevés dans des constructions de Tunis et qui ont
sans doute été enlevés à Carthage. Peu d'indices d'ailleurs
révèlent qu'ils proviennent de temples et on pourrait à cette
liste en ajouter un grand nombre qui existent un peu partout
à la surface du sol, en Tunisie ou dans les mosquées, notam-
ment dans celles de Kairouan.
Le livre se ferme sur la synagogue d'Hammam-Lif, dont une
curieuse mosaïque à permis de déterminer les vestiges.
Dans les lignes qui suivent, je vais tenter d'indiquer quel-
ques-uns des enseignements que Ton peut tirer des nombreux
et intéressants documents que nous offre cet ouvrage, et de
mettre en relief les grandes lignes communes aux temples
païens de l'Afrique romaine, ou les particularités qui en
distinguent quelques-uns, d'un type rare ou insolite.
Divijiités le plus en honneur dans les temples. — Il est
intéressant de rechercher d'abord dans quelle proportion le
culte était rendu à chacun des dieux placés dans les différents
sanctuaires. Une étude de ce genre, faite avec les seuls
documents que renferme ce livre, ne peut fournir que des
Le mouvement que. M. P. indique dans la ûguro 16 de sa plaquette, pour
montrer que les contre-murs situes derrière la façade sont destines uou
pas à lutier contre fe glissement du so:, mais a soutenir des remblais,
me parait inadmissible. J'ai, en effet, constate avec le lil a plomb, que
si le mur de la terrasse penche en avant, celui de la façdde s'incline
en arrière. Il y a en certains points un jeu de S ceuiimeaes dans son
aplomb !
Parmi les stèles votives que j'ai découvertes, et qui proviennent du
sanctuaire antérieur au temple, l'une d'elles porte, d'après M. berger,
une dédicace à Baal Hammon. Dans ces coudiiions. étant donné ce
que l'on sait de re%olution du culte de Saturne en Afrique, il me
semble que j'ai émis plus qu'une hypothèse en disant qu'avant le sanc-
tuaire romain de tsaturne, il y avait eu ici un sanctuaire de Baal. J'ai,
d'ailleurs, trouvé la transition entre les deux, sous forme de stèles
romaines, antérieures au cemple puisqu'elles étaient dans ses murs,
portant des emblèmes de Saturne qui ont, par conséquent, été élevées
à côté ou au-dessus de stèles dédiées à la divinité punique et qui
portaient des emblèmes absolument pareils à ceux, de ces dernières.
146 l'architecture sacrée de L' AFRIQUE PAÏENNE
probabilités. Si, par exemple, on y ajoutait toutes les dédicaces
que renferme le Corpus inscvijdionnus latïnarum. elle permet-
trait peut-être d'arriver à des conclusions plus termes. On
pourra cependant constater de suite que, dans l'Afrique roma-
nisée, certaines divinités du Panthéon romain ont été, auprès
de ses habitants, plus en honneur qu'à Rome même ou que
dans les autres provinces de l'empire. Et ce fait s'explique par
le phénomène, bien connu d'ailleurs, qui a amené les indigènes
à donner, après la conquête, aux dieux de leurs ancêtres, les
apparences de divinités chères au vainqueur.
Il est certain, d'ailleurs, que la liste dressée par MM. C. et G.
donne une idée suffisante de ce que les découvertes ultérieures
nous apprendront à ce sujet.
C'est aux divinités dont le culte était le plus répandu, que
l'on a élevé les édifices les plus nombreux ou les plus
considérables, et ce sont les restes de ceux-ci qui, dans un
simple examen de ce qui est à la surface du sol, ont dû tout
d'abord attirer l'attention à cause de l'importance ou de la
fréquence de leurs restes.
Dans cette liste, je note d'abord 30 temples dont on connaît
à la fois l'emplacement et la divinité, et plus ou moins bien
l'architecture, 103 dont l'emplaceme-nt est inconnu, mais dont
les textes nous révèlent l'existence, 47 dont les restes plus ou
moins bien conservés ne laissent aucun doute sur leur desti-
nation, sans que l'on en connaisse les divinités, plus 12 autels
qui n'étaient probablement pas élevés dans un temple, et 16
édifices que l'on pense, sans certitude, avoir été des sanctuaires
d'après les renseignements que fournissent quelques ruines
ou quelques inscriptions.
Les divinités dont le nom nous est connu sont, par ordre de
fréquence : Saturne (19 temples). Mercure (11 sanctuaires,
dont 10 temples), Céleste (10 sanctuaires, dont 8 temples),
Cérès (9 sanctuaires, dont 8 temples), Esculape (8 temples),
Pluton (7 sanctuaires, dont 4 temples), Capitole (7 temples).
Liber Pater C6 sanctuaires, dont?) temples). Fortune (5 temples),
Victoire (5 tempk s), Hercule(4sanctuaires, dont 2 temples), etc.
C'est donc Saturne, le dieu africain par excellence dont on
connaît le plus de sanctuaires, ce qui n'étonnera aucun
l'architecture sacrée de L'AFRIQUE PAÏENNE 147
archéologue africain. Céleste, sa divinité parèdre, le suit de
près, mais elle en est séparée par Mercure qui est souvent le
Mercurius Sohnus, dont — coïncidence qu'il est utile de
noter en passant — le caducée se trouve si fréquemment sur
les stèles dédiées aux deux autres divinités.
On s'explique le culte qu'un pays agricole et fertile comme
l'Afrique a eu pour les Gérés. Quant à Esculape, on ne doit
pas oublier qu'il a été souvent confondu avec Echmoun, le
troisième élément de la trilogie phénicienne.
Est-ce pour une raison analogue que Pluton, fils de Kronos,
le Saturne grec, a ici un nombre assez élevé de sanctuaires? II
semble qu'il y ait eu en Afrique peu de Capitoles pour un pays
aussi romanisé, 11 est probable que, comme l'ont remarqué les au-
teurs, un certain nombre de temples indéterminés ont apparte-
nu à la triade latine, et, sur ce point, il y aura sans doute à faire
plus tard, de notables additions à la liste qu'ils en ont dressée.
Epoque de la construction. — On sait que, dans l'empire
romain, c'est sous les Antonins que les édifices de toutes
catégories ont été élevés les plus somptueux et en plus grand
nombre. J'ai tenté de mettre en évidence un fait de ce genre,
en montrant (i) comment Dougga ne fut, à cette époque, qu'un
vaste chantier de construction. Le relevé des dates fournies
par l'épigraphie tunisienne confirme pleinement cette manière
de voir.
A l'exception de deux temples construits, l'un, deux siècles
avant notre ère, l'autre, vers la première moitié du !«'' siècle,
tous les autres, au nombre de 35, dont l'époque nous est
connue, datent de 150 à 261, et, parmi eux, 21 de 150 à 200.
11 n'est pas possible, pour un si court espace de temps, de
dire que telle divinité ait été, à un moment donné, plus en
honneur que telle autre. Je dois signaler cependant la série
des temples des Victoires, tous postérieurs à 212, et qui s'étend
jusqu'à 244. 11 n'est pas oiseux de rappeler à ce propos, que,
comme l'a écrit M, Gagnât (2), cette époque est et la période de
l'histoire d'Afrique, profondément troublée, où les luttes contre
(1) CartOîs : Une campagne de fouilles à Dougga . Lille, 1894, p. 48.
(2) L'Armée romaine d'Afrique, p , 49.
148 l'architecture sacrée de L'AFRIQUE PAÏENNE
les invasions venant du désert se compliquent de guerres
intestines». Il est possible que les Africains aient eu à cœur de
laisser le souvenir de victoires qui leur étaient particulièrement
profitables. Ils devaient, d'ailleurs, le faire d'autant plus
volontiers qu'en même temps ils célébraient, le plus souvent,
les succès d'empereurs qui étaient leurs compatriotes : Cara-
calla, fils d'un Africain, et les Gordiens.
Situation. — Il ne parait pas y avoir de règles précises pour
le choix de l'emplacement des temples. Un certain nombre de
Capitoles sont sur un point culminant, mais celui de Medeïna
est dans le fond de la vallée. Il y a, bien entendu, exception
pour certaines divinités « spécialistes ». Saturne est sur les
lieux élevés, Esculape se plail auprès d'une source, d'une
cascade, d'eaux thermales.
Orientation. — La règle d'après laquelle les temples doivent
être tournés vers l'Est a été très généralement observée.
Sur 32 dont l'orientation est précisée, 23 regardent l'Orient,
6 le Sud-Est ou le Nord-Est, 1 l'Ouest et 2 le Sud. Ces excep-
tions semblent avoir été imposées par les circonstances' et
surtout par les conditions d'exposition de la ville. Par exemple,
toute la civitas thuggensis était sur le versant méridional
d'une colline ; pour éviter de donner à son Capitole une
entrée en contre bas du sol voisin et surtout pour que l'on put
apercevoir de loin son fronton richement orné, on a tourné
celui-ci vers le Sud. Il en est de même à Àïn-Tounga (1).
*
Disposition. — Le type d'après lequel la majorité des temples
a été construite est celui d'un édifice prostyle, tétrastyle (fig. 1).
Il offre, d'ailleurs, un assez grand nombre de variantes. Par
exemple, au Capitole de Matria, les pilastres du pronaos sont
en saillie sur les murs de la cella (fig. 2).
On ne peut avancer que les sanctuaires de certaines divini-
tés offrent constamment un plan qui leur soit particulier.
(I) J'ai fait la même observation pour les sépultures mégalithiques,
qui, habituellemeat orientées, cessent de Tètre lorsque l'orographie ne
s'y prête point.
L'ARCHITKCTURE SACRÉK I)K l'afriouk'i'Aïknnk li-9
Mais on note cependant une réelle spécialisation de certains
types.
Dans les Gapitoles, comme, d'ailleurs, dans les nionuinents
qui abritent les statues de plusieurs divinités, il y a des niches
disposées pour les recevoir, et, si l'édifice est très important, il
peut y avoir une cella, ou même un temple distincts pour
chacune d'elles, comme à Sbeïtla (fig. 3). Dans ce dernier cas,
les trois édifices sont enfermés dans un péribole commun.
Un mode assez particulier, et qui semble également avoir eu
pour destination de réunir les effigies de trois divinités, consiste
en deux ailes, placées sur les côtés de la cella ou du pronaos,
et s'ouvrant sur eux (fig, 4, 5, 6, 7).
Le temple de Saturne, de Dougga, d'un type tout particulier,
a des cellœ dont la disposition rappelle un peu celle qui vient
d'être indiquée. On pourrait y voir, à la rigueur, une espèce de
péribole sur lequel s'ouvrent 3 cellas (fig. 8). Mais à cause de
la disposition de l'enceinte, qui passe au devant de ces derniè-
res, il semble plus rationnel d'admettre que le plan de l'édifice
dérive de celui des sanctuaires de l'Orient, dont le portique
très étendu, précède un sacrum de très petites dimensions,
inaccessible au public.
Il en est de même du temple de Gelestis, de Dougga (fig 9),
dont l'édicule, placé au centre d'un péribole demi-circulaire,
rappelle un autre type de temples syriens, comme celui
d'Amrith.
Un édifice tout particulier est le temple de Mercure, à
H"" Kasbat, dont la cella avait la forme d'un petit pavillon
circulaire, au toit soutenu par des colonnes (fig. 10).
On trouve fréquemment, autour de ces cellas, les restes des
périboles. Mais certains textes nous apprennent que tous les
temples n'en étaient pas pourvus.
Cette enceinte était un mur et souvent une galerie à colon-
nade, de forme rectangulaire. Le temple de Gelestis offre le
seul exemple certain d'un péribole demi-circulaire, entourant
une cour plantée d'arbres.
Une telle disposition n'est d'ailleurs pas spéciale aux
Gapitoles, car le temple de Mercure, à H'' Bez, a aussi un
péribole (fig. 11).
13
150 l' .ARCHITECTURE SACRÉE DE L'AFRIQUE PAÏENNE
Appareil. — Il est étonnant que dans un pays où l'excellente
pierre de taille abonde, on ne l'ait employée que très-rarement.
Les murs des monuments y sont en général en moellons. Un
tel mode, par son peu de cohésion, ou du moins par les
tissures qui peuvent s'y produire lorsque l'on ne donne pas à
la masse une grande épaisseur, n'a qu'une solidité toute
relative. C'est ce qui explique, sans doute, le grand nombre
de temples que les inscriptions nous montrent comme tombées
de « vétusté » peu d'années après leur érection.
Aussi, lorsque le mur a un certain poids à supporter ou
qu'on doit lui donner une grande hauteur, a-t on cherché à en
augmenter la cohésion par des pierres de taille disposées en
harpes dans la masse ou en piles renforçant les angles. Ou bien,
comme au temple d'Aïn-Tounga, ce sont des piliers de grand
appareil qui ont été placés, de distance en dislance, dans les
parois.
C'est donc, comme l'a fait remarquer M. Saladin, une erreur
que de croire que ce mode de liaison du blocage roit propre à
l'époque byzantine, puisqu'il est d'un emploi habituel dans les
monuments des trois premiers siècles. La distinction doit être
établie plutôt d'après la résistance et la composition du mor-
tier, et quelquefois dans la disposition des pierres de taille
qui dans certaines forteresses byzantines, forment, au lieu de
harpes, des cadres divisant le mur en panneaux.
La seule raison à laquelle on puisse attribuer l'emploi si
fréquent des moellons, de préférence à un plus grand appareil
ne peut être que l'économie.
Comme on le verra plus loin, beaucoup de temples sont
l'œuvre de particuliers ou dus à la piété de groupes plus
ou moins puissants. De plus, comme on s'est mis à construire
de tous côtés et en même temps un grand nombre de ces
monuments, on a employé le mode le plus expédilif, qui
est l'emploi du blocage.
Peut-être aussi doit-on voir en cette façon de construire
la persistance de traditions remontant à l'époque carthaginoise.
On sait que le blocage fut employé alors sur une large échelle.
Mais, comme dans les forteresses d'Utique et de Balla Regia,
on lui donnait une épaisseur bien plus considérable. Plus
l'architecture sacrée de L'AFRIQUE PAÏENNE 151
tard, pour agir économiquement et rapidement, on diminua
la masse des murs en moellons et, comme on constata que
cette diminution en affaiblissait beaucoup la résistance, on fut
amené à y placer des chaînes ou des piles en pierres de taille.
Ce n'était don^ pas chose commune à cette époque qu'un
édifice on grand appareil. On en trouverait la preuve, si
besoin était, dans cette inscription par laquelle certain habitant
de l'Afrique n'a pas manqué d'apprendre à la postérité non
seulement qu'il avait construit un temple, mais encore que
celui-ci était en appareil régulier : ex opère quadrato.
Ce qui montre encore que c'était là le mode non seulement
le plus solide, mais le plus prisé, c'est que fréquemment l'on
a pris soin de cacher le blocage sous un enduit dont les reliefs
simulent des pierres de taille et même, comme à H"" es Souar,
un appareil à bossages.
Je ne relève, dans l'ouvrage de MM. C. et G. que 3 temples
en grand appareil, et ce sont ceux de Capitoles, à H'' es Souar,
à Sbeïtla, à Medeïna. Les pierres en sont tantôt disposées en
assises dans l'épaisseur de la muraille, tantôt en assises de
parpaings. A Sbeïtla, l'appareil est négligé, on n'a pas liaisonné
franchement les assises, ce qui a amené le décollement des
angles.
Il peut ou non y avoir un mortier entre les pierres. Parfois,
comme au temple de Céleste à Dougga, elles ont été reliées
par des crampons métalliques à queue d'aronde. D'autres
parties de la construction, en raison de leur destination, sont
fixées d'une façon spéciale : à H'" Kasbat des goujons de fer,
posés dans du plonib joignaient les bases des colonnes aux
fûts et au soubassement.
Les Romains passent pour avoir été d'excellents architectes
et tous les édifices qui, depuis 18 siècles ont résisté aux
intempéries témoignent de leur habileté. Cependant, en Afrique
il semble que bien souvent leur art ait été en défaut. Les
inscriptions parlant de réparation de temples qui s'écroulent
sont extrêmement abondantes. On devine facilement en étu-
diant le contexte que le mot vetusias qu'on y employait pour
exphquer la ruine de l'édifice était un euphémisme destiné à
passer sur son peu de solidité. C'est ainsi qu'il est difficile
152 l'architecture sacrée de L'AFRIQUE PAÏENNE
d'attribuer à la vétusté la cause de la chute de ce temple dont
il est question dans l'inscription d'un sanctuaire Cérès que j'ai
relevée à H'" Khima. Il avait été construit par le père, Arafrius
Cursor, et c'est le fils de ce dernier qui l'a reconstruit.
Une autre défectuosité se rencontre souvent dans les cons-
tructions de l'Afrique romaine. C'est le manque de symétrie ou
de proportion de leurs différents éléments, comme je l'ai
montré en particulier pour l'entablement du temple de
Saturne (1).
Périboles. — Les temples, avec leur enceinte sacrée, ont pu
être facilement transformés, à l'époque byzantine, en citadelle,
ce qui, d'ailleurs, en a sauvé beaucoup de la destruction. Le
péribole n'en constituait point cependant une partie indispen-
sable, car il appert de plusieurs textes que tous n'en possédaient
pas. Une inscription d'H"" Salah, notamment, montre que le
temple des Cérès n'en avait pas, à l'origine.
Les dimensions de celte enceinte sont souvent considérables.
Au Capitule de Sbéitla, la longueur en est de 71 mètres et
la largeur de 68 mètres. Elle se composait d'un mur continu
percé de quelques portes limitant à l'extérieur une galerie
s'ouvrant sur la cour par une colonnade interrompue, en face
du sanctuaire principal, par une porte triomphale Celle-ci est
formée d'une grande arcade accostée de deux plus petites, que
surmontent deux niches.
Le sol de l'espace circonscrit par le péribole était le plus
souvent dallé, quelquefois planté d'arbres.
Soubassement. — Le temple s'élève sur une base ornée
d'une corniche et d'une pleinthe, parfois d'une corniche
seulement qui est stylobate ou sléréobate. J'ai signalé ailleurs
les sous-sols voûtés, fréquemment aménagés sous le monument.
Ce sont parfois des citernes, mais parfois aussi des salles
plus complexes, avec escaliers d'accès, fenêtres, portes,
consoles, corniches moulurées, etc. Habituellement, c'est sous
le pronaos seulement que le soubassement a été ainsi évidé, et
(I) Ce fait se rencontra à Dougj:a, dan; nombre d'autres édifices et je
l'ai relevé dans les trois monuments que j'ai dégag-és : temple de
Saturne, théâtre, dar el Acheb.
l'architecture sacrée de L'AFRIQUE PAÏKNNE 153
ce tait s'explique par ce que l'éditice est le plus souvent à
flanc de coteau, plus élevé au-dessus du sol en avant qu'en
arrière.
Emmarchement.— On n'a aucun renseignement précis sur le
nombre des marches qui précédaient les temples, sauf pour un
sanctuaire de Celesl's qui, d'après une inscription, en avait 7.
Un fait remarquable, c'est l'absence de ces marches en avant
de plusieurs monuments sacrés, qui n'avaient même pas
d'entrée de ce côté. Cette disposition est manifeste à Medeïna,
où le suggestus du Capitole sï'le\e à une certaine hauteur au-
dessus du sol. Mais ici la raison de cette disposition échappe.
Il n'en est pas de même à Dougga, dans les temples de
Saturne et de Celestis, dont l'entrée est pour le premier,
sur le côté du pronaos, et pour le second, à chaque
'extrémité de la terrasse qui en précède le péribole.
Façade. — C'est un fait exceptionnel, en Afrique, que la
présence d'une plate-forme en avant des temples, à la place de
l'emmarchement. Derrière l'escalier s'élève la façade, avec les
ornements que l'ordre comporto : colonnes, entablemtnt, etc.
Il n'est cité dans l'ouvrage qu'un seul exemple de bas-relief
ornant un fronton. Il représente un aigle enlevant un
personnage (1).
Dans les temples où la façade était flanquée de deux ailes,
l'ornementation devait en être de lignes moins simples, mais
on ne possède guère de renseignements à ce su et. Dans le
fond du portique s'ouvrait la haute baie formant l'prilrée de la
cella. Le mur qui Tencadre peut présenter des niches ou
porter, gravés à sa surface, les noms des souscripteurs qui ont
élevé l'édifice.
Cella. — L'entrée de la cella était fermée par des portes ou
des grilles que des inscriptions nous disent avoir été souvent
de métal, de bronze. Les murs en étaient parfois revêtus de
reliefs ornementaux simulant extérieurement des pilastres et
(1) J'ai rencontré à Sloiit^iiia fM (U-cril précédemment un petit fronton
uionolillie. provenant d'un édicule sacré, on un aigle d'une bonne exécu-
tion, était repi'éseuté eu un haut r,.-li 'f.
154 l'architecture sacrée de L'AFRIQUE PAÏENNE
intérieurement des feuillages ou des pampres.. Dans le fond,
des niches abritent l'image d'une ou plusieurs divinités qui y
sont adorées. Quand il y a plusieurs niches, celle qui est au
milieu, en face de la porte et qui recevait le dieu principal est
aussi la plus vaste. Elle peut même prendre les proportions
d'une abside et la forme d'un petit édicule à fronton. Dans les
cellas du Capitole de Sbeïtla, il y a aussi des niches carrées,
ménagées dans les parois latérales. A Thuburnica, la cella,
qui appartenait à un simple édicule, a trois niches demi-circu-
laires, l'une au fond, les autres sur les murs des côtés.
Le sol était revêtu de dalles, de ciment, et souvent de
mosaïques. On a retrouvé ce dernier mode dans le temple
circulaire d'H'" Kasbat et plusieurs inscriptions, notamment
celle d'un temple à Mraïssa, en font mention.
Dans le dallage de certains sanctuaires, on a remarqué, en
des endroits qui semblent avoir été plus spécialement réservés
à l'acte de l'adoration, des cavités remplies de plomb ou de
marbre, en forme de semelles accouplées. Ce sont les vestigia
qui sont placées en avant d'un autel, à l'entrée d'un édicule,
ou au-devant de la cella principale du temple.
D'après M Saladin, à Sbeïtla et à Dougga, le toit était en
charpente. Dans les différents édifices sacrés, il était en outre,
recouvert de tuiles en terre cuite ou en métal. Au temple
d'Apollon, à Carthage, c'est de lames d'or qu'il était revêtu.
Quelquefois, la cella était surmontée d'une voûte d'arête.
On connaît peu la manière dont l'intérieur était éclairé. Il
semble qu'en général, il n'y ait pas eu d'ouverture dans les
parois. A Medeïna et à Sbeïtla, on avait ménagé au-dessus du
îinteau de la porte du Capitole, un arc de décharge qui
encadrait une baie par où passait la lumière.
Ornementations. — J'ai indiqué comment était décoré le
soubassement, stylobate ou stéréobate, recouvrant souvent des
pièces voûtées, à lenêtres et ornées de corniches ou de consoles
moulurées.
Le chambranle de la porte de la cella t-st plus uu moins
artistemont ornementé, souvent à crossettes. Les différentes
parties de l'encadrement d'une porte antique constituent à
l'architecture sacrée de L'AFRIQUE PAÏENNE 155
Tunis, l'entrée d'une liabitation moderne que les auteurs ont
reproduite et qui est d'un joli travail, mais rien n'indique, à
ma connaissance, qu'elle ait appartenu à un temple. A Aïn-
Tounga, l'entrée de la cella étiiit ornée de moulures unies,
encadrant une guirlande de roses en fort relief, à pétales
multiples, pressées sur les unes cor.tre les autres, sans i-inceaux.
A Bir Magra, le linleau est orné, sur la face antérieure, d'un
cratère que gardent deux grillons affrontés, et de rosaces
séparées par des imbrications sur la face inférieiu'e.
Ordre. — Presque constamment les ordres sont corinthiens.
Sur29 d'entre eux, dont l'ordre est indiqué, je n'ai relevé que
trois exceptions à cette règle. A H'' Khi ma on a retrouvé des
chapiteaux composites d'un travail très intéressant, avec une
pomme de pin au lieu du fleuron qui orne habituellement le
tailloir. A Sbeïtia, oîi les deux temples latéraux du Capitole
sont corii thiens, celui du milieu est d'un composite remarqua-
ble (1).
Les bases des colonnes sont assez uniformes. Presque cons-
tamment, elles offrent comme je l'ai constaté pour tous les
édifices de Dougga — deux tores, deux scoties et une baguette
entre deux listels. Les fûts, en général galbés au haut de leur
tiers inférieur, sont cylindriques, et 1"; plus souvent lisses. II
est cependant de beaux exemples de colonnes cannelées
rudentées aux Capitoles de Dougga, Matria, etc. A Kesseur
Kouti, j'ai trouvé moi-même, dans les ruines du temple, des
fragments de fûts de colonnes à cannelures en spiraie. Presque
toujours moru'jlithes quand ils sont dégagés, ils peuvent,
lorsqu'ils sont appliqués ou engagés, être formés de tambours
se continuant avec les assises voisines. Un bel exemple de cette
dernière disposition existe au Capitole de Sbeïtla. Enfin, très
souvent les pilastres appliqués intérieurement ou extéi-ieure-
ment conire les murs des cellas ont été obtenus à l'aide
d'enduits à reliefs moulurés et découpés.
(I> J'ajouterai qu'à Bulla Regia j'ai découvert et, avec M. de la Blan-
chère, étudié une pierre sculptée qui est certainement un niélope ayant
apiiartenu à un temple dorique à en juger par les restes, disparus depuis,
qui l'entouraieni
15Ô l'architecture sacrée de L'AFRIQUE PAÏENNE
Les chapiteaux, presque toujours d'une exécution satisfai-
sante, quelquefois un peu lourds et chargés d'ornements,
peuvent être très riches, comme ceux du vestibule du temple
de Saturne, dont l'abaque est orné de rinceaux d'un bel effet.
Parfois, la fantaisie de l'artiste l'a conduit hors des types
habituels : à Bijga, une petite tête remplace, sur une des faces
du chapiteau, le fleuron ordinaire.
L'entablement offre la disposition de Tordre corinthien,
mais, dans plusieurs cas, il semble qu'une partie des moulures
de la cymaise ou, comme au temple de Saturne, de la corniche
même, ait été supprimée.
Presque constamment l'architrave et la corniche, au lieu
d'être formées de deux pierres distinctes, ont été taillées dans
un même bloc. La « frise archi travée » est d'un usage très
fréquent en Afrique.
Les soffites sont habituellement ornés d'un simple cartouche
à relief plat ou cylindrique, mais assez souvent ils ont été
l'objet d'une ornementation riche et originale.
Au Gapitole de Sbeïtla, il en est qui ont des calices et des
gerbes d'acanthe d'une grande richesse.
Au Gapitole de Matria, le soffite central du pronaos présente
un olivier de chaque côté duquel sont figurées à profusion des
armes de toute espèce, parfois très finement ornementées. Des
soffites latéraux, l'un a des thyrses ornés de gerbes d'acanthe
sortant d'un calice central, l'autre présente en son centre une
rosace d'où s'élancent de chaque côté des rinceaux très
élégants.
A Bijga, c'est un encadrement d'oves et de dards, d'où
s'échappent des rinceaux de vigne chargées de grappes et de
pampres, ou des gerbes d'acanthe s'étalant à droite et à gauche
d'un fleuron central.
Des soffittes du Refont acanthes et palmettes, avec dauphins
entrelacés, rinceaux de vigne sortant d'un calice, et une tête
de Méduse sur un fond imbriqué.
A Medeïna, sur le soffitte de l'entrecolonnement de gauche,
est figuré le buste de Bacchus, couronné de pampres et entouré
de rinceaux et de grappes ; les deux autres offrent des gerbes
L'aRCFHTECTURE sacrée de L'AFRIQUE PAÏENNE 157
d'acanthe et Jes rosaces réunies par un tleuron, comme à
SbeïtJa.
La simplicité des frises contraste souvent avec celle des
sot'tites. On y trouve cependant, parfois, des sculptures inté-
ressantes. A Temda, ce sont des amours et des génies demi-
nus, recouverts d^. légères banderolles flottantes, portant des
thyrses ou des guirlandes de tleurs. Us dansent et sont séparés
par des médMiilons représentant des divinités dont l'une et un
dieu barbu rappelant le Sataj^nus dominas des stèles du
Djebel bou Korneïn.
Un temple, à Zamphour, offre sur sa frise, une série de
guirlandes avec bandelettes, accompagnées d'instruments de
sacrifice, et soutenues par des bucrànes, sauf à l'angle sud-
ouest, où un masque remplace ces derniers. Dans l'axe du
panneau ce sont des candélabres, clans l'entrecolonnement
médian de la face sud c'est un génie, qui soutiennent les
guirlandes.
C'est, comme on vient de le constater, dans ces deux parties
des temples: soffites et frises que les sculpteurs africains ont
exercé le plus leur burin et leur imagination.
Les corniches ont été aussi un motif à riches sculptures. Les
caissons et les modillons y sont en général très fouillés et
offrent une variété de feuillages et de fleurons où l'on sent
une ins;)iralion puisée (\v^3 l'imitation de la nature. Dans
quelque cas mèm3, le sculpteur a abandonné la tradition.
C'est ainsi qu'au Cxpitole de Matria, un des caissons renferme
un petit bouclier orné de figures géométriques, au lieu du
tleuron habituel.
En dehors des enduits simulant des pilastres qui ornent
l'intérieur de cellas, il en est qui figurent, dans les mêmes
conditions, des feuillages ou des fruits.
L'enduit a encore été utilisé pour cacher les moellons des
murs et simuler, à leur surface des pierres de taille à larges
joints ou à bossages.
Parmi les autres modes de décorations que l'on employait
encore dans les temples, il faut remarquer les corn che.-^ plus
ou moins fouillées, les niches plus ou moins grandes. Ces
dernières, dans les temples, n'ont pas toujours abrité les
158 l'architecture sacrée de l'afrique païenne
effigies de divinités, car à Dougga,' c'est une statue de magis-
trat que j'ai trouvée dans une des niches da temple de Saturne.
Une inscription parle de statues acrolithes qui décoraient
un temple. 11 y avait d'ailleurs un peu partout de ces images
dans les édifices sacrés, comme ces statues de villes qui, dans
le temple Celestis, à Dougga, couronnaient la corniche de la
galerie du péribole. Elles étaient en calcaire, en marbre, en
métal : bronze comme à Gafsa, argent comme au Kef, or comme
à Sidi en Naoui.
Il y avait également des statuettes en terre cuite, et aussi des
statues de grandeur colossale, comme celle d'Apollon à Car-
thage. Ou bien ce sont des thorax que les inscriptions nous
disent avoir existé : à Mraïssa, il y avait un buste de Celestis
dans un temple et j'en ai trouvé un en pierre qui avait été fixé
dans les murs du temple de Saturne à Dougga. Enfin, on y
voyait aussi de simples masques, qui étaient, comme celui de
Mercure, à H'' Bez, suspendus aux parois du temple.
Quelques inscriptions parlent encore d'objets plus petits,
qui composaient le mobilier de l'édifice. Ce sont, en dehors de
très nombreux autels, des burettes, des candélabres, des
vases, un réchaud, des lampes, le plus souvent en bronze.
Par qui ont été élevés les temples. — Un fait frappe tout
d'abord lorsque l'on recherche, à l'aide de l'épigraphie, dans
quelles conditions ont été élevés les édifices sacrés. C'est la
variété des associations et surtout le grand nombre de parti-
culiers qui ont pris l'initiative et la charge de les construire.
Mais ce sont souvent aussi des cités, des centres tout entiers
qui ont élevé à leurs frais des temples de dimensions variables
et il semble que dans ce cas, les Capitules aient été surtout
l'objet de leur générosité. Celui de Medeïna a été construit par
le municipe d'Althiburos ; la porte du péribole et sans doute
les temples du Capitole de Sbeïtla, le Capitole de Bijga ont été
élevés pecunia puhlica. 11 est cependant un certain nombre
de sanctuaires qui sont dus aussi à un prélèvement fait sur les
fonds publics, tels que celui de Saturne à H'' Douamis, et de
Neptune à Mactar. Des villes ayant rang de civitas ont cons-
truit des temples, la Thuggensis à Saturne, la Thibicensis
l'architecture sacrée de L'AFRIQUE PAÏENNE 159
à Esculape, la c. Tliacensium aux Victoires, et la c. Uriisitana
à Jupiter. Ailleurs, c'est la colonie romaine de Thuburbo Majus
qui élève un temple à Minerve.
Mais ce ne sont pas seulement des villes puissantes qui
témoignent aussi de leur dévotion aux divinités romaines ou
romanisées de rAfrique. Des centres plus modestes rivalisent
avec elles, dans la mesure de leur moyens. Voici un petit
bourg, le pagus Thaccnsium qui élève à Cérès un sanctuaire
(( arcum cum columnis. »
De simples paysans, des cultivateurs se cotisent pour cons-
truire des édifices sacrés. Les coloni du saltus Massipianus
font un portique sacré, et leur œuvre terminée, continuent à
l'entretenir et à l'agrandir, car plus tard ils la réparent et y
ajoutent deux arcs de triomphe. Les coloni d'un simple ftoidus,
à Sidi Khalitat, ont élevé un temple à Céleste, et, de même que
les habitants du pagina Tliacensium , ont tenu à apprendre à la
postérité qu'ils avaient poussé la munificence jusqu'à l'orner
de colonnes. On peut en inférer qu'un luxe dont ils étaient
aussi fiers avait dû leur demander de grands sacrifices.
Dans la respuhlica Teancnsiiim, les paysans du fundus Tigi-
helle, moins riches sans doute que les précédents, réunissent
leurs oboles pour élever un petit autel qui n'a rien de bien
remarquable, à Jupiter. L'aridité actuelle du pays sauvage où
je l'ai trouvé, confirme bien tout ce qu'une telleunion pour un si
modeste résultat, trahit de pauvreté chez ses habitants. A H'"
Salah, c'est tout le peuple, le plehs fundï qui a construit un
temple.
Dans certains cas, ce n'est plus un pays entier ou une classe
de la société qui l'habite qui s'est mis à élever de tels édifices,
c'est une association plus restreinte de particuliers. A Aïn
Tell, les seniores Mas rensium restaurent un temple à Mer-
cure. Ailleurs, c'est la gens Bacchuiana qui élève un sanc-
tuaire à Saturne d'Achaie. A Mactar, si j'interprète bien la
traduction de M. Berger, des prêtres, les « pachas des choses
sacrées», unissent leurs moyens pour construire un temple..
Parfois, le nombre des généreux donateurs a été considérable,
et leurs noms forment une longue liste qui, counne à Bir-el-
Faouera, a été gravée sur le nmr antérieur de la cella, de
160 l'architecture sacrée de L'AFRIQUE PAÏENNE
chaque côté de la porte. Cela ne rappelle-t-il pas la coutume
que l'on a, dans nos églises, de fixer le nom du souscripteur
sur le vitrail ou le chemin de croix qu'il ont donné ?
Telle est la part qu'ont eu les collectivités dans l'érection de
tant de temples qui couvraient le sol de l'Afrique.
Celle des particuliers, qui n'a pas été moindre, est peut-être,
à certains égards, plus intéressante. Le nombre, la richesse
des constructions dont le paganisme leur est redevable, nous
montrent, en elTel, combien grande fut la dévotion envers l'an-
tique religion. Ils lai.-sent aussi entrevoir que certaines
familles tenaient en leurs mains une très grande partie de la
richesse du pays
A vrai dire, ce n'est pas souvent la piété du donateur qui
semble avoir été la cause principale de sa générosité, et cette
magnificence de personnages en vue peut souvent être soup-
çonnée de n'avoir pas été désintéressée. Elle nous apparaît, au
travers de la concision de textes épigraphiques, comme le
dernier terme de ce que de nos jours nous appellerions une
«manœuvre électorale». C'est, en effet, pour arriver à une
magistrature, sacerdotale ou autre, ardemment désirée, que
beaucoup de citoyens ont promis d'élever un temple, s'ils
étaient élus, à quelque divinité. Mais on doit reconnaître que
parfois la reconnaissance seule les a poussés à cet acte de
générosité et en tous cas que, la situation tant convoitée une
fois acquise, ils ne se sont pas bornés à tenir simplement leur
promesse. Ils ont presque toujours manifesté leur gratitude en
ajoutant à la somme due une somme nouvelle, parfois plus
considérable que la première, pour orner ou agrandir l'édifice.
Et quand le moment de l'inauguration arrivait, ils y joignaient
encore les fonds nécessaires pour célébrer la fête par des
distributions de vivres et des jeux scéniques. Comme à Rome
les empereurs, les grands donnaient au peuple, en Afrique, le
pain et les jeux du cirque.
Quand il s'agissait d'une fonction sicerJotale que l'on avait
obtenue, c'est, naturellement, à la divinité dont le citoyen
était devenu le prêtre qu'il élevait le plus souvent un sanctuaire.
Parmi les nombreux temples qui ont été construits dans ces
l'architecture sacrée de l'akrique païenne 161
conditions, je note celui de Tabari^a, dédié à Jupiter, celui de
Sidi-en-Naoui, et celui de Dougga, consacré à Céleste,
Le beau Capitole de Dougga est lui même l'œuvre de deux
frères, les Marcius Simplex, dont les hautes fonctions et la
générosité ont été célébrées non seulement dans les inscrip-
tions du temple, mais encor-e sur des piédestaux de leurs
statues qui ornaient le théâtre.
Dans bien d'autres localités encore, Matria, Furni, Dougga,
etc., les édifices sacrés ont été élevés par des prêtres de la
divinité qu'on y honorait. Il serait trop long d'énumérer
quelles étaient les fonctions qu'ils occupaient et je citerai
seulement en passant, parmi eux, deux prêtresses, sacerdotes
flaminicœ.
En dehors du sacerdoce, nous voyons, dans les villes, des
habitants auquels leurs concitoyens ont décerné le titre de
patro)ius, manifester leur gratitude de la même manière. Tels
un patronus de Putput, un patronus pagi et civitaiis
thuggensis, etc.
A Sicca Veneria, c'est un curator qui rétablit une statue de
Vénus. L'inscription, qui nous apprend ce fait, semblerait
l'extrait d'un fait divers des journaux de l'époque, s'il y en avait
eu alors. Elle relate que des voleurs ont brisé les clôtures du
temple, et, après y avoir pénétré, en ont enlevé l'image de la
déesse.
Dans quelques cas, la condition du donateur fait disparaître
tout soupçon au sujet de son désintéressement. C'est, ici, un
centurion décoré (/(as(atws), là un vétéran, ailleurs un esclave,
servus vilicus de l'empereur qui témoignent de leur dévotion
envers leur divinité préférée.
Parfois, soit que leur fortune ne leur permit point d'élever à
eux seuls un monument tel que le désirait leur piété, soit
qu'ils aient voulu se réunir afin de donner plus d'importance
et de richesse à l'édifice, les particuliers se sont cotisés, et
cette union prenait alors souvent le caractère d'une touchante
manifestation.
A Béja, les prêtres d'un temple de Cérès le réparent, et c'est
un citoyen qui se charge de l'orner et d'y rétablir les statues.
A Bou ûjelida, la gens Bacchuiana ayant décidé de construire
162 l'architecture sacrée de l'afrique païenne
un sanctuaire au Saturne d'Achaïe, c'est un des undecimprimi
qui lui fournit le terrain nécessaire. A H'' Douamis, les rôles
sont intervertis; les décurions viennent en aide à l'un de leiu's
concitoyens, qui voulait élever un temple à Esculape, en lui
donnant un emplacement.
Quel magnilique concert de pieux sentiments ne nous révèle
pas cette inscription qui nous montre, s'unissant, à Bijga,
pour rendre son antique splendeur au temple de Vénus, un
particulier, flamen perpetus et curator repuhlicae, les magis-
trats de la cité et le peuple tout entier, ce dernier offrant la
seule chose qu'il put donner, le travail de ses bras : adjuto io
splendidissimi ordinh totiiisque popuil lahore !
Les ressources des donateurs avaient, comme bien on pense,
des limites, et leur piélé se manifestait sous des formes
difféi entes. On n'élevait pas toujours un temple tout entier, et
ce dernier était plus ou moins grand, plus ou moins orné.
Parfois, on n'en construisait qu'une partie.
On a vu combien sont nombreux les temples que les inscrip-
tions nous représentent comme tombant* de vétusté. Dans la
série des textes cités par les auteurs, j'en ai noté 27 qui, étant
en ruines, ont été relevés .ou réparés. Et parfois, ce travail de
restauration ne s'étendait pas seulement à un temple, mais à
un grand nombre de monuments. Un palronus de Putput a
relevé à la fois le forum et ses édifices, le Gapitole et la curie.
A H'"Douirat, c'est un temple avec ses colonnes, à H'' Merabba,
un temple et son portique que de généreux citoyens réparent.
Ailleurs, la réparation effectuée, on agrandit l'édifice, on y
ajoute quelque partie qui le rend plus commode, plus vaste ou
d'une décoration plus riche. C'est ainsi qu'un citoyen de
Sustri répare, en aère collato, le Gapitole de la petite ville, et
y ajoute une citerne, addition d'autant plus précieuse qu'il n'y
a point de source sur le piton où était la civitas. A Agbia, un
certain Gincius, patron de la ville, non content de réparer un
temple de Gérés, érige deux statues, l'une au Génie de la
Curie, l'autre à la Fortune. A Bou Ftis, un particulier répare
un temple et y pose un dallage.
Peut-être semblera-t-il étonnant qu'un édifice sacré soit
resté aussi longtemps sans dallage. Cela nous révèle un fait qui
l'architecture SACRKK de L'AFRIQUE PAÏENNE 163
s'est produit souvent dans l'Afrique ancienne : un assez grand
nombre de temples n'ont pas été achevés aussitôt après leur
construction et d'autres ne l'ont même jamais été. C'est un
détail que doivent connaître ceux qui étudient les ruines de ce
pays. Peut-être, tout au début, n'en a-t-on fait souvent que les
parties essentielles, soit que l'on comptât sur quelque don
ultérieur, soit pour toute autre raison. Quoiqu'il en soit, des
constatations de ce genre ont été faites assez souvent, par
exemple pour le temple de Saturne à Dougga, et celui de
Mercure à Aïn-Tounga.
Certaines inscriptions nous montrent aussi des additions
faites postérieui'ement à la construction des temples : A l'op-
pidum Tepeltense, un magistrat en répare un et y ajoute une
mosaïque. Les colons du saltus Massipianus construisent un
portique et ajoutent deux arcs à un temple qu'ils réparent.
A Colonia Utika un généreux donateur, non content de relever
nn édifice sacré, y ajoute de superbes lambris. A Béja, un
temple, refait par un prêtre, est, par un habitant de la ville,
orné des statues des Cérès.
A côté de ces grandes dépenses, consacrées à tout un édifice,
ou à y faire d'importantes additions, on en relève de moins
considérables. A H'" Salah, c'est un péribole que l'on refait. A
Bordj Chebane, un particulier se contente d'orner l'entable-
ment d'un temple de Saturne. Ou bien on fait simplement une
réparation ou une restauration partielle, comme cette statue de
Venus du Kef qu'un particulier a rétablie.
Parmi les additions faites postérieurement à la construction
du temple, je citerai les colonnes de marbre qu'un magistrat,
à Sidi ben Nour, plaça dans les sanctuaires d'Apollon et de
Diane, l'emmarchement qu'un personnage de Toukabeur a
ajouté à un temple. A Furni, P. Mummius Saturninus ayant
augmenté d'un pronaos une cella de Mercure, ses citoyens lui
ont élevé une statue en témoignage de reconnaissance. A
Tabarka, c'est simplement une porte que Ton a posée dans un
temple de Pluton. A Colonia Ulliina deux habitants placent
dans un tem.ple de Saturne un bas-relief figurant un bélier et
des vestigia. A Bou-Djelida, deux frères olTrent à Tellus et à
Cérès une porte avec ornements. A Vazi Sarra, un citoyen qui,
164 l'architecture sacrée de l'afrique païenne
d'ailleurs, avait déjà construit plusieurs sanctuaires dans sa
ville, place une statue sur la porte du péribole de Mercure,
• Enfin, à propos de ces largesses dont j'ai parlé, et que l'on
avait coutume de faire lors de la consécration des monu-
ments: distribution de vivres, repas, représentations tliéàtrales,
gymnases, etc., l'inscription du Capitole de Matiia mérite une
mention spéciale. Elle offre une des formes les plus ingénieuses
dont s'est exercée la générosité. Un citoyen de Numhili, non
content de tenir les promesses qu'il avait faites relativement
au temple, après l'avoir construit, orné de marbre, de statues
et du reste, a fait des distributions de blé en le comptant à un
prix inférieur au cours du jour, ce qui ne l'empêcha pas de
donner les réjouissances habituelles.
A côté des temples, notons quelques édicules, tels que celui
qu'un particulier a fait à Gérés, à Lorbeus, et celui qu'un autre
éleva à Ghaouach, avec « une niche pourvue d'une statue et
d'une porte ».
Il y a encore des monuments de dimensions plus modestes,
tels que ce bétyle avec colonne, élevé à Thala ptir un certain
L. Postumius, et l'autel avec degrés qu'un propriétaire fit chez
lui « in suo », à Gérés grecque.
Une inscription de Krich-el-Oued renferme le détail des
objets du culte qu'offrit un flamine d'Esculape en élevant un
autel à ce dieu, c'étaient une burette en bronze, un réchaud,
un vase et une lampe de bronze.
C'est avec intention que j'ai laissé de côté jusqu'ici tout un
groupe intéressant de donateurs : les familles. La piété et le
désintéressement avec lequel on remplit les promesses faites
par un parent, on entretient et on répare son œuvre, on
l'agrandit même et on l'orne, sont dignes d'attention.
Voyez plutôt ce G. Glodius Saturninus qui, à Mùzuc, promet
de construire un temple d'Apollon, et qui meurt sans avoir
réalisé son projet. II laisse, néanmoins, à sa petite-fdle la
somme promise, et celle-ci ne se contente pas de construire le
monument, mais veille à ce qu'il soit pourvu de tous les orne-
ments nécessaires pour le compléter. Sa piété filiale ne se
contente même pas d'avoir aussi largement tenu tous les
engagements de son père. Elle y ajoute, à ses frais, des statues
l'architecturi-: sacrée de l'afrique païenne 105
de marbre, et paie, sur sa propre fortune, la somme nécessaire
pour achever tous ces aménagements.
A Muzuc encore, les héritiers d'une certaine PlaïUia
achèvent le temple orné de statues qu'elle avait promis ; à
Kern el Kcbch, un fils en relève un qu'avait construit son père
et qu'un tremblement ou un glissement de terre avait renversé.
A Sidi ben Nour, le neveu et les héritiers d'un certain
Pinarius achèvent le temple qu'il a commencé, y employant
la somme qu'il leur avait laissée dans ce but, et y ajoutent une
statue rehaussée d'or,
A H"" Chett, un père élève un temple à Herculp:, et son fils y
ajoute, à ses frais, une statue du dieu. J'ai déjà cite ce fils qui
relève, à H"' Khi ma, un temple tombé de vétusté (^ic),
qu'avait construit son père.
A Dougga, L. Ociavius commence le temple de Saturne et
laisse, pour son achèvement, à ses héritiers, une somme que
ceux-ci remettent en public.
Et c'est autre trait n'est-il pas réellement touchant ? Un
soldat de l'empire romain, ce centurion décoré dont j'ai déjà
parlé, laisse par testament 33.000 sesterces pour é'ever,
à Musti, un temple à la Fortune. Son cousin germain, après
avoir hérité de lui, y ajoute une certaine somme pour l'achè-
vement du monument, puis veille à son exécution en se faisant
aider, dans ce but. par trois de «es frères. Mais lui-même
meurt avant que l'édifice soit terminé et c'est son neveu et
héritier qui l'achève et, avec son fils, assiste à la dédicace.
Au temple de Céleste, à Dougga, le donateur du monument
meurt en laissant une somme pour son achèvement, et
en particulier pour la fabrication de statues d'argent. Mais il se
trouve que le legs est insuffisant, et c'est sa famile qui parfait
le surplus nécessaire pour terminer et orner le temple.
Après la pitié filiale, voici l'amour conjugal. A Mraïssa, une
femme, Fiaminica divœ Plautinœ, promet et commence un
temple de Cérès. Après sa mort, son mari et ses fils l'achèvent,
Tornent de marbres, de mosaïques, et y ajoutent une statue de
la Pudicité Auguste et un thorax de Céleste. De même, à
Téboursouk, une femme lait construire un temple que son
mari avait promis.
14
166 l'architecture sacrée de L'AFRIQUE PAÏENNE
Prix des temples. — En terminant, je relève à titre de
curiosité, les sommes qu'a coulées l'érection de tout ou partie
de quelques-uns de ces édifices sacrés. Peut-être, un jour, un
architecte trouvera-t-il quelque intérêt à entreprendre, grâce
à l'épigraphie, une étude de ce genre, sur le prix de la main-
d'œuvre et des matériaux dans l'antiquité.
Temple de Saturne, à Dougga 150.000 sesterces
(dont 50.000 durant la vie du fondateur et lOO.UOO
après .sa mort).
Temple de Céleste, à Dougga 90.000 —
Temple de la Fortune, à H'" Mest 40.000 —
(do )t 30.000 promis et 10.000 ajoulés [lar les héritiers)
Temple du Gapitole, à Matria 24.000 —
(ce chiffre est un iniiiimum, l'édifice a pu coûter
plus).
Temple, indéterminé, à H'' Khachoun .... 20.000 —
TeiTiple, à Teboursouk 20.000 —
(au ininiinun,).
Temple d'Apollon, à H'' Khachoun 12.000 —
Temple de Mercurius Sobrius, d'H'' Bez. . 3.000 —
Temple de la Fortune, à Sidi Naoui 8.000 —
(au minimum).
Partie d'un temple, | réparalioii d'un porliqiic . 40.000 —
à Aïn Hedja ( pose d'une statue. 8.000 —
Erection d'un autel à Toukabeur 500 —
Pose d'un emmarchement devant un temple
de Celestis, à Toukabeur 125 —
Telles sont les quelques données que j'ai extraites du bel
ouvrage de MM. C. et G. à l'intention de mes lecteurs. J'en-
courrai volontiers le reproche de n'avoir rien dit de nouveau
tout en ayant été assez long, si ces renseignements, non pas
tant par leur nature que leur groupement, sont de quelque
utilité à ceux qui, n'ayant pas cette étude entre les lïKiins,
désireront se faire une idée des temples de l'Afrique. Je sais
trop, par expérience, contre quelles difficultés bibliographiques
ont à lutter les explorateurs de bonne volonté, les curieux des
choses du passé qui, dans les petits centres où les garnisons
l'architecture sacrée de L'AFRIQUE PAÏENNE 1<)7
de l'Afrique, voulenl étudier les ruines, pour n'espérer point
avoir leur approbation.
Enfin, si, en m'étendant aussi longuement sur ce travail j'ai
pu montrer quelle est son utilité et témoigner aux auteurs le
plaisir que Ton a à le consulter, je serai satisfait.
Docteur CARTOiN,
Médecin Major.
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G
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i-ig. 9.
Temple de Célestis, à Doagga.
Fig. 4-
Tcinvlt; d'Henchir Khima.
Temple de Siai Mcdicn.
MUSTAPHA BEN ISMAEL
{Sni(c.)
Combat de Yebdar
{16 janvier 1836)
Les murs déserts de TIemcen n'avaient qu'une valeur
militaire ; il fallait pour que cette position acquit une impor-
tance politique, repeupler la ville et enlever à l'influence de
l'Émir la population musulmane, qu'il avait pu arracher, mais
non éloigner de ces lieux, où elle était habituée à vivre et à
mourir.
Le plus pressant était donc de ramener à TIemcen la popu-
lation arabe. Cette mission fut confiée au général Perregaux,
qui partit le 15 janvier avec une colonne légère composée d'une
avant-garde de cavaliers auxiliaires commandés par Mustapha
ben Ismaël ; de l'infanterie de la P'' brigade (zouaves et
bataillon d'élite, ITMéger et sapeurs du génie) et d'une section
d'obusiers de montagne.
Mustapha ben Ismaël, délivré enfin de sa longue captivité,
reparut pour la première fois avec ses cavaliers, très tiers de
le revoir à leur tête.
L'Émir, campé à Yebdar (entre TIemcen et Lamoricière),
pour compenser la faiblesse des moyens de défense qu'il était
parvenu à grand peine à réunir en si peu de temps, comptait
sur les difficultés du terrain, très montagneux, sur les rochers
inaccessibles des Beni-Ad, au milieu desquels il avait planté
son camp.
Mais, les Français surent le relancer et le débusquer de ce
nid d'aigles. Les Coulouglis, heureux enfin de respirer l'air
libre, après un aussi long emprisonnement, gravissent résolu-
ment des sentiers impraticables, que les Arabes, eux-mêmes,
nomment « Irik-el-diah », chemin des chacals.
Les braves cavaliers Douairs et Smélas, qui se retrouvent
enfin dans leur élément, véritables hommes de cheval
qu'aucun obstacle n'arrête, débouchent, en même temps que
les fantassins, sur l'emplacement du camp ennemi.
472 MUSTAPHA BEN ISMAEL
Aussitôt le caïd Mazari. neveu de Mustapha, enlève la
charge à la tète des cavaliers du Maghzen. Ils enfoncent tout
ce qui est devant eux. L'Émir exaspéré d'être vaincu par des
musulmans, au service des chrétiens, entre dans une grande
fureur. Vainement il essaie de rallier ses soldats qui fuient,
débandés, devant cette attaque impétueuse. Il leur crie dans
sa colère : « Lâches ! . . . Voyez qui vous avez devant vous ? ».
Ses objurgations ne peuvent arrêter la déroute. Tout est
sabré ; tout est tué autour de lui. Son drapeau vert est enlevé
à ses côtés par le cavalier sméla Ben Kaddour, et lui-même,
entraîné par le torrent des fuyards, est bien près de payer de
sa vie son infructueuse ténacité. Au milieu de la mêlée il est
reconnu et poursuivi par le capitaine Richepanse et le
commandant Yussouf; ce dernier le serre de près et continue,
pendant plusieurs lieues, la chasse qu'il donne à l'Émir.
En ce moment )a destinée de l'Algérie dépend de la vitesse des
deux chevaux ; « la lutte entre deux peuples est réduite aux
proportions d'une course )>.
Tous les bagages d'Abdelkader furent pris ; son infanterie
laissa sur le carreau 70 cadavres sans tète, la revanche du
Méc]iouar ; le reste de ses troupes dispersé dans toutes les
directions fût rejeté au delà du djebel Tizi.
Mustapha ben Ismaël qui avait échangé ce jour là, depuis
sa captivité volontaire, les premiers coups de fusil avec son
mortel ennemi, acheva la poursuite et déblaya le terrain.
Au loin, et la nuit venue, du côté des Oulad-Mimoun
(Lamoricière), l'Émir se trouva seul, sans tente, sans abri,
sans nourriture et sans feu, harassé de fatigue et de faim ; il
se coucha à côté de son cheval auquel il devait la vie. Après la
déroute d'Abdelkader, la poursuite des habitants de Tlemcer:
ne fiit plus qu'une battue. Cernés par les brigades Perregaux
et d'Arlanges, ils se rendirent à discrétion et furent ramenés,
au nombre de 2.500, le 17 janvier. Le maréchal, dès leur
rentrée dans la ville, leur prouva par sa protection contre leurs
coreligionnaires, qu'ils n'avaient pas compté à tort sur sa
générosité.
Pendant le séjour de l'armée à Tlemcen, on travailla active-
ment à remettre en état le Méchouar, seule partie de la ville
MUSTAPHA BEN ISMAEL 173
demeurée assez entière pour que le maréchal songeât à la faire
occuper par les Français.
D'autre part, l'occupation définitive de cette citadelle ayant
été décidée, il était du plus haut intérêt d'assurer les commu-
nications de Tlemcen avec la mei-, par une voie plus courte et
plus facile que celle, longue de liO kilomètres, qui séparait
cette ville d'Oran, chef-lieu du commandement de la province
de l'ouest.
C'est dans cette prévision que le maréchal Glausel avait fait
occuper, dès la fin d'octohre 1833, la petite ile de Rachgoun,
qui commande l'embouchure de la Tafna et n'est séparée de
Tlemcen que par une distance, nord sud, de G5 kilomètres
environ.
Nouveau combat sur la Tafna
(90 janvier 1836)
■ Pour faire de l'ile de Rachgoun une nouvelle base de ravitail-
lement, il restait à créer un poste fortifié sur les bords de la Tafna,
près de son embouchure, en face de l'île même. Le
maréchal Glausel résolut de profiter de sa présence à Tlemcen
pour pousser une reconnaissance du côté de la mer et d'aller
déterminer, lui-même, le point où devraient être établis le
nouveau camp retranché et les fortifications projetées.
Il partit de Tlemcen le 24 janvier, ne laissant dans cette ville
pour la garder, que la l''^' brigade (général Perregaux) com-
posée du 'I^ régiment de chasseurs d'Afrique (colonel de Gouzy)
du 2"^ bataillon de Zouaves, de deux compagnies de sapeurs du
génie, du bataillon d'élite composé de quatre compagnies de
grenadiers de divers régiments, d'un bataillon du 17'' léger et
d'une section d'obusiers de montagne.
« La mer étant si près de Tlemcen, pourquoi, disait Glausel,
aller la chercher à Oran, par ces longues marches en pays
ennemi qui, bien plus que les combats, usent et fondent les
armées ».
.Les cours d'eau, la Saf-Saf et la Sikkak, qui de Tlemcen
descendent jusqu'à l'île de Rachgoun, après s'être jetés dans la
Tafna, avec l'oued Isser, indiquaient la route à suivre.
174 MUSTAPHA BEN ISMAEL
Le maréchal envoya à Oran l'ordre de diriger vers Rachgoun
des bâtiments portant des blockhaus et du matériel pour
l'établissement projeté, tandis que lui-même s'y rendait de
Tlemcen. Un des ordres envoyé en quadruple copies par des
nègres qui ne voyageaient que la nuit, rampant de broussaille
en broussaille, fut intercepté ? Aussi, à la stupéfaction géné-
rale, lorsque l'armée arriva àllemchi, contluentde l'Isseravec
la Tafna, l'ennemi occupait déjà les hauteurs très escarpées
qui couvrent les rives de la Tafna, depuis ce confluent jusqu'à
la mer, dont la route se trouvait ainsi barrée par les Arabes.
C'était à croire, pour l'honneur de l'Émir, qu'il avait deviné
les projets de son adversaire. Pendant le peu de jours qui
s'étaient écoulés depuis sa défaite de Yebdar, son infatigable
activité était parvenue à nous susciter de nouveaux ennemis.
Il avait appelé à lui tous les goums de l'ouest de la province,
tous les Kabyles des Traras, ce pâté montagneux qui sépare
Tlemcen de la mer ; il avait môme entrahié à sa cause la puis-
sante tribu des Beni-Snassen du Maroc.
Toujours supérieur à sa fortune, sachant également profiter
des leçons du malheur et des chances de réussite, il employait
tout ce qui lui restait de troupes régulières à contenir les
tribus qu'il ne pouvait plus soulever, et il avait cherché et
trouvé sur les confins du Maroc et dans ce pays même les
soldats que l'Algérie, lasse et abattue, ne lui fournissait plus.
Aussi était-ce avec d'autres éléments que l'Émir venait à nou-
veau s'opposer à la marche des Français.
Le 25 janvier, vers midi, en arrivant sur la Tafna, la colonne,
qui comprenait, outre les troupes françaises des brigades
d'Arlanges et de Vilmorin, 400 Coulouglis à pied et 600 cava-
liers auxiliaires Douairs et Smélas sous les ordres de Musta
pha ben Ismaël, commença à être attaquée en tête et en flanc.
Après quelques escarmouches de peu d'importance, une charge
du Maghzen dans laquelle les cavaliers de Mustapha coupèrent
trente têtes aux Kabyles, suffit pour éloigner les groupes
ennemis, et la colonne pût établir tranquillement son bivouac
sur le plateau de Meldga, juste au confluent des deux rivières.
Mais, dès le soir, on vit qu'une grande concentration de
forces s'opérait. De tous les côtés, aussi loin que la vue pou-
MUSTAPHA MEN ISMAEL 175
vait s'étendre, on voyait accourir des contingents d'hommes à
pied et à cheval. D'après ces indications signiticatives, le
maréchal Glauzel jugea prudent d'appeler à lui la brigade
Perregaux pour le combat qui semblait imminent.
Le 26 au matin, le maréchal lit [ranchir Tisser à toutes ses
troupes, moins le il^' de ligne chargé de la garde et de la
défense du camp. L'action commença à dix heures du matin ;
elle fut engagée par Mustapha ben Ismaël qui fondit avec sa
cavalerie sur les forces d'Abdelkader. Les hauteurs de gauche
(ouestj étaient occupées par les Kabyles et les Marocains, sous
les ordres du Khalifa El lîou-Hamedi, chef des Oulhaça. On
disait de cet intrépide compagnon d'Abdelka 1er, qu'il était dur
comme un Kabyle, intelligent comme un Arabe, hardi comme
un Turc et ambitieux comme un roumi (Européen).
Abdelkader s'était établi en personne sur la droite avec le
reste de ses troupes, à mi-côte d'un contrefort descendant
de la montagne des Sebà-Chiouck. Le maréchal ne lui laissa
pas si beau jeu. Ayant laissé son convoi en sûreté entre les
deux rivières sous la garde du ll*^ de ligne, afin de manœu-
vrer plus librement, et profitant habilement de la faute qu'il a
provoquée en laissant ignorer à l'ennemi par quelle rive il
quitterait son camp, il se jette brusquement sur la rive droite
en franchissant l'Isser par des rampes pratiquées pendant la
nuit par le génie. La 2'" brigade (général d'Arlanges) tient la
droite avec les fantassins indigènes et le bataillon d'Afrique ;
la 3« brigade (colonel de Vilmorin) avec le 66« de ligne et le
génie combattent au centre qui se relie à la cavalerie et à
l'artillerie de campagne en couvrant la gauche sous le com-
mandement du colonel de Gouy.
C'est encore à Mustapha ben Ismaël qu'est confiée la pre-
mière attaque. Ce brave et intrépide guerrier se montre à la
fois général et soldat. Il comprend avec une rare intelligence
de la guerre et exécute avec une indomptable témérité la pensée
du maréchal.
Au lieu d'engager un combat mou et éparpillé, à la mode
arabe, il crève par un choc impétueux et en masse le centre de
l'ennemi, avec ses fidèles Douairs. El Mazari à la tète des
Smélas et le commandant Yussouf avec les fantassins côulou-
176 MUSTAPHA BEN ISMAEL
glis, l'appuient et dépassent la ligne qu'ils ont enfoncée; puis,
se rabattant brusquement sur la gauche, ils mettent en déroute
l'aile droite de l'ennemi refoulée en désordre vers l'ouest,
tandis que le bataillon d'Afrique contient et éloigne, par ses
feux de salve, l'aile droite d'Abdelkader coupée du centre et
de la droite par le hardi mouvement de Mustapha.
Les fantassins indigènes (Goulouglis) enlevés par le comman-
dement de l'impétueux Yussouf, justifient amplement ce mot
de leur vénérable chef au maréchal : (( Vous serez conteyit de
nous ! ». Sous les yeux des troupes françaises, ils emportent
vaillament toutes les positions et chassent, au loin dans la
plaine, l'ennemi débandé.
Malheureusement les cavaliers de Mustapha, emportés par
leur ardeur infatigable, prompts à lancer mais plus difficiles à
retenir, s'éloignent lieaucoup trop à la poursuite de leurs
adversaires, lesquels, se retournant brusquement et voyant
leur petit nombre, les enveloppent et les i amènent sur les
lignes françaises.
Le maréchal Clausel, qui connaissait leurs tendances à
l'emballement et les suivait de sa lorgnette, avait prévu cette
éventualité et se tenait prêt à la riposte. Il avait fait alléger les
chevaux des chasseurs d'Afrique des paquetages et fait monter
les cavaliers en selle nue ; puis, laissant arriver cette masse
confuse à bonne portée et choisissant le moment ou les
Douairs et Smélas, arrivés jusqu'à lui, ont pu rentrer dans le
rang, il lance à la charge le régiment des chasseurs, du
colonel de Gouy, appuyé d'un bataillon, sans sacs, du 66^ de
ligne, au pas de course.
Alors, les masses marocaines et kabyles, qui s'avançaient
croyant prendre leur revanche, sont refoulées en désordre
sur toute la ligne et perdent beaucoup de monde. Les Marocains
sont rejetés sur les bords escarpés de la Tafna et précipités
dans le gouffie qu'ils n'ont plus le temps de refranchir ; la
plupart d'entre-eux ne peuvent choisir qu'entre le sabre des
chasseurs d'Afrique et les précipices auxquels ils sont acculés.
L'escadron turc du 2*^ chasseurs, commandé par le Heutenant
Mesmer, qui formait le premier échelon de la cliarge et se
trouvait le plus près de la rivière, en fait un grand carnage ;
MUSTAPHA BEN ISMAEL 177
les sabres sont rouges de sang. Le sous-lieutenant Savaresse
charge un porte-étendard arabe auquel il dispute son trophée
et tous deux périssent en roulant dans l'abîme.
Tandis que le fort du combat se passait sur l'aile gauche
française, l'aile droite, commandée par le général d'Arlanges,
maintenait toujours AbdelUader isolé du restant de ses troupes
que vainement il avait tenté de rejoindre, décimé qu'il était
par la section d'artillerie de la 1''^' brigade, dont tous les coups
portaient dans la masse des burnous blancs.
Pendant cette brillante action, le khalifa Bou-Hamedi,
voyant les périls que courait son maître, tentait une diversion.
Ayant passé à son tour la Tafna, un peu au-dessous du confluent
de risser, il venait, avec élan et audace, attaquer le convoi,
objet constant de l'attraction en campagne et de la convoitise
des Arabes, qui mettent la plus petite proie au-dessus de
la plus grande gloire.
Mais le parc, un moment menacé, est vivement dégagé par
une charge à la baïonnette des grenadiers du ll'^ de ligne,
commandée par le capitaine Ripert et soutenue sur ses ailes
par un escadron de chasseurs d'Afrique, enlevé par le brave
commandant Bernard, qui trouva encore là pour se signaler
avec son détachement, tenu en réserve, l'occasion qu'il savait
toujours faire naître.
Il était grand temps pour Bou-Hamidi, dont la tentative
venait d'échouer, de repasser vivement la rivière, .sous peine
d'être aussi coupé à son tour. Mustapha ben Ismaël et El
Mazari, qui avaient pu reformer leurs escadrons de cavalerie
auxiliaire, sous le rideau de la première charge des chasseurs
d'Afrique, vinrent lui donner le coup de grâce par une chasse
émouvante, lancée dès que son mouvement de retraite fut
dessiné.
Les Douairs et Smélas, le fusil haut, debout sur leurs
étriers, revinrent au camp chargés des dépouilles de l'ennemi.
C'est encore Mustapha ben Ismaël et ses hardis cavaliers indi-
gènes qui eurent ies honneurs de cette journée.
La victoire restait à nos troupes, mais Abdel kader n'avait
pas dit son dernier mot ; il était loin de s'avouer vaincu. Le
lendemain, 27 janvier, avant de poursuivre sa route vers la
2
178 MUSTAPHA BEX tSMAEL
mer et de s'engager dans les gorges étroites de la Tafna, le
maréchal Clausel voulut s'assurer des forces de l'ennemi et
attendre le renfort de la brigade Perregaux appelée de
Tlemcen. La méfiance, après un premier succès, est une
qualité précieuse à la guerre : le maréchal s'applaudit de ne
l'avoir point oublié.
Une reconnaissance de cavalerie, commandée par le
capitaine de Montauban, vint en toute hâte le prévenir que de
fortes colonnes ennemies, de cavalerie et d'infanterie parais-
saient au nord et à l'ouest, marchant vers le camp.
Toutes les dispositions de combat furent immédiatement
prises pour recevoir le choc. La situation de ces 3.500 français
séparés de leurs bases d'opération, Tlemcen et Rachgoun,
acculés aux montagnes de la Tafna et pressés en demi cercle
par 10.000 fanatiques, eût paru critique avec tout autre
tacticien que le maréchal Clausel, dont la tranquille sérénité
se communique bientôt dans tous les rangs.
Renonçant spontanément à continuer sa marche vers la
mer, à travers ces gorges de la Tafna que vingt combats
n'eussent pas réussi à dégager de la présence de l'ennemi, il
envoi le convoi en arrière, du côté de Tlemcen et lui fait
gravir, sous la garde d'un bataillon d'infanterie, cette ligne
de crêtes au-dessus de laquelle se trouve le plateau où s'élève
de nos jours le village de Montagnac (Remchi), bordé de
précipices de trois côtés. Ainsi posté, le convoi se trouve
défendu comme dans une forteresse naturelle. De cette façon,
tous ses mouvements restent libres, sans souci de son parc et
de ses bagages encombrants.
Sur ses ordres, les quatre autres bataillons d'infanterie
prennent position sur les crêtes de droite perpendiculaires à la
route de Tlemcen ; la cavalerie se poste au pied des collines, à
l'endroit où la route actuelle fait un grand lacet pour
descendre dans la plaine, couvrant ainsi ce mouvement de
retraite ; la cavalerie auxiliaire est placée au centre, à la
gauche de l'infanterie.
A peine ces dispositions sont-elles prises que l'ennemi
attaque à la fois la cavalerie et les auxiliaires indigènes des
deux armes. L'État-Major est étonné, dans cette journée.
I
MUSTAPHA BEN ISMAKL 179
de voir les Arabes s'avancer en bon ordre, avec une avant-
garde et une réserve, sa cavalerie à gauche, son infanterie
à droite, dans un terrain inégal et mamelonné.
Ils commencent leur attaque avec cette audace aveugle et
imprévoyante que l'ignorancp du danger donne à des jeunes
troupes enthousiastes et fanatiques qui n'ont jamais vu le feu.
Les chasseurs d'Afrique qui avaient devant eux un ennemi
dix fois plus nombreux, combattent avec leur vaillance
habituelle ; ils entrent comme un coin dans le Ilot des
Marocains, leur enlèvent des armes et des chevaux, mais ils
sont contraints de céder devant le nombre et de se replier avec
calme, en se rapprochant des lignes de l'infanterie. Le colonel
de Gouy se tire honorablement de ce mauvais pas, car rien
n'est aussi difficile, devant les Arabes, qu'une retraite lente et
méthodique, après une charge impétueuse. Le mouvement
des chasseurs dut être aidé par le feu à mitraille de la section
d'artillerie de campagne, hardiment dirigé par le lieutenant
Princeteau et soutenu par les compagnies d'éhte du iP de ligne.
L'escadron turc de notre cavalerie régulière fit encore des
prodiges de valeur et tua plus d'hommes qu'il n'en comptait
à son effectif. Sur la gauche de notre ligne, les Coulouglis
à pied furent enfoncés par la cavalerie marocaine qui les
refoula, en les obligeant à se replier vers la brigade d'Arlanges,
jusque sur le bataillon d'Afrique, contre lequel leur fougue
vient s'amortir.
Ils s'arrêtent d'abord devant ce mur de baïonnettes et
engagent une fusillade très vive ; puis, renforcés par d'autres
échelons, devenant plus nombreux, ils essaient de déborder
la gauche de l'infanterie française, contre le front de laquelle
Abdelkader, visant le centre, va se ruer avec toutes ses
forces non encore engagées. — Le moment devient critique ! . . .
Alors, par un de ces coups de théâtre si communs dans
cette guerre d'Afrique, oii tout est soudain et éphémère, le
feu cesse sur toute la ligne de l'ennemi ; les masses kabyles,
fortement engagées sur leur aile droite, se retirent à la hâte
sans qu'aucun mouvement en avant de notre ligne de bataille,
180 MUSTAPHA BEN ISMAEL
ferme comme un roc et immobile, ait motivé cette retraite
inopinée et inexplicable.
Craignant un piège, le maréchal Clausel, n'ayant pas encore
le secret de cette énigme, fait suivre avec précaution l'ennemi
par le régiment des chasseurs d'Afrique et les cavaliers
de Mustapha qui avaient formé jusqu'alors, ce jour-là, la
réserve de cavalerie.
Un grand mouvement d'incertitude se manifeste dans
les rangs de l'ennemi en retraite, quand, soudain, des coups
de canon se font entendre sur la gauche. L'arrivée, à la charge,
d'un officier d'ordonnance vient enfin donner la clef de tout
ce mystère: C'est le général Perregaux qui, parti de Tlemcen
pendant la nuit, a quitté sa route pour marcher au canon,
avec l'instinct du véritable homme de guerre et s'est dirigé
avec une précision mathématique sur le point où sa présence
devait être décisive, si la retraite de l'ennemi avait pu être
douteuse.
Ce dernier, engagé dans une impasse, menacé sur sa droite,
par ce renfort inespéré à cette heure matinale, sur ses
derrières par notre cavalerie, sur le point d'être pris entre
deux feux s'il hésite et s'il s'attarde, juge plus sur d'aban-
donner le combat et de fuir le champ de bataille, dès qu'il se
voit cerné. L'Arabe est toujours et fatalement vaincu quand il
se croit tourné.
L'on pense bien que Mustapha ben Ismaël ne laissa pas
passer une si bonne occasion. Il chargea sur les talons de
l'ennemi en déroute que canonnait vivement, en enfilade,
l'artillerie de la brigade de secours.
Les Douairs et Smélas firent des ravages considérables
dans les rangs des Kabyles en fuite, et, comme la veille, ils
donnèrent le coup de grâce, revenant au camp chargés des
dépouilles de leurs ennemis vaincus.
Dans ces deux journées de combat, la troupe de Mustapha
fut, comme toujours, admirable de bravoure et d'entrain. Les
Arabes eurent plus de 200 hommes hors de combat. Nos
pertes s'élevèrent seulement à 3 tués et 48 blessés, dont
14 indigènes.
La marche sur Rachgoun reconnue impraticable par cette
MUSTAPHA BEN ISMAEL 181
nouvelle expérience, le maréchal fit rentrer ses troupes à
Tlemcen ; les laissa en repos pendant quelques jours et
rentra avec elles à Oran, le 7 février, après avoir laissé
un bataillon de volontaires, commandé par le capitaine
Cavaignac, à la garde du Méchouar.
Ce fût avec des transports de joie et d'allégresse qu'on apprit
à la M'iéta le retour du grand chef Mustapha ben Ismaël, de
son neveu Mazari et des cavaliers Douairs et Smélas qui avaient
survécu à toutes ces épreuves, depuis qu'ils avaient quitté
leurs tentes deux ans auparavant. Les gens de la plaine se
portèrent en foule à sa rencontre, vers le Tlélat et remercièrent
le maréchal gouverneur de leur avoir rendu leur idole.
ft C'est la perle réintégrée dans son écrin » disaient-ils aux
généraux français.
Après quelques jours de repos et avant de regagner Alger,
le maréchal réorganisa le maghzen d'Oran, sur des bases
définitives, Mustapha ben Ismaèl fut nommé agha supérieur
des Douairs et Smélas et commandant en chef des alliés
indigènes, en remplacement de Braham hou Chenack, de
la M'iéta, appelé à un autre commandement. Le caïd Mazari
fut nommé agha de Mostaganem, sous les ordres du bey
Ibrahim. Mohamed ben Bachir ould Cadi fut nommé caïd de la
fraction des Douairs et Kaddour ben Saharaoui ben Mohktar,
caïd de la fraction des Smélas.
La cavalerie auxiliaire indigène, ainsi reconstituée, fut
placée sous l'autorité du général d'Arlanges, nommé lieutenant
général est appelé au commandement de la division à Oran.
Colonne du général Perregaux
{Mars 1830)
Cette année 1830, qui commençait à peine, devait être fertile
en faits d'armes. La soumission des Arabes était loin d'être
faite dans la province d'Oran, et, pour atteindre le but, le plus
difficile restait à faire. Malheureusement, le Ministre de la
Guerre demandait des résultats et refusait le temps et les
moyens de les atteindre, puisque l'etfectif des troupes, déjà si
182 MUSTAPHA BEN ISMAEL
restreint, devait être encore plus affaibli par le rappel en
France des deux tiers des régiments d'infanterie détachés à
l'armée d'Afrique (12 sur 18),
Cependant, le vide qu'Abdelkader entretenait habilement
autour des places que nous occupions, avait pour effet d'affa-
mer Oran, notamment, qui manquait de vivres, surtout de
viande. Les Douairs et les Smélas, nos seuls alliés, étaient
épuisés par les précédentes campagnes et n'avaient plus de
bétail à nous fournir. Les autres Arabes se tenaient, de par le
mot d'ordre d'Abdelkader, obstinément éloignés de nos mar-
chés. Il fallait donc aller chercher au dehors et se procurer
ce qu'on refusait de nous apporter.
Le 23 février 1836, les troupes de la Division d'Oran étant
reposées et refaites, le général Perregaux sortit inopinément
de la place avec 4.000 hommes, et, par une marche rapide de
jour et de nuit, il surprit les troupeaux de la plaine du Sig et
enleva aux Gharabas 2.000 têtes de bétail, ce qui ramena
l'abondance à Oran.
Le Maghzen, commandé par l'agha Mustapha ben Ismaël,
contribua comme toujours au succès de cette fructueuse
sortie, en pratiquant la razzia à la mode arabe.
Le 14 mars, le même général, chargé des opérations actives,
sortit une deuxième fois d'Oran avec une colonne de 6.000
hommes, composée de trois bataillons d'infanterie, trois esca-
drons de chasseurs d'Afrique et une batterie d'artillerie,
comprenant trois pièces de campagne et trois de montagne.
La cavalerie auxiliaire de Mustapha ben Ismaël l'homme indis-
pensable à chaque coup de main, était forte de 600 chevaux,
La colonne alla camper le premier jour à la fontaine de Gou-
diel et le 15 mars elle se dirigea vers la Macta, en passant par
Arzew, pour aller camper à Fornaka chez les Abid Chéra.qas.
Le 16, infléchissant vers le sud et pénétrant dans la plaine de
l'Habra, elle fit sa jonction à El-Hassian, avec le colonel
Combes, le bey Ibrahim et le caïd Mazari, qui amenaient de
Mostaganem deux bataillons d'infanterie (47<'), 150 fantassins
coulouglis et 50 cavaliers indigènes, qui portèrent l'effectif de
cette troupe à près de 8.000 hommes.
La colonne du général Perregaux passait, à bon droit, pour
MUSTAPHA BEN ISMAEL 183
un modèle de bonne organisation : Les transports du convoi
étaient admiralaicment entendus ; les marches bien réglées et
la nourriture du soldat augmentée et variée suivant une
adaptation plus conforme au climat. C'est là que pour la pre-
mière fois on fit un usage régulier des distributions de sucre
et de café, et que le riz, employé plus fréquemment, fit désor-
mais partie de l'ordinaire de la troupe.
On fit séjour à El Hassian ; l'Émir ne se montra pas mais il
envoya son agha El Habib bou Lhassen avec 1.000 chevaux
pour observer les Français et les isoler des populations musul-
manes afin de déjouer leur bat, de se les attacher par l'aman
et la soumission.
Le 18 mars, au matin, au moment où la colonne levait le
camp pour se porter à Ferratas, chez les Bordjia, elle fut
serrée de près par les nombreux goums d'El Habib bou
Lhassen, renforcés des Béni Chougran et des Abid Chéragas.
Le général Perregaux résolut de se débarrasser par un coup de
vigueur de ce blocus incommode qui stérilisait son entreprise
en lui interdisant avec les Arabes de la plaine les communica-
tions et les soumissions qui étaient son but.
Il lança brusquement sur ces goums tout le Maghzen con-
duit par Mustapha et El Mazari, soutenus par la cavalerie
française et appuyés par toute la colonne qui les suivait
vivement.
Le vaillant Mustapha ben Ismaël, avec sa vigueur habituelle,
après s'être approché le plus près possible à petite allure,
fond tout à coup sur l'ennemi, commandé ce jour-là par un
jeune khalifa de l'Émir, Si ben Fréha ben Khattir, personnage
important de la famille des Hachem.
II le charge à outrance avec cette impétuosité que nous lui
connaissons, le disperse, le pourchasse au-delà des montagnes
et lui coupe 60 têtes parmi lesquelles celle d'un porte-drapeau
et du caïd de Kalâa, Si Mohamed ben Djilali.
Deux drapeaux, 50 chevaux et environ 2.000 têtes de bétail
furent les trophées rapportés au camp français, après une
poursuite qui ne cessa que lorsque le dernier cavalier ennemi
eut disparu dans la direction de Mascara. La déroute des
184 MUSTAPHA BEN ISMAEL
Arabes fut complète et la plaine de l'Habra purgée des cavaliers
d'Abdelkader qui ne reparurent plus.
Après un repos de quarante-huit heures, la colonne, libre
désormais de ses mouvements, traversa le 21 mars la plaine de
Sirat et alla s'établir chez les Medjaers, à Aïn-Madar, où elle
rççut la soumission de plusieurs tribus voisines.
Le reste de cette campagne ne fut qu'une course heureuse
et productive, poussée vers l'Hil-Hil, Bel-Hacel, Sourk-el-
Mitou, Ennaro, Mostaganem et Arzew, qui amena la soumis-
sion de tous les indigènes de la rive gauche du Chélif.
Un seul fait d'armes digne d'attention se produisit seulement,
lorsque la colonne partant du gué des Oulad Snoussi, situé
près du Meldga, confluent du Chélif et de la Mina, levait son
camp pour se porter vers le nord. Elle fut vivement attaquée
par les tribus non encore soumises de la rive droite du Chélif:
Oulad Khrelouf, Beni-Zéroual, Oulad Bou-Kamel, etc., qui
vinrent l'assaillir inopinément dans les terrains boisés et cou-
pés de ravins qui séparent Bel-Hacel du puits d'Ennaro.
Ce fut encore une nouvelle occasion pour Mustapha ben
Ismaël de donner des preuves de cette haute capacité militaire
qui le distinguait si particulièrement, et pour les goums des
Douairs et Smélas de se montrer intrépides, brillants et victo-
rieux, dans les brusques retours offensifs, si vigoureusement
menés, qu'ils exécutèrent sur l'ennemi, pour protéger l'arrière-
garde et éloigner leurs adversaires^ sans cesse culbutés et
refoulés avec de grandes pertes, jusqu'à Ennaro où ils finirent
par disparaître après avoir été décimés par les goums du
Maghzen, toujours aussi ardents, sous le commandement de
leur vieil agha.
Dès son retour à Oran, le général Perregaux, blessé du
dualisme entraîné par ce détestable système du double comman-
dement qu on lui fiisait partager avec le général d'Arlanges,
quitta la division, sur sa demande, et rentra à Alger.
Son nom lui survécut dans la province d'Oran par la
création, à l'Habra même, qu'il avait pacifié, de la petite ville
aujourd'hui si coquette et si ombragée qui porte son nom.
Gomme Desaix, en Egypte, Perregaux reçut le surnom de
« Sultan juste » et comme lui il mourut sur un champ de
bataille, auprès de celui dont il était le conseiller et l'ami.
MUSTAPHA BEN ISMAEL 185
Dar-el-Atchan
(15 aoril 183(1)
Pendant que le général Perregaux paciliait les tribus de la
région orientale de la province d'Oran, le général d'Arlanges,
à la tète d'un petit corps de troupes réduit à 1200 hommes,
s'avança vers l'ouest jusqu'à Brédéah, où il construisit une
redoute.
Abdelkader, qui faisait surveiller ses mouvements, était alors
campé à la fontaine « d" Aïn-el-Houtz » à quelques kilomètres
au nord et au-dessous de Tlemcen, attendant une circonstance
favorable pour agir avec quelque succès et prendre sa revan-
che de la Tafna. Elle ne tarda pas à se présenter.
On se souvient qu'avant de quitter Oran, le maréchal
Glausel avait décidé d'établir un camp à Rachgoun, à l'embou-
chure de la Tafna et d'ouvrir, de là, des communications pour
ravitailler Tlemcen. Le général d'Arlanges, resté seul à la tète
de la Division, était chargé de cette mission. Les forces dont il
disposait, jointes à celles restant libres de la brigade Perregaux,
formaient, après la rentrée en France de quelques régiments,
un eiïectif total de 3000 hommes mobilisables, après avoir
pourvu strictement aux besoins de la défense de la place
d'Oran.
C'est avec ce faible corps de troupes que le nouveau chef de
la Division dut entreprendre celle double mission des plus
difficiles et des plus périlleuses. La colonne réorganisée se
composait de 6 bataillons d'infanterie (2600 hommes) du
i"'' bataillon d'Afrique, du 17e léger et des 47« et 66« de ligne ;
comme cavalerie : de 150 cavaliers auxiliaires des Douairs,
commandés par Mustapha ben Ismaël et 200 chevaux du
2*^ chasseurs d'Afrique ; comme artillerie : de 4 pièces de
campagne et 4 obusiers de montagne; enfin, de 180 sapeurs du
génie, commandés par le colonel Lemercier.
L'entreprise ordonnée par le maréchal Glauzel était d'autant
moins réalisable, que lui même y venait d'échouer avec un
effectif supérieur ; cependant le général d'Arlanges, homme de
cœur et de discipline, se mit immédiatement en campagne,
sans hésiter, ni réclamer, comptant sur sa calme et tenace
fermeté et sur les excellentes qualités de sa petite troupe.
186 MUSTAPHA BEN ISMAEL
Le matériel destiné à l'établissement du camp de Rachgoun,
une fois embarqué et expédié par mer, le général se mit en
route vers le sud le 7 avril. Une si faible colonne aurait dû
marcher rai)idement vers le but; c'était le seul moyen. d'em-
pêcher l'Émir de pénétrer ses projets et de rassembler de
nouveaux contingents. Il n'en fut rien ; après avoir contourné
le grand lac salé de Misserghin par le sud, la colonne tut
arrêtée le 9 sur l'oued Heïmer ; le 9, le 10 et le 11, le général
franchit la chaîne du Tessala, par le col d'Ain-Terzita, afin
d'y vider les riches silos oii les Beni-Ameur emmagasinaient
leurs grains. Pour ébranler les croyances superstitieuses des
Arabes, qui disaient cette montagne sacrée et infranchissable,
les troupes furent employées pendant ces trois jours à y ouvrir
un chemin, travail sans but, resté inachevé ; mauvais emploi
de l'énergie des troupes et fâcheux spectacle pour les indigènes
déjà habitués à nos inconséquences.
Le 13 on franchit le Rio-Salado et la colonne alla camper
sur l'oued Senan, à l'endroit où se trouve actuellement Ain-
Témouchent. Le 14, prenant la direction de l'ouest, on passa
à Aïn-Guettara, et à midi la colonne prenait position sur
l'oued Ghazer ; cela faisait sept jours d'employés pour franchir
une distance qui ne dépasse pas 75 kilomètres en droite ligne.
Cet oued Ghazer, qui se trouve sur la route actuelle de
Témouchent à Beni-Saf, un peu avant d'arriver au nouveau
village de Guiard, est un affreux ravin, très encaissé, aux
pentes abruptes coupées de failles et de ressauts.
Le 15, la colonne quitta l'oued Ghazer dès la pointe du jour ;
elle gravissait une montagne élevée et aride, appelée Dar-el-
Atchan, d'où l'ennemi s'était déjà montré, épiant ses mouve-
ments Le flanc gauche (sud) était couvert par la cavalerie de
Mustapha.
Ce vieux tacticien, qui avait la pratique éprouvée des diffi-
cultés du terrain, voyant cette montagne qui fermait perpen-
diculairement l'entrée du défilé long et tortueux par lequel on
s'était imprudemment engagé, dit au général qu'il était
dangereux de se jeter dans cette souricière sans avoir déblayé
le terrain en avant et vaincu ces Kabyles dont les rassemble-
ments de plus en plus resserrés devenaient inquiétants.
MUSTAPHA llEX ISMAEL 187
Il ne cessait de demander de l'artillerie et proposait de
livrer combat avant d'aller plus loin. Son avis ne prévalut pas,
ce qui eut le don de l'irriter. Alors, n'écoutant que son instinct
de la guerre, plutôt que de déférer à un acte de discipline et
d'obéissance qui manquait à ses yeux de sanction, puisqu'il
n'avait ni la supériorité de la raison ni celle du nombre et de
la force brutale, il prit subitement la résolution d'attaquer de
lui-même l'avant-garde d'Abdelkader.
En comptant d'être soutenu, il reconnaissait la loyauté du
général d'Arlanges, auquel il croyait de son devoir de rendre
service malgré lui .
Cette attaque, impétueuse comme à l'ordinaire, surprend la
tête de la colonne de l'Émir qu'elle fait d'abord plier, mais
l'infanterie qui était en arrière tint bon et se déploya sur les
flancs en entourant cette poignée de cavaliers Douairs. Trop
lier pour demander du secours, le brave Mustapha redouble
d'énergie pour se dégager.
Contraint d'accepter le combat qu'il aurait du engager, qu'il
n'a pas su empêcher et qu'il est trop tard pour rendre décisif,
le général d'Arlanges qui a une grande estime pour Mustapha,
malgré sa désobéissance, envoie lestement les chasseurs
d'Afrique pour protéger sa retraite et lui fait réitérer l'ordre
de se replier. Cela n'est plus possible ; le mouvement de flanc
de l'infanterie kabyle a même compromis les deux escadrons
de chasseurs, situation réclamant un secours qu'ils ne suffisent
plus à donner.
Un bataillon du IT^ léger et deux pièces de montagne sont
alors détachés pour appuyer la cavalerie. Le renfort arrivé sur
le plateau où se déroulait l'action, dégagea la cavalerie
française rendue libre de ses mouvements. Mais Mustapha ben
Ismaël, qui avait son idée ancrée dans la tête et aurait, pour
l'entêtement, rendu des points à un Breton, ne veut profiter
du renfort qu'on lui envoie que pour rendre plus inévitable
encore le combat auquel son général s'obstine à vouloir se
soustraire.
Il reprend la charge avec ses cavaliers, qui, malgré leur
courage et leur valeur, sont bientôt ramenés en déroute.
L'affaire prend mauvaise tournure. A travers les mailles de la
188 MUSTAPHA BEN ISMAEL
cavalerie kabyle qui les talonne et leur coupe des têtes,
débouche l'infanterie régulière de l'Émir qui vient se heurter
au bataillon du 17^, à peine fort de 500 hommes, lequel est
vivement attaqué.
C'est alors seulement que le général se décide à agir.
Laissant ses bagages sur le revers de la montagne avec
le 66'^ de ligne et les troupes du génie, il s'avança en bon
ordre avec les quatre petits bataillons qui lui restaient
et avec son artillerie.
Deux pièces de canon, habilement mises en batterie par le
colonel Combes, foudroient de leurs coups certains les
kabyles qui se sont entassés dans un profond ravin pour
tourner la droite du 47^ ; mais cette affreuse boucherie
n'arrête pas leur tête de colonne, toujours hachée, toujours
renouvelée.
« Elle arrive jusque sur les pièces et, sur toute la ligne de
combat, les kabyles chargent avec intrépidité les tirail-
leurs de notre infanterie. Cette dernière est contrainte de
renverser à la baïonnette ceux que le canon épargne. Nos
braves soldats d'Afrique, heureux de cette lutte corps à corps,
plus au gré de leur courage et de leur aptitude spéciale à ce
genre de combat, tuent à l'arme blanche ces intrépides
adversaires, dont l'élan fait leur admiration et qu'on hésitait
presque à mitrailler en masee. Animés, dit le duc d'Orléans (1),
par les plus nobles passions de l'homme, la foi musulmane et la
haine de l'étranger, les fantassins kabyles se dévouent pour
emporter les martyrs du canon des chrétiens, et n'abandonnent
aucun trophée ou Français, dont les baïonnettes, ce jour-là,
n'ont conquis qu'un champ de bataille ». Le sanglant combat
de Dar-el Atchan nous coûta cher, en égard au petit nombre
des combattants : 10 tués et 70 blessés. Parmi les cavaliers de
Mustapha plus de 30 furent mis hors de combat ; la plupart
des blessés, transportés à l'ambulance, vinrent mourir sur les
sables des bords de la Tafna.
Le combat finit à 2 heures. Le soir, sous la tente, Mustapha
ben Ismaël, loin de se montrer confus et repentant de son
(l) Les Campagnes d'Afrique.
MrSTAPlîA RKN ISMAEL i89
attitude du luatin, lit les plus grands elïoi-ts pour dissuader le
général d'Arlanges de continuer sa marche sur la Tafna. Le
vieux Mustapha n'était pas dupe de la tactique de l'Émir, dont
le but évident était de détruire en détail cette petite troupe
française, engagée malencontreusement dans ces montagnes
inextricables, et de l'empêcher de parvenir à Rachgoun.
« Le génie inculte, le sauvage bon sens de ce véritable
homme de guerre, ont deviné l'issue de la situation dont le
calme apparent aggrave encore le péril. Il supplie son général
de ne point pénétrer plus avant dans les montagnes, sans
avoir encore une fois mesuré ses forces avec l'ennemi et frappé
un grand coup.
— « Si tu parviens à dompter ici l'ennemi, lui dit-il, lu
deviendras, alors seulement , libre de tes mouvements.
Si tu ne peux le détruire, ici, estimes-toi heureux de ne pas
l'avoir rencontré dans ces ravins et ces défilés, qui se referme-
ront sur toi ».
« Le lendemain matin, au départ de la colonne et comme
dernier argument, Mustapha descend de cheval et se couche,
comme Souvorow, en travers du chemin, sous les pas du
général. Ce dernier, encore irrité de leur différend de la veille,
ne veut écouter ni ses instances prophétiques, ni cette expres-
sive protestation du vieil agha ; il engage résolument sa
colonne dans le défilé ».
Abdelkader, comme pour escorter une proie qu'il croit lui
appartenir, fait harceler l'arrière-garde commandée par le
colonel Combes qui, au moment d'une halte, fait braquer
deux pièces sur les poursuivants et finit par les éloigner à
coups de canon.
Le lendemain, 16 avril, la colonne débouchait sur la plage
sablonneuse de la Tafna et s'établissait en face l'ile de Rach-
goun, sur les hauteurs de la rive droite.
190 MUSTAPHA BKX ISMAKL
Sidi-Yacoub
('J5 avril 1S36)
Pendant les quelques jours que dura l'installation du camp
retranché et des blockhaus construits par le colonel du
génie Lemercier, la prédiction de Mustapha ben Ismaël se
réalisa ! La population kabyle toute entière du bassin de la
Tafna, de Nédroma et de la frontière du Maroc était sous les
armes, appelée par la voix fanatique d'âbdelkader ; chaque
jour, nos fourrageurs étaient attaqués par ses éclaireurs, mais
le gros de l'ennemi, dissimulé dans les montagnes voisines, ne
se montrait pas, afin de nous inspirer plus de sécurité et de
confiance.
Le 24 avril au soir, voyant le relief des ouvrages suffisam-
ment avancé pour mettre le camp à l'abri d'une attaque de
vive force, le général d'Arlanges dut s'occuper d'exécuter la
deuxième partie de sa mission : le ravitaillement de la garni-
son de Tlemcen. Le capitaine Gavaignac, toujours bloqué avec
ses 500 volontaires danâ les murs du Méchouar, se trouvait
dans la situation des plus pénibles. Il n'avait été, il est vrai,
attaqué qu'une seule fois par les Arabes qu'il avait repoussés ;
mais depuis son isolement du reste du monde, il n'avait pu
faire parvenir que deux lettres au général. L'active et étroite
surveillance d'Abdelkader rendait chaque jour la correspon-
dance plus difficile, et la situation de ce prisonnier volontaire
plus précaire.
Le Général résolut donc de pousser une reconnaissance du
côté du marabout de Sidi-Yacoub, situation élevée, à l'ouest
du camp, sur les hauteurs du bord de la mer d'où il pouvait
espérer reconnaître les forces de l'ennemi et diriger son
expédition sur Tlemcen.
Le 25 avril, avant le jour, il se mit en route dans cette
direction, avec une colonne légère de 1.500 hommes de toutes
armes, qui passèrent sur la rive gauche de la Tafna. C'était
trop pour une reconnaissance, pas assez pour une colonne de
combat, mise en contact avec les forts et nombreux contingents
de l'Emir accumulés et concentrés pendant ces dix jours
MrsTArnA ben ismakl 191
d'inaction: troupes dont le moral se tortillait en présence de cette
poignée de Français qu'on se vantait de jeter bientôt à la mer.
Mauvais pronostic pour le début : le gué de la Tafn?., barre
de sables mobiles, comme à l'embouchure de toutes les
rivières, fût défoncé au départ par la cavalerie, avant le
passage des huit pièces d'artillerie, dont les munitions furent
mouillées et avariées. De plus, le fruit d'une nuit de veille
passée par l'infanterie, en silence et sans feu, se trouva perdu
par la maladresse des sentinelles qui commirent l'imprudence
de tirer sur des patrouilles volantes de l'ennemi et de donner
l'alerte parmi les Arabes aux aguets.
A sept heures la colonne se trouvait rassemblée sur les
hauteurs, à deux lieues du camp, près de Sidi-Yacoub et
continuait sa marche lorqu'elle .vint heurter une grand'garde
qui se replia assez vite et contre laquelle on commit la faute
de tirer le canon pour la disperser !
(( C'est le rappel de l'armée de l'émir que l'on bat pour le
prévenir ; c'est le tocsin des bandes kabyles que l'on sonne
dans ces montagnes silencieuses, oii le canon retentit à des
distances immenses. Ils répondent tous à la voix du rassem-
blement, mais ne se montrent pas encore ; ainsi le veut Abdel-
kader : Plus les Français seront loin de leur camp, plus il en
aura facilement raison. »
'Etonné du vide qui se fait autour de lui, le Général s'arrête
au petit hameau de gourbis qui entoure le marabout de Sidi-
Yacoub. Il est là, sur une agglomération de contreforts coupés
de ravins, qui domine toute la contrée, mais qui constitue une
mauvaise position défensive II envoie alors les cavaliers
indigènes de Mustapha ben Ismaël à la découverte, en leur
recommandant de rester par groupes et de se tenir en contact
avec lui.
L'instinct des Douairs livrés à eux-mêmes reprend le dessus
pour le malheur de la colonne. Dès qu'ils se sentent hors de
portée de leur caïds et de leurs officiers, les cavaliers du
Maghzen s'éparpillent au loin ; ils font la découverte pour leur
compte, sur la droite où ils ont aperçu des troupeaux, fouil-
lent des cabanes et des gourbis et s'éloignent à perte de vue.
L'imprévoyance de nos cavaliers auxiliaires rend inutile la
192 MUSTAPHA BEN ISMAEL
prudente circonspection du général. Dès qu'on les voit
égrenés, au loin, hors de portée du commandement, les
groupes kabyles, cachés jusqu'alors, s'avancent drapeaux
déployés et fusil sur l'épaule, ils s'approchent de toutes parts
rapidement et en silence, comme de vrais soldats aguerris au
combat et viennent parader jusqu'à petite portée de notre
infanterie, restée en position à Sidi-Yacoub.
Dès ce moment, le but de la reconnaissance est atteint.
L'audacieuse contiance de ses allures a révélé l'ardeur et le
nombre considérable de l'ennemi. On reconnaît la nécessité de
se retirer, mais il n'est plus temps.
A peine a-t-elle dessiné son mouvement de retraite que la
colonne est assaillie de tous les côtés à la fois. Avec une
tactique vraiment surprenante, les Arabes et les Kabyles,
débouchant par toutes les gorges et s'emparant de toutes les
crêtes, enveloppent les Français sur les quatre faces.
Pas un de nos soldats n'aurait échappé à une mort certaine,
si l'Émir, ébloui par cette bonne fortune avait eu assez de
décision pour concentrer tous ses moyens d'action sur une
seule des deux proies, entre lesquelles il ne sût pas choisir.
Grisé par l'espoir d'écraser la colonne et d'enlever ensuite le
camp de Rachgoun, il diminua, en divisant ses forces, son
principal avantage et l'unité compacte, en envoyant 3000 hom-
mes attaquer nos retranchements qu'il sait presque déserts,
mais que le colonel Lemercier défend vigoureusement en
repoussant les assaillants.
Le coup est manqué. La molle et lointaine tiraillerie qui
s'engage à Rachgoun, ne fait même plus diversion à l'action
principale' de Sidi-Yacoub, qui doit décider du sort de la
journée.
Ici, le combat devient acharné et homérique. Deux faibles
colonnes d'infanterie, commandées par les colonels Combes
du 47e et Corbin du 17'-' léger continuent parallèlement le
mouvement de retraite en se tenant sur les crêtes, déjà
occupées d'avance par l'ennemi. A l'arrière-garde et sur les
flancs, un rideau de tirailleurs combat pêle-mêle, corps à corps
avec les Kabyles.
A chaque obstacle, ravin ou mamelon, il faut s'arrêter
MUSTAPHA liEN ISMAEI. 193
et faire un retour otïensif pour se dégager de cette affreuse
mêlée. Chacun fait des prodiges de valeur dans ce terrain
broussailleux sans clairières ni sentiers de direction, où l'on
ne peut charger qu'isolément. Plusieurs fois les chasseurs
d'Afri(iue plongent dans ta masse principale conduite par
l'Émir en personne, donnant le temps au général de renforcer
ou de remplacer le réseau des tirailleurs, souvent éclairci,
dont les mailles s'élargissant de plus en plus, vont bientôt
livrer passage au Ilot, de l'ennemi, qui s'est déjà emparé de nos
morts et même de quelques blessés.
L'artillene, dont les coups sont comptés, obligée à ménager
ses munitions, ne tire qu'à coup sur et comble de cadavres
les intervalles ouverts dans nos lignes. Elle sème la mort,
mais non l'épouvante ni le découragement; elle n'arrête que
ceux qu'elle tue ; elle n'agit que sur ceux qu'elle atteint. Les
autres, sans cesse renouvelés, viennent, avec ce fanatisme
froid qu'on leur connaît, chercher de plus près encore, une
mort qu'ils semblent envier. On peut voir, dans cette circons-
tance, combien l'effet matériel des moyens de destruction est
limité contre des troupes électrisées, dont le moral reste
inébranlable.
Un instant, une compagnie toute entière est serrée de si près,
qu'il faut une charge de cavalerie, conduite par le capitaine
Bernard, pour arriver à la dégager. Bientôt, engagés sur un
terrain qui est dominé de toutes parts, les -Français se trouvent
exposés à un feu terrible. La topographie du lieu ôte tout
avantage à l'artillerie trop gênée dans ses mouvements et,
finalement, les tirailleurs sont partout enfoncés, ce qui permet
à l'ennemi d'arriver jusque sur les colonnes. Jamais combat plus
acharné n'avait eu lieu encore eu Afrique. Les Kabyles, dont
l'audace n'a plus de bornes, viennent jusque sur les canons ;
ils saississent par les roues les pièces que les canonniers
retiennent par l'affût ; on se hache mutuellement sans se faire
lâcher prise.
Abdelkader enflamme leur enthousiasme ; il leur montre la
mer sans vaisseaux et leur crie d'y rejeter les mécréants qu'elle
a vomis sur la terre africaine. Un effort général est tenté au
moment où les tirailleurs évacuent une crête immédiatement
3
194 MUSTAPHA BEN ISMAEL
occupée par l'ennemi ; les Kabyles coulent par tous les flancs,
comnfie un liquide qu'on verse. II faut des efforts vraiement
héroïques pour les tenir en respect et les empêcher d'enfoncer
les colonnes. Dans cet instant suprême, une pluie de balles
s'abat et frappe ceux que la crosse ou le yatagan ne peuvent
pas entamer. Le lieutenant-colonel de Maussion, chef d'état-
major, les aides de camp sont blessés ; le général lui-même
est atteint au cou et obligé de se retirer au centre d'un carré.
Les soldats français tout entiers à celte lutte inégale que leur
courage seul permet de continuer, n apprennent qu'ils ont
été un moment sans chef qu'en voyant le colonel Combes
prendre le commandement et changer certaines dispositions
pour sauver le restant de la division d'un anéantissement
presque certain.
Appelé à user, en cet instant solennel, d'un ascendant et
d'une autorité dont il n'avait pas toujours fait un irréprochable
emploi, et à remplacer un général avec lequel U était en
délicatesse, le colonel Combes se montra supérieur à une tâche
aussi difficile.
Sa sombre et dure énergie se communique comme une
traînée de poudre et inspire une confiance sans bornes aux
troupes fermes comme un roc. Sous son commandement
qu'enflamme l'héroïsme le plus pur, les deux petites colonnes,
réduites maintenant à quatre compagnies (tout le reste est
hors de combat !) exécutent avec un élan chevalei-esque une
charge à la baïonnette. Les pièces prises par l'ennemi sont enfin
sauvées et le capitaine d'Etat-major de Martimprey, qui se
multiplie avec une égale énergie, a retrouvé un chemin pour
les remettre en batterie sur une hauteur voisine. Les tirailleurs
aussi dégagés se reforment, mais ils sont pressés de toutes
parts comme par les anneaux flexibles d'un vaste serpent.
— « Il faut donner de l'air et du mouvement à la colonne,
crie le colonel Combes de sa voix mâle et impérative, nous
étouffons sous le poids de l'ennemi ! »
Alors, il fait faire la navette, tantôt en avant tantôt latérale-
ment, à ses deux petites colonnes qui vont habilement recueillir
les compagnies déployées, et à chaque retour offensif ce»
MUSTAPHA BEN ISMAEL 195
boules de neigo se grossissent des détachements épars et des
tirailleurs aux prises pèle-iuêle avec les Kabyles, <|ui sont
ramenés sur la réserve. Le front resserré et rendu plus
compact otTre moins de développement au feu de l'ennemi et
l'ensemble du corps expéditionnaire, plus maniable opère
plus vite et plus régulièrement son mouvement de retraite ;
ii'arrive par une demi-conversion en arrière et à gauche à
atteindre la dernière crête qui borde la Tafna. On est en vue
du camp.
Le général d'Arlanges, qui, malgré sa blessure douloureuse
a repris le commandement reparaît au milieu des troupes.
11 félicite le colonel Combes de ses heureuses dispositions et
lui serre la main devant le front des compagnies. Il trouve sa
petite colonne arrêtée dans une position où se trouvent,
comme des bastions naturels, des tertres qui abritent enlin
nos malheureux soldats, et un plateau découvert qui rend à
l'artillerie et à la cavalerie la possibilité d'agir.
Avant de reprendre la route du camp sous la protection de
ses canons qui tirent à toute volée sur les masses profondes
de l'ennemi, le général d'Arlanges lui fait face une dernière
fois et fait brûler ses dernières cartouches. Ce mouvement qui
refoule enfin l'ennemi, est appuyé par le Maghzen rassemblé
avec beaucoup de peine par Mustapha ben Ismaël qui salue
Abdelkader par- une dernière charge en flanc et contribue
ainsi à faire cesser le combat qui a duré de sept heures du
matin jusqu'à midi.
Les cavaliers du Maghzen obligés, par leur imprudence
du matin, de combattre séparés et coupés de la colonne,
eurent cruellement à souffrir dans cette terrible mêlée ; leur
conduite fut au-dessus de tout éloge et nul de ceux qui
survécurent à cette lutte acharnée, n'a oublié la fière et
imposante figure du vieillard. Dix fois il chargea seul, à la
tête de ses cavaliers, sans être appuyé ni soutenu et dix fois
les multitudes arabes et kabyles reculèrent épouvantées
à l'aspect de ses drapeaux. Les Douairs et Smélas rapportaient
dans nos lignes 38 de leurs cavaliers tués ou blessés pendant
la durée de l'action. Les troupes françaises eurent plus de
196 MUSTAPHA BEN ISMAEL
300 hommes mis hors de combat. Le général d'Arlanges était
plus que jamais hors d'état de porter secours au capitaine
Gavai gnac.
(A suivre).
J. CANAL.
-^=^1^ —
ESSAI Sllll LA FAIJM flPlT
DE L'OFlAlSriE
AVEC DES TABLEAL'X ANALYTIQUES ET DES NOTIONS
POUR LA DÉTERMINATION DE TOUS LES REPTILES & BATRACIENS
du Maroc, de l'Algérie et de la Tunisie
^v^.fvrvT-i^i^or*os
Ce travail paraît avant l'heure : je le publie quand
même. J'ai hâte de mettre entre les mains des modestes
chercheurs un ouvrage qui. résumant les connais-
sances acquises, leur permettra de s'initier, sans perte
de temps, à l'étude d'une des ])ranches les plus négli-
gées de l'Histoire Naturelle.
Combien d'amateurs deviendraient d'utiles auxi-
liaires de la Science si, à l'aide de livres simples, ils
pouvaient dénommer les êtres de la Nature auxquels
ils s'intéressent !
C'est pour ces d irréguliers de la Science » plutôt
que pour les initiés que j'ai écrit ce livre. Toutefois
l'œuvre de vulgarisation que j'ai entreprise ne m'a pas
fait négliger le côté purement spéculatif ; les erpétolo-
gistes trouveront à glaner dans les détails scientifiques
que je donne.
Tout en tenant le plus grand compte des travaux
de mes devanciers, je me suis efforcé de faire œuvre
personnelle. Étudiant plus souvent la Nature que les
livres, j'ai, sans nul doute, commis des erreurs ;
j'espère me les faire pardonner en présentant des
observations inédites.
Oran, le 4 avril 1899.
F. D.
INTUODUGTION
Je ne sais trop comment je m'adonnai à l'étude des lézards
et des serpents .... Dans mes longs voyages botaniques à
travers l'Oranie, je recueillais toujours, pour le Musée d'Oran,
les espèces intéressantes. Faute de livres, je ne pouvais que
rarement nommer les animaux que je rapportais. La mono-
graphie algérienne de Strauch, sur les reptiles, et celle de
M. F. Lataste, sur les mammifères, me furent seules de quel-
que secours (1). Bieniôt je m'intéressai plus particulièrement
aux reptiles qui sont plus taciles à obtenir que les mammiiëres.
Grâce à l'ouvrage de Strauch, je fus vite au courant. Sans ce
livre, il est fort probable que je ne me serais jamais occupé
d'erpétologie.
Mes premières études ne tardèrent pas à me convaincre que,
malgré sa valeur, l'œuvre du savant naturaliste russe avait
besoin d'être mise à jour. Je résolus dès lors d'apporter ma
pierre à l'édifice dont Strauch avait établi les fondements.
Manquant de livres et de matériaux, je tâtonnai pendant les
premières années. En 1891, le travail de M. G. A. Boulenger,
l'éminent erpétologiste dyiErUish Muséum de Londres, parut à
point pour m'aider à débrouiller le chaos qui s'était fait dans
mon esprit. Il n'en fallut pas davantage pour m'encourager ;
je redoublai d'ardeur, j'entrepris de longs voyages dans le Sud
Oranais, je fis faire des recherches, j'eus recours à l'obligeance
d'amis complaisants, et j'arrivai à posséder des matériaux
suffisants pour ce modeste Essai.
*
* *
Je ne voulais d'abord publier qu'un simple catalogue
raisonné. Mais un pareil travail n'aurait été d'aucune utilité
pour les débutants. Aussi est-ce surtout à leur intention que
j'en ai élargi le cadre.
(l) F. Lataste: Étude de la Faune des vertébrés de Barbarie, 1885.
ESSAI SUR LA FAUNl'J lORPÉïOLOGIQUE DE l'ORANÎE 190
L'ouvrage comprend :
1" L'iiistoriquè de l'eriiélolugie oruiiaise ;
2" La biblioi;rapl)ie de la Berbérie ;
3" Des notions sur l'anatomio. la recherclie et la conserva-
tion des reptiles ;
Un chapitre spécial y i!sl consacré au traitement des mor-
sures venimeuses.
4° Des tableaux dichotomiques permettant de déterminer
facilement toutes les espèces du Maroc, de l'Algérie et de la
Tunisie ;
J'ai étendu ces tableaux à toute la Berbérie, persuadé que
sur les 77 espèces signalées dans cette contrée, près de 70 se
rencontreront en Oranie.
5" Les diagnoses de toutes les espèces de la province
d'Oran et les descriptions des espèces litigieuses ;
J'ai aussi étudié en détail quelques espèces critiques de la
Berbérie.
6° Des indications sur la dispersion géographique des
espèces ;
Cette partie de mon travail est loin d'être complète; je n'ai
pu tout voir. Des recherches restent à faire principalement
dans la vallée de la ïafna, le long de la frontière marocaine et
dans l'arrondissement de Mostaganem. La région saharienne
devra être revue.
70 Des notes sur les mœurs des espèces que j'ai pu observer.
Les amateurs et les colonseuxniêmes pourront en tirer des
enseignements utiles.
En résumé, je n'ai négligé ni le côté pratique, ni le côté
purement scientifique. Sachant d'avance oi^i l'on buttera, j'ai
fait tout mon possible pour supprimer les écueils. Aussi
j'espère que les débutants s'initieront vite à l'étude de nos
reptiles. S'ils veulent ensuite étendre leurs connaissances, ils
trouveront dans le travail de M. Boulenger, une œuvre d'une
précision scientifique incontestablement supérieure (1).
Avant de terminer cette introduction je tiens à déclarer que
les résultats que je publie sont dus pour une grande partie au
précieux concours de tous ceux qui ont bien voulu recueillir,
dans la province, des reptiles à mon intention. Je dois citer
d) Voir Bibliograpliie. — Boulenger; Catalogue of Darbarij.
Cette œuvre magistrale est écrite en anglais.
200 INTRODUCTION
tout particulièrement MM. Hiroux, de Méchéria ; Pouplier,
d'El-Abiod-SJdi Cheikh ; P. Pallary et de LarioUe, d'Oran, qui
ont fait pour moi d'importantes récoltes. MM. Lafosse, admi-
nistrateur-adjoint de la Mékerra et Brunel, géomètre, m'ont
aussi envoyé des spécimens. J'ai trouvé de précieux matériaux
d'étude dans la collection de M. Paul Mathieu, d'Oran, et aussi
dans celle de M. Moisson qui est aujourd'hui au Musée dOran.
Je me fais un devoir de renouveler à tous mes plus
sincères remerciements.
Il me reste encore à rendre un public hommage à l'illustre
Maître dont la science erpétologique fait autorité dans le monde.
M. G. -A. Boulenger, du British Muséum de Londres, a bien
voulu s'intéresser à mes humbles recherches, m'encourager,
me fournir les matériaux dont j'ai eu besoin et m'aider denses
précieux conseils. Avec un désintéressement, que je me
plais à signaler, il m'a donné loyalement son avis sur toutes
les difficultés que je lui ai soumises. Je ne saurais donc trop
lui exprimer ma reconnaissance pour la bienveillante sollicitude
dont il m'a honoré et m'honore encore.
Je dois aussi des remerciements à la Société de Géographie
qui, élargissant le cadre de ses études, a donné asile à mon
travail dans son Bulletin.
Enfin il me faut rendre particulièrement hommage à la bien-
veillante attention dont M. le Ministre de l'Instruction publique
et M. le Gouverneur général de l'Algérie ont bien voulu
m'honorer. En encourageant ce modeste travail, ils ont tenu à
témoigner de l'intérêt qu'ils portent aux études scientifiques
concernant l'Algérie.
niSTOUlOUE
Au point de vue erpétologique la province d'Oran a été très
négligée. C'est à peine si, depuis 1862, quelques voyageurs
l'ont parcourue.
Pourtant c'est surtout sur des matériaux recueillis en Oranie
queGuichenot,en 1850, décrivit les reptiles dans (i^V Exploration
scientifique de V Algérie y. Les quatre planches de son travail
représentent des espèces oranaises.
C'est aussi dans notre province que Straucb, en 1862, trouva
le plus d'éléments pour son « Essai d'une erpétologie de
V Algérie ». Depuis lors il n'a été publié que quelques notes
sur l'Oranie. C'est à peine, même, si quelques amateurs se
sont intéressés à nos reptiles.
Il est d'ailleurs regrettable d'avoir à constater que ce sont
surtout des Allemands, des Anglais, des Italiens et des Russes
qui ont le plus étudié l'histoire naturelle de la Berbérie.
Pendant trente ans l'ouvrage de Strauch a été le seul guide
des rares' naturalistes qui se sont occupés d'erpétologie
algérienne. Certes, l'œuvre n'est pas parfaite; mais elle eut, en
son temps, une grande valeur. Elle reflète l'esprit d'un homme,
qui, fortement épris de la Nature, n a d'autre but que de faire
profiter les autres des connaissances qu'il a acquises.
Le travail de Strauch comprend des tableaux synoptiques et
les descriptions de toutes les espèces signalées jusqu'alors en
Algérie. Malheureusement ces descriptions laissent à désirer
car elles n'ont pas toujours été faites sur le vif. D'importantes
indications de géographie zoologique, concernant surtout la
province d'Oran, y font suite.
Mais si à Strauch revient le mérite d'avoir publié son
remarquable ouvrage, à d'autres, plus humbles, revient l'hon-
neur de lui eh avoir facilité les moyens.
Le savant erpétologiste russe avait trouvé en Algérie de
précieux matériaux d'étude. Il avait pu étudier les collections
de Loche et de Propliette père, d'Alger, et celles de Gaston et
202 HISTORIQUE
de Prophette fils, d'Oran. Dans son travail, il attribua loyale-
ment à chacun d'eux le mérite de ses découvertes.
A mon tour, je m'empresse de saluer la mémoire du
naturaliste Loche qui, le premier, réunit à Alger les spécimens
zoologiques de l'Algérie. Ces magnifiques collections qui
faisaient partie du Musée de l'Exposition permanente, sont
aujourd'hui dispersées. Ceux qui ne s'opposèrent pas à la mise
en vente du Musée, péchèrent par une coupable ignorance ;
mais bien plus lourde fut la faute de ceux qui, directement
intéressés, ne surent pas conserver à l'Algérie des collections
d'une inestimable valeur.
Je me fais aussi un devoir de rendre hommage à la mémoire
de Prophette père et fils et de Gaston, à celle de ce dernier
surtout qui fut le premier erpétologiste de l'Oranie. Tous les
trois ont rendu service à la Science en rassemblant des
matériaux dont un savant naturaliste a tiré parti. Ils ont
contribué, par leurs modestes recherches, à faire connaître la
faune des reptiles des provinces d'Alger et d'Oran. Ces
exemples prouvent donc, une fois de plus, que de simples
amateurs peuvent rendre de grands services à la Science.
Pour être utiles, ils n'ont qu'à conserver soigneusement les
animaux ou les objets qu'ils collectionnent. Tout ce que
demande la Science, c'est que chaque échantillon soit accom-
pagné d'une étiquette portant le lieu de provenance et la date
de la récolte.
En 1867, Lallemant publia son « Erpétologie de V Algérie »,
qui n'est qu'un abrégé du travail de Strauch. C'est à peine s'il y
est fait mention de quelques localités nouvelles pour l'Oranie.
En 1891, le savant travail de M. G. A. Boulenger vint
réléguer au second plan celui de Strauch. Depuis 1862, la
Science avait marché. Aussi, l'éminent savant du British
Muséum a-t-il apporté dans la rédaction de son étude toute
l'autorité de son savoir incontesté. Il est toutefois utile de
rappeler — et M. Boulanger se plaît à le reconnaître — que
c'est grâce aux matériaux recueillis en Algérie et en Tunisie
par M. F. Lataste, que ce travail a pu être mené à bonne fin.
Ce qui lait la valeur de l'œuvre de M. Boulanger c'est que
toutes les dénominations que ce savant a adoptées ont été
ESSAI SUR LA FAUNE ERPÉTOLOGIQUE DE l'ORANIE 203
soumises par lui à une minutieuse critique. Les descriptions
y sont aussi d'une précision irréprociiable. Seule la partie
concernant la géographie zoologique est incomplète : il n'en
pouvait être autrement, car c'est aux naturalistes locaux à
combler cette lacune.
C'est surtout sur le Maroc et sur la Tunisie que l'ouvrage
de M. Boulanger renferme de précieux documents. Ceux qui
concernent l'Oraniesont rares. Seules les quelques découvertes
de Bottger et celles de Maury et de M. Lataste sont venues
grossir le catalogue déjà dressé par Strauch pour notre
province.
Ces légères et inévitables imperfections ne diminuent en rien
la valeur d'une œuvre qui fait époque dans l'histoire de
l'erpétologie algérienne.
D'après M. Boulanger, sur les 76 espèces barbaresques qu'il
énumère, 48 existent en Oranie.
En 1894, M. Ernest Olivier a publié aussi une « Herpétologie
algérienne ». Cet excellent travail est malheureusement trop
écourté. Des tableaux dichotomiques, très utiles pour la
détermination des espèces, en forment le fond. Les descriptions,
quoique bonnes, sont un peu trop brèves. M. E. Olivier n'a rien
ajouté à la faune de l'Oranie. En revanche, il a fait de
nombreuses additions à la géographie zoologique de la
province de Constantine. Il a depuis étudié la Tunisie. Ce
savant zoologiste est un de ceux auxquels l'erpétologie de la
Berbérie orientale doit le plus.
En résumé, depuis 1862, l'étude des reptiles, dans la province
d'Oran, a été très négligée.
BIBLIOGRAPHIE DE LA BERBERIE
Voici la liste des ouvrages qui ont été publiés sur l'erpétolo-
gie de la Berbérie :
Shaw ,1. — Voyage en Barbarie et au Levant. Traduction
française. La Haye, 1743.
PoiRET. — Voyage en Barbarie. Paris, 1802.
?. — Esquisse historique et médicale de l'expédition
d'Alger, en 1830. Paris, 1881.
RozET. — Voyage dans la Régence d'Alger. Paris, 1833.
Gervais. — Enumération de quelques reptiles provenant de
Barbarie. Ann. Se. nat., 1836.
Wagner. — Reisen in der Regentschaft Algier. Leipzig, 1841.
Gervais. — Sur les Animaux vertébrés de V Algérie. (2<* liste).
Ann Se. nat., 1848.
GurcHENOT. — Exploration scientifique de l'Algérie. Paris, 1850.
Eichwald. - NaturJiistorischo Bemerkungen ûber Algiers und
den Atlas. Nouv. mém. Soc. nat. Mos-
cou, 185L
Gervais. — Sur quelques opitidiens d'Algérie. Mém. Ac. Se.
Montpellier, 1857.
Labouysse. — Sur les Tortues d'eau douce et terrestres de
l'Algérie. Ann. de la Soc. imp. d'agr.,
d'hist. nat. et des arts utiles de Lyon,
1857.
Gunther a. — On the reptiles and Fishes collected by the Rev.
H. B. Tristam in Northern Africa.
Proc. zool. Soc. London, 18r>9.
Tristam H. B. — The Great Sahara: Wanderings South of the
Atlas Mountains. London, 1860.
Strauch. — Essai d'une Erpétologie de l'Algérie. Mém. Acad.
Se. Saint-Pétersbourg, 1862.
Lallemant. — Erpétologie de l'Algérie. Paris, 1867.
BÔTTGER 0. — Reptilien von Morocco und von den Canaris-
chen Inspln. Abh. Senckenb Ges.
Frankfurt, 1874 et 1877.
Camerano. — Osservazioni intorno agli anfibi anuri del Ma-
rocco. Atti Ac. Turin, 1878.
ESSAI SUR LA FAUNE ERPÉTOLOGIOUE DE L'ORANIE 205
Lataste. — Description de reptiles nouveaux de l'Algérie.
Le Naturaliste, 1880-1881.
Lataste. — Liste desVertébrés recueillis par le docteur André
pendant l'expédition des Chotts. Arch.
miss, scient., 1881.
BÔTTGER 0. — Liste dervon Herm. D'' W. Kobelt in der Prov.
d'Oran, Algérien, gesammelten Krier-
hthiere, Ber. Senckenb. Ges. 1880-1881.
GOLL. — Suv le fouette-queue. Lausanne, 1882.
BÔTTGER 0. — Die Reptilien und Amphibien von Marocco.
ii.^6/i.Senc/fen/>.Ges.Frankfurt,1883.
Chasteigner (de). — Un lézard algérien destructeur de
serpents. 1883.
BÔTTGER 0. — Liste der von Herm. Dr. W. Kobelt in Algérien
und Tunisien. Frankfurt, 1885.
Lataste. — Les Acanthodactyles de Barbarie et les autres
espèces du genre. Ann. Mus. de Gênes,
1885.
Boulenger g. a. — On the Reptiles and Batraclnans obtained
Marocco in by M. Henry Vaucher. Ann.
etMag. N. H., 1889.
Boulenger G. A. — Catalogue of the Beptiles and Batra-
chians of Barbarg {Marocco, Algeria,
Tunisia), based chiefty upon the ?s^otes
and Collections niade in 1880-1884 by
M. Fernand Lataste fin Trans. of the
Zoological Soc. of London vol. xiii ;
part 3 ; oct. 1891 ; in. 4, 70 pages, 5
planches.
Anderson John. — On a small Collection of Mammals, Rep-
tiles, and Batrachians from Barbary.
(From the Procedings of the Zool. Soc.
of London, Jannuary 5, 1892).
Olivier Ernest. — Herpétologie algérienne. Mém. Soc. Zool.
de France 189-1, in. -8°, 36 pages.
Olivier Ernest.— Les Serpenta de la Tunisie. Bull. Ass. franc,
pour l'av. des se. Tunis, 1896.
Doumergue. - Contributions à la faune erpétologique de la
province d'Oran {\oc. cit.) Tunis, 1896.
Olivier Ern. — Matériaux pour la faune de Tunisie. Bev. se.
du Bourhonnais. Clermont 1896.
On consultera avec grand profit :
206 BIBLIOGRAPHIE DE LA BERBÉRIE
DuMERiL et BiBRON. — Erpétologie générale. Paris '1834-1854.
Toutes les espèces recueillies par les membres de l'Explora-
tion scientifique ont été décrites dans cet ouvrage.
AuDOUTN ET Savigny. — Exploration scientifique de VEgypte
et Supplément. Paris, 1818-1820.
Cet ouvrage contient un magnifique atlas de 13 planches oii
sont figurées de nombreuses espèces existant en Algérie.
BouLENGER G. A. — Catalogue des Reptiles du British Muséum.
London 1885.
C'est le plus grand monument élevé à la science ei'pétologi-
que. *
NOTIONS GÉNÉRALES SUR LES REPTILES
Caractères. — Les reptiles sont des animaux à sang froid ou
plutôt à température variable. Presque tous, au moins à l'âge
adulte, respirent par des poumons. Leur organisation est
intermédiaire entre celle des oiseaux et celle des poissons. Les
types des reptiles sont : la tortue, le lézard, le serpent, la
grenouille, la salamandre. Les reptiles ont été divisés en deux
grandes catégories : les reptiles proprement dits et les
batraciens.
Reproduct'iun . — Sauf chez les batraciens anoures [crapauds,
grenouilles) il y a, chez les reptiles, un véritable accouplement
des sexes. Le pénis est simple chez les tortues et les serpents ;
il est double chez les lézards. Chez les urodèles ^sa?a»?aH(ires,
tritons) le pénis existe mais il est très modifié.
Chez le mâle des reptiles proprement dits, l'organe copula-
teur est logé à la base de la queue; il en résulte un renfle-
ment caractérisant bien le sexe. Lorsque ce renflement n'est
pas saillant, il suffit de presser la base de la queue avec les
doigts pour en faire sortir le ou les pénis.
Presque tous les reptiles .-îont ovipares, c'est-à dire que les
femelles pondent des œufs. Quelques-uns mettent au monde
des petits éclos dans le ventre de la mère; on les dit ovovivi-
pares. Certaines espèces pondent au printemps et en automne.
La dernière ponte peut être stérile. Les œufs ne sont pas
couvés par la mère. Ils éclosent sous l'action de la chaleur
naturelle. Les petits des reptiles proprement dits, naissent sem-
blables aux parents ; ceux des batraciens subissent des
métamorphoses.
Locomotion. — Les tortues marchent ; les lézards marchent,
courent et grimpent; quelques-uns avancent par une demi-
reptation à cause de leur organisation serpentiforme ; les
serpents rampent et grimpent; les batraciens nagent, marchent
et sautent.
:?08 ESSAI SUR LA FAUNE ERPÉTOLOGIQUE DE L'ORANIE
Chez les serpents, la reptation est produite par des ondula-
tions bilatérales du corps combinées avec le redressement des
plaques ventrales qui servent de points d'appui. Ils grimpent
aux arbres pour y chasser les oiseaux et détruire les nichées.
Chose plus curieuse, ils peuvent monter le long d'un mur
finement crépi.
Mue. — Tous les reptiles jouissent de la propriété de changer
de peau une ou plusieurs fois par an. C'est ce qu'on appelle la
mue. La première mue se produit peu de temps après le réveil
printanier. Ensuite, selon les espèces, elle se reproduit tous
les mois ou à des intervalles de deux à trois mois. Elle est
fréquente chez les têtards.
A l'approche de la mue les reptiles ne mangent pas. En
revanche, quand ce laborieux travail est accompli, ils absorbent
une grand quantité de nourriture. La mue commence par les
lèvres. Seule cette première partie de l'opération offre quelque
difficulté. Mais, lorsque la tète est dégagée, le reste du corps
est vite débarrassé de la vieille défroque.
Chez les batraciens elle s'enlève d'une seule pièce. Il est
curieux de voir une grenouille enlever sa peau comme elle
ferait d'une chemise et l'avaler ensuite pour ne pas la laisser
perdre.
Les serpents accrochent à un buisson leur dépouille entière
et retournée.
Chez les lézards, la peau se détache par morceaux.
Régénération des organes amputés. — Les lacertiens et les
batraciens jouissent de la singulière propriété de voir se régé-
nérer certains organes amputés. C'est ainsi que chez les lézards
la queue coupée repousse assez vite. Cet organe étant très
fragile, est rarement intact chez beaucoup d'espèces. Comme
le renard de la fable, les lézards perdent la queue à la bataille.
Lorsqu'ils se querellent ils se poursuivent et le plus fort attrape
le fuyard le plus souvent par la queue. Celui-ci se sauve en
laissant une partie de son appendice caudal entre les mâchoires
de son agresseur.
C'est au moment des amours que ces amputations sont le
plus fréquentes. Le mâle qui court après une femelle la saisit
ESSAI SUR T.A FAUNE ERPÉTOLOGIQUE DE L'ORANIE 209
par la (|U(Uie et se l'ait traîner. Si la femelle résiste, elle l'isque
Ibi't (le voir sa queue coupée. Cet organe se reconstitue petit à
petit. Toutefois la partie remplaçante ne ressemble pas absolu-
ment à la partie remplacée. La forme des écailles n'est plus la
même.
Un cas curieux est celui de la queue fourchue. Il se produit
lorsque l'organe au lieu d'être complètement coupé n"a été
qu'en partie brisé. Si une vertèbre caudale est écrasée et
fendue, il pousse, sur l'esquille libre, une nouvelle queue qui
se gretï'e sur l'ancienne. Chaque branche peut, à son tour, se
bifurquer dans les mêmes conditions.
Chez les batraciens anoures, la queue des têtards repousse si
elle a été amputée.
Mais c'est chez les batraciens urodèles que la régénération
est vraiment extraordinaire. Des membres entiers peuvent se
reproduire. Des yeux dont on a fait partiellement la résection
se reconstituent.
Hibernation, repos esHval. — En Algérie, l'hibernation n'est
régulière que dans la région montagneuse élevée. Partout
ailleurs il suffit que le soleil échauffe modérément le sol pour
voir apparaître quelques espèces. Ce n'est que lorsque la terre
est mouillée par les pluies que la vie active des reptiles sarrête
complètement. Alors les batraciens sortent.
L'état léthargique est donc tout à fait intermittent pour'
certaines espèces. Pour les autres, il est en général de
peu de durée. Rares sont les espèces qui, comme le caméléon,
hibernent pendant de longs mois.
Un phénomène plus curieux et plus régulier est celui du
repos estrval. On croit généralement que les reptiles recher-
chent les fortes chaleurs : grande erreur. C'est en juillet et
août que les reptiles sont le plus rares. Ils ne sortent aux
heures les plus chaudes de la journée que s'ils peuvent se
mettre à l'ombre.
Il est difficile d'établir les règles du repos estival ; mais
voici ce qui se produit en général.
Dès le premier printemps, dans le dernier mois de l'hiver
même, on voit courir les jeunes, nés l'année précédente.
tllO ESSAI SUR LA FAUXE ERPÉTOLOGIQUE DE L'ORANIE
Un mois après les adultes apparaissent et remplacent les jeunes
que l'on ne revoit généralement que bien plus tard. Les adultes
s'accouplent et les mâles deviennent rares. En juin, juillet, août,
les femelles pondent; elles ne disparaissent à leur tour que lors-
qu'elles ont repris l'embonpoint perdu à la suite de la gestation.
Les petits naissent en plein été; ils soi-tent aussitôt. Dès lors on
ne voit presque plus les adultes. Chose curieuse, ces nouveau-
nés aflVontent les plus fortes chaleurs tandis que leurs parents
se cachent pour se soustraire aux ardeurs du soleil.
En septembre, lorsque la température est moins élevée, tous
reviennent à la vie active ; jeunes et vieux jouissent des
douceurs de l'automne. Plusieurs espèces s'accouplent de
nouveau. Les premières pluies les font disparaître ; mais
il n'est pas rare de voir quelques espèces pendant les beaux
jours de l'hiver.
On trouvera plus loin des renseignements plus détaillés sur
la vie active des espèces que j'ai pu étudier.
Les serpents craignent encore beaucoup plus la chaleur que
les lacertiens. Dès qu'il fait trop chaud, ils ne sortent qu'à la
tombée de la nuit. Les vipères sont essentiellement nocturnes.
Les batraciens hibernent longuement dans les régions
froides. Sur le littoral, si l'hiver est pluvieux, ils apparaissent
dès le mois de janvier.
La durée de l'hibernation varie d'ailleurs pour chaque
>
espèce; seule, la grenouille hiberne pendant plusieurs mois.
Habitat. — Chaque espèce a son habitat spécial. Tandis que
certaines recherchent les terrains découverts, bien aérés,
d'autres préfèrent les bois et les broussailles. Tandis que les
unes se plaisent dans les endroits rocailleux ou rocheux,
les autres vivent dans les sables.
Toutefois, on ne peut poser des règles précises sur l'habitat
que pour une région restreinte. Les influences de lieu et de
climat le modifient presque toujours pour les espèces qui ont
une aire de dispersion très étendue.
En général, les lézards recherchent les surfaces nues ou peu
broussailleuses où ils peuvent s'ébattre et fuir à leur aise.
Les terrains plats, parsemés de grosses pierres, leur conviennent
à merveille.
ESSAI SUR LA FAUNE ERPl'yrOLOGlQUE DE^^L'ORANIE 211
Les couleuvres habitent des galeries souterraines. Dans les
terrains pierreux l'entrée en est toujours cachée sous une
grosse pierre un peu enterrée et le plus souvent plate.
Les vipères lebetines recherchent les lieux très rocheux et
très broussailleux. On les voit rarement en terrain nu. La vipère
à cornes habite les sables cl les touffes d'alfa, de sparte ou de
drinn de la région désertique.
En été les serpents se plaisent dans les lieux frais. Dans le
Sahara, ils vont se réfugier dans les oasis. Ils sont alors com-
muns sous toutes les pierres des palmeraies.
Les batraciens habitent les régions où ils peuvent trouver de
l'eau pour se reproduire. Partout ailleurs ils sont rares.
Le discoglosse et la rainette ne quittent guère les lieux
humides. La grenouille ne s'écarte jamais de l'eau. Enfin, les
crapauds se dispersent partout et vivent sous des pierres ou
dans des trous.
Distribution géographique. — Au point de vue de leur
dispersion, les reptiles de la Berbérie peuvent être répartis
dans deux zones bien distinctes : la zone atlantique et la zone
saharienne. Celle-ci est la mieux définie car elle ne s'avance
guère vers le nord ; l'autre, qui comprend surtout le Tell,
descend sur les Hauts-Plateaux et a de nombreux rapports
avec la faune circumméditerranéenne.
Les Hauts-Plateaux n'offrent donc pas, comme pour la flore,
une zone spéciale. Certaines espèces atlantiques et sahariennes
viennent s'y rejoindre. Sous l'influence du milieu elles s'y
modifient et produisent des variétés qui en rendent l'étude
difficile.
Jusqu'ici VOphiops occidentalis parait être la seule espèce
propre aux Hauts-Plateaux oranais. Cette exception n'est que
momentanée^ car ïophiops qui a été signalé à Biskra, se
rencontrera probablement un jour dans la région saharienne
de la province d'Oran. Il est à Mécheria.
La région des Ghotts constitue à peu près la ligne de démar-
cation des deux zones. Mais cette ligne n'est pas infranchissable
et plusieurs espèces comme e caméléon, la tarente, l'acantho-
dactyle vulgaire, le fer 'à cheval, le crapaud vert, etc., se
rencontrent depuis le littoral jusqu'aux oasis.
'212 ESSAI SUR LA FAUNE ERPÉTOLOGIQUE DE l'ORANIE
Alimentation. — Les sauriens et les batraciens se nourris-
sent surtout d'insectes. Seul le lézard de palmier est herbivore,
les serpents sont carnivores ; ils t'ont leurs victimes préférées
des petits mammifères et des oiseaux et ne dédaignent pas non
plus les lézards et les batraciens. Les tortues, quoique herbi-
vores, se nourrissent aussi d'invertébrés.
f
Utilité des reptiles. ' — En général, les reptiles sont de
précieux auxiliaires pour l'agriculture. Quelques-uns sont
malfaisants
Voici un aperçu du rôle utile ou nuisible de chaque groupe :
Les tortues terrestres produisent quelques dégâts dans les
jardins et dans les récoltes. En revanche, elles se nourrissent
de mollusques, d'insectes et de vers. Leur chair est estimée.
Les tortues aquatiques sont nuisibles dans les viviers.
La tortue de mer ou caouanne est souvent vendue sur les
marchés et consonunée.
Tous les lézards sont essentiellement insectivores. Dans les
champs, ils débarrassent les plantes de nombreux parasites.
Ils sont surtout friands de sauterelles.
Dans les maisons, les tarentes chassent les araignées et tous
les petits insectes. On pourrait y employer, plus qu'on ne le
tait, le caméléon qui est un grand destructeur de mouches.
Les couleuvres sont à la fois utiles et nuisibles. Elles
détruisent les campagnols, les souris et les rats. Elles peuvent,
dans les maisons, remplacer avec avantage les chats. Malheu-
reusement, elles sont friandes des oiseaux et des jeunes
couvées. Tout compte fait, elles sont plus utiles que nuisibles.
La couleuvre d'eau (vipérine) détruit les jeunes poissons
et les batraciens dans les viviers et les cours d'eau.
Les vipères doivent être impitoyablement détruites. Il serait
bon que l'on distribuât des primes aux ksouriens pour les
engager à faire une guerre acharnée à cette affreuse engeance
qu'est la vipère à cornes.
Les batraciens et les urodèles sont encore plus utiles que
les lézards et les couleuvres. Ils consomment d'immenses
quantités d'insectes de toutes sortes. Aussi devrait-on multi-
plier, surtout dans les jardins, les crapauds, les discoglosses et
KSSAl :^UR LA I AUNE ERPÉTOLOGIQUE DE L'ORANIE 'IV.i
les rainettes, Toutefois il faut éloigner les batraciens des viviers
où l'on élève de jeunes poissons.
Quelques-uns de nos reptiles sont comestibles. Les Arabes
du Sahara consomment le varan, le scinque ou poisson de
sable et le fouette-queue. L'Européen mange parfois les
couleuvres, les tortues et surtout les grenouilles. Ces dernières
lui otl'rent un mets délicieux dont il ne doit pas cependant
abuser.
Nécestiité de l'étude des reptiles. — Puisque les reptiles sont
les uns utiles, les autres nuisibles, il faut pouvoir les distinguer.
Pour cela il est indispensable de posséder des notions d'erpé-
tologie. Malheureusement l'étude de cette science a été très
négligée. Si elle a tenté des savants éminents elle n'a jamais
eu autant d'adeptes que les autres branches de l' histoire
naturelle. Cela tient beaucoup plus à Timpression de dégoût
qu'inspirent les reptiles, qu'au danger souvent imaginaire qu'ils
font courir : la preuve en est qu'on s'habitue assez vite à manier
un élégant lézard ou une gentille rainette. On peut d'ailleurs
se faire la main en négligeant d'abord l'étude des serpents.
L'appréhension du début étant vaincue, il n'y a aucune
raison pour ne pas admettre que l'étude des reptiles est tout
aussi intéressante et tout aussi utile que celle des fleurs, par
exemple. Tout s'enchaîne dans la Nature : l'homme, le mam-
mifère, l'oiseau, le reptile, le poisson, l'insecte, la plante, la
roche sont les unités d'un tout dont la synthèse n'a de valeur
que par la précision et l'étendue de l'analyse. Pour connaître
le tout, il est nécessaire d'étudier lesélémentsqui le composent.
Nier l'utilité de l'étude d'un groupe, c'est nier l'utilité de l'étude
de la Nature elle-même. Or nul ne s'avisera aujourd'hui de
soutenir que les sciences naturelles n'ont pas été fécondes en
résultats pratiques. Elles sont devenues une des conditions
essentielles du progrès humain ; c'est sur elles que reposent
en partie nos idées philosophiques et nos principes d'organi-
sation sociale.
Il devait forcément en être ainsi, car l'homme, en étudiant la
Nature, s'est découvert lui-même. C'est en observant les mœurs,
les conditions d'existence, les moyens mis en œuvre dans la
214 ESSAI SUR LA FAUNE ERPÉTOLOGIQUE DE L'ORANIE
lutte pour la vie chez les animaux: qu'il est arrivé à se connaître.
En arrachant à la matière organique les secrets des phéno-
mènes qui l'animent, il s'est enfin aperçu qu'il n'était lui-même
qu'un chaînon de la série animale. Il a compris alors que,
soumis aux mêmes lois que les êtres qui l'entourent, il devait
travailler à son propre bonheur et ne pas l'attendre d'une
puissance surnaturelle qui ne peut rien changera un ordre de
choses établi.
L'homme, pour se développer et pour s'améliorer n'a donc
qu'à étudier la Nature : partout il trouvera des tableaux à
admirer, des exemples à suivre, des spectacles à fuir.
ESSAI SL'R LA FAUNE ERPKTOLOGIQUE DE r/ORAXIK 215
RECHERCHE ET CONSERVATION DES REPTILES
Il y a des reptiles partout ; mais, en général, les espèces sont
localisées. On ti'ouvera plus loin, pour chaque espèce,
les renseignements concernant son habitat. Pour le moment, je
me bornerai à donner quelques indications sur les époques les
plus propices pour la recherche de ces animaux.
Dès le mois de décembre, après les pluies d'automne, si
la température est douce, on devra rechercher les batraciens
urodèles. On visitera les flaques d'eau des vieilles carrières,
les mares, les puits, les bassins, les citernes, les galeries souter-
raines, etc. Il serait très intéressant de trouver les têtards et
les adultes des animaux de ce groupe ; ils sont à peu près
inconnus en Algérie. L'époque de leur apparition est loin
(i'être établie. Il est même fort probable que ce n'est qu'en
février ou en mars qu'ils se montrent dans les eaux exposées à
la lumière du jour.
Si 1 hiver est tiède et humide, certains batraciens anoures
se recherchent de bonne heure. Dès la fin de janvier, le
discoglosse jette le premier, dans le calme de la nuit, son timide
chant d'amour. En même temps, la rainette remplit l'air de
ses cris assourdissants. Normalement ces deux espèces ne
commencent guère à pondre qu'à partir du 15 février.
Les crapauds sortent aussi en hiver, mais ils ne s'accouplent
que lorsque les rayons du printemps ont échauffé les nappes
d'eau.
La grenouille apparaît la dernière.
L'époque de l'accouplement pour chaque espèce de batracien
varie avec le régime des pluies.
Pendant les années sèches, les pontes sont tardives, très
irrégulières et très réduites. Il n'est pas rare alors de
rencontrer des têtards presque toute l'année, même en juillet.
C'est surtout pendant la période des amours qu'ii faut
rechercher les batraciens. On trouvera alors les mâles et les
femelles accouplés, ce qui permettra de les distinguer facile-
ment. On pourra aussi recueillir des têtards, les élever et faire
des observations intéressantes.
216 ESSAI SUR LA. FAUNE ERPÉTOLOGIQUE DE L'ORANIE
C'est pendant les mois d'avril, mai, juin, septembre et
octobre, que les sauriens et les serpents sont le plus communs.
La température de ces mois convient à merveille à presque
toutes les espèces ; et rares sont celles qui affrontent les
chaleurs torrides de l'été. Quelques-unes se trouvent aussi
en automne et en hiver si ces saisons ne sont pas pluvieuses.
Chaque espèce ayant son habitat particulier, il faut, pour en
recueillir plusieurs dans une région, visiter les divers points
qui diffèrent soit par la constitution géologique du sol, soit
par l'exposition, soit par l'altitude, soit par la nature de la
végétation, etc.
Ustensiles de citasse. — L'énumération des ustensiles de
chasse ne sera pas longue : des petits sacs en toile suffisent. Il
est pourtant nécessaire de compléter l'outillage avec une
badine, un léger piochon et un flacon d'alcool. De longues
pinces peuvent aussi être employées ; je n'en suis pas partisan.
Si l'on doit explorer une localité ' habitée par les vipères,
il est prudent de se munir d'une bonne paire de guêtres et
des objets nécessaires à un premier pansement. Il faut avoir
toujours sur soi un flacon d'alcali, ne serait-ce qu'en prévision
de la piqCu'e des scorpions si communs sous les pierres.
La confection des sacs demande quelques soins. Ils devront
être en toile aussi mince et aussi solide que possible ; les cou-
tures devront en être soigneusement rabattues de peur que les
lézards ne les effilochent avec leurs griffes. Il faut éviter
avec soin de mouiller les sacs, la toile en se resserrant empê-
cherait l'air de pénétrer à travers les mailles du tissu, et les
animaux pourraient être asphyxiés. Pour les batraciens, il est
nécessaire d'employer des sacs faits avec un tissu en réseau.
Des sacs en cuir seront utiles pour les vipères. On peut les
remplacer par deux sacs en toile forte et solidement cousue,
l'un contenant l'autre.
Chasse. — La capture des reptiles n'est pas difficile ; un peu
d'agilité et quelque dextérité suffisent. L'arme la plus employée
pour la chasse est la main. Elle permet de mesurer la pression
à exercer, sans abîmer l'animal. On prend les batraciens à
pleine main ; on saisit les serpents et les lézards par le cou.
a
ESSAf SUR LA FAUNE ERPKTOLOGIQUE DE L'ORANIE 217
Il est absolument nécessaire d'apporter beaucoup d'atten-
tion à la recliercbe des reptiles, et l'on ne doit jamais négliger
les règles d'élémentaire prudence que cette cbasse impose.
Lorsqu'on soulève une pierre, il faut examiner rapidement
et avec soin le sol qu'elle recouvrait, afin de ne pas
lancer la main sur un scorpion ou sur une vipère. S'il n'y a
rien à craindre, on saisit vite l'animal par le cou pour éviter
d'être mordu. D'ailleurs, la morsure, même d'un gros lézard,
n'olïre aucun danger. Il est toutefois désagréable d'être pincé
par ses solides mâchoires.
Il ne faut pas se frotter les yeux avec les doigts lorsqu'on a
manié des batraciens anoures ou des urodèles. Leur peau vis-
queuse secrète un liquide qui peut produire une grave irritation
de l'organe visuel. Le mieux est de se laver les mains aussitôt
qu'on trouvera de l'eau.
La chasse des serpents est celle qui demande le plus d'atten-
tion. Si on ne sait pas distinguer une couleuvre d'un reptile
venimeux, il faut bien se garder de saisir l'animal avec la
main; on l'abat d'un coup de badine appliqué sur le milieu du
corps. On peut alors l'examiner tout à son aise et prendre les
précautions nécessaires si on se trouve en présence d'une
vipère.
Il faut éviter le plus possible de meurtrir la tête des reptiles.
Voici maintenant quelques notions plus détaillées sur la
chasse des animaux de chaque groupe :
Tortues. — Il n'y a qu'à ramasser les tortues terrestres dans
les prairies, les champs, les broussailles ; communes au prin-
temps, elles deviennent rares en été.
Les tortues aquatiques sont assez difficiles à obtenir. Il
faut les rechercher dans les canaux d'irrigation lorsqu'ils sont
momentanément à sec. On peut les pécher dans l'eau avec
un troubleau. A bout d'expédients, on pourrait les prendre à
la ligne. Les tortues aquatiques sont abondantes en été. Les
jeunes naissent de très bonne heure.
Lézards. — Presque tous les lézards habitent dans des
trous ou sous des amoncellements de cailloux. Lorsqu'ils
circulent ils se réfugient sous de grosses pierres isolées. Il
218 ESSAI SUR LA FAUNE ERPÉTOLOGIQUE DE L'ORANIE
n'y a donc qu'à soulever celles-ci pour les trouver. Avec un
peu de dextérité, on peut profiter du premier moment de
frayeur qui paralyse leurs mouvements pour les saisir. Hélas !
cet instant est bien court ; l'animal s'échappe et se précipite à
la recherche de son trou. S'il rencontre sur son chemin une
grosse pierre, il s'y cache, et, toujours alerte, il fuit dès que
le chasseur touche à son abri. La poursuite continue, et si le
trou sauveur ne peut être atteint, l'animal exténué finit par se
laisser prendre sous un dernier refuge, où il se blottit immo-
bile.
Il est souvent utile, lorsqu'on soulève une pierre de tourner
le dos à la broussaille afin d'obliger l'animal à fuir dans le
sens opposé.
Dans les terrains nus, dans les champs par exemple, il
est difficile de capturer les lézards. Un bon moyen est de les
poursuivre à la course ; le plus souvent, dans leur fuite
eflrénée, ils ne peuvent pénétrer dans les trous; à bout de
forces, ils s'arrêtent et se laissent prendre. Si l'animal se
réfugie dans un trou, quelques coups de piochon suffisent pour
le déloger.
Une bonne précaution à prendre lorsqu'on sait qu'un lézard
est sous une pierre, c'est, avant de soulever celle-ci, de
boucher d'un coup de talon ou de piochon les trous où pourrait
se réfugier l'animal.
Dans les terrains présentant quelques touffes de palmiers
nains, les lézards vont se cacher entre les racines. Leur cap-
ture est alors bien difficile.
Lorsqu'on chasse dans un terrain sablonneux ou meuble
sur lequel sont parsemées des pierres, il faut avoir soin,
lorsqu'on soulève l'une d'elles, de gratter le sable avec le
piochon ou avec un grappin. On déterrera ainsi certaines
espèces qui vivent à quelques centimètres sous terre :
Gongylus, Trogonophis, Heieromeles , Erijx.
Les espèces les plus difficiles à obtenir sont celles qui
habitent les broussailles ou les rochers. Pour arriver à les
capturer, il est indispensable de connaître leurs mœurs. Dans
les petites broussailles la chasse à la course peut donner de
bons résultats ; on oblige ainsi l'animal à se réfugier dans une
ESSAI SUR LA FAUNE ERPÉTOLOGIQUE DE L'ORANIE 210
touffe oîi on le saisit. Dans les grandes broussailles, la capture
est plutôt soumise aux caprices du hasard. Le meilleur moyen
est alors de rechercher les animaux sous les pierres, de bon
matin, en été ; on les trouvera engourdis.
Au printemps, lorsque le soleil est bien chaud, on pourra
surprendre le lézard ocellé et le grand agame endormis, en
plein midi, sur un angle de rocher.
Les espèces rupestres sont encore plus difficiles à atteindre.
A la moindre alerte, elles se réfugient dans les trous et les
fentes de rocher d'oi!i il est impossible de les déloger. Il faut
beaucoup de patience pour arriver à faire quelques captures.
L'expérience seule permet d'augmenter les chances de succès.
Voici un procédé qui me réussit assez bien. Si je veux chasser par
exemple le lézard à paupières transparentes (L. perspicillata)
je cherche un point où le rocher ofïre une muraille avec
quelques petits trous. Ce point propice trouvé je me mets en
observation. Les petits lézards ne tardent pas à reprendre leur
promenade. Chaque fois que l'un d'eux se rapproche d'un trou
je l'effraie et le résultat désiré est presque toujours atteint;
l'animal se réfugie dans la pierre. Je m'approche aussitôt
et, tandis que je bouche l'ouverture avec une main,
avec l'autre j'applique sur l'orifice un sac de chasse assez
grand. L'animal est prisonnier ; reste à le déloger. Pour
cela, je suis muni d'un fil de fer souple ; je l'introduis dans le
trou en le faisant d'abord passer par une petite ouverture
pratiquée dans la toile. Le lézard effrayé quitte précipitamment
sa retraite et souvent plonge dans le sac.
Sur les rochers escarpés on peut prendre les lézards avec un
nœud coulant. Ce procédé, bon pour les grosses espèces, m'a
toujours donné de mauvais résultats avec les petites. Il est
plus avantageux de prendre celles-ci à l'hameçon avec amorce.
Enfin, si on ne tient pas à avoir des animaux vivants, la
carabine à petits plombs et l'hameçon à trois branches
permettront de faire des chasses plus fructueuses. Dans ce cas
on doit plonger immédiatement les victimes dans l'alcool.
Lorsqu'on prend un lézard il faut éviter de le saisir par la
queue car, l'appendice caudal étant très fragile, l'animal le
laisserait le plus souvent dans la main du chasseur. Il faut
220 ESSAI SUR LA FAUNE ERPÉTOLOGIQUE DE L'ORANIE
prendre l'animal par le milieu du corps, à pleine main, aussi
près du cou que possible, tout en évitant de meurtrir le ventre
sous la pression des doigts. L'animal capturé est aussitôt logé
dans un sac de grandeur convenable.
Dans le cas d'extrême nécessité on peut mettre plusieurs
individus de la même espèce dans un seul sac ; on ne doit
jamais y loger des espèces différentes. Les petits sacs sont
placés au lur et à mesure dans une musette. On prendra bien
soin de ne pas les comprimer.
C'est surtout au printemps et en automne qu'il faut chasser
les lézards. On les trouve alors toute la journée. Lin été, ils
deviennent rares et n'apparaissent que le matin et le soir. Peu
de reptiles affrontent les chaleurs torrides du milieu du jour.
En juillet et août, certaines espèces passent la nuit sous les
pierres où elles se laissent facilement Cfapturer de bon matin.
Ophidiens. — Avant de prendre les serpents à la main il
faudra pendant longtemps les chasser à la badine. Une étude
préalable des espèces en collection sera de la plus grande
utilité. Ce sont les bêtes fraîchement tuées que l'on étudiera
avec le plus de fruit. On devra se méfier du caractère otïert
par la coloration; il peut donner lieu à de cruelles méprises.
Le dessus de la tête et le faciès d'ensemble présentent les
plus sûres garanties pour la détermination. Tandis que chez les
couleuvres la face supérieure du crâne est recouverte de
grandes plaques symétriques, comme chez les lézards, elle
ne porte, chez les vipères, que des écailles de forme à peu
près identique à celles de leur dos, mais plus petites. La queue
courte et brusquement rétrécie des vipères communes offre
aussi un caractère de première valeur.
En Algérie, deux ophidiens seuls ne présentent pas ces
caractères généraux: l'un, VEryx javelot, serpent tout à fait
inoffensif, n'a, sur la tête, que de très petites plaques carrées
semblables à des écailles ; sa queue est très courte et obtuse ;
Faulre, le terrible Naja, a la tête plaquée comme une couleuvre ;
sa queue est effilée. On ne trouve d'ailleurs ces deux espèces
ensemble que dans le Sahara.
C'est surtout au printemps qu'il faut rechercher les serpents;
on peut alors les trouver à toute heure de la journée. Lorsqu'il
ESSAI SUR LA FAUNE F.RI'KTOLOGIQUR DE L'ORANIE 221
fait chaud ils ne sortent guère que vers le soir pour circuler la
nuit. Souvent le froid du malin les surprend et il n'est pas
rare de les trouver engourdis aux bords des sentiers.
Les vipères sont essentiellement nocturnes ; c'est ce qui
explique la rareté des captures. Ce n'est que par extraordi-
naire qu'on en rencontre dans le jour. Il n'y a donc pas à
s'inquiéter d'elles outre mesure pendant la chasse.
Lorsqu'on recherche les serpents et surtout les vipères il iaut
être chaussé de forts souliers et de bonnes guêtres; il est aussi
indispensable de s'armer d'une baguette pour pouvoir, le cas
échéant, abattre un animal On trouve ces reptiles sous les
grosses pierres. Ils sont plus faciles à saisir que les lézards car
ils mettent un certain temps pour se dérouler. Toutefois il ne
faut pas tarder à mettre la main dessus, car, aussitôt que le
corps est développé, ils fuient avec une rapidité extraordinaire.
Un coup de baguette lestement envoyé peut seul les arrêter.
Si, lorsqu'un serpent est mis à découvert, on n'ose le saisir
à la main, on peut le capturer en appliquant dessus vivement,
et délicatement le pied guêtre. Il sera ensuite facile d'examiner
la tète. La baguette est d'ailleurs d'une grande utilité en cette
circonstance : on la fait glisser le long du corps jusqu'au cou
qu'on presse contre le sol. Lorsque la bête est immobilisée, on
peut la saisir sans crainte derrière la tête, avec les doigts, ou
à pleine main.
Un procédé moins dangereux est celui qui consiste à passer
un nœud solide autour du cou du serpent. On plonge ensuite
l'animal dans l'alcool. Aussitôt qu'on peut opérer sans danger
on délivre le cou qui reprend sa forme naturelle.
Lorsque les petits serpents se réfugient dans des trous, on
les déloge au moyen du piochon. Les individus de très grande
taille sont plus difficiles à capturer, car ils habitent des fentes de
rocher ou des trous très profonds. On les prend rarement à la
main; on les tue au fusil.
Batraciens. — 1° Adultes. - En général on^chasse les batra-
ciens à la main. Seules les grenouilles qui ne quittent pas le
bord des eaux, se laissent difficilement approcher ; à la moin-
dre alerte, elles plongent. Si on ne peut aller les saisir dans
222 ESSAI SUR LA FAUNE ERPÉTOLOGIQUE DE l'ORANIE
leur retraite, il faut s'ingénier pour les prendre à Fépuisette.
On peut aussi, lorsque les échantillons sont destinés cà être
mis dans l'eau- de-vie, les pêcher à la ligne. Celle-ci est armée
d'un hameçon à trois branches ou d'un hameçon simple.
Voici comment on opère avec le premier. La ligne étant
attachée à l'extrémité d'une longue canne ou d'un roseau, on
la porte au-dessus de l'animal à capturer, puis, délicatement,
on dépose l'hameçon contre l'un des côtés du ventre. On
donne alors un petit coup sec en tirant du côté opposé à
l'hameçon ; celui-ci accroche la grenouille qui se trouve sus-
pendue à l'extrémité de la ligne.
Lorsqu'on emploie l'hameçon simple, il faut l'amorcer avec
un insecte, un ver rouge ou un morceau de drap écarlate. Ce
procédé ne donne pas d'aussi bons résultats que le premier.
C'est surtout la nuit qu'on peut capturer une grande quan -
tité de batraciens. Il suffit pour cela d'aller se promener avec
une lanterne dans les lieux qu'ils fréquentent. Eblouis par la
lumière, les animaux s'arrêtent et se laissent prendre sans
bouger. On peut les attirer sur les bords des pièces d'eau en
allumant du feu ; ils viennent en foule faire cercle autour du
brasier.
Les crapauds, le discoglosse et la rainette ne sont communs
qu'au moment des amours. Ils abondent alors autour des
points d'eau. Lorsque les pontes sont effectuées, ils deviennent
rares. Les uns se retirent sous les pierres dans les lieux humides,
les autres s'enfoncent dans des trous profonds. Le disco-
glosse réapparaît en automne.
2° Œufs et Têtards. — Il faut avoir grand soin de recueil-
lir les œufs et les têtards des batraciens. En les élevant on fera
des observations du plus haut intérêt. Les œufs peuvent être
transportés dans des algues d'eau douce humides ou mieux,
comme les têtards, dans un flacon à moitié plein d'eau.
Urodèles. — Passé la période des amours, les urodèles
vivent hors de l'eau, sous les pierres, dans les lieux très hu-
mides et obscurs. Il est donc facile, le cas échéant, de les
prendre à la main. Jusqu'à maintenant on n'en a pas pris
beaucoup dans ces conditions en Algérie. C'est dans l'eau,
en hiver et au printemps, qu'il faut les pêcher. On se sert
ESSAI SUR LA FAUNE KRPKTOLOGIQUE DR L'ORANIE 223
pour cela, de l'épuisette à mailles très étroites, du troubleau
ou de la ligne à hameçon simple, amorcée d'un ver rouge. La
pèche à la ligne se pratique surtout dans les puits et les gran-
des mares. Les urodéles étant ovovivipares on n'aura pas à
rechercher les ceufs, mais on devra emporter des femelles
pleines et des têtards pour les élever.
Les tritons signalés dans 1 Oranie par Guichenot (Expl.
scient.) n'ont pas été retrouvés depuis. Il y a donc d'utiles
recherches et d'importantes études à faire sur ces urodéles.
Utilité de recueillir de nombreux échantillons. — Il est
absolument nécessaire de recueillir plusieurs échantillons de
la même espèce et surtout dans des localités éloignées les unes
des autres. Plus l'aire de dispersion d'une espèce est grande,
plus celle-ci varie. Ce n'est qu'en ayant sous les yeux les
diverses variations qu'on arrive à bien saisir les caractères de
l'espèce.
Observation importante. — La recherche des reptiles ne
doit pas avoir pour but unique de les réunir en collections. Il
faut, avant tout, faire sur le vif la description de leurs carac-
tères. L'on décrira soigneusement le dessin de la coloration de
la robe chez les jeunes, chez le mâle, chez la femelle, au
ment de l'accouplempiil, pendant la gestation et après. Le
degré d'adhérence du collier et la profondeur du pli gulaire
chez les sauriens, devront aussi être observés. On prendra les
mesures des diverses parties du corps dès que l'animal aura
été asphyxié. Pour certaines espèces on notera la forme de la
pupille, la coloration de l'iris, etc.
Chez les batraciens on observera, en outre, le plus ou moins
d'apparence de la membrane tympanique.
L'étude des métamorphoses offre un très grand intérêt.
(Chaque tois que l'occasion s'en présentera, on consi-
gnera les traits de mœurs de chaque espèce : l'habitat, l'ap-
parition et la disparition des jeunes et des adultes, les époques
des mues, de l'accouplement et de la ponte, la durée des
périodes de gestation, le nombre d'ovaires et d'œufs; on notera
224 ESSAI SUR LA FAUNE ERPÉTOLOGIQUE DE L'ORANIE
la taille, les variations spécifiques, les éléments de la nour-
riture etc.
On fera, surtout, de précieuses observations en s'asseyant
dans la campagne sur une grosse pierre et en suivant des yeux
les allées et venues de tout le monde rampant.
Enfin tout animal capturé sera accompagné d'une étiquette
qui ne le quittera plus et qui portera la date et le lieu de la
récolte.
Morsures des Serpents venimeux
En Algérie, les serpents venimeux sont excessivement
dangereux; sauf la vipère il n'y a pas d'animaux rétractaires à
leur venin. En quelques minutes le venin de la vipère à cornes
peut rendre tout traitement inutile. Celui de la vipère lebetine
est tout aussi terrible, car, quoique moins actif, il est sécrété
en plus grande abondance par des animaux atteignant une
taille colossale. En général, quelle que soit l'origine du venin,
toute morsure est suivie d'effets redoutables si elle n'est pas
immédiatement traitée. Le danger est d'autant plus grave que
l'organe atteint est plus délicat et plus rapproché du cœur.
Les cas de morsures sur le tronc ou à la face sont rares; le
plus souvent les piqûres atteignent les mains ou les jambes.
Le traitement d'une piqûre ne doit pas être différé; il faut
faire un premier pansement et, sans perdre de temps, aller
se confier à un médecin. Les Européens, qui se font soigner,
meurent rarement des suites d'une morsure ; en revanche les
indigènes qui sont rebelles à notre médecine, succombent
presque toujours. L'effet du venin, quoique neutralisé, laisse
souvent, lorsqu'il a été combattu trop tard, une paralysie du
membre atteint qui persiste longtemps.
Traitement des morsures. — Le chasseur de reptiles doit
avoir toujours dans sa musette un cautérisant quelconque :
acide chromique, nitrate d'argent, acide phénique ou alcali.
S'il est piqué, il doit traiter la blessure avec rapidité et énergie.
ESSAI SUR r-A FAUNK KRPÉTOLOGlnUK HE L'ORANIE 225
Son premier soin sera de ligaturer fortement le membre au-
dessus de la plaie. Pour plus de sûreté il pourra doubler les
ligatures eu les distançant. Il recherchera ensuite le point où il a
été mordu; une légère rougeur le lui indiquera. Si les crochets
sont restés dans les chairs il les enlèvera avec la pointe d'un
canif et de prétérence avec des pinces. Gela fait, il débridera la
plaie avec un instrument tranchant, bistouri ou canif, et la
fera saigner en la pressant avec les doigts. Le plus tôt possible,
sans perdre de temps, il cautérisera vigoureusement la bles-
sure.
Dans le cas où l'on serait dépourvu de tout cautérisant, on
pourrait y suppléer en brûlant la plaie débridée au moyen
d'une allumette carbonisée, ou d'un charbon ardent, ou, mieux
encore, avec de la poudre qu'on enflammerait sur place. Enfin,
le traitement par le fer rouge donne les meilleurs résultats.
La succion de la plaie faite par un chien, ou mieux par une
personne, a été recommandée. Il serait imprudent d'employer
ce procédé en Algérie où la chaleur dessèche et gerce souvent
les lèvres. Je ne crois pas d'ailleurs que ce procédé permette
d'éviter de fâcheux résultats ; le venin manifestant son action
par des désordres trop rapides, il faut s'occuper avant tout de
cautériser la plaie. Lorsqu'on est dépourvu d'un cautérisant,
si on a la chance de n'être piqué qu'à un doigt, le plus court
et le plus sûr moyen d'éviter les complicatioiis, c'est de faire
l'ablation d'une ou deux phalanges sans perdre une seconde.
L'enlèvement immédiat de la partie charnue au-dessous de la
piqûre avec un couteau bien effilé suffit dans bien des cas.
C'est ainsi que procèdent les soldats dans le Sahara.
La plaie étant soignée, le malade devra prendre quelque
réconfortant.
Les cas de guérison sont très nombreux lorsque les mor-
sures sont traitées immédiatement. Hélas ! il n'en est pas de
même lorsque le venin a été introduit par une veine dans la
circulation. Jusqu'à ces dernières années la Science a été à
peu près impuissante à lutter contre les effets du venin diffusé
dans le sang. De nombreux remèdes ont été préconisés ; pas
un seul n'a donné les résultats qu'on en attendait. Mais la
Science n'a pas fait faillite ; les théories de notre immortel
226 ESSAI SUR LA FAUNE ERPÉTOUOGIQUE DE l'ORANTE
Pasteur, en ouvrant à la Médecine moderne des horizons
immenses, ont étendu le champ d'exploration des savants ; des
découvertes importantes, prémisses de découvertes futures,
encore plus fécondes en résultats, ont déjà permis de soulager
cette Humanité à laquelle philosophes et savants ne cessent
de consacrer leurs efforts.
L'étude du venin ne devait pas échapper aux investigations
des adeptes de l'école nouvelle. M. le docteur Galmette, direc-
teur de l'Institut Pasteur de Lille fut un de ceux qui étudièrent
le venin et recherchèrent le moyen d'en combattre les effets.
L'éminent savant vit, le premier, ses efforts couronnés de
succès. De nombreux essais faits dans l'Inde et à l'Institut de
Lille, par lui-même ou par ses disciples, ont démontré l'effica-
cité de sa méthode.
Voici un extrait des instructions de M. le docteur Galmette
sur l'emploi du sérum antivenimeux (1) :
Instruction pour l'emploi du Sérum antivenimeux
« Le sérum antivenimeux est du sérum de cheval immunisé
contre le venin des serpents. II conserve ses propriétés indéfi-
niment, si on prend soin de ne jamais déboucher le flacon qui
le renferme et de le maintenir à l'abri de la lumière. Il n'est
altéré par la chaleur, qu'au-dessus de 50 degrés centigrades.
« On l'emploie en injections hypodermiques dans tous les cas
de morsures de serpents venimeux ou de scorpions. Le sérum
empêche les effets des venins provenant de toutes les espèces
de serpents de l'Europe, de l'Asie, de l'Afrique, de l'Océanie et
de l'Amérique.
« La dose à employer est de 10 c. c, c'est-à-dire un flacon
entier, pour les enfants et pour les adultes, lorsqu'il s'agit
d'une morsure de vipère d'Europe ou d'un serpent de petite
espèce des pays chauds.
a Dans les cas de morsures par des serpents de grande taille,
tels que le cobra capel de l'Inde, le naja haye d'Egypte, les
hothrops de la Martinique et de l'Amérique du Sud, les crotales
de l'Amérique Centrale et de l'Amérique du Nord, il sera
(l) Docteur A. Galmette: Le cenin des serments. Paris, 1896.
ESSAI SUR LA FAUNK EHPKTOLOGIQUE DE L'ORANIE 2'27
préférable d'injecter siinullanément deux doses et de pratiquer
ces injections, si on le peut, par voie intra-veincuse, dans la
veine du pli du coude, ou dans toute autre veine superficielle.
« 11 faut intervenir le plus tôt possible après la morsure,
car cei'tains serpents, dans les pays chauds, tuent l'hoimne
en deux ou trois heures. Même dans les cas les plus graves,
on pourra toujours empêcher la mort et arrrêter l'envenima-
tion si on injecte le sérum dans les veines au plus lard une
heure et demie après la morsure. Quand les accidents d in-
toxication ne sont pas très menaçants, on peut se contenter
d'injecter le sérum sous la peau. Il n'y a aucun danger à en
injecter de grandes quantités : le sénim ne renferme aucune
substance toxique et ne cause jamais d'accidents.
(( Les injections sous-cutanées de sérum doivent être faites
dans le tissu cellulaire du tlanc droit ou gauche de préférence,
parce qu'elles ne sont pas douloureuses à cet endroit.
« On doit les pratiquer avec une seringue stérilisable, à
piston de caoutchouc ou d'amiante, de 10 ou 20 c. c. de capa-
cité. Avant l'injection, on fait bouillir la seringue pendant
cinq minutes dans de l'eau additionnée d'une petite quantité
de borax. (Cette substance empêche les aiguilles d'être atta-
quées par la rouillej. On lave avec soin la peau du blessé avec
du savon et de l'eau, puis avec une solution antiseptique. On
introduit alors l'aiguille profondément dans le tissu cellulaire,
on pousse l'injection en une ou deux minutes et on retire
brusquement l'aiguille. Le sérum se résorbe en quelques iHs-
tants.
a Ces précautions de propreté sont utiles pour ne pas pro-
duire d'abcès. On peut s'en dispenser si le temps presse et que
la vie de la personne mordue soit en danger immédiat.
« Le sérum antivenimeux préparé à l'Institut Pasteur de
Lille ne renferme pas d'acide phénique. Son pouvoir antitoxi-
que préventif correspond à 250,000 d'après la notation de
Roux. Si on en injecte 2 c. c. dans les ^■eines d'un lapin pesant
environ deux kilogrammes, ce lapin doit pouvoir résister, un
quart d'heure après, à une dose d'un venin quelconque calcu-
lée pour tuer en vingt minutes les lapins témoins.
228 ESSAI SUR LA FAUNE EBPKTOLOGIQUE DE l'ORANIE
« Un léger précipité albumineux dans les flacons n'est pas
un indice d'altération. Mais si le sérum est complètement
trouble, d'apparence laiteuse, il faut le rejeter, parce qu'alors-
il a été envahi par des germes de l'air qui peuvent provoquer
des abcès.
« La première précaution à prendre, aussitôt que l'on est
mordu par un reptile, est de serrer le membre mordu à l'aide
d'un lien ou d'un mouchoir, le plus près possible de la mor-
sure, entre celle-ci et la racine du membre.
(( On doit laver abondamment la plaie produite par les cro-
chets du serpent en la faisant saigner, et l'arroser ensuite avec
une solution récente de chlorure de chaux à 1 gr. pour 60 d'eau
distillée, ou avec une solution de chlorure d'or pur à 1 gr.
pour 100. Ces deux substances détruisent très bien le venin
qui reste dans la plaie. On peut faire ensuite un pansement
antiseptique ordinaire.
(( Il est inutile de cautériser le membre mordu avec un fer
rouge ou avec des substances chimiques, et on doit éviter
d'administrer de l'ammoniaque ou de l'alcool qui ne pourraient
qu'être nuisibles au malade et au traitement par le sérum.
(( Traitement des morsures venimeuses chez les animaux
domestiques. — Dans' certains pays, beaucoup d'animaux
domestiques (bœufs, moutons, chevaux, chiens) sont tués
chaque année par les reptiles venimeux et occasionnent ainsi
des pertes considérables aux agriculteurs. L'emploi du sérum
antivenimeux permet d'éviter ces pertes. On en fait usage
exactement comme pour l'homme et aux mêmes doses. Les
injections aux animaux doivent être faites de préférence sous
la peau du dos, entre les deux épaules. »
Si on n'a pas de sérum, on peut injecter dans la plaie du
permanganate de potasse en solution, 1 pour 100. Mais on doit
agir immédiatement. Une solution à 1/60 de chlorure de chaux
sec est préférable (1).
Ce sombre tableau des accidents produit par le venin ne doit
pas effrayer le chasseur de reptiles. Prudent par nécessité, il
(1) Docteur A, Calmette (Loc. cit., p. 3G_).
ESSAI SUR LA FAUNE ERPÉTOLOGIQUE DE L'OPANIE 2'i9
risque bien moins d'être piqué que le travailleur des champs
ou que le simple promeneur. D'ailleurs, comme tous les ani-
maux, la vipère craint l'homme. Elle fuit à son approche et ne
se défend que si elle est piétinée. Si l'on a pu signaler des cas
d'agression de la part des vipères, ils sont rares.
Préparation et Conservation des Reptiles
L'alcool est le liquide par excellence pour la conservation des
reptiles. Lorsqu'on rentre de la chasse, il faut séparer les ani-
maux blessés ou morts et les plonger dans l'alcool. Il est môme
préférable de faire cette opération pendant la chasse. On peut
agir de même avec les animaux intacts, mais il vaux mieux les
conserver vivants un jour ou deux dans les petits sacs : là, ils
rejettent les détritus de leur digestion. Le ventre étant vide
l'alcool n'aura qu'à imbiber les chairs.
Le temps nécessaire à la digestion étant écoulé, on retire
les reptiles des sacs et on les plonge dans l'alcool. Lorsqu'ils
ne donnent plus signe de vie, on les retire pour leur fendre le
ventre. Cette incision a pour but de faire pénétrer l'alcool plus
directement dans la région intestinale; elle empêche la
fermentation des matières organiques non encore digérées.
Pour la pratiquer, on couche l'animal sur le dos et, un peu
au-dessus des membres postérieurs, on fait, avec de bons
ciseaux à pointes égales, suivant la ligne de partage des écailles
ventrales, une incision longitudinale de longueur propor-
tionnelle à la taille de l'animal. Chez un petit lézard, elle
doit être de 1 à 2 centimètres au plus, chez un gros, de 3
à 5. Chez un serpent, il faut en faire plusieurs de 4 à 5 centi-
mètres; il est même prudent, si l'on a une espèce rare, de
fendre le ventre dans toute la longueur, ou de faire deux ou
trois fentes très longues.
L'incision est à peu près inutile chez les batraciens.
Chez les serpents, il est nécessaire de vider le ventre lors-
qu'il est distendu par les animaux qu'ils ont avalé.
Il est bon d'introduire, par les incisions, une mèche de coton
ou un peu de coton cardé pour assurer l'imbibition des
parties internes par l'alcool.
230 ESSAI SUR LA. FAUNE ERPÉTOLOGIQUE DE l'ORANIE
Lorsqu'un serpent est vidé, on peut le bourrer avec du
coton. On rapproche ensuite les bords des fentes au moyen
d'une couture.
Si on a de nombreux échantillons d'une espèce, l'incision
n'est pas nécessaire. Sur le nombre on finit par obtenir un
exemplaire intact pour la collection. Pour les espèces rares et
pour celles recueillies en voyage, l'incision est indispensable.
Sans cette précaution on s'exposerait à perdre de nombreux
individus ou à n'avoir que des préparations défectueuses.
Les lézards et les serpents doivent être plongés dans l'alcool
fort (90 à 95"). Les bocaux ou les flacons destinés à les contenir
devront être assez hauts et assez larges pour que le corps de
l'animal ballotte librement dans le liquide. On ne doit jamais
bourrer un bocal. Si on est forcé de mettre plusieurs exem-
plaires dans le même récipient, il faut en réduire le plus
possible le nombre. On évitera ainsi les altérations qui se
produisent sur les points en contact.
Les serpents, à cause de leur longueur, ne peuvent être
suspendus dans un bocal. On est obligé de les enrouler en
spirale. Pour cela on les place d'abord dans un récipient assez
étroit. Aussitôt que l'animal est raidi, on le retire pour le
placer dans un bocal plus grand, dans lequel, plus tard, on
pourra le suspendre.
Les reptiles peuvent rester dans le premier bain jusqu'à ce
que le liquide soit coloré. Toutefois, il faut surveiller les ani-
maux, et, s'ils restent mous, changer l'alcool.
Un ou deux bains suffisent pour les petites espèces. Pour
les gros lézards et les serpents il est nécessaire le plus souvent
de renouveler l'alcool au bout de quatre à huit jours. Si dans
le deuxième bain l'échantillon devient raide, une troisième
immersion est inutile.
Il faut laisser les reptiles dans le dernier bain plusieurs
semaines ou plusieurs mois. Avant de les mettre en collection
on les lave dans un bain d'alcool pour enlever la matière colo-
rante.
Les batraciens et les urodèles doivent être préparés dans
l'eau-de-vie à 45° environ. L'alcool fort les momifie. Je me sers
avec avantage et économie du vieil alcool assez hydraté. Les
ESSAI SUR LA FAUNE ERPÉTOLOGIQUE DE L'ORANIE 231
iDatraciens rejetant beaucoup d'eau, le liquide doit être renou-
velé deux ou trois lois à de courts intervalles. Rien n'empêche
de conserver ensuite ces aninaaux en collection dans de l'alcool
à 85» et même à 90° pour les urodôles.
Les têtards doivent être préparés dans de l'eau-de-vie très
faible ; on en augmente insensiblement le degré.
Voyons maintenant comment on organise une collection
de reptiles :
On choisit d'abord des bocaux de capacité suffisante. Leur
goulot doit être régulièrement cylindrique et assez large pour
permettre rentrée et la sortie de l'animal, sans frottement.
Le bocal convenable étant trouvé on y place l'animal que
l'on couvre d'alcool. On bouche ensuite avec un excellent
bouchon et on lute avec un ciment spécial. Il est préférable de
ne pas luter si la collection est destinée à l'étude,
11 est bon de suspendre les reptiles dans les bocaux. On peut
pour cela les attacher par un fil ou un crin à des crochets
implantés dans le bouchon. Ce procédé est mauvais car, par
capillarité, l'alcool arrive au bouchon et le pourrit. Il est préfé-
rable d'employer des boules de verre creuses auxquelles on sus-
pend les échantillons. La boule surnage et fait l'elïet du ludion.
Dans les collections publiques on emploie des bocaux unis
et cylindriques sans goulot. On les ferme au moyen d'une
plaque de verre bien ajustée. Cette plaque est fixée par une
enveloppe de parchemin que l'on applique humide et que l'on
attache solidement. Le parchemin en se desséchant forme une
fermeture hermétique.
Les serpents, lorsqu'ils ne sont pas trop longs, sont conservés
dans des tubes fermés à la lampe. Ce procédé a l'inconvénient
de rendre l'étude de l'animal difficile.
Les flacons étant bouchés, on colle sur chacun d'eux une
étiquette portant le nom de l'animal, le lieu et la date de la
capture. Il est prudent de placer aussi les mêmes indications
sur une étiquette en parchemin que l'on glisse dans le bocal.
Les collections doivent être rangées et classées dans un
appartement peu éclairé. La lumière fait pâlir les couleurs.
Pour conserver plus longtemps les couleurs on ajoute quel-
232 ESSAI SUR LA FAUNE ERPÉTOLOGIQUE DE l'ORANIE
ques gouttes d'essence de térébenthine à l'alcool. Quelques
gouttes de glycérine ramollissent les échantillons sans les
endommager.
On peut aussi conserver les reptiles par l'empaillage ou par
diverses préparations taxidermiques. Ces procédés ne sont
employés que pour les grosses espèces. Je ne m'y arrêterai pas.
Voyages erpétologiques. — Lorsqu'on est à demeure, la pré-
paration des reptiles est facile. Avec un peu d'attention on
évite tous les mécomptes. Il n'en est pas de même en voyage.
Là, de grands soins sont indispensables pour préserver de la
putréfaction des récoltes abondantes et préparées trop rapide-
ment.
Si le voyage ne doit durer que huit jours au plus, le meilleur
procédé consiste à conserver les animaux vivants dans des
petits sacs. On se contente de mettre en alcool les animaux
blessés. Quelques lézards arrivent à percer les sacs avec leurs
griffes. On remédie à cet inconvénient en logeant plusieurs
petits sacs dans un grand. Il est toutefois préférable de placer
directement les petits sacs dans une boîte sans issue, mais
dans laquelle l'air pénètre bien par les joints. Lorsqu'on l'ou-
vre il suffit de prendre quelques précautions pour capturer les
lézards en liberté.
Mais si l'on entreprend un long voyage, les difficultés sur-
gissent nombreuses. Voici comment j'opère dans ce cas :
j'emporte des flacons solides aussi petits que possible et je
les emballe soigneusement. Avec cela j'ai un ou deux bocaux
assez grands qui me servent de réservoirs.
En général, je séjourne plus ou moins longtemps dans une
localité. Lorsque je rentre de la chasse, je retire les reptiles
des petits sacs et je les plonge dans un grand bocal conte-
nant de l'alcool en quantité suffisante pour les noyer. Si j'en
ai le loisir, je ne fais cette opération qu'un ou deux jours
après. Aussitôt que les reptiles sont morts, je les retire un à
un, je tais sous le ventre les incisions nécessaires et j'attache
autour du corps ou à une patte une étiquette en parchemin
portant le lieu de capture et la date de la récolte. Les animaux
ainsi préparés sont placés dans l'autre bocal réservoir. Ils res-
ESSAI SUR LA FAUNE ERPÉTOLOGIQUE DE L'ORANIE 233
tent là le temps nécessaire ou, tout au moins, jusqu'à mon
départ pour une autre localité. Je change l'alcool lorsque
c'est utile. Avant de partir je loge les animaux par localité dans
les flacons ad hoc. Dans l'intérieur ou à l'extérieur je place
une étiquette portant encore le lieu de la capture et la date.
J'emballe et je fais suivre pour les garder sous ma surveillance.
L'emploi du verre permet d'observer la marche de la prépa-
ration. Si on constate des traces de fermentation, on change
l'alcool. Lorsqu'on est sûr que les collections sont en bon état,
on les expédie par petites caisses à son domicile.
Ce procédé entraine une grande dépense d'alcool, mais, en
revanche, on ne perd presque rien. Le seul inconvénient
réside dans la fragilité du verre. En emballant soigneusement
chaque flacon et en exerçant une surveillance constante sur
mes colis, je n'ai jamais eu trop à m'en plaindre.
La question du bouchage des flacons doit réclamer tous les
soins. Les goulots doivent être aussi étroits que possible. Au
retour, pour ne pas abîmer les animaux, on brise les flacons
si c'est nécessaire.
Si l'on avait à explorer des régions désertes pour le parcours
desquelles il faut réduire le volume et le poids des bagages, il
faudrait adopter le système des récipients en métal. Ces
récipients sont ordinairement en cuivre étamé. Le fond a la
forme d'une ellipse allongée. Le haut porte une ouverture d'un
diamètre assez large pour laisser passer les plus gros animaux
et la main. Une fermeture vissée la clôt hermétiquement. L'un
des récipients sert de réservoir à alcool ; l'autre de réservoir à
reptiles. Un troisième petit réservoir est utile pour asphyxier
les animaux et opérer comme je l'ai dit plus haut. Chaque
échantillon, pourvu d'une étiquette, est glissé dans le réservoir
où l'on augmente au fur et à mesure la quantité d'alcool.
J'avais adopté ce procédé dans mes premiers voyages. Je l'ai
abandonné car il a le grand inconvénient de loger les animaux
dans un trop vaste espace. Sur le dos des chameaux tout est
ballotté et les échantillons s'abîment. On peut, il est vrai, lorsque
les animaux sont bien raides, les rouler dans des chiflbns et en
faire de petits paquets.
234; ESSAI SUR LA FAUNE ERPÉTOLOGIQUE DE L'ORANIE
Conservation des animaux vivants. — Les reptiles peuvent
rester — en dehors de la période de gestation pour les femelles
— des semaines, et certains même des mois, sans prendre de
nourriture. On peut donc les transporter vivants pendant un
voyage de quelques jours. Il est toutefois évident que les petites
espèces supportent l'abstinence moins longtemps que les
grandes.
L'élevage des animaux vivants est de la plus grande utilité
pour l'étude de leurs mœurs. A cette fm les reptiles sont
installés dans un terrarium. C'est un petit aménagement de
briques creuses, de pierres, de terre, de sable, etc., où
chaque espèce trouve des conditions appropriées à sa manière
de vivre. Au milieu est installé un bassin très peu profond où
les reptiles peuvent se baigner et boire. Cette eau doit être
renouvelée souvent. Un petit filet la purifierait sans cesse.
On nourrit les lézards d'insectes de toutes sortes : coléoptères,
sauterelles, fourmis, etc. On emploie de préférence les vers de
tarine que l'on trouve en quantité dans les minoteries. Les
sauterelles fournissent un mets de choix. La nourriture doit
être abondante.
Les serpents sont nourris de souris, de petits lapins, etc. Ils
ne mangent que des proies vivantes. On doit les séparer des
lézards car ils en feraient souvent leur nourriture.
Les batraciens sont élevés dans des aquariums. Les têtards
demandent une installation particulière. Il faut qu'ils puissent
aisément sortir de l'eau à la fin de la dernière métamorphose.
Quand on ne peut installer un terrarium on peut élever les
reptiles en plein air dans des caisses fermées avec de la toile
métallique. A l'intérieur, on dispose des briques creuses où
les animaux iront se réfugier. Il faut, autant que possible,
séparer les espèces.
Expédition des reptiles. — Les reptiles vivants sont les plus
faciles à expédier. Il suffit pour cela de mettre l'animal dans
un petit sac qu'on expédie dans une boîte en bois.
Malheureusement, en France, les animaux vivants ne peuvent
voyager par les voies postales. Toutefois une sage tolérance de la
part de certains employés permet de faire des envois qui^ somma
ESSAI SUR LA FAUNE ERPÉTOLOGIQUE DE L'ORANIE 235
toute, sont bien moins gênants que les envois de liquides par
exemple. Il en est de même pour les colis postaux. Pourtant
en Angleterre, en Allemagne, en Autriche, etc., les envois de
reptiles se font librement. Je ne comprends donc pas pourquoi
on n'accorde pas aux naturalistes français les mêmes facilités.
Seule l'expédition des vipères pourrait être interdite, surtout
sans déclaration.
Si on fait un envoi de reptiles soit par la poste, soit par colis
postal, il faut éviter de bourrer les boites de sacs. On doit
placer ces derniers verticalement, de façon à ce qu'ils se sou
tiennent les uns les autres sans se presser. La boîte, tout en
étant close, doit laisser entrer l'air par les joints qu'on rend
irréguliers en enlevant quelques fragments de bois.
Les batraciens s'expédient dans des boites en fer blanc
percées de quelques petits trous et dans lesquelles on a placé
des feuilles de salade ou de l'herbe fraîche.
Les urodèles peuvent être expédiés dans les mêmes condi-
tions mais sur une couche de mousse assez humide.
Tous ces animaux doivent avoir le plus d'air possible.
Les reptiles en alcool, surtout lorsqu'ils sont petits,
s'expédient dans les flacons ou les tubes qui les renferment.
On met dans chaque flacon un peu de coton pour éviter le
ballottement. Le bouchage doit être parfait.
Lorsqu'on veut faire un envoi important, comprenant de
grosses pièces, on met le tout dans une vessie de porc. Voici
comment l'on opère :
On se procure une grande vessie ; on la souffle et on la
laisse sécher à l'air pendant trois ou quatre jours. Quand elle
est assez sèche on coupe l'extrémité et on y ménage une
ouverture assez large pour laisser passer les plus gros
paquets qu'on doit y introduire. Au fond de la vessie on place
une couche de coton cardé qu'on imbibe d'alcool. Après avoir
attaché autour du corps de chaque animal une étiquette por-
tant le nom, l'origine, la date de la capture et l'habitat, on
procède à un premier emballage. On enroule chaque échan-
tillon dans un linge blanc que l'on ficelle sans le serrer et on
glisse chaque petit paquet dans la vessie. On tait de même
pour les tubes. Quand ce travail est terminé on ajoute de
236 ESSAI SUR LA FAUNE ERPÉTOLOGIQUE DE L'ORANIE
l'alcool jusqu'à ce que tous les paquets soient bien imbibés.
Une réserve de liquide doit rester au fond de la vessie. Enfin
on ferme celle-ci, en réduisant le plus possible son volume et
on ficelle solidement l'ouverture.
La vessie peut voyager dans une boîte en bois renfermant
un emballage moelleux. Il est préférable de la loger dans une
boîte en fer blanc que l'on fait souder.
Lorsque l'envoi doit rester longtemps en route il faut rem-
placer la vessie par une boîte soudée qu'on expédie dans une
caisse en bois.
DESCRIPTION DE LA FAUNE
OBSERVATIONS
Avant d'entreprendre la description de la faune, je vais
donner quelques indications préliminaires indispensables.
J'adopte la classification de Duméril et Bibron un peu
modifiée.
Dans les tableaux, les noms des espèces existant en Oranie
sont suivis de l'initiale 0 (Oranie); ceux des espèces barbares-
ques non encore signalées en Oranie, de B. (Berbérie).
J'ai fait aussi entrer dans les tableaux les espèces qui ont été
signalées en Berbérie mais dont la présence y est très dou-
teuse. Les noms de ces espèces sont en italique.
Je ne donne qu'une courte description des espèces bien
connues et je m'étends sur les espèces critiques que j'ai
pu étudier.
Toutes les notes et de^rriptions qui ne se rapportent pas à
des espèces existant en Oranie sont imprimées en caractères
de dimension moindre.
L'aire de dispersion géographique est indiquée par les
abréviations suivantes : B. (Berhérie); M. Maroc); Al. (Algé-
rie); T. {Tunisie); 0. {province d'Oran); A. {province d'Alger);
C. (province de Constantine).T. {Tell); H. -P. (Hauts-Plateaux);
S. {Sahara).
Un numéro d'ordre est affecté à chaque espèce oranaise.
CLASSE DES REPTILES
Caractères. — Animaux vertébrés à sang froid ou plutôt à
température variable. Circulation plus ou moins incomplète.
Quelques-uns respirent par des branchies pendant le jeune
âge ; tous ont des poumons à l'âge adulte. Corps dépourvu de
poils et de plumes. Peau écailleuse ou nue. Ovipares ou ovovi-
vipares.
La classe des reptiles se subdivise en deuK sous-classes :
TABLEAU DES SOUS-CLASSES
Animaux généralement terrestres, les uns
recouverts d'une carapace, les autres
écailleux au moins sur la tête. {Tortues,
lézards, serpents).
Sous-classe des Reptiles.
Animaux amphibies, peau lisse ou pustuleuse
absolument dépourvue d'écaillés, même
sur la tête. {Grenouilles, salamandres).
Sous-classe des Amphibiens.
SOUS-CLASSE DES REPTILES (de Blainville)
Caractères. — Pas de métamorphoses. Des poumons à tout
âge. Quatre pattes, deux ou pas. Corps lacertiformc ouserpen-
tiforme (lézards, serpents), parfois ramassé et renfermé dans
une carapace (tortues). Peau apparente recouverte d'écaillés
sur tout le corps ou au ijioins sur la tète ou sur les pattes.
Ovipares ou ovovivipares.
Cette sous-classe est représentée en Berbérie par trois
ordres :
ESSAI SUR LA FAUNE ERPÉTOLOGIQUE DE L'oRANIE 239
Reptiles. — TABLEAU DES ORDRES
2.
Animaux à corps ramassé et enfermé
dans une forte cuirasse. (Tortues).
Ordre des Cheloniens.
Animaux à corps étroit, allongé, non
enfermé dans une cuirasse. {Lé-
zards, serpents). 2
Corps vermiforme, à peau lisse, anne-
lée ; seule la tête est couverte de
plaques symétriques; pas de pattes.
(Famille des Amphisbéniens) Ordre des Sauriens.
Corps lacertiforme ou serpentiforme ;
peau écailleuse, tuberculeuse, gra-
nuleuse ou chagrinée; des pattes
ou pas. 3
Corps serpentiforme. Pas de pattes
apparentes. Ecailles ventrales sur
un seul rang, bien plus larges que
les latérales et montant (sauf chez
Eryx) sur la base des flancs. (Ser-
pents j.
Ordre des Ophidiens.
Corps lacertiforme ou serpentiforme.
Quatre pattes, rarement pas. Ecail-
les ventrales sur plusieurs rangs,
les médianes semblables aux laté-
rales ou peu différentes. [Lézards,
orvet).
Ordre des Sauriens.
240 ESSAI SUR LA FAUNE ERPÉTOLOGIQUE DE L'ORANIE
Ordre des Chéloniens
Caractères de l'ordre. — Corps i^amassé, enfermé dans une
boîte osseuse (carapace) recouverte de plaques d'écaillé.
Mâchoires dépourvues de dents ; celles-ci sont remplacées par
des lèvres cornées et tranchantes. Respiration pulmonaire à
tous les âges. Cloaque en fente longitudinale. Pénis simple.
Ovipares.
Les animaux de cet ordre sont connus vulgairement sous le
nom de tortues. On les divise en tortues terrestres, tortues
d'eau douce et tortues de mer, selon l'élément qu'elles habitent.
Caractères de classification des chéloniens. — Les prin-
cipaux caractères sur lesquels repose la classification, sont :
l'habitat ; la conformation de la cuirasse qui peut être entière
ou incomplète, d'une seule pièce ou de deux ; la mobilité ou
l'immobilité de la partie postérieure du plastron ; la forme des
doigts et leur nombre ; le nombre d'ongles ; celui des plaques
des diverses parties de la carapace, etc.
Généralités. — La classification reposant surtout sur les
caractères présentés par la cuirasse, je donnerai une descrip-
tion et des figures de celle-ci :
La boîte osseuse se compose de deux parties : la partie
supérieure ou bouclier et la partie inférieure ou plastron (PI. L)
Le bouclier comprend aussi deux parties : l'une, intérieure,
le disque, et l'autre, extérieure, le limbe.
Le disque est formé de trois séries longitudinales de grandes
plaques : l'une, médiane, porte le nom de série médiane,
rachidienne ou vertébrale ; les deux autres, latérales, sont
appelées séries costales. La dernière plaque postérieure de la
série médiane, se nomme plaque pygale.
Le limbe se compose de deux séries de plaques symétriques
qui bordent le bouclier. Elles sont séparées en avant par la
nuchale et, en arrière, par la sus-caudale. Celle-ci peut être
double. Elle varie de forme avec le sexe.
Le plastron est formé de grandes plaques disposées en deux
ESSAI SUR LA FAUNE ERFÉTOLOfUQUË DE L'ORAME 241
séries symétriques. Les antérieures portent le nom de collaires.
Les autres, à la suite, se nomment brachiales, pectorales,
abdominales, fémorales, sous-caudales.
La tète est recouverte de plaques cornées ou d'une peau
coriace. La peau apparente du corps est chagrinée. Les pattes,
plus ou moins écailleuses, sont terminées par des doigts de
formes diverses. Chez les tortues terrestres les doigts sont
soudés en moignons ; chez les aquatiques ils sont parfaitement
palmés et onguiculés ; chez les marines, enfin, ils sont
réunis en forme de rames peu onguiculées. Chez toutes, les
ongles, en nombre variable, sont forts et saillants.
Sexes. — Le mâle se reconnaît généralement à ce que le
plastron est concave dans le sens de la longueur. Chez la
femelle il est plat ou légèrement convexe.
L'ordre des chéloniens est représenté en Berbérie par rois
familles dont voici le tableau :
Chéloniens. — TABLEAU DES FAMILLES
Doigts réunis en un moignon portant les ongles.
Carapace très bombée, ossifiée sur les côtés,
réunie au plastron sur une longueur égale à
la moitié de celle du bouclier. Sus-caudale
simple. {Tortues terreslresy
Famille des Chersites.
Doigts palmés ; 4-5 ongles. Carapace oblongue,
peu élevée ou déprimée, réunie au plastron
sur une longueur égale au tiers de celle du
bouclier. Sus-caudale double. {Tortues d'eau
douce).
Famille des Paludines.
Doigts non apparents assemblés en forme de
rame. Deux ongles au plus. Carapace cordi-
forme. Animaux de grande taille. {Tortues
marines).
Famille des Tlialassites.
242 ESSAI SUR LA FAUNE ERPÉTOLOGIQUE PE l'oRANIE
Te Famille. — CHERSITES
Tortues terrestres <>>
Caractères de la famille. — Carapace très bombée formée
de plaques symétriques bien distinctes. Doigts et orteils soudés
en moignons portant les ongles. La tête, les pattes et la queue
peuvent se retirer ou se replier sous la bordure marginale.
En Berbérie, cette famille n'est représentée que par un seul
genre.
Genre TESTUDO L.
Caractères du genre. — Tète couverte de plaques cornées.
Carapace d'une seule pièce très bombée ; plastron non m.obile
à Varrière ou très peu. Cinq ongles aux pattes de devant, qua-
tre aux postérieures. Queue courte et épaisse.
Deux espèces de ce genre ont été signalées en Berbérie. La
présence de l'une d'elles (T. campanulata) est plus que douteuse.
En voici le tableau :
G. Testudo. — TABLEAU DES ESPÈCES
Un tubercule corné, très saillant, conique, placé
à la base interne de chaque cuisse, de chaque
côté de la queue ; profil du bout du museau
vertical ; carapace ovale, à bords peu den-
telés, relevés seulement chez les vieux in-
dividus.
T. ibera. O.
Pas de tubercule corné ; profil du bout du muaeau
oblique, rentrant ; carapace adulte nettement
oblongue, dentelée sur son pourtour, à bords
postérieurs très élargis, étalés horizontale-
ment.
T. marginata. 0. ?
(1) Sur les tortues terrestres et d'eau douce du bassin méditerranéen,
consulter la belle monographie de M. Lortet. (Arch. Muséum de Lyon,
1886.
1
I
ESSAI SUR LA FAUNE ERPKTOLOGFQUE DE l'ORANIE 243
1. Tesfudo ibera Pallas
Fig. L. Lortel {loc. cit.) PI. 1
La tortue ibériciue oil maurêtanique. Arabe : Fakroun.
Testudo ibera Pallas, Gervais, Lovtet, Boulanger.
T. pusilla Sliaw, Slraucli, Lallemant.
T. grœca Poiret non Linné.
T. mauritanica Guichenot, Ernest Olivier.
Caractères principaux. — A7iimal terrestre: carapace
très homhée; un tubercule corné conique à la hase interne de
chaque cuisse.
La tortue terrestre a la carapace très bombée et complète-
ment ossifiée sur les côtés. Le disque est formé de 13 plaques ;
le limbe, de 22 marginales, d'une nuchale et d'une sus-
caudale. La nuchale est petite, très étroite, en forme de
triangle isocèle. La sus-caudale est simple (très rarement
double). Le plastron se compose de six paires de plaques
symétriques. La tête et les membres peuvent se retirer sous
le bouclier. La tête est recouverte de plaques comme chez les
sauriens. Les pattes présentent d'épaisses et grandes écailles
cornées triangulaires, subaiguës, imbriquées, à pointes libres.
Les doigts et les orteils sont réunis en moignons portant cinq
et quatre ongles. A la base interne des cuisses se trouve un
fort tubercule corné, conique, aigu qui distingue l'espèce.
Coloration. — Variable, mais ordinairement à fond d'un
jaune nacré. Les plaques de la série médiane du bouclier sont
largement bordées de noir. Celles des latérales portent, anté-
rieurement, une tache de même couleur en forme de triangle
à pointe tournée en bas. Ces taches présentent dans leur
ensemble une certaine symétrie. De même celles des marginales
qui ont la pointe du triangle noir dirigée en haut. Les plaques
du disque portent en outre une tache noire sur leur point le
plus saillant.
Le plastron est jaune, plus tâché de noir chez le mâle que
chez la femelle.
244 ESSAI SUR LA FAUNE ERPÉTOLOGIQUE DE l'ORANIE
Sexes. — Mâle. — Sus-caudale très bombée en dehors. Plastron
visiblement concave dans le sens de la longueur. Sous-caudales
bien distantes de la sus-caudale. Coloration du plastron plus
noire que chez la femelle.
Femelle. — Sus-caudale non bombée, presque plane. Plas-
tron plan, ou très légèrement convexe. Sous-caudales plus
rapprochées de la sus-caudale que chez le mâle. Coloration du
plastron assez claire. Partie postérieure assez mobile, ce qui
facilite la ponte.
Taille: Carapace Qm 18. 0™ 24 (Lorfef) (1). - Mars à juin,
automne (2).
Variations. — La carapace est plus ou moins bombée et
plus ou moins ovale. La forme de la plaque pygale surtout est
très variable. Je ne m'arrêterai pas à décrire toutes ces varia-
tions qui ne présentent même pas des caractères constants.
Observations. — La T. ibema été longtemps confondue avec
la r. grœca L. dont elle a toutes les apparences. Le gros tuber-
cule de la cuisse l'en distingue pourtant nettement, car il
manque chez la tortue grecque.
Distribution géographiqhe (B : T., H. P.) — Cette espèce
est très commune dans le Tell oranais. On la trouve aussi sur
les Hauts-Plateaux. Elle devient de plus en plus rare lorsqu'on
se rapproche du Sahara. Les points extrêmes de la province
où j'ai constaté sa présence, sont: El-Aricha, le djebel Beguira,
Géryville. Quoique rare, elle est donc disséminée sur toute
l'étendue des Hauts-Plateaux et dans la région montagneuse.
Elle ne paraît pas vivre dans les oasis. Les indigènes d'Arba
Tahtani et d'El Abiod-Sidi-Cheikh m'ont déclaré qu'elle n'exis-
tait pas dans ces régions.
Ethologie. — La tortue maurétanique apparaît dès le
milieu de février dans les lieux chauds du Tell. Les individus
(1) Pour la taille, je donne généralement la plus grande que j'ai obser-
vée. Elle peut donc être moindre que celle donuée par les auteurs.
(2) Pour la période de la vie active, je donne les mois pendant lesquels
les espèces se trouvent en nombre.
ESSAI SUR LA FAUNE ERPÉTOLOGIQUE DE l'ORAXIE 245
des deux sexes ne tardent pas à se rechercher. Dans les
premiers jours du printemps il n'est pas rare d'entendre, dans
la broussaille, un bruit insolite : on dirait le choc de deux
sabots. Si on s'approche on ne tarde pas à apercevoir deux
tortues, deux mâles, qui se battent pour une femelle qui, de
loin, assiste à ce combat singulier.
Un bruit plus léger est perçu lorsqu'un mâle poursuit une
femelle. Chaque fois qu'il l'atteint il la frappe, d'un ou deux
coups, avec sa nuchale. Il continue ce jeu jusqu'à ce que la
femelle s'arrête. Alors il s'arc-boute sur ses pattes postérieures
et l'accouplement a lieu, le mâle se maintenant dans la position
verticale. J'ai constaté le fait le 12 mars. Je n'ai jamais pu
déterminer la durée de la gestation, pas plus que celle de
l'incubation chez cette espèce.
Une vieille femelle capturée à la Macta le 19 mai 1890 a
pondu un œuf le 25 juin. Le 4 juillet j'en ai trouvé deux
autres. La ponte a continué et j'ai eu en tout sept œufs. Ces
œufs, de forme elliptique, mesuraient 0'"036 de longueur et
On'OiS de diamètre. Leur coque, d'un beau blanc, était aussi
épaisse et plus dure que celle d'un œuf de poule (1).
En été les tortues deviennent rares. Elles craignent l'arJeur
du soleil et s'enterrent. Elles apparaissent de nouveau en
septembre pour disparaître aux approches de l'hiver. Elles
s'enfouissent dans la terre ou se cachent sous une grosse
pierre. Il n'est pas rare de trouver des tortues en plein hiver
lorsque le soleil échauffe la terre.
Ces apparitions, exceptionnelles il est vrai, démontrent que
le sommeil hibernal est intermittent chez cette espèce.
Utilité et nocuité. — Les tortues terrestres sont herbi-
vores, mais elles se nourrissent aussi, surtout pendant la
saison sèche, d'insectes, de mollusques et de vers. Quoiqu'elles
puissent commettre des dégâts dans les jeunes plantations, je
les crois plus utiles que nuisibles. Il n'y a donc pas lieu de les
détruire. Toutefois si elles étaient trop abondantes dans les
cultures il serait préférable d'en diminuer le nombre.
(l) Une femelle élevée à Bordeaux par M. le comte Kercado a pondu
17 œufs. A la lin de novembre ces œufs n'étaient pas écios. (Act. soc. lin.
Bordeaux, t. XXX. — 3' séri.3 • t. X, p. XXXV).
24() ESSAI SUR LA FAUNE ERPÉTOLOGIQUE DE l'oRANÎE
Leur chair est bonne à manger. Le bouillon de tortue est
recommandé aux personnes faibles. Les œufs frais peuvent
aussi être consommés. Ils sont moins riches en albumine que
ceux des oiseaux.
La tortue maurétanique vit facilement en domesticité. On la
nourrit de feuilles de salade, de légumes veris, de mie de
pain, etc.
Sur certains points de l'Algérie les tortues terrestres font
l'objet d'un commerce d'exportation.
Testudo marginata Schœpffer.
F'kj. Lorlet {loc. cit.) PI. III et IV
La lortue bordée.
Testudo marginata Schœpffer, Gerçais, D. et B., LalL, Lortet.
T. campanulata Walb., Strauch.
La présence de cette espèce en Berbérie n'est pas admise par
MM. Lortet, Boulanger, Ernest Olivier. Je n'ai pu obtenir des
tortues de Pélissier où Lallemant dit T. marginata commune. Je
ne crois pas qu'elle y existe. Toutefois il sera bon d'observer avec
attention les tortues à carapace oblongue, à marginales posté-
rieures relevées. L'absence du tubercule de la cuisse ferait recon-
naître, le cas échéant, la T. marginata.
2'»« Famille. — PALU DINES
Tortues d'eau douce
Caractères de la famille, — Animaux fluviatiles; tête
non écailleuse ; carapace peu élevée, déprimée, surtout dang
la région médiane; sutures des plaques peu profondes; doigts
distincts mais réiviis par une memhrane comme chez les
palmipèdes ; ongles longs et aigus. Tète, membres et queue se
retirant sous le limbe. Queue longue. Espèces habitant les eaux
douces, vives ou dormantes.
Cette famille est représentée en Berbérie par deux genres
ESSAI SUR [.A FAUNE ERPKTOLOGIyUE DE,l'0RANIE 247
Paludines. — TABLEàU DES GENRES
Plastron solidement anastomosé de chaque côté
avec le bouclier.
Genre Eoiys.
Plastron uni de cliaque côté au bouclier par une
bande cartilagineuse.
Genre Gistudo.
Genre EMYS Merr.
Caractères du genre. — Tête nue ; plastron solidement
uni, sur les côtés, avec le bouclier, fixe à l'arrière ; 'pattes anté-
rieures à 5 ongles; les postérieures à 4, le cinquième orteil en
étant dépourvu; doigts palmés. Queue longue et fine.
Une seule espèce en Berbérie :
2. Emys leprosa Schweigger (Pi. 1)
Fi<j. L. Lortet [loc. cit.) PI. VIII
L'émyde lépreuse Arabe : Fa/.- /■oa?r-e/-wâ
Emys leprosa Schw., Strauch, Lall., Ern. Olivier.
Clemmys leprosa Schw., Boulanger.
Emys Sigriz D. et B., Guichenot.
Caractères principaux. — Animal aquatique ; carapace
déprimée, à contour variant de forme avec Vâge ; plastron
solidement uni de chaque côté au bouclier par un tissu osseux
de même nature ; sus-caudale double ; doigts et orteils régu-
lièrement palmés ; tête et membres se retirant sous le limbe.
L'émyde lépreuse se reconnaît à son caractère générique
(( plastron solidement uni au bouclier ». Néanmoins la forme
variable de sa carapace peut faire naître des doutes au sujet de
la valeur spécifique de certains échantillons.
Quand l'émyde naît les côtés de son bouclier sont régulière-
ment curvilignes ; mais, au fur et à mesure que l'animal gran-
248 ESSAI SUR LA. FAUxXE ERPÉTOLOGIQUE DE L'ORANIE
dit, la ligne transversale de la carapace, à la hauteur des cuisses,
s'allonge ; il en résulte que le contour devient pentagonai.
Lorsque la longueur du bouclier dépasse 11-12 centimètres,
les angles de la ligne transversale postérieure ne sont plus
aussi saillants, et les côtés de la carapace sont presque parallèles
sur toute leur longueur chez les individus de 16-18 centimètres.
Un autre caractère présente par les pla{|ues du disque, subit
aussi, d'après l'âge, d'imi^ortantes modifications :
A la naissance, les plaques de la série médiane sont pliées
en dos d'âne, tandis que celles des séries ialérales portent
chacune, en leur milieu, une arête obtuse qui n'atteint pas les
bords de chaque plaque. Les arêtes sont placées sur une ligne
longitudinale. Elles ne tardent pas à s'élargir ; avec l'âge
elles se transforment en un tubercule large et peu saillant qui
finit par disparaître ou à peu près.
La carène de la série médiane obéit à la même loi, mais plus
lentement. Elle e.'ciste encore chez des individus de 12 à 13
centimètres. Ensuite elle disparaît et la série médiane devient
plane.
La coloration, comme nous le verrons plus loin, varie aussi
avec l'âge.
La tête de l'émyde est dépourvue de plaques cornées; elle
est recouverte d'une peau épaisse et unie.
Les doigts, au nombre de 5, sont palmés et tous pourvus
d'un ongle long et aigu. Les orteils sont aussi au nombre de
5, le cinquième seul est dépourvu d'ongle. La queue est longue
et effilée.
Coloration. — 1" Carapace. — La coloration varie avec l'âge
et surtout avec le plus ou moins de pureté des eaux que les
tortues habitent. Dans les eaux sales, dormantes ou stagnantes
les tortues sont invariablement d'un brun vert-jaunâtre tirant
sur le noir. La coloration naturelle ne se trouve que chez les
individus des eaux claires et courantes. Voici les observations
que j'ai faites à ce sujet :
A la naissance, les jeunes tortues sont brunâtres. Bientôt
elles deviennent d'un brun verdâtre. Les arêtes des écailles
du disque passent à locre claire. L'année suivante les arêtes
s'effacent davantage en s'élargissanL La couleur ocre claire les
ESSAI SUR LA FAUNE ERPÉTOLOGIQUE DE l'ORANIE 249
recouvre et apparaît sur les bonis des plaques latéi'ales du
disque. Peu à peu cette coloration gagne les plaques médianes.
Pendant quatre^ ou cinq ans, le bouclier coniinue à se mar-
brer d'ocre claire qui, petit à petit, passe au rouge feu.
I.ors(|ne les tortues dépassent 0"'I2 le fond devient olivâtre
et s'unilie de plus eu plus. Sur les vieux individus il ne reste
plus que des traces tout à lait Icrncs des premières taclies.
A tous les âges le plastron est à fond blanc jaunâtre forte-
ment tacbé de noir. Les plaques marginales sont noires en
dessous. Il y a aussi deux taches noires sur les côtés du
plastron .
2" Tête et membres. — Le dessous de la tète, la gaine du cou
et les membres sont à fond noir grisâtre parcouru par de
nombreuses lignes parallèles de couleur Jaune citron ou
orangé d'un bel elTtt. Chez les vieux individus, la gaine devient
d'un gris uniforme et les hgnes des pattes et de la gorge
prennent la couleur claire du plastron.
SEXES. — Mâle. — Le mâle a le plastron concave dans le
sens de la longueur et fortement taché de noir dans la partie
moyenne.
Femelle. — La femelle a le plastron plan; sa partie noire est
généraleru'nt moins étendue que chez le mâle ; elle disparait
presque chez les adultes.
Taille. — Du bout du museau Ji l'extrémité de la
queue: 0"'30. Carapace: 0'"19 de longueur sur 0^35 de
largeur au milieu. — Presque toute l'année dans le Tell.
Observations. — \JEmui leprosa ressemble beaucoup à
I'jE'. Caspica Gmel. Certains auteurs ne la considèrent que
comme une variété de cette dernière. Les matériaux me man-
quent pour donner mon opinion. J'avoue toutefois que je ne
saisis pas bien la valeui- des caractères que M. Lortet (/oc. cit.)
admet pour distinguer les deux espèces. Seule la figure qu'il
donne lVE. caspica (PI. VIII) semble en offrir un de sérieux ;
de chaque côté de la plaque pygale, la dernière plaque latérale
se distingue en elîet par ses petites dimensions ; sa surface
250 ESSAI SUR LA FAUNE ERPÉTOLOGIQUE DE L'ORANIE
n'est égale qu'au quart de la troisième latérale. Chez E. leprosa
elle est égale aux trois quarts.
Les émydes de 18 centimètres sont abondantes en Oranie.
Distribution géographique. — (B : T., H.-P , S.)— Cette
espèce est très abondante dans presque tous les cours d'eau du
Tell et des Hauts-Plateaux de la province d'Oran. Non loin
d'Oran, elle se trouve dans l'oued des Andalouses, à Brédéah,
dans l'oued Tlélat. Elle abonde au Sig, à Perrégaux, à la
Macta, à Aïn-Témouchent, Arlal, etc. Plus au sud, j'ai constaté
sa présence dans l'oued Safsaf à Tlemcen, dans la Tafna à Sebdou,
dansla MékerraàBedeau, dansl'oued Saïdaà Aïn-el-Hadjar, dans
l'oued El-Biodh à Géryville. J'ignore si dans la province d'Oran
elle atteint la région saharienne. Je ne l'ai pas vue à Arba
Foukanietà ArbaTahtani où les indigènes m'ont affirmé qu'elle
n'existait pas. Il y a pourtant de l'eau toute l'année dans la
rivière.
Ethologie. — L'émyde lépreuse est bien connue par son
odeur repoussante. Cette odeur provient de la vase dans
laquelle s'enfouit l'animal. Les émydes des eaux limpides
sentent bien moins. Ces émanations nauséabondes disparaissent
lorsqu'on laisse séjourner les tortues dans l'eau claire. En
hiver et au premier printemps l'odeur est très peu prononcée.
La nourriture contribue donc aussi à la faire naître.
L'influence de l'eau claire se fait aussi sentir sur la coloration.
De jeunes émydes noirâtres se colorent en rouge vif au bout
de quelques mois de séjour dans l'eau limpide et ensoleillée.
Comme les tortues terrestres, les émydes peuvent rester
longtemps sans prendre de nourriture. Leur sommeil hibernal
est intermittent.
En été, lorsque les oueds se dessèchent, les émydes
s'enterrent dans les berges et attendent là le retour de la
période pluvieuse. Elles sont donc soumises accidentellement
au repos estival.
Les émydes s'accouplent soit hors de Teau, soit au fond. La
femelle pond des œufs allongés qu'elle dépose dans la terre
non loin du bord de l'eau. Je ne sais à quelle époque a lieu
l'accouplement. M. Lortet (loc. cit.) le fixe au printemps.
ESSAI SUR LA FAUNE ERPÉTOLOGIQUE DE L'oRANIE 251
Je le crois aussi. Toutefois, j'ai observé le fait suivant :
Une grosse femelle, rapportée depuis peu du Sii;, a pondu
neuf beaux œufs dans la nuit du 2 au 3 septembre et le matin.
Ces œufs étaient d'un beau blanc, de forme cylindro-
elliplique, à bouts largement arrondis ; le [tins gros avait 38
millimètres de longueur et 21 de diamètre ; le plus petit, 34,5
millimètres de longueur et 21 d'épaisseur.
Ces œufs étaient-ils stériles ou devaient-ils éclore au prin-
temps suivant ? Je l'ignore.
Les jeunes émydes naissent vers la fin du mois de mars ou
au commencement d'avril.
Le 8 avril 1899, une émyde vue à Arlal mesurait O'n025. Elle
paraissait être seule.
Le 13 avril 1898, au Sig, la carapace de nombreux exem-
plaires mesurait 0"i003.
Si l'accouplement a lieu de bonne heure, on doit donc
admettre qu'il a lieu en janvier.
Au mois d'août, les émydes, nées en avril, ont atteint la
taille de 0"' 045, celles des années précédentes avaient 0"' 006.
L'émyde est surtout Carnivore. Elle se nourrit d'insectes, de
batraciens, de poissons, de matières animales en putréfaction.
Dans les mares et les lacs elle détruit le poisson. Les grosses
émydes mangent les petites. Faute de nourriture animale,
les émydes se contentent de produits végétaux. En captivité,
je les nourris de légumes frais, de feuilles de salade, de mie de
pain ; de temps en temps je leur donne du poisson.
Cette espèce est assez difficile à capturer. Plus méfiante que
la grenouille, elle plonge au moindre bruit. Il faut la pêcher
avec un troubleau ou une épuisette. Dans les lacs on la prend
à la ligne que l'on amorce avec une petile grenouille. C'est
dans les canaux à sec et dans les trous des vannes qu'on
les capture le plus facilement.
Les tortues d'eau ne sont donc nuisibles (juc dans les viviers
et dans les rivières poissonneuses.
252 ESSAI SUR LA FAUNE ERPÉTOLOGIQUE DE L'ORANIE
Genre CISTUDO Flem.
Caractères du genre, — Tète nue. Plastron mobile en
avant et en arrière, réunie n la carapace par un cartilage.
Carapace bombée mais peu élevée. Pattes de deoant à 5 doigts
onguiculés; celles de derrière à i ongles seulement, le cinquième
orteil en étant dépourvu. Doigts et orteils palmés.
Une seule espèce a été signalée en Tunisie et dans les
provinces d'Alger et de Constantine :
Cistudo europœa Guich
Fig. L. Loriot (lac. cit.) (PL VI).
La tortue bourbeuse.
Emys orbicularis L. Boulanger.
Testudo lutaria Rondelet.
Cistudo lutaria Strauch, LalL, Ern. Olir.ier.
La cistude d'Europe ou (ortue bourbeuse existe dans l'est de
l'Alirérie et en Tunisie. M. Hagemmueller l'a prise a -Bône.
Lallemant l'a signalée à l'Harrach, au lac Fetzara et dans l'oued
Sebaou. Guichenot dit qu'elle est commune dans tous les fleuves
de l'Algérie. C'est là une grosse erreur. Si toutefois on considère
que les tortues d'eau ont été peu observées jusqu'ici, on pourrait
peut-être, en taisant des recherches, découvrir la cistude dans la
province d'Oran. La charnière cartilagineuse qui unit le plastron
au bouclier permettra, le cas échéant, de reconnaître la cistude.
3"»* Famille. — THALASSITES
Tortues marines
Caractères de la famille. — Animaux marins de grande
taille. Carapace fortement atténuée en pointe à Varrière.
Pattes à extrémité transformée en rame. Doigts indistincts.
Deux ongles au jj/us ou pas. Tète et membres ne pouvant pas
se retirer sous le limbe. Queue très courte.
Dans la mer Méditerranée cette famille est représentée par
deux genres, dont voici le tableau :
ESSAI SUR LA FAUNE ERPÉTOLOGIQUE DK L'ORANIE 253
Thalassites. — TABLEAU DES GENRES
Carapace recouverto, comme chez les tortues
aquatiques, d'écaillés distinctes, symétri-
ques non imbriquées. Deux ongles.
Genre Clieloiliii.
Carapace recouverte d'une peau coriace et
creusée de protondes et larges gouttières
longitudinales. Pas d'ongles.
Genre Spliargis.
Genre CHELONIA Brong.
Caractères du genre. — Carapace cordiforme recouverte
d'écaillés cornées, non imbriquées. Disque à i3 ou i 5 plaques \
15 chez notre espèce. Un ou deux ongles.
Ce genre est représenté dans la mer Méditerranée par une
seule espèce :
3. Chelonia Caouauna Schweigger
La caovianne. Arabe : Fakroun-cl-hahar
Chelonia corticata Rond., Straucli, Lallcmant.
Thalassochelys corl i ca /fo?u/. (Testudo), Ern. Olivier.
Caractères principaux. — Disque à 15 plaques. Deux
forts ongles dont un seul est saillant.
La caouanne est la grosse tortue de mer que l'on voit assez
souvent au printemps sur les marchés du littoral. Voici la des-
cription succinte d'un individu adulte vivant :
Dessus de la tête, des lèvres à l'occiput, entièrement recouvert
de grandes plaques cornées. Lèvre inférieure bordée d'une
seule ligne de plaques. Mentonnière très développée. Le reste
de la gorge, les épaules et tout le cou non écallleux, à peau
chagrinée, molle et grasse. Yeux à paupières noires, saillantes.
Carapace cordiforme, atténuée en pointe dans les deux tiers
inférieurs. Disque à 15 plaques ; limbe à 27. Une nuchale,
deux sus-caudales.
254 ESSAI SUR LA FAUNE ERPÉTOLOGIQUE DE L'ORANIE
Les plaques marginales ont leur bord inférieur large et
horizontal et sur le mênrie plan que le plastron. La nuchale
est rectangulaire, bien plus large que longue ; son bord
antérieur est un peu concave. Les deux sus-caudales forment
entre elles un angle assez profond. Le pourtour du limbe est
denté par suite de la saillie d'un angle de chaque marginale.
Plastron très remarquable par la forme de sa partie libre
postérieure qui est très étroite. Il est formé par deux séries de
six grandes plaques symétriques, dont deux, les abdominales
et les pectorales, sont unies aux marginales médianes par trois
plaques bien plus petites. En outre les pectorales et les bra-
chiales sont bordées en avant de quatrp ou cinq plaques plus
petites.
La partie postérieure (sous-caudales et fémorales) est pres-
que en forme de languette élargie à la base. Ses bords sont
très distants des marginales postérieures.
Les aines sont très profondes et largement entaillées.
Les aisselles sont bien moins marquées que chez les autres
tortues, les épaules étant convexes en dessous.
Pattes en forme de rames portant chacune deux ongles
dont un seul est libre ; l'autre est enchâssé horizontalement.
Queue très courte, épaisse, conique, molle, à paau un peu
chagrinée, grisâtre en dessus, portant plusieurs plis longitu-
dinaux bien marqués. Distance de l'anus au bout de la
queue 2 à 3 centimètres.
Les jeunes caouannes diffèrent des adultes par les plaques
de la série médiane qui sont pourvues d'une forte épine. Ces
épines disparaissent avec l'âge.
Coloration. — Les plaques de la tête sont d'un fauve clair;
celles du bouclier, d'un brun rougeâtre mêlé de grisâtre.
Tout le dessous est d'un beau jaune blanchâtre.
Taille. — A Oran la carapace des individus capturés ne
dépasse que rarement 0"^10. Mais d'après les auteurs cette
espèce peut atteindre 1"'50. — Avril, mai, juin.
Observation. — La caouanne ne peut être confondue
qu'avec la tortue franche [Ch. midas Schw. ) Mais, chez celle-ci,
le disque est formé de treize plaques seulement.
ESSAI SUR LA FAUNE ERPÉTOLOGIQUE DE L'ORANIE 255
Distribution géographique. — La caouanne se trouve sur
toute l'étendue du littoral barbaresque. Les grandes plages
oranaises sont très fréquentées par ce chélonien.
Éthologie. — La caouanne vit en pleine mer ; elle ne
s'approche des côtes qu'au printemps, au moment de la ponte-
La nuit elle débarque sur les plages où elle enfouit ses œufs.
Pendant le jour la caouanne se tient en pleine mer où, aux
heures de forte chaleur, elle s'endort en se laissant doucement
flotter sur les eaux. Lorsque les pêcheurs la surprennent, ils
la saisissent par une des pattes de derrière et la précipitent
dans leur barque en la retournant vivement sur le dos.
Utilité. — La chair de la caouanne est bonne à manger.
Avant de la faire cuire il faut la débarrasser de l'huile qui l'im-
prègne en pressurant la viande découpée en tranches.
Genre SPHARGIS Merr.
Caractères du genre. — Carapace très allongée non
écailleui^e, recouverte cV une peau coria^'c, tuberculeuse chez les
jeunes sujets, lisse chez les adultes. Pattes sans ongles. Dos par-
couru par sept carènes qui le divise^it en six larges gouttières
longitudinales.
Ce genre ne renferme qu'une seule espèce:
4. Sphargis coriacea Gray
La tortue luth
Sphargis coriacea (Testudo) Rond., Strauch, Lall., Ern. Oliv.
Caractères. — Les mêmes que ceux du genre.
Cette espèce, facilement reconnaissable aux caractères énu-
mérés ci-dessus, habite la Méditerranée où elle a été très rarement
capturée. Aussi est-elle peu connue des naturalistes. Sa taille
est colossale. Un exemplaire a été pris sur la plage de la baie
d'Arzew vers 1885. Sa carapace, d'après Monsieur Bouty,
contrôleur des Mines quia vu l'animal, mesurait 2^50 de long
sur 2 mètres de large.
256 ESSAI SUR LA FAUNE ERPÉTOLOGIQUE DE L'ORANIE
Ordre des Sauriens
Caractères de l'ordri'. — Corps allongé, laccrlifonne,
serpenù forme ou même vermiforme. Peau écailleusa ou tuber-
culeuse, parfois chagrinée, rarement lisse. Toujours des
plaques ou des granulations écaillexvses sur la tèle. (Jualre
pattes; quelquefois deux ou pas. Pénis généralement double.
Animaux ovipares ou ovovivipares.
La bouche non dilatable et l'existence d'un sternum articulé
distinguent nettement les sauriens des opliidiens.
Caractères de classification des sauriens. — Les prin-
cipaux caractères dont on tire parti pour la classification des
sauriens sont : le nombre de membres ou leur absence ; la
forme des doigts et celle de la langue; la nature del'écaillure;
la forme, le nombre et la disposition des plaques ou des tuber-
cules de la tète; etc.
Généralités. — Les lézards ont ordinairement quatre pattes
bien conformées : on dit alors que leurs corps est lacertiforme.
Si les pattes sont atropbiées, si leur nombre est réduit à deux
ou si elles manquent, le corps tend à devenir et devient
cylindrique : on le dit alors serpentiforme.
Il est parfois difficile de séparer un lézard serpentiforme
d'un serpent. Les lézards se distinguent par les séries multi-
ples d'écaillés ventrales, par leur langue épaisse, par leur
bouche non dilatable et enfin par la présence d'un sternum.
Les amphisbéniens font exception, car ils ne présentent pas
tous ces caractères: ils manquent de pattes et de sternum; leur
peau est nue. Seules les plaques de la tête et la bouche non
dilatable les font ranger dans les sauriens.
Les sauriens n'ont généralement pas de dents au palais. Les
dents maxillaires varient dans leur forme et dans leur mode
de fixation.
On appelle acrodontes les lézards dont les dents sont
implantées sur la crête des mâchoires. Dans ce cas les dents
ESSAI SUR LA FAUNE ERPÉTOLOGIQUE DE L'ORANIE 257
sont lo plus souvent triangulaires, contiguës et peu épaisses
dans lo sens transversal. {Caméléon, agame, tarante).
On appelle pleuvodonles ceux dont les dents sont logées
dans une large rainure de la mâchoire et appliquées par le
côté externe contre le maxillaire. Ces dents (pii sont cylindri-
ques ou cylindi-o-coniques, ou irrégulièrement épaissies, ont
leur extrémité arrondie obtuse. {Gongyliis, Eumeces).
On appelle cœlodontes ceux dont les dents sont logées dans
une étroite rainure de la mâchoire et appliquées par le cùté
sans trop d'adhérence. Ces dents sont canaliculées et le plus
souvent aiguës. {Lézard ocellé, tropidosaurc, acantliodactyle}.
D'autres subdivisions ont été basées sur la forme de la
langue. Les Crassilingues ont la langue large et épaisse ; les
Brévillngues Vont courte, étroite et échancrée; les Fissilingues
l'ont mince, longue, fourchue, comme chez les serpents, mais
non protractile ; les Vermilingues enfin l'ont très longce,
fine, renflée, visqueuse, à son extrémité, très protractile.
Ce sont surtout les téguments qui fournissent les princi-
paux caractères pour la distinction des espèces. On peut les
diviser en trois catégories : 1° ceux de la tête ; 2" ceux du dos ;
3° ceux du ventre.
i° La tête. — La tète est presque toujours couverte de
plaques cornées larges et symétriques. Chez les crassilingues
et les brévilingues ces plaques sont remplacées par des
tubercules écailleux disposés avec plus ou moins de symétrie.
Les plaques de la tête ont reçu des noms particuliers. Du
bout du museau à l'arrière on y distingue : la rostrale, les
nasales, les préfrontales^ la frontale, les fronto-pariétales, les
pariétales, l'occipitale, etc. On trouvera dans la PI. II des
figures qui suppléeront avec avantage à toute description.
2° Le dos. — Le dos est recouvert d'écaillés appelées
dorsales, qui sont plates ou carénées, de dimensions variables,
souvent entuilées. Chez certaines espèces, ces écailles sont
réduites à des granulations contiguës.
3" Le ventre. — Les plaques du ventre, appelées ventrales,
sont presque toujours plus grandes que celles du dos. Elles
sont unies. Plus larges que longues, elles affectent le plus
258 ESSAI SUR LA FAUNE ERPÉTOLOGIQUE DE L'ORANIE
souvent la forme d'un rectangle ou d'un parallélogramme à
angles abattus. Parfois le bord est arrondi. Leur disposition
est caractéristique : elles forment des lignes droites, longitu-
dinales et parallèles dont le nombre varie avec les espèces.
Doigts. — On a établi plusieurs coupes génériques d'après
la forme des doigts et d'après celle de leur écaillure inférieure.
Les doigts sont ronds, plats, bordés, marginés, dentelés, etc.
Sexes. — Le mâle se reconnaît souvent au renflement
plus ou moins prononcé de la base de la queue. Chez les
lacertiens ce caractère est très visible. Il l'est peu chez les
scincoïdiens. Chez le caméléon il est assez sensible, mais
seulement en dessous. Au moment du rut les pénis sont
gonflés et la grosseur est bien plus accentuée.
Pour reconnaître un mâle dont le renflement n'est pas
caractérisé il suffit de presser entre les doigts la base de la
queue. Toutefois chez les scincoïdiens ce résultat ne s'obtient
pas facilement. Dans cette famille la base de la queue n'offre
pas de grandes différences chez les deux sexes.
La femelle a la base de la queue arrondie, s'amincissant
insensiblement jusqu'à la pointe.
Pour l'accouplement, le mâle saisit avec sa gueule la femelle,
le plus souvent par la ceinture à l'angle de U cuisse ; ensuite
il replie la moitié postérieure du tronc de façon à mettre les
cloaques en contact. La femelle en facilite le rapprochement
par un mouvement de torsion.
Les lacertiens sont ovipares ; les scincoïdiens, ovovipipares
en général. Les œufs sont enfouis ou déposés dans un endroit
sec, abrité, mais chauffé par les rayons du soleil. Leur coque
est parcheminée.
La ponte et l'éclosion ont souvent lieu la nuit. Aussitôt que
les petits sont éclos ils sont libres de toute tutelle et courent à
la recherche de leur nourriture.
L'ordre des sauriens est représenté en Berbérie par huit
familles, dont voici le tableau :
KSSAI SUR LA FAUNE ICRPKTO LOGIQUE DE l'ORANIE 250
Sauriens. - TABLEAU DES FAMILLES
Dessus de la tête couvert de grandes
j plaques symétriques semblables à
cellesdes couleuvres. (Type: Zezard
ocellé). PI. IL 2
i Dessus de la tête dépourvu de grandes
f plaques symétiiques, mais portant
! généralement des tubercules
\ écailleux. (Type : tarente). 6
' Corps vermiforme à peau nue, divisée
\ en anneaux. Pas de pattes.
1 Famille des Amphisbéniens.
\ Corps recouvert d'écaillés. 3
( Corps lacertiforme. 4
( Corps serpentiforme. Des pattes ou pas. 5
Écailles ventrales semblables par leur
! forme aux dorsales ; toutes nette-
ment imbriquées. Cou non dis-
tinct. (Type: gongrjle).
Famille des Scincoïdiens (ex p.)
4. ( Écailles ventrales bien différentes par
leur forme des dorsales. Cou net-
tement marqué par un rétrécisse-
ment, et souvent, en dessous, par
un collier. (Types : lézard ocellé,
tropidosaure). Famille des Lacerticns.
Écailles disposées en anneaux faisant
paraître le corps comme cerclé, les
ventrales plus larges que longues ;
un pli ou un sillon longitudinal
au milieu de chaque liane. Pas de
membres ou membres réduits à
des appendices peu visibles.
5. j Famille des Chalcidiens,
260 ESSAI SUR LA FAUNE ERPÉTOLOGIQUE DE L'oRANIE
( Écailles ventrales semblables aux dor-
sales, imbriquées. Pas de sillon ou
de pli longitudinal. Des pattes ou
pas. (Types : seps, orvet).
Famille des Scincoïdiens (p^'- p).
6.
Yeux très saillants, enchâssés dans une
paupière unique, conique, ne pré-
sentant qu'un petit trou. (Type :
caméléon).
Famille des Caméléoniens.
Yeux de forme ordinaire.
■ Paupières rudimentaires ; œil toujours
i ouvert (Type : tarente).
\ Famille des Geckotiens,
Paupièresbien conformées, recouvrant
l'œil. î
Animaux de très grande taille à tronc
fusiforrne, à tête allongée pyrami-
dale, à queue deux fois aussi lon-
gue que le tronc. Peau cerclée
par des écailles granuleuses non
imbriquées.
8. ( Famille des \arsLniens.
Animaux de taille variable ; à corps
aplati, à tête à contour triangu-
laire ou pentagonal. Peau recou-
verte d"écailles imbriquées.
Famille des Iguaniens.
(A suivre).
F. DOUMERGUE.
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Fig, 3
Fig. 1
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Fig. 2
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Fig. 1
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ro.strale.
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internasale.
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préfrontalcs.
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fronto-pariétales.
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interpariétale.
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pariétales.
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formé de sus-ocu
laires.
,t/.^
supra ciliaires.
.?'•
granules sup. ciliair
//'
tempo pariétales.
Fig. 2
psns postnasaie super'
inférieure
narine,
frênaie,
préoculaires,
supra labiales antér *
» posté 1 ■
sous-oculaire.
mentonnière.
labiales inférieures.
inframaxillaires.
gulaires .
région temporale.
tympan.
Fig. 3
pli gulaire.
épaule.
ais.selle.
série ventrale mé-
diane.
série ventrale mo-
yenne.
0- série ventrale mar-
ginale.
Fig. 4
prrn pl.iquc préanalc.
■>(/ squames préanalcs
/'/ pores fémorau.x.
(I anus
>■-(■ sons-caudales.
Lacerta Ocellaia, var. pater.
Croquis montrant les diverses plaques de l'enveloppe tégutiientaire
TVOTES
sur les Divers Tracés de Chemin de Fer Transsaharien
EN ÉTIDE EX ALGÉRIE
CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES
a Dessiner, sur une carte, un réseau de chemins de ter en se
» donnant, à. priori, pour conditions, que toutes les mailles en
» soient également serrées, et procéder, ensuite, à l'exécution
y> de ces lignes, est commettre un véritable gaspillage de la
» fortune publique, s'il n'est pas permis, d'ores et déjà, de
» compter sur un courant sérieux de voyageurs et de mar-
» chandises. »
Telle est l'opinion de M. de Lapparent, ingénieur des Mines,
exprimée dans un ouvrage technique qui a pour titre : « Le
siècle de fer » (Savy, éditeur. Paris.)
C'est sous les auspices de ce principe indiscutable que je
place le présent travail. Jamais circons'ance n'avait été plus
opporlune.
Il y a aujourd'hui 18 ans, je fus délégué, par la Société de
Géographie d'Oran, au Congrès de V Assocïalion française
pour l'avancement des sciences, dont les assises se tenaient
ici-même, c'est-à dire, à Alger. J'avais reçu mission de faire au
Congrès, une communication sur un projet de chemin de ter
Transsaharien par l'Ouest de la province d'Oran ; projet dont
notre Société poursuit la réalisation depuis sa tondation, en
1878.
La vérité m'oblige à dire que l'insuccès fut complet; ce
projet ne sollicitait aucun intérêt, disait-on; il fut traité
d'utopique et fut relégué dans les futurs contingents,
8
202 tracf:s de chemin de fer transsaiiarien en étude
Je cite ce fait pour démontrer, une fois de plus, combien
l'on était encore en France, ignorant des conditions nécessaires
d'avenir de la grande colonie algérienne.
Eh bien, cinq années à peine après le Congrès, une amorce
de 454 kilomètres de longueur formait la première section de
cette voie utopique, et la locomotive faisait entendre son silîlet
strident, au seuil même du désert : le point terminus provisoire
était arrêté à Aïn-Sefra.
La Société de Géographie a le droit d'être fière de son
œuvre; seule, elle a lutté énergiquement, malgré l'indifférence
de ceux qui auraient dû l'aider dans cette œuvre patriotique,
qui intéresse l'Algérie en général et notre département en
particulier.
Aujourd'hui, par suite de circonstances qu'il est inutile de
rechercher, l'utopie s'est évanouie, et deux tracés concurrents
visent, eux aussi, TExtrême-Sahara. Et c'est grâce à cette
compétition jalouse que le prolongement de notre première
section arrive à peine à Djenien Bou-Resg; soit, 96 kilomètres
seulement au-delà d'Aïn-Sefra.
Les deux voies concurrentes sont :
l^Le tracé oriental, ayant Philippeville pour point de départ
et Biskra pour terminus actuel, puis, le Tchad ;
2° Le tracé central, dont la tête de ligne serait Alger et le
terminus actuel Berrouaghia, mais visant le Tchad, avec
une variante sur le Touat.
Je me propose de faire ressortir le caractère de possibilité
et d'opportunuité de chacun des trois tracés en présence.
Pour rester dans le cadre des considérations générales, je
dirai, tout d'abord, que dans les études de voies ferrées, il est
un certain nombre de considérations techniques de la valeur
desquelles dépend le succès ou l'insuccès de l'entreprise, mais
bien souvent négligées dans les études préparatoires. On vise
un but, on s'inquiète médiocrement des voies et moyens à
mettre en œuvre pour la réussite.
« Un chemin de fer, dit M. de Lapparent, dans l'ouvrage
« cité plus haut, est un appareil qui fait circuler la sève
(( industrielle à travers toutes les parties du même territoire;
« mais cette sève, les voies ferrées ne la créent pas, elles se
TRACÉS DE CHEMIN DE FEU TKANSSAUAUIEN EN ÉTUDE 2(33
« bornent à la recueillir; s'il est certain qu'elles facilitent
« l'expansion en lui ouvrant des débouchés, il ne dépend pas
« d'elles, par leur valeur propre, de les faire naître là où il
« n'existe pas de germes. . . »
On ne saurait parler plus judicieusement.
Je diviserai mon travail en trois parties principales ou
chapitres, qui seront subdivisés en paragraphes ;
Chapitre 1". — TRACÉ OCCIDENTAL
§ 1^''. — Travaux de substruction et d'art;
§ 2*=. — Exploitation technique;
§ 3«. — Conditions économiques.
Chapitre 2«. - TRACÉ ORIENTAL
§ l"^''. — Travaux de substruction et d'art;
§ 2e. — Exploitation technique;
§3'^. — Conditions économiques.
Chapitre 3^ — TRACÉ CENTRAL
1^
2lj4 TRACES 1)K CUEMIN DK lEU l'RANSSAUAUlliN KN ÉTL'DK
CHAPITRE PREMIER
TRACÉ OCCIDENTAL
§ f . — Travaux de Substruction et d'Art
PREMIERE PARTIE
Pour résoudre le premier terme, il est absolument
indispensable de connaître, aussi exactement que
possible, la description topographi(iue du pays à
traverser, afin de permettre l'étude du tracé en
direction, d'en déduire le profil en long, les profils en
travers et la forme des courbes. On obtient, ainsi, une
approximation suffisante du mouvement des terres et
des travaux d'art. En dehors de ces éléments, toute
base d'évaluation, même approximative, lait défaut, et
ou s'expose à de cruelles déceptions économiques.
C'est alors le vrai gaspillage dont parle M. de Lapparent.
La C'*^ P.-L.-M. a fait la coûteuse expérience
de cette insuffisance d'études, dans l'exécution du
réseau algérien. Pour certaine ligne, la dépense
concernant les travaux de substruction a doublé.
Pour le tracé qui nous occupe, je signale d'abord, au
point de vue topograpliique, cette circonstance parti-
culièrement favorable, qu'à partir d'Aïn-Sefra, et
jusques au-delà du Touat, tout le pays dépend, pour
ainsi dire, du bassin hydrographique nigérien; ce point
est important à noter, il permet, d'ores et déjà,
d'émettre cette opinion, que les dépenses de terrasse-
ments et la construction des travaux d'art seront ré-
duites à leur minimum.
TRACÉS DE CllKMlN DE FER TRANSSAIIARIEN EN ÉTUDE ?65
Je (lois (lii'(\ lie suite, ([ue le type de voie adopté, est.
le même que celui d'Arzew à Djenieii bou Resg ; o'est-
à-dire : la vole de un mètre de largeur entre raills.
L'ensemble du tracé formera deux parties; la pre-
mière, embrassera l'espace d'Oran au Touat, elle
comprendra trois sections :
l'' D'Oran à Djenien bou Resg ;
2'- De Djenien bou Resg à Igli ;
3« D'Igli au Touat.
La deuxième partie ti-aitera du Touat au Niger.
l'« SECTION
D'Oran à Djenien bou Resg
Cette section est exploitée, depuis plusieurs années,
d'Oran à Aïn-Sefra et de cette dernière station à Djenien
l)Ou Resg, rexi)loitation sera ouverte sous peu.
2« SECTION
De Djenien bou Resg à Igli
A puilir de Djenien ])ou Resg, la voie ferrée suivra la
rive gauche de l'oued Dermel et se dirigera, par Kreneg
es Zoubia, vers Aïn-Sefra de Figuig, laissant cette
oasis à l'ouest pour éviter toute difficulté diplomatique
avec le Maroc ; elle descendra, ensuite, la vallée de
l'oued Zousfana, passant par Ben Brahim, Ksar el
Aroudj, El Mangar, pour atteindre Igli, ksar très
important, construit au confluent de l'oued Zousfana
et de l'oued Ghir, rivières courantes, dont la réunion
constitue l'oued Messaoura.
Jusques là, et sauf quëbiues travaux d'art d'imijor-
tance secondaire surl'oued Dermel et l'oued Zousfana,
le tracé ne rencontre aucune difficulté technique, car
le pays est plat et légèrement saljleux.
Il est permis de croire, d'ailleurs, que le service des
Ponts-et-Chaussées possède, sur cette région, des
266 TRACÉS DE CHEMIN DE FER TRANSSAHARIEN EN ÉTUDE
données suffisantes pour pouvoir en entreprendre la
réalisation rapide et économique. Il est donc inutile
d'aller plus loin dans cet ordre d'idées.
La construction de ce premier tronçon de voie
transsaharienne par l'Ouest Oranais s'impose à tous
les points de vue. Si notre influence n'est pas prépon-
dérante dans cette région ; si nous ne nous établissons
pas solidement à Igli, le Tafîlalet, pays riche et pro-
ducteur, et aussi très peuplé, sera perdu pour nous à
tout jamais. Les Anglais chercheront à atteindre Igli
avant nous par le Dra, et alors, tout accès dans le
Touat et jusques au fond du Niger nous sera interdit.
Dans ces conditions désastreuses pour notre politi-
que, la voie ferrée actuelle d'Oran à Djenien bon Resg
deviendra inutile, elle sera une charge budgétaire
sans compensation, un vrai gaspillage.
Quant au Maroc, entouré par les Anglais et n'ayant
avec nous que quelques rares points de contact sans
valeur, nous devrons forcément renoncer à toute
extension de territoire de ce côté.
J'ai entendu développer cette thèse d'une façon très
logique et très concluante; et le gouvernement, qui
aura l'heureuse chance de résoudre le problème posé
dans la Sra^- section du transsaharien, aura droit à la
reconnaissance de la France et de l'Algérie, car la
continuation de notre influence sur le Touat s'opé-
rera comme par surcroît.
La longueur de ce tronçon sera de 250 kilomètres
environ.
3« SECTION
D'Igli au Touat
Il convient maintenant de s'occuper de la 2" section,
comprise entre Igli et le Touat.
A partir d'Igli, la voie ferrée transsaharienne descend
la vallée de l'oued Messaoura, au milieu de laquelle
elle développera son ruban d'acier, elle passera par
Khersas, Ksabi, Béni Araram, Zaouia Kounta, ksours
TRACÉS DE CHEMIN DE FER ÏRANSSAIIARIEN EN ÉTUDE 267
principaux, placés au milieu de groupes d'autres
ksours dépassant, ensemble, le nombre de 185, et
entourés de véritables forêts de dattiers. Elle arrivera,
enfin, à TaonrirI, en i>lein Touat, après avoir suivi un
développement de î-rjO kilomètres,
A l'Est, et au (lr(jit de Kersas, est le groupe considé-
ral)le du Gourara, oasis formant un total de 114 villages
ou ksours ayant, pour villes principales : Timimoun,
Tiberkamin et Deldoul ; ce dernier ksar se trouvera à
80 kilomètres tout au plus de la voie ferrée.
Il est important de ncjter ici que, avant l'insurrection
de Bon Amama, un négociant de SaïdiH avait créé des
relations commerciales importantes avec le Gourara.
A l'Est encore de la voie, au droit de Taourirt, et
à 100 kilomètres de distance, on entre en plein dans
le Tidikelt, comprenant 51 ksours dont le principal
est Timagden, puis Akabli, un peu plus loin, à l'Est.
En fait, toute la troisième section est animée, depuis
Igli, par une population de 459.300 habitants, dont
M. Sabatier, ancien député d'Oran, a fait le classement
ethnographique par rapport aux diverses castes et aux
différences d'origine qui distinguent cette population.
Ce pays a été parcouru, à pied, par René Caillé et
Gérard Rholfs ; ce dernier a dénombré et relevé la
position des divers ksours. Le colonel Daumas et
le général de Coiomb ont complété les renseignements
fournis par ces premiers explorateurs. M. Burin, chef
du bureau ara])e de Géryville, et M. le colonel Golonieu.
commandant supérieur du cercle de Géryville, sont
descendus jusques à Timimoun.
Le pays est plat, le sol facile, pas de travaux d'art
sérieux.
Conclusion : pas de difficultés techniciues pour la
première Partie du tracé.
Une autre source d'information a été fournie par
les caravanes qui partent, annuellement, des Hauts-
Plateaux oranais, et qui vont trafiquer jusques au
Gourara et au Touat. L'elfectif de ces caravanes est
considérable : je donnerai plus loin des détails
circonstanciés.
268 TRACÉS DE CHEMIN DE FEU TRANSSAHARIEN EN ÉTUDE
Incontestablement, le tracé Oriental, dont je m'occu-
perai plus loin, ne présente rien de pareil, rien de
si avantageux, bien au contraire.
Si je récapitule les distances qui séi)areront Oran du
Touat. j'aurai, savoir :
Première Section. — D'Oran à Djenlen hou
Resg, partie en exploitation .550 k.
Deuxième Section. — De Djenien boa Resg à
Igli, partie dont l'étude est entreprise 250
Troisième Section. — D'Igli au Touat, partie
sur laquelle on possède des données suffi-
santes pour un avant-projet 160
Total 1.260 k.
DEUXIEME PARTIE
Du Touat au Niger
Au Sud du Touat, l'oued Messaoura s'enfonce dans
les sables de l'Erg lequel borne, à l'Ouest, leTanesrouf.
On possède, sur ces régions, des indications ayant une
certaine valeur. MM. Pouyanne, ingénieur en chef des
mines à Alger, et Sabatier ont recueilli d'une foule d'in-
formants, indigènes ou soudaniens, des renseigne-
ments précieux que ces messieurs ont soigneusement
coordonnés. Le commandant Déporter et le capitaine
Bissuel ont fourni également un certain contingent de
recherches. M. Sabatier est. d'ailleurs, un savant arabi-
sant, connaissant à fond les idiomes arabe, kabyle et
berbère ; il a compulsé toutes les publications sorties
de la plume des grands explorateurs : René Caillé,
Barth, Gérard Rholfset autres. La Carte qui accompa-
gne son ouvrage est un document géographique judi-
TRAC.1':S r»K CIIKMIN DK 11:H lit A NSSAH AUIEN EX É'IL'DE 2(j'J
c'ieuseinent préparé et dont la précisiiMi n'a pas encore
été dépassée.
De sorte (lue. on est en mesnie. dès aujniird'hni, de
pouvoir esqnisser, à grands traits, une sorte de re('<)n-
naissance préparatoire suffisante, pour justifier la
possibilité d'atteindre le Niger, sans avoir à vaincre
des difficultés techni<ines trop grandes, tout en
possédant, sur les pays traversés, des indications
économiciue>; et ethnographiques précieuses.
Deux eml)rancheinents peuvent être dirigés sur le
Xiger : l'un, visant Tossaye, au coude oriental de la
grande boucle: l'autre. Timbocktou.
Le premier em])ranchement aurait pour étapes
principales : Tin Tenaï. Ain Arlal, Tfiuok sur l'oued
Teghazrt, Timissao, Es-Souk ....
La deuxième. rencontreraitOuallen.Dizize, Inrhaman
sur l'oued Temarrasset, puis l'Adrar, l'Azaouat et le
Taganet, finalement, Timbocktou. M. Sabatier a donné
une intéressante description de ces peuplades.
A tout prendre, ce dernier tracé est préférable, depuis
l'occupation, par nos troupes, de cette importante et
ancienne cité, et à raison de l'influence que nous
finirons par exercer sur la confédéra.tion des Touareg
Aouellimmiden.
D'ailleurs, on pouri.i descendre le Niger jusques
à Say, lie manière a pouvoir prendre sous notre pro-
tection, le cas échéant, les nomjjreuses populations du
Saberma, de l'Adar, le Gober, l'Air et le Damergou
jusques à Baroua, sur les bords du Tchad.
Evidemment, ce ne sont là que des indications
sommaires, et il n'est jamais entré dans mon esprit
cette idée que l'entreprise de la deuxième Partie du
Transsaharien de l'Ouest exigerait une réalisation
immédiate : ce ne sera que longtemps après notre
installation dans le Touat, lorsque l'influence française
régnera dans les régions Nigériennes, dont M. Sabatier
nous monti-e le brillant avenir qui les attend ; c'est,
enfin, lorsque nous serons pourvusderenseignements
topographiques et économiques suffisants que des
études définitives pourront être entreprises.
270 TRACÉS DE CHEMIN DE FER TRANSSAHARIEN EN ÉTUDE
Le développement de cette deuxième Partie
du tracé serait de 1 . 140 k.
Reportant le total de la première Partie. . . 1 .260
On aura la longueur total d'Oran au Xi^er . 2. iOO k.
§ 2. — Exploitation technique
Ce point est spécial au mouvement des trains et,
surtout, à l'alimentation en eau des chaudières des
locomotives motrices. Il pourrait être traité sous le
titre de conditions hydrologiques des pays traversés.
Cette question de l'alimentation des chaudières pour
la voie Transsaharienne présente une importance
capitale, parfois exclusive de tout succès.
En France, comme aussi dans les autres contrées
derEurope,ainsiqu'en Asieeten Amérique, la question
hydrologique n'a qu'une importance très secondaire.
Généralement, les voies feirées trouvent partout et
aljondamment dès eaux de honne qualité, parce qu'elles
traversent des pays parfaitement arrosés par des
fleuves et des rivières. Des prises, des dérivations
d'eau y sont faciles. En outre, on se trouve au milieu
de pays civilisés; personne ne menace les ouvrages
hydrauliques créés pour l'alimentation des machines
à vapeur, sécurité qui n'existera pas dans certaines
régions du tracé Oriental.
Il n'en est pas de même ici, et le cas est al)solument
exceptionnel, dans les vastes régions désertiques,
caractéristiques du grand Sahara Africain. Dans ces
vastes régions, très sahleuses, il n'existe aucun cours
d'eau, depuis les crêtes méridionales du grand Atlas
jusque au 15^ parallèle, sauf la petite gouttière de
l'oued Messaoura, et peu ou pas de sources ; de rares
puits primitifs, souvent détruits par les nomades,
mais fournissant génénéralement deseaux lourdement
chargées de sels calcaires et magnésiens.
TRACliS OE CHEMIN DE FER TR.VNSSAII.VRIEN EN ÉTUDE Î71
Les pluies sont très rares, d'ailleurs, entre le 20" et
le 30'' parallèles.
Or, les eaux ti'op saturées d'éléments calcaires, in-
crusteront rapidement les chaudières des locomotives,
et des accidents très graves pouront se produire de ce
fait. Se figure-t-on un train resté en panne, en plein
désert, par suite d'un accident de machine?— Il en
résultera, dans tons les cas, de coûteuses réparations
d'entretien du matériel roulant.
Cette appréciation est basée sur ce fait, qu'à Oran,
les C'es de chemins de fer P.-L.-M. et de l'O.-A.,
n'emploient, pour éviter des accidents de chaudières,
que de l'eau de la source Raz-el-Aïn. de préférence à
celle des sources de Brédéah, excellente cependant
pour les usages domestiques ; mais que l'on rejette à
cause de ses propriétés incrustantes.
Or, l'eau de Raz-el-Aïn renferme par
litre 0^560 de sels
Et celle de Brédéah 0 8-771 id.
Sans doute, ceci n'a rien d'absolu, et, le cas échéant,
on peut faire usage d'eaux titrant un chiffre de sels
plus élevé; mais il est des limites qu'on ne saurait
dépasser, et j'ai tenu à mettre ce fait en relief, pour
prouver que la question liydrologique doit jouer un
grand rôle dans un i»i'ujet d'établissement de voie
ferrée.
Quoi qu'il en soit, pour le tracé qui nous occupe,
rien n'est à craindre dans cet ordre de faits; en voici
la raison :
Sur tout le parcours, et jusques à Taourirt, l'eau est
abondante et de bonne qualité. L'oued Ghir, cité
déjà du temps des Ptolémée comme le plus grand fleuve
saharien, alimente, ainsi que je l'ai dit plus haut, la
grande vallée de l'oued Messaoura jusques au fond du
Touat : il descend du versant méridional du grand
Atlas marocain, et est produit par la fonte des neiges et
des glaciers qui en couronnent les cimes. Vers le prin-
temps, au moment de la fonte des neiges, l'oued Ghir
débordé, prend l'aspect de la Loire, selon l'expression
Zii TBACES DE CHEMIN DE FER TRANSSAHARIE.X EN ÉTUDE
des militaires qui faisaient partie de l'expédition du
général de ^^'impfen. à Aïn-Cliaïr, c'est-à-dire en plein
Tafïilalet, en 1870. Ce sont ces mêmes eaiix accumulées
dans le sous-sol sableux de la vallée, qui arrosent les
palmiers et alimentent les nombreuses populations
de cette grande région.
Voici, d'ailleurs, l'opinion de M. l'ingénieur en chef
des Mines, Pouyaune :
« Il n'y a certainement aucun obstacle à aller d'Oran
« au fond du Toual: cette route offrant excellent profil
(( et eau abondante, évitant, d'ailleurs, toute dune de
« sable ...»
La question hydrologique pour la première Partie du
tracé Occidental est donc résolue favoral)lement.
§ 3. — Conditions économiques
Ce paragraplie sera divisé en deux articles :
1" DÉPENSES DE r.ONSTRUCTION.
!2o Exploitation générale.
1" DÉPENSES DE Construction. — J'ai dit. déjà, ({ue la
deuxième section du tracé, soit, depuis Djenien bou
Resgjusques à Igli, ne comportait aucune difficulté
technique : tout se ])ornet a à la pose de la voie et à
l'exécution de quelques travaux d'art ; pas de terrasse-
ments notables ni de terres dures, pas de grands
ravins à franchir. Quant aux gares et aux stations, ces
bâtiments seront édifiés de manière à pouvoir servir
de refuge en cas d'attaque momentanée et en atten-
dant l'envoi immédiat de secours expédiés des postes
permanents établis en divers points stratégiques choi-
sis sur la ligne.
En ce qui concerne l'exécution des travaux, la main-
d'œuvre sera abondante et à bon marché. Pour en
fournir, d'ores et déjà, la preuve, il suffit de signaler
ce fait décisif, que, dans le département d'Oran, les
l'u.vcKs HK i:iii;min dk i i;k tkanssahaiuia i;n ini'in, r,\i
grands travaux publics et i)ai'ticuliei's, sont exécutés
par un contingent considérable d'ouvriers marocains,
venant du Tatilalet, ou bien, par des indigènes origi-
naires du Gourara et même du Touat. Cette main-
d'ceuvre se paie à raison de 2 à 'A fr. la journée. C'est là
encore une des conditions des plus favorables ([u'. m
ne trouvera nulle part.
Aussi bien, il me sera aisé de déterminer le prix de
revient du kilomètre de voie ferrée.
Au surplus, je puis procéder, dans mon estimation,
par la méthode exi)érimentale. selon des i)ases d'ap-
préciation des [)lus solides, établies déjà Ainsi: la
Compagnie Franco-Algérienne, qui a construit la partie
comprise entre Kralfallah et Aïn-Sefra, à dépensé à
peine 50.000 fr. par kilomètre. Bien que les conditions
soient à peu près les mêmes, j'adopterai le chiffre
de 60.000 fr.
Soit, de ce chef, pour une longueur de 250 kilomètres,
entre Djenien bou Resg à Igli, 15.000.000 fr.
Mais, pour faire face à tous les aléa, je fixerai
IG.000.000 fr.
Moyennant cette dépense relativement faible, eu
égard à la grande importance du but patriotique et
économique à atteindre, on pouri^a s'installer à Igli en
deux années de temps. Et, certes, cette durée n'a rien
d'extraordinaire, si l'on songe que le tronçon de Ivrei-
der à Aïn Sefra, mesurant 182 kilomètres, a été cons-
truit en 50 jours.
J'ai fait ressortir, à la page 266, les considérations
politiques et économiques qui nous commandaient
d'agir rapidement et énergiquement à la tète de l'oued
Messoura, je n'y reviendrai pas.
Passons à l'évaluation sommaire de la troisième
section des travaux, c'est-à-dire, d'ilgli à Taourirt; soit,
450 kilomètres de longueur.
Certaines personnes trop timides, ou peut-être trop
ignorantes des conditions qui régissent le voisinage
de notre frontière marocaine, ont exprimé la crainte
que la prise de possession de l'oued Messaoura soit la
27 'l TRACÉS DE CHEMIN DE FER TRANSSAHARIEN EN ÉTCDE
cause de difficultés diplomatiques graves. Cette crainte
me semble tellement puérile, tellement dépourvue
d'énergie, que je ne puis résister à en démontrer l'ina-
nité, en citant quelques-uns des articles du traité con-
clu entre le Gouvernement français et l'Empereur du
Maroc, en 1845, véritable traité de dupes, pour nous.
L'article 4 porte : « Qu'en Sabara il n'y a pas de
» limite territoriale à établir entre les deux pays,
» puisque la terre ne se laboure pas et qu'elle sert de
» pacage aux Arabes des deux empires ».
L'article 6 va plus loin encore :
« Quant au pays qui est au sud des ksours des deux
» gouvernements [Figuig et Iche. . . ksours marocams ;
» Tyoui et Moghar. . . ksours français), comme il n'y a pas
» d'eau et qu'il est inhabitable et que c'est le désert
» i)roprement dit. la délimitation en serait superflue...))
Que peut-on craindre en présence d'un semblable
traité ?
Il ne serait pas prudent de fixer un chiffre de
dépenses au sujet d'une entreprise d'aussi longue
haleine et pour laquelle les éléments de détail font
défaut. Néanmoins, il est à peu près certain que les
difficultés techniques seront réduites. C'est ce que
démontrera, d'ailleurs, une étude sérieuse ultérieure,
qui ne pourra être entreprise qu'après notre installa-
tion à Igli, ainsi que je l'ai dit déjà.
" Cependant, et dans le désir d'avoir une idée générale
des dépenses que nécessitera l'établissement de la
première Partie du transsaharien occidental, je calcu-
lerai l'estimation kilométrique à raison de 80,000 fr.,
soit une augmentation de 33 O/o du prix de la .3^ section.
J'obtiendrai ainsi pour les 450 kilomètres d'igli au
Touat 36.000.000 fr.
que je porterai, à raison des aléa
possibles à 40.000.000
Report de l'estimation de la 2^ section. 16.000.000
Total des dépenses de la l^-^ partie. 56.000.000 fr.
TUAClis DE CHEMIN HE FEU TRAXSSAUAKIEN EN ETUDE X i .j
M. de Lappareiil estime à 00.000 fr. le kilomètre,
en moyenne, de voie ferrée de un mètre de largeur :
c'est le prix dr i-evient en France. Mais il convient
de noter «lu'en b'rance les frais d'expropriation sont
considérables, tandis qu'ils n'existeront pas en Algé-
rie ; d'autre part, les travaux d'art, les gares, les
stations, sont bien plus importantes dans la métro-
pole et la main-d'œuvre plus chère.
« Le Touat, dit M. Sabatier, placé au carrefour des
» chemins suivis par les grandes caravanes qui vont :
» 1" du Tidikelt à Ghadamès ; '■2° du Figuig et du
)) Gourara au Touat et àTimboktou : 3" du Khezas au
» Tafilalet ; 4" du Gourara vers le Sud Oranais et aux
» Béni M'zab, le Touat sera le centre d'un mouvement
» commercial considérable dont profitera la voie
» ferrée )>.
J'estime que personne ne contestera l'opinion de
M. Sabatier en pareille occurrence.
2° Exploitation générale. — Ce titre s'applique au
trafic dont la voie ferrée sera susceptible, c'est-à-dire,
aux matières et aux produits auxquels elle servira de
canal.
Voyons, d'abord, quel est le chiffre de la population
que le raill-way desservira.
Il résulte des renseignements recueillis par M. Pou-
yanne et par M Sabatier, et résumés par ce dernier
dans son ouvrage déjà cité, que l'effectif des popula-
lations qui seront placées directement sous l'action de
la voie ferrée se divise ainsi :
De Djenien à Igli 608.000 habitants
D'Igli à Taourirt et Insalah 378.173 —
De Taourirt au Niger 923.000 —
Soit 1.909.173 habitants
Populations soudaniennes pla-
cées plus ou moins directe-
ment sous l'action de la gare
terminus 5.132.000 —
Total 7.041.173 habitants
27li TRACÉS DE CIIKMIN 1>E FEU TH.VNSSAIIAKIEN EN ÉlLDE
Nombre de ksours relevés depuis Igli jusques au
Touat, y compris le Gourara et le Tidikelt : 349.
D'autre part, et continuant ces données statistiques,
on peut compter que le nombre de palmiers dattiers
qui ombragent toute la région placée sous l'action
directe de la voie ferrée, dei)uis Igli, a. . . . n. iOO.OOO
Zone placée à 2 jours 1/2 de marche 2.7(JO.00O
Zone placée au-delà et jusques à 8 jours
de marche 3.000.000
ToT.\i 11.100.000
On pourra contester quelques uns de ces chifïres :
mais les réductions qu'on pourra opérer seront sans
influence sensible sur le résultat final.
Selon les déductions de M. Pouyanne, chaque pied
de palmier dattier peut donner une moyenne de
40 kilogrammes de dattes. Les deux premières zones
forment un total de 8.100.000 pieds de dattiers.
J'admettrai seulement 6.000.000 ; soit une production
annuelle en dattes, de 240.000,000 kilog., ou l)ien, en
tonnes 240.000.
M. Sabatier obtient de son côté 320.000 tonnes.
Quoi qu'il en suit, j'admettrai, de conliance avec lui,
pour l'ensemble de rimpr)rtation et de l'exportation
probables, le chiflre de 200.000 tonnes.
11 est inutile de mettre en relief l'importance et la
valeur du fruit délicieux que les dattiers produisent.
Le Gourara et le Touat fournissent des qualités supé-
rieures dont je ne donnerai pas ici le classement
spécifique. Les arabes consomment les qualités ordi-
naires, qui font la base de leur nourriture ; les
supérieures figurent sur les tables opulentes. Quant
aux qualités inférieures, en provoquant la fermenta-
lion de ce fruit essentiellement sucré, on obtiendra
des eaux-de-vie aussi fines, aussi parfumées qu'avec
la canne à sucre.
La datte se vend actuellement depuis 1 fr. jusques à
1 fr. 501e kilogr. pour les qualités supérieures. La voie
TRACF.S DE CHEMIN DE FER TRANSSAHARIEN EN ETUDR 'Z t i
ferrée permettra une réduction de 50 O/o dans les prix
de vente.
Voilà un élément de trafic sérieux.
A ce mouvement d'importation, il convient d'ajouter
celui qui naîtra de l'exploitation des gîtes de nitrate et
de sulfate de potasse qui existent dans la région du
Gourara et au delà, et qui ont été découverts pai
M. Flamand, professeur de minéralogie à l'Ecole supé-
rieure des Lettres, à Alger. On sait que nous sommes
triJ3utaires du Chili pour cette matière, qui constitue
un des éléments indispensable pour l'agriculture, et
dont la France et l'Algérie pourront s'assurer le
monopole.
Quant à l'exportation, on pourra noter les produits
et matières suivants : blé, bestiaux, tissus cotonneux,
quincaillerie domestique, viande sèche, graisse, beurre,
huile, sucre, café, bougies, et surtout le sel, qui fait
absolument défaut dans le Soudan et dont la valeur est
très élevée.
J'ai dit, plus haut, pour justifier l'existence d'un
mouvement coilimercial réel qu'un certain trafic par
caravanes se produisait annuellement entre les popu-
lations des Hauts-Plateaux oranais, et le Gourara et le
Touat. Voici le relevé de ce mouvement forcément
limité à raison de l'exiguïté des moyens dont disposent
nos indigènes. 11 a été relevé sur le journal officiel de
l'Algérie : Le Mohacher, et se rapporte à l'année 1897 ; il
représente une année moyenne :
1
j TRIBUS
1
Hommes
Femmes
et enfants
Chameaux
Moulons
' Ouled Sidi Cheikh
Trafi
200
600
800
50
300
300
600
2.500
4.500
))
1.100
1.100
Ilamians
Totaux
1.600
650
7.600
2.200
278 TRACÉS DE CHEMIN DE FER TRANSSAHARIEN EN ÉTUDE
Je laisse sous silence, faute de documents positifs, le
mouvement qui remonte vers le Tatîlalet ou qui en
descend mais qui doit être très important, si l'on con-
sidère que ce pays est très industrieux et très peuplé.
Le tableau qui précède met vivement un point en
lumière : c'est le nombre de femmes et d'enfants qui
accompagnent les caravanes, témoignage évident delà
sécurité qui règne dans les régions parcourues, et que
font ressortir davantage les massacres et les assassi-
nats qui ont jalonné le tracé Occidental : Mission
Flatters et le marquis de Mores, pour ne citer que
ceux-là.
En présence de ces chiffres, et quelques modestes
qu'ils soient, n'est-on pas en droit d'espérer une
augmentation énorme de ce mouvement initial, grâce
à la voie ferrée ?
Il m'a paru utile de mettre en présence les rapports
qui existent entre l'effectif des populations desservies
par le P.-L.-M, et celles que le Transsaharien intéresse.
Voici ce rapport :
P.-L.-M., longueur exploitée : 2.933 k.
Population desservie : 4.429.173.
Chemin de fer Transsaharien jusques au Touat ;
1.260 k.
Population desservie : 1.909.173.
Je signalerai, seulement pour mémoire, les 5.000.000
de populations soudaniennes.
Fixation du trafic probable:
Selon les relevés méticuleux de M. Sabatier, le total
des importations et des exportations de la mer au
Touat s'élève à 200.000 tonnes, dont moitié sur toute la
longueur du parcours, et moitié de Kreneg es Zoubia
seulement au Touat (J'ai négligé les voyageurs).
Soit, en tonnes kilométriques, pour
la longueur totale : 100.000' x 1.260^ = 126.000.000 1. k.
Du Touat à Kreneg es Zoubia :
100.000' X 660k = 66.000.000 —
En outre, de Figuig au Tatîlalet :
30.000' X 150k zr 4.500.000 —
Total 196. 500.000 1. k.
TRACÉS DE CHEMIN HE FER TRANSSAHARIEN EN ETUDE 279
J'ai déjà réduit notablement le chifïi'e des dattiers
pour faire la part des aléa ; j'ai fait la même opération
pour le calcul des dattes récoltées. C'est le même
sentiment qui m'amène à réduire le chiffre des tonnes
kilométriques à 180.000.000, et à négliger l'exportation.
Appliquant à ce chiffre le tarif le plus réduit de la C'^
P.-L.-M., chemin algérien, soit 0 fr. 15 par tonne kilo-
métrique un obtient comme revenu brut : 27.000.000 fr.
Il reste à déterminer les dépenses d'exploitation.
Actuellement, il n'est guère possible d'établir un
budget exact; ce document doit comprendre, comme
dépenses : d'abord, l'intérêt du capitale et l'amortisse-
ment ; ensuite, les dépenses d'exploitation, d'entretien
et de protection militaire. Ce dernier cliapitre a été
longuement discuté par M. Sabatier : je ne puis que
renvoyer à son ouvrage. Je dirai cependant qu'il évalue
à 2.000.000 fr. les travaux de construction de forts,
hôpitaux, smalas, etc. Plus, pareille somme annuelle
pour vivres, déplacements, entretien, etc.
Au sujet des diverses dépenses d'exploitation, elles
peuvent s'élever à 10.000 fr. le kilomètre au minimum
et à 15.000 fr. au maximum ; adoptant néanmoins ce
dernier chiffre, on aura, comme dépense annuelle :
probable 18.900. 000 fr.
soit, en chiffres ronds 20.000.000
Il y a, comme différence avec la recette
brute 7.000.000
Ce revenu est très rassurant pour l'entreprise.
Je ne prétends pas affirmer que ce résultat sera
atteint dès les premiers temps de l'exploitation ; mais
il est permis d'émettre cette opinion, que la réussite
du projet de chemin de fer transsaharien entre la mer
Méditerranée et le Touat est certain et que l'entreprise
sera productive.
Je reproduis, en terminant mon travail sur la pre-
mière Partie du tracé, les conclusions de M. Sabatier :
(( Nos conclusions très fermes et très réfléchies sont
» que l'établissement d'une voie ferrée, desservant par
280 TRACÉS DE CHEMIN DE FER TRANSSAHARIEN EN ÉTUDE
» l'Oued Messaoura l'intégralité des populations, tant
» nomades que sédentaires des vallées de l'Oued Ziz,
» de rOued Ghir, et de l'Oued Messaoura, s'impose au
)) double point de vue politique et militaire ; que le tra-
» fie serait — marchandises dénombrées en gare de
» Khreneg es Zoubia, quel que soit le point de départ —
» de 230.000 tonnes ; que la ligne de construction
» extrêmement aisée et peu coûteuse, serait assurée
» de bénéfices considérables ; que notre marché d'ex-
» portation y trouverait un déijouché sérieux
» Tel était, d'ailleurs, dès 1880, l'avis d'un Ingénieur
» dont j'ai pu, bien souvent, constater l'esprit positif
» et la grande valeur scientifique : M. Pouyanne )).
-♦ ^i 1 1^ »
TRAGliS DE CHEMIN DE FER TRANSSAHARIEN EN ÉTUDE 281
CHAPITRE DEUXIEME
TRACÉ ORIENTAL
Ce tracé sera examiné, ainsi que je l'ai fait pour l'oc-
cidental, au triple point de vue, savoir :
^ le. — Travaux de sithstniction et d'art.
§ 2*^. — Considération sur Vexploltation tecliniqiie pro-
prement dite,
§ 3'". Considérations économiques ou trafic.
§ 1^'\ — Travaux de substruction et d'art
En ce qui concerne le tracé Oriental, quelles sont les
données topographiques que l'on possède et qui sont
capables de fournir des indications techniques et éco-
nomiques suffisamment précises pour passer, de suite,
à l'exécution des travaux? On peut dire, à priori, que,
sauf pour la section de Biskra à Ouargla, on est très
peu édifié à cet égard.
De Biskra, terminus actuel de la ligne Orientale, à
Ouargla, la voie ferrée développera iOO kilomètres envi-
ron de longueur; il faut noter que Biskra est à '2b0
kilomètres de Philippeville, tète de ligne.
A tout prendre, cette section pourrait se justifier
comme déhouclié du M'zab. D'ailleurs, le pays est bien
connu, il est plat, il ne présente aucune difficulté tech-
nique, pas de travaux d'art sérieux.
C'est à moitié distance de la route, un peu au-delà de
Tuggurth, que se trouvent les palmeraies de l'Oued
R'hir, œuvi'es d'enti'eprises particulières, et qu'arrosent
une multitude de puits artésiens récemment forés.
282 TRACÉS DE CHEMIN DE FER TRANSSAHARIEX EX ÉTUDE
Il est évident qu'un certain mouvement naiti-a du
voisinage des principales villes du M'zab : Guerara,
Berrian, Gardaïa et Metlili ; et aussi, de l'exploitation
des palmeraies de l'oued R'hir.
Mais, ce pays, limité à l'Est et à l'Ouest par les
grandes dunes de l'Erg Oriental et de l'Erg Occidental
ou des Chambaa, tout développement dans ces deux
zones infranchissables est impossible ; et Rhadamès
qui est le marché le plus important et le plus voisin
est tout à fait sollicité du côté de Tripoli.
Au-delà d'Ouargla. vers le Sud, etjusques à Timassi-
nin, on traverse toute une région mamelonnée de fortes
dunes de plus de 350 kilomètres de long, sur une
largeur comprenant plusieurs degrés de longitude. Le
pays est inhabité et, d'ailleurs, inhabitable ; c'est le
désert dans toute sa nudité, tout son horreur, ne lais-
sant entrevoir, si lointaine soit-elle, aucune perspec-
tive d'amélioration ou d'avenir. Les sources y sont
très rares et d'une faible abondance. Mais on semble
compter sur la sonde artésienne pour rafraîchir quel-
ques passages dans le Gassi Mokhanza. Du reste, on ne
possède, à cet égard, que des renseignements très
sommaires sans indications géologiques, lesquelles
sont cependant indispensables pour bien juger de
l'existence souterraines de nai)pes artésiennes. Donc,
le fameux Igargar, cette antithèse absolue de l'oued
Ghir, ne permet aucune espérance.
En réalité, dans toute la région que je viens d'indiquer
on ne rencontre que deux puits : El Biodh, dont l'eau
est détestable, et Timassinin, triste kouba, qu'ombra-
gent quelques palmiers. D'ailleurs, je m'appuie, à cet
égard, sur l'avis de Duveyrier qui a émis cette opinion,
que le peu d'eau rencontrée par hazard, dans le
prétendu lit de l'Igargar, est amère et salée.
A partir de Timassinin, on se trouve en présence du
grand massif Hoggarien, presque infranchissable à
cause des fortes pentes que l'on sait exister d'Amguid
à Amagdor et, quoique moins accidentées, jusques
au-delà de Bir Garama, point où périt le malheureux
colonel Flatters et ses infortunés compagnons.
TRACÉS DE CHEMIN DE FER TRANSSAHARIEN EN ÉTUDE 283
Dans cette longue distoiice de 700 kilomètres, qui
sépare Tiinassin in deBirGarama, on ne trouve de l'eau
qu'à Amguid ; mais on est là en plein pays Touareg, et
personne n'ignore que ces nomades pillards, la terreur
du désert, se sont créés dans le Hoggar, des repaires
inattaquables.
Dans cette situation, de même que dans la précédente,
il n'y a rien : pas de population calme et tranquille
comme celle qui peuple la vallée de l'oued Messaoura,
pas de productions. A qui et à quoi une voie ferrée
pourrait-elle profiter?
Je laisse sans description, et pour cause, toute la
suite du tracé jusques au Tchad. Cette partie de voie
ferrée traversera des régions au sujet desquelles on
n'a d'autres indications que celles fournies par Barth
et quelques autres explorateurs du Soudan qui,
certainement, à l'époque de leurs voyages, ne pensaient
guère aux voies ferrées ni aux conditions de leur
installation.
Des données sommaires qui précédent, on peut
affirmer, à priori, que, depuis Ouargla jusques à Baroua,
soit une distance de 2500 kilomètres, tout le pays est
à peu près inconnu, tant au point de vue topographique
que des ressources qu'il peut posséder. Il n'est donc
pas possilile d'établir un avant-projet indiquant, même
très sommairement, les profils en long et en travers
de la voie ferrée en projet ainsi que les travaux d'art.
A l'égard de ces régions désertiques, M. Sabatier
s'exprime ainsi :
« La faune y est très pauvre ; les fauves, aussi bien
» ([ue l'homme, y meurent de faim. Pas une voix dans
» ces espaces hamadiques immenses, pas un insecte,
« pas même une ombre. Le sol ne paraît y receler
» aucun métal précieux, non plus que aucun combus-
» tible. . . . ))
Quant au relief du pays, point intéressant à considé-
rer à cause des frais énormes de traction motivés par
284 TRACÉS DE CHEMIN DE FER TRANSSAHARIEN EN ÉTUDE
la raideur des rampes et des pentes, il est signalé tout
le long du tracé par les côtes altitudinales suivantes,
vivement accentuées surtout dans le massif Hog-
garien :
Pliilippeville 5 mètres
Constantine 1000 —
Batna 1059 —
Biskra 223 —
Ouargla 96 —
Aïn-Taïba 250 —
Timassinin 375 —
Amgqid 1500 —
Rien de comparable n'existe sur le tracé Occidental.
§ 2^ — Exploitation technique
J'ai dit à la page 270 quelles étaient les conditions
nécessaires, ou mieux, indispensables, pour l'exploi-
tation technique en matière de chemin de fer; elles se
résument dans cette exigence : eau abondante et
dépourvue d'éléments incrustants par rapport au
foyer des locomotives et à leur faisceau tubulaire.
De Bisl^ra à Touggourt, l'eau est abondante et assez
bonne. Au-delà, elle laisse beaucoup à désirer. Ainsi,
à Mraïer, le poids total des sels par litre est de 4^201 ;
Tamerura donne 4^511 ; les eaux qui alimentent
Touggourt possèdent 3^710 ; à Saàda elles renferment
6s896. Quant aux oasis d'Ouargla, visitées en 1863 par
M. Pomel, géologue, et M. Rocard, ingénieur en chef
des Mines, à Oran, ces Messieurs ont trouvé une
proportion considérable de sels par litre d'eau.
La source de Raz-el-Aïn, préférée à Oran par la
G'e P.-L.-M., ne renferme, je l'ai déjà dit, page 271 , que
0s560 par litre.
Voici, d'ailleurs, l'opinion de M. Ghoisy, ingénieur en
chef des Ponts et (Jhaussées, chargé par M. le Ministre
des Travaux publics, de l'étude du transsaharien
TRACÉS DE CHEMIN DE FER TRANSSAIIARIEN EN ÉTUDE 285
oriental: « L'ean de ces diverses régions, mallienrense-
» ment, est médiocre ; les européens s'y lial)itueront
» avec peine ; elle incrustera vite les chaudières. ... •».
Depuis Ounrgla jusques à Timassinin, en négligeant
El Biodli, dont l'eau est très saumâtre, on ne rencontre
pas la plus petite source, i)as de puits. MM. Rolland
et Philibert, dit M. Sahatier, espèrent, grâce à la sonde
artésienne, découvrir quelques nappes souterraines. •
Mais cette espérance est bien incertaine, bien loin-
taine ; car on ne connaît rien sur la constitution
géologique du pays, ni quelle sera la qualité de l'eau
obtenue.
A Amguid, petite station à 250 kilomètres de Timas-
sinin, il y a un puits assez abondant ; 100 kilomètres
plus loin, on en rencontre un autre, celui d'Inzinan
Tikhsin ; 300 kilomètres au-delà, on atteint le puits de
Bir Ghrrama, terminaison fatale de la malheureuse
mission Flatters. Enfin, Asiou, sur l'oued Tefassaset,
est à 250 kilomètres de Bir Gharama.
Mais on ne connaît rien sur le débit de ces divers
puits, ni sur la qualité de l'eau qu'ils peuvent four-
nir. Il est possible, d'ailleurs, que la se])kha s ilée
d'Amagdor, située à moitié distance d'Amguid et de
Bir Gharama, transmette de sa salure aux terrains
environnants.
Enfin, on rencontre, plus loin, le pays d'Aïr, dont la
capitale est Aguadès, puis le Damergou, finalement, le
Tchad, à Barroua. Ces dernières régions sont à peu près
inconnues; assez peu, toutefois, paur juger qu'il serait
très imprudent de fonder sur elle un projet quelconque
de raill-way.
M. Leroy-Beaulieu a cité réta])lissement de voies
ferrées dans l'Asie centrale, en Australie, en Egypte
dans la vallée du Nil, pays inhabités, dit-il; il n'a pas
indiqué dans quelles conditions hydrologiques se
trouvent les contrées traversées.
Résumant les différentes sections du tracé Oriental
au point de vue hydrologique on a :
286 TRACÉS DE CHEMIN DE FER TRANSSAIIARIEN EN ÉTUDE
De Pliilippeville à Biskra, ligne exploitée . . . . 289 k.
De Biskra à Ouargla, projet étudié et réalisable. 340 —
D'Ouargla a Timassinin, pays peu connu, pas
d'eau 400 —
De Timassiuin à Amguid, pays peu connu,
pas d'eau 250 —
D'Amg'uid à Bir Gliarama, pays inconmi, pas
d'eau , 450 —
De Bir Gharama à Aguadès, inconnu 650 —
D'Aguadès à Barroiia (Tchad), iiiconnu 750 —
Total 3.129 k.
§ 3. — Conditions économiques
Ce chapitre comprendra, comme le tracé Occidental,
deux subdivisions :
!• dépenses de construction.
2" Exploitation et trafic.
1° DÉPENSES DE coNTRUCTiON. — A l'exceptiou de la
section de Biskra à Ouargla, il est fort difficile d'établir^
même approximativement, un prix de dépenses
"kilométriques moyen.
MM. Rolland, Philibert et Fock, fixent un prix de
100.000 francs. Ce chiffre est évidemment trop faible et
devra être fortement majoré, si l'on considère la
longueur de la ligne, son relief très accentué et abrupte
dans le massif Hoggarien, et l'état désertique du pays,
lequel est très peu connu sur la plus grande partie du
tracé. Quelle sera, dans ces conditions, l'importance
des travaux de terrassement et des travaux d'art, deux
éléments qui peuvent atteindre des chiffres très élevés?
Certainement, à cet égard, la réponse sera négative ou
à peu près.
Autre considération : d'où viendra la main-d'œuvre,
I
TnACÉS DE CHEMIN DE FER TRANSSAHARIEN EN ÉTUDE 287
puisque le pays est inhabité et inhabitable? Elle sera
rare, sans doute, et très coûteuse.
Au wSénégal, la construction des voies ferrées de
Saint-Louis à Dakar et de Ivayes à Bafoulabé, a donné
lieu à des dépassements énormes par rapport aux
estimations primitives.
Le pays qui nous occupe est absolument privé de
toutes sortes de ressources. L'alimentation en vivres
et en eau sera très difficile; les soins médicaux seront
assurés avec beaucoup de peine, sinon impossibles,
à raison des distances.
, Enfin, si l'on considère qu'on se trouvera en plein
pays Touareg ; c'est-à-dire, au milieu de populations
nomades, très pillardes, desquelles, ainsi que le dit le
commandant Demgaeht, il ne sera jamais possible de
gagner leur concours ; mais qui seront toujours
jalouses de notre présence au milieu d'elles. Si l'on
considère toutes ces circonstances, de fortes instal-
lations militaires deviendront al)Solument indispensa-
bles. Dans de semblables conditions, il est prudent,
pour éviter tout mécompte, de porter l'estimation à
150.000 fr. le kilomètre, prix moyen pour la section de
Ouargla au Tchad, et compter seulement 65.000 fr. pour
la section de Biskra à Ouargla.
De sorte que la dépense prol)a'de, sera ainsi fixée :
De Biskra à Ouargla, 340 kil. à 65.000 fr. 22. 100.000 f.
De Ouargla au Tchad, 2 500 kil. à
150.000 fr 375.000.000
Total... 397.100.000
Soit, en ciiiffres ronds : 400.000 000
Je me contente de ce résultat sommaire pour établir
l'impossibilité économique de la voie ferrée poussée
au-delà d'Ouargla.
288 TRACÉS DE CHEMIN DE FER TRANSSAH.VRIEX EN ÉTUDE
Exploitation et Trafic. — Je rappelerai ici, avec
à-propos, la définition de M. de Lapparent, sur les
chemins de fer, reproduite page 262
Or, depuis Ouargla jusques àBarroua, la sève indus-
trielle, selon l'heureuse expression de M. de Lappa-
rent. fait absolument défaut. Rien ne se produit, rien
ne se consomme. Du moins, je n'ai jamais vu aucun
document, aucune statistique pouvant servir de base
à un trafic commercial quelconque, ainsi que l'a fait
M. Sabatier dans son ouvrage : Touat, Sahara^ Soudan.
Quelques écrivains ont mis en avant que la voie
transsaharienne concurrencerait avantageusement le
commerce anglais au Soudan. Cette idée est au moins
bizarre.
■ On sait que l'Hinteiiand anglais, au Soudan, e"st
séparé de l'Hinterland français par la ligne Say-Bar-
roua, en vertu du traité de 1895. Est-il possible d'ad-
mettre que les marchand <^;.es françaises venant de la
Méditerranée et suivant la direction d'une voie ferrée
de 8.150 kilomètres de dévoloppement. qui aura coûté
■iOO.000.000 fr., puissent atteindre les bords du Tchad
dans des conditions plus économiques que les mar-
chandises anglaises remontant parle Niger et la Bénoué
avec un parcours fluvial, c'est-à-dire très économique,
de 1.400 kilomètres seulement?
Xon, cela n'est pas admissible.
J'ajoute qu'il est permis de croire que la construction
de la voie orientale, si elle était entreprise, demanderait
au moins 25 années.
Dans ces conditions, j'adopte les conclusions pré-
cises de M. Sabatier. en ajoutant, pour leur donner
plus de poids, l'irréduction de la question liydrolo-
gique :
« Sauf quelques régions isolées, présentant uneffec-
» tif d'habitants insignitlant, la grande voie transsaha-
» rienne orientale traverse le désert dans toute sa
» nudité : pas de population stal^le. pas d'animaux, pas
» de produits naturels du sol, pas de végétation. Rien
TRACÉS DE CHEMIN DE FER TRANSSAIIARIEN EN ÉTUDE "289
» ne pourra, dans raveiiir, modifier un état de choses
» qui s'aggrave tous les ans.
» Ce tracé, entre Ouargla, et Barroua, rencontrera,
» dans son exécution, de grandes difficultés techni-
» ques qui auront pour conséquence d'élever considé-
» rablement le prix de revient que l'on peut estimer
» déjà à 600.U00..000. L'exploitation technique exigera
» une protection armée coûteuse et pénible, si l'on veut
» se préserver des bandits Touareg. Le trafic commer-
» cial sera d'une insuffisance notoire »
290 TRACÉS DE CHEMIN DE FER TRANSSAIIARIEN EN ÉTUDE
CHAPITRE III
TRACE CENTRAL
La critique relative à ce tracé ne demandera pas
beaucoup de développement, car il emprunte la plus
grande partie de son parcours aux deux autres tracés :
Oriental et Occidental. D'un côté, il vise le Tchad et,
à cet effet, on utilise le projet Oriental, depuis
d'Ouargla jusques à Barroua. 11 aurait aussi pour
objectif le Touat.
Alger serait tète de ligne.
Il n'existe sur ce tracé qu'un tronçon de 135 kilomè-
tres de long ayant Berrouagliia pour terminus actuel.
A tout prendre, cette section de Berrouagliia à
Laghouat est possible et même désirable ; sa longueur
de 300 kilomètres, pourrait être édifiée sans des diffi-
cultés sérieuses.
A partir de Laghouat, le tracé obliquerait vers l'Est
pour atteindre Ouargla, en traversant le M'zab par
Gardaïa, il aurait 250 kilomètres de développement.
Mais, étant donné cette circonstance que la section
de Biskra à Ouargla sera plus importante et d'une
exécution plus facile que la section précédente, et sera
plus rapidement construite, il n'y a pas grand espoir
de voir jamais Alger en communication avec Ouargla,
du moins directement.
En ce qui concerne la ligne Laghouat-Touat, elle se
trouve dans des conditions très défavorables. Une
partie du tracé s'installe sur les terres de parcours
des Chambaâ ; l'examen de la carte de M. Fourreau,
nous montre que ce pays est très tourmenté, il est
coupé de ravins nombreux et profonds qui nécessite-
TRACliS DE CHEMIN DE FEU TRANSSAII.VRIEX EN ÉTUDE 291
roiit d'importants ouvrages d'art, et ce, sur 400 kilomè-
tres de longueur, au moins.
J'ajouterai que le sol est hamadien, qu'il ne présente
aucune espèce ressources en eau et en produits et
qu'il est limité à l'Est et à l'Ouest, par des régions
d'Erg ou dunes sableuses.
Voici, d'ailleurs, sur cette région, l'opinion de
M. Choisy, désignée déjà plus haut :
« Il est possible d'installer une voie ferrée entre
)) Laghouat et Goléa ; mais il y aura de sérieuses
» difficultés à vaincre dans le dernier tiers du tracé, où
» s'accumulent les mauvais passages, les oueds et les
» sables. Comme ressource en eau, le plateau entre
» Goléa et Laghouat ne présente aucun indice de
» nature à faire espérer le succès d'un sondage
» artésien »
D'autre part, on ne rencontre, sur ce plateau, aucune
population stable, on ne recueille aucun produit, on
ne créera aucun mouvement commercial.
De Goléah, où l'on trouve exceptionnellement de
l'eau assez abondante, le tracé atteindra les forts Mac-
Mahon et Iniffel, récemment construits ; il suivra la
ligne des escarpements occidentaux du plateau liuma-
dien du Tademaït, pour descendre, ensuite, par une
chiite brusque de 300 mètres au moins, dans la région
du Tidikelt, et atteindra enfin Taourirt.
Cette section de Laghouat à Taourirt, passant par
Gardaïa et Goléah, développerait une longueur de
1.000 kilomètres environ.
Toute la région, sauf Goléa, ne présente aucune
espèce de ressources de même que la région précédente.
Il ne faut pas espérer que l'embranchement Algérois
enlève jamais une tonne de trafic à la voie Occidentale.
Lorsque nous seront installés à Igli, dont la possession
est indispensable, je l'ai déjà établi, tant au point de
vue économique que politique, tout le mouvement de la
l'oued Messaoura, du Touat et du Gourara, ne sera
nullement influencé par la voie concurrente. L'établis-
sement de la voie Oranienne de Djenien bou Resg
à Igli représente une distance de 250 kilomètres seule-
ment, estimée 18.000.000 fr. Or la voie Algéroise, depuis
292 TRACÉS DE CHEMIN DE FER TRANSSAHARIEN EN ÉTUDE
BeiTouaghia jusques à Goléah, point situé sur le même
parallèle qu'Igli, représente une longueur de 650 kilo-
mètres et coûtera plus de 50.000.œ0 fr.
La comparaison de ces deux termes est toute au
profit du projet Occidental.
Je vais, maintenant, estinier la dépense de cons-
truction du tronçon de Berrouaghia-Laghouat, très
désirable, et celui de Laghouat-Ouargla, dont la néces-
sité est très contestable. Je laisserai, sous silence, la
section Laghouat-Touat, dont je viens d'établir tout
à l'heure l'inanité, ainsi que tout le tracé Ouargla-
Barroua de la voie Orientale, formant double emploi,
à coup sûr parfaitement inutile.
Le prix kilométrique du tronçon Berrouaghia-La-
ghouat, doit être évalué, par comparaison, à la première
section du tracé occidental, à 60.000 fr. le kilomètre,
soit, pour 300 kilomètres, 18.000.000 fr..
en chiffres ronds 20.000.000 fr.
De Laghouat à Ouargla, le pays est
plus difficile, il y a peu d'eau et sa qua-
lité est très douteuse. Le prix kilomé-
trique devra être porté à 70.000 fr., soit
pour 250 kilomètres, 17.000.000 fr., en
chiffres ronds 20.000.000
Total 40.000.000 fr.
Il reste à régler la question du trafic probable. Ce
trafic sera bien réduit depuis Berrouaghiaà Laghouat,
et presque nul de Laghouat à Ouargla, à cause de
la concurrence très avantageuse que créera la section
Biskra- Ouargla du tracé Oriental.
Quant aux populations desservies, l'effectif doit être
très faible.
Somme toute, le revenu ne sera pas bien élevé.
A tout prendre, il n'y a à considérer comme exé-
cutable, dans des conditions économiques suffisantes,
ainsi que je l'ai déjà dit, que le tronçon Berrouaghia-
Laghouat.
Là doit se borner le tracé Central.
TRACÉS DE CHEMIN DE FER TRANSSAHARIEN EN ÉTUDE 293
RÉSUMÉ
Des faits et des rircoiistaiices mis en lumière dans
la note qui préeède, j'en tirerai la comparaison
suivante, pour chacun des trois tracés:
TRACE OCCIDENTAL
1° Longueur totale du tracé d'Oran au Niger :
Tossaye ou Timl)ocktou 2.400 kilomètres
Section déjà exploitée 550 —
Section à entreprendre de suite, de
Djenien bon Resg à Igli 250 —
D'Igli au Touat 460 —
2° Estimation probable des dépenses de construction:
De Djenien bon Resg à Igli 16.000.000 fr. .
D'Igli au Touat iO. 000. 000
Total 56.000.000 fr.
3" Populations desservies le long du tracé jusques
au Touat :
Répartie dans 349 villages ou ksours 1.909.173 habits
Populations triJjutaires 5,132.000 —
Total 7.041.173 habit'
4" Nombre de palmiers :
Placés sous l'action de la voie 5.400 000
Zone à 2 jours 1/2 de distance 2.700.000
Zone à 8 jours de distance 3.000.000
Total 11.100.000
5° Production et Trafic :
La production de ces palmiers
peut être évaluée au minimum à
270.000 tonnes, lesquelles trans-
formées en tonnes kilométri-
ques, en égard aux distances à
parcourir, donnent 196.500.000 loimes kilom.
Ce chiffre sera une des bases du produit de l'exploi-
tation, sans compter les voyageurs.
10
■294 TRACÉS DE CHEMIN DE FER TRANSSAHARIEN EN ÉTUDE
TRACÉ ORIENTAL
1" Longueur totale :
De Philippeville au Tcliad 3.129 Ivilomètres
Longueur en exploitation 289 —
Section à entreprendre, de Biskra à
Ourgla 340 —
2" Estimation probaljle des dépenses de construction :
De Biskra à Ouargla 25.000.000 fr.
De Ourgla à Barroua 375.000.000
Total 400.000.000 fr.
30 Populations desservies :
Sans renseignements positifs, mais chiffres relative-
ment faibles ;
40 Nombre de palmiers :
Plantations de Biskra, de FOued R'hir et de la région
d'Ouargla, sans renseignement positif ; à coup sûr,
bien inférieur au chiffre constaté par les relevés du
tracé Occidental.
5» Production, trafic :
Sans indications positives ; mais il est i)ermis de
croire que le trafic sera très réduit par rapport
comparatif à celui du tracé Occidental.
TRACE CENTRAL
lo Longueur d'Alger à Ouargla 689 kilomètres
Partie en exploitation 139 —
Section à réaliser, de Berroughia à
Laghouat 300 —
De Laghouat à Ouargla 250 —
2" Estimation probable des dépenses de construction :
De Berrouaghia à Laghouat 18.000.000 fr.
De Laghouat à Ouargla 18.000.000
Total 36.000.000 fr.
Soit 40.000.000 fr.
30 Populations desservies :
Sans renseignements positifs, en tous cas, chiffre très
peu élevé ;
A" Palmiers :
Chiffre inconnu, mais insignifiant.
5° Poduction et trafic :
Même observation que ci-dessus.
TUA.CES DE CHEMIN DE FER l'RANSSAlIARlEN EN ETUDE
295
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206 TRACÉS DE CHEMIN DE FER TR.VNSSAIIARIEN EN ÉTUDE
CONCLUSION
Il résulte, du travail qui précède, que des trois tracés de
voie saharienne en présence, le tracé Occidental est le seul qui
réunisse toutes les conditions techniques, économiques et
politiques désirables et nécessaires. C'est le seul, dont les
dépenses de construction sont réduites dans une proportion
très diminuée, par rapport aux autres tracés concurrents.
Le terrain à parcourir ne présente aucune difticulté technique ;
l'eau, cet élément de première nécessité, est abondante et de
bonne qualité dans toutes les régions traversée^•. Cette voie
desservira des populations nombreuses, stables et tranquilles.
Le trafic sera assuré et productif. Enfin, son action stratégique
et politique contribuera, dans une large mesure, à asseoir
notre influence dans la vallée de l'oued Messaoura, le Gourara
et leTouat justjues au Niger ; le Tafilalet sera notre tributaire.
A cet effet, la construction de la section de Djenien bon
Resg-Igli s'impose absolument, si nous ne voulons pas être
chassés, à brève échéance, de tout le Sud algérien jusques au
Soudan occidental.
Aucun des autres tracés ne présente de semblables avan-
tages dus, évidemment, à la situation géographique et
topographique de la région. Mais, il convient pour établir notre
action protectrice dans tout le Sud algérien, d'entreprendre la
construction du tronçon Biskra-Ouargla et celui de Berroua-
ghia-Laghouat.
Quant aux voies et moyens à mettre en œuvre, c'est au
Gouvernement qu'appartient le choix entre le mode suivi dans
la Métropole et le système de Compagnies privilégiés.
Oran, le 19 Mars 1899. BOUT Y.
XX' CONGRÈS
des Sociétés L'i^aiigaises de Géogjraph.ie
VŒUX
I
Le XX'= Congrès des Sociétés Françaises de Géographie,
réuni à Alger, vote de dialeureuses félicitations à MM. Gouzy
et Delanne pour leur patriotique projet de loi, et, confirmant
le vœu émis par le Congrès de Lorient, sur la proposition de
M. Bouquet de la Grye, émet le vœu que le Gouvernement
prenne telles mesures qu'il jugera convenables pour instituer
le méridien maritime et achever le système français des
mesures décimales dans le plus bref délai possible.
Il
Le Congrès de Géographie d'Alger, s'inspirant des traditions
de justice et de tolérance qui ont toujours favorisé la force
d'expansion et l'influence morale de la France dans le monde,
émet le vœu :
1° Que les traditions de l'LsIam et l'étude des textes soient
continuées et soutenues ;
2» Que, conformément au projet élaboré depuis 1849 et
renouvelé fréquemment depuis, une mosquée, qui serait
naturellement un centre religieux de l'Islam, soit construite à
Paris et groupe autour d'elle les 800 musulmans qui y
résident.
III
Le Conseil émet le vœu :
Qu'il soit créé un train rapide par semaine entre Alger
et Tunis, dans l'une et l'autre direction, eiïectuant par
exemple les 807 kilomètres de parcours en 24 heures et le
même jour;
Que les trains entre Alger et le Kroubs, entre le Kroubs et
Tunis soient pourvus d'un wagon-restaurant.
De plus, relativement à l'élevage, le Congrès émet le vœu
que le parcours des 440 kilomètres entre le Kroubs et Tunis
s'elfectue par les wagons de bestiaux en 24 heures et le même
iou .
298 VŒUX DU XXC CONGRÈS DES SOCIÉTÉS DE GÉOGRAPHIE
IV
Le Congrès émet le vœu qu'un courrier quotidien rapide
mette en communication Marseille et Alger et qu'il soit
complété par des trains de nuit dans la direction d'Oran et de
Constantine.
V
Le XX^ Congrès des Sociétés françaises de Géographie,
considérant à la fois les intérêts généraux de la Tunisie et
l'importance de la position stratégique et navale de Bizerte,
remercie M. le Ministre des Affaires Étrangères de la réponse
qu'il a bien voulu faire au XX'' Congrès et émet à nouveau le
vœu :
Qu'une voie ferrée soit construite le plus tôt possible pour
rapprocher Bizerte des richesses de l'intérieur et mette aussi
à sa portée les ressources militaires de l'Algérie.
VI
Le XXe Congrès de Géographie, tenu à Alger en mars 1899,
confirmant la décision du Congrès de Marseille, tenu en
septembre 1898, émet le vœu :
Que les Pouvoirs publics et les Chambres de commerce
prennent l'initiative de la création de ports francs à Dunkerque,
le Havre, Saint-Nazaire, Bordeaux, Marseille et Alger.
Que les mêmes pouvoirs en étudient la réalisation immédiate
à Alger.
VII
Le XX^ Congrès des Sociétés Françaises de Géographie
émet les vœux suivants :
Qu'il soit procédé à une enquête en vue de déterminer :
1° L'effectif de la main-d'œuvre indigène en Algérie avec
indication du contingent kabyle et du contingent arabe ;
2° Les centres qui fournissent cette main-d'œuvre ;
3° Les travaux auxquels elle est occupée ;
4° Le taux et la nature des salaires, ainsi que les conditions
du travail des ouvriers indigènes.
VIII
Que M. le Ministre des Colonies, d'accord avec son Collègue
de l'Instruction publique, fasse le nécessaire pour que la chaire
des maladies des pays chauds d'Alger soil outillée aussi
largement que possible, pour l'étude non seulement théorique,
mais aussi chimique et expérimentale des maladies tropicales.
VŒUX DU XX" CONGRÈS DES SOCIÉTÉS DE GÉOGRAPHIE 299
IX
Que toutes les Colonies françaises d'Afrique soient réunies
entre elles par des câbles sous-marins français.
X
l" Qu'il soit procédé dans le plus bref délai possible à
l'occupation de l'arrière-pays algérien, et principalement
des oasis du Touàt ;
2" Qu'il soit procédé d'urgence au prolongement des lignes
de pénétration saharienne, et notamment de celle d'Aïn-Sefraau
Touàt par Duveyrier, sans préjudice du complet achèvement
du réseau algérien et tunisien, soit vers La^houat, soit vers la
frontière marocaine ;
3° Que des missions scientifiques soient rapidement orga-
nisées en vue d'établir la carte et le nivellement des terrains
compris entre l'Atlas et le Niger au nord de Tombouctou ;
¥ Que des études de même nature soient faites au nord du
lac Tchad.
XI
Que les Pouvoirs publics veuillent bien examiner la
possibilité d'encourager, par tous les moyens à leur disposition,
les travaux du genre de ceux que MM. Bernard, Lacroix
et Mouliéras poursuivent sur le Maroc.
XII
Que les documents libyco-berbères, recueillis par M. Flamand,
sur les rochers et pierres écrits du Sahara, si curieux pour
l'histoire de l'art et si intéressants pour l'étude de l'ethnologie
et de la zoologie préhistoriques de l'Afrique du Nord, soient
modelés pour figurer à l'Exposition universelle de 1900.
XIII
Que le nom du vaillant explorateur Mizon, mort au service
de la France, soit donné à un des villages de l'Algérie.
XIV
Le XX"^ Congrès des Sociétés Françaises de Géographie,
réuni à Alger, reconnaissant de l'accueil qui a été réservé aux
membres du Congrès, exprime ses sincères remerciements à
M. le Gouverneur Général de l'Algérie, à toutes les autorités
civiles et militaires, et renouvelle à la Chambre de Commerce
d'Alger l'assurance de sa gratitude pour l'hospitalité qu'elle
lui a si généreusement ollerte.
COMPTE -RENDU DU CONGKÉS
La Société de Géograpliie et d'Ardiéologie d'Oran avait délé-
gué son président, M. le lieutenant-colonel Derrien, pour la
représenter au vingtième Congrès des Sociétés françaises de
Géographie, qui s'est tenu à Alger du 26 avril au 3 mai. Mal-
heureusement dès le deuxième jour le délégué officiel était
atteint d'une grave indisposition qui l'a mis dans l'imposibilité
de suivre les séances du Congrès, et c'est par suite de cette
fâcheuse circonstance que l'auteur de ces lignes a dû se char-
ger de suppléer au Congrès M. Derrien et de présenter ici le
compte-rendu de cette intéressante réunion.
Qu'il nous soit permis tout d'abord d'adresser nos remercie-
ments aux membres de la Société de GéograpJiie d'Alger qui
se sont mis le plus obligeamment du monde à la disposition
des Congressistes, el tout spécialement au distingué secrétaire
général du Congrès, M. Aug. Bernard, et à M. Molinier-Yiolle
qui dirigeait le service des renseignements. Ajoutons que le
Congrès était parfaitement organisé. La Chambre de Commerce
d'Alger lui offrait l'hospitalité dans le magnifique hall du Palais
Consulaire décoré de superbes tapis arabes qui opt excité
l'admiration des nombreux Congressistes. De tous les points de
la métropole étaient accourus des touristes auxquels cette
réunion scientifique ofl'rait l'occasion de visiter dans la plus
belle saison notre pays si attirant. Des Sociétés étrangères
même, celles de Genève, de Madrid, de Rome étaient représen-
tées. Le ciel s'est montré favorable, et le beau temps a permis
aux Congressistes de goûter entièrement le charme de notre
climat et la beauté de la nature algérienne
Quels que soient les progrès que ce Congrès ait fait faire à
la Science, son résultat peut-être le plus important aura été
de faire connaître un peu, et par conséquent aimer beaucoup
l'Algérie à ces nombreux visiteurs venus de tous les coins de
la mère-patrie.
La séance solennelle d'ouverture, qui a eu lieu le 26 avril,
a été marquée par d'intéressants discours. Après les paroles de
COMPTE- RENDU DU CONGRÈS 301
bienvenue adressées aux membres du Congrès par M. de
Varigny, président de la Société d'Alger et du Comité d'orga-
nisation, qui a fait l'éloge de M. de Brazza, délégué par M. le
Ministre de Tlnstruction Publique pour présider le Congrès,
celui-ci a, dans une remarquable allocution, rappelé l'oîuvre
accomplie par la France en Afrique (œuvre à laquelle, ajou-
tons-le, il a pris lui-même une si grande part) ; il a montré
l'unité aujourd'hui réalisée de notre empire africain, et a
exprimé l'espoir que le Congrès ferait faire un pas décisif à la
question delà pénétration saharienne. Après lui enfin, M. le
Gouverneur Général a prononcé un important discours oi:i il
a rendu hommage aux hardis explorateurs de notre temps, et
insisté sur la question du Transsaharien, tout en indiquant
qu'il serait peut-être sage de se borner pour l'instant à la cons-
truction d'un Saharierx. Ces discours ont été accueillis par
des salves d'applaudissements.
Dans la soirée, la Chambre de Commerce offrait aux
Congressistes une brillante réception à laquelle assistaient
toutes les autorités, et au cours de laquelle notre Président,
présenté à M, le Gouverneur Général, lui offrait le titre de
Président d'honneur et recevait de lui l'assurance de la haute
estime dans laquelle il tenait notre Société oranaise.
Le lendemain, 27, les séances du Congrès se sont ouvertes
par les comptes-rendus des travaux accomplis par les Sociétés
représentées. Notre Président a lu au milieu d'une assistance
sympathique le résumé de nos travaux, et M. de Brazza a rendu
hommage aux éminents résultats obtenus par notre Société à
laquelle il s'est déclaré fier d'appartenir comme membre d'hon-
neur.
Avant de passer à l'étude des grandes questions discutées
dans les séances du Congrès, rappelons que d'intéressantes
excursions avaient été organisées pour faire connaître aux
Congressistes les environs d'Alger. C'est ainsi qu'ils ont été
conduits un jour dans le Sahel jusqu'à .Staouéli et à la
magnifique ferme de la Bridja,un autre jour à Maison-Cai'rée,
à la ferme et à l'usine de M. Altairac. On a également visité le
Jardin d'E.ssai, dont le savant directeur, M. Rivière, a fait les
honneurs, la grotte de Cervantes où M. le Consul d'Espagne a
302 COMPTE-RENDU DU CONGRÈS
tenu à guider les visiteurs, et, dans la ville même, les
mosquées, la vieille forteresse de la Kasbah, l'école de tapis
indigènes dirigée par M™^ Delfau. M. le contre-amiral Servan
avait eu l'heureuse idée de mettre à la disposition des membres
du Congrès un torpilleur et la vedette, la Seyhouse, qui les ont
promenés jusqu'au cap Matifou. Enfin, après la clôture du
Congrès, d'autres excursions plus importantes ont été dirigées
vers la Kabylie, Hammam R'hira, Boghar, Teniet-El-Haad,
etc.
D'autres attractions avaient été ménagées, notamment des
conférences. La première, à laquelle nous avons eu le regret de
ne pouvoir assister, a été faite par M. Brunache, administrateur
d'Aïn-Fezza. M. Brunache a étudié le rôle de la femme et la
question de l'anthropophagie et de l'esclavage en pays nègre.
Avec la compétence que lui donne son glorieux passé d'explo-
rateur, il a montré la place que tient la femme dans la société
nègre. Son succès a été très vif.
M. Flamand, professeur à l'Ecole Supérieure des Sciences
d'Alger, a fait une conférence sur les premiers habitants des
Hauts-Plateaux et du Sahara algérien d'après les monuments
rupestres. M. le Recteur Jeanmaire, qui présidait, a rappelé
dans une allocution applaudie le rôle de l'Université dans le
développement des études géographiques. Le conférencier a
ensuite pris la parole et, après avoir rapidement décrit les
zones entre lesquelles se partagent les régions étudiées, il a
démontré, à l'aide de projections lumineuses, que par les
pierres gravées rencontrées non seulement à Tiout, mais à
Tazma, à Guebar Richmi, etc., on peut déterminer quatre
périodes distinctes dans l'histoire de ces pierres : la première
se place à la fin du quaternaire et montre l'homme contempo-
rain de grands animaux aujourd'hui disparus, tels que le
bubulus antiquus (grand buffle dont les collections de géologie
et de paléontologie de l'Ecole des Sciences contiennent de
remarquables débris) ; la deuxième est la période lybico-
berbère qui présente des dessins moins nets, tracés en
pointillé, accompagnés d'inscriptions en caractères lybico-
berbères ; le troisième se rattache à l'occupation musulmane
et se caractérise par l'inscription de versets du Coran ; quant
COMPTE-RENDU DU CONGRÈS 303
à la dernière, que l'orateur appelle plaisamment la période
légionnaire, elle rappelle le passage de nos soldats par des
inscriptions qui n'ont rien de religieux. M. Flamand a vivement
intéressé ses nombreux auditeurs, qui ont salué sa péroraison
de bruyants applaudissements.
Le soir de la même journée^ M. de Kovira faisait, sous la
présidence de M. l'amiral Servan, assisté de MM. de Brazza
et Maistre, une conférence sur l'exploration de la mission
Gentil, dont le conférencier faisait partie. 11 a surtout insisté
sur les ressources du Baghirmi et montré la facilité qu'il y
aurait à établir une voie ferrée reliant l'Oubanghi au Chari et
rattachant ainsi le Congo au bassin du lac Tchad. Les applau-
dissements qui l'ont accueilli s'adressaient autant au jeune
explorateur qu'au distingué conférencier.
Enfin, la série des conférences a été close par M. Camille
Guy, chef du Service de Géographie coloniale au Ministère des
Colonies. Spirituel en même temps qu'éloquent, M. Guy a
tenu son nombreux afuditoire sous le charme d'une parole
élégante et facile. Après un hommage applaudi rendu à
l'explorateur Maistre, qui présidait la conférence, l'orateur
a raconté l'exploration et l'occupation de la boucle du Niger,
en démontrant que le grand tleuve du Soudan est un fleuve
français. Il a rappelé l'héroïque expédition de René Caillié
qui, le premier, visita Timbouctou et fut, en récompense de
son héroïsme, traité d'imposteur. Puis il faut arriver à
Faidherbe qui nous conduit au Niger qu'explorent Mage et le
capitaine Galliéni, aujourd'hui général et gouverneur de
Madagascar. Le conférencier montre ensuite M. Binger
conquérant à lui tout seul le pays de Kong et arrive à la
dernière période si féconde en magnifiques dévouements, en
glorieuses expéditions qui nous assurent la possession de la
boucle du Niger avec MM. Mizon, Toutée, Hourst, Marchand,
Bretonnet, Chanoine, Voulet, Decœur, Baud, etc. Ce tableau
émouvant de l'œuvre accomplie, des résultats obtenus au
Soudan par nos explorateurs a provoqué un enthousiasme qui
s'est fréquemment traduit par des applaudissements.
Parmi les distractions offertes encore aux Congressistes,
n'oublions pas de rappeler la visite du plan en relief de
304 COMPTE-RENDU DU CONGRÈS
l'Algérie préparé par M. Moliner-Yiolle, en vue de l'Exposition
Universelle de 1900. Go plan, au 1/200. 000c pour la surface,
au 1/100. 000« pour l'altitude, donne une idée très nette du
relief général de l'Algérie. Il a été présenté par M. Augustin
Bernard qui en a fait clairement ressortir l'utilité. Il contri-
buera, certainement, à faire connaître l'Algérie. C'est une
œuvre tout à fait remarquable et qui a valu à M. Molinier-
VioUe d'unanimes félicitations.
Rappelons, enfin, que la nouvelle de la mort de l'explorateur
Mizon, survenue au cours du Congrès, a été communiquée par
M. Basset, délégué de M. le Ministre des Colonies et que le
Congrès a exprimé la douleur que lui causait cette grande
perte.
Nous arrivons à la partie la plus importante de notre compte-
rendu, aux discussions qui n'ont manqué ni d'intérêt, ni
d'éclat et dont quelques-unes ont eu un grand retentissement.
Remarquons, tout d'abord, que par la nature des questions
généralement traitées, des vœux déposés et admis, le Congrès
a été surtout algérien. Il se distingue par là des autres réunions
des Sociétés françaises de Géographie. Il faut ajouter, d'ailleurs, _
que la plupart des communications ont été l'œ.uvre d'Algériens.
Les membres des Sociétés françaises se sont en général
contentés d'écouter et de s'instruire. La seule question de
géographie générale qui ait été soumise à la discussion a été
elle-même présentée par notre concitoyen, M. Bonnin de
Sarrauton, qui a exposé la question de l'application du
système décimal à la mesure du temps et des angles et défendu
le système qu'il préconise et que notre Société a adopté ; il a fait
émettre un vœu conforme à ses idées.
Parmi les communications diverses citons sans ordre
celles de M. le capitaine Godchot, sur la participation de
l'armée à la conquête et à la colonisation de l'Algérie ; de
M. Napoléon Ney, sur la France et l'Islam ; l'intéressant
rapport de M. Simian, sur le développement du port d'Alger ;
le travail de M. Couput, sur le mouton en Algérie, dans lequel
ce savant établit la distinction entre la région tellienne et les
steppes où existe la transhumance et où il est nécessaire de
créer des points d'eau. Citons encore uneau're communication
COMPTE-RENDU DU CONORÈS 305
de M. Couput, sur la culture de l'olivier; celles de M. Rivière,
sur le refroidissement nocturne en Algérie ; l'exposé très clair
et très savant de M. Flamand, sur la formation des grandes
dépressions du Sud d(> l'Oraïu'e, chotts et sebkhas, mekaïuens
et meliereg ; puis les communications de M. le médecin-major
Muguet, sur le Mzab, d'après les géographes et les voyageurs ;
de M. le colonel Périsse, sur le port de Bizertc et le chemin
de fer de Bizerte à Souk-el-Arba et à Tébessa ; de M. de
Vialar, sur les races indigènes de l'Algérie, leurs origines et
leurs destinées ; de M. Démontés, sur le climat algérien, ses
effets sur l'homme, la faune et la llore; du docteur Blaize, sur
l'utilité de développer à l'École de Médecine d'Alger l'étude
des maladies des pays chauds et d'y soigner les colons et les
fonctionnaires malades qui proviennent des régions tropicales ;
enfin, celle de notre collègue, M. Doutté, sur les récentes
contributions à la géographie du Maroc ; nous avons trouvé
dans cette dernière communication un éloquent exposé des
travaux remarquables de MM. le capitaine Lacroix et de
La Martinière {Documents pour servir à l'étude du Nord-Ouest
africain) ; de notre vice-président, M. Mouliéras (Le Maroc
inconnu) et de notre collègue, M. Aug. Bernard {Traduction
de l'Atlas marocain de M., Schnell), etc. Le Congrès s'est
associé aux conclusions de l'orateur en demandant au Gouver-
nement d'encourager la continuation de ces travaux.
Nous tenons à mentionner encore la très intéressante
communication de M. Sabatier, sur la répartition géographique
de la criminalité par douar en Algérie et particulièrement
dans le département d'Alger. Il résulte de cette étude,
accompagnée d'un curieux graphi(fue, que dans les pays
berbères, tels que les communes mixtes de Gouraya, du
Djurdjura, la proportion de la criminalité (il ne s'agit, bien
entendu, que du vol) est la même qu'en France : 1 condamné
pour 1000 habitants, tandis qu'en pays arabe on trouve
1 condamné pour 700 habitants. L'accroissement de la crimi-
nalité s'explique d'un autre côté par le développement des
voies de communication facilitant l'écoulement des objets
volés et par la suppression des armes chez les indigènes,
ce qui les empêche de se défendre.
306 COMPTE-RENDU DU CONGRÈS
Arrivons maintenant aux questions qui ont le plus attiré,
l'attention des Congressistes. La première, qui a soulevé des
polémiques passionnées, était relative à la naturalisation des
étrangers dans les colonies françaises. Cette discussion s'était
ouverte par une savante et intéressante étude dé M. Busson
sur les différents systèmes adoptés dans les Etats américains
et dans les diverses colonies. L'auteur de cette communication
avait cru devoir conclure par le vœu que la France, s'inspirant
des principes qui ont assuré le développement des colonies
anglo-saxonnes et latines, attire et retienne dans ses colonies
les travailleurs étrangers en leur facilitant la naturalisation et
en y mettant comme condition principale la connaissance de
la langue française. Ce vœu n'avait été tout d'abord, et après
une vive discussion, admis qu'avec un amendement qui en
détruisait la valeur ; il a du reste été écarté parla Commission
de révision comme présentant un caractère politique.
A cette question se rattachait directement la communication
de M. Félix Dessoliers sur la fusion des races Européennes en
Algérie par les mariages mixtes ; se fondant sur des statisti-
ques qui établissent le nombre croissant de ces mariages
mixtes, l'orateur estimait qu'il n'y avait pas à s'inquiéter de
voir se former un peuple nouveau, néo-latin, qui d'après lui,
sera forcément un peuple franco-algérien. Ces conclusions ont
amené de très vives répliques de M. le capitaine Godchot et
de M. Sabatier.
Mais la discussion qui a été de beaucoup la plus importante,
celle qui a surtout assuré au vingtième congrès une place
parmi les plus brillantes réunions géographiques, a été la
discussion relative au Trans-aharien.. On peut dire que la
question a été pour longtemps épuisée. Toutes les opinions ont
été défendues avec talent et si la solution intervenue a été à
peu près celle que défendait notre Société, c'est que réellement
elle s'imposait.
M. Broussais, président du Conseil général d'Alger a ouvert
le feu en faisant un magistral exposé de l'œuvre de pénétration
par les voies ferrées accomplie en Afrique. Après avoir, sans
rien omettre, montré le gigantesque effort de toutes les puis-
sances européennes établies sur le continent noir pour «pousser
COMPTE-RENDU DU CONGRÈS 307
le rail en Afrique » suivant l'expression de Stanley, M. Brous-
sais a détendu éloquemment le projet d'un transsaharien
africain français, et il a tenté de prouver qu'Alger était de
toute nécessité la tète de ligne qu'il fallait adopter.
M. Bonnard, délégué de la Société Tunisienne, a, au
contraire, vigoureusement mais infructueusement combattu en
faveur d'une voie plus courte aboutissant à la petite mer de
Bou-Grara et suivant la route des caravanes par Rhat,
Ghadamès et Bihna.
Notre dévoué secrétaire général, M. Bouty, a enfin exposé
avec talent et succès le projet qu'il défend depuis vingt ans,
le tracé occidental par Igli, l'oued Saoura et le Touat.
La discussion a provoqué une communication de M. Flamand,
relative aux gisements salins du Sahara. Le savant professeur
a exprimé l'opinion qu'en dehors des gisements de sel qui font
l'objet d'un commerce important, il ne fallait pas compter sur
les pierres précieuses que certains voyageurs ont cru trouver
dans le grand désert, sur les émeraudes notamment, qu'on y
trouve en effet, mais qui n'ont pas de valeur marchande.
M. l'amiral Servan a exposé d'autre part une séduisante
hypothèse sur la possibilité de détourner vers le nord de
Timbouctou le cours du Niger ; mais M, Flamand a témoigné,
d'après son expérience personnelle, la crainte que les cotes
sur lesquelles s'appuyait M. l'amiral Servan ne fussent
contestables ou erronées. Il a été du moins décidé qu'on
inviterait le gouvernement à faire procéder à des études de
nivellement au nord du Niger et aussi au nord du Tchad.
Quant à la question du Transsaharien, elle a été reprise par
MM. Bonnard et Broussais ; nous avons donné lecture d'une
délibération de la Chambre de Commerce d'Oran en faveur du
tracé oranais. Mais c'est la très remarquable communication
de notre savant collègue, M. Aug. Bernard, qui, en terminant
la discussion, a entraîné tous les suffrages, même ceux des
Congressistes qui avaient défendu un tracé particulier.
M. Bernard s'est déclaré nettement hostile non à tel ou tel
tracé, mais au Transsaharien lui-même. Contrairement à
l'opinion de M. Broussais, il a démontré que cette voie ferrée
ne pourrait jamais lutter au point de vue économique avec les
308 COMPTE-RENDU DU CONGRÈS
voies fluviales telles que le Niger, le Ghari, TOubanglii, et que
les marchandises iraient toujours à la côte la plus voisine; dès
lors, il semble bien aventureux de lancer un chemin de fer à
travers une région immense et stérile comme le Sahara, pour
aboutir au seuil d'un pays dont les richesses ne sont pas
encore bien connues. M. Bernard a, d'autre part, démontré
la nécessité d'occuper l'importante région du Touat, occu-
pation qui ne présente aucune difficulté, et de prolonger
dans cette direction la voie ferrée construite jusqu'à Djenien-
bou-Rezq, sans du reste négliger pour cela d'entreprendre la
ligne de Berrouaghia à Laghouat et celle de Biskra à Tuggurt
et même à Ouargla. Les conclusions de M. Bernard ont été
celles du Congrès ; rédigées par le bureau que présidait
M. Guy, elles ont été unanimement approuvées par le Comité
des délégués. Nous devons nous en féliciter, car il n'est pas
douteux que ce vœu, aussi raisonnable que facile à réaliser,
ne reçoive satisfaction .
Le Comité des délégués, réuni le dernier jour, a écarté
certains vœux ayant un caractère politique. Il en a modifié
quelques-uns, entre autres, le vœu déjà émis au Congrès de
Marseille, l'an dernier, en faveur de rétablissement de ports
trancs ; on a demandé qu'en attendant une mesure générale
Alger fût dès à présent déclaré port franc. Enfin on a considé-
rablement amendé un vœu présenté par M. Napoléon Ney qui
préconisait une entente avec un parti puissant dans l'Islam en
vue de fortifier la puissance française dans le monde musul-
man et de lutter contre les redoutables associations secrètes ;
le Comité a cru devoir se borner à émettre le vœu que l'étude
des textes soit continuée et soutenue et qu'une mosquée soit
construite à Paris.
La séance de clôture, présidée par M. de Brazza, assisté de
M. Jeanmaire, Recteur de l'Académie d'Alger, et de M. l'Ami-
ral Servan, a eu lieu devant un public nombreux, dans la salle
de la Chambre de Commerce. M. le Recteur a en quelques
mots aimables annoncé les récompenses accordées par M. le
Ministre de l'Instruction Publique à l'ojcasion du Congrès.
Nous avons été heureux d'entendre nommer parmi les nouveaux
Officiers d'Académie, notre excellent collègue, M. Doutté, au-
COMPTE-RENDU DU CONGRKS 309
quel nous olTrons ici toutes nos félicitations. M. de Brazza a
prononcé enfin une allocution souvent applaudie. Il a rappelé
la transformation accomplie dans cette Afrique où, a-t-il dit,
un voyageur pouvait, il y a trente ans, rester deux ans et plus
sans donner ni recevoir de nouvelles, tandis qu'aujourd'hui,
lorsqu'on est sans nouvelles d'un voyageur pendant deux mois,
on est convaincu qu'il a été massacré. Cette simple constatation
montre le chemin parcouru. M. de Brazza a, en terminant,
exprimé l'opinion que l'œuvre du vingtième Congrès de
Géographie sera féconde et que les travaux de ce Congrès
ouvriront une ère nouvelle de progrès et de civilisation pour
le continent africain, naguère mystérieux.
Le soir, un banquet réunissait un grand nombre de Con-
gressistes. M. le Gouverneur Général donnait au Congrès une
nouvelle preuve de sympathie en y assistant, ainsi que la
plupart des hauts fonctionnaires. Des toasts applaudis ont été
portés tandis qu'une retraite aux flambeaux parcourait les
rues de la ville et que les étrangers émerveillés admiraient le
splendide spectacle de la grande mosquée étincelante de feux.
Nous devons, en achevant ce modeste compte-rendu, féliciter
la Société sœur d'Alger du magnifique succès qu'elle a obtenu
en organisant ce Congrès dont les travaux laisseront certaine-
ment leur trace dans l'histoire de la colonisation française en
Afrique. Parmi les grandes questions soulevées, le problème
si grave du Transsaharien a reçu la solution la plus logique
en même temps que la plus conforme à nos vues. C'est là un
grand résultat et qui, h lui seul, donne une importance toute
particulière au vingtième Congrès des Sociétés françaises de
Géographie.
Paul RIJFF.
11
RAPPORT SUR LE CONCOURS OUVERT EN 1899
PAR LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE ET D'ARCHÉOLOGIE D'ORAL
Cette année, trois des questions mises au concours, ont été
traitées par les candidats dont les noms suivent, savoir :
1° A travers lesKsours et le Sud Oranais, par Michel Antar ;
2° Monographie de Tiarct ancienne et moderne, par M. J.
Canal, agent voyer à Bel-Abbès ;
3° Monographie de V arrondisaement de Mostaganem, par
M. Métrât, instituteur à Mostaganem.
La Commission, désignée à cet effet, a examiné ces travaux :
Le mémoire, ou plutôt l'ouvrage de Michel Antar sur le
Sud Oranais est une œuvre destinée à vulgariser la connais-
sance de l'Algérie ; il est destiné aux jeunes gens de 16 à 20
ans. Dans vingt-huit chapitres, délilent, en un récit attrayant,
tous les ksours du Sud Oranais ; leur description est agrémen-
tée de faits historiques, d'études de mœurs et d'appréciations
judiciaires sur les diverses questions arabes.
M. le Général de Colomb, auquel l'ouvrage est dédié, a bien
voulu l'honorer d'une introduction qui est un remarquable
résumé de la situation actuel de notre Sahara oranais.
Le travail de M. Antar a été classé n" 1, avec médaille de
vermeil. Notre Société lui assure en outre son patronage dans
le cas où il ferait publier son ouvrage.
M. Canal, dont les œuvres ne se comptent plus, n'a pas
reculé devant la tâche de nous éclairer sur les origines, la
splendeur, les luttes et la décadence de Tiaret. Sa monogra-
phie comble une lacune de l'histoire de cette province, et à
paru mériter la deuxième place avec une médaille de vermeil.
M. Métrât, entin, déjà récompensé l'an dernier par une
monographie de Mazouna, a présenté une monographie de
l'arrondissement de Mostaganem. Ce travail, bien que présenté
sous une forme un peu sommaire, n'en constitue pas moins
une contribution des plus utiles à la géographie de notre pro-
vince, et la Commission a cru devoir, à titre d'encouragement,
décerner à son auteur une médaille d'argent.
POUR LA COMMISSION :
Le Président, Lieutenant-Colonel DEPiPvIEN.
CONCOURS
ouvert par la Société de Géographie et d'Archéologie d'Oran en 1899
Le Comité administratif de la Société a fixé ainsi qu'il suit le
programme des questions mises au concours de 1899-1900 :
1° La description historique, géographique, agricole et indus-
trielle de l'une des communes mixtes civiles d'A'in-Témouchent,
Saint-Lucien, Ammi-Moussa ; ou de l'une des communes-mixtes
indigènes de Mascara, Frenda, Cacherou, Saïda ;
2° La monographie historique, géographique et statistique
de la commune indigène de la Yacoubia ;
30 La rédaction d'une géographie élémentaire du Maroc ;
CONCOURS OUVERT PAR LA SOCIÉTÉ EN 1899 311
4" Les Douairs et les Zmélas de 1830 à 1900, au point de vue
démographique et statistique (morcellement des lauulles et de
la propriété);
5" Historique de la colonisation des Hauts-Plateaux de la
province d'Oran ;
ti'^ Le bassin de la Tafna (Contribution à la géographie
physique et agricole de la province d'Oran).
Peuvent prendre part au concours, toutes personnes appar-
tenant ou non à la Société de Géographie.
Les travaux devront être remis au Secrétariat de la Société
le 31 mars 1900. — Les récompenses -consistant en médailles
d'or, de vermeil, d'argent et de bronze, seront distribuées à
l'Assemblée générale de mai 1900.
Le Secrétaire Qénér al, BOUTV.
1-*—^ *i
Station Météorologique de Santa-Cruz (Oran)
C'est à l'initiative de M. AufTret, directeur des Cours Indus-
triels à Oran, qu'est due la création d'une station météorolo-
gique dans le fort abandonné de Santa-Cruz que le Génie
militaire mit gracieuserm^nt à la disposition d'un comité ou
plutôt d'une association de quelques citoyens d'Oran.
Le but de cette association est de contribuer à l'étude de la
météorologie de la province d'Oran par des observations
journalières sur l'air, la chaleur, les vents, la vapeur d'eau,
l'électricité, Fozone et aussi sur les tremblements de terre.
Les instruments de première nécessité nous furent gracieu-
sement donnés par le service météorologique de l'Algérie et
par plusieurs habitants d'Oran. Une première subvention de
750 francs du Conseil général nous permit l'acquisition d'un
baromètre et d'un thermomètre enregistreurs et l'installation
au fort d'un mat sémaphorique et d'un gardien-observateur.
Le 1^>' décembre 1896 commencèrent régulièrement les
observations dont les résultats mensuels, jusqu'au 31 mars 1899,
sont consignés dans le tableau ci-après. Le point de la casemate
où se font les lectures barométriques est à l'altitude de
374 mètres au-dessus du niveau de la mer.
Le pic d'Aïdour, que couronne le vieux fort de Santa-Cruz,
termine à l'ouest la chaîne du Murdjajo dont il est séparé par
une forte échancrure. Il forme un vaste écran entre Oran et la
rade de Mers-el-Kébir. Cette situation topographique de l'Ob-
servatoire est particulièrement favorable à l'étude des vents et
des phénomènes de production et de condensation de la vapeur,
d'eau ; elle complète ainsi utilement la station officielle établie
à l'hôpital militaire à l'altitude de 40 mètres.
Nous nous réservons de faire, à la fin de cette année, une
étude comparative des observations recueillies depuis trois ans
à Santa-Cruz et à l'hôpital militaire et d'en formuler des
déductions intéressant l'hygiène et le climat d'Oran.
Le Président de l'Association météorologique de Santa-Crus,
Lieutenant-Colonel DERRIEN.
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LES DJEBALA DU MAROC
d'après les travaux de M. A. MOULIÉRAS
Nous n'avons pas à présenter au public l'œuvre de M. Mouliéras.
Le premier volurfje du Maroc Inconnu (1) a été apprécié dans
l'Europe entière avec faveur par d'éminents géographes, par des
orientalistes distingués ; notre humble suffrage ne saurait rien
ajouter à leur jugement. Le deuxième volume de cette immense
enquête, comptant plus de 800 pages sur la seule pi'ovince
des Djebala, vient de paraître (2). On peut dire que c'est une
encyclopédie marocaine. La somme de documents livrée par
l'auteur aux géographes, aux linguistes, aux historiens est
véritablement étonnante, lorsque l'on considère le peu de rensei-
gnements que l'on avait avant lui sur cette province des Djebala,
l'une des plus considérables cependant de l'Empire chérifien.
Il appartiendra aux ôrudits de mettre ces riches matériaux en
œuvre, chacun pour le plus grand profit de sa science préférée.
Nous nous proposons seulement de donner ici, très brièvement,
une idée de ce que Ton peut tirer du livre au point de vue de la
description générale de la société djebalienne ; encore nous
placerons-nous à un point de vue restreint, en négligeant volon-
tairement tout ce qui a trait aux idées religieuses, car nous avons
dessein de traiter ce dernier point ailleurs. Lorsque nous aurons
ainsi essayé, à travers la sécheresse d'un trop court résumé,
de montrer quelle riche mine d'information est le livre du savant
professeur à la Chaire d'Arabe d'Oran, notre appréciation personnelle
sera superflue ; le lecteur aura déjà assis son jugement. Evidem-
ment, pour qu'il le fit en parfaite connaissance de cause, il nous
faudrait comparer les renseignements contenus dans le livre
avec tous ceux que des informateurs antérieurs Jious ont déjà
fournis sur le Maroc, tâche considérable, qui incombera aux
spécialistes. Nous nous contenterons modestement ici de nous
(1) Le Maroc Inconnu, par Auguste Mouliéras. l'" partie. Explora-
tion duRif. 1 vol. S°, 2U4 pages et 2 cartes. Oran, décembre 1895.
(2) Le Maroc Inconnu, étude géographique et sociologique, par
Auguste Mol LiKRAS. 2'"'" partie. Exploration des Djebala (Maroc seTplen-
trional). l vol. 6", VIII -813 pages, 2 photographies et 1 carte. Paris, 1899.
12
314 LES D.TEBALA DU MAROC
reporter surtout aux deux ouvrages les plus importants qui
aient paru sur le Maroc dans ces dernières années : nous voulons
parler du voyage si consciencieux et si fécond en résultats
du vicomte de Foucauld (\) qui, malheureusement pour nous,
a peu exploré le Nord du Maroc, et du grand ouvrage de
MM. de Lamartinière et Lacroix, vaste répertoire où les auteurs
ont entrepris de résumer, avec leur haute compétence, tout ce que
la science officielle possède de renseignements sur la terre des
Chérif(2'!. Nous avons ainsi un double but : placei-, autant que
faire se peut, les nombreuses indications nouvelles données par
M. Mouliéras dans le cadre des informations déjà acquises et
montrer, par ailleurs, que ces nouveaux documents concordent,
en les complétant, avec ceux que l'on pogi^dait déjà. Cette
concordance générale est la meilleure preuve de l'exactitude
des informations recueillies par le savant oranais (3).
Le principal informateur de M. Mouliéras est toujours le
derviche Moh'ammed ben Et' T'ayyeb <^\ dont la photographie
orne l'ouvrage et qui commence à être bien connu des
arabisants africains. Ses indications ont été du reste appuyées
par celles d'un grand nombre d'autres Marocains et contrôlées
(1) V" Ch. de Foucauld; Reconnaissance au Maroc, 1 vol. 4°, XVI
- 495 pages, avec Atlas de ?U feuilles, Paris, 1888.
(2) H. -M. -P. DE LA Martinikre et N. Lacroix : Documents pour
servir à l'étude du Nord-Ouest Africain, réunis et rédigés par ordre
de M. Jules Cambon, Gouverneur général., l"= partie (Frontière, Rif,
Djebala). 1 vol. S", XV - 552 pages. Gouvernement général de l'Algérie,
1894 — Les trois derniers volumes sont consacrés au Sud-Ouest marocain
et oranais.
(3) Nous prions les personnes qui professent que, tous les indigènes
étant des imposteurs, il n'y a aucune foi à attacher à leurs récits, de ne
pas continuer la lecture de cet article. Elles montrent en soutenant cette
opinion, d'ailleurs contraire au bon sens, qu'elles n'ont jamais pris la
peine de contrôler par elles-mêmes les renseignements dont elles
suspectent la sincérité. Rien n'est cependant plus facile que d'interroger
deux marocains et de vérifier leurs dires l'un par l'autre. Ges mèrnes
personnes se condamnent du reste à ne tenir aucun compte d'un très
grand nombre de livres : ceux des Arabes, en particulier, sont pour elles
non avenus, de même que la plus grande partie des relations de voyages
écrites par des européens ; car les faits qu'observi; directement le
voyageur sont infiniment moins nombreux que ceux qu'il connaît par
renseignements et l'information orale est, en dernière analyse, sa
source de connaisssances la plus abondante. La moitié de l'ouvrage
précité du V"= de Foucauld (2" partie) consiste exclusivement en rensei-
gnements recueillis oralement.
(4) Nous adoptons ici le système de transcription des mots arabes
et berbères suivi par M. Mouliéras. Gf. Maroc Inconnu, 1, p. 42.
LES DJEBALA DU MAROC 315
mainte et mainte fois par l'auteur. Mais aucun de ces Marocains
ne s'est trouvé avoir l'ampleur de connaissances du derviche :
cet étrange pèlerin est vraiment déconcertant par l'étendue
de sa mémoire. Quoi est le mobile qui le pousse à ce perpétuel
vagabondage' Quel étrange besoin de déplacement le tourmente
sans cesse? Est-ce bien le désir d'étudier (jui le fait ainsi errer
de zaouia en zaouia, sollicitant la retba (i> c'est-à-dire le
logement gratuit, plus la nourriture que les étudiants ont
coutume d'aller, le soir, mendier aux portes du village en
disant : maârouf liUaIi^~\ autrement dit : «Un bienfaitpour
l'amour de Dieu » ? (O-iO) (3)_ N'est-ce point aussi sa
gourmandise et le désir de prendre part aux plantureuses
ouaàda C^) que de pieux pèlerins olTrent à chaque instant aux
marabouts et auxquelles naturellement les étudiants sont
toujours invités? (29-30). Tantôt il est étudiant, tantôt il est
maître d'école, comme cela lui arriva dans la tribu d'Es-Sah'el
(581-582), fort mauvais instituteur du reste, l'esprit trop
rêveur et trop mobile pour s'astreindre à une pédagogie
sérieuse. Son air illuminé, qui le fait de suite reconnaître pour
une créature favorisée de Dieu, le protège contre toutes les
malveillances (47; et ses guenilles lui servent de passeport à
travers les tribus les plus redoutées. Chose curieuse, cette vie
nomade lui plaît; il n'aspire à aucun emploi, il ne profite point,
comme font habituellement ses coreligionnaires, de ses relations
avec des fonctionnaires européens pour demander «une place»:
il ne veut être ni gardien de nuit dans une ville, ni garde-
champêtre dans un douar-commune, ni chaouch dans une
justice de paix, ni cavalier de bureau dans une commune
(1) La retba existait dans les niédersas algériennes; à la médersa
de Tlemcen, il y avait encore, il y a deux ou trois ans, des étudiants
nirettebin, c'est-à-dire logés et nourris gratuitement cliez quelques
personnages importants de la ville, qui faisaient ainsi œuvre pieuse. Il y
en a encore un cette année ; cette coutume a disparu à la suite de
l'introduction du personnel enseignant français dans les raédersas.
(2) Maroc Inconnu, t. I, p. 128; t. II, pp. 750-751.
(3) Les gros chifl'res placés ainsi entre parenthèses sont des renvois
aux pages du tome II du Maroc Inconnu ; nous avons préféré les
mettre dans le texte afin de ne pas alourdir l'appareil des notes. Les
petits chiffres concernent nos propres notes.
(4) Mot usité dans l'ouest de l'Afrique Mineure pour désigner une fête
de charité en l'honneur d'un saint et, par suite, le repas qui l'accompagne.
316 LES DJEBALA DU MAROC
mixte, ni imàm dans une petite mosquée Il est et veat
rester saïW, c'est-à-dire voyageur dévot et mendiant ; nous
ne connaissons pas de désintéressement plus rare parmi ses
coreligionnaires (69-70). Que ses informations renferment
parfois quelques inexactitudes, cela ne surprendra personne ;
elles ont d'ailleurs le défaut des informations populaires dans
lesquelles la légende est souvent substituée à l'histoire ; encore
faut-il remarquer qu'il se présente telle circonstance où les
renseignements ainsi recueillis permettent de rectifier les
historiens les plus sérieux, comme Ibn Khaldoun (568). Qu'il
ait des défaillances de mémoire, on l'admettra bien sans doute
aussi, et l'auteur est le premier à le regretter (35). Que les
données statistiques enfin ne soient pas exactes absolument,
l'auteur lui-même ne le nie pas, mais elles n'en fournissent
pas moins des données de la plus haute valeur sur l'importance
relative des différents villages.
Les limites de la contrée désignée sous le nom deDjehala^^'>
sont différemment entendues par les Marocains eux-mêmes.
Il y a les Djebàla (sensu stricto) s'étendant entre le Rif et le
Tell marocain et s'arrêtant aux plaines de la province d'El
K'çar el Kebir (Alcazar)<'-) ; il y a les Djehala {largo sensu)
s'étendant jusqu'à l'Océan Atlantique et comprenant la région
de Tanger, d'El K'çar, d'Azila(Arzile) etd'El Araïche(Larache).
C'est dans ce dernier sens que les entend l'auteur, sans pré-
tendre d'ailleurs aucunement donner à cette expression un sens
géographique. Au Nord, ils sont bordés par le Rif, puis par la
mer à partir des R'mara, oi!i la marée se fait déjà assez
fortement sentir (290).
Le pays des Djebala est en maint et maint endroit un des
plus riches du Maroc ; certaines parties sont tellement
luxuriantes que les habitants ont surnommé leur pays Ech-
(1) Djehala veut dire : « montagnards ». Il y a en Algérie de nombreuses
tribus ou fractions de tribus qui portent ce nom (Djebala de la commune
mixte de Nédroma, Djebala de la commune mixte d'El Milia, etc.. ..)
(2) De Lamaktinière et Lacroix : Documents, I, p. 407, prennent
lexpression de Djebala au sens étroit.
LES D.IEBALA DU MAROC 317
Cham Ee Cer"u\ c'est-à-dire la petite Syrie, la Syrio étant
toujours, chez les poètes arabes, considérée comme le pays
le plus verdoyant du monde (21). Quelques portions des
Djebala ne sont qu'un immense verger, comme les Béni
Arous ") ou bien El Djaija (34). Le pays est montagneux,
sauf vers l'Atlantique, mais à la lisière du Rif, c'est proprement
une Kabylie et, dans certaines tribus, les villages s'échelonnent,
comme dans le massif du Djui-djura, sur des pentes d'une
déclivité effrayante ('^74). Les habitations du hameau de
Tazrouth, dans les R'mara, sont bâties sur des pitons séparés
par des précipices que l'on traverse sur des ponts en plan-
ches (294). Le climat de ces régions est naturellement excessif
et certains villages sont bloqués par les neiges pendant de
longs mois d'hiver (315) (2).
Un des pays les plus intéressants des Djebala et un de ceux
qui piquent le plus notre curiosité, c'est cette mystérieuse
ville d'Ech-Chaoun, appelée Chechaouen par les Européens et
Chefchaouen par les savants arabes, où le fanatisme des
habitants ne laisse pénétrer aucun Européen. Seul, de Fou-
cauld, déguisé en juif, a réussi à entrer à Ech-Ghaoun. L'aspect
de la ville vue du dehors est enchanteur (3). Toutefois le grand
voyageur n'a pu la visiter pour nous la décrire, ayant dû rester
enfermé dans le mellali' (i>. Fort heureusement, M. Mouliéras
a obtenu d'un Chaounais qui réside maintenant en Algérie les
renseignements les plus complets sur sa ville natale (121 seq.).
Mis en présence de la photogravure donnée par de Foucauld,
(1) De Lamartînière et Lacroix, p. 408. — Cf. De Foucauld,
Reconnccissance. p. 6.
(2) Notro manque de compétence nous interdit de nous étendre sur les
renseignements géographiques. Les spécialistes les plus distingués
donneront prochainement leur avis à ce sujet Rappelons seulement que
M. Schnell, un des géographes qui ont le plus étudié le Maroc, apprécie
hautement Le Maroc Inconnu (770). — Voy. en général pour la géogra-
phie des Djebala : De Lamartinière et Lacroix, Documents, I,
pp. 407-46i.
(3) « Avec son vieux donjon à tournure féodale, ses maisons couvertes
de tuiles ses ruisseaux <|ui serpeiilent di'- toutes parts, on se serait cru
bien pluiôt en face de (luelque bourg paisible des bords du tihin ([ue d'iuie
des villi s les plus fanatiques du Bif >;. (de Foucauld., Reconnaissance .
p 8).
(i) Dn appelle ainsi, dans les villes marocaines, le quartier réservé aux
juifs. Cf. de Foucauld, Reconnaissance, p. 395.
318 LES DJEBALA DU MAROC
Abdesselam (c'est le nom de cet informateur) a aussitôt
reconnu sa patrie et a commenté la vue prise par le hardi
explorateur de la façon la plus précise. Seulement, il s'étonnait
fort qu'il n'y eût là qu'un coté d'Ech-Chaoun et il s'obstinait
à retourner la gravure pour voir si le reste n'était pas derrière
(130). Les indications recueillies par M. Mouliéras nous
confirment que cette petite ville est indépendante o et ne
relève en aucune façon de la tribu de Lékhmas sur le territoire
de laquelle elle se trouve (136). Suivant les lettrés chaounais
(122), cette cité fut fondée par des Maures du royaume de
Grenade qui, effrayés des progrès de la reconquista chrétienne,
émigrèrent quelque temps avant la chute de leur capitale (^\
A part Ech-Ghaoun et Tétouan, nous i.e connaissions dans
les Djebala (au sens étroit du mot) aucune autre ville ; l'auteur
nous révèle la présence de bourgs énormes, pourvus de
plusieurs mosquées dont l'une est ornée d'un minaret : tels les
Béni Méjrou ou bien K'alaât Béni K'asem, dans les Béni Zéroual
(89); tels encore El-Khzana et Béni Zid (1 19-120), véritables peti-
tes villes, non loin d'Ech-Chaoun, qu'elles égalent presque en
importance. Ge sont là, pour les géographes, de véritables
découvertes, tant était grande la pénurie de nos renseigne-
ments sur les Djebala avant l'apparition du Maroc Inconnu.
Chemin faisant, l'auteur nous signale les ruines romaines (83,
91, 126 etc..) et les curiosités naturelles dont ses informateurs
lui ont révélé l'existence (79, 81, etc . ..)
« Les bosquets de notve pays ne contiennent aucun arbre
épineux. On y trouve le myrte, l'arbousier, le frêne, le
lentisque, le pin, l'oranger, la vigne, l'olivier. L'aspect riant
de notre tribu lui a valu le surnom d'El-Bahdja (la joyeuse) ».
(l) Cf. DE Lam. et Lac, Documents, I, p. 353 et n. 1.
(?) Cf. id. : « On y compte deux fractions principales : Garnata et El
Hadara ». Ce passage nous confirme le renseignement de M. Mouliéras,
sur une immigration Espagnole à Ech-Chaoun. Les (iharnàt'à, sont les
émigrants de Grenade {^^ ^> t^ ) et les h'adhar (pluriel de h'adhri. ^j-^-=^)
sont les autre.s citadins, de même qu'à Tlemcen, par exemple, la ville est
divisée en deux çoffs : çoff h'adhri, çoff k'ouroughli.
LES DJEBALA DU MAROC 319
Ainsi parlait un habitant d'El Djaya (34). Cette énumération
d'arbres implique, non seulement la richesse, mais aussi une
grande variété du territoire. La fertilité de l'Oued Ouarer'a est
proverbiale <'^ Cependant, malgré cette fécondité du sol,
l'agriculture djebalienne est restée primitive. Naturellement la
faucille est le seul instrument dont on se serve pour la
moisson des céréales (5) ; il y a même des tribus, comme les
Cenhadja-t-R'eddou, où la moisson se fait à la main, en
arrachant d'un seul coup les épis et les tiges (442).
Dans la plus grande partie des Djebala, les champs de
chanvre et de lin occupent d'importantes superficies; le rouis-
sage, le teillage, le tissage s'elTectuent par les anciens procédés
connus en Europe (502).
L'apiculture est très répandue. Dans tello tribu, les Béni
Id'er, par exemple (50-2), ou les Çenhadja t-R'eddou (443), il
n'y a, pour ainsi dire, pas une chaumière sans ruches ; on a
vu des villages entiers êtie obligés de déguerpir devant les
nuées des abeilles que l'on avait irritées par mégarde. Une
fois, les Béni Ouandjel, victorieux des Oulad bou Slama,
ayant mis le feu à un de leurs villages, les abeilles tombèrent
indistinctement sur les vainqueurs et les vaincus et les mirent
tous en déroute. La sériciculture, qui a peu à peu disparu de
l'Algérie et que les encouragements officiels n'ont pas réussi à
ressusciter, est florissante en maint endroit des Djebala (503).
La soie est expédiée à Fas et à Merrakech, seuls pays oîi
Ton sache la tisser.
Les Djebala, dont beaucoup boivent du vin, cultivent en
grand la vigne (2), savent la piocher et la tailler (508). Les
variétés de vignes cultivées seraient, au dire des indigènes,
extrêmement nombreuses ; les diverses espèces de raisins
portent les noms les plus bizarres : Bou Khenzir, Bezzoul-el-
Aouda, Taferialt, Ali^mar bou Amor, etc. (449j. — L'olivier
est aussi cultivé avec un grand soin et l'auteur nous donne les
détails les plus complets sur la fabrication de l'huile d'olive (Cl,
(1) Cf. de Lam, et Lac, Documents, 1, p. 4')S.
(2) Cf. Id. p. iU7.
320 LES DJEBALA DU MAROC
449) (1). L'huile de baies de lentisque est très employée pour
l'éclairage ; on l'emploie aussi pour la cuisine, après lui avoir
tait perdre sa saveur désagréable par une ébullition prolongée.
L'huile du bVo7n ou pistachier de l'Atlas est aussi fort
estimée (61).
Les pentes d'un grand nombre de montagnes djebaliennes
sont très boisées. Malheureusement, on exploite mal et on
déboise à tort et à travers. La valeur du chêne-liège n'est
même pas soupçonnée (76). Cependant, il y a des fractions de
tribu, comme les Béni Rzin, dans les R'mara, qui vivent de
l'exploitation forestière. Ils débitent le bois, etl'ouad Ouringa,
flottable un peu en amont de Tazrouth, sert à son transport
jusqu'à la crique d'El Djebha, où des balancelles l'embarquent
pour Tétouan et pour les Galîya du Rif (304). C'est encore à
Tétouan que s'en vont les bois coupés chez les Béni Grir de la
même tribu de R'mara (292). Les Ktama sont riches en cèdres
(95), en arabe avez (~\ et les gens de la fraction d'El Khmis
exploitent une forêt de ces magnifiques arbres, dont ils font
des portes, des coffres, etc (109).
M. Mouliéras n'a point voulu s'avancer sur le terrain, peu
solide encore, de l'ethnographie maghribine (128). Il pense
d'ailleurs, avec raison, que l'information orale ne fournit pour
la solution des obscurs problèmes de races que des données
sans valeur scientifique; il pense encore qu'en l'état où est
la question des origines berbères il convient de laisser les
anthropologistes poursuivre une enquête qui est à peine
commencée et qui n'a encore donné aucun résultat positif.
Parmi les trente et quelques naturels des Djebala qu'il a vus à
Oran et qui lui ont fourni les principaux matériaux de son
(1) Sur la fabrication de l'huile chez les indigènes, vo3'. HanOteau et
Letourneux. La Kainjlie et les coutumes hahyles, 3 vcl. 8", Paris. 1893,
2' éd., p. 520-525, et de Galassanti-Motyunski, Le Djebel Nefousa,
1 vol. 8'. 155 p., Paris,. 1898-1899. pp. 109-111.
(2) Les pauvres tribus du Rif font bouillir une partie de l'écorce du
cèdre pour la ramollir et s'en nourrissent. C'est le lah'm el ares, la
viande de cèdre. (Maroc Inconnu, I, p. 62).
LES DJEBALA DU MAROC 321
œuvre, aucun n'était blond. Tous étaient plus ou moins
châtains, quelques-uns extrêmement bruns (777) <i>.
Les Djebaliens ont une ethnographie à eux, qui est bien
autrement simple : ils divisent tout simplement leurs compa-
triotes en R'inara et Cenliadja et ils ont une tendance à étendre
cette division à tous les Marocains et même, dans leur profonde
ignorance, au globe terrestre tout entier (259). Quelques
réserves qu'il faille faire à ce sujet, il y a lieu de retenir cette
opinion des Djebaliens, qui ne doit évidemment pas être
dépourvue de tout fondement historique (->. Dans le Rif etdans
les Djebala, les R'mara et les (jenhadja forment deux grands
çofTs entre lesquels sont rigoureusement réparties toutes les
tribus (451-452). Cependant, il arrive que des fractions d'un
çofT sont enclavées dans une grande tribu de l'autre çoff : il
en est ainsi des Beni-bou-Zra, çenhadjiens qui sont englobés
dans la grande tribu des R'mara proprement dits (R'mara
sonsu stricto) et restent profondément berbères au milieu des
R'mara arabisés (285) (3).
Cette même tribu des Beni-Bou-Zra est un des rares groupes
de popu'ation des Djebala qui parle encore un idiome
berbère C'i, le thamazir'th (336). II en est de même d'une partie
des Ktama, celle qui es! contigûe au Rif (95). La langue
(1) Les blonds sont au contraire noml)reux chez les Rifains. Cf. sur les
b'onds au Maroc, le travail de Quedenfeldt cité plus loin, p. 115 seq. Voyez
aussi Maroc inconnu, I, p. 58, ligne 33.
(2) Les renseignements fournis par le capitaine Thomas et utilisés par
DE Lam. et Lac, Documents. I, 311, paraissent se rapporter en partie à
cette division générale des tribus en R'mara et en Çenhadja. Ils concor-
dent avec la liste donnée par M. Mouliéras, pp. 451-452. Cependant le
capitaine Thomas range les Ktama dans les (jenhadja, tandis que M. Mou-
liéras en fait des R'mara.
(.'i) Il y a aussi, çà et là, des populations plus ou moins noires descen-
dant de la fameuse garde nègre créée par Moulai Ismai'l et connue sous
le nom de Abid el Hokhari, par exemple chez les Béni Ah'med es yourrak'
et chez les Béni Zeroual (de Lam. et Lac, Documents, l, n. 432 et 448:
sur Abid el Bckhari. voy. Ez Ziani. Et Torcljwan, trad. Houdas, p. 29
seq et le Kitàb el Istik'ça du Slaoui, t. IV. p. 26-27.)
(4) Cf. DE Lam. et Lac, Documents, I, p. 350, ([ui rangent R'mara Pt
Ktama parmi les tribus du Rif. 11 y a du reste à ce sujet desaccord entre les
Marocains eux-mêmes. D'après ces deux auteurs (p. 417) les Béni H'asan
sont aussi de langue berbère, ainsi que de Foncanld le déclare également
{Reconnaissance, p. 10.)
322 LES DJEBALA DU MAROC
berbère recule peu à peu devant, l'arabe, ici comme dans tout
le nord de l'Afrique (^\ Mais, dans un grand nombre de tribus,
l'arabe est encore tellement mélangé de thamazir'th qu'il est
méconnaissable: il en est ainsi cbez les Beni-ben-Chibeth, les
Oulad bou-Slama et les Béni Ah'med, où l'on observe des
particularités dialectales curieuses, comme la permutation
du .^ u avec le r (374,\ En d'afitres endroits ce n'est pas au
berbère seulement qu'il faut attribuer la corruption de la langue
arabe : c'est ce qui arrive à Tétouan où la langue est altérée par
de nombreuses permutations du j et du o, du ^ ^et du », du^ ^■
et du , ^- (^201) <-> et où le vocabulaire lui-même contient des
termes singvdiers, comme A-aJ, fontaine; 'Àc.s^ marché aux
céréales, etc Cette corruption est due peut-être à
l'inlluence des nombreux Israélites qui habitent Tétouan et
des Maures Andalous qui y ont émigré (202).
L'auteur donne (614-618) une anecdote en dialecte d'Ech-
Chaoun : en y remarque la confusion, si fréquente en Algérie
du ^. et du o.' (-^^ du ûi et du 3, l'emploi du .> (4) et du :> <■"')
comme particules d'annexion, des métathèses comme noiil.
(1) Sur l'aire occupée par le berbère, voy. Renk Basset, Etudes sur
les dialectes berbères, 1 vol. 8". Itti p., Paris, 18^i. (Biill.de IT^colesup.
des Lettres d'Alger); p. VI-IX, et, en ce qui concerne spécialement le
Maroc, (Juedenfeldt. Einth. u.Verbr. d. Berberberoelh. in Maroliho,
in \'erltandl. anthr. Ges.. 1889. Nous croyons savoir, d'autre part, que
M. de Calassanli-Motylinski prépare actuellement une carte de la répartition
du berbère en Afrique.
(2) Sur la première et la troisième de ces permutations en berlière, voy-
René FI^-SSet. op. Jaud., p. 29 et 45. An sujet de la deuxième, cif.
Fischer, Hieb- xtnd Stic/araffen im heutiqen Marokko, in Mitth. d.
Sem. f. Or. Spr. z. Berl. lahrg. II. Abth.'lL Weslas. Stud.. p. 2 du
t. à p. — L'impossibilité de prononcer le ^ ? et sa transformation en Ti
ou en une sorte de hamza, se rencoulre d'une façon sporadique, chez
nombre d'indigènes algériens.
(3) A Tlemcen, p. ex., on ne prononce q'une seule lettre se rapprochant
beaucoup duCl^- Cf. Qitede.nfeld, loc. cit., p. 191, n. 1.
(4) Est-ce la finale de l'arabe vj* ? est-ce la préposition du génitif
kabyle? M. Mouliéras penche pour la seconde hypothèse 614, n. 2).
(5) L'emploi du ^ comme particule d'annexion parait général au Maroc,
« mais nulle part, dit de Foucaui.d (Reconnaissance, 11), avec autant
d'excès qu'aux environs de Tétouan ». Certaines populations de la pe'ite
Kabylie emploient couramment comme particule d'annexion di, ^^•^ et
aussi le ^ simplement, de même que elli. ^' (Cf. Luciani, Les OuJed
Athia de l'oued Zhour, in Rev. Afr., XXXIIP ann.. 4"^ trim. 1899, n" 195,
p. .307-308). On peut remarquer que ^^^j pour ^^ , est un démonstra-
tif et ,^1 un relatif.
LES DJEBALA DU MAROC 323
pour loun o, couleur, etc.. Dans certains endroits la désinence
a est changée en i, ce <iui est un reste du berbère <-) et s'observe
chez certaines tribus mal arabisées de rAfriifue septentrionale,
les Kroumirs, par exemple (492) qui disent el mi ponrel ma et
el mri pour el mra. Enfin le vocabulaire marocain diffère
considérablement de celui du reste de l'Afrique Mineure et on
trouvera dans le Maroc Inconnu un nombre considérable de
mots qui ne figurent pas dans nos lexiques arabes-français (3).
(1) Ces métathèses sont extrêmement communes dans les dialectes
algériens. Ex : vj-*^ pour v*' , maudire ; ^ ^-^s pour ij^'^ j saisir ;
V A=i.'j pour s y-=^ , répondre; ■^'j pourJL^^ , passer, etc..
(2) Cf. Maroc Inconnu. I, p. 137 n. : Mousi pour Mousa. Beni Bon
Yah'yi, tribu du Rif, pour Beni hou Yah'ya. Duveyrier, apud. ue Lam.
et Lac, Documents, I, p. 338, a mal entendu ce dernier mot.
(3) Relevons au hasard, parmi les nombreux vocables nouveaux que cite
l'auteur, une trentiaine de termes que ne donne pas Beaussier :
^y> , bey^riou, crottin de chèvre (104) — Ji^:.^-^^. béllaidour, belladone
(309) — , 9^^ j îhil.'af, impuissance artificielle, nouement de l'aiguillette
(499) — i3- J"^' /*'<^'"'' */'■'■ P'3t composé de cardons et d'orties bouillis (418)
— O^a., h'azzan, maître d'école isracUte (143, n. 2) — V:^-^"'-^'^? inaJi'a-
sin, raisins secs, noix, amandes, oranges, sucreries, desserts variés (38) —
^j>j.d-=s. , h'ammounii, grain moisi dans le silo, en arabe algérien ^ 'j t^-^,
mechroub (91)— 5_»; V=>- -, klazzioua. djellaba épaisse, grossière, aux raies
multicolores (96) — '^Ç^'^ y mol.hfia, synonyme de l'algérien ^j'^ ,
methred, plat en bois avec un pied (G17. n. 18) — A.i»x^, k/iencha, sac en
cuir des écoliers marocains (104) — -• ^ ; dlem, chène-liège (370) —
,, 9^j , rif, armée, band?. troupe (131) — ^jj y zernidj, thuya (394)
I) - -f^jj y zernidj,
liane (509) — -^ '•i-*^ ,
.1 . I C^.„„,„..
— «iAÀ»"*- , sebniya, foulard de coton blanc (509) — ^jl*^ , meslouk/i,
(littéralement a écorché »), imberbe (68) — ç>L^^^ , selham. burnous
(553) — ijLiU;» , mcharet,, instituteur ambulant (351) — ^^j^^, choun,
poche (584) — ^=:jS^ , ciUouh\ kouskous froid sans beurre ni graisse,
arrosé seulement de petit lait (594) — 'i-'Sj^ , t'bouk'a, panier rond tissé
en palmier nain (509) — 'i.h)lc , âïfa, cris de joie poussés à l'unisson
dans les fêtes (13) — ^^Ls , àïl, mignon (Maroc Inconnu,!, p. 50), fém.
aLLc , cala, prostituée (14) — iv) f^ ' f^'erran, homme qui ne fait pas
les prières à l'heure voulue, qui les joint et les dit en une seule fois (263
n. 1) — i^-^-LJ» , gbah'i, répétition continuelle du mot « hou, hou » qui
1^ I f
se fait dans les fêtes en dansant au son de la musique (13) — lO'"*'' >
k'emnian, receleur (363) — ^ .'j^^r^ , merdeddouch, marjolaine, (148)
— À.i*^^iU^ , mchimcha, nétle du Japon (127. n. 1) — / v-t-^ , mers,
■• t ■ '
emplacement de plusieurs silos réunis (419) — -oij..' , n:-aha, tournée de
mendicité faite par des étudiants et des marabouts (78) — Xcsr*""^l, En-
Nousldia, la mi-chàban (193, n. 1) — ij-;:-^'* ■> iiellil, muezzin qui
convoque les fidèles à la prière pendant la nuit (333, n. I).
324 LES DJEBALA DU MAROC
Un des services les plus considérables qui auront été rendus
à la géographie marocaine, c'est la fixation, par M. Mouliéras,
d'une manière définitive, de l'orthographe des noms de lieux,
soit arabes, soit berbères. Tous sont écrits en arabe et trans-
crits en caractères français. On attend encore un semblable
travail pour l'Algérie ; s'il avait été fait, il eût évité aux carto-
graphes des méprises extraordinaires et de continuelles incer-
titudes ('). L'auteur a signalé quelques-unes des erreurs sin-
gulières où sont tombés des voyageurs au Maroc, faute de
connaître les éléments de la langue arabe : l'un croit que la
vipère s'appelle lefa'â, parce qu'enroulée elle ressemble à la
lettre /a, ^ a. (545) ! l'autre affirme sérieusement que la lettre
b, ^ , manque dans la langue des Rifains(546) ! (2). Les ortho-
graphes les plus grossièrement fautives sont encore courantes
de nos jours, comme cheul, chellog, pour chlouh', ou encore
Bocoyas. Bekilya, Belkouya, pour Bek'k'ouya, tribu dont il
fut beaucoup question l'an dernier à Oran (586, n. i) (3). i\ est
(1) On ne saurait dire combien la cartographie algérienne a souffert et
souffre encore de cette imprécision dans la transcripiion des noms propres
arabes. La belle carte au 1/50,0(10'= de l'Algérie est loin d'être exempte de
défectuosités h cet égard. Toutefois cela n'est rien auprès de nos premières
cartes qui mentionnaient des Djebel Manarf et des Oued Manarf ! Si
l'on en croit le géîiéral Parmeutier, il existerait encore, dans les archives
militaires de notre colonie, une circulaire de Hugeaud datée du camp de
l'Oued Manarf (Parmentier, Vocahidaire arabe- français des princi-
paux termes de tjéographie, etc., 1 br. 8", 50 p. Alger. 1881 ; p. 2-3). Sur
la carte générale de l'Algérie au 1/1. 500. 000" éditée en 184:5, on trouve, dans
l'Aurès, au nord de Sidi Abid! un village appelé Ouachhounn !
(2) H. Duveyrier, apud de Lam. et Lac, Documents, \). 396. n. 1. dit:
« Melila, telle est la véritable orthographe, on écrit et on prononce en
arabe aujourd'hui comme on écrivait au XP siècle. Le site est fiévreux
et melila veut dire en arabe chaleur fébrile. » On est stupéfait en présence
de cette assertion de la part d'un voyageur qui a séjourné à Melilla ; il
suffit en effet de s'adresser au pi^emier marocain venu pour constater
que tous prononcent Mliliya. comme l'a constaté Mouliéras. Maroc
Inconnu, I, p. 151. Eidenschenk et Cohen-Solal, Mots usuels de la
langue arabe, 1 vol. Oran, 1897, p. 236, écrivent correctement X^U.^» Mliliya
en arabe, mais leur transcription est espagnole. Le mot espagnol Melilla
se rapproche assez de la véritable prononciation. Quant au mot melila,
c'est un mot d'arabe littéraire qui n'a rien à voir ici. Rien n'est plus
dangrereux que de vouloir chercher l'origine des noms propres du nord de
l'Afriiiue dans les lexiques de Freyiag et de Kasimirski. C'est une obser-
vation qu'on pourra faire en prenant connaissance des Irop savantes
étymologies données par Largeau dans ses relations. A ce point de vue,
de Foncaidd est à peu prés irréprochable ; il a su faire un usase tellement
judicieux de ses connaissances eiinrahe, que l'on n'a pas à lui reprocher
de ces bévues si fréquentes chez d'autres. — En ce qui concerne le ^^.^
certaines tribus le prononcent un peu comme un v (Quedenfeldt
loc. cit., p. 192. n. 2)
(3) Pourquoi s'obstine-t-on à écrire Riff avec deux /" (451)? Queden-
feldt, loc. cit., p. 109, n. 3, avait déjà signalé cette ridicule orthographe.
LES D.IEBALA DU MAROC 325
vrai que mainte et mainte ibis les arabes qui ignorent profon-
dément le berbère ont été les premiers à estropier les noms
propres ; ils écrivent Tsoiil pour Dsoid f-illQ), Clicfchaouen
pour Ech Chaoun (121), Acila (nous écrivons Arzille) pour
Azila (603), KIwlt' pour LekliloiW (o(J6), etc.. M. Mouliéras a
mis un terme à cette confusion. Il a fait plus encore, il a tenté
de nous donner l'étymologie ou tout au moins la signification
courante de tous les noms de lieux et sa nomenclature du
Maroc est destinée à faire loi parmi les géographes. On
est tout surpris de retrouver au Maroc des villages portant le
nom de Tlemcen (i> (486) ou de Ouahran, c'est-à-dire Oran <~).
*
» *
Désireux d'approfondir en détail la vie matérielle des
populations djebaliennes, l'érudit professeur de la Chaire
d'Oran nous donne de nombreux détails sur leur alimentation.
A l'instar de M. Delphin '•'', il n'a pas dédaigné de nous exposer
même des recettes de cuisine (385, n. 1). Dans mainte tribu
des Djebala, la nourriture des habitants est fort grosssière :
de pauvres peuplades comme les Ktama ou les Oulad Bekkar
ne dédaignent point les escargots et les champignons, qu'on
mange bouillis dans l'eau (105j ; ils donnent la chasse aux
gerboises et aux sauterelles, qu'ils mangent grillées (361). La
(1) Le village de Tlemsoun, clans les Béni Messara. « Tlemcen, dans
le dialecte des Braher du Maroc, signifie anlique. Ex ; Tlemcen elbeni
ines d'atlemsan. Tlemcen est une ville antique. C'est pour cette raison
sans doute que les Arab3s appellent Tlemcen el djidar, mot qui signifie
antique en Aralje vulgaire. » (Mouliéras. Les Beni-Isguen. étude sur
leur dialecte, 1 broch, 8°. 78 p., Oran, 1895; p. 41). Agadir Ao'ii être l'équi-
valent de djidar, en sorte que le.s trois noms de Tlemcen semblent avoir la
même origine. Les indigènes appellent aussi el Djidar d'autres villes
comme Oudjda et Tak'demt ; le nom de cette dernière, arabe sous sa forme
berbère, signifie aussi « ancien ». Cf. les célèbres tombeaux appelés Djedar
aux environs de Frenda. Djidar au reste, comme Tlemcen, en berbère,
se dit de tout édifice anticjue. En arabe littéral c/Jù/ar signifie « muraille ».
11 y a un Ouad Tlem'cin qui de.scend des pentes de l'Aurès oriental vers
le Sad. Agadir signifie surtout « forteresse ». Cf. Agadir sur la côte occi-
dentale du Maroc.
(2) Maroc Inconnu, I, 80. Cf. Beni-Isguen, p. 4ii. Les aventureuses
conjectures de Rinn, Origines berbères, in Rev. Afr., XXXIP ann.,
n* 188, p. 97, ne sont guère vraisemblal)les.
(?>) Voir la préface des excellents Textes pour l'Etude de l'Arabe
■parlé, 1 vol. 18", VI - :^61 p., Paris-Alger, 1891, du distingué directeur de
la Médersa supérieure d'Alger, p. III.
326 LES DJEBALA DU MAROC
consommation de la viande de chacal est aussi fort à la mode
(795, n. 1) et beaucoup de montagnards ne se font pas faute de
manger du sanglier O. Par contre, dans d'autres tribus, le gi-
bier est tellement délaissé qu'il pullule et que les lièvres el les
perdrix causent aux vergers de grands dégâts (3l5j. On ne sera
pas peu surpris d'apprendre que le dindon se trouve dans la
basse-cour de certains villages de Meçmouda (487) : ceux qu'a
vus l'informateur de M. Mouliéras avaient-ils été dérobés à des
européens de la côte ? Il ne le sait, mais il est douteux qu'ils
fussent régulièrement élevés. Parmi les animaux domestiques,
il faut citer le furet, très répandu chez certains montagnards
des Beni-H'assan et des Beni-Léït (757) qui le dressent à la
chasse. Les chiens, comme partout en pays indigène, sont très
méchants et occasionnent aux voyageurs de cruelles mésaven-
tures (301 )(2). L'auteur ne nous apprend nulle part que l'on con-
somme leur chair (3), non plus que celle des chats (''). Ces der-
niers sont élevés en grande quantité par les Héddaoua (184),
confrérie de marabouts mendiants, fumeurs de kif, qui vivent
avec l'animal cher à Baudelaire dans une promiscuité com-
plète (5).
Les Djebala aiment beaucoup les liqueurs alcooliques et les
scènes d'ivrognerie sont fréquentes chez ces musulmans (754).
Non seulement les étudiants de certaines tribus boivent, à la
barbe des marabouts, dans leurs orgies nocturnes, le vin acheté
aux chrétiens et aux juifs de Tanger (608), mais il y a plus : un
(1) Maroc Inconnu, ], 57. Ce fait n'a rù'ii d'étonnant : le sanglier est
presque la seule viande qu'aient à leur disposition les populations pauvres
qui habitent en pleine forêt. C'est ainsi que, dans les mêmes conditions,
certaines tribus algériennes mangent encore le sanglier (Voy. mon Ex-
cursion au Cap Bougarone, in Bull. Soc. Géog. Oran. XX' ann., tome
XVIT, fasc. LXXIll. avril-juin 1897, p. i2.il). (J'est ainsi encore qu'au
moyen-àge, alors que les forêts de chênes couvraient la plus grande par-
tie de notre pays, la viande la plus usuelle était la viande de porc (La-
vissE ET RamÎîaud. Hist. Gén., t. 11, p. 4, n. 1). Nous reviendrons du
reste spécialement sur ce sujet Intéressant. ^
(2) Cf. Delphin, op. laud., p. 322se([. et 35i seq.
(3) Cf. Bertholon, La Cynophagie dans l'Afrique du Nord, in GR.
25"= sess. AFAS. Garth. 1896, 1^"= part. Doc. off. et proc.-verb., p. 207-208.
(4) Les Arabes de la Dhahra (Maroc) mangent les chats sauvages (185,
n. 1).
(5) Lfis fumeurs de kif, les h' echaïchin semblent aimera vivre en fami-
liarité avec les chats. It y a à TIemcen quelques-uns de ces malheureux
qui se promènent avec un chat sur leur épaule.
LES D.IEBALA DU MAROC 327
grand nombre de tribus fabriquent du vin (47(5, n.) que l'on
conserve dans des jarres énormes, si profondes qu'un homme
s'y pourrait noyer O. Chez les Béni Ah'med-es-Sourrak', les
mosquées sont pourvues de chais où sont emmagasinés vins,
huile et çamet (7Gi). Ce çamel est une sorte de gelée de raisin,
obtenue par la cuisson du moût (-' et qui ne contient pas
d'alcool ; mais il y a aussi du çamet alcoolique et les
Djebala en font souvent abus (475, n. 1). Ils abusent parfois
aussi de l'eau-de-vie ou mah'ya f^) que leur vendent les juifs
de Tanger, de Tétouan, d'Ech-Chaoun (115). A côté des
boissons alcooliques, il faut placer le thé, dont l'usage est
excessivement répandu ; c'est du reste u la grande friandise du
Maroc» (''); la poésie arabe qui a cours là-bas, reproduite et
traduite par M. Mouliéras (481), peut donner une idée de
l'amour qu'ont les marocains pour ce breuvage (594) <•'').
On fume immodérément le A-(/"^)chez les Djebala (20) ; les
fumeurs les plus endurcis réveillent leurs sens blasés par des
(1) Cf. DE Lam. et Lac, Documents, I, pp. 325, 428, 438. L'usage des
boissons fermentées est plus répandu qu'on ne se le figure parfois dans
l'Afrique Mineure; sans parler du vin de palmier on lafpni, bien connu
des Sahariens, on peut rappeler que les indigènes de Djerba cultivent la
vigne et fabriquent un vin grossier, que du reste il ne savent pas conserver
(Bertholon, Exiiloration anthropol. de Vile de Djerba, ia V Anthro-
pologie, sept.-oct. 1897, n. 5, p. 56U).
Cl) Voy., pour la fabrication du çamet, Maroc Inconnu, 1, p. 55.
(3) Les juifs qui font une énorme consommation de mak'ya la fabriquent
eux-mèmes, « dans le Nord avec des raisins secs, dans la montagne avec
des figues, dans le Sahara avec des dattes. Dans les villes la /uo/^ya
s'achète par carafes au marché ; dans les campagnes, chaque maison
distille tous les jeudis ce qu'il lui faut pour la semaine » (de Foucauld,
Reconnaissance, p. 397, n. 1).
(4) DE Foucauld, Reconnaissance, p. 125, n. I. Le thé marocain est
du thé vert importé d'Angleterre. On le prend en général très faible avec
beaucoup de sucre et de la menthe.
(5) Le café est presque inconnu au Maroc, sauf dans les grandes villes
et dans les ports de mer ^de Foucauld, o/>. laud.. p. 126). Le cheikh El
Habrl, des Béni Snasscn, interdit le café aux Derk'aoua (|ui relèvent^ de
de son autorité et ne leur permet que le thé. Ue même le thé est la
boisson favorite des indigènes du Sahara central: ils le préfèrent infini-
ment au café que beaucoup d'entre eux ne connaissent pas ou n'aiment
pas. Cf. FouREAu, Mon neuvième voyage au Saliara et aux pays
touareg, in Bull. Soc. Géog. Paris, 1'' sôr., t XIX, 2" trim. 1898,
p. 250.
(6) Cf. DE Foucauld op. laud., p, 3i ; le sultan a le monopole de l'in-
troduction du /.î/" dans les villes. Voy. Delphix, Textes, p. 108 et 110,
sur le kif. Sur le tabac et le kif au Maroc, cf. une intéressante note de
M. Fischer dans ses Hieb- und Stic/noafjfen im Marokko, p. 10, n. l'
dut, à p.
328 LES DJEBALA DU MAROC
poignées de tabac à priser (^> dont ils bourrent leurs narines,
tout en grignotant des noix et des raisins secs (lOi)). Les
Héddaoua surtout, cette société de Clopins Trouillefous, font
un grand abus du kif (2) à l'exemple de leur patron Sidi Héddi
(186, 189). Certaines tribus tirent d'importants revenus de la
culture du chanvre à fumer (3) ; celle de Ktama est célèbre
dans le Maroc entier par son kif ('*) et on y vient s'approvision-
ner de tous les points du R'arb (96). On absorbe aussi, sous
forme d'électuaire, la graine du h'achich <"'> et l'opium <*5>.
L'habit national des Djebala, si l'on peut s'exprimer ainsi,
c'est la djellaba ^'^ sorte de long vêtement, avec un capuchon
et de très courtes manches. 11 y en a de plusieurs sortes : il y
a la r'orabiya, toute noire, complètement fermée ; la d'ibiya,
gris cendrée ; la faKciya à raies blanches et noires ; la chaou-
niya, très courte, avec un long capuchon ; Vouazzaniya, lon-
gue, légère, bordée de soie ; la khizzioua, couleur carotte, etc.
(16-17) (S). Plusieurs tribus s'adonnent spécialement à la fabri-
cation des djellaba et quelques-unes sont renommées pour
(1) L'usage du tabac à priser, employé seul est très-rare au Maroc ("de
FouCAULD, op. laud., p. 35). Il est répandu chez bon nombre de tribus
algériennes, qui l'absorbent par la bouche.- Le tabac à fumer ne s'emploie
guère au Maroc que mélangé au kif. Les juifs seuls fument la cigarette
(DE FouCAULD, loc. Cit.) Cependant, dans certains k'çour du Sahara
marocain, tout le monde fume le tabac (ù/., p. 123).
• (2) Dans une grande partie du sud marocain, le kif est « l'apanage des
chérifs et des marabouts : ils le fument en l'arrosant de grands verres
d'eau de vie » (id., p. 168).
(3) Le Kif est une variété du Cannabis sativa, L., à feuilles et à graines
plus petites que le tvpe (Battandier et Trabut, Flore de V Alcjérie,
1 vol. 8", xr-»25-XXIV p., Alger, 1888-1890 ; p. 8U9).
(4) Cf. DE FouCAULD, Reconnaissance, 35. n.
(5) Cf. Uelphin, Textes, p. 110.
(0) Maroc Inconnu, L p. 62. Pour tout ce qui concerne l'alimentation,
le thé. le tabac, etc...; au Maroc, voy. l'important travail de (Jueden-
FELDT, loc. cit., 1887, p 241 seq.
(7) Cf. DE Lam et Lac, Documents, I, p. 408, à qui une coquille fait
écrire djebala. de Foucauld. iîeconnaî'ssance, p. 11, p. 23, écrit cons-
tamment (/je?a6za pour (:/jeZia/-//!/a. forme employée ça et là, particulière-
ment dans les villes et en dehors des pays où ce vêlement est habituel. Mais le
terme de beaucoup le \Aas vép-dodu eai djellaba. Cf. Delphin, Textes,
p. 49 (proverbe sur Sidi Ah'med ben Yousef), et Quedenfeldt, Einth.
etc., p. 119, n. 1.
(8) Cf. Delphin, Tecutes, p. 194, p. 196.
LES DJEBALA DU MAROC 329
cela, par exemple les Cenhadja-l-el Oiit'a(4it)). Le burnous est
fort rare ; généralement les djebaliens ne le portent que le
jour de leur mariage et, dans maint hameau, il y a un burnous
de noces, déposé chez un notable de l'endroit et qui sert à tous
ceux qui se marient (495j. Le marabout Bou Selham dut son
nom, qui signihe Utomme au burnous, à ce qu'il portait tou-
jours ce vêtement, en dépit de la coutume des Djebala (553).
La temme djebaUenne est souvent belle : les femmes de telle
tribu, comme les Béni H'ouzmer, par exemple, sont renommées
pour leur beauté (199). 11 est vrai que l'idéal du marocain en
cette matière est bien ditîérent du nôtre : ce qu'il estime le
plus chez la femme c'est l'embonpoint, en sorte que la beauté
est affaire de kilogrammes et que l'esthétique n'est plus qu'ne
arithmétique. Les malheureuses que leur maigreur déparent
aux yeux de leurs contribules absorbent Voudhmi, la Dlan-
tJiella compressa, (Clauson) des botanistes. On met la racine de
cette plante dans des outres à baratter et le beurre ainsi tait a,
dit on, la propriété de faire engraisser (476). En mainte tribu,
les femmes sont très libres, vont et viennent sans voile ; dans
celle d'EI-Branès, par exemple, elles peuvent circuler à visage
découvert (356) ; ailleurs, comme chez les Mernisa, on leur
réserve sur le marché un enclos où les hommes ne peuvent
pénétrer (365). Malgré reffroyable relâchement des nuHurs,
l'adultère est relativement rare, car il est réprimé par des pei-
nes terribles. Chez les Beni-Zeroual, comme chez beaucoup
d'autres tribus, l'Iiomme coupable d'adultère a les yeux crevés
avec une faucille rougie à blanc (18). Quant à la femme, elle
expire sous les coups de bâtons et les huées de la populace (51).
D'autre part le nombre des prostituées et des ignobles person-
nages connu's sous le nom de ail est évidemment un dérivatif
à la lubricité bien connue des Djebala.
Privilégié entre tous, l'informateur principal de l'auteur,
MolTammed ben Tayyeb peut partout, chez ses coreligionnaires,
approcher du beau sexe sans exciter la jalousie de qui que ce
soit. San air étrange et illuminé, qui 'ait qu'on le prend pour
un bienheureux, le rend particulièrement vénérable aux yeux
13
330 LES D.TEBALA DU MAROC
des femmes (207-208). Nous les avons vues bien souvent, à Oran
ou à Tlenicen, arrêter notre derviche, baiser sa main ou le pan
de son manteau et lui adresser, en pleine rue, quelque requête
à laquelle il répondait d'un ton divinement supérieur. C'est
ainsi que dans les Djebala, il allait impunément se désaltérer
à la fontaine du village, au milieu des femmes qui puisaient de
l'eau, ce qui aurait valu à tout autre qu'à lui une cruelle puni-
lion de la part de la Djemaà (48). Même dans des tribus,
comme les Beni-Smih', où les femmes sont d'une sauvagerie
excessive. Moh'ammed était toujours le bienvenu au milieu des
groupes de ces dames et n'excitait ni leur frayeur, ni la jalousie
des hommes (297-298).
La femme, pas plus chez les Djebala que dans le restant du
Nord de l'Afrique, n'est cette esclave qu'on a voulu nous
représenter. L'auteur a déjà, et avec raison, protesté contre ce
préjugé si répandu, qui veut que la femme indigène ne soit
entre les mains de son mari qu'un instrument de plaisir et de
travail '^>. Il revient encore sur ce point et il y insiste particu-
lièrement dans quelques pages fort intéressantes (736-740).
Quant à l'ignorance de la femme, elle est loin d'être aussi
générale qu'on peut le penser. Le lecteur sera certainement
surpris d'apprendre qu'on a vu à Fas une femme, El Aliya
bent Si-t'-Tayyeb, qui professait dans une mosquée un cours
de logique et qui expliquait à des étudiants des deux sexes le
commentaire d'El Azhari sur la Djaroumiya (741). Evidemment,
c'est là, et l'auteur en convient, une exception ; nous sommes
loin de la société des Rosternides de Tiaret où il n'y avait pas
une servante qui ne connût les signes du zodiaque ! (2). il y a
bien, ça et là, dans les Djebala, quelques femmes qui savent
lire et écrire, mais c'est encore assez rare et le djebalien répète
volontiers: -.-j..'! ^L*^3 w.* =L.*»A.'f ^Ax> « instruire les femmes,
c'est détruire la religion ». Gela n'empêche pas toutefois que
(1) Maroc Inconnu. I. pp. 133-131.
(2) Masquerav, Chronique d'Ahou Zal.aria. I vol. 8". LXXIX-410 p
Alger, 1870 ; p. 78.
LIlS D.IEBALA du MAROC 331
l'iiilluence inoralo de la femme dans la société djebalienne reste
très grande ('^
Malgré cela, le mariage, comme dans toute l'Afrique
Mineure, a le caractère d'une vente. La jeune lille n'est point
consultée (494), et le plus souvent les deux époux ne se sont
jamais vus <-). Le cadre restreint de notre article ne nous
permet pas d'entrer dans le détail des cérémonies qui
accompagnent le mariage chez les Djebala (495-499), et qui
du reste ne diffèrent pas sensiblement de ce qui se passe
ailleurs dans l'Afrique du Nord. Pour la même raison nous ne
pouvons nous étendre sur les rites et usages funéraires en
usage dans le Nord du Maroc, et auxquels M. Mouliéras
a consacré de longs développements (4'25-435). Notons seule-
ment que l'on garde relativement peu de réserve dans les
cérémonies funèbres (433). Les femmes ne se déchirent point
les joues et ne poussent pas de lamentations comme cela se
pratique en Algérie (427) (3).
La mort, chez les Djebala, est méprisée et ces rudes popula-
tions sont en général braves. La peur de l'au-delà ne les
hante pas. Bien au contraire, le marocain pense que l'existence
terrestre est mauvaise, que toute agitation est stérile, que
(1) ViLLOT, Mœurs, coutumes et institutions des indigènes de
l'AlQérie, 1 vol. IS", X-521 p., Alger, 1888: d'ordinaire si exact, nous
semble s'éloigner de la vérité lorsqu'il dit, p. llô, que l'indigène ne
de(nande que rarement conseils ou consolations a sa femme . — Hugonnet ,
Soureniy^s d'un chef de bureau arabe, 1 vol. l^", 2sG p., Paris. 1858;
p. 'J8 seq., nous parait donner une appréciation beaucoup plus juste.
Voy. surtout Mercier, Condition de la femme musulmane dans
l'Afrique septentrionale, 1 vol.. 155 p., A'ger, 1895, passim.
(2; Ce caractère de vente nous semble en fait, indubitable, malgré
l'opinion de Mercier, op. laïuL, p. 82 seq., qui examine surtout le
point de vue juridique, et de liuGONNET, op. laud... 92. Voy. à ce sujet
Haxoteac et Letournecx, La Kabijlie, 3 vol., 8\ Paris. 2^ éd.. ISM ;
t. II, p. 149 seq. et Villot, ojj. laud., p. 81.
(3) On pourra comparer la description des cérémonies du mariage et
de l'enterrement chez les Djebala avec les descriptions analogues publiées
en Algérie ; l'extrême aboudance de cette liltti-ratuiv nous interdit de
donner ici même les principales références. Voir les ouvrages de Villot.
Hanoteau et Letourneux, Féraud. Daumas, Bonnafont, Fromentin, Tru-
melet, Largeau, Masqueray, etc., etc.
332 LES DJEBALA DU MAROC
l'homme est créé pour les joies futures. C'est, nous dit
M. Mouliéras, uti pessimiste terrestre et un optimiste
céleste (62[). De l'avenir terrestre, il ne s'occupe pas ; ici-bas,
il vit dans le passé, méprisant tout progrès et répétant : E^ns
khelr min el ijninn, c'est-à-dire : « Hier valait mieux qu'au-
jourd'hui » (').
Le trait dominant de leur religion, c'est, comme dans tout
le Maghrib, le culte des saints, le maraboutisme : pas un
hameau qui n'ait son oiiali. Parmi cette foule de saints,
quelques-uns se détachent et sont universellement révérés :
tel est le célèbre Sidi Abdesselam ben Mechich <-) en l'honneur
de qui s'organisent des pèlerinages monstres (171) et à qui on
rend un culte digue d'un dieu. Au reste le nombre des familles
de marabouts est incalculable chez les Djebala qui, déjà
arabisés, sont atteints de la manie de la généalogie chéri-
fienne (306). Les bourgeois gentilshommes sont nombreux
chez eux et le deviennent de plus en plus (•^).
Parmi les familles maraboutiques les plus influentes des
Djebala, il faut citer au premier rang la maison d'Ouazzan (*',
oii se trouve le Conseil supérieur de l'ordre des Tayyihiijin,
peu connus sous ce nom au Maro»;, car on les appelle généra-
(1) On reconnaît là la thèse déx'eloppée par M. Lapie dans son inté-
ressant livre Les civilisations tunisiennes, 1 vol. 12", 304 p., Paris, 1898.
(2) DE Lam. et Lac, Documents, T. 368. Voir en général, pour tout
ce qui concerne les marabouts des Djebala et du iif. le très intéressant
chapitre VIII de cet ouvrage, intitulé : Influences religieuses et politi-
ques du Nord-Est du Maroc, p. 361-389. On ne manquera pas de
remarquer la concordance qui existe entre les données fournies par les
Documents et les renseignements contenus dans le Maroc Inconnu qui
complètent plus d'une fois les premières.
(3) Voy. au sujet des fausses généalogies chérifiennes GuiN, De la
suppression du manuscrit : , j^*?'^-' -X^*-' r- Y'^ ^s— i y^ir^j^y J'j^ ?
inRev. Afr., XXXI» ann.. u" 181, janv. 1887, p. 72-8U. Cf. le proverbe :
« Ennoblissons-nous en prenant li titre de chérif, disait un jour un
jeune ambitieux à son père. — Attends, lui répondit celui-ci, (jue soient
morts ceux (jui nous connaissent ». Cité par Fkraud, Les Harar, in Rev.
Afr., XVIII' ann.. n" 1U3, janv. - févr. I87i, pp 21-22.
(4) DE Lam. et Lac , Documents. I, pp. 372-386. — Ouazzan veut dire
« le peseur » en arabe. Il est bon toutefois de remarquer que ce nom se
rencontre ailleurs : il y a un Ouaz:en da-ns le Ujeb 1 \efousa. Cf.
DE Galassanti-Motylinski, op. laud., p. 1U8.
LES DJEBALA DU MAROC 333
lement Touhnmbi'ni, du nom de Moulaye Et-Toiihami ben
MolTammed ; coiUM'iiier est considéré par la masse des altlliés et
des dignitaires do l'onlre comme le plus illustre réorganisateur
de la Confrérie (458). Ou sait que le chef de cette confrérie
est devenu le protégé de la France et que, dans ces derniers temps,
il a joué un rôle important dans notre politique marocaine.
Il serait injuste de méconnaître les services que la maison
d'Ouazzan nous a rendus, non seulement au Maroc, mais
encore en Algérie. Peut-être ces services nous ont-ils inspiré
une confiance un peu exagéi'ée dans la puissance de l'ordre
des Vaijyihiiiin. En tous cas, il est certain (|ue les articles de
la presse métropolitaine sur le chérif d'Ouazzan ont le plus
souvent manqué de mesure et qu'ils ont contribué à répandre
dans l'opinion publique des idées fausses sur le degré d'in-
fluence de l'ordre de Moulaye Tayyeb. On en est venu à
considérer les grands maîtres de cette confrérie commet ayant
une influence prépondérante dnns tout le Maroc à l'exclusion
des autres puissances religieuses. M. Mouliéras s'est élevé,
non sans vivacité, contre de pareilles exagérations qui pour-
rai-ent avoir leurs dangers (458 seq.) Tout en reconnaissant la
grande influence du chérif d'Ouazzan dans nombre de
régions du Maroc, il a fait observer qu'en mainte autre contrée
elle était absolument nulle< >; que la ville d'Ouazzan, située"
chez les Béni Messara, gémit en réalité sous le joug de ces
derniers, lesquels ne se font pas faute de la piller de temps à
autre (469; <' ; que la noblesse la plus vénérée, la plus popu-
laire du Maroc n'est pas celle des chérifs d'Ouazzan, mais
celle des descendants directs des derniers princes Idris-
sites (462) <'^\ Il faut donc l'cvenir à une appréciation plus
modérée et plus juste de l'influence ouazzanicnne dans
l'étendue de l'empire chérihen, tout en remarquant que la
diplomatie fram-aise ne pouvait négliger de se ï^ervir de cette
i[itluence, car les puissances rivales n'auraient pas manqué
alors de l'exploiter cnnire nous('>.
(\) (Jf. DE FouCAULD, Reconnaissance, p. l63-l(Ji.
("2) Vov. sur ces pillag-îs de Lam. et Lac, Documents. I, p. 375.
438. i(J8. '
(3) ' f. id., p. 361-367.
(i) Bull. Comité Afr. franc., 1898. p. 121.
334 LES DJEBALA DU MAROC
A côté des grandes sociétés religieuses qui initient leurs
adeptes aux pures joies extatiques, il y a aussi, chez les
Djebala, des confréries purement sportives, dont le tir à la
cible est le principal exercice (473). Chez les Béni Messara,
tous les jours, dans chaque village, de nombreuses compagnies
s'exercent au tir et à l'escrime '^\ Dans toutes les fêtes, les
exercices sportifs tiennent le premier rang, tir, escrime, jeu
de balle avec une balle d'où sort une longue aiguille, etc. . . .
(176). Pas de fête sans que la poudre ne résonne; conune tous
nos indigènes, les Djebaliens sont des fanatiques de la fantasia^'^\
soit équestre, soit surtout pédestre: une vingtaine de combat-
tants se jettent à plat ventre, rampent, se cachent derrière les
obstacles, bref, imitent toutes les ruses de la guerre ^■^K Puis au
bout de quelque temps de ce manège emprunté aux adeptes
de Sidi Ah'med ben Mousa (''>, un cri retentit, aussitôt suivi
d'une décharge générale de fusils (30).
Tout, chez les Djebala, est prétexte à fête et s'il y a un pays
dont les habitants mènent joyeuse vie, c'est bien c?lui ci ; les
enterrements eux-mêmes sont des occasions de bombances (■').
Mais les fêtes ne seraient pas complètes sans les danses
lascives des courtisanes et des mignons (20, 52, 104, 453,
608, etc.) (6). ' ^%
Car les Djebala ont le triste privilège d'être le peuple le plus
débauché qu'il y ait au Maroc. La corruption des mœurs y
(1) Sur les confréries de tireurs, vov. Bis's , Marabouts et Kh ou an.
1 vol. 8", VIII-552 p., Alger, 1884 : p. 121-126. - Sur le tir à la cible chez
les indigènes, cf. Delphin, Textes, 271-275.
(2) « L"afïaire importante ici nVst point le trafic, c'est le Jeri des che-
vaux ; tout cavalier des Ait Ben Zid est tenu de venir chaque dimanche
(jour de marché) y prendre part ; une amende de dix francs punit les
manquants » (de Foucauld, Reconnaissance, p. 71.)
(3) Sur la fantasia comparée chez les lafains et les Djebaliens, cf.
QuEDENFELDT, FAnth . , etc.., pp. 119-120 Cf. les combats singuliers des
Touareg décrits par Foureau, Mon neuvième voyage au Sahara et aux
pays touareg, in Bull. Soc. Géog. Paris, 7" sér.. t. xix. 2'= trim. 18î'8,
pp. 236-237/
(4) Cf. DEPONTet CoppOLANi. Les Confréries religieuses musulma-
nes. 1 vol. 576 p., Alger, 1897; 'p. 367., et surtout l'important travail de
QuEDENFEi.nT qui écrit Sidi H'ammed (sic) ou Mousa (ioc. cit , 1889,
p. 572).
(5) Maroc Inconnu, I, p. 66.
(6) Sur les danses des hommes et des jeunes éphéhes, cf. Delphin.
Textes, pp. 246 et 256.
LES D.IEBALA DU MAROC 335
atteint un degré inimaginable <". Point de village où ne pullule
l'ignoble giton, le âil répugnant; les Djebala sont pourris par
la sodomie ('^>. Chaque étudiant a son mignon et il est même
difticile à celui qui est seul d'obtenir la rctha dans une mosquée,
car on craint qu'il ne veuille s'emparer d'un éphèbe apparte-
nant à l'un de ses condisciples (65). Nombre de femmes
mariées supportent que leur époux entretiennent sous le toit
conjugal une de ces immondes créatures (i76, 512) ; on se fait
gloire d'avoir un tel compagnon et on se promène avec
lui (05) ^•'>. A côté du ail, il y a aussi la alla, prostituée
achetée et possédée en coumiun par plusieurs célibataires f 14)
Tout ce beau monde se réunit dans chaque village au be'it-eç-
çolifa. sorte de maison commune où sont enfermées les armes
et les munitions du village et qui est en même temps le
théâtre d'orgies etfrénées ^'" . La lubricité des femmes
mariées, dans certaines tribus, égale celle des hommes (180)
6t il faut la crainte des épouvantables châtiments qui attendent
l'adultère pour les contenir dans le devoir que leurs maris
observent si peu.
Aïl et àïla sont mis en vente C'^ sur les marchés, absolument
comme une marchandise (6i) : leur prix ne dépasse guère
(1) Et pourtant de Foucauld, Reconnaissance, p. 136. résumant ses
impressions sur l'ensemble des marocains dit : « Les mœurs sont
dissolues. »
(2) L'exemjjle, du reste, vient de haut et les ché'-if d'Ouazzan eux-mê-
mes ne sont pas exempts de vices infâmes :
Et quia non metuunt animœ discrimen
Principes in hahitum verterunt hoc crimen ;
Virum viio tnrpiter jungit novus hymen.
Exagitata procid non intrat femina limeo.
(WrtGht, Anecdotica literaria, apud ut" Méril, Poésies pop. lat.
(lu Moyen-Age. vol- 8°, ^5i p. Paris, 1817 ; p. 1U2. n. 4. où l'on
trouvera i1'inléres'-;antes indications bibliog'aphiques sur les vices hon-
teux du Moyen-Age). En ce qui concerne (Juazzan. Cf. in Bull. Coin.
A fr. f7^anr., loc.cii., l'allnsion de la ligne 20. d'en bas. col. '2, p. 121.
On trouvera une source de comparaisons intéressantes avec les mœurs
djeba'iennes dans le récent article de Matignon, Deiuv mots sur la
péci . en Chine, in Rer. d'Anthr. <)'im. t. XIV, 14-ann., ii° 79, 15 janv.
1899, pp. 38-.5;i.
(■\) ÇA. Haedo. Topoiiraplne et Hist. gén. d'Alger, trad. Berbrugger
et Monereau, in Rev Afr., XV' ann., n° 85. janv. 1871, p. 49 et n" 88.
jnil. 1871, pp. 3l2-.]|.'i. en tenant compte toutefois des exagérations de
Haedo.
(i) Au coiu's d'une diatriiie fielleuse ((ueson ton nep''rm 4 pasdediscuter
dans nnt revue sérieuse, .M. Delbrel. (|ui n pénétré cliez les Fechtala,
convient cep 'udanl ((ue tout ci! ({ue M. Mouliéra.s a dit de»^ uKHurs
ahomiuab'es des djebalieus est exact {Dcpi'che Algérienne Ai\ 20 juin 18)9.;
X'oir dans la Dépêche Algérienne du 28 juin 1899 une réponse à
l'article de M. Delbrel.
(5) Cf. DE Lam. et Lac, DQc.um.ents, I, p. 438.
336 LES DJEBALA DU MAROC
150 francs, quoiqu'il y en ait parfois qui atteignent 300 francs,
sans doute à cause de leurs talents inavouables (511). Comment
se recrute ce bétail humain? La plupart des jeunes gens
exposés ainsi étaient originairement des prisonniers de guerre;
beaucoup aussi proviennent de vols, car, de tribu à tribu, de
continuels enlèvements ont lieu (i). Malheur au jeune homme
qui s'écarte trop des lieux habités : il court le risque de
tomber entre les mains de ces maraudeurs d'une nouvelle
espèce (39, 51, 76j (2).
A côté de la lubricité djebalienne, les mœurs du Rif et des
Braber font contraste par leur pureté. Il semble qu'au Maroc,
les populations restées berbères soient d'une moralité
supérieure aux berbères arabisés (374). Les Dsoul, par
exemple, mal arabisés et voisins des Braber, sont exempts des
vices infâmes de leurs compatriotes djebaliens (435) et, d'une
façon générale, les Riafa n'ont pas assez de mépris pour les
inavouables mœurs de leurs voisins (•^). La lubricité de ceux-ci
s'accommode très bien, chose curieuse, avec leur fanatisme et
c'est précisément dans les bourgs où il y a le plus de mosquées
et de clercs étudiant le livre sacré que les mœurs soi)t le plus
relâchées (403).
Des gens qui vivent ainsi au milieu des pires excès doivent
nécessairement s'user vite : aussi l'impuissance est-elle fré-
(1) Ces mœurs incroyables sont également rapportés par de Lam. et
Lac. Documents, I, pp. 408, 438, 441 : les Keni Messara viennent enlever
des jeunes garçons dans l'intérieur même d'Ouazzan ils n'épar-
gnent pas plus les filles des chérif que les autres.
(2) Les Djebaliens qu'on interroge au sujet de toutes ces liontes sont
généralement embarrassés et n'avouent pas aisément les turpitudes de
leur piys. Mais les habitants du Rif qui les connaissent ne tarissent pas
à ce sujet ; nous venons d'en faire encore l'expérience quelques instants
avant d'écrire ces lignes.
(3) 11 serait peut-être dangereux de généraliser outre mesure et de
conclure que, d'une façon absolue, les Berbères de l'Afrique Mineure n'ont
été corrompus que par les Arabes. Bien que les mœurs de la grande
Kabylie soient en général pures, il s'est cependant conservé çà et là
(Guitser) (îes usages bien immoraux. Cela est encore plus accentué dans
1 Aurés et les b rbères d'Ouargla sont, parait-il, extrêmement dissolus.
Signalons cepimdant ici que M. Camille Sabatier a soutenu au Congrès
de (iéographie d'.Mger de cette année une thèse analogue à celle de M.
Mouliéras : s'appuynut sur des données statistiques, il a clierché à
démontrer que la criminalité en Algérie était toujours plus élevée dans
les douars-communes arabes ou arabisés que dans les douars-communes
berbères.
LES DJEBALA DU MAROC 337
qiiente chez les Djehaliens et elle est leur grande terreur (52).
Plutôt que de l'attribuer, en efïet, à leurs monstrueux abus,
ils sont convaincus qu'elle est généralement l'etlet d'un
sortillège (52). Le tlnk'af <'', ou art de nouer l'aiguillette est
tlorissant chez les Djebala et on trouvera dans le Maroc Inconnu
les moyens employés à cet effet (499 seq). Aussi, ce que les
Djebaliens demandent le plus à la médecine, ce sont des
aphrodisiaques : ils emploient dans ce but le pyrèthre
(Anacijclus pyrethnim, Coss.), qu'ils appellent Tijent'ast(en
arabe guenfes), le turbith (Ghhularia Alypum, L). qu'ils
appellent Taserr'int et les différentes espèces d'orobanches,
dont l'aspect bizarre ne pouvait manquer de les frapper et
qu'ils appellent .1 ra/im (en Algérie, rdim). La thérapeutique
se borne chez eux à l'emploi de quelques simples (105-106,
476 seq.) Les Heouara-t-el-H'adjar ont une singulière coutume:
le premier jour du printemps presque tout le monde absorbe,
mélangé au couscouss, du dévias ou tltapsia cuit : ils pensent
que cela les met, pour un an, à l'abri des maladies, même de
l'hydrophobie ! (418). La rage se traite ainsi : on enlève une
poignée de poils à l'animal après l'avoir assommé, on la réduit en
cendres et on applique celles-ci sur la plaie ^2'. La victime doit
ensuite se bourrer d'ail cru pendant huit jours. Si la thérapeuti-
que est rudimentaire, la chirurgie l'est encore plus: quelques
t'olba opèrent, paniitrait-il, Ic^ goitreux, nombreux dans certai-
nes tribus où on les nomme rçli ah-i i-h' alW oum (799, n. 1), mais
nulle part on ne pratique la trépanation, très connue des
habitants de l'Aurès (336, n. 1) (3).
(1) A Alger, on dit encore rehat' : merbout'. qui a Taliruillette nouée.
(2) Cette manière de traiter la rage parait répandue sur toute la surface
de l'Afrique du Nord, avec différentes variantes- Cf. Largeau, Le Sahara
Algérien, l vol. 16% 347 p.. Paris. 1881 ; p. 80. De même on guérit la
piqûre du scorpion en écrasant la bête sur la plaie (LARGEAr. op. laud.,
p.b(J.'J)- An reste c'est une croyance très répandue que les animaux mal-
faisants guérissent eux-mêmes le mal qu'ils ont produit ou encore sont
rendus iuoffHnsifs par 'eur propre image Cf. une note intéressante à ce
sujet dans Houdas et Basset, Miss, scient, en Tun , in Bull, Corresp.
Afr.. 1884, p. 46. n. 2: et Carra de Vaux, l'Abrégé des merveilles.
I "ol. in 8', Paris 1897. pp. 272. 243. 285 : commenté d'une façon très
intéressante par Maspéro, in Journ. des Sav., févr. 1809, pp. 82, 83.
(3) Cf. Malbot ei Verseau, Les Cliaouias et la trépanation du
crâne dans VAures, in L'Anthrop. '897. t. Vlll, n" 1, janv.-févr. et
suiv. — Nous n'avons pas à notre disposition, au moment où nous
écrivons ces lignes le travail de (,)uedenkeldt. Kranhheiten. Voll\s-
medicin und abergl. Curen in Marohko, in Ausland, 1891, 4 seq.
338 LES DJEBALA DU MAROC
La panacée universelle reste encore le JiHrz, l'amulette,
grifïonnée par les lettrés. Comme jadis la Thessalie pour les
Grecs, le Maroc pour les algériens est la patrie des sciences
occultes. La vénération des masses pour tout ce qui est écrit ^"
leur donne une conliance aveugle dans les petits carrés de
papier contenant des formules magiques dont la vente est le
principal moyen d'existence d'innombrables t'olba (477)(2).
La seule institution gouvernementale qui existe chez les
Djebala, c'est la djonaâ <■') ; sans elle le pays serait en proie à
l'anarchie la plus complète et les habilarits se décimeraient
les uns les autres. C'est une antique institution, mais chez les
Djebala arabisés elle a perdu sa form,' ber-bère primitive et son
ancienne organisation (''). Toutefois elle reste encore le seul
pouvoir qui soit capable de maintenir un peu d'ordre dans la
société djebalienne (503). Ses attributions sont extrêmement
étendues : elle décide également sur les affaires d'ordre
gouvernemental, administratif ou judiciaire; elle connaît du
civil et du criminel ; bretelle exerce une véritable omnipotence
("504). Bien qu'elle se conforme naturellement à la coutume,
cependant il ne paraît pas qu'il existe des A-'anown écrits <'^).
En ce qui concerne la sécurité, la djemaà est la seule garantie
(1) Quand Largcau, à Ouargla, faisait aux malades dss applications de
sinapismes Rigollot, ils étaient j^ersuadés que ce i[ui agissait c'é-
taient les caractères tracés sur le dos du sinapisme (avis sur la mauièrii
de s'en servir) et ils s'écriaient : « Qiii^i grand médecin ! il écrit des
livres qui brûlent comme du feu ! » C LarGeau, Le pays de Rir/ia,
1 vol. 16°, 413 p, Paris, 16 79 ; p. «5.
(2) Cf. Maroc Inconnu, I, p. 53,9-2.
(3) Nous aurions pu nous étendre davantage sur ce très intéressant
chapitre des djemaà, mais nous avons à ce sujet en manuscrit un travail
spécial que nous espérons mettre plus lard au jour Les deux livres
fondamentaux à consulter à ce sujet sont celui di Hanoteau et Le-
TOURNEiJX (op. laud.) et ]V1a.squeuay, Formation des cités chez les
populations sédentaires de l'Algérie. 1 vol. XLVIII-326 p., 8°,
Paris, 1880 (Thèse).
(i) Il en est cependant resté quelques traces. Ci Lam. et Lac.
Documents, I, p. 428.
(5) Ils sont fort rares au Maroc. Cf. Fovcavld, Reconv ai^sance, 1, 90.
Au moment ou nous corrigeon-! ces épreuves. M. Mouliéras nous fait
savoir qu'il existe des 1,'anoun manuscrits dans les grands villages de
Lékhmas. Beni-Zéroual et (lenhadja.
LES DJEBALA DU MAROC 339
des habitants; à cetégard, ses membres auraient plutôt souvent
une tendance à étendre sa compétence, alin de se partager,
iiubuiient (railleurs, les amendes qu'ils infligent (391). Mais
ils sont retenus d'autre part par la nécessite d'éviter toutes les
occasions d'aiïaiblir leur autorité en se heurtant à 1 opposition
de gens puissants (283.) La djemaà, pour cette raison, s'immisce
le moins possible dans les querelles personnelles : en ce qui
concerne les meurtres en particulier, elle laisse aux familles le
soin de venger elles-mêmes les victimes par l'exercice du
droit de talion "> (504). Ne font partie de la djemaà que les
hommes d'âge mùr, mariés, considérés, fds d'un ancien
membre du conseil et ayant des parents dans le village (-). La
djemaà siège en permence f505) ; il y en a une par village ou
par groupes de quelques villages (60) et, en outre, il y a une
djemaà générale de toute la tribu (506) qui dirige ce qu'on
pourrait appeler ia politique extérieure et décide de la paix ou
de la guerre. Quant au caïd nommé par le sultan et que la
plupart des tribus ont fini par accepter, il ne garde une ombre
d'autorité qu'autant qu'il reste en bons termes avec la djemaà
générale; sinon il est obligé de déguerpir (506>. Les djemaà
locales élisent un chef par fraction ; la durée de ses pouvoirs
n'est pas limitée ^'^\ et il est révocable par ceux qui l'ont
nommé. Nous avons déjà vu que les munitions étaient
déposées au béït eç coh'fa de chaque village ; c'est qu'il y a
partout une sorte de milice bourgeoise, dont ne font partie ni
les étudiants, ni les hommes mariés. Le béït eç çoh'fa est donc
fréquenté surtout par des ignorants et des célibataires, et cela
nous explique comment il est devenu l'abominable lieu que
nous savons 2':2-23). Ainsi, il y a un commencement d'organi-
sation mililaire et, en cas de guerre, une petite armée peut être
(1) C'est la rel.'ba kabyle ou t/iamer/ueret. Cf. Hanotkau et Letour-
NEUX, op. laud., t. in, p 61. On rappelle èï\C"i\: outiJa au Maroc (If.
Moh'ammed KEN IUh'al a trarem les Béni Snassen. in Bull. Soc.
Géocj. Oran. XIL ann , t. IX, fasc. XL, janvier-mars 1889, p. il n. l.
(2) Souvent (Hek'k'onya, Rif), les nr^mbres de la djemaà se distiniruent
des simples particuliers par la djellaba noire et le roideau de corde en
poil de chameau (Maroc Inconnu, I, p. 'J'i).
(3) Les R'iatha n'élis-ent aucun espèce de cheikh (de Fomcauld, Re-
connaissance, p. 3i) de même que les Ida ou BelalCw/., p. 155). Ailleurs
le cheikh est élu pour un an {irl., p. '.I?). Ailleurs encore, il est hérédi-
taire {iiL 151).
340 LES DJEBALA DU MAROC
promptement réunie; la centralisation sociale en effet ne
dépasse pas la tribu, et l'étal d'hostilité de ces agglomérations
est pour ainsi dire permanent dans les Djebala (248).
Le sentiment de nationalité est, pour le moment, encore
restreint à la tribu ; la plus grande solidarité règne générale-
ment entre contribules, et il n'y a point d'exemple qu'un
individu soit mort de faim au milieu de ses concitoyens, comme
cela arrive quotidiennement dans nos sociétés civilisées (318).
Mais avec les frontières de la tribu s'arrête l'esprit de confra-
ternité; le djebalien ne voit pas plus loin : les hommes qui sont
de l'autre côté de la rivière ou sur l'autre versant de la monta-
gne ne sontpas ses frères *'*. Pourtant, la division générale des
Djebala en Cenhadja et en R'mara est déjà l'indice d'un grou-
pement supérieur à la tribu '-). En outre les Marocains civilisés
commencent à entrevoir vaguement 1 idée d'une patrie maro-
caine et c'est un des côtés les plus intéressants du Kitab el
iMik'ça, qu'il contient à cet égard de nombreux plaidoyers (26);
fait grave, digne d'être médité par nous. C'est à vrai dire une
idée qui est encore loin de se faire jour dans l'esprit de la
n)ultitude, et les Djebala, en particulier, n'en sont encore qu'à
la forme tout à fait provinciale du patriotisme. Te manque de
cohésion, l'émiettement des tribus et l'insécurité sont cause
que l'on ne pourrait voyager si l'hospitalité n'était générale-
ment pratiquée. A la vérité, l'étranger, dès qu'il parait dans
une tribu, est considéré comme un ennemi : Jwspcs, Jiostis.
Mais dt' s qu'on l'a accueilli, on le traite en hôte ;' les marabouts,
les zaouiya ofïrent habituellement le gîte et le couvert à l'étran-
ger, ce sont presque les hôtelleries du Maroc (•'>. Cependant il
y a des pays où la méfiance à l'égard de l'étranger quel qu'il
soit ne désarme pas ; les habitants d'Ouazzan (nous ne parlons
pa"? de la zaouia), sont [)arliculièrement inhospitaliers ('482-
il) Voy. le'^ remarques fort inléressanles et, en ce t[in concerne le
Maghrib. entièrenripnt vérifiahles, de Gumplowicz, La lutte des races,
trad. tSaye, 1 vol. 8", Paris, 1893, p. 193 seq.
(21 « En 188-2 l'assemblée générale des Braber s'est, dit-on. réunie; elle
était composée de délégués de toutes les fraclions (véritables tribus) et
formait un total de près de lUOO personnes » de Foucauld, Reconnais-
sance, p. 362).
(3) Cf. DE Foucauld, Reconnaissance, p. 167).
LES DJEBALA DU MAROC 341
i85). Il en est de même de certaines peuplades d'El R'arb et
de Lékhlout' qui ne se gênent pas pour répondre à celui fjui
se présente comme t//)eï/yl/ia/i (hôte de Dieu): ^và/» ^«.0' s-;.::.'|
I f;_i.Ljj c'est-à-dire : a L'alouette est plus petite que toi, e
cependant elle couche dehors )> (552) ^^\
Nous avons parlé d'insécurité. Que dire en effet d'un pays,
où l'on répète couramment, comme un proverbe: r J-> c^^_ ^j»J,1
j>^ XisT^ c^^' > c'est-à-dire : a Celui qui n'a pas le fusil à la
main est un homme mort (586)» ? il n'y a pas de contrée
qui soit plus infestée par les brigands que les Djebala. Une
tribu, célèbre par son banditisme, semble en avoir reçu son
surnom, puisqu'elle s'appelle Béni Ah' med-es-Sourrak\ c'est-
à-dire (( les voleurs fils d'Ah'med ». Il n'y a point de plus incor-
rigibles pillards (3) et leur proverbe favori est : El hafel JVelou,
« ce qui ne coûte rien est doux » (763). Les Dsoul sont égale-
ment célèbres par leurs brigandages ; ils ne respectent absolu-
ment personne r423). Au surplus tous les Djebala excellent
dans l'art de couper les routes et de dévaliser leur prochain
(281-282) ; tout est pour eux de bonne prise <•'*> et la plupart du
temps ils laissent leur victime absolument nue (5*. Rien n'est
plus fréquent dans un village que de voir rentrer dans le plus
simple appareil une personne qui était partie en voyage '147),
et il y a tel ou tel trajet pour lequel on ne trouverait aucun
guide qui consentit à vous accompagner ('•). L'influence des
(1) L'hospitalité indigène tant vantée, a eu aussi ses détracteurs ; on a
prétendu, non sans, apparence de raison qu'elle favorisait la mendicité et
qu'elle augmentait le nombre des vagabonds. Cf. Herbrugger, De llms-
pitalité clie; les Arahes. in Rec. Afr., XI 11'= ann , n° 74. mars 1S69,
pp. 145-150.
(2) Cf. QuEDKXFELDT, Eintà, etc., p. 118-119.
(3) Cf. DE L.^M. ET Lac, Documents, I, 432-433. Sur le brigandage
des Béni Messara, cf. ici., p. 438.
(4) Voy. dans Delphix, Textes, p. 196, le procédé original employé
par les bandits marocains pour faire restituer aux voyageurs l'argent ou
les bijoux qu'ils auraient pu avaler, afin de les dérober aux recherches
des voleurs.
(5) Cf. de Fouc.\.uld, Reconnaissance, p. 5.
(6) C'est ainsi que de Forc.\ULD, loc. cit , ne put trouver à Ecli-Chaoun
un guide pour le conduire jusqu'à Fas à travers les territoires de Lékh-
mab. Béni Zeroual et Béni Ah'med.
342 LES DJEBALA DU MAROC
marabouts eux mêmes est souvent inefficace, et, d'ailleurs, il
y a tel santon fort vénéré de sa tribu, qui est lui-même un
coupeur de routes êmérite, par exemple Sidi-l-Mekki-1 Ouaz-
zani, dont la zaouia est située chez les Fennasa (378-381).
Un autre motif d'insécurité, c'est l'état de guerre perpétuel
qui existe entre les tribus. Elles ont entre elles des haines
féroces, et elles exercent réciproquement sur ceux de leurs
membres qu'elles font prisonniers, d'atroces représailles (386
387j. Lorsqu'une tribu est menacée, elle implore l'alliance des
tribus de son çotï"; des députés se rendent sur les marchés de
celles-ci et égorgent publiquement un taureau : c'est le âr
(honte, déshonneur), sacrifice par lequel on avoue sa faiblesse
pour demander secours (311). Les batailles, naturellement, ne
sont pas dfs batiilles rangées ; chacun combat pour soi, s'avan-
çant, s'arrêtant, fuyant quand bon lui semble. Toutefois cha-
que fraction de tribu a pour se rallier les drapeaux de ses mara-
bouts (') et son orchestre de hautbois et de grosses caisses (75).
Toutes les attrocités possibles sont commises contre les vaincus,
les cadavres sont horriblement mutilés et les contribules des
morts n'osant venir enterrer les corps, ceux-ci pourrissent
souvent sur place, formant d'immenses et nauséabonds char-
niers (434). 11 y a des guerres inexpiables, dans lesquelles les
vaincus ne veulent pas se soumettre et qui ne finissent pas (372-
373) ; il y a, au contraire, d'autres cas où des fractions, horri-
blement foulées par leurs ennemis, implorent en vain leurs
frères impuissants, comme ce village d'El Mizab, que les Béni
Zeroual oppriment d'une façon atroce (43).
Ainsi le voyageur que les bandits n'ont point dévaUsé court
encore le risque d'être pris entre deux partis de belligérants ;
il y a bien des signaux de neutralité traditionnels, comme par
exemple de faire tourner sa djellaba au-dessus de sa tête (2ti0),
mais ils n'offrent pas de bien sérieuses garanties. L'impossibi-
lité de voyager est telle, même pour de hauts personnages,
que l'àmel d'Oudjda, mandé par le sultan, préfère se rendre à
(I) Coutume générale dans le Nord de l'Afrique, Cf. Robin, Xotes
historiques sur la grande KalnjHe, in Réf. Afr., X\'" ann., n" 115,
janv.-févr. 1876, p. 48.
LES DJEBALA UU MAROC 343
Fas par Nemours et Tanger, en prenant le paquebot français
qui dessert ces deux ports, que de prendre la voie directe
par terre (422, n.) ! C'est surtout la frontière séparant deux
tribus rivales qui est dangereuse pour le voyageur qui possède
(juelque bagage ; celui-là ne peut voyager qu'en payant des
zet'VaV , cest-à-dire des gens influents que l'on n'ose attaquer
parce que leur famille et leur tribu se lèveraient pour les ven-
ger et qui vendent leur influence pour faire passer sans
danger les voyageurs d'un village à un autre village ">. Arrivé
à celui-ci on cherche un autre zet'Vtat\ et ainsi de suite (78).
Et que l'on n'aille pas croire que cette insécurité n'existe que
dans les territoires indépendants, car les régions soumises au
sultan sont en général encore plus dangereuses, les agents du
gouvernement ne protégeant nullement les populations contre
les brigands et les opprimant autant que ceux-ci peuvent le
faire c'-^ {11, 537).
Dans ces conditions, il n'y a que d'innocentes créatures,
comme le derviche Moh'ammed ben T'ayyeb, n'ayant rien à
perdre, prêt à se dépouiller de ses vêtements à première
sommation, protégé par ses apparences d'illuminé, qui puis-
sent circuler sans grand danger au Maroc. Et encore, que de
mésaventures ! Que de fois il est dépouillé de ses pauvres
habits, n'échappant à la mort que parce qu'on craint de
frapper un medjdCouh (illuminé, extatique), parce qu'on sait
que sa vengeance n'est pas à redouter et que nulle part, même
chez les Djebala, on ne tue un homme sans raison (47, 146,
150, 181, 218, 262, 301, 319, 375, 388, 404, 483, etc.j <3>.
Mais, dira-t-on, et le sultan? Ne peut-il rétablir l'ordre ? Le
sultan de Fas et de Maroc n'est pas le sultan du Maroc, ou
plutôt le Maroc, considéré comme nation soumise à un seul
(1) Cf. DE FouCAULD, Reconnaissance, p. 7 n. 1,36, 51.
(2) « le blad et makhzen, triste région où le gouvernement
fait payer cher au peuple une sécurité qu'il ne lui donne pas ; où, entre
les voleurs et le qtïïd, riches et pauvres n'ont point de répit ; où l'auto-
rité ne protège personne, menace les biens de tous, etc » (de
FouCAULD, Reconnaissance, pp. 4LI-4I).
(3) Voir dans Delphin, Textes, 32G-327, le récit en arabe d'une
semblable mésaventure.
344 LES DJEBALA DU MAROC
souverain, est une conception qui n'a jamais existé que dans
l'esprit des politiques européens ^'>. Tout le monde sait en effet
que le prétendu empire des cliérif se divise en deux parties
fort inégales : le blad et makhzen et le Uad es siha (72), c'est-
à-dire le pays soumis payant des impôts et fournissant des
recrues et le pays indépendant-'. Or, dans les Djebala, le
blad el makhzen n'occupe rfu'une bien petite superficie, eu
égard à l'aire totale de la région ; quelques tribus seulement , sur-
tout dans la partie ouest qui confine à la mer, sont soumises ; les
autres reconnaissent nominalement l'autorité du sultan, mais
ne payent aucun impôt (3), à moins que l'on ne décore de ce
nom le cadeau qu'elles envoient de temps à autre au descen-
dant de Fat'ima-t-ez-Zohra qui occupe le trône de Fas et de
Maroc (319). Il y a gros à parier que bien des Djebaliens, ceux
surtout qui habitent des tribus peu accessibles, comme les
Beni-bou-Ghibeth, les Oulad bou Slama, les Béni Ah'med,
savent à peine qu'il y a un sultan <^> au Maroc ; et ce sultan, en
somme, si l'on considère l'ensemble des populations marocai-
nes, est à peine plus puissant qu'un des grands caïds des
Braber (IG) <''). Même en expédition de guerre, il faut
qu'il compte avec certaines tribus '*'' ; il a alors recours à sa
politique ordinaire qui consiste à exciter plusieurs tribus contre
celle qu'il veut détruire en leur permettant de la manger (703);
encore ce procédé ne lai réussit-il pas chaque fois, et il y a
(1) Dans le texte arabe du traité de Lalla Mar'nia (18 mars 1845), le
sultan se qualifie simplement de « sultan de Fas, de Men-akech et du
Sous-el-Ak'(;a », pas plus. Cf. de Lam. et L.\C., Documents, I, 5'i5).
(2) Le dernier est quai re ou cinq fois plus vaste que le premier (de Fou-
CAULD, Reconnaissance, p. XV). Sur l'expression blad es siba. Cf.
Delphin, Textes, pp. 32U-35I.
(3) Les Béni Arous sont exempts d'impùls comme chorfa. C'est une
tribu du reste très-turbulente, soumise nominalement, mais très-indé-
pendante de fait. Cf. de Lam. et Lac, Documents^ I, 430.
(4) Cf. de Foucauld, Reconnaissance, pp. 52. 158.
(5) « Tel est le prestige du sultan. On le regarde comme un
chef de tribu éloigné avec qui on serait en assez mauvais rapport
(Zenàga) » (de Foucauld, Reconnaissance, p. 114).
(6) « En 1889, lors de la colonne du sultan, la tribu de Lékhmas a
refusé à l'armée, forte de lO.UUU hommes, le droit de prendre de la paille»
(cap. Thomas, apud de Lam. et lac, Docnments. I, 429) La même
année, ils refusèrent de laisser traverser leur territoire à l'ambassadeur
d'Italie qui allait porter des lettres de créance au sultan (de Lam. et
Lac, id., p. 428).
LES DJEBALA DU MAROC 345
telle petite tribu qui a tenu le chérif en échec pendant plusieurs
années, comme les Béni Mezguelda, par exemple (447-448),
Presque toujours il est obligé de composer, d'accepter des
compromis, de se contenter d'une soumission nominale qui
consiste simplement à lui permettre de nommer dans la tribu
un cai'd agréé par la djemaâ (65, 448), Une des choses auxquel-
les il s'applique le plus, c'est de se concilier, par tous les
moyens, les marabouts locaux dont l'influence est si grande
sur les populations maghribines ^'>, et, lorsqu'il est en expédi-
tion, il ne manque aucune occasion de les visiter et de leur
faire des cadeaux (-) (134).
Ce qu'est l'administration marocaine dans les Djebala, on le
devine sans peine (•^) ; c'est un malheur de plus pour le pays
(597), Les caïds du sultan n'ont habituellement aucune
influence. Mais il a réussi à les faire accepter par toutes les
tribus, ce qui est d'une politique fort habile ; seulement il faut
ajouter qu'ils ne sont généralement que des caïds in partibus,
n'étant tolérés qu'à la condition de ne point s'occuper d'admi-
nistration (*) et surtout de ne pas parler de payement régulier
des impôts (506). A cette condition, on les laisse tranquilles.
Au reste la suzeraineté religieuse du chérif est partout recon-
nue (■^>, et chaque vendredi, dans toutes les mosquées, on récite
la khofha, prière en l'honneur du souverain (48). Mais la
grande majorité des tribus s'en tient à ce platonique hommage.
(1) Ce fut une des plus grandes préoccupations des Turcs, pendant
leur longue domination de l'Algérie, de rester en bons ternies avec les
marabouts de toute espèce. Cf. A. Uevoulx, Lettres adressées par des
marabouts arabes au pacha d'Alger, in Rev. Afr., XV[II= ann., n° 1U5,
mai-juin 1874, p. 171, seq. Quelque temps avant la prise d'Alger, en 1830,
le dey voulant se concilier les populations, envoyait pour être sacrifiés,
des bœufs et des moutons à tous les marabouts des tribus des environs.
(MiCHiEL, La prise d'Alger racontée par un captif, in Rev. Afr.,
XX= ann., mars-avril 1876, n° 116, p. 113).
(2) Cf. DE Lam. et Lac, Documents, I, 369.
(3) Cf. Erckmanx, Le Maroc Moderne, 1 vol. 304 p , Paris, 1885,
p. 125 seq.
(4) Cf. sur les caïds du sultan de Foucauld, Reconnaissance, p. 47 et
surtout p. 58 (le caïd de Bou el Djad). — Cf. de Lam. et Lac , Docu-
ments, I. 33] (Rif) et 431 (Lékhmas). Ces caïds sont en réalité de sim-
ples fonctionnaires de parade. On pense l)ien que le caïd nommé par le
sultan à Taodeni, par exemple, à 520 kilom. de Tombouctou, ne .saurait
être autre chose qu'un fonctionnaire m partibus (Duveyrier, apud
DE Lam. et Lac, Documents, l, p. 279, n. 1).
(5) Cf. Duveyrier in de Foccauld, Reconnaissance, p. vu.
14
346 tlÇS DJEBALA DU MAROC
Quel commerce peut exister dans un pareil pays ? — M. Mou-
liéras, dans son deuxième volume, a étudié d'une façon toute
spéciale le commerce marocain et il a puisé ses matériaux dans
les recueils officiels qui sont de nature à inspirer le plus de
confiance (60, 221, 642). La majeure partie des importations et
des exportations se font par Tanger, que Casablanca tend sous
ce rapport à détrôner, en devenant le port le plus fréquenté
de tout le Maroc (644). Il ressort des documents cités par
M. Mouliéras que la France tient un bon rang commercial au
Maroc, au regard des autres puissances ; toutefois elle ne
progresse point comme elle le devrait et elle doit surtout
redouter la concurrence de l'Allemagne. Les maisons alle-
mandes savent mieux se plier aux moindres caprices de la
clientèle que les nôtres (229) ; elles font des prix plus bas
et accordent plus de délais (645) (^); elles vent davantage au-
devant du client, et il y a telle place, comme El K'çar el Kebir
(Alcazar) que visitent régulièrement des représentants alle-
mands et où les représentants français ne viennent jamais
(538). Aussi, depuis quelques années, le commerce allemand
au Maroc a-t-il pris un essor vraiment extraordinaire (550).
Il est vrai que la lutte commerciale dans ce pays est
particulièrement pénible : à la différence des mœurs et des
langues, au manque de confortable, à la difficulté des voyages
vient s'ajouter encore la pénurie des communications postales
et télégraphiques, qui sont un élément essentiel de tout
commerce prospère. Pour l'extérieur, les principaux ports
marocains sont en relations assez peu fréquentes, mais
régulières, avec les ports européens. Il y a de plus deux câbles
sous-marins, l'un espagnol, l'autre anglais, qui relient Tanger
à l'Europe. L'absence d'un câble français d'Oran à Tanger est
un de ces inconvénients sur lesquels il est superflu d'insister
(661 662). En ce qui concerne l'intérieur, il n'y a de courriers
à peu près réguliers que sur les principales villes : ils sont faits
([) Cf. Moh'ammed BEN Rah'al, A travers les Béni Snassen, in Bull.
Soc. Géog. Oran, xii° ana., t. ix, fasc. xl,j anvier-mars 1889, pp. 46-47.
— Les Espagnols se sont émus de celte concurrence. Cf. à ce sujet l'article
anonyme inlitulé: Marruecos coino mercado parala produccion y la
industria espanolas, in Soc. Géog. Madrid (Rev. de Geog. col. y mer.),
aùo III, n" à, t. I, 19, mayo 1899.
LES DJEBALA DU MAROC 347
par des indii^fènes qui sont rarement inquiétés O. La difficulté
des communications est naturellement cause que sur certains
points les denrées produites dans le pays sont d'un bon marché
extraordinaire : chez les Mei;mouda on paye une poule 5 à
15 sous, un mouton 5 francs, une chèvre 2 fr. 50 (487).
A la pénurie des communications de toute espèce, il faut
ajouter, parmi les obstacles que rencontre le commerçant, la
complication du, système monétaire et les lluctuations d'un
change très élevé. Le compte avec les monnaies marocaines
réelles et fictives est tellement pénible qu'il y a de quoi
décourager les plus intrépides calculateurs. M. Mouliéras a eu
la patience de débrouiller cet écheveau et il faut lui en savoir
gré (694 seq.). Quant au change, qui suit les fluctuations du
change espagnol (655), on trouvera peut-être les chiffi-es plus
éloquents que toute dissertation, quand nous aurons dit qu'il
était, en mai 1898, à cent pour cent dans toutes les places
maritimes du Maroc (645, n.).
Quels sont, indépendamment de la haine traditionnelle de
tout musulman pour le roumi, quels sont les sentiments des
populations du Xord du Maroc à notre égard? En ce qui con-
cerne les lettrés, en ce qui concerne ceux-là qui commencent
à avoir quelque notion d'une patrie marocaine, la réponse n'est
pas douteuse. Il suffit de parcourir les dissertations haineuses
d'un écrivain contemporain, Ah'medben Khaled en-Naciri es-
Slaoui, et de voir avec quelle mauvaise foi il écrit l'histoire
Câo, 238,692 n.j, pour comprendre combien il redoute l'interven-
tion européenne au Maroc et particulièrement l'intervention
(1; Le respect de l'indigène pour tout ce qui est écrit est général dans
l'Afrique du Nord. Aussi des courriers postaux fonctionnent-ils dans
maint et maint p'\ys, où le voyageur isolé ne trouverait aucune sécurilo.
Cf. à ce sujet une noie intéressante in Tour du Monde, 6 août 1808
(couv). — Cependant, ilans d^,s pay-; commii les Djebala, la transmission
des lettres reste loujours problématique. Cf. de Foucauld, Reconnais-
sance, p. 5.
348 LES DJEBALA DU MAROC
française C^K II n'en est pas de même pourtant de tous les
Marocains éclairés, et il y a, à cet égard, de nombreuses
exceptions ; on ne lira pas sans surprise l'entretien qu'aurait
eu à ce sujet Moh'ammed ben T'ayyeb avec un caïd deTétouan,
un Slaoui aussi celui-là (210), De même que ce personnage
appelait de ses vœux notre domination, de même les nom-
breuses familles, qui, après 1830, fuyant le contact de l'infi-
dèle, se sont réfugiés au Maroc, principalement chez les Dsoul
et les H'ayaïna, regrettent aujourd'hui leur détermination ;
elles apprécient tellement bien la différence qu'il y a entre
notre administration bienveillante et régulière et l'anarchie
qu'elle ont trouvée au Maroc (2), que plusieurs d'entre elles ont
demandé et obtenu du Gouvernement français la faveur d'être
rapatriées (436). Des marabouts, d'ailleurs, ont prédit plusieurs
fois que les chrétiens s'empareraient du pays ^^ et cette éven-
tualité semble être envisagée avec assez de résignation f^) (127,
162).
Parmi les nations européennes, les Espagnols, à cause de
leur morgue et de la grossièreté avec laquelle ils traitent les
musulmans, leur sont particulièrement antipathiques (709).
Cependant, malgré ces procédés, ou plutôt à cause d'eux, les
(1) L'hostilité du Kitab el Istih'ça contre les Français est évidente ; on
ne peut s'empêcher de remarquer par contre que les Anglais sont géné-
ralement épargnés par lui. Peut-être n'est- il pas hors de propos de faire
remarquer ici que le livre a été édité au Caire, en 1895. Cf. Taleb, Un
historien musulman, in Alg. nouv., 1" ann., 4^ trim,, n° 22 (l" pov. 1896)
et n° 23 (8 nov. 1S96). L'auteur de cet ai'ticle, qui est une autorité du
plus grand poids en pareille matière, va jusqu'à penser que l'introduction
de ce livre en Algérie n'est pas exemi^te d'inconvénients pour nous.
Cependant le Kitab el IstiU'ça est extrêmement répandu chez nos indi-
gènes et il nous a été donné de constater que beaucoup de lettrés musul-
mans en faisaient ici leur lecture fav'orite.
(2) Certains pays du Maroc sont tellement opprimés qu'ils soupirent
après la conquête française, comme après une délivrance: «Que de fois
ai-je entendu les musulmans (de Taza, qui sont opprimés par les Riata)
s'écrier : « Quand les Français entreront-ils ? Quand nous déharrasseront-
ils enfin des Riata? Quand vivrons-nous en jiaix comme les gens de
TIemcen ? » (de Foucauld, Reconnaissance , p. 32) — « Aussi combien
ai-je vu de Marocains, revenant d'Algérie, envier le sort de leurs voisins
d'Algérie : il est si doux de vivre en paix ! qu'on ait peu ou qu'on ait
beaucoup, il est si doux d'en jouir sans inquiétude ! » de Foucauld, id.,
p. 41).
(3) De pareilles prédictions avaient jadis été faites, suivant les indigènes,
par de nombreux marabouts algériens touchant la venue des Français
dans la Régence d'Alger.
(4) Cf. Maroc Inconnu, I, p. &i.
LES DJEBALA DU MAROC 349
Espagnols n'ont su mener à bien aucune grande œuvre dans
le Maghrib, Campés sur quelques rochers du littoral, inca-
pables de s'étendre, ne pouvant même pas parvenir à tirer du
pays leur subsistance, au point d'être obligés, à Alhucemas,
par exemple, lorsque les citernes sont vides, de faire venir de
l'eau d'Espagne parce qu'ils ne peuvent aller la prendre sur la
côte (•>, ils n'ont même pas pu empêcher les Rifains de conti-
nuer à exercer leurs pirateries ; il a fallu que ce fût le sultan
qui, sous la pression des représentants européens, prît lui-
même l'initiative d'anéantir les Bek'k'ouya, les derniers pirates
de la Méditerranée (586, n.) ! A la vérité, il en reste bien
encore cà et là le long de la côte, par exemple sur le littoral
de la grande tribu des R'mara (255 seq.) et cette honte pour
l'aurore du XX^ siècle, ne cessera complètement que le jour
où une puissance européenne se décidera à faire ce que fit
notre pays en 1830 ('>. En attendant ce moment, les Rifains
continueront à se croire invincibles parce qu'ils ne reconnais-
sent aucune domination, parce qu'ils ne se doutent pas de ce
que c'est qu'un régiment de zouaves ou de tirailleurs comman-
dés à l'européenne, parce que les armes espagnoles n'ont point
su ou pu leur inspirer une crainte salutaire (3).
Leur excellent armement contribue aussi à augmenter leur
confiance : là encore l'Esjiagne ne s'est pas montrée digne du
rôle de sentinelle avancée de la civilisation, que lui assignait
(1) Cf. DE Lam. et Lac, Documents, 1, p. 403 et Maroc Inconnu, I,
p. 99. Voir pour tout ce qui concerne les établissenaents espagnols sur
la côte marocaine : dans le premier de ces ouvragées l'intéressant chapitre
IX, pp. 392-407; dans le deuxième les pages 87-88, 94-101, 148-167, 170,
qui complètent d'une façon indispensable les renseignements fom'nis par
les Documents. Gf. Quedenfeldt, Einth., etc.... pp. 111-112.
(2) Sur la piraterie barbaresque en généra', qui était originellement
une forme de la guerre .sainte on cijihad, cf. de Grammont, //isiozre
d'Alger sous la dom. turque, 1 vol. in 8°. Paris, XVI - 420 p., 1887;
p. VII et passim. Ils est navrant de constater qu'à notre époque et en
pleine Méditerranée, un tel fléau n'a pas encore disparu. En sommes-
nous réduits à ne pouvoir faire autre chose que de répéter aux marins
le conseil qu'on leur donnait oillciellement en 18.37 : « Dans l'état actuel
de barbarie où est plongé le Rif on ne peut faire aux marins du commer-
ce d'autres recommandations que d'éviter cette côte » ? (de Kerhallet,
Description nautique de la côte Nord du Maroc, 1857, p. 31, cité par
DE Lam. et Lac, Documents, I. 310, n. 1). — Cf. Ion Perdicaris,
Piracy in Moroceo, in As. quart. Reo., Th'^. ser., oct. 1897, vol. IV,
nos, pp. 325-329.
(3) Gf. Maroc Inconnu, I, 141 et de Lam. et Lac, Documents, l,
p. 355.
350 LES DJEBALA DU MAROC
la possession de plusieurs points de la côte marocaine. Elle
n'a point su reprimer la contrebande des armes que des
marins de ses nationaux et des marins anglais pratiquent
journellement sur une vaste échelle. Il en est résulté que le
Rif aujourd'hui à peu près tout entier est armé de fusils à
répétition, que ces fusils (généralement des fusils Remington)
ont pénétré chez une partie des Djebala (305) et qu'ils se
répandent peu à peu dans l'intérieur du Maroc (^', préparant
ainsi les plus grandes difficultés à la puissance européenne qui
sera obligéed'intervenirdansles affaires de ce pays (2). Les tribus
de l'intérieur, peu accessibles, ont jusqu'ici conservé le vieux
fusil à pierre (442) tel qu'on le fabrique à Tar'zouth (^\ aux
confins du Rif et des Djebala. Il y en a aussi de grande fabri-
ques chez plusieurs tribus djebaliennes, notamment chez les
Béni Mezguelda (450) ; les (abriques de Fas en fournissent égale-
ment un grand nombre aux Djebala (402). Quant à la poudre
on en fabrique en maint et maint endroit ; les Dsoul sont
renommés pour cela (422), et la fraction de Bou-Knana, dans
les Cenhadja-t-el-Outa a remplacé depuis longtemps l'industrie
des étuis à flèches (Knana, carquois) par celle de la poudre
à fusil (444). Parmi les armes blanches, il faut surtout signaler
l'espèce d'épée nonmaée sboula ('■), qui atteint parfois les
dimensions d'un véritable rapière (15).
(1) Cf. DE Lam. et Lac, Documents, I, p. 419 (tribus de la frontière),
p. 254 (Rif) p. 40 (pour les Djebala); « Ils ont presque tons des Re-
minprton ou autres fusils à tir rapide, qu'ilç entretiennent très-bien el sont
abondamment pourvus de cartouches». (FI s'agit surtout dans ce passage
des tribus traversées par le Sultan en 1889 dans son itinéraire de Fas à
Tétouan). Cf. Maroc Inconnu, \, 83, 05, 97 et surtout '.14-115, où l'on
verra dans quelles conditions se fait ^importation des armes de guerre
à tir rapide. Les Marocains donnent le nom de Kolata à tous les fusils
ce chargeant par la culasse. (Je mot, dit Moh'ammed ben Rah'al, vient
peut-être (X'eajnnrjole, espingolette (Moh'ammed ben Rah'al, A travers
les Beni-Snassen, in Bull Soc. GéoQ. Oran, XIP ann., t. IX, fasc. XL,
j an V. -mars 1889, p. 17, p. 32).
(2) L'Espagne l'a bien éprouvé dans sa dernière campagne de Melilla.
(3) Cf. Maroc Inconnu, I, pp. 50-51.
(4) Cf. Fischer, Hieb- und Sticfnoaffen und Messer im heutigen
Marol./w iu Mitth. des Sem. f. Or. Spr . , Jahrg. II, AbLh. II, Westasiat.
Stud., 1899 ; p. 7 du t. à p. — Ce trés-intéressant et très-important travail
n'a été connu de nous qu'après la rédaction de cet article; on devra s'y
reporter pour tout ce qui concerne les armes blanches au Maroc — Pour
l'armem-nt des différentes tribus marocaines, cf. de Fouuauld, i?econ-
naissance, pp. 23-24, 3i, 124, et passim et Quedenfeldt Einth. etc.,
p. 121 et 184.
LES DJEBALA DU MAROC 351
Il ne faut pas se dissimuler que les armes perfectionnées
se répandent de plus en plus au Maroc et que cet état de clioses
créera des obstacles sérieux à la puissance qui la première sera
obligée, pour maintenir l'ordre, de pénétrer dans cette contrée :
soubaitons que ce soit notre pays qui ait un jour cet honneur.
Tout nous désigne pour cela (i) : notre frontière commune avec
l'empire des Chérif, le fait que nous gouvernons déjà tous les
musulmans de l'Est de l'Afrique Mineure, l'expérience que
nous y avons chèrement acquise, l'hospitalité que chaque jour
nous offrons aux milliers de marocains qui viennent gagner
leur pain ici, la nécessité de ne pas voir perpétuellement notre
frontière troublée par des désordres que l'impuissant sultan
n'est pas capable de réprimer, la préférence marquée enfin que
les marocains montrent pour la domination française à
l'exclusion de celle des autres peuples européens. Là-bas, au
Maroc, notre diplomatie, à la tête de laquelle se trouvent des
hommes profondément versés dans la connaissance de l'Islam,
a tâche de nous préparer le terrain ; d'ici nous pouvons aussi
le préparer. A l'instar de ces poimdits que l'Angleterre, dans
l'Inde, emploie à explorer les pays peu connus qui avoisinent
la péninsule, que n'instituons-nous aussi à Alger un corps
d'explorateursj de missionnaires musulmans qui, sillonnant
le grand empire de l'ouest, nous rapporteraient les renseigne-
ments les plus précieux, et nous rendraient les plus grands
services au triple point de vue scientifique, commercial et
politique (2)9 Us diraient là-bas ce qu'ils ont vu chez nous :
« la sécurité, l'égalité, la justice, la liberté religieuse illimitée,
le clergé mahométan, ce clergé que nous avons inventé dans
notre royale et ignorante bonté, rétribué, vivant largement sur
le budget de l'Etat, — les médersas réorganisées, les zaouiya,
les ordres religieux musulmans tolérés, l'enseignement secon-
daire et supérieur de l'arabe dans les Ecoles françaises, le
respect profond des vainqueurs pour la religion , les
coutumes, les lois des vaincus » (117). Ce programme, si cela
Cl) Cf. Ion Perdicaris, Présent aspect of affairs in Morocco, in
As. quart. Rev., th'' ser, vol. Vil, a" 14, apr. 1899, p. 339.
(2) Cette idée a déjà été préconisée par notre savant maître M. Augustin
Bernard, professeur à l'Ecole (Supérieure des Lettres d'Alger, dans le
Bull, de la Soc. de Géogr. com. de Paris, t. xviii, 1896, 5°"= fasc, pp.
348-355 (De l'emploi des indigènes algériens et tunisiens pour l'explo-
ration), et nous savons que depuis, il n'a cessé de songer aux moyens
pratiques de la mettre en exécution.
352 LES DJEBALA DU MAROC
nous est donné, nous l'appliquerons au Maroc avec autant de
scrupules qu'à l'Algérie et à la Tunisie : c'est à nos diplomates
de préparer l'occasion avec leur haute compétence et leur
prudente expérience de la politique. Ici notre humble voix doit
se taire : si elle osait s'élever, ce serait pour exprim.er le vœu
que nous ne soyons jamais leurrés par une prétendue
rectification de frontière, dont la presse a souvent fait trop
grand bruit; nous avons droit, cela est hors de doute, à la rive
droite de la Mélouiya O, mais qu'on le sache bien, ce
changement de frontière, qui ne nous attribuerait, à part l'Ilot
verdoyant des Beni-Snassen, que des territoires infertiles et
qui ne nous apporterait que de nouvelles charges administra-
tives, cette rectification, disons-nous, n'appellerait, dans ces
conditions, pour qui que ce soit, aucune compensation d'aucune
sorte. En attendant le jour où se décideront toutes ces graves
questions, les Français de l'Afrique du Nord doivent regarder
vers l'Ouest et répéter, avec M. Mouliéras, ces vers allégoriques :
« L'Occident (c'est-à-dire le Maroc) est étincelant. N'est-il
pas en même temps et le Vd où le Soleil se couche et la s,ource
d'où jaillit l'Astre des Nuits à son premier croissant?» (787).
Nous avons fini. Aussi bien sommes-nous loin d'avoir épuisé
le sujet. Nous n'avons pas dépouillé la dixième partie de l'ouvrage
de M. Mouliéras, nous n'avons fait que ramasser, dans une mine
inépuisable, quelques minerais intéressants que nous avons
placés sous les yeux de notre public. Encore ne nous sommes-
Ci) Voici comment le Slaoui, qu'on ne suspectera pas, s'exprime à ce
sujet: « Les frontières du Mag'rlb el Ak'ça sont : du côté du Coucliant,
l'Océan Atlantique, et, du côté du Levant, l'Oued Mélouiya et les monta-
gnes de Taza ■)> ! (Istih'ça, l, 34, cité à la page 693, n. 1, du Maroc Incon-
nu, t. II). Cf. tous les' premiers chapitres de de Lam. et Lac, Docu-
ments, I.
LES DJEBALA DU MAROC 353
nous placés, pour les raisons que nous avons indiquées, qu'à un
point de vue restreint et avons-nous écarté de notre analyse les
riches et inédits documents intéressant la religion musulmane ;
les renseignements concernant l'instruction au Maroc et la vie des
étudiants, sujet que nous traiterons ailleurs ; les indications
fournies par l'auteur sur l'organisation politique (djemaà, etc.) et
enfin les nombreux matériaux historiques, qu'au prix d'un labeur
pénible, l'auteur a extraits de la gangue informe des auteurs musul-
mans, pourles offrir à ses lecteurs, éclaircis et ordonnés. Il n'a point
affecté de se cantonner dans les sciences pures et il a étudié les
questions pratiques, celles qui intéressent le commerce, par
exemple, avec autant de soin et autant de scrupules que les autres.
Par quelques comparaisons avec les renseignements consignés
dans les auteurs éminents qui, en ces dernières années, ont étudié
soit les Djebala, soit les autres régions marocaines, nous avons
essayé, dans le rayon trop court de nos faibles lumières, de
montrer comment le livre de M. Mouliéras s'accorde avec ses
prédécesseurs et, en se vérifiant ainsi lui-même, les complète
merveilleusement. Mais il y a un autre moyen de vérification plus
direct auquel nous convions très instamment toutes les personnes
de bonne foi : cherchez un des nombreux Marocains qui, à cette
époque de l'année, sillonnent nos villes et nos campagnes et, le
livre en main, interrogez-le sur sa tribu d'origine. Au bout de
quelques minutes, quand vous aurez vu, devant la nomenclature
des villages, des marchés, des monts et des rivières de sa patrie,
la stupeur se peindre sur la face de votre Rifain ou Djebalien ;
quand vous l'aurez entendu éclater de rire en entendant citer les
dictons de son pays ; quand vous l'aurez vu, au nom du marabout
vénéré de son village, porter dévotement sa mana à son fi'ont, puis
à ses lèvres, '«otre conviction sera faite. Quant à la verve du style,
au coloins et à la vivacité de la narration, à l'ordre qui règne dans
l'ouvrage ; quant à la perfection de l'exécution typographique, qui
fait le plus grand honneur à l'imprimeur, d'autres, plus compétents
que celui qui trace ces lignes, donneront leur appréciation dans
les revues littéraires. Pour lui, il n'a voulu que tâcher à démontrer
qu'il y a là un livre éminemment vrai et instructif qui aura sa place
à la table de travail du savant, aux mains de l'homme du monde,
à la bibliothèque de l'homme d'État, aussi bien que dans la sacoche
de nos officiers, s'il leur est jamais donné de conduire un jour une
colonne au Maroc. Il semble se former depuis quelques années en
Algérie un groupe de savants qui feraient volontiers de l'empire des
15
354 LES DJEBALA DU MAROC
chérif leur sujet préféré d'études. A l'éti'anger également, en Alle-
magne surtout, l'activité scientifique se porte de plus en plus vers les
études marocaines et il ne se passe pas d'années où un savant alle-
mand n'aille travailler au Maroc; nos pouvoirs publics se préoccupent
vivement, nous le savons, de moyens d'encourager les études de
ce genre, et les Écoles supérieures d'Alger sont toutes désignées
pour fournir ces missionnaires de la science ; nous souhaitons
vivement que M. Mouliéras, réaUsant enfin son rêve, puisse aller
bientôt poursuivre sur place. son immense et féconde enquête.
Tlemcen, 29 juin 1899.
Edmond DOUTTE.
m
CHROxNIQUE GEOGRAPHIQUE
Europe. — Signalons quelques renseignements intéressants
relatifs au commerce extérieur de l'Angleterre, de l'Allemagne
et de la France en 1898 :
{Les nombres représentent des millions de francs)
Exportation Importation Total
Angleterre 7.350 11 .900 19.250
Allemagne 5 . 002 6 . 864 11 . 866
France 3.503 4.376 7.879
On constate d'une façon générale que l'importation l'emporte
sensiblement sur l'exportation. En ce qui concerne la France,
le chiffre des importations en 1898 dépasse de 420 millions
celui de 1897; cela tient à la mauvaise récolte qui a occasionné
une importation exceptionnelle de blé. Malheureusement on
constate aussi une décroissance assez légère mais continue
dans l'exportation : la diminution est en 1898 de 94 millions.
Au contraire le commerce allemand ne cesse de gagner du
terrain : parti de 7 milliards 1/2 en 1874, il atteint 9 milliards
1/2 en 1890, 11 milliards 1/2 l'année dernière (Ij.
*
* *
Le tunnel du Simplon est à peine entrepris que plusieurs
villes déjà se disputent le trafic que créera cette voie. Genève
veut assurer une communication directe avec Paris par le col
de la Faucille; Berne de son côté propose une ligne traversant
rOberland pour se diriger sur Bàle. Mais cette dernière voie
ferait forcément double emploi avec celle du Saint-Gothard.
La Compagnie P.-L.-M. demande que l'on raccorde la station
de Frasne en France à Vallorbe en Suisse, ce qui éviterait les
pentes trop fortes et raccourcirait de 35 kilomètres la ligne
Paris -Dijon Lausanne. Cette dernière ville gagnera surtout à
l'adoption probable de ce tracé (2).
(1) V. Ann. de Géoy. 15 mars 1899.
(2) id. 15 mai 1899.
356 CHRONIQUE GÉOGRAPHIQUE
Un des navires brise-glaces dont il a déjà été question (1),
VIermak, a pu au mois de mars dernier pénétrer dans le port
de Kronstadt en écrasant les glaces du littoral de la Baltique.
Il est destiné à maintenir libres pendant l'été les parages de la
mer de Kara et les estuaires de l'Ob et de l'Iénisséi .
Afrique. — Un de nos plus remarquables explorateurs
africains, M. Mizon, est mort dans les derniers jours de mars
et la nouvelle en est arrivée pendant le Congrès de Géographie
d'Alger. Le lieutenant de vaisseau Mizon n'avait que 45 ans ;
il est mort au moment d'aller occuper les fonctions importantes
de résident à Djibouti où son premier acte eût été de recevoir
un de ses émules, le commandant Marchand. La carrière
d'explorateur de M. Mizon commença en 1880, époque à
laquelle, sur les indications de M. de Brazza, il fonda le poste
de Franceville au Gabon. En 1881, il explora un itinéraire
aboutissant à Sette-Cama sur la côte. Mais c'est de 1890 que
datent ses grands voyages. Il remonta la Bénoué jusqu'à Yola,
malgré la résistance de la Compagnie royale du Niger. Il signa
un traité avec le sultan Zoubir, se dirigea vers le Congo
par Ngaoundéré et rencontra dans la vallée de la Sangha
M. de Brazza venu au devant lui. Il avait ainsi relié le Niger
au Congo et pouvait assurer à la France une communication
entre le Soudan et le Congo par la rive méridionale du lac
Tchad. Ce rêve ne fut pas réalisé. Reparti pour la Bénoué, en
1892, il se vit arrêté par l'hostilité de la Compagnie du Niger,
et rappelé par le gouvernement, tandis que son navire chargé
de marchandises était confisqué contre toute espèce de droits.
(Ajoutons que la France n'a pas encore reçu la satisfaction
qui lui est due). Le dessein politique qui avait inspiré
l'exploration de 1890 fut enfin complètement abandonné en
1884 lors de l'arrangement franco-allemand, qui cédait à
l'Allemagne l'Adamaoua et qui étendait la frontière orientale
du Cameroun jusqu'à l'embouchure du Ghari. M. Mizon avait
(l) V. Bull, trim. Soc. de Géog. et Archéol. d'Oran, avril-juin 1898,
p. 117.
I
CHRONIQUE GÉOGRAPHIQUE 357
été nommé, en 1895, résident à Majunga, puis à Mayotte. La
France perd en lui un excellent serviteur. La Société de
Géographie et d'Archéologie d'Oran qui l'avait inscrit au
nombre de ses membres d'honneur ressent tout particulière-
ment cette perte.
*
* *
Le fait le plus important que nous ayons à signaler ici est la
convention anglo-française du 21 mars dernier. Cet acte
diplomatique est la conclusion de l'héroïque exploration du
commandant Marchand qui goûte en ce moment, ainsi que
ses compagnons de route, la récompense que la reconnaissance
nationale accorde à leurs glorieux efforts. Voici le texte de
cette convention, ou plutôt, comme on va le voir, de cet article
additionnel à la Convention du 14 juin 1898 (1) :
« Les soussignés, dûments autorisés à cet effet par leurs
gouvernements, ont signé la déclaration suivante :
» L'article 4 de la Convention du 14 juin 1898 est complété
par les dispositions suivantes, qui seront considérées comme
en faisant partie intégrante :
» 1" Le Gouvernement de la République française s'engage
à n'acquérir ni territoire ni influence politique à l'Est de la
ligne frontière définie dans le paragraphe suivant, et le Gou-
vernement de Sa Majesté britannique s'engage à n'acquérir ni
territoire ni iniluence politique à l'Ouest de la même ligne ;
» 2o La ligne frontière part du point où la limite, entre
l'État libre du Congo et le territoire français rencontre la ligne
de partage des eaux coulant vers le Nil et de celles qui s'écoulent
vers le Congo et ses affluents. Elle suit en principe cette ligne
de partage des eaux jusqu'à sa rencontre avec le 11*' parallèle
de latitude Nord. A partir de ce point, elle sera tracée jusqu'au
15^ parallèle de façon à séparer en principe le royaume de
Ouadaï de ce qui était en 1882 la province de Darfour; mais
son tracé ne pourra, en aucun cas, dépasser à l'Ouest le
21e degré de longitude Est de Greenwich (180 40' Est de Paris),
(1) V. Bull. trim. Soc. Géor/. et Archéol. d'Oran, Ghron. géogr.,
avril-juin et juillet-décembre 1898.
358 CHRONIQUE GÉOGRAPHIQUE
ni à l'Est le 23" degré de longitude Est de Greenwich
(20° 40' Est de Paris) ;
» 3° Il est entendu, en principe, qu'au Nord du 15° parallèle,
la zone française sera limitée au Nord-Est et à l'Est par une
ligne qui partira du point de rencontre du tropique du Cancer
avec le 16^ degré de longitude Est de Greenwich (13o40' Est de
Paris), descendra dans la direction du Sud-Est jusqu'à sa
rencontre avec le 24" degré de longitude Est de Greenwich
(21° 4C' Est de Paris) et suivra ensuite le 24° degré jusqu'à sa
rencontre au Nord du 15" parallèle de latitude avec la frontière
de Darfour telle qu'elle sera ultérieurement fixée ;
» 4° Les deux gouvernements s'engagent à désigner des
commissaires qui seront chargés d'établir sur les lieux une
ligne frontière conforme aux indications du paragraphe 2 de
la présente déclaration. Le résultat des travaux sera soumis à
l'approbation de leurs gouvernements respectifs.
Il est convenu que les dispositions de l'article 9 de la
convention du 14 juin 1898 s'appliquent également aux
territoires situés au Sud du 14° 20' de latitude Nord et au
Nord du 5" degré de latitude Nord, entre le 14^20' de longitude
Est de Greenwich (12° Est de Paris) et le cours du Haut-Nil.
» Fait à Londres, le 21 mars 1899.
» Paul Gambon. — Salisbury ».
Cette convention qui met fin à un grave conflit, exclue
définitivement la France de la région du Bahr-El-Ghazal cédée
à l'Angleterre. En échange la France reçoit ou plutôt semble
recevoir un vaste territoire s'étendant sur les rives orientales
et septentrionales du lac Tchad et comprenant le Ouadaï, le
Kanem, le Borkou et le Tibesti, sans omettre le Baghirmi. En
réalité, la concession faite par l'Angleterre n'a pas grande
valeur. En effet la convention du 14 juin 1898 nous reconnais-
sait déjà la possession des rives du Tchad à partir de Barroua,
et par conséquent celle des pays voisins. Le Baghirmi d'ailleurs
est notre protégé depuis l'expédition Gentil. Enfin ces
territoires ne pouvaient à aucun titre être revendiqués par
l'Angleterre, n'ayant jamais fait partie de l'Egypte. Au contraire
CHRONIQUE GÉOGRAPHIQUE 359
le Bahr-El-Gliazal que nous évacuons était notre bien ayant
été occupé eflecti veulent.
Mais il faut reconnaître qu'en dehors de l'avantage d'écarter
une cause de sérieuses et redoutables complications, cet acte a
celui d'être très net et d'affinner l'unité de notre empire
africain. La perte que nous subissons n'est pas en elle-même
très grave du moment que Fachoda ne nous reste pas. La
possession de l'immense marécage que forme le Bahr El-
Ghazal n'avait d'utilité qu'à condition d'avoir un débouché sur
le Nil. Fachoda évacué, le reste ne valait pas grand chose et
eût coûté fort cher. Il valait mieux l'abandonner.
La convention du 21 mars a naturellement éveillé les
susceptibilités de l'Italie qui n'a pas renoncé à ses prétentions
sur la Tripolitaine et qui se trouve lésée si la France étend son
influence sur l'hinterland de ce pays. Une réciproque bonne
volonté a calmé ces appréhensions (1).
Parmi les régions que le traité du 21 mars reconnaît à la
France, la plus importante semble être le Ouadaï. Bien qu'il
n'ait pas de limites précises, on peut évaluer sa superficie à
445.000 kilom. carrés. La population ne dépasse pas 2.400.000
âmes d'après Nachtigal. Le pays est surtout fertile au centre
et à l'est. La population se compose de nègres qui exercent
la domination politique et d'Arabes mêlés à des Nubiens, Le
sultan qui est Nubien n'a sous son autorité immédiate que le
nord; le reste obéit à des vassaux ou paie tribut. Les Ouadaïens
sont presque tous des pasteurs élevant des bœufs, des moutons,
des chèvres et aussi des chameaux. En fait de culture ils ne
produisent guère que le millet qui leur est nécessaire. La
population du Ouadaï septentrional est musulmane et très
fanatique ; le sultan est l'allié du chef des Snoussi. Les habitants
du sud sont au contraire païens ou musulmans de nom
seulement. Ils sont d'ailleurs tous également belliqueux, cruels
et hostiles aux étrangers. Le commeroe d'exportation qui
consiste surtout en esclaves, en ivoire et en plumes d'autruche
se tait aujourd'hui par le Darfour ou par Djalo; l'ancienne route
(1) V. Ann. de Géof/. 15 mai l«99 et Bull. Soc. Géog. de Lyon, T. XV,
N" i.
360 CHRONIQUE GÉOGRAPHIQUE
conduisant à Benghazi est abandonnée. La capitale actuelle est
Abechr, située près de la route de Karthoum à Kouka. Cette
région, fort peu connue, n'a guère été visitée que par Vogel
qui y fut assassiné (1855), par Nachtigal (1873) et par les
Italiens Matteuci et Massari (1880) (1).
Il convient d'observer que la convention du 21 mars a
ramené l'attention sur l'accord anglo-congolais de 1894 par
lequel l'Angleterre donnait à bail au souverain du Congo
l'enclave de Lado sur le Nil et le pays compris entre la rive
gauche du Nil, le 10 parallèle, 25' à l'est de Greenvich et la
ligne de partage des eaux entre les bassins du Nil et du Congo.
Ce traité concédait à l'Etat libre une bande de terrain de 10 km.
de large aboutissant à l'Albert Nyanza. La France avait protesté
contre cet accord auquel le roi de Belgique avait renoncé, mais
vis-à-vis de la France seule, et le gouvernement anglais avait
toujours déclaré que pour lui la convention subsistait .
Aujourd'hui que la France évacue le Bahr-El-Ghazal, elle n'a
plus intérêt à maintenir son opposition et il devient probable
que la convention de 1894 sera désormais appliquée. Du reste
les Belges ont depuis longtemps occupé Lado.
On a reçu d'intéressantes nouvelles de la mission Foureau-
Lamy qui a continué sa marche pénible, mais heureuse vers
l'Air (2). Les Comptes-Rendus de la Société de Géographie de
Paris publient trois lettres de l'explorateur Foureau ; la
première du 6 janvier datée d'Oued Affattakah, la deuxième du
20 janvier écrite à Tadent, la troisième enfin du 9 février
expédiée d'Assiou. Ces lettres, accompagnées d'un itinéraire
provisoire et du profil d'une partie du chemin parcouru,
contiennent d'utiles renseignements. Il en résulte que la
mission a eu à traverser une région accidentée et volcanique
au sud du Tassili. Les explorateurs ont constaté l'existence
d'un massif puissant, atteignant 1800 mètres, l'Adrar, dont on
n'avait jamais signalé la présence dans cette direction ; cette
(1) Bull. Soc. Géog. Lijon. T. XV. n" 4, p. 541
(2) V. Comptes-Rendus Soc. Géog. Paris, Mars 1899 p. 108.
CHRONIQUE GÉOGRAPHIQUE 361
chaîne s'élève du nord au sud; elle est d'accès difficile. Le
passage de la région aride et accidentée de l'Anahef a été
aussi très pénible : c'est un massif composé de granit, de
gneiss, de schistes à la base et de masses de quartz. C'est dans
ce massif que la mission a franchi, le 9 janvier, par i .362 m',
d'altitude, la ligne de partage des eaux entre la Méditerranée
et l'Atlantique. Elle a visité le point où eut lieu le massacre
du colonel Flatters et qui s'appelle Tadjenout et non Bir-El-
Gharama; elle n'y a trouvé aucun vestige du massacre, les
ossements ayant été brûlés.
Le voyage de Tadent à In-Azaoua a été fort pénible ; l'eau,
le bois, tout atome de végétation faisait défaut ; la mission a
perdu beaucoup d'animaux de transport. A partir de Tadent,
qui est à 1,200 mètres, l'altitude diminue régulièrement, et à
650 mètres le grès remplace le granit. Obligé, faute de
moyens de transport, de laisser à In-Azaoua une partie du
convoi, M. Foureau y a fait construire un fortin appelé
Fort-Flatters. Le ravitaillement a été assuré jusquà ce point
par le capitaine Pein, commandant le bureau arabe d'Ouargla.
La mission a eu peu de contact avec les indigènes. On sait
qu'elle est actuellement arrivée au but de son voyage à
Agadès, ou plutôt Agadé suivant M. Foureau. De là, sans
doute, après un repos nécessaire et mérité, la mission gagnera
le lac Tchad ou peut-être le Niger. Le succès peut, dès à
présent, être considéré comme assuré-.
*
* *
Tandis que la mission Foureau s'approche du lac Tchad, on
reçoit de bonnes nouvelles de la mission Voulet-Chanoine qui
s'y rend également mais en partant du Niger et par le
Damergou. TJne dépêche du 15 avril annonçait que cette
mission était en très bonne situation à tous les points de vue.
Elle avait conclu des traités avec les chefs du Maouri ; les
Touareg n'osant l'attaquer avaient fui vers le Nord. Il s'est
cependant produit des incidents encore mal connus qui ont
motivé l'ouverture d'une enquête et l'envoi d'un lieutenant-
colonel.
Enfin, du côté du Sud, M. Gentil à la tête d'une forte mission
civile et militaire se dispose à rejoindre sur le Ghari
362 CHRONIQUE GÉOGRAPHIQUE
M. Bretonnet, et d'autre part M. de Béhagle qui opère dans
les mêmes régions donne de bonnes nouvelles.
On vient d'apprendre l'achèvement de la ligne télégraphique
construite de Eammakou à Timbouctou.
La mission Fourneau-Fondère chargée d'explorer la région
comprise entre l'estuaire du Gabon et la Sangha supérieure
qui a quitté Ouesso, sur la haute Sangha, au mois de février
dernier, a terminé ses opérations, et elle est arrivée à Libre-
ville au commencement du mois de juin,
*
* *
De récents décrets ont réglé au Congo français plusieurs
importantes questions. L'un d'eux est relatif à la définition du
domaine public, aux servitudes d'utilité publique pesant sur les
propriétés privées, au régime des terres domaniales. Un autre
décret introduit dans cette colonie l'application de l'Act
Torrens qui facilite la constitution et !a transmission des
propriétés foncières. Un troisième décret enfin organise le
régime forestier, interdit la destruction des forets et exige des
concessionnaires la plantation annuelle d'arbres et de lianes à
caoutchouc et à gutta-percha.
* " *
Dans l'Afrique orientale on travaille activement à la voie
ferrée de Djibouti à Harrar. Il y a 30 kilomètres terminés
seulement ; mais les travaux avancent. Une première section
de 110 kilomètres, de Djibouti à Mordalé, sera ouverte dès
cette année ; une deuxième, allant jusqu'à El Bah (270 kilo-
mètres), sera ouverte l'année prochaine. Aussi Djibouti prend
un grand développement. Cette ville contenait, il y a deux
ans, 8 Français et un millier d'Indigènes ; elle possède
aujourd'hui un millier d'Européens et environ 10.000 Indi-
gènes. Elle a bien distancé Zeilah et Assab (1).
(l) V. Bull. Soc. Géog. Lyon, t. XV, n° 4.
CHRONIQUE GÉOGRAPHIQUE 363
Asie. — La question chinoise est toujours à l'ordre du jour.
Une importante concession a été accordée à un Syndicat anglo-
italien pour l'exploitation des mines de houille, de fer et de
pétrole du Chan-Si central, avec le droit de prendre les
mesures nécessaires pour relier cette région aux grandes
voies par des canaux ou des chemins de fer. Déjà un traité est
signé pour l'établissement d'une voie ferrée de Taï-Yuen-Fou,
capitale du Chan-Si, à Tching-Ting-Fou, au débouché des
montagnes. Rappelons que le Chan-Si possède un des plus
grands bassins houillers connus. Un seul groupe a 35.000
kilomètres carrés. Il y a de plus du fer dans le voisinage (1).
Un conflit a paru quelque temps imminent entre la Pvussie
et l'Angleterre, à propos des voies ferrées à construire en
Chine. Mais une récente convention a de nouveau ajourné la
lutte qui semble cependant inévitable. En vertu de cet accord
anglo-russe, la Russie reste maîtresse de construire le chemin de
fer de Mandchourie ; elle s'engage, d'autre part, à ne pas
gêner l'action exclusive de l'Angleterre dans le bassin du
Yang-Tzé-Kiang. Cette dernière clause a une grande importance
au sujet des voies ferrées que l'on se propose de prolonger à
travers le Yunnan et qui n'auraient que peu d'importance
si elles n'aboutissent |)as au bassin du Yang-Tzé-Kiang. Du
reste la convention était à peine signée que de nouvelles
difficultés ont surgi au sujet de la voie ferrée que les Russes
veulent pousser jusqu'à Pékin ; ces difficultés semblent du
reste aplanies.
*, *
Les affaires si compliquées de Chine donne un nouvel
intérêt au Transsibérien. Le tracé s'en est en effet trouvé
modifié depuis l'occupation de Port-Arthur. Désormais, la tête
de ligne n'est plus Vladivostock mais Port-Arthur. Le nouveau
tracé quitte l'ancien àTchita (à environ 8ûO kilomètres du lac
Raïkal). Les rails sont posés jusqu'au Raikal et l'on construit le
(\) V. Ann. de GéoQ., 15 mars 1899.
364 CHRONIQUE GÉOGRAPHIQUE
bac à vapeur brise-glaces qui transportera les trains à travers
le lac jusqu'à ce qu'on ait achevé la ligne qui doit le contourner.
Actuellement la ligne est exploitée de Moscou à Tomsk
(3.957 kilomètres), on parcourt cette distance en 5 jours.
Elle est de plus terminée jusqu'à Krasnoïarsk et à peu près
achevée jusqu'à Irkoutsk. Elle sert déjà d'ailleurs à un
important mouvement de voyageurs. En 1898, 200.000 familles
russes ont été installées en Mandchourie et il y en a autant
d'inscrites pour 1899 (1).
*
* *
D'un autre côté, l'achèvement du chemin de ter de Merv à
Kouchk met les Russes aux portes de Hérat et fortifie leur
position en Afghanistan.
Amérique. — Signalons une intéressante étude sur le
Contesté franco-brésilien dont l'auteur, M. Brousseau, a passé
sept ans à explorer la Guyane. Il a visité la région des mines
d'or, le Carsevenne, le Cachipour, et a recueilli d'importants
documents pour établir la carte du Contesté entre l'Oyapoc et
l'Araguary, région qui a 450 kilomètres de côtes et plus
de 60.000 kilomètres carrés. Les renseignements fournis sont
très complets (2).
Régions polaires. — On a découvert, le 15 mai, un document
émanant de l'expédition Andrée mais qui malheureusement
ne peut renseigner sur son sort. C'est une bouteille portant la
marque de l'expédition et contenant une dépêche d'après
laquelle elle a été jetée le 11 juillet 1897, jour du départ du
ballon, à 10 heures 57' du soir, par 82° de latitude nord. La
bouteille a été retrouvée près du Wolla-Fjord sur les côtes
d'Islande.
*
» *
On a enfin reçu des nouvelles de l'expédition de Gerlache
qui avait donné de graves inquiétudes. La Belgica est rentrée à
(1) V. Soc. de Géog., Paris. Comptes-Rendus^ mars 1890.
(2) V. Ann- de Géog., 15 mars 1899.
CHRONIQUE GÉOGRAPHIQUE 365
Punta-Arenas le 28 mars. L'expédition avait dû hiverner par
71" 36' de latitude Sud et 92" de longitude 0. de Greenwich,
sur les côtes de la Terre d'Alexandre I, après avoir visité
la baie Hughes et la Terre-Palmier. 4 navires seulement ont
réussi à dépasser la latitude 70'^ dans la région antarctique.
M. de Gerlache du reste se proposait surtout d'étudier la
géologie des terres australes ainsi que la flore et la faune, e t il
a certainement réalisé son programme.
On a également appris que M. Borchgrevink a réussi à
débarquer dans la Terre Victoria où il' hiverne. D'autres
expéditions vers les régions antarctiques sont en préparation.
Paul RUFF.
«I» » »■«
BIBLIOGRAPHIE
L'APOCALYPSE D'ESDRAS
Traduction de la version éthiopienne, par M. René Basset
directeur de l'École Supérieure dos Lettres d'Alger, membre
honoraire correspondant de la Société de Géographie et d'Archéo-
logie d'Oran (1).
L'Apocalypse d'Esdras est connue dans la littérature latine
sous le nom de Quatrième livre cVEsdras. Dans l'édition
officielle de la Vulgate, donnée par le pape Clément VIII, on
a imprimé pour la première fois un troisième et un quatrième
livre d'Esdras, plus une Prière de Manassé. C'est de la
deuxième de ces œuvres que nous parlons ici, d'après la
traduction que vient d'en donner, sur la version éthiopienne, le
très érudit directeur de l'École supérieure des Lettres d'Alger.
Le texte original grec de cette apocalypse est en etfet
perdu (2j, mais il en existe une version syriaque, une version
éthiopienne, deux versions arabes, une version latine dérivée du
texte grec, plus deux versions arméniennes dont l'une est
dérivée de la version syriaque et l'autre de la version latine
(p. 1-6).
L'auteur véritable est inconnu et d'ailleurs l'Église catholi-
que elle-même regarde le quatrième livre d'Esdras comme
apocryphe.
Les textes de toutes ces versions sont concordants, à l'ex-
ception de celui de la version latine qui comprend : 1° le texte
des autres versions ; 2° les chapitres I et II, beaucoup plus
récents, œuvre d'un chrétien qui écrit contre les Juifs
partisans de l'ancienne loi ; 3" les chapitres XV et XVI, que les
allusions historiques qu'ils contiennent forcent à attribuer à
un auteur de la tin du III" siècle (p. 18-21). Ces deux fragments
sont évidemment ajoutés et le reste forme un tout parfaite-
ment cohérent.
(1) René Basset, Les cqwcryplies étliiopiens, traduits en français.
IX, Apocalypse d'Esdras, 1 vol., ia-8'' écu, 139 pp. Paris, 1899. —
Les chiffres placés entre parenthèses dans le texte de ce compte-rendu
indiquent les numéros des pages du livre de M. R. Basset.
i2) Il existe encore, en grec et en éthiopien, deux autres apocalypses
attribuées à Esdras, différentes de celle-ci (p. 2>.
l'apocalypse d'esdras 367
La littérature apocalyptique, car il y a là un véritable genre
littéraire, appartient surtout aux époques troublées. C'est
dans ces siècles sombres où les grandes calamités s'abattent
sur les peuples, où le cerveau des croyants est hanté par les
terribles problèmes de l'eschatologie, que les apocalypses
apparaissent. Elles ont leurs sources dans les livres étranges
d'Ezéchiel et de Zacharie, remplis d'etïrayantes et fantastiques
visions ; elles fleurissent pendant de longs siècles, et, même
après la disparition du genre, elles ont encore inspiré de
nombreux poètes, à commencer par le Dante et à finir
par Victor Hugo dont ont a pu dire qu'il avait le tempérament
apocalyptique.
Elles traitent surtout des troublantes questions de l'au-delà,
du jugement dernier, des peines et des récompenses futures :
aux heures où les peuples foulés et opprimés commencent à
désespérer de toute justice, elles réconfortent les âmes des
découragés par la perspective d'une justice céleste, et elles
cherchent à eflfrayer le pécheur par les tableaux terrifiants
qu'elles lui présentent des épreuves qui le menacent. On
s'elîorrait, dans ces premiers siècles du christianisme, de provo-
quer le repentir du méchant en lui représentant les châtiments
terribles qui l'attendaient et, au Moyen-Age encore, les scènes
d'épouvante qui doivent accompagner le Jugement Suprême
étaient un thème familier aux moralistes : la prose de la messe
des morts, Dies ira, dies illa, est entièrement conçue dans
cet esprit (1). Le Coran est remph de peintures semblables,
destinées à frapper l'imagination encore simple des anciens
Arabes (2). Le grand imàm Màlik, fondateur du rite religieux
suivi par nos indigènes, adressant au Commandeur des
Croyants une lettre sur la morale, débute par le tableau des
(1) Cf. La poésie attribuée à Saint-Bernard et éditée par Du Méril,
Poésies pop. latines du Moyen-Age. i vol. 8', Paris 18i7, p. 108 seq.
Page 117 : «.... Veniet judex de cœlis. — Teslis verax et lidelis ; —
Veniet et non silebit ; — Judicabit, non timebit. — Juste quidem judicabit
— Nec personaiii acceptabit, — Pretio non corrumpetur, — Sed nec
precibus flectetur. — Judicabit omnes gantes — Et salvabit innocentes, —
etc.. .
(2) Coran, III, lOî; VII, 5; Xtll, 5; XIX. 37 seq. ; LXXV, l seq.
LV, 31 seq. ; LVI, I seq., etc..
368 l'apocalypse d'esdras
châtiments futurs (1), montrant ainsi que la peur de l'enfer
est, suivant lui, le commencement de la sagesse. Et il est
certain que la crainte de lafm du monde, qui nous fait sourire
aujourd'hui, a jadis rempli d'angoisse des générations entières.
Les Apocalypses sont l'expression de cet état d'esprit. Analy-
sons rapidement celle qui nous occupe sur l'élégante traduction
de M. Basset.
Esdras, réfléchissant aux malheurs qui ont fondu sur sa
race, s'étonne que Dieu ait livré le peuple qu'il avait élu à des
ennemis impies. L'ange Uriel lui apparaît et lui dit que sa
raison ne saurait résoudre ce problème : « Gomment, lui dit-il,
pourrais-tu connaître la hgne de conduite du Très-Haut?...
Toi qui est corruptible, tu ne peux connaître la voie de celui
qui échappe à la corruption » (p. 31, v. IL) Au fond, ce qui
tourmente Esdras, ce n'est autre que le problème de l'existence
du mal qui préoccupa tous les esprits à cette époque et au
sujet duquel les gnostiques enfantèrent les plus bizarres
théories. Esdras en effet répond à l'ange : « Il eût été meilleur
pour nous de ne pas être créés, plutôt que de l'être, de vivre
dans le péché et de souffrir sans en connaître la raison ».
(Id., V. 12). L'ange continue en faisant la description, bien
connue, des signes qui annonceront la fm du monde. Dans
une deuxième vision qu'a Esdras, l'ange lui tient à peu près
les mêmes discours (p. 39-48). Mais la même idée liante
toujours l'esprit du prophète : dans la troisième vision, il
s'adresse au Seigneur et retrace l'histoire de la création. Un
passage remarquable est IV, 38 (p. 48) où il dit : «... Tu as
dit. . . : Que le ciel et la terre soient, et ton verbe exécutait. »
M. René Basset reconnaît dans cette part faite au verbe comme
(l) « Que ton esprit se représente les abîmes et les affres de la
mort, et ce_qul t'arrivera à ce momenl, et ce que tu subiras après le trépas:
la comparution devant Dieu (gloire à lui !) ; puis le jugement suprême;
puis après le jugement, l'éternité. Prépare dés maintenant, pour le
Jugement de Dieu, le Souverain Maître, ce qui te permettra d'affronter
plus facilement l'épouvante et l'angoisse de ces assemblées dernières. Ah!
si tu pouvais voir ceux qui auront encouru la colère du Dieu Très-Haut,
que de tourments variés ils subiront ! combien terrible sera sa vengeance !
si tu pouvais entendre leurs gémissements au milieu des ffammes et les
sanglots qu'ils pousseront, alors que l'angoisse assombrira leurs visages ;
si tu pouvais te figurer l'éternité pendant laquelle ils souffriront, la face
tournée vers les gouffres du feu infernal, n'entendant pas, ne voyant pas
et ne cessant de crier : « Malheur! Malédiction! » Plus terrible encore
que tout cela sera la douleur qu'ils éprouveront de, voir que Dieu s'est
détourné d'eux, la perte de toute espérance et la réponse que Dieu fera
à leurs lamentations : « Loin de moi, restez dans le feu éternel ! et ne
m'adressez pas la parole! etc..» (Risàlat el Imàm MaliUilâHai'oûn
er-Rachid, 1 br. 30 pp. Boulaq., 1311, p. 3-4).
l'apocalypse d'esdras 369
démiurge, une intUience philonienne (1) : c'est dans le même
esprit, fait-il remarquer (p. 11), que le verbe est représenté
dans l'Epitre aux Hébreux (2). Après avoir terminé son exposé
de la création, Esdras s'écrie de nouveau : « Si tu as créé le
monde pour nous, pourquoi ne le possédons nous pas en héri-
tage? » L'ange répond que le bonheur est au bout des épreuves.
Puis il reprend le récit des scènes du jugement dernier.
C'est alors qu'Esdras lui demande ce que deviendront les
âmes après la mort, en attendant ce jour suprême : l'Ange
répond que les ùmes des justes seront l'objet de sept
faveurs ou récompenses pendant sept jours (p. 60-62) ; les
âmes des méchants seront, au contraire, tourmentées de sept
façons pendant sept jours (p. 63). Puis elles s'en iront dans
leurs demeures (3) — Esdras demande ensuite : « Au jour du
jugement, les justes pourront-ils intercéder pour les pécheurs
aux yeux du Très-Haut? ». A quoi l'Ange répond : « De même
que maintenant, le père n'envoie pas le fils à sa place ; ni le
fils, le père; ni le maître, son serviteur; ni l'ami, son ami
pour être malade, ou se coucher, ou manger, ou être guéri à
sa place ; de même il sera impossible que quelqu'un intercède
pour un autre.. ..» (p. 65, v. 70-71). On sait que l'Église
catholique a tranché cette question en sens contraire : elle
pense que ses prières (4) et l'intercession des saints pourront
obtenir en faveur des pécheurs condamnés une atténuation ou
même la remise de leurs peines. Aussi ce passage du
quatrième livre d'Esdras a-t-il été, dans un manuscrit,
supprimé comme contraire à la doctrine catholique (p. 12).
Mais la doctrine exposée dans l'apocryphe qui nous occupe, en
ce moment, a laissé des traces lointaines. Le traducteur en
rapproche les trois versets suivants du Coran : « C'est le
Cl) Le mot de verbe est- la IracUictioa littérale du mot grec Aoyoç, qui
a ici le sens de « raison, pensée » (cpr. l'ancien sens de notre mot
discours). Mais la théolo,'ie philonienne va plus loin: le veibe n'est pas
seulement la raison de Dieu, c'est Dieu même en acte; c'est [)lus encore,
c'est le lieutenant de Dieu, âon fils l'intermédiaire entre le Créateur et la
création.
(2) « Diebus istis locutus est nobis in Filio, quem conslituit bœredetn
universorum, per qu.im fecit et sœcula ». Vulg., Hebr , 1., 2).
(3,1 Ce mot n'est pas davantage précisé — II est intéressant de comparer
la doctrine musulmane sur ce i)oint. Voy. à ce sujet le parai<raphe
intitulé : De L'état <le l'àme après la inort d'après la croyance
■musulmane, in Baugks. Vie de Sidi-Ahou-Médiène, l vol. gd-8°,
XXXV-118 pp., Paris, I88i ; p. 87-97 ; voy. aussi dans le même ouVrage
le paragraphe relatif au Barzakk, p. 97-lUl.
(i) Cf. tout l'oflice de la (^ortimémoration des morts.
16
370 l'apocalypse d'esdras
jour où une âme ne pourra rien pour une âme, ce jour-là tout
sera dévoilé à Dieu » (LXXXII, 49) — « Lorsque le son
assourdissant de la trompette retentira, le jour où l'homme
fuira son père et sa mère, sa compagne et ses enfants, ce jour-là
tout homme suffira à sa propre occupation (1) » (LXXX,
33-37) — a Lorsque la trompette sonnera, il n'y aura plus de
lien de parenté entre les hommes ; les liens de parenté
n'existeront plus. On ne se fera plus de demandes réciproques »
(XXIII, 103) (2). On peut rapprocher de ces citations la
poésie suivante de notre moyen-âge :
Non hic excusatio, non hic advocatus,
Planclus. luctus, lacrymœ, fletus et precatus,
Honor, opes, munera, geaus, potentatus.
Non juvabit miseros val cujusdam staïus. (3)
Après avoir reçu cette réponse au sujet de l'intercession,
Esdras revient à son thème favori : « X'eût-il pas mieux valu
que la terre ne produisît pas Adam, plutôt que de le produire
et l'instruire à pécher? » (p. 67, v. 11). Et il adresse au
créateur une prière pour qu'il soit pardonné aux méchants en
faveur des justes (p. 72). Il a des arguments terribles : « Si la
semence du laboureur ne lève pas, il dit : « Peut-être n'a-t-elle
c( pas reçu assez de pluie, c'est pourquoi elle a péri » — Mais
l'homme que tu as fait de tes mains, que tu as formé à ta
ressemblance, s'il est ton image et si tu as tout créé à cause de
lui, pourquoi le compares-tu et le f<iis-tu ressembler à la
semence du laboureur? » (p. 76, v. 43-44). L'ange répond par
l'argument de liberté, dont les méchants se sont servis pour
offenser Dieu : « Après avoir été créés, ils ont profané le nom
de leur créateur; ils n'ont pas rendu grâce à celui qui les avait
formés » (p. 77, v. 60).
(1) Le Diesirœ trahit des préoccupations analogues: «Judex ergo cum
sedebit, — Quiquid latet apparebil, — Nil inultura remanebit. — Quid
sum miser tune dictarus ? — Quom patronum rogaturus, — Cum vix
justus sit securus ? ».
(i) Cf. encore XXXI, 32 : « Le père ne .satisfera pas pour son fils, ni le
fils pour son père ». — LX, 3 : « Vos parents ni vos enfants ne vous
serviront de rien ». — LXXIV, 49 : « L'intercession des i tercesseurs ne
leur servira de rien « — Toutefois le l^rophète pourra intercéder en faveur
de qui il voudra. Il est l'intercesseur continuel par excellence, et même
il finira par faire entrpr tout son peuple dans le Paradis. Telle est la
doctrine musulmane actuelle, ctavée sur un certain nombre de passages
du Coran, tels ((ue II, î-''^ : XIX, !l(J : XX, 108 : XXXIX. 45 : LXXVIII.
38, et sur de nombreuses traditions.
(3) MoNE, Schauspiele cl. Miîtelalt., 1, 393. ap. Du Méril, op. laud.,
p. 118. n. -l.
l'apocalypse d'esdras 371
Dans une quatrième vision, Esdras aperçoit une femme qui
se lamente. Elle lui expose qu'ayant été trente ans stérile, elle
enfin eu un fils qu'elle a perdu le jour où il se mariait.
Esdras cherche à la consoler, quand tout-à-coup elle disparaît
et fait place à une ville immense. L'Ange explique cette vision
à Esdras : la femme, c'est Sion, à qui au bout de 3000 ans
Salomon construisit un temple qui est le fils. La mort de celui-
ci, c'est la ruine de Sion (p. 83-89). On reconnaît là la Jéru-
salem Céleste qui devait, selon les anciennes croyances,
descendre sur la terre et être la demeure des J uifs ressuscites (1).
Les premiers chrétiens le crurent aussi (2), mais plus tard, la
doctrine catholique vit dans cette Jérusalem le symbole de
l'Eglise à laquelle seraient appelés tous les chrétiens (3) et elle
en mit les Juifs à la porte.
Dans la cinquième vision, apparaît à Esdras un aigle à trois
têtes, six paires d'ailes et quatre paires d'ailerons qui régnent
successivement. La critique moderne a trouvé la clé de cette
énigme : l'aigle est, comme dans Daniel, l'empire romain ; les
six paires d'ailes, les six premiers Césars ; les quatre paires
d'ailerons, Galba, Othon. Vitellius et Nerva ; les trois têtes, les
trois premiers Flaviens. Le lion qui vient ensuite faire
disparaître l'aigle est le Messie (p. 91-98). Tout cela est
présenté comme une prophétie, puisque l'apocalypse est
censée avoir été composée par Esdras. C'est là l'allure habi-
tuelle d'un grand nombre d'apocalypses ; l'auteur y prophétise
des événements qui, en réalité, sont passés, mais qu'il
présente comme futurs. Arrivé à son époque il continue à
vaticiner ; mais ses prédictions deviennent aussitôt beaucoup
plus vagues et la critique discerne facilement le moment où il
cesse de mettre en œuvre l'histoire et celui où il s'abandonne
à son imagination (4). C'est ce qui se produit ici. Les prophé-
ties qui suivent n'ayant plus aucune précision et le troisième
des Flaviens, c'est-à-dire Domilien, ayant été assassiné en 96,
(1) Cette croyance a sa source dans Isa'ie. Vov. en pardculier LXV,
17-19.
(2) Il en est ainsi de Tertullien. Voy. Adv. Marcionon. 1. III, chap.
XXIV, in MiiJNE, Patrol. lat., II, 355. Cf. Augustin, De cic. Dei, 1. XX,
chapitre XXI, par. 2, in Migne, ici., XLI, 691 et les références données à
la note 4.
(3) « Sed accessislis ad Sion montem, et civitatem Dei viventis,
Jérusalem cœlestem, elc » (Vulg., Ad Hebr.. XIL 23 seq).
('i) F. Macler. Les apocalypses apocryphes de Daniel, in Rec. Hist.
Rel., t. XXXIII. 17= ann., u- 1, janv.-fév. 1896, pp. 6etsuiv.
372» l'apocalypse d'esdras
l'Apocalypse d'Esdras est forcément un peu postérieure à cette
date.
La sixième et dernière vision d'Esdras nous montre, sous
une forme symbolique, celui qui doit régner sur le monde
nouveau, exterminer ses ennemis et réunir les neuf tribus de
Sion. Enfin Esdras reçoit l'ordre d'écrire de nouveau la Loi
qui avait disparu ; il la reconstitue de mémoire en quarante
jours et la donne aux sages du peuple. Cette croyance, d'après
laquelle la Loi, détruite par Nabuchodonosor, avait été
reconstituée par Esdras, se retrouve chez les premiers Pères
de l'Église, tels que TertuUien, Saint-Irénée, Clément d'Alexan-
drie (p. 16).
Telle est l'Apocalypse d'Esdras ; les prophéties, on le voit, y
occupent une moindre place que dans beaucoup d'autres
œuvres semblables. Les questions eschatologiques y sont au
contraire au premier plan ; il faut aussi remarquer la place
prépondérante qu'y occupent les questions d'Esdras au sujet
du problème du mal qui font de cette œuvre, comme de
plusieurs autres analogues, une sorte de métaphysique
populaire.
Aussi l'influence du livre d'Esdras a-t-elle été considérable .
on en retrouve la trace dans la littérature musulmane et
M. R. Basset a tait (p. 21) allusion à un curieux passage d'Ets-
Tsa'labî, que nous résiimous sur le texte même de l'écrivain
arabe. Cet auteur, dans son son livre sur les Proplièles, raconte
en effet que les Amalécites avaient vaincu les .Juifs ; mais les
docteurs de ceux-ci avaient pu se sauver et enterrer dans des
montagnes la Loi ou (cTawrat ». 'Ozaïr, c'est-à-dire Esdras (1),
s'était mis à mener la vie ascétique au sommet d'un mont. Il ne
descendait que les jours de fête. Un jour en revenant, il rencontra
une femme qui pleurait près d'une tombe (2j, il chercha à la
réconforter, mais celle-ci lui dit : « Je suis le monde d'ici-bas.
Je t'annonce que, dans ton oratoire il jaillira une source et il
poussera un arbre. Mange des fruits de cet arbre, bois de l'eau
de cette fontaine, fais-y tes ablutions et prie deux « rek'a » , et
(1) 'Ozaïr est mentionné une fois dans le Coran, IX, 3U : « Les Juifs
disent : « 'Ozaïr est fils de Dieu » On verra dans le passage de Tsa'aiabi
que nous rapportons, l'explication de cette légende : les commentateurs
disent généralement que Dieu ressuscita 'Ozaïr cent ans après sa mort e_L
que ce prophète récita la loi toute entière à ses coreligionnaires, ce qui
fit croire qu'il était fils de Dieu. Cpr. Coran, II, 256.
(2) On reconnaît ici la vision d'Esdras, quoique défigurée, (p. 84-89).
l'apocalypse d'esdras 373
u verras venir à toi un vieillard qui te donnera quelque
chose. Ce qu'il te donnera, prends-le ». Le lendemain matin
en effet une source avait jailli et un arbre avait poussé dans
l'oratoire du Saint. Un vieillard se présenta, lui fit avaler trois
espèces do tioles, le fit entrer et marcher dans la source : à
chaque pas qu'il faisait il augmentait en science, en sorte qu'il
revint près de son peuple, sachant la Tawràt mieux que
personne. Il attacha une plume à chacun de ses doigts et
écrivit ainsi de mémoire toute la Loi. Et lorsque les docteurs
revinrent avec les livres qu'ils avaient déterrés^ et qu'ils les
comparèrent avec ce qu'avait écrit Esdras, ils ne trouvèrent
aucune différence. Et tous dirent : « Il faut que ce soit le fils
de Dieu » (1).
D'autre part, le rituel de l'Église catholiqut^ a gardé un
certain nombre de passages empruntés au IV"^ livre d'Esdras
(p. 22) : mais ce que le traducteur nous signale de plus
curieux sous ce rapport, c'est que Christophe Colomb s'appuya
sur l'Apocalypse d'Esdras pour affirmer l'existence d'un
Nouveau Monde (2). Cet argument, fait remarquer M. Basset,
était, aux yeux des docteurs de l'époque, d'un poids autrement
considérable que toutes les raisons d'ordre scientifique.
On voit que le livre dont nous entretenons nos lecteurs est
du plus haut intérêt à maint et maint point de vue. La compétence
nous manque malheureusement pour dire de la traduction
le bien qu'il en faudrait certainement dire. Nous ne pouvons
qu'en apprécier le style qui est clair et élégant; une introduc-
tion très érudite et où cependant l'auteur s'est refusé à suivre
certains exégètes par trop subtils, met en mesure tous ceux
qui s'intéressent à la science des religions, d'aborder l'étude
du texte en toute connaissance de cause.
Tlemcen, le 15 juin 1899.
Edmond DOUTTÉ.
(1) Ets TSA'LAiii, Qirac el Anbià. 1 vol. 4", Tyl pp.. Caire, 1314; p. 195
Cf. Ahmed BEN Iyas, ÈadàT-ez-Zolwûr., l vol. 8\ 216 pp., Caire, 1314'
p. 1/3. Le luanquo de ressources 1)il)liograplii(|ues à Tlemcen nous
empêche de nous référer aux travaux de Weil et di; Lidzbarski.
(2) « Avant qu'on connût la trace du monde futur , avant .jue
fussent marqué-, du sceau ceux qui thésaurisent la foi. Ce iour-[;i j'ai
pensé que j'étais jiar moi-même et qu'il n'eu étnit pas d'autre, — Je lui
répondis : « Quelle sera la marque de la durée qui lui est assignée ?
Quand arrivera la fin du premier monde ? Quand le commencement
du suivant? >> (p. 45,. chap. IV, v. 5-7).
HAGIOLOGIE MAG'RIBINE
— Hier est arrivée à Oran une saints musulmane habillée
en homme.
Prononcées un certain matin du mois de juillet de l'an de
grâce 1899, ces quelques paroles du grand explorateur maro-
cain m'avaient fait ouvrir des yeux étonnés (1).
— Est-ce bien vrai ? dis je aussitôt à Moh'ammed ben
T'ayyéb. Prends garde ! Tu sais avec quelle facilité certains
Chrétiens écervelés te traitent d'imposteur, toi et tous ceux
de ta religion du reste ?
L'éternel pèlerin se contenta de répondre :
— Demain, elle sera ici, ici même, dans ton bureau.
Et, le len-iemain, ayant fait préparer d'avance du café, des
fruits, des gâteaux, non de ces gâteaux qu'une dent islamique
ne saurait effleurer sans commettre un gros péché, mais des
gâteaux pétris par la main savante d'une pure croyante, le
lendemain, j'étais avec ma femme et mes enfants dans mon
cabinet de travail quand le derviche arriva. Il n'avait avec lui
que son inséparable parapluie. J'eus une exclamation.
— Gomment ! tout seul '? Et la oualiya (sainte), où est-elle ?
— Patience, fit le cheminot en souriant; elle me suit, elle
arrive.
Elle arrivait, en efïet, suivie de la femme du derviche et de
ses deux mok'addem. On me l'amenait par surprise : il s'agis-
sait de lui montrer la route qui conduit à Dédda Youh (2), le
saint vénéré dont les eaux thermales produisent des cures si
(1) Il y avait de quoi être stupéfait, carc'p.stla première fois que pareil
secret s'envole liors du monde fermé de l'Islam. Un très honorable
interprète principal de l'armée en retraite, M. L. Guin, frappé de ma
découverte inattendue, m'avouait ces jours-ci qu'en dépit de ses 50 années
passées à fréquenter les Indigènes et à étudier leurs ouvrages, il ignorait
absolument ce détail typique ainsi que d'autres particu'arités extraordi-
naires qui caractérisent la phalange si nombreuse et si bien gardée des
saintes et des saints musulmans de l'Afrique Septentrionale. Veuillez
réfléchir à celte grave déclaration de l'un de nos meilleurs arabisants
algériens, et ne vous demandez pas ensuite ce que la Science officielle,
représentée par d'aveugles profanes, peut bien savoir de réel et d'exact
urle mystérieux troupeau des marabouts, des maraboutes, des saints et
des saintes de l'Islam ipù, de nos jours encore et plus que jamais peut-
être, sillonnrnt à pas de loup et tondent dévotement l'immense surface
territoriale qui s'étend des déserts de la Trip'blitaine au rivage de
l'Atlantique
(2) Les Bains de la Reine, sur la route d'Oran à Mers-el-Kebir.
HAGIOLOGIE MAG'RIBINE 375
merveilleuses, et on lui avait dit que de la maison d'un certain
t'aleb roumi ce chemin était parfaitement visible.
— Un t'aleb rournil Je n'en ai jamais vu, avait-elle dit à
l'épouse de l'explorateur. Entrons donc voir celui-ci.
D'elle-même, la première, elle avait franchi les trois marches
de la porte, et elle s'avançait dans le corridor, pieds-nus, les
bras croisés sur la poitrine, dans l'attitude de nos pieuses
chrétiermes au retour de la Sainte-Table. Son costume
masculin, — deux légers burnous, un h'aïk en laine, une
âbaya et un kenbouch, — ne pouvait me donner le change sur
le sexe de la frêle personne qui venait me visiter : Le visage
frais et rose, les yeux mi-clos, se fermant souvent devant
l'éclat du grand soleil qui inondait ma terrasse et une partie
de mon bureau, les mains assez mignonnes, teintées de henné
au bout des doigts, mais très peu, à peine sous les ongles, la
pauvre enfant que j'avais devant moi aurait pu difficilement
passer pour un homme parmi ses coreligionnaires. Quant aux
Européens, comme ils ne font pas cas des porteurs de burnous
qu'ils rencontrent, il est certain que notre sainte n'avait éveillé
l'attention d'aucun d'eux.
La veille, Moh'ammed m'avait recommandé, en trois ou
quatre phrases rapides, de témoigner à D'éhbiya (1) les plus
grands égards. Nous étions d'ailleurs sous l'œil vigilant de l'un
de ses mok'addem, le nommé K'addour, un rustre aux larges
épaules, à la mine patibulaire, dont la principale fonction
consiste à suivre la jeune sainte comme son ombre. Son
collègue, l'autre mok'addem, s'était arrêté en route et n'était
pas entré. Le gros K'addour lui-même avait failli rester à la
porte, trop brusquement refermée par ma domestique, mais
D'éhbiya l'ayant appelé, cet homme pratique n'avait pas tardé
à faire son apparition dans mon bureau et s'était laissé choir
sur un bon fauteuil, entre sa patronne d'un côté et la femme
du derviche de l'autre.
— Zaret-na l -baraka, ya ouallou Lhali. (La bénédiction
divine nous a visités, 6 ami de Dieu).
A cette formule de politesse que je répétais deux ou trois
(l)<u\.»^ nom propre arabe signifiant en or.
376 HAGIOLOGIE MAG'RIBINE
fois, D'éhbiya répondit en se penchant à mon oreille, de manière
à n'être entendue que de moi seul :
— Je suis une oual'vja (sainte) et non un oualï (saint).
— Je le sais, tis-je tout bas ; et je sais aussi qu'il y a des
ouali (saints) qui portent des vêtements de femmes.
— Comment ! Comment ! Mais qui donc es-tu ? Musulman
ou chrétien ?
Alors, d'un geste solennel, lui montrant du doigt les cieux,
je répondis :
— Celui qui lit dans les cœurs, celui-là seul le sait.
— Sami-ni, sami-ni. (Viens près de moi, près de moi).
Et elle me montrait un siège, à sa gauche, sur lequel je
m'assis, tandis que le peu sémillant K'addour, à sa droite, se
bourrait de raisin et de pêches, bombance royale qui était la
bienvenue, disait-il, parce qu il n'avait pris qu'un peu de café
le matin, sans autre chose.
Cueillant délicatement les grains d'une belle grappe de raisin
que je lui avais mise entre les doigts, et les croquant avec une
sage lenteur, D'éhbiya m'expliquait qu'elle n'aimait que les fruits.
— Les bœufs que je fais égorger à chacune de mes ouaâda,
je n'y touche même pas. La viande me répugne, ajoutait- elle,
et j'ai si peu d'appétit qu'il m'arrive parfois de rester deux jours
sans manger.
Elle venait d'achever son raisin et elle tendait ses deux
mains au mok'addem. Celui-ci, comprenant ce que ce geste
signifiait, releva un pan de son burnous et s'empressa d'essuyer
un à un les dix doigts de sa maîtresse.
Cependant la femme de l'explorateur ne tarissait pas sur les
mérites de D'éhbiya.
— Une si jeune enfant, à peine dix-huit ans, déjà sainte, et
extatique ! (mejd'ouba).
Dans le fm fond de mon àme, je priai le Dieu des Montanistes
de m'accorder l'inestimable faveur d'assister à l'une de ces
fréquentes et terriiiantes crises pendant lesquelles la jeune
vierge des Sedjrara (1), ravie en extase, prononce, paraît-il,
d'une voix tonnante, le nom du célèbre santon dont elle est la
servante préférée : Sidi Abd-el-K'ader el-Djilani.
{A Suivre). Auguste MOULIÉRAS.
([) Tribu des environs de Perrégaux (département d'Oran).
MUSTAPHA BEN ISMAEL
(SUITE ET VIS)
La Sikkak
{U juillet 1830)
Depuis la désastreuse afîaire de Sidi-Yacoub, nos troupes de
la division d'Oran, étroitement observées par Tennemi, subis-
saient un véritable blocus dans leur camp de laTafna. Aucune
sortie n'était plus possible ; elles durent, pendant plus d'un
mois d'escarmouches, se borner à défendre leurs retranche-
ments.
Seuls, les fidèles cavaliers du Maghzen sortaient pour four-
rager et a\aient, chaque fois, des engagements avec l'ennemi.
Dans deux de ces combats, ils eurent à déplorer la perte de
plusieurs des leurs.
D'un autre côté, l'état de la mer ne permettait pas de débar-
quer des vivres, de sorte que la disette commençait à se faire
sentir dans le camp. Les troupes furent successivement
réduites à la demi, puis au quart de ration. Cela devenait
inquiétant. La nourriture étant réduite à une poignée de riz
cuit à l'eau bourbeuse, les soldats s'affaiblirent promptement
et bientôt furent contraints de manger la chair des chevaux
tués à l'ennemi, à chaque sortie des Douairs et des Sinélas.
Pour exciter encore davantage l'irritabilité des cavaliers du
Maglizen, qui souffraient le plus de la famine, des Kabyles et
des Arabes venaient, à tout propos, leur jeter par dessus les
retranchements ces décevantes paroles :
— « Vos femmes et vos enfants sont prisonniers : tout ce
qui n'a pas été tué par notre sultan Abdelkader, autour d'Oran,
a été enlevé, et, pendant que vous mourez de faim .^ur cette
plage, au service des dirctiens, nous nous partageons aos trou-
peaux et vos biens ».
En effet, pendant que les troupes de la Division étaient blo-
quées à la Tafna et le reste de la province d'Oran sans défense,
Abdelkader, laissant à une partie de son armée la garde du
378 MUSTAPHA BEN ISMAEL
blocus de Rachgoun, se porta vivement vers la M'iéta, sur les
terres de» Douairs, pour exercer contre eux de violentes
représailles.
Ceux d'entre-eux qui n'étaient pas au goum du Maghzen avec
l'agha Mustapha, cultivaient paisiblement leurs terres et
s'occupaient de l'élevage du bétail. L'émir les surprit inopiné-
ment dans leurs campements et opéra sur eux une immense
razzia dans laquelle Si Ahmed ould Cadi perdit totalement ses
troupeaux et ses biens estimés 300.000 francs. Ce riche butin
fut enlevé et conduit en lieu sûr à El-Améria (aujourd hui
Lourmel). Là, l'émir écrivit à Si Ahmed ould Cadi qui était un
des chefs des Douairs à la colonne du général d'Arlanges, une
lettre comminatoire, lui rappelant le temps de leur jeunesse
passée ensemble et de leurs études faites en commun. Il
l'engageait vivement à quitter les Français et à venir le
rejoindre, ajoutant qu'il lui restituerait tous ses biens.
Le destinataire de cette lettre répondit termement à Abdel-
kader :
— « Je vous remercie de vos offres généreuses et je ne compte
que sur Dieu seul pour me dédommager de la perte de mes
biens que vous m'avez ravis. Achevez votre œuvre, c'est la loi
de la guerre ; mais le sort des batailles est inconstant, s'il
vous favorise aujourd'hui, il pourra vous être contraire de-
main ! C'est dans cet espoir que je refuse vos offres et que je
demeure au sein des Français nos bienveillants protecteurs,
dont nous sommes et demeurons les enfants d'adoption. »
Ainsi, malgré toutes ces tentatives et ces excitations réité-
rées, pour détacher de nous nos braves auxiliaires, le moral
des Douairs restait inébranlable ; ce qui faisait dire par
Mustapha ben Ismaël au général d'Arlanges :
— « Ce sont (les hommes auxquels il ne reste d'entier que Je
cœur, ))
Cependant, le général profitant d'une accalmie qui permit,
vers la fin mai, à quelques navires dOran de venir les ravi-
tailler, eut un moment l'intention d'embarquer la division
toute entière pour la débloquer et la faire rentrer à Oran par
MUSTAPHA BEN ISMAEL 379
mer II fit part de son projet à Mustapha ben Ismaël, toujours
homme de bon conseil :
— « Faites ce qu'il vous plaira, lui répondit le vieil agha,
exécutez votre projet sans vous préocuper ni de moi ni des
miens. Nous ne connaissons pas la mer, ni les vaisseaux, nous
ne connaissons que la voie de terre et nos braves chevaux.
Avec eux, nous serons toujours assez forts pour regagner nos
terres de la M'iéta par une marche de nuit, et nous y arrive-
ront coûte que coûte. »
La mer redevenue mauvaise, les troupes restèrent à la
Tafna, pendant qu'en France le Gouvernement et les Chambres
justement émues de la triste situation des troupes de la divi-
sion d'Oran, résolurent de les en tirer avec honneur.
On ht embarquer lestement à Toulon et transporter à
Rachgoun par le Nestor, la Ville de Marseille et le Scipion,
4,500 hommes d'infanterie avec mission d'aller en toute hâte
dégager !e général d'Arlanges.
Le 5 juin 1836 les trois vaisseaux apparurent, enfin, a
l'horizon et vinrent bientôt opérer leur mouillage dans la rade,
à l'abri derrière l'île de Rachgoun. Ils amenaient trois régi-
ments de ligne : les 23^, 24^ et 62^ placés sous les oidres du
général Bugeaud, auquel le Gouvernement confiait le com-
mandement de cette nouvelle expédition. En même temps, le
général de Létang était nommé à Oran au commandement de
la place et de la Division.
Le 7 juin, le débarquement des troupes de renfort était
achevé. Calme et résigné dans sa disgrâce, le général
d'Arlanges remit à Bugeaud la direction du camp retranché
et celui des braves et vieilles troupes d'Afrique dont l'estime et
l'affection suivit dans sa retraite l'officier général distingué,
paternel et loyal, que sa chétive apparence et sa santé déla-
brée avaient souvent privé de l'autorité et de l'ascendant
moral si nécessaires à la pratique journahère du commande-
ment et aux actions de guerre. De son côté, l'agha Mustapha
ben Ismaël, en vue de la reprise de l'offensive, reçut de la M'iéta
un important renfort de cavaliers auxiliaires des Douairs et
Smélas, qui porta l'effectif du Magh/.en à 600 chevaux.
380 MUSTAPHA BEN ISMAEL
A son débarquement, le général Bugeaud trouva une vérita-
ble place forte construite à Rachgoun avec des développements
exagérés et des travaux de patience excessifs, sans qu'un
murmure se fut élevé pendant la pénible et laborieuse exécu-
tion de ces ouvrages visiblement superflus pour le présent et
justifiés seulement par la nécessité d'arracher au désœuvre-
ment et au spleen des soldats qui manquaient de tout hors le
sentiment du devoir, et dont les cruelles épreuves, patiem-
ment subies, semblaient accroître encore le dévouement au
drapeau et l'obéissance passive.
Le général Bugeaud, sans perdre de temps, se disposa à
reprendre l'otlensive ; il réunit les troupes pour se faire con-
naître, leur parla affectueuse ment et conquit promptement
leur confiance.
Ses préparatifs achevés, il rompit, le 12 juin, ce blocus de la
Tafna qui durait depuis le 25 avril. Pour montrer à Abdel -
kader qu'il ne le craignait pas et se trouvait libre de ses
mouvements, le général prit la route d'Oran par le littoral,
harcelé par des coureurs ennemis, mais nullement gêné
dans sa marche. Le 13, bien qu'il fit très chaud, la colonne
combattit avec succès un parti d'Arabes qui l'attaquèrent de
flanc. Le 14, près de l'Oued Ghaser, un bataillon du 62% qui
n'avait jamais vu le feu, fatigué par la marche et surpris par
une attaque soudaine de cavalerie, se pelotonna autour de son
drapeau ; on le dégagea immédiatement et les cavaliers de
Mustapha ben Ismaël, prompts à la riposte, furent les premiers
à lui faire un rempart de leurs corps. Le 16, la colonne arriva
à Oran et y prit un peu de repos pendant deux jours.
Le 18, la colonne avec un fort ravitaillement reprit la route
de Tlemcen où l'on arriva après cinq jours de marche, rendus
pénibles par la forte chaleur. Entre Tisser et Tlemcon, nos
troupes eurent à soutenir une attaque d'arrière-garde qui
dégénéra peu après en combat général de cavalerie auquel
prirent part, avec succès, trois escadrons de chasseurs d'Afri-
que et la cavalerie auxiliaire de l'Agha Mustapha.
On trouva à Tlemcen la garnison fatiguée par les privations,
mais d'un moral à toute épreuve.
MUSTAPHA BEN ISMAEL 381
« La présence dans cette place, dit le duc d'Orléans (I), des
troupes de la division commandée par le général Bugeaud,
lut un court entr'acte dans les souffrances de cette petite
garnison du Méchouar, séparée du monde depuis le mois de
février et à laquelle on avait donné le droit de se croire oubliée
par la France. Deux fois elle avait entendu le canon du
général d'Arlanges, et deux fois ce bruit, en s'éloignant, avait
tralii son espérance sans ébranler son ferme dévouement.
L'expression assurée, la pâleur de leurs visages amaigris,
attestaient à la fois de leurs dures privations et de la persévé-
rante énergie d'àmes inaccessibles au découragement.
(( Le plus pâle de tous, le plus maigre, parce qu'il avait
voulu souffrir plus qu'aucun de ses soldats, le brave capitaine
Gavaignac rehaussa encore par sa modestie et son abnégation
une conduite exemplaire admirée de toute l'armée. »
Le convoi de vivres conduit à Tlemcen ne l'approvisionnait
que pour un mois. C'était peu. Le général Bugéaud repartit
dès le 26 à la Tafna pour y aller chercher un plus fort ravitail-
lement. En revenant de Rarhgoun, où on était arrivés sans
encombre, la colonne ne tarda pas à appercevoir de forts con-
tingents ennemis l'observant de tous côtés et paraissant
vouloir lui barrer le passage et lui enlever le convoi.
Le second jour, le général vint camper sur les bords de la
rivière, au débouché de la vallée de l'oued-el-Ateuch (vallée
de la soif), vers Tendroit où se trouve, de nos jours, le point
appelé X La Plàtrière. » L'Émir, avec toutes ses troupes,
s'était posté deux lieues plus loin, à la Pierre du Chat, vers
l'entrée des gorges de la Tafna, barrant ainsi le chemin carros-
sable aux Français. Le général Bugeaud fait faire une recon-
naissance sur la route, pour tromper l'ennemi qui l'attendait
de ce côté Mais, dès la nuit venue, laissant tous ses feux de
bivouac allumés pour donner le cliange, il ordonne un rapide
mouvement de flanc, à gauche, lequel transporte l'infanterie
sur les hauteurs qui commandent le col des Sebà-Chiouck,
non gardé par l'ennemi. A trois heures du matin, le colonel
Combes, à la tète de trois bataillon*, s'empare du col qui est
(1) Duc (I'Orléaxs.— Les campagnes d'Afrique.
382 MUSTAPHA BEN ISMAEL
désert et assure ainsi le passage de la chaîne de montagne à
toute la division, qui descend le versant sud, passe Tisser et
va camper le soir à l'angle du confluent de la Sikkak avec cette
rivière.
Avoir su éviter le combat là où l'ennemi le voulait, s'était se
l'assurer par ailleurs avec l'avance suffisante pour en choisir
l'emplacement.
Au petit jour, quand les arabes constatèrent l'évacuation du
camp de l'oued-el Ateuch, Abdelkader entra dans une grande
colère.
Son orgueuil et sa fierté supportaient mieux une défaite
qu'une mystification ; il se résignait à subir la supériorité de
la force, mais non celle de l'intelligence et de la ruse. L'humi-
liation de ce chassé-croisé, la colère d'avoir été deux fois dupé,
ajoutèrent à son impatience de se venger d'un adversaire dont
l'habileté faisait ainsi, de la vanité de l'Émir l'instrument de ses
desseins.
— (( Ce français est un renard, s'écria-t-il, et son armée est
un serpent, mais saura-t-il être un lion 9 »
L'armée musulmane, quitta ces montagnes, et, comme
fascinée par ce convoi qui venait de lui échapper, elle tourna
les gorges, descendit à sa suite et vint aussitôt camper dans la
plaine de Tisser. Du camp français on vit défiler à petite
distance, pendant l'après-midi, une nombreuse cavalerie qui,
drapeaux déployés, sortit des gorges de la Tafna où elle nous
avait vainement attendus. Elle vint s'établir à une lieue en amont
de notre bivouac, tandis que l'infanterie régulière et les
contingents kabyles prenaient position à une lieue en aval. Le
gros des forces ennemies remonta la rive gauche de Tisser et
vint camper à deux kilomètres à gauche de la colonne fran-
çaise, manœuvre qui aux yeux de tous avait pour but de
l'enfermer le lendemain dans le profond ravin de la Sikkak,
très encaissé de tous côtés et que les Français devaient passer
deux fois pour se rendre à Tlemcen, la route étant la corde de
Tare formé par ce cours d'eau.
Dans un ordre du jour resté célèbre et dont les assertions
MUSTAPHA BEN ISMAEL 383
se sont vérifiées avec un bonheur inouï, le général Bugeaud
annonça ainsi à ses troupes le combat du lendemain :
— « Vous serez attaqués demain dans votre marche ; vous
saurez souffrir un temps les insultes de l'ennemi et vous vous
bornerez à le contenir. Mais vous prendrez votre revanche
dès que le convoi sera en sûreté sur la route de Tlemcen.
Alors, vous marcherez sur vos adversaires et vous les préci-
piterez dans les ravins de J'Isser, de la Sikkak ou de la
Tafna. »
A quatre heures et demi du matin, le 6 juillet, malgré
toute sa diligence, le général fut attaqué par les Arabes qui
tenaient sa gauche, alors que la moitié du convoi seulement
avait passé le ravin de la Sikkak. Le général Bugeaud fit
contenir l'ennemi par les Douairs, toujours les premiers au
feu, et par un bataillon du 256 de ligne appuyé d'un escadron
du 2^ chasseurs d'Afrique.
Dans cette première escarmouche, qui fut très vive, l'agha
Mustapha ben Ismaël fut blessé d'une balle qui lui brisa le
petit doigt de la main droite. Obligé de se retirer à l'am-
bulance pour y recevoir un pansement d'un chirurgien-major
que Bugeaud lui avait envoyé et qui croyait devoir lui expri-
mer des paroles de sympathie, le brave Mustapha lui
répondit :
— (k II est mutile de me i)Iaindre, car le sang colore très hien
la main : c'est le henné des guenners. »
Pendant ce temps sur le champ de bataille, l'affaire devenait
de plus en plus chaude. A l'autre extrémité, sur la droite,
finfanterie régulière de l'Émir rendue audacieuse par le sou-
venir du succès de Sidi-Yaconh, se ruait avec force sur nos
lignes à peine établies sur le plateau.
Le 2^ chasseurs d'Afrique, ayant à sa tête le colonel Serva
de Laisle, se prépara à charger !
Il n'y avait pas un instant à perdre si on voulait laisser au
colonel Combes, commandant la colonne de droite, le temps de
se déployer et d'assurer sa position ;
— « J'avais besoin de dix minutes de plus, dit le général
Bugeaud dans son rapport, pour achever mes dispositions et
384 MUSTAPHA BEN ISMAEL
distribuer tous les rôles ; il fallait aussi donner le temps à
l'ennemi de passer à son tour la Sikkak, afin de l'y précipiter.
Abdelkader n'a pas voulu me donner ces dix minutes ; il a re-
jeté sur moi mes tirailleurs et mes spahis et s'est avancé en
grosses masses informes, poussant des cris atïreux ! »
C'est à ce moment que le régiment du 2<^ chasseurs d'Afrique
disposé pour la charge fut ébranlé par le commandement de
Bugeaud en personne ! C'est lui-même qui le lança sur les
cohues arabes en s'écriant de sa voie sonore et puissante :
— Allo7is, braves chasseurs ! au nom du Roi et pour Vhon-
neur de la France, chargez !!!. . . Cette première contre-attaque
ne réussit qu'à moitié. Le colonel de Laisle ayant devant lui
des forces dix fois supérieures, ne pouvait pas contenir un tel
(lot ; il eut son képi emporté par une grêle de balles qui ne le
blessèrent pas et ses escadrons durent plier ! Mais, ce peu de
temps avait suffi aux brigades Combes et de Vilmorin pour
prendre à leur tour l'offensive ; et comme on pouvait tout
demander aux vieux briscards du 2^ chasseurs d'Afrique, leurs
escadrons promptement reformés renouvelèrent la charge, et
cette fois appuyés par tous les bataillons de l'infanterie
d'Afrique qui se porta résolument en avant, au commande-
ment du général, après qu'une volée de mitraille et d'obus
avait été lancée sur celte vaste confusion de burnous, qui cou-
vrait le plateau.
Cette vigoureuse offensive nous donna la victoire. La deu-
xième charge des chasseurs d'Afrique eut un plein succès; un
bataillon régulier de cette infanterie rouge, dont l'Émir était si
fier, cerné sur un contre-fort escarpé, fut fait prisonnier en
grande partie. Sur un autre point, beaucoup d'arabes périrent
en se précipitant du liaut des escarpements dans la rivière
plutôt que de se rendre. Cette charge furieuse bouscule l'en-
nemi : les chasseurs, mêlés avec les cavaliers arabes en dérou-
te, arrivent sur les fantassins, appelés nizams : tout est rompu,
tout est enfoncé par l'élan indomptable de notre intrépide
cavalerie.
Et, cette fois encore, en historien impartial, nous devons
dire que c'est au concours spontané des cavaliers auxiliaires
du maghzen, conduits par Ismaël ould Kadi, que cette charge
MUSTAPHA BEN ISMAEL 385
décisive dût son plein succès. Il faut se souvenir que dès la
pointe du jour les Douairs avaient été chargés de la défense du
convoi, mais celte lutte d'arrière-garde ne pouvait leur conve-
nir et c'est pourquoi voyant fléchir leurs camarades des chas-
seurs devant le nombre écrasant de leurs adversaires, ils se
précipitèrent spontanément dans la mêlée.
Bugeaud rend compte ainsi, de cet épisode, dans son rapport
ofticiel :
— « Les arabes ont plié une seconde fois ; une seconde fois
aussi je leur ai lancé ma cavalerie, mais alors 400 Douairs et
Smélas m'avaient rejoints ; malheureusement, leur agha
Mustapha venait d'être blessé d'une halle à la main. Malgré
la privation de cet excellent chef, ils m'ont rendu de grands
services. Eux et les chasseurs d'Afrique se sont couverts de
gloire. Tout a été culbuté, la cavalerie arabe a perdu beau-
coup d'hommes, d'armes et de chevaux ; ses morts et ses bles-
sés sont restés en notre pouvoir. » Ce fut à la suite de cette
débâcle que ce qui restait de l'infanterie régulière de l'émir,
lâchement abandonnée sur le champ de bataille par la cavale-
rie, rompue et disloquée par les baïonnettes de nos bataillons,
se précipita fatalement sur un des points les plus difficiles du
ravin de lisser. Une pente assez rapide aboutissant à un rocher
taillé à pic, à dix ou douze mètres au-dessus d'une sorte de
plage.
C'est là qu'un carnage horrible commença et se poursuivit
malgré les efforts personnels du général Bugeaud pour l'ar-
rêter. Dans le but d'échapper à une mort certaine, ces mal-
heureux vaincus se précipitent au bas du rocher, s'assomment
entre-eux ou se mutilent d'une façon affreuse. Bientôt cette
triste ressource leur est enlevée ; des chasseurs et des volti-
geurs avaient trouvé un passage dans le lit de la rivière et les
ennemis aux abois furent cernés de toute part. Alors arrivent
à la rescousse les Douairs, ayant à venger leurs pertes de la
M'iéta, et ils assouvissent avec rage leur horrible passion de
couper des têtes.
Le général Bugeaud témoin de cet affreux spectacle, toujours
généreux envers les vaincus, veut faire cesser cette boucherie ;
sa voix a bien de la peine à dominer le tumulte ; néanmoins
386 MUSTAPHA BEN ISMAEL
il réussit à soustraire à leurs bourreaux 130 de ces ma^heureux,
perdus sans issue sur ce rocher et n'ayant que le choix entre
les baïonnettes des voltigeurs des 17^ et 47«, et le yatagan des
Douairs. Le général les couvre de son corps et leur sauve la vie.
Ces prisonniers furent, peu après, expédiés en France.
A ce moment le feu avait cessé sur toute la ligne, l'ennemi
s'était enfui dans les montagnes et des cavaliers de l'arrière-
garde venaient rendre compte qu'au plus fort de l'action le
convoi avait réussi à entrer dans Tlemcen.
Le capitaine Cavaignac qui avait eutendu le bruit du canon
et de la fusillade avait eu la témérité de sortir de la place avec
son bataillon et de descendre jusqu'à Hennaya pour venir l'y
chercher.
Tout devait réussir dans cette heureuse journée. A la suite
de cette brillante affaire qui eut pour résultat d/éloigner pour
longtemps l'émir Abdelkader du théâtre de la lutte, le général
Bugeaud ne crut pouvoir récompenser le brillant courage du
Maghzen, qu'en demandant la croix d'officier pour i'agha
Mustapha ben Ismaël et dix croix de chevalier de la Légion
d'honneur pour les principaux chefs.
Ravitaillement de Tlemcen
Combat de Chabat-el-Leham
{2 décetnhre i8S6)
L'ennemi fut quelque temps à revenir du coup vigoureux
porté à ses espérances par le combat de laSikkak. Abdelkader
s'en fût à Tagdempt pour se recueuillir et relever les ruines
de cette vieille cité, dont il voulait faire son arsenal. Le pays
put alors jouir de quelques mois de calme.
Après avoir ainsi accompli sa mission, le général Bugeaud
ne tarda pas à rentrer en France, laissant la direction des
affaires au nouveau titulaire du commandement de la province,
le général de Létang.
Mustapha ben Ismaël, toujours à la tête des Douairs, fut
chargé de surveiller les tribus ennemies; d'opérer des razzias,
ce en quoi il excellait, et de ravitailler Tlemcen, jusqu'au
MUSTAPHA BEN ISMAEL .'187
moment où le général de Létang prit lui-même la direction
d une de ces expéditions (23 novembre 1836). L'ennemi
toujours aux aguets, mais trompé par les habiles manœuvres
du gt^néral, était à peine prévenu de la marche de la colonne
qu'elle arrivait le 28 à Tlemcen.
Abdelkader et son Khalifa de l'ouest, El Bou Hamidi, n'em-
ployèrent pas à réunir leurs contingents toute la célérité qu'ils
auraient pu y mettre, aussi le général, parti de Tlemcen dans
la nuit du 29, put arriver sur l'Isser sans tirer un coup de
fusil.
Le lendemain, quelques cavaliers ennemis commencèrent à
se montrer à hauteur de Nekrelet-bou-Haït, et tiraillèrent
avec l'arrière garde jusque surla hauteur où depuis lors a été
établi le village d'Aïn-Témouchent ; là, pendant la nuit,
Abdelkader put joindre son khalifa El-Bou-Hamidi avec des
forces considérables .
Le 30, à la pointe du jour, à peine la colonne avait-elle quitté
son bivouac qu'elle était vigoureusement attaquée. Les masses
ennemies furent contenues avec applomb et sang-froid dès le
commencement de cette marche en retraite. La cavalerie et
les drapeaux de Mustapha marchaient sur le flanc gauche ;
l'infanterie du colonel Combes flanquait la droite et tenait
l'arrière-garde. L'ennemi réservait tous ses efforts pour le
défilé de Ghabat-el-Leham, ce défilé de la chair, célèbre dans
les chroniques du pays pour le souvenir de la sanglante
défaite qu'y éprouvèrent jadis les Espagnols à leur retour
d'une expédition sur Tlemcen conduite par le marquis de
Cornarès.
Avant de s'engager dans ce passage difficile, le général de
Létang résolut de tenter un retour offensif vigoureux sur les
forces ennemies, afm de donner de l'air à son convoi, ses
principales forces étant concentrées vers notre arrière -garde
qu'elles harcelaient.
Le mouvement fut exécuté avec beaucoup d'élan et un
entraînement remarquable.
Le général, qui était un beau et franc cavalier, chargea lui-
même à la tête du goum de Mustapha et arracha des mains de
l'ennemi le nommé Mohammed ould Kaddour, un des chefs des
388 MUSTAPHA BEN ISMAEL
Douairs. L'aglia ben Ismaël et ses cavaliers se conduisirent
brillamment, comme de coutume, dans cette charge ; ils com-
battirent à rangs serrés et en ligne comme s'ils fussent d'une
arme régulière, et le flanc gauche de la colonne qu'ils occu-
paient, fut brillamment défendu. La poursuite se continua à
plus de six kilomètres en arrière de l'entrée de la gorge,
jusqu'à peu de distance d'Aïn-Témouchent, Pendant que les
Arabes étaient ainsi refoulés et menés battant, le convoi, sous
l'escorte d'un bataillon, avait franchi le défilé.
Après cette offensive hardie, le mouvement de retraite de la
colonne, libre de ses impedimenta, ne fut pas sérieusement in-
quiété ; dès la sortie du Ghabat-el-Leham, tous les tiraillements
cessèrent et l'ennemi disparut. Le soir, au bivouac, le général
de Létang et les officiers supérieurs de la colonne, se rendi-
rent dans la tente du vieil agha Mustapha ben Ismaël, pour le
féliciter chaudement de la belle conduite que lui et son goum
avaient tenue pendant cette journée.
Traité de paix de la Tafna
{30 mai iSSl)
« Les incertitudes et les irrésolutions du gouvernement
français, relativement à notre position en Afrique étaient tou-
jours les mêmes : le pays n'étant ni connu, ni étudié, chaque
nouvelle législature, chaque remaniement ministériel, appor-
taient de nouvelles hésitations, de nouvelles fluctuations dans
la question.
« L'unité de vues et la persistance dans une décision une
fois arrêtée, qui n'auraient pu naître que d'une connaissance
exacte des difficultés à vaincre que d'une conviction approfon-
die et raisonnée de la possibilité de les surmonter, manquant
totalement au pouvoir dirigeant, l'unité d'impulsion manquait
aussi, et les déterminations sur la conduite des affaires étaient
toujours laissées à la merci des événements du moment » (4).
(1) Wai.sin-IIstherazy.— Le Marflicen rl'Oran.
MUSTAPHA BEN ISMAEL 389
C'est ainsi que l'établissement militaire de la Tafna avait été
créé en avril 1836, dans les circonstances déjà décrites et avait
conté 600.000 francs. Malgré tous les soins donnés à nos
soldats les fièvres palustres les décimaient. D'autre part, la
garnison de 500 hommes, commandée par le capitaine Cavai-
gnac et enfermée dans le Mécliouar de Tlemcen, avec cent jours
de vivres au bout desquels elle mourait de taim, étroitement
bloquée dans cette petite forteresse par les troupes de l'Emir,
souffrait horriblement dans cette prison, presque un tombeau,
et était séparée du reste du monde.
Le ravitaillement de cette garnison, objet constant des pré-
occupations de la division d'Oran, avait déjà causé certains
incidents équivoques, notamment celui de l'intervention de
l'émir Abdelkader, qui se chargea de ravitailler la garnison
pour trois mois, moyennant la livraison d'un chargement de
souffre, de plomb, d'acier et autres munitions de guerre, que
le général Brossard, successeur du général de Létang, eut le
triste courage de livier à notre mortel ennemi. Pour cacher
les trafics de cette inavouable négociation, ce ravitaillement
fut présenté au public, comme ayant été conclu au prix
d'une somme d'argent que l'on devait compter à l'Émir par
l'intermédiaire de son oukil, le juif Ben-Douran.
C'est à la suite ce cette affaire que le général Brr;;^>ard, qui
était passé en Espagne et de là à Paris, fui arrêté par ordre du
ministre de la guerre, le maréchal Soult, et déféré au Conseil
de guerre à Perpignan, ou nous verrons peu après Mustapha
ben Ismaël aller déposer son témoignage.
Sur ces entrefaites le général Bugeaud revint à Oran avec
des instructions directes du gouvernement et des pouvoirs
pour traiter la Paix avec Abdelkader ; pouvoirs mal définis et
donnés à l'msu du 'général de Damrémont gouverneur général,
ce qui produisit encore de graves froissements.
C'est avec un véritable Ci)rps d'arinée, composé de 3 briga-
des d'infanterie, une de cavalerie el '•1 batteries d'artillerie que
le général Bugeaud se présente à la Tafna, vers l'endroit connu
de nos jours sous le nom de la Platnere et que l'on désignait
alors par Faïd-el-Ateuch. Cette petite armée forte de près
de 9.000 hommes permettait de se présenter sur le terrain
390 MUSTAPHA bb:n ismaeL
des négociations, ou du combat, dans une attitude respectable
et imposante. Mustapha ben Ismaël y commandait aux 600 ca
valiers des Doiiairs et Smélas, qui marchait aux côtés de la
cavalerie française. Quelques jours auparavant, pendant les
marches, le général Bugeaud communiqua le projet de traité de
paix à Mustapha ben Ismaël, comme pour lui demander son
avis. Ce dernier se contenta de répondre :
— « Vous savez mieux que moi ce qui vous convient, mais je
pense que vous faites une faute dont vous ne tarderez pas à
vous repentir. »
Lorsque les troupes françaises furent arrêtées au confluent
de l'oued El-Ateuch avec la Tafna, on n'y rencontra que la
solitude et le silence ; pas un cavalier arabe ne se montrait à
l'horizon. Les Franc-ais se sentirent humiliés de cette mystifi-
cation, car il fallut attendre, au lieu du rendez-vous, et on
attendit longtemps ; les éclaireurs revenaient sans nouvelles.
C'est alors que l'Etat-major décida de se porter au-devant de
l'Émir. L'intrépide Mustapha, qui était sur ses étriers depuis
la pointe du jour, ne disait mot. Voulant lui faire l'honneur de
l'admettre avec les quatre ou cinq chefs de service qui, seuls
avec l'interprète Brahemscha, devaient accompagner le
général, Mustapha déclina cette otïre :
— « Je prévois, dit-il, que l'entente ne sera pas sérieuse avec
Abdeikader que je connais fort bien et dont j'aurais pu épouser
la cause au début. Néanmoins, sans m'opposer à vos intentions,
je vous prie de me laisser en dehors de votre rencontre directe
avec lui. »
Nous ne rappelerons pas le détails de cette célèbre et
dramatique entrevue, oîi le général français montra combien
peut imposer, même à des barbares, un acte d'énergie et de
résolution. Nous nous bornerons à citer un fait dépendant de
notre sujet, très peu connu, mais qui n'en est pas moins d'un
haut enseignement pour prouver toute l'importance qu'Abdel-
kader attachait à enlever à notre cause, à détacher de nous
par tous les moyens en son pouvoir, les anciennes tribus
Maghzen et combien il tenait à nous priver, à l'avenir, du
concours puissant qu'elle nous avaient si loyalement prêté
dans la lutte qui se terminait, du moins en apparence.
MUSTAPHA BEN ISMAEL 391
« Au moment de se séparer et après avoir pris congé l'un
de l'autre, Miloud ben Arach, un comparse, s'approcha des
deux interlocuteurs et remit à l'Emir une lettre que celui-ci
présenta lui-même au général en le priant de n'en proidre
connaissance que lorsqu'il serait hors du camp.
c( Persistant jusqu'au dernier moment dans son idée de ne
point nous laisser les précieux auxiliaires qui, en haine de lui,
s'étaient donnés à nous ; sachant que les propositions directes
qu'il avait faites de lui rendre ces deux tribus, propositions
qu'il avait commencé par poser comme conditions sine quâ
non de tout accomodement, avaient été hautement et énergi-
quement repoussées, Abdelkader ne désespérait pas d'arriver
à son but en tournant la difficulté : il se contentait donc de
présenter dans sa lettre une liste de douze des principaux
personnages des Douairs et des Smélas, ses ennemis person-
nels dont il demandait, disait-il, dans l'intérêt de la paix et
de la bonne harmonie, entre les deux nations, l'expulsion ou
tout au moins l'éloignement momentané du pays » (1).
L'agha Mustapha était, bien entendu, désigné en première
ligne, puis venait son neveu El Mazary, ensuite Ismaël-ould-
Gadi, Adda-ould-Othman, Hadj-el-Ouzza, chefs de fractions ;
Mohamed ould Kaddour, un des plus brillants cavaliers du
Maghzen, etc., etc.
Enfin, notre bey Ibrahim de Mostaganem, qui avait encouru
la haine de l'Emir par sa fidélité à notre cause. Abdelkader
était certain d'arriver par cette concession, si elle était accordée,
à la prompte dislocation des tribus Maghzen, car il savait bien
que, par l'effet de leur constitution aristocratique, les Douairs
se dissolvent et se séparent dès qu'ils ne sont plus réunis
entrereux par l'autorité des chefs qui donnent à ces agglomé-
rations la force et la cohésion.
Le général Bugeaud laissa cette lettre et les propositions
qu'elle contenait sans réponse; il inéprisMil de semblable.?
moyens de vengeance et refusait de s'en rendre complice.
Le traité de paix fut conclu le 30 mai 1837; le 4 juin les
troupes françaises quittèrent les établissements de la Tat'na
(1) WALSIN-ESTHÉItAZY. (loc. Cit.)
392 MUSTAPHA. BEN ISMAEL
complètement abandonnés à l'exception de l'île de Rachgoun.
Ce traité fut ratifié par le gouvernement le 15 juin et, dès le
12 juillet, la mort dans l'âme, le brave capitaine Cavaignac
se voyait contraint d'évacuer avec ses troupes ce Méchouar de
Tlemcen, qu'il avait si vaillamment détendu et que, la lionte
au front, il remettait au tonde de pouvoirs du sultan
Abdelkader, car ce dernier, maintenant qu'il était traité par la
France en souverain, se donnait le titre de Sultan. Les
principaux notables Coulouglis de Tlemcen, suivirent nos
soldats à Oran, pour échapper aux représailles.
L'Agha Mustapha est nommé Général
Ainsi, la paix était faite, mais à quel prix ?. . . La France
cédait Rachgoun avec toutes les constructions, forts et bara-
quements de la Tafna. Elle cédait Tlemcen et la citadelle du
Mécbouar, toute la province de Médéa et la région de Mascara.
La colonie naissante était, dès lors cernée par deux ennemis
implacables : à l'est, par Achmed-Bey, sultan de Constantine ;
à l'Ouest par Abdelkader. Ces vastes territoires conquis par
nos armes en dehors des. quelques points que nos troupes
continuaient à occuper, étaient livrés à notre ennemi, depuis
la province de Constantine jusqu'à la frontière du Maroc ! . . . .
Les conditions et conventions résultant de ce traité de la
Tafna demeurèrent inexplicables ; aussi Bugeaud fut-il désavoué
par les Chambres, par l'opinion publique et surtout par l'Armée
d'Afrique dont le gouverneur général de Damrémont, tenu à
l'écart de ces négociations, se fit l'éloquent et sévère interprète.
Néanmoins, ce traité amena le calme et la tranquilité pendant
deux ans.
Dans cet intervalle un grave dissentiment s'éleva entre le
général Bugeaud et un autre général placé sous ses ordres, au
sujet de la rançon de 200 prisonniers arabes qu'on avait rendus
à l'émir. iMustapha ben Ismaël fut désigné pour se rendre à
Perpignan, nou seulement pour tâcher d'aplanir les difficultés
existantes entre les deux généraux, mais encore pour se présen-
MUSTAPHA BEN ISMAEL 393
ter comme témoin devant le Conseil de guerre, dans le procès
intenté au général Brossard
Le vieil agha, suivi dans celte mission de quelques chefs
indigènes, fut ensuite mandé à Paris et présenté au roi Louis-
Philippe, lequel l'ayant complimenté dans une audience
solennelle lui dit :
— « Agha Mustapha ben Ismaël, nous connaissons votre
« fidélité et votre bravoure ; aussi le gouvernement de la
« France estime-t-il qu'il n'est qu'une récompense qui soit
« digne de vous et de lui, c'est de vous élever au même rang
(( que les chefs de son armée. Je suis particulièrement heu-
« reux de vous annoncer que par ordonnance de ce jour
(( (octobre 1837) vous êtes élevé à la dignité de maréchal de
(( camp '■général de brigade). En vous conférant ce grade que
« vous avez si bien mérité, la France veut prouver à vos en-
ce nemis, qui sont aussi les siens, qu'elle ne fait pas aussi bon
ft marché qu'on le pensait de ceux de nos braves et loyaux
(( auxiliaires musulmans, fidèles à notre cause, dont elle à le
« devoir de récompenser les brillants et inestimables servi-
ce ces. — Général Mustapha, le roi de France vous admire et
« vous remercie. »
D'autres récompenses furent en même temps accordées aux
principaux chefs de son entourage ; mais en ce qui le touchait
plus personnellement, cette haute distinction fit comprendre à
Abdelkader que celui qui pouvait désormais se prévaloir de ce
titre de général, était par cela môme placé pour jamais en de-
hors de ses atteintes.
Une autre mesure générale prise également à la même
époque en faveur des cavaliers du Maghzen, fut pour eux un
témoignage de Tint' rêt qu'on leur portait, en même temps
qu'une légitime récompense de leur courage et de leur abné-
gation : la solde qu'ils n'avaient touché jusqu'alors que pendant
le temps qu'ils passaient sous les drapeaux ou en expédition,
devînt une rétribution llxe et non une indemnité de réqui-
sition.
Cette solde quoique moins élevée leur fut payée, à partir de
cette époque, régulièrement et à terme fixe.
394 MUSTAPHA BEN ISMAEL
Toutefois on connaissait bien peu l'opiniâtreté de l'émir
Abdelkader pour croire qu'il se tiendrait pour battu à l'égard
de Mustapha ! C'est encore par l'intermédiaire de cet astucieux
juif Ben Douran que malgré les ordres formels du général
Bugeaud il fit agir auprès du chef du Maghzen le vieux
Mustapha, d'El-Mazary son neveu et son compagnon d'armes,
dans le but de les éloigner et par dessus tout de soustraire le
général Mustapha aux ovations et aux témoignages d'admiration
qu'il recevait journellement de ses coreligionnaires. Tout fut
mis en œuvre pour les déterminer à se rendre à La Mecque.
Mustapha éventa le piège et aux avances qui lui furent faites
par les agents d' Abdelkader, il répondit avec sa franchise et sa
rondeur habituelles :
— « Si on veut me faire quitter le pays, on n'a qu'à m'en
donner l'ordre, je suis prêt à obéir. Mais le pèlerinage est une
chose de religion et non de service, je ne consulterai pour
accomplir cetle obligation que la voix de ma conscience. Pour
le présent, le moment me parait inopportun ; je pense être
plus utile aux miens en restant au milieu d'eux qu'en les
abandonnant, sans conseils et sans direction, au milieu des
circonstances difficiles qu'ils ont à traverser. »
El Mazary refusa également d'une façon péremptoire les
offres qui lui étaient faites et dont il n'était pas difficile de
deviner les motifs, Ben-Douran n'osa pas insister auprès d'eux,
mais Hadj-El-Ouzza ayant cédé à ses sollicitations consentit à
partir pour Alger pourvu d'un emploi officiel, et le bey
Ibrahim, sacrifié aux exigeances du sultan dût abandonner le
pays et se retirer également à Alger avec une petite pension .
Sur la prosition du général Mustapha, son neveu Si Ahmed
ould Kadi fut nommé caïd supérieur des Douairs.
Le général Bugeaud qaitta la terre d'Afrique, pour rentrer
en France, le 6 décembre 1837, laissant le commandement de
la province au général Auvray qui avait succédé à Oran, au
général Brossard.
MUSTAPHA BEN ISMAEL 395
Rupture de la paix de la Tafna
( 12 novembre 1839)
— Si vis pacem, para bellum !
Après le traité de la Tafna, Abdelkader disait à Léon Roches :
(( En faisant la paix avec les chr tiens, je me suis inspiré de la
parole de Dieu qui dit dans le Coran : la paix avec les infidèles
doit être considérée par les musulmans comme une trêve
pendant laquelle ils doivent se préparer à la guerre. . et il
ajoutait : . . . Lorsque V heure de Dieu aura sonné, les Français
me fourniront eux-mêmes des motifs plausibles de recommen-
cer la guerre sainte. »
La marche militaire exécutée par la division d'Alger à la
fm d'octobre 1839 et connue sous le nom de : « Passage des
Portes de fer » fut le prétexte cherché. Cette démonstration
augmentait le prestige de l'armée française, Abdelkader ne put
la tolérer. L'Émir avait attiré à lui presque toutes les tribus
qui peuplaient le territoire qui nous était réservé, entre la
Ghiffa et l'oued Kaddara ; sans nous déclarer officiellement la
guerre il les lança en armes dans la plaine de la Mitidja. Tous
nos établissements furent saccagés, nos postes isolés surpris,
massacrés et nos convois enlevés.
La panique fut grande en Algérie et même en France ; le
maréchal Valée fut accusé d'imprévoyance, avec quelque
fondement.
Le 18 novembre, Abdelkader lui lit parveiiir la lettre
suivante :
— Le seigneur El Hadj Abdelkader prmce des croyants, au
maréchal Valée.
(( Salut à ceux qui suivent le chemin de la vérité. Vos lettres
(( nous sont parvenues Nous les avons lues et comprises. Démon
« côté je vous ai écrit que tous les Arabes depuis les Oulhaça
a jusqu'au Kef, sont décidés à faire la guerre sainte. J'ai tenté
(( de combattre leur dessein, mais ils ont persisté. Personne
« ne veut plus de la paix ; chacun se dispose à la guerre. Il
396 MUSTAPHA BEN ISMAEL
« faut donc que je me range à l'opinion générale pour obéir à
« notre sainte loi.
« Je me conduis loyalement avec vous et je vous avertis de
(( ce qui se passe. Renvoyez mon Consul, qui est à Oran, afin
« qu'il rentre dans sa famille. Tenez-vous prêt ; tous les mu-
« sulmans déclarent la guerre sainte. Vous ne pourrez quoiqu'il
« arrive, m'accuser de trahison. Mon cœur est pur et je ne
« ferai jamais rien de contraire à la justice. »
« Écrit à Médéa le 11 de Ramadan 1255 (18 novembre
1839). »
Quel chef-d'œuvre de duplicité ! Abdelkader déclarait offi-
ciellement la guerre, lorsque depuis huit jours elle était com-
mencée. Les hostilités devaient durer sept ans.
Son premier soin, après avoir affermi l'autorité d'El-Rou-
Hamedi, son khahfa de l'ouest, toujours résident à Tlemcen,
fut de lui recommander, par dessus toutes choses, d'agir par
tous les moyens possibles pour tâcher de provoquer des défec-
tions chez les Douairs et les Smélas, afin de les empêcher de
se joindre à nous. Les provocations et les promesses d'El-Rou-
Hamedi n'eurent aucun succès à la M'iéta. A partir de cette
époque, chaque mois fut marqué par un nouveau combat,
chaque jour par une tentative nouvelle.
Le 13 décembre 1839, Mustapha-ben-Thami, khalifa de
Mascara, vînt assaillir les Douairs et Smélas à Bou-Téchich,
en avant de la Maison Carrée : il fut repoussé après un long
combat, par les seuls cavaliers de nos braves tribus alliées.
Le 25 décembre, le camp de Misserghin est vivement
attaqué, et c'est à grand'peine que les Douairs et Smélas,
campés aux environs, parviennent à mettre, leurs douars à
l'abri des atteintes de l'ennemi. Deux mois se passèrent ensuite
sans autres incidents que des vols de bétail et des actes de
représailles infligés aux voleurs par le général Mustapha ben
Ismaël.
Le 29 décembre une ordonnance royale releva de ses
fonctions le maréchal Valée et nomma à sa place, au gouver-
nement général à Alger, le général Bugeaud, qui revhit pour
la troisième fois.
MUSTAPHA BEN ISMAEL 397
La conquête de l'Algérie allait enfin entrer dans une phase
nouvelle.
Par malheur, depuis plusieurs mois, l'ancien gouverneur
général, ignorant tout ce qui avait trait à la province d'Oran,
ne s'en (ccupait pas du tout et les tribus du Maghzen
abandonnées dans l'inaction, au milieu de l'indifférence
générale, se débattaient dans une extrême misère.
Presque tous les troupeaux avaient été vendus vu l'impossi-
bilité de les nourrir, et aussi pour ne pas les laisser devenir
d'un moment à l'autre la proie de lennemi. Les chefs les plus
considérables jadis, privés de ces ressources indispensables
de la vie arabe, en étaient réduits à se nourrir de farine
bouillie dans l'huile. Nos braves alliés résistèrent cependant à
ces rudes épreuves; ils avaient confiance en la fortune de la
France, et cette confiance ne tut pas trompée. L'arrivée d'un
nouveau général vint mettre, comme par enchantement, un
terme à cette difficile situation et inaugurer l'ère des jours
meilleurs.
Ce général, le plus jeune de l'Armée française, c'était de
Lamoricière !
Dès son arrivée, qui eut lieu le 20 août 1840, l'offensive fut
hardiment reprise autour d'Oran ; les secours distribués avec
sollicitude aux familles nécessiteuses des Douairs et Smélas ;
enfin, quelques fructueuses razzias pratiquées dans les
environs, vinrent accroître ces ressources et diminuer
l'insolence des agresseurs. Tout cela fit renaître partout la
confiance et l'espoir.
Reprise des hostilités. — Bugeaud et Lamoricière
Dès son retour, le général Bugeaud demanda des renforts
que le Gouvernement lui envoya aussitôt; en même temps, il
lançait une proclamation où on lisait :
« J'avais tout fait, au risque d'un désaveu, pour conclure
« une paix ardemment désirée par tous ; mais puisque au-
({ jourd'hui on déchire le traité, je réduirai l'Algérie par la
a force écrasante des armes ! »
C'est ce qiii fut fait. Dès que les préparatifs prescrits furent
398 MUSTAPHA BEN ISMAEL
terminés, Bugeaud se rendit à Mostaganen, qui venait de subir,
avec Mazagran, au commencement de l'année, un siège
mémorable. Là, le gouverneur général, distinguant le général
Mustapha ben Ismaël à la tête des goums du Maghzen,
s'avança vers lui et lui dit :
— « Après avoir tout fait pour assurer la sécurité et le bien-
être des habitants de ce pays, je reconnais aujourd'hui que votre
appréciation était juste à l'égard d'Abdelkader. » Puis se
tournant vers les cavaliers de Mustapha ben Ismaël, au nom-
bre de 500, il s'écria :
— « Vous faites désormais partie intégrante de l'armée
française ; vous avez des généraux et des chefs pris parmi vous,
persévérez dans cette voie de fidélité. Vos goums toucheront la
même solde que celle de nos propres soldats et auront droit,
comme eux, aux vivres et aux rations de fourrage. La France
viendra en aide par des pensions aux veuves et aux orphelins
de ceux d'entre vous qui seront morts pour notre cause. Soyez
donc fermes dans l'accomplissement de vos devoirs ; je compte
sur vous. »
Le général Mustapha remercia vivement le général Bugeaud
de ces bienveillantes paroles qui laissèrent une profonde et très
favorable impression dans l'esprit de tous les assistants.
La colonne formée à Mostaganem, partit le lendemain pour
se rendre à l'Hil-Hil et, de là, marcher sur Tagdempt, pour
détruire ce foyer d'intrigues que l'ennemi supposait hors de
notre atteinte. On s'attendait à une vive résistance de la part
des troupes d'Abdelkader. A l'approche de cette enceinte, très
intelligemment fortifiée, les troupes furent disposées en ordre
de combat, mais les têtes de colonnes ne tardèrent pas à cons-
tater, avec un certain étonnement, que la ville était déserte et
abandonnée à ses défenseurs.
Les cavaliers du Maghzen furent des plus utiles au cours de
cette expédition ; bien qu'ils eussent amené avec eux toutes les
bêtes de somme disponibles, ils n'en durent pas moins, comme
ceux des régiments, charger leurs chevaux de denrées afin que
la colonne pût emporter avec elle une plus grande quantité
d'approvisionnements et par suite, tenir plus longtemps la
MUSTAPHA BEN ISMAEL 399
campagne, sans être obligée de retourner à sa base de ravi-
taillement et compléter, ainsi, d'un seul coup, les projets qu'il
était dans les intentions du gouverneur général d'exécuter
dans cette première période de ses opérations.
Avant de quitter Tagdempt, où elle fit séjour, la colonne
expéditionnaire détruisit, en les faisant sauter de fond en
comble, tous les établissements élevés à grands frais par l'Émir ;
elle incendia les maisons couvertes en chaumes qui compo-
saient cette bourgade, arsenal militaire d'Abdelkader. La
colonne, suivant la vallée de la Mina, se dirigea ensuite sur
Mascara. Dans le trajet, un vif engagement eut lieu entre la
cavalerie de Mustapha et les goums des Hachem, dans la plaine
d'Eghris ; ces derniers furent battus et l'on pénétra dans Mas-
cara sans rencontrer d'autre résistance, le 28 mai.
Combat d'Akbet Khedda
Après a^oir confié le commandement de celte place au
commandant Géry, auquel il laissa trois bataillons d'infanterie
et un escadron de cavalerie avec trois sections d'artillerie et
trois compagnies du génie, comme garnison, le général Bu-
geaud, avec le gros de la colonne, se remit en marche sur
Mostaganem par la roule directe d'Akbet-Kedda.
A peine la tête de colonne était-elle engagée dans cet étroit
délilé qu'on est obligé de franchir pour déboucher sur la plaine
de l'Habra, qu'Abdelkader qui, partout présent et partout
insaisissable, suivait tous nos mouvements^ déboucha inopi-
nément des environs d'El-Bordj à la tète d'une nombreuse
cavalerie arabe et des corps de cavaliers réguliers des
provinces de l'ouest et du centre. Cette avalanche attaqua avec
impétuosité la partie de nos troupes qui n'était pas encore
engagée dans le passage du col et qui constituait l'arrière-
garde composée de deux bataillons des 6« et 13^ léger, d'un
bataillon du 41^ de ligne, appuyés par une section d'artillerie
de montagne, le tout sous le co/nmandement du général
Levasseur.
Le terrain de la lutte est le plus horriblement tourmenté
400 MUSTAPHA BEN ISMAEL
qu'on puisse rencontrer dans la province d'Oran, à tel point
qu'il fut impossible au général de Lamoricière de porter
secours à son arrière-garde par les flancs, tant était étroite
l'arête sur laquelle elle cheminait. Les bataillons se défendirent
avec énergie et repoussèrent l'ennemi à la baïonnette.
Gomme dans toutes les circonstances difficiles, ce fut encore
à Mustapha ben Ismaël et à ses intrépides cavaliers que l'on
eût recours pour dégager nos troupes comme bloquées dans
cet étroit passage.
La cavalerie du Maghzen s'élance, grimpe sur les flancs de
ces affreuses fondrières, aborde l'ennemi avec un tel élan qu'il
le disloque, le met en fuite en arrière et le poursuit jusqu'en
vue de Mascara. Cette dernière les serre de près dans leur
mouvement de retraite, lorsqu'il s'agit de rejoindre la colonne,
libre enfin, grâce à eux, de ses mouvements. Les Smélas sont
particulièrement éprouvés et perdent quelques-uns de leurs
plus courageux cavaliers, entre'autres le jeune Hadj-Moham-
med-ben-Châa, d'une famille considérable des Smélas.
« L'ennemi, dit le général de Lamoricière dans son rapport,
n'a eu qu'à se repentir d'avoir engagé ce combat, car il y a
perdu au moins 400 hommes, dont 7 chefs, et beaucoup de
chevaux. Il se retira, après la dernière charge de Mustapha
ben Ismaël, silencieusement pour enlever ses morts et ses
blessés. Nous emportâmes les nôtres (10 tués, dont 1 officier
et 54 blessés) ne voulant laisser entre ses mains, ni un mort,
ni un vivant, ni un seul vestige qui pût lui donner occasion
de chanter victoire. »
Le 4 juin, le corps expéditionnaire rentrait à Mostaganem
où il resta trois jours pour se reposer et préparer le ravitaille-
ment. Chaque cavalier des goums du général Mustapha, reçut
un sac de provisions et 20 paquets de cartouches ; les officiers
et les chefs des goums reçurent aussi chacun 10 paquets de
cartouches.
Le 7 Juin, la colonne avec un grand convoi repartait à
Mascara pour continuer les opérations contre l'émir Abdel-
kader.
MUSTAPHA BEN ISMAEL 401
Campagn<^ de 1841 autour de Mascara
Les troupes sillonnèrent dans tous les sens le pays des
Hachem du 10 au 20 juin, moissonnant et emmagasinant tout
ce qu'elles purent prendre des immenses récoltes abandonnées
sur pied, et dont la belle plaine d'Eghris était couverle ; les
cavaliers des troupes régulières et des goums se rendaient
deux fois par jour à la moisson et rapportaient des gerbes
ammassées et concentrées sur le point appelé VArgoub. De
là, on procédait au dépiquage et au battage des grains à
Djenan-hen-Yekhlef. Les Douairs et Smélas employés à ces
travaux reçurent pour leur part, la moitié des récoltes ainsi
faites, l'autre moitié, part de l'Etat, fut emmagasinée au bordj
de Mascara, trop petit pour la contenir.
« Pendant l'exécution de ces travaux, dit encore le général
de Lamoricièi e, nous avons été sans cesse surveillés par de forts
partis de cavaliers ennemmis. Quatre à cinq cents chevaux
tentèrent d'enlever les transports de nos Douairs, qui allaient
incessamment du lieu du travail au camp, pour porter les
grains. Quelques mulets et chameaux furent ainsi enlevés, un
jour, mais les cavaliers Douairs les ayant aperçus se précipi-
tèrent sur l'ennemi ; je les fis appuyer par les spahis et les
chasseurs d'Afrique. En peu d'instants ils reprirent leurs ani-
maux, tuèrent aux assaillants plusieurs hommes dont un chef
et ramenèrent des chevaux de prix.
« Déjà nos Douairs et Smélas, dès notre arrivée à Mascara,
avaient montré leur habileté à atteindre les cavaliers ennemis.
S'étant rencontrés près des jardins de laville avec des partisans
arabes, ils leur avaient tué trois hommes et ramené quatre
chevaux. Plus récemment, ayant aperçu un de ces postes à
l'aide desquels l'ennemi nous tient sans cesse en observation,
ils le chargèrent avec une telle impétuosité, qu'ils le prirent et
détruisirent en entier. Huit chevaux restèrent entre leurs
mains. »
Une série de combats heureux, la preuve éclatante donnée
à Abdelkader, par notre invasion des pays du sud, entièrement
inconnues de nos troupes, que nous pouvions l'atteindre
402 MUSTAPHA BEN ISMAEL
partout où il se retirerait ; l'impossibilité bien avérée pour lui,
par la destruction de Tagdeinpt, qu'il ne pourrait nulle part
élever des établissements permanents ; entin, la prise et l'oc-
cupation de Mascara, le cœur de sa puissance, tels étaient les
importants résultats matériels et moraux obtenus dans cette
période de un mois.
Cependant, la constance d'Abdelkader ne se lassait pas.
Ayant appris que nos troupes devaient regagner Mostaganem
pour aller y chercher un nouveau convoi de ravitaillement,
fidèle à sa tactique, il épiait les mouvements du corps expédi-
tionnaire pour l'assaillir pendant sa retraite.
En effet, lorsque vers le milieu de juillet, cette colonne se
remit en route pour revenir à la mer, elle trouva sur son
passage, au nord de la plaine de la Mina, toutes les forces de
l'Émir réunies au petit village de Tiliouanet, ou une attaque de
nuit, la première tentée jusqu'alors par les Arabes, vint
échouer contre le sang-froid et l'énergie de nos soldats.
Le 25 juillet, dès le point du jour, Abdelkader lui-même tomba
sur l'arrière garde avec 1,500 chevaux, tout ce qu'il avait
pu rassembler malgré ses appels désespérés. Le général de
Lamoricière aurait pris l'offensive s'il eut été en présence d'un
ennemi sérieux, mais il dédaigna de s'arrêter et jugea que
celui qui le suivait ne valait pas la peine de perdre un temps
précieux. On se borna à refouler les assaillants à l'aide de la
cavalerie auxiliaire du général Mustapha ben Ismaël, et les cava-
liers les plus audacieux, qui chargeaient en fourrageurs, furent
tués par les tirailleurs de l'infanterie qui flanquaient la colonne.
Sur ces entrefaites, on vint annoncer à Lamoricière qu'une
tribu avec ses femmes, ses bagages et ses troupeaux, fuyait
sur la droite vers les ravins de Kalâa. Il lança aussitôt sur elle
sa cavalerie en selle nue, appuyée des zouaves sans sacs. Mais
il dut quand même arrêter la colonne pour se retourner contre
Abdelkader et l'empêcher de courir sur le détachement qui
allait exécuter ce coup de main. Le c<iup réussit à merveille et
on prit, ce jour-là, 42 femmes, 8 hommes et quelques centaines
de bœufs et de moutons, le tout confié à la garde des cavaliers
Douairs et Smélas, qui hissèrent les femmes sur les mulets du
convoi pour ne pas arrêter la marche de la colonne.
MUSTAPHA BEN ISMAEL 403
La division, rentrée à Mostaganem s'y reposa trois ou quatre
jours, si on peut qualifier de repos la préparation d'un convoi
considérable et d'un nouveau départ. On attendait le général
Bugeaud qui était allé taire une apparition à Alger ; dès son
retour, la division d'Oran se remit en marche dans la direction
de Mascara.
En apprenant ce mouvement, l'P^mir qui n'était pas resté
inactif et avait fait appel aux contingents de Tlemcen, concen-
tra des forces considérables, composées de son infanterie et de
sa cavalerie régulières, que commandaient ses Kalifas El-Bou-
Hamedi et Hadj-ben- Mustapha, ainsi que des goums irréguliers,
entre Tighnit et Màoussa.
La colonne vivement attaquée, engagea un long et vif combat
dans lequel on se battit corps à corps. Les cavaliers de l'Émir
déployèrent un grand courage dans cette rencontre, surtout
contre nos chasseurs d'Afrique qu'appuyaient les cavaliers de
Mustapha ben Ismaël. L'ennemi finit cependant par être refoulé
et fut poursuivi dans son mouvement de retraite jusqu'à l'Oued-
el-Abd.
Dans ce combat, très meurtrier, Mohammed bel Bachir et
Mohammed ben Daoud, chefs des Douairs, furent blessés. Dans
la mêlée, un cavalier d'Abdelkader, nommé Chakar, ayant tiré
sur le général Mustapha ben Ismaël un coup de fusil qui ne
l'atteignit heureusement pas, fut aussitôt rejoint par Si Ahmed
ould Kadi qui lui porta un coup mortel et s'empara de son
cheval.
Après cet heureux succès de nos armes, la division gagna
sans encombre Mascara et ce dernier ravitaillement ayant défi-
nitivement complété les opérations prévues au programme de
la campagne, du printemps, les troupes de la division, ainsi
que Mustapha ben Ismaël avec ses goums, rentrèrent à Oran
dans la première quinzaine du mois d'août.
Vers le milieu de septembre 1841, la division d'Oran et le
Maghzen se reformèrent à Mostaganem pour la reprise des
opérations de la campagne d'automne. Le 19 le gouverneur
général arriva d'Alger pour diriger la colonne de l'ouest.
Les forces réunies à iMostaganem furent divisées en deux
corps, l'un sous le nom de : colonne politique dont le gouver-
404 MUSTAPHA BEN ISMAEL
neur général prit aussitôt le commandement ; l'autre sous le
nom de colonne de ravitaillement, aux ordres du général de
Lamoricière commandant de la province. Mustapha ben Ismaël
avec les cavaliers du Maghzen faisaient partie de cette dernière.
La première colonne, marchant à petites journées, vint
manœuvrer dans les plaines de la Mina et du Ghelif pour cher-
cher à nouer des relations avec les tribus dont on espérait la
soumission. Le général Bugeaud ayant appris, après une
vaine attente, que les nombreuses populations des plaines
étaient réfugiées chez les Flittas des environs de Zemmora,
dans les bois épais et les profonds ravins de Thifour, là oîi
quelques mois plus tard Mustapha ben Ismaël devait trouver
la mort, surprit brusquement ces aglomérations par une mar-
che de nuit des plus hardies et écrasa ces tribus amoncelées
dans ces terrains couverts et difficiles. Il leur fit subir une
razzia considérable, leur fil un grand nombre de prisonniers,
hommes, femmes et enfants et ramena à Mostaganem toutes
ces immenses captures avec la cavalerie de sa colonne dont il
laissa l'infanterie à la fontaine d'Aïn-Madar sous les ordres du
colonel Tempoure.
Pendant ce temps, la seconde colonne chargée de ravitailler
Mascara se vit disputer le passage entre les puits d'El Romri
et la fontaine d'Aïn-Kebira. Abdelkader était là avec de forts
contingents sans cesse renouvelés. Craignant de s'engager
avec sa colonne, alourdie par un pesant convoi, dans la longue
route sans eau qui traverse les montagnes des Sedjeraras, le
général de Lamoricière arrêta son mouvement et fit prévenir
le gouverneur de cette concentration des forces de l'ennemi et
de ses intentions.
Le général Bugeaud saisissant avec empressement l'occasion
de se mesurer avec l'Emir, marcha vers lui sans hésiter. Les
deux colonnes firent leur jonction au gué de Sidi-Megdade sur
l'oued l'Hil-hil. Le 7, les troupes réunies atteignaient Aïn-
Kebira et le 8 octobre elles livraient, auprès d'El-Bordj, un
brillant combat contre toutes les forces concentrées sur ce
point par l'Émir.
Notre cavalerie dirigée par le général Mustapha engagea
vigoureusement le combat contre les groupes ennemis ; mais,
MUSTAPHA BEN ISMAEL 405
arrêtés dans leur élan par les réguliers de Mascara et de
Tlemcen, nos alliés plièrent un instant et furent ramenés sur
les flancs de la colonne. Revenus à la charg; avec les
chasseurs d'Afrique qu'on leur enjoignit cette fois, les cavaliers
de Mustapha s'élancèrent de nouveau en avant, les rênes aux
dents, le fusil haut, droits sur leurs étriers. Le choc fut
épouvantable ; les réguliers de l'Émir durent céder, à leur
tour, devant notre admirable cavalerie d'Afrique, non sans
avoir opposé une vive résistance, dans laquelle un grand
nombre de combattants des deux côtés furent tués ou mis hors
de combat.
Les masses arabes qui avaient tenté de nous barrer le
passage ayant disparu dans toutes les directions, la colonne
s'en vint bivouaquer vers l'oued Maoussa, dans la plaine
d'Eghris et le lendemain rentra à Mascara.
Les deux colonnes se séparèrent de nouveau, et tandis que
la deuxième manœuvre à l'est de Mascara pour menacer et
frapper les tribus hostiles, la première, sous les ordres du
Gouverneur général opère dans l'ouest. Elle marche sur Aïn-
Fekan, puis se porte à Sfisef (Mercier-Lacombe) d'où elle
traque et pourchasse de nombreuses tribus réfugiées dans les
affreuses gorges de la forêt de Guétarnia ; puis elle descend
la vallée de l'Oued-el-Hammam, passe à Hanimam-bou-llanifia
et va, le 16, détruire la Guetna, demeure de Mahieddin, père
d'Abdelkader, dont elle vide les silos et transporte à Mascara
les immenses approvisionnements.
Au cours de ces fructueuses marches, les cavaliers de
Mustapha surent rendre comme par le passé les services qu'on
était en droit d'en attendre.
Les colonnes, de nouveau réunies, marchèrent sur Saïda
(l'heureuse) dernier poste import^w restant encore debout
des établissements d'Abdelkader, sur la limite du Tell, lequel
fut détruit de fond en comble.
De retour à Mascara à la fin d'octobre, les Douairs et Smélas
y apprenaient une fâcheuse nouvelle encore grossie par
^'incertitude de rapports exagérés qui les accabla de douleur
et de consternation :
El Bou Hamedi, le Khalifa de l'Ouest, revenant à Tlemcen
406 MUSTAPHA BEN ISMÂEL
après le combat d'El Bordj, s'était approché d'Oran pendant
que toutes les troupes de la Division étaient à Mascara et,
grâce aux intelligences qu'il s'était ménagées avec un traître,
il fit combler près du ravin de Raz-el-Ain, un fossé de protec-
tion derrière lequel étaient établies les tentes des familles de
nos alliés.
Dans la nuit du 21 au 22 octobre, il pénétra dans l'intérieur
de l'enceinte et enleva les femmes et les enfants d'un grand
nombre de Douairs, avant que les défenseur laissés non loin de
là, en l'absence du goum, aient eu le temps de s'apercevoir de
cette audacieuse tentative, et le khalifa avec ses prises se sauva
en toute hâte.
Généraux et officiers de la colonne de Mostaganem, tous
furent sensibles au malheur qui frappait si inopinément les
Douairs ; toute l'armée s'associa vivement à leur désir de
vengeance.
Mustapha trouva à Mostaganem des lettres lui indiquant que
plusieurs tribus du Khalifa El Bou Hamedi qui avaient parti-
cipé à ce hardi coup de main, étaient campées entre Ham-
mam-bou-Hadjar et le marabout de Si Abd Allah Berkan.
Le général Bugeaud informé de ce fait, donna l'ordre, avant
de quitter Mostaganem, au général Levasseur d'accompagner
à Oran le général Mustapha ben Ismaël et d'appuyer ses
mouvements et ses revendications contre les dissidents.
Le 14 novembre ils sortirent d'Oran, longèrent le pied des
montagnes parallèles à la mer, sans être aperçus et après une
marche de nuit, ils virent au jour naissant les campements
indiqués. Mustapha devançant la colonne, enveloppa le camp
de ses ennemis et fit arrêter tous les chefs. L'opération eut un
plein succès et l'Agha des Douairs put donner cours à sa
vengeance : ElMiloud ould el Hassasna, caïd de Bou-Hamedi,
Bel Kredda et Beloufa bel Hadj, dissidents des Douairs, les
fauteurs d'intrigues et de défections, eurent la tête tranchée
devant toute la tribu assemblée. Quatre autres n'échappèrent
à sa colère que par la fuite.
Un détachement du goum fut chargé de ramener à Oran les
troupeaux, les femmes et les enfants, tandis que la colonne
MUSTAPHA BEN ISMAEL 407
française se dirigeait sur TIemceo, à marches forcées pour
atteindre Bou flamedi.
A leur approche ce dernier prit la fuite avec ses contingents,
poursuivis jusqu'au poste de Sebdou, place de guerre d'Abdel-
kader qui fut détruite. La colonne descendit ensuite la vallée
des Beni-Snous, le long de la Tafna, chassant devant elle les
habitants de Tlemcen fidèles à l'Emir qui se réfugièrent au
milieu des rochers abrupts et des contreforts inaccessibles des
abords du Kef. L'ascension s'opère avec peine, les cavaliers
Douairs et Smélas doivent mettre pied à terre et conduire leurs
chevaux en mains. Arrivés sur le plateau du Kef, oi^i les
assiégés se croyaient invulnérables, les colonnes d'attaque
furent reformées et pénétrèrent comme un coin dans les grottes
rocheuses qui servaient de refuge aux fuyards. — Là, un
combat acharné, une mêlée affreuse, couronna cette chasse à
l'homme dans laquelle excellaient les cavaliers du Maghzen.
Tout fut culbuté, saccagé, pillé, le butin fut considérable et les
troupeaux razziés nombreux.
Pendant ce temps El Bou Hamidi, peu soucieux de se trouver
en présence de Mustapha ben Ismaël, s'était enfui chez les
Traras, près Nédroma. Il y fut pourchassé mais sans succès ;
toutefois cette poursuite eut pour effet de soumettre les Beni-
Ameur, les Ghossels, les Oulhassa et les Traras.
De retour à Oran, Si Ahmed ould Kadi fut nommé Aghades
Douairs" et commandant en second du Maghzen d'Oran en
récompense de ses brillants services. El Hadj Mazary fut
nommé Agha du Maghzen de Mostaganem.
Campagne de 1842
Après quelques mois de repos qui servirent au général de
Lamoricière à concevoir et à organiser cette brillante et si
décisive campagne de 1842. Le général Bugeaud, gouverneur
général, adopta ce plan de campagne en son entier et sans
aucune modification.
Le général Mustapha ben Ismaël et son neveu Si Ahmed ould
Kadi, le nouvel agha des Douairs, turent placés avec leurs
408 MUSTAPHA BEN ISMAEL
goums à la disposition immédiate du général de Lamoricière
pour rester en permanence auprès de lui à Mascara, où la di-
vision devait demeurer pendant tout l'hiver. Durant quatre
mois ces troupes en haillons, qui vivaient à l'arabe, avec de la
farine bouillie et des galettes cuites aux feux du bivouac, faute
d'autres vivres, parcoururent toute la contrée courant par
monts et par vaux, à travers la pluie et la neige, soumettant
toutes les tribus des environs de Mascara. La division rentra
à Oran^ pour se ravitailler et se refaire, le 17 avril 1842, rem-
placée à Mascara par la brigade d'Arbouville, de Mostaganem.
Ce repos, toutefois ne devait pas exister pour les vaillants ca-
valiers du général Mustapha qui, au lieu de rentrer à Oi an,
furent expédiés à Tlemcen, qu'Abdelkader tenait bloquée de
loin.
— ce Vous avez sans doute acquis des droits au repos, leur
dit Bugeaud en les quittant, mais pourriez vous en jouir com-
plètement, si votre inaction permettait à votre ennemi de se
rélever pendant l'hiver? » Ils partirent donc pour Tlemcen où
l'Emir portait en ce moment tous ses efforts. La perte de cette
place de ^uerre lui avait été plus sensible que celle de Mascara
à cause des relations qu'elle lui permettait d'entretenir avec le
Maroc.
C'était des montagnes des Traras, sur la rive gauche de la
Tafna que l'Émir adressait ses injonctions et tentait de nous
reprendre les Oulad-Riah, les Ghossel et toutes les tribus de la
région Le général Bedeau qui commandait à Tlemcen depuis
le mois de février, date de son occupation définitive, amena
avec lui Mustapha ben Ismaël et 500 de ses Douairs, Mohamed
ben Abdalla kalifa de Tlemcen et son maghzen, le tout soutenu
par 2,500 fantassins et 3 obusiers de montagne.
Ayant passé la Tafna, le 7 mars, le général Bedeau toucha
à Nédroma le 8 et força, par son approche, Abdel kader à
évacuer le pays et à se réfugier chez les Beni-Snassen (Maroc).
C'est au cours de cette campagne dans les Traras, que les
cavaliers de Mustapha capturèrent un parti de Nedromis
opérant pour le compte d'Abdelkader et parcourant le pays
pour y opérer des razzias et se procurer des renseignements en
espionnant la marche de nos colonnes. Parmi les 21 cavaliers
MUSTAPHA BEN ISMAEL 409
qui furent faits prisonniers se trouvaient deux des principaux
cfiei's : Si Hamza ben Rehhal et Ben Nekache, deux cousins.
Que les temps sont changés et les hommes aussi ! A l'heure
ou nous écrivons ces lignes, le fils du premier est notre digne
ami Si M'hamed ben Rehhal de Nédroma, ancien élève du Lycée
d'Alger : cœur droit, fin letlré, qui a donné à notre Société de
Géographie une étude sur l'instruction primaire des indigènes
et ces belles pages « A ti^avers hs D ni-Snossen » que nous
avons savourées. — Le fils du second, également notre ami,
est ce bon docteur Nekache, médecin de colonisation à Inker-
mann, à Uemchi puis à l'Hillil et récemment nommé dans son
propre pays à Nédroma, Celui-là même qui, après de brillantes
études au Lycée d'Alger et à la faculté de mé^.ecine de Paris,
a eu le courage de se franciser complètement, comme Belka-
cem Bon Sédira à Alger ; d'adopter nos mœurs, nos usages et
nos vêtements et comme, ce dernier, aussi, de donner l'exem-
ple du croisement des races en épousant une française.
Fermons la parenthèse et reprenons notre récit. Vers le mois
de juin 1842, les goums du général Mustapha, après deux mois
de repos bien gagnés, passés dans leurs familles à Oran et à la
M'Iéta, furent de nouveau adjoints au général de Lamoricière
et envoyés à Tiaret, poste nouvellement fondé, où se préparait
une expédition vers le sud-est.
A quatre jours de marche de Tiaret, la colonne arrive au
kçar de Goudjila, montagne carrée en forme de terrasse, qui
domine la partie orientale des versants du Djebel-Amour. C'est
là, qu'après la destruction de Tagdempt, l'Émir avait installé
son dernier arsenal avec le reste de ses approvisionnements
en armes et munitions, soustraits jusqu'alors à nos recherches.
Goudjila, situé en ligne droite, à 250 kilomètres de la mer,
était le point le plus méridional que nous eussions atteint jus-
qu'à ce jour. C'était le premier pas tait dans cet inconnu des
Hauts-Plateaux sahariens, que nos colonnes devaient, plus
tard, sillonner en tous les sens à la poursuite de notre infati-
guable ennemi.
Du haut de cette splendide terrasse dominant vingt lieues de
pays à la ronde, monté sur le sommet le plus élevé de la
montagne, où est accroché comme un nid d'aigle, le petit kçar
410 MUSTAPHA BEN ISMAEL
■ de Goudjila, Mustapha ben Ismsël, plongeant avec orgueil son
regard sur l'immense plaine ondulée qui s'étend au sud, sans
autre limite que l'horizon visuel, et sur ces montagnes boisées
de Trumelet et de Teniet-el-Hâad, que l'œil distingue encore
confusément vers le nord, dans la direction du Tell, leva les
bras au ciel et s'écria :
— « Fils de Mahieddin, ce pays ne peut pas être destiné à
appartenir à un marabout, à un homme de zaouia comme toi.
Enlevé par la conquête à ceux que j'avais servi toute ma vie,
c'est à la France, à la nation qui a su le leur arracher qu'i
revient de plein droit, et non pas à toi qui n'avait fait que le
voler. J'ai aidé de toutes mes forces les Français à reprendre
leur bien, parce que moi, soldat, je ne pourrai obéir qu'à des
soldats.
(( Je les ai conduits jusqu'aux portes du Sahara ; je puis
maintenant mourir tranquille!... car justice complète sera
bientôt faite de ta ridicule ambition. »
Un dernier fait d'armes signala la fin de cette campagne de
1842 qui avait eu Tiaret pour centre d'opérations. Le 8
octobre, Abdelkader prévenu qu'une caravane nombreuse de
Harrars, autorisée par le général de Lamoricière, se chargeait
d'orge et de blé sur les matemores des Oulad-Chérif insoumis,
l'Emir accourt sur eux et tente de leur enlever ce convoi,
ignorant que la colonne française, revenant de Goudjila et de
Taguin, se trouvait près de là, campée au col de Torrich, dans
une position invisible. Prévenue de cette attaque, la cavalerie
monte aussitôt à cheval, précédée comme de coutume par les
goums de l'intrépide Mustapha, Douairs et Smélas en tête,
drapeaux- déployés. A cette vue, une panique se produit chez
les gens de l'Émir ; son goum est rapidement atteint, turieu-
sement bousculé et rejeté, après une ardente poursuite dans
un profond et inextricable ravin.
Deux cent huit chevaux lui sont pris; plus de cent réguliers
restent sabrés sur le champ de bataille, cinquante sont
ramenés prisonniers, et tout ce qui avait été enlevé aux
Harrars, est repris et rendu à cette tribu. Naturellement les
Douairs et Smélas furent cités, à l'ordre de la Division, avec
les plus grands éloges, pour l'élan, la vigueur et l'entraînement
MUSTAPHA BEN ISMAEL 411
donl ils venaient, encore une fois, de donner des preuves dans
ce brillant combat de cavalerie qui portait à l'ennemi un coup
si terrible et si irréparable, qu'il disparut du pays.
Du coup, la campagne fut close, mais les chevaux du
Maghzen, hors d'état de continuer leurs services, par suite des
privations et des fatigues de ces marches interminables,
avaient un besoin impérieux de se refaire. En conséquence le
général Mustapha ben Ismaël reçut l'ordre de retourner à
Oran, où les ooums arrivèrent le 22 octobre.
Campagne de 1843. — Prise de la Smala
Le programme pour la campagne de 1843, était d'expulser
l'Emir Abdelkader des territoires de l'Algérie et de le rejeter
dans le Maroc.
A cet effet, deux fortes colonnes, d'une division chacune,
devaient le traquer et tâcher de le prendre entre-elles ou de le
pousser vers l'ouest. La première formée à Bnghar était com-
mandée par le duc d'Aumale ; la seconde concentrée à Frenda,
entre Mascara et Tiaret, était aux ordres de Lamoricière, lequel
avait rappelé en toute hâte d'Oran le général Mustapha ben
Ismaël avec cinq cents chevaux du maghzen.
Pendant ce temps rÉmir,avec sa mobilité habituelle, filait
comme un lézard entre les deux colonnes, et, après avoir mis sa
smala en sûreté à El-Oussekr, à 53 kilomètres à l'est de Frenda,
il descendit chez les Aaîouïa et les Kraïches et tomba à l'impro-
viste sur les Oulad-Khouïdem et les Oulad-Abbas, auxquels il
enleva plus de 50 tentes et razzia tous les troupaaux.
Le général de Lamoricière apprenant cela, changea de direc-
tion et se jeta vers l'ouest pour le poursuivre. Mais déjà l'Emir
informé par ses espions de tous nos mouvements, se trouvait
avec toutes ses forces réunies à El-Oussekr et à Reghaï, lors-
qu'un ordre parvint au général Lamoricière de reprendre la
direction de l'est tandis que le duc d'Aumale, accourant à
marches forcées, se dirigeait vers lui, du côté opposé afin de
cerner Abdelkader entre les deux colonnes.
Pendant que ces mouvements s'accomplissaient, l'Émir qui
ignorait complètement la marche et les intentions du duc
iiS MUSTAPHA BEN ISMAEL
d'Aumale, s'attachait seulement à observer la colonne du géné-
ral Lamoricière pour se dérober à ses coups. C'est alors que la
Smala d'Abdelkader qui faisait la navette entre Goudjila, El-
Oussekr et Taguin, se fixa définitivement autour de cette
dernière source.
La smala avait mis quatre jours à se rendre d'El-Oussekr à
Taguin^ de l'ouest à Test, par ordre de l'Emir afin d'échapper
à Lamoricière. C'est là qu'elle fut surprise si audacieusement
par la cavalerie du duc d'Aumale, dans des circonstances
particulièrement hardies, qu'il n'entre pas dans notre cadre de
raconter. Toutefois il convient de rappeler que la prise de la
smala, par ce coup de main inattendu, porta le plus terrible
coup à la puissance d'Abdelkader et détruisit complètement
son prestige aux yeux des populations indigènes, non encore
soumises à notre domination.
Razzia des Hachem à Aïn-Kremis
Le général de Lamoricière se trouvait à Aïn-Sidi-Mansour,
à la tête des eaux de la haute Mina, lorsqu'un jeune nègre qui
s'était sauvé de l'immense foule de prisonniers que la colonne
de l'est chassait devant elle, vint lui apprendre la prise de la
Smala, par Ould el Rey, le fils du roi. Il lui annonçait,
en même temps, qu'une nombreuse émigration des Hachems,
échappés du désastre, se dirigeait chez les Keraïch, par
le Nahr-Ouassel. Cette masse fuyante de la smala, cher-
chant un refuge dans le Tell, venait se faire prendre aux toiles
de la colonne de Lamoricière qu'elles ne soupçonnaient pas si
près de Tiaret. « Nouée et dénouée en une heure avec l'éclat
d'un coup de théâtre, l'action dramatique si vivement menée
par le duc d'Aumale, allait avoir à 120 kilomètres de Taguin, un
tragique épilogue. » (1)
Les malheureux fuyards, Hachem pour la plupart, Flittas
pour le reste, allaient camper, se croyant en pleine sécurité,
lorsque, comme un coup de foudre, ils se virent entourés par
(l) Camille ROUSSET. — Les cominencements d'une conquête.
MUSTAPHA BEN ISMAEL 413
la charge furieuse des goums tant redoutés de Mustapha ben
Ismaël, suivis de près par le reste de la cavalerie réguhère.
Toute cette cavalerie de la colonne Lamoi-icière, était montée
à cheval au premier signal et les avait atteints et surpris à
l'improviste après une course folle de 40 kilomètres. Ainsi, ils
n'avaient échappé, à Taguin, aux spahis de Jusouf, que pour
tomber en plein dans les griffes impitoyables des moghaznis
de Mustapha, qui s'emparèrent, au lieu dit : Aïn-Kremis, de
leurs chameaux, des troupeaux, de toutes les provisions et
bagages et complétèrent parce coup demain, l'heureux succès
de Taguin.
Les Hacheras et Flittas, objet de cette foudroyante razzia
avaient été si complètement dépouillées de tout ce qu'ils
possédaient, que le général Lamoricière avant de les faire
reconduire chez eux, dans la plaine d'Eghris et sur le plateau
de Mendès, fut obligé de les nourrir et de les vêtir.
Mort de Mustapha ben Ismaël
Gorgés de butin, après cette rapide et fructueuse campagne,
les moghaznis des trois goums, Douairs, Smélas et Gharabas,
n'aspiraient qu'à regagner leurs douars, autour d'Oran et
d'Arzew, et à y rapporter triomphalement leur part du pillage.
La colonne campa, avec ses prises, le 22 mai1843àAm-
Trid et se porta le lendemain, 23, sur le Telilat. Là, elle se
divise en trois groupes : le premier avec le convoi de prison-
niers tait à Aïn-Kremis, est envoyé à Mascara sous l'escorte
d'un bataillon d'infanterie et un escadron de cavalerie; le gros
des troupes formant le deuxième groupe, sous le commande-
ment du général de Lamoricière, remonte à Tiaret où l'on
commençait à construire les remparts d'une forteresse. Enfin
le troisième groupe, composé de Mustapha ben Ismaël et des
goums, sous ses ordres est autorisé à rentrer à Oran.
Au lieu de prendre, selon les sages conseils de Lamoricière,
le chemin qui, de Tiaret, mène à Oran par la vallée de la haute
Mina, par Tagdempt, Djilali-ben-Amar, Fortassa, Relizane,
l'Hil-Hil et le Tlélat, le vieux reitre qu'était Mustapha, qui
414 MUSTAPHA BEN ISMAEL
avait, dit-on, enrichi son harem d'une jeune et séduisante
algérienne, qu'il avait hâte de retrouver, voulut gagner trois
jours sur cet itinéraire présentant une certaine sécurité.
Il tira droit sur Relizane à travers ce pays des Flittas qu'il
avait tant de fois traversé et ravagé, et longea de l'oued Temda
à Rahouïa la vallée de la Ménasfa.
C'était le 23 mai 1843 ; les cavaliers, pied à terre, tiraient
par la bride leurs chevaux pliant sous le faix. Les Gheurfa,
dont ils traversaient le territoire depuis le matin, s'aperçurent
de leur nonchalance et de leur désordre et eurent aussitôt la
tentation d'en profiter.
A peine avait-il dépassé la Raouhïa, point de séparation avec
la colonne de Mascara, qu'il lui était plus prudent de suivre
il commença à être inquiété par des groupes isolés de cavaliers
avec lesquels il dut tirailler pour les maintenir à distance. En
voyant ces symptômes menaçants on lui conseilla, avant de
poursuivre plus loin, de se rabattre sur Djilali-ben Amar. Par
une obstination fatale il ne voulut rien écouter et tint à l'hon-
neur de ne point invoquer le secours et la protection de la
colonne de Mascara qui marchait dans cette direction.
Il continua sa route à travers les Flittas :
— « Comment, dit-il, à ses lieutenants qui lui conseillaient
« la prudence, vous avez peur d'affronter les Flittas avec six
ft cents kialinn aguerris par cent combats, endurcis par mille
« fatigues, avec mes braves Douairs qui ont foulé sous les sa-
« bots de leurs étalons hennissants, les alluvions du Tell et les
a sables du désert ; les moissons jaunissantes et les cadavres
« de leurs ennemis; allons-donc? En avant toujours et qu'on
« se garde bien de changer la direction de la route. »... On
« s'inclina ! . . .
Cependant, en passant près de la kouba de Sidi-El-Azereg
quelques coups de fusils plus rapprochés furent tirés sur
Mustapha lui-même, sans l'atteindre. Les quelques cavaliers
d'élite qui lui étaient tout dévoués, dont les chevaux n'étaient
pas allourdis par le butin, maintinrent toute la journée l'en-
nemi à distance en usant contre lui les dernières cartouches
qui leur restaient. Les assaillants peu nombreux, virent leurs
rangs augmenter; ils se bornèrent à épier la marche du
MUSTAPHA BEN ISMAEL 415
maghzen, et à chaque sommet, à chaque crête découverte,
faisant selon leur usage des signaux avec les pans de leurs
burnous, ils virent leur nombre s'accroître ce qui décupla leur
audace.
Vers quatre heures du soir, cette foule de cavaliers marchant
sans ordre et sans précautions, dont la retraite n'était
protégée que par ce petit nombre de cavaliers, les seuls qui
fussent encore en état de combattre, fut forcée pour continuer
la marche de s'engager dans les terrains boisés et difficiles
situés à dix kilomètres au sud-est de Zemmorah, qui forment
les crêtes de partage des eaux, entre le bassin de la Menasfa et
celui de la basse Mina. Les guides de cet immense convoi de
bagages s'égarèrent dans ce labyrinthe d'étroits chemins, dans
cet échiquier déchiqueté composé de pitons infranchissables
coupés d'affreux ravins.
Arrivés chez les Oulad-Sidi-Yaya, à l'endroit connu sous le
nom de Akbet-Beïda (la blanche montée) la tête de colonne fut
arrêtée par le resserement du sentier zigzagant entre un escar-
pement boisé à gauche et une longue crevasse formant un
précipice profond sur la droite, obstacles difficiles à franchir,
qui constituent le col de Thifour.
Pendant qu'au milieu des cris et du tumulte, la foule
aglomérée à l'entrée du passage commençait à s'écouler lente-
ment et que la mehalla était à moitié engagée dans ce sombre
défilé, une fusillade intense éclata tout à coup sus les flancs
dégarnis et en tête de cette cohue confuse, tirée par des Flittas,
cachés dans les bois. Surpris dans un pareil désordre, dans la
confusion augmentait à chaque instant, les moghazisis n'es-
sayèrent même pas de se défendre ; ils ne songeaient qu'à fuir.
« La peur, selon l'image arabe, pénétra dans ces cœurs de
lion par la porte de l'avarice. »
Ceux qui s'étaient déjà dégagés de ce mauvais pas, refluèrent
sur ceux qui se pressaient de passer ; les bêtes de somme
tombaient de tous côtés, soit atteintes par les balles de
l'ennemi, soit par suite de la précipitation que chacun mettait
à vouloir faire demi-tour pour rebrousser chemin, ou chercher
une autre issue pour franchir le défilé de Thifour. Tout cela
réuni vînt encore accroître les difficultés du passage.
416 MUSTAPHA BEN ISMAEL
La panique la_ plus effroyable s'empara de ces hommes
d'élite que rien n'avait pu amollir jusqu'alors. Le petit nombre
de cavaliers Douairs qui se trouvaient en tête, tormantl'avant-
garde, tenta vainement d'atteindre, dans les bois où ils
échappaient à leurs coups, les Flittas à pied, peu nombreux,
qui jetaient le trouble et la terreur dans cette foule désordonnée.
Indépendamment des accidents de terrain qui rendaient
cette tentative difficile, la plupart d'entre-eux avaient épuisé
leur dernière cartouche.
En dépit du danger, toujours accourant au feu, le vieux
Mustapha ben Ismaël qui s'était tenu jusqu'alors à l'arrière-
garde, songeur, laissant aller son cheval la bride sur le cou,
s'avançait maintenant l'œil en feu, debout sur ses étriers
malgré ses 80 ans, furieux de voir ses goumiers qui pourtant
en avaient vu de plus rudes, se débander uniquement
préoccupés de mettre leur butin à l'abri, résistant mollement
et lâchant pied.
La voix vibrante et sonore du vieux chef se fait entendre,
dominant le tumulte ; le lion qui dormait se réveille et
l'instinct de l'homme de guerre décuple ses forces. Il rallie les
fuyards et communique à tous l'ardeur qui l'anime, la bravoure
que, ni l'âge, ni la fatigue n'ont pu s'éteindre en lui. Arrivé au
pied d'un mamelon que son cheval ne peut franchir, il met un
instant pied à terre et fait lui-même le coup de feu, excitant
les siens, qui bondissent à l'appel de leur nom, par dessus les
fourrés de lentisques ; il les électrise et, en une poussée
furieuse, il chasse devant lui les agresseurs qui n'osent
affronter ni son regard, ni son fusil. Puis il se remet en selle
pour diriger le mouvement et imposer silence, par sa présence,
aux cris et aux vociférations tulmutueuses de toute cette
cohue.
« C'était, dit Walsin-Esterhazy, auquel nous empruntons .
ces notes, une noble et imposante figure de vieillard à la barbe
toute blanche, dont le nez aquilin et la profondeur du regard,
couleur d'acier, rappelaient le type de l'aigle. Lorsqu'on le
voyait au moment de combattre, suivi de ses deux étendards
tant redoutés, marchant en tête de la foule de ses cavaliers,
haletante sous sa parole brève et saccadée, son aspect avait
MUSTAPHA BEN ISMAEL 4l7
quelque chose de grandiose et de sauvage, qui portait
involontairement l'imagination vers le souvenir de ces guerriers
des premiers temps de l'islamisme, qui conduisirent, à travers
les déserts, leurs hordes fanatiques à la conquête de l'Occident.»
Après avoir reconnu l'obstacle qui arrêtait le mouvement et
apprécié la gravité de la sitation, Mustapha s'élance de nouveau
contre ces invisibles et insaisissables ennemis, qui le tiennent
ainsi en échec, lorsque, soudain, une balle l'atteint en pleine
poitrine. Le vieil héros salïaisse sur sa selle, s'y maintient
pendant quelques secondes et finit par glisser lentement à
terre.
11 vivait encore 1 II vécut assez pour se voir abandonné,
lâchement, par des hommes que ne terrifiait plus son regard
éteint. Ses serviteurs accourent, s'empressent autour de lui,
cherchant à le ranimer. Vains efforts ! Ce grand est noble
guerrier ; ce beau vieillard à la barbe neigeuse, dont la vie
n'a été qu'une longue suite de luttes pour son pays et en der-
nier lieu pour la France, qu'il aimait, a terminé bravement et
glorieusement sa féconde carrière, le fusil haut, face à l'en-
nemi !
Les Douairs et les Smélas désormais privés de leur chef,
démoralisés, découiagés par cette lutte sans issue, poursuivis
à leur tour dans cette souricière où ils se sont enfoncés eux-
mêmes de gaîté de cœur, abandonnent la meilleure partie de
leurs prises et s'enfuient précipitemment, laissant sur le
terrain leurs blessés et leurs morts, même le corps du chef qu'ils
avaient tant vénéré.
Dans la précipitation de cet incompréhensible déroute, tout
est abandonné : bêtes de somme chargées, riches dépouilles,
causes premières du désastre, étendards qui les avaient
conduits tant de fois à la victoire, tout roule au fond des ravins
de Bab-Thifour et devient la proie d'indignes ennemis, étonnés
eux-mêmes de leur facile victoire.
Le même soir, quelques fuyard apportèrent la nouvelle de
ce désastre au camp retranché de Zemmora, à dix kilomètres à
peine du théâtre de la lutte, où commandait alors le capitaine
418 MUSTAPHA BEN ISMAEL
de Mac-Mahon, lequel dépêcha aussitôt un officier et un
peloton de spahis sur le lieu du combat.
Le corps du général Mustapha n'avait pas été tout d'abord
reconnu par les Flittas ; éblouis par la richesse de la proie, ils ne
songèrent qu'à dépouiller le cadavre encore palpitant et à
s'arracher l'immense butin tombé si inopinément entre leurs
mains. Ce ne fut que plus tard, dans la nuit, lorsque à la
nouvelle de ce triomphe inespéré, toutes les populations des
Oulad-Sidi-Yaya, sortant de leurs sauvages retraites de Gar-
boussa, accoururent à la curée, qu'ils eurent connaissance de
l'importance de la victime qu'un sort cruel venait d'atteindre !
Mustapha fut reconnu par un homme étranger à la tribu des
Gheurfas, à sa main droite mutilée par une blessure, au combat
de la Sikkak en 1837,
Lorsque les spahis du capitaine de Mac-Mahon arrivèrent sur
le lieu du combat, avec les serviteurs du général Mustapha, ils
furent assez heureux, en cherchant parmi les morts, pour
retrouver son cadavre.
Il était décapité ! . . . Sa tète et sa main droite furent
apportées à Abdelkader qui, dit-on, contempla longuement
cette sanglante offrande et s'écria ;
— 0 Mustapha ben Ismaël, que n'as^tu écouté la voix de
Dieu et celle de notre saint Prophète? Que n'est tu venu à
moi, au sein des vrais musulmans combattant pour la bonne
cause, au lieu de servir les infidèles ? Ta tête, que voilà, serait
encore sur tes épaules ! ... .
Et il fit donner aussitôt à ces restes pantelants, les honneurs
de la sépulture.
Quant au corps mutilé de Mustapha, resté sur le champ de
bataille, il fut racheté, le lendemain, au gens des Oulad-Sidi-
Yaya, par le caïd de Kalâa, Kaddour ben-Morfi, qui le fit
pieusement recueillir et ramener à Zemmorah. Le spahi Ben
Daoud ben Derouich, qui avait été précédemment goumier des
Douairs, sous les ordres du général Mustapha, revendiqua
l'insigne honneur de rapporter au travers de sa monture les
restes glorieux de son ancien chef. Le corps fût déposé et
provisoirement inhumé à l'endroit même, où s'élève, à
MUSTAPHA BEN ISMAEL
419
Zemmorah, la kouba que nous avons construite en son
honneur au sommet du pic qui couronne le village, au sud, et
que les Flittas, dont la haine pour le glorieux mort n'a pu
encore s'éteindre, appellent « Djebel Ouraîa » terme de mépris
dont les arabisants comprendront la signification.
On exhuma ce corps quelques jours après sur la demande
de la famille et on le lit transporter à Oran où il fut définitive-
ment enterré, le 29 mai, dans le cimetière musulman, en
présence de toute la garnison réunie sous les armes et sous le
commandement du général Thierry, pour lui rendre les
honneurs dus à son grade et à ses hautes qualités.
4âO MUSTAPHA BEN ISMAEL
e:ï>ilooilje:
Telle fut la fin, à quatre-vingts ans, de ce guerrier illustre,
vaillant entre tous et brave comme la témérité, qui « après
avoir fait trembler, au bruit des sabots de son cheval, toutes
les populations de la province d'Oran et avoir été la terreur
des soldats d'Abdelkader venait d'être abattu par la balle
obscure de quelque pâtre ignoré. »
Telle fut la fm de ce soldat que la France avait fait général
et qui eut de la peine à trouver un tombeau !. Cependant,
l'armée porta le deuil du général Mustapha ben Ismaël, aimé
et estimé de tous, apprécié comme il convenait, surtout par
les gens du Maghzen, qui le considéraient comme un père.
Quant aux moghaznis du col de Thifour, ils n'eurent même
pas le bénéfice de leur défaillance ; pour sauver leurs têtes il
leur avait fallu faire le sacrifice de leurs bagages et de leur
butin. Les premiers fuyards, auxquels la peur avait donné des
ailes, triste exemple des ces inexplicables et soudaines épou-
vantes qui s'emparent parfois inopinément des multitudes,
lorsqu'elles ne sont plus liées par la cohésion, l'ordre et la
discipline, les premiers arrivés à Oran, dis-je, avaient parcouru
224 kilomètres en vingt heures. Accueillis avec horreur,
repoussés avec dégoût par les vaillantes femmes de leurs
douars, ils durent expier leur lâcheté par une pénitence de
quarante jours que leur imposèrent leurs épouses. En même
temps le général leur fit dire qu'ils ne devaient pas songer à
dresser leurs tentes et à s'y reposer avant d'avoir écrasé les
Flittas et d'en avoir tiré une vengence éclatante.
Mohammed bel Bachir ould Cadi, de la famille des Behaïtsia,
avait été primitivement désigné par l'autorité militaire pour
remplacer Mustapha dans son commandement ; mais sur les
vives instances des chefs Douairs et Smélas, ce choix ne fut pas
ratifié et on nomma agha des Douairs El hadj Mazary, neveu du
MUSTAPHA BEN ISMAEL 421
général Mustapha, qui revenait de la Mecque, et se trouvait le
personna;j,e le plus considérable de nos Iribus alliées en iiiènie
temps (iu(> l'aillé tles l'elia'itsia. Moliannned bel Dacliir lui l'ut
adjoint comme khalit'a.
Pendant longtemps on entendit, le soir, dans les douars de
la plaine de la M'Iéta, et parfois dans des longues marches des
colonnes, les gens des Douairs, chanter et rapsodier cette
triste complainte :
(( 0 malheur! le fds de Mustapha se jette éperdu au milieu
(( du goum ; il parcourt les rangs des cavaliers et ne voit plus
(( Mustapha ; Mustapha le protecteur des malheureux !
(( Il parcourt les rangs des cavaliers et appelle son père !
« Hélas ! l'homme aux vertus héroïques ; celui dont l'ascendant
(( maintenait la paix dans les tribus, a quitté pour toujours
« cette terre, et nous ne le verrons plus "...
(( Lorsqu'il s'élançait à la tête des goums sur un coursier
« impétueux, l'animant des rênes et de la voix, les guerriers le
« suivaient en foule !
« Qu'd était beau dans l'ivresse du triomphe lorsque sur son
(( noir coursier du Soudan, à la selle étincelante de dorures,
(( il apparaissait comme le génie de la guerre ou le dra jon des
(( combats !
« Pleurons le plus intrépide des hommes, celui que nous
(( avons vu si beau sous le harnais de guerre. Pleurons celui
« qui fut la gloire des cavaliers !
« Comment est-il tombé dans les ténèbres de la mort, lui si
(( brillant de gloire, laissant ses amis dans l'affliction, comme
« s'il n'avait jamais existé !
(( Guerriers ! pourquoi vous rassemblez-vous ? Qui pourrait
(( avoir, aujourd'hui, la prétention de vous commander ?
« d'égaler celui qui a rempli le pays de la renommée de ses
« hauts faits?. . .
« Il n'est plus personne qui puisse remplacer le Lion, et ses
(( amis consternés n'ont plus de force que pour remplir la
c( contrée de leur désolation !
422 MUSTAPHA BEN ISMAEL
« Dieu est témoin que Mustapka ben Ismaël'fut fidèle à sa
(( parole jusqu'à la mort et qu'il ne cessa jamais d'être le modèle
« des cavaliers.
(( Il fut la gloire de notre époque, mais le flambeau de sa
« maison s'est éteint depuis qu'il a mêlé sa poussière à la
(( poussière des vaillants cavaliers qui l'avaient précédé dans
c( le tombeau ! ))
Ayant cherché vainement, à Oran et à la M'iéta, le tombeau
du grand Mustapha ben Ismaël le tombeau que la France devait
à un de ses plus illustres et fidèles guerriers, mort à son service,
et n'ayant rien trouvé, Fauteur de cette biographie, s'est
rendu le 20 Août 1899 à Zemmorah pour y accomplir un pieux
pèlerinage à la mémoire de son héros, devant la kouba que
l'on y a fait élever en son honneur.
Quelle déception!... Il n'y a trouvé qu'un modeste et
vulgaire mausolée, dont le fac-similé est reproduit en tête de
cet épilogue. La kouba sans porte et sans gardien, est ouverte
à tous les vents, couverte d'inscription burlesques ou grossières
et souillée d'ordures par les féroces et haineux Flittas, qui
n'admettent pas qu'on ait élevé ce tombeau de leur ennemi,
sur leur propre territoire, et qu'on les ait obligés à y monter les
matériaux et l'eau pour la faire bâtir par les ouvriers du Génie.
Ils considèrent cette kouba comme un dépotoir et un objet
de dégoût.
Puisque l'on a toujours dit que la France était assez riche
pour payer sa gloire, il eut été plus digne d'elle et d'une
politique plus habile aux yeux des indigènes qui se sont
loyalement soumis à notre domination, de consacrer le souvenir
des services éminents que nous a rendus le général Mustapha
ben Ismaël par un monument public^ digne de ce héros et de
son illustre mémoire.
Il est encore temps de réparer cet inexplicable oubli,
considéré par les Indigènes de la plaine de la M'iéta et la
famille des Béhaltsia comme un déni de justice,
J. CANAL.
FIN
DUNE CONFÉRENCE SUR L'HISTOIRE
m;
MASSIF DU SANTA-CRUZ
FAITE A LA
SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE D'ORAN, LE 9 JANVIER 1899
Par M. Louis GENTIL
M. Gentil, invité par le Président et le Comité de la Société,
à parler de ses études géologiques surl'Oranie, expose succinc-
tement la constitution et la structure de la montagne du
Santa-Cruz qui domine la ville d'Oran.
Il s'excuse de n'avoir pas encore entretenu la Sociale de
Gt'oj/mp/i (g des résultats de ses recherches qui peuvent inté-
resser cette Société locale si florissante et, en quelques mots,
il fait ressortir le but théorique et appliqué de la géologie.
Les applications multiples (mines, agriculture, recherches
d'eau, etc..) de la géologie ont beaucoup contribué à donner
à cette science son grand essor pendant ces dernières années.
En particulier, la géographie physique a beaucoup emprunté
à la géologie, et l'on peut presque dire aujourd'hui que la
géographie physique c'est la géologie, que la géologie c'est la
géographie physique.
Après cette introduction, M. Gentil al)orde son sujet.
Il croit devoir, tout d'abord, détruire une légende populaire :
celle de l'origine volcanique du Santa-Gruz. Cette opinion
résulte sans doute de la forme coni(iue de cette montagne qui
est, en réalité, presque exclusivement constituée par des ter-
l'alns sédlmentaires.
La série des terrains qui s'y succèdent est assez complexe
bien qu'en apparence le massif semble constitué des mêmes
schistes et d'une roche dolomitiiiue compacte. Elle comprend:
1" D'abord une série assez puissante de schistes Intercalés de
grès très durs ou quartzltes qui forment le squelette Interne de
424 RÉSUMÉ d'une conférence
la montagne. Ces schistes sont cVâgc primaire. Ils pourraient
renfermer un représentant du terrain carbonifère, bien que
cependant rien ne le prouve. Ce que l'on peut dire, en tout
cas, c'est que si le carbonifère est encore à rechercher en
Algérie, le Santa-Cruz est l'un des rares massifs qui puissent
le receler. Les schistes primaires de cette montagne sont assez
peu répandus en surface ; ils supportent le Fort Saint-Gré-
goire, ils sont entaillés par la falaise, en partie faite de main
d'homme, et que longe la roule du Fort Lamoune à la Caserne
des Douanes.
2° Au-dessus de ces schistes s'est déposé un terrain formé
de gypse, de marnes vivement colorées, de dolomies caver-
neuses qu'on appelle des cargneules. Ce terrain a dû constituer
un dépôt important : c'est le terrain triasiqne dont Texistence
a été récemment reconnue en Algérie.
La détermination d'âge et du mode de dépôt de ce terrain
font l'objet de discussions depuis de nombreuses années.
M. Gentil n'a plus de doutes en ce qui concerne les affleure-
ments gypseux de l'Oranie. C'est l'analogue du Trias sal itère
de la Lorraine. C'est à la présence d'un grand nombre de
pointements de ce terrain qu'il faut attribuer, dans la province
d'Oran, l'existence d'un grand nombre d'oued salés.
Dans le Santa-Cruz, ce terrain est très faiblement répandu.
Il n'en reste que des témoins insignifiants aux Bains de la
Reine et en divers autres points du massif, notamment près
de la Chapelle.
Ce terrain gypseux a été traversé, après .son dépôt, par des
filons d'une roche verte qu'on appelle ophite et que l'on ren-
contre, en particulier, au voisinage immédiat des Bains de la
Reine.
3'^ Au-dessus du Trias s'est déposé un terrain important,
car il joue un grand rôle dans la structure du Santa Cruz. Ce
terrain appartient au Lias, placé à la base des terrains juras-
siques ; il, constitue les masses puissantes de dolomie (calcaire
magnésien) qui sont développées tout le long de la route de
Mers-el-Kébir et sont activement exploitées comme caillasses
d'empierrement. Cette dolomie forme les arêtes rocheuses si
saillantes du sommet du Santa-Cruz. Cette roche, brune à la
SUR l'histoire du massif du santa-cruz 425
surface, noire dans les cassures fraîches, a une puissance de
pi us de 100m.
Mais le terrain liasique n'est pas limité à cette seule assise
de dolomie. Cette dernière, en elïet, est surmontée de bancs
assez minces de calcaire alternant avec des argiles rendues
schisteuses parla compression.
4" Une série de schistes ardoisiers surmonte les calcaires
précédents. Ces schistes rappellent certains schistes des Alpes.
Ils ont l'aspect d'ardoises et ont suscité des recherches en
certains points, notamment dans le ravin de 1' « Ardoisière. »
Ces schistes sont d'âge jurassique.
5» Enfin la série des terrains du Santa-Cruz se termine par
un développement assez puissant de schistes bruns alternant
avec des grès durs, en bancs rougeàtres. formant la plus grande
partie du sol du bois des Planteurs.
Cette formation est d'âge encore imprécisé. M. Ficheur,
professeur à l'École supérieure- des Sciences d'Alger, qui l'a
vue récemment, la met en parallèle avec celle des schistes déve-
loppés dans le massif d'Arzeu et qui appartiennent au terrain
crétacé inférieur. M. Gentil n'a pu se faire d'opinion sur ce
terrain, mais il a la certitude que la détermination de son âge
sera bientôt résolue par l'étude qu'il va faire d'une série de
fossiles en as?ez mauvais état, mais en assez nombreux échan-
tillons, récemment recueillis par M. Doumergue et par lui.
Telle est la succession des terrains sédimentaires qui com-
posent le Santa Gruz. Ces terrains appartiennent exclusivement
aux séries primaire et secondaire.
Le grand développement de calcaire blanc qui forme les
environs de Noiseux et le couronnement du Merdjadjou fait
partie de la série tertiaire ; mais il convient de séparer cette
formation et de limiter la montagne du Santa-Cruz à une ligne
qui joindrait Ras el-Aïn à Sainte-Clotilde.
Comment l'auteur est-il arrivé à établir la succession des
terrains qui composent cette montagne ?
La détermination de l'âge des dépôts sédimentaires ne peut
se faire que par l'étude des fossiles, c'est-à-dire des débris
d'êtres organisés recueillis dans les sédiments contemporains
de leur développement. Or, le massif de Santa-Cruz n'a pas été
426 RÉSUMÉ d'une conférence
très généreux, jusqu'ici, à cet égard. Les fossiles qu'on y a
recueillis sont très rares au point que l'on a toujours réuni
dans une seule formation (schistes d'Oran) toute une série de
schistes d'âges différents.
La comparaison de cette montagne avec un autre massif,
celui des Traras, situé entre la Tafna et Nemours dans l'Ouest,
a permis à M. Gentil d'y distinguer plusieurs terrains. Ce
géologue n'a fait, en cela, que confirmer l'heureuse idée de
l'un de ses devanciers, M. le D^' Bleicher. L'ingénieur des mines,
Baills, a également émis des idées analogues. M. Gentil a pu,
par des comparaisons étroites, établir la similitude qui existe
entre les terrains primaires et secondaires des Traras et du
Santa-Cruz et, aujourd'hui, des découvertes paléontologiques
viennent lui apporter la confirmation définitive de cette assi-
milation.
M. Gentil fait, à ce sujet, l'éloge d"un excellent naturaliste,
d'un chercheur démérite, M. Doumergue, professeur au Lycée
d'Oran. Ce savant a mis à profit, avec une patience et un sens
d'observation des plus précieux, toutes ses indications : il a
découvert presque partout des fossiles oîi M. Gentil pensait en
trouver et ses brillantes trouvailles constituent déjà de belles
collections qui méritent de figurer au premier rang dans la
collection d'histoire naturelle du Musée d'Oran.
La succession de terrains établie, l'étude géologique du Santa-
Cruz n'est pas terminée. Cette première partie du travail du
géologue constitue la stratigraphie. Il lui faut ensuite se rendre
compte des plissements, des dislocations qui ont affecté les
divers terrains du massif étudié : cette deuxième partie consti-
tue la tectonique.
A ce point de vue, Tétude de la montagne du Santa-Cruz
offre des difficultés. Les terrains énumérés plus haut ont été
soumis à des efibrts considérables pendant de longues périodes.
Il en est résulté des plissements parfois très aigus, des cassu-
res ou failles. Tel terrain originairement horizontal est main-
tenant relevé jusqu'à la verticale. Bien mieux il est, souvent
aussi, renversé.
C'est ainsi que la tectonique du Santa-Cruz peut se résumer,
se schématiser en deux plis aigus dirigés à peu près parallèle-
SUR l'histoire du massif du SANTA-CRUZ 4'27
ment au bord de la mer et déversés vers le Sud. Le sommet
du iiremier pli est marqué par le pilon rocheux qui supporte
le vieux Fort de Santa Cruz ; le deuxième forme l'extrémité
nord du Mcrdjajou et la crête rocheuse qui descend de ce
point vers la « Kasbah. » Entre ces deux plis s'est creusé, par
érosion, le col du Santa-Cruz et le grand ravin de l'Ardoisière,
Là se termine Fétude du géologue. Il lui est loisible,
après avoir étudié la constitution intime de la montagne,
sa structure, d'essayer d'en interprêter le relief. Il devra
évidemment, pour en expliquer sa forme, faire la plus grande
part aux érosions, aux ravages des eaux superficielles. Mais ne
sera-t-il pas frappé de l'existence de crêtes saillantes le long
des plissements subis par les terrains qui composent la mon-
tagne? Ne pourra-t-il pas distinguer, également, sur sa carte
géologique, les parties rocheuses de celles qui ne le sont pas ?
A un point de vue plus général, le géologue pourra indiquer
le rôle que joue le massif du Santa-Cruz dans -la géographie
générale de la région. Il verra que la montagne d'Oran doit
être considérée comme le squelette, l'ossature d'une petite
chaîne côtière qui part d'Oran el va s'épanouir et se terminer
en falaise à environ 50 kilomètres de là, au cap Figalo.
Il considérera cette chaîne de collines comme formée d'un
axe de terrains primaires et secondaires recouverts d'un man-
teau tertiaire.
Il pourra même aller plus loin, essayer d'établir le rôle que
peut jouer le massif de Santa-Cruz dans l'orographie générale
de l'Algérie.
Il sera alors frappé de la similitude à la fois géologique et
géographique de cette montagne et du massif de Bouzaréah,
au-dessus d'Alger.
Comme le massif du Santa-Cruz, le Bouzaréah marque l'axe
ancien d'une chaîne côtière recouverte de terrains tertiaires
qu'on appelle le Saliel d'Alger.
Le nom de Sahel d'Oran convient également à la petite
chaîne qui s'étend du Santa-Cruz au cap Figalo,
L'analogie peut encore être poussée plus loin : de même que
le Sahel d'Alger sépare de la mer la plaine de la Melidja, de
même le Sahel d'Oran sépare de la mer la plaine de la Sebkha.
428 t\ÉsuMÉ d'une conférence
Ces deux grandes plaines sont également bordées au sud
par des chaînes de structure géologique analogue : la chaîne
de V Atlas Metidjien d'un coté, la chaîne du Tessala de l'autre.
Il parait assez curieux de constater ainsi que les deux plus
grandes villes de l'Algérie, les deux capitales en quelque sorte
de cette grande colonie, Alger ei Oran, soient situées dans des
conditions géologiques et géographiques si semblables.
M. Gentil termine sa conférence en annonçant la découverte
qu'il vient de faire à Lamoricière.
Il a trouvé là, à la base des terrains crétacés, un grand
vertébré, un crocodilien, ô.oni\\ a recueilli les ossements assez
bien conservés. Ces débris organisés seront étudiés plus tard.
M. Gentil les a exhumés par des fouilles méthodiques.
Sans rien présumer de la détermination spécifique de cet
animal ancien, ce géologue se borne à constater que c'est la
première fois qu'un grand reptile est découvert, à ce niveau
géologique en Algérie, et, en quelques mots, il rappelle les
découvertes importantes faites au même niveau ou à un niveau
très proche en Angleterre, en Belgique et dans l'Allemagne
du Nord.
Essai sur ril}ilr4il()<;i(' el la Oéolj^gie
DE r.A
REGION Di: SAÏDA
par 1© Com.m£Lnd.a,nt .A-ZÉMiA.
nu 102° REGIMENT D INFANTERIE
1899
PRÉFACE
Les hasards de la vie militaire nous ont conduit à
tenir garnison, de 1895 à 1897, dans la petite ville de
Saïda du département d'Oran, distante de 180 kilomè-
tres de la côte, sur la limite du Tell et des Hauts
Plateaux.
Saïda, en arabe, sig-nifîe a Heureuse » ; c'est une cité
naissante dont le développement rapide tient à sa
situation privilégiée au centre d'une région agricole et
viticole fertile et aux portes du Sud Oranais dont elle
peut être considérée comme une des clefs.
L'altitude de Saïda à 886 mètres au-dessus du niveau
de la mer et son voisinage de la ligue de partage des
eaux entre la Méditerranée et la région des Chotts
donnent aux influences climatériques une acuité pro-
noncée vers les deux extrêmes : le ciel y est transpa-
rent et le nuage de sable opaque, la brise douce et le
siroco impétueux, la pluie torentielle et la sécheresse
intense, l'hiver froid, et l'été brûlant.
Des divergences semblables se manifestent égale-
ment dans la variété des sites : au champ fertile suc-
cède la lande stérile, au sol accidenté confine la plaine
immense, à la forêt de pins fait suite l'alfa rabougri.
430 PRÉFACE
Les sources de la région de Saïda, comme celles des
contrées calcaires, sont rares et abondantes. En dehors
de la zone irrigable, le sol est aride et désolé, c'est le
pays de la soif. Aussi, avec quel soin ces eaux fraîches
et limpides sont-elles colligées pour les besoins de
l'alimentation et de l'arrosage ? Leur utilisation sous
un climat ardent procure en ettet les deux conditions
essentielles au développement des plantes « Humor et
Calor ».
Le Haut Tell est peu connu des voyageurs ; quelques
lignes sont réservées à sa description dans de rares
ouvrages scientifiques ; il nous a paru intéressant de
consacrer des loisirs de garnison à étudier l'hydrolo-
gie et la géologie de cette remar(iuable région.
L. AZÉMA.
— >-^^=^^M^^^^
ESSAI SIR L ilVIIROLOIIIE vV LA (iEOLOlilE
DE LA RÉGION DE SAÏDA
PREMIERE PARTIE
HYDROLOGIE
GENERALITES
La vapeur d'eau, qui se forme sans cesse à la surface
des mers, est entraînée par les vents vers les continents oîi
elle se condense à l'état de pluie ou de neige.
Cette eau météorique est dite torrentielle \ovsqu elle ruisselle
à la suface du sol et souterraine lorsqu'elle circule dans
le sous-sol après s'être infiltrée dans la terre; elle devient eau
de source au point d'émergence.
Les eaux torrentielles et souterraines contribuent à la
formation des cours d'eau et retournent à l'océan après avoir
répandu leur action vivifiante dans les territou'es traversés.
Le cycle effectué par l'eau météorique, qui, après avoir été
soustraite aux mers à l'état de vapeurs, y retourne à l'état
liquide, se nomme circuit de Vévaporation
Dans la région de Saïda, les pluies sont généralement
causées par des courants atmosphériques du S. 0. Le circuit
de l'évaporation commence dans l'Atlantique et se termine
dans la Méditerranée ou dans la haute région des Chotts, suivant
que les eaux ruissellent sur Tun ou l'autre côté de la ligne de
partage, qui passe à moins de 8 kilomètres au S.-E. de Saïda.
Le débit des eaux torrentielles et souterraines est habituel-
lement proportionnel à l'abondance des eaux météoriques.
A Saïda, il n'en est pas ainsi pour les eaux souterraines ; leur
débit est à peu près constant toute l'année par suite de
dispositions particulières du sous sol que nous allons étudier.
432 ESSAI SUR l'hydrologie et la GEOLOGIE
CHAPITRE PREMIER
Rôle de l'acide carbonique dissous dans les eaux météoriques
La présence de l'acide carbonique dans les eaux météoriques
est indispensable à la dissolution des roches calcaires de la
surface et de l'intérieur du sol.
Cet agent chimique se combine aux carbonates de calcium
et de magnésium qui constituent la plus grande partie de
l'écorce terrestre pour former des bicarbonates, sels plus
solubles.
La solubilité maxima de l'acide carbonique dans un litre d'eau
à 15 degrés est de 1 litre en volume et ls'-97 en poids. Cette
limite n'est jamais atteinte dans les eaux qui circulent à la
surface ou à l'intérieur du sol et les eaux souterraines, les
plus riches en gaz carbonique, renferment à peine la sixième
partie du maximum de dissolution.
1» Eaux torrentielles. — La plus grande partie de l'acide
carbonique dissous par les eaux torrentielles est empruntée
à l'air atmosphérique qu'elles battent sans cesse dans leur
course.
La quantité de ce gaz enlevée est donc fort minime puisque
l'air n'en contient que les 2 à 4 dix millièmes de son volume.
Une autre cause de production réside dans la fermentation,
au sein même de l'eau, des détritus organiques déversés par
les lieux habités.
La transformation s'opère aux dépens de l'oxygène dissous
dont la proportion diminue à mesure que celle de l'acide
carbonique augmente.
Dans les contrées tempérées, les eaux des fleuves, devenues
plus chaudes en se rapprochant de la mer, tendent à se
minéraliser de plus en plus en dissolvant les éléments minéraux
des roches superficielles de leur lit, tels que: chlorures,
carbonates et sulfates avec en peu de soude, potasse, alumine,
I
DK LA RÉGION DE SAIDA 433
oxyde de fer et silice. Les eaux du bassin (]o la Seine (environs
de Paris) renferment, [lar liire, de 0^''15 à Os'SG d'acide
carbonique total et de O^'à O^'-OIS d'acide carijonique libre.
2" Eaux souterraines. — Les eaux souterraines se chargent
d'acide carbonique pendant leur filtration à travers la terre
végf^tale où elles se trouvent en contact avec une atmosphère
confinée et riche de ce gaz qui provient de la racine des plantes
et de la fermentation des détritus végétaux de l'iiumus. Les
eaux, après s"étre saturées dans ce milieu, dissolvent les roches
calcaires inférieures en trar.sformant les sels carbonates, qui
les composent, en sels bicarbonatés plus sokibles.
Mais ces eaux ne tarderaient pas à perdre les bicarbonates
acquis si, au sein de la terre, elles se trouvaient placées dans
les mêmes conditions que celles coulant à l'air libre ; le
phénomène bien connu des eaux pétrifiantes produirait un
dépôt de carbonate de calcium provenant de la décomposition
spontanée du bicarbonate précédemment dissous en ces deux
éléments de constitution : l'acide carbonique se dégagerait. •
La décomposition du bicarbonate n'a pas lieu lorsque les
eaux sont sous pression ou en contact avec une atmosphère
conllnée aussi riche en acide carbonique que l'eau elle-même.
Les anciens tuyaux de conduite de la source Sultan à Saïda,
remplacés en 1897, après dix années d'usage, ne contenaient
intérieurement aucun dépôt calcaire par l'effet de la pression
exercée par la colonne liquide. Cette pression, en maintenant
la cohésion du bicarbonate dissous, s'opposait au dégagement
de l'acide carbonique.
L'eau souterraine circule dans les galeries dont le tracé est
aussi capricieux que celui de certaines rivières ; des couloirs
étroits et tortueux succèdent à des salles immenses dont les
voûtes tantôt é!evées ou tantôt surbaissées supportentd'énormes
stalactites qui atteignent parfois le sol et ressemblent à des
piliers gigantesques.
L'onde coule en minces filets torrentueux ou s'étale en de
vastes nappes tranquilles ; souvent une muraille rocheuse
semble opposer à l'eau un obstacle infranchissable, mais elle
la franchit par siphonnement et reparait plus loin.
434 ESSAI SUR l'hydrologie et la géologie
Partout règne une atmosphère surchargée d'acide carbo-
nique.
L'exploration des galeries souterraines de la région de Saïda
n'a été réalisée que sur un seul point appelé (( Trou aux
Pigeons » dont nous donnerons la description au chapitre
suivant. D'après cet aperçu, l'aspect des cavités spéléennes de
Saïda se rapprocherait sensiblement de celui de la région des
Causses du Midi de la France ; il ne saurait d'ailleurs en être
autrement puisque ces deux pays présentent la plus grande
analogie comme dispositions des couches géologiques.
Les eaux de source de Saïda renferment, par litre, de0&''235
à0s''320 d'acide carbonique total, celle de Montpellier (Lez)
Off'-210.
L'action dissolvante de l'acide carbonique contenu dans les
eaux souterraines a pour conséquence :
Le creusement et l'agrandissement des galeries en raison
des facilités de dissolution qu'offre la roche d'après sa dureté,
sa structure et son homogénéité ;
Ensuite, l'établissement de nouvelles communications à de
plus grandes profondeurs et l'élargissement des seuils d'éva-
cuation intérieurs et des seuils de sortie ;
Enfin, l'abaissement progressif du niveau de l'eau, l'unifor-
misation plus constante du débit et la création de nouveaux
seuils de sortie à un niveau inférieur aux précédents.
«I
DE LA RÉGION DE SAÏDA 435
CHAPITRE II
Régime des sources des environs de Saïda
§ lei'. _ Origine et débit des sources
Les sources sont alimentées par les eaux météoriques et
leur débit est généralement en raison directe de l'abondance
des pluies sur le sol qui, par sa constitution géologique,
déverse les eaux souterraines vers les points d'émergence.
Dat:s la région de Saïda, le débit des sources fait exception
à cette règle ; il demeure à peu près constant que les pluies
soient rares ou abondantes. Ce phénomène s'explique par la
nature caverneuse du sous-sol qui est susceptible d'emmaga-
siner les eaux venant de la surface et de s'opposer à leur
écoulement hàlif par l'agencement de seuils d'évacuation
étroits.
Il peut être intéressant de rechercher entre quelles limites
varie la quantité d'eau disponible en fm d'année dans les
réservoirs spéléens de Saida. Avant d'aborder ce problème il est
nécessaire de déterminer les données suivantes :
1° Surface du territoire qui par sa constitution géologique
recueille l'eau météorique alimentant les sources ;
2'3 Quantité d'eau météorique tombant annuellement sur le
territoire ;
3° Débit des sources.
La solution du problème sera donnée par la dilTérence entre
le volume de l'eau météorique tombée pendant une année à la
surface et le volume de l'eau dél)itée par les sources pendant
le même temps.
Hàtons-nous d'ajoutar que Tévalualion de l'eau météorique
par le pluviomètre sera excessive parce que cet instrument
donne la totalité de l'eau pluviale tombée et que la majeure
436 ESSAI SUR l'hydrologie et la géologie
partie de celle-ci ne s'infiltre pas dans la terre ; elle s'écoule à
l'état torrentiel, est absorbée par les végétaux et s'évapore
directement dans l'atmosphère. Il est à remarquer toutefois que
la région de Saïda se prête à l'infiltration rapide des eaux mé-
téoriques par la faible déclivité et la nature fissurée de son sol
dolomitique. Au cours des années 1890 et 1897 de sécheresse
extrême, le déb't des sources saïdéennes n'a subi qu'une très
faihle diminution.
I. — L'appréciation du versant topographique d'une région
est basée sur la nature des pentes du sol. Une étude faite à ce
point de vue particulier présenterait moins d'intérêt pour notre
travail que la détermination de l'écoulement des eaux souter-
raines sur les couches imperméables du versant intérieur que
l'on peut appeler versant géologique.
Si le versant topographique peut être facilement déterminé
par une reconnaissance du terrain, une étude sur la carte, ou
une construction de profils suivant des lignes déterminées, le
versant géologique, au contraire, étant invisible échappe
à l'appréciation, aux mesures et n'est susceptible d'une
détermination hypothétique que par l'établissement de coupes
géologiques basées sur la stratigraphie des couches apparentes
du sol.
Le versant des eaux superficielles est identique au versant
des eaux souterraines lorsque les assises géologiques sont
disposées parallèlement et par conséquent en stratification
concordante.
C'est le cas le plus fréquent ; l'anticlinal se confond alors
avec la ligne de faîte et le synclinal avec le thalweg.
Il n'en est pas ainsi à Saïda où le versant géologique bien
plus développé que le versant topographique s'étend vers le
S. E. au-delà de la ligne de partage des eaux entre la Méditer-
rannée et les Hauts Plateaux et draine vers le N. 0. les eaux
tombées sur le versant des Chotts. Nous verrons dans l'étude
sur la géologie de la région de Saïda que l'assise de dolomie
bathonienne sous laquelle glissent les eaux souterraines est
plissée en une large ondulalion dont l'anticlinal est situé
au S, de la ligne de partage précitée et le synclinal cà plus de
DE LA RÉGION DE S\ÏDA 437
30 kilomètres au N. 0. de la vallée de l'O. Saïda. Si des eaux
souterraines sortent de terre à proximité de cette rivière entre
Ain-el-Hadjar et S lida, c'est que la haute vallée de l'O. Saïda
est constituée par une légère ondulation du sol. Quant aux
sources qui sourdent dans le vallon de l'Oued Nazereg, leur
présence sur ce point est la conséquence de la formation de
digues ralureîles ou failles locales qui arrêtent les eaux dans
leur course souterraine.
La surface du territo're correspondant au versant géologique
est limitée à l'E. par l'Oued Tifrit, dont le cours supérieur est
parallèle à celui de l'Oued Saïda ; au N. par la route n"^ 4S, de
Tagremaret à Saïda; à l'O. parla vallée de l'Oued Saïda et au S.
par le massif du Djebel Naliaser qui délimite de ce côté le
plateau des Ilassasna.
La superficie de cette région, qui mesure de 30 à 35 kilomè-
tres en tous sens, peut être évaluée à 100,000 hectares.
II. — Le relevé de la hauteur moyenne des eaux météori-
ques tombées à Saïda de 1885 à 1894 est indiqué dans le
tableau suivant. Ces données résultent des observations plu-
viométriques faites à l'hôpital militaire de cette ville à l'altitude
de 886 mètres.
HAUTEL'R moyenne DES EAUX MÉTÉORIQUES TOMBÉES A SaÏDA
DE 1885 A 1894
Janvier 49^/'" 3
Février 48 8
Mars 48 2
Avril 57 8
Mai 47 5
Juin 13 6
Juillet 5 8
Août 5 0
Septembre 24 6
Octobre 20 4
Novembre 36 0
Décembre 63 Q-
Total 420 m/m o
pour dix années et 42 ■"'■", en moyenne, pour une année.
438
ESSAI SUR l'hydrologie ET LA GÉOLOGIE
III. — Le débit de toutes les sources pérennes de la région
de Saïda est indiqué dans le tableau suivant dû à l'obligeance
de M. Aymé, conducteur des Ponts et Chaussées à Saïda.
Nomenclature et débit des sources pérennes
DE LA région de SaÏDA
Bassin de l'Oued
Ain-el-Hadjar
Bassia
de
rOued -Saïda
Bassio
de
rOued Nazerej
Aïn-Tibezada (1160'") 33 litres à la secoEde
Aïn-el-Hadjar (1050m) 50 —
Aïn-oum-Rekhaït(lOlO'"). . . 25 —
Sans nom (1010™; 5 —
Ain Kerdouba (OGO'") 4 —
Aïn-Maamar (930™) 3 —
Aïn-Raiei (STo-") 4 —
Quartier Nègre (825"') 10 —
Aîn-Sultan ou S-^^ Maboul (900'») . 40 —
Eaux chaudes (760^) 4 —
Source du Communal (750'") . G —
Aïn-Hallouf(750"') 10 —
AïD-Nazereg (lOlO'i') 100 —
Aïn-Lagteraret (925ni) 10 —
Aïn-Keimen (940"') 5 —
Ain-Kerdouba (950'"j 8 —
Ain Kerma (925"') 0 —
Aïn-Fakrouin (825'») 35 —
Aîn-Nahe (760"') 18 —
Sans nom (7G0'") 10 —
Aïn-Ouangal ou S« Poirier (870m} 80 —
Aïn-Temsoun (940"") 10 —
Total .
47() litres à la seconde
La solution du problème posé devient la suivante :
Le produit de la surface du territoire, soit 100,000 hectares,
par la hauteur moyenne de la lame d'eau tombée, soit G'" 042,
donne comme volume de la masse d'eau météorique, 42,000,000
de mètres cubes.
DE LA RÉGION DE SAÏDA 439
D'un autre côté, le débit moyen des sources étant
de 476 litres à la seconde,
il sera de 28 mètres cubes à la minute,
de 1.713 niètres cubes à l'heure,
de 41 .120 métrés cubes au jour,
de 15.011.136 mètres cubes à l'année.
Ce dernier nombre retranché de 42,000,000 de mètres cubes,
c'est-à-dire du volume de l'eau dans l'année, donne : 26,988,864
de mètres cubes. Telle est la limite maxima de la quantité
d'eau restant disponible dans les réservoirs souterrains à la
fin de l'année.
§ II. — Régime des sources situées sur la rive droite de l'Oued
Saïda et dans le vallon de l'Oued Nazereg
Les sources, dont l'énumération a été donnée plus haut,
sont échelonnées sur la rive droite de l'Oued Suïda et dans le
vallon de l'Oued Nazereg, ce dernier point est le débouché du
principal collecteur souterrain si l'on considère l'abondance
des eaux qui en jaillissent.
Toutes ces sources sont p'érennes et leur débit total atteint
476 litres à la seconde. Ce débit est à peu près constant toute
l'année ; ainsi au mois de septembre 181)7, après une période
de grande sécheresse, le niveau de l'eau dans le réservoir de
captation de la source Sultan n'avait baissé que de 6 centi-
mètres.
Les sources de la rive droite de l'O. Saïda, depuis A'in-el-
Hadjar jusqu'à Sa'ida, sourdent à travers les fissures du banc
de dolomie bathonienne ; elles sont au nombre de 6 avec un
débit de 100 litres à la seconde.
L'échelonnement de ces sources à peu de distance du lit de
la rivière indique qu'elles résultent d'un plissement des cou-
ches géologiques dont la direction du synclinal serait celle du
thalweg de la vallée. L'effet du plissement a rapproché et
resserré les assises du sol et mis obstacle à l'écoulement des
eaux souterraines, qui sont obligées de s'échapper au dehors.
Les sources du cirque de Saïda sont au nombre de trois avec
440 ESSAI SUR l'hydrologie et la géologie
un débit de 50 litres à la seconde. Celles du vallon de l'Oued
Nazereg sont au nombre de 12 avec un débit de 300 litres à la
seconde
La source de Nazereg, la plus importante et la plus en
amont du vallon, est éloignée de 8 kilomètres du confluent de
l'Oued Nazereg.
Le jaillissement primordial de ces eaux souterraines a été
occasionné par la production de failles locales de direction
perpendiculaire au trajet des eaux et l'aflaissement du terrain
sur la lèvre nord de la faille a formé une soi'te de digue natu-
relle, qui ayant retenu les eaux, les a obligées a prendre un
niveau plus élevé et à s'écouler à la surface du sol. Plus tard,
ces mêmes eaux chargées de gaz carbonique ont abaissé gra-
duellement leur niveau par la dissolution des roches de contact
et par la production de nouveaux seuils d'évacuation à un
niveau inférieur ; en conséquence, les sources de la basse
vallée de l'Oued Nazereg peuvent être considérées comme des
dérivations de la source primordiale d'Aïn-Nazereg.
La richesse en bicarbonates des eaux de source à leur point
d'émergence démontre que pendant leur trajet souterrain elles
sont restées en contact avec une atmosphère confinée riche
en gaz carbonique, que le travail de dissolution des roches
calcaires du sous-sol a toujours lieu et que les vastes dépôts
de tufs calcaires situés à proximité des sources ne cessent
d'augmenter.
La visite du Trou aux Pigeons, galerie souterraine voisine
de la ferme Solari, permet de contempler dans un grandiose
spectacle ces cavités immenses oij circulent les eaux souter-
raines et qui sont le résultat du travail de la nature.
La galerie orientée N. S. est située à 22 mètres au-dessous
du sol naturel. Le terre-plein de la galerie, légèrement
accidenté, est accessible sur 100 mètres de longueur ; à la
suite s'étendent les eaux d'un lac de 300 mètres de longueur.
Deux méats ou avens, espacés de 130 mètres, permettent la
descente.
L'aven N., sorte de puits circulaire à murs verticaux et
rocheux de 9 mètreî; de profondeur, donne accès sur un talus
à 35» formant une rampe de raccordement avec le terre-plein.
DE LA RÉGION DK SAÏDA 44l
L'argile boueuse et glissante qui recouvre le talus en rend
l'accès dit'licile.
L'aven S., ouvert dans un cahos de roches, est d'un accès
plus difficile encore. C'est le véritable « Trou aux Pigeons »
servant de refuge à ces volatiles.
La largeur raaxima de la galerie est de 30 mètres entre les
deux avens ; celte largeur décroît jusqu'à l'extrémité S. du lac
où elle se réduit à 3 ou 4 mèlres.
La hauteur de voûte est très variable, 10 à 15 mètres au
maximum ; d'énormes stalactites y sont fixées et présentent
toutes les variétés de ces sortes de pétrifications. La profondeur
du lac varie de 1 à 4 mètres ; elle est maxima à l'extrémité S.
L'eau du lac a un écoulement qui donne naissance à un
petit cours d'eau. Celui-ci, après avoir longé et traversé le
terre plein de la galerie, disparait dans une anfractuosité
rocheuse.
D'après les Arabes, il existerait sous le plateau des Flassasna
un lac immense et des galeries souterraines munies d'avens
analogues à celle du «Trou aux Pigeons ». C'est très possible
en raison de la masse des eaux qui circulent sous ces terrains
et de leur action de dissolution incessante sur les roches
calcaires qu'elles baignent.
Combien est admirable le travail de la Nature qui semble
avoir ici pour objet d'atténuer des conditions climatériques,
qui, si elles s'exerçaient dans toute leur puissance, rendraient
la région de Saïda inhabitable et en feraient le prolongement
44â ESSAI SUR l'hydrologie et la géologie
du Sahara. Ce sont précisément les obstacles que les eaux
trouvent dans leur écoulement souterrain par suite de l'agen-
cement de seuils d'évacuation étroits et du jeu admirable des
siphons qui assurent la formation.au sein de la terie de vastes
réservoirs donnant peu à peu, mais d'une façon constante, ces
eaux fraîches et limpides qui répandent sur leur, passage la vie,
et la richesse.
§ III. — Régime des sources situées sur les versants du
Djebel-el-Hassem et Doumat Kebach
La carte géologique mentionne quelques sources et puits
sur les bords des plateaux de Djebel-el-Hassem et Doumat
Kebach.
Les principaux sont : Aïn-Zien, Aïn-la-Orafïé, Aïn-Djelloul,
Aïn-Touïfia, Aïn-Beïda, Aïn-el-Ilamra, Hassi-ben-Damud, etc.
La situation de ces points d'eau, qui paraît anormale,
s'explique par la grande perméabilité des terres qui recouvrent
des plateaux longs de 8 kilomètres et larges de 1,000 à 1,500
mètres.
Les éléments du sol sont constitués en effet sur une épaisseur
moyenne de 25 mètres par des graviers et des sables contenant
des rognons de silex, des fragments de calcaire, de dolomies
et des globules de limonite. Ces terrains reposent sur une
assise épaisse de marnes oxfordiennes imperméables. Dès lors,
les eaux météoriques s'infiltrent rapidement dans le sol poreux
et l'imbibent ; puis, arrivées à la couche imperméable, elles
s'écoulent en plus grande abondance vers l'O. à l'état de
sources temporaires, tandis que vers l'E. elles suffisent
seulement à l'alimentation de quelques puits.
DE LA RÉGION DE SAÏDA 443
CHAPITRE III
Eaux de la région de Saïda au point de vue de Falimentaiion
GENERALITES
Si, dans l'économie animale, l'eau joue un rôle indispensable
par sa nature même, elle peut y produire une action nuisible
lorsque les éléments minéraux qu'elle tient en dissolution
atteignent une trop forte proportion et lorsqu'elle sert de
véhicule à des principes morbides.
L'homme aurait tout intérêt à ne boire que des eaux distil-
lées et aérées (jui se digèrent facilement, dissolvent les sels en
excès dans l'organisme et sont exemptes de matières orga-
niques.
Le corps humain trouve en abondance dans les aliments
journaliers les matériaux nécessaires à la formation de sa
charpente osseuse sans qu'il lui soit nécessaire d'avoir recours
à des eaux riches en éléments minéraux.
Le Comité consultatif d'hygiène de France a fixé aux quan-
tités suivantes les limites que ne doivent pas dépasser les
éléments minéraux et les matières organiques contenus dans
les eaux pour être considérées comme potables.
Chlore. — Moins de 0 ?•' 04 par litre correspondant à 0 s^' 066
de chlorure de sodium.
Acide sulfuriqiie. — Moins de 0 =■' 03 par litre correspondant
àO S'' 051 de sulfate de calcium.
Matières organiques. — Moins de 0 ?'' 002 par litre calculé
en oxygène.
Degré hydrotimétrique. — Moins de 20<^.
44i ESSAI SUR LIIYDUOLOGIE ET LA GEOLOGIE
Les éléments minéraux les plus communs des eaux potables
sont les suivants par ordre d'importance :
Carbonate de calcium. — Ce sel est dissous à létat de
bicarbonate à la faveur d'un excès d'acide carbonique ; toute
quantité supérieure à Os^SO par litre rend les eaux pe.-antes
et indigestes. Les eaux de source de Saida en renferment
de Os^rie à 08^''2l par litre.
Sulfate de calcium. — Ce sel est toujours nuisible ; les eaux
qui en renferment dans une grande proportion sont dites
séléniteuses. Les eaux de source de Saïda n'en renferment pas.
Chlorure de sodium. — Ce sel, très répandu dans la nature,
rend les eaux saumâtres au-dessus de 0 sr 80 par litre. Les
eaux de source de Saïda en renferment de 0 ?■' 04 à 0 ?"' 05 par
litre.
Sulfate de magnésium. — Ce sel très commun dans les
eaux d'Algérie exerce des efïets purgatifs nuisibles. Les eaux
de source de Saïda en renferment moins de 0 s'' 02 par litre.
Sels de fei\ de potassium et d'aluininimn. — Ces sels ne se
trouvent dans les eaux que par quantités infinitésimales. Les
eaux de source de Saïda n'en renferment pas.
Oxygène et acide carbonique. — La présence de ces gaz rend
les eaux sapides et digeslives.
Matières organiques. — Elles proviennent de la décompo-
sition des corps organisés ou de germes vivants ; ces eaux
doivent être exclues de l'alimentation. Les eaux de source
de Saïda n'en renferment pas.
§ L — Eaux de source
Les eaux de source de la région de Saïda sont fraîches
(i6 à 17° en tout temps) limpides, incolores et d'une saveur
légèrement salée ; elles renferment moins de 0 s'" 410 par litre
de matières salines normales à l'économie et la moitié environ
des quantités limites de chlore et d'acide sulfurique assignées
par le Comité consultatif d'hygiène à la catégorie des eaux
potables.
DE LA. RÉGION DE SAÏDA 445
La présence des matièrtvs organiques n'est pas décelée par
la méthode au permanganate de potassium.
Le degré liydrotimétrique élevé de ces eaux (47" en moyenne)
est dû à la présence de sels bicarbonatés de calcium et de
magnésium ; elles peuvent néanmoins servir sans danger à
l'alimentation et aux usages domestiques.
En résumé, les eaux de source de la région de Saïda sont
dures, cuisent mal les légumes et décomposent le savon ; ce
sont des eaux potables de médiocre qualité. A la suite de
pluies abondantes et prolongées la plupart des eaux de source
deviennent laiteuses par l'argile qu'elles tiennent en suspension
et qui provient de la pénétration directe d'eaux torrentielles
souillées dans les couloirs souterrains à la faveur de fissures
peu apparentes du sol ; on prétend mémo qu'au moment des
invasions de sauterelles, les eaux de la source Sultan roulent
des cadavres de ces acridiens à leur sortie de terre. Pour
remédier à ces inconvénients et pour approvisionner en tout
temps les habitants de Saïda en eau claire, la municipalité a
fait construire, en 1897, à proximité de la source, deux
immenses réservoirs pourvus de filtres.
Les résultats donnés par les analyses de l'eau des principales
sources des environs de Saïda et consignés dans le tableau
n» 1, page 450, permettent d'établir que:
1° Les eaux de toutes les sources de la région de Saïda, qui
ont une grande analogie de composition, ont la môme origine ;
2" Les eaux de source du vallon de l'Oued Nazereg, plus
chargées en sels bicarbonatés et chlorurés que les sources
échelonnées sur les bords de l'Oued-Saïda, fournissent une
course souterraine plus longue ;
3° La proportion en éléments minéraux des eaux recueillies
pendant l'année pluvieuse de 1895 est plus faible que celle des
eaux provenant des années de sécheresse suivantes.
§ IL — Eaux de puits
Les puits de Saïda sont creusés dans le quartenaire récent
constitué par des tufs calcaires, des argiles et des sables ; ils
ont une profondeur de 7 à 10 mètres. Le puits creusé en 1897
44G ESSAI SUR l'hydrologie et la géologie
par le Génie dans l'intérieur de la redoute est profond de
18 mètres. Le forage a atteint les marnes oxfordiennes situées
sous les tufs calcaires.
Les éléments minéraux dissous dans les eaux de puits varient
suivant la provenance de la nappe d'eau souterraine, qui peut
être :
1° Une déviation de la source Aïn-Sultan (puits de la
Redoute) ;
2° Une infiltration de l'Oued Saïda (puits Robert, situé dans
le bas quartier de la gare) ;
30 L'ne masse d'eau renfermée dans une poche souterraine
(puits Altrach).
La perméabilité du sol sur lequel est bâti Saïda facilite la
contamination de l'eau du plus grand nombre des puits par
l'infiltration des eaux d'arrosage, des eaux ménagères et même
des liquides putrides issus de fosses d'aisance non cimentées.
Aussi, faut-il considérer l'absorption de ces eaux comme la
cause déterminante des infections typhiques qui déciment
périodiquement la population et la garnison de la ville.
. L'intérêt de la santé publique exige le comblement des
puits dont les eaux seraient reconnues impropres à l'alimen-
tation. Cette œuvre d'assainissement entreprise partiellement
en 1898, avec la construction d'un réseau d'égoûts, a amené
une diminution notable dans la mortalité typhique ; en 1897,
on enregistrait 35 décès à la suite d'une violente épidémie sur
les troupes de la garnison et, en 1898, 3 décès seulement
sans épidémie déclarée.
L'analyse de l'eau des puits Robert et Altrach (voir le tableau
j\° 1) fait ressortir que les quantités de chlore et d'acide sulfu-
rique dépassent les maxima fixés par le comité consultatif
d'hygiène ; il en est de même pour le degré hydrotimétrique.
Nous donnons à titre documentaire (voir le tableau n^ 1),
l'analyse de l'eau des sources du Kreider et de Sfid. L'eau de
cette dernière source a la réputation méritée auprès des
Arabes, de guérir les bestiaux malades par absorption d'her-
bages nuisibles. Ce pouvoir curatif doit être atlribué à la
grande quantité de sels de magnésie que l'eau de Sfid tient en
dissolution.
DE LA RÉGION DE SAÏDA 4-i7
§ III. — Eaux thermales
La région de Saïda renferme deux sources thermales :
1° Eaux chaudes de Saïda ou petites eaux chaudes ;
2*^ Source d'Hamman-ouhl-Klialed.
I. — Les eaux chaudes de Saïda sourdent dans le lit même
de l'Oued Saïda, à hauteur de la ferme espagnole située à 800'"
au N. du moulin Flinois. La température au point d'émergence
est de 35" centigrades.
La proportion des éléments minéraux contenus dans ces
eaux (voir le tableau n^ 2, page 454) est sensiblement la même
que celle des eaux de l'Oued Saïda prélevées à hauteur du
pont du chemin de fer (Sud de Saïda) ; il faut en conclure que
les eaux de la rivière reçoivent dans la gorge du vieux Saïda
des sources d'origine thermale puisque l'eau d'Aïn-el-Hadjar
et d'Aïn-Piekhaït, qui alimentent l'Oued en amont, sont moins
minéralisées.
Les petites eaux chaudes sont utilisées par les indigènes
pour laver le linge.
II. — Les eaux d'Hamman-ould-Khaled sont situées à 7 ki-
lomètres au N. du village de Nazereg ; elles jaillissent à la
température de 45" centigrades au fond d'un bassin circulaire
en maçonnerie de 10 mètres de diamètre et de 2 mètres de
profondeur.
Ce bassin sert de piscine aux indigènes ; il est à moitié
comblé par de la vase infecte qui souille tout échantillon d'eau
prélevé et amène des différences sensibles dans l'évaluation de
la matière organique.
Les eaux d'Hamman-oul 1-Khaled, de même que les petites
eaux chaudes, peuvent être classées dans la catégorie des
eaux thermales chlorurées et sodiques.
Les Arabes les utilisent contre les douleurs rhumatismales.
La température élevée de ces eaux est l'indice de leur pas-
sage dans le voisinage de roches éruplives non refroidies et
l'explication de leur richesse en éléments minéraux dissous.
Le contact d'une eau souterraine avec la roche éruptive se
448 ESSAI SUR l'hydrologie et la GÉOLOfilE
produit par l'intermédiaire de failles ou fissures profondes qui
sillonnent tout terrain éruptif
Dans le principe, les courants d'eau qui se sont engouffrés
dans ces crevasses ont été aussitôt projetés au dehors à l'état
de vapeurs en occasionnant un refroidissement rapide des
parois surchauflëes ; plus tard, un état d'équilibre s'est établi
avec production de courants ascendants d'eau chaude et des-
cendants d'eau froide analogues à ceux qui s'établissent dans
toute chaudière.
Dans ces conditions l'eau de sortie est d'autant plus chaude
que l'orifice est plus rapproché de la source de chaleur.
Ces explications conviennent au cas de thermalité de la
source d'Hamman-ould-Khaled, dont le point d'émergence est
voisin d'un massif dolomitique reposant sur des roches érup-
tives qui se montrent à découvert au fond des gorges de l'Oued
Tifrit.
TABLEAU No 1.
A.]V.A.LYSES
DES EAUX DE SOURCES
(le Saïda et de ses environs
450 ESSAI SUR l'hydrologie et la géologie
Tableau n» 1. ANALYSES des eaux de source
DESIGNATION DES SOURCES
Aïn-oiim-Reckaït
(N. du cimelière d'Aïn-el-Hadjar)
Aïn-oum-Rekaït
Aïn-el-Hsdjar
(à SUU'" S.-O. du village)
Aïn-el-Hadjar
Source Maboul
(alimente la ville de Saîda)
Source Maboul
Source Maboul
Aîn-Nazereg
(a 1200" au S.-E de la ferme Solari)
Aïn-Nazereg
Aïn-Kerma -
(à 800- à rO. de la ferme Solari)
Aîn Kerma
Aïn-Kerboiida ...
(3 300" au S.-O . de la ferme Solari)
Trou aux Pigeons
(à 2000° au S.-E. de la ferme Solari)
Source Poirier
(à 500» a ro. de la ferme Ripou.x)
Source Poirier
Puits de la maison Robert
(rue Pasteur à Saîda)
Puits de la maison Altrarh
(avenue Gambetta, -41, à Saîda)
Aïn-Kreider
(sur le Chott)
Aïn-SfuI
.(voie ferrée de Marboum)
DATE
du
prélèvement
Novembre 1895
Septembre 1896
Novembre ISriô
Septembre 1800
Septembre 189.")
Novembre 1890
Mars 1897
Novembre 189.J
Juin 1890
Novembre 1895
Septembre 1890
Novembre 1895
Juin 1890
Novembre 1895
Septembre 1890
Kovembie 1895
Septembre 1890
.Mars 1S97
Mars 1897
1010"'
d»
1050°
d"
900-
.1°
d»
1010"
d»
91.5'"
d"
O.^O-
1025"
870"
d"
800"
850"
»
litres
25
h la seconde
d°
50
à la seconde
d"
40
h la seconde
d°
d»
100
à la seconde
d»
0
à la seconde
d»
8
à la seconde
d'
80
à la seconde
à la seconde
11
à la minute
1
1
17°
17°
10°
r.o
17°
10°
17°
10°
17°
10°
17°
10»
17»
10"
10°
20°
17"
46'
0g297
0.313
0.332
0.306
0.300
O.O:
0.370
0.405
0.il2
0.405
0.413
0.40
0.414
0.370
0.395
0.361
0.759
0.551
0.710
ELEME
0.237
0.2.50
0.245
0.278
0.281
0.298
0.289
0.309
0.320
0.308
0.315
0.311
0.323
0.300
0,319
0.210
0.498
0.245
0.125
■OS
0.014
0.015
0.018
0.019
0.018
0.017
0.017
0.015
0.01
0 015
0.01'
o.ol:
0.015
0.017
0.010
0.037
0.058
0.087
0.108
DE LA. RÉGION DE SAÏD\
î Saïda. et da ses environs
451
ERMlNÉS
COMPOSITION PROBABLE
OBSERVATIONS
»
a
X3
C
S
S. =
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s
S —
O 1,
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ô
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3
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O.OÔl
0.02'i
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»
0.025
»
0.023
0.142
0.107
La leclierclie ries matiè-
res oi';;;inii|ue.s par le pro-
cédé au permanganate de
087
0.052
0.02i
0.22:i
0.105
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0.027
»
0.023
0.1.55
0.108
pot^tssiLim n'adonné aucun
résultat. Ces eaux sont
exemples fie matières or-
^87
0.054
0.030
(1 . 225
0.157
))
0.013
0.017
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O.0i:-i
0.1.50
0.103
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0.00.".
0.031
0.238
0.102
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0.015
0.016
»
0.041
0.105
0.120
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0.21;
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0.012
0.017
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0.254
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0.005
0.024
»
0.03S
0.170
0.137
398
0.065
0.02S
0.2.72
O.IOG
»
0.010
0.018
»
0.038
0.175
0.129
lis
0.0G2
0.030
0.303
0.179
»
0.018
0.005
«
■ 0.0.53
0.211
0.118
120
0.004
0.031
0.308
0.193
»
0.01!
0.014
n
0.046
0.214
0.127
119
0.061
0.031
0.300
0.177
»
0.017
0.000
«
0.0.33
0.213
0.116
117
0.065
0.032
0.301
O.lOi
h
0.015
0.012
»
0.0.50
0.200
0.120
jll4
0.065
0.032
0.203
0.192
1)
0.015
0.009
»
0.053
0.201
0.126
[112
0.063
0.031
0.314
0 190
1)
0.011
0.014
»
0.0 4G
0.218
0.125
^00
O.OOi
0.02'i
0.273
0.104
»
0.010
0.019
»
0.030
0.180
0 128
112
0.0G7
0.020
0.28?
0.210
»
0.005
0.0-23
»
0.030
0.100
0.138
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O.O'iS
0.041
0.211
0.126
»
0.050
»
>
0.070
0.-40
0.083
187
0.118
0.081
0.48i
0.290
»
0.077
0.013
»
0.140
0.334
0.105
105
0.0Ô2
0.118
0.270
0.110
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0.018
O.oos
»
0.111
0.1 .S8
0.07.i
159
0.0S6
0.117
»
»
0.283
0.162
»
0.047
0.218
0.283
V)
Leaii (le Slid jouit de
propriétés ciiratives sur les
bestiaux ayant mangé de
mauvais lierbages.
TABLEAU N" 2.
.fVIVALYSES
DES EAUX THERMALES
(les environs de Saïda
454 ESSAI SUR l'hydrologie et la géologie
Tableau n» 2. ANALYSES des Eaux thermales
DATE
c
P
<a
ÉLÉMENTS
DÉSIGNATION DES SOURCES
du
prélèvement
'S
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<
O
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03 0)
•5 'S
< S
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11
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0)
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o
6
Novembre 1893
705"
300 litres
à la minute
3 o
52»
0g475
0.204
0.042
»
1
0.058 0.116
a 800" au N. du moulin Flinois)
Eaux chaudes de Saïda
Septembre 1890
d"
d°
uO"
51°
0.4G5
0.288
0.041
»
0.057
0.113
Eau (ie l'Oued Saïda :
(prise à hauteur du pont du cliemin de fer)
Mars 1807
835"
»
»
57°
0.4-JO
0.31G
0.030
»
0.039
0.107
Eaux chaudes d'Hauiman-ould-Khalpd
(a 7 k. au N. du villaKe de Nazereg)
»
9
»
»
»
»
B
»
»
»
1878
»
1.7C0
0.279
0.270
0.100
0.149
0.304
Analyse de M . Bailloud
1884
D
D
»
D
1.45
0.031
0.426
»
0.306
0310
Analyse de M. Lacour-Avmar
1891
»
»
45°
B
1.580
0.089
0.42i
O.OOi
0.41fi
0.300
Analyse de M . AzÉma
Novembre 1895
710"
450 litres
à la minute
45"
59°
1.830
0.350
0.481
0.001
0.380
0.3G4
Analyse de M. Azéma
Sept(imbrel896
d"
d°
45»
59°
1.830
0.31i
0.490
O.OOl
0.400
0.376
DE LA RÉGION DE SaIdA
455
des environs de Saïda
DÉTERMINÉS
COMPOSITION PROBABLE
.2
C
S)
09
ci
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0.026
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B
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0.606
B
»
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0.053
0.268
0.045
0.120
0.023
»
»
»
B
0.571
0.015
0.120
B
0.036
0.07:^
0.085
0.495
8
B
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0.420
0.001
FD
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»
»
B
B
0.342
0.270
0.177
0.002
B
B
B
0.640
0.472
B
U.ilSl
"
0.412
0.001
11.511
»
»
»
B
B
0.431
0.243
0.133
0.002
B
B
B
0.662
0.355
B
456
ESSAI SUR LHYOROLOGIE ET LA GEOLOGIE
OBSERVATIONS
Les résultats obtenus par M. Dechaux dans son analyse des
eaux d'Hamman ould Khaled diffèrent sensiblement pour
certains éléments minéraux de ceux trouvés dans les analyses
effectuées depuis 1878. Le tableau suivant fait ressortir ces
différences en prenant pour terme de comparaison la moyenne
des résultats acquis dans les analyses plus récentes.
ELEMENTS MINÉRAUX QUI DIFFÈRENT
RÉSULTATS
trouvés
par M. Dsehaux
Anhydi-ide sulfurique.. ..
Acide silicique
Chlore
Potasse (,>t Soude
0.'^76
0.100
0.149
0.53-3
MOYENNE
des nombres relevés
dans les analyses
postérieures
0.4.35
0.002
0.392
0.378
DIFFERENCE
— 0.179
+ 0.098
— 0.243
+ 0.15i
La composition probable de l'eau d'Hamman ould Khaled,
calculée par M. Bailloud, d'après les données de son analyse,
semble inexacte. La quantité de chaux entrant dans la compo-
sition du sulfate et du carbonate de calcium est de 0 ?■■ 270,
alors qu'elle a été trouvée de 0 fc'i'SlO. La quantité d'anhydride
sulfurique combinée au calcium, au magnésium et au sodium
est de 0 g-" 466 au lieu de 0 &'■ 426.
Des inexactitudes du même genre se retrouvent dans la
composition de l'eau donnée par M. Lacour Aymar. Ainsi :
L'anhydride sulfurique isolé de ses combinaisons — 0 g. 414 tandis que l'analyse donne 0 g. 424
Le chlore - ^ 0 389 - 0 416
La magnésie — = 0 OBO — 0 070
La soude - = 0 320 - 0 268
DEUXIEME PARTIE
GÉOLOGIE
GÉNÉRALITÉS
Envisagée quant à sa constitution géologique, la région de
Saïda appartient aux assises oolithiquesdu Jurassique inférieur
et moyen. Une classification plus rigoureuse des terrains n'a
pu être faite à causa de la pénurie des documents paléontolo-
giques résultant d'un nombre trop restreint d'observations.
On distingue dans cette région trois formations géologiques
bien déterminées.
La formation inférieure consiste dans une assise dolomitique
puissante à rattacher, malgré l'extrême rareté des fossiles, au
Bajocien et au BaUtonien du groupe ooUlhique inférieur ; cette
assise prédomine dans la partie E. de la région.
La formation moyenne est constituée par les marnes argi-
leuses callovo-oxfordiennes qui reposent en stratification
concordante sur la dolomie, composent la majeure partie du
sol agricole et sont recouvertes au N. E. de Nazereg par des
carapaces et des tufs calcaires.
Enfin, la formation supérieure comprend les bancs de
dolomie gréseuse de l'assise corallienne qui couronne les
sommets boisés des hauteurs au N. 0. de Saïda.
Les plans de ces trois étages sont inclinés dans le même
sens sur l'horizon avec un angle variable inférieur à 2''. Les
directions des inclinaisons par rapport à la méridienne sont
voisines d'un angle de 35''.
Si l'on considère une coupe du terrain, perpendiculaire à la
direction, dans laquelle la ligne AB représente une horizontale
et la hgne AC la trace de l'assise inférieure, on remarque
458
ESSAI SUR L^HYDKOLOÛIE ET LA GEOLOGtË
que la disposition des assises affecte la forme d'un segment de
cercle BAC dont l'angle A est inférieur à 2°. Il existe un
anticlinal vers le centre A et un synclinal vers la circonfé-
rence BG.
tù'c/inaX
^
Sync/îha/
^oco'^
L'assise Bajoco-Bathonienne de la formation inférieure se
montre à découvert dans leivoisinage de l'anticlinal et plonge
ensuite sous les couches supérieures.
L'épaisseur des sédiments augmente à la périphérie.
Il est probable que la région de Saida occupe la partie
médiane d'une ondulation générale du sol, mesurant plus de
80 kilomètres de largeur ; son anticlinal est situé vers le S. E.
à la limite méridionale du plateau des Hassasna et son synclinal
vers le N. 0. peut-être sur le thalweg portant successivement
les noms de Oued Taourira, Séfioum et Haoumet. C'est pendant
la formation du Jurassique moyen que le sol, sollicité par des
pressions latérales dues à la contraction de l'écorce terrestre,
s'est abaissé lentement vers le synclinal en oscillant autour
de l'anticlinal.
Pendant ce mouvement, la surface de chaque assise ne s'est
pas maintenue rigoureusement plane, il s'est formé des
plissements d'une importance secondaire qui, s'ils n'ont pas
atténué la direction générale du sol, ne l'en ont pas moins
influencée.
L'Oued Saïda, en amont de cette ville, coule dans une vallée
de plissement de cette catégorie comme nous le démontrerons
plus loin.
DE LA RÉGION DE SAÏDA 459
CHAPITRE PREMIER
Stratigraphie
§ I. — Assise Oolithique inférieure
L'étage oolithique inférieur est susceptible d'un bon examen
dans les escarpements du bord oriental du cirque de Saïda et
principalement à 300 mèlres en amont du pont du chemin de
fer, point où l'Oued Saïda, à peine sorti de l'étroite gorge du
vieux Saïda, change de direction vers l'O.
La formation se montre dans toute sa puissance sous l'aspect
d'une falaise de roches dolomitiques de 60 mètres de hauteur ;
elle repose sur une couche de marnes rouges ou rosées de 10 à
20 centimètres d'épaisseur qui la séparent d"un épais banc
calcaire appartenant probablement au lias supérieur.
Ce banc est visible sur une trop faible étendue dans le ravin,
qui du dépôt des Haras aboutit au coude de la rivière, pour
être étudié.
L'assise doloraitique a été classée dans les étages Bajocien et
Bathonien par analogie avec des formations similaires plutôt
que par la détermination des fossiles qui y sont extrêmement
rares.
Le plan de séparation entre le Bajocien et le Bathonien
semble se trouver à demi épaisseur de l'assise sur la ligne
marquée dans les escarpements latéraux du ravin de Baiel par
un banc rocheux rose ou marbré de rose situé à la partie
supérieure du talus de raccordement entre le fond du ravin et
la paroi rocheuse verticale du haut de la falaise.
460 ESSAI SUR l'hydrologie et la géologie
La roche rosée est compacte, dure, pétrie de stylines
à la partie supérieure et composée des éléments minéraux
suivants :
Carbonate de calcium 709
Carbonate de magnésium 233
Oxyde de fer 18
Alumine 9
Silice 9
Eau 22
Cette roche est une dolomie calcarifère renfermant une pro-
portion double de carbonate de calcium et une petite quantité
d'oxyde de fer et d'argile.
L'observation peut aisément se faire dans une vaste anfrac-
tuosité delà roche placée au confluent du ravin de Raiel et de
son premier affluent de droite.
Il convient d'englober dans l'assise Bajoco-Bathonienne les
argiles bariolées et brunes qui reposent sur la dolomie. Les
argiles brunes contiennent, en effet, des empreintes de posi-
domies associées à des ammonites de 6 millimètres de diamè-
tre indéterminables. Ce fait a été signalé par M. Velsch, dans
la thèse qu'il a publiée en 1892. en donnant la description des
sédiments placés à la base du Djebel-Irnem (rive gauche de
l'Oued Saida).
Nous avons trouvé ces mêmes espèces dans les argiles ligni-
teuses et schisteuses extraites à 18 mètres de profondeur du
puits creusé, en 1897, par le Génie dans la redoute de Saïda
(rive droite de l'Oued Saïda),
Description de l'étage Bajoco-Bathonien
La formation Bajoco-Bathonienne a une épaisseur variable
de 50 à 80 mètres. Le banc dolomitique se subdivise en un
grand nombre de strates parallèles, assez bien définies et
d'épaisseur variable de 30 centimètres à 2 mètres.
La structure de la roche est cristalline ou compacte ; sa
cassure est blanche, grise ou gris rougeàtre ; sa composition
minéralogique est :
1)K LA RÉC.ION' DE SAÏUA ^bl
Carbonate de calcium 536
Carbonate de magnésium 420
Oxyde de fer 20
Silice 14
Eau 10
C'est de la dolomie proprement dite renfermant une petite
quantité d'oxyde de fer et de silice.
Les parties superficielles de la roche inégalement rongées
par l'action dissolvante de l'eau météorique sont parsemées
d'aspérités dites Tètes de Chat d'un parcours difficile et de
cavités remplies d'une argile ferrugineuse dont la couleur
rougeâtre se distingue au loin. Ces terrains produisent une
maigre végétation de plantes et d'arbustes résineux.
La couche d'argile bariolée, placée au-dessus de la dolomie,
présente des teintes rougeâtres et grisâtres. Cette argile est
assez pure et exploitée pour la fabrication de briques. L'épais-
seur du banc varie de 2 à 3 mètres.
Au-dessus de l'argile bariolée s'étage une autre couche
d'argile brune plus ou moins marneuse dans laquelle s'inter-
calent de petites zones d'un calcaire plus ou moins argileux
et schisteux se divisant en minces plaquettes. L'argile du
sommet de la couche renferme d-îs empreintes de posidomies
et des ammonites indéterminables par leur exiguité ; quant
aux zones à plaquettes, elles se multiplient à la partie supérieure
du sédiment et sont recouvertes d'empreintes de processus de
nérinées. Ces plaquettes sont particulièrement nombreuses sur
le revers occidental du Djebel Irnem.
Les argiles à posidomies extraites du puits creusé par
le Génie dans la redoute de Sa'ida ont * la composition
suivante :
Carbonate de calcium 82
Carbonate de magnésium 17
Oxyde de fer 166
Alumine 191
Silice 457
Eau 87
Cette argile est un silicate d'aluminium et de fer hydraté
462 ESSAI SUR l'hydrologie et la géologie
renfermant une faible proportion de carbonate de calcium et
de magnésium.
Les plaquettes à processus de Nérinées recueillies sur le
versant 0. du Djebel Irnem ont la composition suivante :
Carbonate de calcium 629
Carbonate de magnésium 10
Oxyde de fer 60
Alumine 30
Silice 246
Eau 25
ce sont des calcaires siliceux un peu argilitiques.
Physionomie du terrain
La dolomie prédomine dans toute la région orientale de
Saïda où la chaîne des hauteurs oxfordiennes de K' Tine,
Djebel el Hassem et Doumat Kebach ne la recouvre que partiel-
lement. Le plan incliné, déterminé par le banc dolomitique,
présente une direction angulaire de 35'' avec la méridienne et
un plongement inférieur à 2>'. Le banc disparaît, en amont de
Saïda, sur les bords de l'Oued Saïda et, en aval, à plus de
11 kilomètres de la rive droite du même Oued. Dès lors,
l'observation du développement souterrain de la dolomie n'est
plus possible ; mais d'après la stratigraphie générale des
couches géologiques visibles et l'inclinaison d'un lambeau
dolomitique à découvert dans le petit vallon de Ch* Hamra,
il est présumable que la dolomie plonge sous les hauteurs de
la rive gauche de l'Oued Saïda sans modifier son inclinaison
primitive.
Cependant, nous déduirons l'existence d'un léger plissement
de la dolomie dans la partie haute de la vallée de l'Oued Saïda,
en amont du marabout de Sidi-Maamar, d'après les considé-
rations suivantes :
Le b.<nc dolomitique avant de dispai-aitre sur les br.rds de
cet Oued (direction du synclinal) prend une inclinaison plus
grande ; la rive gauche du cours d'eau est bordée par les
collines de Tinanarine et de Louachim qui indiquent un
DE LA RÉCION DE S AIDA 463
anliclinal ; enfin, plusieurs sources, dont deux abondantes,
n'ont leur raison d'être à proximité de la rivière que si un
plissement ayant rapproctié les assises du sous-sol a mis
obstacle à Técoulement des oaux souterraine?.
Bien diflereiite est la cause qui lait jaillir aux confins
apparents du banc dolomitique les nombreuses et abondantes
sources du cirque de Saïda et du vallon do l'Oued Nazereg ;
c'est ici une taille locale, de direction perpendiculaire au
courant des eaux souterraines, qui a fait office de digue. Les
eaux, après s'être accumulées dans la faille, se sont fait jour
au dehors en utilisant les fissures des roches et en pratiquant
par leur pouvoir de dissolution sur les roches calcaires de
nouveaux seuils 'd'évacuation.
Les argiles bariolées immédiatement supérieures à la dolomie
se rattachent, avons-nous dit, à la formation bathonienne
inférieure plutôt qu'à la formation callovo-oxfordienne supé-
rieure. Ces argiles peuvent être observées sur de nombreux
points :
Soubassement oriental du D. Irnem ;
Déblai de la voie ferrée au sommet de la cote de crève-cœur
(route de Saïda à Aïn-el Hadjar) ;
Escarpement occidental de la Mouna (Cht Kirichi) ;
Rive droite du ravin Ch^ Kirichi en aval du chemin de
grande communication n° 48.
Les avgiles bariolées n'offrant aucune résistance aux agents
atmosphériques, ont été entamées dans les mêmes conditions
que les marnes oxfordiennes supérieures en découvrant la
dolomie sur de larges espaces. Aussi, au premier aspect, ces
sédiments de la base des hauteurs oxfordiennes semblent faire
partie intégrante de cette formation.
Age géologique
M. Pomel, dans son ouvrage sur la description stratigraphi-
que de l'Algérie, pubhé en 1889, classe la formation dolomiti-
que sur l'horizon de la grande oolithe en reconnaissant qu'il
est impossible d'en resserrer de plus près la classification par
le manque de fossiles.
464 ESSAI SUR L*HYDR0L0GIE ET LA GEOLOGIE
M. Velsch, dans sa thèse de 1892, rattache la même assise
au bathonien, sans produire de preuves.
M. Fischeur, dans sa noie publiée le 20 mai 1893 el inséi-ée
au Bulletin de la Société Géologique de France, considère la
couche de calcaires plus ou moins dolomitisés des terrains
jurassiques du massif de Bou Thaleb, comme présentant la
plus grande analogie avec les assises du même âge de Saïda.
Ce géologue, d'après les rares fossiles trouvés par M. Brossard,
rapporte l'âge de la dolomie au Bathonien ou au Bajocien.
§ II. — Assise Callovo-Oxfordienne
L'assise callovo-oxfordienne repose en stratification concor-
dante sur la formation Bajoco-Bathonienne et possède, à peu
près, son inclinaison. L'épaisseur de l'assise augmente pro-
gressivement du S. E. vers le N. 0.
La délimitation entre le callovien et l'oxfordien ne peut être
établie parce que les fossiles particuliers à ces deux étages
sont confondus dans un banc calcaréo-groseux, situé à la base
de la formation. Ce banc de couleur jaunâtre mesure de 20 à 30
centimètres d'épaisseur.
Fossiles caractéristiques
Les fossiles que nous avons recueillis sur les divers points
de la région indiqués sur la carte, sont :
,' Beineckeia anceps ; d'Orb.
N. 0. de la base de la l Périsphinctes Bakeriœ ; d'Orb.
montagne carrée \ Neumayria oculata.
près ) Hecticoceras lunula ; Zieten.
du village deNazereg [ Périsphinctes plicatilis ;
\ Ammonites du genre Adelœ; d'Orb.
[ Beineckeia anceps (fragments).
Cimetière arabe à l'E. ] Slephanoceras coronalus ; Schol.
du D. Irnem ) Ammonites Lalandeanus ; d'Orb.
( Fragments de Bélemnites,
DE LA RÉGION DE SAÏDA 465
Moulin Flinois ; route
de Dayu ; chemin lic
la loi-nie Pardiès
à la roule de Ta^remaret
Dans le voisinage des deux pre-
miers points on recueille de nom-
breux fragmenls de Reineckeia an-
ceps ; au troisièmes point on tr'ouve
des échantillons complets mesurant
jusqu'à 30 centimètres de diamè-
tre.
Description de l'étage
La puissance moyenne de la formation est de 250 mètres ;
elle est constituée par des sédiments argilo-inarneux présen-
tant à la base 3 ou 4 bancs rocheux superposés, parallèles et
équidistants de 25 mètres environ.
Le banc rocheux inférieur est un grès psammite de 30 à 40
centi mitres d'épaisseur, devenant ocreux après une longue
exposition à l'air ; sa composition est :
Carbonate de calcium 190
Carbonate de m:ignésium 17
Oxyde de fer 87
Silice 692
Eau 14
Nous avons trouvé dans des fragments provenant du banc
qui coupe le chemin vicinal n° 7 (voir la carte) des empreintes
d'ammonite, d'oursin, des fragments de liges d'encrines et de
petits bivalves.
Les bancs rocheux supérieurs sont calcaréo-grèseux avec
un à 2 mètres d'épaisseur ; ils s'exploitent comme pierre
à bâtir.
Ces roches ont préservé on partie de l'érosion les marnes
inférieures et constitué, à la base des hauteurs de la rive gauche
de l'Oued- Saïda, de vastes paliers cultivables.
Les sédiments argilo-marneux présentent généralement une
teinte bleue cendrée, qui peut devenir accidentellement rouge
intense (versant N. E. de l'Abd-el-Krim) ; on y rencontre de
volumineux cristaux de gypse.
466 ESSAI SUR l'hydrologie et la géologie
Presqu'au sommet de l'assise se développe une mince couche
(2 à 3 centimètres) de marne ferrugineuse silicifiée et fortement
teintée de rouge ou de jaune dont la composition est :
CarJ3onate de calcium 169
Carbonate de magnésium 24
Oxyde de fer '. . 494
Alumine 49
Silice : 152
Eau 112
Cette marne so fragmente à l'air en petits prismes, qui,
entraînés par les pluies, se répandent sur les pentes infé-
rieures. Un de ces fragments contenait un moule interne
de bivalve.
Physionomie du terrain
Les terrains callovo-oxfordiens recouvrent la plus grande
partie du territoire Ouest de Saïda où ils constituent le sol
agricole.
Les collines du Djebel-el-Hassen, Doumat et Kebach appar-
tenant à la même formation et situées au S. E. de Saïda sont
les vestiges de sédiments qui s'étendaient primitivement
jusqu'aux hauteurs de la rive gauche de l'Oued Saïda et qui
témoignent de l'importance des dénudations opérées par les
agents atmosphériques.
§ IIL — Assise Corallienne
L'assise corallienne repose en stratification concordante sur
l'assise callovo-oxfordienne et s'en distingue assez nettement
par un faciès particulier et des fossiles spéciaux ; son
inclinaison est aussi grande que celle des couches infé-
rieures et son épaisseur augmente progressivement du S. E.
vers le N. 0.
dl: la région de saïda 467
Fossiles caractéristiques
Une espèce non déterminée.
, Térébratules . tt n- ^ n • o
Sommet de la < Un Dictyolhyris ?
montagne
carrée
prèsNazereg 1 Spongiaires;
(Voir la carte) ' Peignes ;
Un Echinobrissus ?
Oursms . . jjj^ Glypticus Burgondiacus
(csiièce coraimiiie au callovicc)
\ Limes.
Sommet du i Astrocœnia ;
D. Irnem ' Montivaulties à base large et à base pé
(Voir la carte) j donculée.
Les échantillons recueillis sont déformés et difficilement
déterminables.
Description de l'étage
La puissance moyenne de la formation est de 150 à 200 mè-
tres. Cette assise est constituée par des marnes argileuses
coupées par des bancs rocheux de 5 à 10™ d'épaisseur et équi-
distants de 50 mètres environ. Cliaque banc rocheux est cons-
titué à la base par du calcaire gréseux légèrement magnésien
passant à la dolomie compacte dans le haut de la roche. Les
intempéries en efïVitant la base provoquent la chute d'énormes
quartiers de pierre qui se brisent et jonchent de leurs débris
le pied des pentes de la ujontagne. La composition minéralo-
gique du calcaire gréseux situé à la base du banc rocheux le
plus bas du corallien (montagne carrée) est :
Carbonate de calcium 830
Carbonate de magnésium 108
Oxyde de fer - 7
Alumine 12
Silice 18
Eau 25
C'est un calcaire dans lequel la proportion de magnésie entre
pour l/7e et renfermant un peu d'argile et d'oxyde de fer,
468 ESSAI SUR l'hydrologie et la géologie
Dans l'Abd-el-Krim les bancs rocheux sont très apparents
sous l'aspect de routes nouvellement tracées ; dans le Tiber-
guent ils sont peu visibles au milieu des bois de pins ; enfin
dans les environs de Franchetti la formation apparaît dans
toute sa puissance.
Physionomie du terrain
Les terrains coralliens placés à 1,000 ou 1,100 mètres d'alti-
tude, couronnent les hauteurs à l'O. de Saïda. Les bancs
rocheux de cette formation ont préservé dans une certaine
mesure les flancs des hauteurs contre les dénudations exer-
cées par les agents atmosphériques.
§ IV. — Carapaces calcaires et Tufs calcaires
Carapaces calcaires. — Les carapaces calcaires, très com-
munes en Algérie, sont des concrétions qui se forment à la
surface du sol sous l'influence de son excès d'humidité.
Ces concrétions consistent en un calcaire crayeux, plus ou
moins dur, atteignant souvent plusieurs mètres d'épaisseur et
comprenant dans sa masse des zones irréguliôres de quelques
centimètres d'épaisseur d'un calcaire cristallin et des débris
arrachés aux terrains sur lesquels elles se sont formées.
La carapace s'épaissit constamment car elle est produite par
l'évaporation rapide, sous un soleil ardent, des eaux chargées
de sels calcaires qui filtrent à la surface du sol par capillarité
ou qui s'y répandent dans le voisinage des sources.
Les carapaces appartiennent à toutes les époques géolo-
giques ; il s'en forme encore de nos jours.
Les marnes oxfordiennes, situées au N. E. de Nazereg et au
S. de Saïda et voisines de points d'émergence d'eaux souter-
raines, sont couvertes de carapaces épaisses qui sont exploitées
sur plusieurs points pour la tabrication de la chaux à bâtir.
Tufs calcaires. — Les tufs sont des dépôts calcaires que les
eaux souterraines abandonnent à peu de distance de leur point
d'émergence. Ce calcaire provient du carbonate de calcium
devenu hbre par la décomposition spontanée à l'air libre du
DE LA RÉGION DE SAÏDA 469
bicarbonate de calcium dissous dans ces eaux. Le carbonate,
sel moins soluble que le bicarbonate, se dépose et l'acide
carbonique rendu libre se dégage. Nous avons vu que celte
décomposition ne pouvait s'efïectuer dans le trajet souterrain
parce que l'eau se trouvait en contact constant avec une atmos-
phère aussi riche en acide carbonique que l'eau elle-même.
Le dépôt calcaire se dispose généralement en forme dégaine
autour des objets immergés, tels que mousses, herbages,
racines, etc. . . Après la décomposition de la matière organique
interne, la masse calcaire présente des cavités caractéristiques
qui, se remplissant avec le temps, rendent le calcaire compacte
et forment les travertins.
Les tufs calcaires contiennent de nombreuses empreintes
des végétaux contemporains à leur formation.
Les dépôts de la source Sultan et ceux qui couronnent le
mamelon situé au quartier nègre de la route de Nazereg
renferment des empreintes de feuilles provenant de vigne
vierge et de roseaux.
11 existe des masses considérables de tufs calcaires à proxi-
mité des sources de Nazereg, du Poirier et de Sultan ; les
maisons de Saïda sont construites sur un immense dépôt formé
far la dernière source. On ne remarque que peu ou point de
tuf dans le voisinage des autres sources, ce qui indique une
origine bien plus récente.
Tous ces tufs appartiennent au quaternaire récent parce
qu'ils se continuent actuellement, que leur structure est
caverneuse, que leurs fossiles appartiennent à des végétaux
contemporains et qu'ils n'ont subi aucune dislocation du fait
des éruptions locales.
Bien plus anciens sont les tufs calcaires à structure compacte
de la zone élevée du Djebel Amrous et de ses contreforts. Ils
représentent les vestiges d'une épaisse couche déposée autre-
fois sur des plateaux qui fermaient la vallée de l'Oued Saïda
en reliant les hauteurs de la rive droite de ce cours d'eau aux
collines de la rive gauche. Alors, les sources jaillissant à un
niveau plus élevé inondaient df vastes plaines dont il ne reste
aujourd'hui que des lambeaux épars constitués par les contre-
forts entre l'Oued Saïda et son affluent l'Oued Nazereg.
470
ESSAI SUR l'hydrologie ET LA GÉOLOGIE
TABLEAU DES
LÉGENDE GÉOLOGIQUE
C3
ce
CD
DC
LU £
TERRAINS
ÉTAGES
SOUS-ÉTAGES
O
ce
UJ
«t c:
D. "
-UJ
PRINCIPAUX FOSSILES
Moderne
D
Alluvions
»
n
7>
Quartenaire
Tufs calcaires
q
»
Empreintes de feuilles et de roseaux
Tertiaire
!
Carapaces calcaires
Tufs calcaires
p
p
»
»
1)
( Espèce non déterminée.
Térèbratules <
( Dictyothyris ?
Oolithique
supérieur
Corallien
1
Bancs dolomitiques gréseux
Je
150
c Echinobrissus ?
Oursins ]
( Giypticus Burgondiacus?
Astrocœnia; Montivaulties
Peignes, limes, spongiaires
1
Marnes bleues cendrées
150
Empreintes d'ammonites et d'oursins
1
\
Oxfordien
Grès pszmmite
Encrines et biva «3S
Rsineckeia anceps; Périsphinctes
Oolithique
Jo
1
Backeriœ et Plicatiiis; Neumayria
moyen
Banc gréseux
1 oculata ; Hecticoreras lunula
Fossilifère
100
, Ammonites Adelœ et Lalandeanus
1
Callovien
Stephanoceras coronatus
\ 1
^ Marnes brunes
Fragments de Bèlemnites
\
Plaquettes à processus de nèrinèes
Posidomies et ammonites très petites
Oolithique
inférieur ^
1 1
' Bathonien
) i
Argiles bariolées
1
Jb
80
»
Bajocien '
Banc dolomitique
Stylines et Polypiers
Lias
supérieur
Toarcien
Marnes liasiques rouges
1
2
»
DE LA REGION DE SAÏDA
471
ASSISES GÉOLOGIQU ES
LÉGENDE MINÉRALOGIQUE
NATURE DES ROCHES
Terres argileuses
Tut concrètionnè caverneux
Concrétions calcaires crayeuses
Concrétions calcaires compactes
Sédiments argilo marneux bleus cendrés alternant avec
d'épais bancs de dolomie gréseuse devenant calcarifère
à la base.
Sédiments arçilo marneux bleus cendrés av3c bancs de
calcaire grèsejx dont le plus bas est de grès psammite,
MINÉRAUX ACCIDENTELS
Calcaire gréseux jaunâtre
Harnis ligniteuses avec plaquettes
Calcaire siliceux argilitique
Argile ferrugineuse
Dolomie ocmpacte et cristalline
Dolomie calcarifère
Argile calcarifère et ferrugineuse
Calcaire grès compacte
Rognons de silex
Gypse (cristaux volumineux)
MATERIAUX UTILES
aux Arts, à l'Industrie, à l'Agriculture
ouches ûe galène et de limonite par
èpigénie de pyrite
Filons de barytine
Pierre à bâtir gèlive
Chaux grasse
Chaux maigre grise
»
Moellons gèlifs
Matériaux d'empierrement
Moellons calcaires de bonne qualité
Grès pour meules
Moellons qélifs
Argile tègufaire
Matériaux d'empierrement
472 ESSAI SUR l'hydrologie et la. géologie
CHAPITRE II
Tectonique
Particularités sur les terrains Pjajoco-Bathoniens
La carte géologique indique d'un gros trait deux failles
locales qui sont probablement contemporaines et le résultat
d'un même phénomène dynamique. La plus importante com-
mence près de la colonne Lamoricière, s'étend vers l'E. par
le champ de tir, le camp romain et Aïn-Nazereg et se termine
à la limite du bassin de l'Oued Saïda, c'est-à-dire au col
traversé par le chemin de grande communication n" 48. La
seconde qui semble le prolongement de la première, se déve-
loppe autour du D. Irnem en décrivant une vaste courbe dont
les extrémités sont appuyées à l'E. au D. Amrous et à l'O. au
moulin Flinois. Le terrain compris dans la courbe se nomme
Cirque de Saïda.
Le tracé curviligne de ces failles, le peu de netteté des
surfaces de séparation, la présence d'eaux de sources abon-
dantes au niveau le plus bas du denivellement indiquent que
le fléchissement du sol est lié à l'érosion des eaux plutôt qu'à
des actions le rattachant de près ou de loin à la dynamique
interne.
Cette dernière cause ne saurait être absolument écartée; il
existe, en etfet, des roches éruptives non loin de là, puisque
les marnes des gorges de l'Oued Tifrit ont été métamorphisées
à leur contact. Si une éruption s'est manifestée, probablement
à l'époque tertiaire, à moins de 25 kilomètres de Saïda, n'est-il
pas rationnel d'admettre que ses effets se sont étendus jusqu'à
cette région? On peut également admettre l'hypothèse d'un
effondrement de voûtes pratiquées par les eaux souterraines
dans un sol déjà disloqué sous l'intkience de roches cristallines
issues des profondeurs. Quoiqu'il en soit, la première faille
résulte de l'alfaissement du terrain sur la lèvre septentrionale.
DE LA RÉGION DE SAÏDA 473
Le maximum du denivellement atteint 60 mètres, c'est-à-dire
toute l'épaisseur du banc dolomitique, entre les gorges de
l'Oued iMessaour et Aïn Nazercg. (Voir la coupe n" 1.) La
situation de la hauteur voisine, cotée 1000, en atteste l'impor-
tance. Cette croupe prolongeait autrefois la colline de Meriem
restée à son niveau primitif; actuellement la roche dolomitique
du camp romain domine au S. les marnes oxfordiennes du
sommet de la coupe iOOO, ce qui est anormal. (Voir la coupe
no 1, page 482.)
La discordance entre les strates situées sur les deux lèvres
de la faille détermine les eaux souterraines, glissant sous la
dolomie et venant du S. E. par l'elïet de l'inclinaison des
couches géologiques, à se rassembler dans la faille pour jaillir
à proximité sous forme de sources ; mais l'action dissolvante
de ces eaux chargées d'acide carbonique sur les roches calcaires
baignées amène un abaissement constant du niveau de l'eau
et la formation de nouveaux seuils de sortie de plus en plus
abaissés. C'est à cette cause qu'il faut attribuer la l'ormation
des sources qui sourdent à plusieurs kilomètres de la faille,
dans la vallée de l'Oued Nazereg et la diminution lente et pro-
gressive du débit des sources situées dans la zone la plus élevée.
Le cirque de Saïda est pour certains géologues un bas fond
de la mer oxfordienne et la ceinture de roches environnantes
une falaise de la même mer. Les sédiments du D. Irnem
se seraient déposés dans ce bas fond de la même manière que
ceux des hauteurs voisines de même origine sans qu'il se soit
produit de faille.
M. Velsch estime, au contraire, qu'une faille s'est formée
postérieurement au dépôt de l'oxfordien. Pour nous, le cirque
avec sa ceinture de falaises est le résultat d'un fléchissement ac-
cidentel du sol causé par l'atiouillement des eaux souterraines.
Le D. Irnem, miné à la base vers TE., a participé au
mouvement d'atïaissement, aussi, les plans déterminés par les
divers sédiments de cette élévation sont à une altitude infé-
rieure de 60 mètres environ aux plans correspondants des
hauteurs voisines. (Voir la coupe n° 2, page 474).
L'examen des hautes falaises du cirque permet de constater
que :
474 ESSAI SUR l'hydrologie et la géologie
A l'Est. — Les strates de la dolomie et de l'éperon du vieux
Saïda ont une pente normale et que la falaise a été produite
par une cassure nette de la roche.
A l'Ouest. — Le plissement des couches dolomitiques au S.
du moulin Flinois indique un mouvement de torsion suivi de
rupture par défaut de flexibilité de la roche.
Au Sud. — Les assises gréseuses oxfordiennes n'ont subi
que de légers déplacements en raison de leur situation sur
une ligne qui a été la charnière du mouvement.
Les trois coupes, ci-après, exécutées d'après le profil
A. B. G. D. E. (Voir la carte) aux divers moments qui ont pré-
cédé, accompagné et suivi la formation du cirque de Saïda
faciliteront la compréhension de notre hypothèse.
Coupe N'^î. — Configuration du Terrain avant le fléchissement
Le banc dolomitique se prolonge sans interruption du bord
oriental au bord occidental du cirque. Les pians déterminés
par les divers sédiments du D. Irnem correspondent, en tenant
compte de l'inclinaison, aux plans des couches similaires de
l'Abd-el-Krim, montagne la plus voisine à l'O.
Coupe N° 2. — Configuration du Te.rain après le fléchissement
Le travail des eaux souterraines a produit d'immenses cavi-
tés sous le banc dolomitique ; puis les voûtes ont cédé en en-
traînant le sol extérieur et en ouvrant de larges crevasses sur
les contours de la zone d'affaissement. Toute la partie E. du
D. Irnem a participé au mouvement général et le sommet
de cette hauteur s'est abaissé de 60 ■" environ.
Coupe AT" S. — Etat actuel du Terrain
Les agents atmosphériques ont élargi et approfondi les
crevasses, raviné et corrodé les pentes, enlevé et détruit les
quartiers de roches ébranlé ■;. L'éperon du vieux Saïda, compris
entre deux crevasses qui se coupent bOus un angle aigu, reste
isolé et les couches rocheuses de son soubassement semblent se
prolonger sans transition sous les argiles bariolées du D. Irnem
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de la région de saïda 475
Particularités sur les terrains callovo-oxfordiens
Les sédiments oxfordiens portent rempreinte de secousses
violentes du sol.
Dans l'Abd-el-Krim et son contrefort le Kerdad on relève la
trace de trois coupures perpendiculaires à la ligne de faîte.
Les hauteurs de Siour et de Menha, autrefois réunies, ont
été séparées par une convulsion du sol. . ■
Particularités sur les terrains coralliens
Le plateau couronnant les hauteurs de K' Tine, Djebel-el-
Hassem, Doumat et Kebach (S. E. de Saïda) est formé de
graviers et de sables mélangés à des fragments de dolomie, de
calcaire, de silex et à des globules de limonite. Cette consti-
tution hétérogène présente quelque analogie avec la nature
des éléments répandus dans les grès friables de la base du
Corallien ; l'on peut donc rattacher ces terrains avec d'autant
plus de certitude à cette formation qu'ils se trouvent par leur
altitude à 1150 mètres sur le prolongement du plan inférieur
de l'assise. Ce serait un rivage de la mer corallienne ou les
débris roulés des formations antérieures, remaniés et en partie
dissous par les eaux météoriques, n'auraient laissé à la surface
que des fragments peu solubles et principalement des rognons
de silex. Quant aux calcaires lithographiques, qui se montrent
sur quelques points, ils ont été formés à l'intérieur du sol par
les eaux de pénétration tenant en dissolution le calcaire des
couches superficielles.
Il est évident que l'hypothèse d'une formation postérieure
au Corallien doit être écartée, car tout dépôt de ce genre
aurait recouvert les sédiments voisins plus anciens et par
conséquent la dolomie de la rive droite de l'Oued Hadjar.
La disposition et la composition de ces terrains peut être
étudiée avec fruit dans la large brèche qui sépare le K^ Tine
du Djebel-el-Hassem.
476 ESSAI SUR l'hydrologie et la géologie
Nous avons expliqué dans l'Hydrologie la présence de
quelques sources temporaires situées à la base de ces terrains
par la facilité avec laquelle les matières désagrégées qui le
composent se laissent pénétrer par l'eau météorique et la
propriété qu'elles possèdent de la retenir dans les interstices
de leurs éléments.
DE LA RKGION DE SAÏDA 477
CHAPITRE III
Géomorphogénie
Caractère des hauteurs
Au moment de Témergence du sol de Saïda au-dessus des
mers secondaires, fait provoqué par le soulèvement lent et
progressif de l'écorce terrestre, ou par le retrait des eaux dans
des abimes plus profonds, ce sol était formé de couches sédi-
mentaires uniformément disposées et plissées en de larges
ondulations. Aussitôt l'action des agents atmosphériques inter-
vient et l'eau météorique, le plus actif, ravine, dénude et ravage
les couches sédimentaires en faisant sentir ses principaux,
effets sur les lignes de plus faible résistance. Les eaux s'intro-
duisent aussi dans le sol à la faveur des fissures et, par un
travail incessant de dissolution sur les roches inférieures, pré-
parent l'effondrement de vastes territoires. L'immense dénu-
dation effectuée par les eaux pendant des siècles met à
découvert les couches inférieures du sol et prépare au géologue
un immense champ d'observation qui lui permettra de recons-
tituer l'histon-e du globe et des êtres qui s'y sont succédé. La
région de Saïda formée de sédiments argileux tendres, friables
et facilement délayables alternant avec des bancs rocheux durs
et compactes a reçu sous l'influence de l'usure du temps un
faciès particulier.
Nous avons vu que le sommet des hauteurs de la rive gau-
che de l'Oued Saïda était couronné par les bancs rocheux du
corallien sous forme de hauts plateaux à bords escarpés. Ces
roches, par leur résistance aux intempéries, ont constitué un
toit protecteur aux assises inférieures.
Le sédiment de marne argileuse situé immédiatement au-
478 ESSAI SUR L'ilYDROLOGIli ET LA GÉOLOGIE
dessous, entamé à mesure que les bords du toit s'écroulent
n'offre de tous cotés que des talus à pentes raides.
Le second banc rocheux placé sous la marne, ayant été plus
longtemps protégé que celui du sommet, offre une surface plus
large et constitue un premier gradin.
Il en est de même pour tous les autres bancs rocheux jus-
qu'à la base do la moniagne, chacun d'eux constituant un
gradin ; en sorte que les lianes de la montagne sont disposés
en terrasses successives du sommet à la base.
Les talus escarpés correspondent aux sédiments marneux et
les paliers cultivables aux assises rocheuses.
Ces hauteurs et les contreforts qui s'en détachent consti-
tuent des séries de positions défensives redoutables.
Le fond des ravins est Iréquemment obstrué par les quartiers
de roches tombés des assises supérieures.
Les terrains marneux de la rive droite de l'Oued Saida, non
recouverts d'une roche protectrice, ont été enlevés en grande
partie Aussi, la dolomie bathonienne apparait-elle à découvert
sur de larges surfaces.
Caractèrk des vallées
Tous les divers types de vallées sont représentés dans la
région saidéenne ; la vallée d'érosion est la forme la plus
habituelle.
Le seul cas de vallée de plissoneat est la haute vallée de
l'Oued Saida jusqu'au marabout de Sidi-Maamar. A ce point
s'ouvre une gor'ge de fracture de plus de 2 kilomètres de
longueur, sinueuse, étroite et à flancs roclieux inaccessibles.
Les vallées d'érosion présentent différents caractères et
varient d'aspect suivant qu'elles ont été creusées :
[o Dans des terrains argileux ;
^o Dans des terrains argileux coupés par des bancs rocheux
parallèles et à peu près horizontaux ;
3" Dans des bancs rocheux.
L — Les terrains argileux de la haute vallée de l'Oued Saïda,
en amont d'Aïn-el-Hadjar, sont facilement détrempés et enlevés
DE LA RÉGION DE SAIDA 479
par les eaux do pluio dont l'action destructive est proportion-
nelle à rintensilé de la pente du sol. En conséquence, les
flancs des vallons ravinés plus rapidement que les lignes de
faîte des croupes présentent un accès plus facile que toutes les
autres directions du terrain. Le prolil des thalwegs accuse une
pente très raide dans le premier tiers de la longueur des
ravins, cette pente diminue ensuite très rapidement et se
rapproche de l'horizontale.
II. — Les bancs argileux avec intercallation de bancs rocheux
parallèles sont à considérer suivant que le profil des thalwegs
est longitudinal ou perpendiculaire aux strates du sol.
Le premier cas est particulier aux vallées principales ou de
contact creusées sur des lignes de moindre résistance formées
par des sédiments juxtaposés ou imbriqués et d'inégale dureté.
La vallée de l'Oued Saïda, dans la partie en aval de la ville du
même nom, appartient à cette catégorie. Le lit de la rivière
s'est déplacé peu à peu vers l'O. ; aussi, la rive droite est
basse et plate tandis que la rive gauche est haute et escarpée.
Le second cas s'applique aux vallées secondaires descendant
d'un terrain supérieur et comprend tous les ravins de la rive
gauche de l'Oued Sa'ida tributaires de cette rivière.
La direction de ces ravins est sensiblement perpendiculaire
aux sédiments. Quant aux flancs, ils sont taillés en forme de
gradins successif; le haut du gradin est occupé par le banc
rocheux et la rampe de raccordement d'un gradin à l'aatre est
formée par la terre argileuse toujours à pente fort raide.
III. — Le banc rocheux de la dolomie bathonienne est
creusé par les ravins de la rive droite de l'Oued Saïda en amont
de la ville. Le premier travail de creusement s'est accompli à
la faveur de tissures primordiales que l'eau a progressivement
élargies par l'action dissolvante de l'acide carbonique dissous
et par la désagrégation mécanique des parois. Les gorges
profondes, étroites et sinueuses de ces ravins sont bordées de
hautes falaises de roches à pic infranchissables.
480 ESSAI SUR l'hydrologie et la géologie
CHAPITRE IV
Minéralogie
Les minéraux de la région de Saïda, sont :
La limonite ou oxyde de fer hydraté;
La galène ou sulfure de plomb ;
La baryline ou sulfate de barium ;
Le gypse ou sulfate de calcium.
Limonite
La limonite ou oxyde de fer hydraté est répandue en masses
irrégulières dans les bancs dolomitiques bathoniens et princi-
palement dans celui qui borde le ravin d'El-Bouck, près du
moulin Flinois.
Ce minéral provient de la transformation par épigénie de la
pyrite de fer. Quelques échantillons ont conservé la forme cu-
bique où contiennent encore au centre de la pyrite.
Galène
La galène ou sulfure de plomb, associée le plus souvent à
la limonite, se rencontre à l'état de mouchetures dans la dolo-
mie ; elle n'a donné à l'analyse aucune trace d'argent. Des
sondages ont été opérés sans résultat, il y a quelques années,
dans le ravin d'El-Bouck, pour rechercher des filons exploi-
tables.
La présence de la vanadinite ou vanadiate de plomb aurait
été signalée dans les gorges du ravin d'El-Bouck, ainsi que
celle de lapyromorphite ou phosphate de plomb au fond d'un
puits de sondage pratiqué sur le bord de la route de Géryville
DE LA RÉGION DE SAÏDA 481
il hauteur du terraiu de mano'uvre. Nos recherches à ce sujet
sout restées infructueuses.
Barytine
La barytine ou sulfate de bariuin existe à l'état de filons
dans la dolomie bathonienne ; l'un de ces filons émerge du sol
à quelques mètres au S. de l'enceinte du vieux Saïda ; un
deuxième à l'origine du vallon d'El-Hamra. Les échantillons
recueillis sont mélangés à du calcaire et à de l'oxyde de fer.
Gypse
Le gypse ou sulfate de calcium est répandu en volumineux
cristaux dans les marnes oxfordiennes.
Nota. — Nous avons découvert un bloc de granit dans les
alluvions du ruisseau d'El-Bouck. Selon foute vraisemblance
ce fragment doit provenir de la vallée de Tifrit où cette roche
apparaît.
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Echelle des Haulsurs -p-^
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O. Fakroum O. Nazereq
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20000
Echelle des Disiances i
50000
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TABLE DES CHAPITRES
Pr'em.ièjre Partie
H^r>I^OLOGIE:
Généralités 431
Chapitre I. Rôle de l'acide carbonique dissous dans les
eaux iiiétéoi'iques 4o?
Chapitre II. Régime d(?s sources des environs de Saïda. . 4"^5
Origine et débit des sources 435
Régime des sources situées sur la rive droite
de l'Oued Saïda et dans le vallon de l'Oued
Nazereg '139
Régime des sources situées sur les versants
du Djebel-el Hassem et Donmat Kebach . ''j'r2
Chapitre III. Eaux de la région de Saïda au point de vue de
l'alimentation 4'i3
Eaux de sources 444
Eaux de puits 445
Eaux thermales 447
Tableau d'analyses des eaux de sources de
Saïda et de ses environs 450
Tableau d'analyses des eaux thermales des
environs de Saïda 454
Deuxième Paiftie
OEJOLOGIE
Généralités 457
Chapitre I. Stratigraphie 459
Assise oolithique inférieure ; description de
l'étage bajoco-bathonien ; physionomie du
terrain ; âge géologique 459
Assise callovo-oxfordienne ; fossiles ; descrip-
tion de l'étage ; physionomie du terrain. . 464
Assise corallienne ; fossiles ; description de
l'étage ; physionomie du terrain 4G6
Carapaces calcaires et tufs calcaires 468
Tableau des assises géologiques 470
Tableau des fossiles 471
Cha-Pitre II. Tectonique 472
Particularités sur les terrains bajoco-balho-
niens 472
Particularités sur les terrains callovo-oxfor-
diens 475
Particularités sur les terrains coralliens . . . 475
Chapitre III. Géomorphogénie 477
Caractère des hauteurs 477
Caractère des vallées '. . 478
Chapitre IV. Minéralogie 480
Coupes principales du terrain 482
Carte géologique des environs de Saida . . . 4s2
NOTICE
sur les fouilles exécutées dans les ruines de Portus-Magnus
par les soins de M. Georges SIMON
M. Georges Simon, membre de notre Société, vient de
faire pratiquer à ses frais, par un détachement de 40 prison-
niers militaires, des fouilles dans les ruines de Portus-Magnus,
situées à quelques kilomètres seulement de sa propriété des
Hamyans, l'un des plus beaux domaines de l'Algérie. Ces
recherches poursuivies pendant 15 jours dans Tunique but
d'enrichir de nouveaux spécimens les collections d'objets
antiques du Musée d'Oran, qui lui doit déjà d'importantes
séries monétaires fl), ont produit une abondante récolte. Elles
auraient été plus fructueuses encore s'il avait pu les entre-
prendre vers la partie centrale de l'antique cité, dans les
terrains voisins du forum, découvert et déblayé en partie il y
a trois ans, mais il a dû y renoncer en présence des prétentions
peu acceptables des propriétaires de ces terrains.
Les objets recueillis proviennent de deux nécropoles de
l'époque romaine situées près de l'enceinte de l'ancienne
ville et de trois autres emplacements où l'on n'a trouvé
aucune trace de sépulture.
Voici la description de ces objets :
1" Une stèle néo-punique. — Cette stèle (planche A) a été
découverte dans le terrain de M. Eugène Roubineau, de
Saint-Leu, à l'intersection du chemin de Saint-Leu et de
la grande route d'Oran à Moslaganem, où l'on avait exhumé
*(1) Entre autres, les monnaies en argent des Volsques, Tectosages et
toutes les monnaies consulaires en argent, etc., etc.
10
48G NOTICE SÛR LES FOUILLES DES RUINES DE PORTUS-MAGNUS
précédemment les deux stèles qui sont encore chez M. Rou-
bineau, à Saint-Leu (planche B, n'^s [ et 2).
Une autre stèle représentant, en haut relief, un homme
en longue tunique entre deux chevaux, reproduite ici (plan-
che C) et trouvée au sud du village, près de l'endroit d'où
proviennent les épitaphes des cavaliers des ÂL.E, actuehement
au Musée, n^^ 71 et 72 du catalogue du Musée d'Oran.
2" Onze urnes cinéraires (Olla cineraria). — C'est au
même endroit et à des profondeurs variant entre 0 '» 40 et 0 '" 50
seulement au-dessous du niveau du sol qu'ont été trouvées
ces urnes, qui font l'objet de la planche D. Elles étaient placées
dans des entailles ou trous pratiqués dans un banc horizontal
du tuf. Leur hauteur varie entre 17 et 9 centimètres. Elles sont
en poteries rougeàtres ou grises de pâte assez gr-ossière,
couvertes les unes d'une simple patère retournée, les autres
d'un couvercle avec bouton à 'tige cylindrique. Quatre sont
munies d'une anse. Cinq contiennent encore des cendres et
des os calcinés, les autres sont vides et semblent n'avoir
jamais contenu ni cendres ni ossements.
Une foule d'autres urnes avaient été déposées dans cette
nécropole, mais elles étaient brisées en mille pièces. A quelle
époque appartient ce colombaire? On sait que l'usage de la
crémation date delà fin de la République romaine et qu'elle
devint de plus en plus rare à partir du siècle des Antonins.
C'est donc antérieurement à cette dernière époque que nos
urnes y ont été placées.
3» Quarante-une lampes de l'époque païenne, — Ces
lampes proviennent en grande partie d'un champ, situé à
200 mètres au S. 0. des ruines de Portus Magnus, où l'on a
mis à découvert plusieurs tombes creusées dans un sol très
compact ou dans le tuf Les couvercles de ces tombes se
composaient de grandes pierres plates non taillées. Quelques
lampes proviennent de fouilles faites dans le jardin d'un ancien
lieutenant de tirailleurs, à l'Ouest des ruines, au sommet de là
NOTICE SUR I,ES FOUILLES DES RUINES DE PûUTUS-MAGNUS 'iHl
colline qui descend vers la meu ; deux autres enfin, d'un
emplaceinentsituéà l'Ouest des ruines et voisin des premières
maisons de Saint-Leu.
En voici la description :
1 . Lanip(> en terre rouge tine et légère, ronde, sans anneau.
Sujet : Génie ailé marchant à gauche et portant une
énorme couronne. — Rv. Marque en relief en forme
de croix et, au-dessous, quelques points dans un
rectangle.
D. 1[^^. (Planche E., no 1).
2. Lampe en terre rouge, vernissée, assez lourde, ronde,
sans anneau, bec large et long avec volutes. Sujet : Bige
courant à gauche. Son conducteur excite ses chevaux: du
fouet. — Rv. Double cercle concentrique.
D. 79""". (Planche E, n" 2.)
3. Fragment de lampe en terre rougeâtre avec son anneau,
décoré d'un quadrige courant à droite. Le conducteur,
dont la cassure a emporté la moitié du corps, porte une
longue palme dans la main gauche,
4 . Lampe à deux becs ornés de trois volutes (lucerna hilycnis),
terre rouge, disque bordé d'un double filet. Sujet :
xiutel d'où sort un serpent entre deux oliviers. Queue
triangulaire décorée de palmettes. — Rv. Traces de
lettres.
Long. 167 "ini, larg. 74 "'"^
5. Lampe du même type. Sujet : La Fortune debout à gauche
tenant un gouvernail et une corne d'abondance. Queue
triangulaire avec palmette.
Long. 169 "'"', larg. 76™"'. (Planche E, n° 3.)
6. Lampe du même, type. Sujet: Tête de Mercure accostée
d'une bourse et d'un caducée. Queue brisée.
(Planche E, n» 4.)
488 NOTICE SUR LES FOUILLES DES RUINES DE PORTUS-MAGNUS
7. La même lampe. Queue brisée.
8. Lampe en terre blanche, très lourde, ronde, avec anneau.
Sujet : Génie ailé sur une roue traînée par deux dragons.
— Rv. Double cercle concentrique.
0.75™'".
9. Partie supérieure d'une lampe en terre grise, ronde.
Sujet : Eléphant marchant à gauche sur lequel est assis
un personnage tête et jambe nues, yètu d'une tunique à
plis et tenant un fouet (?) de la main droite. Oves au
pourtour.
D. 90 "1111.
10. Lampe en terre blanchâtre,, assez légère, ronde, avec
anneau, bec orné de volutes. Sujet : Cerf fuyant à droite.
Rv. Dans un cercle la lettre punique P en relief.
(Planche E, n» 5.)
11. Dessus de lampe dont le médaillon bien conservé est orné
d'une fem,me nue, les jambes croisées, tenant de la main
droite un vase {olpé), dont elle verse le contenu dans
un vaste bassin à long pied cylindrique, sur lequel elle
s'appuie de la main gauche.
(Planche F, n" 1.)
12. Dessus de lampe dont le médaillon en partie brisé et
assez fruste présente une femme nue et des suivantes
également nues, peut-être Diane surprise au bain
par Actéon.
(Plancher, no 2.)
13. Lampe en terre rouge assez fine, ronde, avec anneau et
bec de 18"'f"de long. Sujet: Buste d'un persoyinage
barbu, en cheveux, de profil à droite, — Rv. Traces de
lettres.
(Planche F, n» 3.)
NOTICE SrU LES FOT'ILLES DES RVINES DE PORTrS-MACNUS 489
14. Lampo en terre blanchâtre, lourde, ronde, avec anneau.
Sujet : Vir et fcm'ma quadnij}c^, nudi, in lecto. Rv.
Cercle.
D. 73 """.
15. Lampe en tsrre grisâtre, lourde, ronde, avec anneau.
Sujet : Personnage "portant sur son épaule une perche
aux deux extrémités de laquelle est suspendu un objet
indistinct. — Rv. Cercle.
D. 75'"'".
16. Lampe en terre grossière gris noir, ronde, anse brisée.
Sujet : Tète du soleil entourée de rayons.
D. 72""". (Planche F, no4)
17. Lampe en terre rougeàtre, ronde, avec anneau. Sujet :
Lion courant à droite. — R^v. Double cercle concentrique.
D. 72 mm. (Planche F, no 5.)
18. Lampe en terre rouge brun, ronde, avec anneau incom-
plètement foré. Sujet : Oiseau becquetant sur un olivier.
— Pvv. Cercle. .
D. 6imm
19. Lampe en terre rougo fine, rondo, avec anneau. Sujet :
Trois cornes d'abondance entrelacées. — Rv. Dans un
cercle, la marque L FEDISEC.
20. Petite lampe en terre noirâtre, ronde, avec anneau. Sujet :
Deux palmes. — Rv. Double cercle concentrique.
D. 53 "!'".
21 . Dessus de lampe en terre grise, ronde. Sujet : Deux palmes
et une couronne.
22. Dessus de lampe, ronde, avec anneau. Sujet: Une cou-
ronne de laurier.
490 NOTICE SUR LES FOUILLES DES RUINES DE PORÏUS-MAGNUS
23. Petite lampe en terre rouge avec anneau. Sujet: Deux
pahnes se rejoignant par le haut. — Ptv. Dans un cercle,
la marque G. CLO. SVC.
D. 65mm.
24. Petite lampe en terre grise, ronde, anneau brisé, disque
orné de Deux palmes et entouré d'un double filet. Oves
au pourtour. — Rv, Cercles concentriques.
D. 54'"™.
25. Petite lampe en terre à couverte noire, ronde. Anse brisée
anciennement et dont la cassure a été recouverte de
vernis noir. Sujet : Croissant surmonté d'une étoile à
cinq brandies. — Rv. La marque C. CLO. SVC.
D. 68"™.
26. Petite lampe du même type, avec anneau. — Rv. C. CLO.
SVC.
27. Lampe en terre noirâtre, assez légère, ronde, avec anneau.
Sujet : Eosace à 35 rayons. Oves au pourtour. — Piv.
SERGPRIM.
D. 7(3""".
28. Lampe en terre rouge, assez fine, ronde, avec anneau.
Disque orné de rayons. — PvV. Cercles concentriques.
D. 78™™.
29. Lampe en terre rouge, fine, avec anneau et bec long de
23 """. Disque orné d'un cercle entouré de 4i rayons et
bordé d'un triple filet. — Rv. Cercle.
D. 75°*".
30. Lampe en terre noirâtre, ronde, avec anneau. Disque uni
entouré d'un double filet. Oves au pourtour.
D. 74""°.
31. Petite lampe rouge brun, ronde, avec anneau. Disque uni
entouré d'un double filet. Rameaux au pourtour.
D. 54'""!.
NOTICE SUR T.rs FOTiILLES DES RUINES DE PORTITS-MAGNUS 491
32 Petite lampe en terre grise, rougeùlre, ronde, avec anneau.
Disque orne d'un cercle et entouré d'un double filet.
Oves au pourtour.
33. Lampe en terre grise assez légère, ronde, avec anneau.
Disque uni e.itouré d'un triple filet interrompu vers le
bec. Oves au pourtour. — Rv. Dans un double cercle, la
marque SERGPRIM.
D. 7G""n.
34. Lampe du même type en terre rougeàtre assez lourde.—
Rv. Même marque SERGPRIM.
35. Lampe en terre rougeàtre lourde, ronde, avec anneau.
Disque uni (brisé au centre), entouré d'un double filet.
— Rv. Dans un cercle, la marque AVFFRON.
D. 63"i'i'.
36. Fragment de lampe ronde portant la marque CARMERG.
37. Lampe en terre rouge assez fine, ronde, avec anneau. Disque
uni entouré d'un filet. — R\. Double cercle concentrique.
D. 71™'".
38. Lampe en terre lourde, gris, brun, ronde, avec anneau.
Disque uni entouré d'un double filet. — Rv. Double
cercle concentrique.
39. Lampe en terre blanchâtre assez lourde, ronde, avec
anneau. Disque uni entouré d'un filet. — Rv. Cercle.
D. 67 mm.
40. Petite lampe en terre noirâtre, ronde, avec anneau. Disque
uni entouré d'un double filet. — Piv. Cercle.
])_ ^jO mm
41 Lampe en terre grisâtre, ronde, avec anneau. Disque îini
entouré d'un double filet. — Rv. Dans un cercle, la
marque : L FEDISEC.
D. 74'^™.
492 NOTICE SUR LES FOUILLES DES RUINES DE PORTUS MA.GNUS
4° Une belle amphore. — Cette amphore, dont nous don-
nons ici le dessin, mesure 0^95 de hauteur. Elle a été trouvée
dans la nécropole aux tombeaux, debout à plus de deux mètres
au-dessous du niveau du sol.
5° Un petit vase ln terre, du même type que ceux trouvés
dans le cimetière des officiales à Carthage (Delattre. Fouilles
d'un cimeùère romain à Carthage en i8S8, p. 12), dans la
propriété du commandant Archambeau, près de Cherchell
(Bullel. de la Soc. d'Oran, année 1890, p. 2G3, f. 8) et àArbal
(Catalogue du Musée d'Oran, n° 287). Celui de Portus Magnus
Planche A
'•^-^-i
Planche C
a
■ a>
c
CL,
Planche E
Planche F
Planche G
Planche H
MABOUES CÉRAMIQUES ROMAINES
(Fouilles de Porlus-Magnus)
±0 MA.RQUES DE LAMPES
t
[^ Lampe n» 1.
O Lampes n»» 14, 15, 18, 29, 39, 4U.
Lampes n°' 2, 8, 20, 37.
jSj/ Lampes n»» 24, 28.
\l2y Lampe n» 10.
AVFFRON Lampe n» 35.
CARMERC I^mpeno36.
G. GLO. SVC Lampes n°« 23, 25, 26.
LFEDISEG Lampes noH 9, 41.
SERGPRIM Lampes n''^ 27, 33, 34.
2" MARQUES DE PLATS. — § 7° du texte
S I L V A N I
R 0 I P V M E
3» MAB<^UES DE POTERIES. — § 8» du texte
0 F PARI
OPIVLIRV?
R E J3 0 N I
RV FI 0
A F A
G H R E
DOM I
R I G N 0 T
NOTICE SUR LES FOUILLES DES RUINES DE PORTUS-MAGNUS 403
dont le dessin r si donné (planche G, n" 1) est en terre rouge
vernissée, très fine et mesure 137""" de long et 81""' de haut.
6» Deux bols (patinae); quatorze pots et quatorze patères,
dont les différents types sont représentés planche G, appar-
tiennent à la catégorie des poteries communes et sans orne-
ments, sauf cependant deux petits pots nos 2 et 3 et deux
patères no= 4 et 5 qui sont en terre rouge vernissée, fine et
légère et de fabrication très soignée.
7" Deux plats estampillés. — L'un de ces plats (n" 6),
en terre rouge fine, vernie, à rebord droit, mesure 158 ^m ^q
diamètre et porte au fond dans un grand cercle l'estampille
SILVANI.
L'autre, du même type que le précédent, a IfiO™"' de
diamètre et porte la marque ROIPVME. ,
8° Sept fragments de poterie estampillés, savoir :
Un fragment de plat marqué OF. PARI, les deux dernières
lettres ne sont pas certaines.
Un fragment de plat portant dans un rectangle une marque
difficile à déchiffrer : OFIVLIRV/'?
Un fond de vase orné d'un grand cercle au centre duquel,
dans un cartouche rectangulaire, on lit l'estampille REBONL
Un fond de vase portant dans un petit cercle la marque
RVFIO.
Un fond de vase avec la marque AFA? dans un cercle.
Les lettres sont empâtées et brouillées.
Les fragments qui précédent sont- de pâte rouge, très fine et
de facture soignée.
Un grand fragment de doliuin avec lèvre sur laquelle on lit
l'inscription CHPiE en grandes lellres de 6 centimètres faites
au doigt.
Fragment de col d'air.phore, portant en lettres en relief de
13"'m et sur deux lignes, la marque
DOMI
ï\IGNOT
494 NOTICE SUR LES FOUILLES DES RUINES DE PORTUS-MAGNUS
9» Deux fragments historiés. — L'un de ces fragments
est décoré du bœuf Apis debout, à droite, auquel un adorateur
offre un vase du genre olpé.
L'autre est orné de lièvres fuyant à droite.
Ces débris sont de poteries rouges vernissées, très fines et
de style gréco-égyptien.
10° Objets en os. — Un style à pointe et aplati à l'autre
bout. On sait que ce genre de poinçon servait à écrire sur des
tablettes recouvertes d'une couche mince de cire. On employait
la pointe pour tracer les caractères et le bout plat pour faire
les corrections.
Un fragment de style.
11° Objets en verre. — Trois fioles à parfums (ttngueniaria),
— Trois cols de burettes, munis d'une anse, en verre recouvert
d'une matière blanche irisée. — Neuf fragments de verre blanc
irisé et un de verre bleu indigo.
12° Objets en métal. — Une petite bague en or dont le
chaton porte les lettres : ( J
I
NOTICE SUR LES FOUILLKS DES RUINES DE POUTUS-MAGNUS 495
Une petite bague de bronze. — Un objet de bron/c, long de
78'""', à tête de clou d'un bout et terminé do l'autre par un
large anneau. — Dix clous de bronze. Sur l'un d'eux, ti es bien
conservé, brille encore la couleur jaune du métal; les autres
sont complètement oxydés.
IS^* Des fragments de mosaïque commune, sans intérêt,
trouvés au bas de la colline de Portus-Magnus, du côté de la
mer, dans les ruines d'une maison romaine.
14° Six grandes briques de 0"'20à 0^30 de long, faites
à la main, sans marques.
Dix petites briques rectangulaires de O^OS à O'W'IO de long,
trouvées dans une fouille entreprise à l'Est du village.
150 Monnaies.
CARTHAGINOISE
Tête de Cerès à gauche R, busts de cheval ('261 de Cohen)
(au Musée).
IMPÉRIALES ROMAINES
Tibère G. B. frappée en Zengitane (245 de Muller)
— M. B. Hippopotame à droite. Frappée en
Egypte.
Domitien M. R. 447 de Cohen.
Trajan G. B. 552. »
— G. B. fruste.
— M.B. fruste.
Plotine G. B. Vesta assise à gauche tenant le Pal-
ladium et son sceptre.
Hadrien G. B. 703 de Cohen.
— G. B. 800 »
— G. B. 817 » R. Hilaritas P. R.
— G. B. fruste.
— M.B. fruste.
Faustine mère.. . .M.B. 51 de Cohen.
Marc-Aurèle M.B. 243 »
496 NOTICE SUR LES FOUILLES DES RUINES DE PORTUS-MAGKUS
Commode G. B. 272 de Cohen.
Maximin G. B. 76 » R. Providentia AVG.
Gordien III G B. 251 »
— 244 »
Tetricus le père. . . P. B. 95 »
— . . . P. B. fruste.
Claude II P. B. 50 de Cohen.
Constance Chlore. . P. B. 335 »
Maximin IT Daza.. . M. R. 150 »
Constantin le Grand M.B. 508 »
— M.B. 515 »
— P. B. 454 »
— P.B.Q. 760 )) R.VN. MR.
— (CoDstantiflople) P. B. 454 »
• — (Rome) P. B. 15 »
Crispe P. B. 31 »
Constance II M. B. 44 »
— P. B. 188 »
Magnence M. B. 68 »
Constance Galle. . . P. B. 9 »
Gratien P.B.Q. 77 »
Valentinien II P.B.Q. 70 »
Le Musée d'Oran est aujourd'hui en possession de tous les
objets décrits ci-dessus, à l'exception toutefois de deux des
stèles néo-puniques, conservées par M. Eugène Roubineau,
propriétaire du terrain fouillé, de 5 lampes (no* 5, 9, 11 , 16 et 35)
offerte par M. Simon à un savant venu en mission archéolo-
gique dans la province d'Oran, et d'une grande partie des
monnaies, abandonnées à M. le capitaine Molins, du 2« Zouaves,
qui était présent au moment de leur découverte. Le Musée
d'Oran d'ailleurs possède des exemplaires de toutes ces
médailles.
Qu'il nous soit permis, en terminant, d'exprimer toute notre
gratitude, tous nos remerciements à M. Georges Simon, qui,
par ses libéralités, a mérité le titre que nous nous plaisons à
lui donner ici, dô bienfaiteur du Musée d'Oran.
INSCRIPTIONS INÉDITES DE LA MAURÉTANIE CÉSARIENNE
1° Kherba des Aouîssat
Nous devons à M. Fabre, Ileceveur des Contributions diverses
à Tiaret, la conmiunication des deux inscriptions funéraires
chrétiennes ci-après, trouvées dans les ruines romaines
dites : Kherha des Aouissat, à une vingtaine de kilomètres au
Nord-Est de Tiaret, dans la vallée de l'Oued Tiguiguest :
Hauteur 0"'7I. — Largeur 0'"40. — Hauteur des lettres O'°04.
N° 1246. D • M • S
MEMORIAI/////I ROGATI
VIXIT ANNIS liv
MERENTIBVS ///////
L A B 0 R I B V S F I L I
SVI FECERViT ETOC
LATIA MONTA yic AP CCCGXX
D(is) U{anihus) S(acfum). MEMORIA (?) ROGATI VIXIT
ANNIS LXV MERENTIBUS LABORIBUS FILI SUI
FEGERUNT ET OCLATIA MONTANA (ou MONIANA) A(nno)
P(rovinciae) GGCCXX (459 de J.-C).
M. Gagnât, qui a bien voulu nous donner la traduction qui
précède, d'après une photographie, est d'avis que les lettres
à moitié effacées entre MEMORIA et ROGATI devaient
constituer le cognomen gentilice du défunt, auquel ses fils et
la nommée Oclatia Montana élevèrent le monument.
Cette inscription est enclavée dans la maçonnerie d'un
marabout élevé à 1,500 mètres des ruines et dédié à la
mémoire de Si el Hadj Saïd :
Hauteur 0" 36. — Largeur 0'°42. — Hauteur des lettres O^ÛSS.
N» 1247. D • M • S •
M E M 0 R I A I
NO///IM VI X
I T A N I S E^
//3 P/////HSES
Dans les lacunes de cette inscription sont des lettres
usées, indéchiffrables.
498 INSCRIPTIONS INÉDITES DE LA MAURÉTANIE CÉSARIENNE
A ces inscriptions, M. Fabre avait joint une pièce de monnaie
romaine trouvée par un Espagnol en piochant son jardin. C'est
un Constantinus P. F. AVG., buste lauré et cuirassé à droite
et portant au revers : SOLI INVICTO GOMITI, avec le soleil
radié debout, de face, à demi nu, regardant à gauche, levant
la main droite et tenant un globe. Cette uiédaille a été déposée
au Musée Demaëght.
M. Fabre nous a, en outre, transmis des croquis de chapi-
teaux, des fragments de colonnes diversement ornés, de
pierres de corniche que j'avais déjà vus sur ce même terrain,
en 188*2, lors d'une excursion géodésique et qui ont été repro-
duits dans le Bulletin de 1883 avec un anagramme du Christ
et une épilaphe à la mémoire de SEMAMA.
« En arrivant à Kherba, nous a écrit M. Fabre, on est tout
a d'abord étonné de la présence de nombreux menhirs qui
« entourent de toute part le petit hameau et lui donnent un
« caractère particulier. Ces rnoijolithes ont une hauteur de
« un mètre à l'^SO au-dessus du sol actuel, y sont enfoncés
(( de 2 à 3 mètres et alignés systématiquement dans diverses
a directions.
« Il m'a été atlirmé.que dans toute la plaine de Tiguiguest
« où cependant les vestiges de l'occupation romaine se
« trouvent en quantité, on ne trouve qu'à Kherba seulement
« des monuments de cette nature.
« En outre des menhirs, on remarque sur chacune des
a collines avoisinantes des vestiges de monuments composés
« d'énormes pierres grossièrement dégrossies. La forme géné-
tt raie de ces ruines affecte un carré d'une dizaine de mètres
« de côté, au centre duquel parait avoir existé un pavage
« circulaire.
« Sur la colline du Nord existent en plus les restes d'un
a édifice rectangulaire de trois mètres de longueur sur deux
a de largeur; la base de l'édifice est seule restée debout ; elle
« est composée d'énormes pierres placées sur champ.
« Parmi les débris environnants, j'ai retrouvé une pierre
« qui a dû servir de corniche à l'édifice, lequel devait être un
(( mausolée bien postérieur aux ruines (^).
(1) Ce mausolée devait être analogue à celui de Souma, cliez les Hallouva-Cheraga et
dont le dessin ligure dans le- Bulletin de la Société du 3' trimestre 1895.
ÎNSCRIPtIOMS INÉDITES DE LA MAURÊTANIG CÉSAUIENNE 499
« Sur la colline Ouest, on remarque, enterrées dans le
« rocher, deux tombes jumelles qui ont été découvertes et
« violées tout récemment par un Marocain de passage.
« Ce sol où s'élèvent les fermes de Kherba est entièrement
« cDuvert par des pierres non taillées qui, pour la plupart,
({ proviennent des menhirs avoisinants; on ne distingue à la
« surface que quelques murs énormes non cimentés et qui
« ont dû être, comme les fermes actuelles, élevés avec les
« débris des anciennes constructions.
« Pour retrouver ces dernières,^ il faut creuser à une pro-
« fondeur de 2 à 4 mètres. Quoique invisibles actuellement,
« il n'en est pas moins certain que des travaux assez considé-
cc râbles existent dans le sous-sol, comme en témoignent les
« vestiges de chapiteaux et de colonnes signalées plus haut.
« Enfm, parmi les débris de toute sorte qui couvrent le sol
« sur une surface de 5 à 6 hectares environ, on trouve une
ft petite quantité de pierres de couleur verdàtre qui semblent
« être du carbonate de cuivre. Certains blocs ont été travaillés,
(( car il existe des débris ouvragés dans le mur en pierres
« sèches qui ferme le jardin sur la face Nord.
« Que ces blocs soient composés de carbonate de cuivre ou
« de toute autre substance, on ne les trouve que dans les
« ruines (les alentours dans un rayon très étendu en sont
« absolument dépourvus). Ils ont donc été apportés à Kherba
« par les anciens habitants qui les avaient extraits d'un
« gisement actuellement inconnu. »
Nous remercions M. Fabre de ses intéressantes communi-
cations. Les ruines qu'il a visitées témoignent une fois de plus
de l'importance de l'occupation romaine dans le bassin de
l'Oued Riou.
Nous renouvelons à cette occasion le vœu de voir quelque
jour s'effectuer des fouilles suffisantes qui permettront de
découvrir les identifications des principales ruines romaines de
cette contrée, telles que celles de Kebbaba, Tirazza, Achelefî,
Souma, Konsou, Kherba, etc.
500 INSCRIPTIONS fNÉDITES t)E LA MAURÈTANIE CÉSARIENNE
2» Oued Taria
En parcourant mes carnets de mission géodésique en 1882
entre Mascara et Saïda, j'ai retrouvé une note épigraphique
que je crois utile de reproduire ici :
19 mars. Etape du village de Taria à Ras Aïchata. — On
suit le chemin de Taria à Benian en longeant la rive gauche
de l'Oued Taria. A 7 kilomètres du village, entre le barrage
de la rivière et la hauteur 'appelée Djerf Sidi Lhassen, mon
guide me signale des pierres éparses sur une étendue de
2.000 mètres carrés environ, comme des ruines romaines
appelées par les Arabes : Kherha m'tâ Rerouta.
Je fais faire halte à mon détachement et inspecte ces ruines
qui ne présentent rien de remarquable. Ayant déclaré aux
Arabes que je donnerai un franc à celui d'entre eux qui me
montrerait des pierres écrites, en cinq minutes, on m'apporte
quatre fragments d'épigraphes dont les croquis sont ci-après :
.-or25
« .
/ î M /} )< I M
^— -.-0'50
Malgré mes promesses réitérées de nouvelles gratifications,
je ne pus obtenir d'autres traces d'inscription.
DERRIEN.
ISSAl Si ii FMIf, KPIT
DS L'OFlAISriE
AVF.C DES TABLEAUX ANALYTIQUES ET DES NOTIONS
POUR LA DÉTERMINATION DE TOUS LES REPTILES & BATRACIENS
du Maroc, de l'Algérie et de la Tunisie
(suite)
4«« Famille. — CAMELEONÏENS
Caractères de la famille. — Tête étroite et haute, relevée
en casque, pourvue en dessus, chez les adultes, de trois fortes
carènes, la médiane plus Jiaute. Gorge en forme de jabot. Corps
très aplati sur les côtés ; peau couverte de fines granulations
qui la font paraître comme chagrinée. Yeux enferm^és dans une
paupière unique, conique, percée d'un petit trou au sommet.
Cette paupière est mobile et permet à Vanimal de voir dans
tous les sens. Langue protractile, très longue. Doigts au nombre
de cinq, réunis en deux groupes opposables et préhensiles.
Queue prenante.
Cette famille ne renferme que le genre Chamœleo dont les
caractères sont ceux de la famille.
Ce genre est représenté en Berbérie par une seule espèce :
5. Chamœleo vu/garis Daud.
Le caméléon. Arabe : Tata-bouf.
Chamœleo cinereus Aldr., Strauch, Lallemant.
Chamœleo vulgaris Cuv., D. et B., Ern. Olivier.
Chamœleo vulgaris Daud., Boulenger.
Caractères principaux. — Museau non prolongé en pointe.
Capuchon profond se rabattant bien sur le cou et bordé par
une ligne de tubercules larges et convexes. Gorge pendante
parcourue par une ligne médiane de tubercules coniques,
saillants, toujours blancs. La ligne blanche se continue jusqu'à
Vanus, mais sans faire saillie. Tubercules de la ligne dorsale
plus forts que les latéraux et ne formant une ligne dentelée
que chez les individus très adultes.
Je ne décrirai pas cette espèce qui est bien connue. Seuls les
jeunes individus présentent quelque intérêt ; ils se distinguent
de leurs parents par leur tête arrondie, dépourvue de crêtes
41
50^ ESSAI SUR LA FAUNE ERPETOLOGIQUE DE l'oRANÎE
Coloration. — Le caméléon jouit de la singulière propriété
de pouvoir changer de couleur et prendre celle de l'objet sur
lequel il se trouve. Cette faculté lui permet d'échapper à la
vue de ses ennemis.
Sexes. — Mâle. — Carène occipitale bien détachée et très
saillante. Renflements des pénis, allongés, cylindriques, paral-
lèles et bien visibles.
Femelle. — Carène occipitale peu saillante. Pas de renflements
à la base de la queue. Anus large et en forme de croissant.
Taille. — 0">163 4- 0™142 =0™305. —Avril à octobre,
surtout en été.
Distribution géographique. — (B : T., H. P., S.). — Le
caméléon se trouve partout en Oranie. Il est commun dans le
Tell, rare sur les Hauts-Plateaux et abondant dans les oasis.
Hors du Tell, je l'ai rencontré à El Aricha (mai), Bedeau
(septembre), Géryville (juillet), Arba-Tahtani (août).
Ethologie, — Le caméléon est un des lézards les plus
hibernants de l'Oranie. Il n'apparaît guère qu'en mai et ne
devient commun qu'à la fin de juin. On peut pourtant
rencontrer quelques rares individus en automne et dès les
premières journées chaudes du mois de février.
C'est surtout pendant l'été qu'il est abondant. Néanmoins
il craint les fortes chaleurs et ne circule jamais aux heures les
plus chaudes de la journée. Il sort le matin et de préférence
vers le soir.
Les caméléons s'accouplent en août-septembre. J'ai eu
l'occasion de suivre les diverses périodes de la reproduction
chez ces animaux. Voici quelques notes à ce sujet :
Le 31 août 1896, je pris deux caméléons ; je les mis en
cage. Le lendemain matin, à huit heures et demie, ils s'accou-
plèrent. La femelle se tenait verticalement aux barreaux. Le
mâle grimpa sur elle et s'y maintint en se cramponnant au
milieu du ventre avec les pattes de devant ; puis il ramena la
partie postérieure de son corps sous le cloaque de la femelle.
L'accouplement eut heu aussitôt. Il dura deux minutes. Le
mâle resta sur la femelle encore huit minutes. Sa coloration
ESSAI SUR LA FArXE KRPKTftLOGIQUE DE l'ORANIE 503
était cViin beau gris clair jaunâtre, taché de noir. Celle de la
femelle était d'un brun noir, fâché de jaune orangé. Chose
curieuse, la coloration de la femelle a persisté pendant toute la
durée de la gestation. La ponte eut lieu le 7 octobre. Elle
ne fut que de 17 œufs, la femelle étant de petite taille. Ces
œufs cylindro-oblongs, arrondis aux deux bouts, mesuraient
IG millimètres de longueur et S d'épaisseur.
En général, la ponte a lieu du 1.") septembre au 15 octobre.
Le nombre d'd'ufs dépasse souvent 4<>.
Les œufs sont déposés dans la terre au pied d'une touffe ou
d'une broussaille. Ils ne semblent éclore qu'au mois d'aotlt ou,
au plus tôt, à la fin du mois de juillet de l'année suivante. Je
n'ai, en effet, jamais rencontré de jeunes caméléons avant le
milieu d'août, Des exemplaires pris le 19 août mesuraient, du
museau au bout de la queue, 6 centimètres.
Je dois toutefois signaler une observation de M. Michaud qui
a vu de jeunes caméléons à Kléber en janvier 1899. L'hiver
ayant été très sec et chaud, il a dû se produire une éclosion
anormale.
Le caméléon se nourrit de sauterelles, de diptères, et;". Il
prend ces insectes avec sa langue qu'il lance jusqu'à une
distance de 10 à 20 centimètres. Il ne dédaigne pas les jeunes'
lézards. En captivité on peut le gaver avec des lanières de
cœur de bœuf.
Utilité. — Le caméléon est un grand chasseur de mouches.
Aussi, rend-il des services dans les maisons oi^i pullulent ces
désagréables diptères. Il serait utile de le répandre dans les
jardins et dans les vergers où il débarrasserait les plantes et
les arbres d'une multitude de parasites.
ô'»^ Famille. — GECKOTIEXS
Caractères de la famille. — Animaux à corps souvent
déprimé, surtout en dessous ; tête presque toujours large et
plate, dépourvue de grandes plaques lisses symétriques, les-
quelles sont remplacées par des écailles tuberculeuses subpoly-
gonales planes ou convexes. (PI. III). Peau couverte, au moins
504 ESSAI SUR LA FAUNE ERPETOLOGIQUE DE l'oRANIE
sur le dos, de petites granulatio}is souvent inégales, parfois
entremêlées de tubercules très saillants. Rarement des
écailles imbriquées sur li dos (Tropiocolotes). Yeux toujours
ouverts, les paupières étant rudimentaires. Langue épaisse,
peu é'.hancrée. Queue trèf, fragile et divisée en anneaux chez
plusieurs espèces. Pattes à cinq doigts dont la forme, très
variable, offre d'excellents caractères génériques.
Les geckotiens sont des animaux qui ne quittent généra-
lement leur retraite qu'à la tombée de la nuit. Il faut donc
les rechercher au coucher du soleil ou de bon matin. Ils sont
tous très utiles car ils font la chasse aux insectes nocturnes :
moustiques, papillons, araignées, etc.
Cette famille est représentée en Berbérie par huit genres,
dont voici le tableau :
Geclcofiens. —TABLEAU DES GENRES
Doigts nettement élargis sur tout ou
partie de leur longueur. (PI. IV,
l fig. % 6. 6 a.) fPl.Y. fig. 1 c, 2 a, 4 a.) 2
d. '
(Doigts sans expansions latérales, arron-
dis, comprimés, grêles ou effilés.
(PL V, fig. 3, 5, 6, 7, 7 a.) 5
/ Expansions digitales nettement termi-
: nales. (PI. Y, fig. 1, 2 a, 4 a.) 3
*-• ; Expansions digitales occupant toute la
1 longueur des doigts ou les deux
\ tiers inférieurs. 4
Expansions digitales terminales, très
petites(l mill.aupIus),ar:ondies-
tronquées,légèrement émarginées
en avant ; présentant en dessous
deux plaques senii- elliptiques,
symétriques, rugueuses, séparées
par un sillon angulaire médian,
4.
ESSAI SUR LA FAUNE ERPÉTOLOGIQUE DE l'ORANIE 505
ayant, dans leur ensemble, l'aspect
de la plante des pieds d'un ru mi-
nant. (PI. V, fig. 4 a.)
Genre Pliyllodactylus.
Expansions digitales présentant en
dessous des lamelles parallèles
disposées en éventail (PI. V.
fig. 2 a.)
Genre Ptyodactylus.
/ Doigts largement spatules, présentant
en dessous des lamelles transver-
sales, parallèles, sans sillon mé-
dian. (PI. IV, fig. 2.)
Genre Tarentola.
Doigts élargis seulement dans les
deux tiers inférieurs ; phalanges
supérieures rétrécies en forme de
griffe. (PI. IV, fig. 6.) Face infé-
rieure de l'expansion recouverte
pardesécailles, plates, imbriquées
et divisées en deux séries symé-
triques par un étroit sillon longi-
tudinal. (Fig. 6 a.)
Genre Hemidaclylus.
Corps recouvert, même en dessous, de
petites écailles visiblement en dos
d'âne et imbriquées ; carènes dis-
posées en lignes longitudinales et
parallèles.
Geiire Tropiocolotes.
Pas d'écaillés carénées et imbriquées
sur le dos dont Técaillure est
granuleuse. 6
506 ESSAI SUR LA FAUNE ERPÉTOLOGIQUE DE L'oRANIE
6.
Écaillure du ventre formée de granu-
lations uniformes non imbriquées
et semblables ou à peu près à celles
des flancs et du dos.
Genre Stenodactylus.
7.
Écailles ventrales plates, imbriquées,
bien différentes par leur forme des
fines granulatioi.s du dos.
Doigts de forme régulièi'e, très petits,
fins et cylindriques. (PI. V, fig.5.)
Genre Saurodactylus.
Doigts de forme anormale, comprimés
par les côtés en forme de longue
griffe à leur extrémité, de dimen-
sions exagérées pour la taille de
l'animal. (PI. V, fig. 3, .3 a).
Genre Gymnodactylus.
Genre TARENTOLA Gray.
Caractères du genre. — Doigts spatules, s' élargissant de
la base au sommet et pré^-entant en dessous des lamelles trans-
versales, parallèles. Troisième et quatrième doigts onguiculés.
Dos portant des lignes de tubercules pyramidaux ou ovalaires.
Queue annelée, rendue épineuse par des tubercules bien déve-
loppés.
Ce genre est représenté en Berbérie par deux espèces affines
bien variables et dont les diverses formes mal connues semblent
présenter certains caractères constants. Une étude sérieuse de
nombreux échantillons barbarcsques recueillis dans les trois
zones, dans les maisons, sur les rochers et sur les arbres,
permettra seule de débrouiller le groiTpe du T. mauritanica
{Auct.) Jl faudrait surtout bien connaître les T. neglecta et
T, angusticeps de Strauch,
ESSAI SUR LA FAUNE ERPÉTOLOGIQUE DE L'ORANIE 507
Manquant de matériaux, je n'ai pu étudier ce genre à tond.
D'autres seront plus heureux. Pour faciliter leurs recherches,
je joins aux résultats de mes études, les figures originales
des formes litigieuses que j'ai pu me procurer.
G. Tarentola. — TABLEAU DES ESPÈCES d)
Tubercules du dos et des flancs, lisses,
tous isolés, petits (0,5 millimètre) ;
les dorsaux un peu oblongs, ceux des
flancs légèrement coniques, tous à
peine saillants et très distants, sur
un fond finement granuleux, très
régulier, à éléments très petits, lisses
et convexes. (PI. IV, fig. h.) Narines
touchant nettement la rostrale.
T. Delalandii Canaries.
Tubercules du dos et des flancs, tous
nettement carénés. 2
Tubercules tous isolés, les médians
carénés, les autres trièdres, plus sail-
lants, tous très rapprochés dans le
sens de la longueur et formant ensem-
ble 1?-14 rangées longitudinales
presque régulières. (PI. IV, fig. 3, 4.)
T. neglecta et var. B.
Tubercules des flancs et du dos, en
majeure partie, accompagnés de
deux ou plusieurs tubercules se-
condaires, les principaux étant
trièdres ou pyramidaux. Sur la
ligne ou sur une bande médiane
du dos il existe une à six lignes
de tubercules isolés, oblongs,
peu saillants, convexes ou carénés.
T. mauritanica et var. O,
(1) Il est nécessaire d'avoii- des sujets adultes.
508 ESSAI SUR LA FAUNE ERPÉTOLOGIQUE DE l'ORANIE
6, Tarenfola mauriianica L et var.
Fig. Bonaparte Fauna Italica
La tarente. Arabe, Oran: Tadjdamet, Aïchel guerâat.
Platydactylus facetanus Aldr., Strauch.
PI. muralis D. et B., Gerv., Lallemant.
Tarentola mauritanica L. Giinlh., Blg., Ern. Olivier.
Caractères principaux. — Tubercules, au moins ceux
des flancs, entourés de tubercules secondaires.
La T. mauritanica L. est une espèce très variable.
Voici un tableau des principales variations que j'ai observées :
T. mauritanica. — TABLEAU DES VABIÉTÉS
Dos portant sur la ligne médiane une
rangée de tubercules plus petits
et de forme un peu différente de
celle des tubercules principaux de
la 2" rangée lesquels ressemblent
à ceux des rangées suivantes.
Dos portant en arrière des épaules
3 à 5 lignes de tubercules isolés,
peu saillants, formant une bande
qui tranche nettement entre les
bandes latérales du dos. Ces der-
nières présentent des rangées de
tubercules dont les principaux,
obscurément trièdres, dépassent
peu les secondaires.
Coude et bras entièrement recouverts
d'écailles imbriquées. Ligne mé-
diane de tubercules simples se
bifurquant nettement sur le cou et
irrégulièrement sur la moitié infé-
rieure du dos. Tubercules des
3.
ESSAI SUR LA FAUNE ERPÉTOLOGIQUE DE L'OPANIE 509
autres rangées trièdres, aigus, très
saillants, accompagnés de deux
tubercules aussi trièdres, bien
plus petits ; ceux du bas des
[lancs, sur deux rangées, entourés
d'une rosette. Prénasale rectan-
gulaire à la base, séparant nette-
ment la rostrale de la narine et
reposant contre la première sus-
labiale. Doigts spatules.
Animaux atteignant une assez
forte taille et habitant les maisons
et les murs.
Variété facetana.
Coude et bras dépourvus d'écaillés
imbriquées, portant, surtoutsur le
bras, de gros tubercules aigus,
distants. Prénasale généralement
en forme d'accent, la pomte infé-
rieure atteignant ou non la pre-
mière suslabiale.
Animaux de la région salia-
rienne. 4
Tubercules dorsaux, gros, trièdres,
aigus, saillants sur les secondaires
et donnant à l'animal un aspect
fortement épineux.
Animaux habitant les murs des
ksours.
Variété deserti.
Tubercules principaux surbaissés dé-
passant peu les secondaires ;
aspect simplement tuberculeux.
Animaux habitant les oasis,
hors des maisons.
Variété Saharœ.
510 ESSAI SUR LA FAUNE ERPÉTOLOGIQUE DE L'ORANIE
Bras, coude et avant-bras dépourvus
d'écaillés imbriquées, portant des
tubercules distincts, obtusément
coniques. Tubercules de la bande
médiane du dos longs et étroits,
la longueur égalant deux fois la
largeur, obtusément carénés, très
peu saillants et disposés sur plu-
sieurs rangées longitudinales.
Écaillure du fond à éléments légè-
rement pyramidaux et présentant,
comme les tubercules, des stries
rayonnantes. Tubercules secon-
daires très rapprochés latérale-
ment, se touchant souvent. (PI. lY,
fig. 1.) Variété lissoïde.
Coude et bras recouverts d'écaillés
imbriquées, plaies, à carène linéaire,
presque visible à l'œil nu. Parfois
le bras porte quelques tubercules.
Tubercules secondaires du dos
nettement séparés des voisins par
3-4 écailles fines du fond. Écaillure
du fond à éléments plats, lisses
ou à peu près comme les tuber-
cules principaux.
Variété mauritanica. 5
' Taille grêle, 3 lignes de tubercules
simples et carénés sur la bande
médiane du dos, celle du milieu
se bifurquant sur le cou et dans la
moitié inférieure du dos. Bras
couverts d'écaillés imbriquées.
Sous-variété gracilis
^- "^ Taille massive, cou large, 4 lignes de
tubercules simples, élargis, à
ESSAI SUR LA FAUNE ERPÉTOLOGIQUË DE L'ORANIE 511
carène marquée mais peu élevée.
Fourches non distinctes. Bras
portant quelques écailles proémi-
nentes ou parfois des tubercules
chez les sujets adultes.
Sous-variété ntlantica.
Variété FACETANA
Bdttger : iu Rept. von Marocco, fig. I, donne la disposition
exacte des plaques nasales.
Tète, à la hauteur des oreilles, plus étroite que longue,
17 sur 19 millimètres, couverte, du museau à l'occiput, de
petites plaques granuleuses. Les plaques qui se trouvent en
avant de la ligne postérieure des yeux sont polygonales ;
beaucoup ont leur surface convexe, presque plane. Celles de
l'occiput, quoique surbaissées, sont plutôt de forme conique.
A l'œil nu elles ne se distinguent pas. Il y a 15 à 17 écail-
les dans une ligne transversale entre les yeux. Narine
entièrement séparée de la rosi raie par une prénasale qui
touche largement la labiale. Bord antérieur du trou de
l'oreille non dentelé. Les tubercules du dessus du corps sont
disposés comme il suit: sur le cou, de la partie supérieure du
trou auditif jusqu'à l'épaule, il y a de chaque côté une rangée
de rosettes dont le tubercule central est peu saillant, conique.
Une ou deux rosettes se voient encore en arrière du trou
auditif. Sur le dos et sur la région moyenne des flancs il existe
en tout une quinzaine de rangées longitudinales de tubercules.
Dans le sens transversal ces tubercules forment des lignes
courbes, parallèles, assez régulières. Tous les tubercules sont
pyramidaux, trièdres, aigus. Les plus petits se trouvent sur la
ligue médiane ; ils sont isolés, plus courts que ceux de la ligne
suivante; la carène ({uoique bien marquée est peu saillante.
De cliaque côté de la ligne médiane, la deuxième rangée est
formée de tubercules plus ou moins isolés, plus forts et plus
saillants. Sur la troisième rangée la forme pyramidale s'accuse
davantage ; les tubercules secondaires se montrent à la
512 ESSAI SUR LA FAUNE ERPÉTOLOGIQUE DE L'ORANIE
base du tubercule central et deviennent plus nombreux
au fur et à mesure qu'on se rapproche des flancs où
ils forment un cercle complet. Écaillure du fond formée
d'éléments peu inégaux, trapézoïdes, à peu près plans. Base
des flancs parcourue par un fort pli. Doigts nettement spatu-
les, à lames transversales présentant parfois une dépression
médiane peu marquée. Queue annelée portant en dessus et
sur les côtés six rangées de tubercules placés sur le bord
postérieur des anneaux. Ces tubercules sont plus grands que
ceux du tronc et très aigus. Le dessous de la queue est couvert
d'écaillés planes irrégulières, imbriquées, sur 2 à 6 rangs.
GoLOBATiON. — La coloration varie avec l'habitat. Elle
ne présente jamais les couleurs éclatantes des reptiles en
général. Le ventre est toujours d'un blanc très sale. Le dos
est gris, gris cendré, gris brunâtre ou gris noirâtre tacheté
de blanc. Il porte souvent des bandes transversales d'un brun
foncé. Les individus qui vivent dans les endroits bien
exposés au soleil sont d'un gris jaunâtre uniforme. Ceux qui
habitent les lieux ombragés sont d'un gris noirâtre. Tous les
jeunes ont la queue alternativement annelée de blanc sale et
de gris noirâtre.
Sexes. — Mâle. — Deux protubérances peu marquées contre
la ligne anale et formant par leur réunion un mamelon
transversal qui dépasse nettement le plan du reste de la queue.
Côtés de la base de la queue droits.
Femelle. — Tout le dessous de la queue sur le même plan .
Base visiblement plus étroite que la suite.
Taille.— 0 '"07 -f- 0™075=i: 0,145, Printemps, été, automne.
Observation. — Cette variété a les plus grands rapports
avec celle d'Italie à laquelle on peut l'identifier.
Variété DESERTI Lat. in litt. h Blg. floc. oit.)
Boulanger {toc. cit.) PI. XIII, fîg. 3 a, 6, c donne, en grandeur
naturelle, cette variété.
« Se distingue par sa taille plus grande mesurant jusqu'à
103 mill. depuis le museau jusqu'à l'anus, par la tête un peu
ESSAt SUR LA FAUNE ERPÉTOLOGIQUE DE l'oRANIE 513
plus longue et plus pointue, par les granulations plus fines
entre les tubercules, par la coloration très pâle d'un blanc
jaunâtre sans ou avec des taches d'un clair brunâtre très
indistinctes. »
La variété deserti n'est qu'une exagération du type. C'est
plutôt une forme qu'une variété. Les tubercules dorsaux, sauf
ceux de la rangée médiane, d'ailleurs peu apparente, sont très
gros et à peu près tous de même dimension. Les flancs portent
de grosses rosettes.
Taille. - 0"i08 + 0^> 093^=0/173.
Variété SAHARŒ Nob (PI. III, fig. 1)
Cette variété se distingue aux caractères suivants :
Une seule ligne médiane de tubercules isolés. Les principaux
des rangées latérales ne les dépassentguère en hauteur ; ils sont
tous très distincts et accompagnés de tubercules secondaires
formant des rosettes déjà assez apparentes sur les premières
rangées. L'écaillure du fond est irrégulière sur une large bande
dorsale qui tranche sur l'écaillure du fond par ses éléments
2 à 4 fois plus grands que ceux des flancs. L'ensemble du dos
a un aspect tuberculeux et non épineux comme chez la
variété deserti.
Cette variété se rapproche beaucoup de la sous-var. atlantica.
Variété MAURITANICA
Se distingue à ses 3-5 lignes de tubercules isolés qui forment
sur la région médiane du dos une bande bien distincte. Les
tubercules principaux des côtés du dos et C3ux des flancs sont
peu saillants et accompagnés de tubercules secondaires, en
rosettes sur les flancs. Expansion des doigts à bords presque
parallèles. Cette variété présente deux sous-variétés.
Sous-variété GRAGILIS
C'est la forme que l'on trouve dans le Tell hors des maisons,
dans les carrières, sous les pierres isolées, sur les arbres.
Les caractères donnés dans le tableau la distinguent parfai-
tement.
514 ESSAI SUR LA FAUNE ËRiPETOLOGIQUE DE l'oRANIË
Sous-variété ATLANTICA Nob. (PI. III, fig. 2)
Cette variété présente des caractères très saillants. En voici
la description :
Tète plus large que longue, 20 ■"/"! sur 18. La largeur entre les
tempes est égale à la distance du pli du cou au bout du museau.
Plaques tuberculeuses du dessus de la tête proéminentes,
subpyramidales, toutes à peu près de même forme. Cou large
et court, peu marqué. Tronc plus massif, surtout plus ramassé
que chez les variétés facetana et gracilis.
Tubercules dorsaux bien différents de ceux de la var.
facetana; ceux de forme trièdre, très saillants, manquent ou à
peu près; il n'y en a qu'une rangée, plus ou moins marquée,
de chaque côté de la base du dos. (Chez un individu très vieux
l'écaillure est forte, les carènes sont très nettes, mais
le trièdre reste plus long que haut.) Dans la région médiane
du dos, il y a, le plus souvent, 4 rangées de tubercules isolés,
ovalo-rectangulaires, convexes, lisses, parfois plus ou moins
nettement carénés. Il est à remarquer que ces rangées sont
paires et qu'il n'existe pas de ligne médiane dorsale nettement
fourchue sur le cou comme chez la var. gracilis. Ce caractère a
une grande valeur et pourrait faire élever la variété au rang
d'espèce, s'il était commun à tous les individus. Les cinq
individus que j'ai eus en ma possession le pré-entaient nette-
ment. Les tubercules des bandes latérales sont accompagnés
de tubercules secondaires, mais ils sont allongés, peu saillants
et peu tranchants. Les rosettes complètes sont peu nombreuses
sur les flancs.
Coloration. — Gris noirâtre, soumise aux effets du
mimétisme.
Observations. — Quoique la mentonnière ne présente géné-
ralement que des caractères assez fugaces, on peut néanmoins
en tirer parti si on s'en tient à la forme dominante dans
chaque variété. Aussi, faut-il l'observer sur un grand nombre
d'individus. Chez mes atlantica la plus grande largeur de la
mentonnière égale la longueur. Les bords latéraux sont formés
de deux lignes droites qui font un angle obtus. Chez facetana
ESSAI SUR LA FAUNE ERPÉTOLOGIQUE DE L'ORANIE 515
la longueur de la mentonnière est ordinairement plus grande
que la largeur. Le cùté supérieur de l'angle latéral est concave
et non droit, la première souslabiale s'avançant dans la
mentonnière.
La forme de la prénasale à laquelle Strauch a accordé une
certaine valeur est loin de présenter un caractère spécifique ;
mais elle offre un bon caractère de race.
Le nombre de labiales est variable et de peu de valeur.
Chez atlantica je compte ^ ? l labiales ; une de plus
en haut.
Chez /acefana je compte-^» ^ >-^ ; deux de plus en haut.
Je signale tout simplement ces caractères à l'attention des
naturalistes.
Taille. - 0,06 + 0,067 = 0,127 ; 0,075 + (queue).
Variété LISSOÏDE Nob. (PI. IV, fig. 1)
ïète longue et étroite, 18 sur 15, couverte de plaques
tuberculeuses, convexes, subpyramidales ; celles de l'occiput
entremêlées d'éléments plus petits. Il y a 15 plaques sur la
ligne transversale des yeux. Prénasales en forme d'iccent
court et séparées par une internasale presque aussi grande
qu'elles. Trou des narines ne touchant que l'angle de la
rostrale à la suture qui la réunit avec la suslabiale. Trou
auditif très petit (1, 2 millimètre sur 1 de largeur).
Cou étroit, portant de chaque côté deux rangées de rosettes
peu proéminentes et, en dessus, des tubercules carénés accom-
pagnés de tubercules secondaires même sur les deux lignes
médianes. Les tubercules isolés ne commencent qu'en
arrière du cou.
Tubercules dorsaux isolés sur quatre rangées, obtusément
carénés, très peu saillants, deux fois plus longs que larges
(1 millimètre sur 0,5) à bords parallèles et à extrémités
un peu arrondies. Carènes non relevées en arrière.
Tubercules latéraux obtusément trièJres, à carène peu
relevée en arrière, pas plus saillants que ceux des rangées
médianes et de même dimension. Tubercules secondaires
moitié plus courts que les principaux, mais aussi éleyés,
516 ESSAI SUR LA FAUNE ËRrÉTOLOGiQUE DE L*ORANIË
réduits à deux sur deux rangées de chaque côté, chacun
d'eux se rapprochant beaucoup du voisin, le touchant môme
assez souvent. Deux rangées de rosettes sur les flancs, peu
saillantes, à tubercule principal petit, subconique. En tout
14 rangées longitudinales. Membre antérieur entièrement
tuberculeux, à tubercules presque obtus. Bords de l'expansion
des doitgs presque parallèles. Queue relativement longue, à
tubercules peu saillants, épineux, couchés en arrière.
Cette variété, qui présente de sérieux caractères distinctifs,
est remarquable par sa forme grêle et allongée. Son ventre
n'est guère plus large que la tête.
Coloration. — D'un jaune très pâle, presque blanche.
Taille. — 0,065 + 0,083 = 0,148.
Distribution géographique (B : T., //.-P., S.) — La
tarente est commune partout. On la trouve depuis le bord de
la mer jusque dans le Sahara.
Ayant confondu dans mes notes diverses variétés, il m'est
difficile d'établir l'aire de dispersion de celles que je viens
de décrire.
Je ne donnerai que les localités d'où j'ai pu examiner des
échantillons en collection :
1° Variété facetana.— Oran (remparts, maisons); Aïn-el-Turck.
2° variété deserti. — Je l'ai reçue d'Aïn-Sefra (Hiroux), juin ;
d'El-Abiod-Sidi-Cheikh (Pouplier), octobre. Je l'ai
capturée à Arba-Tahtani (août). Cette variété abonde
dans les habitations des oasis.
3° Variété Saharœ. — Aïn-Sefra (Hiroux).
4° Sous-variété gracilis. — Oran (rochers, arbres) ; îles
Habibas; Arlal.
M. Pallary me l'a rapportée du cap Spartel (Maroc).
M. G. Buchet l'a recueillie au cap Sim, près Mogador.
5" Sous-variété atlantica. — Saïda : dj. Aïat (Pallary); gorges
de l'oued Saïda ; Bedeau. Méchéria (Hirouxj.
6» Variété lissoïde. — Stitten : ravin du barrage, dans les
rochers.
ESSAI SUR LA FAUNE ERPÉTOLOGIQUP: DE l/oRANIE 5l7
Ethologie. — La tarente se trouve partout, dans les
maisons, sur les remparts, dans les carrières, dans les souter-
rains, sur les arbres, etc. Elle court avec agilité et, grâce à
l'épanouissement de ses doigts qui forme ventouse, elle
poursuit les insectes môme sur les surfaces les plus lisses.
Dans les maisons on la voit traverser le plafond et scruter
les angles qu'elle débarrasse des araignées.
Gomme la plupart des geckotiens, la tarente est plulôt
nocturne que diurne. On ne l'aperçoit que rarement dans le
milieu du jour. Elle se tient alors toujours à l'ombre, sous un
rocher ou sur un arbro. Elle sort à l'approche de la nuit et
après le lever du soleil. Elle ne s'éloigne guère de la fente
qu'elle habite avec toute la famille. La recherche de sa nour-
riture l'oblige pourtant à s'en écarter. C'est ce moment qu'il faut
choisir pour la prendre. On bouche prestement le trou et on
capture l'animal lorsqu'il revient vers sa demeure. Lorsqu'on
le saisit, il pousse un petit cri aigu.
La tarente est très rare en hiver; elle hiberne sous les toits,
dans les tuyaux de gouttière d'où les fortes pluies la chassent.
La femelle pond en juin-juillet. Les œufs, à coquille dure,
sont ordinairement au nombre de deux. Ils sont ovales,
longs de 14 millimètres, épais de 11. Ils sont déposés sur
le sol, sous une pierre ou à l'ombre dans une lézarde d'un
mur exposé au soleil .
Utilité. — La tarente se nourrit d'insectes. Elle devrait être
multipliée dans les maisons qu'elle débarrasse des araignées
et autres vermines. C'est un animal tout à fait inofïensif.
Tarentola neglecta Blg. (PI. IV, fig. 3, 4)
La tarente dédaignée.
Tarentola neglecta Strauch, 1887 (in Benierk, û. d. Geck.), p. 21.
(PL, fig. 3, 4.)
Tarentola angusticeps Strauch (loe.cit.), p. 22. (PL, fig. 1, 2).
T. neglecta Blg. (Cat. of Barb.), Ern. Olivier.
Caractères principaux. — Tous les tubercules principaux
isolés, carénés, presque trièdres, très rapproches sur le milieu du
du dos.
12
518 ESSAI SUR L.\ FAUNE ERPÊTOLOGIQUE DE l'oRANIE
M. Boulenger réunit les deux espèces de Strauch en une seule
fT. negleetaj, la T. angusticeps n'étant considérée par le savant
erpétologiste que comme une simple variation du type. Le tableau
ci dessous donne les différences établies par Strauch.
T. neglecta Blg. - TABLEAU DES ESPÈCES DE STR.\ UCII
I Plaques tuberculeuses de la surface
' de la tète convexes, lisses ou va-
guement carénées. Tubercules sur
14 rangées. PI. IV, fig. 3, 3 a.)
T. negli-cla Strauch.
Plaques tuberculeuses de la surface de la
tête plates, mais à carène bien sail-
lante. Tubercules sur 12 rangées.
(PI. lY, fig. 4, 4o.)
T. angusticeps Strauch.
Les deux espèces ont été recueillies ^ Batna par H. Deyrolle
(ex Strauch).
Tarentola Delalandii D. et B. (PI. IV, fig. 5.)
Fig. Gervais. Reptiles des Canaries. (PL, fig. 8-10)
Le platydactyle de Delalande.
Platydactylus Delalandii D. et B., Gerçais, Strauch.
Cette espèce des Canaries a été signalée à Bogharpar Strauch,
d'après un échantillon de l'exposition permanente. Aucune
découverte n'est venue confirmer la présence de cette espèce en
Algérie ; rien n'y fait présumer son existence. Peut-être la
rencontrera-t-on au sud du Maroc, dans le versant atlantique.
Genre HEMIDACTYLUS Gray.
Caractère du genre. — Doigts tons onguiculés, bien plus
larges dans les deux tiers inférieurs que dans le tiers supérieur.
Celte dernière partie est formée de deux phalanges, tr'es grêles
ressemblant à une forte griffe quiz termine un petit ongle.
Face inférieure de la partie élargie couverte par deux séries
parallèles d'écaillés lametleuscs séparées par un sillon médian.
ESSAI SUR LA FAUNE ERPÉTOLOGIQUE DK l'ORANIK 519
Une seule espèce de ce genre a été signalée en Algérie et en
Tunisie.
7. Hemidadylus iurcicus L. (Pi. IV, fig. G, 6a)
Fig. Bory de Saint-Vincent (Expèd. en Morée) rept. PI. XI, fig. 2.
L'hémidactyle verruculeux de Guvier.
Hemidactylus cyanodactylus fla/., Strauch.
H. verruculatus Cav., Gerv., Guich.; D. et B.
H. turcicus (Lacerta) L., Blg., Ern. Olivier.
Caractères principaux. — Corps subcylindrique à dos
parcouru par 14 lignes de tubercules saillants, blancs, isolés,
trièdres, à carène obtuse. Doigts élargis dans les deux tiers
inférieurs, terminés par une sorte de longue grijfe.
Coloration. — Dessus du corps d'un gris cendré assez
foncé, parsemé de taches brunes sur le dos et de lignes
sinueuses de même couleur sur la tête. Tubercules blancs.
Sexes — Deux petits renflements à la base de la queue
chez le mâle.
Taille.- 0^045 + O-" 050 rr 0^095; 0^048 + queue. O"» 12
[Strauch). — Février à décembre.
Distribution géographique. — (B : T., H. PL, S.) — Cet
animal est assez rare Lataste (ex Blg.) l'a signalé à Oran, où
je l'ai trouvé plusieurs fois dans les environs : carrières et
ravins autour du Polygone, pic d'Aïdour, falaises de Gambetta
et Batterie espagnole. Je l'ai recueilli aussi dans le ravin Sainte-
Anne, près de Misserghin, et à Arlal. On le trouvera certaine-
ment ailleurs. Je ne le connais pas des Hauts-Plateaux et du
Sahara oranais.
Etfiologie. — L'hémidactyle vit de préférence d ms les
ravins rocheux sous les grosses pierres en partie enterrées.
On le trouve aussi sous les tas de moellons dans les vieilles
carrières, dans les vieux murs et dans les drains abandonnés.
520 ESSAI SUR LA FAUNE ERPÉTOLOGIQUE DE L'ORANIE
11 ne sort qu'à la tombée de la nuit. C'est un animal inoffensif
et aussi utile que la tarcnte.
La femelle pond en juin 2 ou 3 œufs subsphériques de
de 9 mil), sur 10. La coquille est dure, grise et marbrée de
violet par places. L'éclosion a lieu en juillet.
Genre PTYODACTYLUS Gray.
Caractères du genre. — Doigts assez longs, cylindro-
coniques, terminés par une exj^iansion senti- circulaire ou
trapézoïde, légèrement échancrée en avant. La face inférieure
de Vc-xpansion est recouverte de lamelles obliques et parallèles
disposées en éventail et divisées en deux séries symétriques par
un sillon médian. Un ongle microscopique est logé dans chaque
échancrure.
Ce genre est représenté en Algérie par une seule espèce,
Pt. oudrii Lat. que M. Boulenger ne sépare pas du Pi. lohatus
Geoffroy d'Egypte. L'étude que j'ai faite des exemplaires du
Sud Oranais m'a amené â maintenir au rang d'espèce le
Pt. oudrii de M. F. Lataste.
Le tableau ci-après fait ressortir les différences spécifiques
sur lesquelles je base mon opinion :
G. Ptyodactylus. — TABLEAU DES ESPÈCES
Tête renflée, front sur un plan bien plus élevé que
celui du museau ; corps arrondi ; diamètre
de l'œil atteignant presque 5 mil!. ; cuisses
dépourvues de petits tubercules saillants
semblables à ceux du dos ; expansions des
doigts semi-circulaires ; ouverture tympa-
nique, étroite et longue, 2 à 3 fois plus haute
que large ; narines très saillantes en forme de
bourrelet bien distinct,( PL V, fig. 2, 5a )
Pt. lobatus Geoff. — Egypte.
ESSAI SUR LA FAUNE ERPÉTOLOGIQUE DE L'ORANIE 521
Tète plate : tronc déprimé ; diamètre de l'œil
dépassant à peine o inill. ; cuisses et avant-
bras pourvus do nombreux, tubercules
saillants semblables à ceux du dos ; expan-
sions des doigts à bords souvent repliés
en dessus, ce qui donne à l'ensemble la
forme d'un losange ; ouverture tympaniqu3
petite, à peine plus haute que large, en
forme de demi-cercle ; bourrelet des narines
peu saillant. (PI. V, (ig. 1, la, h, c.)
Pt. Oudrii Lat. — O.
8. Piyodaciylus oudrii Lat. (PI. V, llg. 1, 1 a, b, c)
Fig. Blg. Cat. Bavb. (PI. XIII, f. 2, a, b, c.)
Le type est figuré : Description de l'Egypte, suppl. (PI. i, fig. 2.)
Le gecko d'Ouclri.
Ptyodactylus Oudrii Latasie, in journal le Naturaliste, 1880,
p. 299.
Pt. lobatus Geoffr. var. Oudrii Blg., Ern. Olivier.
Caractères principaux. ~ {Voir le tableau ci-dessus.)
Tête ressemblant à celle de Tarentola mauritanica, mais plus
plate. Ses dimensions sont : largeur entre les oreilles 0^013 ;
distance du bout du museau à la ligne des oreilles 0™015, au
pli du cou O'nQlB ; hauteur 0"i007. (Chez Pt. lobatus d'Egypte
la tète est renflée comme chez Stenodactglus guttatus : elle
est haute de O'nQlO, le front étant sur un plan bien plus élevé
que celui du museau.) Yeux petits, un peu plus larges (0'»0031)
que hauts, à arcade sourcilière presque droite, à angles supé-
rieurs un peu arrondis mais bien marqués. (Chez Pt. lobatus
les yeux sont presque circulaires et le diamètre du globe est
de OniOOil.) Narines peu saillantes. (Chez Pt. lobatus elles
forment un bourrelet très proéminent bien détaché.) Granula-
tions de la partie antérieure de la surface de la tête plus
grandes que celles de la région frontale et plus encore que
522 ESSAI SUR LA FAUNE ERPÉTOLOGIQUE DE L'ORANIE
celles de l'occiput. Labiales en nombre variable (-^^•••),
difficiles à compter ; les supérieures ne correspondent pas
exactement aux inférieures. (Chez Pt. lohatus elles sont très
symétriquement placées.) Mentonnière très étroite (O"'OO08)
et longue, la pointe atteignant presque la ligne inférieure des
inframaxillaires. Ces dernières, très contiguës entre elles, sont
deux fois plus longues que larges. (Chez Pt. lohatus les infra-
maxillaires sont aussi larges que hautes.) Trou auditif petit,
en forme de demi-cercle : la corde, en avant, mesure O^OOIS
de haut, la flèche 0,001. (Chez Pt. lohatus les dimensions sont
0^003 surO"i001.) Corps couvert de fines granulations à peu
près semblables à celles de l'occiput. Sur ce fond, font saillie
de petits tubercules arrondis, peu proéminents, mais bien
visibles, distants les uns des autres de 1 à 2 millimètres et
disposés sur une douzaine de lignes irrégulièrement parallèles.
Des tubercules semblables existent aussi en assez grand
nombre sur les cuisses et sur les jambes. Ils sont rares sur
les bras, assez nombreux sur les avant-bras. On en voit
encore de plus petits sur le bord postérieur des anneaux
de la queue. Le dessous de la queue est couvert de petites
écailles à peu près semblables à celles du dessus. Membres
plus ramassés que chez Pt. lohatus. Avant-bras plus court que
le bras. (Chez Pt. lohatus il est au moins aussi long.) Chez les
deux espèces, la différence est encore plus sensible dans les
membres postérieurs. Extrémité de chaque doigt élargie, à
expansion formée en dessous par des lamelles parallèles
obliques, disposées en éventail ; bords relevés, ce qui donne
au contour de l'expansion (sur le vif) une forme losangique ;
bords antérieurs blancs.
Je dois faire observer que, lorsque la mue se produit au
moment de la mise en alcool, si on enlève le vieil épiderme,
on voit que les expansions des doigts ont une tendance à
devenir semi-circulaires comme chez les Pt. lohatus d'Egypte
que j'ai en collection ou que j'ai vus figurés. Il y aura lieu de
bien fixer la forme de l'expansion de l'animal égyptien.
Les membres de Pt. oudrii ayant des proportions moindres,
la distance entre les coudes et les genoux ramenés sur le tronc,
est plus grande que chez Pt. lohatus. Elle égale, en moyenne,
ESSAI SUR LA FAUNE ERPÉTOLOGIQUE DE L'ORANIE 523
le tiers de la distance de l'aisselle à l'aine. (Chez Pt. lobaius
elle n'est égale qu'au quart.)
CoLOHATioN. — D'un gris brunâtre assez foncé avec des
taches éparses plus sombres, mais peu distinctes. Ventre d'un
blanc sale.
Sexes. — Le mâle est pourvu, à la base de la queue, de
deux petits mamelons, portant sur le côté deux tubercules
saillants.
Taille.— 0 m 058 + 0"' 056 ; GraOGO +0"iG58 z= O'MIS. Un
jeune (12 août) : 0'n028 + (queue).
Distribution géographique. — (Ai : H.-PL, S.) — Cette
espèce n'était connue, dans la province d'Oran, que par un
exemplaire recueilli à Djenien-bou-Resq par mon regretté ami
Maury et donné par lui à M. Lataste. J'ai été assez heureux
pour retrouver ce gecko. Je l'ai vu à Géryville, vers les Gorges.
(20 juillet 1897). Je l'ai capturé en nombre à Stitten le 28.
Enfin, j'en ai pris deux jeunes individus au sommet du Djebel-
bou-Derga (poste optique près de Géryville), le 12 août. M. Pic
(in litt.) me dit avoir capturé le Ptyodactyle à Méchéria et à
Aïn-Sefra.
Ethologie. — Cette espèce vit dans les amas de rochers,
comme Tarentola mauritanica. Elle a d'ailleurs l'aspect de la
variété noirâtre de cette dernière. Elle cohabite à Stitten avec
la var. Ussoide laquelle s'en distingue, de loin, à première vue,
par sa coloration très pâle.
Pt. oudrii paraît avoir des mœurs identiques à celles de la
tarente ; il ne semble sortir que le matin et le soir. A Géryville,
j'ai aperçu cette espèce à la tombée de la nuit, sur des rochers
à pic où je n'ai pu l'atteindre. A Stitten, je l'ai vue en abon-
dance le matin, de neuf heures à onze heures, dans les grands
amas de rochers, peu exposés au soleil, qui se trouvent vers
le barrage. Je l'ai chassée en la délogeant des anfractuosités
horizontales, avec un bâton. Très agile, elle est diftlcile à
prendre. Ce n'est qu'avec l'aide de petits arabes que j'ai pu
en capturer une dizaine d'individus. Les deux jeunes que j'ai
pris au Djebel-bou-Derga, sous une grosse pierre à moitié
524 ESSAI SUR LA FAUNE ERPÉTOLOGIQUE DE L'ORANIE
enterrée, me laissent à penser que, pendant le jeune âge, les
mœurs de cette espèce se rapprochent de celles de VHen),idac-
tylus turcicus.
Genre PHYLLODACTYLUS Gray.
Caractères du genre. — Tous les doigts onguiculés, por-
tant à leur extrémité une expansion suhtriangulaire à face
inférieure unie ou finement chagrinée rugueuse et divisée en
deux far un sillon médian.
Ce genre est représenté en Tunisie par une seule espèce :
Phyllodactylus europœus Gêné. (PI. V, fig. 4, 'i a)
Fig. Bonaparte f'FaM/ia italicaj.
Le phyllodactyle d'Europe.
Phyllodaclylus europœus Gêné ; Boulenger.
M. Doria a signalé cette petite espèce à Tiio Galita (T.)
Genre GYMNODACTYLUS G. Cuvier
Caractères du genre. — Doigts onguiculés, dépourvus
d'expansions, arroniis ou un peu aplat is dans la moitié
inférieure, généralement comprimés par les côtés dans la partie
supérieure; pas de dentelures sur les bords. Le mâle a ordinai-
retnent des pores fémoraux.
Ce genre est représenté au Maroc par une espèce :
Gyranodactylus trachyblepharus Boltg. (PI. V, fig. 3, 3 a, 6)
Description eijig. BoLlg. Abh. Senck. Gés. 187'i. (PI. X. fig. 3^
a, b, c, d.)
Le gymuodaclyle à paupières hériss es.
Gymnodaclylus trachyblepharus Bb^^^. in Rept. oo/i Maroc... 1874
G. — — Boulenger.
Espèce de petite taille, grêle, à queue fine, bien reconnaissable à
ses paupières supérieures fortement dentées en scie et à ses
ESSAI SUR LA FAUNE ERPÉTOLOGIQUE DE L'0RAN[E 525
doigts compriinos laléralemoiit dans le tiers supC'ritmr et de
longueur un peu exagérée. Dos couvert de fines granulations.
Ventrales plates, assez larges, imbriquées.
Cette espèce a été recueillie au Djebel Iladib, près Mogador
(Maroc), par von den Herren et von Fi-itsch (ex Boltger.)
Genre SAURODACTYLUS Fitz.
Caractères du genre. — Doigts presque filiformes, tous
onguiculés, semblables à ceux des petits lacertïens ; face infé-
rieure striée par des replis transversaux s'étendant sur toute
la largeur; côtés très peu dentelés. Orteil interne s' écartant à
angle droit. Corps couvert d'écaillés symétriques ; celles du
dos très petites, granuleuses ; celles du ventre hienplus grandes,
plates, imbriquées.
Une seule espèce au Maroc et en Algérie.
9. Saurodacfyliis mauriianicus D. et B. (Pl.V, fig. 5, 5 a)
Fig. Blg. Clac, cit.) Pi. XIII, f. 1, a, b, c.
Le saurodactyle de Maurétanie.
Gymnodactylus mauritanicus D. et B., Stranch, Lallemant.
Saui'odactylus mauritanicus D. eti?., Blg., Ern. Olivier.
Ce saurodactyle est le plus petit de nos sauriens. 11 est très
rare et peu connu. Voici la description du seul individu que je
possède :
Aspect d'un petit Lacerta perspicillata, k dos bronzé. Tête
dépourvue de plaques symétriques, un peu plus longue que
large: ligne des oreilles 5 niill., distance au bout du rnuseau
0'"006. Museau court; œil circulaire (0 "'00 12) à arcade sour-
cilière non saillante ; tempes assez proéminentes ; labiales
nettement élargies |. Nanne entre la rostrale, la l^e labiale et
trois nasales. Les deux supranasa'es grandes, larges, contiguës
entre elles et à la rostrale ; les deux autres nasales sont formées
par deux granulations semblables à celles de la tête, mais plus
526 ESSAI SUR LA FAUNE ERPÉTOLOGIQUE DE L'ORANIE
grandes. Ecaillure de la surface de la tête fine, très régulière,
imbriquée, les plus grandes écailles se trouvant sur le museau.
Peau du dos recouverte d'écaillés paraissmt régulières, très
finementgranuleuses, absolument semblables à celles d'un petit
Lacerta, lisse à l'œil nu. En dessous, l3s écailles, très fines sous la
gorge, s'agrandissent au-delà. Sur le ventre, elles sont à peu
près toutes de même gi-andeur, visiblement imbriquées et
régulièrement disposées. Toutes sont très plates, anguleuses,
mais à angles très arrondis. Queue couverte en dessus et
sur les côtés d'écaillés carrées ou un peu rectangulaires, à
bords droits et épais, toutes semblables, à peu près régulière-
ment disposées en verticilles. En dessous et sur le milieu,
se trouve une ligne de plaques trapézoïdes à grande base
convexe. Cette ligne atteint le bout de la queue. Elle est
bordée de chaque côté de deux lignes de plaques semblables
à celles du ventre. Les premières pla({ues, les plus grandes,
ont U»i00125 de largeur et 0'"0005 de longueur. Membres
très écailleux. Doigts très fins (le plus long mesure 22 mi 11.),
très oblusément denticulés sur les côtés, portant en dessous
des plaques larges, courtes, carénées dans le sens de la
largeur. 2^^ 3« et 4^ doigts à peu près égaux, s'étalant en
éventail. Orteils inégaux; le 4% qui est le plus long (3 mill.),
dépasse à peine le 3*=.
Coloration. — Dessus brun, presque bronzé, uni, tacheté
de points de couleur rouge de brique, distants, disposés en
lignes peu régulières. Quelques écailles noires touchent ces
points. Queue plus colorée, portant de nombreuses taches
orangées, irrégulières, grandes, élargies. Ventre d'un blanc
très sale. Dessous de la queue rosé orangé.
Taille — 0"i027 + 0'"032 = 0"i059 ; largeur du corps 6 à
7 millimètres.
Observation. — Le seul échantillon que je possède et qui
provient de Sebdou semble différer des échantillons recueillis
à Mogador par M. Gaston Buchet. Les exemplaires marocains
ont le corps moins grêle et l'éraillure de leur queue diffère
nettement de celle de l'exemplaire de Sebdou ; la ligne inférieure
ESSAI SUR LA FAUNE ERPÉTOLOGIQUE DE l'oRANIE 527
et régulière de plaques larges et con ligues n'existe pas. Les
écailles supérieures des anneaux ne sont pas disposées en
verticilles réguliers; elles sont de dimensions inégales et leur
bord libre est arrondi en pointe. N'ayant qu'un seul échantillon
oranais, je me contente de signaler les différences constatées.
La figure de BIg. (loc. cit.) représente aussi un animal plus
ramassé semblable à ceux de Mogador.
DfSTRIBUTION GÉOGR\PH[QUE. — (M., Al : T., //. P., S.) —
M. Lataste a reçu de Nemours deux individus de cette espèce,
récoltés par M. Gazagnaire en 1888 {ex Blg.). C'est la seule
localité de la province d'Oran où cette espèce ait été signalée.
Je l'ai retrouvée en septembre 1896 dans le djebel Mizab, à
14 kilomètres de Sebdou, non loin de la maison forestière. J'ai
vu deux individus, mais je n'ai pu en capturer qu'un seul.
Depuis, je n'ai plus revu cette espèce que sa petitesse et peut-
être aussi des mœurs spéciales soustraient aux recherches.
Dans la province d'Alger elle a été signalée au Sersou
(Millier). Slrauch l'a vue dans la collection Loche, provenant
du Sahara.
Ethologie. — Cette espèce m'a paru vivre comme l'hemi-
dactyle. J'ai trouvé l'exemplaire que je possède sous un
amoncellement de grosses pierres en partie enterrées.
Un autre individu que je ne pus prendre se trouvait sous
une pierre isolée qui recouvrait un trou vertical dans lequel
il disparut.
Cet animal ne doit sortir qu'à la tombée de la nuit. Je l'ai
pris, vers les cinq heures, dans un endroit très ombragé,
dans une forêt pierreuse.
Genre TROPIOCOLOTES Peters.
Gar^cti^res du genre. — Taille petite. Tête petite et
plate. Doigts fins, courts, non dilatés. Dos et ventre cow erts
d'écaillés imbriquées, carénées, les carènes formant des
lignes continues et parallèles. Ecaillure de la queue semblable
à celle du corps.
528 ESSAI SUR LA FAUNE ERPÉTOLOGIQUE DE L'ORANIE
Une espèce de ce genre existe dans le Sahara tunisien :
Tropiocolotes tripolitanus Peters. (PI. V, fig. 6)
Fig. Peters Mon. Berl. Ac. 1880. (PI. X, fig. 1)
Le tropiocolotes de la Tripoli taiiie.
Tropiocolotes tripolitanus Peters, Boulenger.
Cette espèce du Sud tunisien est inconnue en Algérie. On
pourra la rencontrer dans le Sahara constantinois.
M. M. Blanc m'a envoyé de Foum Tatahouine (Tunisie) deux
échantillons de cette espèce remarquables par leur corps grêle.
(Fig. 6.)
Genre STENODACTYLUS Fitz.
Caractères du genre. — Doigts cylindriques à écailles
latérales les faisant paraître dentelés en scie à la loujie ; face
inférieure portant plusieurs rangées longitudinales d'écaillés
suhépineuses. Ventre couvert de fines granulations de même
facture que celles du dos.
Ce genre est représenté en Algérie et en Tunisie par une
seule espèce :
10. Sienodaciylus guffatus Cuv.
Le type: Fig. Expédition d'Egypte, rept. (PI. V, fig. ?.)
Le stenodactyle tacheté.
Stenodactylus guttatus Guy., Aud. et Sav., Boulenger^
Caractères principaux. — {Voir ceux du genre).
Le St. guttatus Cuv. est bien variable. Le type, qni es
égyptien, ne paraît pas avoir encore été rencontré en Berbérie.
La forme algérienne diffère tellement du type que Guichenot
n'a pas hésité à élever au rang d'espèce (St. unauritanicus)
l'animal d'Oran. Sans admettre l'opinion de Guichenot, je suis
loin de la repousser. Mon indécision vient de ce que St. mauri-
taniens varie dans notre province et, dans ces conditions, je
ESSAI SUR LA FAUNE ERPÉTOLOGÎQUE DE l'oRANIE 529
préfère ne le considérer, momentanément, que comme une
variété. L'élude de matériaux sullisants permettra, plus tard,
d'être affirmatif. En attendant, voici un tableau présentant les
différences observées :
St. guttatus. — TABLEAU DES VARIÉTÉS
/ « Extrémité des membres postérieurs
appliqués le long du corps attei-
gnant presque le trou auditif. Écail-
lure du dos à éléments bombés. »
(Strauch.)
Variété Wilkinsonnii.
Extrémité des membres postérieurs
atteignant à peine l'aisselle. 2
Plaques nasales formant autour des
narines un bourrelet très saillant.
Ecadlure du dos égale, à éléments
lisses, plans conve.xes. Un sillon
dorsal.
Variété guttatus (St. Cmu.) — Egypte.
Plaques nasales ne formant pas un
bourrelet saillant. Écaillure supé-
rieure plus ou moins inégale à
éléments striés nettement con-
vexes, subpyramidaux. 3
Écaillure peu inégale.
Variété mauritanicus.
3.
Écaillure formée d'éléments de gran-
deur variable : les plus grands
égalant 4 fois les plus petits, bien
visibles à l'œil nu et ressortant
comme des tubercules.
Variété Hirouxii.
530 ESSAI SUR LA FAUNE ERPÊTOLOGIQUE DE l'oRANIE
Variété MADRITANICUS
Fig. Guich., Explor. se. de l'Algérie (PI. 1, fig. 1)
St. mauritanicus Guich., Strauch, Lallemant.
St. guttatus Blg., Ern. Olivier.
Tête épaisse (8 à 9 mill.), aussi large que longue ; ligne
des tempes : 11 mill. ; de la ligne des oreilles au museau : 11-
12 millimètres. Museau court. Narines très peu saillantes.
Labiales ^° , " (Ce caractère est sans valeur). Écaillure
9 ' 8 ^ ^
assez fine, granuleuse. Granules subécailleux, épais, subconi-
ques sur le dos, ceux de la tête assez plats, tous striés par des
rayons irréguliers qui partent du centre. Tous ces granules
sont à peu près de même grandeur ; leur contour est irrégulier.
Ventre à granulations plus fines, convexes, arrondies, régu-
lièrement disposées. Celles de la gorge encore plus fines.
Queue grosse. Écaillure supérieure exagérant celle du dos.
L'inférieure plus fine que celle du dessus. Membres courts et
forts. Doigts et orteils assez gros (0,0008 de diamètre). Le doigt
du milieu est le plus long, mais il dépasse à peine les latéraux.
Coloration. — Robe à couleur changeante sous l'effet du
mimétisme. Lorsqu'on prend l'animal, il est généralement d'un
gris noirâtre, lorsqu'on le retire du sac de chasse on le trouve
avec une robe gris clair ornée de bandes plus apparentes.
Parfois on le trouve de couleur roussâtre.
Voici la coloration la plus commune que l'on constate à Oran :
Fond d'un gris noirâtre. Sur le dos et sur la tête de larges
bandes transversales de même couleur, bien plus foncées,
bordées de noir, tranchent vivement sur le fond de la robe. La
première de ces bandes forme, sur la tète, un grand fer à cheval
qui, des yeux, contourne l'occiput. Son épaisseur est de deux
millimètres. Elle est bordée .par une ligne sinueuse d'écaillés
noires. Les extrémités du fer à cheval montent souvent sur les
arcades sourcilières pour descendre sur les côtés du museau.
La roslrale et la mentonnière sont aussi entourées d'un cercle
presque fermé. Un deuxième ter à cheval se trouve sur le
cou ; chaque branche atteint le milieu de l'espace compris
entre l'épaule et l'oreille.
ESSAI SUH LA FAUNE ERPÉTOLOGIQUE DE l'ORANIE 531
En arrière, h une dislancc égale à celle qui sépare les deux
fers à cheval, se trouve une troisième bande de 3 niill. qui
barre lo haut du dos. Cette bande est parfois sectionnée en
ti'ois taches, les latérales étant les plus petites. Jusqu'à la
naissance de la queue peuvent exister trois ou quatre autres
grandes taches semblables à la grande de la troisième bande.
On trouve aussi de petites bandes plus ou moins apparentes
sur les membres. Tout le dessus du corps et des membres est
semé d'un grand nombre de gouttelettes d'un brun clair ou
d'un blanc sale.
Les flancs, les pattes et la queue sont, assez souvent,
latéralement, lavés de jaune crème réticulé par le brun du
dos. Le museau est plus clair que la partie frontale. Ventre
blanc. La queue porte des anneaux mal définis de taches
alternativement claires et sombres.
Observation. — Je n'ai jamais constaté les taches bleues
que l'on voit dans la figure de Guichenot.
Sexes. - Le mâle présente sous la queue deux mamelons
bien distincts séparés par un sillon profond.
Taille. — 0'n052 + 0"i033 = 0'"085.
Distribution géographique. — (Ai, T : T., H. P., S.)— Ne
possédant de l'Algérie que des échantillons de la province
d'Oran, je ne puis dire jusqu'où s'étend, à l'est, la var.
mauritanica, telle que je viens de la délimiter.
C'est d'Oran que Guichenot l'a décrite et figurée. On la
rencontre presque toute Tannée sur le plateau qui s'étend
d'Oran à la montagne des Lions. Elle y est rare. Aussi, à la
Batterie espagnole (très rare). Je l'ai recueillie (var, gris perle)
à Kralfallah (20 août), au Khreider (15 juillet). J'ai pr s aussi
un exemplaire à Géry ville le 10 août. Ayant donné cet
échanlillon, je ne sais s'il appartient à la var. mauritanica
ou à la var. Hivoiucii. Il était à fond roussàtre.
M. M. Blanc m'a envoyé la variété mauntanica de Foum
Tatahouine (Tunisie).
Un échanlillon du même pays, sans localité précise, pré-
sente une écaillure bien curieuse: les écailles sont inégales et
532 ESSAI SUR LA FAUNE ERPÉTOLOGTQUE DE l'ORâNIË
allongées, comme imbriquées. Malheureusement l'exemplaire
est en mauvais état, l'épiderme manque.
Variété HIROUXII Nob. (PI. V, fig. 7, 7 a)
Se sépare de la variété précédente par l'écaillure du
dos qui est inégale. On distingue nettement, sur le dos, des
granulations 2 à 4 fois plus grandes que les autres. Ces
granulations sont blanches ou brunes. Les plus grandes
ressortent comme les tubercules du Ptyodactylus oudrii.
La coloration est à fond roussàtre, les bandes et les taches,
d'un brun roussàtre plus foncé. J'ai reçu cette variété de
Méchéria (Hiroux).
Ethologie. — Le stenodactyle est comme tous les geckotiens
un animal nocturne. Il commence à circuler vers le soir. Il se
blottit sous les pierres isolées où on le capture facilement,
mais rarement. Si le temps est frais, on peut le trouver dans
la journée. Enroulé en cercle, il ne fait pas un mouvement.
C'est certainement le lézard le plus facile à prendre. Il doit être
la proie des couleuvres. C'est là une des causes de sa rareté. Il
habite dans la terre, dans un trou caché sous un petit moellon.
L'immobilité qu'il manifeste lorsqu'on le surprend n'est que
voulue. Si on laisse un moment l'animal libre sur la main, il
s'élance comme une sauterelle et disparait assez vite. Quand
on le saisit, il pousse un petit cri aigïi.
On trouve cette espèce presque toute l'année. Je l'ai prise à
Oran le 2 février, le 10 mars, le 1-4 juin, le 5 octobre, le
8 décembre. Je n'ai pu faire aucune remarque sur la période
de gestation Les jeunes naissent après le 15 août. Le 28, un
nouveau-né mesurait 29 + 19 = 48 mill. Ses pattes étaient
très longues ; sa coloration, identique à celle des adultes.
Variété WILKINSONNII
Stenodactylus Wilkinsonnii Straiich (Bermek., Gekonidem, loe.
cit., page 67.)
Strauch a décrit et cité son espèce de Batna d'après deux
exemplaires recueillis par M. H. Deyrolle.
Observation. — Je ferai remarquer que les jeunes geckotiens
ont souvent les membres de longueur anormale.
(A suivre).
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géographie et d'archéologie
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