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Full text of "Bulletin trimestriel de géographie et d'archéologie"

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in  2010  with  funding  from 

University  of  Ottawa 


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SOCIÉTÉ 


GÉOGRâPil 


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D'ARCHÉOLOGIE 


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FONDÉE     EN      1  S78 


D  0  LltizLX 


TOI\/CE   XlIX:  .  —    1899 


O  R  AN 

Imprimerie  Typographique  et  Lithographique  L.   FOUQ.UE 
«//c  Tbiiillitr,  4  (Place  KUbcr) 

1899 


Dr 

621874 


SOCIÉTÉ  DE  GÉOGRAPHIE  &  D'ARCHÉOLOGIE 


PROVINCE      D'ORAN 


TOME  XIXe.  —  1899 


TABLE  DES  MATIÈRES 


1>AGE 

Liste  générale  des  membres  de  la  Société  au  1"  janvier  1899. .  I 

Sociétés  correspondantes XII 

Ouvrages  offerts  à  la  Société  en  1897-18915 XIII 

Errata  concernant  le  bulletin  précédent XVI 

Compte-rendu  de  l'Assemblée  générale  du  28  mai  1899 XVII 

Composition  du  Bureau  du  Comité  pour  1899-190U XXVII 

Congrès  et  Sessions  à  Paris  en  190(J XXVIII 

Congrès  national  des  Sociétés  françaises  de  Céographie. .  . .    .  XXIV 

Comité  de  la  Société  (séance  du  i  décembre  1899) XXX 

Etat  numérique  des  passagers  embarqués  et  débarqués  daos 

le  département  d"()ran,  pendant  l'année  1898 XXXI 

Statistique  du  Mouvement  de  la  Xavigation  dans  le  départe- 
ment d'Oan,  pendant  l'année  1898 XXXII 

Statistique  du  Mouvement  (lommercial  des  ports  du  départe- 
ment d'Oran.  pendant  l'année  1898 XXXIX 

Relevé  du  Trafic  des  gares  Karguentali  et  Oran-Marine,  pendant 

l'année  1898 XLIV 

Station  Météorologique  de  Santa-Cruz  (Oran) XLVI 


J.  Caxal.  —  La  coaqa.''te  de  l'Algérie   i souvenirs  rétiospec- 

tils),  Mùst.ipiia  hiMi  Isuiai'l 1,    ITI.   377 

Paul  Ruff.  —  Cln-onique  géographique "-'5,    355 


TABLE    DES   MATIERES 

PAGES 

F.  DouMERGUE.  —  Essai  sur  la  Faune  erpétologique  do 

rOranie 197,   501 

J.  BouTY.  —  Notes  sur  les  divers  tracés  de  chemins  de  fer 

.    Transsahariens  en  étude  en  Algérie 2G1 

Paul  Ruff.  —  Vœux  et  compte-rendu  du  XX'  Congrès  des 

Sociétés  de  Géographie 297 

L'-Colonel  Derrien.  —  Rapport  sur  le  Concours  ouvert  en 
1899  par  la  Société  dr;  Géograpliie 
d'Oran 310 

J.  BouTY.  —  Concours  ouvert  par  la  Société  de  Géographie 

d'Oran 310 

L'-Colonel   Derrien.  —  Station    Météorologique   de    Santa- 

Cruz  (Oran) '.     311 

E.  DouTTÉ.  —    Les  Djebala  du  Maroc,  d'après  les  travaux 

de  M .   A.  Mouliéras 313 

A.  Mouliéras.  —  Hagiologie  Mag'ribine 374 

Louis  Gentil.   —   Résumé  d'une   conférence   sur  l'Histoire 

du  Massif  du  Santa-Cruz  (Oran)  ....     ^523 
Commandant  Azéjia.  —  Essai  sur  l'Hydrologie  et  la  Géologie 

de  la  région  de  Saïda 429 

Commandant  De.maeght.  —  Notice  sur  les  fouilles  exécutées 

dans    les    ruines   de    Portus- 

Magnus 485 

L'-C  Derrien.   —    Inscriptions   inédites    de    la  Maurétanie 

Césarienne 497 


BIBLIOGRAPHIE 

Paul  RuFF.  —  L'Atlas  marocain,  de  M.  Paul  Schnell 30 

E.  DouTTÉ.  -  Bulletin  bibliographique  de  l'Islam  Maghribin.  33 
D'  Carton.    —   L'Architecture  sacrée  de  l'Afrique  païenne, 

d'après  un  livre  de  M.  Gagnai  et  Gauckler.  133 

E.   DouTTÉ.  —  L'Apocalypse  d'Esdras 3G6 


Liste  pérale  ki  leires  de  la  Société 


au  l*^"  janvier  1899 


PRÉSIDENT    HONORAIRE 

M.  MoNBRUN,  Avocat  à  Oran. 


MEMBRES    D'HONNEUR 

MM.  Le  Gouverneur  Général  de  rAlgérie, 

Le  Général  Commandant  'a  Division  d'Oran. 

Le  Préfet  d'Oran. 

De  Brazza,  ancien  Gouverneur  du  Congo. 

A.  HÉRON  de  Villefosse,  Membre  de  l'Institut. 

René  Gagnât,  id. 

Le  Conseil  Général  du  Département  d'Oran. 

Le  Commandant  Marchand,  Explorateur. 


MEMBRES    HONORAIRES 


MM,  Elysée  Reclus,  Géographe. 
Jules  Verne,  à  Paris. 
Binger, 
Cavon,  I 

MiZON,  j 

Monteil,  I 

Moustier, 

Nanssen, 

Nordenskiold 

Trivier, 

Vermink, 

Zweifel, 


)  explorateurs. 


LISTE   GENERALE   DES   MEMBRES    DE   LA    SOCIETE 


MEMBRES  HONORAIRES  CORRESPONDANTS 

MM.  René  Basset,  Directeur  de  l'Ecole  Supérieure  des  Lettres 
à  Alger. 

Augustin  Bernard,  Professeur  à  l'Ecole  Supérieure  des 

Lettres  à  Alger. 

Carton,  Médecin-Major  au  19*^  Piégiment  de  Chasseurs. 

A.  L.  Delattre  (des  Pères  Blancs),  Correspondant  de 
l'Institut  à  Cartilage. 

P.    Gaukler,  Directeur  du   Service  des  Antiquités  et 
Beaux-Arts  de  la  Tunisie. 

Gentil,  Préparateur  au  Collège  de  France. 


MEMBRES  ÉLUS  A  L'ASSEMBLÉE  GÉNÉRALE 
DE  1898 


BXJR,E  A.XJ 


MM.  Derrien,  Lieutenant-colonel  en  retraite,  Président. 

MouLiÉRAS,  Professeur  de  la  Chaire  Publique  d'Arabe 
d'Oran,  l^^"  Vice-Président. 

GoYT,    Géomètre  principal  du  Service  Topographique, 
2me  Vice-Président. 

BouTY,   Contrôleur  principal   des   Mines,    en    retraite, 
Secrétaire  Général. 

GiLLOT,  Professeur  au  Lycée,  Secrétaire-Adjoint. 

RuFF,  id.  id. 

PocK,   Caissier  de  la  Caisse   nationale  d'Épargne,  Tré- 
sorier. 


MEMBRES    DU    COMITÉ    ADMINISTRATIF 

MM.  Amillac,  Médecin-Dentiste,  Membre. 

BoissiN,  Directeur  de  l'Ecole  Sédiman,  id. 

Daux,  Proviseur  du  Lycée,  id. 

DiDiÈRE,  Géomètre,  id. 

Flahault,  Ingénieur,  '       id. 

Gravereau,  Juge  au  Tribunal  civil,  id. 

Hadj  Hassan,  Conseiller  général,  id. 


LISTE   GÉNÉRALE   DES   MEMBRES   DE  LA   SOCIÉTÉ  III 

MM.  Jacques  fils,  Avocat-défenseur,  Membres. 

JuLLiAN  Charles,  Armateur,  id. 

KocH,  Ingénieur  civil,  id. 

PoussEUR,  Directeur  du  Gaz,  id. 

Renard,  Directeur  de  l'Ecole  Karguentah,  id. 

PiENUCCi,  Inspecteur  des  Postes  et  Télégraphes,      id. 

Robert,  Interprète  militaire  en  retraite,  id. 

Tartavez,  Officier  d'Administration  principal  en 
retraite,  id. 

Tommasini,  Médecin,  id. 


IV  LISTE   GÉNÉRALE   DES   MEMBRES   DE   LA    SOCIETE 


MEMBRES    TITULAIRES 


MM.  Alès,  Médecin  à  Mers-el-Kébir. 

Allard,   Inspecteur  principal   de  la  G"^    F. -A.  à  Per- 
régaux. 

Alliot,  Administrateur  à  Ain-Temouchent. 

Amîllag,  Médecin-dentiste  à  Oran. 

Ancey,  Administrateur  à  Fort-Gueydon. 

André,  Propriétaire  à  Bel-Abbès. 

Antona  (César),  Géomètre  à  Oran. 

Antona  (Joseph),  Géomètre  à  Roseville  (Oran). 

Aron,  Avocat  à  Oran. 

AsTiER,  Pasteur  Protestant  à  Mostaganem. 

AuFFRÇT,  Instituteur  à  Oran. 

Aymé,  Conducteur  des  Pont  et  Chaussées  à  Saïda. 


MM.  Banton  (abbé),  Professeur  au  Séminaire  d'Oran. 

Barber,  Consul  d'Angleterre  à  Oran. 

Barré,  Avocat  à  Oran. 

Barthélémy,  Pharmacien  à  Oran. 

Bastide,  Maire  de  Bel-Abbès. 

Ben  Daoud,  Colonel  en  retraite. 

Bernauer,  Médecin  à  Oran. 

Bessière,  Professeur  au  Séminaire  d'Oran. 

Beyna,  Directeur  de  la  C'e  Algérienne  à  Oran. 

Bister,  Interprète  judiciaire  à  Aïn-el-Arba. 

Blanchet,  Entrepreneur  de  peinture  à  Oran. 

Bloch,  Banquier  à  Mostaganem. 

Blondelle,   Inspecteur  des   Contributions   Directes  à 
Gonstantine. 

Blondelle  ^Georges),  Négociant  au  Sig. 

Blum,  Professeur  au  Lycée  de  Montpellier. 

BoissiN,  Directeur  de  l'École  Sédiman  à  Oran. 

Bossi,  Curé  à  Saint-Lucien. 

BouÉ,  Entrepreneur  de  peinture  à  Oran. 


LISTE   GENERALE    nfi:S   MK:\IHRKS    DE    LA   SOCIETE  V 

MM.  BouTY,    Contrôleur    principal    des   Mines    en    retraite 
à  Oran. 

BOUGNOL,  Notaire  à  TIcmcen. 

I5RUNACHE,  Administrateur  à  Aïn-Fczza. 

Brunel,  Géomètre  principal  à  Mustapha. 

BuRGART,  Constructeur-mécanicien  à  Oran. 


MM.  Gabanel,  Chef  de  Gare  à  Oran. 

Cabanel,  Huissier  à  Mostaganem. 

Cabrol,  Négociant  à  Oran. 

Gairol,  Photographe  à  Oran. 

Canal,  Agent  voyerà  Bel  Abbès. 

Gardona,  Chancelier  du  Consulat  d'Espagne  à  Oran. 

Carrafang,  Conseiller  général  de  Saïda. 

Carli,  Représentant  de  Commerce  à  Oran. 

Cartier,  Entrepreneur  à  Arzew. 

Castanié,   Ingénieur  en   Chef  des   Mines  de   Beni-Saf 
à  Oran. 

Castanié  (fils),  Armateur  à  Oran. 

Cayla  (Emile),  Ingénieur  à  Oran. 

Cercle  de  la  Mosquée  à  Oran. 

Chabaud  (Camille),  Propriétaire  à  Ain  Temouchent. 

Chancogne  (Ernest),    Directeur    du    Comptoir    d'Es- 
compte de  Mascara. 

Chandelier  (Marins),    Propriétaire   du   Café  Riche    à 
Oran. 

Cheilard.    Commandant  en  retraite  à  Alger,   membre 
perpétuel. 

Cholet,  Directeur  de  la  Cie  de  l'Ouest  Algérien,  à  Oran. 

CoHEN-SoLAL,  Profcsseur  d'arabe  au  Lycée  d'Oran. 

Conseil  Municipal  de  Bel-Abbès. 

Id.  de  Perrégaux. 

Id.  de  Relizane. 

Id.  de  Saint-Denis-du-Sig. 

Gourrech,  Intituteur  à  Eckmiihl  (Oran.) 

Courserant,  Notaire  honoraire  à  Mostaganein. 

Courtin\t,  Avocat-défenseur  à  Oran. 

Couture,   Chef  d'Escadron    d'Artillerie    en   retraite   à 
Oran. 


VI  LISTE    GÉNÉRALE   DES   MEMBRES    DE   LA   SOCIÉTÉ 

D 

MM.  Dagne,  Architecte  à  Oran,  membre  perpétuel. 

Daniel  Paul,  Négociant  à  Oran. 

Daux,  Proviseur  du  Lycée  d'Oran. 

Delignon,  à  Barcelone,  Membre  perpétuel. 

Derrien,  Lieutenant  colonel  en  retraite  à  Oran,  membre 
perpétuel. 

Delrieu,  Pilote  à  Oran. 

Dessirier,  Général  de  Division. 

DiDiÈRE,  géomètre  à  Oran. 

DouiNE,  Propriétaire  à  Frendah. 

Doumergue,  Professeur  au  Lycée  d'Oran. 

DouTTÉ,  Professeur  d'Arabe  à  la  Médersa  de  Tlemcen. 

Dragon,  Architecte  à  Oran. 

DupuY,  Liquoriste  à  Oran. 

DuREL,  Propriétaire  à  Oran. 

DuzAN,  Maire  de  Saint-Leu. 


MM.  Emerat,  Conseiller  général  à  Oran. 

EscLALY,  Picprésentant  de  commerce  à  Oran. 
Etienne,  Député  d'Oran,  à  Paris. 


MM.  Fabre  (abbéj.  Curé  de  Kléber. 

Fabriès,  Médecin  à  Bel-Abbès. 

Fauran,     Vérificateur    au    Service    Topographique    à 
Constantine. 

Faure  (Firmin),  Député  d'Oran,  à  Paris, 

Faure,  Entrepreneur  à  Oran. 

FÉRAUD,  Ingénieur  civil  à  Alger. 

Filliat    r Joseph),     Suppléant    du    Juge    de    paix    à 
Montagnac, 

Flahaut,  Ingénieur  à  Oran, 

Flamand,  Professeur  à  l'Ecole  supérieure  des  Sciences 
à  Alger. 

FouLD  (Alfred-Israël),  Propriétaire  à  Oran. 

FouQUE  (Laurent),  Conseiller  général  à  Oran. 


LISTE   GENERALE    DES    MKMlîRF.J^    DE    LA    SOCIETE  VII 

MM.  FouREAU,    Explorateur,    à    Bussière    Poitevine  (Haute- 
Vienne). 

Frette,  Négociant  à  Oran. 

Froget,  Propriétaire  à  Oran. 

G 

MM.  Gachet  (Paul),  Négociant  à  Oran. 

Gail  (de;.  Conservateur  des  Eaux  et  Forêts  à  Oran. 

Garoby,  Secrétaire  Général  de  la  Préfecture  à  Oran. 

Garouste,  Conseiller  général  à  Bel-Abbès. 

Gaucher,  Médecin  à  Alger. 

Gaudefroy  Demombynes,  2,  rue  de  Lille,  à  Paris. 

Gavarry  (Xavier),  Vétérinaire  sanitaire  à  Relizane. 

Getten,  Ingénieur  en  chef  des  Ponts  et  Chaussées  à  Oran, 
membre  perpétuel. 

Gibbal,  Architecte  à  Oran. 

Gillot,  Professeur  au  Lycée  d'Oran. 

(tIrardot,  Lieutenant  de  Gendarmerie  à  Cannes. 

GiRAUD  (Alphonse).  Négociant  à  Oran. 

GiRAUD  (Hippolyte),  Avocat  à  Oran. 

GiRAUD  (Jules),  Négociant  à  Oran. 

GiRAUD  (Edmond),  Avocat  à  Alger. 

Gobert,  Maire  d'Oran. 

Gourlier,  Administrateur-adjoint  à  Nédroma. 

Goyt,  Géomètre  principal  à  Oran,  membre  perpétuel. 

Grandjean,  Instituteur  a  Ain-Temouchent. 

Gravereau.  Juge  au  Tribunal  civil  à  Oran. 

Grégoire,  Interprète  judiciaire  à  Tenez. 

Grivel,  Propriétaire  au  Sig. 

GsELL,    Professeur  à  l'École  Supérieure   des  Lettres  à 

Alger. 

GuÉRiDO,  Conseiller  de  Préfecture  à  Oran. 
GuioL,  Propriétaire  à  Bou-Henni. 


MM.   Hadjj  FTassan,  Conseiller  général  à  Oran. 
Hassan  (Léon),  îs'égociant  à  Oran. 
Havard,  Président  du  Conseil  général,  à  Tlemcen. 


VIII  LISTE   GENERALE  DES  MEMBRES   DE  LA   SOCIETE 

MM.  Heintz,  Imprimeur  à  Oran. 

Hertogh,  Propriétaire  à  El-Ançor. 
Huertas  (Emile),  Curé  d'Àïn-el-Turck. 
Huertas  (Raphaë),  Aumônier  des  S.  S.  Trinitaires  à 
Oran, 


MM.  Jacques,  Sénateur  d'Oran. 

Jacques  (fils),  Avocat-défenseur  à  Oran. 

Jarsaillon,  Propriétaire  à  Oran. 

Jouane  id. 

MM.  Jauffret  (fils).  Entrepreneur  de  peinture  à  Oran. 

Jullian  (Cliarles),  Armateur  à  Oran. 

K 

MM.  Kanoui  (Edmond),  Avocat  à  Oran. 

Kermina,  Entrepreneur  du  port  à  Mostaganem. 
Krumb,  Commis  de  Préfecture  à  Oran. 
KocH,  Ingénieur  civil  à  Oran. 


MM.  Lapaine,  Secrétaire  général  de  Préfecture  à  la  Roche- 
su  r-Yon. 

Laure,  Interne  à  l'Hôpital  civil  d'Oran. 

Laurent,  Maire  de  Perrégaux. 

Leguay,    Commandant    au    131*^    d'Infanterie    à    Cou- 
lommiers. 

Lemoine,    Conducteur    des   Travaux    du    P.-L.-M.     à 
Perrégaux. 

Leruste,  Directeur  du  Crédit  foncier  à  Oran. 

Lescure,  Médecin  à  Oran. 

LÉVY  (Salomon),  Consul  de  Venezuela  à  Oran. 

Loge  Maçonnique  de  Y  Union  Africaine  à  Oran. 

LopÉo,  Inspecteur  du  Crédit  foncier  à  Oran. 

LuPY,  Receveur  municipal  à  Arzew. 

M 

MM.  Mahé,  Conducteur  des  Ponts  et  Chaussées  à  Mascara. 
Mantoz,    Inspecteur  des  Contributions  diverses  à  Oran. 


LISTK   GÉNÉRALE   DES  MEMBRES   DE  LA   SOCIÉTÉ  IX 

MM.  Marchand,  Chef  d'Escadron  en  retraite  à  Tunis,  hiem- 
hre  perpétuel. 
Marquet,  Lieutenant  à  l'École  de  Saint-Cyr, 
Mayaudon,  Notaire  au  Sig. 
Mellet,  Géomètre  à  Oran. 
Mercier,  Chef  du  Dépôt  au  P.-L.M.  à  Oran. 
Merle,  Géomètre  principal  à  Oran. 
Mhammed  BEN  Rahhal,  Propriétaire  à  Nédroma. 
MiLSOM,  Propriétaire  à  Beni-Saf. 
MoNDOT,  Médecin  à  Oran. 
MoTELEY  (Albert),  Propriétaire  à  El-Ançor. 
MouLiÉRAS,  Professeur  de  la  Chaire  Publique  d'arabe 

d'Oran. 
Moulin  (Gustave,)  Caissier  à  la  C'^  des  Eaux  à  Oran. 
MuGNiER,  Arbitre  de  Commerce  à  Oran. 
MuHL,  Géomètre  à  Eckmuhl. 

N 

MM.  Navarre,  Greffier-notaire  à  Montagnac. 
Nessler,  Vice-consul  d'Autriche  à  Oran. 
Ney  (Napoléon;,  à  Paris,  membre  perpétuel. 
NicoLAï,  Capitaine  du  port  à  Oran. 


MM.  Ollivier,  Propriétaire  à  Bou-ïlélis. 

Ondedieu,   Chef  d'escadron   d'artillerie,   en  retraite,  à 
Oran. 

Oudri,  Général  commandant  la  Subdivision  de  Mascara. 


MM.  Pallu  de  Lessert,  Avocat  à  Paris. 
Paris,  Propriélaiie  à  Relizane. 
Pastre,  Architecte  à  Bel-Abbès. 
Patohni,  Interprète  principal  à  la  Division  d'Oran. 
Pequignot,  Directeur  des  salines  d'Arzew. 

Perès,    Directeur  des   mines    d'or    de    Madagascar    à 

Tananarive. 

Peyret-Doi'.tail,  Médecin  de  colonisation  a  Montagnac. 


X  LISTE    GÉNÉRALE   DES   MEMBRES   DE   LA    SOCIETE 

MM.  PiNCEMAiLLE,    Ingénieur    des    Ponls    et    Chaussées    à 
Mascara. 
PiTTOLET,  Notaire  à  Oran. 

PocK,  Caissier  de  ]a  Caisse  Nationale  d'épargne  à  Oran. 
PoiNDRELLE,  Capitaine  commandant  l'annexe  de  Saïda. 
PoiNSSOT,  à  Paris,  membre  perpétuel. 
Pointeau,  Notaire  à  Nemours. 
PoTTiER,  Notaire  à  Oran. 
PoussEUR,  Directeur  du  gaz  à  Oran. 
PouYER,  Entrepreneur  à  Oran. 

Prades,     Répartiteur    des    Contributions    directes    à 
Nemours. 

Prally,  Notaire  à  A.m-Temouchent. 

Prestat,   Président  du  Conseil  d'Administration  de  la 
Société  des  Eaux  à  Oran. 

Priou,  Propriétaire  à  Mostaganem. 

Q 

M.      QuiÉVREUX  (fils),  Propriétaire  à  Saint-Lucien. 

MM.  Reclus  (Onésime),   Géographe   à  Sainte-Foy-la-Grande 
(Gironde). 

Renard,  Directeur  de  l'Ecole  Karguentah  à  Oran. 

Renucci,  Inspecteur  des  Postes  et  Télégraphes  à  Oran. 

RÉUNION  des  Officiers  à  Oran. 

Réunion  des  Officiers  à  Bel-Abbès. 

RiCHOMME,  Lieutenant  au  i"^  Bataillon  d'Afrique  à  Oran. 

Robert,  Interprète  militaire  en  retraite  à  Oran. 

Rochefort  (de),  Agent  principal  de  la  C'«  Transatlanti- 
que à  Oran. 

Rochisani,    Directeur    des    Postes    et    Télégraphes    à 
Oran. 

Roque,  Pharmacien  à  Oran. 

RouziÈs,  Instituteur  à  Tizy. 

Ruff,  Professeur  au  Lycée  d'Oran. 

S 

MM.  Sabatier,  Avocat-défenseur  à  Tlemcen 

Saint-Amans  (Aristide),  Propriétaire  à  Tlemcen. 


LISTR   GÉNÉRALE   DES   MEMBRES   DE   LA   SOCIETE  XI 

MM.  SAiNT-(hR,  Propriétaire  à  Tlemcen. 
Sainte-Germain,  Avoué  à  Oran. 
Saintpierre  (Charles',  Négociant  à  Oran. 
Sajous,  Géomètre  à  Oran. 
Sandras,  Médecin  à  Oran. 
Sarrochi,  Géomètre  à  Oran. 
Sartin,  Gretfier  au  Tribunal  civil  d'Oran. 
Secrétariat  de  l'Évéché. 

Sépulchre  (abbé),  Aumônier  de  l'Hôpital  civil  d'Oran. 
Simon,  Propriétaire  aux  Hamyan,  Saint-Leu. 
Soipteur,  Conseiller  général  à  Tlemcen. 
SouiN  (Auguste),  Propriétaire  à  Marnia 
Spréafico,  Médecin  à  Oran. 
Stephanopoli,  Conseiller  de  Préfecture  à  Oran. 
Supérieur  du  Séminaire  d'Oran. 

T 

MM.  Tabary,  Inspecteur  des  Douanes. 

Tartavez,  Officier  principal  d'Administration  en  retraite 

à  Oran. 
Terrade,  Entrepreneur  à  Oran. 
Thibaudat,  Receveur  des  Postes  à  Karguentah,  Oran. 
Thiébaut,  Conservateur  des  Hypothèques  à  Oran. 
Thommasini,  ^lédecin  à  Oran. 
Tournoux,  Receveur  des  Postes  en  retraite  à  Oran. 
Tricot,  Négociant  à  Oran. 
Tridon,  Commandant  de  Gendarmerie  à  Rlida. 
TuROT,  Maire  de  Saint-D -nis-du-Sig. 

V 

MM.  Yallois,  Capitaine  en  retraite  à  Arzew. 

Yauvilliers,  Inspecteur desContribulionsdirectesàNice. 

Varnier,  Sous-Préfet  de  Bel-Abbès. 

ViÉNOT,  Propriétaire  à  Oran. 

VoGLEY,  Consul  de  Belgique  à  Boafarik. 

W 

M.      Wolters,  Chef  de  Dépôt  de  l'Ouest- Algérien  à  Bel-Abbès. 

X 

M.      XiMENÈs,  Administrateur  à  Mascara. 

Z 

M.      ZuANi,  Capitaine|du'^port  à  Ajaccio. 


SOCIÉTÉS  CORRESPONDANTES 


Sociétés  de  Géographie.  —  Alger.  —  Bordeaux.  —  Douai. 

—  Le  Havre.  —  Lille.  —  Lorient.  —  Lyon.  —  Marseille.  — 
Montpellier.  —  Nancy.  —  Nantes.  -  Paris.  —  Rochefort.  — 
Rouen.  —  Toulouse. 

New- York.  —  Manchester.  —  Bruxelles  —  Anvers.  —  Rio- 
Janeiro. —  Edimbourg. —  Le  Caire.  —  Madrid.  —  Amsterdam. 

—  Budapest.  —  Rome.  —  Lisbonne.  —  Buenos-Ayres.  — 
Saint-Pétersbourg.  —  Helsingfors.  —  Berne.  -  Saiot-Gall.  — 
Neufchâtel.  —  Genève. 

SOCIÉTÉS  DIVERSES 

Ecole  supérieure  des  Lettres  d'Alger.  —  Société  Historique 
algérienne.  —  Société  Eduenne.  —  Académie  d'Hippone.  — 
Société  Archéologique  de  Constantine.  —  Socié!é  de  Borda 
(Dax).  —  Société  d'Etudes  des  Haules-Alpes.  —  Société  des 
Etudes  coloniales  et  maritimes  de  Paris.  —  Revue  Coloniale 
de  Paris.  —  Association  Philotechnique  de  Paris.  —  Société 
Nationale  des  Antiquaires  de  France.  —  Comité  des  Travaux 
historiques  et  scientifiques.  —  Ecole  Française  de  Rome.  — 
Association  des  anciens  Elèves  des  Ecoles  supérieures  du 
Commerce  et  de  l'Industrie.  —  Société  des  Études  Indo- 
Chinoises.  —  Société  Philomatique  de  Saint-Dié.  —  Institut 
de  Garthage  à  Tunis. 

ÉTRANGER 

Canada.  —  The  Canadian  institute,  Toronto. 

Guatemala.  —  Sociedad  guatematecade  de  Ciencias. 

Mexique.  —  Société  scientifique  «  Antonio  Alzate  »  de  Mexico. 

RÉPUBLIQUE  Argentine.  —  Académie  nationale  des  Sciences 
de  Cordoba. 

Russie.  —   Section   impériale  d'Archéologie  à  Saint-Péters- 
bourg. 

Suède.  —   Académie  des    Belles-Lettres,    d'Histoire    et    des 
Antiquités  de  Stockholm. 

Belgique.  —  Analecta  Rollandiana  de  Bruxelles. 

Rome.  —  Instituto  Archéolôgiço  germanico. 

Belgique.  —  Revue  économique  d'Anvers. 


OUVRAGES  OFFERTS  A  LA  SOCIÉTÉ 


Auguste  MouLiÉRAS.  —  Le  Maroc  Inconnu,  tome  l^r.  Explo- 
ration du  Rif.  Avec  cartes  au  2.10^000 

Lucien  Jacquot.  —  Monographie  archéologique  de  la  région 
de  Mila. 

Fernand  Foureau.  —   Au   Sahara    —    Mes  deux   missions 

de  1892  et  1893. 

Ch.  Vars.  —  Girta  —  ses  monuments,   son    administration, 
ses  magistrats. 

Gouvernement  Général  de  FAIgéric.  —  Tableau  général  des   communes 

de  l'Algérie. 

Louis   FoREST.  —    La   naturalisation  des  Juifs   algériens  et 
l'Insurrection  de  1871. 

n    ■ ,  î   Henri  Gindre.  —  En  Afrique  australe  et  à  Madagascar. 

)   Michel  ViLLAZ.  —  Débuts  d'un  émigrant  en  Nouvelle- 
»^^i'^^^[  Calédonie. 

iPoMEL. —  Paléontologie-Monographies 
(8  volumes). 
E.  FiCHEUR.  —  La  Kabylie  du  Djurjura. 
D'"  Oscar  Baumann.  —  Die  Insel  Sansibar. 

RÉGENCE  DE  TuNis.  —  Noticc  sur  la  Tunisie  à  l'usage  des 

émigrants. 

G.-B.-M.  Flamand.  —  Note  sur  deux  "  Pierres  écrites  ». 

Léon  ViGNOLS.  —  Les  explorateurs  et  les  marins  bretons. 

D""  Carton.  —  Les  sépultures  à  enceinte  de  Tunise. 

Id .        —  Un  édifice   de  Dougga  en  forme  de  temple 
phénicien, 

Id.        —   Étude    sur    les    travaux    hydrauliques    des 
Romains  en  Tunisie. 

Paul  Gauckler.  —  Enquête  sur  les  installations  hydrauliques 
romaines  en  Tunisie. 

MÂRKi  Sândor.  —  Eurôpa  a  Magyarok  honfoglalâsa  idejében. 

MAGAr.HÂES  Lima.  —  0  centenario  no  Estrangeiro. 

Fernandes  Costa.  ~  Hymno  do  centenario  da  India. 

Id.  —  A  viagem  da  India. 

Luciano  CORDEmo.  —  Batalhas  da  India  —  Como  se  perden 

Ormuz. 

Wenceslau  DE  MoRAES.  —  Dai-Nippon  (0  grande  Japâo). 


XIV  OUVRAGES   OFFERTS    A    LA    SOCIETE 

David  LoPES.  —  Chronica  dos  reis  de  Bisnaga. 

Id.  —  Textos  em  Aljami'a  portuguesa. 

J.  Leite  DE  Vasconcellos.  —  Religiôes  da  Lusitania. 

Esteves  Pereira.  —  Dos  feitos  de  D.  Christovam  da  Gama. 

LazarusGoLDSCHMiT  e  Esteves  Pereira.  ~  Vida  do  abba  Daniel 

do  Mosteiro  de  Sceté. 

Adolpho  LouREiRO.  —  No  oriente  de  Napoles  à  Cliina. 

Teixeira  de  Aragâo.  —  Vasco  da  Gama  e  a  Vidigueira. 

Gouv' G"  de  l'Algérie.  —  H. -M. -P.  de  La  Martinière  et  N.  Lacroix. 
Documents  pour  servir  à  1  étude  du  Nord- 
Ouest  Africain  (4  volumes,  1  atlas). 

D""  Bertholon.  —  Exploration  anthropologique  de  l'île  de 
Gerba  (Tunisie). 

Général  C.-L  Bratianu.  —  Grigore  G.  Tocilescu.  —  Marele 

dictionar  géographie  al  Romaniet. 

D''  Carton.  —  La  restauration  de  l'Afrique  du  Nord. 

Fernand  Foureau.  —  Mon  neuvième  voyage  au  Sahara  et  au 

pays  Touareg,  mars-juin  1897. 

D,  Menant.  —  Les  Parsis  —  Histoire  des  communautés 
zoroastriennes  de  l'Inde. 

R.  Lambert  Playfair.  —  Bibliography  of  Algeria. 

Id.  —  A.  Bibliography  of  Morocco. 

A.  Auric.  —  Note  sur  la  réponse  du  Calendrier  Grégorien. 

René  Basset.  —  Le  tableau  de  Cébès. 

C.  Madrolle.   —   Les   peuples  et  les  langues  de  la  Chine 
méridionale. 

G.-B.-M.  Flamand.  —  De  FOranie  au  Gourara. 

Id.  —  Géologie  et  productions  minérales  du 

bassin  de  l'Oued  Saoura. 

Ed.  Piette  et  J.  de  la  Porterie.  —  Études  d'ethnographie 
préhistorique  —  Fouilles  à  Brassempouy,  en  1896. 

Jules  Devjllard.  —  Archéologie  —  Procédés  de  reproductions. 

Raymond  Teissière.  —  Marchand  et  le  Haut-Nil. 

Nelly  Blum.  —  La  croisade  de  Ximénès  en  Afrique. 

M.-L.  Gentil.  —  Note  sur  l'existence  des  teiTains  gypseux 
dans  la  province  d'Oran,  1898„ 

G.-B.-M  Flamand.  —  Notions  élémentaires  sur  la  lithologie 
et  la  géologie  appliquées  aux  grandes 
zones  culturales  de  l'Algérie  et  de  la 
Tunisie. 

R.  Gagnât.  —  Revue  archéologique  —  Revue  des  publications 
épigraphiques,  Antiquités  romaines  (1898). 


CARTES   OFFERTES   A   LA    SOCIÉTÉ  XV 


O  jftuRTES 


R.   DE  Flotte  de  Roquevaihë.   —   Carte   du    Maroc,    éch. 

l.OOO.OOQe. 

Spicq.  —  Carte  de  la  Boucle  du  Niger,  éch.  i-^^^^^. 

G.-B.-M.  Flamand.  —  Carte  de  l'itinéraire  suivi  par  la  mission 
Flamand,  éch.  ^j^.^;^. 

Id.  —  Croquis  du  bassin  de  l'Oued  Sahoura, 

Carlos    Gallardo.    —    Carte    des    territoires  des   Misiones 

(République  Argentine). 


E:FtFt.^T^^ 


Quelques  coquilles  regrettables  se  sont  glissées  dans  le 
travail  de  M.  E.  Reisser,  publié  dans  le  dernier  Bulletin 
et  ayant  pour  titre  :  Uyi  Coin  de  la  Maurétanie  Césarienne. 

Il  y  a  lieu  de  lire  : 

Page  203,    6«  ligne  :  demeurerail  au  lieu  de  demeurait. 
Page  228,    7«  ligne  :  PATRiAE  au  lieu  de  PATRiœ. 
Page  233,    8"  ligne  :  dans  TIGA  VA  au  lieu  de  de  TIGAVA. 
Page  236,  19e  ligne  :  rejoignait  au  lieu  de  rejoignit. 
Page  247,  26^  ligne  :  étant  au  lieu  de  était. 


SOCIÉTÉ  DE  GÉOGRAPHIE  ET  D'ARCHÉOLOGIE  D'ORAN 


Assemblée  générale  du  28  Mai  1899 


Présidence  de    M.    le  Colonel  IDERRIEN,    Président 


Aussitôt  l'ouverture  de  la  séance,  et  après  la  lecture  des 
articles  7,  8  et  14  de  nos  statuts,  la  parole  est  donnée  à  M.  Bouty, 
secrétaire  général,  pour  le  compte-rendu  des  travaux  du  Comité, 
pendant  la  période  1898-1899,  il  est  reproduit  ci-après  : 

Messieurs, 

Conformément  aux  prescriptions  de  nos  statuts,  je  viens 
vous  faire  le  compte-rendu  de  la  situation  de  notre  Société  et 
des  travaux  qu'elle  a  accomplis  pendant  cette  période  de  une 
année,  que  nous  terminons  aujourd'hui.  Je  serai  aussi  bref  que 
possible,  afin  de  ne  pas  trahir  votre  patience. 

Je  diviserai  mon  travail  en  cinq  paragraphes. 

§  l'-r.  —  Effectif  de  la  Société 

En  ce  qui  concerne  notre  effectif,  il  est  à  peu  près  le  même 
que  l'année  dernière  ;  c'est-à-dire,  qu'il  y  a  presque  équilibre 
entre  les  nouvelles  adhésions  et  les  pertes  par  décès,  départs 
ou  démissions.  Voici  les  chiffres  totalisés  : 

Membres  actifs 244 

Membres  d'honneur 11 

Membres  honoraires 20 

Total.    ...     275 


Parmi  les  membres  d'honneur,  nous  avons  compté  le 
commandant  Marchand;  un  diplôme  d'honneur  lui  a  été  délivré 
ainsi  qu'à  M.  le  Gouverneur  Général  Lafferrière,  en  vertu  de 
nos  statuts. 

Dans  le  compte  des  pertes,  je  citerai  particulièrement 
M.  Pomel,  Directeur  honoraire  de  l'Ecole  des  Sciences  d'Alger, 


XVIII    COMPTE-RENDU  DEL'ASSEMBLÉE  GÉNÉRALE  DU  28  MA1 1899 

ancien  Sénateur  d'Oran,  et  membre  correspondant  de  l'Institut. 
M.  Pomel  était  Président  d'honneur  de  notre  Société  depuis 
sa  tondation.  C'était  un  travailleur  infatiguable,  un  érudit  pro- 
fond, universellement  connu  du  monde  scientifique  pour  ses 
belles  découvertes  géologiques  et  paléontologiqiies. 

Nous  devons  citer  également  M.  Gabanou,  notre  biblio- 
thécaire, aussi  décédé,  un  de  nos  Camarades  les  plus  dévoués. 

§  2.  —  Travaux  du  Comité 

Le  Comité  administratif  s'est  réuni  onze  fois.  Il  s'est  occupé 
très  soigneusement  des  atfaires  administratives  proprement 
dites.  En  dehors  de  ces  affaires,  il  a  délibéré  sur  les  questions 
suivantes  : 

1°  Musée. 

Par  suite  du  décès  du  regretté  commandant  Demaeght, 
créateur  du  Musée  qui  porte  aujourd'hui  son  nom,  la  place  de 
Conservateur,  que  le  Conseil  municipal  lui  avait  confiée,  était 
devenue  vacante.  A  la  suite  de  l'intervention  du  Comité,  qui 
s'est  réservé,  sur  cet  établissement  cédé  par  nous  à  la  Ville,  une 
certaine  action  quasi- morale,  et  sur  sa  proposition,  M.  Moulié- 
ras,  professeur  de  la  Chaire  d'arabe  à  Oran,  et  1"'' Vice-prési- 
dent de  notre  Société ,  a  été  nommé  Conservateur  en 
remplacement  de  M.  Demaeght. 

2°  Sur  la  proposition  formulée  par  M.  Mouliéras,  il  a  été 
décidé  que  nous  célébrerions,  en  1902,  le  millénaire  de  la 
fondation  de  la  ville  d'Oran.  Le  Comité  a  ajouté  qu'à  cet  égard, 
des  dispositions  seront  prises,  en  temps  utile,  pour  que  notre 
Cité  soit  le  siège  du  23'-'  Congrès  national  des  Sciences  françaises 
de  Géographie,  de  manière  à  donner  le  plus  grand  éclat 
possible  à  cette  fête  particulièrement  commémorative,  et  pour 
laquelle  les  populations  espagnoles  et  musulmanes  nous 
prêteront  un  précieux  concours.  Des  commissions  spéciales 
seront  désignées  en  vue  d'une  entente  avec  d'autres  Sociétés 
locales. 

3°  Au  sujet  du  Concours  ouvert  par  notre  Société,  et  relatif  à 
la  publication  de  notices,  mémoires  ou  monographies,  intéres- 
sant notre  province,  trois  concurrents  ont  répondu  à  notre 
appel  ;  ce  sont  :  MM.  Michel  Antar,  Canal  et  Métra.  Sur  la  pro- 


COMPTE-RENDU  DE  L' ASSEMBLÉE  GÉNÉRALE  DU  28  MAI  1899    XLK 

position  d'un  Comité  spécial,  des  médailles  de  vermeil  ont  été 
accordées  aux  deux  premiers  auteurs,  et  une  médaille  d'argent 
au  troisième.  Elles  seront  distribuées  aujourd'hui   s'il  y  a  lieu. 

4<»  Le  Comité  a  décidé  que  le  nom  des  principaux  explora- 
teurs du  continent  africain,  décèdes,  ligiireraientdansle  cadre 
du  nouveau  diplôme,  atin  de  perpétuer,  i)armi  nous,  les  noms 
de  ces  courageux  et  glorieux  ciloyens; 

5"  La  Société  de  Géogvaiphie  de  Berlin  a  invité  la  Nôtre  à 
prendre  part  au  1''  Concours  international  de  Géographie,  qui 
doit  se  réunir  à  Berlin  prochainement.  Cette  invitation  a  été 
acceptée.  M.  Augustin  Bernard,  professeur  à  l'École  Supérieure 
des  Lettres,  à  Alger,  et  un  de  nos  collègues  les  plus  dévoués, 
nous  représentera  à  cette  haute  et  savante  Réunion. 

60  En  ce  qui  concerne  l'Exposition  Universelle  de  1900,  le 
Comité  décide  qu'une  collection  du  Bulletin  sera  envoyée  à 
Paris,  ainsi  que  des  photographies  amplifiéees  des  Mosaïques 
d'Arzew.  M.  Mouliéras  fera,  à  cet  égard,  le  nécessaire. 

70  Ainsi  qu'il  est  d'usage  de  le  faire  annuellement,  le  Comité 
a  accordé  divers  prix  aux  élèves  des  lycées,  collèges  et  écoles 
communales  qui  font  partie  de  la  Société. 

8°  Notre  Société  a  reçu  divers  ouvrages  et  cartes  qui  ont 
été  classés  dans  notre  bibliothèque  et  mis  à  la  disposition  des 
membres  de  la  Société,  sans  déplacement. 

§  3.  —  Conférences 

Plusieurs  conférences  et  communications  verbales  impor- 
tantes ont  été  faites  par  divers  membres  de  la  Société.  Je  citerai  : 

1°  La  conférence  de  M.  Uoutté,  sur  la  Société  Musulmane, 
dont  il  connaît  à  fond  l'organisation.  Le  succès  a  été  complet. 
M.  Doutté  nous  a  promis  d'autres  contérences  sur  le  même 
sujet. 

2'i  M.  Gentil,  préparateur  au  Collège  de  France,  et  lui  aussi, 
membre  de  notre  Société,  a  réussi  à  nous  intéresser  particu- 
lièrement, malgré  l'aridité  du  sujet  choisi  ;  il  nous  a  dépeint 
la  constitution  géologique  assez  complexe  du  massif  monta- 
gneux du  Murdjajo  ou  du  Santa-Cruz  ;  il  nous  a  communiqué 
aussi  une  découverte  paléontogique  fort  importante  qu'il  a  faite 


XX      COMPTE- H ENDU  DE  l' ASSEMBLÉE  GÉNÉRALE  DU  28  MAI  1899 

à  Lamoricière  :  il  s'agit  d'un  grand  saurien  entièrement  inédit 
et  parfaitement  déterminable. 

30  M.  Monbran,  notre  Président  honoraire,  a  fait  au  Comité, 
où  assistaient  plusieurs  membres  de  la  Société  léunis  h  cette 
occasion,  un  compte-rendu  très  attrayant  du  Congrès  national 
de  Géographie  qui  a  siégé,  l'année  dernière,  à  Marseille,  où 
notre  dévoué  député,  M.  Etienne,  et  lui,  représentaient  notre 
Société.  Il  nous  a  fait  connaître  l'importance  de  certaines 
décisions  prises  par  le  Congrès,  notamment  en  vue  de  l'achè  ■ 
vement  immédiat  de  la  section  du  Transsaharien  occidental, 
comprise  entre  Djenien-bou-Kezg  et  Igli. 

4°  Notre  Président,  M.  le  colonel  Derrien,  a  donné,  dans  la 
salle  du  théâtre  municipal,  avec  le  concours  de  la  Société  de 
l'Enseignement  par  l'Aspect,  une  très  intéressante  conférence 
sur  la  prévision  du  temps.  L'organisateur  de  l'Observatoire 
météréologique  de  Santa-Cruz  était  là,  en  plein  dans  son 
sujet.  Malgré  le  caractère  scientifique  de  cette  conférence,  la 
nombreuse  assistance  qui  l'écoutait  très  attentivement  ne  lui  a 
pas  ménagé  ses  applaudissements. 

§  4.  —  Congrès  divers 

Nous  avons  pris  part  à  divers  congrès  ou  réunions  savantes, 
en  France  et  en  Algérie. 

lo  Congrès  national  des  Sociétés  de  Géographie  de  Marseille; 
nos  mandataires,  je  l'ai  déjà  dit,  étaient  notre  député 
M.  Etienne  et  M.  Monbrun  ; 

2"  Congrès  national  des  Sociétés  de  Géographie  réuni 
dernièrement  à  Alger;  nous  y  étions  représentés  officiellement 
par  notre  Président  :  M.  le  Colonel  Derrien.  Y  assistaient 
également  :  MM.  Mouliéras,  Doutté,  Augustin  Bernard,  Piuff 
et  Bouty. 

Notre  sympathique  Président  a  donné  connaissance,  dans  la 
séance  d'ouverture,  d'un  rapport  sur  les  travaux  de  notre 
Société.  Mais,  au  cours  de  la  réception  des  délégués,  dans  la 
grande  salle  du  Tribunal  de  Commerce,  il  fut  atteint  d'une 
grave  et  subite  indisposition,  qui  le  mit  dans  l'obligation 
absolue  do  rentrer  de  suite  à  Oran.  M.  Mouliéras,  l*^''  Vice- 
président,  le  remplaça  comme  délégué. 


COMPTE-RENDU  DE  l'ASSEMBLÉE  GÉNÉRALE  DU  28  MAI  1890    XXI 

Votre  Secrétaire  général  a,  dans  une  conférence  spéciale, 
développé  la  question  du  chemin  de  fer  transsaharien  par 
l'Ouest  de  l'Algérie,  c'est-à-dire,  par  la  province  d'Oran.  Il  a 
publié,  à  cet  elfel,  une  brochure  clairement  déduite,  traitant 
d'une  façon  précise  la  question  technique,  négligée,  et  pour 
cause,  par  les  auti-es  conférenciers.  Les  conclusions  de  la 
brochure  sont  à  peu  près  conformes  au  vœu  émis  par  la 
Commission  des  vœux  ;  il  est  ci-après  reproduit. 

Le  Congrès  émet  le  vœu  : 

«  !"  Qu'il  soit  procédé,  dans  le  plus  bref  délai  possible,  à 
((  l'occupation  de  l'arrière  pays  algérien  et  principalement  des 
ft  oasis  du  Touat  ; 

({  2»  Qu'il  soit  procédé,  d'urgence,  au  prolongement  des 
«  lignes  de  pénétration  algérienne,  et  notamment,  celle  d'Aïn- 
«  Sefra  au  Touat,  par  Duveyrier » 

Ce  vœu  est  la  consécration  la  plus  éclatante  de  l'excellence 
de  l'entreprise  que  nous  poursuivons  depuis  plus  de  20  ans  et 
des  efforts  que  nous  y  avons  appliqués. 

Pour  les  autres  questions  traitées  au  Congrès,  M.  Rutï  lera 
un  compte-rendu  spécial. 

3°  Congrès  National  pour  l'avancement  des  Sciences,  réuni 
à  Toulouse.  M.  de  Rey  Pailhade,  ancien  président  de  cette 
Société,  a   bien   voulu   nous   représenter.  Ce  Congrès  a 

obtenu  un  grand  succès.  La  question  de  la  division  décimale 
du  temps  et  des  angles  y  a  été  traitée  savamment.  Un  diplôme 
m'a  été  décerné  au  sujet  de  l'exposition  d'une  montre  double 
cadran  décimal  et  duodécimal. 

4"  Congrès  d'archéologie  de  Bourges.  L'époque  tardive  de 
l'invitation  n'a  pas  permis,  à  notre  grand  regret,  d'y  assister. 

>^  5.  —  Bulletin 

Notre  publication  trimestrielle  voit  son  succès  grandir  de 
plus  en  plus,  par  suite  de  l'importance  et  de  la  variété  des 
articles  publiés,  et  surtout,  du  méi'ite  littéraire  et  scientifique 
de  leurs  auteurs.  On  peut  avancer,  sans  crainte  d'être  taxé 
d'exagération,  que  notre  Bulletin  est  le  plus  complet  et  le  plus 
intéressant  de  la  plupart  des  publications  de  même  nature 
faites  en  France  et  à  l'étranger. 


XXII  COMPTE-RENDU  DE  l'ASSEMBLÉE  GÉNÉRALE  DU  28  MAI  1899 

A  Dieu  ne  plaise  que  je  me  livre  ici  à  une  analyse  littéraire 
des  divers  articles  que  notre  Bulletin  a  insérés,  pour  cause,  je 
l'avoue  humblement,  d'incompétence.  Et  puis,  comment 
mettre  en  relief  avec  tout  l'éclat  voulu,  tant  de  si  intéressants 
sujets  dans  si  peu  d'espace  et  en  si  peu  de  temps. 

Cependant,  comme  le  simple  titre  qui  figure  dans  le 
sommaire  de  nos  Bulletins  est  insuffisant  pour  solliciter 
l'attention  des  lecteurs,  permettez-moi  quelques  légères  indi- 
cations sommaires  sur  les  sujets  signalés  pour  corriger  la 
sécheresse  du  titre.  Je  vous  promets  d'être  bref. 

i"  M.  Beisser,  ancien  élève  de  l'École  des  Hautes-Études, 
nous  a  dévoilé  un  coin  de  la  Maurétanie  césarienne,  particu- 
lièrement dans  la  région  des  Attafs,  c'est-à-dire,  le  pays 
compris  entre  Orléansville,  Duperré,  et  le  pied  des  montagnes 
qui  constituent  les  contreforts  secondaires  de  l'Ouarsénis.  Il  a 
exécuté,  avec  succès,  divers  fouilles,  grâce  auxquelles  on  a 
exhumé  des  ruines  de  romaines  très  importantes. 

On  sait  que  la  Maurétanie  césarienne  est  très  pauvre  en  fait 
de  ruines  de  cette  origine  ;  elle  n'a  pas  du  tout,  à  cet  égard, 
rimportance  de  la  Numidie  et  de  la  Tunisie,  sur  lesquelles  de 
savants  archéologues  ont  publié  déjà  des  travaux  descriptifs 
nombreux,  généralement  très  appréciés.  Les  recherches  de 
M.  Beisser  ont  donc  été  d'autant  plus  difficiles.  Malheureuse- 
ment, quelques  actes  de  vandalisme  irréiléchis  ou  inconscients 
ont  nui  à  la  conservation  de  ces  ruines.  M.  Beisser  recommande, 
à  qui  de  droit,  de  prendre  les  mesures  nécessaires  pour 
préserver  ce  qui  reste  encore.  Nous  formulons  le  même  vœu. 

2°  M.  Augustin  Bernard,  cet  infatigable  travailleur  que  les 
lecteurs  du  Bulletins  connaissent  et  apprécient  hautement,  a 
fait  une  très  intéressante  analyse  de  divers  documents  pouvant 
servir  à  l'étude  du  N.-O.  africain.  Jamais  œuvre  et  circonstance 
ne  furent  plus  opportunes.  Tous  les  regards  se  tournent, 
enfin,  vers  les  oasis  de  l'extrême  Sud  algérien,  disons  mieux  : 
oranais,  à  propos  du  chemin  de  fer  transsaharien.  L'auteur 
met  en  'relief  les  beaux  travaux  de  MM.  de  Lamartinière 
et  Lacroix  ;  il  signale  également  les  données  géographiques, 
géologiques  et  économiques  obtenues  par  M.  Flamand,  dans  sa 
mission  de  «  L'Oranie  au  Gourara  «. 


COMPTE-RENDU  DE  l'ASSEMBLÉE  GÉNÉRALE  DU  28  MAI  1899  XXtlI 

>  Le  Collaboi-ateur  le  plus  actif  et  le  plus  assidu  de  notre 
Bulletin,  j'ai  noiiuiié  M.  Canal,  a  publi'3,  comme  souvenir 
rétrospectif,  la  biographie  du  général  Mustapha  ben  Ismaël, 
un  des  rares  chefs  indigènes  qui  aient  rendu  à  l'Algérie  et  à 
la  France,  des  services  remarquables.  Son  dévouement,  sa 
fidélité  ont  été  inébranlables.  Il  était  le  Chef  de  la  grande  et 
puissante  famille  des  Ben  Daoud,  que  tout  le  monde,  dans 
notre  province,  connaît  si  avantageusement. 

4°  M.  Mouliéras,  notre  laborieux  Vice-président,  le  savant 
auteur  de  l'ouvrage  intitulé  :  «  Maroc  inconnu  »,  attaque  le 
problème  islamique  :  Fatalisme  et  Pessimisme.  Il  montre  les 
grandes  cités  orientales  pliant  sous  le  joug  du  Coran,  ce  code 
ennemi  de  tout  progrès  moral  et  scientifique.  C'est  grâce  aux 
prescriptions  coraniques  que  le  Croyant  ignore  et  ignorera 
toujours  la  connexion  intime  qui  existe  entre  l'évolution 
psychologique  et  Tévolutipn  économique.  Les  oreilles  des 
musulmans  resteront  toujours  sourdes  au  bruit  de  ces  princi- 
pes, ajoute  M.  Mouliéras. 

5»  Nos  lecteurs  se  souviennent  que  le  docteur  Carton  nous 
a  représentés,  l'année  dernière,  avec  un  succès  très  manifeste, 
au  Gongrè-5  colonial  de  Bruxelles.  Il  vient  de  donner,  dans 
notre  Bulletin,  une  analyse  approfondie  de  l'intéressant  ouvra- 
■ge  publié  par  MM.  Gagnât  et  Gaukler,  sur  l'architecture  sacrée 
de  l'Afrique  payenne.  C'est  surtout  sur  la  Tunisie  romaine 
que  se  sont  portées  les  études  archéologiques  de  ces  messieurs 
et  ce,  avec  une  persévérance  des  plus  louangeuses. 

6°  Notre  collègue,  M.  Doutté,  un  vrai  bénédictin,  ainsi  ((ue 
j'ai  pris  la  liberté  de  le  qualifier  déjà,  nous  a  donné,  dans  le 
Bulletin,  la  bibliographie  de  l'Islam  Maghribin.  Comme 
M.  Mouliéras,  M.  Doutté  est  un  arabisant  très  distingué.  Pour 
la  composition  de  son  ouvrage,  notre  savant  collègue  a 
consulté  et  analysé  plus  de  300  documents  rédigés  en  ditlé- 
rentes  langues.  Ce  chiffre  est  effrayant,  il  est  l'indice  d'une 
patience  soutenue,  doublée  d'une  puissance  de  travail  des 
plus  fécondes,  et  d'un  esprit  de  coordination  méthodique 
vraiment  extraordinaire. 

7»  Enfin,  je  citerai,  pour  mémoire,  puisqu'il  en  a  été  déjà 
question,  la  «  Fin  de  la  Croisade  de  Ximénès  en  Afrique  »,  de 


XXIV    COMPTE  RENDU  DE  l'ASSEMBLÉE  GÉNÉRALE  DU  28  MAI  1899 

feueM'"«  Nellie  Blum.  Cet  ouvrage  est  une  œuvre  remarquable  ; 
il  constitue  un  chapitre  de  notre  histoire  crânienne  fort  inté- 
ressant à  connaître,  dans  une  ville  qui  porte  encore  les  armes 
de  l'énergique  Cardinal  sur  certains  monuments. 

8°  Les  Chroniques  géographiques  de  notre  collègue  M.  Rutï, 
que  j'ai  gardées  pour  la  fin,  embrassent,  pour  ainsi  dire,  le 
monde  entier  ;  elles  nous  tiennent  exactement  au  courant  des 
découvertes  géographiques  nouvelles,  —  des  travaux  des 
explorateurs,  —  des  principaux  faits  militaires  dont  l'écho 
lointain  arrive  ainsi  jusqu'à  nous,  —  de  la  construction  de  nou- 
velles voies  ferrées  dans  les  colonies  inter-océanniennes,  etc.. 

Une  étude  comparative  permet,  hélas,  d'établir  notre 
passivité  en  présence  de  l'activité  dévorante  que  la  Belgique 
et  l'Angleterre  déploient  pour  couvrir  de  voies  ferrées  le 
centre  de  l'Afrique,  depuis  Karthoum  jusques  au  Cap,  et  de 
l'embouchure  du  Congo  au  Nil  et  au  Tanganika.  Le  travail  de 
M.  Ruff  complète  heureusement,  et  à  propos,  l'intérêt  que 
notre  Bulletin  soulève. 

Telle  est.  Messieurs,  bien  résumé,  l'œuvre  de  notre  Société. 
Vous  partagerez,  j'en  suis  sur,  mon  sentiment,  en  votant  des 
remerciementschaleureux  aux  collaborateurs,  aussi  savants  que 
désintéressés,  de  notre  Bulletin,  et  des  félicitations  aii  Comité 
administratif  pour  son  zèle  et  son  dévouement. 


Notre  excellent  trésorier,  M.  Pock,  va  vous  donner  connais- 
sance de  notre  situation  financière. 

M.  Pock  fait  connaître  aussitôt  la  situation  financière  de  notre 
Société  à  ce  jour.  Elle  peut  se  résumer  ainsi  : 

Recettes 4.02Gf93 

Dépenses  3.062  25 


Total  ....        964  68 


Mais  il  convient  d'ajouter  qu'un  certain  nombre  d'articles  de 
dépenses  ne  sont  pas  encore  réglés.  Néanmoins  la  situation  est 
bonne. 


COMPTE-RENDU  UE  l'aSSEMBLÉE  GÉNÉRALE  DU  28  MAI  1809  XXV 

Après  cette  lecture,  M.  le  Colonel  Derrien  s'exprime  ainsi: 

((  Aux  deux  rapports  que  vous  venez  d'entendre,  j'ai  peu  de 
choses  à  ajoulcr.  C'est  d'abord  de  remercier  nos  deux  collè- 
gues pour  le  zèle  et  le  dévouement  qu'ils  ne  cessent  de  nous 
témoigner,  dans  leurs  fonctions,  pour  la  prospérité  de  notre 
Ccmpagnie. 

((  M.  Bouty  vous  a  parlé  de  la  participation  de  notre  Société 
au  Congrès  National  des  Sociétés  de  Géographie  d'Alger,  réuni 
dans  la  semaine  de  Pâques,  et  du  succès  remporté  par  notre 
iransaaharien.  Une  ti  es  grande  part  de  ce  succès  en  revient  à 
notre  Secrétaire  général.  Ses  travaux  antérieurs  surtout,  et  le 
mémoire  qu'il  a  lu  au  Congrès,  au  moment  de  la  conférence, 
renfermait  des  arguments  irréfutables.  Il  a  été  établi,  avec 
preuves  à  l'appui,  que  le  Tracé  Occidental  était  le  seul  qui 
mettait  bien  en  relief  les  qualités  et  les  propriétés  techniques 
absolument  indispensables  à  une  entreprise  de  celte  nature,  et 
dont  les  tracés  concurrents  étaient  à  peu  près  dépourvus, 
notamment  en  ce  qui  concerne  cette  condition  sans  laquelle 
aucune  voie  ferrée  ne  peut  être  exploitée  utilement,  à  savoir  : 
eau  d'alimentation  abondante  et  de  bonne  qualité.  D'autre  part, 
il  a  été  démontré  que  la  ligne  Oran-Touat  ferait  naître  un 
mouvement  considérable  de  voyageurs  et  de  marchandises. 
Enfin,  les  avantages  politiques  et  stratégiques  de  notre  trace 
ont  été  mis  vivement  en  lumière. 

«  Une  indisposition  subite  et  assez  grave,  ajoute  M.  le  Pré- 
sident, m'a  privé  du  plaisir  de  suivre  toutes  les  séances  du 
Congrès  ;  mais  dans  la  première  journée,  j'ai  eu  la  satisfaction, 
après  la  lecture  de  mon  rapport  sur  les  travaux  de  la  Société, 
d'entendre  M.  de  Brazza,  président  du  Congrès,  représen- 
tant de  M,  le  Ministre  de  l'Instruction  Publique,  rendre  hom- 
mage à  nos  efforts,  à  notre  persévérance.  Il  se  déclare  très 
honoré  d'être  membre  de  notre  Société. 

((  C'est  que,  en  elïet,  noire  Bulletin,  qui  est  en  quelque  sorte 
l'âme  de  notre  Compagnie,  est  de  plus  en  plus  apprécié  en 
France  et  à  l'Étranger.  Aussi  bien,  je  saisis  avec  empressement 
cette  occasion  pour  exprimer  celle  pensée,  que  nous  devons 
un  tribut  de  reconnaissance  à  tous  nos  dévoués  et  savants  col- 
laborateurs, pour  le  zèle  désintéressé  et  le  dévouement  dont 


XXVI  COMPTE-BENDU  DE  L'ASSEMBLÉE  GÉNÉRALE  DU  28  MAI  1899 

ils  ont  fait  preuve  pour  l'année  1898-1899  ;  je  manifeste  le  môme 
sentiment  en  laveur  des  membres  du  Comité  administratif  ». 

Des  applaudissements  unanimes  et  approbatifs  accueillent 
les  propositions  de  M.  le  Président. 

M.  le  Colonel  Derrien  rend  compte  ensuite  du  résultat  du 
concours  ouvert  l'année  dernière,  et  ayant  pour  objet  l'étude 
de  questions  détermmées.  Trois  concurrents  se  sont  présen- 
tés, ajoute  M.  le  Colonel,  il  donne  leurs  noms.  Ce  sont  : 
MM.  Michel  Antar  (?),  Canal  et  Métra.  11  fait  une  analyse  rapide 
de  leurs  travaux,  il  indique  la  nature  des  récompenses  accor- 
dées :  Médaille  de  vermeil  à  MM.  Michel  Antar  et  Canal  ; 
médaille  d'argent  à  M.  Métra. 

Conformément  aux  prescriptions  des  articles  7  et  8,  il  est 
procédé  à  la  nomination  de  huit  membres  formant  le  tiers  du 
Comité  administratif  à  remplacer.  Le  scrutin  donne  les  résul- 
tats suivants,  classés  par  ordre  alphabétique.  Ce  sont  : 

MM.  Bouty,  Derrien,  Doumergue,  Flahaut,  de  Gail,  Gillot, 
Frette,  Pousseur. 

Ce  résultat  proclamé,  la  séance  est  levée.  La  nomination  du 
bureau  a  été  renvoyée  à  la  séance  du  Comité,  du  5  juin  pro- 
chain. 

Le  Secrétaire  général, 

BOUTY. 


-'-'S^f^^^K'^' 


COMPOSITION  DU  BURP:AU  du  COMITE 

POUR     1899- 1900 


Dans  sa  réunion  du  5  juin  1899,  le  Comité  a  renouvelé 
ainsi  qu'il  suit  son  bureau. 

Ont  été  élus  : 

Président:  M.  le  Lt-Colonel  Derrien. 

ier  Vice  Président  :  M.  Mouliéras  (Géographie). 

2^  Vice-Président:  M.  de  Gail  (Archéologie). 

Secrétaire  général  :  M.  Bouty. 

Trésorier  :  M.  PoCK. 

Bibliothécaire  archiviste  :  M.  Boissix. 

Secrétaire  de  la  Com'tnission  de  Géographie  :   M.  Ruff. 

Membre  adjoint  à  cette  Commission  :  M.  Tartavez. 

Secrétaire  de  la  Commission  d' Archéologie  :   M.  Gillot. 

Membre  adjoint  à  cette  Commission  :   M.  Goyt. 

Par  suite  de  la  nomination  en  France  de  MM.  de  Gail  et 
Ruff,  le  Comité,  dans  sa  réunion  du  2  octobre,  a  élu 
M.  Gillot,  2*^  Vice-Président  et  M.  Jules  Renard,  Secrétaire 
de  la  Comm-ission  de  Géographie. 

M.  Flahault,  ingénieur  civil,  a  remplacé  M.  Gillot 
comme  Secrétaire  de  la  Commission  d'Archéologie. 

Le  Comité  a  décidé  d'adresser  des  remerciements  à 
MM.  Ruff  et  de  Gail  pour  les  services  qu'ils  ont  rendus  à  la 
Société. 

M.  Ruff  a  été,  de  plus,  nommé  à  l'unanimité  membre 
honoraire  correspondant  de  la  Société. 


CONGRÈS  ET  SESSIONS  A  PARIS  EN  1900 


De  nombreux  Congrès  doivent  avoir  lieu  au  cours  de 
l'Exposition  universelle  de  1900.  à  Paris.  Notre  Société  a  été 
conviée  officiellement  à  prendre  part  à  ceux  : 

1"  Du  5  juin,  à  la  Sorbonne,  38«  Congrès  des  Sociétés 
savantes  de  Paris  et  des  Départements  ; 

2"  Du  14  juin,  Congrès  international  de  Numismatique, 
dans  la  salle  du  Congrès  de  lExposition  ; 

3»  Du  30  juillet  au  5  août,  Congrès  Colonial  international,  à 
l'Hôtel  de  la  Société  de  Géographie  ; 

4°  Du  6  au  11  août.  Congrès  international  de  Sociologie 
Coloniale,  à  l'Hôtel  de  la  Société  de  Géographie  ; 

5°  Du  8  au  15  août,  Congrès  de  l'Art  public,  à  l'Hôtel-de- 
Ville  ; 

6°  Du  20  août,  X  XI*' Congrès  national  des  Sociétés  françaises 
de  Géographie,  à  l'Hôtel  de  la  Société  de  Géographie. 

Le  Ministre  de  l'Instruction  publique  et  des  Beaux-Arts 
nous  a,  en  outre,  fait  connaître  que  la  24«  Session  des 
Sociétés  des  Beaux-Arts  des  départements  s'ouvrira,  à  Paris, 
le  5  juin  1900,  dans  la  salle  de  l'hémicycle  de  l'Ecole  des 
Beaux-Arts. 

?JM.  les  Membres  de  la  Société  qui  auraient  l'intention  de 
présenter  à  ces  Assemblées  des  mémoires,  analyses  ou 
communications  trouveront  les  programmes  et  les  renseigne- 
ments nécessaires  chez  M.  BOUTY,  secrétaire  général  de  la 
Société. 


Congrès  National  des  Sociétés  Françaises 

DK     GÉOGRAPHIE 


Paris,  le  15  Juin  1809. 


Monsieur  le  Président, 

La  XXl'-  session  du  Congrès  nalional  des  Socii'ti's  françaises 
de  Groîfniphie.  dont  l'organi-at  on  a  été  confiée  à  la  Société 
(Je  GéograpJi!  .,  se  liendra  à  Paris  du  -20  au  i^4  aoù'  l'dOO. 

A  Celte  occasion,  la  Société  sera  heureuse  de  inetlie  son 
hôtei,  in  lUguré  il  \  a  vingt  et  un  ans,  par  la  première  lé  inion 
des  Sociéiés  t'ranç;i:ses  de  Géograpliie,  à  la  elispo:-iti<;)n  des 
nienibies  du  Congre-,  qui  pourront  y  tenir  leurs  séances  et  y 
recevoir  leur  corre-<pondance. 

Les  membres  de  votre  Société,  qui  auraient  des  questions  à 
proposer  au  Cf>ngrès.  [leuvent,  dès  mdntenanf,  les  adresser 
au  Secrétariat,  boulevard  Saint-Germain,  184. 

Nous  ne  saur-ions  trop  appeler  votre  otlention  sur  l'impor- 
tance exceptionnelle  de  cette  session,  (jui  coineidei'a  avec 
l'Exposition  Universelle  de  1900. 

Yeuiilez  agréer.  Monsieur  le  Président,  Texpression  de  nos 
sentiments  les  plus  distingués. 

Le  Secrétaire  général, 

HULOT. 

Le  Président 

de  la  Commission  centrale, 

G.  Marcel. 

Le  Président  de  la  Société, 

Membre  de  l'Institut, 

Milne-Edwards. 


oom:it:ê    ide   L-A.    sooiete 

SÉANCE  DU  4  DÉCEMBRE  1899 


Les  membres  du  Com.ité  administratif  de  la  Société  se 
sont  léunis  le  4  décembre,  sous  la  présidence  de  M.  le 
lieutenant-colonel  Derrien. 

Dans  cette  séance,  le  Comité  a  été  informé  que  M.  Pouyanne, 
inspecteur  général  des  Mines,  résidant  à  Alger,  et  directeur  de 
la  Carte  géologique  de  l'Algérie,  accordait,  à  la  Société,  une 
subvention  do  160  francs,  en  échange  de  100  exemplaires 
du  travail  de  M.  le  commandant  Azéma,  sur  la  géologie 
et  Vhydrologi'::  des  environs  de  Saida. 

M.  le  Président  a  annoncé  également  qu'une  autre  subven- 
tion de  400  francs  a  été  votée  par  le  Conseil  municipal  de 
Saïda  pour  le  même  objet. 

M.  Ficheur,  professeur  à  l'École  des  sciences  d'Alger, 
a  adressé,  à  la  Société,  une  notice  biographique  sur  M.  Poinel, 
ancien  président  du  Conseil  général  d'Oran,  Miicien  Sénateur 
du  département,  membre  correspondant  de  l'Institut,  direc- 
teur honoraire  de  l'École  des  Sciences  d'Alger,  chevalier  de  la 
Légion  d'Honneur  ;  qualités  et  titres  auxquels  il  convient 
d'ajouter  celui  de  Président  d  honneur  de  notre  Société  de 
Géographie. 

Tout  le  monde,  à  Oran,  a  connu  M.  Pomel,  dont  le  savoir 
égalait  la  modestie  ;  il  restera  comme  une  des  figures  les  plus 
marquantes  et  les  plus  sympathiques  de  l'Algérie.  Ses 
travaux  scientifiques  sont  considérables  ;  il  a  publié  plus  de 
187  mémoires,  notes  ou  volumes  sur  la  géologie,  la  paléonto- 
logie, la  zoologie,  l'entomologie  et  la  botanique. 

Ce  sont  ces  divers  titres  que  M.  Ficheur  invoque  pour 
appuyer  un  vœu  en  faveur  de  l'attribution  du  nom  de  Si.  Pomel 
à  un  des  nouveaux  villages  à  créer  dans  notre  département. 
Ce  vœu  a  trouvé  en  haut  lieu  de  chaleureux  approbateurs. 

Le  Comité  a  accepté  avec  empressement  la  proposition  de 
^I.  Ficheur.  Il  a  décidé,  en  même  temps,  qu'un  extrait  de  la 
délibération  sera  adressé  à  M.  licheur,  pour  qu'il  le  transmette 
à  M.  le  (Gouverneur  général. 

M.  le  Président  a  officiellement  fait  part  à  ses  collègues  du 
décès  de  MM.  de  Varigny,  président  de  la  Société  de  géographie 
d'Alger;  Barbier,  secrétaire  général  de  la  Société  de  géographie 
de  l'Est,  et  Henry  Purisch,  président  de  la  Société  de  géogra- 
phie de  New-York.  N^  tre  Compagnie  est  en  relations  suivies 
avec  ces  Sociétés,  elle  déplore  très  vivement  ces  pertes  et 
s'associe  aux  deuils  qui  les  frappent. 

Enfin,  la  question  de  la  célébration  du  millénaire  de  la 
fondation  d'Oran  a  été  reprise  ;  il  a  été  décidé  que  l'organi- 
sation des  Commissions  et  Sous-Commissions  ferait  l'objet  d'un 
examen  spécial. 


ETAT  NUMÉRIQUE  DES  PASSAGERS  DU  PORT  D'ORAN 


XXX 


ÉTAT  numérique  des  passagers  débarqués  et  embarqués  dans  le  port  d'ORAN 

pendant  Tannée  1898 


MOIS 


Janvier 


Février 


Mars . . . 


Avril 


Mai 


Juin. 


Juillet 


Août 


Sopleuibre. . 


Octobre 


Novembre 


Décembre  . . . 


Totaux. 


ARRIVÉES 

FRANÇAIS 



' 

î 

TOTAL 

Ci\ib 

Uililaircs 

inTAI, 

« 

760 

650 

1.425 

1.089 

2.514 

702 

429 

1.131 

895 

2.026 

693 

583 

1.270 

79? 

2.C6S 

835 

485 

1.320 

1.258 

2.578 

909 

6:^2 

1.541 

7.8.54 

9 .  395 

850 

308 

1 .218 

786 

2.104 

1.138 

594 

1.732 

682 

2.414 

1.993 

59! 

2.58'i 

961 

3.545 

3.822 

783 

4.605 

1  100 

5.765 

2.268 

533 

2.801 

1 .  066 

3.867 

1.205 

2.0'iO 

3.255 

1.527 

4.7b'2 

869 

672 

1.541 

1.149 

2.690 

10.063 

8 .  366 

24.429 

19  219 

43  6'i8 

l)i;PARTS 


FRANÇAIS 


Civil-;       Mililai'ei   .    total 
I I 


670 


31') 'i 


r.66      589 


\iù 


68'. 


462 


989      185 


.356 


583 


432 


1.792  1.444 


953      249 


971 


1.980 


660 


1.0:j'i 


1.155 


1.209 


1 .  051 


174 


1.939 


109 


3.236 


1.2i)2 


.951 


1.45 


1.483      2.070 


JoO 


674 


65' 


690 


58' 


2.856 


6.891 


2.027 


1.896 


.380 


79 


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4.331 


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Total  g i:N f.h a l  :  8 i .  303 


XXXII 


MOUVEMENT    DE   LA   NAVIGATION 


Mouvement  de  la  Navigation  dans  le  Port  d'ORAN,  pendant  l'année  1898 


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MOUVEMENT   Dt    LA    NAVIGATION 


XXXIII 


Mouvement  de  la  Navigation  dans  le  port  de  MERS-EL-KEBIR,  pendant  l'année  1898 


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XXXIV  MOUVEMENT   DE   LA  NAVIGATION 

Mouvement  de  la  Navigation  dans  le  Port  de  MOSTAGANEM,  pendant  l'année  1898 


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Mouvement  de  la  Navigalion  dans  le  port  d'ARZEV/,  pendant  l'année  4898 


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MOUVEMENT   DE   LA    NAVIGATION 


Mouvement  de  la  Navi3atioii  dans  le  port  de  BENI-SAF,  pendant  l'année  1898 


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MOUVEMENT    DE    LA   NAVIGATION 


XXXVII 


Mouvement  de  la  Navigation  dans  le  port  de  NEMOURS,  pendant  l'année  1898 


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XXXVIII 


MOUVEMENT   DE   LA   NAVIGATION 


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(M           00      CD      O       O 
Ol           r-      ce       .e      t^ 

(M            l~       -*       OD       O 

CD              ce        t^        Ci        iD 

1   ^ 

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CQ            -^       M       (M 

(M 

1 

1      ■=      '^ 

ce          ce      iD      r-<      CD 

ce 

PAVILLONS 

.S                            J--            ^      'Ê       ,=       tS                                  '^                                       O 
-                              ^             ^       Eas       s^      ^^                                    S                                          G 

STATISTIQUE  OU  MOUVEMENT  COMMERCIAL  DES  FORTS 

(In  tloi)artC!uent  dOraii,  pendant  l'année  18ÎKS 
comparé  au  mouvement  de  l'année  1897,  et  par  nature  de  marchandises 


EXPORTATIONS 


Nous  devons  les  rciiscigiiemenls  publias 

lans  les  tableaux 
du  déparlement 

ci-après,  à  M.  lin 
d'Oian 

.spccteur  principe 

des  Douanes 

jDÈSlG.NATION  des  M.\RCH.\)iDI>Ev 

1 

UNITÉS 

Ensemble 
des  porfs  en  1898 

PORT  mm 

seul 

Ensemble 
des  ports  eo  1897 

PORT  D'URAS 
seul 

Animau.x  \  ^^^^  <J«  ^oainie. 

Tètes 

1  224 

1.213 

1.239 

1  2j2 

vivants   (  bestiaux.. 

» 

489.139 

489.139 

360.934 

359.370 

Graisses,  suif  brut  et 

saindoux 

Kilûg. 

80.788 
1.377.143 

80.788 
1.340.883 

133.178 

932.758 

132.989  ' 

i 

878.423  ■ 

1 

i  Peaux  brutes 

,  Laines  en  masse  .... 

» 

2  5U5.UI)G 

2.474.9.33 

2.660.403 

2  6  il. 552 

So'es 

» 

» 

208 
13.624 

208 
10.072 

197 
22.613 

197 
21.772 

Cires  brutes  

Poissons  de  mer  .... 

» 

143.832 

134.390 

179.877 

179.877 

■  Corail  brut 

» 
Quintal 

735 

616.471 
482.805 

735 

560.943 
454.392 

438 

392.844 
273.829 

438  ! 
338.908  ' 

252.077 

1 

Os,  sabots  et  cornes 
de  bétail 

j  Froment. 

:                     \  Maïs  .... 

» 

483 

483 

56 

56 

1  Céré.\les  < 

]  Orge  .... 

» 

382.177 

244.236 

88.527 

52.795 

1  Avoine  . . 

» 

551.031 

4G6.137 

280.329 

267.883 

Farines 

» 
Kilog. 

936 
1.904.755 

692 
1.575.y35 

1.555 
2.164.435 

1 .455 
2.162.055 

verts  .... 

Légumes   j  secs  et  leurs 

'     farines. . . 

» 

1.111.414 

978.729 

743.238 

735.238 

Pommes  do  terre  . . . 

» 

787.894 

576.899 

474.381 

284.876 

Alpistes 

» 

36.000 

32.500 

1.100 

1.100 

XL 


MOUVEMENT   COMMERCIAL 

EXPORTATIONS  Tsuite) 


DESIGNATION  des  Jl\ltCH,\XDISES 

UNITÉS 

Ensemble 
(les  ports  eii  1808 

PORT  D'ORAN 
seul 

Eoseiiible 
des  jjiirts  en  1807 

PORT  D'ORAN 

seul 

f  frais 

Kilog. 

1.538. 4 50 

1.410.693 

1.186.689 

1.176.825 

Fruits<  secs  on  lapés 

» 

81. -Me 

79.845 

64.950 

63.067 

'  oléagineux.. 

» 

» 

» 

332.700 

322.560 

/'  en  feui'les  .  . 
Tabacs 

(  fal.riqués . . 

» 
» 

495 
277.708 

495 

277.499 

9.161 
278.840 

9.161 
192.043 

1              .  d'olives 

HuiLKsj  jg  graines 
(      grasses  . . 

» 

240.5^2 

198.460 

31.618 

30.316 

» 

.57.292 

57.292 

4.333 

4.333 

1 

en  graines 

» 

239.85  1 

2..9.cs:0 

316.7:0 

316.76ii  i 

\  en  tiges  brutes. 
Lin  ( 

» 

» 

» 

» 

»          1 

/  tCillé,  peigné  el 

1 
» 

\      en  étoupes.. . 

» 

» 

» 

» 

Joncs  et  roseaux  bruts 

» 

1.700 

l.TOi» 

1.100 

1.100 
1 

Alfa 

» 
» 

86.619.916 
210 

67.911.336 

24(1 

72. 85. 620 

1.5  :ll 

55.15'i  220 
1.5  0 

Feuilles  de  palmiers  nains  .  . 

Crin  végétal. 

» 

12.214.078 

11.5811.463 

16.768.918 

16.l9it.2U0 

Liège 

» 

98.4'iG 

98  446 

9 1.8 -H) 

91.820 

Écorces  à  tan 

» 

7.514.003 

7.514  0li3 

7.281.116 

7.268.102  i 

Fourrages  et  son 

» 

3.196.766 

2.152.293 

2.262.324 

1.5  1.988 

Drilles 

» 

782.422 

754  979 

605.2;'9 

.583.2:]5 

Plomb  V métal  brut). . 

Quinlal 

« 

» 

7 

7  ! 

de  fer  . . . 

» 

3.665.070 

» 

3. 4  56.. 570 

)) 

\  de  cuivre 

» 

» 

» 

» 

» 

Minerais 

1  de  plomb. 

» 

333 

124 

42 

42 

\  de  zinc  . . 

» 

40 

40 

38 

38 

Vins  de  toute  sorte. . 

Litre 

118.647.954 

89.727.595 

125.875.111 

94.280.604 

Eaux-de-vie  et  alcools 

Lilrc  d'alcool 

1.503.664 

1.299.926 

1.876.917 

1.250  238 

Peaux    préparées    et 
ouvrées  eu  peau . . . 

Kilog. 

43.860 

43.852 

58.981 

58.981 

MOUVEMENT  COMMERCIAL 


XLI 


IMPORTATIONS 


IDESIGNATIIIN  des  MARCHAÎiDlSES 

i 
1 

UNITÉS 

EDsemble 
des  ports  en  1898 

PORT  D'ORAN 

seul 

Ensemble 
des  [torts  en  1807 

PORT  D'ORAN 
seul 

1 
Animaux  [  bêles  de  somme... 

Tête 

2  635 

2.635 

1.144 

1.444 

vivaiils  '  bestiaux. . . . 

» 

263.779 

» 

586 

573 

Viandes  salées 

Kilog. 

306.618 

269.193 

334.418 

298.482 

Fromages 

» 

783  523 

711.381 

862.528 

-93.438 

Beurre 

» 
» 

144.407 
461.005 
438.417 

139.976 
380.578 
437.233 

134.504 
425.857 
148.002 

l:J0.460 
325.979 

96.266 

Graisses 

Peaux  brutes 

Soies 

» 

i; 

1.102.507 

» 
1.072.094 

967.330 

» 
945.993 

Poissons  de  nier 

Froment. 

Quintal 

65.. 528 

65.527 

1.911 

I.9C8 

l  Maïs  .... 

CÉRÉALES  ; 

1  Orge .... 

» 

101.186 
130.193 

129.764 
104.519 

65.477 
175.307 

13.586 
170.190 

\  Avoine  . 

» 

22 

22 

40 

11 

Farines 

» 

Kilog. 

» 

68.063 
4.276.076 
6,323.143 

65.294 
3.075.180 
5.493.914 

59.997 
3.360.958 
7.595.896 

49.063 
1.663.893 
6.514.557 

Riz 

Pommes  de  terre  . . . 

Légumes  secs 

y 

3.130.833 

2.635.948 

2.874.832 

2.519.341 

;  secs  ou  tapés 

Fruits]     , 

[  oléagmeux.. 

» 

1.896.044 

1.837.035 

1.304.727 

1.279.156 

» 

714.103 

713.124 

601.560 

.596.170 

Glucose  

» 

53.952 
446.813 

53.383 
425.836 

34.951 

404.009 

30.906 
383.810 

(  brut 

Sucre              . 

(  raffine 

» 

5.941.538 

4.894  401 

5.512.358 

5.039.363 

Café 

» 
» 

1.777.945 
212.564 

1.676.611 

189.462 

1.618.651 
201.749 

1.398.484 
183.753 

Chicorée 

XLII 


MOUVEMENT   COMMERCIAL 

IMPORTATIONS   (suite) 


î 

jDÊSlGNATlON  des  MARCHANDISES 

UNITÉS 

Ensemble 
despoitseDl898 

PORT  D'ORAN 
seul 

Ensemble 
des  ports  en  1897 

PORT  D'ORAN 
seul 

Thé 

Kilog. 

D 

31.371 
1.982 

31.006 
1.826 

24.774 

488 

24.376 
204 

Poivre 

Mandons,  châtaignes 

et  leurs  farines  . . . 

> 

346.869 

315.645 

370.654 

354.817 

Cannelles    et    cassia 

lignea 

» 

3.212 

2.682 

271 

150 

Muscade,    macis    et 

vanille 

» 

230 

2-29 

79 

79 

girofle 

0 
» 

21 

4-^9.560 

21 

417.290 

120 
746.306 

119 

735-650 

;  en  feuilles.. 

Tabacs 

(  fabriqués  . . 

» 

2.307 

2.276 

168.478 

58.626 

i  d'olives .... 

» 

451.680 

431.822 

325.478 

301.223 

Huiles  (  d'aiil  esgraine- 

^     grasses 

» 

4.074.379 

3.476.909 

4.214.839 

3.580,091 

,     b  uts     ou 

^«'^              équarris.. 

1.(00  kil. 

9.047 

4  162 

9.601 

9.. 519 

à  construire  ] 

\  sciés 

» 

11.628 

7.660 

Il  667 

2.707 

Mater,  de  toute  sorte. 

Kilog. 

31.?31  732 

23.039.124 

19.957.243 

16.141.796 

Houille. 

Quintal 
Kilog. 

536.773 
330  549 

427.644 
265.382 

414.975 
188.796 

319.765 
135.828 

Huiles  et    j  brutes 

pétroles    (  raffinés .... 

» 

1.170.577 

14,572 

2.353.490 

216.769 

Boissons    (vinsordin.. 

Litre 

1.890.806 

1.863.205 

1.585.4.56 

1.557.313 

fermentées  {  vinsdeliq.. 

» 

347. 09S 

325.4.57 

200.249 

181.940 

Eaux-de-vie,  alcools 

et  liqueurs 

Litre  d'alcool 

484  530 

425.130 

2.355,319 

2.216.021 

Bière 

Litre 

718.129 

711.847 

726.515 

726.182 

Poteries 

Kilog. 

4.923.6^6 
1.194.546 

3.758.931 
1.125  189 

1 

4.429.125 
1.143.243 

3.967.457 
1.085.330 

Verres  et  cristaux. . . 

MOUVEMENT  COMMERCIAL 

IMPORTATIONS  (suite) 


XLIII 


ÎSIGNATION  des  MARCHANDISES 

UNITÉS 

Eûsemble 
des  ports  en '18118 

PORT  D'OR^N 
seul 

Euseuible 
des  ports  en  1897 

PORT  D'ORAN 
seul 

de   lin  et 
chanvre . 

de 

Kilog. 

198.833 

193.454 

113.457 

100.831 

lie  juto  .  . 

» 
» 

2.33G.15G 
2  4'i9.G'i2 

2.236.226 
2.408.570 

1.134,674 

1.596.158 

1.095.077 
1.563.830 

Tissus 

de  coton  . . 

de  laine. . . 

» 

199.285 

129.653 

261.089 

194.705 

de  soie.  . . . 

4.270 
» 

4.279 

0 

7.283 
30 

7.272 
30 

autres  .... 

Papiers  et  carton  . 

)) 

2  439.439 

2.234.100 

1.875.255 

1.791.473 

Peaux    préparées 
ouvrages  en  peau 

et 

» 

451.321 

376.890 

482  943 

413.798 

Machir 
ques 

Ouvaj: 

les  et  mécan 

i- 

1.912.239 
5.836.106 

1.845.177 
5.394.140 

764.913 

3.874.648 

688.810 
3.243.629 

^es  et  métau3 

«L    . 

Duvrages  de  sparte- 

rie, 
1    de  c( 

le  vaiHierie  et 
3rderie 

» 

129.401 

122.225 

112.740 

102.541 

r 

BOUTY, 

Secrétaire  Général. 


*    ♦    — 


RELEVÉ  du  Trafic  de  la  Gare  de  Karguentah,  de  la  Compagnie  P.-L.-M. 


PEN'DXNT    L'ANNÉE    1898 


DÉSIGNATION  DES  MARCHANDISES 


Céréales 

Son  et  farines 

Houille  et  coke 

Tuiles  et  briques 

Alfa  .    . 

Crin  végétal 

Denrées  

Chaux,  ciment  et  plâtre  .... 

Liège  et  écorces 

Soufre  et  sulfate 

Vin 

Alcool 

Engrais 

Oranges,  citrons  et  mandarines 

Huiles 

Tabac   

Foin  et  paille 

Fûts  vides 

Laines 

Arbres  vivants 

Divers 

.  Bois  .  .  .  • 
Matériaux  .   .    .  '    Pierres.    .   . 

(  Fers  .... 
Transport  de  la  Compagnie  .    . 

Guerre 

Légumes  et  fruits  frais  .... 

Pastèques  et  melons 

Bois  et  charbon  de  bois  .... 

Totaux.    .    . 


EXPEDITIONS  ARRIVAGES 


420 1" 
.  433 

226 

457 

368 

22 

.460 

690 
43 

119 

988 

627 


317 
126 

I3r. 
.193 

18 

» 
.586 
.388 

50 
293 
.216 
458 
159 
6 

75 


25. 875  f'*' 


6.144t"' 

1.874 

22 

» 

17.021 

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1.077 

948 

6.399 


85. 706  f" 


OUSEHVATIONS 


RELEVÉ  du  Trafic  de  la  (iare  d'Oran-Marine,  de  la  Compagnie  P.-L.-M. 


PENDANT   L'ANNEE    1898 


! 

DÉSIGNATION  DES  MARCHANDISES 

EXPÉDITIONS 

Iiiiporlalioiis 

ARRIVAf.ES 

Exportati^'iis 

OBSERVATIONS 

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1.539 
10.722 
14.762 

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79 
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93 

43 
1.594 

Son  et  farine 

Minerai  de  zinc            

Houille  et  coke         

Tuiles  et  briques      

Bois  à  brûler,  charbon  de  bois.   .    .   . 
Crin  végétal 

Alfa 

Liège  et  écorces *. 

Soufre  et  sulfates 

Vin 

Alcool 

Engrais  divers 

Oranges 

Huile 

'     Tabdc 

Foin  et  paille 

Fûts  vides 

,''   Pierre 

(    Fer 

Transports  de  la  Compagnie 

Divers  

Totaux 

74.4691-' 

154.858 t"" 

XLVI 


OBSERVATIONS   METEOROLOGIQUES 


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SOUVENIRS  RÉTROSPECTIFS 


MUSTAPHA    BEN    ISMAEL 


Au  Colonel  BEN    DAOUD, 

Officier  Supérieur  de  Cavalerie  en  retraite, 
•  S\Ceml>re  de  la  Société  de  Géographie  et  d' Archéologie  d'Oran, 

Depuis  de  longues  années,  étudiant  par  les  détails 
es  brillants  faits  d'armes,  si  glorieux  pour  nos  soldats, 
qu'a  enregistrés  l'Histoire  de  la  conquête  de  l'Algérie, 
le  nom  de  votre  valeureux  aïeul,  le  général  Mustapha 
BEN  IsMAEL,  avait  frappé  mon  esprit.  Je  m'étais  promis, 
dès  lors,  sans  parvenir  à  réaliser  mon  désir,  de  faire 
une  étude  biographique  sur  votre  grand  ancêtre,  ce 
vaillant  homme  de  guerre  qui  constitue  une  des 
figures  les  plus  remarquables  du  temps  dé  nos  guerres 
d'Afrique  ;  que  l'on  vit  de  1832  à  1843  versant  son  sang 
sur  tous  les  champs  de  bataille  de  la  province  de 
l'Ouest,  en  tête  des  goums  des  Douairs  et  des  Smélas, 
à  côté  de  nos  généraux  qui  l'avaient  apprécié  à  une  si 
haute  valeur. 

Le  moment  est  venu  de  réaliser  mon  rêve.  Ayant 
connu  l'agha  Mohamed  ben  Daoud,  votre  vénéré  père  ; 
le  chef  incontesté  des  Deouïdia,  ainsi  que  son  insépa- 
rable condisciple  et  ami,  le  bach-agha  Si  Ahmed  ould 
Cadi,  qui  furent  en  leur  jeune  âge  les  conseillers  et  les 
frères  d'armes  de  Mustapha  ben  Ismaël  ;  ayant  égale- 
ment connu  l'agha  Mustapha  ben  Diff,  de  Mostaganem, 
et,  plus  récemment,  mes  bons  amis  les  deux  caïds 
Mazari,  de  Lamoricière  et  de  Sebdou  (1),  tous,  vos  pa- 
rents ou  alliés,  issus  de  la  grande  famille  des  Deouïdia, 


(l)  Ce  dernier  vient  d'èlre  élu  délégué  musulman   aux   Délégalions 
linancières  de  l'Algérie, 


îfi  PREFACE 

dont  vous  êtes  originaire,  je  ne  saurais  mieux  faire, 
comme  préface  à  mon  étude,  que  j'ai  pu  enfin  réaliser, 
que  de  vous  en  oiïrir  la  dédicace,  à  vous  qui  avez  em- 
brassé, comme  vos  aïeux,  la  carrière  des  armes,  et  de 
vous  prier  de  transmettre  à  tous  les  membres  de  votre 
famille  l'expression  de  la  grande  admiration  que  m'ont 
inspirée  les  hauts  faits  d'armes  du  généralMustapha 
ben  Ismaël,  le  héros  des  guerres  de  l'Oranie,  le  martyr 
de  Zemmorah. 

J.  CANAL,      • 

de  la  Société  de  Géograpin'e  et  d'ArcIiéologie  d'Or  an . 


INTRODUCTION 


Le  nom  du  général  Mustapha  ben  Ismaël  a  été  si  intimement 
mêlé  aux  grandes  luttes  de  la  conquête  de  l'Algérie,  qu'il 
mérite  d'être  cité  à  côté  de  ceux  de  Pélissier,  de  Bedeau,  de 
Gavaignac,  de  Lamoricière  et  de  Bugeaud,  auxquels  il  prodigua 
pendant  douze  ans  (1831-1843),  tous  les  efforts  de  sa  haute 
vaillance  ;  toute  son  énergie,  toute  son  activité,  tout  son 
chevaleresque  dévouement. 

Il  versa  son  sang  pour  la  France,  dont  il  a  été,  pendant 
les  guerres  d'Algérie,  le  plus  fidèle  soutien  parmi  les  musul- 
mans ralliés  à  notre  cause. 

Sa  gloire,  déjà  ancienne,  établie  et  proclamée  sous  le  gou- 
vernement des  Turcs,  grandit  plus  encore  et  s'affirma  sous  les 
plis  de  notre  drapeau  qu'il  avait  fait  sien. 

Les  hommes  de  la  trempe  et  du  caractère  peu  banal  de 
Muslapha  Ismaël,  sont  trop  rares  ;  de  semblables  types,  même 
dans  les  grandes  luttes  de  notre  histoire  militaire,  sont  trop 
peu  communs  pour  qu'il  ne  convienne  pas  de  chercher  à 
retenir  l'attention  sur  cette  grande  et  noble  figure. 

Le  moment  est  venu  de  tirer  ce  héros  de  l'oubli  et  de  graver 
son  nom  sur  l'airain  de  l'Histoire.  A  ce  titre,  le  général  Musta- 
pha ben  Ismaël  mérite  de  passer  à  la  postérité  et  de  figurer  au 
livre  d'or  de  la  conquête  de  l'Algérie. 


MUSTAPHA  BEN  ISMAËL 

Généalogie  de  Mustapha  ben  Ismaël 


Qu'était-ce  que  Mustapha  ben  Ismaël? 

Il  était  issu  de  la  la  grande  tribu  des  Behaïtsia  originaire  des 
Oulad  el  Messaoud,  une  fraction  delà  tribu  des  Amehal,  ou 
El  Mehal,  également  désignée  sous  le  nom  de  Oulad  bou  Beker. 

Cette  tribu  d'EI  Mehal  était  autrefois  composée  des  Arabes, 
Koreïchites  qui  formèrent  la  fraction  des  Beni-Maghzoum, 
laquelle  se  distinguait  des  autres  par  la  couleur  noire  de  sa 
bannière. 

Elle  descendait  des  djouad,  nobles  musulmans,  venus  de 
rOrient  pour  faire  la  conquête  de  l'Afrique  septentrionale.  A 
la  suite  de  leur  émigration  envahissante  vers  le  nord-ouest,  la 
tribu  d'El-Mehal  vînt  s'établir  dans  la  région  de  l'Algérie 
comprise  entre  Miliana  et  Mostaganem,  dans  la  plaine  et  aux 
abords  du  Chélif. 

Mostaganem  conserve  encore  une  ancienne  citadelle,  connue 
sous  le  nom  de  Bordj-el-Mehal,  aujourd'hui  le  «Fort  des  Gigo- 
gnes »,  transformé  en  prison,  qui  atteste  par  sa  présence  et 
son  architecture  byzantine,  du  passage  de  ces  émigrés  conqué- 
rants. 

Le  fondateur  de  cette  famille  des  Behaïtsia  se  nommait 
Bachir.  Homme  doué  d'un  brillant  courage  et  d'une  haute 
vaillance,  qui  avait  conquis  son  titre  de  héros  dans  les  guerres 
que  les  Turcs  livrèrent  aux  Mehal  pour  les  attirer  sous  leur 
domination. 

A  sa  mort,  Bachir  laissa  quatre  fils  en  bas  âge  :  El  Moufok, 
Ismaël',  Eudda  et  Youssef.  Lorsque  ces  derniers  eurent  atteint 
un  certain  .âge,  l'aîné,  El  Moufok,  se  rendit  auprès  des  Turcs 
qui  venaient  d'occuper  Mascara,  et  se  fit  nommer  caïd  des 
Douairs,  dans  la  plaine  de  la  M'Iéta,  près  d'Oran  ;  il  appela 
aussitôt  auprès  de  lui  ses  trois  jeunes  frères  qui  vinrent  l'y 
rejoindre,  et  occupa  ce  poste  jusqu'à  sa  mort. 


MUSTAPHA   BEN  ISMAEL  5 

Son  fils,  El  Kadi,  trop  jeune  pour  lui  succéder,  resta  sous  la 
tutelle  de  son  oncle  Isniaël,  (jui  lui  donna  plus  tard  sa  lille  en 
mariage. 

A  cette  époque,  l'agalyk  des  Douairs  était  confié  à  un  nommé 
Ghérit'-el-Kerdi,  dont  Isrnaël  ben  Bachirétait  le  khalifa,  c'est-à- 
dire  le  lieutenant.  A  la  mort  de  Ghérif-el-Kerdi,  son  khalifa, 
Ismaël  ben  Bachir,  de  la  famille  des  Behaïtsia,  lui  succéda  à 
son  tour  dans  ses  hautes  fonctions,  et,  lorsqu'il  mourut,  il 
laissa  lui-même  trois  fils  :  Kaddour-el-Kébir,  Mustapha  et 
Kaddour-el-Seghir. 

Le  premier,  en  sa  qualité  d'aîné,  hérita  du  titre  et  des  hautes 
fonctions  d'Agha  des  Douairs  ;  et  c'est  au  décès  de  ce  dernier 
que  le  second  fils  d'Ismaël  ben  Bachir,  Mustapha  hen  Ismaël, 
fut  à  son  tour  proclamé  Agha  de  cette  tribu  des  Douairs,  qui 
fut  la  meilleure  et  la  plus  fidèle  alliée  des  Français,  dès  leur 
établissement  à  Oran. 

Il  résulte  de  cette  filiation  que  l'Agha  Mustapha  ben  Ismaël 
était  le  petit-fils  du  fameux  Bschir,  le  fondateur  de  cette 
famille  des  Behaïtsia,  qui  a  peuplé,  par  la  suite,  \i  plaine  de  la 
M'iéta. 

Il  occupait  ces  hautes  fonctions,  sous  le  gouvernement  Turc 
du  bey  Hassan,  dernier  gouverneur  d'Oran,  lors  du  débarque- 
ment des  Français  dans  cette  place,  le  13  décembre  1830. 

La  première  fois  que  le  nom  de  Mustapha  ben  Ismaël  est 
cité,  se  rapporte  à  l'occupation  de  Mers  el-Kébir  par  le  Général 
de  Damrémont  qui  s'était  emparé  du  fort  Saint-Grégoire,  trois 
jours  après  son  débarquement. 

La  ville  d'Oran,  se  trouvant  menacée  d'un  bombardement 
si  elle  ne  se  rendait  pas  à  discrétion,  le  vieux  bey  Hassan 
dépêcha  à  Mers-el-Kébir,  quartier  général  des  troupes  françai- 
ses, l'Agha  des  Douairs,  Mustapha  ben  Ismaël  et  Hadj  Morcelli, 
pour  lui  annoncer  que,  dans  l'impossibilité  où  il  se  trouvait  de 
soutenir  honorablement  la  lutte,  n'ayant  à  sa  disposition  que 
90  hommes  de  milice  turque,  il  invitait  le  général  français  à 
venir  prendre  possession  de  la  ville,  s'il  ne  voulait  la  voir  en 
proie  au  pillage  et  à  la  désolation.  Cette  prise  de  possesion, 
sans  combat,  eut  lieu  le  4  janvier  1831.  Le  bey  Hassan  s'em- 


6  MUSTAPHA  BEN  ISMAEL 

barqua  peu  après  pour  Alger,  où  il  fut  reçu  avec  égards  et 
distinction. 

On  voit  par  ce  court  aperçu,  que  l'Agha  des  Douairs  fut 
le  premier  ambassadeur,  le  premier  personnage  musulman 
qui  entra  en  relation  avec  les  troupes  françaises  dès  leur 
arrivée  à  Oran.  C'est  sans  doute  à  cette  circonstance,  qu'il  dût 
son  admiration  et  son  enthousiasme  pour  la  France,  sentiments 
qui  ne  se  démentirent  jamais  jusqu'à  sa  mort. 

Mustapha  ben  Ismaël  était  né  à  la  M'iéta,  vers  l'année  1764. 
Il  avait  donc  déjà  67  ans,  quand  nous  le  mettons  en  scène  au 
commencement  de  1831. 

Les  hautes  et  nobles  qualités  que  nous  lui  avons  connues,  il 
les  possédaient  déjà  sous  le  gouvernement  turc  qui  l'avait  en 
si  grande  considération. 

C'était  un  guerrier  aux  instincts  éminemment  militaires  qui 
le  distinguèrent  d'une  façon  toute  particulière,  et  lui  faisaient 
tirer  toujours  un  bon  parti  des  éléments  incomplets  et  informes 
dont  il  disposait.  Malgré  son  extrême  rigueur  pour  l'obéissance 
et  la  discipline,  il  était  d'une  telle  impartialité,  d'une  telle 
grandeur  d'âme,  qu'on  l'avait  surnommé  :  Mustapha-el-Haq 
(Mustapha  le  Juste). 

«  Certes,  dit  Walsin-Esterhazy,  dans  l'histoire  du  Maghzen 
d'Oran,  il  fallait  qu'il  fut  doué  d'un  sens  moral  bien  profond 
et  d'un  grand  esprit  de  noble  équité,  pour  mériter  ce  glorieux 
surnom,  à  une  époque  où,  investi  d'un  immense  pouvoir, 
arbitraire,  discrétionnaire,  il  fut  si  hautement  apprécié  comme 
agent  principal  d'un  gouvernement  basé  sur  la  violence  et  la 
spolation. 

«  Il  était  reconu,  parmi  les  gens  peu  scrupuleux  dans  leur 
foi,  au  milieu  desquels  il  vivait,  que  la  jjarole  de  Mustapha 
était  la  plus  solide  des  garanties  et,  sous  ce  rapport,  la  dernière 
partie  de  sa  vie  fut  digne  de  celles  qui  l'avaient  précédé.  Il 
donna,  plus  tard,  sa  parole  à  la  France  et,  jamais,  dans 
les  circonstances  difficiles  qu'il  eut  à  traverser  avec  nous, 
malgré  les  dégoûts  dont  il  fut  souvent  abreuvé,  son  expérience 
des  hommes  de  son  temps  et  des  choses  de  son  pays,  son 
dévouement  dans  les  combats,  sa  coopération  dans  les  conseils, 


MUSTAPHA   BEN   ISMAEL  7 

ne  nous  firent  défaut  toutes  les  fois  qu'on  voulut  bien  les  invo- 
quer ;  toutes  les  fois  qu'on  y  eut  recours,  h 

Pour  l'intelligence  de  ce  qui  va. suivre,  nous  devons  nous 
reporter  à  deux  années  après  la  prise  d'Alger  (1832),  époque  à 
laquelle  s'est  révélé  l'émir  Abdelkader  ould  Mahieddin,  comme 
prince  des  vrais  croyants  (titre  qu'il  se  plaisait  à  se  décerner  lui- 
même)  et  régénérateur  de  la  nationalité  arabe,  attendu  que  ce 
furent  préciséuient  les  deux,  tribus  limitrophes,  les  Douairs  et 
les  Smélns,  constituées  en  maghzen,  et  objet  de  cette  étude, 
qui  contre-balançèrent  rin[luence  d' Abdelkader  et  contri- 
buèrent le  plus,  par  leur  alliance  avec  les  Français,  à  détruire 
son  prestige  et  à  renverser  sa  puissance. 


Apparition  d' Abdelkader 


Ce  fut  le  28  septembre  1832  que  le  jeune  Abdelkader,  fils  de 
Mahieddin,  fut  salué  avec  la  plus  grande  solennité,  sultan  des 
Arabes,  sur  le  territoire  de  la  plaine  d'Eghris,  à  la  Ghetna, 
demeure  de  son  père. 

Abdelkader,  né  en  1807,  avait  conséquemment  25  ans;  il 
avait  déjà  accompli  avec  son  père  le  pèlerinage  de  la  Mecque 
et  était  consacré  El  Hadj. 

Dès  son  avènement,  le  nouveau  souverain  fit  écrire  à  tous 
les  chefs  de  la  contrée,  notamment  à  Mustapha  ben  Ismaël,  à 
El  hadj  Mazari,  à  El  hadj  bel  Hadri,  et  à  Mohamed  bel  Kadi, 
lesquels  commandaient  les  quatre  groupes  Douair,  Smélas, 
Gharaba  et  Bordjia,  pour  les  inviter  à  reconnaître  sa  souve- 
raineté, se  ranger  sous  son  obéissance  et  v^enir  prêter,  à 
Mascara,  entre  ses  mains,  le  serment  de  vasselage  et  de  fidélité. 

Lorsque  cet  ordre  impératif  parvint  à  la  M'iéta,  les  chefs  de 
l'ancien  maghzen  turc  se  réunirent  sous  la  présidence  de 
l'agha  des  Douair,  Mustapha  ben  Ismaël,  pour  délibérer  sur  le 
parti  à  prendre.  Dans  le  conciliabule  qui  s'en  suivit,  Mustapha 
déclara  énergiqucinent  qu'il  ne  pouvait  consentir  à  se 
soumettre  à  l'autorité  d'Abdelkader.  fils  d'un  obscur  marabout 


8  MUSTAPHA   BEN  ISMAEL 

des  Hachem,  homme  de  zaouïa  (1),  hier  encore  inconnu,  et 
qu'il  refusait  de  se  rendre  à  son  appel. 

Ses  compagnons  lui  objectèrent  qu'un  tel  refus  d'obéissance, 
en  pareil  cas,  les  exposerait  à  la  déconsidération  et  au  mépris 
de  leurs  correligionaires  et  serait  de  nature  à  leur  attirer 
de  graves  désagréments. 

Trop  fier  pour  s'associer  à  une  démarche  qui  ne  pouvait  que 
le  rabaisser  et  l'amoindrir,  Mustapha  ben  Ismaël  leur  répondit, 
en  se  retirant  :  «  Puisque  c'est  ainsi  que  vous  l'entendez, 
agissez  à  votre  guise,  mais  ne  comptez  pas  sur  moi  car  je  ne 
m'associerai  jamais  à  une  semblable  détermination  ». 

L'assemblée  persévéra  néanmoins  dans  son  idée  de 
soumission  et  décida  d'envoyer  deux  délégués  :  El  hadj 
bel  Hadri  et  Moktar  el  Eudda,  qui  se  rendirent  à  Mascara, 
porteurs  de  riches  présents  et  prêtèrent  le  serment  d'obéissance 
à  l'émir,  heureux  et  flatté  d'être  pris  au  sérieux. 

Le  premier  fut  aussitôt  nommé  agha  du  maghzen  et  le 
second  caïd  des  Douairs. 

Le  maghzen  d'Abdelkader,  ainsi  constitué,  était  calqué  sur 
celui  des  Turcs,  que  commandait  précédemment  l'agha 
Mustapha.  Il  se  composait  de  ce  qu'on  appelait  les  quatre 
tribus  moghaznia,  qui  formaient  la  milice  permanente  du 
gouvernement  établi  et  qui  se  recrutait  dans  la  région  d'Oran. 

C'étaient  :  1°  Les  Douairs  et  les  Smélas  de  la  plaine  de  la 
M'iéta,  occupant  les  terres  comprises  entre  Oran,  le  Sig  et 
Aïn-Témouchent  ;  2"  Les  Gharabas,  compris  entre  Oran,  le  Sig 
et  Arzew  ;  3°  Les  Bordjias,  occupant  le  pays  de  la  plaine  de 
l'Habra,  entre  Oran,  Perrégaux  et  Mostaganem. 

Ces  quatre  tribus  jouissaient  de  certaines  immunités  de 
paccages  et  autres  ;  elles  ne  payaient  pas  d'impôts. 

Chacune  d'elles  était  sous  les  ordres  d'un  caïd  et  à  la  tête 
de  ce  grand  commandement  administratif  et  militaire,  était 
placé  l'Agha  du  maghzen.  Ensemble,  elles  fournissaient  de  350 
à  400  cavaliers,  bien  disciplinés  et  des  mieux  aguerris.  Les 
terrass    ou    hommes   de   pied,   conduisaient  les  convois   de 


(1)  De  la  part  d'un  q-iiPri-Ler  comme  Mustaplia  ben  Ismarl,  répilliètc  de 
«  homme  de  zaouïa  «  était  un  terme  de  mépris,  similaire  à  celui  de 
calotin,  on  homme  de  sacristie. 


MUSTAPHA  BEN   ISMAEL  9 

mulets  et  de   chameaux  destinés  aux   transports  des  vivres 
et  bagages  de  ce  petit  corps  d'armée. 

El  hadj  bel  Fladri  et  Moktar  el  Eudda  après  avoir  reçu 
l'investiture  des  mains  du  nouveau  Sultan,  rentrèrent  dans 
leurs  tribus,  où  l'autorité  de  Mustapha  ben  Ismaël  régnait 
encore,  respectée  et  vivace,  par  la  force  des  choses  du  passé. 

Malgré  cette  manifestation  solennelle  de  Mascara,  les 
Douairs  et  Smélas  n'avaient  été  accueillis  qu'avec  un  esprit  de 
défiance  et  d'hostilité  à  peine  déguisé.  Les  Hachem  et  Abdel - 
kader  ne  pouvaient  pas  plus  oublier  leurs  griefs  contre  les 
anciens  dominateurs  du  pays,  que  ceux-ci  ne  pouvaient  par- 
donner aux  nouveaux  maîtres,  leur  puissance  de  fraîche  date, 
qu'ils  jalousaient  et  ne  subissaient  qu'avec  répugnance. 

Cet  esprit  d'animosité  prit  un  caractère  encore  plus  tranché 
par  suite  de  la  scission  qui  s'opérait  au  sein  du  maghzen  par  la 
nomination  d'El  hadj  bel  Hadri  au  poste  d'agha,  au  lieu 
et  place  de  Mustapha  ben  Ismaël. 

Bel  Hadri  quitta  donc,  peu  après,  la  plaine  de  la  M'iétapour 
se  rendre,  avec  ses  tentes,  et  celles  peu  nombreuses,  de  ses 
clients  les  plus  dévoués,  à  Mascara,  auprès  d'Abdelkader  qui 
l'attendait. 

De  ce  tait,  le  Maghzen  se  trouva  divisé  en  deux  fractions, 
désormais  ennemies,  l'une  à  Mascara,  au  service  de  l'Emir, 
l'autre  restée  à  ia  M'iéta,  demeurant  fidèle  à  son  vieux  chef 
Mustapha  ben  Ismaël  et  coiiocrvant  son  indépendance  et  sa 
liberté  d'action. 

Ostensiblement,  et  bien  que  frappé  dans  son  amour-propre, 
le  vieil  agha  ne  montra  aucun  ressentiment  des  faits  qui 
venaient  de  se  passer.  Il  se  recueillit,  retiré  dans  ses  terres  de 
la  M'iéta,  avec  ses  adhérents,  la  plupart  des  Douairs,  qui 
devaient  lui  rester  fidèles.  Aussi,  lorsque  en  mai  1833,  Abdel- 
kader  réunit  toutes  ses  forces  pour  combattre  nos  troupes  qui, 
sous  le  commandement  du  général  Desmichels,  commenraient 
à  opérer  des  sorties  et  à  faire  des  reconnaissances  aux  environs 
d'Oran,  il  se  forma  deux  camps  dans  lesquels  chaque  chet 
reçut  les  honneurs  séparément  :  celui  d'Abdelkader  établi  au 
figuier  de  Massoulan  (actuellement  Valmy)  et  celui  de  Musta- 
pha ben  Ismaël,  traité  à  l'égal  du  Sultan,  établi  à  Missergliin, 


10  MUSTAPHA    BEN   ISMAEL 

Dans  quelques  escarmouches  vigoureusement  repoussées 
par  la  petite  garnison  d'Oran,  les  deux  goums  manœuvrèrent 
chacun  isolément,  et,  après  l'action,  où  l'avantage  resta  aux 
troupes  françaises,  chacun  se  retira  dans  une  direction  opposée. 

Cependant  le  pouvoir  d'Abdelkader  ne  s'établissait  que  diffi- 
cilement :  son  autorité  était  loin  de  s'affermir,  et  des  tribus, 
même  les  plus  voisines  de  Mascara,  étaient  en  état  continuel 
d'hostilité  :  Ainsi,  par  exemple,  les  Angad  des  Hauts-Plateaux 
venus  faire  leur  soumission  à  Abdelkader,  furent  autorisés  à 
rentrer  dans  le  Tell  et  à  s'installer  sur  le  territoire  des  Oulad 
Ali  (Oued-Imbert)  avoisinant  les  Beni-Ameur  (plaine  de  Bel- 
Abbès).  Puis,  afin  de  prévenir  toute  agression  de  la  part  de 
ceux-ci  contre  leurs  anciens  ennemis  et  nouveaux  voisins,  il 
donna  l'ordre  aux  Douairs  de  protéger  les  Angad  et  de  les 
appuyer  en  cas  d'attaque. 

Mais,  l'influence  et  l'autorité  de  l'Émir  étaient  si  précaires 
que  ses  ordres  ne  furent  pas  exécutés.  Les  Beni-Amcur,  pour- 
suivant leur  haine  et  leur  vengeance,  tombèrent  inopinément 
sur  les  Angad  et  les  razzièrent.  Ceux-ci  se  replièrent  sur  les 
Douairs  qu'ils  entraînèrent  à  leur  secours  ;  puis,  reprenant 
l'offensive,  ils  infligèrent  à  leurs  ennemis  une  sanglante  défaite, 
où  leur  chef  Bou-Gliouïcha  trouva  la  mort. 

Se  voyant  battus  et  chassés  de  leurs  cantonnements,  les 
Beni-Ameur  employèrent  l'intrigue  pour  corrompre  les  gens 
de  l'entourage  de  l'Émir,  auquel  on  persuada  que  Mustapha- 
ben  Ismaël  et  les  Douairs  voulaient  le  renverser  et  s'emparer 
de  Mascara. 

L'Émir,  très  hésitant,  que  les  graves  conflits  du  moment  ren- 
daient ombrageux,  croyant,  sans  doute  de  bonne  foi,  que  son 
pouvoir  était  menacé  par  une  trahison,  donna  aussitôt  l'ordre 
aux  tribus  du  nord  de  Tlemcen  :  Oulhassa,  Trara,  Gliossel, 
Médiouna  et  Oulad  Riah,  de  marcher  contre  les  Douairs,  les 
Smélas  et  les  Angad,  pendant  que  lui  irait  les  attaquer  à  revers, 
décidé  à  les  exterminer  et  à  effacer  jusqu'à  leur  nom. 

Informés  du  sort  qui  les  attendait,  par  des  lettres  que  le 
hasard  fit  tomber  entre  les  mains  de  Mustapha  ben  Ismaël, 
leur  ancien  chef,  toujours  vénéré  des  siens,  les  Douairs, 
renforcés  de  tous  ceux  que  la  nostalgie  delà  M'iéta  avaient  fait 
rentrer  de  Mascara,  organisèrent  la  résistance. 


MUSTAPHA   BEN   ISMAEL  41 

Combat  d'Aïn-Fezza 


C'est  à  ce  moment  que  le  vieil  Agha  rentra  en  scène.  Comme 
l'offensive  était  sa  tactique  dominante,  après  avoir  coordonné 
toutes  les  forces  disponibles  de  l'ancien  maghzen,  il  se  porta 
à  deux  jours  de  marche  vers  l'ouest,  sous  les  bois  d'oliviers 
d'Hennaya,  auprès  des  sources  des  Ghossel  et  prit  position 
attendant  fermement  le  défi  d'Abdelkader. 

Le  lendemain,  dès  l'aurore,  les  goums  de  l'Emir  étant 
signalés  au  sud-est,  vers  Tlemcen,  Mustapha,  à  la  tête  de  ses 
fidèles  Douairs,  marcha  résolument  à  leur  rencontre.  Après 
avoir  dépassé  la  petite  vallée  de  la  Saf-Saf,  entre  Négrier 
et  Ouchba,  il  tomba  sur  les  cavalier  de  l'Emir,  vers  le  point  où 
se  trouve  actuellement  le  village  d'Aïn-Fezza. 

Là,  une  sanglante  bataille  s'engagea,  poursuivie  avec  un  rare 
acharnement  et  se  termina  par  la  déroute  de  l'armée  de  l'Emir 
et  la  prise  de  tous  ses  trophées  (12  janvier  1833).  Ce  dernier, 
trop  confiant  dans  ses  forces  et  son  habileté,  s'était  laissé 
surprendre  inopinément  par  un  guerrier  de  carrière  beaucoup 
plus  habile  et  plus  expérimenté  que  lui. 

Personnellement,  l'Emir  fit  des  prodiges  de  valeur  et  eut 
deux  chevaux  tués  sous  lui  ;  mais  que  pouvait-il  contre  l'élan 
impétueux  de  Mustapha  et  de  ses  Douairs  ?  Démonté  et 
presque  sans  armes,  il  allait  périr  ou  être  pris,  ce  qui  était  tout 
comme,  sans  le  dév^ouement  de  son  cousin  Miloud  ben  Taïeb, 
qui  l'arracha  de  la  mêlée,  le  prit  en  croupe  sur  son  cheval  et 
l'entraîna  loin  du  théâtre  de  la  lutte.  La  monture  de  l'Emir,  sa 
selle  et  ses  armes,  restèrent  entre  les  mains  des  vainqueurs. 
Miloud  ben  Taïeb  et  son  puissant  cousin,  auxquels  la  fuite 
avaient  donné  des  ailes,  rentrèrent  presque  seuls  à  Mascara. 

Dans  celte  première  rencontre,  Abdelkader  apprit  à  ses 
dépens  à  quel  terrible  adversaire  il  avait  à  faire. 

Mustapha  ben  Isniaël,  au  contraire,  sortit  de  la  lutte  plus 
estimé,  plus  grandi  que  jamais.  Les  Douairs  et  les  Smélas 
l'acclamèrent  pour  leur  seul  et  unique  chef  et  lui  firent  une 
ovation  grandiose. 


12  MUSTAPHA   BEN  ISMAEL 

Encouragé  par  ce  succès,  Mustapha  avant  de  quitter  la 
région,  passa  par  Tlemcen  où  il  revît  plusieurs  de  ses  anciens 
compagnons  d'armes  et  profita  de  cette  occasion  pour  négocier 
une  alliance  avec  Sidi  Hamadi,  chef  Turc  de  cette  ville,  lequel 
ne  se  souciait  guère  de  perdre  son  indépendance  pour  entrer 
dans  le  giron  de  l'Emir  Abdelkader  qui  cherchait  à  s'imposera 
toute  rOranie. 

C'est  donc  grandi  par  ce  beau  fait  d'armes  d'Aïn-Fezza  que 
l'Agha  des  Douairs,  ayant  recouvré  son  ancienne  autorité, 
rentra  à  la  M'iéta  chargé  de  butin  pris  à  l'ennemi. 


Bataille  de  la  Tafna 

{Septembre  iS33) 


Cependant,  avec  une  rare  opiniâtreté,  une  persévérance 
résolue,  Abdelkader  continuait  à  organiser  son  petit  royaume. 
Après  quelques  jours  de  recueillement  passés  chez  son  père  à 
la  Glietna,  il  reprît  ses  enrôlements  et  créa  des  corps  d'infan- 
terie et  de  cavalerie  régulière.  Nomma  à  leur  tête  des  aghas, 
des  caïds,  des  cheiks  et  prépara  avec  un  soin  minutieux 
l'armement  et  l'équipement  de  ses  troupes  reconstituées. 

Quand  ces  préparatifs  furent  achevés,  obsédé  par  l'idée  fixe 
de  gagner  à  sa  cause  Tlemcen  et  les  tribus  de  l'ouest,  il 
marcha  de  nouveau  contre  les  Douairs  campés  à  ce  moment 
sur  les  bords  de  la  Tafna,  où  ils  avaient  obtenu  l'autorisation 
de  faire  du  fourrage  dans  la  boucle  formée  par  cette  rivière  et 
son  affluent  l'Oued  Zitoun,  vers  le  marabout  de  Sidi-Bou- 
Lenouar. 

Abdelkader,  pour  assouvir  sa  haine,  cherchait  une  occasion 
de  se  venger  des  dédains  de  Mustapha  ben  Ismaël,  cet  intrai- 
table vieillard,  que  rien  n'avait  pu  séduire  et  dont  l'opposition 
importune  le  fatiguait,  en  conlrecarnint  tous  ses  projets.  Il 
résolut  de  le  punir  de  sa  témérité  et  de  s'imposer  à  lui  par  la 
force. 

Dès  que  Mustapha  apprît  les  projets  de  l'Einir  et  la  convoca- 
tion des  goums  et  des  troupes  régulières,  il  se  rendit  à  Oran  et 


MUSTAPHA  BEN   ISMAEL  13 

lit  au  général  Desiiiichels,  avec  lequel  il  avait  déjà  tenté 
d'entrer  en  pourparlers,  de  nouvelles  propositions,  offrant, 
pour  lui  et  ses  tribus,  soumission  complète  et  adhésion  à 
la  France,  en  échange  de  la  rupture  avec  Abdelkader. 

Le  général  repoussa  avec  hauteur  ces  nouvelles  avances  et 
tout  mode  d'arrangement  avec  les  Douairs  ;  il  appuya  même 
son  refus  d'une  démonstration  militaire  sur  Misser^hin. 

Méconnu  des  Français,  en  butte  à  la  vengeance  d'AbdeIka 
der  et  réduit  à  ses  seules  forces,  Mustapha  résolut  de  quitter 
le  pays.  Il  se  souvint  que  le  Sultan  du  Maroc,  avec  lequel  il 
avait  entretenu  autrefois  des  relations  amicales,  n'avait  jamais 
eu  pour  lui  que  de  bons  procédés,  francs  et  loyaux.  Il  décida 
donc  tous  les  Douairs  et  Smélas  à  se  retirer  avec  lui  au  Maroc. 

Précédé  de  la  nombreuse  émigration  de  ses  deux  fidèles 
tribus,  il  se  dirigea  vers  l'ouest,  à  marches  forcées  pour  faire 
jonction  avec  ses  cavaliers  restés  au  fourrage  à  Sidi  bou 
Lenouar.  Le  troisième  jour,  à  peine  arrivait-il  en  cet  endroit, 
que  les  éclaireurs  de  l'Emir  furent  signalés  à  leur  poursuite. 

La  fuite  devenait  impossible.  Personne,  du  reste,  ne  la 
conseilla,  elle  n'était  pas  dans  les  habitudes  du  vieil  Agha. 
Aussi  prit-il  bien  vite  son  parti  de  cette  nouvelle  agression. 
En  cette  difficile  conjecture,  encombré  d'impedimenta,  il  mit 
en  sûreté  les  femmes,  les  enfants  et  son  convoi  de  bagages, 
puis,  avec  la  promptitude  et  la  résolution  qui  lui  étaient 
familières,  il  forma  ses  pelotons  de  cavaliers  et  à  leur  tête,  se 
porta,  sans  hésiter,  le  fusil  haut,  à  la  rencontre  de  son  ennemi. 
Dès  qu'il  l'aperçut  il  fit  sortir  des  rangs  ses  cinquante  meilleurs 
cavaliers  des  mieux  montés,  les  hardis  compagnons  de  sa 
bonne  ou  mauvaise  fortune.  Il  s'avança  à  la  tète  de  cette  petite 
phalange  de  héros,  au  pas,  tandis  qu'il  avait  envoyé  les  Smélas 
faire  une  diversion  sur  la  droite  de  l'ennemi,  pour  tenter  de  le 
tourner. 

A  son  allure  calme  et  froide,  au  petit  nombre  des  cavaliers 
qui  l'entouraient  ;  l'Emir  pensa  qu'il  venait  implorer  son  par- 
don. Mais,  arrivé  à  une  petite  distance  de  l'immense  ligne  de 
cavaliers  qu'il  avait  devant  lui,  Mustapha  donna  tout-à-coup  le 
signal  de  la  charge  ;  avec  son  impétuosité  accoutumée  il  tomba 
comme  la  foudre  sur  le  groupe  qui  entourait  l'Emir. 


14  MUSTAPHA   BEN    ISMAEL 

A  cette  attaque  inopinée,  tout-à-fait  imprévue,  surpris  de 
tant  d'audace  et  avant  d'avoir  eu  le  temps  de  prendre  leurs 
dispositions  de  combat,  les  cavaliers  d'Abdelkader,  dont  la 
ligne  fut  rompue  par  ce  choc  violent,  terrifiés  par  la  vue  de 
Mustapha  qui  leur  inspirait  une  crainte  effroyable,  se  disper- 
sèrent dans  toutes  les  directions,  en  une  piteuse  débandade, 
vivement  poursuivis  par  le  reste  du  maghzen,  qui  attendait 
embusqué  non  loin  de  là,  le  signal  convenu  pour  faire  irruption. 

Tous  les  chevaux  de  main,  ou  de  gada,  que  les  tribus 
voisines  venaient  d'offrir  sur  le  passage  de  l'Emir,  une  grande 
partie  des  mulets  de  charge  et  tous  les  bagages  restèrent  entre 
les  mains  des  vainqueurs  de  ce  hardi  coup  de  main. 

Abdelkader,  isolé  de  son  escorte,  abandonné  dans  la  panique 
qui  s'en  suivit  et  n'ayant  autour  de  lui  qu'une  dizaine  de  fidèles 
serviteurs,  prît  vivement  la  fuite  et  ne  s'arrêta  qu'à  la  Sikkak, 
comptant  sur  la  nuit  pour  rallier  son  monde  et  arrêter  les  effets 
de  cette  déplorable  déroute.  Cette  fois  encore  il  ne  dut  son 
salut  qu'à  la  vitesse  de  son  cheval. 

Son  habile  adversaire  connaissait  trop  bien  la  portée  de 
de  l'influence  morale  due  à  ce  succès,  pour  en  rester  là,  et  ne 
pas  poursuivre  ce  qu'il  avait  si  heureusement  commencé. 
Dans  la  nuit  même,  alors  que  tout  paraissait  s'être  livré  au 
repos,  avec  sa  connaissance  parfaite  du  terrain  sur  lequel  il 
opérait,  laissant  ses  douars  dressés  au  lieu  même  de  leurs 
campements,  avec  leurs  feux  allumés  et  entretenus,  il  tomba 
de  nouveau  et  à  l'improviste  sur  le  camp  de  l'Émir,  mal  gardé, 
mal  défendu  et  revenu  à  peine  de  sa  première  panique  de  la 
journée. 

Les  cavaliers  du  maghzen,  livrés  à  leur  instinct  de  pillage 
et  de  rapine,  furent  lancés  comme  un  tourbillon  au  milieu  des 
tentes  et  des  bivouacs,  où  ils  avaient  carte  blanche.  Ils  mirent 
tout  à  feu  et  à  sang.  Cette  fois  la  victoire  fut  complète  :  les 
tentes,  les  drapeaux,  insigne  du  commandement,  la  nouba  de 
l'Émir  (musique  arabe),  tous  les  mulets  d'approvisionnement 
et  les  effets  de  campagne  tombèrent  entre  les  mains  des  cava- 
liers de  Mustapha  ben  Ismaël. 

Grâce  à  l'obscurité  de  la  nuit  et  au  dévouement  de  ses 
serviteurs,  Abdelkader  put  se  soustraire  encore  à  la  vengeance 


MUSTAFHA    BEN    ISMAEL  15 

de  l'Agha.  Malgré  toutes  les  recherches,  on  ne  put  le  joindre. 
Encore  une  fois,  il  était  sauvé.  Toutefois,  la  victoire  fut  chère- 
ment payée,  dans  cette  mémorable  journée  :  l'Agha  Mustapha 
fut  grièvement  blessé  aux  deux  mains,  sept  à  huit  balles  tra- 
versèrent ses  vêtements  ;  les  caïds  douairs  et  smélas  sous  ses 
ordres,  Mohamed  ould  Kadi,  El  hadj  Mazari,  Ismaël  ould  Kadi 
et  quelques  autres,  furent  également  blessés.  Trente  des  meil- 
leurs cavaliers  restèrent  sur  le  champ  de  bataille  ;  en  un  mot 
les  belligérants  avaient  montré,  de  part  d'autre,  le  même 
courage  et  une  égale  intrépidité. 


Le  Général  Desmichels 


Après  cette  double  victoire,  Mustapha  ben  Ismaël  se  flatta 
intérieurement  que,  mieux  que  par  le  passé,  il  réussirait  à 
s'entendre  avec  l'autorité  française,  vers  laquelle  il  se  sentait 
invinciblement  attiré.  Il  pensa  que,  mieux  avisé,  le  général 
commandant  la  place  d'Oran  lui  réserverait  un  meilleur  accueil. 

Il  lui  écrivit  pour  lui  faire  part  de  ses  succès,  réclama  à 
nouveau  sa  protection  contre  son  adversaire,  qu'avec  sa  luci- 
dité et  sa  clairvoyance,  il  signalait  comme  un  ennemi  commua. 

Par  suite  d'un  déplorable  aveuglement,  manquant  de 
perspicacité  et  de  jugement,  le  général  Desmichels,  persévérant 
dans  la  voie  désastreuse  où  il  s'était  engagé,  mit  les  envoyés  de 
l'Agha  en  prison  et  rejeta  brutalement  ses  offres.  Puis, 
mettant  le  comble  à  son  entêtement,  il  invita  Abdelkader  à  ne 
pas  se  laisser  décourager  par  ce  premier  revers  et,  pour 
remonter  son  moral  (d'aucuns  disent  «  et  son  matériel  »), 
il  lui  envoya  400  fusils  et  une  quantité  considérable  de  poudre 
et  de  munitons. 

Ce  furent  ces  400  fusils  français  qui  permirent  à  l'Émir  de 
constituer  son  premier  bataillon  d'infanterie  régulière,  que, 
peu  après,  nos  soldats  rencontrèrent  devant  eux  dans  maints 
combats.  Ce  furent  ces  fusils  français  qui  se  retournèrent  les 
premiers  contre  nous. 

«  On  ne  peut  s'empêcher,  dit  le  général  Walsin-Estherazy, 
auquel  nous  empruntons  ces  notes,  on  ne  peut  s'empêcher, 


16  MUSTAPHA   BEN   ISMAEL 

dit-il,  d'être  saisi  d'un  sentiment  d'amer  regret,  quand  on 
réfléchit  sur  les  faits  et  les  événements  qui  se  passèrent  à  cette 
époque,  en  voyant  les  fautes  et  les  erreurs  qui  marquèrent 
notre  politique  dans  ce  pays,  depuis  l'origine  de  notre  occu- 
pation. 

a  Qui  pourrait  dire  combien  de  temps,  de  dépenses  et  de 
sang  nous  eussent  été  épargnés  si,  mieux  instruits  sur  les 
hommes  dont  on  pouvait  tirer  parti  si  avantageusement,  sur 
leur  solide  organisation  militaire,  les  premiers  représentants 
de  la  France,  dans  la  province  de  l'Ouest,  ne  s'étaient  pas 
obstinés  aveuglément  à  repousser  d'une  façon  systématique  et 
irréfléchie,  les  anciens  soutiens  de  la  puissance  turque,  pour 
tendre,  par  tous  leurs  efforts,  et  avec  un  inexplicable  engoue- 
ment, à  créer  une  puissance  nouvelle  et  rivale,  à  donner  la  vie 
et  la  consistance  à  une  nationalité  qui  n'existait,  pas  et  qu'on 
devait  rendre,  forcément,  hostile  à  notre  domination,  en 
l'aidant  aussi  puissamment  à  se  constituer.  » 

C'est  à  la  suite  de  son  échec  de  l'Oued  Zitoun,  que  l'Émir, 
rentré  à  Mascara,  eut  connaissance  de  la  démarche  infruc- 
tueuse de  Mustapha  auprès  du  général  Desmichels.  Il  eut  alors 
la  pensée  d'entamer,  lui-même,  des  pourparler  avec  le  général 
français  et  dépêcha  auprès  de  lui  son  khalifa  El  Miloud  ben 
Arache,  tant  pour  le  remercier  des  armes  et  munitions  qu'il 
venait  si  bénévolement  de  lui  octroyer,  que  pour  se  ménager 
un  répit,  en  vue  de  s'organiser  pour  mieux  nous  combattre 
plus  tard. 

L'envoyé  d'Abdelkader  fut  accueilli  avec  de  grands  témoi- 
gnages d'amitié  et  reçu  avec  les-plus  grands  honneurs  à  Oran. 
Après  quelques  pourparlers  où  l'astuce  arabe  eût  facilement 
raison  de  la  crédulité  du  général,  ce  dernier  signa,  le  26  février 
1834,  ce  fameux  traité  de  paix  avec  Abdelkader,  qui  devait 
faire  de  ce  prêtre  de  zaouia,  de  cet  ichir  (enfant),  comme 
l'appelait  Mustapha  ben  Ismaël,  un  véritable  souverain,  ayant 
ses  ambassadeurs  à  Oran  et  ses  consuls  à  Mostaganem  et  à 
Arzew.  Ce  fût  le  capitaine  de  cavalerie,  devenu  plus  tard  le 
général  Daumas,  qui  fut  envoyé  à  Mascara,  auprès  de  l'Émir, 
comme  consul  et  représentant  de  la  France, 


MUSTAPHA  BEN   ISMAEL  17 

On  peut  convenir,  d'après  les  faits  de  l'Histoire,  et  sans 
contester  la  bonne  foi  dn  général  français,  qui  croyait  peut- 
être  faire  do  la  bonne. politique,  que  ce  fut  lui,  Desmichels, 
qui  créa  la  puissance  d'Abdelkader  et  mit  dans  ses  mains  les 
verges  qui  devaient  par  la  suite  nous  faire  si  cruellement 
fouetter. 

En  effet,  le  traité  portait,  entre  autres  clauses,  que  le  gou- 
vernement français  s'engageait  à  fournir  à  l'Émir  la  quantité 
d'armes  de  guerre  (contre  qui'})  dont  il  aurait  besoin,  en 
échange  des  bestiaux,  des  blés,  et  des  fourrages  nécessaires  à 
l'approvisionnement  des  troupes  françaises. 

Toutes  ces  denrées  et  approvisionnements  avaient  été  précé- 
demment offerts  au  général,  par  des  tribus  amies  :  les  Douairs 
et  Sméla.s  ;  il  pouvait  se  les  procurer  sans  aucune  compromis- 
sion, aux  portes  d'Oran,  sans  être  astreint  à  s'allier  avec 
l'ennemi  de  notre  race  et  pactiser  avec  lui. 

C'est  à  cette  même  occasion  que  la  général  Desmichels  dit  à 
Miloud  ben  Arache,  ambassadeur  d'Abdelkader  :  «  Conseillez 
à  votre  maître,  de  ma  part,  de  s'attacher  avant  tout  à  organiser 
une  armée  régulière  et  fortement  disciplinée,  s'il  veut  com- 
battre avec  succès  les  Douairs  et  les  Smélas  ;  car  ceux-ci  sont 
solidement  constitués  en  maghzen  sérieux  et  sont  bien 
aguerris  ». 

Ce  traité  désastreux  du  26  février  1834,  conséquence  de 
décevantes  illusions,  fut  un  acte  impolitique,  maladroit  et 
rétrograde  qui  faillit  compromettre,  dès  le  principe,  notre 
domination  en  Algérie,  et  nous  valut  dix  années  de  luttes 
opiniâtres  et  de  combats  meurtriers.  Le  plus  grand  tort  des 
Français,  ce  fût  l'idée  fixe  et  généralement  admise  à  l'époque, 
d'une  occupation  restreinte  et  littorale,  du  genre  de  celle  des 
Espagnols  au  Maroc  (1)  qui  depuis  1496  n'y  ont  obtenu  aucun 
résultat  appréciable  ;  ce  fût  le  manque  de  foi  en  l'avenir  ;  l'idée 
d'en  faire  un  camp  et  non  une  colonie  ;  ce  fût  enfin  cette 
pensée  renversante  de  traiter  comme  un  souverain  légitime, 
égal  au  roi  de  France,  un  ambitieux  fanatique,  surgi  des 
événements,  que  pas  un  de  ses  coreligionnaires  ne  considérait 


(1)  Ceuta,  Melilla,  Alhucèmos,  Peùon  de  Vêlez  et  les  Iles  Zaffarines, 

3 


18  MUSTAPHA   BEN   ISMAEL 

encore  comme  un  chef  authentique  et  durable.  En  le  traitant 
sur  le  pied  de  l'égalité,  on  donnait  la  consécration  à  une 
autorité  éphémère,  que  le  fils  de  Mahieddin  ne  tenait  que  des 
hasards  de  l'heure  présente. 

Le  général  Desmichels  passait  cependant  pour  un  homme  de 
tête  et  d'action  ;  on  lui  avait  laissé  à  Oran  presque  toute 
latitude.  Gomme  on  le  voit  il  en  usa  étrangement. 


Mustapha  ben  Ismaël  à  Tlemcen 


A  la  suite  des  événements  que  nous  venons  de  citer,  les 
Douairs  et  Smélas,  les  Bordjias  et  une  partie  des  Angad,  leurs 
alliés,  étaient  venus  établir  leurs  campements  sous  les  murs  de 
Tlemcen,  où  on  les  accueillit  avec  faveur  comme  de  précieux 
auxiliaires. 

Mustapha  ben  Ismaël  attendait  anxieusement  la  réponse 
du  général  Desmichels.  Il  avait  consenti  sur  les  conseils  de  ses 
kaUfas,  notamment  sur  les  vives  instances  de  Mohamed  el 
Kadi,  à  faire  cette  inutile  et  humiliante  démarche,  pour  assou- 
vir sa  haine  et  sa  vengeance  contre  Abdelkader,  et  surtout  pour 
atténuer  les  regrets  qu'éprouvaient  les  Douairs  d'avoir  été 
contraints  d'abandonner  leurs  terres  de  la  M'iéta. 

Il  ressentit  cruellement  l'affront  que  lui  fit  subir  le  général 
Desmichels.  Dans  cet  état  de  choses,  répudié  par  les  Français  ; 
en  butte,  désormais,  aux  luttes  incessantes  que  ne  manquerait 
pas  de  lui  susciter  son  ennemi,  soutenu  par  eux  ;  mettant  dans 
la  balance  sa  ferveur  et  sa  foi  musulmanes,  il  ne  lui  restait 
plus,  malgré  son  aversion  profonde  pour  Abdelkader,  d'autre 
alternative  que  de  lui  faire  sa  soumission  aux  conditions  les 
plus  avantageuses  possibles  pour  ses  fidèles  tribus  dont  il 
plaçait  l'intérêt  au-dessus  du  sien  propre. 

En  un  mot^  en  envisageant  froidement  cette  éventualité  il  ne 
songeait  qu'au  bien-être  de  ceux  qu'il  appelait  ses  enfants,  à  I3 
nostalgie  qui  s'emparait  d'eux,  loin  de  la  M'iéta.  Son  neveu  et 
ami  Mohamed  el  Kadi  était  tombé  gravement  malade  à  Tlemcen. 
Cet  homme  réputé  comme  un  des  meilleurs  chefs  des  Douairs, 
devait  mourir  trois  mois  après,  laissant  pour  lui  succéder 


MUSTAPHA  BEN  ISMAEL  19 

comme  caïd  des  Douairs,  son  fils,  Si  Ahmed  ould  Kadi,  qui 
devait  occuper  par  la  suite,  au  milieu  de  nous,  une  si  grande 
place  en  qualité  de  Bach-agha  de  Frenda  et  commandeur  de  la 
Légion  d'honneur. 

Donc,  pendant  que,  déçu  dans  toutes  ses  espérances  et 
après  bien  des  hésitations,  Mustapha  ben  Ismaël  songeait 
à  mettre  son  projet  à  exécution,  bien  qu'il  n'en  eut  encore 
confié  le  secret  à  aucun  des  siens,  l'Émir,  plus  puissant  que 
jamais,  ayant  reconstitué,  grâce  à  l'appui  des  Français,  tous 
ses  contingents,  s'avançait  inopinément  vers  le  vieil  Agha  des 
Douairs,  par  El  Gor  et  Sebdou,  avec  des  forces  considérables, 
pour  venger  ses  affronts  d'Hennaya,  de  l'Oued  Zitoun  et  de  la 
Sikkak. 

La  paix  du  traité  Desmichels  lui  avait  permis  de  réunir  les 
contingents  de  toutes  les  tribus,  depuis  les  bords  du  Ghélif 
jusqu'à  la  frontière  de  l'Ouest,  contingents  qui  eussent  hésité 
à  marcher  avec  lui  sans  l'appui  et  la  protection  ostensibles  du 
général  d'Oran,  qu'il  avait  le  talent  de  savoir  faire  valoir  bien 
haut. 

Mustapha  n'avait  pour  lui,  en  dehors  de  son  fidèle  maghzen, 
que  Chikr  el  Ghomeri  et  les  cavaliers  Angad-Sahariens,  alliés 
douteux,  sur  la  fidélité  desquels  il  ne  pouvait  guère  compter. 
Il  prévoyait  bien  l'issue  du  combat  qu'il  lui  serait  difficile  de 
soutenir  avec  quelque  avantage  ;  cependant  pour  céder  avec 
honneur,  il  ne  chercha  pas  à  l'éviter. 

Les  deux  goums  ennemis  se  rencontrèrent  à  Méraz,  pays 
des  Angad  du  Tell.  De  nombreux  coups  de  fusils  furent 
échangés  dans  cette  escarmouche  peu  meurtrière,  manquant 
d'enthousiasme  et  d'entrain,  tant  Mustapha  était  redouté  de 
ses  nombreux  adversaires.  L'avantage,  cependant,  douteux 
pendant  toute  la  journée,  finit  par  rester  aux  troupes  de 
l'Émir. 

Mustapha  ben  Ismaël,  vaincu  par  le  nombre,  fut  aussi  digne 
dans  son  revers  qu'il  avait  été  convenable  et  retenu  à  la  suite 
de  ses  triomphes  ;  il  ne  consentit  à  une  entrevue  sollicitée  par 
Abdelkader  que  lorsque  les  principaux  chefs  des  Hachem 
eurent  été  donnés  en  otage  aux  Douairs. 


20  MUSTAPHA   BEN  ISMAEL 

Cette  entrevue  fut  grave  et  sérieuse.  L'Agha  Mustapha 
demeura  inflexible  et  sourd  à  toutes  les  alléchantes  propositions 
dont  il  fut  l'objet.  Il  ne  se  laissa  pas  fléchir,  personnellement, 
par  les  titres  affectueux  que  lui  prodigua  le  jeune  sultan  et, 
finalement,  il  refusa  de  se  rendre  à  Mascara. 

Tout  son  plaidoyer,  toute  son  éloquence  fut  dépensée  pour 
faire  rentrer  les  Douairs  et  les  Smélas  dans  les  bonnes  grâces 
de  l'Émir  et  leur  faire  restituer  leurs  terres  de  la  M'iéta.  Il  eut 
gain  de  cause. 

Quant  à  lui,  il  déclara  vouloir  faire  abnégation  de  tout  grand 
commandement  et  continuer  à  vivre  comme  il  avait  toujours 
vécu  du  temps  des  Turcs  et  au  milieu  d'eux  qu'il  avait  servis 
avec  fidélité  et  dévouement  pendant  tant  d'années.  Enfin, 
il  manifeste  avec  énergie  son  intention  bien  arrêtée  de  se 
retirer  de  la  lutte  et  d'aller  s'enfermer  sous  les  murailles  du 
Méchouar  de  Tlemcen,  avec  les  Coulouglis,  ses  enfants. 

Abdelkader,  malgré  toutes  ses  objurgations,  ne  put 
s'opposer  à  une  aussi  inébranlable  résolution.  Plus  de 
cinquante  familles  des  Douairs,  fidèles  à  la  fortune  de  leur 
vénéré  chef,  acceptèrent,  par  dévouement  pour  lui,  la  prison 
qu'il  s'était  volontairement  choisie  et  partirent  à  Tlemcen  avec 
lui,  pendant  que  tout  le  reste  de  la  tribu,  avec  les  Smélas  et 
les  Bodjia,  regagnait  la  plaine  de  la  M'iéta. 

La  vieille  citadelle  connue  sous  le  nom  de  Méchouar,  à  Tlem- 
cen, et  le  bordj  Mehal,  ou  fort  des  Cigognes,  de  Mostaganem, 
étaient  les  deux  seuls  points  de  l'ancienne  Régence,  oii  les 
Turcs  et  les  Coulouglis  (fils  de  Turcs  et  de  femmes  arabes)  se 
fussent  maintenus,  grâce  à  l'abri  de  leurs  solides  murailles. 
Partout  ailleurs  ils  avaient  été  expulsés  ou  exterminés,  à  tel 
point  qu'en  ce  moment,  on  n'en  trouve  presque  plus  de  traces 
en  Algérie. 

Quant  aux  Coulouglis  de  Tlemcen,  enfermés  dans  le  Mé- 
chouar, en  butte  aux  hostilités  des  Hadars  de  la  ville  et  des 
persécutions  des  agents  d' Abdelkader,  sans  cesse  en  lutte  avec 
eux,  ils  accueillirent  Mustapha  ben  Ismaël  comme  un  père  et  • 
un  libérateur.  L'Agha,  muni  d'un  sauf-conduit  de  l'Émir,  put 
traverser  la  ville  et  s'enfermei*  avec  ses  Douairs,  restés  fidèles 
à  sa  personne,  dans  la  vieille  torteresse  légendaire. 


MUSTAPHA  BEN    ISMAEL  21 

Depuis  trois  ans  déjà,  cette  brave  et  indomptable  garnison 
turque,  combattait  chaque  jour,  étroitement  bloquée  par  les 
Hadars  de  la  ville  et  les  adhérents  de  l'Émir  qui  campaient  aux 
abords. 

«  Séparée,  dit  le  duc  d'Orléans  (1),  ignorée  du  reste  du 
monde,  sans  espérance  de  secours,  sans  retraite  ni  capitula- 
tion possibles,  destinée  à  s'éteindre  au  milieu  des  Arabes 
qui  l'usaient  sans  la  vaincre,  elle  avait  résisté  à  l'ennemi  au 
découragement,  aux  privations. 

«  Elle  a  même  résisté,  ajoute  notre  auteur,  à  l'aveugle  com- 
plicité de  la  France  avec  Abdelkader,  n'ayant  que  400  fusils 
pour  800  hommes.  C'était  au  milieu  des  rangs  ennemis,  dans 
des  sorties  presque  quotidiennes,  qu'elle  allait  chercher  les 
armes  qui  lui  manquaient  dans  des  luttes  individuelles  dont 
le  singulier  caractère  de  grandeur  rappelait  les  combats 
antiques  ». 

A  de  tels  hommes  il  fallait  un  chef  comme  Mustapha  ben 
Ismaël.  Ils  ne  pouvaient  en  trouver  un  plus  brave.  Il  resta 
enfermé  avec  eux,  dans  le  Méchouar,  pendant  trois  autres 
années  (1833-1836),  partageant  leurs  misères,  leurs  privations 
et  leurs  combats. 

Le  siège  du  Méchouar  de  Tlemcen  est  le  pendant  du  siège  de 
Troie  ;  il  est  digne  des  temps  d'Homère. 


Délivrance  éphémère  de  Tlemcen 


Au  commencement  de  1836,  le  maréchal  Glausel,  gouver- 
neur général  de  l'Algérie,  ému  des  récits  épiques  et  lamen- 
tables qu'on  lui  faisait  des  défenseurs  du  Méchouar,  que  le 
vieil  agha  des  Douairs  nous  conservait  intact  (c  pour  nous,  sans 
nous  et  malgré  nous  »,  résolut  de  s'emparer  de  Tlemcen  et  de 
délivrer  les  derniers  enfants  des  Turcs,  restés  seuls  dans  cette 
vaste  nécropole,  dont  le  blocus  se  resserrait  chaque  jour  davan- 
tage et  qui  finissait  par  manquer  totalement  de  vivres. 


(1)  Lee  Campagnes  d'Afrique. 


22  MUSTAPHA  BEN  ISMAEL 

La  nouvelle  de  la  position  critique  de  Mustapha  ben  Ismaël 
fit  accélérer  le  départ  de  la  colonne  expéditionnaire^  forte  de 
7,500  hommes,  qui  partit  d'Oran  le  8  janvier  1836, 

Pendant  que  la  colonne  française  était  en  marche,  les 
anciens  alliés  des  Douairs,  dans  leurs  dernières  luttes,  les 
Angad,  apprenant  les  secours  que  le  maréchal  Glausel  appor- 
tait à  Mustapha  et  aux  Goulouglisde  Tlemcen,  se  rapprochèrent 
de  cette  place  sous  la  conduite  du  fils  de  Chikr-el-Ghomri, 
dont  le  père  avait  été  récemment  mis  à  mort  à  Mascara,  par 
ordre  de  l'Emir. 

Ils  venaient  vendre  aux  assiégés  quelques  denrées  d'appro- 
visionnement qui  leur  faisaient  défaut  et  s'entretenir  avec 
l'Agha  Mustapha  de  ce  qu'il  convenait  de  faire  dans  les 
circonstances  présentes.  C'est  ainsi  que  les  Angad  vinrent 
étabhr  leurs  campements  dans  les  ruines  de  Mansourah. 

L'Emir  toujours  aux  aguets,  ayant  appris  les  projets  du 
maréchal,  et  la  marche  des  Angad  sur  Tlemcen,  quitta  préci- 
pitamment Mascara  pour  tâcher  de  les  y  devancer.  Il  réunit 
dans  la  plaine  de  M'Cid,  les  goums  des  Hachem  et  des  Béni 
Amer,  gens  de  rapine,  toujours  prêts  à  monter  à  cheval  pour 
la  razzia  et  le  pillage.  Le  surlendemain,  Abdelkader,  arrivant 
à  Tlemcen  à  la  pointe  du  jour,  tomba  à  l'improviste  sur  le 
campement  des  Angad  à  Mansourah  et  mit  à  feu  et  à  sang 
toutes  les  tentes  qu'il  pouvait  atteindre. 

Les  Coulouglis  du  Méchouar  entendant  une  vive  fusillade  du 
côté  du  campement  des  Angad,  sortirent  en  foule  et  en 
désordre  pour  se  porter  au  secours  de  leurs  alliés.  Abdelkader 
profita  habilement  de  cette  faute.  Il  les  laissa  s'engager  avec 
ses  cavaliers  d'avant-garde  et  vint  se  placer  sur  leurs  derrières. 
Lorsque  les  Coulouglis  rappelés  par  le  bruit  du  combat  qui  se 
produisit  derrière  eux  revinrent  du  camp  des  Angad,  ils 
furent  promptement  dispersés,  coupés  de  la  ville  et  pris  entre 
deux  feux  dans  Une  sorte  d'embuscade.  Soixante-quinze  de 
leurs  meilleurs  soldats  restèrent  sur  le  champ  de  bataille,  dans 
cette  terrible  mêlée,  connue  sous  le  nom  de  «  Combat  de 
l'Aoucheba  »  et  75  têtes  coupées,  promenées  sous  les  murs  de 
Tlemcen,  vinrent  jeter,  dans  cette  malheureuse  cité,  l'épou- 
vante et  la  consternation. 


MUSTAPHA   BEN  ISMAEL  23 

Cependant,  à  l'approche  des  troupes  françaises  qu'il  ne  se 
souciait  pas  d'affronter,  Abdelkader  songea  à  battre  en  retraite 
vers  Mascara  ;  mais  avant  de  quitter  la  ville,  joignant  la 
dérision  à  la  cruauté,  il  fit  jeter,  avec  des  frondes,  par  dessus 
les  murs  de  la  citadelle,  les  oreilles  des  braves  Goulouglis  tués 
au  combat  de  l'Aoucheba.  Il  y  fit  ajouter  quelques  pains;  dans 
l'un  d'eux  on  trouva  un  billet  ainsi  conçu  : 

«  De  la  part  de  l'Emir  Abdelkader,  prince  des  vrais  croyants, 
en  attendant  la  chair  de  porc  que  les  Français  vous  appor- 
tent ».  Et  cet  exploit  accompli,  il  se  retira,  loin  des  baïonnettes 
françaises. 

Trois  jours  après  cette  triste  affaire,  le  13  janvier  1836, 
la  colonne  du  maréchal  Glausel  faisait  son  entrée  dans  Tlemcen, 
et  la  population  turque,  imposant  silence  à  son  deuil,  fêtait  au 
bruit  des  salves  d'artillerie,  l'arrivée  tardive  de  l'Armée 
libératrice. 

Au  son  des  clairons,  le  Méchouar  ouvrit  enfin  ses  portes  à 
la  délivrance.  Tous  les  Goulouglis  valides  voulurent  se  porter 
au  devant  du  Maréchal. 

Le  chef  de  cette  vaillante  milice,  ce  vieillard  à  la  barbe 
blanche^  à  l'œil  de  feu  «  jeune  au  combat,  vieux  au  conseil  », 
toujours  et  quand  même  digne  et  imposant,  Mustapha  ben 
Ismaël  était  à  leur  tête. 

C'était  toujours  ce  même  patriarche  calme  et  fier  ;  ses  yeux 
clairs  respiraient  la  franchise  que  ne  parvient  pas  à  atténuer  la 
rudesse  du  teint. 

Loyal  serviteur,  fidèle  allié,  dévoué  à  la  France,  c'était 
un  de  ces  hommes  d'énergie  et  de  sang  qu'aucun  dévouement 
ne  rebute,  qu'aucun  sacrifice  n'abat. 

Fier  du  petit  nombre  de  ses  guerriers  ;  montrant  les 
brèches  du  Méchouar  avec  l'orgueil  qu'un  vieux  soldat  apporte 
à  faire  valoir  ses  blessures,  il  salua  ainsi  le  maréchal  Glausel  : 

—  «  Vois,  dit-il,  ces  vieilles  murailles  encore  solides,  nous 
les  avons  gardées  pour  la  France.  Ges  jours  derniers  j'ai 
perdu,  au  champ  d'honneur,  soixante-quinze  de  mes  plus 
braves  enfants  ;  mais  en  te  voyant  j'oublie  nos  malheurs 
passés  ;  je  me  confie  à  ta  loyauté,  à  ton  honneur,  à  ta  réputa- 


24  MUSTAPHA   BEN   ISMAEL 

tion.  Nous  nous  remettons  à  toi,  moi,  les  miens  et  tout  ce  que 
nous  possédons,  et  s'il  nous  est  donné  de  combattre  à  tes 
côtés,  je  te  jure  que  tu  seras  content  de  nous  >•. 


L'autorité  d'Abdelkader,  après  le  brillant  succès  qu'il  venait 
d'obtenir  sous  les  murs  de  Tlemcen,  avait  recouvré  tout  son 
prestige  ;  il  put  faire  évacuer  la  partie  de  la  ville  occupée  par 
les  Hadars,  dans  laquelle  commandait  Ben  Nouna,  une  de  ses 
créatures.  Entraînant  à  sa  suite  tous  les  habitants,  il  se  retira 
dans  les  montagnes  des  Béni  Ournid  et  des  Béni  Smiel. 

Le  maréchal  établit  ses  troupes  dans  les  maisons  aban- 
données et  s'occupa  d'organiser  les  moyens  de  défense  et 
d'administration  de  cette  ville  qu'il  avait  décidé  d'occuper. 


{A  suivre).  J.  CANAL 


CHRONiaUE  GÉOGRAPHIQUE 


Afrique.  —  La  mission  Foureau-Laniy  poursuit  sa  route 
vers  le  sud  dans  les  meilleures  conditions.  De  Temassinin,  où 
elle  était  parvenue  le  19  novembre  dernier  et  où  un  poste 
fortifié  a  été  établi,  elle  s'est  dirigée  vers  le  lac  Menghough 
déjà  atteint  par  M.  Foureau  en  1895.  Puis  la  mission  s'est 
élevée  sur  les  pentes  du  Tassili,  plateau  rocailleux,  dépourvu 
d'eau,  traversé  seulement  d'étroits  sentiers.  Elle  est  arrivée 
sans  encombre  à  Bir-El-Garama  où  fut  massacré  le  colonel 
Flatters  (1).  De  ce  point  la  petite  colonne  est  parvenue  à  Bir- 
Asiou.  Elle  doit  se  trouver  actuellement'  à  Agadès  d'où  elle 
gagnera  le  Niger.  D'après  de  récentes  nouvelles  les  Touareg 
Azdjer  d'abord  effrayés  ont  ensuite  été  rassurés  par  les  déclara- 
tions pacifiques  de  M.  Foureau. 


M.  Gentil,  nommé  Commissaire  du  Cbari,  rejoint  actuelle- 
ment son  poste.  Le  capitaine  Bretonnet  l'y  précède.  Les  graves 
événements,  dont  le  Baguirmi  a  été  le  théâtre  il  y  a  quelques 
'mois  et  que  l'on  a  connus  par  la  mission  de  Béhagle,  exigent 
une  prompte  et  énergique  intervention. 


Le  Gouvernement  du  Congo  belge  projette,  après  la  voie 
ferrée  de  Matadi-Léopoldville,  d'autres  lignes  importantes  : 
lo  du  Congo  au  Haut-Nil  par  l'Ilimbri  et  l'Ouellé  ;  —  2^  du 
Sankourou-Kassaï  au  Manyéma  et  au  Katanga  par  Nyangoué 
et  jusqu'au  Tanganika  ;  —  3°  du  Manyéma  au  Lomami  pour 
tourner  les  Stanley-Falls  (2). 


A  Madagascar,  on  a  inauguré,  le  23  décembre  dernier,  le 
premier  tronçon  du  chemin  de  fer  de  Tamatave  à  Ivondro,  La 


(1)  V.  Rev.  de  Géog .  de  Drapeyron,  fév.  1899,  p.   109. 

(2)  V,  Btdl.  Soc.  Languedoc,  de  Géog.,  A"  trimestre  1898. 


26  CHRONIQUE  GEOGRAPHIQUE 

voie  atteint  aujourd'hui  les  rives  du  Manangareze  sur  lequel  ^ 
été  jeté  un  pont  provisoire. 


La  mission  de  Bonchamps  à  travers  l'Abyssinie  et  vers  le 
Nil  Blanc,  dont  le  chef  a  donné  un  intéressant  compte- 
rendu  (1),  a  eu  un  malheureux  épilogue. 

En  revenant  sans  avoir  pu  atteindre  son  but,  elle  laissait 
deux  de  ses  membres,  MM.  Potter  et  Faivre  qui,  plus  heureux, 
purent  avec  une  mission  russe  arriver  jusqu'au  fleuve.  Mais 
au  retour  M.  Potter,  un  peintre  de  valeur,  fut  assassiné  sans 
qu'on  ait  pu  vonger  sa  mort.  M.  Faivre  a  été  ensuite  chargé 
par  M.  Lagarde  qui  représente  la  France  en  Abyssinie  de 
ravitailler  la  mission  Marchand. 

On  sait  que  la  mission  avait  atteint,  le  11  janvier,  Itiop  en 
remontant  la  Sobat.  Elle  a  dû  ensuite  abandonner  sa  flottille 
pour  se  diriger  par  la  voie  de  terre  vers  Addis-Ababa.  D'après 
les  dernières  nouvelles  (2)  elle  était  arrivée,  le  8  février,  à  Bouré, 
à  une  vingtaine  de  journées  de  marche  de  la  résidence  du 
Négus.  Elle  y  a  été  ravitaillée  et  sans  doute  après  quelques 
jours  de  repos  elle  a  repris  sa  route.  D'Addis-Ababa  elle 
gagnera  Djibouti.  La  dernière  partie  de  l'exploration  a  permis 
de  dresser  la  carte  du  bassin  inférieur  de  la  Sobat  et  le  capitaine 
Baratier  a  établi  celle  de  la  province  dont  Bouré  est  le  chef- 
lieu.  Les  membres  de  la  mission  auront  fait  jusqu'au  bout 
preuve  d'une  admirable  et  énergique  activité. 

* 
*  * 

Le  rêve  gigantesque  de  Cecil  Bhodes  semble  en  voie  d'exé- 
cution ;  avant  peu  une  voie  ferrée  anglaise  unira  Alexandrie 
au  Cap.  En  efTet  du  côté  du  nord  le  chemin  de  fer  atteint 
bientôt  Karthoum  et  l'on  parle  de  le  prolonger  sur  Fachoda. 
Au  sud  un  récent  discours  de  Cecil  Rhodes  annonce  la  pro- 
chaine construction  d'un  tronçon  de  Boulouwayo  au  Tanganika 
d'oi^i  l'on  continuera  jusqu'à  1  Ouganda.  Il  faut  se  rappeler 
la  rapidité  avec  laquelle  les  Anglais  construisent  ces  voies 


(1)  V.  Bull.  Soc.  Géog.  Paris,  i*  trimestre  1898. 

(2)  Temps  du  12  mars. 


CHRONIQUE  GÉOGRAPHIQUE  27 

immenses  (18  mois  seulement  pour  950  kilomètres  sur  la  ligne 
de  Boulouwayo).  Il  y  a  là  un  exemple  à  suivre. 


Asie.  —  L'Indo-Ghine  française,  plus  heureuse  que  l'Afrique 
française,  va  grâce  à  son  autonomie  financière  être  dotée  d'un 
réseau  de  voies  ferrées  auquel  sera  consacré  l'emprunt  de 
200  millions  autorisé  par  le  Parlement. 

Les  lignes  décidées  sont  au  nombre  de  cinq  : 

1°  De  Haïphong  à  Hanoï  et  Laokay  ; 

2°  De  Hanoï  à  Nam-Dinh  et  à  Vinh  ; 

G*^  De  Tourane  à  Hué  et  à  Quang-Tri  ; 

4^  De  Saigon  à  Khan-Hoa  et  à  Lang-Bian  ; 

.o»  De  Mytho  à  Cantho. 

En  outre  le  Gouvernement  de  l'Indo-Chine  est  autorisé 
à  donner  la  garantie  d'intérêt  à  la  Compagnie  qui  sera  conces- 
sionnaire de  la  ligne  chinoise  de  Laokay  à  Yun-Nan-Sen. 

La  première  de  ces  lignes  motivée  par  l'insuffisante  naviga- 
bilité du  Fleuve  Rouge  assurera  le  développement  des  relations 
commerciales  avec  le  Yun-Nan,  Hanoï  deviendra  le  centre 
d'un  réseau  important.  La  capitale  du  Tonkin  sera  en  effet 
reliée  par  une  ligne  en  construction  à  la  ligne  déjà  exploitée 
de  Phu-Lang-Thuong  à  Langson,  prolongée  en  Chine  jusqu'à 
Long-Tchéou  dans  le  Kouang-Toung,  sur  un  affluent  du 
Si-Kiang. 

La  ligne  de  Hanoï  à  Vinh  formera  l'extrémité  septentrionale 
d'une  grande  voie  traversant  tout  l'Annam  pour  aboutir  au 
Mékong  inférieur,  et  dont  les  lignes  de  Tourane  à  Quang-Tri, 
de  Saigon  à  Khan-Hoa  et  de  Mytho  à  Cantho  formeront  des 
tronçons.  La  première  traverse  des  régions  très  riches.  Celle 
de  Tourane  à  Quang-Tri  présente  un  grand  intérêt  militaire  et 
politique  à  cause  de  la  capitale  annamite  Hué,  et  aussi  parce 
qu'elle  se  rattachera  au  tronçon  en  construction  qui  doit 
rejoindre  le  Sé-Bang-Hien,  aftluent  du  Mékong.  Sur  le  plateau 
de  Lang-Bian  enfin  il  est  question  d'établir  un  sanatorium. 

Ce  réseau  a,  dans  l'ensemble,  un  développement  d'environ 
1..500  kilomètres,  auxquels  ont  peut  ajouter  les  450  kilomètres 
de  Lao  Kay  à  Yung-Nan  Sen,  ligne  réservée  à  une  compagnie 
française  qu'autorise  le  gouvernement  chinois. 


28  CHRONIQUE   GÉOGRAPHIQUE 

La  situation  financière  de  la  colonie  permet  de  prévoir  des 
excédents  de  recettes  suffisants  pour  gager  l'emprunt  et  faire 
face  aux  dépenses  d'exploitation  pendant  les  premières  années. 
«  Tous  ces  travaux  ne  pourront  manquer  de  contribuer  puissam- 
ment au  progrès  économique  et  politique  de  l'Indo-Chine.  Ils 
assureront  d'une  manière  définitive  la  sécurité  de  toutes  les 
parties  de  notre  domaine  indo-chinois.  Ils  faciliteront  la  dis- 
persion des  indigènes  dans  des  régions  fertiles  où  ils  n'ont  pas 
encore  osé  pénétrer  et  dont  la  mise  en  valeur  permettra  aux 
exportations  de  s'accroître,  augmentera  la  richesse  des  indi- 
gènes et,  par  suite,  accroîtra  leur  capacité  d'achat  des  produits 
Ils  permettront  aux  commerçants,  aux  industriels  et  aux 
agriculteurs  européens  de  pénétrer  dans  des  régions  d'où  ils 
sont  maintenant  écartés  par  l'absence  de  voies  de  communica- 
tion. Ils  assureront  des  placements  avantageux  aux  capitalistes 
français.  Ils  augmenteront  notre  autorité  morale  et  matérielle 
aux  yeux  des  peuples  annamites  et  chinois.  Ils  nous  fortifieront 
au  point  de  vue  militaire  et  maritime  et  ils  contribueront 
puissamment  à  asseoir  l'influence  de  la  France  dans  l'Extrême- 
Orient  (1)  ». 

Amérique.  — La  politique  des  Etats-Unis  subit  actuellement 
une  évolution  fort  importante.  La  récente  guerre,  en  leur  assu- 
rant une  influence  prépondérante  à  Cuba  et  à  Porto-Rico  dans 
les  Antilles,  aux  Philippines  en  Extrême-Orient,  leur  a  ouvert 
de  nouveaux  champs  d'exploitation.  Les  États-Unis  cessent 
d'ailleurs  de  se  contenter  du  rôle  de  producteurs  de  matières 
premières,  et  ils  veulent,  avec  les  vieilles  nations  industrielles 
d'Europe,  prendre  leur  part  dans  la'  conquête  de  nouveaux 
débouchés.  L'outillage  constitué  dans  les  six  ou  sept  dernières 
années  leur  permet  de  pourvoir  -aux  grandes  commandes 
métallurgiques  dans  de  meilleures  conditions  de  rapidité  et  de 
prix  que  les  nations  les  mieux  outillées,  même  l'Angleterre.  On 
peut  déjà  constater  en  Extrême-Orient  le  résultat  de  cette 
concurrence.  Le  commerce  allemand  d'importation  en  Chine 
est  tombé,  en  i8!)7,  de  56  à  40  millions  ;  l'importation  améri- 
caine atteignaitt,  dès  1896,  90  millions.  Au  Japon,  les  Anglais 


(l)  Bull,  des  Etudes  colon,  et  marit.   3J  dée.  I89i5,  p.  3G6. 


CHRONIQUE  GÉOGRAPHIQUE  29 

ne  peuvent  plus  lutter  avec  les  Âméncains  pour  les  fournitures 
de  locomotives  et  de  machines.  La  production  minérale  des 
États-Unis  atteignait,  en  1896,  une  valeur  de  738  millions 
de  dollars  contre  349  contre  l'Angleterre,  390  pour  l'Allema- 
gne, 1 10  pour  la  France.  La  production  du  fer  s'élevait,  en 
1897,  à  9.807.000  tonnes  :  celle  de  la  houille  à  194  millions  de 
tonnes  (contre  202  en  Angleterre).  Ce  sont  les  chiffres  les  plus 
élevés  qui  aient  été  atteints,  Enfin,  les  chiffres  du  commerce 
extérieur,  en  1897,  sont  aussi  les  plus  élevés  qui  ont  été  cons- 
tatés :  1.100  millions  de  dollars  à  l'exportation  et  742  millions 
de  dollars  à  l'importation  (1). 


Régions  polaires.  —  On  avait  cru  un  instant  avoir  retrouvé 
dans  le  Nord-Est  de  la  Sibérie  des  traces  de  l'expédition 
Andrée,  Des  renseignements  fournis  par  des  Toungonses, 
du  gouvernement  de  Krasnoiarsk,  laissaient  supposer  que  les 
cadavres  des  trois  membres  de  l'expédition  et  les  débris  de 
leur  ballon  pouvaient  avoir  été  rencontrés  dans  une  région 
déserte.  Mais  l'enquête  a  révélé  qu'il  n'en  était  rien  et  qu'il 
s'agissait  d'une  fausse  nouvelle.  Le  mystère  reste  impénétrable. 


Les  deux  expéditions  dirigées  vers  les  régions  arctiques, 
l'une  par  le  lieutenant  américain  Peary,  l'autre  par  le  compa- 
gnon de  Nansen.  le  capitaine  norvégien  Sverdrup  (2),  se 
sont  mises  en  route  l'été  dernier.  Le  13  août,  le  lieutenant 
Peary  se  disposait  à  pénétrer  dans  la  mer  de  Kane.  Le  4  août, 
le  capitaine  Sverdrup,  à  bord  du  Fram.  quittait  Upernivik 
se  proposant  de  gagner  égalemant  l'extrémité  septentrionale 
du  Groenland  par  la  côte  occidentale  de  cette  terre  arctique. 

Enfin,  l'expédition  danoise  du  lieutenant  Amdrup  (3)  a 
entrepris  l'exploration  de  la  côte  orientale  du  Groenland  (4). 


On  est  toujours  sans  nouvelles  de  l'expédition  de  Gerlach 

vers  le  pôle  antarctique.  L'expédition  Borchgrevink  a  quitté 

l'Angleterre  à  la  fin  du  mois  d'août,  se  dirigeant  vers  la  terre 

Victoria.  Elle  retrouvera  peut-être  la  trace  du  passage  de  la 

Belgica,  dont  le  sort  inspire  des  inquiétudes. 

Paul  RUFF. 

/l)   V.    Annales  de  Géographie,   l.j  janvier  1890,  p.   Oi. 
(Il  Y.   Hull.  t'im.   Société  arch.   et  Géog.  Oran,  avril-juin   1898. 
(3)  Id.  id. 

[__(  i)  V.   Coiuptes-reudus  de  la  Société  de  Géographie  de  Paris,  aoiU-UOV.    1898. 


BIBLIOGRAPHIE 


de  M.  Paul  SCHNELL 


Notre  distingué  collègue,  M.  Aug.  Bernard,  écrivait  naguère 
ici  même,  en  étudiant  une  nouvelle  carte  du  Maroc  publiée 
par  M.  R.  de  Flotte  de  Roquevaire  :  «  On  ne  peut  désormais 
s'occuper  de  la  cartographie  du  Maroc  sans  consulter  le  mé- 
moire de  M.  Schnell  qui  mériterait  d'être  traduit  en  fran- 
çais (2)  0.  Ce  vœu  a  été  rempli  par  celui-là  même  qui  le 
formulait  et  la  traduction  de  la  savante  dissertation  de  M. 
Schnell  sur  l'Atlas  Marocain  est  venue  s'ajouter  à  la  remar- 
quable collection  des  Publications  de  l'Ecole  des  Lettres 
d'Alger. 

Disons  tout  d'abord'que  le  traducteur  a  su  rendre  avec  une 
clarté  parfaite,  une  netteté  et  une  précision  absolues  le  texte 
souvent  difficile.  La  simplicité,  la  sobriété  élégante  de  la  forme 
permettent  de  suivre  sans  fatigue  la  discussion  si  ardue  des 
renseignements  au  milieu  desquels  l'auteur  recherche  la  vérité. 
Quelques  notes  du  traducteur  complètent  et  rectifient  parfois 
les  détails  fournis  par  le  livre  sur  certains  faits  qui  ont  été 
l'objet  de  recherches  récentes,  postérieures  au  mémoire  publié 
en  1892,  dans  les  Mitteilungen  de  Petermann. 

Comme  le  disait  M.  Aug.  Rernard,  dans  l'étude  citée  plus 
haut,  rien  ou  presque  rien  de  ce  qui  concerne  son  sujet  n'a 
échappé  à  M.  Schnell.  Il  a  élucidé  avec  une  sagacité  pleine  de 
prudence  les  questions  si  importantes  qui  se  posent  à  propos  de 
l'Atlas  Marocain.  Il  a  mis  en  œuvre  avec  une  sûreté  de  mé- 
thode toute  scientifique  les  observations  fournies  par  les 
voyageurs,  suppléant  à  l'absence  de  renseignements  directs  à 
l'aide  de  renseignements  indirects,  ou,  lorsque  ceux-ci  fai- 
saient eux-mêmes  défaut,  à  l'aide  d'hypothèses  solidement 
établies  et  dont  la  vraisemblance  s'impose.  Il  a  pu  ainsi  relier 


(0)  L'tÂtlas  Marocain,  d'après  les  documents  originaux,  par  M.  Paul 
Schnell,  traduit  par  M.  Augustin  Bernard.  Profes=;eur  Jr  Géographie 
de  l'Afri  [lie  à  l'Eco'e  Supérieure  des  Lettres  d'Alger.  —  Bulletin  de  corres- 
pondances africaines.  fPublicalions  de  l'Ecole  Supérieure  des  Lettres  d'Alger) 
E.  Leroux,  éditeur,  Paris. 

iï)  'Bull,  trivi.  delà  Soc.  dcGéog.  ctd'Archéol.  d'Oran,  l.  XVIL  fasc.  LXXII: 
Une  nouvelle  carte  du  Maroc,  par  M.  Aug.  BERNARD. 


BIBLIOGRAPHIE  31 

entre  eux  les  itinéraires  des  explorateurs  de  R.  Caillié,  Rholfs, 
Lenz,  Schaudt,  De  Gastries,  La  Martinière,  du  rabbin  Mardo- 
cliée,  etc.,  et  surtout  du  vicomte  de  Foulcauld  qui  a  fourni  à  la 
géographie  de  l'Atlas  Marocain  la  plus  importante  et  la  plus 
précieuse  contribution. 

L'histoire  sommaire  de  l'exploration  de  l'Atlas  Marocain, 
qui  forme  le  premier  chapitre,  est  fort  intéressante,  car  elle 
montre  les  difficultés  presque  insurmontables  qu'a  présentée 
jusqu'à  notre  époque  l'étude  de  cette  région.  11  faut  arriver 
jusqu'aux  plus  récentes  explorations  pour  établir  une  division 
nette  et  justifiée  des  différents  massifs  qui  constituent  l'Atlas 
Marocain  et  qui  forment  quatre  systèmes  distincts  :  le  Haut- 
Atlas,  avec  au  nord  le  Moyen-Atlas,  et  au  sud  l'Anti-Atlas,  au- 
delà  duquel  s'élève,  parallèlement  à  l'Oued  Draa,  le  Djebel 
Bani.  Ces  quatre  chaînes  sont  également  orientées  du  sud- 
ouest  au  nord-est  et  se  relient  plus  ou  moins  complètement  les 
unes  aux  autres. 

L'étude  de  la  genèse  du  système  de  fAtlas  indique  claire- 
ment la  place  qu'occupent  les  chaînes  marocaines  dans  l'en- 
semble des  massifs  du  Nord-Ouest  africain.  Ces  chaînes 
((  composées  presque  exclusivement  de  roches  paléozoïques  et 
mesozoïques,  et  dont  le  plissement  paraît  s'être  terminé  à  la 
fin  de  l'ère  secondaire  »  (1),  doivent  être  distinguées  des 
«  chaînes  calcaires  algéro-tunisiennes  »  qui  se  sont  élevée§ 
surtout  pendant  la  période  tertiaire  et  qui  ont  subi  une  com- 
pléter modification  d'aspect  pendant  la  période  quartenaire, 
ainsi  que  des  «  fragments  rompus  de  l'ancienne  chaîne  côtière  » . 
Cette  distinction  fondée  sur  la  géologie  permet  de  séparer  les 
chaînes  marocaines  de  ce  que  l'auteur  appelle  le  plateau  des 
Schotts  ou  Sebkhas,  et  du  littoral  du  Sahel,  constitué  surtout, 
au  Maroc,  par  le  Rif. 

La  deuxième  partie  du  livre  comprend  l'étude  détaillée  des 
renseignements  que  nous  possédons  sur  les  différentes  chaînes 
marocaines.  Nous  ne  pouvons  qu'admirer  la  méthode  avec 
laquelle  M.  Schnell  a  élucidé  les  innombrables  difficultés  que 
soulevait  la  géographie  de  ces  régions.  Il  s'agissait  de  contrôler 
les  unes  par  les  autres  des  observations  rapportées  par  des 
explorateurs  d'inégale  valeur  scientifique,  des  renseignements 
souvent  indirects,  souvent  contradictoires,  que  compliquaient 


(l)  Atlas  marocain,  p.  47, 


32  BIBLIOGRAPHIE 

encore  les  différences  d'orthographe.  L'auteur  ne  s'avance 
qu'avec  la  plus  entière  prudence  et  ne  donne  comme  certains 
que  les  faits  qui  se  dégagent  d'une  manière  incontestable  de 
son  analyse  critique.  11  y  a  là  une  sorte  de  condensation  de 
tout  ce  que  l'on  sait  sur  cette  région. 

Ainsi  sont  successivement  étudiés  :  le  Haut- Atlas  et  ses 
contreforts;  le  Moyen-Atlas  séparé  de  la  chaîne  précédente  par 
le  profond  sillon  où  coulent  à  l'ouest  l'oued  El  Abid,  un  des 
affluents  supérieurs  de  l'oued  Oum  er  Piebia,  e.t  à  l'est  la 
Moulouia  ;  l'Anti-Atlas  également  séparé  du  Haut-Atlas  par 
un  sillon  qu'occupent  à  l'ouest  l'oued  Sous  et  à  l'est  le  cours 
supérieur  de  l'oued  Draa  ;  enfin  le  djebel  Bani.  L'ouvrage  se 
termine  par  l'exposé  du  relief  des  hautes  plaines  qui  forment, 
entre  le  Haut-Atlas  et  l'Océan,  une  série  de  terrasses  parmi 
lesquelles  la  grande  plaine  de  Maroc  (Marrakech)  est  l'objet 
d'une  étude  détaillée. 

Ce  mémoire,  dont  l'intérêt  est  si  considérable,  sert  en 
quelque  sorte  de  commentaire  à  la  carte  au  1 /1.750.000c  qui 
"raccompagne  et  qui  est  fort  remarquable  par  la  clarté  du 
relief.  On  y  retrouve  aisément  les  indications  fournies  par  le 
livre  et  les  itinéraires  y  sont  assez  clairement  marqués.  Nous 
n'aurions  à  présenter  qu'une  légère  critique  au  sujet  de 
la  confusion  qui  s'établit  parfois  entre  le  pointillé  désignant 
les  cours  d'eau  insuffisamment  établis  et  celui  qui  sert  à 
marquer  les  itinéraires  européens  incomplètement  connus  et 
les  itinéraires  par  renseignements  ;  mais  ce  n'est  là  qu'un 
détail.  La  carte,  pour  la  reproduction  de  laquelle  M.  de  Flotte 
a  prêté  son  concours,  est  complétée  par  un  carton  reprodui- 
sant les  environs  de  Maroc  à  1/1 .000.000^. 

Nous  devons  être  reconnaissants  à  M.  Augustin  Bernard 
d'avoir  facilité  l'accès  d'un  ouvrage  appelé  à  rendre  les  plus 
grands  services  à  tous  ceux  qu'intéresse  l'étude  du  Nord-Ouest 
africain.  Cette  région  si  voisine  de  nous  et  cependant  si  peu 
connue  commence  à  peine  à  nous  dévoiler  ses  secrets.  11  ne 
semble  pas  que  le  brigandage,  l'anarchie,  le  fanatisme  qui 
ferment  ce  pays  aux  explorateurs  soient  près  de  disparaître,  et 
«  les  trésors  qui  dorment  encore  inexploités  dans  le  sein 
de  cette  terre  si  richement  dotée  par  la  nature  (1)  »  attendront, 
sans  doute,  longtemps  encore,  que  la  civihsation  reprenne 
possession  du  Maroc,  Dans  l'état  actuel  de  nos  connaissances, 
l'ouvrage  qu'a  traduit  M.  Bernard  contient  tout  ce  que  nous 
savons  sur  l'Atlas  marocain.  Paul  RU  FF. 


(l)  Atlas  marocain,  p.   303, 


BULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUE 


DB 


PAR 


Edmiond  DOXJTTÉ 


I 
1897.  —  1er  semesti-e  1898 


-<^^(^^^>^ 


T^^IBLrE: 


Pages 

I.  —  Ouvrages  généraux  '.périodiques,  bibliographies,  sta- 
tistiques, encyclopédies,  etc.) 38 

II.  —  Ouvrages  d'ensemble  sur  la  religion  musulmane.. . .  44 

III.  —  Dogmatique  et  histoire  religieuse 47 

ÏV.  —  Sciences  musulmanes 58 

V.  —  Droit  musulman l'iO 

VI.  —  Islam  des  divers  pays  musulmans fiT 

VII.  —  L'islamisme  et  le  christianisme  :  mission,  réforme..  74 
VIII.—  Islam  de  l'Afrique  Mineure  :   clergé,  maraboutisme, 

confréries  mystiques 7(S 

IX.  —  Histoire  des  Musulmans  en  général  et  de  ceux  de 

l'Afrique  Mineure  en  particulier ÎS3 

X.  —  Folke-Lore  de  l'Afrique  Mineure 94 

XI.  —  Sociologie  de  l'Afrique  Mineure  :  ouvrages  intéres- 
sant les  mœurs,  coutumes  et  institutions '.Hi 

XII.  —  Ouvrages   littéraires  :   études  de   mœurs,  romans, 

livres  de  touristes 1 05 

XIII.  —  Questions  indigènes 1 08 

XIV.  —  Ouvrages   arabes  édités   en  vue   des   Musulmans  ; 

ouvrages  arabes  édités  par  des  Musulmans 114 

XV.  —  Etude  des  langues  et  littératures  arabes  et  berbères .  119 

Appendice 124 

Index  des  noms  d'auteurs 129 


-^-(ÏÎC^^^r>^2>^- 


BULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUE 


DE 


L'ISLAM   MAGHRIBIN 


Cette  bibliographie  embrasse  :  1»  les  ouvrages  ou  articles 
de  revues  qui  concernent  directement  l'Islam  de  l'Afrique 
mineure  et  des  contrées  voisines  (Tripoli,  Sahara,  Soudan), 
et  ceux  qui,  étant  relatifs  à  l'Islam  en  général,  intéressent 
nécessairement  tous  les  pays  où  le  mahométisme  compte  des 
sectateurs  ; 

2^  Les  ouvrages  intéressant  les  indigènes  musulmans  de 
l'Afrique  mineure,  au  point  de  vue  historique,  économique, 
sociologique,  et  ceux  qui  sont  consacrés  à-  ce  qu'on  est  convenu 
d'appeler  ici  les  «  questions  algériennes  »,  questions  dont 
l'étude  est  naturellement  connexe  avec  celle  de  la  religion 
musulmane  ; 

3'J  Les  ouvrages  destinés  à  propager  dans  le  N.-W.  de 
l'Afrique  la  connaissance  des  questions  musulmanes  et  orien- 
tales, de  la  langue  et  de  la  littérature  arabes. 

Elle  s'étend  du  i«''  janvier  1897  au  ler  juillet  1898  approxi- 
mativement ^1)  et  comprend  seulement  des  ouvrages  écrits 
dans  l'une  des  langues  latine,  française,  allemande,  anglaise, 
espagnole,  italienne  et  arabe  (2).  Elle  ne  comprend  pas  les 
comptes-rendus,  analyses,  chroniques,  notices  bibliogra- 
phiques, etc.  .(3). 


(1)  Nous  disons  approxiraativotnsnt.  parc3qiie,  d'une  part,  les  différents 
périodiques  utilisés  nous  parviennent  irréguliéreinent  et  que,  de  l'autre, 
la  date  exacte  (mois)  de  l'apparition  des  ouvrages  mentionnés  ne  nous 
est  pas  toujours  connue,  en  sorte  que  plusieurs  de  ceux  qui  devraient 
figurer  ici,  pour  le  1"  semestre  189c^.  sont  ranvoyés  à  la  prochaine  biblio- 
graphie, et  que  d'autres  qui  appartiennent  au  "i""  semestre  1898,  figurent 
néanmoins  ici.  Peut-être  voudra-t-on  bien  nous  pardonner  ce  défaut  en 
raison  de  la  difficulté  que  nous  avons  eue  h  nous  procurer  dos  informa- 
tions exactes  dans  ce  pays. 

(2)  Nous  ne  nous  dissimulerons  pas  que  cette  bibliographie  est  néces- 
sairement fort  incomplète  et  nous  nous  en  excuserons  sur  la  pénurie  des 
ressources  bibliographiques  dont  nous  avons  disposé  à  Alger  ;  nombre 
de  périodiques  des  plus  répandus  n'ont  pu  être  dépouillés  par  nous. 
Nous  ne  desespérons  pas  néanmoins  de  combler  ces  lacunes  dans  naître 
prochaine  bibliographie  et  d'y  faire  un  rappel  des  ouvrages  de  1897  et  1898 
qui  auront  été  omis  ici.  Quelque  imparfait  que  soit  notre  travail  nous 
n'aurions  pu  le  mener  au  point  où  il  est  si  nous  n'avions  été  favorisés 
des  conseils  érudits  de  notre  savant  maître,  M.  René  Basset,  directeur 
de  l'Ecole  Supérieure  des  Lettres  d'Alger,  et  si  nous  n'avions  eu  la  res- 
source des  bibliothèques  universitaire  et  nationale,  dont  les  conserva- 
teurs. MM.  Paoli  et  Maupas,  nous  ont  comblé  de  bienveillance.  Qu'ils 
reçoivent  ici  nos  remerciements  publics. 

(3)  Nous  avons  soigneusement  marqué  d'un  astérisque,  tous  les  ou- 
vrages que  nous  n'avons  pas  examinés  par  nous-mêmes. 

6 


38        BULLETFN   BIBLIOGRAPHIQUE    DE   L'ISLAM   MAGHRIBIN 

I.  -  OUVRAGES  GÉNÉRAUX 
(Périodiques,  Bibliographies,  Statistiques,  Encyclopédies,  etc.) 

Les  périodiques  où  se  trouvent  disséminés  les  mémoires 
intéressant  l'Islam  sont  extrêmement  nombreux;  on  n'attend 
pas  que  nous  en  fassions  ici  une  énumération.  En  dehors  des 
revues  de  premier  ordre,  comme  le  Journal  Asiatique,  la 
Revue  de  l'Histoire  des  religions  (1),  le  Zeitschrift  der  deuts- 
chen  rnorgenlandischen  GeseLlschaft,  VImperiai  and  asiatic 
quaierly  Revieio,  etc.,  il  y  a  lieu  de  mentionner  spécialement 
ici  trois  périodiques  qui  se  sont  fondés  dans  ces  derniers 
temps  et  qui  sont  exclusivement  consacrés  aux  questions  in- 
téressant les  Musulmans. 

Le  premier,  intitulé  Al  Machriq^  «l'Orient»,  est  édité  par 
les  Pères  de  Beyrouth,  qui  ont  déjà  tant  fait  pour  les  études 
arabes.  Bi-mensuelle,  cette  revue  compte  déjà  une  vingtaine 
de  numéros  de  48  pages,  contenant  des  articles  écrits  dans 
un  style  arabe  élégant  et  clair. 

La  deuxième  revue,  V Union  Islamiqnc,  publit'.e  au  Caire  et 
dirigée  par  M.  Eug.  Glavel,  un  Français  de  là-bas,  patriote 
ardent  et  convaincu,  a  commencé  à  paraître  en  1897.  Rédigée 
à  la  fois  en  arabe  et  en  français,  contenant  des  articles  de 
spécialistes  sur  tous  les  sujets  qui  intéressent  l'Islam,  ['Union 
Islamique  était,  dans  la  pensée  de  son  auteur,  destinée  à  devenir 
un  terrain  d'entente  pour  le  public  instruit  des  deux  mondes  chré 
tien  et  musulman.  Il  voulait  encore  qu'elle  pût  servir  de  trait 
d'union  entre  les  diverses  collectivités  mahométanes  depuis  le 
Maroc  jusqu'aux  Indes.  Il  ambitionnait  de  pouvoir  rassembler  en 
un  faisceau  les  forces  éparses,  les  efforts  des  gens  de  bonne  foi, 
des  savants,  des  écrivains,  des  publicisles,  pour  assigner  à 
l'évolution  de  la  société  islamique  une  orientation  aussi  con- 
forme que  possible  à  nos  idées  occidentales.  Nous  analyserons 
plus  loin  quelques-uns  des  articles  publiés  par  l'Union  Isla- 
mique dans  sa  courte  existence.  Disons  seulement  qu'il  est 
regrettable  que  l'on  n'ait  pas  cru  devoir  encourager  une  tentative 
aussi  intéressante  :  l'Algérie,  moins  que  tout  autre  pays,  eût 
dû  s'en  désintéresser,  s'il  est  vrai  que  tout  pays  musulman  est 
solidaire  de  ceux  où  l'on  professe  également  la  religion  de 
Mahomet.  Quoiqu'il  en  soit,  l'Union  Islamique  a  disparu  après 
quelques  numéros.  Ces  numéros  seront  du  reste  consultés, 
non  seulement  par  ceux  qui  s'intéressent  au  monde  de  l'Islam 
en  général,  mais  encore  par  ceux  qui  se  livrent  à  l'étude 
difficile  de  la  langue  arabe  :  le  texte  arabe  des  articles  est  en 
effet  une  merveille  de  traduction  fidèle  et  aisée.  Les  arabisants 


(1)  Les  Allemands  manquaient  jusqu'à  ce  jour  d'uue  revue  de  ce  genre: 
les  Archiv  fur  Religio7iswissenschaft,  dont  le  premier  fascicule  a  paru 
chez  Mohr,  à  Fribourg  en  Brisgau,  comblent  cette  lacune. 


BULLETIN    lilBLIOGRAPHIQUE  DE   L'ISLAM   MAGHRIBIN        39 

verront  là  avec  quelle  élégance  les  traducteurs  ont  vaincu  les 
plus  grandes  difliciiltés  et  avec  quelle  souplesse  ils  sont 
parvenus  à  exprimer  dans  un  style  classique  les  idées  les  plus 
incompatibles  en  apparence  avec  le  génie  de  la  langue  arabe  {[). 
L'Union  Islamique  a  été  remplacée  par  deux  journaux  ([uo- 
tidiens,  l'un  publié  en  français  sous  le  titre  :  Le  Courrier 
d'Orient,  et  l'autre  en  arabe,  sous  le  titre  'ix^  J-^î  o»  L^lj-xJ:;'! 
{La  Nouvelle  Dépêche),  mais  ayant  avant  tout  un  caractère 
politique. 

La  troisième  des  revues  auxquelles  nous  avons  fait  allusion 
est  la  Revue  de  Vlslam,  publiée  à  Paris,  sous  la  direction  de 
M.  Dujarric.  Elle  mérite  notre  attention:  ce  n'est  pas  qu'elle 
se  recommande  précisément  par  la  grande  valeur  des  mémoires 
qu'elle  a  publiés,  ainsi  qu'on  le  verra  dans  la  suite  de  ce  bulletin; 
inais  c'est  encore  une  tentative  qui  aurait  peut-être  pu  être 
plus  encouragée  qu'elle  ne  semble  l'avoir  été.  Il  y  a  certaine- 
ment en  France  et  en  Algérie  suffisamment  de  gens  qui  s'inté- 
ressent aux  études  musulmanes  pour  légitimer  l'existence- 
d'une  Revue  de  l'Islam. 

Parmi  les  revues  qui  se  consacrent  exclusivement  aux  ques- 
tions intéressant  l'Afrique  du  Nord,  il  faut  citer,  en  dehors 
du  présent  Bulletin,  de  la  Revue  Africaine  et  des  deux  re- 
cueils des  sociétés  du  département  dé  Gonstantine,  le  Bulle- 
tin de  la  Société  de  Géographie  d'Alger  qui,  à  peine  né,  vient 
de  conquérir  sa  place  aux  premiers  rangs.  L'Algérie  Nouvelle 
publiée  par  M.  Cat  contient  de  précieuses  contributions  à  l'étude 
des  questions  indigènes.  La  Vie  Algérienne  et  Tunisienne  de 
M.  Lissagaray,  n'a  vécu  qu'un  an  ;  elle  méritait  mieux.  Sous 
des  dehors  littéraires  et  avec  les  allures  d'un  journal  de  vulga- 
risation, elle  cacha  souvent  une  grande  sûreté  d'information  ; 
maint  érudit  africain  l'a  du  reste  enrichie  d'articles  du  plus 
haut  intérêt.  La  Revue  Algérienne  est  avant  tout  une  revue 
d'art  et  de  littérature,  à  laquelle  la  politique  n'est  pas  étran- 
gère non  plus  ;  on  y  trouve  cependant  cà  et  là  quelques  arti- 
cles qui,  sans  avoir  une  grande  valeur  au  point  de  vue  de 
l'érudition,  sont  néanmoins  à  prendre  en  considération  dans 
une  bibliographie  algérienne  (2). 

La  plupart  des  grandes  revues  publient  des  bibliographies 
plus  au  moins  complètes  ;  au  point  de  vue  qui  nous  intéresse 
ici  nous  devons  signaler  en  première  ligne  les  comptes-ren- 
dus de  la  Revue  de  l'histoire  des  religions,  en  particulier  le 
compte-rendu  des  périodiques  (Islam)  dû  à  la  plume  si  com- 


(1)  Voy.  par  exemple  la  traductioD  d'un  extrnit  de  l'ouvrage  de  M.  Mou- 
liéra.s  sur  le  Maroc  Inconnu,  n"  4,  p.  62-65  et  Tl'1'-'>  où  les  difliciiltés- 
qu'offrait  le  texte  -sont  surmontées  d'une  façon  magistrale. 

(2)  Par  exemple  en  13!17  {2'  semoslre)  :  Le  Khammès,  par  Tr.ebora, 
p.  7'2.  —  Le  pélerinatje  île  la  Mecque,  par  [renée  Philippe,  p.  89.  — 
Laïla  El  Aknyalia,  par  Taïb  Alphonse,  p.  ;i7(),  —  A  travers  l'Islam, 
par  F.  Leraoine,  pp.  585,  649,  7UU,  716,  743,  786. 


40       BULLETIN   BIBLIOGRAPHIQUE   DE   l'iSLAM   MAGHRIBIN 

pétente  de  M.  Piené  Basset,  directeur  de  l'Ecole  Supérieure 
des  Lettres  d'Alger.  LOrientalische  Bibliograp/iie  (1)  reste 
naturellement  une  source  abondante  de  renseignements,  par- 
fois incomplète  cependant  en  ce  qui  concerne  l'Afrique 
Mineure. 

A  ce  dernier  point  de  vue,  l'apparition  du  supplément  donné 
par  M.  Playfair  à  sa  Bihliography  of  Alger ia  (2)  est  une  véri- 
table bonne  fortune  pour  tous  les  travailleurs  algériens.  L'ou- 
vrage primitif  de  M.  Playfair  se  terminait  en  1887,  avec  le 
numéro  4745.  Le  supplément  s'arrête  en  1895  avec  le 
numéro  7763  ;  sur  ce  nombre,  plus.de  2.0<30  articles  comblent 
les  lacunes  de  la  première  partie.  Les  tables,  communes  aux 
deux  parties,  paraissent  faites  avec  plus  de  soin  que  dans  le 
premier  volume.  En  ce  qui  concerne  l'histoire,  on  peut  consi 
dérer  la  bibliographie  de  M.  Playfair  comme  presque  parfaite  ; 
il  ne  restera  plus  à  y  ajouter  que  quelques  unités  par  ci,  par  là. 
La  série  desouvrages  purementlittéraires  est  un  peu  mcJins  com- 
plète: on  ne  trouve  pas,  par  exemple  (au  moins  dans  les  tables), 
le  charmant  conte  de  P.  Loti  :  Les  trois  Dames  de  la  Casha, 
édité  plusieurs  fois  ;  parmi  les  romans  de  valeur  littéraire 
moindre,  mais  néanmoins  répandus,  nous  ne  trouvons  pas 
Le  Ravin  maudit,  ni  Le  Roi  des  Chemins,  de  Louis  Noir.  Les 
ouvrages  orientaux  ont  été,  de  la  part  de  M.  PI.,  l'objet  d'une 
attention  spéciale:  il  en  manque  pourtant  un  certain  nombre; 
en  revanche,  d'autres  figurent,  qui  ne  semblaient  pas  avoir  leur 
place  nécessairement  marquée  dans  une  bibliographie  algé- 
rienne. Ainsi  on  y  trouve  le  , *-jLsr*-'  isjo  ^dv  (3)  (Kharîdat- 

el-'Adjàib)  d'Ibn  el  Ouardi,  et  le  ^-.c  Vi  w-Lîj  (Ouafaiât-el- 
A'iân)  d'Ibn  Khallikân  et  on  n'y  trouve  ni  Al  Maqqarî,  ni  la 
série  des  dictionnaires  biographiques  publiés  par  M.  Codera. 
Au  point  de  vue  scientilique,  la  bibliographie  de  M.  PI.  est 
franchement  défectueuse  et  contient- d'innombrables  et  impor- 
tantes lacunes.  Telle  qu'elle  est  cependant  dans  son  ensemble, 
elle  sera  pendant  longtemps  encore  le  vade-mecum  indispen- 
sable des  érudits  algériens. 

Le  Kitâh  Iktifâ  al  QounoiV  (4),  de  M.  Edouard  Albert  Van 
Dyck,  ne  nous  est  connu,  pour  le  moment,  que  par  le  compte- 


Ci)  Or.  Bibl.  XI  lahrgang.  Erstes  Halbjahresheft  (1891 .  I.  Semester). 
A  l'heure  on  nous  écrivons  ces  lignes,  le  2»  semestre  de  1897  n'est  pas 
encore  paru. 

(2)  Sir  R.  Lambert  Playfair,  k.  c,  m.  g.  :  Supplément  to  the  bihlio- 
graphy of  Alger  ia  froni  the  earliest  times  to  1895.  1  vol.  321  p.,  Lon- 
dres, 1898. 

(3)  Nous  prévenons  ici,  une  fois  pour  toutes,  que  notre  imprimeur  ne 
possédant  pas  dans  ses  caractères  le  lâ  sans  points  surmonté  du  hamza, 
celui-ci  est  partout  remplacé  par  un  simple  ià  pointé. 

(4)  A^^xJ  \  _«-'tj^''î  y^^   y  <>j->^  j^  ^  ^^iiJ!  »Lsx5'i  ^'jS" 

1*  lA^A  _»  ini^ 


BULLETIN   BIBLIOGRAPHIQUE   DE   L'ISLAM   MAGHRIBIN        41 

rendu  de  M.  R.  Vollersdansle  Zeitsch.  deutsch.  morg.  Gesellsch. 
(Bd.  Li,  ^'^  Heit,  page  340)  (Ij.  C'est,  d'après  ce  savant,  une 
bibliograpliie  des  ouvrages  de  la  littérature  arabe  qui  n'est  pas 
sans  mérite.  M.  Vollers  signale  comme  particulièrement  inté- 
ressantes pour  les  européens,  les  notices  consacrées  aux  auteurs 
modernes.  A  côté  de  cela  on  rencontre  de  nombreuses  mépri- 
ses qui  devront  être  rectifiées  dans  une  nouvelle  édition  avant 
que  le  livre  puisse  être  consulté  avec  fruit  en  Europe.  L'ou- 
vrage, qui  du  reste  est  considérable  (611  p.),  s'appuie  surtout 
sur  le  FUirist  de  la  bibliothèque  khédiviale. 

M.  Victor  Chauvin  a  poursuivi,  en  1897  et  en  1898,  la  publi- 
cation de  son  vaste  répertoire  bibliographique  des  ouvrages 
relatifs  aux  Arabep,  parus  en  Europe  depuis  le  commencement 
du  siècle  ('2).  Les  deux  nouveaux  volumes  parus  concernent 
Kalîla  et  Dimna,  Loqmân,  le  roman  d'Antar  et  les  autres 
romans  de  chevalerie.  C'est  un  des  plus  remarquables  monu- 
ments d'érudition  de  notre  époque. 

M.  E.  Lambrecht  a  publié  le  1"  volume  du  catalogue  de  la 
Bibliothèque  de  l'Ecole  des  Langues  orientales  (3).  Cette  pre- 
mière partie  coii^prend  tout  ce  qui  est  relatif  à  la  langue  arabe. 
La  bibliothèque  de  TEcole  commence  a  être  fort  riche  ;  on 
relèvera  dans  son  catalogue  mainte  indication  utile. 

Nous  avions  déjà  de  M.  René  Basset  plusieurs  catalogues  de 
bibliothèques  indigènes  ;  il  vient  d'ajouter  à  cette  série  celui 
des  manuscrits  delà  zaouia  d'EI  Hamel  (4j.  Cette  zaoui  a  appar- 
tient à  l'ordre  des  Rah'maniya  et  est  située  entre  Bousaada  et 
Djelfa.  Elle  ne  comprend  que  53  ouvrages,  dont  aucun  n'otïre 
du  reste  une  bien  grande  valeur.  Tout  l'intérêt  du  catalogue  de 
M.  R.  B.  gît  dans  les  annotations  bibliographiques  abondantes 
et  sûres  qui  accompagnent  chaque  article.  A  propos  de  chaque 
ouvrage,  nous  trouvons  l'énumération  des  commentaires  qui 
en  ont  été  faits,  et  force  détails  sur  la  vie  des  auteurs  et  com- 
mentateurs, le  tout  tiré  de  dictionnaires  biographiques  dont 
un  certaii^  nombre  sont  inédits  ou  difficiles  à  se  procurer. 
Notons  parmi  les  53  numéros  de  l'ouvrage  :  l'article  ►^v^'° 
v,_^=>.L<.l  ^.'1  qui  intéresse  spécialement  l'Afrique  du  Nord,  — 
et  une  bibliographie  extrêmement  remarquable  des  ouvrages 
concernant  El  Bokhâri  (n»  51)  où  sont  énumérés  près  de  70 


(1)  Depuis  que  ces  lignes  ont  été  écriles  nous  avons  eu  entre  les  mains 
le  i^iSS^]  . }LX^  et  nous  avons  pu  constater  la  justesse  des  observa- 
tions de  M.  Vollers. 

(2)  V.  Chauvin  :  Dihliogra])/tie  des  ouorages  arahes  ou  relatifs  au-v 
Arabes,  publiés  dans  l'Europe  clirétienne,  de  Î810  à  iSSô.II  Kalîla. 
1  vol.  Lièf,'e,  1897.  —  ///  Loqmàne  et  les  fabulistes.  Barlaam.  Antar 
et  les  romans  de  chevalerie.  1  vol.  Liège  1898. 

{'6)  E.  Lambrecht  :  Calalo'jiie  de  lu  Bibhotliéque  de  l'Ecole  des 
langues  orientales  rircintes.  Tome  I.  Linguistique.  1.  Philologie.  2. 
Langue  arabe.  1  vol.  Paris,  1807. 

(4)  René  Basset.  —  Les  Manuscrits  arabes  de  la  Zaouia  d'EI  Uamel. 
in  Giornale  d.  Société  a<iatica  itatiana,  vol.  dec.  1897,  p.  43-97, 


42       BULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUE  DE  l'ISLAM   MAGHRIBIN 

commentaires  avec  détails  biographiques  sur  leurs  auteurs,  et 
où  le  Directeur  de  l'Ecole  des  Lettres  d'Alger  déploie  une 
érudition  vraiment  énorme. 

La  statistique  triennale  publiée  par  le  Gouvernement 
Général  (1)  est  le  principal  recueil  statistique  concernant 
l'Algérie  :  son  cadre,  déjà  assez  restreint,  vient  encore 
d'être  réduit.  Elle  pourrait  être  fort  intéressante  au  point  de 
vue  qui  nous  occupe  ;  malheureusement,  les  statistiques  spé- 
ciales aux  indigènes  y  prennent  une  place  relativement  faible. 
Cependant,  dans  la  démographie,  on  a  cherché  à  présenter  à 
part  les  résultats  intéressant  exclusivement  les  Musulmans; 
mais,  à  la  page  2^,  une  note,  qui  donne  à  réfléchir,  nous 
avertit  que  les  chiffres  inscrits,  en  ce  qui  concerne  les  musul- 
mans, ne  doivent  être  considérés  que  comme  approximatifs. 
C'est  ce  que  comprendront  sans  peine  tous  ceux  qui  savent 
avec  quel  soin  les  khodjas  de  douars  tiennent  à  jour  leurs 
registres  d'état-civil.  Il  y  en  aurait  trop  long  à  dire  sur  les 
résultats  de  la  fameuse  loi  de  1882. 

Il  est  intéressant  de  prendre  connaissance  des  statistiques 
qui  se  rapportent  à  la  situation  des  indigènes  au  point  de 
vue  de  l'enseignement  supérieur.  On  y  voit,  par  exemple, 
que,  depuis  la  création  de  l'Ecole  de  Droit,  sur  1,101  diplô- 
mes, il  n'en  a  été  délivré  que  4  à  des  Musulmans  ;  on  y  voit 
encore  que  l'Ecole  a  délivré  259  diplômes  de  licencié  en  droit 
et  seulement  22  certificats  supérieurs  de  législation  algérienne 
(examen  qui  comporte  du  droit  musulman).  L'école  des  Lettres 
est  celle  qui,  ayant  le  plus  développé  son  enseignement  au 
point  de  vue  africain  et  oriental,  s'est  mise  le  mieux  en 
harmonie  avec  les  besoins  du  pays.  Il  y  a  là  les  éléments 
d'une  école  coloniale  africaine  qui  pourrait  être  appelée  à  un 
grand  avenir,  s'il  ne  régnait  à  cet  égard,  dans  les  hautes  sphères 
administratives,  les  plus  regrettables  divergences  de  vues. 
En  ce  qui  concerne  l'enseignement  de  l'arabe,  l'Ecole  des 
Lettres  a  iJélivré,  depuis  sa  fondation,  296  brevets  d'arabe 
(dont  21  à  des  indigènes)  —  39  brevets  de  kabyle  (dont  2  à  des 
indigènes)  —  40  diplômes  d'arabe  (dont  5  à  des  indigènes)  — 
et  2  diplômes  de  berbère  (dont  1  à  un  indigène),  tm  addition- 
nant tous  les  diplômes  délivrés  par  les  quatre  écoles,  on  trouve 
que,  depuis  leur  fondation,  elles  en  ont  délivré  3.767,  dont 
56  seulement  à  des  musulmans!  Il  nous  faudrait  pi  us  de  place  que 
nousn'en  avonsànotre  disposition  pour  examiner  les  statistiques 
qui  concernent  l'enseignement  secondaire  et  l'enseignement 
primaire  au  point  de  vue  indigène;  les  dernières  sont  peut-être 
plus  satisfaisantes  qu'il  n'est  de  mode  de  le  dire.  Le  tableau 
concernant  les  médersas  gagnerait  à  être  plus  développé  : 
111  élèves  ont  fréquenté  ces  écoles  en  1896. 


(i)  Gouvernement  Général  de  l'Algérie.  Statistique  générale  de 
l'Algérie.  Années  1894,  1895  et  1896.  1  vol.,  238  pp.,  Alger  1897. 


BULLETIN   BIBLIOGRAPHIQUE  DE   L'ISLAM   MaGHHIBIN        43 

On  regrette  de  ne  trouver  dans  la  statistique  triennale  aucun 
renseignement  sur  les  cultes  et  la  justice  musulmans.  D'une 
façon  générale,  c'est  très  certainement  l'exiguité  des  crédits 
alloués  qui  est  la  cause  de  ces  lacunes  :  sur  mainte  question 
qui  serait  pour  nous  du  plus  haut  intérêt,  nous  ne  possédons 
que  de  maigres  indications. 

liCS  encyclopédies  sont  appelées  à  devenir  souvent  pendant 
de  longues  années  le  guide  presque  unique  d'une  grande  partie 
du  public  qui  n'a  pas  le  temps  de  recourir  aux  sources;  à  ce  titre, 
les  spécialistes  sont  en  droit  de  demander  à  ces  répertoires  de 
fournir  aux  gens  du  monde  un  résumé  exact  des  ouvrages 
originaux  dans  chaque  branche  de  la  connaissance.  Le  ISouveau 
Larousse  Illustré  (1)  ne  parait  pas  devoir  encourir  grand 
reproche  à  cet  égard.  Les  articles  qui  touchent  à  l'orientalisme 
sont  en  général  traités  avec  compétence  et  clarté  ;  le.s  plus 
importants  d'entre  eux  sont  du  reste  signés  de  noms  qui  sont 
une  garantie  pour  le  lecteur.  Signalons  :  les  articles  Averrhoès 
(M.  Raoul  Allier)  et  Avicenne  (M.  Louis  Coqueliu;  qui  offrent 
de  bons  résumés  ;  —  l'article  sur  le  Bâh,  dû  à  la  plume, 
si  autorisée  en  pareille  matière  de  M.  Joachim  Menant;  —  les 
articles  Abdclkader,  Alger,  Algérie,  Atlas,  sont  l'œuvre  de 
M.  Augustin  Bernard  :  c'est  dire  que  le  sujet  y  est  traité  avec 
la  plus  grande  compétence  et  une  mesure  parfaite;  —  les 
articles  Arabe  (histoire  et  civilisation)  et  ^ra&ie  (exploration  et 
histoire)  sont  l'œuvre  de  M.  Froidevaux  :  ils  donnent  une  bonne 
vue  d'ensemble  des  faits.  On  aurait  cependant  aimé  y  trouver 
au  moins  trois  ou  quatre  lignes  sur  l'histoire  antéislamique 
des  Arabes.  11  y  est  dit  simplement  que  «cette  histoire  est  fort 
mal  connue  «  ;  peut-être  n'est-ce  pas  suffisant.  A  l'article 
Arabie  (exploration)  l'auteur  n'a  pas  cité  les  voyageurs  qui 
nous  ont  renseigné  &ur  La  Mecque,  comme  Roches,  Snouck- 
Hurgronje,  etc.,  ...  :  ces  détails  sont  sans  doute  renvoyés  à 
l'article  :  La  Mecque  ;  —  l'article  Arabe  (langue,  littérature 
et  beaux-arts)  dont  l'auteur  est  M.  Fagnan  est  d'une  expo 
sition  claire  et  méthodique  ;  —  à  l'article  Almohades,  il 
aurait  fallu,  dans  la  bibliographie,  citer  le  travail  de  Goidziher 
comme  étant  le  seul  que  la  science  européenne  ait  produit  sur 
ce  sujet.  Nous  ne  devons  toutefois  pas  reprocher  aux  auteurs 
des  omissions  que  le  cadre  restreint  dont  ils  disposaient  ne 
leur  permettait  pas  d'éviter  ;  —  l'article  Berbères  est  du 
Docteur  Verneau  ;  on  aurait  souhaiter  y  trouver  deux  ou  trois 
lignes  résumant  le  peu  qu'on  sait  de  la  position  du  berbère  par 
rapport  aux  autres  langues.  Les  articles  courts  du  dictionnaire 
paraissent  en  général  moins  soignés  ;  l'article  .^1/  Gazzali,  par 
exemple,  est  franchement  défectueux  ;  pourquoi,  au  mot 
.'rmrou  ben  al  Ass,  garder  cette  orthographe  vicieuse  et  si 
répandue  de  Amrou  pour  Amr  ou  Amer  9  cela  est  cause  que  ce 


(1)  Nouvecm  Larorn^^e  Illustré  en  sept  volumes.  Directeur:  Claude 
Auge.  Parait  par  fasc.  à  la  librairie  Larousse,  Paris,  s.  d. 


44       BULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUE   DE   L'ISLAM  MAGHRIBIN 

personnage  et  Amrou  al  Caïs  qui  le  suit  dans  l'ordre  alpha- 
bétique paraissent  avoir  porté  le  même  nom  !  Ces  légères 
critiques  ne  sont  pas  du  reste  pour  méconnaître  la  grande 
valeur  du  Nouveau  Larousse  pris  dans  son  ensemble. 

La  portion  de  la  Grande  Encyclopédie  (4)  parue  en  1897  et 
1898  ne  contient  que  peu  d'articles  relatifs  aux  musulmans. 
Parmi  ces  articles,  ceux  de  M.  L.  Leriche  se  recommandent  par 
leurprécision  et  parune  indication  exactedessourcesauxquelles 
doit  se  reporter  le  lecteur  désireux  de  posséder  de  plus  amples 
renseignements  :  les  articles  Mâreb,  La  Mecque,  Médine, 
Al  Meiddni  sont  à  cet  égard  des  modèles'.  Citons  encore  : 
l'article  Al  Maqrizî,  signé  A. -M.  B.  ;  —  le  paragraphe  intitulé 
Médecine  chez  les  Arabes,  sous  l'article  Médecine,  offre  un  bon 
résumé  de  l'histoire  de  l'art  médical  chez  les  musulmans  ;  — 
les  articles  Al  Mervoân  et  Al  Masoudi,  tous  deux  anonymes, 
le  dernier  un  peu  faible.  Nous  parlerons  plus  loin  de  l'article 
Maroc,  dû  à  M.  de  Lamartinière. 

L'idée  d'une  encyclopédie  de  l'Islam,  analogue  à  l'ancien 
d'Herbelot,  mais  composée  suivant  toutes  les  exigences  de  la 
science  moderne,  date  de  1892.  Depuis  cette  époque,  elle  a  fait 
son  chemin  et  la  question  a  avancé  d'un  grand  pas  au 
Congrès  des  Orientalistes  tenu  à  Paris  en  1897:  M.  Goidziher 
est  actuellement  à  la  tête  du  mouvement  et  il  est  permis 
d'espérer  que  le  siècle  ne  s'écoulera  pas  sans  que  cette  grande 
œuvre  soit  commencée  (2j. 


II.  OUVRAGES  D'ENSEMBLE  SUR  LA  RELIGION  MUSULMANE 

Les  traités  généraux  d'histoire  des  religions  font  naturel- 
lement une  importante  place,  dans  leur  programme,  à 
l'islamisme.  A  ce  titre  nous  devons  signaler  ici  la  2'"^  édition* 
du  Manuel  de  l'histoire  des  religions,  de  M.  Chantepie  de  la 
Saussaye  (3),  ouvrage  trop  connu  pour  que  l'éloge  n'en  soit 
pas  superflu. 

M.  G. -M.  Grant  a  fait  paraître  un  livre  intitulé  :  *  L'Orient  et 
la  Bible.  Les  grandes  religions,  qui  vient  d'être  traduit  en 
français  (i).  Il  contient,  parait-il,  une  brève  mais  excellente 
étude  sur  le  mahométisme. 


(1)  La  Grande  Encyclopédie.  Paris,  s.  d.  Lamirault  (ea  cours  de 
publication). 

(2)  Voyez  pour  cette  question  et  pour  le  compte-rendu  du  Congrès  des 
Orientalistes,  Gaudefrov  Demombynes.  dans  le  Bulletin  d'Oran, 
21°  année,  tome  XVriI.  "fasicule  LXXVIT,  avril-juin  1898,  page  129  — 
MM.  Gaudefroy  Demombynes  et  Mohammed  bso  Rahal  représentaient  la 
Société  d'Oran  au  Congrès  de  Paris. 

(3)  Chantepie  de  la  Saussaye,  Leitrbuch  der  Religionsgeschichte, 
1'  edit.  Frib.  en  Hr.  1897.  Cf.  Compte-rendu  de  J.  Réville,  in  Reo.  Hist. 
Rel.,  19»  ann.,  t.  XXXVIfl,  n»  I,  juillet-août  1898.  p.  64. 

(4)  G.-M.  Grant,  L'Orient  et  la  Bihle.  Les  rjrandes  religions,  traduit 
de  l'anglais  par  Cl.  de  Faye,  1  vol.,  198  pp.,  (ienève  1897. 


BULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUE   DE   L  ISLAM   MAGHRIBIN        4t 

Signalons  encore  un  ouvrage  de  M.  Forlong*,  sur  les 
religions  comparées  de  l'Asie  (1),  dont  le  10«  chapitte  est 
intitulé  :  Mohammed,  Vhlam  et  la  Mecque. 

Nous  serons  moins  bref  touchant  l'ouvrage  de  notre 
compatriote,  M.  Carra  de  Vaux,  sur  le  mahométisme  (2>, 
ouvrage  qui  s'adresse  avant  tout  au  grand  public  ;  mais  il  n'y 
a  pas  de  doute  que  les  spécialistes  ne  le  lisent  également  avec 
plaisir  et  même  profit.  La  place  nous  manque  pour  dire  tout 
le  bien  qu'il  en  faudrait  dire.  Eornons-nous  donc  à  une  brève 
analyse.  —  Le  livre  débute  par  un  tableau  rapide  et  coloré  de. 
l'Arabie  antéislamique.  —  La  vie  du  Prophète  est  retracée 
dans  les  deux  chapitres  suivants  ;  l'auteur  y  a  bien  marqué 
l'opposition  qui  existe  entre  les  deux  périodes  de  la  prédica- 
tion de  Mahomet,  ia  période  mecquoise  et  la  période  médi- 
noise.  —  Dans  le  chapitre  III,  il  nous  entrelient  des  difficultés 
qui  de  tout  temps  surgirent  dans  l'Islam,  à  propos  de  la 
succession  au  khalifat  :  on  sait  que  le  Prophète  ne  laissa  point 
de  règle  à  cet  égard.  M.  C.  de  V.  incline  à  penser  que  ce  ne 
fut  pas  là  un  oubli  et  qu'il  entendit  remettre  au  sort  des 
armées  le  soin  de  désigner  son  successeur.  Et  ce  semble  bien, 
en  effet,  être  un  des  (logmes  musulmans  que  la  force  fonde  la 
légitimité.  —  Dans  les  chapitres  suivants,  l'auteur  nous  montre 
comment  l'Islam  parfit  sa  législation,  raisonna  son  dogme, 
adopta  une  mystique.  En  ce  qui  concerne  la  loi,  il  plaça  le 
critérium  de  l'orthodoxie  dans  l'autorité  des  docteurs.  En  ce  qui 
concerne  le  dogme,  celui-ci  ne  fut  fondé  qu'après  une  longue 
période  de  contlits  pendant  laquelle  le  libre  examen,  sous  la 
forme  du  mo'tazilisme,  faillit  ruiner  l'Islam,  u  Plusieurs 
grands  hommes  survinrent  qui  sauvèrent  l'Islam  de  cette 
décadence  »,  nous  dit  l'auteur  (p.  84),  et  il  nous  cite  El  R'azzàli. 
On  attend'iit  ici,  avant  tout,  le  nom  du  célèbre  El  Ach'âri,  le 
fondateur  de  la  théologie  orthodoxe.  M.  G.  de  V.  nous  reparle, 
du  reste,  d'El  Pv'azzàlî,  qu'il  a  spécialement  étudié,  dans  le 
chapitre  suivant  consacré  au  mysticisme  musulman.  C'est  de 
la  Perse  avant  teut,  suivant  l'auteur,  qu'est  venu  ce  mysti- 
cisme (3).  Il  nous  dit  ensuite  quelques  mots  de  plusieurs  des 
confréries  mystiques  musulmanes  (Qâdriya,  Aissaoua,  etc.) 


(1)  Major  géncr;il  G.  G.  II.  Forloni,--.  Short  studies  in  the  science  of 
comparative  religions,  embracinf/  more  especially  tfiose  of  Asia, 
1  vo!.  6\  XXVIII  —  663  yp.   Londres. 

(2)  Carra  de  Vaux,  Etudes  d'histoire  orientale.  Le  mahométisme , 
Le  génie  sémitique  et  le  génie  aryen  dans  l'Islam,  Paris,  1898. 

(.3)  (^e  rapprochement  nous  parnit  plus  fondf-  que  ceux  que  MM.  Depont 
et  (Joppolaiii  ont  indique  dans  le,ur  grand  ouvrage  {Les  confréries 
religieuses  musulmanes.  Ager,  1897,  p.  79)  entre  les  Alexandrins  et  les 
Coùfis.  Nous  savons  (jue  les  mystiques  alexandrins,  y  compris  Plolin. 
furent  traduit^  en  arahe,  mais  il  semble  bien  que  le  çoulisme  soit  venu 
de  la  Perse  avant  tout.  (Sur  Plolin,  que  MM.  Depont  et  Gopnolani  pensent 
n'avoir  pas  ,';té  traduit  en  arabe,  voy.  8teinschneijer.  Die  arahische 
Uebersetzungen  aus  dem  Griechischen,  in  Beihefte  zum  Central^lntc 
fur  Bihliothekstcesen,  XII,  1893,  n"  39  (G3),  p.  78  et  n-  h'J  (83),  p.  1(17). 


46       BULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUE  DE   L'ISLAM   MAGHRIBIN 

Malgré  tout,  le  çoufisme  n'a  pu  répondre  entièrement  aux 
aspirations  mystiques  des  peuples  musulmans,  e  L'Islam  nous 
apparaît  comme  ayant  eu  des  destinées  plus  vastes  que  son 
génie. . .  La  religion  que  Mahomet  apporta  au  monde  manqua 
d'amour  et  de  tendresse»  (p.  102).  Aussi  dans  la  deuxième 
partie,  l'auteur  va  nous  montrer  comment  les  peuples  courbés 
sous  le  joug  de  l'Islam  ont  réagi  contre  ce  Joug  :  c'est  ce  qu'il 
appelle  la  réaction  aryenne.  Et  il  nous  retrace  la  tragique 
histoire  des  Alides  (1).  Montrant  que  l'idée  du  mahdî  a  toujours 
dominé  dans  les  doctrines  chi'ites,  il  la  présente  comme  étant 
aussi,  avant  tout,  d'origine  persane  ;  c'est  une  variante  de 
l'idée  de  la  victoire  dernière  d'Ormnz  sur  Ahriman.  — 
Les  Ismaïliens  et  les  Dr  uzes  font  ensuite  l'objet  de  deux  chapitres 
intéressants.  Puis  retraçant  l'histoire  du  çoufisme,  M.  C.  de 
V.  montre  avec  beaucoup  de  raison  les  services  que  ce  mysti- 
cisme a  rendus  à  l'Islam  en  lui  fournissant  de  puissants  agents 
de  propagande  (2).  Enfin  le  livre  se  termine  par  un  résumé 
de  l'histoire  du  bâbisme,  manifestation  la  plus  récente  'de  ce 
grand  duel  entre  le  génie  aryen  et  le  génie  sémite  sous  la  ban- 
nière de  l'Islam,  dont  l'auteur  a  voulu  nous  retracer  les  prin- 
cipaux épisodes.  II  conclut  qu'il  nous  appartient,  à  nous 
autres  aryens,  de  prendre  parti  pour  ce  qui  nous  ressemble  et 
de  favoriser  toutes  ces  rébellions,  tous  ces  efforts,  toutes  ces 
renaissances  de  l'aryanisme  dans  l'Islam.  Il  adresse  un  salut 
aux  peuples  qui,  ayant  refusé  de  s'incorporer  à  l'Islam,  sont 
écrasés  et  foulés  par  lui.  «  Nulle  prudence,  dit-il,  ni  nul  res- 
pect du  fait  accompli  ne  peuvent  nous  empêcher  d'appeler  de 
nos  vœux  le  moment  où,  relevés  de  leur  opprobre,  ils  renaî- 
tront à  la  liberté  ».  Le  livre  est  éciit  dans  un  style  élégant, 
délicat,  coloré  ;  les  idées  sont  présentées  avec  tact  et  mesure  ; 
l'appareil  scientifique  des  références  est  allégé  de  tout  ce  qui 
ne  conviendrait  qu'à  des  spécialistes;  l'exéculion  typographi- 
que est  fine  et  plaisante  à  l'œil  (3).  On  pouirait  souhaiter  que 
ce  livre  fiît  répandu  en  Algérie  et  en  Tunisie  ;  nombre  de  ceux 
qui,  par  goiat  ou  par  besoin  professionnel,  ont  le  dé.-ir  de  fixer 
leurs  idées  sur  les  questions  islamiques  retireraient  autant  de 
fruit  de  la  lecture  de  ce  petit  livre  que  de  celle  de  maint  gros 
volume. 


(1)  La  transcription  de  j  r^N^  par  Amrou  nous  sstnble  fâcheuse  et  de 
nature  à  induira  en  erreur  sur  !a  véritable  prononciation  de  ce  mot. 

(2)  C'est  avec  raison  aussi  que,  dans  la  noie  de  la  p.  99'j,  l'auteur 
soupçonne  Duveyrier  d'exagéialiou  dans  sou  tableau  d'^.  la  puissance  des 
i^enoussiya  (La  confrérie  de  Sid  Moliammed  ben  Ali  es  Senoussi,  i88i)- 
Cette  brochure  a  contribué  à  crÀPr  une  véritable  iét^ende  sur  les  Senous- 
siya  et  à  répandre  dans  le  public,  sur  les  confréries,  deî  Idées  fausses  et 
regrettables. 

(à)  On  regrette  cependant,  comme  l'a  remar.^ué  M.  l'abbé  'Ihabot,  dans 
la  Revue  critiqxie,  qu'une  correctinn  insuffisante  ait  laissé  passer  d^-; 
nombreuses  coquilles  dans  un-;  édition  d'ailleurs  si  élégante. 


bulli:tin  bibliographique  de  l'islam  maghribin      47 

M.  Robinson*a  fait  paraître  un  livre  sur  l'avenir  dumahomé- 
lisme,  si  l'on  en  juge  par  le  titre  que  nous  connaissons  seul  (1). 

Dans  y  Impérial  ond  asiatic  qua/erly  Re  iew,  le  professeur 
Montet  (2)  appelle  l'attention  des  orientalistes  sur  ce  fait, 
remarquable  et  unique  dans  l'histoire,  qu'une  civilisation  et 
une  religion  (l'islamisme)  reconnues  comme  inférieures  par 
les  t-uropéens  les  moins  prévenus,  non  seulement  main 
tiennent  leurs  positions,  mais  encore  agrandissent  tous  les 
jours  leur  domaine.  Il  faudrait,  d'après  l'auteur,  pour  élucider 
ce  point,  une  série  d'études  spéciales  faites  dans  chaque  con- 
trée de  l'Islam  par  des  personnes  au  courant  des  langues  par- 
lées dans  les  états  musulmans,  des  doctrines  religieuses  de 
l'Islam,  des  grands  travaux  récemment  parus  à  ce  sujet,  per- 
sonnes qui  devraient  être  impartiales  et  sympathiques  aux 
musulmans,  dans  la  mesure  permise  à  un  chrétien.  Il  faudrait 
rechercher  quel  est  l'état  moral  de  chacun  des  peuples  musul- 
mans. Cette  étude  intéresserait  au  plus  haut  degré  l'Europe 
entière  et  spécialement  l'Angleterre. 

Un  article  de  M.  Réville*  sur  l'Islam  dans  le  New  World 
nous  est  inconnu  (3)  :  il  en  est  de  même  de  l'ouvrage  de 
M.  D.  Kimon  sur  la  *  Pathologie  de  Chlam  (4). 


III.  —  DOGMATIQUE  &  HISTOIRE  RELIGIEUSE 

Les  Reste  des  Arabischen  Heidentmns  de  M.  J.  Wellhausen  (5) 
sont  certainement  l'ouvrage  capital  de  ces  dernières  années  en 
ce  qui  concerne  la  religion  antéislamique  des  Arabes  et  les 
origines  de  l'Islam.  Il  est  d'une  importance  comparable  à  celle 
des  Mohammedanische  Stiidien  de  Goldziher  Aussi  a-t-il  eu  les 
honneurs  d'une  deuxième  édition,  dans  laquelle  l'auteur  a 
introduit  quelques  modifications,  à  la  vérité  peu  importantes. 
Le  grand  intérêt  de  l'ouvrage  est  dans  la  masse  énorme  de 
faits  qu'il  présente  systématiquement  rangés  et  qui  sont  des 
documents  d'autant  plus  importants  qu'ils  sont  garantis  par  la 
profonde  connaissance  qu'a  l'auteur  des  textes  d'où  ils  sont 
tirés.    Le  livre   de   M.   AV.   a  tranché  une  question    qui  fut 


(1)  Rev.  Charles  H.  Hoiun.'jos-.  Mohamweclanifiw.  Has  it  any 
future  ?  (Witli  an  iulroriucion  tiy  ihe  1  ev.  \V.  B.  (Ini  pi  nier),  Londres, 
1897,  (annonf'p  «Inns  As.  quat.  Rei:.,  oct.  1807,  p.  446). 

(2)  K.  MONTKT  :  Scheme  for  an  inquiry  concerning  in  It^lani,  in 
The  imp.  and  asiat.  quat.  Rev.  and  col.  Rcc,  April  1898,  p.  427. 

(3)  A.  Réville  :  Some  aspects  of  Islam  in  New  World,  VI,  5SJ-550. 

(4)  D.  Kimon  :  La  Pathologie  de  l'Islam  et  lesvioyensde  le  détruire- 
I.  vol.  1;'-  1897.  Paris. 

(5)  .1.  Wellhausen  Reste  des  arabischen  Heidentums,  Z\v  Au-sr.. 
Berlin,  1.S97, '?.Vl  p.  Cf.  iSnouck-Hurgronje,  in  lier.  Hist  Rel.,  t.  XX, 
10«  ann.,  1889,  p.  64  seq. 


48       BULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUE  DE  l'iSLAM  MAGHRIBIN 

longtemps  débattue,  nous  voulons  dire  l'existence  avant 
l'Islam  d'un  véritable  polythéisme  arabe  ;  du  reste  les  divinités 
antéislamiques  étaient  aussi  des  dieux  de  clan,  des  dieux  de 
tribu.  Le  culte  était  extrêmement  simple  et  le  rôle  de  la 
prière  absolument  secondaire.  Les  sacrifices  n'étaient  pas  des 
offrandes  ;  mais  l'effusion  du  sang  des  victimes  sur  la  pierre 
consacrée  au  dieu  représentait  simplement  la  communion 
entre  la  divinité  et  le  fidèle.  Tout  ce  qui  concerne  les  inter- 
dictions, les  prescriptions  de  pureté  et  d'impureté,  la  circon- 
cision est  étudié  avec  un  grand  soin  par  M.  W.  Il  nous  montre 
comment  l'Islam  s'est  dégagé  du  polythéisme  aniéislamique  : 
la  Ka'ba  fut  le  Panthéon  arabe  où  vinrent  se  confondre  tous 
les  dieux  de  la  Péninsule  ;  les  rites  entourant  le  principal 
sacrifice  (V^)  passèrent  en  bloc  dans  l'Islam  ;  avec  le  maho- 
métisme,  ^  le  culte  diminue,  la  religion  devient  prépondérante. 
Le  nouveau  dieu,  y^Uî,  c'est-à-dire  «  la  divinité  »,  a  un  carac- 
tère essentiellement  religieux.  Ce  nom  vague  n'était  pas 
nouveau,  on  s'en  servait  souvent  pour  désigner  des  dieux  dont 
les  noms  étaient  ineffables.  Peu  à  peu  Allah  devint  l'unique 
Dieu,  Qu'on  nous  permette  à  cette  occasion  de  remarquer  que 
l'emploi  de  ce  nom  par  les  poètes  antéislamiques  ne  prouve 
pas  comme  le  prétend  le  P.  Cheikho  que  ces  poètes  aient  été 
chrétiens.  Il  y  a  à  cet  égard  des  passages  de  la  poésie  antéisla- 
mique  qui  sont  significatifs.  Far  exemple,  ce  vers  d'Aous  ibn 
Hadjar  (édition  Geyer,  11,  2,  p.  7  Ûu  texte  et  36  de  la  trad.)  : 

a  Par  Allât  et  'Ouzzà  et  par  ceux  qui  les  adorent,  et  par 
Allah  qui  eSt  au-dessus  de  ces  deux  divinités  )i. 

Notre  maître  M.  Resé  Basset,  examinant  à  propos  de  ce  vers 
la  thèse  du  P.  Cheikho,  faisait  remarquer  qu'on  pourrait  avec 
autant  de  raison  soutenir  que  le  père  du  Prophète,  qui  s'appe- 
lait 'Abdallah,  c'est-à-dire  le  a  serviteur  d'Allah  »,  était  chrétien 
lui  aussi. 

C'est  avant  tout  dans  les  poètes  antéislamiques  qu'il  nous 
faut  aller  chercher  les  renseignements  sur  l'ancienne  religion 
des  Arabes.  Mais  ces  poètes  sont  loin  d'être  tous  édités:  leur 
collection  se  complète  néanmoins  de  jour  en  jour.  Citons  dans 
cet  ordre  d'idées:  les* Chawâïr  eVArah  dont  le  père  Cheikho  (1) 
poursuit  la  publication  —  deux  articles  de  M.  Goldziher  sur 
la  *H'amâsa  d'El  Bohvori  f2)  et  sur  les  *  Divans  des  tribus 
arabes  (3)  —  le  divan  du  célèbre  Hàtim  T'ay,  devenu  si  fameux 
dans  les  légendes  arabes  par  sa  générosité,  a  été  édité  et  traduit 


ri)  Le  p.   Cheikho  :  Chawùir  el  arab  (^ ^*  '   i^'j^)'  ^^^^'  '^^  f- 

(2)  Goldziher  :  Zm-  Haviâsa  des  Bxihturi,  in  Wien.  Zeitsch.  f.  d. 
Kiinde  des  Morgenl.,  XI,  161-163. 

(3)  Goldziher  :  Some  notes  on  llie  dhcans  of  the  arahic  tvihes,  in 
Journ.  ûfroy.  asiat.  soc,  1897,  325-334. 


BULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUE  DE   L'ISLAM  MAGHRIBIN        49 

par  M.  Schultess  (1).  On  consultera  en  même  temps  les 
importantes  notes  crituiues  que  J.  Barth-('2)  a  publiées  au  sujet 
de  cette  édition  dans  le  Zeilscli,  d.  cleutsch.  morg.  Gesellsch.  (3). 
—  Sur  la  poésie  antéislamique  en  général,  on  pourra  lire  l'arti- 
cle de  M.  J.  VVcllIiausen,  dans  Cosmopolis  (4). 

Nous  ne  possédons  pas  encore  en  français  une  vie  de 
Mahomet  analogue  aux  ouvrages  de  Muire,  Sprenger,  Krelil, 
Grimme,  etc.,  ....  Mais  nous  avons  à  signaler  l'apparition  de 
deux  ouvrages  français  relatifs  au  Prophète  et  à  sa  prédication. 

Le  premier,  l'ouvrage  de  MM.  Lamairesse  et  Dujarric  sur 
Mahomet  (5),  est  en  principe  une  traduction  de  la  partie  du 
Rawdhat-as-Safâ  relative  à  la  vie  du  Prophète.  Le  Rawdhat- 
as-Safà  est  l'œuvre  du  célèbre  historien  persan  Mirkhond,  mort 
en  1498.  Il  serait  évidemment  extrêmement  précieux  pour  nous 
d'avoir  la  traduction  exacte  d'une  biographie  de  Mahomet  par 
un  auteur  chî'ite.  La  comparaison  d'un  tel  document  avec  les 
autres  biographies  orthodoxes  que  nous  possédons  ne  pourrait 
manquer  d'être  fort  intéressante.  Malheureusement  nous  ne 
savons  pas  exactement  à  quel  genre  de  version  nous  avons 
atTaire  avec  l'ouvrage  de  MM.  L.  et  D.  Le  fait  que  le  traduc- 
teur déclare  souvent  en  note  qu'il  traduit  littéralement  tel  ou 
tel  passage,  semble  bien  indiquer  qu'il  ne  s'agit  en  général 
que  d'une  traduction  libre.  Il  y  a  plus  :  en  mamt  endroit  les 
auteurs  mélangent  avec  le  texte  de  Mirkhond  leurs  propres 
dissertations  critiques,  en  sorte  qu'on  n«  sait  pas  toujours  si 
c'est  Mirkhond  qui  parle  ou  non.  Notre  incompétence 
absolue  en  matière  de  persan  nous  interdit  de  juger  de  la  tra- 
duction, mais  la  liberté  que  nous  venons  de  signaler  nous  fait 
craindre  que  les  auteurs  n'aient  décoré  de  ce  nom  une  para- 
phrase contenant  à  la  fois  des  additions  et  des  lacunes.  Nous 
devons  ajouter  que  les  passages  ajoutés  au  texte  ainsi  que  les 
notes  sont  en  général  assez  faibles  ei  dénotent  une  connais- 
sance imparfaite  de  la  littérature  du  sujet  ;  les  références  sont 
défectueuses  ou  ne  sont  pas  données  ;  les  mots  arabes  sont 
souvent  écrits  incorrectement.  On  se  serait  attendu  à  ce  que 
les  auteurs  comparassent  çà  et  là,  puisqu'ils  joignaient  des 
notes  critiques  à  leur  ouvrage,  les  récits  de  Mirkhond  aux 
récits  des  orthodoxes,  en  particulier  d'Ibn  Hichàm  etd'Aboul- 


(l)  Frdr,  Schultess  •  Der  Dhoân  des  arah.  Dichters  Hâtim  Tey 
nebst  Frarjinenten,  hrsg.ûhers.  u.  erlaût    I  vol.  Leipzig,   1897. 

(i)  J.  Barth  :  Zur  KritiU  und  Erldaerung  des  diicans  flàtim. 
Tejjs,  in  ZeitscJi.  d.  deutsch.  morgenl.  Gesellsch.,  1898,  LU,  1"  Heft, 

p.  6'i-Tl. 
(3)  Le  diwan  de  'Antara  vient  d'Otre  édité  en  Egypte  (Caire,  1898). 

(i)  Wellhausen  :  Die  alte  arabische  Poésie,  in  Ces)nopolis,  I, 
592-604. 

"(5)  Vie  de  Mahomet  d'apriis  la  traduction,  par  E.  Lamairesse  et 
G.  Dujarric.  Paris.  —  T.  I,  Des  origines  de  Mahomet  jusqu'à  la  bataille 
d'Ohod,  1897.  —  T.  II,  Depuis  la  bataille  d'Ohod  jusqu'à  l'élection 
d'Abou  Bekr,  1898. 


50       BULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUE  DE   L'ISLAM   MAGHRIBIN 

féda,  qui  ont  été  traduits  et  édités  en  Europe.  Or,  il  semblerait 
résulter  de  la  note  2  de  la  page  46  du  tome  I,  que  les  auteurs 
n'ont  pas  eu  directement  connaissance  de  Tédition  d'Albouféda, 
par  Desvergers,  et,  d'autre  part,  il  n'y  a  pas  dans  l'ouvrage  une 
seule  référence  à  la  traduction  d'Ibn  Hichàm,  par  Weil. 
Cependant,  les  auteurs  connaissent,  au  moins  de  nom,  l'his- 
torien arabe,  puisqu'ils  lui  ont  consacré  une  notice  (I,  p.  63;. 

C'est  surtout  dans  l'introduction  historique  qu'apparaît  la 
faiblesse  de  l'appareil  critique.  Alors  que  l'Arabie  antéisla- 
mique  a  déjà  été  l'objet  d'une  littérature  abondante,  on  voit 
MM.L.  etD.  s'appuyer  presque  exclusivement  par  instants  sur 
des  autorités  comme  VHistoire  des  A)-abes  de  Sédillot  ou  une 
Histoire  Universelle  éditée  à  Amsterdam  en  1760  !  Cependant, 
ces  réserves  faites,  il  n'est  pas  impossible  de  tirer  profit  du 
livre.  Nous  n'avons  pas  encore  pu  personnellement  l'exa- 
miner en  détail  et  le  comparer  aux  Sirat-en-Nahî  orthodoxes 
que  nous  connaissons  ;  mais  d'un  examen  superficiel  de 
l'ouvrage  il  nous  semble  résulter  qu'il  est  facile  de  faire  la  part 
de  ce  qu'ont  ajouté  les  auteurs  et  de  ce  qui  provient  du  texte 
persan,  et  cette  dernière  partie  nous  paraît  être  très  utilisable. 
Elle  constitue  la  seule  biographie  de  Mahomet  un  peu  étendue 
qui  ait  été  traduite  en  français  et  on  peut  fort  bien  en  recom- 
mander la  lecture.  Si  au  lieu  de  vouloir  trop  faire,  MM.  L.  et  D. 
s'étaient  volontairement  bornés  à  nous  donner  une  traduction 
de  l'ouvrage  persan,  sans  commentaires,  ils  auraient  composé 
un  livre  précieux,  auquel  on  n'aurait  pu  reprocher  que  le  plus 
ou  moins  de  fidélité  delà  traduction.  Tel  qu'il  est  on  pourra 
encore  se  servir  de  leur  livre  comme  d'un  répertoire  utile  des 
principaux  faits  de  la  vie  du  Prophète  (i  >. 

Ajoutons  pour  finir  que  !e  style  de  la  traduction  e.^t  aisé  et 
que  l'exécution  typographique  ne  laisse  pas  à  désirer.  Les  au- 
teurs nous  annoncent  du  reste  un  troisième  volume  sur  les 
quatre  premiers  khalifes  et  «  une  étude  aussi  documentée 
que  possible  sur  les  sociétés  secrètes  et  les  sectes  religieuses 
dans  l'Islam  »,  sujet  qui  décidément  est  bien  à  la  mode. 

Le  deuxième  travail  sur  Mahomet  est  celui  de  M.  Spiro  (2)  : 
il  n'est  pas  encore  entre  nos  mains  à  l'époque  où  nous  écri- 
vons ces  lignes  et  nous  sommes  réduits  à  en  renvoyer  l'ana- 
lyse à  la  prochaine  chronique. 

On  annonce  l'apparition  prochaine  à  Leipzig  d'un  tra- 
vail sur  la  doctrine  de  Mahomet,  par  M.  0.  Pautz  (3).  — 
M.  Carra  de  Vaux  a  donné  un  article  sur  la  *  Légende  de 


(1)  Un  examen  plus  ap  irofon  U  du  livre  auquel  nous  nous  sommes 
livrés  depuis  que  c  s  lignes  ont  été  écriies.  nous  fait  craindra  d'avoir 
émis  une  appréciation  iro])  favorable.  (Note  ajoutée  pendant  l'impression;. 

(2)  J.  Spiro,  Mohammed  et  le  Koran,  Montauban,  1897.  79  p. 

(.;j)  ().  Pavtz,  .Muhammad's  Lehre  von  den  Offenbarung  quellen- 
maessig  untersuc/it.  Cet  ouvrage  vient  de  paraître  al  nous  en  donnerons 
l'analyse  dans  la  prochaine  i.-hronique.  (Note  ajoutée  en  cours  d'impres- 
sion). 


BULLETIN   BIBLIOGRAPHIQUE    DE   L'ISLAM   MAGHRIBIN        51 

Baliirà  (1),  ce  soi-disant  moine  nestorien  qui  paraît  avoir  joué 
un  certain  rôle  aupn's  du  Prophète. 

Parmi  les  articles  parus  dans  le  *  recueil  puljlié  en  Dionneur 
de  feu  Alexandre  Kohut  (2),  nous  avons  à  signaler  ici  ceux  de 
M.  de  Gœje  qui  ne  croit  pas,  comme  Sprenger,  que  Mahomet  ait 
connu  une  bible  traduite  en  arabe,  et  celui  de  M.  Schreiner 
qui  rapporte  des  citations  d'auteurs  arabes  contenant  des 
traductions  de  versets  de  la  Bible  où  les  musulmans  voulaient 
trouver  l'annonce  de  la  venue  de  leur  Prophète.  Dans  le 
même  ordre  d'idées,  nous  trouvons  dans  VAsiatic  quaterly 
Review,  l'annonce  par  M.  Montet,  qui  en  tait  grand  cas,  d'un 
livre  de  M.  *  il.  B.  Smith  (3)  sur  l'influence  des  écritures 
saintes  sur  la  doctrine  musulmane  (4;. 

Le  très -intéressant  travail  de  M.  Theodor  Noeldeke  sur  quel- 
ques points  l'histoire  primitive  de  l'Islam  (5)  nous  a  été 
connu  trop  tard  pour  que  nous  puissions  en  donner  ici  l'ana- 
lyse détaillée  qu'il  mérite  ;  nous  demandons  la  permission  de 
ne  le  citer  que  pour  mémoire  et  d'en  renvoyer  aussi  le  compte- 
rendu  à  la  prochaine  chronique. 

Du  mémoire  de  M.  E.  Blochet(6;,  sur  l'histoire  religieuse  de 
l'Iran,  nous  ne  relevons,  dans  la  portion  parue,  que  le 
fragment  suivant  qui  intéresse  spécialement  le  point  de  vue 
auquel  nous  nous  plaçons  ici.  Il  s'agit  de  l'Imàm  caché,  et  le 
fragment  se  trouve  dans  le  paragraphe  intitulé:  1.  De  Vinfluerice 
de  la  religion  mazdéenne  sur  les  croijances  des  peuples  turcs 
(p.  33).  «  Il  est  certain,  dit  M.  Bl.,  qu'il  y  a  ici  une  adaptation 
musulmane  de  la  légende  Bahràm  Amâvand  (voir  E.  BloChet, 
Rev.  arch..  année  1896,  p.  189  et  Rev.  Hist.  Rel.,  1895,  Textes 
religieux  pehlvis).  Ce  qui  en  est  la  meilleure  preuve,  c'est  la  faci- 
lité avec  laquelle  beaucoup  de  Guèbres  de  Perse  ont  accepté  le 
Bàbisrae.  En  réalité,  le  Bâb  ne  prétend  point  être  autre  chose 
que  le  douzième  imâm  à  venir,  aussi  les  Guèbres  l'ont-ils  assi- 
milé facilement  à  Bahràm  Amâvand.  Cette  légende  se  retrouve 
dans  les  pays  iraniens  sous  d'autres  formes;  \e  Shâh-i-zendeh  ou 


(1)  G.vRRA  DE  Vaux  :  La  légende  de  Bahlrà  ou  «  Un  moine  chrétien 
auteur  du  Coran»,  in  Rev.  de  l'Or,  chrét.,   1897. 

Cl)  Semitic  studies  m  memory  of  Rov.  D'  .Vlexamier  Kohut,  editcd 
by  George  Alexander  Kohut,  with  portrait  and  memoir.  tierlin,  1897 
615  p.  (Journ.  Asiat  ,  9'  sér.,  t.  IX.  p.  'doS.) 

(3)  H.  B.  Smith  .•  The  Bible  and  Islam,  or  the  influence  of  the  old 
and  new  Testaments  on  the  religion  of  Muhammed,  being  the  Elu 
Lectures  for  1897.  Londres.  \S97.  (^lontm,  Quaterly  report  on  semitic 
studies  and  vrientalism  ia  .\siatic  qu  it.  Rec,  July  JS'JS,  p    121). 

(4)  Signalons  encore  :  H.  Hirschfeld,  Historical  aiïd  legendary 
controcersies  beticeen  Mohammed  and  theRabbis,  mJeio.quat  Rev., 
X,  p.  lU0-il6,  (juu  nous  ne  connaissons  pas. 

(h)  Theodor  Noeldeke,  Zur  tendenzioesen  Gestaltung  der  Urgeschi- 
chte  des  Islam's,  in  Zeitsch.  viorgenland.  Gesellsch.,  Bd  LIT,  Heft  I 
18')8.  lG-33. 

(6)  E.  Blochet,  Études  sur  l'histoire  reli(]ieuse  de  l'Iran,  m  Rev, 
Hist.  Rel.,  19'  année,  t.  XXXVIII,  n"  1,  juillet-août  1898. 


52       BULLETIN   BIBLIOGRAPHIQUE    DE   L' ISLAM   MAGHRIBIN 

«  roi  vivant  «  qui,  suivant  la  légende,  est  caché  au  fond  d  un 
puits  à  Samarcande,  n'est  encore,  évidemment,  qu'une  islami- 
sation de  Bahrâm  Amàvand  d. 

L'ouvrage  de  M.  Patton  siir  Ali'mad  ihn  H'anhal.  (1)  est  une 
biographie  très  soignée  de  l'imàm  Ah'med,  puisée  aux  sources 
originales  et  accompagnée  de  l'histoire  des  persécutions 
exercées  par  les  khalifes  qui  favorisaient  le  mo'tazilisme 
ou  rationalisme,  jusqu'à  Al  Wâtsiq,  à  l'époque  duquel 
les  hanbalites  commencèrent  à  respirer  et  de  persécutés 
devinrent  persécuteurs. 

Au  Congrès  des  orientalistes,  dans  la  section  des  langues  et 
archéologie  musulmanes,  M.  Bevan  a  longuement  discuté 
l'étymologie  du  mot  zendik  (^>yij  )  employé  souvent  dans  le 
sens  général  de  «  hérétique  ».  M.  Bevan  fait  venir  ce  mot 
de  l'araméen,  d'autres  savants  préfèrent  le  tirer  de  l'iranien. 
Faisons  remarquer  que  dans  le  langage  vulgaire  d'Alger  ,  =^>0-^J 

signifie  encore  vaurien,  tnanvaïs  sujet  ;  chose  plus  curieuse, 
ce  mot  sert  aussi  à  désigner  la  franc-maçonnerie  européenne. 
Les  Algériens  appellent  Xi  j.i;.1  v,_^L:e-^î  les  francs-maçons,  et 
leurs  loges  ai  j..'j.Ji  o-^c  Iç^ 

M.  Pérès  a  fait  au  Congrès  de  Carthage  une  communication 
sur  VOrigine  des  sectes  tnusulmancs  (2)  dont  le  titre  seul  est 
donné  sans  aucun  texte  dans  les  comptes-rendus  du  Congrès. 

Les  rapports  originels  de  l'islamisme  et  du  nestorianisme 
sont  connus  ;  à  ce  titre,  cette  dernière  religion  intéresse  plus 
ou  moins  l'histoire  de  l'Islam.  Nous  pouvons  donc  signaler  ici 
le  travail  de  M.  Ed.  Chavannes  sur  le  Nestorianisme  et 
l'inscription  de  Kara-Balgassoun  (3)  ;  c'est  d'autant  plus  le  cas 
que,  d'après  M.  Ch.,  il  n'est  nullement  certain  que  la  religion 
à  laquelle  se  rapporte  la  fameuse  inscription  ne  soit  pas  tout 
simplement  le  mahométisme.  —  M.  P.  Casanova  a  donné  dans 
le  Journal  asiatique  une  notice  très  importante  sur  un  manus- 
crit de  la  Bibliothèque  nationale,  rédigé  par  un  partisan  des 


(1)  W.  Patton,  Ah'mad  ihn  H'anbal  and  tha  Milina.  A  hiography 
of  the  hnâin  including  on  account  of  the  mohanimedan  inquisition 
called  the  Mi/i'na,  1  vol.  1897.  Leyde.  Nous  n'avons  pas  lu  l'ouvrage  de 
M,  Patton  et  nous  n'avons  vu  qu'au  dernier  moment,  1*^!  compte-rendu 
que  M,  René  Basset  en  a  donné  dans  la  Revue  de  l'Histoire  des  Religions, 
mais  nous  avons  eu  sous  les  yeux  le  compte-rendu  de  M.  Goidziher, 
paru  dans  le  l"  fascicule  du  Zeitsch.  f.  deutsch.  morgen  Gesellsch. 
M.  Goidziher,  tout  en  jujïeant  très  favorablement  l'œuvre  de  M.  Patton, 
propose  quelques  corrections  (p.  159).  Son  article  débute  par  des 
considérations  fort  intéressantes  sur  les  rapports  du  hanbalisrae  et  du 
walihabisme  (pp.    156-157). 

(2)  Perès  :  De  l'origine  de  certaines  sectes  fanatiques  musulmanes 
et  de  l'importation  en  Occident  de  quelques-unes  de  leurs  doctrines, 
inC.  R.  25°'°sess.  A.  F.  A.  S.  Impart.  Doc.  off.  et  Proc.-oerb.,-^.  246. 

(3)  Ed.  Chavannes  :  Le  nestorianisme  et  l'inscription  de  Kara- 
Balgassoun,  in  Journ.  Asiat.,  9=  sér.,  t.  IX,  1897,  pp.  43-81. 


BULLETIN   BIBLIOGRAPHIQUE   DE   L'ISLAM  MAGHRIBIN        53 

Assassins  (1)  ;  l'auteur  y  signale  des  ressemblances  frappantes 
entre  les  doctrines  des  Ismaïliens  et  celles  des  Frères  de 
kl  Pureté.  St.  Guyard  avait  déjà  indiqué  ce  point  de  vue,  mais 
M.  C.  va  plus  loin  et  pense  que  les  doctrines  Ismaïliennes  sont 
contenues  entièrement  dans  les  épîtres  des  Frères  de  la 
Pureté.  ({....  En  y  ajoutant  la  croyance  en  l'imâm  caché, 
jj.x-^-i]  jlfi^  ,  qui  doit  apparaître  un  jour  pour  établir  le 
bonheur  *  universel,  elle  réalisait  la  fusion  de  toutes  les 
doctrines  idéalistes,  du  messianisme  et  du  platonisme  ».... 
«  En  tout  cas,  on  peut  affirmer  que  les  Garmates  et  les  Assas- 
sins ont  été  profondément  calomniés  quand  ils  ont  été  accusés 
par  leurs  adversaires  d'athéisme  et  de  débauche  »  ....  «  La 
doctrine  apparaît  très  pure,  très  élevée,  très  simple  même  .... 
c'est  une  sorte  de  panthéisme  mécaniste  et  esthétique  ...., 
reposant  sur  l'harmonie  générale  de  toutes  les  parties  du 
monde,  harmonie  voulue  par  le  créateur  parce  qu'elle  est  la 
beauté  même  »  .  . . .  «  Nous  avons  là  un  exemple  ....  d'une 
doctrine  très  pure  et  très  élevée  en  théorie,  devenue  entre  les 
mains  des  fanatiques  et  des  ambitieux  une  source  d'actes 
monstrueux  et  méritant  l'infamie  qui  est  attachée  à  ce  nom 
historique  d'Assassins  ».  —  L'article  de  M.  Max  Van  Berchem 
sur  l'épigraphie  des  Assassins  de  Syrie  (1)  est  fort  important 
pour  l'histoire  de  la  secte  en  Syrie,  mais  est  d'un  intérêt  trop 
étranger  à  notre  programme  pour  pouvoir  être  analysé  ici.  — 
Il  en  est  de  même  de  l'article  de  M.  Dovéria  sur  les  musulmans 
et  les  manichéens  chinois  (3j. 

Le  livre  de  M.  Muir,  *  Àlohanimedan  controversy  etc.,  (4), 
est  la  réunion  en  un  volume  d'un  certain  nombre  d'articles 
déjà  anciens  sur  la  controverse  musulmane,  les  biographies 
de  Mahomet,  les  sources  de  la  Tradition,  etc..  Gertains  de  ces 
articles  ont  un  demi-siècle  d'existence. 

Le  livre  de  M.  Arendzen  (5),  sur  le  Culte  des  images  * 
(traduction  d'Abou  Korra),   est  une  dissertation  inaugurale. 


(1)  P.  Casanova  :  Sotice  .sur  un  manuscrit  de  la  secte  des  Assassins, 
in  Journ.  Asiat.,  0'  sér.,  t.  XI,  n°  1,  1808,  p.  [51  seq.  —  A  propos  de  ce 
travail,  notre  savant  maitre,  M.  René  Bas-;et,  nous  a  fait  remarquer  qu'on 
avait  parfois  confondu  l'ouvrage  des  Frères  de  Basra  avec  l'œuvre  de 
Maslamali    el    Madjriti    (de   Madrid),    qui   est  souvent  aussi  intitulée  : 

■  ■^      vV^^    '^i   *V  ^'  y  ^  ^^  ^^^  source  d'équivoques  qu'il  importe  de 
signaler. 

(2J  Max  Van  Berchem  ;  Epigrap/iie  des  Assassins  de  Syrie,  in 
Journ.  Asiat.,  fX°  sér.,  t.  IX,  n"  3,  mai-juin  1897.  Cet  article  est  le  déve- 
loppement d'une  note  parue  dans  C.  R.  Ac.  Inscrip.  et  B.-L.,  1897, 
4»  sér.,  t.  XXV,  mars-avril,  p.  201. 

(!))  Devéria  :  Musulmans  et  Manicliéens  chinois,  in  Journ.  Asiat., 
9*  sér.,  t.  X,  p.  4'i5-484,  1897. 

(4)  W.  Muir:  Mohammedan  controversy,  biographies  of  Mohatn- 
niad,  Sprenger  on  tradition,  the  Indian  liturgy  and  the  psalter 
1  vol.   18!)7.  Londres.  '  • 

(ô)  Arendzen  ;  Theodori  Abu  Kurra  de  cidtu  imaginuni  libellus  e 
codice  arabica  nunc  primuin  editus,  latine  versus,  iilustratus. 
Bonnœ,  1897. 


54        BULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUE  DE  L'ISLAM  MAGHRIBIN 

qui  ne  peut  manquer  d'intérêt,  mais  dont  nous  n'avons  pas  eu 
connaissance  directement. 

On  trouvera  dans  les  Lexikalische  Studien  (1)  de  M.  Friedrich 
Schwally,  deux  articles  extrêmement  intéressants  à  propos 
des  mots  ïj-v./»  et  ^^à.^,  minàra  et  minhar  (  «  minaret  »  et 

«  chaire  »).  L'auteur  recherche  l'origine  des  minarets  en 
s'appuyantsurdes  arguments  d'ordre  linguistique.  Il  étudie  les 
rapports  du  minaret  avec  le  clocher  et  les  relations  qui  peuvent 
exister  entre  les  deux  principaux  mots  employés  en  arabe 
pour  désigner  le  minaret,  c'est-à-dire  5,là^  et  <..-^j^.  La  note  sur 

le  minhar,  sur  les  différentes  acceptions  du  mot  et  son  origine 
éthiopienne  n'est  pas  moins  intéressante.  L'auteur  signale  la 
ressemblance  frappante  des  mots  rr^^»  et  tnanubrium.  II  donne 
des  détails  sur  les  conditions  dans  lesquelles  furent  construits 
les  premiers  mlnbars  —  M.  Goldziher  a  donné  dans  la  Revue 
de  VHistoire  des  Religions  une  note  sur  le  sens  des  expressions 

i^îJJs  (ombre  de  Dieu)  et  ô^Î  Aç.i^  (khalife  de  Dieu)  (2). 
A.vec  son  incomparable  érudition,  le  savant  orientaliste 
recherche  l'origine  et  la  signitication  de  ces  locutions.  Il 
établit  que  la  première  doit  s'entendre  métaphoriquement  : 
omhre  équivaut  ici  à  lieu  de  refuge.  De  même,  c'est  à  tort 
que  l'on  traduit  khalifat  Allah  (  a^J'  Aç^i^.  )  par  «lieutenant 
de  Dieu  »  :  il  faut  comprendre  ici,  lieutenant  (du  prophète) 
établi  par  Dieu.  Le  génitif  de  &^i  a  ici  un  sens  subjectif 
comme  lorsque    l'on  dit   Jo  \    U»  dans  le  sens  de  «  meurtre 

commis  par  Zeid  »,  par  exemple  :  i — '  l_.I„3  -^--ij  S--'-^ — ^  — 

Le  même  auteur  a  donné  une  autre  note  sur  les  change- 
ments de  nom  dans  l'Islam  (3).  Ces  changements  paraissent 
avoir,  à  plusieurs  reprises,  préoccupé  le  législateur  religieux. 
Mahomet  changea  beaucoup  de  noms,  généralement  parce  qu'ils 
rappelaient  des  souvenirs  païens  ou  qu'ils  étaient  de  mauvais 

augure  ;  d'autre  fois,  sans  que  nous  en  apercevions  la  raison, 

_  (.  y  f  f 

(p.  ex.  ^"t_;  changé  en  y^\  y>;.=^  ou  en  v /.à.;  j  —   ^^r  changé  en 

ô.^3ij>..x  —  ♦-.xj  changé  en  <:-l^.  D'autres  fois,  il  pensait  que 
tel  nom  avait  quelque  chose  d  offensant  pour  la  majesté   de 


(1)  Friedrich  Schwally  :  Lexikalische  Studien.  in  Zeiisch.  d. 
deutsch.  morgenl.  Gesellsch..  LU.  Bd.  I  Heft.  1898,  n"  2l(5jU>>)  et  22 
(  f.vi./),  pp.  143-146  et  146-14S. 

(2)  GOLDZIHER  :  Du  sens  propre  des  expressions  «ombre  de  Dieu  », 
a  khalife  de  Dieu  »,  pour  désigner  tes  chefs  dans  l'Islam,  in  Rev.  Hist. 
Rel..  16"  année,  t.   X.XX.V,  n"  3.  mai-juin.  p.   33U  seq. 

(3)  Goldziher;  Gesetzliche  Bestimmungen  ùber  Kunia-Namen  im 
Islam  in  Zeitsch.  d.  deutsch.  morgenl.  Gesellsch.,  Ll  Bd,  2"  Heft,  pp. 
256-266. 


BULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUE  DE  L'ISLAM  MAGHRIBIN         55 

Dieu,  comme  lorsqu'il  changea  ^^  i,  qui  est  un  des  attributs 
d'AUâh,  en  ^^;  .  Ces  changements  n'étaient  pas  toujours 
acceptés  sans  résistance.  C'est  ainsi  qu'un  individu  appelé  ^  ^=v, 
nom  de  mauvais  augure,  ne  voulut  pas  troquer  ce  nom  contre 
celui  de  J-^--». 

Dans  les  premiers  temps  de  l'Islam  on  changea  presque  tous 
les  noms  théophores  qui  rappelaient  le  paganisme  ;  on  trouve 
cependant  le  nom  de  Hobal  jusqu'au  V<^  siècle  de  l'Hégire.  Les 
esclaves  recevaient  un  nom  nouveau  à  leur  affranchissement, 
même  quand  ils  avaient  déjà  un  nom  arabe.  Les  Berbères  eux- 
mêmes,  si  attachés  à  leurs  coutumes,  en  vinrent  à  altérer  leurs 
noms  dès  qu'ils  jouèrent  dans  l'Islam  un  rôle  politique  impor- 
tant. (Zeitsch.  d.  deutsch.  niorg  Gesellsch,  XLI.  p.  109). 

Dans  les  premiers  siècles  de  l'Hégire,  les  altérations  ne  por- 
taient pas  sur  le  nom  patronymique  ou  koiinia  (/^^•^  ).  Omar 
défendit  le  premier  l'usage  du  nom  de  Ahou'Isâ  (  ^-^.^^yî). 
M.  Gold.  cite  à  ce  propos  un  passage  de  la  glose  d'Al  Bâdjoûrî 
sur  les  Ghamaïl  de  Tirmidzî,  passage  qui  rapporte  que  le  nom 
d'Abou'lsà  est  blâmable  parce  que  le  prophète  dit  que  'Isa, 
c'est-à-dire  Jésus,  n'avait  pas  de  père,  a.'. /tV  ^^^    J.  Mais 

comme  Tirmidzi  lui-même  portait  ce  nom  d'Abou'lsà,  le  com- 
mentateur ajoute  que  la  détènse  du  Prophète  ne  visait  que  les 
premiers  temps  de  l'Islam  =='3:01  AjdL*^;c'î    Xc  oLxJl  J-ô-cst-  ^Sj 

Le  nom  d'Abou-1-Qàcem  avait  été  aussi  interdit  comme  étant 
un  kounia  du  Prophète,  pris  d'un  fils  mort  en  bas-âge,  et  les 
recueils  de  traditions  rapportent  un  hadits  suivant  lequel  le 

Prophète  aurait  dit:  >Lj.>o fy.'.io'  V  ^  ^^b'^<s*"V.  Actuelle- 
ment cependant  ce  kounia  est  répandu  dans  tout  le  monde 
musulman,  ce  qu'on  explique  en  disant  que  le  prophète  avait 
défendu  de  donner  à  la  lois  au  même  individu  son  Aj^f  et  son 
♦-.',  mais  non  de  les  donner  séparément.  Plus  tard  Al  R'azzàlî 
en  vint  à  dire  que  l'interdiction  ne  concernait  que  l'époque  du 
prophète  :  ^^->^i  J-- ■^'     **-^  ^j^^  =—•  ^^    .^  -ui*.''  J-? 

L'interdiction  de  la  forme  diminutive  dans  les  noms  (inter- 
diction qui,  du  reste,  ne  s'appliqua  jamais  aux  noms  consacrés 
par  l'usage,  comme  v--^  ou  bien  ^i>>^^^)  tenait  au  sens 
péjoratif  attaché  au  diminutif.  Abou  Tammâm,  p.  ex.  dans  des 


56         BULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUE  DE  l'iSLAM  MAGHRIBIN 

vers  satiriques,  dit  à  certain  Moûsâ  :  ,  w— ;_j-^  ' .  Il  en  fut  de 

même  pour  les  diminutifs  en    \  »  (oûn)  dont  M.  G.  cite  un  ou 
deux  exemples  (1). 

A  une  époque  assez  tardive,  on  restreignit  l'emploi  du  nom 
*^il,  Allah,  dans  les  noms  de  personnes,  en  dépit  de  Cor,,  sour. 
33,  V.  14,  qui  dit  :  U-^iT  I /i)  ^\  LyM  \j,kA  .^A'^  W}'^i 
«  6  croyants,  répétez  fréquemment  le  nom  de  Dieu  ».  Le  juris- 
consulte Abou  Bekr  Ach  Ghàchî  al  Kafïàl  (+  365)  qui  avait 
peut-être  subi  l'influence  des  livres  religieux  juifs  sous  ce 
rapport,  paraît  être  le  promoteur  de  cette  prescription. 

>'ous  devons  encore  à  la  plume  aussi  érudite  que  féconde 
du  savant  professeur  de  Buda-Pest  un  article  sur  le  Culte 
des  Saints  en  Egypte  (2)'^,  article  que  nous  n'avons  pu,  à  notre 
grand  regret,  nous  procurer  ici  et  un  article  sur  VAscétisjne 
dans  les  premiers  temps  de  V Islam  (3),  paru  encore  dans  la 
Revue  de  l'Histoire  des  Religions,  et  dont  voici  une  courte 
analyse  : 

Dans  les  premiers  temps  de  l'Islam,  il  y  eut  une  tendance  à 
l'ascétisme,  inspirée  surtout  par  l'exemple  des  moines  chré- 
tiens, car  le  Prophète  paraît  bien  avoir  toujours  été  hostile 
aux  mortifications  frahbàniya,  .^-^.'l>>j).  De  nombreux  hadits 
nous  ont  conservé  quelques-unes  des  pratiques  ascétiques  de 
ce  temps,  hadits  auxquels  on  ne  peut  qu'ajouter  foi,  car  ils  se 
terminent  régulièrement  par  une  condamnation  formelle  de 
ces  pratiques  par  le  Prophète.  Plus  tard,  lorsque  le  çoufisme 
eut  pris  définitivement  pied  dans  l'Islam,  on  découvrit  des 
hadîts  qui  permettaient  le  célibat  et  la  vie  anachorétique  deux 
cents  ans  ou  trois  cent  quatre-vingts  ans  après  l'Hégire.  Mais 
bien  avant  cette  époque  des  individus  pieux  avaient  été  portés 
à  l'ascétisme  et  s'étaient  livrés  aux  mortifications  habituelles 
aux  anachorètes  chrétiens.  M.  G.  cite  des  exemples  d'individus 
qui  se  faisaient  lier  les  membres  ;  d'autres  gardaient  volontai- 
rement le  célibat,  auquel  le  Prophète  semble  avoir  été  tout  à 
fait  hostile.  Dès  avant  l'Islam  on  faisait  vœu  de  faire  à  pied  le 
pèlerinage  à  la  Ka'ba  :  d'autres  se  faisaient  conduire  au  temple 
saint,  tirés  à  la  manière  des  chameaux,  au  moyen  d'une  corde 
attachée  à  un  anneau  passé  dans  leur  nez  ;  Mahomet,  d'après 
Al  Bokliâri,  coupa  de  sa  main  un  de  ces  licols.  Le 
vœu  du  silence,  probablement  imité  des  chrétiens,  semble 
avoir  été  déjà  connu  de  Mahomet  lui-même  :  c'est  du  moins 


(DM.  René  Bassetafaitremarquer  (/?eiv  Hist.  Rel..  19'ana  ,t.  XXXVII, 
w  1.  p.  HT),  que  ces  diminutifs  sont  très  nombreux  en  Occident;  Khal- 
doun,  Abdoun,  Zeïdoun,  Badroun,  Lebboun,  etc.,  et  un  féminin:  Naz- 
houn,  nom  d'une  poétesse  d'Espagne. 

(2)  GoLDZiHEB  :  Aus  dent  viohammedanische  Heiligenkuïtus  in 
Aegypîen,  in  Globus,  LXXI,  n"  1315,  p.  233-24U. 

(H)  GoLDZiHER  :  De  l'ascétisme  aux  premier.?  temps  de  l'Islam,  ia 
Rev.  Hist.  Rel.,  19«  aan.,  t.  XXXVIi,  n°  3,  mai-juin,  314-324. 


BULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUE  DE  l'ISLAM  MAGHRIBIN         57 

ce  qui  peut  ressortir  d'un  passage  du  Coran  (sour.  XIX,  v. 
27-30).  Les  préceptes  relatifs  au  silence  sont  en  général  rap 
portés  à  .lésus.  M.  G.  en  donne  des  exemples  intéressants 
empruntés  à  VlJiiâ-'onlonm-ad-din.  Le  Prophète  était  aussi 
hostile  au  \'œu  du  silence  qu'aux  autres  pratiques  ascétiques  : 
c'est  ce  qui  résulte  des  hadits  empruntés  par  l'auteur  à  Al 
Bokhàrî.  Une  nommée  Zaïnab  avait  fait  le  pèlerinage  sans 
rompre  le  silence  (.^"^.^>'  ^'-^)  :  Abou  Bekr  condamna  cette 
pratique  comme  étant  d'origine  païenne.'  Cependant  la 
taciturnité  est  devenue  une  vertu  célébrée  dans  les  recueils 
biographiques  comme  l'apanage  des  hommes  pieux.  L'épithète 
,^^.^.'i  J.^ ,  katsir-aç-çamt,  «  très- silencieux  »  leur  est  sou- 
vent donnée.  Toutefois,  le  silence  n'est  jamais  devenu  chez 
les  musulmans  la  règle  constitutionnelle  d'un  ordre  religieux. 
Les  rè;j;lements  des  confréries  mystiques  comme  les  Khalwa- 

tiya  prévoient  seulement  des  périodes  d'isolement  (5»i=>. 
khatica),  de  quarante  jours  par  exemple,  pendant  lesquels  ils 
ne  peuvent  proférer  que  le  Là  ilâha  illa  allah,  j^'  "^rj!^. 

Puisque  nous  en  sommes  sur  l'ascétisme,  mentionnons  ici 
la  Sn^e  édition  du  grand  ouvrage  de  M.  Zockler*  sur  l'ascétisme 
et  le  monach'isme  (i)  :  d'après  l'auteur,  bien  que  l'ascétisme  ait 
été  connu  dans  l'Inde  beaucoup  de  temps  avant  notre  ère, 
cependant  c'est  le  christianisme  qui  l'a  développé.  Quoique 
n'ayant  pas  eu  originellement  de  caractère  ascétique,  le  chris- 
tianisme.a^ organise  et  caractérisé  définitivement  l'ascétisme  et 
le  monachisme.  Quant  à  l'Islam,  l'ascétisme  n'y  serait  repré- 
senté que  p:ir  de  simples  privations  imposées  au  nom  des 
principes  religieux  et  les  associations  à  caractère  monacal 
qu'on  y  rencontre  seraient  imitées  du  christianisme.  (3n  voit  que 
dans  la  première  partie  de  cette  thèse,  l'auteur  n'est  peut-être 
pa3  tout  à  t;tit  en  parfaite  concordance  avec  M.  Goldziher. 

M.  Clavel  i  pubUé  une  étude  sur  la  tolérance  chez  les  musul 
mans  (2),  dans  laquelle  il  cherche  à  prouver  que  l'Islam  s'est 
montré  tout  aussi  "tolérant  que  le  christianisme  et  que  les  lois 
religieuses  Uiusulmanes  n'impliquent  pas  nécessairement  le 
fanatisme  que  l'on  reprx)che  au  sectateurs  de  la  religion  de 
Mahomet,  Nous  pensons,  en  ce  qui  nous  concerne,  que  poser 
la  question  en  termes  aussi  généraux  c'est  provoquer  des 
discussions  interajinables  et  peu  fécondes.  Aucune  religion 
n'est  nécessairement  intolérante  ;  tous  les  dogmes  sont  suscep- 
tibles d'évoluer,  et  d'autre  part,  le  monde  de  1  Islam  renferme 
tellement  de  races  dilférentes  que  les  généralisations  sont 
toujours  dangereuses  quand  il  s'agit  de  l'apprécier  en  bloc. 


(1)  0.  Zockler  :  Ashese  und  Mœnchtum,  zioeite  (janzlicli  veu 
bearbeitete  und  Mark  ver melirte  Auflar/e  der  Kritisdien  Gesr/iic/ite 
der  Askese.   1"  vol..  Frankf.  a.  M.,  VII 1-322  pp.,  18U7. 

(2)  Eug.  Clavel:  De  la  tolérance  clie:  les  iniisuhnans,  étude jihilo- 
sophique,  in  Un.  Islam-,  n"  2,  3,  i,  WM . 


58         BULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUE  DE  l'ISLAM  MAGHRIBIN 

Toutefois  l'étude  de  M.  Clavel  est  écrite  dans  un  esprit  de 
conciliation  remarquable  et  dont  on  doit  tenir  compte  à 
l'auteur  (1). 


IV.  —  SCIENCES  MUSULMANES 
Philosophie,  Théologie 

Les  diverses  parties  du  grand  travail  de  M.  Steinschneider 
sur  les  traductions  arabes  du  grec  avaient  paru  dans  différents 
périodiques  :  les  Virchoiv's  Archiv  fur  Pathologie,  le  Zeitsch. 
fur  Mathemat.,  \eZcxUch.  d.  deutsch.  mo>genl.  Gesellsch.  et  le 
Centralblatt  fur  Bibliotheksivescn.  Elles  ont  été  réunies  en  un 
volume  qui  a  paru  à  Leipzig  (2).  C'est  un  ouvrage  de  premier 
ordre  et  destiné  à  faire  époque.  —  M.  H.  Suter  a  cependant 
présenté  sur  cet  ouvrage  {deuxième  section  :  Mathématiques) 
une  série  d'observations  critiques  (3  .,  souvent  assez  vives, 
dont  il  pourra  évidemmen  têtre  utile  de  tenir  compte. —  Le  même 
auteur  a  publié  la  deuxième  édition  d'une  très  intéressante 
plaquette  (4)  oîi  l'on  trouvera  un  excellent  exposé  des  condi- 
tions dans  lesquelles  les  Arabes  ont  connu  et  traduit  les 
classiques  anciens  et  de  la  manière  dont  s'est  effectuée  par  leur 
intermédiaire  la  transmission  des  sciences  de  l'Orient  à 
l'Occident. 

On  pensait  jusqu'à  présent(Woepke)que  les  Arabes  n'avaient 
pas  pour  leur  calcul  algébrique  de  système  complet  de  notation  : 
leur  algèbre,  croyait-on,  était  surtout  discursive  et  parlée. 
M.  Salih  Zéky  Efendi  (5)  vient  de  découvrir  un  manuscrit  qui 
donne  une  notation  aussi  complète  que  possible.  ^4/.  Djahr  oua 
el-mouqâbala,  Al.« U.1  '  j  j.^4^! ,  s'effectuait  donc  dans  les  mêmes 
conditions  que  chez  nous,  a  Les  algébristes  arabes  ont,  il  est 


(1)  Signalons  ici,  sans  savoir  au  juste  à  la>|iielle  de  nos  divisions  ils  se 
rappoi't'.-nt,  les  deux  ouvrages  suivants  que  nous  n'avons  pas  pus  en  main  : 
Leonhardt  Otto  :  Mel.l.a-Pilger  in  MihicJiner  Neuef^te  NacJirichten, 
20  janvier  1897  ("ex  Orientalisah.  BihUor/.' —  Sir  R  .  F.  Hurton  ;  T/ie  Jeio^ 
t/ieGijpsy  ond  el  Islam,  8°.  Londres  (annoncé  z?i  T/ie  At/iemeicm,  ^atur- 
day,  Àpiil  16,  1898  —  List  ofneio  Hooks,  p.  501.) 

(2)  Mor.  Steinschneider  :  Die  arahischen  Ueberset:ungen  aus  dem 
Griechischen.  1  vol.,  Leipzig,  1897.  —'Cet  ouvrage  a  été  couronné  par 
l'Acadénnie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres  de  Paris. 

(3)  Heinrich  St'trr:  Bemerliungen z-u  Herrn  Steinsrlineiders  Ahhan- 
dlunçj  :  «  Die  arab.  Vehersetz.  aus  d.  Griedi.  ».  Zweiter  Ahsclmitt. 
Mathematik.,  in  Zeitsch.  d.  deutsch.  morg.  GeseJlscli.  LI  Bd,  III  Heft, 
p.  426-431. 

(4)  H.  Suter:  Die  Araber  nls  Vermittler  der  Wissenscbaften  und 
deren  Uebergang  rnn  Orient  in  den  Occident.  Vortrag,  Gehcdten  an 
der  .94.  laliresrersanunlunq  des  Vereins  sclnveiz.  Gyninasialle^  rer, 
in  Baden  am  30  Sejit.  J89i.'Zio.  Aufl.  1  brocli.,  32  pp.'  Aarau.  1897. 

(5)  Salih  Zéky  Efendi  :  Notation  algébrique  chez-  les  Orientaux,  in 
Journ.  Asiat.,  9»  sér.,  t.   XI,  n"  1,  janv.-fév.,  p.  35  seq. 


BULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUE  DE  L'ISLAM  MAGHRTBIN         59 

vrai,  imité  les  Grecs.  Mais  ils  ont  été  plus  loin  qu'eux.  Ils  ont 
enrichi  l'algèbre  tant  par  des  découvertes  importantes  que  par 
l'adoption  d'un  système  très  développé  de  notation  ».  — 
MM.  Beslhorn  et  Heiberg*  ont  continué  leur  édition  d'un 
commentaire  arabe  des  éléments  d'Euclide  (l),  d'après  un 
manuscrit  de  Leyde  (2). 

La  remarquable  traduction  de  la  Senoussia  donnée  par  M. 
Luciani  a  motivé  un  article  de  M.  G.  Delphin  (3j  dans  le  Jour- 
nal Asiatique.  Suivant  l'auteur  la  a.qidat-a&-çoughrâem^v\in\.e 
son  nom  à  un  terme  du  syllogisme,  parce  qu'elle  fait  suite  à 
la /îowb^'â  et  à  l'oHstô.  Dans  l'impossibilité  où  nous  sommée, 
vu  notre  manque  de  compétence  spéciale  d'analyser  ici  l'article 
du  savant  directeur  de  la  Médersa  d'Alger,  contentons-nous 
d'en  citer  ce  fragment  :  m  Si  dans  Senoussi,  on  retrouve  'ins- 
piration de  certains  passages  de  Platon  et  d'Aristote,  il  n'est 
guère  probable  qu'il  ait  bien  connu  ces  deux  philosophes 
dans  l'ensemble  de  leur  doctrine.  Ce  qu'il  y  a  de  plus  remar- 
quable chez  cet  auteur,  c'est  la  netteté  avec  laquelle  il  déve- 
loppe les  principaux  problèmes  théologiques  qui  agitaient 
l'Ecole.  Son  mérite  est  de  les  avoir  étudiés  avec  un  sens 
philosophique  inconstestable,  ne  s'en  tenant  point  seulement 
aux  mots,  comme  beaucoup  de  ses  contemporains.  Il  était,  du 
reste,  en  grand  progrès  sur  son  époque  et  c'est  faire  de  son 
livre  un  éloge  qui  a  sa  valeur  que  de  constater  qu'il  nous  a 
conduits  plusieurs  fois  au  seuil  de  la  philosophie  moderne.» 

Signalons  en  terminant  ce  paragraphe  les  variantes  que 
vient  de  donner  M.  Fausto  Lasinio  (4),  d'après  un  manuscrit 
de  Leyde  dont  il  n'avait  pas  eu  connaissance  en  1872,  à  son 
édition  du  Commentaire  d'Ibn  Rochd  sur  la  Poétique  d'Aris- 
tote (5).- 


(1)  Besthorn  et  J.  L.  Heiberg:  Codçc  Leideni^U  S99.  /.  Euclidis 
elementa  ex  interpretatione  al  Hadsclidsc/ia'lschii.  Kjobjnhavn,  Gy.- 
dendal. 

^2)  Signalons  ici  une  étude  sur  la  chimie  aralie  insérée  par  M.  Ber- 
THELOT  dans  son  livre  Science  et  Morale,  p.  416-45?  '  1  vol.  f^'.  518  pp., 
Pari.s.  1897).  étudt'  fort  inléressaute  à  raison  de  la  compétenc.i  spéciale  de 
l'auteur,  mais  dépourvue  d  ;  toutes  référfînc'^s  (renseignement  ajouté  en 
cours  d.'imprension). 

(3)  G.  Delphin  :  La  phUosojilde  du  Cheildi  Senoussi.  in  Journ  asiat 
9"  sér.,  t.  rx,  n"  2,  sepl.-oct.  1897. 

(4)  Fausto  Lasinio  :  Studj  sopra  Arerroe.  in  Ginrn.  délia  Sor. 
Asiat.  ital.,  vol.  X.I,  1807-I89.S    p.  141-1.^?. 

(5)  Voy.  infrà.  le  compd^-rendu  de  l'édition  (avec  traduclion')  que  \I. 
René  Basset  vient  de  <lonnerile  la  vrsion  arabe  du  Tahleau  de  Cchùs. 
(p.    1151. 


60        BULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUE  DE  L'ISLAM  MAGHRIBIN 


V.  —  DROIT  MUSULMAN 

Nos  orientalistes  n'ont  jusqu'ici  que  fort  peu  travaillé  les 

ouçoul  al  fiqh  (1)  (-^tz  H  J^^  î  ).  C"est  cependant  une  branche 
des  connaissances  musulmanes  qu'il  est  indispensable  de 
cultiver  si  l'on  veut  bien  comprendre  l'esprit  de  l'islamisme  et 
le  sens  de  son  évolution.  Aussi  les  orientalistes,  non  moins 
que  les  jurisconsultes,  accueilleront-ils  avec  faveur  l'article 
que  vient  de  donner  à  ce  sujet  M.  Snouck  Hurgronje  (2).  On 
n'avait  jusqu'ici  en  français  sur  ces  matières  qu'un  seul  ou- 
vrage étendu  :  nous  voulons  parler  de  la  Théorie  du  droit 
musulman  de  Sawas-Pacha,  ouvrage  intéressant,  mais  com- 
posé un  peu  en  dehors  des  règles  de  la  méthode  scientifique 
européenne. 

Un  compte-rendu  détaillé  en  fut  donné  en  1893  par 
M.  Ignace  Goldziher  dans  le  Byzantinische  Zeitschrift  (3), 
compte-rendu  dans  lequel  le  savant  orientaliste  relevait  un 
certain  nombre  d'imperfections  et  d'erreurs.  Sawas-Pacha 
n'accepta  point  les  reproches  de  M.  Goldziher  auquel  il 
répondit  par  un  mémoire  fort  aigre  (4).  L'article  de  M.  Snouck 
Hurgronje,  dont  nous  entretenons  nos  lecteurs  en  ce  moment, 
est  en  prin-cipe  une  réplique  à  Sawas-Pacha;  mais  à  ce  propos 
l'auteuf  a  méthodiquement  exposé  ses  idées  sur  les  fondements 
du  droit  musulman,  en  sorte  que  sous  couleur  de  critiquer 
Sawas-Pacha,  l'érudit  hollandais  nous  a  donné  un  mémoire  de 
fond  ;  car,  bien  qu'il  déclare  que  son  article  est  écrit  en  vue 
de  ceux  qui,  sans  s'occuper  spécialement  d'orientalisme, 
s'intéressent  à  l'évolution  de  l'Islamisme,  il  n'est  pas  douteux 
que  même  de  vieux  arabisants  trouvent  profit  à  le  lire. 

On  sait  que  les  quatre  sources  du  droit  musulman  sont  :  le 

Coran  (  \î  yS),  la  sounna  (  Aà^),  Vidjmâ'  (  9''^^)  et  le  qiyâs  (,  ^^.La). 

Au  sujet  du  Coran,  M.  Sn.  H.  rappelle  qu'il  a  déjà  établi  que 
primitivement  ce  mot  signifiait  «  récitation  »  et  non  pas 
«lecture».  Il  s'élève  avec  insistance  contre  l'erreur,  si 
répandue  ici,  dans  le  public,  que  les  cadis  musulmans  jugent 
d'après  le  Coran.  «  Il  est  vrai  que  de  tout  temps,  les  cadis  ont 


(1)  Il  se  prépare  en  ce  moment,  pour  paraître  dans  la  collection  d'ou- 
vrages arabes  à  l'usage  des  médersas.  une  traduction    d'un  des  traités 

d'ouçoul  les  plus  répandus,  le  si.j'Kc^J    ^ç^. 

(2)  Le  droit  musulman,  par  Snouck  Hurgronje,  in  Rev.  Hist.  ReL, 
19-  ann.,  t.  XXXVH,  n-  1-2,  p.  1  et  p.  165. 

(3)  Byzant.  Zeitsch.,  II,  1897,  pp.  317-325. 

(4)  Le  droit  musulman  expliqué.  Réponse  à  un  article  de  M.  Ignace 
Goldzitier,  par  Sawas-Pacha,  ancien  ministre  des  Affaires  étrangères 
de  Turquie.  Paris  1896. 


BULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUE  DE  l'ISLAM  MAGHRIBIN         61 

cité  des  passages  du  Coran,  mais  ils  ne  peuvent  les  utiliser 
que  sous  le  couvert  de  l'autorité  des  ouvrages  juridiques  par 
lesquels  ils  sont  liés  ;  tout  comme  un  théologien  catholique 
ne  pourra  dérivei'  des  Ecritures  les  loci  probantes  d'un  dogme 
qu'en  suivant  la  loi  de  l'Eglise  »  (p.  5  du  t.  à  p.) 

En  ce  qui  concerne  la  tradition,  l'auteur  insiste  bien  sur  ce 
point  que  les  h'adits  n'ont  aucune  valeur  comme  témoignages 
directs  de  la  vie  de  Mohammed  ;  on  doit,  comme  l'a  démontré 
M.  Goldziher  (i),  les  considérer  seulement  comme  l'exposé 
d'opinions  qui  régnaient  dans  tel  ou  tel  groupe  ou  école  (p.  8) 
Chaque  école  avait  ses  collections  de  traditions  et  la  grande 
autorité  qui  s'attache  à  quelques  recueils  vient  de  ce  qu'ils 
représentaient  les  doctrines  qui  peu  à  peu  avaient  reçu 
l'estampille  de  l'orthodoxie.  On  voit  par  là  combien  est  fausse 
cette  idée,  si  répandue  chez  les  orientalistes,  que  ce  fut 
l'abondance  et  la  dilfusion  des  matériaux  qui  déterminèrent 
quelques  traditionnistes  à  fixer  définitivement  la  soiinna.  La 
grande  autorité  qui  s'attache  aux  six  çaJiili  et  à  quelques 
autres  ouvrages  an-^.logues  n'a  pas  sa  source  dans  la  person- 
nalité de  leurs  auteurs:  elle  tient  seulement  aux  circonstances 
historiques  qui  tirent  triompher  les  doctrines  qu'ils  profes- 
saient (pp.  i2-l3). 

Les  pages  consacrées  à  ridjmâ'  par  M.  Sn.  H.  sont  des  plus 
intéressantes:  il  montre  comment,  lorsque  les  hérésies  et  le 
scepticisme  envahirent  l'Islam,  il  ne  suffit  plus  d'en  appeler  à 
h.  parole  de  Dieu  et  à  la  tradition.  Car  l'anthenlicilé  même 
de  ces  deux  sources  était  contestée  ;  comment  dans  ces  condi- 
tions garantir  l'authenticité  du  Coran  lui-même  ?  comment 
prouver  que  les  interprétations  qu'on  en  donnait  étaient  les 
bonnes?  pourquoi  les  hadits  n'auraient-ils  pas  été  rapportés 
inexactement  ou  expliqués  arbitrairement?  <■  De  même  que 
l'Eglise  catholif|ue,  cherchant  une  source  de  vérité  toujours 
accessible,  en  vint  à  se  déclarer  infaillible,  de  même  la  corn-* 
inunauté  musulmane  fut  amenée  à  se  déclarer  élevée  au-dessus 
de  toute  erreur  ».  En  réalité  l'Idjinà'  est  «l'axiome  fondamen- 
tal du  dogme  et  du  droit  dans  l'Islam  »  ;  seule,  elle  met  fin  au 
doute.  C'est  donc  à  tort  que  les  musulmans  cherchent  à  la 
légitimer  par  le  Coran  et  la  Sounna,  puisque  seule  elle  peut 
garantir  ce  même  Coran  et  <'-.(.'tte  même  Sounna  (pp.  15-16). 
Les  ouvrages  d'ourunt  la  définissent  :  «  l'unanimité  des  savants 
d'une  époque  déterminée  concernant  une  détermination  juri- 
dique »  (p.  24).  Nous  avons  dit  «  des  samints  »  ;  après  les 
quatre  premiers  khalifes  :  en  effet  les  Ibuqahâ  '^  .^^s)  s'oppo 

sèrent  de  plus  en  plus  aux  Oumarà  {^\  r.4).  Ceux-là  formèrent 
d'abord  de  nombreuses  écoles  (^_^^  '  ^^)  qui  se  réduisirent 
finalement  à  quatre,  en  somme  peu  différentes  les  unes  des 


(Ij  Dalis  le  11''  vol.  de.  Muhammedanisclie  Studien. 


62         BULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUE  DE  l'ISLAM  MAGHRIBIN 

autres  ;  encore  ces  différences  (c^.Ls  jl-'^wt)  sont-elles  données 
comme  nécessaires.  Le  désaccord  doit  exister  ;  un  h'adits  l'a 
prédit  ;  la  partialité  en  faveur  de  telle  ou  telle  des  quatre 
écoles,  ._.-~ajti',  est  blâmable.  Le  Mizâne  du  célèbre  Ech-Gha'rànî 
est  consacré  à  démontrer  que  les  quatre  ynadzhahs  sont  égale- 
ment vrais  et  se  complètent  pour  s'adapter  aux  divers  besoins 
des  sociétés  musulmanes. 

La  connaissance  du  droit  tel  qu'il  est  exposé  dans  les  ouvra- 
ges classiques  de  chaque  école  du  fiqh  est  la  base  de  toute 
instruction  musulmane  :  l'étude  du  Coran  et  de  la  Sounna  est 
accessoire.  Ainsi  pour  nos  malékites  africains,  l'étude  de  quel 
ques  traités,  parmi  lesquels  il  faut  placer  au  premier  rang  le 
Moukhtaçar  de  Khelîl  ben  Ishaq  est  fondamentale  :  aussi 
appellent-ils  toujours  celui-ci  Sidi  Khelîl,  par  respect. 

Quant  au  rpyds,  M.  Su.  H.  remarque  avec  beaucoup  de 
raison  qu'il  n'a  pas  sa  place  marquée  parmi  les  fondements  du 
droit.  Il  n'est  pas  autre  chose  que  la  logique  et  spécialement 
le  genre  d'induction  appelé  analogie,  appliqué  à  l'élude  des 
autres  sources.  Il  n'a  pas  plus  de  titre  à  être  un  açl-al-fiqh  que 
la  grammaire  par  exemple.  Pourquoi  donc  l'a-t-on  placé  sur 
le  même  rang  que  les  autres  ouçoiil  ?  c'est  simplement  un 
souvenir  des  luttes  violentes  que  se  livrèrent  entre  elles  les 
écoles  qui  défféraient  les  unes  des  autres  par  l'usage  plus  ou 
moins  grand  qu'elles  faisaient  du  raisonnement  analogique. 
Avec  autant  de  raison  on  aurait  pu  admettre  au  nombre  des 

fondements  du  droit  le  Rai  ( ^^j)  qui  n'est  autre  que  le  bon 
sens  appliqué  aux  cas  qui  se  trouvent  sans  analogues  dans  le 
Coran  ou  la  Sounna.  Il  eut  été  plus  rationnel  de  mettre  au 
nombre  des  sources,  la  'âda  (ï:>lc)  ou  'ourf  (^ ^j^),  c'est-à- 
dire  la  coutume.  Mais  quoique  admise  par  tous,  elle  ne  fut 
jamais  comptée  parmi  les  ouçoul  al  fiqh. 

La  fin  du  mémoire  de  M.  Sn.  H.  est  spécialement  consacrée 
à  critiquer  l'ouvrage  précité  de  Sawas-Pacha.  Le  savant  hollan- 
dais est  particulièrement  dur  pour  Tex-ministre  de  Turquie, 
mais  il  faut  avouer  que  ses  virulentes  critiques  portent  juste. 
Nous  n'avons  pas  à  les  analyser  :  notons  seulement  au  passage 
la  phrase  suivante  qui  semble  représenter  les  conclusions 
de  l'auteur,  conclusions  d'un  haut  intérêt,  puisqu'elle  émane 
d'un  orientaliste  de  premier  ordre  qui  a  passé  sa  vie  parmi 
les  musulmans,  depuis  ceux  du  Hidjaz  jusqu'cà  ceux  de 
rinsulinde  :  «  L'influence  de  la  loi  musulmane,  à  moins  de 
changements  politiques  tout  à  fait  imprévus,  sera  longtemps 
encore  très  grande  dans  le  domaine  pédagogique  ;  sur  le 
terrain  pratique  il  lui  faudra  reculer  devant  des  principes  dont 
elle  ne  peut  s'accommoder  sous  peine  de  se  transformer  de 
fond  en  comble.  De  plus,  à  la  longue,  dans  de  pareilles  condi- 
tions, le  zèle  pour  l'étude  de  la  loi  se  ralentira,  et  on  l'étudiera 
moins.  Provisoirement  pourtant,  les  rabbins  musulmans 
peuvent  dormir  tranquilles  de  ce  côté-là  »  (p.  M). 


BULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUE  DE  l'ISLAM  MAGHRIBIN         63 

La  Revue  Algérienne  et  Tunisienne  de  législation  et  de  juris- 
prudence est  avaiU  tout  un  journal  rapportant  la  jur'isprudence 
des  tribunaux  algériens  :  on  n'y  trouve  pas  les  contributions  à 
l'étude  du  droit"  musulman  qu'on  serait  autorisé  à  chercher 
dans  une  Revue  publiée  par  l'Fxole  Supérieure  de  Droit  d'Alger. 
Nous  ne  trouvons,  à  ce  point  de  vue,  que  trois  articles  à 
y  relever,  pour  la  période  qui  nous  occupe.  —  L'un  est  un 
mémoire  de  M.  Marcel  Morand  sur  l'autorité  de  la  chose  jugée 
en  droit  musulman  (1).  On  admettait  que  la  -maxime  tes 
judicata  pro  veritate  Juihetur  n'était  j  as  d'une  application 
générale  en  droit  musulman.  Dans  une  étude  très  serrée, 
M.  M.  M.  établit,  par  des  arguments  puisés  chez  les  juris- 
consultes arabes  et  accompagnés  de  toutes  les  références 
nécessaires  aux  textes  originaux,  que  la  présomption  de  vérité 
qui  s'attache  aux  jugements  rendus  en  matière  musulmane  est 
en  principe  définitive.  —  L'autre  article  est  une  deuxième 
étude  de  M.  Mercier  (2)  sur  le  hobovs  ou  ivaqf,  à  propos 
du  récent  ouvrage  de  M.  Clavel  (Le  ouahf  ou  hobous.  2  vol., 
Le  Caire,  1896)  Une  controverse  s'est  élevée  entre  ces  deux 
savants  au  sujet  de  la  théorie  du  hobous  ;  il  semble  bien  que 
M.  Mercier,  avec  sa  grande  pratique  des  textes  juridiques 
arabes,  ait. raison  sur  M.  Clavel,  mais  nous  ne  pouvons  analyser 
ici,  même  sommairement,  sou  article.  —  Le  troisième  article  est 
encore  une  étude  sur  le  hobous,  par  M.  Eyssautier  (3).  Ce 
nouveau  travail  est  consacré  à  élucider  la  question  suivante  : 
Le  liohous  est-il  frappé  de  caducité  au  préjudice  des  dévolutaires 
i7ttermédiaires  et  du  dévolutaire  définitif  par  Valiénation 
totale  ow  partielle  des  biens  ^reut's?  Contrairement  aux  conclu- 
sions de  M.  Mercier,  M.  E.  résout  la  question  négativement. — 
On  pourra  encore  lire,  comme  se  rattachant  à  cette  question 
des  hobous  la  note  signée  H.  B.  sur  la  réforme  de  la  législation 
des  biens  hobous  en  Tunisie  (4)  et  parue  dans  les  Questions 
diplomatiques  et  coloniales. 

On  lira  avec  intérêt  l'article  de  M.  Mercier  sur  la  bechâra(f)); 
l'auteur  y  fait  un  expbsé  clair  et  précis  de  cette  institution 
qu'il  compare  au  malandrinaggio  de  Sicile.  M.  Clavel  a 
retrouvé  dans  Diodore  de  Sicile  un  passage  relatif  à  la 
becbàra  qui  doit  être  du  reste  une  institution  aussi  vieille 
que  les  voleurs  eux-mêmes.  M.  Mercier  semble  penser,  et  avec 
raison,   que   la  jurisprudence    des    tribunaux    vis-à-vis   des 


(1)  M.  Morand  :  De  l'autoriti'  de  la  chose  jugée  en  droit  musulman, 
In  Rev .  AIq.  et  Tvn.  de  U'cj.  et  de  jurisp  ,  i;i'=  antj.,  189/.  oct.-no\  . 

(2)  Mercier  :  Deuxième  étude  sur  le  /lobous  ou  ouahf.  in  Rer.  Alg.  et 
Tun.  de  lég.  et  de  jurisp.,  13"  ann.,  aoùt-sept.  1^97,  p.  113  seq. 

(3)  Eyssautier:  La  propriété  foncière  en  Algérie  (le  liahous)  in 
Rev.  Alg.  et  Tun.  de  lég.  et  de  jurisp  ,  1898.  \t  ann..  p.  13-54  (ir-  de 
juin  et  de  juillet  . 

(  '0  H.  B.  :  La  réforme  de  la  législation  des  l)iens  /ujhous  en  'l'xmisie, 
in  Questions  dt/plomatiques  et  coloniales, 2"  ann.,  n"  311.  15  m.TÏ  1898,  p. 78. 
(5)  Mercier  :  La  BeclUir.i,  in  Union  Islamique,  n°  1,  1897,  p.  7. 


64        BULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUE  DE  L'ISLAM  MAGHRIBIN 

becchârs,  si  elle  sauvegarde  les  principes,  est  très  onéreuse 
pour  les  colons. 

Dans  sa  notice  sur  la  gestation  à  long  terme  (1)  en  droit 
musulman,  M.  Abdallah  ben  Caïd  A mor  a  étudié  au  point  de 
vue  scientitique  cette  disposition  de  droit  musulman  qui 
permet  de  considérer  l'enfant  comme  endormi  dans  le  sein  de 
sa  mère  et  de  porter  ainsi  légalement  la  durée  de  la  grossesse 
jusqu'à  quatre  et  même  cinq  ans.  M.  Abd.  s'est  appliqué,  en 
rappelant  surtout  les  faits  de  télégonie  bien  constatés,  à  démon- 
trer que  la  science  ne  contredisait  pas  nécessairement  cette 
disposition. 

A  part  ces  articles  de  revues,  nous  n'avons  à  citer  en  fran- 
çais, pour  la  période  que  nous  embrassons,  qu'un  seul  ouvrage 
d'érudition  sur  le  doit  musulman  (2).  Encore  n'est-il  pas 
l'œuvre  d'un  arabisant  algérien.  Il  paraît  que  ce  n'est  pas 
encore  une  vérité  banale  ici  que  ceux  qui  travaillent  spéciale- 
ment, par  goût  ou  par  profession,  le  droit  musulman,  doivent 
nécessairement  connaître  la  langue  arabe.  On  sourirait  de  celui 
qui  prétendrait  étudier  ou  enseigner  le  droit  romain,  s'il  ne 
connaissait  pas  le  latin;  quand  il  s'agit  d'arabe  tout  cela  est 
changé.  Aussi  sommes-nous  relativement  dépourvus  en  Algérie 
de  bons  ouvrages  sur  le  droit  musulman.  Une  des  parties  les 
plus  arides  et  les  plus  difficiles  de  celte  étude  est  certainement 
celle  qui  est  relative  aux  successions  ;  les  jurisconsultes  arabes 
en  ont  fait  en  quelque  sorte  une  science  à  part.  On  ne  peut  pas 
adresser  à  M.  Marçais  (3)  le  reproche  de  n'avoir  pa-  puisi'i  aux 
sources  pour  composer  son  ouvrage  sur  les  successions  musul- 
manes. Certes,  il  a  pu  tirer  un  grand  secdurs  des  ouvrages  de 
ses  prédécesseurs,  par  exemple,  du  beau  livre  de  M.  Luciani 
{Traité  des  Successions  musulmanes  oh  intestat,  Paris,  1890); 
mais  il  a  remonté  aux  sources  mêmes,  aux  commentaires  cora- 
niques, aux  recueils  de  traditions  et  à  leurs  commentateurs  ; 
il  a  fait  mieux,  il  a  recherché,  à  travers  tous  ces  textes,  quelle 
pouvait  être  lk)rigine  du  droit  successoral  musulman  dans  la 
coutume  antéislamique. 

La  première  partie  de  son  ouvrage  est  exclusivement  consa- 
crée à  cette  étude  (pp.  1-146)  qui  est  des  plus  intéressantes. 
Les  femmes,  aux  temps  de  la  Ai»-^  étaient  privées  de  droits 
successoraux,  sauf  la  mère  qui,  par  une  sorte  de  survivance 
de  l'époque  oii  le  matriarcat  était  le  régime  familial  des 
Bédouins,  avait  peut-être  quelques  droits.  L'auteur  incline 
aussi  à  considérer  l'mstilution  des  .^L:^ , "iV  .  .  3  (expression  que 


(1)  Abdallah  BEN  Gaïd  Amor  :  Essai  médico-légal  —  Les  gestations 
à  long  terme  et  le  droit  musulman,  v\   Union  Islamique,  1,  pp.  14-19. 

(2^  La  thès^e  de  M.  Sorbier  de  PouGnadoresse:  La  justice  française 
en  Tunisie,  1  vnl.  XXIV.  43i  p..  8',  Monipelliyr  1807.  nous  est  inconuue  ; 
peut-être  n'intéresse-t  e  le  pas  le  droit  musulman. 

(3)  W.  :Marçais:  De^  parents  et  alliés  successV îles  en  droit  musul- 
man. 1  vol-  8»,  195  p.  Rennes,  1898. 


BULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUE  DE  L'iSLAM  MAGHRIBIN         05 

nous  traduisons  liabituellement  par  cognais)  comme  un  ves- 
tige de  l'antique  matriarcat  arabe  Au  demeurant,  il  se  range 
à  l'avis  de  R.  Smith  et  pense  que  le  matriarcat  avait  à  peu 
près  complètement  disparu  au  VIP  siècle.  Chemm  faisant, 
M.  M.  donne  quelques  indications  sur  la  situation  morale  de 
la  femme  avant  l'Islam,  indications  qui  sont  des  plus  intéres- 
santes, Toutes  les  assertions  sont  accompagnées  de  références 
aux  textes  arabes  eux-mêmes. 

La  2e  et  la  3^  partie  du  livre  sont  consacrés  à  l'exposé  des 
règles  successorales  ;  on  n'attend  pas  que  nous  en  donnions 
ici  même  une  simple  analyse.  Disons  seulement  que  le  travail 
de  M.  M.,  écrit  dans  un  style  châtié  se  lit  aisément  et  qu'on 
est  heureux  de  trouver,  avec  l'exposé  de  la  doctrine,  le  détail 
de  sa  genèse  et  l'historique  des  etïorts  laits  par  les  juriscon- 
sultes pour  coordonner  en  un  système  plus  ou  moins  homo- 
gène les  règles  du  droit  successoral. 

On  souhaiterait  voir  paraître  souvent  en  Algérie  des  livres 
aussi  intéressants  que  celui  que  M.  J.  Ribera  a  consacré  à 
l'étude  des  origines  de  la.  justice  aragonnaise  (1).  Son  livre  est 
destiné  à  prouver  la  thèse  suivante  :  «  Que  la  justice  d'Aragon, 
comme  toute  l'organisation  judiciaire  de  ce  peuple,  procède, 
par  imitation  ou  par  copie,  de  l'organisation  judiciaire  des 
musulmans  d'Espagne  ».  L'ouvrage  est  précédé  d'une  préface 
de  M.  Fr.  Codera  ;  il  est  écrit  avec  une  grande  méthode  et  d'une 
lecture  fort  agréable.  C'est  la  réunion  de  six  conférences.  La 
première  est  consacrée  à  étudier  les  rapports  des  musulmans 
et  des  chrétiens  au  moment  de  la  domination  des  Béni  Houd  à 
S^ragosse  ;  c'était  une  cour  peu  dévote,  tout  envahie  par 
la  philosophie  et  le  rationnalisme  et  où  vivaient  des  savants 
qui,  comme  Avenpace,  étaient  un  objet  d'horreur  pour  un 
dévot  musulman  ;  des  traités  se  concluaient  entre  les  arabes  et 
les  chrétiens  ;  des  mariages  unissaient  des  princesses  chré- 
tiennes aux  sultans  mahométans.  Les  noms  des  poids,  des 
mesures,  des  monnaies  arabes  ont  passé  en  espagnol  ;  des 

mots  comme  hj^  (souq),  marché,  se  trouvent  dans  le  nom 

d'une  foule  de  rues,  places,  marchés  à  Alicante,  Tolède,  Valence, 
Saragosse.  L'organisation  des  armées  d'Aragon  elle-même, 
longtemps  regardée  comme  originale,  fut  copiée  de  celle  des 
Arabes  ;  l'auteur  l'établit  avec  un  grand  luxe  de  preuves. 

Dans  la  deuxième  conférence,  il  examine  successivement  les 
fonctions  administratives  et  judiciaires  dont  le  nom  a  passé  de 
l'arabe  en  espagnol  (voy.  entre  autres,  Valcalde,  p.  77  seq.), 
puis  il  recherche  quelle  peut  être  l'origine  de  la  justice 
aragonnaise  ;  après  une  discussion  serrée,  il  ne  trouve  pas  cette 
origine  dans  les  institutions  européennes  et  il  en  conclut  qu'il 
faut  la  chercher  dans  la  justice  arabe  des  musulmans  d'Espa- 


(I)  Julian  Ribera  :   Origenes  ciel  Justicia  de  Aragon,  t  vol.   Sara- 
3sse.  1897. 


gosse 


66         BULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUE  DE  L'ISLAM  MAGHRIBIN 

gne,  et  particulièrement  dans  celle  des  états  limitrophes  du 
royaume  espagnol  de  Saragosse. 

La  troisième  conférence  est  particulièrement  intéressante  : 
M.  J.  R.  y  établit  d'abord  l'existence  d'une  justice  musulmane 
et  indique  quelles  étaient  ses  raisons  d'être  et  sa  mission.  Mais 
cette  organisation  judiciaire  est-elle  d'origine  islamique  ?  non, 
les  premiers  khalifes  ne  l'ont  pas  connue,  non  plus  que 
l'Arabie  antéislamique.  Il  y  avait  à  côté  de  l'Arabie  un 
pays  qui  possédait  une  organisation  judiciaire  complète,  c'était 
la  Perse:  la  justice  arabe  fut  une  imitation  de  la  justice 
persane  (p.  125).  Ainsi  s'explique  qa'Ali  ait  été  le  premier 
khalife  qui  ait  jugé  les  auteurs  d'attentats.  L'organisation  ainsi 
copiée  de  la  Perse  s'étendit  à  tous  les  pays  musulmans,  entra 
en  Espagne  avec  les  Omeïades  et  s'y  implanta.  Or  la  justice 
d'Aragon  est  absolument  différente  par  son  organisation  et 
par  ses  caractère?  des  institutions  judiciaires  européennes  et 
d'autre  part,  elle  est  absolument  semblable  dans  ses  principaux 
traits  à  celle  des  Arabes  d'Espagne.  C'est  ce  que  Fauteur  établit 
avec  force  (p.  140). 

La  quatrième  conférence  est  employée  à  expliquer  que  la 
justice  aragonnaise,  telle  qu'on  la  connaît,  n'aurait  pu  prendre 
spontanément  naissance  dans  l' Aragon,  étant  donnée  la  situa- 
tion de  ce  pays.  Examinant  ensuite  les  différences  qui  existent 
entre  la  justice  arabe  et  la  justice  d'Aragon,  l'auteur  explique 
d'où  proviennent  ces  différences  dans  son  système.  Le  cin- 
quième chapitre  traite  de  questions  plus  générales  :  M.  .1.  R. 
y  expose  une  théorie  de  l'imitation  des  institutions  d'un  peu- 
ple par  un  autre  ;  il  continu  ^  dans  la  sixième  conférence  en 
formulant  les  conditions  générales  de  l'imitation.  Puis  il  appli- 
que les  lois  qu'il  vient  de  découvrir  ainsi  à  l'explication  de  la 
justice  aragonnaise  par  l'imitation  de  la  justice  musulmane. 
Les  pp.  301  à  330  sont  à  ce  point  de  vue  extrêmement  intéres- 
santes. 

Enfin  dans  la  septième  et  dernière  conférence  l'auteur  cher- 
che à  prouver  que  les  raisons  qu  il  a  données  d'une  façon  géné- 
rale pour  soutenir  sa  thèse  sont  aussi  concluantes  que  des 
témoignages  directs,  et  qu'un  document  même  d'Alphonse  le 
Batailleur,  déclarant  que  l'organisation  judiciaire  d'Aragon  fut 
empruntée  aux  Arabes,  n'ajouterait  rien  de  plus  à  sa  démons- 
tration. A  ce  propos,  l'auteur  se  lance  de  nouveau  dans  des 
considérations  fort  intéressantes  d'ailleurs,  sur  la  méthode 
historique  et  sur  le  témoignage  (p.  350).  Comme  on  le  voit, 
les  trois  dernières  conférences  dépassent  la  portée  première 
de  l'ouvrage.  Peut  être  y  a-t-il  là  un  léger  défaut  de  propor 
lions  dans  l'ensemble  ;  mais  le  lecteur  à  qui  ce  défaut  vaut 
d'intéressants  développements  sociologiques  serait  mal  venu 
à  s'en  plaindre.  Quant  à  ce  qui  est  de  la  thèse  de  l'auteur,  il 
serait  fort  téméraire  à  nous  de  prétendre  à  juger  ces  cosas  de 
Espana  par  nous-mêmes  ;  nous  ne  pouvons  que  nous  retran- 
cher derrière  l'avis  de  M.  Godera,  le  prince  des  orientalistes 


BULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUE  DE  L'ISLA.M  MAGHRIBIN         67 

espagnols,  qui  déclare  qu'elle  le  satisfait  entièrement.  L'ou- 
vrage de  M.  J.  R.  se  termine  par  un  appendice  où  figurent  des 
extraits  d'Al  Mawardi  (A^jlii^.'!   ^l^^sV),  une  étude  sur  les 

capitulations  aragonnaises  et  une  autre  sur  diverses  fonctions 
judiciaires  espagnoles  d'origine  arabe  (1). 

En  dehors  des  ouvrages  d'érudition,  nous  n'avons  plus  à 
citer,  en  ce  qui  concerne  le  droit  musulman,  que  la  traduction*, 
par  M.  J.  Abribat,  d'un  traité  de  notariat  publié  en  1875  par 
le  Cheikh  Mohammed  El-Touàti,  ouvrage  dont  nous  n'avons 
entendu  dire  que  du  bien  ('2),  et  le  Code  civil  musulman 
de  M.  V.  Meysonnasse  (3),  dans  lequel  l'auteur  a  cherché  à 
ranger  les  matières  du  droit  musulman  suivant  l'ordre  du  code 
civil  français.  Evidemment,  une  telle  méthode  a  le  défaut  irré- 
médiable d'empêcher  l'étudiant  de  se  rendre  compte  de  l'esprit 
général  du  droit  musulman  et  de  morceler  ce  qui,  pour  être 
entièrement  compris,  ne  saurait  être  divisé  ;  mais  au  point  de 
vue  pratique,  le  livre  pourra  être  fort  utile  à  ceux  qui,  con- 
naissant leur  code  civil  français,  voudront  retouver  rapide- 
ment les  dispositions  légales  correspondant  à  tel  ou  tel  article 
dans  le  droit  musulman. 


VI.  —  ISLAM  DANS  DIVERS  PAYS  MUSULMANS 
(non  compris  l'Afrique  Mineure)  (4) 

Dans  un  article  d'une  trentaine  de  pages,  M.  L.  de  Gonten- 
son  (5)  passe  en  revue  les  divers  pays  musulmans  et  étudie  la 
situation  de  chacun  deux,  ainsi  que  l'avenir  qui  leur  est 
réservé. 

Les  Turcs,  dit  M.  de  Contenson.  n'ont  jamais  été  que  des 
soldats  et  ne  paraissent  ])as  susceptibles  de  faire  autre  chose  ; 
les  Arabes  des  villes  de  la  Syrie  et  de  la  Mésopotamie  semblent 


(î)  Nous  aurions  désiré  vivement,  mais  nous  n'avons  pas  6u  Toccasioa 
de.  voir  l'article  suivant  :  Lith.  P.  A.,  Le  vecchie  leggi  comrnerciali 
d'Italia  imitano  forse  le  musulmane?  in  Atti  e  Mem.  d.  R.  Ace.  di  se. 
d.  '''adora,  XIII,   181)7,  pp.  :iSb-6il. 

(2)  Le  Cheikh  Mohammed  el  Bachiret-Touati  :  Recueil  de  notions 
de  droit  musulman  (rite  maléhi  et  rite  lianéfi)  et  d'actes  notariés, 
traduit  et  annoté  par  .J.  Abribat.  Tunis.  1897. 

(3)  V.  Meysonnasse  :  Code  ciril  musulman  suivant  le  cadre  du 
code  civil  français,  1  vol.  Paris,  1898. 

(4)  (Je  chapitre,  est  nécessairement  très  incomplet.  Il  comprend  surtout 
les  ouvrages  faits  en  français  ou  intéressant  indirectement  l'Afrique  du 
Nord.  Pour  une  énumérat'ion  plus  complète,  voir  VOrientalische  Biblio- 
graphie . 

{h)  L.  DE  Contenson:  Les  peuples  musulmans,  in  Le  Correspondant, 
10  mai  1897,  p.  442. 


68         BULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUE  DE  L'ISLAM  MAGHRIBIN 

plongés  dans  une  atmosphère  de  mort  et  d'insouciante  apathie  ; 
les  nomades  arabes  sont  restés  tels  qu'ils  étaient  à  l'origine  de 
l'Islam  et,  les  conditions  de  leur  vie  ne  paraissant  pas  devoir 
changer  de  sitôt  dans  leurs  déserts,  ils  resteront  probablement 
lo  igtemps  ce  qu'ils  sont  aujourd'hui  ;  en  Egypte,  les  idées 
européennes  ont  violemment  heurté  la  religion,  qui  ne  paraît 
pas  s'en  être  tirée  à  bon  compte  et  qui  ne  semble  pas  pouvoir 
résister  à  l'assaut  de  la  critique  et  du  libre  examen. 

Parlant  des  extraordinaires  progrès  de  l'Islam  au  Soudan, 
l'auteur  examine  la  valeur  de  la  thèse,  souvent  soutenue,  que 
notre  intérêt  nous  commande  de  favoriser  en  Afrique  le  déve- 
loppement du  mahométisme  ;  il  s'efforcj  de  prouver  que  cette 
thèse  n'est  pas  juste  et  cite  l'exemple  de  l'Algérie  où  la  religion 
creuse  entre  nous  et  les  indigènes  un  infranchissable  tossé. 
Remarquons  cependant  qu'il  resterait  à  prouver  que  les  nègres 
sont  comparables  aux  indigènes  algériens.  L'auteur  à  ce  propos 
se  demande  ce  que  deviendra  en  Algérie,  à  côté  de  l'élément 
colonisateur,  le  musulman  des  villes  ou  le  kabyle  des  campa- 
gnes, et  il  pose  la  question  sans  y  répondre.  Quatre  ou  cinq 
lignes  seulement  sont  consacrées  au  Maroc.  Il  n'y  a  pas  lieu  de 
croire,  selon  M.  de  C,  que  l'islamisme  arrivera  à  se  ressaisir 
dans  le  Turkestan  où  la  russification  est  menée  avec  suite 
et  énergie.  Le  mahométisme  hindou  pourrait  être  plus  redou- 
table pour  les  Anglais.  Mais  il  semble  impossible  que  les 
musulmans  chinois  arrivent  à  émerger  de  la  masse  des  Célestes. 
Aux  Indes  néerlandaises,  au  contraire,  les  musulmans  semblent 
faire  de  constants  progrès,  ainsi  qu'aux  Pbi'ippines  où  ils  ont 
mené  la  campagne  contre  les  Espagnols.  Mais  en  résumé  aucun 
peuple  musulman  ne  parait  à  l'auteur  capable  de  relever 
victorieusement  le  drapeau  de  l'Islam  ;  pqurra-t-il  y  avoir  une 
réforme  musulmane,  un  néo-mahométisme  renouvelant  les 
dogmes  surannés  du  Coran  ?  alors  au  lieu  d'être  un  obstacle 
au  progrès,  l'islamisme  y  ferait  au  contraire  participer  les 
millions  de  fidèles  qui  le  portent  si  profondément  gravé  dans 
leurs  cœurs.  Mais  l'auteur  laisse  au  lecteur  le  soin  de  répondre 
à  la  question.  Quant  à  la  conquête  matérielle  du  monde  de 
rislam,  elle  se  fera  tout  naturellement  par  l'armée  pacifique 
des  ingénieurs  et  des  capitalistes. 

Dans  [eur  Album  géograpliique  Çl),  MM.  Marcel  Dubois  et 
Camille  Guy  décrivent  tour  à  tour  les  pays  musulmans  depuis 
le  Congo  jusqu'à  l'insulinde.  Les  divers  types  de  ces  pays  sont 
représentés  par  des  gravures  judicieusement  choisies,  et  un 
certain  nombre  de  celles-ci  sont  intéressantes  à  notre  point  de 
vue  spécial  (centres  religieux,  missions  religieuses,  etc.)  A 
noter  cependant  que  la  gravure  de  la  pi.  16  ne  parait  pas  re- 
présenter la  Mecque  comme  l'indique  la  légend3,  mais  plutôt  un 
campement  de  quelque  endroit  sacré  des  environs.  La  même  lé- 


(1)  Marcel  Uubois  et  Camille  Guy  :  Album  géographique,  t.  II  ;  Les 
régions  tropicales,  [  vol.,  244  p.,  Paris,  1897. 


BULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUE  DE  L'ISLAM  MAGHRIBIN         69 

gende  dit  :  «  Bien  peu  d'Européens  ont  pu  atteindre  cette  ville 
sacrée  ;  M.  Courtellemonty  a  pénétré,  en  1895,  au  prix  de  mille 
dangers  ».  Du  moment  (juc  l'on  ne  citait  qu'un  des  voyageurs 
qui  a  pénétré  à  la  Mecque,  M.  Courtellemont  était  le  dernier  à 
choisir,  car  si  sa  relation  (1)  est  élégamment  écrite  et  char- 
mante à  lire  au  point  de  vue  impressionniste,  son  voyage  est 
certainement  celui  qui  a  le  moins  donné  de  résultats  scientifi- 
ques. La  VII*^  livraison  du  tome  III  de  VAlhum  géograpJiique 
(en  cours  de  puhlication)  contient  quelques  données  intéres- 
santes à  notre  point  de  vue  (Maroc).  Mais  pourquoi  écrire 
encore  les  Berbères  «  Cheul  »  (,p.  109)  ?  De  telles  altérations 
d'un  nom  très  usuel  ne  sont  pas  permises  aux  géographes  d'une 
nation  qui  possède  plus  de  la  moitié  de  l'Afrique  du  Nord. 
Hàtons-nous  de  dire  du  reste  que  ces  critiques  de  détail 
n'atteignent  pas  l'ensemble  de  l'œuvre  si  utile  de  MM.  M.  D. 
et  C.  G. 

M.  Rouhi  el  Khalidi  nous  a  donné  un  dénombrement  intéres  • 
sant  des  Musulmans  du  monde  entier  (2).  Malheureusement  il 
ne  nous  fait  pas  connaître  très  exactement  les  sources  aux- 
quelles il  a  puisé,  ce  qui  fait  que  l'on  hésite  un  peu  sur  le 
de-^ré  de  confiance  qu'il  convient  d'accorder  définitivement 
à  sa  statistique.  Voici  néanmoins  les  chiffres  adoptés  par  l'au- 
teur dans  sa  récapitulation  générale  : 

Europe 10.749.448 

.\sie 133.439.972 

Afrique  et  Océan  Indien 101 .031 .000 

Océanie 37.035.000 

Total 282.225.420 


Le  détail  de  ces  chifïres  ne  laisse  pas  que  d'être  intéressant. 
Observons  cependant  que  l'auteur  prend  pour  l'Algérie  le 
chiffre  de  3.500.00,  alors  que  le  recensement  de  1896,  connu  à 
l'époque  où  a  été  écrit  l'article,  a  donné  celui  de  3.764.076. 

M.  G.  B.  Pvossi  a  publié  ses  impressions  de  voyage  dans  l'Afri- 
que du  Nord,  l'Egypte  et  le  Yemen  (3).  En  ce  qui  concerne  la 
première  de  ces  régions,  l'auteur  n'a  fait  que  traverser  rapide- 
ment la  Tunisie  et  il  n'y  a  pas  grand  chose  à  relever  dans 
cette  partie  de  sa  relation.  Notons  seulement  des  appréciations 
comme  celle-ci,  toujours  flatteuses  pour  notre  amour-propre 


(1)  Gervais-Courtellemont  :  Mon  voyage  à  la  Mecque^  Paris,  1893. 

(2)  Rouhi  el  Khalidi  :  Statistique  de  l'univers  musulman,  in  Rev. 
de  l'Isl.,  2'  ann.,  1897,  p.  113.  —  L'époque  tardive  à  laquelle  nous  en 
avons  pris  conraissaiice,  nous  oblige  à  renvoyer  à  la  procliaine  chroni- 
que l'examen  du  travail,  beaucoup  plus  complet,  donné  par  M.  H.  Jansen 
sur  le  même  sujet,  (Verbreitunçi  des  Islams). 

(;<)  G  B.  Rossi  :  Nei  paesi  d'Islam,  in  Barberia,  in  Egitto,  il  Pelle- 
grino  d'Islam,  el  Yemen.  Impressioni  e  Ricordi.  1  vol.  Rocca  S. 
Casciano,  1897,  8,  236  pp.—  <.f  Rossi  :  El  Yemen  avanti  il  Profeta,  in 
Rassegn.  nationale,  Florence,  16  juillet  1897. 

8 


70         BULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUE  DE  l'ISLAM  MAGHRIBIN 

national  :  «  La  France  cherche  à  se  créer  ici  de  nouveaux 
Français  et  tout  fait  prévoir  qu'elle  y  réussira»  (p.  17,  il  s'agit 
de  Mehdia).  L'auteur  aurait  peut-être  mieux  fait  de  s'abstenir 
de  citations  arabes,  tellement  il  les  transcrit  d'une  façon  défec- 
tueuse et  incorrecte.  Qui  reconnaîtra  -^^j-,,  (J^^^  clans 
hescuni  arf  0X1  bien  ,  ^L  dans  Uiià  esc  ou  encore    ^t  ,^_QL±r-l^ 

dans  musc  /ro//"?  (p.  21).  La  partie  consacrée  au  pèlerinage  est 
celle  qui  offre  le  moindre  intérêt  :  on  y  trouve  un  exposé  des 
rites  du  :^  qui  n'a  rien  d'original.  La  partie  de  l'ouvrage  con- 
sacrée au  Yémen,  en  revanche,  est  à  retenir  :  l'auteiar  y  a 
effectué  un  séjour  en  1891,  lors  de  l'insurrection  qui  marqua  le 
début  de  la  guerre  turco-arabe.  On  y  trouve  quelques  détails 
à  noter  sur  la  culture  et  l'origine  du  café  (deux  légendes  à  ce 
sujet,  p.  159  et  p.  160),  sur  les  habitations  et  les  mosquées  de 
Sanàa  (p.  183  seq,  avec  une  gravure  intéressante)  et  enfin  un 
historique  de  la  guerre  à  laquelle  nous  avons  fait  allusion  plus 
haut. 

M.  de  Landberg  explore  l'Arabie  du  Sud  de  la  même  façon 
que  M.  Mouliéras  explore  le  Maroc  (1)  ;  placé  comme  celui-ci 
aux  portes  du  pays  qu'il  étudie,  c'est  d'Aden  qu'il  recueille  sur 
toute  la  région  méridionale  de  la  Péninsule  les  informations 
les  plus  minutieuses  et  les  plus  intéressantes.  Gomme  le  savant 
professeur  d'Oran,  c'est  à  la  source  même  que  M.  de  Landberg 
puise  les  trésors  de  renseignements  qu'il  livre  aux  orientalistes 
d'Europe  dans  ses  Arabica,  dont  le  n°  V  vient  de  paraître  (2)  ; 
c'est  aux  indigènes  qu'il  s'adresse  directement,  ce  sont  des 
négociants,  des  laboureurs,  de  simples  bédouins  qui  l'instrui- 
sent de  leurs  propres  mœurs  et  coutumes,  de  leur  histoire,  de 
la  configuration  de  leur  pays,  du  nombre  de  leurs  villages,  de 
l'organisation  de  leurs  tribus,  des  particularités  de  leurs 
dialectes.  Non  content  de  s'adresser  au  peuple,  l'auteur  est 
aussi  en  relations  avec  les  puissants  de  l'Arabie  ;  il  entretient 
une  correspondance  avec  les  petits  sultans  de  ces  pays. 
Comme  le  Maroc  Inconnu,  les  Arabica  ont  un  caractère 
presque  encyclopédique  et  ils  constituent  comme  celui-ci  une 
inépuisable   mine  de   renseignements  pour  le  géographe,  le 

linguiste,    le    folkeloriste,  l'historien Nous   voudrions 

analyser  ici  ce  V^  fascicule  des  Arabica,  mais  le  cadre  de  cette 
chronique  ne  nous  permet  pas  d'en  parler  plus  longuement  (3)  ; 
nous  tenions  seulement  à  signaler  le  rapport  qui  existe  entre 
la  méthode  de  travail  de  l'auteur  et  celle  de  M.  Mouliéras  ;  à  la 


(1)  Cf  p.  X. 

(2)  Comte  de  Landberg:  Arabica.  N"  V.,  1  vol  ,  320  pp.,  Leyde, 
1898  (Nous  devons  nos  remerciements  à  M.  René  Basset  qui  a  eu  l'obli- 
geance de  nous  prêter  cet  ouvrage). 

(3)  A  signaler  cependant  la  très  intéressante  note  sur  Quelques  ser- 
ments et  pratiques  sacramentelles  de  l'Arabie  qui  occupe  les  pp.  123 
à  176. 


BULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUE  DE  L'ISLAM  MAGHRIBIN         71 

condition  d'être  maniée  par  des  maîtres  comme  eux,  cette 
métliode  est  de  nature  à  rendre  à  la  science  les  plus  importants 
services.  —  Nous  ne  pouvons,  faute  de  l'avoir  eu  entre  les 
mains,  que  mentionner  le  voyage  en  Arabie*  de  M.  Hirschqui 
a  parcouru  le  ((  Mahraland  »  et  le  Hadramout  (1).  —  Sous  le 
titre  modeste  d' Excursions  au  Yémen  (2),  MM.  D.  Gharnay  et 
A.  Deflers  ont  publié  un  bon  voyage,  avec  d'intéressantes 
représentations  de  types  bédouins  et  de  paysages.  Leur  relation 
se  termine  par  des  considérations  sur  la  persistance,  chez  les 
musulmans  actuels,  de  l'architecture  antéislamique,  considé- 
rations qui  méritent  vivement  d'être  lues.  On  s'étonne  d'autre 
part  que  les  auteurs  qui  parlaient  l'arabe  traduisent  «  Marhàha  » 
par  :  «  .le  suis  votre  serviteur  ». 

On  sait  que  le  Sultan  de  Gonstantinople,  le  Chérif  du  Maroc 
et  l'Emir  de  Boukhara  prétendent  également  au  khalifat  ; 
mais  le  premier  est  celai  qui  est  reconnu  par  le  plus  grand 
nombre  de  croyants.  M.  Vambéry  ayant  dit  que  «  le  Sultan 
est  le  Commandeur  des  Croyants  et  que  sa  position  dans  l'Islam 
est  supérieure  à  celle  du  pape  dans  la  Chrétienté  »,  Nawàb 
Abdarrachid  Khàn  (3)  s'est  élevé  contre  cette  thèse  et  a  montré 
avec  raison  que  c'est  là  une  grande  exagération.  Le  sultaii  est 
le  défenseur  incontesté  de  la  foi,  mais  une  grande  partie  des 
musulmans,  sans  parler  des  chi'ites,  ne  le  reconnaissent  pas 
comme  khalifat  Allah  (^^Ji  'À:.A=^).  En  outre  sa  position  ne 
ressemble  en  rien  à  celle  du  pape. —  Sur  ce  sujet  de  la  légitimité 
du  khalifat  de  Gonstantinople,  on  lira  avec  beaucoup  d'intérêt, 
un  article  de  M.  Malcolm  Mac  GoU  sur  les  musulmans  de  l'Is- 
lam et  le  Sultan  (4).  Les  musulmans  de  l'Inde  ont  souvent 
reconnu  le  Sultan  comme,  khalife  et  l'auteur  se  préoccupe  des 
dangers  que  cet  état  d'esprit  pourrait  faire  courir  à  l'Angle- 
terre. Il  rappelle  l'hostilité  des  musulmans  sujets  russes  contre 
le  sultan  et  les  avantages  que  la  Russie  retira  de  cette  hostilité 
lors  de  sa  dernière  guerre  avec  la  Turquie. 

M.  Vambéry  adonné  un  article  (5)  sur  la  Situation  des  Turcs 
en  Europe,  article  dans  lequel  il  recherche  quelles  peuvent 
être  les  causes  du  déclin  de  la  Société  turque  :  ils  n'ont  pas  su 
assimiler  leurs  sujets  et  c'est  là,  conclut  l'auteur,  la  raison  de 
leur  décadence. 


(1)  L.  HiRSCH  :  Reisen  in  Sûd-Arabien,  Mahraland  und  Hadraynôut. 
Leyde.  1897. 

(2)  Désiré  Gharnay  et  A.  Deflers  :  Excursions  au  Yémen,  in  Tour 
du  Monde,  n°*  des  4  et  It  juin  1898  iiS  et  24).  —  Cf  DR  Soc.  de  Géog.  de 
Paris,  1897,  p.  413-416. 

Ci)  Nawab  Abdurrashid  Khan  :  Professor  Vambéry  on  the  Sultan, 
in  As.  quat.  Rev.,  III,   1897,  p.  43U. 

(4)  Malcolm  Mac  Cull  :  The  musulmans  of  India  and  the  Sultan, 
in  Conte mporary  Review,  février  1897,  p.  280-294. 

(5)  H.  Vambéry:  Die  Stellung  der  Turken  in  Europa,  in  Geoo. 
Ztitschr,,  1897,  III,  p.  249  seq. 


72         BULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUE  DE  L'ISLAM  MAGHRIBIN 

Nous  ne  saurions  naturellement  songer  un  seul  instant  ici  à 
donner  la  liste  même  très-écourtée  des  ouvrages  et  des  innom- 
brables articles  suscités  par  la  question  d'Orient,  les  massacres 
d'Arménie  (1),  les  troubles  de  Crète.  Mentionnons  seulement, 
comme  n'ayant  aucun  caractère  politique  et  comme  renfer- 
mant des  détails  intéressants,  la  note  de  M.  Ardaillon  sur  la 
répartition  des  musulmans  et  des  chrétiens  en  Crète  (2). 

C'est  seulement  par  une  analyse  du  Tour  du  Monde  que 
nous  avons  eu  connaissance  du  travail  de  M.  Hassert  sur  la 
Haute  Albanie  (3).  Nous  extrayons  de  cette  analyse  le  passage 
suivant  :  «  Les  Albanais  ne  sont  pas  tous  mahométans,  il  s'en 
faut  ;  et  même,  assure  le  D""  Hassert,  beaucoup  de  ceux  qui  se 
sont  convertis  à  l'islamisme,  restent  en  secret  catholiques. 
Mais  ce  christianisme  secret  ou  avoué  consiste  en  une  série 
de  pratiques  plus  païennes  qu'évangéliques  ». 

Le  livre  de  MM.  Avelot  et  de  la  Nézière  sur  le  Monténégro, 
la  Bosnie  et  l'Herzégovine  (4)  est  avant  tout  un  livre  de  tou- 
riste ;  on  y  glanera  quelques  détails  sur  les  musulmans  des 
pays  parcourus  par  les  auteurs  (5). 

Nous  ne  sommes  pas  depuis  assez  longtemps  à  Tombouctou 
pour  que  notre  nouvelle  possession  ait  été  l'oi'jel  de  travaux 
approfondis.  En  attendant  on  lira  avec  plaisir  le  livre  de  M. 
Félix  Dubois  sur  la  capitale  du  Soudan  ,6).  Ce  livre  s'adresse 
avant  tout  en  grand  public  :  il  se  lit  facilement  et  l'œil  est 
retenu  par  les  nombreuses  et  belles  gravures  qui  illustrent  le 
texte.  On  n'y  trouve  que  bien  peu  de  détails  sur  l'Islam  sou- 
danais. La  partie  la  plus  importante  du  livre  est  consacrée  à 
l'histoire  de  Dienné  et  du  royaume  des  Songhaïs.  L'auteur  in- 
siste beaucoup  sur  l'origine  égyptienne  de  ces  populations  et 
sur  les  survivances  de  cultes  égyptiens  qui  se  retrouveraient 
dans  leur  pratiques  religieuses  (p.  206).  La  plupart  des  détails 
historiques  donnés  par  l'auteur  sont,  dit-il,  tirés  du  Tarikh-es- 
Soûdân,  dont-il  s'est  procuré  une  bonne  copie  et  que  M, 
Hondas  vient  de  publier  (7).  M.  F.  D.  nous  parait  cependant 


(1)  Citons  seulement,  pour  donner  au  moins  une  référence  à  ce  sujet 
l'article  intitulé  :  La  question  arménienne,  les  nouveaux  massacres, 
les  conversions  forcées  à  l'Islam  etc.  in  Reo.  gen.  de  Droit  internat, 
public,  1897,  juillet-août,  n°  4,  p.  533-57"?.  L'tiistorien  de  l'Islam  y  trou- 
vera de  curieu.x  détails  et  un  bon  résumé  des  faits. 

(2)  Ardaillon  :  Répartition  des  chrétiens  et  des  musulmans  dans 
l'Ile  de  Crète,  in  Ann  de  Géog.,  VI,  1897.  pp.  255-Î57,  avec  c. 

(3)  Ha.ssert  :  La  Haute  Albanie  in  Verhandl.  d.  Gesellsc/i.  f.  Erdk. 
(analyse  in  Tour  du  Monde,  2  avril  1808,  A  travers  le  Monde,  p.  112, 
sans  autre  indication). 

(4)  H.  AvELOT  ET  G.  DE  LA  NÉZIÈRE  :  Monténégro,  Bosnie,  Herzé- 
govine. 1  vol.  248  pp.,  Paris. 

(5)  Nous  n'avons  pas  été  à  même  de  vérifier  si,  comme  c'est  probable, 
le  livre  de  M.  AuerbaCH,  Les  races  et  les  nationalités  en  Autriche- 
Hongrie,  1  vol.  1898,  Paris,  coutenait  des  détails  intéressant  les  popula- 
tions musulmanes. 

(6)  Félix-Dubois;  Tombouctou  la  Mystérieuse,  1  vol.,  Paris,  1897. 

(7)  Voy.  infrA,  p.  60. 


BULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUE  DE  L'iSLaM  MAGHRIBIN  73 

éprouver  pour  cet  ouvrage  un  enthousiasme  un  peu  excessif 
quand  il  dit  :  a  A  le  feuilleter,  on  goûte  par  moment  le  déli- 
cat régal  des  pages  d'Homère,  d'Hérodote  et  de  Froissart  » 
(p.  358 j. 

Ailleurs  il  dit  que  le  Tàrikh-es-Soûdân  a  été  pour  lui  «  un 
guide  charmeur  et  pittoresque  à  travers  le  Soudan  ».  On 
éprouve  cependant,  malgré  soi,  quelque  défiance  à  lire  ce  que 
l'auteur  en  a  extrait  quand  on  voit  la  façon  dont  il  défigure  les 
mots  arabes.  Est-ce  une  variété  de  prononciation  locale  qui 
est  cause  que  le  titre  du  livre  est  constamment  écrit  Tarik-é- 
Soudan  ?  (pp.  iC2,  351,  353,  etc.)  Nous  voulons  bien  croire 
avec  l'auteur  que  les  bibliothèques  soudaniennes  furent  jadis 
d'une  richesse  extraordinaire,  mais  l'énumération  des  pp.  326- 
327  n'est  guère  faite  pour  nous  en  donner  une  haute  idée  : 
le  Sahib  (sic)  de  Bokhâri,  le  Djané  (sic)  d'Es-Soyouti,  le 
Sabib  (sic)  de  Moslin  (sic),  VAlfiga  (sic),  les  Chenail  (sic)  de 
Tirmidzî,  Sidi-Khelil,  la  Eisala  d'Aboii  Zeid,  et,  comme 
ouvrages  de  littérature,  les  séances  de  Hariri  et  de  Hamadâni  ! 
Il  est  un  peu  téméraire,  en  s'appuyant  sur  cette  seule  énumé- 
ration,  de  dire  que  les  bibliothèques  de  Tombouctou 
comprenaient  presque  toute  la  littérature  arabe  (p.  327).  Les 
incorrections  qui  précèdent  doivent,  évidemment,  être  mises 
sur  le  compte  de  simples  coquilles;  mais  elles  sont  réellement 
un  peu  nouibreuses  et  un  peu  grosses  ;  p.  ex.,  p.  334  : 
«  L'étudiant  recevait  un  diplôme  nommé  adjaga  (sic)  ou 
licence  d'enseigner  ».  Ces  défectuosités  du  reste  n'empêchent 
pas  le  livre  d'être  un  excellent  ouvrage  de  vulgarisation  ; 
quant  aux  spécialistes,  ils, auraient  mieux  aimé  un  peu  moins 
d'érudition  et  un  peu  plus  d'observation. 

L'intéressante  notice  du  Commandant  de  Lartigue,  sur  les 
Maures  du  Sénégal  et  du  iSoudan  (1),  ne  contient  sur  la 
religion  que  quelq^ues  lignes  peu  importantes  (2)  —  Il  en  est 
de  même  du  livre  du  Commandant  Toutée  (3).  d'ailleurs  bien 
fait  et  intéressant  ;  on  n'y  trouve,  au  point  de  vue  qui  nous 
occupe,  que  quelques  maigres  observations  sur  le  caractère 
du  mahoméîisiiie  des  Noirs  (p.  ex.,  p.  65,  p.  101,  etc.)  — 
L'ouvrage  de  M.  E.  Hourst,  dans  lequel  l'auteur  a  raconté  son 
voyage  au  Soudan,  ne  contient  guère,  à  notre  point  de  vue 
spécial,  que  quelques  détails  qui  répètent  ce  que  Duveyrier 
nous  avait  déjà  appris  sur  les  Touareg  (4).  —  Entin,  M.  Saissy 
a  donné  un  court  article  de  vulgarisation  sur  le  fanatique  qui 


(1)  Commandant  R.  de  Lartigue  :  Notice  sur  les  Maures  du 
Sénégal  et  du  Soudan,  in  Renseign.  colon,  et  docum.,  publiés  par  le 
Com.  de  l'Afrique  franc.,  1897,  n°  3,  pp.  41-7'2. 

(2)  Voy.  infrà,  le  compte-rendu  du  travail  de  M.  Marcliand,  p.  78. 
<i)  Commandant  Toutée  :  Dahomé.  Niger,  Touareg,  N'oies  et  récits 

de  vogage,  1   vol.  37U  p.,  Paris. 

(4)  E.  Hourst  :  Sur  le  Niger  et  nxi  pays  rie."  Touareg,  1  vol.  XII 
—  479  pp.,  Paris  1898. 


74        BULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUE  DE  L'ISLAM  MAGHRIBIN 

gouverne  actuellement  le  Bornou  (1)  et  une  notice  plus 
étendue  a  été  publiée  par  M.  J.  Daunis  sur  le  même  sujet  (2). 
Signalons  encore,  pour  mémoire,  et,  comme  échappant  un 
peu  à  notre  cadre,  les  souvenirs  de  M.  Cl.  Huart*  sur  la  ville 
de  Konia  (3). 


VII.  —  L'ISLAMISME  ET  LE  CHRISTIANISME 
(Mission,  Réforme) 

Les  Principes  de  colonisation  (4),  de  M.  de  Lanessan,  sont 
un  livre  intéressant,  auquel  la  renommée  de  l'auteur,  à  la  fois 
naturaliste  et  homme  politique,  professeur  à  la  Faculté  de 
médecine  de  Paris,  puis  Gouverneur  général  de  l'Indo-Chine. 
donne  une  haute  portée.  Bien  que,  dans  son  ensemble,  il  ne  se 
rapporte  pas  directement  à  notre  sujet,  cependant  on  lira  avec 
fruit  le  chapitre  V,  intitulé  :  «  De  la  conduite  à  tenir  envers 
les  indigènes  au  point  de  vue  du  respect  des  personnes, 
des  propriétés,  de  la  religion,  des  mœurs  et  des  coutumes 
sociales  »,  On  y  verra  un  remarquable  exposé  des  raisons  qui, 
d'après  l'auteur,  rendent  les  missions  catholiques  moins 
profitables  à  leur  métropole  que  les  missions  protestantes. 
Les  catholiques  recrutent  surtout  leurs  adhérents  dans  les 
classes  pauvres,  les  protestants  dans  les  classes  supérieures. 
Les  catholiques  apprennent  avant  toutes  choses  aux  indigènes 
le  latin,  et  se  préoccupent  peu  de  leur  enseigner  le  français  ; 
les  protestants  n'enseignent  que  leur  propre  langue  nationale. 
Les  catholiques  donnent  de  sublimes  exemples  d'humilité, 
vivent  de  la  vie,  souvent  misérable,  des  indigènes  ;  renonçant 
à  tout  retour  dans  leur  patrie,  ils  s'assimilent,  pour  ainsi  dire, 
à  ces  indigènes,  n'ayant  pour  unique  but  que  de  leur  commu- 
niquer leur  foi  ;  les  protestants,  au  contraire,  cherchent  à 
les  amener  à  leur  civilisation.  D'ailleurs,  d'une  façon  générale, 
M.  de  Lanessan  est  opposé  à  la  mission  chez  les  peuples  en 
partie  civilisés  et  attachés  à  leur  religion,  ce  qui  est  le  cas 
de  l'Algérie.  Bien  que  n'ayant  pas  été  écrites  en  vue  de 
l'Afrique  du  Nord,  ces  pages  sont  cependant  fort  instructives 
pour  tous  ceux  qui  s'intéressent  à  nos  questions  indigènes. 

M.  Goldziher  ne  paraît  pas  croire  à  la  possibilité  d'évangéliser 
les  musulmans,   si  l'on  s'en  tient  au  titre  de  l'article   qu'il 


(1)  A.    Saissy  ;    L'énigme   africaine.    Rahah,   in  Vie  alg.  et  tun., 
1897,  p.  52. 

(2)  J.    Daunis  .    Un    conquérant   soudanais,    in   Rev.    de    Paris, 
15  janvier  1897. 

(3)  Cl.  Huart  :  Konia,  la  ville  des  derviches  tourneurs,  Soxivenirs 
d'un  voyage  en  Asie-Mineure.  Paris,  1897. 

(4;  G.-L.     DE     Lanessan  :     Principes    de     colonisation,    1     vol. 
280  p.,  Paris,  1897. 


BULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUE  DE  L'ISLAM  MAGHRIBIN         75 

a  publié  sur  la  résistance  de  l'Islam  à  l'influencé  chrétienne  * 
et  que  nous  n'avons  pu  nous  procurer  ici  (1). 

Il  n'en  est  pas  de  même  de  M.  Schreiber,  dont  l'article  sur 
«  l'Islam  et  la  mission  évangélique  »  (2)  est  la  reproduction 
d'une  conférence  qu'il  avait  faite  à  Halle.  M.  Schr.  commence 
par  remarquer  que  l'œuvre  des  missions  chrétiennes  est  beau- 
coup moins  avancée  chez  les  peuples  musulmans  que  chez  les 
autres,  à  cause  de  l'obstacle  que  mettent  les  gouvernements  à 
la  conversion  de  leurs  sujets.  La  religion  musulmane,  continue- 
t-il,  est  du  reste  la  seule  religion  avec  le  christianisme,  qui 
prétende  à  être  universelle  (p.  2  du  t.  à  p.)  C'est  aussi  la  seule 
actuellement,  en  dehors  du  christianisme,  qui  fasse  des  progrès. 
Examinant  ensuite  la  thèse  d'après  laquelle  l'Islam  pourrait 
être  considéré  comme  une  religion  aplanissant  les  voies  au 
christianisme,  thèse  brillamment  soutenue  chez  nous  par 
M,  de  Castries  (3),  M.  Schr.  la  combat  vivement  (pp.  2-7)  Sans 
doute,  dit-il,  l'Islamisme  est  encore  la  meilleure  religion  pour 
ceux  qui  ne  connaissent  pas  la  religion  chrétienne,  mais  elle 
ne  peut  soutenir  la  comparaison  avec  cette  dernière.  Et  il  se 
met  aussitôt  à  reprocher  à  l'Islam  sa  sécheresse,  son  manque 
d'amour,  son  fatalisme,  les  mœurs  relâchées  et  la  cruauté  du 
Prophète,  le  fanatisme  qui  vient  de  causer  les  épouvantables 
boucheries  d'Arménie,  le  manque  de  charité.  Il  représente 
le  mahométisme  comme  inapte  à  évoluer  et  signale  éga- 
lement les  obstacles  qu'oppose  à  sa  propagation  le  fait  que  la 
langue  liturgique  est  nécessairement  l'arabe.  Il  faut  voir, 
suivant  l'auieur,  dans  l'Islam  l'ennemi  juré  et  irréconciliable 
de  la  chrétienté,  une  religion  fanatique  et  incapable  d'aucune 
tolérance  (p.  8).  Les  peuples  qui  ont  embrassé  l'Islam  sont 
d'une  moralité  inférieure  ;  leur  cruauté  et  leur  manque  de 
bonne  foi  sont  passés  en  proverbe  Gomme  programme  d'action, 
M.  Schr.  déclare  (p.  10)  que  la  mission  doit  se  proposer  deux 
objectifs  :  l"  prévenir  l'Islam  là  où  il  fait  des  progrès  parmi  les 
peuples  pa'iens  ;  2'^  ailleurs  le  combattre,  l'évangile  en  main, 
beaucoup  plus  énergiquement  qu'on  a  fait  jusqu'ici. 

L'auteur  jette  ensuite  un  coup  d'œil  sur  la  situation  de  la 
mission  évangélique  dans  chacun  des  pays  de  l'Islam  ;  nous  ne 
pouvons  le  suivre  dans  cette  revue.  Indiquons  seulement  ce 
qu'il  rapporte  au  sujet  de  l'Afrique  du  Nord  ;  «  A  Tunis  et  à 
Alger,  déclare -t-il  en  substance,  des  missions  anglaises  tra- 
vaillent, mais  les  résultats  sont  à  peine  sensibles,  quoique  les 
convertis  ne  courent  aucun  risque  sous  la  domination  fran- 
çaise »  (p.  11).  Il  y  a  quelques  détails  intéressant  à  propos  de 


(1)  GOLDZiHER  ;  Die  Ujizur/aenglichkeit  des  Islams  fur  christliche, 
Einflûsse.  Warte  des  Tempels,  LU,  p.  389  seq. 

(2)  A.  Schreiber  :  Der  Islam  und  die erangelische  Mission^Vortrag 
gehalten  auf  der  Prnrinzial-Missions-Konfertnz  in  Halle,  \n  Allf/. 
Missions-Zeitschrift,  XXIV   pp.  145-150  et  t.  à  p.,  Berlin,  1897. 

Ci)  L'Islam,  impressions  et  études,  1  vol.,  Paris,  1896. 


76         BULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUE  DE  L'ISLA.M  MAGHRIBIN 

l'Inde  et  de  l'Insulinde.  L'article  se  termine  par  des  considé- 
rations sur  la  politique  du  Sultan  de  Constantinople  et  les 
massacres  arméniens. 

La  note  de  M.  Fr.  Zeller  sur  l'Islam  (1),  dans  ses  rapports 
avec  la  chrétienté*,  est  probablement  conçue  dans  le  même 
esprit  de  prosélytisme. 

Nous  aurions  été  plus  curieux  encore  de  lire  le  travail  de 
M.  Schneider  (2)  sur  les  kabyles  et  le  christianisme  *  ;  on  sait 
en  effet  combien,  pendant  ces  dernières  années  les  agisse- 
ments des  missions  protestantes  anglaises  en  Kabylie  ont,  à  juste 
titre,  préoccupé  le  Gouvernement  français.  La  presse  quoti- 
dienne a  rempli  à  ce  sujet  pendant  de  longs  mois  d'innombrables 
colonnes  :  M.  Saint-Germain,  alors  député  d'Oran,  s'était  fait 
le  promoteur  de  la  campagne  contre  les  missions  protestantes 
et  il  a  donné  dans  la  Vie  Algérienne  et  Tunisienne  un  article 
qu'on  lira  avec  intérêt  (3). 

Si  les  missions  chrétiennes  cherchent  à  convertir  les  musul- 
mans, ceux-ci  d'autre  part  n'ont  pas  cessé  de  faire  du  prosély- 
tisme. Bien  mieux,  dans  ces  derniers  temps,  on  a  vu  chez  les 
nations  d'occident  des  groupes  d'individus  se  jeter  dans  l'isla- 
misme, soit  par  pur  dilettantisme,  soit  par  l'instinctif  besoin  de 
se  raccrocher  à  une  foi  quelconque  au  moment  où  toutes  les 
croyances  sombrent  et  où  toutes  les  certitudes  semblent  préci- 
pitées dans  l'abîme  des  contingences.  M.  Lucien  Heudebert  nous 
donne  quelques  détails  sur  le  groupe  des  néo-musulmans  de 
Liverpool  (4).  Il  y  a  là-bas  une  mosquée  et  plusieurs  centaines 
de  fidèles  dont  le  chef,  M.  Quilliam,  s'intitule  cheikh  el  Islam 
des  Iles  Britanniques.  Ce  dernier  est  même  l'auteur  d'un  ou- 
vrage d'apologétique  musulmane  traduit  en  arabe  et  imprimé  au 
Caire,  dont  nous  donnons  le  titre  en  note  (5).  A  Paris,  où  il  y  a 
déjà  une  colonie  musulmane  assez  importante,  et  où  il  y  aura 


(1)  Friedr.  Zelleb  ;  Der  Islam  in  s.  Verhaeltn.  z.  Christentum,  in 
Christl.  Orient,  I,  pp.  1U8-1U9. 

(T)  Voir  Die  Kabylen  und  das  Christentum  (anonyme?)  in  Glohus, 
LXXI,  p.  36i,  (nacïi  Schneider,  Cbl.  f.  d.  ges.  kath.  Missionsthaetiq- 
keit  in  AfriLa,  1897,  p    143). 

(3)  De  Saint-Germain  :  Ces  bons  ctranqers,  in  Vie  alq.  et  tun..  1897, 
p.  19. 

(4)  Lucien  Heudebert  :  L'Islam,  en  Angleterre,  in  Rei\  de  l'Islam 
3'  ann.,  n-  17.  1898.  p.  28. 

(5)  Ljjî  rUIc  O'loL^^j.5'3  ^c  ^J\^i^_^iJS'  ji^^Im.^  5j.^i;tJ| 

y  '^A^V  9   \(-\ù   A.v«,   Jjjf   J<xS   L-te-X^  J,l*) 


BULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUE  DE  L'ISLAM  MAGHRIBIN         77 

bientôt  une  mosquée  (i),  on  dit  que  quelques  français  ont 
adhéré  à  la  rtîligion  du  Prophète.  Parmi  ceux  de  nos  compa- 
triotes qui  ont  embrassé  la  religion  d'Allah,  il  faut  mettre  au 
premier  rang  le  député  Grenier  dont  les  faits  et  gestes  ont, 
pendant  de  longs  mois,  défrayé  la  chronique  des  journaux 
quotidiens  ;  il  s  est  surtout  distingué  par  l'ardeur  de  ses  con- 
victions et  l'enthousiasme  avec  lequel  il  les  manifestait.  La 
Revue  de  l'Islam  rendant  compte  d'une  réunion  de  musul- 
mans qui  eut  lieu  à  Paris,  sous  la  présidence  du  député  de 
Pontarlier  (2),  donnait  ce  détail  assez  piquant  :  «  Si  l'on  n'eût 
su  que  l'on  se  Trouvait  parmi  des  Egyptiens,  des  Persans,  des 
Tunisiens,  des  Arabes,  des  Turcs,  l'on  eût  pris  ces  jeunes 
gens  en  frac  ou  en  habit,  courtois  et  corrects,  pour  des  Pari- 
siens de  la  meilleure  souche.  Le  D''  Grenier  et  son  secrétaire 
étaient  d'ailleurs /-es  seids  qui  fussent  venus  en  costume  africain». 
Le  cas  du  Docteur  Grenier  a  beaucoup  occupé,  pendant 
l'année  1897,  les  indigènes  algériens  :  il  ne  paraît  pas  cependant 
que  ce  nouveau  moutanahbi  ait  eu  une  grande  influence  sur 
ses  coreligionnaires  africains.  En  tout  cas  il  n'a  pas  eu  le  temps 
de  propager  son  islam  réformé  à  la  Chambre,  les  électeurs  de 
Pontarlier  n'ayant  pas  jugé  à  propos  de  confier  un  nouveau 
mandat  à  ce  Luther  enturbanné  comme  l'appelait  un  de  nos 
excellents  arabisants  d'Algérie.  Il  a  toutefois  exposé  ses  idées 
dans  la  Revue  Algérienne  (B).  Ces  idées  ne  sont  pas  toujours 
très  raisonnables.  M.  Ph.  Grenier  est  non  seulement  musul 
man,  mais  encore  spirite.  Il  mélange  l'occultisme  et  le 
mahométisme  ;  c'est  ainsi  qu'il  voit  dans  le  Prophète  une 
réincarnation  de  Jésus  Christ.  Il  a  même  trouvé  la  preuve  de 
cette  assertion  dans  le  Coran  qui,  dit-il  «  est  un  livre  magnifi- 
que, mais  incompris  jusqu'à  notre  époque  par  la  plupart  des 
exégètes  et  des  traducteurs  européens  ».  L'ex-député  de 
Poniarlier  y  a  trouvé  bien  d'autres  choses  à  travers  la  traduc- 
tion de  Kasimirsky,  qui  n'en  peut  mais.  Il  faut  dire  qu'il 
interprète  cette  traduction  à  sa  façon.  Il  trouve  que  le  Coran 
est  c(  un  dédale  de  paraboles  et  de  métaphores  ».  Il  réclame  le 
droit  de  l'interpréter  à  sa  guise  ;  mais  franchement  il  abuse  de 
ce  droit  et  ses  conceptions  dépassent  trop  la  portée  de  l'exégèse 
pour  relever  de  la  critique  spéciale  des  orientalistes  ;  son  cas 
peut  intéresser  le  psychologue,  non  l'arabisant  (4). 

(I  )  Nous  n'avons  pas  lu  un  article  de  M.  Hugues  le  Roux':  Mahomet 
à  Paris,  in  ('.osmopolii^.  1807.  I,  p.  810. 

('2)  Gaston  Uujarric  :  La  colonie  musulmane  à  Paris  et  le  D' 
Grenier,  in  Rev.  de  l'Islam,  '2"  ann..  avril  1897  (siippiém-nt  au  a-   17). 

^3]  Philippe  (îrenieh  :  Judaïsme,  christianisme  et  islammme,  in 
Rev.  Alg.,  2"  sem.  18'J8.  pp.  353,  385.  117,  449,  ôl'i,  545. 

(i)  Parmi  les  innombrables  articles  de  revues  auxquels  a  donné  lieu  le 
iéputi^  musulman,  releNons  seulement  les  suivants  qui  ont  paru  dans  des 
périodiques  consacrés  à  l'Alg-érie  et  h  la  Tunisie:  Une  répons.^  à  farticle 
préc.\\é( judaïsme,  christiccnismeet  islamisme)  in  Rev  Alg.,\b\(i..  p.  (i81, 
réponse  signée  V.  Menclet  et  (jui  no  contient  o-iiére  ([uè  des  alta([ues 
personnelles  et  injurieuses.  —  Le  Réformateur  de  l'Islam,  par  A.  Mou- 
liéras,  in  Vie  Alg.  et  Tun..  1897,  p.  57(i,  article  plein  d'esprit  et  de  bon 
sens.  — Est-il  musulman  ?  par  P.  R.,  ibid.,  p.  44.  —  Le  Député  musul- 
man, par  de  Béhagle,  in  Alg.  Nouv.,  14  février  1897.  —  Le  Député 
niu3ulm,an,  par  Nielly,  ibid..  14  mars  1897. 


78         BULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUE  DE  L'ISLAM  MAGHRIBIN 

VIII.    -    ISLAM   DE   L'AFRIQUE   MINEURE 
(Clergé,  Maraboutisme,  Confréries  mystiques) 

Le  Maghrib  a  toujours  été  par  excellence  le  pays  des  saints 
et  le  maraboutisme  y  a  fleuri  de  tout  temps  ;  nous  n'avons 
cependant  pour  cette  année  aucun  ouvrage  spécial  à  signaler 
sur  le  culte  des  saints  dans  la  Berbérie,  si  ce  n'est  une  très 
courte  note  de  M.  Jacquot  sur  les  sanctuaires  de  marabouts 
établis  en  plein  air  dans  la  petite  Kabylie  et  les  poteries  qu'on 
y  rencontre  (1). 

En  revanche,  la  littérature  des  confréries  religieuses  est 
comme  toujours  abondante  ;  mais  l'événement  capital  en  cette 
matière  est  l'apparition  du  grand  travail  de  MM.  Depont  et 
Goppolani  (2).  L'étendue  de  cet  ouvrage,  le  luxe  avec  lequel  il 
est  édité,  le  haut  patronage  dont  il  a  été  honoré,  le  retentisse- 
ment qu'il  a  eu,  l'influence  qu'il  est  appelé  à  avoir  sur  notre 
politique  religieuse  vis-à-vis  des  indigènes,  appellent  autre 
chose  qu'une  rapide  analyse  au  cours  d'un  bulletin  bibliogra- 
phique. Nous  nous  proposons  d'en  donner  prochainement  un 
compte-rendu  spécial  Cô).  L'intention  évidente  des  auteurs  de 
faire  quelque  chose  de  définitif,  ainsi  que  l'ampleur  du  pro- 
gramme qui  comporte  en  somme  l'histoire  de  l'Islam  africain, 
donnent  le  champ  libre  à  la  critique  scientifique.  L'apprécia- 
tion de  l'ouvrage  est  du  reste  une  chose  complexe,  car  à  côté 
de  documents  d'un  prix  inestimable  et  d'aperçus  qui  frappent 
le  lecteur  par  leur  justesse,  on  y  trouve  quelques  défaillances 
qui  proviennent,  sans  nul  doute,  de  la  rapidité  avec  laquelle 
MM.  D.  etc.  ont  été  tenus  d'exécuter  leur  travail.  Au  reste, 
l'impression  d'ensemble  reste  favorable  à  l'œuvre  et  très 
sympathique  aux  auteurs. 

Nous  avons  reporté  ici  la  mention  du  travail  de  M.  Marchand 
sur  la  Religion  musulmane  au  Soudan  français  (4),  qui  aurait 
dû  p-endre  place  dans  le  paragraphe  VI  ;  ce  travail  est  en  effet 
presque  exclusivement  consacré  à  l'étude  des  confréries  reli 
gieuses.  La  première  partie  du  mémoire  contient  des  géné- 
ralités sur  l'islamisme  et  les  ordres  mystiques.  L'auteur 
a  largement  puisé  dans  l'ouvrage  de  M.  Pann,  Marabouts 
et  Khouan.  Cette  partie,  sans  doute  fort  utile  aux  fonc- 
tionnaires du  Soudan,  qui  ont  besoin  d'être  mis  au  courant 


(1)  Jacquot  :  De  certaines  poteries  religieuses  hobyles,  in  Rec. 
archéol.  Constant.,  1895-1896,  p.   IU9. 

(2)  Octave  Depont  et  Xavier  Goppolani  :  Les  confréries  religieuses 
musulmanes,  puljlié  sous  le  patronai^e  de  M,  J.  Cambon,  Gouv.  génér. 
de  l'Algérie.  1  vol.  576  p.  1897,  Alg-r. 

(3)  Aucune  analyse  critique  de  l'ouvrage  n'a  encore,  à  notre  connais- 
sance du  moins,  éié  donnée  dans  une  revue  d'érudition  française. 

C4)  Marchand:  La  religion  musulmane  au  Soudan  français,  in  Ren 
geignements  col.  et  doc.  puhl.  p.  le  Com.  de  l'Af.  Franc.,  1897,  n-  4' 
pp.  81-110. 


BULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUE  DE  L'ISLAM  MAGHRIBIN         70 

de  la  question,  n'olTre  pas,  h  notre  point  de  vue,  dorigi- 
nalité.  Il  n'en  est  pas  de  même  de  la  seconde  partie,  con- 
sacrée à  l'étude  du  mouvement  de  propagande  musulmane 
et  de  l'intluence  des  ordres  religieux  au  Soudan,  qui  est  des 
plus  intéressants  et  qui  constitue  le  document  le  plus  complet 
publié  sur  cette  matière.  «  L'islamisme  au  Soudan  n'a  pas  cette 
vitalité,  cette  iorce  d'expansion  et  surtout  ce  fanatisme  qui  le 
rendent  redoutable  dans  l'Afrique  méditerranéenne.  Le  nom- 
bre des  musulmans  pratiquants  est  une  minorité,  bien  que 

celui  des  sectateurs  du  Coran  soit  considérable Ici  point 

de  ces  khouans  mystiques  que  l'exaltation  du  sentiment  reli- 
gieux peut  conduire  aux  pires  excès.  Au  contraire,  les  vrais 
croyants  font  généralement  preuve  d'un  large  esprit  de  tolé- 
rance »  (p.  lOJ).  Les  populations  les  plus  fanatiques  sont  les 
Peubls  qui  exagèrent  les  prescriptions  coraniques,  «  bien  ditfé- 

rents  en  cela  de  certaines  tribus  touaregs auxquelles  on 

reproche  une  tiédeur  non  déguisée  »  (p.  110).  Les  deux  ordres 
religieux  les  plus  répandus  sont  les  Qàdriya  et  les  Tidjàniya  ; 
aucune  autre  association  n'a  au  Soudan  de  représentants  parmi 
les  populations  noires.  Dans  le  Sud,  les  ordres  religieux  n'ont 
aucune  intluence;  dans  le  Nord,  les  Derqaoua,  les  Chadzeliya 
et  les  Senoussiya  ont  réussi  à  s'infiltrer.  Ces  derniers  nous 
intéressent  particulièrement  à  cause  de  l'extraordinaire  légende 
qu'on  a  créé  autour  d'eux.  «  Les  khouans  senoussiya  de  Tom- 
bouctou,  au  nombre  de  dix,  sont  tous  des  commerçants  du 
Touàt  ou  d'Insalah,  habitant  la  ville  depuis  quelques  années 
ou  seulement  de  passage  pour  y  commercer.  Contrairement  à 
l'assertion  donnée  par  Duveyrier,  il  n'existe  pas  de  zajuïa 
ppéciale  aux  Senoussiya  à  Tombouctou  »  (p.  108 j.  On  n'en  est 
plus  à  compter  les  exagérations  de  la  brochure  de  Duveyrier 
sur  laquelle  il  n'y  a  aucun  fond  à  faire.  M  Mardi,  nous  donne 
d'intéressantes  statistiques  sur  la  situation  religieuse  des  diffé- 
rentes régions  du  Soudan.  Une  carte  de  la  répartition  des 
musulmans  au  Soudan  accompagne  le  travail  et  sera  consultée 
avec  fruit. 

Tous  les  ordres  religieux  ne  nous  sont^pas  systématiquement 
hostiles  :  il  en  est  un  certain  nombre  qui  sont  plus  ou  moins 
ralliés  à  notre  cause  et  sur  lesquels  s'appuie  notre  politique 
indigène.  De  ce  nombre  sont  les  Taïbiya,  les  Chikhiya, 
les  Tidjàniya. 

Les  premiers  ont  été  l'objet  d'un  récent  article  dans  l'excel- 
lent Bulletin  du  Comité  de  l'Afrique  française  (1).  L'auteur 
anonyme  y  fait  un  vif  éloge  de  la  politique  suivie,  depuis  tantôt 
sept  ans,  à  l'égard  de  la  Maison  d'Ouazzàne  sur  laquelle 
s'appuie  presque  exclusivement  notre  action  au  Maroc. 
Tout  en  reconnaissant  les  résultats  obtenus  par  cette  politique 


(t)  Les  chérifs  d'Ouazzan,  in  Bul .  Com.  Afriq.  franc.,  1898, 
pp.  r2U-i"22.  —  (Jf.  un  autre  article  sur  le  même  sujet,  mais  beaucoup 
plus  court,  ibd.,  pp.  63-64. 


80         BULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUE  DE  l'ISLAM  MAGHRÏBIN 

et  les  nombreux  services  que  nous  a  rendus  Ja  Maison 
d'Ouazzâne,  il  est  permis  de  se  demander  si  l'auteur  n'exagère 
pas  légèrement  l'influence  des  Taïbiya  (1)  et  s'il  serait 
absolument  prudent  de  faire  de  la  protection  de  cette  famille 
le  pivot  de  toute  notre  diplomatie  au  Maroc.  Toutefois,  il  faut 
bien  reconnaître  qu'il  ne  nous  était  pas  possible  de  ne  pas 
prendre  les  Taïbiya  sous  notre  protection  et  c'est  avec 
beaucoup  de  raison  que  l'auteur  fait  valoir  que  «  si  le  chef  des 
Taïbiya  s'était  réclamé  de  la  protection  d'une  autre  ambassade, 
les  complications  les  plus  inattendues  se  seraient  produites, 
car  nous  aurions  vu  la  direction  d'un  ordre  religieux,  si 
populaire  en  Algérie,  entre  les  mains  d'une  puissance  étran- 
gère ».  La  politique  que  nous  suivons  est  donc  bonne  et,  du 
reste,  elle  a  déjà,  comme  le  remarque  notre  auteur,  porté  ses 
fruits.  Ceci  posé,  il  nous  sera  permis  de  faire  quelques  réserves 
sur  le  passage  oii  l'auteur  dit,  en  faisant  allusion  au  mariage 
du  chérif  d'Ouazzâne  et  à  ses  habitudes  d'intempérance  : 
«  Nous  aurions  dû  savoir  que  l'alliance  avec  une  chrétienne 
n'entachait  nullement  la  réputation  de  notre  protégé,  puisque 
Mohammed,  lui-même,  le  divin  Prophète,  choisit  pour  une  de 
ses  épouses  Marie  la  Copte,  et  qu'enfin,  sans  excuser  certains 
goûts  du  chérif,  ou  n'est  pas  sans  ignorer  qu'au  Maroc,  les 
montagnards  et  tous  les  Chorfa  qui,  ainsi  que  ceux  d'Ouazzâne, 
ont  du  sang  kabyle,  ne  se  font  aucun  scrupule  d'apprécier  le 
vin  qu'ils  fabriquent».  D'abord  Marie  la  Copte  n'a  jamais  été 
l'épouse  de  Mahomet,  mais  seulement  sa  concubine,  ce  qui  est 
fort  différent  (2).  Ensuite,  en  eût  il  été  ainsi  que  cela  n'autorise- 
rait en  aucune  façon  les  croyants  à  agir  de  même.  On  sait,  en 
effet,  que  les  droits  du  Prophète  sont  complètement  réservés 
et  que  les  traités  de  fiqh  consacrent  un  chapitre  spécial  à 
l'étude  du  droit  particulier  à  Mahomet.  C'est  ce  qu'on  appelle 
les  khaçâïç  (,  va-;— r=y).  Enfin  il  est  d'autant  moins  besoin 
d'invoquer  dans  l'espèce  la  conduite  du  Prophète  que  le 
mariage  d'un  musulman  avec  une  chrétienne  est  parfaitement 
légal.  Il  convient  cependant  d'ajouter  qu'il  est  considéré 
comme  «blâmable  »  (ij^).  La  grande  autorité  des  malékites 
de  l'Atrique  du  Nord,  nous  voulons  dire  Sidi-Khelil  (3),  le 
déclare  formellement.  Il  n'est  pas  douteux,  à  notre  sens,  que 
le  mariage  avec  l'anglaise  n'ait  été  de  nature  à  déconsidérer  le 
chérif  aux  yeux  des  dévots  et  des  fanatiques.  Mais  il  faut 
convenir  aussi  que  l'influence  qu'il  a  sur  la  foule  est  trop  bien 
assise  pour  avoir  pu  être  ébranlée  de  ce  chef.  —  Quant  au  fait 
de  boire  du  vin,  il  est  vrai  que  nombre  de  marabouts  boivent 
l'eau-de-vie  ou  maKya  sans  aucune  retenue  et  même  avec 


(1)  Cf.  MOULIÉRAS,  Le  Maroc  Inconnu,  1"  partie,  pp.   38  et  39. 

(2)  M.  Carra   de   Vaux,    dans  son  ouvra.^e  analysé   plus    haut     Le 
mahométisme,  est  tombé  dans  la  même  errpiir  (p     47,  note). 

(3)  Cf.  trad.  Perron,  II,  p.  39U.   Voy.  infra,  p.    88. 


BULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUE  DE  L'iSLAM  MAGHRIBIN  81 

excès  ;  il  est  vrai  encore  que  les  Berbères  fabriquent  avec 
le  raisin  des  produits  plus  ou  moins  complètement  fermen- 
tes (1).  Il  y  a  cependant  une  légère  différence  entre  la 
consommation  du  rdmet  et  la  façon  dont  le  chérif  absorbait 
continuellement  les  liqueurs  fabriquées  en  Europe.  11  n'est 
guère  douteux  que  ces  habitudes  aient  été  exploitées  à  son 
détriment  auprès  des  foules  par  les  ennemis  politiques  et 
religieux  de  la  maison  d'Ouazzàne. 

Plus  importants  encore  que  nos  relations  avec  les  Taïbiya 
sont  les  rapports  que  nous  avons  à  entretenir  avec  les  Ghikhiya 
ou  plutôt  avec  les  Oulad  Sidi  Chikh,  car  il  semble  bien  qu'on 
ne  puisse  les  envisnger  comme  une  confrérie  semblable  aux  ■ 
autres.  On  sait  que  le  dernier  Gouverneur  Général  a  considé- 
rablement augmenté  l'influence  des  Oulad  Sidi  Chikh  en  les 
pourvoyant  de  commandements  qui  s'étendent  fort  loin  dans 
l'Est  (aghalik  d'El-Goléa,  etc.,).  Dans  l'Ouest  des  tribus  qui 
leur  avaient  été  enlevées  depuis  fort  longtemps  leur  ont  été 
restituées  (Trafi,  Oulad  Ziad).  L'auteur  anonyme  d'un  article 
du  Bulletin  du  Comité  de  l'Afrique  Française  (2)  pense  que 
ces  mesures  n'ont  peut-être  pas  été  suffisamment  pesées  dans 
leurs  conséquences.  Depuis  tantôt  trente  ans  nous  nous  étions 
appliqués  à  circonscrire  l'influence  des  Oulad  Sidi  Chikh. 
Depuis  1882  en  particulier,  époque  à  laquelle  ils  sont  rentrés 
en  grâce  auprès  de  nous,  nous  avions  accueilli  leurs  offres  de 
service,  mais  nous  nous  étions  attachés  à  ne  pas  leur  rendre 
leur  action  sur  un  certain  nombre  de  tribus  importantes  qui 
devaient  leur  servir  de  contrepoids.  L'histoire  entière  des 
Oulad  Sidi  Chikh  enseigne  à  celui  qui  veut  bien  l'étudier  qu'en 
adoptant  cette  politique,  nous  faisions  œuvre  de  prudence  et 
nous  suivions  les  leçons  de  l'expérience.  Le  dernier  Gouver- 
neur a,  d'un  trait  de  plume,  rompu  avec  ces  traditions  et  nous 
replaçons  petit  à  petit  les  Oulad  Sidi  Chikh  dans  la  situation 
où  ils  étaient  avant  1864,  sans  avoir  les  mêmes  excuses.  Tel, 
est  en  deux  mots,  le  résumé  de  l'important  article  que  nous 
venons  de  citer,  article  qui  parait  écrit  avec  une  grande 
connaissance  des  choses  de  l'Extrême-Sud. 

(^ette  question  des  Oulad  Sidi  Chikh  a  toujours  eu  du  leste 
le  privilège  de  faire  couler  beaucoup  d'encre.  En  dehors  de  la 
foule  des  articles  écrits  sans  autorité  sur  celte  matière,  il  faut 
citer  celui  que  M.  MandeVille  a  donné  dans  les  Questions 
politiques  et  coloniales,  dirigées  par  M.  Pensa  (3).  La  question 
des  Oulad  Sidi  Chikh  y  est  examinée  et  la  regrettable  politique 
suivie  depuis  quelques  années  dans  l'Extrême-Sud  y  est  très 
exactement  appréciée.  L'article  a  avant  tout  une  portée  politi- 


(1)  MouLiÉRAS,  op.  land.  p.  55. 

(2)  La  politique  de  la  France  dans  l'Extrême-Sud  de  l'Algérie,  in 
Bull.  corn.  Afr.  Franc.,  1898,  p.   118-120. 

(3)  Mandeville  :    L'Algérie    méridionale  et   le    Touàt,    in  Quest, 
diplom.  et  col.,  2'  ann.,  n*  23,  1"  fév.  1898,  p.  137-182. 


82  BULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUE  DE  l'iSLAM  MAGHRIBIN 

que  et  les  questions  de  religion  y  sont  au  second  plan  : 
cependant  l'auteur  conteste  énergiquemeht  l'influence  reli- 
gieuse des  Oulad  Sidi  Chikh  au  Touàt.  —  On  trouvera  dans  la 
Revue  de  M.  Cat  un  court  mais  subtantiel  article  de  M.  Flamand 
résumant  la  situation  actuelle  des  Oulad  Sidi  Chikh  (1). 

Parmi  les  ordres  religieux  qui  se  sont  rapprochés  de  nous, 
celui  des  Tidjâniya  est  peut-être  le  plus  sincèrement  rallié 
à  notre  cause.  Nous  avons  à  mentionner  deux  courts  articles 
de  vulgarisation  sur  cette  confrérie,  l'un  signé  Ali  el  Fdouli  (2), 
l'autre  L.  Trotignon  (3).  Un  événement  important  s'est  produit 
cette  année  dans  l'histoire  des  Tidjânia  ;  nous  faisons  allusion 
à  la  mort  de  Sidi  Admed  Et-Tidjàni,  décédé  dans  le  Souf  en 
avril  1897.  En  son  honneur,  un  service  religieux  où  assistaient 
toutes  les  autorités  d'Alger  et  auquel  le  gouvernement  a 
visiblement  voulu  donner  un  éclat  particulier,  a  été  célébré  à 
la  mosquée  de  la  Pêcherie  a'Alger.  Une  brochure  officielle  a 
été  publiée  à  cette  occasion  (4). 

En  ce  qui  concerne  les  autres  confréries  nous  ne  trouvons  à 
mentioMuer  que  deux  articles  peu  importants  :  Ali  el  Fdouli  a 
pubUé  une  courte  note  sur  les  Piahmaniya(5)  ;  M.  H.  Lorin  (6) 
nous  a  donné  une  description  de  plus  des  pratiques  des 
Aïssaouas  L'auteur  pense  qu'en  thèse  générale  on  n'y  découvre 
aucune  supercherie.  Peut-être  faut  il  cependant  faire  au  char- 
latanisme une  part  un  peu  plus  grande  que  ne  le  pense 
M.  L.  (7),  sans  nier  toutefois  qu'il  n'y  ait  là  des  choses  encore 
peu  expliquées  (8). 


(1)  G.-B.-M.  Flamand:  Les  Oulad  Sidi  Chikh,  in  L'Alg.  Nouv., 
28  août  1878.  —  Cet  article  a  été  reproduit  dans  l'ouvrage  que  le  même 
auteur  vient  de  publier  sous  le  titre:  De  l'Oranie  au  Gourara,  1  vol., 
237  p..  1898. 

(2)  Ali  el  Fdouli  :  Les  Tidjânia,  in  Vie  alg.  et  tun.,  1897,  p.  248. 

(3)  L.  Trotignon  :  Les  Marabouts  de  Témacin  (notes  sahariennes), 
in  Vie  alg.  et  tun.,  1897,  p.  6(J5. 

(4)  Gouvernement  général  .-  Cérémonie  religieuse  à  la  mosqxiée 
de  la  pêcherie  d'Alger  en  l'honneur  de  Sid  Ahmed  Et-Tidjâni,  chef 
de  la  confi-érie  des  Tidjàniya,  décédé  à  Guemour  (Oued  Souf),  le  20 
avril  1897,  1  brocli.,  12  p.,  Alger.  1897.  —  Cette  cérémonie  a  fait  éclore 
dans  les  revues  de  nombreux  articles  :  André  Li.ard  :  Une  cérémonie 
funèbre  musulmane  à  Alger,  in  Tour  du  Monde,  n"  du  8  janvier  1898. 
A  trav.  le  Monde,  p.  13.  —  Voy.  encore  Bull.  com.  Afr .  Franc..,  1897, 
p.  183  et  Alg    nouv.,  n°  du  9  mai  1997. 

(5)  Ali  el  Fdouli  :  Les  Rahmânia,  in  Vie  alg.  et  tun.,  1897,  p.  321. 

(6)  H.  Lorin  :  Les  Aïssaouccs,  in  Tour  du  Monde,  n"  du  2  octobre 
1897,  A  trav.  le  Monde,  p.  315. 

(7)  Cf  à  ce  sujet  de  curieux  détails  dans  les  Mémoires  de  Robert  Hou- 
din,  t.  II,  in  fine. 

(8)  M.  Cat  vient  de  publier  dans  la  Revue  de»  Deux  Mondes,  LXVIII* 
ann.,  1898,  4^  pér.,  t.  CXLIX.  2Mivr.,  15  sept.,  1898.  p.  375-4U4,  un  article 
intitulé  :  L'islamisme  et  les  confréries  religieuses  au  Maroc.  Il  sera 
analysé  dans  le  prochain  Bulletin  Bibliographique. 


HUr.LETIN   BIJiLIOGRAPHIQUE   DE   l'ISLAM   MAGHRIBIN       83 

IX.  —  HISTOIRE  DES  MUSULMANS  EN  GÉNÉRAL 
ET  DE  CEUX  DE  L'AFRIQUE   MINEURE  EN  PARTICULIER 

La  chronologie  est.  un  des  fondements  de  l'histoire  ;  à  ce 
titre  nous  devons  mentionner  en  première  ligne  sous  la  rubri 
que  «  histoire  »,  la  *  Concordance  des  ères  musulmane  et 
chrétienne  pour  les  quatorze  premiers  siècles  de  l'Hégire 
de  Si  Mahammed  Bel  Khodja  (1).  Contrairement  à  ce  que  pense 
l'auteur  du  compte  rendu  de  cet  ouvrage  dans  la  Revue 
Tunisienne  (2),  il  existait  déjà  des  concordances  tort  bien 
faites  (3),  mais  il  n'est  pas  mauvais  pour  nous  d'en  posséder 
une  de  plus,  surtout  lorsqu'elle  est  l'œuvre  d'un  savant 
indigène  (4). 

L'histoire  générale  de  MM.  Lavisse  et  Rambaud,  dont  la 
publication  se  poursuit  lentement,  ne  peut  manquer  de  nous  in- 
téresser (5).  Dans  le  tome  IX  nous  remarquons  le  chapitre  XXII, 
sur  la  Turquie  et  les  peuples  chrétiens,  de  1792  à  1815 
(M.  Rambaud)  :  il  contient  peu  de  chose  au  point  de  vue 
de  l'histoire  religieuse  des  musulmans,  non  plus  que  le  cha- 
pitre XXX  sur  l'Asie,  THindoustan,  la  Perse  et  l'Afghanistan, 
de  1800  à  1813  (même  auteur).  Il  en  est  de  même  des  chapitres 
XXVI  sur  la  Question  d'Orient  (M.  A.  J)ebidour),  XXVll  sur 
l'Hindoustan,  l'Iran  et  l'Asie  centrale  de  1814  à  1847  (M.  A. 
Métin)  et  XXVIII  sur  la  Chine,  l'Annam,  la  Malaisie  et  l'Insu- 
linde  (M.  H.  Cordier),  qui  se  trouvent  dans  le  tome  X  du  même 
ouvrage  (6).  Le  chapitre  XXIV  de  ce  même  volume  est  consacré 
à  l'Algérie  et  aux  colonies  françaises  ;  l'auteur  anonyme  y 
retrace  exclusivement  et  à  grand  traits  les  faits  militaires 
de  la  conquête.  Le  chapitre  se  termine  par  une  bibliographie 
historique  concernant  l'Algérie  et  les  pays  voisins.  Cette 
bibliographie  devait  nécessairement  être  incomplète  ;  mais  on 
est  surpris  d'y  trouver  mentionnées  des  non-valeurs  alors  que 
des  livres  excellents,  comme  la  Conquête  d'Alger,  de  Nettement, 
l'Histoire  de  l'Algérie,  de  M.  Cat,  l'Histoire  d'Oran,  du  colonel 
Derrien,  etc.,     ...  n'y  figurent  pas.  —  L'Album  historique  (7) 


(l)  Si  M'hamed  Bel  Khodja  :  Concordance  des  ères  musulmane  et 
chrétienne  pour  les  quatorze  premiers  siècles  de  l'Hégire,  commen- 
çant le  16  juillet  ÔSH  et  finissant  le  W  novembre,  ouvrage  ■publié  avec 
le  concours  du  Gouvernement  tunisien,  I  vol.  Tunis,  1897. 

(2;  Rev.  Tun.,  4«  ann.,  n°  15,  juillet  1897,  p.  377. 

(3)  P.  ex.  :  WuSTENFELD  :  Tabellen  der  muhamm.  u.  christl.  Zeit- 
rechnung.  Leipzig,  1854  ;  et  la  suite  par  Mahler. 

(4)  Si  Mahammed  Bel  Khodja  e.st  chef  de  la  Comptabilité  de  l' Adminis- 
tration générale. 

(5)  Lavisse  et  Rambaud:  Histoire  Générale  du  IV°  siècle  à  nos  jours. 
Tome  IX.  Napoléon.  180U-1815.  1  vol.  lUll  p.,  Paris,  1897. 

(6)  Même  ouvrage.  Tome  X.  Les  monarchies  constitutionnelles.  1815- 
1847.  l  vol.  1U16  p.,  Paris,  1S98. 

(7)  A.  Parmentier  :  Album  historique,  publié  sous  la  direction  de 
M.  Lavisse.  Tome  II.  La  fin  du  Moyen-Age  (XIV  et  XV  siècles).  1  vol., 
268  pp.,  1897,  Paris.  ^         i>    ^  fi 


84       BULLETIN    BIBLIOGRAPHIQUE    DE   L'ISLAM    MAGHRIBIN 

ne  contient,  dans  son  tome  II,  que  quelques  détails  sans 
importance,  sur  la  civilisation  des  Maures  en  Espagne  au  XIV« 
et  au  XVe  siècles. 

La  traduction  du  Livre  de  F  Avertissement  et  de  la  Bé^nsion 
de  Mas'oûdî,  que  vient  de  faire  paraître  M.  Carra  de  Vaux  (1), 
est  une  importante  contribution  à  l'étude  de  l'Histoire  des 
Musulmans.  L'ouvrage  fait  partie  de  la  collection  d'ouvrages 
orientaux  publiés  par  la  Société  Asiatique,  ^t  est  magnifique- 
ment   édité.    Il    s'agit   d'une    traduction    du    y^^^^xj!    >, •sy 

oti^W^   du  célèbre  Mas'oûdî,  édité  récemment  par  M.  de 

Goeje,  dans  la  Bibliothcca  geographonim  arahicot  um  (Leyde, 
1894).  C'est  une  sorle  de  revue  faite  par  l'auteur  de  tous  ses 
ouvrages  antérieurs,'  revue  dans  laquelle  il  ajoute,  rectifie, 
développe.  En  maint  endroit  il  nous  laisse  à  entendre  que, 
dans  tel  ou  tel  de  ses  livres,  il  avait  donné  d'abondants  détails 
sur  l'Histoire  de  l'Islam  et  des  hérésies  qui  l'ont  déchiré  ;  la 
perte  de  ces  ouvrages  est  extrêmement  regrettable.  Le  Kitâh- 
at-tanbih  nous  fournit  nombre  de  renseignements  sur  les 
autres  religions,  p.  ex.  sur  le  zoroastrisme  (p.  131),  sur  les 
sectes  chrétiennes  et  juives  (p.  159),  dont  l'auteur  avait  fré- 
quenté les  représentants  avec  une  égalité  d'âme  qui  étonne 
chez  un  musulman.  L'énumération  des  empereurs  romains 
(p.  172  seq)  contient  également  beaucoup  de  détails  sur 
l'histoire  du  christianisme  ;  on  y  remarque  l'énumération 
des  conciles  (p.  195,  p.  218).  Le  livre  se  termine  par  une  his- 
toire du  Prophète  et  des  khalifes  ;  la  portion  qui  traite  des 
expéditions  du  Prophète  est  la  plus  développée  ;  elle  manque 
d'ailleurs  d'originalité.  —  11  est  malheureux  que  le  livre,  tout 
en  nous  fournissant  une  très  ample  moisson  de  renseigne- 
ments, nous  en  fasse  regretter  encore  un  plus  grand  nombre, 
perdus  pour  nous  avec  les  ouvrages  du  célèbre  historien.  On 
nous  saura  peut-être  gré  de  reproduire  ici  le  jugement  du 
traducteur  sur  ce  dernier  :  «  Faut-il  dire  que  Maçoudi  honore 
l'Islam  ?  Je  ne  sais.  Sa  culture,  diverse  et  très  spontanée,  est 
en  déhnitive  plus  grecque  qu'islamique.  Sa  gloire  ne  doit  aller 
à  l'Islam  qu'en  passant  par  les  khalifes,  puisque  ce  sont  eux 
qui  provoquèrent  l'éveil  des  esprits  dans  le  monde  musulman, 
en  faisant  briller  de  nouveau  la  splendeur  du  génie  grec  )i.  — 
Le  style  de  la  traduction  de  M.  C.  de  V.  est  sobre,  précis,  clair. 
L'annotation,  particulièrement  difficile  dans  un  ouvrage  dont  la 
matière  est  aussi  variée,  est  amplement  suffisante.  Enfin,  un 
bon  index  rend  le  livre  facile  à  consulter. 

M.  Carra  de  Vaux,  qui  est  décidément  infatigable,  a  encore 
traduit  en  1897  l'Abrégé  des  merveilles*  (2),  ouvrage  dont 


(1)  Kitab-et-Tenbih.  —  Licre  de  l'avertissement  et  de  la  révision  de 
Maçoudi,  traluit  par  Carra  de  Vaux.  Paris,  1897,  l  vol.,  570  p. 

(2)  Carra  de  Vaux  ;  L'abrétjé  des  merveilles,  traduit  d'après  les 
monuments  de  la  bibliothèque  nationale,  m  Actes  soc.  p/iilolog  d 
Paris,  nouv.  sér.,    .  XI,  1697. 


BULLETIN   BIBLIOGRAPHIQUE   DE   L'iSLAM   MAGHRIBIN       85 

l'auteur  est  inconnu,  et  qui  consiste  en  une  série  de  récits 
appartenant  plutôt  à  la  légende  qu'à  l'histoire  :  création  du 
monde,  description  de  la  terre  et  des  îles  de  l'Océan,  histoire 
(f  Adam,  de  Sem,  de  l'ancienne  Egypte  ....  On  sait  qu'il  existe 
chez  les  musulmans  toute  une  littérature  sur  ces  légendes 
souvent  bizarres,  quelquefois  fantastiques,  dont  il  n'y  a  rien 
ou  à  peu  près  rien  à  tirer  pour  l'historien,  mais  qui  sont 
intéressantes  au  point  de  vue  de  l'étude  des  croyances  popu- 
laires, du  folke-lore.  On  ne  sait  si  l'ouvrage  traduit  par  M.  G. 
de  V.  n'est  pas  V Akhbâr-az-Zemàn  de  Mas'oûdî  ou  tout  au 
moins  une  copie  plus  ou  moins  altérée  de  ce  livre  Cl). 

M.  de  Goeje  a  publié  la  Chro7^iqlle  de  'Arih  hen  Sa'd^ÇI),  qui  est 
le  continuateur  jde  Tabari.  C'est  un  ouvrage  de  grande  impor- 
tance en  ce  qui  concerne  l'histoire  des  musulmans  de  l'Espagne 
et  de  l'Afrique  Mineure.  L'établissement  du  texte  au  moyen 
d'un  seul  manuscrit  extrêmement  défectueux,  offrait,  parait-il, 
des  difficultés  dont  un  maître  seul  pouvait  venir  à  bout.  — 
L'édition,  entreprise  sous  la  direction  du  même  orientaliste, 
de  la  grande  chronique  de  Tabari,  à  laquelle  nous  venons  de 
faire  allusion,  s'est  poursuivie  en  1898  par  la  publication  du 
XI"  volume.  Il  est  inutile  d'insister  ici  sur  l'importance  capitale 
de  cette  publication  (3). 

Bien  que  VHistoire  de  la  Conquête  d'Ahyssinie  (4),  éditée  et 
traduite  par  M.  René  Basset,  ne  semble  pas,  au  premier  abord, 
intéresser  l'Tslam  africain,  cependant  les  nombreuses  notes 
dont  l'ouvrage  est  illustré,  et  où  l'on  retrouvera  l'érudition 
abondante  et  de  bon  a!oi,  à  laquelle  M.  R.  B.  a  habitué  ses 
lecteurs,  ont  souvent  une  portée  beaucoup  plus  générale  que 
ne  le  ferait  croire  le  titre  du  livre.  Une  traduction  du  même 
ouvrage  a  été  également  publiée  cette  année  par  MM.  A  d'Ab- 
badie  et  Ph.  Paulitschke  ;  mais  cette  traduction,  semée  de 
nombreux  contresens  et  dénuée  de  notes,  ne  saurait  à  aucun 
égard  être  mise  en  parallèle  avec  l'œuvre  de  M.  Basset  (5). 


(1)  et  E.  Blochet,  ia  Rev.  Hist.  ReL,  19"^  année,  t.  XXXVII,  n"  3, 
mai-juin,  pp.  442-444.  —  M.  René  Basset  nous  déclarait  récemment  qu'il 
ne  partageait  pas  Topinion  qui  fait  de  l'Abrégé  des  merveilles  un  frag- 
ment de  V Akhbàr-az-Zemàn . 

(2)  Annales  quos  scripsit  Abu  Djafar  Mohammed  ibn  Djerîr  At.- 
Tabari,  cum  aiiis  edidit  M.  de  Goeje.  Prima  séries.  —  XI.  — Rec. 
E.  Prym.  1  vol.  Leyde,  1898. 

(3)  Tabari continuatus,  quem  edidit,  indicibus  etglossariis  instruxit 
DE  Goeje.  Lugd.  Batav.,  1897.  1  vol.  XXVII.-r^^  pp. 

(4)  René  Basset  :  Histoire  de  la  Conquête  de  l'Abyssinie  (XVI' 
siècle)  par  Cliiliàb-ed-dîn  Ahmed  ben  Abdelqàder,  surnommé  Arab- 
Faqih.  Texte  arabe,  fasc.  I,  1  vol.,  92  pp.,  8°,  Paris,  1897. 

(5)  A.  d'Abbadie  et  Ph.  Paulitschke  :  Futuh  el  Habacha.  Conquêtes 
faites  en  Abyssinie  au  XVI"  siècle  par  l'imàm  Muh.  Ahnuxd,  dit 
Gragne.  Version  française  de  la  chronique  de  Chihâb-ed-Din 
Ahmad.  1  vol.,  Paris,  1898. 


86         BULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUE  DE  l'ISLAM  MAGHRIBIN 

En  ce  qui  concerne  l'histoire  des  premiers  temps  de  l'Islam, 
il  nous  faut  mentionner  le  travail  que  vient  de  publier  M.  G. 
Van  Vloten  sur  l'Histoire  des  Abbassides.  L'époque  tardive  à 
laquelle  nous  avon?  pris  connaissance  de  ce  travail,  extrême- 
mement  intéressant  et  d'une  grande  importance  au  point  de 
vue  politique  et  religieux,  nous  oblige  à  en  remettre  l'analyse 
à  notre  prochaine  chronique  (1). 

L'histoire  spéciale  des  Musulmans  d'Espagne,  de  laquelle  les 
arabisants  d'Afrique  ne  sauraient  se  désintéresser,  a  été  l'objet 
d'un  livre  de  *  Mohammed  Hayad  Khan  que  nous  n'avons  pu 
voir  (2)  et  d'un  travail  bibliographique  tout  récent,  de  M.  Pons 
Boigues,  que  nous  n'avons  pas  eu  le  temps  d'examiner  et  qui 
sera  analysé  dans  la  prochaine  chronique  (3)  D'autre  part,  on 
annonce  l'apparition  prochaine  d'un  ouvrage  de  M.  Godera, 
sur  la  décadence  et  la  chute  des  Almoravides  en  Espagne  (4). 
Le  nom  du  célèbre  orientaliste  fait  bien  augurer  d'un  tel  ou- 
vrage qui  continuera  utilement  l'œuvre  magistrale  de  Dozy  (5). 

S'il  est  un  coin  de  l'Histoire  de  France  qui  a  été  peu  travaillé 
et  qui  devrait  spécialement  attirer  l'attention  de  nos  orienta- 
listes, c'est  bien  le  chapitre  de  l'invasion  sarrasine  ;  la  littéra- 
ture en  est  tellement  maigre  qu'elle  ne  compoile  peut-être  pas 
rénumération  de  plus  d'une  douzaine  de  travaux.  Encore  la 
plupart  de  ceux-ci  sont-ils  d'une  valeur  médiocre  et  jusqu'ici 
les  auteurs  arabes  n'ont  jamais  été  mis  sérieusement  à  contri- 
bution. M.  Précigou,  dans  un  article  sur  les  Sarrasins  en 
Limousin  (6),  n'a  pas  davantage  puisé  aux  sources.  Cependant 
lorsque  quelque  orientaliste  tentera  de  combler  la  lacune  dont 
nous  venons  de  parler,  il  pourra  peut-être  trouver  dans  des 
articles  du  genre  de  celui-ci,  quelques  indications.  M.  P.  s'est 
servi  en  grande  partie  de  documents  de  deuxième  main,  mais 
il  a  mis  à  contribution  des  ouvrages  locaux  qu'un  aralDisant 
pourrait  ne  pas  connaître  ou  ne  pas  avoir  la  faculté  de 
consulter.  Les  Sarrasins  auraient  fondé  Aubusson  et  y  auraient 
importé  l'industrie  des  tapis  ;  même  le  type  maure  se  retrou- 
verait chez  les  ouvrières  actuelles  des  fabriques  de  tapis  (??). 
Il  serait  resté  des  bandes  irrégulières  d'arabes  dans  le  pays 


(1)  G.  Van  Vloten  :  Zur  Abbassidengeschichte,  in  Zeits^cli.  morgçnl. 
Gesellsch.  LU  Bd,  II  Heft,  1898,  p.  213-226  (Mansùr  und  die  Aliden  ;  — 
der  Mahdî  —  Al  Hàdi  als  Mahdi). 

(2)  MuHAMMAD  Hayad  Khan  :  The  rise  and  fall  of  the  muslim 
empire  in  Spain,  1  vol.>  384  pp.,.Lahore,  1897. 

(3)  Pons  Boigues  :  Ensayo  bio-bibliografico  sobre  los  historiadores 
y  geografos  arabigo-espanoles,  1  vol.,  514  pp.,  Madrid,   1898. 

(4)  Fr.  Codera  :  Decadencia  y  desaparicion  de  los  Almoravides 
en  Espana,  dans  la  Coleccion  de  estudios  arabes  de  iSaragosse. 

(5)  Mentionnons  ici  un  article  de  M.  Ferreiro  dans  Ja  Riforma  sociale, 
1897,  n"  3,  intitulé  :   Ln  sociologo  arabe  del  secolo  XIV  (Ibn  Khaldoun). 

(6)  A.  Précigou  :  Les  Sarrasins  en  Limousin  après  la  bataille  de 
Tours,  in  Bull.  Soc.  Amis  Se.  et  Arts  de  Rochechouart,  t.  Vil, 
0«  V,  p.  109,  1897. 


BULLETIN   BIBLIOGRAPHIQUE   DE  L'ISLAM   MAGHRIBIN        87 

plus  de  3  ans  après  la  bataille  de  Poitiers,  puisqu'en  735 
ils  auraient  ruiné  le  monastère  de  Solignac.  —  Un  livre  de 
M.  Gilles*  (1),  que  nous  n'avons  pas  vu,  semble  aussi,  d'après 
son  titre,  contenir  quelques  détails  sur  les  Sarrasins  dans  le 
pays  d'Arles. 

Les  Annales  du  Maghrib  sont  naturellement  le  sujet  que 
travaillent  de  prétérence  les  érudits  algériens  et  tunisiens,  et 
chaque  année  voit  grossir  le  nombre  des  contributions  à 
l'histoire  de  l'Afrique  Mineure. 

M.  Gaudefroy-Demombynes  a  commencé  dans  le  Bulletin 
de  la  Société  d'Oran  une  intéressante  série  de  notices  sur  les 
saints  et  les  jurisconsultes  du  Maghrib  (2).  Le  premier  article 
dont  nos  lecteurs  n'ont  pas  manqué  d'apprécier  l'érudition, 
est  consacré  à  Sidi-1-Medjaci,  un  des  innombrables  santons 
dont  on  vénère  le  tombeau  à  Tlemcen.  Il  contient  des  détails 
puisés  aux  sources,  c.-à-d.  dans  Al-Maqqarî,  dans  le  Boustàn 
d'Ibn  Meriem  et  dans  Ibn  Khaldoun.  —  Dans  la  Revue  Afri- 
caine, M.  Fagnan  poursuit  la  traduction  des  fragments  d'Ibn- 
al-Atsîr  qui  sont  relatifs  à  l'Afrique  et  à  l'Espagne  (3).  On  sait 
qu'elle  est  l'importance  du  célèbre  auteur  du  Kâmil,  comme 
source  historique.  La  portion  traduite  et  publiée  avec  des  notes 
critiques  dans  les  années  1897  et  1898  de  la  Revue  Africaine, 
comprend  la  période  qui  s'étend  de  l'an  710  à  l'an  833  ;  elle 
contient  le  récit  de  la  conquête  de  l'Espagne,  les  grandes 
révoltes  berbères  du  Ville  siècle  en  Maghrib,  le  gouvernement 
de  Youçof  avec  Çomaïl  en  Espagne,  l'avènement  d'Abderrah- 
mane-ed-Dàkhil,  Hicham  l'oméiade,  El  Hakam,  la  révolte  du 
faubourg,  Ab  lerrahmane. . .  C'est  comme  on  le  voit  une  des 
parties  les  plus  importantes. 

Un  très  court  et  assez  mauvais  article  de  M.  Félix  Lemoine 
dans  la  Revue  Algérienne  (4)  a  valu  aux  lecteurs  de  ce  coquet 
périodique  de  la  part  de  M.  Mercier,  le  savant  arabisant  de 
Constantine,  une  très-intéressante  narration  des  aventures  de 
Doila  Mencia  de  Monroy  d'après  le  Nozhat-el-H'àdi  et  Diego  de 
Tprrès  (5).  Nous  demandons  seulement  à  faire  une  bien  légère 


(1)  G.  (JiLLES:  Le  pays  d'Aigles  en  ses  trois  tribus:  les  Avatiques, 
les  Désuviates  et  les  Anatilles,  contenant  depuis  les  siècles  les  plus 
reculés  l'histoire  celtique,  phénicienne ,  grecque,  romaine  et  l'intro- 
duction du  christianisme,  suioie  d'une  notice  sur  l'occupation  arabe, 
sur  les  incursions  des  Normands. . .  d'après  les  textes,  les  monu- 
ments et  les  poteries  de  chaque  nation.  Paris,  8,  1897. 

(2)  Gaudefroy-Demombynes  :  Saints  et  savants  du  Mar'reb,  in 
Bull.  Soc.  Géog.  Arch.  Oran,  20=  ann.,  t.  XVII,  fasc.  LXXII  ;  avril-juin 
1897,  p.  273-276. 

(;i)  FaGnan  :  Annales  du  Maghreb  et  de  l'Espaqne,  par  Ibn-el-Athir. 
in  Rev.  Afr.,  année-*  1»97  et  1898. 

(4)  Félix  Lemoine  :  A  travers  l'Islam.  Dç-fia  Mencia  de  Monroi,  in 
Rev.  Alg.,  n°(iu  11  décembre  189?-;    . 

(5)  E.  Mercier  :  Doila  Mencia  et  le  Chérif.  Un  roman  historique,  in 
Rev.  Alg.,  1"  sera.  1898,  pp.  51-60. 


88       BULLETIN   BIBLIOGRAPHIQUE  DE  L'ISLAM  MAGHRIBIN 

observation  :  en  laissant  vivre  Mencia  à  sa  guise  et  selon  les 
coutumes  portugaises,  El-Maiidi  n'enfreignait  pas  les  prescrip- 
tions de  sa  religion  (p.  58,  1.  10).  CiCtte  façon  d'agir  n'était 
peut-être  pas  du  goût  des  dévots  fanatiques.  Du  moins  était- 
elle  conforme  à  la  loi  musulmane  qui,  dans  le  cas  du  mariage 
d'un  croyant  avec  une  chrétienne,  prescrit  à  celui-ci  de  laisser 
son  épouse  pratiquer  sa  religion  (1). 

On  sait  que  le  Maroc  a  trouvé  dans  ces  dernières  années  un 
historien  indigène,  Ahmed  ben  Khaled  En-Nâciri,  connu  sous  le 
nom  d'Es  Slàouî,  du  nom  de  la  ville  qu'il  habite  (Salé).  Ce 
lettré  musulman  a  fait  imprimer  au  Caire  quatre  volumes  sur 
l'histoire  du  Maroc  (2),  intitulés  Kitâb  al  Istiqçâ.  C'est  de  cet 
ouvrage  que  M.  Pellat  a  traduit  un  chapitre,  celui  qui  a  trait 
à  la  bataille  d'Isly,  et  l'a  publié  sous  le  titre  de  «  La  guerre  du 
Maroc  racontée  par  nos  adversaires  »  (3).  Le  chapitre  ainsi  tra- 
duit se  trouve  à  la  page  132  seq.  du  t.  IV  et  est  intitulé  :    yoU:6^ 

v^ijC'i  ^-r-  '■ ^.^^^ilj  La  traduction  de  M.  P.  paraît  bien  fidèle 

et  il  est  intéressant  de  voir  comment  le  Slâoui  écrit  l'histoire. 
A  vrai  dire  nous  étions  déjà  renseignés  à  ce  sujet  par  le  très 
remarquable  article  écrit  sur  le  KUâb-al-Istiqçci  dans  la  Revue 
de  M.  Gat  (4)  par  un  éminent  arabisant  d'Alger,  sous  le  pseu- 
donyme de  Taleb,  article  dans  lequel  lauteur  fait  une  étude 
critique  de  l'œuvre  du  Slâouî  en  général,  et  spécialement  des 
passages  consacrés  à  la  bataille  d'Isly  et  à  la  guerre  hispano- 
marocaine  de  1860.  A  la  page  197  du  texte,  M.  P.  a  traduit 
JvJjA.;»  par  Menouil  et  le  Comité  de  Lecture  de  l'Institut  de 
Garthage  a  ajouté  en  note  (p.  250)  :  ce  Menouil  ne  serait-il  pas 
simplement  la  traduction  arabe  du  nom  de  Manuel  ou  même 
du  mot  manuel  ?  »  Il  n'y  a  pas  de  doute  à  cet  égard  :  les  cita- 
tions précédées  des  mots  Sij^''  J^^  sont  empruntées  par  le 
Slâouî  à  un  ouvrage  espagnol,  connu  de  ceux  qui  s'occupent 
de  l'histoire  du  Maroc  (5),  et  ce  n'est  pas  une  de  nos  moindres 
surprises  que  de  voir  un  musulman  aussi  fanatique  que  l'est 
l'auteur  puiser  dans  les  ouvrages  des  chrétiens,  tSi^  ^^r^^  !  L,e 


(1)  Gf  Khelîl,  trad.  Perron,  II,  p.  390  :  «. .  .Le  mari  n'a  pas  le  droit 
d'empêcher  sa  f.'inme  chrétienne  di^  suivre  les  hahitudes  qu'elle  a  con- 
tractées, ni  d«  l'empêcher  d'aller  aux  églises  »,  (extrait  du  commentaire 
de  Kherchi).  Cpr  Suprà,  p.  80 

(2)  ^^^   V >fxi^  jj^    ,L^y  ^i^sxJa'  v^^LxT  4  vol.,  Caire, 

1312.  >3  ■  ^  ^ 

(3)  Pellat  :  La  guerre  du  Maroc  racontée  par  nos  adversaires, 
xtraitde  l'histoire  des  dynasties  marocaines,  jiar  Ah'med  ben  Khaled 
en  Naceur,  in  Rev.   Tun.,  5=  ann.,  n-   18,  avril  1898,  p.  244  seq. 

(4)  Taleb  :  Un  historien  musulman,  in  Atg.  nouv.,  1"  an.,  4' trim., 
n-  22  (1"  nov.  1896),  p.  329  seq.  et  n-  23  (8  nov.  1896J  p.  345  seq. 

(5)  Rdo.  P.  Fr.  Manuel  Pablo  Castellanos  :  Descripcion  historica 
de  Marruecos  y  brève  rasenade  sus  dinastias,  1  vol.  Santiago,  1878, 


BULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUE  DE  L'iSLAM  MAGHRIBIN       89 

même  Comité  de  Lecture  du  reste  a  fort  bien  reconnu  que  le 
Slâouî  avait  mis  en  œuvre  des  documents  officiels  (p.  244)  : 
cela  donne  à  son  livre  une  importance  exceptionnelle  pour 
l'histoire  moderne  et  contemporaine  du  Maroc. 

Le  Kitâh  al  Istiqçâ  intéresse  autant  nos  voisins  les  Espagnols 
que  nous-mêmes,  et  M.  Codera  a  donné  sur  cet  ouvrage  une 
intéressante  notice  (1),  dans  laquelle  il  envisage  surtout  les 
passages  de  l'œuvre  du  savant  marocain  qui  se  rapportent  à 
l'histoire  d'Espagne.  Nous  y  remarquons  un  dénombrement 
des  sources  arabes  dépouillées  par  le  Slâouî  ;  d'après  M.  Cod. 
le  nombre  des  ouvrages  consultés  s'élèverait  à  130,  parmi 
lesquels  plus  de  la  moitié  nous  seraient  inconnus.  D'une  façon 
générale  le  savant  orientaliste  espagnol  apprécie  hautement 
l'importance  du  Kitâh  al  Istiqçâ  pour  l'histoire  du  Maghrib. 

L'histoire  de  la  domination  portugaise  au  Maroc  s'est  enri- 
chie d'une  remarquable  contribution  de  M.  David  Lopes  (2). 
Nous  voulons  parler  des  textes  en  aljamia  publiés  par  cet 
érudit.  On  appelle  ainsi,  le  lecteur  ne  l'ignore  pas,  les  textes 
écrits  en  langue  espagnole  ou  portugaise  et  en  caractères  ara- 
bes (3).  Les  textes  publiés  par  M.  L.  sont  relatifs  au  gouverne- 
ment de  Safi  (Asfi)  par  le  Portugal  au  XYT^  siècle. 

Tout  ceux  qui  s'intéressent  à  l'Histoire  de  l'Afrique  du  Nord 
ont  entendu  parler  des  remarquables  fouilles  de  M.  Blanchet 
à  la  Qalaâ  des  Béni  Hammad  et  à  Sedrata,  près  de  Ouargla. 
Leur  auteur  en  a  rendu  compte  à  l'Académie  des  Inscriptions 
et  Belles-L<  ttres  (4).  Les  ruines  de  la  Qalaâ  des  Béni  Hammad 
étaient  déjà  connues,  mais  M.  Bl.  les  a  étudiées  en  détail  et  a 
retrouvé  des  monuments  d'un  grand  intérêt.  «  Toute  une 
civilisation  d'art  et  d'industrie  a  vécu  dans  ces  pays  jusqu'à  la 
conquête  turque  et  peut-être  la  connaissance  du  moyen-âge 
berbère  réserve-t-elle  aux  vrais  amis  de  l'Algérie  et  à  ses 
habitants,  avec  bien  des  surprises,  bien  des  motifs  d'espérer  en 
l'avenir»  (5).  A  propos  des  fouilles  de  M.  Bl.,  M.  Fagnan 
a  résumé  dans  V Algérie  Nouvelle  ce  que  les  historiens  arabes 
nous  ont  appris  de  la  Qalaâ   des  Béni    Hammad  (G).    Les 


(1)  Fr.  Codera  :  Un  historiador  marroquî  coniemporaneo,  in  Bol. 
Real.  Acad.  de  la  Hist  ,  XXX,  p.  251-274  —Nous  devons  communica- 
tion de  l'article  de  M.  Codera  à  l'obligeance  de  notre  maître,  M.  Mouliéras. 

(2)  David  Lopes:  Textos  em  aljamia  portuguesa,  docume^itos para 
a  historia  da  dominio  portugués  em  Saftm,  êxtraliidos  dos  originaes 
da  Torre  da  Tombo,  1  vol.,  157  p.,  Lisbonne,  1897  (Communiqué  par 
M.  R.  Basset). 

(3)  Cf  par  ex.  Coleccion  de  textos  aljamiados,  publicada  por  Pablo 
Gil,  1  vol.,  Zaragoza,  1878.  —  Leyendas  Moriscas  sacadas  de  varias 
manuscritos,  por  F.  Guillen  Robles,  3  vol.,  Madrid,  1885  (Communiqué 
par  M.  R.  Basset). 

(4)  CR  Ac.  Inscript,  et  B.-L.,  3  septembre  1897  (sur  la  Kalaà  des  B. 
Hammad). 

(5)  P.  Blanchet  :  La  Kalaà  des  Béni  Hammad,  in  Tour  du  Monde, 
n*  du  29  janvier  1898,  A  travers  le  Monde,  p-  33. 

(6)  Fagnan  :  La  Kalaà  des  Béni  Hammad,  in  Alg.  Nouv.,  8  aoû 
1897, 


90       BULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUE  DE  l'ISLAM  MAGHRIBIN 

découvertes  de  M.  Bl.  à  Sedrata  (4)  ne  sont  pas  moins  intéres- 
santes. Le  palais  a  été  entièrement  déblayé  :  rien  dans  ce 
palais  ne  traduit  l'influence  directe  de  l'Orient  musulman. 
M.  Bl.  y  verrait  plutôt  le  ressouvenir  de  l'art  romain  d'Afri- 
que. 11  conclut  que  c'est  au  XI**  siècle  seulement,  lors  de 
la  deuxième  invasion  arabe,  que  l'Afrique  a  cessé  complète- 
ment de  vivre  sur  le  vieux  fond  de  la  civilisation  romaine  (2). 

M.  Coudray  a  publié  dans  V Algérie  Nouvelle  des  extraits  de 
son  mémoire  pour  le  diplôme  d'études  historiques  sur  le 
commerce  à  Tlemcen  au  Moyen- Age  (3).  Ces  extraits,  dont  la 
lecture  fait  regretter  que  le  mémoire  n'ait  pas  été  publié  inté- 
gralement, concernent  la  situation  des  étrangers  à  Tlemcen 
sous  les  Béni  Ziyân.  Ils  contiennent  d'intéressants  détails  sur 
la  Kissaria  ou  quartier  franc  de  Tlemcen  au  XIV^  siècle,  sur 
la  condition  des  chrétiens  à  cette  époque,  sur  les  milices  fran- 
ques,  etc.  Ajoutons,  à  propos  des  dynasties  berbères  de 
Tlemcen,  qu'on  annonce  en  Espagne  la  publication  par  M.  Ma- 
riano  Gaspar,  de  l'ouvrage  d'un  roi  de  Tlemcen  (4).  —  D'au- 
tre part,  M.  Mirante  prépare  en  ce  moment  une  traduction  du 
Ra\odhat-a7i-Nasrine ,  chronologie  des  Beni-Mérine,  pour 
paraître  dans  le  Mobacher  (5). 

Deux  importantes  contributions  ont  été  apportées  à  l'étude 
de  la  domination  espagnole,  par  notre  collègue,  M.  Ruff,  et 
M™«  N.  Blum  ;  le  travail  du  premier,  relatif  au  gouvernement 
du  comte  d'Alcaudete,  n'a  pas  encore  été  publié,  mais  nous 
pouvons  dire  que  c'est  une  étude  d'une  grande  valeur  et  dans 
laquelle  l'auteur  ne  laisse  à  peu  près  rien  à  glaner  après  lui. 
—  M™e  N.  Blum  a  publié  ici  même  la  Croisade  de  Ximénès  en 
Afrique  (6)  ;  cet  intéressant  travail  a  été  trop  apprécié  par  les 
lecteurs  du  Bulletin  pour  qu'il  soit  nécessaire  d'en  dire  ici  tout 
le  bien  que  nous  en  pensons.  C'est  une  bonne  œuvre  histori- 
que dans  laquelle  la  clarté,  la  méthode  et  la  précision  n'excluent 
pas  toujours  le  tour  pittoresque  du  récit.  Ce  sont  là  des  qualités 
rares  dans  un  mémoire  d'érudition.  —  Dans  le  Bulletin  de  la 
Société  historique  de  Madrid,  M.  Duro  a  donné  un  travail  sur 


(1)  CR  Ac.  Inscr.  et  B.-L.,  15  et  29  juillet  1898. 

(2)  Voir  encore,  au  sujet  des  fouilles  de  M.Blanchet,  à  la  Qalaà,  le  compte- 
rendu  de  M.  HOUDAS.  in  Bull.  Com.  Afr.  Franc.,  1898,  p.  306-307. 

(3)  (Coudray  :  Les  étrangers  à  Tlemcen  sous  les  émirs  Beni-Zeiyân, 
in  Alg.  nouv.,  16  et  24  octobre  1807.  —  D'autres  estraits  du  mémoire  de 
M.  Coudray  ont  été  publiés  dans  le  Bulletin  de  la  Société  de  Géogra- 
phie d'Alger,  sous  le  titre  de  :  Le  Commerce  de  Tlemcen  au  Moyen- 
Age.  (Bull.  Soc.  Géog.  Alg.,  1'  ann.,  1897). 

(4)  Mariano  Gaspar  :  El  collar  de  perlas  (obra  de  politica  y  adminis- 
tracion)  de  Abu  Hamud,  rey  de  Tlemcen. 

(5)  ijl^  ^^  *.)j'>  â-^  w5  j,«.àJI  ^-•tojj  —  Il  en  existe  un  manus- 
crit à  la  Bibliothèque  Nationale  d'Alger.  CCat.  Fagnan,  n°  1737,  T). 

(6;  N.  Blum  :  La  Croisade  de  Ximénès  en  Afrique,  in  BuV .  Soc. 
Oran.  1897,  p.  319  (se  continue  en  1898). 


BULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUE  DE  L'iSLAM  MAGHRIBIN       91 

la  perte  de  Bougie  par  l'Espagne  (1),  travail  que  nous  ne 
pouvons  que  mentionner,  ne  l'ayant  pas  examiné. 

L'histoire  de  la  domination  turque  dans  la  Régence  d'Alger 
continue  à  être  beaucoup  travaillée.  Nous  ne  pouvons  que  citer 
ici  les  ouvrages  suivants  qui  sortent  un  peu  de  notre  pro- 
gramme :  la  traduction  par  M.  Moliner-Violle  d'un  Dialogue  de 
Fraïf  Diego  Haëdo  ('2);  la  publication  des  Documents  de  Venture 
de  Paradis  déposés  à  la  Bibliothèque  Nationale  (3);  un  exposé 
de  V Organisation  administrative  du  royaume  d'Alger  sous 
Hussein-dey,  par  M.  Rinn  (4);  un  livre  de  M.  Baasch  sur  les 
Rapports  des  villes  hanséatiques  avec  la  Régence  (5j. 

De  même  nous  ne  pouvons  que  mentionner,  en  ce  qui  con- 
cerne la  Tunisie  :  la  note  de  M.  Ed.  Bonnet  sur  deux  ambassades 
tunisiennes  envoyées  au  siècle  dernier  à  la  Cour  de  France  (6)  ; 
—  la  traduction,  par  MM.  Serres  et  Mohammed  Lasram,  d'une 
chronique  de  Mohammed  Seghir  ben  Yousset,  composée 
en  1177  H.  (1763-64)  et  embrassant  la  période  qui  s'étend  de 
1705  à  1765  (7). 

Au  Congrès  de  Garthage,  M.  Gauckler  a  fait  sur  les 
mosquées  de  Tunis  une  communication  dont  l'analyse^  consi- 
gnée dans  les  procès-verbaux  (8j ,  ne  donne  qu'une 
idée  insuffisante.  —  M.  Gauckler  a  du  reste  commencé, 
en  collaboration  avec  M.  R.  (Jagnat,  une  belle  publication  sur 
les  monuments  historiques  de  la  Tunisie  (9j.  Ce  grand  ouvrage 
formera  deux  séries,  dont  la  deuxième  comprendra  les 
monuments  et  inscriptions  arabes. 


(1)  DuRO  (Cesareo  Fern.  )  :  Perdida  de  la  ciudad  de  Bugia  en  Africa, 
ano  1555.  referida  por  un  clerirjo  vizcaino,  testigo  de  rista.,  in  Bol. 
real.  Ac.  hist.,  XXIK,  p.  465  seq. 

(2)  Moliner-Violle  :  De  la  Captivité  à  Alger,  par  Fray  Diego  Haëdo» 
in  Rev.  Afr..  ih  ann.,  1897.  p    157  (suite). 

(3)  Venture  de  Par.4Dis  .  Alger  au  XVIII'  siècle,  in  Revue  Afr., 
41'ann..  n°  224.  1"  Irim.  1897  ^fin   précédé  d'une  préface  de  M.  Fagnan). 

(4)  L.  Rinn  :  Le  royaume  d'Alger  sous  le  dernier  dey.  in  Reo.  afr., 
41"  ann.,  pp.  12l-;j31  et  42*  ann..  p.  5. 

(5)  B.^.ASCH  :  Die  Hansestadte  und  die  Barbaresken,  I  vol.  8",  Kassel, 
1897. 

(6j  Ed.  Bonnet  :  Deux  ambassades  tunisiennes  à  la  Cour  de 
France  {17 'iS- 1777).  d'après  les  comptes-rendus  manuscrits  des 
secrétaires -interprètes  du  roi.  in  C.  R.  25"'  sess.  A.  F.  A. S  Cong.  de 
Cartilage,  2""  part.  Notes  et  mém.,  p.  697  seq. 

(7)  MoH.wiMED  Seghir  ben  Yotissef,  de  Béja  :  Soixante  ans 
d'iiistoire  de  la  Tunisie  (1705-/765).  Documents  pour  servir  à 
l'histoire  des  quatre  premiers  beys  de  la  famille  d'Ali  Turki, 
traduit  en  français  par  Victor  Serres  et  Mohammed  Lasram,  in  Rev. 
Tunis.,  ann    1897,  p.  96  seq. 

(8)  Gauckler  :  Sur  les  mosquées  de  Tunis,  in  G.  R.  25*  sess. 
A.  F.  A.  S.  Cojig.  de  Carthage,  \"  part.  Doc.  off.  et  proc.-verb.   p.  275. 

(9)  R.  Gagnât  et  Gauckler  :  Les  monuments  historiques  de  la 
Tunisie.  Part.  I.  Les  monuments  antiques,  avec  des  plans,  par 
E.  Sadou.K.  Livre  \.   Les  Temples  païens.  Paris,  1898,  fol..  39  pi. 


92       BULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUE  DE  L'ISLAM  MAGHRIBIN 

M.  G.  Loth  a  donné  une  petite  Histoire  de  la  Tunisie  (1), 
qui  est  un  livre  d'enseignement  bien  fait  et  bien  proportionné; 
on  aurait,  semble-t-il,  aimé  y  retrouver  les  traits  essentiels  de 
l'Histoire  d'Algérie  ;  mais  le  programme  officiel  tracé  à 
l'auteur  ne  le  lui  permettait  vraisemblablement  pas  ;  il  parait 
qu'on  peut  très  bien  apprendre  l'histoire  de  la  Tunisie  sans 
même  mentionner  la  bataille  d'Isly  ou  la  prise  de  Constantine. 

Le  petit  livre  de  MM.  Peytral  et  Marie  Peytral,  Eléments 
simplifiés  de  chromologie  algérienne  {'2),  est  conçu  sur  un  plan 
différent  et  beaucoup  plus  modeste  que  celui  de  M.  Loth.  Cet 
ouvrage  sort  du  reste  beaucoup  trop  de  notre  cadre  pour  que 
nous  puissions  faire  autre  chose  que  le  citer.  Il  en  est  de 
même  des  travaux  relatifs  à  la  conquête  de  l'Algérie  :  les  lettres 
adressées  au  maréchal  de  Castellane  (3)  ;  —  l'article  de  M.  de 
Lamartinière  sur  la  convention  de  Lalla-Marnia  et  la  fron- 
tière marocaine  (4)  ;  —  les  Lettres  et  récits  militaires  de  M. 
Bâcher  qui  ne  contiennent  du  reste  que  40  pages  sur  l'Algé- 
rie (5);  —  les  Souvenirs  militaires  du  général  Montaudon  (6), 
dans  lesquels  l'auteur  a  consacré  à  la  religion  arabe  quelques 
pages  (p.  150  seq)  qui  ne  sont  pas  parmi  les  plus  recomman- 
dables  de  l'ouvrage;  —  la  Prise  de  Bônt  et  de  Bougie,  par  le 
Général  de  Gornulier-Lucinière,  et  dont  l'apparition  est  toute 
récente  (7). 

L'histoire  du  Soudan  est  encore  à  faire  ;  nous  avons  parlé 
plus  haut,  à  propos  du  livre  de  M.  F.  Dubois  (p.  72)  du  Tarikh 
es-Soûdâne.  M.  Hondas  vient,  avec  la  collaboration  de  M.  E. 
Benoist,  d'en  éditer  le  texte  arabe  (8).  La  traduction  suivra 
prochainement  et  nous  saisirons  l'occasion  pour  analyser  cet 
important  ouvrage.  —  M.  Ismaïl  Hamet  a  publié,  dans  la 
Revue  Africaine,  le  texte  et  la  traduction  du  Noûr  et  Albâh  du 


(1)  G.  Loth  ;  Histoire  de  la  Tunisie,  depuis  les  origines  jusqu'à 
nos  jours.  Paris,  1898.  291  pp. 

(2)  G.  H.  Peytral  et  Marie  Peytra.l  :  Eléments  simplifiés  de  chro- 
mologie algérienne  à  l'usage  des  écoles  et  des  familles.  1  vol.,  Alger. 
1898.' 

(3)  Cainpagne-i  d'Afrique,  183o-!848.  Lettres  adressées  au  maréchal 
de  Castellane.  Paris,  8-,  1898. 

(i)  H.  DE  Lamartinière  :  La  convention  de  Lalla-Marnia  et  la 
frontière  algérienne  de  l'Ouest,  iu  Rev.  Deux-Mondes,  15  avril  1897. 

(5)  Charles  Bâcher  :  Lettres  et  récits  militaires.  Afrique  et  armée 
d'Orient.  1  vol.  Paris,  1897. 

(6)  G.  Montaudon:  Souvenirs  militaires,  Afrique,  Crimée,  Italie. 
t.  I.  Paris,  8-,  1898. 

(7)  Général  Comte  de  Cornulier-Lucinière  :  La  prise  de  Bône  et  de 
Bougie  d'après  des  documents  inédits  {I8'i2-I8'i3) .  1  vol.  18-  illustr., 
Pari's.  1898. 

(8)  Abderrahmane  ben  Abdallah  bem  Imran  ben  Amir  es-Sadi 
Tarihh-es-Soudan  (Histoire  du  Soudan).  Texte  arabe  édité  par  O. 
Houdas,  avec  la  collaboration  de  E.  Benoist.  Paris,  1898.  in  Publicat, 
de  l'Ecole  des  LL.  00. ,  sér.  IV,  vol.  12. 


BULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUE  DE  L'ISLAM  MAGHRIBIN       93 

Cheikh  Otsmane,  dit  Ibn  Foudiou  (1).  Ce  Cheikh  Otsmane  est 
le  fondateur  de  l'empire  du  Socoto,  mort  d'après  M.  I.  H.  vers 
1817.  Le  '^^iJ^jy  dont  on  nous  donne  ici  le  texte  et  la  traduc- 
tion peut  être  intéressant  pour  l'étude  de  l'Islam  soudanien. 
Il  nous  montre  le  mahométisme  essayant  de  lutter  contres  les 
innombrables  superstitions  des  nègres  qui  n'embrassent  la  reli- 
gion du  Prophète  qu'en  y  transportant  leurs  coutumes  païennes. 
L'opuscule  tout  entier  du  Cheikh  Otsmane  est  employé  à 
fulminer  contre  ces  pratiques  étrangères  et  même  contraires  à 
l'esprit  du  pur  Islam,  mais  qui,  en  réalité,  se  sont  conservées 
presque  partout,  comme  il  arrive  chaque  fois  qu'un  culte  en 
remplace  un  autre.  Il  est  vraisemblable  que  l'Islam  n'aura  pas 
raison  des  superstitions  des  noirs  et  un  rigorisme  comme  celui 
des  Wahhabites  n'aurait  aucune  chance  de  succès  au  Soudan. 
—  Dans  une  note  complémentaire  sur  l'origine  des  Foulanes 
ou  peuplades  Foulbé  du  Soudan,  l'auteur  parle  d'un  ouvrage 
d'un  frère  du  Cheikh  Otsmane,  intitulé  Taziine  el  ouarqàt 
(s^Là^jJÎ     v-;^rO  dont  il  n'a  pu  avoir  connaissaixe  et  où  il  est 

dit  que  les  Foulanes  descendent  des  compagnons  de  Oqba  ibn 
Nafi  qui  se  serait  avancé  jusque  dans  le  Sénégal.  M.  I.  H. 
trouve  cette  opinion  très  vraisemblable.  Il  tait  remarquer 
qu'entre  sa  deuxième  expédition  (653)  et  sa  troisième  (669), 
Oqba  resta  dans  les  environs  de  Barka.  Il  suppose  qu'il 
aurait  pu  à  ce  moment  pénétrer  dans  le  Soudan.  Il  est  invrai- 
semblable, dit  M.  I  H.,  que  cet  apôtre  enflammé  se  soit  tenu 
prudemment  pendant  16  années  entières  dans  le  seul  pays  de 
Barka.  Si  l'on  admettait  cela,  il  faudrait  admettre  aussi  que  ce  fut 
lors  de  sa  troisième  expédition  qu'il  descendit  dans  le  Soudan 
par  l'Ouest.  A  l'appui  de  sa  thèse,  M.  I.  IL  invoque  l'autorité 
d'Ibn  Khaldûun  et  d'Abou-el-Mahàsin  ;  il  aurait  pu  y  joindre 
celle  d'Ibn-al-Atsir  qui  dit  qu'en  663,  Oqba  fit  la  conquête 
d'une  partie  du  Soudan  (cette  portion  du  Kâmil  a  été  traduite 
dans  ]3L  Revue  Africaine  même).  Mais  cette  conquête,  à  la  vérité, 
nous  paraît  bien  invraisemblable.  A  la  suite  du  Noùr  el  Alhâh, 
est  une  poésie  en  l'honneur  du  Cheikh  Otsmane,  sur  le  mètre 
malhoùn,  nous  dit  l'auteur,  c'est-à-dire  sur  un  rythme  ne  se 
rapportant  à  aucun  des  16  mètres  classiques. 

M.  Sachau  vient  de  publier  dans  les  Mélanges  de  l'Ecole  des 
Langues  orientales  de  Berlin,  un  important  travail  sur  une 
*  chronique  de  Zanzibar  (2),  d'origine  abâdhite  et  utilisée  par 
Salîl  ibn  Raziq  dans  son  Histoire  de  l'Oman.  Tout  ce  qui  touche 
aux  pays  abàdhites  intéresse  nécessairement  la  puissance  qui 
possède  le  Mzab. 


(1)  ISMAïL  Hamet  :  No^iJ-  el  Eulbah  {Lumière  des  cœura)  du  Cheikh 
Otsmane  ben  Otsmane  dit  Ibn  Foudiou,  in  Rec.  Afr.,  41°  ann.  n°  227, 
4'  trim.  1897,  p.  2î)7  et  42»  ann.,  n»  228,  1"  trim.  1898,  p.  58, 

(2)  Sachau  :  Ueber  eine  arabisclie  chronik  aus  Zanzibar, 
1'"  partie,  in  Mittheil.  d .  Sewin.  f.  Or.  Sprach.,  année  I.  fasc.  II, 
Berlin,  1898,  pp.  1-19  (communiqué  par  M.  René  Basset). 


94       BULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUE  DE  L'iSLAM  MAGHRIBIN 


X.  —  FOLKE-LORE  DE  L'AFRIQUE  MINEURE 

Il  a  été  rendu  compte  ici  même,  des  Nouveaux  contes  herhères 
de  M.  René  Basset,  et  nous  ne  pouvons  que  renvoyer  à  la 
notice  qu'en  a  donné  M.  Gaudefroy-Deraombynes  (1).  Nous 
signalerons  seulement  à  l'attention  du  lecteur,  les  neuf  légen- 
des religieuses  publiées  par  M.  Basset,  comme  se  rapportant 
directement  à  notre  point  de  vue  spécial.  —  Dans  ce  bulletin,' 
M.  René  Basset,  dont  l'érudition  est  universelle  et  qui  compte 
au  rang  de  nos  folkeloristes  les  plus  distingués,  a  étudié  la 
célèbre  légende  de  la  Tour  fermée  de  Tolède  (2)  chez  les  histo- 
riens arabes,  puis  chez  les  chroniqueurs  espagnols  et  jusque 
dans  les  récits  populaires  du  Mexique  où  les  Espagnols  l'ont 
transportée.  L'auteur  étudie  l'évolution  de  la  légende  dans  ces 
différents  milieux  et  l'influence  qu'ont  exercé  l'une  sur 
l'autre,  à  cette  occasion,  les  deux  civilisations  musulmane 
et  chrétienne.  —  Nous  n'avons  pas  eu  directement  connais- 
sance des  travaux  de  folke-lore^  publiés  par  M.  René  Basset 
dans  la  Reoue  des  traditions  populaires.  Ceux  qu'il  nous  paraît 
nécessaire  de  citer  ici  sont  :  les  *  Notes  sur  les  mille  et  une 
nuits  {3),  élude  comparative  des  diverses  recensions  de  ce 
recueil  et  des  *  Légendes  et  contes  arabes  (4),  qui  contiennent 
un  grand  nombre  de  pièces  intéressant  le  point  de  vue 
religieux.  -  Nous  ne  pouvons  également  que  citer,  pour  les 
mêmes  raisons,  les  articles  de  M.  A.  Robert  dans  le  même 
recueil  :  *  Légendes  contemporaines  (5) ,  relatives  à  des 
marabouts  indigènes  ;  *  Croyances  des  indigènes  des  environs  de 
Sedrata  (6j,  relatives  à  des  superstitions  indigènes;  *  Médecine 
populaire  arabe  (7)  et  *  Chansons  arabes  chantées  par  les 
femmes  indigènes  de  Guehna  pour  endormir  les  enfants  (8).  — 
M.  Fabre  a  publié  dans  l'Algérie  nouvelle  une  série  de  légendes 
kabyles  mises  en  vers  élégants  (9)  qui  font  honneur  au  poète, 
mais  que  les  érudits  eussent  peut-être  préféré  voir  remplacés 


(1)  René  Basset  :  Nouveaux  contes  berbères.  1  vol.  Paris,  1897. 
XXVI,  373  pp. 

(2)  René  Basset:  La  maison  fermée  de  Tolède,  in  Bull.  Soc.  Géog. 
et  Arch.  d'Oran,  n"  spécial  à  l'occasion  du  vingtenaii*e  de  la  Société, 
1  vol.  Oran,  1898,  p.  42. 

(3)  Rev.  trad.  popul.,  1897,  t.  XII,  pp.    146-152. 

(4)  Id.  pp.   65-69.  243-253,  337-341,  400- 'i04,  477-484, 

633-636  et  668-678. 

(5)  Id.  pp.  272-273. 

(6)  Id..  pp.  59,  336,  531-532. 

(7)  Id.  pp.  48.  262.  615-616. 

(8)  Id.  pp.  86.  —  D'autre  part,  M.  A  Robert  a  donné 
dans  la  Vie  alg.  et  tun.  de  1897  une  chanson  arabe  des  environs  de 
Gaelma  pour  endormir  les  enfants,  texte  arabe  en  caractères  français 
et  traduction. 

i9)  C.  Fabr£  :  Légendes  kabyles,  in  Alg.  Nouv.  iv  des  6  juin,  27  juin 
et  4  juillet  1897. 


BULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUE  DE  L'ISLAM  MAGHRIBIN       95 

par  une  prose  plus  fidèle  au  texte  original.  —  Dans  le  même 
recueil  le  même  auteur,  descendant  du  Parnasse,  a  raconté, 
dans  une  prose  facile  et  agréable,  une  légende  des  Ouadhia(-l). 
M.  Hans  Stumine  a  publié  des  airs  populaires  de  la  Tuni- 
sie (2).  Cette  collection  qui  vient  d'être  suivie  d'un  nouveau 
recueil  de  contes  et  poésies  populaires  de  Tripoli  (3)  fait  partie 
d'une  série  de  travaux  analogues  poursuivis  par  le  même 
auteur  sur  le  folke-lore  et  surtout  sur  la  langue  parlée  de 
l'Afrique  mineure.  M.  H  Stumme  a  déjà  publié  :  une  première 
collection  de  contes  et  poésies  populaires  tunisiens  ;  une 
étude  sur  le  dialecte  des  Houwàra  de  l'Ouad  Sous  ;  des  mor- 
ceaux en  dialecte  chelha  ;  des  poésies  populaires  des  Chlouh  ; 
une  grammaire  de  l'arabe  parlé  de  Tunis,  avec  glossaire  (4). 
Nous  en  donnons  en  note  l'énumération  exacte  afin  de  montrer 
comment  les  Allemands  viennent  butiner  sur  un  terrain  où  le 
zèle  de  nos  arabisants  d'Algérie  et  de  Tunisie  devrait,  semble- 
t-il,  ne  rien  laisser  à  glaner  à  des  étrangers.  Il  est  bien  mor- 
tifiant pour  notre  amour-propre  que  la  plupart  des  travaux 
réellement  scientifiques  parus  sur  les  dialectes  arabes  de 
l'Afrique  Mineure  soient  l'œuvre  de  savants  allemands.  —  A 
propos  des  travaux  de  M.  Stumme  sur  les  contes  populaires  du 
Maghrib,  on  ne  lira  pas  sans  fruit  l'article  de  M.  Eckardt  dans 
la  Deutsche  Rundschau  (5).  L'auteur,  après  une  description 
pittoresque  du  café  maure  et  du  conteur  arabe,  développe 
des  considérations  intéressantes  au  point  de  vue  tolkeloriste, 
sur  les  contes  populaires  de  l'Afrique  du  Nord.  Il  croit,  avec 
apparence  de  raison,  y  retrouver  certains  vestiges  du  christia- 
nisme (voy.  en  particulier  p.  13:?,  en  bas).  Au  sujet  du  rapport 
de  ces  légendes  avec  les  légendes  européennes,  M.  E.  ne  se 
prononce  pas.  Sont-elles  venues  du  Maghrib  à  l'Europe,  ou 
bien  est-ce  le  contraire  ?  a  Personne  ne  saurait  trancher  la 
question.  Les  contes  sont  comme  les  feuilles  entraînées  par  le 
vent  »  (6), 

(1)  C.  Fabre  :  Une  lérjende  des  Ouadhia,  in  Alg.  Nouv.,  2  et  9  jan- 
vier 1898. 

('2)  H.  Stumme  :  Neue  tunisische  Sammlungen  (Kinderlieder,  Stras- 
senlieder,  Auszaehlreime,  Raetsel.  Arôbis,  Geschichtchen,  u.  s.  w). 
Arab.  Text .  mit.  Uehersetz.  Leipzig.  1896,  48  pp. 

(3)  H.  Stumme  :  Maerchen  und  Gedichte  aus  der  Stadt  Tripolis  in 
Nordafrica.  Leipzig-,   1898. 

(4)  Tunisisc/te  Maerchen  inid  Gedichte,  Eine  Sammlung  prosaïsrJier 
und  poetisclter  Stueche  im  arab.  Dialelit  der  Stadt  Tunis,  nebst  Ein- 
leit.  u.  Uebersetz.  Leipzig,  1895.  —  Der  arabische  Dialein  der 
Huioara  des  Wad  Sus  in  Marokko  (en  collaboration  avec  A.  Socin), 
Leipzig,  1894.  —  Elf  Stûche  in  Sc/tilhadiale!;t  von  Tazenoalt,  in 
Zeitsch.  f.  deutch.  morgenl.  Gesellsch.,  ISOi. —  Maerchen  der  Schluh 
van  Tazerwalt,  Leipzig,  1895. —  Dichtkunst  und  Gedichte  der  Schluh, 
Leipzig  1895. —  Grammatik  des  tunisichen  Arabisch.  nebst  Glossar, 
Leipzig,  1896. 

(5)  J^  I.  VON  Eckardt  :  Magrebinische  Volhsmaerchen,  h\  Deutsche 
Rundschau,  23  ann.,  4"°=  fasc.  janvier  1897,  pp.  12ii-133. 

(6)  Plusieurs  ouvrages  mentionnés  au  paragraphe  XV  ('p.ll9j,  intéressent 
les  folke-ioristes  en  même  temps  que  les  philologues:  p.  ex.,  les  légendes 
Kabyles,  de  M.  Moulieras  ;  les  textes  touaregs,  de  M.  Masqueray,  publiés 
par  MM.  K.  Basset  et  Demambynes,  etc. 


96       BULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUE  DE  L'ISLAM  MAGHRIBIN 

XI.  —  SOCIOLOGIE  DE  L'AFRIQUE  MINEURE 
(Ouvrages  intéressant  les  Mœurs,  Coutumes,  Institutions) 

Au  début  de  ce  paragraphe,  nous  devons  signaler  la  très 
remarquable  bibliographie  géographique  que  M.  Augustin 
Bernard  a  donnée  au  Bulletin  de  la  Société  de  Géographie 
d'Alger.  Dans  le  chapitre  V,  en  particulier,  le  savant  géographe 
d'Alger  fournit  un  certain  nombre  d'indications  qui  se  rappor- 
tent à  la  sociologie  de  l'Afrique  Mineure  (1).  —  Nous  devons 
aussi  mentionner,  comme  renfermant  à  ce  même  point  de  vue 
d'importantes  et  inédites  contributions,  les  Documents  géogra- 
phiques sur  l'Afrique  septentrionale,  de  M.  René  Basset  (2)  :  ce 
sont  des  traductions  de  textes  intéressant  surtout  la  géographie 
pure,  accompagnées  d'un  abondant  et  savant  commentaire. 

Le  travail  de  M.  Carnoy,  intitulé  L Islam,  mœurs  et  coutu- 
mes(3),  se  réfère  surtout,  en  dépit  de  son  titre  trop  compréhensif, 
aux  musulmans  de  l'Afrique  du  Nord.  Il  se  compose  d'une  série 
de  mémoires  sur  les  institutions,  mœurs  et  coutumes  musul- 
manes ;  cérémonies  accompagnant  la  naissance,  les  funérailles, 
la  circoncision,  etc.,  ....  ;  confréries  religieuses  ;  vendetta  ou 
dia, ...  On  est  bien  obligé  de  reconnaître  que  ces  études  trahissent 
une  certaine  inexpérience  du  sujet  ;  l'auteur  ne  paraît  pas 
avoir  puisé  aux  sources.  Il  s'est  contenté,  le  plus  souvent,  de 
se  reporter  à  des  ouvrages  ne  méritant  pas  une  grande 
confiance,  comme,  par  exemple,  les  brillants  récits  du  général 
Daumas.  Ajoutons  que,  comme  cela  est,  hélas  !  trop  fréquent 
dans  ces  sortes  d'ouvrages,  l'orthographe  des  noms  arabes  est 
peu  respectée. 

Dans  la  Grande  Encxjclopédie,  M.  de  la  Martinière  a  donné 
un  long  article,  qui  a  été  ensuite  tiré  à  part,  sur  le  Maroc.  En 
son  ensemble,  cet  article  offre  un  bon  résumé  de  nos  connais- 
sances actuelles  sur  l'Empire  des  Chérifs.  La  partie  la  plus 
remarquable,  à  raison  des  travaux  spéciaux  de  l'auteur,  est 
celle  où  il  nous  décrit  les  monuments  indigènes  ou  les  vestiges 
de  la  domination  romaine,  que  lui  même  a  contribué  à  retrou- 
ver avec  tant  de  succès.  L'Histoire  du  Maroc  occupe  33  colonnes 
et  présente  un  exposé  détaillé  des  révolutions  marocaines  ;  on 
aurait  peut-être  préféré  seulement  quelques  vues  d'ensemble 
appuyées  sur  un  certain  nombre  de  faits  judicieusement 
choisis  ;  mais  il  faut  convenir  que  l'état  des  études  historiques 
sur  le  Maroc  n'est  pas  encore  tel  qu'il  soit  possible  d'avoir  des 


(1)  Augustin  Bernard  :  Revue  bibliographique  des  travaux  sur  la 
Géographie  de  l'Afrique  Septentrionale,  in  Bull.  Soc.  Géog.  Alger, 
3'  ann. ,  1898,  1"  trim. ,  p.  25  soq  et  t.  à  p. 

(2)  René  Basset:  Documents  géographiques  sur  l'Afrique  Septen- 
trionale, traduits  de  l'arabe.  1  br.  5i  p.,  Pans.  1898. 

(3)  Henri  Carnoy  L'Islam,  mœurs  et  coutum,es,  inRev.  de  l'Islam, 
2'aûn..janv.  1897,  p.  3  sep. 


BULLETIN   BIBLIOGRAPHIQUE  DE   l'iSLAM  MAGHRIBIN       97 

conclusions  générales.  Au  point  de  vue  religieux,  il  y  a  peu  de 
chose  à  glaner  dans  l'article  de  M.  de  la  M.  ;  il  nous  paraît 
impossible  d'admettre  l'opinion  de  M.  G.  Charmes  à  laquelle 
semble  se  ranger  Fauteur,  opinion  suivant  laquelle  lors  de  ia 
période  brillante  de  l'empire  musulman  d'Espagne  «  ce  qu'on 
appelait  la  civilisation  arabe,  s'élaborait  au  Maroc  et  en  partait 
pour  briller  en  Espagne  ».  On  est  étonné  aussi  de  trouver  des 
renseignements  comme  ceux  ci  :  «  La  théologie  se  confond  au 
Maroc  avec  la  jurisprudence  »  (p.  217,  col.  2).  Les  musulmans 
n'ont  jamais  confondu  le  -X-^y  (tawh'îd)  et  le  -/^J.3  (fiqh)  dans 
aucun  pays.  Plus  loin  Al  Bokhàrî  est  donné  comme  un 
commentateur  du  Coran  et  cette  erreur,  surprenante  chez  un 
voyageur  au  Maroc,  est  reproduite  deux  fois  (p.  277,  col.  2  et 
p.  278,  col.  1).  Ces  légères  observations,  destinées  à  sauvegar- 
der les  droits  de  la  critique,  n'empêchent  pas  l'article  d'être  un 
des  plus  complets  que  la  Grande  Encyclopédie  ait  donnés 
jusqu'ici  et  un  des  plus  commodes  à  consulter. 

Nous  n'avons  pas  à  analyser  ici  en  détail  les  volumes  récem- 
ment parus  du  magnifique  ouvrage  de  MM.  H.-M.-P.  de  la 
Martinière  et  N.  Lacroix,  sur  le  Nord-Ouest  africain  ;  notre 
savant  maigre,  M.  Augustin  Bernard,  poursuit  ici  même  cette 
tâche  avec  sa  haute  compétence,  et  il  convient  que  nous  nous 
bornions  à  quelques  brèves  indications.  Le  III^  volume  des 
Documents  (1)  contient  un  très  remarquable  essai  historique  sur 
le  Touat  ;  on  y  trouvera  des  détails  sur  les  nombreux  juifs  toua- 
tiens  convertis  à  l'islamisme  ;  ces  conversions,  du  reste  forcées, 
sesont  poursuivies  jusqu'à  nos  jours.  Les  confréries  religieuses 
au  Touat  sont  particulièrement  fanatiques  (p.  199).  Au  Maroc, 
où  des  puissances  rivales  se  disputent  la  prépondérance,  des 
intérêts  communs  ont  pu  nous  réunir  à  la  maison  d'Ouezzàn; 
mais  au  Touat,  les  confréries  n'ont  de  raison  d'être  qu'en  se 
montrant  intransigeantes  ;  les  Taïbiya  et  les  Oulad  Sidi  Chikh 
n'ont  qu'une  influence  restreinte  à  cause  de  leurs  compromis- 
sions avec  les  chrétiens.  Nous  ne  nous  implanterons  au  Touat 
que  par  la  force,  et  si  nous  voulons  employer  pour  cela  les 
Oulad  Sidi  Chikh,  il  faudra  leur  en  donner  les  moyens.  Les 
auteurs,  un  peu  plus  loin,  remettent  au  point  la  question  des 
Senoussiya  :  il  n'y  en  a  guère  qu'au  Tidikelt.  L'ouvrage  con- 
tient enfin  de  nombreux  et  curieux  détails  sur  les  mœurs  des 
populations  touatiennes.  Le  tome  IV  des  Documents  (2)  est 
concerné  à  la  description  détaillée  des  oasis  du  Touàt  ;  on  y 
trouve  à  glaner  des  renseignements  innombrables  et  inédits 
sur  l'état  social  et  les  coutumes  des  habitants.  Un  magnifique 
atlas  de  11   cartes  complète  l'ouvrage,  dont  tous  ceux  qui 


(1)  H.  M.  p.  DE  LA  Martinière;  Documents  pour  servir  à  l'étude 
du  Nord-Ouest  Africain,  réunis  et  rédigés  par  ordre  de  M.  Jules  Cam- 
bon,  Gouverneur  Général,  t.  III.  Les  oasis  de  l'Extrême-Sud  Algérien 
1  vol.  XV,  544pp.,  1897. 

(2)  Id.  —  t.  IV,  1  vol.  591  pp.,  1897. 


98       BULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUE   DE   l'ISLAM   MAGHRIBIN 

s'intéressent  à  l'expansion  de  la  France  dans  le  Nord  de 
l'Afrique  souhaitent  ardemment  de  voir  bientôt  la  continua- 
tion. 

Tandis  que  MM.  de  Lamartinière  et  Lacroix  mettent  en 
œuvre  les  documents  administratifs,  les  pièces  de  chancelle- 
rie, les  renseignements  indigènes  recueillis  par  nos  officiers 
de  bureaux  arabes,  M.  Mouliéras,  dans  son  Maroc  inconnu, 
s'adresse  exclusivement  aux  indigènes  eux-mêmes  ;  ce  sont 
leurs  récits  qu'il  enregistre,  c'est  de  leur  bouche  qu'il  recueille 
la  description  de  leur  pays,  et  en  définitive  il  ne  fait  que  se 
servir  de  la  source  dernière  d'information  de  tout  voyageur, 
en  ce  qui  regarde  les  mœurs  et  coutumes.  Car  quel  voyageur 
peut  se  vanter  d'avoir  tout  vu  ?  la  mobilité  de  l'explorateur 
l'oblige  à  s'en  rapporter  sur  la  plupart  des  points  au  dire  des 
indigènes.  M.  Mouliéras  n'opère  pas  autrement,  mais  avec 
quels  avantages  sur  l'explorateur  !  C'est  à  loisir,  dans  le  cabi- 
net, qu'il  interroge  ses  marocains,  les  tourne  et  les  retourne, 
et  les  contrôle  les  uns  par  les  autres,  c'est  dans  leur  langue, 
soit  en  arabe  soit  en  berbère,  qu'il  leur  adresse  la  parole  avec 
cette  facilité  d'élocution  qui  lui  conquiert  de  prime  abord  les 
bonnes  grâces  de  tous  les  musulmans.  Aussi  son  œuvre  est- 
elle  un  répertoire  immense  de  renseignements  absolument 
originaux  qu'aucun  de  ceux  qui  écrivent  sur  le  Maroc  ne 
pourra  se  dispenser  de  consulter  à  chaque  instant.  Les  socio- 
logues surtout  y  pourront  puiser  à  pleines  mains  des  trésors 
d'information.  Le  IL"  volume  du  Maroc  inconnu  est  sous 
presse  :  il  contiendra  plus  de  800  pages  sur  les  seuls  Djehàlâ. 
A  chaque  tribu  l'auteur  a  joint  un  historique  fait  d'après  les 
sources  arabes  les  plus  autorisées  (1). 

Il  ne  nous  reste  plus  à  citer  sur  l'empire  chérifien  qu'un  arti- 
cle de  M.  Harris  sur  les  *  Berbèrer,  nomades  du  centre  du 
Maroc,  que  nous  mentionnons  d'après  la  Chronique  Géogra- 
phique de  M.  A  Bernard  (2). 

Parmi  les  ouvrages  généraux  sur  l'Algérie,  celui  de  M. 
Kœnig  *  (3)  paraît  être  particulièrement  important  :  nous  n'a- 
vons pu  l'avoir  à  notre  disposition.  —  Au  congrès  de  Carthage, 


(1)  Ce  deuxième  volume  vieat  de  paraître;  il  comptera  parmi  les 
ouvrages  les  plus  originaux  qui  aient  jamais  été  publiés  sur  le  Maroc. 
C'est  une  véritable  encyclopédie  :  marocaine,  géographique,  ethnogra- 
phique, historique,  philologique,  religieuse,  politique. . .  Nul  ne  peut  plus, 
à  quelque  titre  que  ce  soit,  s'occuper  de  notre  voisin  de  l'CJuest,  sans 
recourir  préalablement  au  magistral  travail  du  savant  professnu'  d'Oran. 

C'est  aussi  le  livre  d'un  bon  Français,  et  tout  bon  Français  qui  s'inté- 
resse à  l'avenir  colonial  de  son  pays  devrait  l'avoir  lu.  Nous  en  reparlerons 
longuement. 

(2)  W.  B.  Harris  :  The  nomadic  Berber  of  central  Morocco,  in 
Geog.  Journ.,  1897,  p.  638. 

(3)  A.  Kœnig  :  Reisen  uncl  Forschungen  in  Algérien.  Mit.  24  nach 
photog.  Aufnahm.  gefertigt.  Schioarzdr-BilcL,  ià  m.  d.  Hand  col, 
Taf.;  2Forbendr-Tdf.  u.  1  Karte.  Berlin,  168-426  pp.,  1897. 


BULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUE  DE  L'ISLAM  MAGHRIBIN       99 

en  1896,  M.  Du  mont  avait  déjà  présenté  quelques  observa- 
tions sur  la  démographie  des  indigènes  et  plusieurs  membres 
avaient  attiré  son  attention  sur  l'intérêt  qu'il  y  aurait  à  étudier 
rinlluence  exercée  sur  le  renouvellement  de  l'espèce,  la  fré- 
quence des  naissances,  la  masculinité,  la  mortalité  infantile, 
par  la  polygamie,  la  précocité  des  mariages  et  la  fréquence  des 
divorces.  L'auteur  s'était  proposé  de  remplir  ce  programme  et 
de  présenter  au  Congrès  de  1897  le  résultat  de  ses  études  : 
l'insuffisance  et  la  nature  défectueuse  des  documents  officiels 
l'ont  arrêté  (1).  L'énorme  effort  qu'a  coûté  l'application  de  la 
loi  sur  l'état-civil  est  donc  resté,  à  cet  égard  au  moins,  à  peu 
près  complètement  stérile  ;  c'est  bien  regrettable.  Néanmoins 
M.  Dumont  a  pu  obtenir  dans  ces  mauvaises  conditions  quel- 
ques résultats  dont  voici  les  plus  intéressants  :  l'accroissement 
énorme  de  la  population  musulmane  tient  en  partie  à  des 
recensements  de  mieux  en  mieux  faits,  en  partie  à  l'excédent 
des  naissances  ;  —  un  grand  nombre  de  naissances,  mariages, 
divorces  ne  sont  pas  déclarés,  les  omissions  sont  moindres  en 
ce  qui  concerne  les  décès  ;  —  les  mariages  d'enfants  existent 
toujours,  mais  ils  ne  sont  pas  déclarés,  et  on  n'en  sait  pas  le 
nombre  ;  —  la  fréquence  extrême  des  divorces  et  la  médiocre 
fécondité  du  mariage  musulman  semblent  les  deux  traits  les 
plus  saillants  de  la  démographie  des  musulmans  algériens.  — 
Les  très  intéressantes  monographies  des  communes  de  Boghari 
et  de  Chellala  publiées  par  M.  Joly  dans  V Algérie  Nouvelle,  (2) 
ne  contiennent  que  relativement  peu  de  choses  à  notre  point 
de  vue  et  ont  avant  tout  un  intérêt  géographique.  —  Il  en  est 
de  même  d'une  note  de  M.  Pallary  (3)  sur  le  Dahra  oranais, 
dans  laquelle  nous  ne  trouvons  à  relever  que  la  mention  d'un^ 
sorte  de  mascarade  célébrée  par  les  indigènes  et  observée  par 
l'auteur  ;  on  ne  sait  s'il  faut  rattacher  cela  aux  «  carnavals  » 
observés  sur  un  différents  points  de  l'Afrique  du  Nord. 

En  ce  qui  concerne  la  Tunisie,  il  nous  faut  nous  arrêter 
quelque  temps  à  un  ouvrage  capital  au  point  de  vue  sociolo- 
gique :  nous  voulons  parler  du  livre  de  M.  Paul  Lapie  sur  les  ci- 
vilisations tunisiennes  (A)  :  c'est  avant  tout  le  livre  d'un  philo- 
sophe. L'auteur  qui  d'ailleurs  est  un  professeur  de  philosopiiie, 
ratiocine  à  tout  propos.  Il  ne  lui  suffit  pas  de  rassembler  pa- 
tiemment les  faits  et  de  les  analyser  ;  il  veut  les  coordonner, 


l)  A.  Dumont  :  Démographie  des  musulmans,  in  C  R  26'  sess. 
A.  F.  A.  S.  Cong.  de  St-Eiienne,  1897,  l"  part.  Doc.  off.  et  proc.-verb 
p.  527  et  2°"=  part.  Notes  et  mém.,  pp    589-614. 

(2)  A.  Joly  :  La  commune  de  plein  exercice  de  Boghari,  in  l'Alg. 
Nouv..  II,  1897,  n-  des  8,  19  et  22  août.  -  La  commune  indigente  de 
Chellala,  annexe  de  Boghar,  id.  n-  des  29  août  et  5  sept.  1897. 

(3)  P.  Pallary  :  Notes  géographiques  sur  Le  Dahra  oranais^  in  C  if?- 
25"»  sess.  A.  F.  A,  S-.  Cong-.'  de  Garth.  2°"  part.  Notes  et  mémoires, 
1897,  p.  659. 

(4) Paul  Lapie:  Les  civilisations  tunisiennes. — Musulmans,  Israéli- 
tes, européens.  Etude  de  psychologie  sociale,  Paris,  12-  1898. 


100     BULLETIN   BIBLIOGRAPHIQUE  DE  l'ISLAM   MAGHRIBIN 

les  relier  en  un  tout  cohérent,  bref  il  systématise  continuelle- 
ment. Son  but  est  de  montrer  comment,  dans  la  ville  de  Tunis, 
les  trois  civilisations  arabe,  juive,  européenne  ont  pu  se  déve- 
lopper côte  à  côte  et  de  rechercher  quelle  inflence  elles  exer- 
ceront dans  l'avenir  les  unes  sur  les  autres.  A  vrai  dire,  l'au- 
teur s'occupe  presque  exclusivement  de  la  société  musul- 
mane et  de  la  société  Israélite,  mais  comme  il  les  caractérise 
en  montrant  comment  elles  différent  de  la  nôtre,  il  embra&se 
en  réalité  dans  son  étude  les  trois  éléments  européen,  arabe, 
juif. 

L'idée  maîtresse  du  livre  est  que  les  caractères  des  sociétés, 
juive  et  arabe  ne  s'expliquent  suffisamment  ni  par  la  race,  ni 
par  la  religion  (p.  7  seq)  ;  il  faut  en  chercher  l'explication  dans 
l'âme  des  deux  peuples.  D'ailleurs  l'auteur  prend  soin  de  faire 
remarquer  que  par  âme  il  n'entend  ni  une  entité  métaphysique, 
ni  cette  conscience  collective  et  permanente  dont  parlent 
aujourd'hui  les  sociologues  ;  le  mot  âme  ne  désigne  pour  lui 
que  «  des  combinaisons  originales  de  croyances  et  de  coutu- 
mes, des  groupes  de  tendances  communes  à  la  plupart  des 
arabes  ou  des  Israélites  »  (page  22),  d'ailleurs  modifiables  par 
des  influences  ethniques  ou  religieuses.  La  thèse  fondamentale 
de  M.  Lapie  consiste  à  soutenir  que  l'âme  arabe  s'explique 
entièrement  par  l'imprévoyance,  l'ignorance  de  l'avenir,  et  que 
l'âme  juive  s'explique  au  contraire  par  le  souci  de  l'avenir, 
oc  L'âme  juive  est  orientée  vers  l'avenir  comme  l'âme  arabe 
vers  le  passé  »  (p.  19).  En  partant  de  ce  principe,  l'auteur  nous 
trace  un  tableau  fort  intéressant  de  l'arabe  et  du  juif  (p.  13 
seq).  On  ne  saurait  méconnaître  la  grande  part  de  vérité  que 
renferme  le  système  de  M.  Lapie,  car  c'est  proprement  un 
système  et  il  nous  semble  bien  que,  comme  tel,  il  n'embrasse 
pas  l'ensemble  des  faits.  Du  moins  rend-il  bien  compte  de  la 
plupart  d'entre  eux  ;  le  seul  reproche  à  lui  adresser  c'est  que 
le  sentiment  de  prévoyance  ne  semble  pas^  au  premier  abord, 
un  élément  psychologique  assez  simple  pour  rendre  compte 
intégralement  de  l'âme  d'un  peuple.  Cependant  l'auteur 
poursuit  rigoureusement  sa  démorL:tration  et  il  applique 
successivement  son  système  à  l'étude  de  la  richesse,  de  la 
famille,  de  l'état,  de  la  religion  et  de  l'art  dans  les  sociétés 
tunisiennes.  La  place  nous  manque  pour  le  suivre  à  travers  ce 
vaste  programme.  Disons  seulement  quelques  mots  du  cha- 
pitre consacré  à  la  religion  (p.  189-256). 

Il  y  a  d'abord  sur  le  fatalisme  une  série  de  réflexions  fort 
justes  (p.  lys  seq).  L'exposé  des  doctrines  théologiques  que 
fait  M.  Lapie  a  cela  de  particulier  quil  n'est  pas  extrait, 
et  pour  cause,  des  théologiens  arabes.  C'est  seulement  le 
résultat  d'entretiens  que  l'auteur  a  eus  avec  des  savants 
tunisiens  :  il  est  toujours  intéressant  pour  nous  de  savoir  ce 
que  pense  à  ce  sujet  l'élite  des  indigènes  tunisiens. 

Les  lignes  sur  ce  que  nous  appelons  officiellement  le  clergé 
musulman  sont  excellentes,  ce  A  force  d'en  parler,  dit-il,  on  le 


BULLETIN    IÎIllLIO(iRAPHIQUE    DE    L'ISLAM    MAGHRIBIN      101 

crée  »  (p.  231).  L'auteur  fait  bien  ressortir  la  dift'érence  qui 
existe  entre  les  prêtres  de  chaque  religion  :  «  Le  prêtre  chrétien 
est  le  délégué  de  Dieu  parmi  les  hommes  ;  le  prêtre  musulman, 
le  prêtre  israélite  représentent  les  hommes  devant  Dieu  t) 
(p.  207).  Puis  M.  Lapie  examine  les  trois  classes  qui  pourraient 
remplacer  un  clergé  dans  l'Islam  :  les  chets  politiques,  les 
chorfa,  les  Khouans  ;  il  pense,  à  tort  peut-être,  que  les  sociétés 
religieuses  sont  avant  tout  des  sociétés  secrètes  et  qu'elles 
((  jouent  un  rôle  plus  politique  que  religieux  »  (p.  209). 

Il  y  a  sur  la  pratique  de  la  religion  (p.  235  seq.)  et  sur 
le  culte  des  saints  notamment,  des  passages  remarquables 
(p.  244-155).  M.  P.  L.  établit  bien  que  le  culte  des  saints  est  un 
phénomène  qui  se  produit  dans  toutes  les  religions  ;  d'après  lui, 
il  n'est  ni  plus  ni  moins  remarquable  dans  l'Islam  qu'ailleurs: 
((  les  masses  veulent  rendre  Dieu  sensible...  Partout  où  le  senti- 
ment et  l'imagination  se  mettent  à  faire  de  la  théologie,  le 
résultat  est  le  même  ....  Le  culte  des  marabouts  n'est  jamais 
que  la  revanche  du  cœur  et  de  la  fa^taisie  sur  l'abstraction  du 
monothéisme  »  (p.  250). 

La  conclusion  du  livre  est  particulièrement  intéressante. 
C'est  avant  tout  celle  d'un  professeur  et  de  plus  elle  est  la 
conséquence  logique  de  son  œuvre  si  systématique.  Nous  ne 
pouvons  résister  au  plaisir  de  citer  encore  :  «  La  prévision  est 
la  dominante  du  caractère  israélite,  l'imprévoyance,  celle  du 
du  caractère  arabe...  Est-il  donc  impossible  de  développer 
dans  l'àme  arabe,  le  goût  de  l'avenir  et  de  faire  sentir  aux 
Israélites  la  poésie  du  passé  ?  .  .  .  Pour  transformer  ces  âmes, 
il  ne  suffit  pas  d'instruire  les  enfants  des  deux  peuples. . .  à  la 
sortie  de  l'école,  l'influence  des  aînés  détruit  notre  œuvre.  .  . 
A  cet  éducation  de  la  foule,  il  faut  joindre  une  éducation  de 
l'élite. . .  Les  idées  du  peuple  sont  la  menue  monnaie  des  idées 
de  quelques  hommes  ;  c'est  à  l'intelligence  de  ces  hommes 
que  nous  devons  nous  adresser  ».  L'auteur  préconise  donc 
l'envoi  en  France  des  enfants  indigènes  d'une  part  et,  de  l'autre, 
un  enseignement  supérieur  approprié  ;  pour  apprendre  aux 
Arabes  à  prévoir,  et  à  douter  du  passé,  on  les  cultivera  parles 
sciences  expérimentales  et  la  critique  historique.  «  Le  jour  où 
le  Discours  sur  la  Méthode  serait  compris  et  admiré  par  une 
élite  de  jeunes  Tunisiens,  nous  aurions  donné  à  1  àme  arabe 
plus  de  qualités  nouvelles'  qu'en  apprenant  l'histoire  des  rois 
de  France  à  cent  mille  enfants  musulmans  »  (p.  300;. 

Il  se  pourrait  fort  bien  qu'on  eût  tort  de  ne  vouloir  voir  là  que 
des  rêveries  de  philosophe  et  nous  pensons,  pour  notre  part, 
qu'il  y  a  beaucoup  à  profiter  dans  le  livre  de  M.  P.  L.  Sans 
cloute,  attaché  avant  tout  à  son  système,  il  voit  tous  les  faits 
sous  un  angle  spécial,  mais  au  moins  son  œuvre  est  harmo- 
nieuse et  bien  ordonnée.  Sa  portée  dépasse  d'ailleurs  celle 
d'une  étude  locale,  car  bien  que  l'auteur  se  soit  restreint  à  la 
ville  de  Tunis,  cependant  la  plupart  de  ses  \'ues  s'appliquent  à 
tous  les  indigènes  de  l'Afrique  du  Nord. 

10 


102      BULLETIN   BIBLIOGRAPHIQUE   DE    L'ISLA.M   MAGHRIBIN 

Les  faits  sur  lesquels  il  étaye  ses  raisonnements  sont  bien 
observés,  comme  il  fallait  s'y  attendre  de  la  part  d'un  psycho- 
logue ;  ils  sont  en  outre  décrits  dans  une  langue  claire  et 
souvent  avec  un  grand  bonheur  d'expression  (voy.  p.  ex.,  p.  241 
seq.,  la  description  des  jours  de  repos  de  la  semaine  dans 
chaque  religionj.  On  voit  en  outre  que  les  faits  que  l'auteur 
n'a  pas  observés  ont  été  puisés  à  des  sources  sûres;  les  études 
faites  par  des  étrangers  (von  Maltzan.  p.  ex.)  ont  été  dépouillés 
par  M.  P.  L.  Enfin,  dédaignant  de  chercher,  comme  tant 
d'autres,  à  faire  illusion  au  lecteur  sur  son  degré  de  connais- 
sance de  la  langue  arabe,  il  a  pris  soin  d'avertir  qu'il  ignorait 
cet  idiome.  Il  convient  d'ajouter  qu'il  a,  à  cet  égard,  si  minu- 
tieusement contrôlé  ses  renseignements  qu'on  ne  relève  chez 
lui  aucune  de  ces  bévues  si  nombreuses  chez  d'autres  qui 
prétendent  écrire  une  langue  qu'ils  ne  connaissent  pas. 

Pourtant,  comme  il  ne  faut  pas  que  la  critique  perde  ses 
droits,  relevons  à  cet  égard  quelques  très  légères  inexactitudes  : 
«  Le  vendredi  s'appelle  en  arabe  jour  de  la  mosquée  ».  C'est 
une   erreur,   le    vendredi    se    nomme    -Ax<v2rJL .,; ,    jour   de 

Vassenihlée,  et  non    s.>»us:in ->j.;  ,  jour  de  la  mosquée  (p.  209), 

((  le  Code  est  tiré  du  Coran  ».  C'est  une  proposition  courante, 
mais  bieni  nexacteen  réalité  (p.  194,  210,  218,  etc.  .  .  i  On  doit 
conseiller  à  l'auteur  de  se  mettre  en  garde  contre  la  tendance 
à  étayer  ses  raisonnements  sur  des  Jiadits.  La  critique  moderne 
a  prouvé  en  etïet  que  les  traditions  n'ont  de  valeur  que  comme 
expression  de  la  doctrine  de  telle  ou  telle  école  (p.  219)  «  La 
formule  de  l'Islam  :  a  Mohammed  est  le  Prophète  de  Dieu  b 
parait  signifier  :  a  Mohammed  est  le  seul  Prophète  comme 
Allah  est  le  seul  «  Dieu  ».  Nous  ne  le  croyons  pas  ;  ce  serait 
certainement  une  hérésie  que  de  nier  les  prophètes  qui  ont 
précédé  Mohammed  ;  celui-ci  est  seulement  le  Sceau  des  Pro- 
phètes. Ces  critiques,  dont  on  pourrait  allonger  la  liste, 
n'altèrent  pas  du  reste  les  grandes  lignes  du  livre. 

Nous  devons  nous  borner  à  mentionner  l'ouvrage  de 
M.  Fitzner  sur  la  *  Régence  de  T'imis(i'),  qui  nous  est  inconnu. 
—  M.  Bertholon,  un  de  nos  anthropologistes  les  plus  actifs,  a 
publié  une  exploration  anthropologique  de  file  de  Djerba  (2). 
Nous  n'avons  pas  à  nous  arrêter  aux  hypothèses,  souvent  bien 
aventureuses,  que  l'auteur  émet  sur  les  origines  de  la  popu- 
lation de  file.  M.  B.  revient  sur  la  cynophagie  (voy.  in/rà) 
déjà  étudiée  par  lui  au  Congrès  de  Catthage  ;  il  donne 
d'intéressants  détails  sur  la  vie  sociale  des  insulaires  ;  il  pense 
que  le  fait  d'avoir  échappé  à  l'Islam  orthodoxe  les  a  servis  ;  ils 
ont,  dit-il,  une  perfectibilité  que  n'ont  pas  les  autres  musul- 


(1)  FiTZT!iEii:  Die  Regentschaft  Tunis.  StreifziXge  und  Studien  tn .  17 
Vollbild.u.  r  Karte.   Berlin,  1807. 

(2)  Bertholon  :    Exploration  anthropologique  de   l'île  de  Gerba 
(Tunisie)  ia  U Anthr opologie,  VJII,  a"  3,  4  et  5  (comm.  p.  318). 


BULLETIN   BIBLIOGRAPHIQUE    DE   L'iSLAM    MAGHRIBIN      103 

mans.  Cette  conclusion  est  au  moins  inattendue.  L'auteur 
signale,  ciiez  ces  abàdhites  l'érection  de  pierres  droites, 
cylindre  coniques,  sur  les  monuments  du  culte  (il  y  a  à  ce 
sujet  une  gravure  intéressante).  Ce  serait,  suivant  M.  B.  un 
vestige  de  l'antique  litholàtrie  (?)  et  même  une  trace  du  culte 
phallique  (7?).  —  Nous  signalerons  aussi,  au  point  de  vue 
sociologique,  un  intéressant  article  de  M.  Mohammed  Kaby 
(de  Tunis),  sur  les  coutumes  et  les  cérémonies  relatives  au 
mariage  en  Tunisie  (1).  —  M.  H.  Saladin  a  étudié  les  survi- 
vances de  l'architecture  chrétienne  dans  l'architecture  musul- 
mane ("2).  Il  remarque  la  ressemblance  des  plans  des  mosquées 
à  nefs  parallèles  (grandes  mosquées  de  Tunis,  Kairouan, 
Mehdia,  Gafsa)  avec  celui  de  la  basilique  de  Carthage 
(Damous  el  Karita).  De  plus,  en  Tunisie,  les  mosquées  ont  été 
ornées  de  colonnes  empruntées  pour  la  plupart  aux  édifices 
byzantins  ou  aux  monuments  antiques.  De  même,  les  maisons 
arabes  reproduisent,  d'après  M.  Sal.,  les  traits  essentiels  des 
maisons  romaines  telles  que,  par  exemple,  les  villas  d'Oudena, 
déblayées  par  M.  Gauckler. 

M.  Bertholon  a  fait  relever  les  tatouages  des  principaux 
prisonniers  au  bagne  de  La  Goulette  (3).  Il  les  a,  dit-il, 
comparés  <-•  aux  tatouages  dont  étaient  porteurs  des  prison- 
niers Lebou,  Tamahou  et  européens,  figurés  sur  le  tombeau  de 
Seti  fer  »,  et  il  conclut  que  a  la  pratique  des  tatouages  a  été 
importée  par  les  tribus  qui,  sous  le  nom  de  Masa,  Trakariou, 
Lebou,  etc.,  ont  colonisé  au  XV*^  siècle  avant  notre  ère  la 
portion  orientale  de  la  Berbérie».  Ces  conclusions,  quelque 
intéressantes  qu'elles  soient,  ne  nous  paraissent  cependant  pas 
s'imposer  avec  une  grande  évidence  (4). 

Le  travail  du  même  auteur  sur  la  cynophagie  (5)  n'est  pas 
restreint  à  la  Tunisie  ;  Djerba,  Gabès,  les  oasis  du  Sud  Tunisien, 
celles  du  Sud  Algérien,  le  Mzab  et  le  Touat,  renferment  des 
populations  qui  mangent  la  chair  du  chien.  M.  Bertholon 
considérant  que  le  tait  de  manger  du  chien  est  aussi  honteux 


(D  Mohammed  Kaby  (de  Tunis)  :  Le  mariage  en  Tunisie,  ia  Rev. 
alg.  et  tun.,  1897,  p.  438. 

(2)  H.  Saladin  :  Les  survivances  des  traditions  antiques  depuis 
l'occupation  arabe  en  Tunisie,  in  GR  "25'  s«ss  A.  F.  A  S.  Cong.  de 
(Jànhagti  en  18'j6.  2°  part.  Notes  et  mém.,  p.  799  se'i- 

(3)  D.  Bertholon  :  Les  origines  des  tatouages  tunisiens,  id  1"  part. 
Doc.  off.  et  et  proc.-verb.,  p.   199. 

(4)  M.  le  GOMTE  DE  CouronS'el  dans  ses  Notes  sur  le  Maroc,  in 
Quest.  dipl.  et  col.,  1  475.  15  juin  1897,  parait  convaincu  que  les  croix 
tatouées  au  front  des  Berbères  marocains  sont  des  vestiges  du  christia- 
nisme. A  ceu.K  qui  s'occupent  du  tatouage  chez   les  musulmans  nous 

pouvons  signaler  ici  l'ouvrage  arabe  intitulé:    ^j-'=~-   ^auJI    ^ yùc 

imprimé  au  Caire  en  130  i  H.  '  '  " 

(5;  U'  Bertholon  :  La  cynophagie  dans  l'Afrique  du  Nord,  in  CR. 
25'  sess.  A.  F.  A.  S.  Cong.  de  Carth.  en  1896.  1"  part.  Doc,  off.  et 
proc.-verb.  p.  2(J7-i?08, 


104     BULLETIN    BIBLIOGRAPHIQUE    DE   l'iSLAM    MAGHRIBIN 

pour  un  musulman  que  celui  de  manger  du  porc,  pense 
que  la  cynophagie  est  antérieure  à  rislamisation  de  l'Afrique. 
C'est  en  effet  probable.  Rappelons  ici  que  nombre  de  tribus 
de  l'Afrique  du  Nord  mangent  le  sanglier  ;  quelques-unes 
même  le  domestiquent  (1).  Quant  à  la  cynophagie,  elle  est 
beaucoup  plus  répandue  qu'on  ne  le  suppose  dans  le  Maghrib; 
c'est  ainsi  que  nous  tenons  d'une  source  digne  de  foi  que  les 
indigènes  de  la  région  de  Bou-Saâda  mangent  fréquemment  le 
jeune  chien,  quoiqu'en  cachette.  M.  Berth.  termine  en  disant 
que  ce  qui  constitue  l'intérêt  de  la  cynophagie,  c'est  qu'elle  a 
lieu  «  malgré  l'opposition  d'une  religion  excessivement  stricte 
et  dont  aucun  indigène,  sauf  sur  ce  point  spécial,  n'ose  s'affran 
chir  ».  C'est  aller  un  peu  loin,  car  les  exemples  de  coutumes 
contraires  à  la  législation  musulmane  sont  très  nombreux  chez 
les  Berbères  (2). 

L'intérêt  que  présentent  les  discussions  relatives  à  la  condi- 
tion de  la  femme  dans  l'Afrique  du  Nord  nous  a  engagés  à 
réunir  à  la  fin  de  ce  paragraphe  les  travaux,  peu  nombreux  du 
reste,  parus  à  ce  sujet  (3).  M.  Groult  (4)  déplore  l'infériorité  de 
la  situation  de  la  femme  musulmane  ;  cette  infériorité  n'est, 
en  effet,  pas  ilouteuse,  mais  il  convient  de  remarquer  que 
la  condition  des  femmes  est  encore  beaucoup  plus  satisfaisante 
dans  l'Afrique  du  Nord  que  dans  maint  autre  pays  de  l'Islam. 
Où  l'auteur  nous  paraît  entrer  dans  la  voie  des  utopies,  c'est 
lorsqu'il  dit  qu'il  serait  utile  de  conférer  les  droits  politiques 
aux  indigènes  et  de  leur  imposer,  par  conséquent,  le  mariage 
devant  l'otticier  d'état-civil  français  ;  c'est  encore  lorsqu'il 
attend  de  grandes  choses  de  l'instruction  des  petites  musul- 
manes, lorsqu'il  pense  que  les  indigènes  en  viendront  à 
demander  les  premiers  que  la  France  prenne  en  main  la  cause 
de  l'émancipation  fémimine  en  Algérie  et  en  Tunisie  ! 

M.  Bernard  d'Attanoux  (5),  dans  la  Revue  de  l'Islam,  estime, 
sans  citer  d'ailleurs  aucune  source,  que  le  sort  de  la  femme 
avant  l'Islam  était  bien  plus  malheureux  qu'il  ne  fut  après,  que 
Mahomet  a  beaucoup  fait  pour  relever  la  condition  de  la  fem.me 
et  que  la  femme  orientale  a  joué  sous  les  khalifes  un  rôle  de 
premier  plan.  «  Mais,  dit-il,  le  naturel  a  repris  le  dessus  et 
nous  en  sommes  revenus,  dans  certaines  contrées  de  l'Afrique 


(1)  Cf.  MOULIÉRA.S  :  Le  Maroc  inconnu.  Impartie,  p.  57. 

("2)  Nous  ne  connaissons  pas  l'article  de  M.  Gunckel  :  The  symhol  of 
the  hand,  in  tJie  american  antiquarian,  qui  pourrait  renfermer  des 
choses  intéressantes  au  point  de  vue  religieux  et  africain. 

(3)  Rappelons  ici,  pour  mémoire,  la  thèse  de  M .  Helou  Rahmin,  publiée 
en  1896:  Etude  sur  la  condition  juridique  des  femmes  musulmanes, 
Paris  1896,  8°  182  p. 

(4)  Groult  :  De  l'amélioration  de  la  condition  des  femmes  musul 
mânes  en  Algérie  et  en  Tunisie,  in  C.  R.  25*  sera.  A.  F.  A.  S.  Gong,  de 
Carth.  en  1890.  1'  part.  Doc.  off.  et  proc.-cerh.,  p.  208. 

(5)  Bernard  d'Attanoux  :  Condition  sociale  de  la  femme  musul- 
mane en  Afrique,  in  Rev.  de  l'Isl.,  2"  an.,  janv.  1897,  p.  4  seq. 


BULLETIN    BIBLIOGRAPHIQUE  DE  L'iSLAM  MAGHRIBIN     105 

du  Nord,  aux  mœurs  d'avant  Mahomet  »  Il  est  inutile  de  faire 
remarquer  combien  sont  stériles  toutes  ces  assertions  généra- 
les, tant  qu'elles  ne  sont  pas  étayées  sur  un  ensemble  de  faits 
précis  ;  rien  n'étant  d'ailleurs  plus  vague,  plus  difficile  à 
définir,  plus  relatif  aussi  que  le  bonheur  d'une  classe  de  la 
société  à  telle  ou  telle  époque.  M.  B.  d'Att,  insiste  ensuite  sur 
la  considération  dont  jouit  la  femme  dans  les  sociétés  berbères 
et  dans  le  Bornou. 

Nous  n'avons  eu  connaissance  du  livre  du  cheikh  Mohammed 
Es  Snoussi  (1)  sur  la  Femme  dans  l'Islam  que  par  un  compte- 
rendu  de  la  Revue  Tunisienne  (2),  dans  lequel  nous  relevons 
les  lignes  suivantes  :  «  . . .  L'auteur  se  prononce  catégorique- 
ment pour  l'enseignement  de  l'écriture  aux  femmes  et  appuie 
son  avis  sur  ce  fait  que  dans  les  premiers  siècles  de  l'Islam,  les 
femmes  savaient  écrire  . .  .  Mais  la  mission  principale  de  la 
femme  est  de  s'occuper  de  son  ménage,  de  l'éducation  de  ses 
enfants  et  de  soigner  son  mari  ;  si  elle  accomplit  conscien- 
cieusement ses  devoirs,  Dieu  l'en  récompensera  plus  que  pour 
tout  autre  bonne  action  ».  Le  bonhomme  Ghrysale  ne  pensait 
pas  autrement. 

On  a  mille  fois  signalé  les  abus  du  droit  de  Bjahr  qui  permet 
de  confier  des  filles  impubères  à  des  adultes  et  amène  les  abus 
les  plus  monstrueux.  M.  Eyssautier  a  élaboré  un  projet  de 
loi  (3)  prévenant  ces  honteux  attentats,  assurant  la  répression 
de  ceux  qui  pourraient  se  produire  et  donnant  à  l'état-civil 
indigène  l'assiette  la  plus  solide  (4). 


Xlf.  —  OUVRAGES  LITTÉRAIRES 
(Études  de  mœurs,  Romans,  Livres  de  touristes) 

Nous  serons  brefs  avec  ces  ouvrages  qui  ne  rentrent  pas 
précisément  dans  le  cadre  que  nous  nous  sommes  tracé  ;  nous 
ne  ferons  d.'e.xceplion  que  pour  le  Maître  de  l'Heure,  de  M.  Hu- 
gues Le  Boux  (5).  Quoique  étant  avant  tout  une  œuvre  litté- 
raire, ce  beau  roman  réclame  en  effet  ici  une  place  spéciale.  Il 
abonde  en  faits  bien  observés,  et  tous  ceux  d'entre  nous  qui 
ont  habité  l'intérieur  le  liront  avec  beaucoup  d'agrément.  Ils 
prendront  plaisir  à  y  retrouver,  minutieusement  notés  par  un 


(f)  (iHEiKH  Mohammed  Es-Snoussi  :  Epanouissement  de  la  Fleur, 
ou  étude  sur  la  Femme  dans  l'Islam,  traduit  de  l'arabe  par  Moliammed 
Malii-ed-dine  Es-Snoussi  et  Abdeli^ader  Keljaïli.    Tunis,  1897. 

(2)  Rev.  Tun.,  n-  15,  juillet  1897,  p.  373. 

(3)  EYSSAUTiim  :  Projet  de  loi  sur  le  mariaije  des  Indigènes,  in  Rev. 
alg.  et  tun.  leff.  et  jurisjir.,  l'M  ann.,  juillet  1897,  9i3-lU3. 

(i)  A  Taudience  de  rentrée  de  la  Cour  d'Alijer  (jui  vient  d"avoir  lieu, 
M.  Ktienne  a  choisi,  comme  sujet  du  discours  h;^bituel,  le  droit  de  djahr. 

(5)  Hugues  Le  Roux  :  Le  Maître  de  l'Heure,  rouiau  d'histoire  et 
d'aventures.  Paris,  12',  1897. 


106     BULLETIN   BIBLIOGRAPHIQUE  DE   L'ISLAM  MAGHRIBIN 

bon  observateur,  mille  petits  détails  qui  passent  inaperçus 
pour  un  lecteur  métropolitain.  A  ce  titre,  c'est  un  livre  bien 
algérien.  C'est  la  démonstration  éclatante  de  l'absurdité  de  ce 
vieux  préjugé  qui  veut  qu'on  ne  puisse  pas  connaître  les  ques- 
tions algériennes  si  on  n'habite  pas  la  colonie  depuis  vingt  ou 
trente  ans.  Il  est  d'ailleurs  à  noter  que  ceux  qui  soutiennent 
cette  thèse  avec  le  plus  d'acharnement,  s'ils  ont  derrière  eux 
vingt  ans  de  place  du  Gouvernement  ou  d'arcades  Bab-Azoun, 
n'ont  guère  jamais  poussé  leurs  voyages  d'études  plus  loin  que 
la  Pointe-Pescade  ou  la  Maison-Carrée.  Ceux-là  ne  saisiront 
pas  quelle  vérité  il  y  a  dans  les  types  crayonnés  par  Hugues 
Le  Roux  :  Mazurier,  l'ingénieur  JBazire,  le  patriote  Fabulé, 
Campasolo,  etc.  Ce  ne  sont  pas  seulement  les  européens,  mais 
encore  les  indigènes  que  l'auteur  a  étudiés;  si  l'ignorance  de 
la  langue  arabe  ne  lui  a  pas  permis  d'approfondir  ses  études  à 
ce  sujet,  du  moins  a-t-il  su  profiter  des  renseignements  que  lui 
ont  donnés  des  conseillers  compétents  et  avisés.  Car  quelle 
exactitude  dans  des  scènes  comme  celle  de  la  djemâ'a  (p.  216 
seq,  226  seq,  236  seq)  et  de  l'entrevue  de  Belkassem  et  de 
Mokrànî  (p.  259  seq  )  ou  des  funérailles  du  Maître  de  l'Heure  ! 
(p.  345  seq).  —  M.  H.  Le  Roux  a  de  plus  étudié  l'histoire,  et  bien 
des  Algériens  pourront  profiter  à  la  lecture  des  pages  où  il 
expose  les  causes  de  la  révolte  du  bach-agha  de  la  Medjana 
(pp.  40-63).  La  fin  du  roman  est  bien  un  peu  compliquée,  et  il 
faut  avouer  que  l'auteur  donne  à  ses  personnages  (le  curé,  le 
médecin )  une  connaissance  des  mœurs  arabes  extraordi- 
naire et  qu'on  est  peu  habitué  à  rencontrer  chez  ces  fonction- 
naires. Mais  le  sous-titre  du  livre  ne  permet  pas  de  faire  un 
reproche  de  cette  observation.  L'auteur  a  donné  un  soin  parti- 
culier à  l'étude  des  questions  religieuses  et  il  serait  à  souhaiter 
que  tous  nos  fonctionnaires  fussent  à  ce  sujet  aussi  bien 
éclairés  que  lui.  A  ce  titre  le  Maître  de  l'Heure  ne  pouvait  être 
passé  sous  silence  dans  cette  revue. 

Mais  nous  ne  saurions  citer  ici  les  innombrables  nouvelles, 
études  de  mœurs,  contes  arabes  qui  ont  i  aru  en  1897-1898. 
La  Revue  Algérienne  et  la  Vie  Algérienne  et  Tunisienne  ont 
été  les  périodiques  où  ce  genre  littéraire  fleurissait  le  plus. 
Distinguons  seulement  deux  ou  trois  de  ces  œuvres  :  Ame  d'Es- 
clave (1),  par  M.  de  Béhagle  est  une  nouvelle  faite  par  quelqu'un 
qui  connaît  bien  les  mœurs  indigènes.  Cependant  les  nom- 
breuses expressions  arabes  dont  elle  est  semée  ne  sont  pas 
toujours  bien  correctes.  On  est  surpris  d'y  trouver  des  asser- 
tions comme  celle-ci  :  «  Le  verbe  aimer  n'existe  pas  en  arabe, 
il  se  traduit  énergiquement  par  vouloir  ».  La  langue  arabe, 
régulière  ou  vulgaire,  nous  paraît  au  contraire  fort  riche  en 
mots  de  toute  espèce  se  rapportant  à  l'amour. —  M.  L  Derrien, 
le  très  distingué  président  de  la  Société  de  Géographie  d'Oran, 


(i)  Ferdinand  de  BéhaGle  :  Ame  d'Esclave,  étude  de  mœurs  saharien- 
nes, in  Rev.  hl. .  2'  anu..  1897.  p.  55  sept. 


BULLETIN  BIBLIOGRAPinQUE  DE  l'ISLAM  MAGHRIBTN     107 

un  oranais  fort  amoureux,  et  ajuste  titre,  de  son  pays  natal, 
rapporte,  dans  un  article  de  la  Vie  Algérienne  et  Tunisienne^ 
des  détails  intéressants  sur  la  fête  que  célèbrent  annuellement 
les  nègres  d  Oran,  en  l'honneur  de  Sidi-Belal  (1).  -  Dans  le 
même  recueil,  sous  le  titre  de  Bou  'Amâma,  M.  Mouliéras  (2) 
a  lionne  l'intéressant  récit  d'une  entrevue  du  derviche 
Mohammed  bon  Et-Taïeb,  avec  le  célèbre  révolté  ;  l'article  est 
écrit  avec  la  verve  et  la  profonde  connaissance  des  arabes  que 
l'on  sait. 

Les  récits  de  voyages  faits  par  des  touristes  dans  l'Afrique 
du  Nord,  au  point  de  vue  impressioniste,  sont  toujours 
nombreux.  Citons  :  les  Croquis  Tunisiens  écrits  par  une  dame 
sous  le  pseudonyme  de  Yasniina  (3)  ;  —  le  voyage  du  Docteur 
Yaroslav  Sediatchek*  en  Tunisie  et  dans  la  province  de  Cons- 
tantine  (4)  ;  —  des  Notes  et  ] mpressions  de  M.  Daubeil  sur  la 
Tunisie  (5);  —  deux  livres  sur  Biskra,  l'un  de  M.  Hautfort  (6), 
l'autre  de  M.  Barbet  (7),  etc.,  .... 

Les  Souvenirs  d'un  ancien  Magistrat  cVAlgérie  (8)  de 
M.  Roussel  valent  la  peine  d'èire  lus.  On  y  trouvera  une  série 
de  drames  observés  par  un  magistrat  et  racontés  avec  un  vrai 
sens  des  choses  indigènes.  L'auteur  a  su  se  garder  des  écarts 
d'imagination  et  chacun  de  ses  récits  constitue  véritablement 
un  document  psychologique.  —  On  en  peut  dire  autant  des 
Types  algériens  publiés  çà  et  là  par  M.  Robert  dans  la  Vie 
algérienne  et  tunisienne  (9)  et  qui  ont  ensuite  été  réunis  en  un 
volume  dont  M.  Gaudefroy-Demombynes  a  rendu  compte  ici- 
même  (10). 


(1)1.  Uehrii:\  :  Oran.  Le  Vil'arje  Xegrc.  in  Vie  Alq.  et  Tun.,  18'.)7, 
p.  4G:3. 

(2)  A.  MouLiKRAS:  Bon.  Amama  en  e  lAh  in  Vie  air/,  et  tun.,  I897t 
p.  42. 

('^)  Yasmina  :  Croquis  Tunisiens,  1  vol.  Alger,  1897. 

(i)  Yaroslav  Sedlatchek  :  Fine  Reise  nacJi  Karthauo,  1  vol.  18', 
Vienne,  18'JT. 

(5)  Daubkil  .•  Xotes  et  hn pressions  sur  la  Tunisie,  1  vol.  18».  Paris, 
1897. 

(6)  Félix  Hautkort  :  Au  pays  des  palmes.  Biskra.  t  vol.  Paris,  1897. 

(7)  Gh.  Barbkt  :  La  Reine  des  Zibans.  1  broch.  Alger,  1886.  —  Cette 
brochure  est  illuslrért  de  photogravures  charmantes. 

(8)  Rou-SSEL  :  Sourenirs  d'un  ancien  Mariistrat  d' Al'jérie.  Paris.  12°. 
1897. 

(9)  Vie  alrf.  et  tun.,  18TO.  pf).  75,  332,  G«8,  etc. 

(10)  Bull.  Soc.  Arch.  et  Géoy .  Oran,  if)-  ann..  t.  XVII,  fas".  LXXII, 
janv.-raars    1897,p.  14j. 


108     BULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUE  DE   L'ISLàM   MAGHRIBIN 


XIII.    —    QUESTIONS    INDIGÈNES  (D 

La  deuxième  édition  du  bel  ouvrage  de  M.  Leroy-Beaulieu 
sur  l'Algérie  et  la  Tunisie  (2)  s'est  augmentée  de  près  de 
150  pages  ;  c'est  avant  tout  un  ouvrage  d'économie  politique. 
Une  des  parties  les  plus  intéressantes  au  point  de  vue  spécial 
où  nous  nous  plaçons  ici  est  celle  où  l'auteur  traite  de  l'ins- 
truction des  indigènes,  dont  il  reste  un  grand  partisan. 
Indépendamment  de  l'enseignement  primaire,  il  voudrait  voir 
aussi  l'enseignement  secondaire  plus  largement  dispensé  à  nos 
sujets  musulmans.  Il  regrette  beaucoup  l'ancien  collège  arabe- 
français.  «  Nos  collèges  ne  poussent  pas  assez  profondément 
leurs  racines  dans  les  couches  des  populations  arabes  et 
musulmanes  »  (p.  257).  M.  L.-B.  voudrait  encore  que  l'ensei- 
gnement de  la  langue  arabe  fût  plus  répandu  :  «  Il  serait 
désirable  que  beaucoup  des  habitants  de  l'Algérie,  tant  les 
français  que  les  indigènes,  fussent  bilingues  et  qu'ils  se 
servissent  des  deux  idiomes,  le  français  et  l'arabe  ;  c'était 
la  condition  des  Alsaciens,  c'est  encore  celle  des  Flamands, 
des  Basques  et  de  beaucoup  d'autres  populations  d  (p.  254).  — 
M.  L.-B.  déplore  enfin  que  les  indigènes  ne  fréquentent 
pas  davantage  nos  cours  d'enseignement  supérieur.  «  Cepen- 
dant, dit-il,  les  arabes  ont  excellé  dans  la  médecine  et  dans  les 
sciences  ».  Il  préconise,  comme  il  est  de  mode  actuellement, 
l'enseignement  industriel  et  agricole  pour  les  indigènes.  Nous 
pensons  que  cet  enseignement  pourrait  en  effet  leur  convenir 
à  merveille  ;  mais  s'il  en  profitaient  trop,  ce  serait  peut-être  un 
grand  danger  pour  nous.  M.  L.-B.  constate  aussi  que  la  Tunisie 
a  plus  fait  pour  l'enseignement  des  indigènes  que  l'Algérie  et 
il  semble  bien  qu'il  ait  raison.  Encore  faut-il  ajouter  que  nous 
avons  affaire,  dans  la  province  de  l'Est,  à  des  populations  plus 
policées  et  plus  studieuses  que  celles  de  l'Algérie.  Au  sujet  des 
médersas,  l'auteur  constate  qu'elles  sont  trop  chichement 
dotées  et  que  cet  enseignement  devait  être  beaucoup  déve- 
loppé.—  Nous  relevons  en  outre  dans  le  livre  les  lignes  suivan- 
tes, sur  l'assimilation  des  indigènes,  lignes  qui  ne  sont  pas  pour 
^déplaire  à  des  Algériens  :  «  C'est  en  réalité  un  grand  bonheur 
pour  nous  que  l'Algérie  et  la  Tunisie  soient  occupées  par  des 
Arabes  et  des  Berbères  mahométans. .  Si  les  indigènes  avaient 
été  moins  réfractaires  à  nos  croyances  et  à  nos  lois,  il  se  serait 
constitué  une  race  de  métis  ;  or,  ces  populations  de  métis  ont 
bien  des  inconvénients  et  offrent  bien  des  dangers.  Générale- 


(li  On  voudra  l)ien  remarquer  que  nous  nous  sommes  abstenus,  à  propos 
des  ouvrages  qui  sont  cités  dans  ce  paragraphe,  de  donner  notre  appré- 
ciation sur  les  questions  qui  y  sont  agitées.  Cette  abstention  est  volontaire; 
nous  réservons  expressément  nos  opinions  personnelles  sur  ces  questions 
délicates  et  brûlantes,  et  nous  prions  le  lecteur  de  bien  vouloir  ne  pas 
nous  appliquer  l'adage  ;   <  Uni  ne  dit  mot  con.<;ent  ». 

(2;  Paul  Leroy-Beaulieu:  L'Algérie  et  la  luntsie,  1  vol.,  620  p., 
PaTis,  1897. 


BULLETIN   BIBLIOGRAPHIQUE   DE   L'ISLAM   MAGHRIBIN     109 

ment  ces  hybrides  ne  valent  pas  leurs  parents  et  ont  un  état 
mental  instable.  .  ils  constituent  un  élément  moralement  in- 
férieur, jouisseur,  intrigant,  remuant,  porté  au  mécontente- 
ment et  aux  insurrections  »  (p.  585). 

L'excellent  livre  de  M,  Wahl  sur  l'Algérie  (1)  n'a  pas  beau- 
coup changé  dans  sa  S'"»  édition  ;  c'est  toujours  la  même  sûreté 
d'information,  la  même  sobriété  de  jugement.  Au  sujet  des 
Kabyles,  M.  W.  dit  :  «...  il  faut  reconnaître  que  ces  gens-là, 
pour  différents  qu'ils  soient  des  arabes,  sont  presque  aussi 
différents  de  nous  que  les  arabes  eux-mêmes  »  (p.  209).  —  Au 
sujet  de  l'assimilation  :  «  Ici  (dans  la  réforme  du  régime  de  la 
propriété)  encore,  et  plus  manifestement  peut-être  que  partout 
ailleurs,  la  politique  d'as.-imilation  s'est  révélée  comme  une 
dangereuse  utopie,  elle  a  abouti  à  un  échec  complet  »  (p.  311). 
—  Au  sujet  de  l'instruction  des  indigènes,  l'auteur  est  affirma- 
tif  :  «  Nous  ne  prétendons  pas  que  l'Ecole  à  elle  seule  suffise 
à  la  tache  de  transformer  un  peuple,  mais  nous  pensons  que 
c'est  par  elle  qu'on  peut  agir  le  plus  efficacement  sur  les  esprits 
et  sur  les  cœurs  »  (p.  329). 

Cette  sempiternelle  question  de  l'assimilation  a  soulevé  un 
débat  au  sein  de  la  Société  d'Anthropologie.  M.  Zaborowski 
avait  fait  devant  cette  docte  assemblée  une  communication  (2) 
dans  laquelle  il  soutenait  la  thèse  de  l'assimilation.  — 
M.  Bertholon  (3)  répondit  par  une  communication  conçue 
en  termes  très-vifs,  mais  également  exagérée,  dans  laquelle  on 
lit,  par  exemple,  que  «  le  Coran  est  un  chant  sauvage  de 
guerre  contre  les  infidèles,  c'est-à-dire  les  Français  ».  I;auteur 
appuie  cette  assertion  sur  des  citations  du  livre,  dont  il  déuc^- 
ture  la  véritable  portée.  On  en  trouverait  tout  autant  chez 
nous  si  on  voulait  fouiller  notre  littérature  religieuse.  Finale- 
ment M.  Zaborowski  a  répliqué  dans  une  note  très  aigre  (4) 
et  n'a  pas  eu  beaucoup  de  peine  à  se  servir  des  exagérations  de 
M.  Bertholon  pour  écarter  même  ce  qu'il  y  avait  de  juste  dans 
sa  thèse.  Somme  toute,  comme  le  remarque  judicieusement 
M.  A.  Bernard  dans  sa  Bibliographie  géographique,  ces  sortes 
de  tournois  académiques  ne  font  pas  a^'ancer  d'un  pas  la  ques- 
tion (5). 


(1)  Wahl.  L'Ahiérie.  '■'> éd.   1  vol.  1897,  Pari.s. 

(2)  Zaborowski  :  De  l'assini/lation  des  indiqènes  de  V Algérie,  in 
Bull.  Soc.  Ant'irop.  Paris,  t.  VIII,  IV'  sér.,  1897,  fasc.  5. 

(3)  Bertholon  :  Quel  doit  être  le  rôle  de  la  France  dans  l'Afrique 
du  Nord.  ?  Coloniser  ou  assimiler.  Doiuments  antho-polorjiques  sur 
laquestion.  in  Bull  Soc.  Anihrop.,  t.  VIII.  4=  sér.   1807.  fasc.  .'>,  p.  509. 

(4)  Zaborowski;  A  ]jroj)Os  de  l'assimilation  des  indigènes  algériens 
in  Bull.  Soc.  Anthrop.,  t.  VIII,  IV"  sér.,  1807,  fasc.  6.  ' 

(5)  Une  polémiqui;  tout  à  fait  semblable  s'est  proïkiite  entre  M.  Zabo- 
rowski et  M.  Laupts  dans  la  Rev.  Scient..  1807.  1"sem.,p.  498  et  2« 
sem.,  p.  335  et  587  *  (A.  Bernard,  op.  laud.,  p.   12  du  t.  à  p.) 


110     BULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUE   DE   l'iSLAM  MAGHRÏBIN 

Dans  les  deux  articles  sur  les  problèmes  algériens  qu'a 
donnés  aux  Q'i.eatwns  diploin'iti  fues  et  coloninlos,  (l)  et  à  la 
Bévue  de  Paris  (2)  le  savant  professeur  de  l'Ecole  Supérieure 
des  Lettres  d'Alger  dont  nous  venons  de  citer  le  nom,  il 
effleure  à  peine  les  questions  qui  nous  intéressent  ici  ;  mais 
chaque  fois  qu'il  y  touche,  il  le  fait  avec  cette  mesure,  avec 
cette  sûreté  de  jugement,  avec  ce  bonheur  d'expression  aux- 
quels il  a  si  bien  habitué  ses  auditeurs  des  Ecoles. 

Le  mémoire  de  M.  Mathieu  sur  le  Sud-Ouest  oranais  et  la 
frontière  marocaine  (3)  est  avant  tout  l'œuvre  d'un  forestier  ; 
nous  relevons  quelques  réflexions  sur  les  indigènes  qui 
acceptent  notre  civilisation  :  «  Ils  ne  sont  ni  assimilés,  ni,  au 
fond,  plus  civilisés,  car  le  relèvement  suppose  avant  tout 
une  réforme  morale  qui  leur  fait  défaut  »  L'auteur  voudrait 
qu'on  laissât  agir  nos  missionnaires  :  «  sans  négliger  l'instruc- 
tion qui  développe  l'intelligence,  ils  font  appel  à  la  morale 
religieuse  qui  élève  le  cœur  et  fortifie  la  volonté  ;  f'ppuyés  sur 
les  vérités  premières  qu'admettent  les  musulmans,  ils  leur 
inspiient  le  resoect  de  la  civilisation  chrétienne  et  ils  les  rap- 
prochent de  la  France  ».  —  Sous  le  nom  de  Djebel  Demmer, 
M.  Blanchet  comprend  la  région  montagneuse  qui  s'étend  du 
Djebel  Nefousaau  sud  de  Gabès  (4).  Le  travail  de  M,  Bl.  est 
avant  tout  géographique,  nous  relevons  cependant  les  con- 
clusions, au  sujet  du  berbère  de  ces  montagnes  :  «  Préservé 
par  son  isolement  de  la  contagion  qui  a  définitivement  gagné 
à  la  religion  du  nomade  Mohammed  tous  les  peuples  pasteurs, 
il  n'a  jamais  accepté  sincèrement  les  dogmes  qu'on  lui  impo- 
sait. . .  Si  rien  ne  vient  modifier  le  cai'actère  que  nous  leur  con- 
naissons, ce  sont  les  gens  de  la  montagne  qui  nous  ouvriront 
le  Sahara  ». 

Le  beau  livre  de  M.  L  Lapaine  sur  les  Communes  mixtes  et  le 
gouvernement  des  indigènes  algériens(b)  n'est  pas  seulement  une 
étude  administrative  ;  sous  couleur  d'y  présenter  une  réforme 
dans  la  constitution  des  communes  mixtes,  l'auteur  a  touché 
aux  plus  graves  problèmes  politiques  concernant  les  indigènes 
et  il  a  traité  à  fond  la  question  de  l'assimilation  avec  la 
compétence  et  l'autorité  que  peuvent  donner  une  vie  entière 
passée   dans  la  colonie  et  de   longues  années   vécues  dans 


( 1)  A.  Bernard  :  L'Algérie  et  le  nouveau  Gouverneur,  in  Quest. 
cliplom.  et    ol..  l"sept.  1898,  p.  2u. 

(2)  Un  Algérien:  Problèmes  aJrjériens,  in  Rev.  de  Paris,  15  mars 
1898. 

(3)  A.  Mathieu  :  Le  Sud-Ouest  oranais  et  la  frontière  marocaine, 
inMém.  de  l'Acad.  de  Stanislas  Oinnée  18?6).  Nancy.  1897,  GXLVIf 
ann. .  5°  sér.,  t.  XIV.  pp.  64-93. 

(4)  Blanchet;  Le  Djebel  Demmer.  in  Ann.  deGéog.,  1897,  p.  239. 

(5)  Les  communes  mixtes  et  le  gouvernement  des  indigènes  en  Algérie,  1  vol .  8»' 
Paris,  1897.  —  Cf.  Ivan  Lapaine,  sous  1^;  même  litre,  in  C  R  • 
£,6'  sess.  A.  F.  A.  S.  Gong,  de  S'-Etienne  en  1897,  2"  part.  Notes  et  mém.' 

p,  936-938. 


BULLETIN   BIBLIOGRAPHIQUE   DE   l'ISLAM   MAGHRIBIN     111 

l'administration  des  indigènes.  M.  I.  L.  pense  que  les  indigè- 
nes sont  prêts  pour  la  vie  municipale  et  c'est  dans  ce  sens 
qu'il  oriente  sa  réforme  de  leur  organisation.  Nous  ne  pouvons 
faire  l'analyse  du  livre,  rempli  de  documents  inédits,  de 
comparai.>^ons  suggestives  et  écrit  d'un  style  qu'on  a  plaisir  à 
lire  :  "  11  n'y  a  pas  chez  les  indigènes,  conclut  l'auteur,  une 
inaptitude  spécifique  au  progrès;  tout  au  contraire,  ils  présen- 
tent, quoique  on  en  ait  dit,  une  très  grande  réceptivité  à  notre 

éducation La  France  en  Algérie  sera  fusionniste  ou  elle 

ne  sera  pas  :  fusionniste  au  moins  jusqu'au  contact  loyal, 
jusqu'à  la  communion  dans  un  minimum  d'idées  communes  ; 
fusionniste  jusqu'à  prendre  dans  la  masse  indigène  des  points 
d'appui  et  de  pénétration  et  jusqu'à  solidariser  pour  cela 
quelques-uns  de  ses  éléments  avec  les  nôtres  '\ 

La  petite  plaquette  de  M.  Cartier  de  Marchienne  sur  la 
Tunisie,  son  passé,  son  présent,  son  avenir  (1)  ne  contient 
aucune  conclusion  intéressante,  malgré  son  titre  ambitieux. 

Le  développement  des  œuvres  d'assistance,  de  prévoyance, 
de  solidarité  est  certainement  un  des  moyens  les  plus  efficaces 
que  nous  puissions  avoir  pour  modifier  l'éjat  d'âme  des 
indigènes  et  le  rendre  plus  conforme  au  nôtre,  si  cela  est 
possible.  Sur  ces  questions  nous  devons  signaler  :  un  article 
de  M.  Colin  sur  les  hôpitaux  indigènes  (2)  ;  —  les  publications 
officielles .  du  Gouvernement  général  sur  les  Sociétés  de 
Prévoyance  indigène  (3);  —  un  article  de  M.  îagnan  sur  la 
Société  franco-musulmane  de  Secours  mutuels  d'Alger  (4j. 

La  question  de  l'instruction  des  indigènes  est  toujours  aussi 
brijlante,  quoique  les  partisans  de  l'instruction  semblent  avoir 
perdu  du  terrain  dans  l'opinion  publique.  Voici  néanmoins 
1  énumération  de  quelques  travaux  se  rapportant  à  la  question. 

M.  Mohammed  ben  Cheneb  (5)  a  publié  le  texte  arabe  et  la 
traduction  d'un  traité  sur  l'éducation  ;  ce  livre,  qui  est  anonyme, 
est  l'œuvre  d'un  t'âleb  marocain.  11  est  d'autant  plus  intéres- 
sant pour  nous  que  ces  sortes  d'ouvrages  sont  rares  chez  les 
arabes.  Relevons-y  en  courant  les  préceptes  suivants  .  il  faut 
apprendre  aux  enfants  le  Coran,  les  grands  faits  historiques 
(  iLov'^  ^..,0-=s.î  ),  la  vie  des  Saints.  L'éducateur  devra  énu- 
mérer  fréquemment  à   l'enfant  les  châtiments   auxquels   on 


(1)  n.  DE  (IaRTIER  I)K  NtARt'HiENNE  :  La  Tunisie,  son  passé,  son  présent) 
son  avenir,  t  vol.,  Paris.  1897 

(?)  COLIX  :  L'œuvre  des  hôpitaux  indigènes  en  Algérie,  in  Rei' .  fol.-  et  parlent., 
janvii'r  I8P8.  p.  Ui'-i. 

(3)  Rapports  sur  les  opérations  des  Sociétés  indigènes  de  Prévoyance,  i-enilant  los 
exfirci''es  I83^>-9S  et  18!)6-07.  présentés  à  M.  (iambon  et  â  M.  Lépine. 
gouverneurs  £,'énér;iux,  par  M.  R^rsevi'le.  secrétaire  K'^néral  du  Gouver- 
nement, 2  vol.  1891  et  1898.  Alger,  '215  et  45  pp. 

(4)  FaGXAN  ■  Une  société  musulmane  de  Secours  mutuels,  in  Algérie  nouvelle 
21  mai  1897. 

(5    Mohammed  ben  Cheneb  :  Xotions  de  pédagogie  musulmane,  Alger.  1897.  8°. 


112     BULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUE   DE   l'ïSLAM   MAGHRIBIN 

s'expose  dans  l'autre  monde  en  contrevenant  à  la  loi.  L'auteur 
paraît  compter  avant  tout  sur  la  crainte  inspirée  par  ces 
châtiments  pour  contenir  l'enfant  dans  le  droit  chemin.  Ce 
point  est  assez  caractéristique.  11  n'y  a  pas  de  différence  entre 
l'éducation  des  garçons  et  celle  des  filles.  Il  n'est  pas  blâmable 
d'apprendre  l'écriture  à  celles-ci  L'opuscule  se  termine  par 
quelques  mots  sur  la  kharqa  :  l'auteur  paraît  surtout  se  préoc 
cuper  d'interdire  les  innovations  introduites  à  notre  époque 

dans  la  cérémonie  de  la  iif/îarr/a   (A^^i^l  cL_  o-^sr-i!   ç.j,Jl) 

telles  que  le  fait  d'orner  l'école  et  la  maison  de  l'enfant  avec 
des  soieries,  d'enjoliver  les  planchettes,  de  faire  monter 
l'enfant  sur  une  mule  comme  une  fiancée,  de  laisser  pousser 
des  cris  d'allégresse  par  les  femmes.  Tout  cela  est  innovation, 

c'est-à-dire  hérésie  (  Acj.;  xîi)  ^-»^?  ),  Ce  dernier  passage  est 

intéressant  comme  réaction  de  l'orthodoxie  fanatique  contre 
les  coutumes  locales.  On  souhaiterait  de  voir  plus  souvent  des 
indigènes  suivre  les  traces  de  M.  Ben  Gheneb  et  publier 
d'aussi  intéressantes  études. 

Les  maîtres  d'écoles,  les  étudiants,  les  savants  ont  été  chez 
les  arabes  l'objet  de  toute  un  littérature  anecdotique.  M.  René 
Basset  dans  un  article  de  la  Vie  algérienne  et  tunisienne  (1) 
rapporte  des  anecdotes  qui  roulent  principalement  sur  les 
ruses  qu'employaient  les  t'olba  pour  arriver  à  se  remplir 
l'estomac,  ruses  bien  autrement  substiles  et  audacieuses  nous 
dit  l'auteur,  que  celles  des  personnages  de  Mïirger.  Dans  la 
province  d'Oran,  la  plupart  des  anecdotes  sont  rapportées 
à  un  certain  Ben  Çekràn  (Cf  Delphin,  Recueil  de  textes  pour 
l'étude  de  l'arabe  parlé,  Paris  et  Alger,  1891),  qui  aurait  vécu 
au  milieu  du  siècle  dernier  et  que  plusieurs  douars  se  disputent 
l'honneur  d'avoir  vu  naître.  «  Il  est  probable,  ajoute  spirituel- 
lement M.  Basset,  que  ses  contemporains,  ceux  du  moins  qui 
furent  ses  victimes,  en  étaient  moins  fiers  ». 

En  fait  d'articles  généraux  sur  l'instruction  des  indigènes» 
nous  pouvons  citer  ceux  de  MM.  Gastu  (2j  et  Wahl  (3)  dans  la 
Vie  algérienne  et  tunisienne,  tous  deux  favorables  à  cette 
instruction.  M.  Cat,  dans  sa  Revue,  est  beaucoup  moins  affir- 
rnatif  (4)  et  conclut  :  «  Les  indigènes,  en  cette  matière  comme 
en  toutes  les  autres,  se  soumettent  volontiers  à  nous  ;  mais  en 
somme  l'instruction  leur  paraît  inutile  et  au  fond  elle  leur  est 
désagréable  ».  —  C'est  surtout  dans  le  Bulletin  de  l'Enseigne- 
ment des  Indigènes  de  l'Académie  d'Alger,  que  se  trouvent 
d'intéressants  docunients  à  ce  sujet  :  M.   Vidal  de  la  Blache 


•    (1)  René    Basset:  Les  tolha  d'autrefois,  in  Vie  al^.  et  lun.,  1897,  p.   186. 

(2)  Gastu;  Faut-il  donner  de  l'instruction  aux  indigènes?in  Viealg.  ettun.,  p.  165. 

C^)  Wahl:  L'enseignement  des  indigènes,  in   Vie  alg.  et  tun.,  p.  95. 

(4)  E.  Cat  ;  Souvenirs  de  l'Extrême- Sud.  Les  indigènes  et  l'instruction  obligatoire' 
in  KÂlg.  Nouv.,  1897,  n"  1  et  2,  3-et  lU  janvier. 


BULLETIN   BlBLIOGRAl'HIQUE   DE    l'ISLAM   MAGHRIBIN     113 

n'a-t-il  pas  comparé  les  nombreux  articles  d'instituteurs  qui 
s'y  trouvent  avec  Lettres  édifiantes  des  Missions  '?  Dans  un 
intéressant  travail,  M.  Paul  Bernard  (1)  a  repris  une  à  une  les 
objections  élevées  contre  les  écoles  indigènes.  Peut-être 
fait-il  parfois  preuve  de  quelque  optimisme.  Mais,  à  bien 
des  égards,  il  a  remis  !es  choses  au  point  et  il  a  appuyé 
ses  assertions  de  chiffres  des  plus  intéressants  (2).  —  Dans  un 
article  anonyme  du  même  Bulletin  (3),  l'auteur  fait  remarquer 
que  dans  nombre  d'écoles  françaises  la  fréquentation,  d'après" 
les  statistiques  ofticielles,  est  moins  bonne  que  dans  les  écoles 
indigènes.  11  est  bien  certain  que  plusieurs  des  arguments  que 
l'on  fait  valoir  contre  l'enseignement  des  indigènes  sont  égale- 
ment valables  co  itre  l'instruction  des  français.  —  Dans 
VAlyéi'ie  Nouvelle,  M.  G.  Fabre  (4)  a  raconté  l'histoire  mise  en 
vers  d'une  élève  de  la  fameuse  école  de  Taddert  ou  Fellah  ; 
cette  histoire  n'est  pas  bien  encourageante.  —  M.  Machuel, 
directeur  de  l'enseignement  public  en  Tunisie,  a  lu,  au  Congrès 
des  Orientalistes  qui  s'est  réuni  en  1897,  une  note  sur  l'ensei- 
public  en  Tunisie,  note  dont  le  texte  ne  nous  est  pas  encore 
connu. 

Les  Réflexions  de  M.  Gh.  Saint- Galbre  sur  l'enseignement  de 
l'histoire  et  de  la  géographie  à  donner  aux  indigènes  (5),  se 
rapportent  sans  doute  plus  spécialement  aux  élèves  des  méder- 
sas  :  il  faut  «  faire  ressortir  l'action  constante  et  universelle  de 
la  France,  action  toujours  empreinte  de  désintéressement,  de 
sacrifice  même.  Opposons-là  parfois  à  la  politique  d'intérêt, 
d'égoïsme  ou  de  spoliation  qui  fait  toute  l'histoire  de  certains 
peuples  ». 

La  question  de  l'enseignement  supérieur  des  indigènes  est 
intimement  liée  à  celle  du  développement  des  études  africaines 
et  orientales  dans  le  programme  d'enseignement  des  Ecoles 
Supérieures  d'Alger.  On  trouvera  à  ce  sujet  des  renseignements 
dans  les  très  intéressants  articles  de  M.  Paoli,  sur  l'enseigne- 
ment supérieur  à  Alger  (6).  Une  faculté  algérienne  ne  sera  via- 
ble qu'autant  que  son  enseignement  sera  adapté  au  pays  etque 
l'administration  assurera  des  débouchés  à  ses  élèves.  —  M.  Ber- 
thelot  vient  défaire  réimprimer  le  discours  qu'il  prononça  à 
Alger  en  1887  (7),  comme  Ministre  de  l'Instruction  Publique. 


(1)  P.  Bernard  :  Les  écoles  indigènes  devant  l'opinion  publique,  in  Bull,  enscgn. 
ind.  de  l'Acad.  d'Alger.,  5"=  ann.,  n°  56,  p.    177  et  n"  57,  p.  5. 

(2)  Gf  Mg.  Nouv.  du  30  janvier  1898. 

(3)  Bull,  enseign .  ind.  de  l'Acad.  d'Alger,  5'  ann.,  n°  50,  p.  81. 
(i)  C.  Fabre  :  Fathma,  in  Alg.  Nouv.  du  15  août  1897. 

(5)  Ch.  SaINT-Calbre  :  Quelques  réflexions  sur  l'enseignement  de  l'histoire  et  de 
la  géographie  à  donner  aux  indigènes,  in  'Bull  enseign.  ind.  xAcad .  ,Alg . ,  5'  ROn., 
n'  53. 

(6)  Paoli  :  U Enseignement  supérieur  à  Alger,  in  l'Alg.  nouv.,  "27  juin,  4  juillet« 
11  juillet  et  18  juillet  1887. 

(7)  BekthelOt:  Science  et  Morale,  1  vol.,  8°,  518  pp.,  Paris,  1897.  p.  147. 


114       BULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUE  DE  L'iSLAM  MAGHRIBIN 

Le  passage  suivant  n'est  pas  mauvais  à  reproduire  :  «  Il  faut  que 
vous  montriez  à  vos  élèves  les  applications  de  la  science;  je  ne 
dis  pas  seulement  l'application  à  la  société  en  général,  mais 
aussi  et  surtout  à  la  société  algérienne.  Il  faut  que  les  professeurs 
de  l'Ecole  de  Droit  enseignent  à  la  fois  à  leurs  auditeurs  et  le 
droit  français  et  le  droit  indigène,  dans  leurs  relations  récipro- 
ques. Il  faut  que  les  professeurs  d'histoire...  s'attachent  à  faire 
revivre  le  passé  de  cette  terre  d'Afrique  et  des  civilisations 
si  diverses  qui  l'ont  successivement  dominée.  Il  faut  que  le 
professeur  de  chimie  expose  particulièrement  les  applications 
des  lois  abstraites  de  sa  science  aux  produits  algériens  »  (1). 


XIV.—  OUVRAGES  ARABES  ÉDITÉS  EN  VUE  DES  MUSULMANS 
OUVRAGES  ARABES  ÉDITÉS  PAR  DES  MUSULMANS 

La  collection  d'ouvrages  arabes  édités  pour  l'usage  des 
médersas  s'est  enrichie  cette  année  de  plusieurs  travaux.  Cette 
collection  est  particulièrement  intéressante  et  nous  semble 
devoir  attirer  toute  la  sollicitude  du  Gouvernement.  On  serait 
heureux  de  voir  les  indigènes  érudits  d'Alger  suivre  l'exemple 
de  leurs  collègues  de  Fez  et  du  Caire,  et  se  mettre  à  réimpri 
mer  les  ouvrages  arabes  classiques  et  même  à  composer  de 
nouveaux  manuels  ;  cette  collection  pourrait  évidemment 
accueillir  de  semblables  travaux  et  il  ne  semble  pas  qu'il  serait 
bien  difficile  d'en  provoquer  l'éclosion  en  encourageant  quelque 
peu  nos  «  oulama  »  indigènes.  La  collection  comprend  ludiffé- 
ramment  des  textes  et  des  traductions  On  ne  voit  pas  pour- 
quoi les  savants  européens  et  les  savants  musulmans  ne 
contribueraient  pas  également  à  la  grossir  et  pourquoi  le 
Gouvernement  français  n'arriverait  pas,  avec  un  peu  de  suite 
dans  les  idées,  à  former  pour  l'Afrique  du  Nord,  une  collection 
analogue  à  la  magnifique  Bibliotheca  indica  des  Indes  an- 
glaises (2).  La  bibliothèque  de  l'Ecole  des  Langues  orientales, 
celle  de  l'Ecole  des  Lettres  d'Alger  ont  une  portée  très  géné- 
rales, ne  sont  pas  et  ne  peuvent  pas  être  des  «  collections 
d'auteurs  musulmans  ».  Il  y  a  là  une  belle  œuvre  à  enlrepren- 


(1)  Nous  n'avons  y:)as  vu  le  volume  de  M.  Georges  Viollier.  intitulé: 
Les  deux  Algérie,  dont  l'apparition  est  d'ailleurs  tout  à  fait  récente  (l  vol., 
Paris,  1808).  Les  questions  indigènes  y  sont  parait-il  abordées. 

(2)  Ont  paru  dans  la  Bibliotheca  indica,  en  1897,  indépendamment  des  nom- 
breux  ouvrages    n'intéressant    que  l'hindouisme  :    Moiintakhabu-t-tawârikh 

{■<^iyy^i    V aST-^')  by  ' Abdu-l-Qàdir  ibn  i   Muluh    Shah,    known  as  al  Baddoni. 

Translated  front  the  original  Persiaii  aiid  edited  by  G.  Ranking .  Vol.  I.  Calcutta. 
—  Ah'sanou-t-taqdsim  fi  ma'rifati-l-aqâlim  (  ^^  Là  ûT  A3  ^xfi  cl——  ♦Ai.-_S.X  I  w^cv' j 
known  as  al  Muqaddasi .   Translated  Jrom  the  arable  and  edited  by  G .  S.A.  Ranking  and 

R,.  F.  .Axpo.  Vol.  l,  fasc.  I.  Calcutta. 


UULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUE  DE  l' ISLAM  MAGHRIBIN       115 

dre  en  Algérie  ;  le  Mécène  tiai  la  mènerait  à  bien  y  attacherait 
son  nom  d'une  façon  impérissable.  Les  ouvrages  publiés  cette 
année  dans  la  collection  des  médersas  sont  au  nombre  de  trois. 

Le  premier  est  un  i^etit  traité  énumérant  les  35  formes  du 
verbe  avec  leur  signification  C'est  un  résumé  utile  dont 
M.  Bagard  a  donné  le  texte  et  la  traduction  (1).  Le  traducteur 
ne  nous  apprend  pas  le  nom  de  l'auteur  qui,  paraît-il,  serait 
inconnu.  On  aurait  su  gré  à  M.  Bagard  d'en  faire,  en  ce  cas,  la 
déclaration,  et  de  nous  donner  quelques  détails  sur  le  Bina, 
son  caractère,  son  utilité,  sur  les  écoles  dans  lesquelles  on 
l'enseigne,  etc.  .  .  Au  reste  il  convient  de  remarquer  que  ces 
renseignements  eussent  surtout  intéressé  le  lecteur  européen 
et  que  le  livre  servira  presque  exclusivement  aux  élèves  des 
médersas.  La  traduction  est  très  claire  et  se  lit  très  facilement. 
L'exécution  typographique  est  parfaite,  comme  du  reste  celle 
de  tous  les  ouvrages  de  la  même  collection.  —  Le  deuxième 
ouvrage  est  de  M.  G.  Sicard  qui  a  traduit  un  petit  traité  de 
grammaire  attribué  à  un  nommé  El  'At't'àr  et  rimé  en  vers 
t'awîls  (2).  Ici,  comme  dans  l'ouvrage  de  M.  Bagard,  on 
aurait  désiré  quelques  détails  sur  l'auteur  et  l'époque  à  laquelle 
il  vivait.  La  traduction,  élégante  et  claire,  est  accompagnée  de 
notes  qui  complètent  heureusement  le  texte. 

Le  troisième  ouvrage  paru  cette  année  dans  la  collection  des 
médersas  demande  qu'on  s'y  arrête  un  peu  plus  longtemps. 
Il  est  extrêmement  intéréssaiit  pour  nous  de  voir  comment 
les  arabes  traduisaient  les  Grecs  aux  temps  du  khalifat  de 
Bagdad.  L'érudit  directeur  de  l'Ecole  Supérieure  des  Lettres 
d'Alger  nous  met  à  même  d'étudier  une  de  ces  traductions  en 
publiant  la  version  arabe  du  fameux  Tableau  de  CébèsÇS),  avec 
une  traduction  française.  L'auteur  de  cette  version  arabe  est 
Ibn  Miskaouéih,  trésorier  du  prince  bouiide  'Adhad-ad-Doula 
(mort  en  421  H.).  Elle  est  loin  d'être  toujours  correcte  et  ce 
n'est  pas  un  des  moindres  attraits  de  la  présente  édition  que 
de  voir  M.  R.  Basset  relever  et  expliqu'^r  un  à  un  les  contre- 
sens d'Ibn  Miskaouéih  dans  les  notes  dont  il  a  orné  le  texte 
arabe.  Ce  dernier  avait  déjà  été  édile,  mais  il  a  été,  dans 
l'espèce,  considéra,blement  amélioré  par  son  collationnement 
avec  un  manuscrit  de  la  Bibliothèque  nationale.  Il  contient 
un  chapitre,  le  dernier,  qui  n'existait  pas  dans  les  textes 
grecs  qui  nous  sont  parvenus.  Ce  chapitre  est-il  une  addi- 
tion du  traducteur  arabe  ou  bien  existait-il  réellement  sur 
le  texte  dont  celui-ci  s'est  servi  ?  M.  R.  B.  sans  se  prononcer, 
incline  vers  cette  deuxième  hypothèse.  La  traduction  française 


(1  Bagard  :  El  Bina,  petit  traité  des  formes  du  verbe,  texte  arabe 
et  traduction  française,  Aliter,  1X98.  42  |)p. 

(l)  ,1.  Sicard  :  PetiT  traité  de  yranimaire  en  vers,  par  El  Attar. 
Texte  arabe  et  traduction,  Alg-er,  1898  33  p. 

(3)  René  BaSs^et  Le  tableau  de  Cébés,  ver  io7i  arabe  d'Ibn  Miska- 
ouéih, jnibliée  et  traduite  arec  une  introduction  et  des  notes.  1  br. 
n  et  6U  pp.,  Alger,  1898. 


116       BULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUE  DE  L'iSLAM  MAGHRIBIN 

est  accompagnée  de  notes  qui  donnent  tous  les  éclaircissements 
nécessaifes  et  dont  quelques-unes  sont  d'une  abondance  et 
d'une  érudition  qui  dépassent  de  beaucoup  la  portée  d'une  note 
ordinaire.  Enfin,  dans  une  introduction  bien  proportionnée, 
M.  R.  B.  nous  entretient,  d'une  part  du  Tableau  de  Cébès, 
des  écrivains  auxquels  on  l'a  attribué,  des  éditions  qui  en  ont 
été  données  et,  de  l'autre,  du  traducteur  arabe,  de  sa  biogra- 
phie et  de  ses  ouvrages.  Le  lecteur  aborde  ainsi  l'étude  du 
texte  en  toute  connaissance  de  cause. 

La  collection  des  médersas  est  d'ailleurs  en  bonne  voie  ;  on 
imprime  en  ce  moment  la  traduction  du  Mîzàne  par  feu  Perron  ; 
il  se  prépare  en  outre  plusieurs  traductions  de  traités  classi- 
ques, de  technologie  du  hadits,  de  philosophie,  d'astronomie 
et  de  prosodie  ;  nous-mêmes  enfin,  avons  mis  sur  le  chantier 
une  traduction  annotée  de  la  Hamzia  du  Cheikh  El  Boùcîrî, 
dont  nous  espérons  la  prochaine  publication. 

La  voie  de  la  presse  a  souvent  paru  une  des  meilleures  pour 
prendre  contact  avec  les  lettrés  indigènes  et  il  se  publie  actuel- 
lement plusieurs  périodiques  arabes  dans  l'Afrique  du  Nord, 
par  ordre  des  gouvernements  algérien  et  tunisien.  Le  plus 
important  est  le  Mohacher  d'Alger,  actuellement  rédigé  sous 
la  direction  de  M.  Mirante,  un  de  nos  interprètes  de  l'armée 
d'Afrique  pour  lequel  la  rhétorique  arabe  n'a  guère  de  secrets. 
Le  Mohacher  ne  contient  pas  seulement  la  traduction  des  piè- 
ces officielles  ;  on  y  trouve  encore  des  variétés  dont 
la  rédaction  arabe  est  l'œuvre  personnelle  de  M.  Mirante; 
de  nombreux  articles  bibliographiques  ;  —  des  extraits  des 
Bulletins  de  la  Société  de  Géographie  de  Paris,  concernant 
tout  ce  qui  intéresse  l'Afrique  septentrionale; —  des  extraits  de 
l'Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres;  —  la  traduction 
des  articles  les  plus  marquants  des  journaux  agricoles  algé- 
riens ;  —  le  compte-rendu  des  événements  militaires  du  Sou- 
dan; —  le  résumé  du  voyage  de  Nansen  au  pôle  Nord,  de  celui 
d'Andrée  ;  —  la  traduction  complète  du  traité  d'arboriculture 
fruitière  algérienne  de  M.  Vérot  ;  —  la  traduction  entière  du 
travail  de  M.  Violard  sur  la  céramique  berbère;  (1)  —  la  tra- 
duction de  la  brochure  officielle  sur  Et-Tidjàni  (2),  que  nous 
avons  mentionnée  plus  haut.  C'est  comme  on  le  voit  un  en- 
semble considérable  et  qui  dénote  chez  le  Directeur  du  Moha- 
cher, des  connaissances  et  une  activité  peu  communes. 

Sous  le  titre  de  Nacîhat-el-Adjiâl  (3)  le  Comité  de  l'Afrique 
française  publie  de  petits  lascicules  contenant  chacun  des 
articles  en  arabe  sur  l'Egypte,  la  Tunisie,  l'Algérie,  le  Maroc 
et  le  Soudan.  Nous  avons  sous  les  yeux  le  n°  3  de  la  l^^  année  : 
il  contient  un  article  intéressant  sur  les  efforts  que  font  en 
Egypte  les  Anglais  pour  bannir  la  langue  française  de  ce  pays  ; 


(1)  Cette  traduction  a  été  tirée  à  part  à  Alger. 

(2)  Voy.  p.  9a. 


BULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUE  DE  l'ISLAM  MAGHRIBIN       117 

— un  article  sur  la  politique  générale  en  Tunisie; —  un  article 
sur  l'interdiction  du  pèlerinage  en  Algérie  ;  —  un  article  sur 
la  situation  au  Maroc; —  enfin,  des  nouvelles  du  Soudan.  Tout 
cela  rédigé  dans  un  style  simple,  imprimé  avec  les  élégants 
caractères  de  l'Imprimerie  Nationale,  est  de  nature  à  inté- 
resser les  musulmans  lettrés  et  curieux  qui  s'aviseraient  de  le 
lire. 

Depuis  tantôt  soixante-dix  ans  que  nous  sommes  à  Alger, 
nous  devrions  avoir  fondé  une  université  musulmane  (1)  où 
de  véritables  savants  enseigneraient  sous  notre  direction  et  au 
besoin  interpréteraient,  suivant  notre  inspiration,  les  ouvrages 
de  théologie,  de  droit,  de  littérature  arabe.  A  cet  égard,  nous 
pouvons  dire  que  nous  avons  failli  à  un  devoir  ;  il  n'y  a  sous 
notre  domination  ni  plus  ni  moins  de  lettrés  qu'il  n'y  en  avait 
sous  la  domination  turque.  C'est  pourtant  par  les  lettrés 
musulmans,  comme  l'a  fort  bien  remarqué  M.  Lapie  (2),  que 
nous  pouvons  surtout  agir  sur  les  masses.  Il  faut  que  les 
jurisconsultes  que  nous  formons  possèdent  une  instruction 
française  suffisante  pour  apercevoir  les  avantages  de  notre 
civilisation  et  le  but  que  nous  poursuivons  vis-à-vis  de  leurs 
coreligionnaires,  mais  il  faut  aussi  qu'ils  aient  une  instruction 
musulmane  qui  leur  assure  la  confiance  et  la  vénération 
de  ceux-ci  et  qui  leur  permette  de  chercher  un  compromis 
entre  les  deux  civilisations  en  toute  connaissance  de  cause. 
Nous  voudrions,  répétons-le,  les  voir  travailler  et  produire, 
comme  leurs  confrères  de  l'Egypte,  de  la  Syrie,  de  l'Inde,  du 
Maroc,  pays  dans  lesquels  il  y  a  de  véritables  centres  littéraires 
arabes.  A  ce  propos,  on  ne  lira  pas  sans  intérêt  les  détails 
donnés  par  M.  Aly  Abou-el-Fetouh  sur  la  célèbre  Université 
d'El  Azhar  (3).  Elle  ne  compterait  pas  moins,  actuellement, 
de  19.000  étudiants  suivant  ses  cours.  «  Les  étudiants  d'El 
Azhar  apprennent  très  peu  par  cœur,  nous  dit  l'auteur.  Tout 
leur  travail  vise  à  bien  saisir  les  textes  et  à  prévoir  les  objec- 
iions  dont  ils  sont  susceptibles  ».  Que  n'en  est-il  de  même 
chez  nous  ! 

Pourquoi  donc,  en  particulier,  nos  oulama  seraient-ils 
moins  bien  doués  que  ceux  du  Maroc?  Nous  aurions  voulu 
donner  ici  une  énumération  des  ouvrages  édités  récemment  à 
Fez,  mais  ces  livres  ne  portant  pas  de  date,  nous  n'avons  pas 
été  suffisamment  renseignés  sur  ceux  qui  sont  tout  à  fait 
nouveaux  et  dès  lors,  notre  liste  se  fût  allongée  démesurément. 
A  Tunis  même,  la  vie  intellectuelle  musulmane  est  plus  intense 


(1)  Voy.  à  ce  pronos  l'intéressant  article  intitulé  :  4  Muhammadan 
universityfor  northern  India,  in  Imp.  and  asial .  quat.  Rev ieiu (ociohev  1898^  vol.  VI, 
n»  12,  p.  273-282),  par  J.  Kennedy. 

(2)  Cf.  p.  101. 

(3)  Aly  Abou-el-Fetouh  :  L'Université  d'EU^xhar,  in  Un.  Islam,  n"  2 
et  3,  1897. 

li 


118    BULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUE   DE   l'ISLAM   MAGHRIBIN 

qu'à  Alger  et  chaque  année  voit  apparaître  d'intéressants 
ouvrages  des  savants  musulmans  tunisiens  ;  c'est  là  une 
supériorité  que  nous  ne  pouvons  dénier  à  notre  voisine  de 
l'Est,  mais  que  nous  devrions  faire  tous  nos  efforts  pour 
conquérir.  Parmi  les  livres  arabes  parus  l'an  dernier  à  Tunis, 
citons  seulement  :  un  livre  sur  la  généalogie  du  Prophète  (1);  — 
un  recueil  d'actes  judiciaires  et  notariés,  du  Gheikh  Et  Touâti  (2); 
—  et  des  Foutovli  Ifrlqiya  (3),  dont  nous  dirons  deux  mots, 
d'après  l'important  article  que  M.  René  Basset  a  donné  à 
ce  sujet,  avant  l'apparition  de  l'édition  tunisienne  que  nous 
signalons  ici  (4).  On  sait  que  les  Foutoàhàt,  comme  disent  les 
Arabes,  sont  des  récits  de  conquêtes  absolument  légendaires. 
Elles  forment  une  série  de  gestes  en  prose  qui  comprend  : 
FoutoiWech  Châm  (5),  FoutoiW  Miçr  et  FovtouK  el  Djezira, 
attribuées  au  célèbre  El  Ouàqidi  ;  Foutouli  el  Yemen  (6)  et 
Foutouli'  Mekka,  œuvres  supposées  d'Abou  El  H'asan  'Àlî  el 
Bekrî,  personnage  d'ailleurs  entièrement  inconnu.  Il  est 
extrêmement  remarquable  que  tous  les  manuscrits  qui  nous 
ont  conservé  les  Foutouli'  Ifriqîya  sont  de  provenance 
maghribine.  M.  R.  Basset  en  a  étudié  dix-huit  (7)  ;  dans 
ces  manuscrits  l'ouvrage  est  attribué  tantôt  à  un  nommé 
Moghlat'aï,  tantôt  à  El  Ouâqidî,  comme  dans  le  manuscrit 
désigné  par  la  lettre  0  (8).  L'édition  tunisienne  donne  égale- 
ment  El  Ouâqidî   pour  auteur  ;   il   va  sans   dire  que  cette 


y  jLuàr-Il    J^   ^J:       ^^i     J,:^ A/ilx-'î     Js    Jr.J"^' 

il3U;c  v^-Jl-ilî,  Tunï  1314. 

Tuais,  1314.  —  Cf.  p.  67. 

(3)  ^Xi\j^\  J^  ^-^îï*"  (^'-■^'-^  hny'^'rji'^  ~  "^"^is,  1315. 

f4)  R.  Basset:  Le  livre  des  conquêtes  de  l'Afrique  et  du  Maghreb,  in  Mél.  de 
Harhi,  1896,  p.  26. 

(5)  Réimprimé  au   Caire  en   1315  :     <i.iUj»L.^;,  jJjLjJ     JjlJ)    ~^y3 

(6)  Réimprimé  au  Caire  en  1314:  J.iJÎ  ,  »«îy   ,_3jr*-l'     y^^  -y^y^. 

(7)  Il  y  en  a  3  à  la  Bibliothèque  nationale  d'Alger  (Fagnan  :  Cat.  Mss.  'Bibl., 
Alger,  n-  1612.  161.3,  1915.; 

(8)  C'est  le  manuscrit  de  Habichl.  décrit  par  Hamaker  :   Incerti  auctoHs 
liber  de  expugnaiione    Uemphidis   et  ^lexandriœ,    Leyde,    1825,    4',    p.    XI  (R. 

Basset). 


BULLETIN   BIBLIOGRAPHIQUE   DE   L'ISLAM    MAGHRIBIN     119 

attribution  ne  repose  sur  aucun  fondement.  Comme  le 
manuscrit  de  Habicht,  cette  nouvelle  reconsion,  si  toutefois 
elle  diirère  de  ce  dernier,  donne  un  texte  plus  complet  que  les 
autres  ;  le  deuxième  volume  presque  en  entier  est  en  effet 
consacré  à  Ihistoire  de  la  conquête  des  Mauritanies  (1).  Le 
livre  se  débite  beaucoup  parmi  les  Algériens. 

C'est  en  favorisant  l'impression  à  Alger  d'ouvrages  rédigés 
par  des  musulmans,  sous  une  direction  habilement  tendan- 
cieuse, qu'un  gouvernement  pourrait  agir  sur  l'esprit  des 
indigènes.  Malheureusement,  en  fait  d'ouvrages  pulDliés  en 
Algérie  par  des  musulmans,  nous  n'avons  rien  trouvé  en  ce  qui 
concerne  1897-1898,  si  ce  n'est  un  recueil  de  quelques  prières 
lithographie  à  Alger  (2).  C'est  vraiment  piteux  comme  produc- 
tion littéraire. 


XV.  —  ÉTUDE  DES  LANGUES  &  LITTÉRATURES 
ARABES  &  BERBÈRES 

L'Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres  continue  à 
encourager  les  études  arabes  par  l'attribution  de  prix  impor- 
tants. Le  sujet  mis  au  concours  pour  le  premier  prix  Bordin 
en  1900  est  le  suivant  :  «  Etude  sur  le  Tefslr  de  Tabari  et  le 
Kecchâf  de  Zamakhchâri.  —  Après  avoir  indiqué  les  origines 
et  le  caractère  de  ces  deux  œuvres,  y  relever  ce  qu'elles 
contiennent  d'essentiel  au  point  de  vue  de  la  métaphysique,  du 
droit,  de  l'histoire,  de  la  grammaire  et  de  la  lexicographie  en 
s'en  tenant  aux  résultats  immédiatement  applicables  à  l'inter- 
prétation du  texte  coranique  ».  Ce  programme  d'ailleurs  ne 
nous  paraît  devoir  tenter  que  des  débutants  qui  ne  reculent 
devant  rien  ou  des  orientalistes  passés  maîtres  dans  leur  spé- 
cialité. 

Nous  n'avons  pas  l'intention  de  citer  ici  tous  les  ouvrages 
consacrés  à  l'étude  de  la  langue  et  de  la  littérature  arabes  ; 
il  nous  faudrait,  dans  ce  cas,  mentionner  en  première 
ligne  des  ouvrages  généraux  comme  celui  de  Zimmern*  sur 
les  langues  sémitiques  (3),  —  des  grammaires  comme  celle  de 
MM.  Durand  et  Cheikho  (4),  —  des  traduction  de  traités 
arabes,  comme  celui  de  Sibawaihî  (5),  —  des  traductions  de 


(1)  Le  chapitre  sur  la  prise  de  Tébessa  a  été  traduit  par  Cherbonneau  : 
1(ev.  ^fr.,  t.  XIII,  p.  224  et  Rev.  orient,  et  ^Ig.,  jaiiv.  1852. 

(2)  A^cJ^Î  j  J.^L^9  t-^^^  ~  ^'o^r,  1  plaq.  lithog.,  1315. 

(.'5)  H.  Zimmern  ;    Vergleichende  Grammatlk  der  Semitischen  Sprachen.  1  vol 
Berlin.  1898. 

(4)  Durand  et  Cheikho  :  Elementa grammaticœ  arabicœcum  cbrestomathia,  lexico 
varihque  notis.  Beyrout.  1<S97. 

(5)  G.  John  :  Sibawaihî' s  Btich  ilher  die  Grammatik.   Berlin,  1897  (en  cours 
de  publication). 


120     BULLETIN   BIBLIOGRAPHIQUE    DE   L'iSLAM    MAGHRIBIN 

textes  ayant  surtout  un  intérêt  littéraire,  comme  Hariri  (1)  ou 
Djahiz  (2).  Nous  voulons  seulement  énumérer  ceux  de  ces 
ouvrages  qui  ont  été  composés  en  vue  de  l'Algérie,  de  la 
Tunisie  et  du  Maroc. 

Toutefois  nous  devons  faire  une  exception  pour  le  Manuel 
d'Histoire  de  la  Littérature  arabe  de  M.  Brockelmann  (3)  que 
nous  demandons  la  permission  de  présenter  comme  étant  le 
seul  traité  sérieux  de  ce  genre  que  les  arabisants  aient  à  leur 
disposition.  Il  n'existe  actuellement  rien  de  pareil  en  français  ;" 
mais  nous  avons  entrepris  de  donner  sous  peu  une  traduction 
de  ce  savant  et  précieux  ouvrage  (4), 

M.  Nallino  a  présenté,  sur  la  grammaire  de  l'arabe  parlé 
tunisien  publiée  par  M.  Stumme  (5),  un  ensemble  d'intéres- 
santes observations,  qui  dépasse  de  beaucoup  la  portée  d'un 
simple  compte- rendu  (6).  L'auteur  se  montre  particulièrement 
dur  pour  nos  arabisants  algériens. —  D'autre  part  M.  Hartmann 
adresse,  dans  la  revue  de  Beyrouth,  qui  a  pour  titre  Al 
Machriq,  un  appel  aux  orientalistes  pour  l'étude  scientifique 
des  idiomes  arabes  vulgaires  (7);  il  est  temps  que  l's  algériens 
qui  se  livrent  à  cette  étude,  coordonnent  leurs  connaissances 
dans  des  mémoires  d'allure  véritablement  scientifique  et  nous 
donnent  enfin  la  grammaire  d'arabe  parlé  qu'attendent  depuis 
longtemps  les  linguistes  et  les  philologues. 

Le  petit  dictionnaire  français-arabe  de  M.  Gasselin  (8),  mal- 
gré ses  lacunes  et  ses  nombreuses  inexactitudes,  rendra  des 
services,  parce  qu'il  est  actuellement  le  seul  donnant  à  la  fois 
des  expressions  d'arabe  parlé  et  d'arabe  littéral.  On  y  trouve 
des  incorrections  regrettables  dans  un  livre  destiné  aux  élèves, 

comme    ^ià  pour    Jy  (impératif)  ou  encore  ^-^^  pour  ^Is  — 


(1)  Chenery  et  SteinGaSS  :  The  assemblies  of  Al  Hariri,  translated  from  the 
arable.  2  vol.,  Londres,  1897. 

(2)  Van  VlOTEN  :  Le  livre  des  beautés  et  des  antithèses,  attribué  à  ,Al  Djahi^,  de 
Basra.  Texte  arabe.  Leyde,  1898. 

(3)  Brockelmann  :  Handbuch  der  aràbischen  Littcraturgeschichte.  1°''  fascicule. 
Weimar,  1897. 

(4)  Mentionnons  aussi  la  prochaine  apparition  du  premier  volume  d'une 
traduction  du  Mostatraf,  le  livre^  que  connaissent  tous  les  arabisants 
algériens,  du  poiyi,n-aplie  £/ lècfc/fc/.  Le  traducteur  est  M.  G.  Rat.  Il  aura 
rendu  un  grand  service,  non  seulement  à  ceux  qui  apprennent  l'arabe, 
mais  encore  à  tous  ceux  qui  s'iutéressjnt  au  monde  de  1  Islam,  surtout 
si  le  livre  est  pourvu  de  références . 

(5)  Voy.  supra,  p.  95. 

(6)  G.  A.  Nallino:  Osserva-^ioni  sul  dialetto  arabo  di  Tunisi  secundo  la  gramma- 
tica  dello  Stumme,  in  L'Oriente,  t.  II,  1895-1896.  paru  en  1897,  Rome  et 
Naples.  ,.  • 

(7)  M.  Hartmann. —  L'étude  des  idiomes  arabes  vulgaires  —  ^.aa*)    ^„      <\,J^.fl.j* 

v,.fX.-'ii  «1—.  UiLsrM  Extr.  d'Al  Machriq,  t.  à  p.,  1  broch.,  Beyrouth,  1898. 

(8)  Gasselin  :  Dictionnaire  français-arabe.   1  vol.,  794  p.,  Alger,  1898. 


BULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUE  DE   L'ISLAM  MAGHRIBIN     121 

L'ouvrage  de  MM.  Eidenschenk  et  Cohen  Solal  (1)  est  destiné  à 
rendre  les  plus  grands  services  à  ceux  qui  étudient  la  langue 
vulgaire  ;  mais  on  devra  observer  qu'un  grand  nombre  des 
expressions  qu'il  contient  sont  particulières  à  la  province  d'O- 
ran.  M.  Laune  a  donné  un  recueil  d'actes  administratifs  et 
judiciaires  traduits  en  arabe  ('2),  qui  est  destiné  à  devenir  le  ^ade- 
mecimi  de  ceux  qui  s'initient  à  la  lecture  difficile  des  actes.  — 
M,  Houdas,  dans  son  Pi^écis  de  graimnaire  arabe  (3), 
a  eu  l'heureuse  idée  d'associer  l'étude  de  la  langue  parlée  et 
celle  de  la  langue  régulière  et  d'expliquer  l'une  par  l'autre  ; 
cette  méthode,  féconde  entre  toutes,  est  de  nature  à  assurer  le 
succès  de  ce  livre  remarquable.  L'auteur  en  a  donné  aussi  un 
abrégé  (4),  destiné  à  ceux  qui  ne  veulent  faire  de  l'arabe 
qu'une  étude  superficielle.  —  Nous  croyons  savoir  d'autre 
part  que  M.  Beikassem  ben  Sedîra  prépare  une  grammaire 
d'arabe  littéral,  ouvrage  que  sa  profonde  connaissance  de 
l'enseignement  de  l'arabe  fait  attendre  avec  impatience  (5). 

M.  Raux  a  donné  une  intéressante  et  utile  traduction  de 
divers  morceaux  de  littérature  arabe  (6)  contenus  dans  le  cours 
de  littérature  de  M.  Ben  Sedîra,  la  Clirestomathie  arabe,  de 
M.  Mouliéras,  etc. 

Enfin,  nous  mentionnerons  encore  ici  un  travail  lait  par  un 
indigène  algérien,  M.  Mohammed  ben  Braham,  sur  le  Pluriel 
brisé  {!).  I^'auteur  aétudié  tour  à  tour  les  innombrables  formes 
du  pluriel  brisé  et  a  tâché  de  les  ramener  à  quelques  règles.  Il 
parait  avoir  extrait  des  auteurs  arabes  la  plus  grande  partie 
de  ce  qu'ils  ont  dit  à  ce  sujet,  et  son  ouvrage  sera  utile  à  con- 
sulter comme  répertoire.  La  liste  des  auteurs  consultés  ne 
contient  aucun  des  auteurs  européens  qui  ont  écrit  sur  la 
matière  et  ils  rie  sont  cités  nulle  part.  Au  reste,  l'auteur  a  fait 
avant  tout  une  œuvre  non  pas  de  philologue,  mais  de  gram- 
mairien, de  grammairien  du  reste  érudit  et  ingénieux. 

Nous  avons  parlé  plus  haut  Tp.  95),  des  importants  travaux 
que  les  Allemands  consacrent  à  l'étude  des  dialectes  parlés  de 
l'Afrique  du  Nord  ;  dans  cet  ordre  d'idées  nous  devons  citer  : 
les  Proverbes  marocains  (8)  recueillis  par  M.  Fischer,  travail 


(1)  Eidenschenk  et  Cohen-80LAL  :  Mots  usuels  de  la  langue  arabe,  accompO' 
gnés  d'exercices.   Oran,  1897. 

(l)  Laune:  Manuel  français-arabe  ou  recueil  d'actes  administratifs,  judiciaires  et 
sous  seing-privé,  traduits  en  arabe.   1  vol.,  Alj^er.  1897. 

(3)  Houdas  :   Précis  de  grammaire  arabe,  1  vol.,  Paris,  1897. 
4)  Houdas  :  Premières  votions  de  langue  arabe,  1  br. .  Paris,  1897. 

(5)  Cet  ouvrage  vient  de  paraître,  (note  ajoutée  pendant  l'impression). 

(6)  A.  Raux  :  Recueil  de  morceaux  choisis  arabes,  l  vol.  8°,  218  p.,  GODStan. 
tine,  1897. 

(7)  Mohammed  ben  Braham  :  Le  pluriel  brisé,  1  vol.  8*,  1 18  p.,  Paris,  1897. 

(8)  Fischer:  Marokkanische  Sprichwxrter,  in  Mittheil.  d.  Seminacrs  f.  Orient. 
Sprachenand.  l;aenigl.  Friedr.-lV'ilhelms  .-Universitod  ^.u 'Berlin,  hrsg  v.  E.  Sachau, 
lahrg.I.  Berlin.  1898  pp.  188  seq.  (Je  dois  ;i  l'ol)ligeanec  de  JI.  l\e né  Bas- 
set, conimuuicalion  de  cet  ouvrage.) 


122     BULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUE  DE  L'ISLAM  MAGHRIBIN 

également  intéressant  au  point  de  vue  de  la  langue  et  du  folke- 
lore,  et  dans  lequel  l'auteur  a  apporté  à  ses  références  le  plus 
grand  soin  ;  —  Le  travail  de  M.  Seidel*  sur  la  Littérature 
populaire  tunisienne  (1)  ;  —  Enfin  il  faut  ajouter  à  cette  liste 
une  étude  de  M.  Williams  Talcott*  sur  l'Arabe  vulgaire 
marocain  (2).  On  le  voit,  les  étrangers  nous  devancent  sur 
notre  propre  terrain. 

Notre  incompétence  en  matière  de  berbère  nous  fait  un  devoir 
de  mentionner  sans  commentaires  les  ouvrages  de  langue  et 
littérature  berbères  qui,  à  notre  connaissance,  ont  été  publiés 
en  1897-1898.  Ce  sont:  la  Premiè«'e  année  de  langue kahyle,  de 
M,  A.  Saïd(3);  — les  Légendes  kahyles  de  M.  Mouliéras(4),  qui 
constituent  la  plus  grande  collection  de  textes  kabyles  publiés 
jusqu'à  ce  jour  ; —  la  Grammaire  mozahite,  de  MM.Ameur 
Nour  ben  Si  Lounis  et  Moka  Messaoud  (5); —  les  Textes  de 
M.  Motylinski  en  berbère  de  Djerba  (6);  —  la  publication,  par 
MM.  René  Basset  et  Gaudefroy-Demombynes  des  Textes 
touaregs  de  M.  Masqueray  (7)  ;  -  -  la  traduction,  par  M.  Moty- 
linski du  texte  en  dialecte  du  Djehel  Nefousa  jadis  publié  par 
lui  (8)  ;  —  la  notice  de  M.  René  Basset  sur  le  dialecte  des  Béni 
Iznacen  (9)  ; — et  enfin  le  texte  du  Waoïidh  avec  traduction  (10), 
publié  par  M.  Luciani,  qui  avait  déjà  donné  dans  la  Revue 
Africaine  un  article  à  ce  sujet  [Bev.  Afr.,  1892,  p.  151  seq). 
Ce  H'aoudh,  un  des  très  rares  textes  berbères  que  nous 
possédions,  fut  rédigé  au  siècle  dernier  par  Mah'ammed  ben  Ali 
ben  Brahîm  en  dialecte  tamazir't.  Il  est  consacré  à  exposer  les 
principes  du  droit  coranique  musulman  :  l'auteur  s'est  natu- 
rellement inspiré  à  peu  près  exclusivement  de  l'abrégé  de 
Khelîl.  L'ouvrage  n'offre  donc  pas  un  bien  grand  intérêt  au 
point  de  vue  du  droit  musulman,  mais  sa  publication  est 
d'une  haute  importance  au  point  de  vue  philologique. 


(1)  Seidel  ;  "Beitraege  ^.  Kenntniss  d.  tunisischen  Volkditteratur ,  in  Zeitsch.  f, 
afrikan.  und.  oceanisch.  Sprache.  JU,  pp.  186-188,  268-271. 

(2)  Williams  Talcott  :  The  spokm  Arabie  of  North  Morocco,  in  'Beitraege  x. 
Assyriol.  und  sentit .  Sbraclnuiss.  1897. 

(3)  A.  SaïD  :  Une  première  année  de  langue  Ttatyle,  dialecte  louaoua.  Alger,  1897. 

(4)  A.  MouliÉRAS  :  Légendes  et  Contes  merveilleux  de  la  Grande  Kabylie.  Texte 
kalyle.  2' part.,  fasc.  1,  Paris,  1898. 

(5)  Ameur  Nour  ben  Si  Lounis  et  Moka  Messaoud  ben  Yahya  : 
Grammaire  moiabite.,  Alger,  8°,  67  pp.,  1897. 

(6)  De  C.  Motylinski:  Dialogue  et  texte  en  berbère  de  Djerba,  in  Journ. 
asiat.,  9*sér.,  t.  X,  p.  ;i77-4(JI,  1897. 

(7)  Masqueray  :  Observations  grammaticales  sur  la  grammaire  touareg  et  textes 
delà  Tamahaq  des  Tattoq.  Publié  par  R.  BASSETet GaudefrOY-DemOMBYNES, 
2 fasc.  en  1897,  p.  97-272. 

(8)  Dk  0.  Motylinski  :  Le  Djebel  Nefousa,  transcription,  traduction  française 
et  notes,  avec  une  étude  grammaticale.  l"fasc.,  Paris,  1898. 

(9)  René  Basset  :  K'otice  sur  le  dialecte  des  IBeni  Iznacen,  in  Giorn.  délia  Soc. 
asiat.  ital.,  vol.  iindec,  1897-1898,  p-.  1-13. 

(10)  Luciani  :  El  Haoudh,  1  vol.,  Alger,  8°,  1897. 


BULLETIN  BIBLTOGRA.PHIQUE   DE   L'ISLAM   MA.GHRIB1N      123 

Et  puisque  nous  venons  d'énumérer  les  principales  œuvres 
des  arabisants  d'Algérie  dans  ces  derniers  temps,  nous  termi- 
nerons en  mentionnant  deux  articles  de  M.  Cat  consacrés  à  la 
biographie  de  deux  orientalistes  qui  ont  bien  mérité  de  la 
Colonie,  nous  voulons  dire  Perron  (4)  et  Masqueray  (2). 


Octobre  1898.  Edmond  DOUTTÉ. 


^=I*E^- 


(1)  Cat  :  Biographies  algériennes,  in  >y4lg.  Nouv.  du  3  avril  1898. 

(2)  Id.  id.  id.  20  février  1898. 


AP*i>E]xr>iOE: 


Depuis  la  rédaction  de  ce  Bulletin  bibliographique,  de  nouvelles 
recherches  nous  ont  amené  a  ajouter  à  notre  travail  les  ouvrages 
dont  les  titres  suivent  et  dont  la  plupart  ne  nous  sont  encore  connus 
que  de  nom.  Nous  analyserons  l'an  prochain  ceux  dont  le  titre  est 
précédé  d'une  croix. 

II.  —  Ouvrages  d'ensemble  sur  la  religion  musulmane 

KuTSCHE  :  Der  Islam,  seine  geschiehtl.  Entwiek.  und  kultur. 
Bedeutung,  in  lahresberieht  d.  Ver.  f.  Erdkunde.  Metz,  xix, 
pp.  42-61,  1897. 

III.  —  Dogmatique  et  Histoire  religieuse 

Flago  :  Yoga  or  transformation.  A  comparative  statement  oj  the 
various  religions  dogmas  concerning  the  soûl  and  ils  destiny, 
and  of  Akkadian,  Hindu,  Taoist,  Egyptian,  Hebrew,  Greek, 
Christian,  Moharnmedan,  Japonese  and  other  magie.  1  vol.  8°, 
New- York,  1898. 

V.  —  Droit  musulman 

•f  Pizzi,  Italo  :  L'Islamismo  e  la  guerrasanta  in  N.  Anthol.,  1891, 
Lxix,  pp.  5-35. 

•f  Carnoy  (H.)  :  Les  Kojioun  ou  chartes  kabyles,  in  Tradition, 
1897,  XI,  pp.  73-80. 

•j-  Sachau  (Ed.):  Muhammedanische  Recht  nach  Schafiit.  Lehre., 
Berlin,  1898. 

VI.  —  Isilam  des  divers  pays  musulmans 

Rafiuddin  Ahmad  :  A  Moslem's  mew  of  the  pan-islamic  remval 
in  Nineteenth  Century,  xliii,  pp.  517-526. 

VIII.  —  Islam  de  l'Afrique  mineure 

•}-  Valenza  (Lina):  /  Ginun,  gen.ii  tutelari  nella  eredenza  ebraïco- 
tunisina,  in  Arch.  p.  lo  stud.  d.  trad.  prop.,  xv,  pp.  435- 
438,  1897. 

IX   —  Histoire  des  musulmans  en  général  et  de  ceux 
de  l'Afrique  mineure  en  particulier 

BouRNiGHON  :  L'invasion  musulmane  en  Afrique,  suivie  du  réveil 
de  la  foi  chrétienne  dans  ces  contrées  et  de  la  croisade  des 
noirs  entreprise  par  S.  E.  le  Cardinal  Lavigerie.  1  vol.. 
Tours,  1897. 


APPENDICE  125 

Céalis  :  De  Sous.<ie  à  Gafsa.  Lettres  sur  la  campagne  de  Tunisie, 
1881-1884.  Préface  de  G.  Larroumet.  1  vol.,  Paris,  1897. 

f  D.  Mariano  de  Pano  :  Viaje  a  la  Meea  de  un  morisco  aragones 
en  el  siglo  XVI.  1  vol.,  Sarragosse,  1897. 

X.  —  Folke-Lore  de  l'Afrique  mineure 

•}•  Valenza  :  Ninne-nanne  di  Tunisi,  in  Arch.  p.  l.  stud.  d.  trad. 
pop.  1897,  XV,  pp.  82-84. 

XII.  —  Ouvrages  littéraires  :  Études  de  mœurs,  romans, 
livres  de  touriste 

Des  Moustiers  Mérinville  :  Une  pointe  dans  le  Sud  algérien, 
Tuggurth  et  la  région  du  Sauf.  1897,  8°,  43  pp.,  Paris. 

Landais  :  Impressions  de  deux  voyages  en  Tunisie  {1889-1S93J, 
suivies  d'une  étude  générale  sur  la  Régence  et  sur  les 
bienfaits  du  protectorat.  1  vol.,  1897,  171  pp. 

Majersky  :  Eine  Friïhlingsfahrt  dureh  Italien  nach  Tunis, 
Algérien  und  Paris.  1vol.,  230  pp.,  Francfort-sur-Mein,  1897. 

XV.  —  Études  des  langues  et  littératures  arabes 
et  berbères 

•{•  Recueil  de  diverses  formules  religieuses  musulmanes.  1  vol., 
Constantine,  1897,  40  pp. 

-{-  Talisman  arabe  (texte  arabe).  1  vol.,  Constantine,  1897. 

Cherbonneau  :  Fables  de  Lokman.  expliquées  d'après  une 
méthode  nouvelle,  etc.  1  vol.,  Paris,  1897,  ir6  pp. 

Le  Blanc  de  Prébois:  Essai  de  contes  kabyles  avec  traduction  en 
français  (en  cours  de  publication),  1"  lasc,  Batna,  1897. 

Le  Blanc  de  Prebois  :  Essai  de  contes  kabyles,  traduction  arabe 
et  française.  1  vol.,  Constantine,  1897. 

Ouvrages  "  incertœ  sedis  " 

Anna  May  Wilson  ;  The  days  of  Mohammed.  1  vol.,  Chicago,  1897. 

Drouet  :  Au  Nord  de  l'Afrique,  in  Société  normande  de 
Géographie,  xviii"  Bulletin,  pp.  102-130. 

Frœucher  ;  L'Algérie,  ia  Union  géog.  du  Nord  de  la  France, 
xvin,  1897,  pp.  70-75, 

Villebois-Mareuil  :  Au  Sud  Algérien,  in  Le  Correspondant, 
nM85,J897,  pp.  3?-66. 


126  APPENDICE 


LISTE  DE  QUELQUES  OUVRAGES  ARABES  ÉDITÉS 
OU  RÉÉDITÉS  EN  ORIENT  EN  1314-1316 

lo  <:;^i  •^^^J'^  ^ij^^  /:r^  f^h^^  ^  ^•î-^?'^  «t^*»*-''   ^ '^'*^ 

iriJJ^  J.;^     w'  JlçJ  ,  Boulaq,  1314. 

2o  ^j-X^'  j,<«srl^>iu,4'  j^«  ï^^^  t—  y}-^^  jy  , Caire,  1315. 

3»  ^L.j^L^  J^-'i  y  JI^'  ^bS  ,  Bombay,  1814-1315. 

4°  ^jLir^  I  .c:r^-^  ,  9  vol.,  Boulaq,  1314  (splendide  édition 
entièrement  vocalisée). 

JLsr'^î  j^î    ^r:;-'^^    UV^j»  ^  ,  Boulaq,  1314  (livre  d'un  grand 
débit  en  Algérie). 
6"  ^l:  «>jj.3  j-ysÇ.'  k^>L*ix)!  a3^j_jî  Jr^^L) ,  Caire,  1314. 

Caire,  1314  (Continuation  de  l'histoire  des  mamelouks  de 
Maqrizî,  revue  et  corrigée  par  Ahmed  Zéki  Bey). 

8°  ^LiuJI  ^j'X5  (voy.  p.  118).  —  ,y<s^'î  ~  jU3  (voyez  p.  118). 
9"  ^j-wIViU  .^l^\    c^^-"  '^^j-'^  /^s^"^'  f  -"^^^  ('^*^  , 
Caire,  1314. 

^J^jjUJ    v^J-iî  j  L;jJî  ,  Caire,  1316. 

11"  S^j^^  ^i^^  J  '^'^'^  V'^^   -r-^''-^  '  ^^^^^'  ^^1^- 
12o  ^^^J-U  j'jr^ar'l  ilL^  ,  Caire,  1314. 
13°     w.;^Lj  .J)     yojj  j...a:iir^  <i_i,.i»L^>  j     ^*^   '' — ;ït^^  O*^ 
*?LJJ  ,  Caire  1314. 

^w.Ljt  ,  Caire  1314. 

150    ^xiL\}    ^^-^.n     ^^iL^    ê—      v-.-^y!    jo^j  ^^JLsr^ 

Caire,  1315. 


APPENDICE  427 

16"    ./>-^/!^.-   j    ^^JfCoU       v--:-?-^'!    ^ar---^_y    ^Lsr-Ii     .A>,j 

(biographies  des  premiers  personnages  de  l'Islamisme),  Caire, 
1315. 

^^^^!i}   if\-v«.  <^    .t:r-^^^  r''   .,^'-*-'   * >^'^  Aii.j»L^;  j      ^:^-»"l^^1 

^L^'l  Jl.^  <rr^U  (Histoire  du  Prophète,  de  Hasanet  Hoseïn, 
des  12  imams,  des  4  pôles  de  l'Islam,  etc.),  Caire  1315. 

18°  .JJ  ..,.k'!  J^,.à)!  ^Ls.  ^  .-,.iJI__;j-.iî  ^Lxr 
S.Î-J1  ,  Caire,  1315. 

190    ^f  j,;c    _^;    J.^s^^U'^    ^^=.    ^^i;^'-^^     .r^    ^l^■l'  wW 

Jî>>j.4^l ,  Caire,  1315  (Recueil  de  traditions). 

^jL^^-'l    y  ,  Caire,  1315. 

210  ^,  ^^f  _,jLy  ^,i^?r  ^yc  ^^^u  j\jj^  ^lS  ^ur 

J^j. — v,^  ,  Alexandrie,  1315  (Hadits,  exégèse,  eschatologie). 

22"  ,.v-X--'    JJUJ>'^^.>    .       C^;.3.,s^L!      vJîLjt-'l    H.<..._;._V    _[jC.r 

v^SjLx-'l  ,  Caire,  1315  (morale,  piété). 

23»  d-i,/L^,>  ^  ^^^     c^^*-  -^^-^^  J^^^  ^^  j' f-*^  *^-:i>=^ 

^yar-'J  .j.;:-^"'^-!^  -3.^-=  ^i^-^  V  .r;^'^-^'''^  .r-^^'''  ^^'■'■'^  Caire, 
1315  (Hadîts). 

^ji^\)  iXxjlf  ^  Cl»-!--»  ^ji-^xV  iiscî^j»  ^  ,  Caire,  1315. 

"250  ..-.ji  ,L-i  ...  .o-;,^ii  _;;uj  A^r^j!  j.;î,cti  ^ur 

L_^L;  ûAi!  j.— v_c  (Manuel  de  civihté  sur  le  plan  des  manuels 
européens),  Caire,  1315. 

26o       'L.x^  ~\  ,x^  'i^3  J.C  ji^jùJ\  A;.^L=s.  ,  Caire,  1315. 

270  vot  t--^'  Si^^  (Cet  ouvrage  bien  connu  a  toujours  de 
nombreuses  éditions  dans  tout  l'Orient,  et  à  Fez  également). 


128  APPENDICE 

Caire,  1314. 

^j-s4^  ô^î  jw^c,  Boulaq,  1315. 

30°     ^;.;:)jUL^  ^-.-=^y^  r^j-^     i^  s^^^-^''   ^•^'-'^^  '  Caire,  1315. 

^p"^^  (j^^V   -♦''•'=  '^  J^^'^'-t' (  '""'   ^uJÎ  ^'i^^l  Aç=v-r  iîU^IÎ 
J,U,iLlI     ^^Jj.;":^  ,.^-c     J     ,.^'-'iy,  Caire,  1314. 
32°     -iLjj,.iuiJ  Aj  ^:^;^I  o^L»l.-4'  ^j-i^  ,  Caire,  1314. 
33°  ^^îj.^.^-''  ^,ij>'j^j>  .<£^^i^  j    ^.''3^.^."  J.:l^j  ,  Caire,  1315. 
34°  5tX.-c  jt_yO  (voy.  p.  49,  no  3). 

35»    ,ki   'L^ilT    J.-.^.  ^J>.>»    c. ^  yjt.}]    'Â^S  sl.i>^]}  JLàJ^  A^V-oH-'' 

I       ■'■        ■■    c       ■■     ^       ■■■  ■'        -^  ^ 

^;L.^.JÎ  J.C  L.*_^l  j..;  _5-^-^  L.^.^"-^^   ,  Beyrouth,  1314. 

(Le  titre  du  livre  indique  qu'il  s'agit  d'un  nouveau  poëme  à  la 
louange  du  Prophète.  Le  plan  suivi  est  celui  d'El  Boûcîrî  dans 
sa  célèhre  Hamzia,  mais  les  développements  sont  beaucoup 
plus  longs.  Bien  souvent,  d'ailleurs,  notre  auteur  n'a  fait  que 
délayer  les  vers  de  la  Hamzia.  Il  suffit  de  jeter  un  coup  d'œil 
sur  la  l""*^  page  pour  s'en  apercevoir  [cpr.  le  v,  4  et  le  v.  6  avec 
le  premier  vers  de  la  Hamzia].  Le  mètre  choisi  par  notre 
poète  est,  comme  chez  El  Boucîrî,  le  mètre  illustré  par 
Hârits  ben  Hilliza.  Dans  sa  courte  préface,  l'auteur  annonce 
du  reste,  qu'il  a  pris  pour  modèle  El  Boucîrî.  Le  poëme  est 
divisé  en  chapitres  qui  portent  en  tête  l'indication  de  quelque 
épisode  de  la  vie  de  Mahomet:  àjj.^'i  J--j^3  a_1_<s_9. _.  ij,Jj-/> 

—  3'>-i»-''    »j3..o  ^^    iU'  ,  «^i  —  A:;i-^j  ,  etc.  —   L'ouvrage 

est  orné  de  notes  surtout  grammaticales.  Le  style  est  en  général 
facile.)  (1). 

36»  j^  iy-s^^  ,  Caire,  1314. 
Décembre  1898. 

E.  D. 


(l^  La  plupart  de  ces  livres  sont  répandus  en  Al.eérie  :  il  pxiste  du  reste 
également  à  Alger,  un  libraire  intelligent  et  avisé  qui  peut  rendre  de 
grands  services  aux  orientalistes  (Mourad  ben  Terki.  rue  Randon). 


INDEX  DES  NOMS  DES  AUTEURS  «> 


Abbadie 

Abdallah  ben  Caïd  Amor.... 
Abdurraschid  Kliaa  (Nawàbj 

Abou  el  Fetouh  (Aly) 

Abribat 

Ahmad  (Rafiuddin) 

Ali  el  Fdouli  

Alv  (Abou  el  Felouh) 

Allier 

Ameur  Nour  ben  Si  Lounis. . . 

Antara 

Ardaillon 

Arendzen 

Attanoux  (d') 

Avelot 

Auerbach. .    

Auge .  

Azoo 


Pages 
.  85 
.     Gi 


117 
67 

m 

82 

117 
43 

122 
48 
72 
53 

104 
72 
72 
43 

114 


Baascli 91 

Bâcher 92 

Bachir  (Et  Touati  Mohammed 

el) 67,  118 

Bagard 115 

Barbet 107 

Barth 49 

Basset  (René)  40.  41,  56   85,  94,  96 
115,  118,  122. 

Beaulieu  (P. -Leroy) 108 

Béhagle{de) ." 77,  106 

Belkacem  beu  Sedira 121 

Benoist 92 

Berchem  (Van) 53 

Bernard  (Aug.) 96,  110 

Bernard  (P.) 113 

Berthelot 59    81 

Bertholon 102.  103,  109 

Besthorn 59 

Bevan 52 

Blanchet 89,  90 

Blochet 41 

Blum 90 

Boigues 86 

Bonnet 91 

Bournichon 126 

Brockelmann 120 

Burton 58 


Pages 

Gagnât 91 

(Jarnoy 96,  124 

Carra  de  Vaux 45,51,    84 

Cartier  de  Marchiennes 111 

Casanova 52 

Castellane  (de) 92 

Gastries  (de) 75 

Cat 39,  82,  42.  123 

Céalis 125 

Chantepie  de  la  Saussaye 44 

Gharnay  (de) 71 

Jhauvin 41 

Cha  vannes 62 

Cheïkho 48,   119 

Cheneb  (Mohammed  ben) 111 

Chennery 120 

Cherbonneau 119,  125 

CJavel  38,  57,  63 

Codera 86,  69 

Gohen-Solal 121 

Colin m 

Goppolani 45,    78 

Cordier 83 

Cornulier-Lucinière  (de) 92 

Coquelin 43 

Contenson  (de). 67 

Coudray ,...     90 

Couronnel  (de)  103 

Coiirtellemont  (Gervais) 69 

Uaubeil 107 

Daunis 74 

Debidour 83 

Deflers 71 

Delphin 59 

Demombyues(Gaudefroy)  44,  87,  107 

Depont  ..' 45,  78 

Derrien 106 

Devéria 53 

Drouel 125 

Dubois  (Félix) 72 

Dubois  (Marcel) 68 

Dujarric 39,  49,  77 

Dumont 99 

Durand 119 

Duro 91 

Dyck  (Van) '40 


(1)  Cet  index  ne  comprend  pas  les  noms  des  auteurs  arabes  cités  page  126, 


130 


INDEX  DES  NOMS   DES   AUTEURS 


Pages 

Eckardt 95 

Eideaschenk 121 

Etienne 105 

Eyssautier 63,  105 

Fabre 94  113 

Fagnan 43,  87,  89,  91.  111 

Fdouli  (Ali  el) 82 

Ferreiro 86 

Fischer 121 

Fitzner 102 

Flagg '24 

Flamand 82 

Forlong 45 

Frœliciier 125 

Froidevaux 43 

Gaspar 90 

Gasselin 120 

Gastu 112 

Gauckler 91 

Gaudeîroy  Desmombyaes  44,85,  107 

Gil 89 

Gilles 87 

Gœje  (de) 85 

Goldziher...    43.  48,  54,  56,  60,  75 
Gouvernement  Général.  42,  82,  111 

Grant 44 

Grenier 7] 

Groult 104 

Gunckel lOi 

Guy • 68 

Hamet  (Ismaïl) 93 

Hairis 98 

Hartmann 120 

Hassert 72 

Hatim  Tay 48 

Hautlort 107 

Hayad  Khàn  (Mohammed) 86 

Heiberg 59 

Helou  (Rahmin) 104 

Heudebert 76 

Hirsch 71 

Hirschfeld 51 

Houdas 90,  92,  121 

Houdin  (Robert) 82 

Hourst 73 

Huart 74 

Hurgronje  (Snouck) 60 

Irénée  (Philippe) 39 

Ismaïl  (Hamet) 93 

Jacquot 68 

Jansen 69 

Joly 99 

John 119 


Pages 

Kabv  (Mohammed) 103 

Kennedy 117 

Khalidi  (Rouhi  el) 69 

Kimon 47 

Kœnig 98 

Kohut 51 

Kutsche 124 

Lacroix 97 

Lamaîresse 49 

Lamartiniére  (de  la). ...    92,  96,  97 

Lambrecht 41 

Landais 125 

Landberg  (de) 70 

Lanessan  (de) 74 

Lapaine 110 

Lapie 99 

Larousse • 75 

Larroumet, 125 

Lartigue  (de)  .  • 73 

Lasinio 59 

Laune 121 

Laupts 109 

Lavisse 83 

Le  Blanc  de  Prébois 125 

Lemoine 39,  87 

Lericlie  44 

Leonhardt 58 

Leroy-Beaulieu 1 08 

Le  Roux  (Hugues) 77  105 

Liard 82 

Lissagarav 39 

Lith .^ 67 

Lopes 89 

Lorin 82 

Loth 92 

Luciani 59,  122 

Mac  Coll  Malcolm 71 

Machuel 113 

Mahler 83 

Majersky 125 

Malcolm  (Mac  Coll) 71 

Mandeville 81 

Manuel  Pablo  Gastellanos 88 

Marçais 64 

Marchand 78 

Marchiennes  (Cartier  de) 111 

Mareuil  (Villebois) 

Mariano  de  Pano 125 

Masqueray 123 

Mathieu 110 

Menant 43 

Menclet 77 

Mercier 63,  87 


INDEX  DES   NOMS   DES   AUTEURS 


131 


Pages 

Mérinville  (de  Moustiers) '>1b 

Messaoud  Moka 122 

Métin 83 

Meysonnassa 67 

M'hained  (Si-bel  Khodja) 83 

Mirante 90,  ll« 

Mohammed  benBraham 121 

Mohammed  ben  Gheneb 111 

Mohammed  el  Bachir   El-Toa- 

àti 67,  118 

Mohaaimed  Es-Senodssi lU") 

Mohammed  Hayad  Khi*n 86 

Mohaaamed  Kaby 103 

Mohammed  Seghd'beo  Yousef.  91 

Mo';a  (Messaoud.) 122 

Moliner-Violle 9( 

Montaudon  (de) 92 

Montet 47 

Morand 63 

Moiyl'aski 122 

Mouli.éras 70,  77,  98,  107,  122 

Moustiers  (de  —  Mérinville) ...  125 

Muir 53 

Nallino 120 

Nawâb  (Abdurraschid  Khàn). .  71 

Néziére  (de  la} 72 

NieUy 77 

Nœldeke 51 

Neur  (Ameur  ben  Si  Lounis) . .  122 

Ouâqidî(El) 1)8 

Pallary 99 

PaoJi 113 

Parmenlier 83 

Patton 52 

Paulitschke 85 

Pautz • 48 

Pellat 88 

Pérès 52 

Perron 123 

Peytral  (M.) 92 

Peytral  (Marie) 92 

Pizzi 124 

Playfair 40 

Pougnadoresse  (Sorbier  de). . . .  6i 

Prébois  (Le  Blanc  de) 125 

Précigou 86 

Quilliam 76 

Rafiuddin  (Ahraad) 124 

Rahmin  (Helou) 104 

Rambaud 83 

Ranking 114 


Pages 

Rat 120 

Raux 121 

Réville 47 

Ribera 65 

Unn 91 

Robert 9i,  107 

Robinson 47 

Robles 89 

Rossi 69 

Boiihiel  Khalidi 69 

Roussel 1 07 

Roff 90 

Sachau 93,  124 

Saïd 122 

Saint-Galhre 113 

Saint-Germain  (de) 76 

Saissy 73 

Saladin 103 

Salih  Zéky  Efendi 58 

Saussayrt  (Ghantepie  de  la) 44 

Sawas-Pacha 60 

Schneider 76 

Schreiber 75 

Schreiner 51 

Schultens 48 

Schwally 54 

Sedira  (Belkacem  ben) 121 

Sedlatchek  (Yaroslav) 107 

Seidel 122 

Senoussi  (Mohammed  Es-) 105 

Sicard    115 

Siàoui  (Es-) 88 

Smith 51 

Snouck  Hurgronje 60 

Sorbier  de  Pougnadoresse 64 

Spiro 50 

Steingass 120 

Steinschneider 58 

Sf  umme 95 

Suter 58 

Taïb  (Alphonse.) 39 

Talcott 122 

Taleb 88 

Touâti  (El  —  Mohammed  el  Ba- 
chir)  67,  118 

Toutée 73 

Trébora 39 

Trotignon 82 

Valenza 124,  125 

Vambéry 71 

Vaux   (Garra  de) 45,  51,  84 

Venture  de  Paradis 91 


132 


INDEX   DES   NOMS    DES    AUTEURS 


Pageë 

Verneau ^■^ 

Vérot 116 

Villebois-Mareuil 125 

Violard ' Ht) 

VioHier 114 

Vloten(Van) 86,  120 

Vollers 41 

Wahl 100^  112 

Wellhausen 4/,  49 


Pages 

Wilson  (Anna  May) 125 

Wûstenfeld 83 

Yaroslav  Sedlatchek 107 

Yasmina 1'^''' 

Zaborowski 109 

Zéky  'Salih  Efendl) 58 

Zeller 76 

Zimmern 119 

Zockle.r ...    ^^ 


y^r- 


LlrclÉÉre  Sacrée  de  l'AMpe  Païenne 

d'après  un  livre  de  MM.  GAGNAT  et  GAUGKLERW 


La  Tunisie  est  incontestablement,  parmi  les  anciennes  pro- 
vinces du  monde  romain,  l'une  de  celles  qui  ont  gardé  le  plus 
de  traces  de  la  domination  impériale,  le  plus  de  vestiges  de  la 
profonde  transformation  que  sa  civilisation  apporta  dans  les 
différents  pays  où  elle  s'était  implantée. 

Si,  dans  les  parties  de  l'Europe  et  de  l'Asie,  où  Rome  a  régné 
durant  plusieurs  siècles,  les  monuments  ont  été  aussi  nombreux 
et  parfois  plus  riches  que  dans  l'Afrique  romaine,  des  facteurs 
y  ont  souvent  agi,  qui  n'ont  eu  ici  aucune  action. 

Les  populations  laborieuses  et  chrétiennes  de  la  Gaule,  pour 
ne  parler  que  de  cette  seule  province  ont,  après  la  dislocation 
de  l'Empire,  et  le  climat  aidant,  continué  à  cultiver  le  sol,  à 
élever  des  habitations.  Dans  cette  contrée,  quand  les  édifices 
élevés  par  les  Romains  ont  péri  sous  les  coups  du  temps  ou  des 
Barbares,  citadins  et  cultivateurs  en  ont  repris  les  maté- 
riaux, les  ont  retaillés  pour  les  utiliser  dans  de  nouvelles 
constructions. 

C'est  ainsi  que  les  débris  des  temples,  des  antiques  forte- 
resses, devenus  de  véritables  carrières,  passèrent  dans  les 
fondations  des  églises  et  des  châteaux. 

Bien  plus,  dans  les  campagnes,  le  paysan  dont  la  ferme 
s'élevait  parmi  les  ruines  de  quelque  pagus,  de  quelque  exploi- 
tation agricole,  non  content  d'araser  les  murs  devenus  inutiles, 
les  bouleversa  jusqu'au  dessous  du  sol,  pour  étendre  la  surface 
cultivée,  et  la  charrue  vint  à  son  tour  achever  l'œuvre  de 
destruction,  en  dispersant  les  restes  encore  visibles  des  anti- 
ques demeures. 


(I)  Les  Monuments  historiques  de  la  Tunisie.  —  l"'"  partie  ;  Les  Monuments 
o«h"(/;(M,  publiés  par  MM.  R.  Gagnât  et  l^.  Gauckler.  — Les  Temples  païens, 
Paris,  Leroux,  1898. 

12 


134        l'architecture  sacrée  de  l'afrique  païenne 

Aussi,  en  dehors  de  rares  exceptions,  n'est-ce  que  dans 
la  profondeur  du  sol  que  l'on  retrouve  quelques  restes,  bien 
frustes,  de  l'occupation  romaine. 

Dans  l'Afrique  du  Nord,  au  contraire,  l'indigène  en  raison 
de  son  indolence  et  de  ses  mœurs  pastorales,  se  garda  de 
toucher  à  des  édifices  qui  n'occupaient,  en  somme,  qu'une 
surface  restreinte  des  vastes  pacages  où  il  mène  ses  troupeaux. 
Au  demeurant,  comme  il  habite  sous  la  tente,  il  n'avait  que  faire 
des  énormes  pierres  de  taille  que,  lors  des  premières  invasions, 
son  fanatisme  avait  respectées. 

On  sait,  en  effet,  combien  les  restes  de  villes,  de  simples 
pagi,  de  fermes  même  y  abondent.  Une  inoubliable  impression 
saisit  le  voyageur  lorsqu'il  parcourt  cette  contrée.  Capitules 
encore  debout,  portes  triomphales,  monuments  publics  élevés 
il  y  a  1,800  ans,  y  semblent  abandonnés  d'hier.  Et  ce  ne  sont 
pas  seulement  ces  restes  imposants  qui  frappent,  ce  sont  aussi 
les  portes  des  praedia,  les  enceintes  de  villas,  les  restes 
de  modestes  rigoles  où  coula  jadis  l'eau  des  sources,  les 
ponceaux  sur  les  ravins.  Tous  montrent  combien  industrieuse 
et  active  fut  une  population  qui  n'avait  laissé,  sans  l'aménager, 
aucun  point  d'une  contrée  où  règne  aujourd'hui  la  solitude. 

Facilement,  on  se  croirait  transporté  dans  un  pays  que  ses 
habitants,  surpris  par  quelque  catastrophe  pompéienne,  ont 
abandonné  brusquement,  et  qui  est  demeuré  depuis  tel  qu'il 
était  alors,  sans  avoir  connu  la  lente  décomposition,  œuvre  du 
temps,  des  météores  et  de  l'homme. 

La  Tunisie  est,  sans  contredit,  celle  de  nos  provinces  de 
l'Afrique  du  Nord  où  les  ruines  sont  de  beaucoup  les  plus 
abondantes,  les  mieux  conservées,  les  plus  grandioses.  Ce 
n'est  pas  que  l'Algérie  n'en  possède  également,  le  beau  livre 
que  M.  Gagnât  publie  sur  Timgad  en  ferait  foi  au  besoin.  Mais 
ce  pays,  pendant  les  premières  années  de  notre  occupation, 
a  connu  quelques-unes  des  vicissitudes  que  je  viens  d'indiquer 
et  qui  ont  privé  l'Europe  de  tant  de  monuments  antiques. 
La  fièvre  de  construction  qui  a  sévi  dans  les  centres  de 
nouvelle  formation,  l'irrespectueuse  rapacité  des  entrepre- 
neurs, souvent  renforcée  d'une  sorte  de  haine  contre  les 
restes  du  passé,  y  ont  causé  d'irréparables  dégâts.  Car,  il  faut 


«1 


l'architecture  sacrée  de  L'AFRIQUE  PAÏENNE  135 

le  reconnaître,  ce  sont  ceux-là  même  qui  se  disent  les  héritiers 
des  Romains  en  Afrique  qui  ont  fait  disparaître  les  plus  beaux 
témoignages  de  leurs  droits  à  ce  patrimoine,  les  édifices  laissés 
par  leurs  prédécesseurs  et  que,  par  une  ironie  du  sort,  les 
ravisseurs  eux-mêmes  avaient  respectés. 

Quant  on  se  prit  à  s'émouvoir  de  la  disparition  des  monu- 
ments où  notre  civilisation  retrouvait  à  chaque  pas  les 
traditions  de  son  art  et  même  de  sa  littérature  il  était  déjà  bien 
tard. 

Fort  heureusement,  pour  l'honneur  de  la  science  française, 
1^  faute  commise  en  Algérie  a  profité  à  la  Tunisie  et  amené 
la  création  d'un  Service  qui  recueille  et  protège  les  vestiges  du 
passé  d'une  façon  sinon  complète,  en  raison  des  faibles 
ressources  dont  il  dispose,  du  moins  dans  une  mesure  suffisante 
pour  éviter  d'irréparables  pertes. 

L'abondance  et  l'état  de  conservation  de  tant  d'édifices 
intéressants  sont  tels  que  la  Tunisie  constitue  comme  un 
vaste  musée  dont  les  provinces  sont,  en  quelque  sorte,  les 
salles,  et,  les  cités  avec  leurs  édifices,  les  vitrines.  C'est 
l'inventaire  de  ce  musée  que,  sous  la  protection  d'un  ministre 
éclairé,  la  Direction  des  Antiquités  et  des  Arts  de  la  Régence 
a  entrepris. 

11  se  trouve,  fort  heureusement  pour  une  œuvre  aussi 
considérable,  que  cette  tache  a  été  confiée  aux  deux  savants 
qui  pouvaient  l'accomplir  dans  les  meilleures  conditions  : 
M.  Gagnât,  dont  le  nom  s'attache  à  tous  les  travaux  importants 
d'épigraphie  africaine  qui  ont  été  exécutés  dans  ces  dernières 
années,  et  M.  Gauckler  à  qui  ses  fonctions  et  le  classement  des 
monuments  historiques,  dont  il  s'occupe  avec  tant  de  science, 
ont  donné  une  parfaite  connaissance  du  sujet. 

Un  dessinateur  dont  la  modestie  égale  le  talent  et  qui,  depuis 
dix  ans,  avec  la  passion  d'un  artiste,  a  dessiné  et  photographié 
tous  les  restes  d'architecture  qui  se  rencontrent  dans  la 
contrée,  M.  Sadoux,  a  exécuté  pour  ce  travail  de  nombreuses 
et  belles  planches  qui  éclairent  le  texte.  Un  tel  choix  ne 
pouvait  être  plus  heureux. 

Je  dois  enfin  signaler  le  luxe  des  planches,  des  phototypies 
surtout  qui  accompagnent  celte  publication  et  dont  l'utilité, 


136  l'architecture  sacrée  de  L' AFRIQUE  PAÏENNE 

dans  une  étude  de  ce  genre  est  aussi  grande  que  celle  du  texte. 

La  beauté  de  ces  illustrations  me  fait  mèriie  regretter  que, 
comme  les  auteurs  ont  d'ailleurs  pris  soin  de  nous  en  avertir, 
ce  travail  ne  soit  point  définitif. 

A  part  quelques  descriptions  de  monuments,  sinon  complè- 
tes du  moins  assez  documentées  pour  que  des  fouilles  ulté- 
rieures n'aient  que  peu  de  choses  à  nous  apprendre  à  leur 
égard,  à  part  les  résultats  importants  et  encore  inédits  de 
recherches  faites  récemment  par  le  Service  des  Antiquités, 
les  auteurs  ont  dû  se  borner,  en  dressant  cette  liste  des 
temples  païens,  à  en  décrire  seulement  les  restes  apparents  qui 
gisent  à  la  surface  du  sol. 

De  longues  années  s'écouleront  avant  qu'un  déblayement 
méthodique  permette  de  compléter  les  renseignements  que  les 
auteurs  donnent,  et  c'est  pourquoi  ils  ont,  avec  raison,  voulu 
dès  maintenant  nous  faire  connaître  ce  qui  en  est  visible.  On 
doit  souhaiter  que  plus  tard,  lorsqu'une  étude  définitive  sera 
entreprise,  elle  soit  publiée  dans  les  belles  conditions  d'édition 
et  d'illustration  oi^i  l'a  été  le  travail  de  MM.  Gagnât  et  Gauckler. 

Une  des  grandes  qualités  de  ce  livre,  la  clarté,  est  due  à  ce 
que  les  auteurs  ont  évité  de  se  perdre  dans  les  détails.  Ils  se 
sont  appliqués  à  nous  faire  connaître  surtout  les  traits  caracté- 
ristiques de  chaque  monument.  C'est  une  œuvre  d'archéologue 
et  non  d'architecte  ou  d'épigraphiste  qu'ils  ont  faite.  Quand  ils 
ont  repris  les  études  faites  avant  eux,  ils  en  ont  élagué  tout  ce 
qui  n'était  pas  essentiel. 

Un  tel  mode  amènera  sans  doute  ceux  qui  voudront  connaître 
tous  les  détails,  tous  les  documents  :  sculptures,  inscriptions, 
ex-votos,  etc.,  trouvés  dans  les  édifices  étudiés,  à  recourir  aux 
mémoires  antérieurs,  indiqués  dans  les  références.  Il  a  le 
précieux  avantage  pour  le  lecteur  de  ne  lui  offrir  que  ce  qu'il 
sait  devoir  y  trouver,  de  ne  pas  l'égarer  dans  des  descriptions 
étrangères  au  but  des  auteurs  qui  est  surtout,  me  sembie-t-il, 
de  permettre  la  comparaison  de  chaque  monument  aux  cons- 
tructions analogues  de  l'Afrique  et  du  monde  romain. 

L'ouvrage  se  termine  par  un  répertoire  alphabétique. 
Gomme  c'est  en  quelque  sorte  un  Corpus  des  temples  de 
l'Afrique  que  MM.  G.  et  G.  ont  établi,  il  est  à  souhaiter  que 


l'architecture  sacrée  de  L'AFRIQUE  PAÏENNE  437 

chaque  volume  renl'erme  un  répertoire  par  catégories  :  termes 
des  inscriptions  relatifs  à  Tarchitecture  des  monuments 
sacrés,  liste  et  proportion  de  ceux  qui  sont  de  style  dorique, 
corinthien,  etc. 

Les  auteurs  me  pardonneront  une  observation  qui  leur 
prouvera  combien  fréquemment  j'ai  déjà  consulté  leur  ouvrage. 
Des  nécessités  typographiques,  sans  doute,  sont  cause  que  les 
planches  n'ont  pas  été  numérotées  et  classées  dans  un  ordre 
conforme  à  celui  où  sont  décrits  les  monuments,  et  qu'il  n'y  a 
pas,  dans  le  texte,  de  numéros  renvoyant  à  ces  planches.  Il  en 
résulte  une  gène  assez  notable  pour  la  consultation  de  ces 
dernières. 

Quoique  les  divisions  du  travail  ne  soient  pas  indiquées  par 
répartition  en  chapitres,  il  est  facile  d'en  saisir  la  disposition. 
Une  première  partie  comprend  les  sanctuaires  dont  les 
divinités  ont  pu  être  déterminées  ;  une  autre,  ceux  que  leur 
plan  général  ou  d'autres  détails  indiquent  comme  tels  sans  que 
l'on  sache  quel  dieu  s'y  trouvait.  La  troisième  partie  traite  de 
constructions  que  l'on  suppose  avoir  été  des  temples,  sans 
preuves  certaines  à  cet  égard. 

Il  ne  s'agit  pas,  d'ailleurs,  le  plus  souvent,  et  comme 
on  pourrait  s'y  attendre,  de  monuments  encore  debout  en  tout 
ou  en  partie.  Les  inscriptions,  les  historiens  même  sont  les 
seuls  indices  qui  ont  pu  révéler  l'existence  en  certaines 
localités,  d'édifices  sacrés.  C'est  en  s'appuyant  sur  de  tels 
renseignements  que  les  auteurs  ont  pu  dresser  une  si  longue 
liste.  Ils  ne  s'en  sont  d'ailleurs  pas  seulement  tenus  à  ce  que 
promettait  le  titre  de  leur  travail  et  ont  avec  raison  placé 
à  côté  des  temples,  l'énumération  des  simples  autels. 

Le  livre  se  termine  par  une  étude,  assez  inattendue,  sur  une 
synagogue.  Je  suppose  que  c'est  parce  que  cet  édilice  est 
le  seul  de  son  espèce  que  nous  ait  légué  l'antiquité,  en 
Afrique,  et  parce  qu'il  fallait  bien  le  placer  dans  une  liste 
de  sanctuaires  que  les  auteurs  l'ont  décrite  ici.  Mais,  à  vrai 
dire,  il  me  semble  que  les  termes  ce  païens  »  et  «  synagogue  » 
ne  peuvent  être  rapprochés  et  il  eut  été  peut-être  plus  rationnel 
déplacer  ce  monument  en  tête  du  volume  que  l'on  con.sacrera 
un  jour  aux  églises. 


138  l'architecture  sacrée  de  L'AFRIQUE  PAÏENNE 

Le  caractère  de  ce  travail  n'a  pas  permis  aux  auteurs  de 
présenter  quelques  considérations  d'ensemble  sur  les  temples 
païens  d'Afrique.  Il  y  a  peut-être  quelque  intérêt,  après 
l'analyse  qu'ils  nous  ont  ainsi  donnée  d'essayer  une  synthèse, 
d'exposer  les  renseignements  qui  se  dégagent  de  la  lecture  de 
ce  beau  livre.  C'est  ce  que  je  vais  tenter,  non  sans  l'avoir,  au 
préalable,  feuilleté  avec  le  lecteur,  et  en  lui  signalant  les 
passages  les  plus  remarquables. 

Voici  d'abord  les  Gapitoles,  et,  à  leur  tête,  le  plus  célèbre 
d'entre  eux,  celui  de  Dougga  (fig.  1),  ce  bel  édifice,  que  son 
état  de  conservation,  ses  harmonieuses  proportions  et  l'admi- 
rable situation  où  il  s'élève,  font  tant  regretter  de  ne  pas  voir 
encore  complètement  dégagé. 

Gela  n'empêche  pas  l'étude  qu'en  a  faite  M.  Saladin,  et  qu'ont 
résumé  les  auteurs,  d'être  presque  complète.  Je  ne  saurais 
m'empêcher  de  signaler,  en  passant,  l'état  d'abandon  où  se 
trouve  ce  monument,  exposé  aux  souillures  et  rongé  par  le 
salpêtre.  Depuis  le  cri  d'alarme  poussé,  il  y  a  10  ans,  par 
M.  Saladin,  rien  ou  presque  rien  n'a  été  fait  (1). 

Le  temple  de  Dougga  est  prostyle,  tétrastyle,  d'ordre  corin- 
thien. Il  offre  le  type  le  plus  habituel  des  temples  africains. 

Tout  son  fronton  est  encore  debout  et,  détail  curieux,  le  haut 
chambranle  à  crossetles  qui  formait  l'entrée  de  la  cella, 
demeure  isolé  et  comme  en  équilibre  (2),  les  murs  adjacents 
étant  renversés. 

Une  étude  presque  entièrement  nouvelle  et  que  l'état  des 
lieux  a  permis  de  faire  assez  complète,  es^ celle  du  Capitole 
d'Henchir  es  Sounr  (fig.  5).  Le  plan  en  est  insolite  :  le  pronaos 
est  flanqué  de  deux  petites  cellas,  s'ouvrantsur  ses  côtés,  dans 
lesquelles  sont  des  niches.  C'est  dans  ces  pièces  que  se  seraient 
trouvées  les  divinités  parèdres.  . .  si  l'édifice  en  question  est 


(1)  J'ai  pu  seulement  démolir  en  partie,  en  1892,  ime  maison  indigène 
qui  donnait  sur  le  pronaos.  Il  faudrait  encore  abattre  deux  ou  trois  masures 
adossées  à  l'édifice,  et  eu  dégager  le  pied.  Depuis  que  ces  lignes  ont  été 
écrites,  on  a,  lors  de  mon  dernier  voyage  à  Dougga,  en  Octobre  1898, 
décidé  l'expropriation  et  le  dégag'ement  de  ce  monument,  que  réclamait 
depuis  longtemps  le  Service  des  Antiquités  tunisiennes. 

(2)  Presqu'en  face,  un  autre  édifice  ruiné  ofTre  une  porte  qui  s'est 
conservée  dans  les  mêmes  conditions,  au  Dar  el  Acheb . 


l'architecture  sacrée  de  l'afrique  païenne       139 

un  capitole,  car  on  a  d'indices  à  cel  égard,  qu'un  fragment 
d'inscription  de  provenance  incertaine. 

Le  pronaos  du  Capitole  (ÏJlcnchir  Matria  (fig.  2),  avec  la 
belle  inscription  de  son  fronton,  ses  colonnes  cannelées  et  ses 
trois  soflites  si  richement  sculptés,  a  été  renversé  tout  d'une 
pièce  en  avant  (l). 

Le  Capitole  de  Medéina  (fig.  7),  avec  sa  cella  flanquée  de 
deux  ailes,  sa  terrasse,  dépourvue  de  l'escalier  qui  précède 
habituellement  le  pronaos,  et  des  soffites  richement  sculptés, 
semble  avoir  appartenu  à  un  intéressant  ensemble  de  construc- 
tions placées  denière  lai. 

L'étude  du  Capitole  de  Sbellla  (fig.  3),  avec  ses  trois  temples 
précédés  d'un  vaste  péribole  s'ouvrant  par  une  jolie  porte 
triomphale,  a  été  faite  par  M.  Saladin,  et  résumée  ici.  A  signa- 
ler la  beauté  de  l'appareil  des  cellas,  leur  bon  état  de  conser- 
vation, la  richesse  des  soffites  et  des  chapiteaux,  l'aspect  plein 
de  grandeur  de  l'ensemble  qui  en  font  un  des  monuments  les 
plus  imposants  de  l'Afiique  romaine. 

Après  les  Capitoles ,  mention  est  faite  de  deux  temples 
d'Apollon,  d'un  temple  d'Apollon  et.  Diane,  dont  il  ne  reste 
que  l'enceinte  sacrée,  et  d'un  autel  d'Auguste  divinisé  (2). 

Les  Africains  avaient,  on  le  sait,  à  l'époque  romaine,  une 
dévotion  toute  particulière  pour  certains  dieux  de  leurs 
ancêtres,  qu'ils  continuaient  à  adorer  sous  les  apparences 
nouvelles  de  divinités  gréco-romaines.  De  ce  nombre  était  la 
Virgo  Cœlestis  ;  rien  d'étonnant  à  ce  qu'on  lui  ait  élevé  un 
grand  nombre  de  sanctuaires. 

L'étude,  toute  inédite,  du  temple  de  CelestiskDougga(i\g.9), 
est  des  plus  intéressantes.  Par  son  péribole  qu'entoure  une 
galerie  demi-circulaire  dont  la  disposition  rappelle  le  croissant, 
emblème  de  Céleste  et  qui  portait  autrefois  les  statues  de  villes 
dont  le  nom  est  gravé  sur  la  corniche,  par  son  édicule  central 


(t)  Les  auteurs  disent  qu'il  ne  reste  rien  du  tympan.  Cependant,  loi's 
des  fouilles  que  j'ai  exécutées  pour  dégager  cette  partie  du  temple,  j'ai 
découvert  une  pierre  coupée  à  firne  de  ses  extrémités  par  deux  faces 
régulièrement  inclinées  et  <[ui  devaient  incontestablement  être  au  contre 
du  triangle.  La  [lartie  antérieure,  martelée,  ne  laisse' plus  voir,  d'ailleurs, 
quelle  en  était  l'orniuiienlalion. 

(2)  J'ai  signalé  (Bull.  Archéol .  1890,  p.  153,  La  nécropole  de  Bulla 
Regia)  un  autel  portant  les  mots  :  ARA  DLVNAE  qui  doit  être  placé  ici. 


140  l'architecture  sacrée  de  L'AFRIQUE  PAÏENNE 

en  forme  de  temple,  c'est  un  des  monuments  sacrés  les  plus 
remarquables  de  la  Tunisie  (1). 

Les  temples  de  ou  des  Cérès  ne  nous  sont  connus  que  par 
quelques  inscriptions.  Il  en  est  de  même  de  ceux  dédiés  à  la 
Concorde,  à  l'exception  d'un  temple  de  Dougga.  dont  j'ai  pu, 
avec  quelque  probabilité,  identitier  l'emplacement. 

Parmi  les  sanctuaires  d'Esculape,  celui  dont  j'ai  retrouvé 
les  restes  à  if'"  es  Zaouia,  est  le  seul  que  l'on  connaisse  comme 
étant  encore  en  partie  debout. 

Des  temples  de  la  Fortune,  il  ne  reste  que  quelques  inscrip- 
tions et  de  rares  débris  d'architecture. 

Il  en  est  de  même  de  ceux  qui  ont  été  consacrés  à  Hercule. 
Ceux  de  Junon,  Jupiter,  des  Lares  Augustes,  de  Liber  Pater  et 
de  Mars  sont  simplement  cités  dans  des  textes. 

Le  sanctuaire  —  qui  parait  être  un  édicule  plutôt  qu'un 
temple  à  proprement  parler  —  de  Mater  Magna  à  Mactar, 
présente  un  détail  curieux:  deux uesfîgria,  ou  semelles  de  plomb, 
encastrées  dans  un  dallage. 

La  série  des  temples  de  Mercure  est  particulièrement  inté- 
ressante. Celuid'^jn- Toun^a,  resté  inachevé,  d'après  M.  Saladin. 
(et  dont  la  divinité  n'est  pas  certaine)  est  remarquable  par 
l'agencement  de  son  appareil  et  l'ornementation  de  la 
porte  de  sa  cella. 

A  H'"  Bez  (fig.  11),  le  plan  du  sanctuaire  est  intéressant  par 
son  péribole,  dont  la  porte  forme  un  arc  en  plein  cintre  soutenu 
par  deux  pieds  droits.  M.  Sadoux  a  dessiné  et  fait  de  cet 
ensemble  une  étude  aussi  complète  que  le  permet  l'état  de 
cette  ruine. 

L'œdes  Mercurii  dell^  Kashat  (fig.  10),  offre  une  disposition 
très  remarquable.  La  partie  principale  en  est  un  portique 
circulaire  de  sept  mètres  de  diamètre  qui  comprenait  six 
colonnes,  et  devait,  lorsqu'il  était  debout,  rappeller  les  temples 
de  Vesta  à  Rome  et  à  Tivoli.  Le  sol  en  était  revêtu  de  mosaïques. 

La  petite  cella  de  TJnihurnica  (2),  avec  une  niche  dans  le 


(U  Je  ne  trouve  pas,  dans  cette  liste  des  sanctuaires  de  Célesle.  l'autiel 
que  j "ai  découvert  dans  la  Rekba  et  publié  dans  le  'bulletin  archéologique 
(1805.  [II.  Kote  sur  quclqua  ruines  de  la  Tunisie,  p.  3o6)  :  delesti  aug(ustœ)  sac(rum). 
Cceatius  Maximus  saccrdos  pontifcx  ARAM  quant  loverat  de  suoposvits. 

(2)  Elle  est  située,  contrairement  à  ce  que  les  auteurs  ont  écrit,  d'après 
moi,  sur  ia  rive  droite  de  la  rivière  voisine. 


l'architecture  sacrée  de  L'AFRIQUE  PAÏENNE  141 

mur  du  fond  et  deux  niches  dans  ses  parois  latérales,  renfer- 
mait les  statues  de  Mercnrius  Sobrius,  Genius  Sesase,  Pantheus 
Augitstus. 

Après  deux  inscriptions  relatives  à  Neptune,  une  dédicace  à 
la  Piété  Auguste,  quatre  textes  de  temples  dédiés  à  Pluton,  se 
trouve  la  mention  de  trois  autels  à  cette  dernière  divinité  (l). 

Après  l'autel  à  Priape,  de  TA  ((ôurnica,  viennent  les  temples  de 
Saturne,  qui,  comme  sa  compatriote  Celestis,  était  si  en  honneur 
en  Afrique.  Longue  et  intéressante  série. 

Au  Djehel  bon  Korneïn,  on  n'a  pas  trouvé  de  temple  à  pro- 
prement parler,  mais,  sur  le  sommet  d'une  montagne,  sur  un 
a  haut  lieu  »,  une  aire  à  ciel  ouvert,  où  étaient  déposées  de 
nombreuses  stèles  votives,  auprès  d'un  autel  en  maçonnerie. 
Les  stèles  offrent  de  curieuses  représentations  du  Salurnus 
Balcaranensis.  Cette  figure  a  des  caractères  très  particuliers 
et  il  eût  été  intéressant  d'en  reproduire  ici  un  des  types. 

Le  sanctuaire  de  Dougga  (fig,  8)  est  un  temple  qui,  comme 
celui  de  Celestis.  offre  un  plan  tout  particulier.  On  sait  que, 
parmi  les  restes  de  l'antique  cité  on  trouve  aussi  ceux  d'une  en- 
ceinte berbère  et  un  mausolée  punique,  ce  qui  fait  de  ce  point  le 
plus  complet  peut-être  de  toute  l'Afrique  du  Nord  au  point  de 
vue  de  l'étude  du  pré-romain,  Saturne  de  Dougga  n'étant  qu'une 
forme  plus  récente  de  Baal. 

On  accédait  par  le  côté  de  son  portique  au  vestibule  (2)  que 
précédait,  non  pas  un  escalier,  mais  une  terrasse.  Derrière  lui 


(1)  L'inscription  d'Aïn-Gliechil  à  Frugiferus  Augustus  ne  portant 
mention  ni  d'édifice,  ni  d'un  ara,  c'est  par  erreur  qu'elle  a  été  placée  au 
nombre  de  textes  signalant  un  autel. 

(2)  Il  y  a  quelques  divergences  entre  la  manière  dont  les  auteurs, 
s'appuyant  en  partie  sur  une  étude  de  M.  Parmentier,  ont  compris  la 
restitution  de  certains  détails  et  celle  ([ue  j'en  avais  proposée  antérieu- 
rement. On  me  pardonnera  de  répondre  ici  un  peu  longuement,  aux 
arguments  qui  ont  été  mis  en  avant,  puisqu'il  s'agit  d'un  monument 
que  j'ai  dé^^agé  et  longuement  étudié  moi-même.  11  est  vrai  que  M.  P; 
dit  que  le  dégagement  de  l'ériilice  commencé  par  moi,  a  été  achevé 
ensuite,  c'est-à-dire  par  lui.  Le  nombre  des  mètres  cubes  qui  a  été 
enlevé  après  moi  a  été,  en  effet,  de  4  ou  5.  En  outre,  actuellement,  le 
temple  n'est  pas  encore  complètement  dégagé,  car  il  y  a  des  parties  où 
il  est  impossible  de  le  faire  sans  un  outillage  spécial,  à  cause  des  dan- 
gers que  présenterait  ce  travail,  et  il  reste  encore  deux  citernes  à 
déblayer. 

Il  n'existe  aucune  trace  de  la  porte  qui,  d'après  .MM.  G.  et  G.,  s'ou- 
vrait au  sud  du  vestibule.  Rie.n  n'indique,  par  conséquent,  qu'elle  ait 
été  très  simple  et  il  n'est  pas  nécessaire,  d'admettre  qu'elle  ait  existé, 
si  l'on  pense  avec  moi,  que  le  vestibule  ait  eu  la  même  forme  que  lès 


142         l'architecture  sacrée  de  L'AFRIQUE  PAÏENNE 

s'étendait  une  vaste  cour  rectangulaire  dallée,  entourée  d'une 
galerie  à  colonnes,  où  l'on  remarque  l'empreinte  de  deux 
vestigia  analogues  à  ceux  du  temple  de  la  Mater  Magna,  de 
Mactar.  Dans  le  fond  sont  trois  cellas  où  il  a  été  trouvé  un 
certain  nombre  de  débris  de  sculpture,  stucs  à  reliefs,  statues, 
autels,  etc.. 

Le  sanctuaire  de  Khanguet  el  Hadjaj,  qui  ne  fut  peut-être 
pas  un  temple,  renfermait  aussi  des  vestigia  Cl). 

Des  débris  trouvés  à  Carlhage  font  soupçonner  où  s'élevait 
le  temple  de  Serapis. 

Viennent  ensuite  trois  inscriptions  à  Tellus,  trois  autres  à 
Venus,  quatre  aux  Victoires  et  deux  à  la  Virtus  Augusta. 

Dans  rénumération  des  temples  dont  on  a  retrouvé  les  restes 
ou  que  citent  des  textes,  sans  qu'on  en  connaisse  la  divinité, 
je  remarque  l'édifice  demi-circulaire  d'Aï7-i-Tounga,  Sa  forme, 
analogue  au  péribole  du  temple  de  Céleste  à  Dougga,  fait  dire 
à  MM.  C.  et  G.  qu'il  est  tout  à  tait  probable  qu'il  s'agit  ici  d'un 
temple  de  la  même  divinité.  Cependant,  le  temple  des  eaux  de 
Zaghouan  —  qui  n'est  pas  seulement  un  réservoir,  —  a  aussi 
une  forme  demi-circulaire.  Les  auteurs  n'en  font  pas  un 
sanctuaire  à  Céleste,  ni  même  un  temple,  ce  qui  indiquerait 
que,  d'après  eux,  cette  disposition  n'est  pas  toujours  suffisante 
pour  motiver  la  détermination  qu'ils  proposent.  Je  rappellerai, 


(I)  Je  ne  vois  rien,  dans  la  dédicace  à  Saturne  de  Mrira,  qui  mentionne 
un  temple  ou  un  autel,  ni  qui  la  différencie  des  nombreux  textes  africains 
relatifs  à  des  divinités  que  les  auteurs  ont  laissé  de  côté. 

pronaos  qui  existent  habituellement  en  avant  des  temples  de  l'Afrique. 
On  verra  pourquoi,  contrairement  à  M.  P..  je  ne  saurais  croire  qu'il 
en  ait  été  autrement.  Les  fragments  du  pilastres,  dont-il  invoque  la 
présence  pour  établir  sa  restitution  de  deux  ailes  latérales  au  vestibule 
ont  pu,  comme  je  l'ai  écrit,  se  trouver  aussi  bien  à  la  partie  posté- 
térieiire  qu'en  avant  de  celui-ci.  Le  massif  de  maçonnerie  situé  en 
avant  de  la  cour  a  supporté  un  emmarchcment,  qui  a  servi  pendant  la 
période  où  l'édifice  n'a  pas  eu  de  vestibule,  je  n'ai  jamais  supposé 
qu'il  y  ait  eu  là  un  escalier  de  grandes  dimensions. 

Le  mur  que  M.  P.  croit  ancien,  et  qu'il  a  trouvé  dans  le  sol  du 
vestibule,  ne  forme  pas  un  angle  très  aigu  avec  la  façade,  comme  l'a 
écrit  cet  architecte.  Il  est  facile  de  voir  qu'il  s'est  seulement  détaché 
inégalement  du  mur  voisin,  contre  lequel  il  était  appliqué,  de  façon  à 
en  être  actuellement  plus  rap|iroché  ver.s  l'une  de  .ses  extrémités  que 
vers  l'autre.  Ce  «  déco'Iem-'nt  »  a  même  produit  un  effet  bizarre  qui 
aurait  du  frapper  ;  la  face  libre  du  mur  est  courbe,  sa  partie  inférieure 
étant  demeurée  en  place.  Quant  aux  stèles  libyques  et  aux.  poteries  qui 
prouveraient  son  ancienneté,  M.  P.  n'en  ayant  pas  donné  la  descrip- 
tion, il  m'est  impossible  d'en  parler,  mais  l'aspect  de  cette  construction 


l'architecture  sacrée  de  L'AFRIQUE  PAÏENNE  143 

encore  à  ce  sujet  que  Tissot  a  vu,  dans  l'édifice  de  Zaghouan, 
un  sanctuaire  d'Astarte,  la  Juno  poUicitatrix  pluviarum. 

Le  temple  de  Bir  Faouera  avec  son  péribole  (1),  olTre  celte 
particularité  curieuse  que  les  murs  de  la  cela  portent  le  nom 
des  souscripteurs  qui  l'ont  fait  construire. 

Le  temple  d'El  Boula  est  assez  bien  conservé.  Sa  voûte 
d'arête,  l'élévation  de  niches  qu'il  offre,  font  admettre  à 
M.  Saladin  que  c'était  un  mausolée.  Mais  ces  raisons  n'ont 
pas  convaincu  les  auteurs,  puisqu'ils  ont  placé  tout  de  même 
ici  la  description  de  ce  monument.  L'ouverture  munie  de 
rainures  où  glissait  une  dalle,  donnant  sur  une  pièce  placée 
sous  le  pronaos,  doit  être  rapprochée  de  celle  de  certains 
mausolées.  Les  auteurs  voient  en  elle  une  lucarne,  je  croirais 
volontiers  que  c'était  la  seule  entrée  du  soussol. 

Le  temple  d'i/i"  Debbik  a  également  un  sous-sol  ou  crypte, 
placé  au-dessus  d'une  citerne  et  de  disposition  intéressante. 
Jusqu'ici  on  a  peu  de  renseignements  sur  ces  locaux  sous- 
jacents  auK  temples.  Les  auteurs  en  indiquent  une  série  dont 
l'exploration  pourra  peut  être  amener  de  curieuses  découvei'tes. 


(1)  Cet  édifice,  par  son  enceinte,  peut  être  rapproché  d'un  temple  d'H' 
Bez.  J'ai  publié  dans  le  'Bulletin  de  la  Société  Nationale  des  antiquaires  de  France 
(T.  LVI.  1897,  p,  59,  Un  édifice  de  Doiigga  en  jornie  de  temple  phénicien),  un 
monument  avec  péribole  s'ouvrant  en  avant  sur  un  escalier  et  ayant  même 
sur  les  deux  dont  il  vient  d  être  question  la  supériorité  d'offrir  à  sa  partie 
po-térieure  les  restes  d'un  icmple  prostyle  dont  l'emmarchement,  le 
pranaos  et  la  cella  sont  parfaitement  reconnaissab'.es.  Je  m'étonne  de  ne 
point  le  trouver  signalé  ici.  J'ajouterai  d'ailleurs  que,  grâce  au  travail  de 
ÂIM.  G.  et  G-.,  j'ai  acquis  la  conviction  t(u'il  n'avait  rien  de  phénicien  et 
que  ce  n'était  pas  non  plus  comme  on  l'a  supposé,  un  Capitole. 

ne  m'a  p;iru  différer  en  rien  de  celui  des  murs  qui  ont  été  élevés  au 
pied  du  monument,  pour  le  soutenir,  et  qui  sont  certainement  plus 
récents. 

En  ce  qui  concerne  les  citernes,  comme  elles  ne  s'étendent  pas  sous 
les  colonnes  même  de  la  colonnade  N.,  et  qu'il  y  a,  en  ce  point,  un 
mur  très  solide  pour  en  supporter  le  poids,  je  ne  vois  pas  en  quoi  la 
présence  d'une  voùle,  solide,  puisqu'elle  a  résisté  jusque  maintenant,  eût 
été  plus  dangereuse  que  celle  d'un  reuiblai  qui  eut  été  nécessaire  en  ce 
point  pour  maintenir  l'horizontalité  du  sol.  Je  ne  pense  même  pas. 
d'ailleurs,  et  rien  n'indique  que  les  salles  voûtées  qui  sont  sous  la  colon- 
nade aient  été  des  citernes.  Enfin,  les  parois  de  toutes  ces  voûtes  sont 
exactement  d'équerre  avec  les  autres  murs  du  temple  et  cette  raison  doit, 
à  mon  avis,  faire  admettre  que  tous  sont  contemporains.  J'ajouterai  que 
l'appareil  et  le  mortier  m'ont  paru  exactement  iiareils  de  part  el  d'autre, 
et  qu'enfin  il  n'y  a  pas  traces  de  niccorden.ent  comme  il  devrait  y  en 
exister,  si  l'on  avait  relié  ensemble  des  murs  d'époque  différente. 

Le  sol  ancien,  que  l'on  a  cru  voir  sous  le  dalla.ge  de  la  cour,  me  parait 
être  simplement  la  couche  de  ciment  sur  latiuelie  reposait  ce  dallage,  et 
qui  s'est  effrondée  lors  du  bouleversement  de  l'édifice.  C'est  la  conviction 


144  l'architecture  sacrée  de  L'AFRIQUE  PAÏENNE 

A  ce  point  de  vue,  le  temple  d'i/'"  Kashat  forme  un  ensemble 
remarquable  avec  plusieurs  salles  en  sous  sol,  s'ouvrant  à 
l'extérieur  par  de  larges  portes. 

Le  temple  d'H^  Khima  (fig.  4),  transformé  ultérieurement 
en  basilique,  avec  son  sanctuaire  de  dimensions  restreintes 
d'ordre  composite  est  d'un  type  original,  se  rapprochant 
du  Capitole  de  Medeïna,  par  ses  deux  ailes  (1). 

La  crypte  de  Ksar  Soudâne  est  intéressante  par  sa  corniche 
et  les  consoles  diversement  moulurées  qui  l'ornent.  Instincti- 
vement, je  l'ai  rapproché  du  sous-sol  d'un  monument  funéraire 
d'Aïn-Trab  que  j'ai  étudié  (2). 

On  a  trouvé  à  Mactar,  provenant  d'un  temple  néo-punique, 
une  très  curieuse  dédicace  en  cette  langue,  dont  la  traduction 
est  de  M.  Berger. 

Le  péribole  d'un  temple  de  Sidi  Amara  est  seul  visible,  avec 
sa  porte  ornementale,  pourvue  de  niches  et  sa  cour  entourée 
d'un  portique  en  marbre  gris.  Un  soffite  porte  des  griffons 
magnifiquement  sculptés. 

A  Sidi  Medien  (fig.  6),  un  temple  à  la  cella  flanquée,  vers 
sa  partie  antérieure,  de  deux  petites  pièces,  rappelle  le  Capitole 
de  Medeïna. 


(1)  D'après  la  coupe  qui  est  donnée  de  cet  édifice,  les  deux  pilastres 
placés  en  avant  de  la  cella  reposeraient  sur  un  plan  situé  au  rnème  niveau 
que  le  sol  de  cette  pièce.  Je  trouve,  au  contraire,  dans  mes  notes  person- 
nelles, que  les  bases  en  sont  placées  sur  le  soubassennent  de  l'escalier 
conduisant  à  la  cella.  disposition  qui  est  rare,  et  en  raison  de  laquelle  j'ai 
poussé  assez  minutieusement  mes  recherches  de  ce  côté.  Ce  détail  me 
parait  mériter  d'être  revu. 

(2)  Carton  :  Découv.  épigraph.  et  archéolog.,  p.  252. 

que  j'ai  acquise  en  faisant  la  fouille  qui  a  mis  ce  sol  à  décou\ert.  11  y  a 
un  seul  point  où  il  existe  un  mur  t[ui  ne  .soit  pas  d'équerre  avec  ceux  du 
temple,  c'est  dans  le  sol  de  la  colonnade  Sud,  et  je  regrette  que  M,  I^.  ne 
l'.iit  pas  vu,  car  il  y  a  réellement  quelque  difficulté  à  en  expliquer  la 
présence. 

(Jn  n'a  trouvé  aucune  trace  de  la  mosaïque  qui,  d'après  les  auteurs, 
aurait  revêtu  le  sol  de  la  galerie. 

M.  P  suppose  qu'il  existait  une  salle  basse  .sous  le  vestibule  antérieur, 
et  s'appuie,  pour  soutenir  son  opinion,  sur  l'a'^pect  du  parem-^nt.  11  me 
spmbl'-  plutôt  que  ces  joints  apparents,  quehpies  soignés  qu'il.->  aient  été, 
devaient  filutôt  décorer  l'extérieur  que  l'intérieur  d'une  salie,  celle-ci  fut- 
elle  un  sous-sol.  Quant  au  soupirail  qui  aurait  donné  sur  cette  salle,  cest 
simplement  la  sect'on  d'un  aqueduc  qui  recevait  les  eaux  de  la  cour, 
et.  traversant  le  sol  du  vestibule,  aboutissait  à  l'extérieur  à<i  monument. 

Il  y  a.  en  effet,  ce  qui  semble  avoir  échappé  à  M.  P..  dans  le  mur  de  la 
façade,  un  orifice  semblable,  situé  en  face  du  précédent,  à  peu  prés  à  la 
même  hauteur,  et  présentant  des  traces  d'enduit  tel  qu'on  en  trouve  dans 
les  petits  aqueducs. 


l'architecture  sacrée  de  L'AFRIQUE  PAÏENNE  145 

La  cella  du  temple  de  Zamphour,  avec  sa  frise  si  diverse- 
ment ornée,  est  aussi  le  sanctuaire  d'une  divinité  indéterminée. 

Sous  le  titre  :  Temples  incertains,  les  auteurs  décrivent 
quelques  ruines  qui  leur  paraissent  être  celles  de  sanctuaires, 
et  des  fragments  de  sculpture,  d'ex-votos,  des  inscriptions  qui 
semblent  se  rapporter  à  des  édilices  sacrés. 

Ils  énumèrent  ensuite  un  certain  nombre  de  restes  d'archi- 
tecture, relevés  dans  des  constructions  de  Tunis  et  qui  ont 
sans  doute  été  enlevés  à  Carthage.  Peu  d'indices  d'ailleurs 
révèlent  qu'ils  proviennent  de  temples  et  on  pourrait  à  cette 
liste  en  ajouter  un  grand  nombre  qui  existent  un  peu  partout 
à  la  surface  du  sol,  en  Tunisie  ou  dans  les  mosquées,  notam- 
ment dans  celles  de  Kairouan. 

Le  livre  se  ferme  sur  la  synagogue  d'Hammam-Lif,  dont  une 
curieuse  mosaïque  à  permis  de  déterminer  les  vestiges. 

Dans  les  lignes  qui  suivent,  je  vais  tenter  d'indiquer  quel- 
ques-uns des  enseignements  que  Ton  peut  tirer  des  nombreux 
et  intéressants  documents  que  nous  offre  cet  ouvrage,  et  de 
mettre  en  relief  les  grandes  lignes  communes  aux  temples 
païens  de  l'Afrique  romaine,  ou  les  particularités  qui  en 
distinguent  quelques-uns,  d'un  type  rare  ou  insolite. 

Divijiités  le  plus  en  honneur  dans  les  temples.  —  Il  est 
intéressant  de  rechercher  d'abord  dans  quelle  proportion  le 
culte  était  rendu  à  chacun  des  dieux  placés  dans  les  différents 
sanctuaires.  Une  étude  de  ce  genre,  faite  avec  les  seuls 
documents  que  renferme  ce  livre,  ne  peut  fournir  que  des 

Le  mouvement  que.  M.  P.  indique  dans  la  ûguro  16  de  sa  plaquette,  pour 
montrer  que  les  contre-murs  situes  derrière  la  façade  sont  destines  uou 
pas  à  lutier  contre  fe  glissement  du  so:,  mais  a  soutenir  des  remblais, 
me  parait  inadmissible.  J'ai,  en  effet,  constate  avec  le  lil  a  plomb,  que 
si  le  mur  de  la  terrasse  penche  en  avant,  celui  de  la  façdde  s'incline 
en  arrière.  Il  y  a  en  certains  points  un  jeu  de  S  ceuiimeaes  dans  son 
aplomb  ! 

Parmi  les  stèles  votives  que  j'ai  découvertes,  et  qui  proviennent  du 
sanctuaire  antérieur  au  temple,  l'une  d'elles  porte,  d'après  M.  berger, 
une  dédicace  à  Baal  Hammon.  Dans  ces  coudiiions.  étant  donné  ce 
que  l'on  sait  de  re%olution  du  culte  de  Saturne  en  Afrique,  il  me 
semble  que  j'ai  émis  plus  qu'une  hypothèse  en  disant  qu'avant  le  sanc- 
tuaire romain  de  tsaturne,  il  y  avait  eu  ici  un  sanctuaire  de  Baal.  J'ai, 
d'ailleurs,  trouvé  la  transition  entre  les  deux,  sous  forme  de  stèles 
romaines,  antérieures  au  cemple  puisqu'elles  étaient  dans  ses  murs, 
portant  des  emblèmes  de  Saturne  qui  ont,  par  conséquent,  été  élevées 
à  côté  ou  au-dessus  de  stèles  dédiées  à  la  divinité  punique  et  qui 
portaient  des  emblèmes  absolument  pareils  à  ceux,  de  ces  dernières. 


146  l'architecture  sacrée  de  L' AFRIQUE  PAÏENNE 

probabilités.  Si,  par  exemple,  on  y  ajoutait  toutes  les  dédicaces 
que  renferme  le  Corpus  inscvijdionnus  latïnarum.  elle  permet- 
trait peut-être  d'arriver  à  des  conclusions  plus  termes.  On 
pourra  cependant  constater  de  suite  que,  dans  l'Afrique  roma- 
nisée,  certaines  divinités  du  Panthéon  romain  ont  été,  auprès 
de  ses  habitants,  plus  en  honneur  qu'à  Rome  même  ou  que 
dans  les  autres  provinces  de  l'empire.  Et  ce  fait  s'explique  par 
le  phénomène,  bien  connu  d'ailleurs,  qui  a  amené  les  indigènes 
à  donner,  après  la  conquête,  aux  dieux  de  leurs  ancêtres,  les 
apparences  de  divinités  chères  au  vainqueur. 

Il  est  certain,  d'ailleurs,  que  la  liste  dressée  par  MM.  C.  et  G. 
donne  une  idée  suffisante  de  ce  que  les  découvertes  ultérieures 
nous  apprendront  à  ce  sujet. 

C'est  aux  divinités  dont  le  culte  était  le  plus  répandu,  que 
l'on  a  élevé  les  édifices  les  plus  nombreux  ou  les  plus 
considérables,  et  ce  sont  les  restes  de  ceux-ci  qui,  dans  un 
simple  examen  de  ce  qui  est  à  la  surface  du  sol,  ont  dû  tout 
d'abord  attirer  l'attention  à  cause  de  l'importance  ou  de  la 
fréquence  de  leurs  restes. 

Dans  cette  liste,  je  note  d'abord  30  temples  dont  on  connaît 
à  la  fois  l'emplacement  et  la  divinité,  et  plus  ou  moins  bien 
l'architecture,  103  dont  l'emplaceme-nt  est  inconnu,  mais  dont 
les  textes  nous  révèlent  l'existence,  47  dont  les  restes  plus  ou 
moins  bien  conservés  ne  laissent  aucun  doute  sur  leur  desti- 
nation, sans  que  l'on  en  connaisse  les  divinités,  plus  12  autels 
qui  n'étaient  probablement  pas  élevés  dans  un  temple,  et  16 
édifices  que  l'on  pense,  sans  certitude,  avoir  été  des  sanctuaires 
d'après  les  renseignements  que  fournissent  quelques  ruines 
ou  quelques  inscriptions. 

Les  divinités  dont  le  nom  nous  est  connu  sont,  par  ordre  de 
fréquence  :  Saturne  (19  temples).  Mercure  (11  sanctuaires, 
dont  10  temples),  Céleste  (10  sanctuaires,  dont  8  temples), 
Cérès  (9  sanctuaires,  dont  8  temples),  Esculape  (8  temples), 
Pluton  (7  sanctuaires,  dont  4  temples),  Capitole  (7  temples). 
Liber  Pater C6  sanctuaires,  dont?)  temples).  Fortune  (5 temples), 
Victoire (5 tempk  s),  Hercule(4sanctuaires,  dont 2  temples),  etc. 

C'est  donc  Saturne,  le  dieu  africain  par  excellence  dont  on 
connaît  le  plus  de  sanctuaires,  ce  qui    n'étonnera   aucun 


l'architecture  sacrée  de  L'AFRIQUE  PAÏENNE  147 

archéologue  africain.  Céleste,  sa  divinité  parèdre,  le  suit  de 
près,  mais  elle  en  est  séparée  par  Mercure  qui  est  souvent  le 
Mercurius  Sohnus,  dont  —  coïncidence  qu'il  est  utile  de 
noter  en  passant  —  le  caducée  se  trouve  si  fréquemment  sur 
les  stèles  dédiées  aux  deux  autres  divinités. 

On  s'explique  le  culte  qu'un  pays  agricole  et  fertile  comme 
l'Afrique  a  eu  pour  les  Gérés.  Quant  à  Esculape,  on  ne  doit 
pas  oublier  qu'il  a  été  souvent  confondu  avec  Echmoun,  le 
troisième  élément  de  la  trilogie  phénicienne. 

Est-ce  pour  une  raison  analogue  que  Pluton,  fils  de  Kronos, 
le  Saturne  grec,  a  ici  un  nombre  assez  élevé  de  sanctuaires?  II 
semble  qu'il  y  ait  eu  en  Afrique  peu  de  Capitoles  pour  un  pays 
aussi  romanisé,  11  est  probable  que,  comme  l'ont  remarqué  les  au- 
teurs, un  certain  nombre  de  temples  indéterminés  ont  apparte- 
nu à  la  triade  latine,  et,  sur  ce  point,  il  y  aura  sans  doute  à  faire 
plus  tard,  de  notables  additions  à  la  liste  qu'ils  en  ont  dressée. 

Epoque  de  la  construction.  —  On  sait  que,  dans  l'empire 
romain,  c'est  sous  les  Antonins  que  les  édifices  de  toutes 
catégories  ont  été  élevés  les  plus  somptueux  et  en  plus  grand 
nombre.  J'ai  tenté  de  mettre  en  évidence  un  fait  de  ce  genre, 
en  montrant  (i)  comment  Dougga  ne  fut,  à  cette  époque,  qu'un 
vaste  chantier  de  construction.  Le  relevé  des  dates  fournies 
par  l'épigraphie  tunisienne  confirme  pleinement  cette  manière 
de  voir. 

A  l'exception  de  deux  temples  construits,  l'un,  deux  siècles 
avant  notre  ère,  l'autre,  vers  la  première  moitié  du  !«''  siècle, 
tous  les  autres,  au  nombre  de  35,  dont  l'époque  nous  est 
connue,  datent  de  150  à  261,  et,  parmi  eux,  21  de  150  à  200. 

11  n'est  pas  possible,  pour  un  si  court  espace  de  temps,  de 
dire  que  telle  divinité  ait  été,  à  un  moment  donné,  plus  en 
honneur  que  telle  autre.  Je  dois  signaler  cependant  la  série 
des  temples  des  Victoires,  tous  postérieurs  à  212,  et  qui  s'étend 
jusqu'à  244.  11  n'est  pas  oiseux  de  rappeler  à  ce  propos,  que, 
comme  l'a  écrit  M,  Gagnât  (2),  cette  époque  est  et  la  période  de 
l'histoire  d'Afrique,  profondément  troublée,  où  les  luttes  contre 


(1)  CartOîs  :  Une  campagne  de  fouilles  à  Dougga .  Lille,  1894,  p.  48. 

(2)  L'Armée  romaine  d'Afrique,  p ,  49. 


148  l'architecture  sacrée  de  L'AFRIQUE  PAÏENNE 

les  invasions  venant  du  désert  se  compliquent  de  guerres 
intestines».  Il  est  possible  que  les  Africains  aient  eu  à  cœur  de 
laisser  le  souvenir  de  victoires  qui  leur  étaient  particulièrement 
profitables.  Ils  devaient,  d'ailleurs,  le  faire  d'autant  plus 
volontiers  qu'en  même  temps  ils  célébraient,  le  plus  souvent, 
les  succès  d'empereurs  qui  étaient  leurs  compatriotes  :  Cara- 
calla,  fils  d'un  Africain,  et  les  Gordiens. 

Situation.  —  Il  ne  parait  pas  y  avoir  de  règles  précises  pour 
le  choix  de  l'emplacement  des  temples.  Un  certain  nombre  de 
Capitoles  sont  sur  un  point  culminant,  mais  celui  de  Medeïna 
est  dans  le  fond  de  la  vallée.  Il  y  a,  bien  entendu,  exception 
pour  certaines  divinités  «  spécialistes  ».  Saturne  est  sur  les 
lieux  élevés,  Esculape  se  plail  auprès  d'une  source,  d'une 
cascade,  d'eaux  thermales. 

Orientation.  —  La  règle  d'après  laquelle  les  temples  doivent 
être  tournés  vers  l'Est  a  été  très  généralement  observée. 
Sur  32  dont  l'orientation  est  précisée,  23  regardent  l'Orient, 
6  le  Sud-Est  ou  le  Nord-Est,  1  l'Ouest  et  2  le  Sud.  Ces  excep- 
tions semblent  avoir  été  imposées  par  les  circonstances'  et 
surtout  par  les  conditions  d'exposition  de  la  ville.  Par  exemple, 
toute  la  civitas  thuggensis  était  sur  le  versant  méridional 
d'une  colline  ;  pour  éviter  de  donner  à  son  Capitole  une 
entrée  en  contre  bas  du  sol  voisin  et  surtout  pour  que  l'on  put 
apercevoir  de  loin  son  fronton  richement  orné,  on  a  tourné 

celui-ci  vers  le  Sud.  Il  en  est  de  même  à  Àïn-Tounga  (1). 

* 

Disposition.  —  Le  type  d'après  lequel  la  majorité  des  temples 
a  été  construite  est  celui  d'un  édifice  prostyle,  tétrastyle  (fig.  1). 
Il  offre,  d'ailleurs,  un  assez  grand  nombre  de  variantes.  Par 
exemple,  au  Capitole  de  Matria,  les  pilastres  du  pronaos  sont 
en  saillie  sur  les  murs  de  la  cella  (fig.  2). 

On  ne  peut  avancer  que  les  sanctuaires  de  certaines  divini- 
tés offrent  constamment  un  plan  qui  leur  soit  particulier. 


(I)  J'ai  fait  la  même  observation  pour  les  sépultures  mégalithiques, 
qui,  habituellemeat  orientées,  cessent  de  Tètre  lorsque  l'orographie  ne 
s'y  prête  point. 


L'ARCHITKCTURE  SACRÉK  I)K  l'afriouk'i'Aïknnk         li-9 

Mais  on  note  cependant  une  réelle  spécialisation  de  certains 
types. 

Dans  les  Gapitoles,  comme,  d'ailleurs,  dans  les  nionuinents 
qui  abritent  les  statues  de  plusieurs  divinités,  il  y  a  des  niches 
disposées  pour  les  recevoir,  et,  si  l'édifice  est  très  important,  il 
peut  y  avoir  une  cella,  ou  même  un  temple  distincts  pour 
chacune  d'elles,  comme  à  Sbeïtla  (fig.  3).  Dans  ce  dernier  cas, 
les  trois  édifices  sont  enfermés  dans  un  péribole  commun. 

Un  mode  assez  particulier,  et  qui  semble  également  avoir  eu 
pour  destination  de  réunir  les  effigies  de  trois  divinités,  consiste 
en  deux  ailes,  placées  sur  les  côtés  de  la  cella  ou  du  pronaos, 
et  s'ouvrant  sur  eux  (fig,  4,  5,  6,  7). 

Le  temple  de  Saturne,  de  Dougga,  d'un  type  tout  particulier, 
a  des  cellœ  dont  la  disposition  rappelle  un  peu  celle  qui  vient 
d'être  indiquée.  On  pourrait  y  voir,  à  la  rigueur,  une  espèce  de 
péribole  sur  lequel  s'ouvrent  3  cellas  (fig.  8).  Mais  à  cause  de 
la  disposition  de  l'enceinte,  qui  passe  au  devant  de  ces  derniè- 
res, il  semble  plus  rationnel  d'admettre  que  le  plan  de  l'édifice 
dérive  de  celui  des  sanctuaires  de  l'Orient,  dont  le  portique 
très  étendu,  précède  un  sacrum  de  très  petites  dimensions, 
inaccessible  au  public. 

Il  en  est  de  même  du  temple  de  Gelestis,  de  Dougga  (fig  9), 
dont  l'édicule,  placé  au  centre  d'un  péribole  demi-circulaire, 
rappelle  un  autre  type  de  temples  syriens,  comme  celui 
d'Amrith. 

Un  édifice  tout  particulier  est  le  temple  de  Mercure,  à 
H""  Kasbat,  dont  la  cella  avait  la  forme  d'un  petit  pavillon 
circulaire,  au  toit  soutenu  par  des  colonnes  (fig.  10). 

On  trouve  fréquemment,  autour  de  ces  cellas,  les  restes  des 
périboles.  Mais  certains  textes  nous  apprennent  que  tous  les 
temples  n'en  étaient  pas  pourvus. 

Cette  enceinte  était  un  mur  et  souvent  une  galerie  à  colon- 
nade, de  forme  rectangulaire.  Le  temple  de  Gelestis  offre  le 
seul  exemple  certain  d'un  péribole  demi-circulaire,  entourant 
une  cour  plantée  d'arbres. 

Une  telle  disposition  n'est  d'ailleurs  pas  spéciale  aux 
Gapitoles,  car  le  temple  de  Mercure,  à  H''  Bez,  a  aussi  un 
péribole  (fig.  11). 

13 


150  l' .ARCHITECTURE   SACRÉE  DE  L'AFRIQUE  PAÏENNE 

Appareil.  —  Il  est  étonnant  que  dans  un  pays  où  l'excellente 
pierre  de  taille  abonde,  on  ne  l'ait  employée  que  très-rarement. 
Les  murs  des  monuments  y  sont  en  général  en  moellons.  Un 
tel  mode,  par  son  peu  de  cohésion,  ou  du  moins  par  les 
tissures  qui  peuvent  s'y  produire  lorsque  l'on  ne  donne  pas  à 
la  masse  une  grande  épaisseur,  n'a  qu'une  solidité  toute 
relative.  C'est  ce  qui  explique,  sans  doute,  le  grand  nombre 
de  temples  que  les  inscriptions  nous  montrent  comme  tombées 
de  «  vétusté  »  peu  d'années  après  leur  érection. 

Aussi,  lorsque  le  mur  a  un  certain  poids  à  supporter  ou 
qu'on  doit  lui  donner  une  grande  hauteur,  a-t  on  cherché  à  en 
augmenter  la  cohésion  par  des  pierres  de  taille  disposées  en 
harpes  dans  la  masse  ou  en  piles  renforçant  les  angles.  Ou  bien, 
comme  au  temple  d'Aïn-Tounga,  ce  sont  des  piliers  de  grand 
appareil  qui  ont  été  placés,  de  distance  en  dislance,  dans  les 
parois. 

C'est  donc,  comme  l'a  fait  remarquer  M.  Saladin,  une  erreur 
que  de  croire  que  ce  mode  de  liaison  du  blocage  roit  propre  à 
l'époque  byzantine,  puisqu'il  est  d'un  emploi  habituel  dans  les 
monuments  des  trois  premiers  siècles.  La  distinction  doit  être 
établie  plutôt  d'après  la  résistance  et  la  composition  du  mor- 
tier, et  quelquefois  dans  la  disposition  des  pierres  de  taille 
qui  dans  certaines  forteresses  byzantines,  forment,  au  lieu  de 
harpes,  des  cadres  divisant  le  mur  en  panneaux. 

La  seule  raison  à  laquelle  on  puisse  attribuer  l'emploi  si 
fréquent  des  moellons,  de  préférence  à  un  plus  grand  appareil 
ne  peut  être  que  l'économie. 

Comme  on  le  verra  plus  loin,  beaucoup  de  temples  sont 
l'œuvre  de  particuliers  ou  dus  à  la  piété  de  groupes  plus 
ou  moins  puissants.  De  plus,  comme  on  s'est  mis  à  construire 
de  tous  côtés  et  en  même  temps  un  grand  nombre  de  ces 
monuments,  on  a  employé  le  mode  le  plus  expédilif,  qui 
est  l'emploi  du  blocage. 

Peut-être  aussi  doit-on  voir  en  cette  façon  de  construire 
la  persistance  de  traditions  remontant  à  l'époque  carthaginoise. 
On  sait  que  le  blocage  fut  employé  alors  sur  une  large  échelle. 
Mais,  comme  dans  les  forteresses  d'Utique  et  de  Balla  Regia, 
on  lui  donnait  une  épaisseur  bien  plus  considérable.  Plus 


l'architecture  sacrée  de  L'AFRIQUE  PAÏENNE  151 

tard,  pour  agir  économiquement  et  rapidement,  on  diminua 
la  masse  des  murs  en  moellons  et,  comme  on  constata  que 
cette  diminution  en  affaiblissait  beaucoup  la  résistance,  on  fut 
amené  à  y  placer  des  chaînes  ou  des  piles  en  pierres  de  taille. 

Ce  n'était  don^  pas  chose  commune  à  cette  époque  qu'un 
édifice  on  grand  appareil.  On  en  trouverait  la  preuve,  si 
besoin  était,  dans  cette  inscription  par  laquelle  certain  habitant 
de  l'Afrique  n'a  pas  manqué  d'apprendre  à  la  postérité  non 
seulement  qu'il  avait  construit  un  temple,  mais  encore  que 
celui-ci  était  en  appareil  régulier  :  ex  opère  quadrato. 

Ce  qui  montre  encore  que  c'était  là  le  mode  non  seulement 
le  plus  solide,  mais  le  plus  prisé,  c'est  que  fréquemment  l'on 
a  pris  soin  de  cacher  le  blocage  sous  un  enduit  dont  les  reliefs 
simulent  des  pierres  de  taille  et  même,  comme  à  H""  es  Souar, 
un  appareil  à  bossages. 

Je  ne  relève,  dans  l'ouvrage  de  MM.  C.  et  G.  que  3  temples 
en  grand  appareil,  et  ce  sont  ceux  de  Capitoles,  à  H''  es  Souar, 
à  Sbeïtla,  à  Medeïna.  Les  pierres  en  sont  tantôt  disposées  en 
assises  dans  l'épaisseur  de  la  muraille,  tantôt  en  assises  de 
parpaings.  A  Sbeïtla,  l'appareil  est  négligé,  on  n'a  pas  liaisonné 
franchement  les  assises,  ce  qui  a  amené  le  décollement  des 
angles. 

Il  peut  ou  non  y  avoir  un  mortier  entre  les  pierres.  Parfois, 
comme  au  temple  de  Céleste  à  Dougga,  elles  ont  été  reliées 
par  des  crampons  métalliques  à  queue  d'aronde.  D'autres 
parties  de  la  construction,  en  raison  de  leur  destination,  sont 
fixées  d'une  façon  spéciale  :  à  H'"  Kasbat  des  goujons  de  fer, 
posés  dans  du  plonib  joignaient  les  bases  des  colonnes  aux 
fûts  et  au  soubassement. 

Les  Romains  passent  pour  avoir  été  d'excellents  architectes 
et  tous  les  édifices  qui,  depuis  18  siècles  ont  résisté  aux 
intempéries  témoignent  de  leur  habileté.  Cependant,  en  Afrique 
il  semble  que  bien  souvent  leur  art  ait  été  en  défaut.  Les 
inscriptions  parlant  de  réparation  de  temples  qui  s'écroulent 
sont  extrêmement  abondantes.  On  devine  facilement  en  étu- 
diant le  contexte  que  le  mot  vetusias  qu'on  y  employait  pour 
exphquer  la  ruine  de  l'édifice  était  un  euphémisme  destiné  à 
passer  sur  son  peu  de  solidité.  C'est  ainsi  qu'il  est  difficile 


152  l'architecture  sacrée  de  L'AFRIQUE  PAÏENNE 

d'attribuer  à  la  vétusté  la  cause  de  la  chute  de  ce  temple  dont 
il  est  question  dans  l'inscription  d'un  sanctuaire  Cérès  que  j'ai 
relevée  à  H'"  Khima.  Il  avait  été  construit  par  le  père,  Arafrius 
Cursor,  et  c'est  le  fils  de  ce  dernier  qui  l'a  reconstruit. 

Une  autre  défectuosité  se  rencontre  souvent  dans  les  cons- 
tructions de  l'Afrique  romaine.  C'est  le  manque  de  symétrie  ou 
de  proportion  de  leurs  différents  éléments,  comme  je  l'ai 
montré  en  particulier  pour  l'entablement  du  temple  de 
Saturne  (1). 

Périboles.  —  Les  temples,  avec  leur  enceinte  sacrée,  ont  pu 
être  facilement  transformés,  à  l'époque  byzantine,  en  citadelle, 
ce  qui,  d'ailleurs,  en  a  sauvé  beaucoup  de  la  destruction.  Le 
péribole  n'en  constituait  point  cependant  une  partie  indispen- 
sable, car  il  appert  de  plusieurs  textes  que  tous  n'en  possédaient 
pas.  Une  inscription  d'H""  Salah,  notamment,  montre  que  le 
temple  des  Cérès  n'en  avait  pas,  à  l'origine. 

Les  dimensions  de  celte  enceinte  sont  souvent  considérables. 
Au  Capitule  de  Sbéitla,  la  longueur  en  est  de  71  mètres  et 
la  largeur  de  68  mètres.  Elle  se  composait  d'un  mur  continu 
percé  de  quelques  portes  limitant  à  l'extérieur  une  galerie 
s'ouvrant  sur  la  cour  par  une  colonnade  interrompue,  en  face 
du  sanctuaire  principal,  par  une  porte  triomphale  Celle-ci  est 
formée  d'une  grande  arcade  accostée  de  deux  plus  petites,  que 
surmontent  deux  niches. 

Le  sol  de  l'espace  circonscrit  par  le  péribole  était  le  plus 
souvent  dallé,  quelquefois  planté  d'arbres. 

Soubassement.  —  Le  temple  s'élève  sur  une  base  ornée 
d'une  corniche  et  d'une  pleinthe,  parfois  d'une  corniche 
seulement  qui  est  stylobate  ou  sléréobate.  J'ai  signalé  ailleurs 
les  sous-sols  voûtés,  fréquemment  aménagés  sous  le  monument. 

Ce  sont  parfois  des  citernes,  mais  parfois  aussi  des  salles 
plus  complexes,  avec  escaliers  d'accès,  fenêtres,  portes, 
consoles,  corniches  moulurées,  etc.  Habituellement,  c'est  sous 
le  pronaos  seulement  que  le  soubassement  a  été  ainsi  évidé,  et 


(I)  Ce  fait  se  rencontra  à  Dougj:a,  dan;  nombre  d'autres  édifices  et  je 
l'ai  relevé  dans  les  trois  monuments  que  j'ai  dégag-és  :  temple  de 
Saturne,  théâtre,  dar  el  Acheb. 


l'architecture  sacrée  de  L'AFRIQUE  PAÏKNNE  153 

ce  tait  s'explique  par  ce  que  l'éditice  est  le  plus  souvent  à 
flanc  de  coteau,  plus  élevé  au-dessus  du  sol  en  avant  qu'en 
arrière. 

Emmarchement.—  On  n'a  aucun  renseignement  précis  sur  le 
nombre  des  marches  qui  précédaient  les  temples,  sauf  pour  un 
sanctuaire  de  Celesl's  qui,  d'après  une  inscription,  en  avait  7. 
Un  fait  remarquable,  c'est  l'absence  de  ces  marches  en  avant 
de  plusieurs  monuments  sacrés,  qui  n'avaient  même  pas 
d'entrée  de  ce  côté.  Cette  disposition  est  manifeste  à  Medeïna, 
où  le  suggestus  du  Capitole  sï'le\e  à  une  certaine  hauteur  au- 
dessus  du  sol.  Mais  ici  la  raison  de  cette  disposition  échappe. 

Il  n'en  est  pas  de  même  à  Dougga,  dans  les  temples  de 
Saturne  et  de  Celestis,  dont  l'entrée  est  pour  le  premier, 
sur  le  côté  du  pronaos,  et  pour  le  second,  à  chaque 
'extrémité  de  la  terrasse  qui  en  précède  le  péribole. 

Façade.  —  C'est  un  fait  exceptionnel,  en  Afrique,  que  la 
présence  d'une  plate-forme  en  avant  des  temples,  à  la  place  de 
l'emmarchement.  Derrière  l'escalier  s'élève  la  façade,  avec  les 
ornements  que  l'ordre  comporto  :  colonnes,  entablemtnt,  etc. 
Il  n'est  cité  dans  l'ouvrage  qu'un  seul  exemple  de  bas-relief 
ornant  un  fronton.  Il  représente  un  aigle  enlevant  un 
personnage  (1). 

Dans  les  temples  où  la  façade  était  flanquée  de  deux  ailes, 
l'ornementation  devait  en  être  de  lignes  moins  simples,  mais 
on  ne  possède  guère  de  renseignements  à  ce  su  et.  Dans  le 
fond  du  portique  s'ouvrait  la  haute  baie  formant  l'prilrée  de  la 
cella.  Le  mur  qui  Tencadre  peut  présenter  des  niches  ou 
porter,  gravés  à  sa  surface,  les  noms  des  souscripteurs  qui  ont 
élevé  l'édifice. 

Cella.  —  L'entrée  de  la  cella  était  fermée  par  des  portes  ou 
des  grilles  que  des  inscriptions  nous  disent  avoir  été  souvent 
de  métal,  de  bronze.  Les  murs  en  étaient  parfois  revêtus  de 
reliefs  ornementaux  simulant  extérieurement  des  pilastres  et 


(1)  J'ai  rencontré  à  Sloiit^iiia  fM  (U-cril  précédemment  un  petit  fronton 
uionolillie.  provenant  d'un  édicule  sacré,  on  un  aigle  d'une  bonne  exécu- 
tion, était  repi'éseuté  eu  un  haut  r,.-li  'f. 


154  l'architecture  sacrée  de  L'AFRIQUE  PAÏENNE 

intérieurement  des  feuillages  ou  des  pampres..  Dans  le  fond, 
des  niches  abritent  l'image  d'une  ou  plusieurs  divinités  qui  y 
sont  adorées.  Quand  il  y  a  plusieurs  niches,  celle  qui  est  au 
milieu,  en  face  de  la  porte  et  qui  recevait  le  dieu  principal  est 
aussi  la  plus  vaste.  Elle  peut  même  prendre  les  proportions 
d'une  abside  et  la  forme  d'un  petit  édicule  à  fronton.  Dans  les 
cellas  du  Capitole  de  Sbeïtla,  il  y  a  aussi  des  niches  carrées, 
ménagées  dans  les  parois  latérales.  A  Thuburnica,  la  cella, 
qui  appartenait  à  un  simple  édicule,  a  trois  niches  demi-circu- 
laires, l'une  au  fond,  les  autres  sur  les  murs  des  côtés. 

Le  sol  était  revêtu  de  dalles,  de  ciment,  et  souvent  de 
mosaïques.  On  a  retrouvé  ce  dernier  mode  dans  le  temple 
circulaire  d'H'"  Kasbat  et  plusieurs  inscriptions,  notamment 
celle  d'un  temple  à  Mraïssa,  en  font  mention. 

Dans  le  dallage  de  certains  sanctuaires,  on  a  remarqué,  en 
des  endroits  qui  semblent  avoir  été  plus  spécialement  réservés 
à  l'acte  de  l'adoration,  des  cavités  remplies  de  plomb  ou  de 
marbre,  en  forme  de  semelles  accouplées.  Ce  sont  les  vestigia 
qui  sont  placées  en  avant  d'un  autel,  à  l'entrée  d'un  édicule, 
ou  au-devant  de  la  cella  principale  du  temple. 

D'après  M  Saladin,  à  Sbeïtla  et  à  Dougga,  le  toit  était  en 
charpente.  Dans  les  différents  édifices  sacrés,  il  était  en  outre, 
recouvert  de  tuiles  en  terre  cuite  ou  en  métal.  Au  temple 
d'Apollon,  à  Carthage,  c'est  de  lames  d'or  qu'il  était  revêtu. 
Quelquefois,  la  cella  était  surmontée  d'une  voûte  d'arête. 

On  connaît  peu  la  manière  dont  l'intérieur  était  éclairé.  Il 
semble  qu'en  général,  il  n'y  ait  pas  eu  d'ouverture  dans  les 
parois.  A  Medeïna  et  à  Sbeïtla,  on  avait  ménagé  au-dessus  du 
îinteau  de  la  porte  du  Capitole,  un  arc  de  décharge  qui 
encadrait  une  baie  par  où  passait  la  lumière. 

Ornementations.  —  J'ai  indiqué  comment  était  décoré  le 
soubassement,  stylobate  ou  stéréobate,  recouvrant  souvent  des 
pièces  voûtées,  à  lenêtres  et  ornées  de  corniches  ou  de  consoles 
moulurées. 

Le  chambranle  de  la  porte  de  la  cella  t-st  plus  uu  moins 
artistemont  ornementé,  souvent  à  crossettes.  Les  différentes 
parties  de  l'encadrement  d'une  porte  antique   constituent  à 


l'architecture  sacrée  de  L'AFRIQUE  PAÏENNE  155 

Tunis,  l'entrée  d'une  liabitation  moderne  que  les  auteurs  ont 
reproduite  et  qui  est  d'un  joli  travail,  mais  rien  n'indique,  à 
ma  connaissance,  qu'elle  ait  appartenu  à  un  temple.  A  Aïn- 
Tounga,  l'entrée  de  la  cella  étiiit  ornée  de  moulures  unies, 
encadrant  une  guirlande  de  roses  en  fort  relief,  à  pétales 
multiples,  pressées  sur  les  unes  cor.tre  les  autres,  sans  i-inceaux. 
A  Bir  Magra,  le  linleau  est  orné,  sur  la  face  antérieure,  d'un 
cratère  que  gardent  deux  grillons  affrontés,  et  de  rosaces 
séparées  par  des  imbrications  sur  la  face  inférieiu'e. 

Ordre.  —  Presque  constamment  les  ordres  sont  corinthiens. 
Sur29  d'entre  eux,  dont  l'ordre  est  indiqué,  je  n'ai  relevé  que 
trois  exceptions  à  cette  règle.  A  H''  Khi  ma  on  a  retrouvé  des 
chapiteaux  composites  d'un  travail  très  intéressant,  avec  une 
pomme  de  pin  au  lieu  du  fleuron  qui  orne  habituellement  le 
tailloir.  A  Sbeïtia,  oîi  les  deux  temples  latéraux  du  Capitole 
sont  corii  thiens,  celui  du  milieu  est  d'un  composite  remarqua- 
ble (1). 

Les  bases  des  colonnes  sont  assez  uniformes.  Presque  cons- 
tamment, elles  offrent  comme  je  l'ai  constaté  pour  tous  les 
édifices  de  Dougga  —  deux  tores,  deux  scoties  et  une  baguette 
entre  deux  listels.  Les  fûts,  en  général  galbés  au  haut  de  leur 
tiers  inférieur,  sont  cylindriques,  et  1";  plus  souvent  lisses.  II 
est  cependant  de  beaux  exemples  de  colonnes  cannelées 
rudentées  aux  Capitoles  de  Dougga,  Matria,  etc.  A  Kesseur 
Kouti,  j'ai  trouvé  moi-même,  dans  les  ruines  du  temple,  des 
fragments  de  fûts  de  colonnes  à  cannelures  en  spiraie.  Presque 
toujours  moru'jlithes  quand  ils  sont  dégagés,  ils  peuvent, 
lorsqu'ils  sont  appliqués  ou  engagés,  être  formés  de  tambours 
se  continuant  avec  les  assises  voisines.  Un  bel  exemple  de  cette 
dernière  disposition  existe  au  Capitole  de  Sbeïtla.  Enfin,  très 
souvent  les  pilastres  appliqués  intérieurement  ou  extéi-ieure- 
ment  conire  les  murs  des  cellas  ont  été  obtenus  à  l'aide 
d'enduits  à  reliefs  moulurés  et  découpés. 


(I>  J'ajouterai  qu'à  Bulla  Regia  j'ai  découvert  et,  avec  M.  de  la  Blan- 
chère,  étudié  une  pierre  sculptée  qui  est  certainement  un  niélope  ayant 
apiiartenu  à  un  temple  dorique  à  en  juger  par  les  restes,  disparus  depuis, 
qui  l'entouraieni 


15Ô  l'architecture  sacrée  de  L'AFRIQUE  PAÏENNE 

Les  chapiteaux,  presque  toujours  d'une  exécution  satisfai- 
sante, quelquefois  un  peu  lourds  et  chargés  d'ornements, 
peuvent  être  très  riches,  comme  ceux  du  vestibule  du  temple 
de  Saturne,  dont  l'abaque  est  orné  de  rinceaux  d'un  bel  effet. 
Parfois,  la  fantaisie  de  l'artiste  l'a  conduit  hors  des  types 
habituels  :  à  Bijga,  une  petite  tête  remplace,  sur  une  des  faces 
du  chapiteau,  le  fleuron  ordinaire. 

L'entablement  offre  la  disposition  de  Tordre  corinthien, 
mais,  dans  plusieurs  cas,  il  semble  qu'une  partie  des  moulures 
de  la  cymaise  ou,  comme  au  temple  de  Saturne,  de  la  corniche 
même,  ait  été  supprimée. 

Presque  constamment  l'architrave  et  la  corniche,  au  lieu 
d'être  formées  de  deux  pierres  distinctes,  ont  été  taillées  dans 
un  même  bloc.  La  «  frise  archi travée  »  est  d'un  usage  très 
fréquent  en  Afrique. 

Les  soffites  sont  habituellement  ornés  d'un  simple  cartouche 
à  relief  plat  ou  cylindrique,  mais  assez  souvent  ils  ont  été 
l'objet  d'une  ornementation  riche  et  originale. 

Au  Gapitole  de  Sbeïtla,  il  en  est  qui  ont  des  calices  et  des 
gerbes  d'acanthe  d'une  grande  richesse. 

Au  Gapitole  de  Matria,  le  soffite  central  du  pronaos  présente 
un  olivier  de  chaque  côté  duquel  sont  figurées  à  profusion  des 
armes  de  toute  espèce,  parfois  très  finement  ornementées.  Des 
soffites  latéraux,  l'un  a  des  thyrses  ornés  de  gerbes  d'acanthe 
sortant  d'un  calice  central,  l'autre  présente  en  son  centre  une 
rosace  d'où  s'élancent  de  chaque  côté  des  rinceaux  très 
élégants. 

A  Bijga,  c'est  un  encadrement  d'oves  et  de  dards,  d'où 
s'échappent  des  rinceaux  de  vigne  chargées  de  grappes  et  de 
pampres,  ou  des  gerbes  d'acanthe  s'étalant  à  droite  et  à  gauche 
d'un  fleuron  central. 

Des  soffittes  du  Refont  acanthes  et  palmettes,  avec  dauphins 
entrelacés,  rinceaux  de  vigne  sortant  d'un  calice,  et  une  tête 
de  Méduse  sur  un  fond  imbriqué. 

A  Medeïna,  sur  le  soffitte  de  l'entrecolonnement  de  gauche, 
est  figuré  le  buste  de  Bacchus,  couronné  de  pampres  et  entouré 
de  rinceaux  et  de  grappes  ;  les  deux  autres  offrent  des  gerbes 


L'aRCFHTECTURE  sacrée  de  L'AFRIQUE  PAÏENNE  157 

d'acanthe  et  Jes  rosaces  réunies  par  un    tleuron,  comme  à 
SbeïtJa. 

La  simplicité  des  frises  contraste  souvent  avec  celle  des 
sot'tites.  On  y  trouve  cependant,  parfois,  des  sculptures  inté- 
ressantes. A  Temda,  ce  sont  des  amours  et  des  génies  demi- 
nus,  recouverts  d^.  légères  banderolles  flottantes,  portant  des 
thyrses  ou  des  guirlandes  de  tleurs.  Us  dansent  et  sont  séparés 
par  des  médMiilons  représentant  des  divinités  dont  l'une  et  un 
dieu  barbu  rappelant  le  Sataj^nus  dominas  des  stèles  du 
Djebel  bou  Korneïn. 

Un  temple,  à  Zamphour,  offre  sur  sa  frise,  une  série  de 
guirlandes  avec  bandelettes,  accompagnées  d'instruments  de 
sacrifice,  et  soutenues  par  des  bucrànes,  sauf  à  l'angle  sud- 
ouest,  où  un  masque  remplace  ces  derniers.  Dans  l'axe  du 
panneau  ce  sont  des  candélabres,  clans  l'entrecolonnement 
médian  de  la  face  sud  c'est  un  génie,  qui  soutiennent  les 
guirlandes. 

C'est,  comme  on  vient  de  le  constater,  dans  ces  deux  parties 
des  temples:  soffites  et  frises  que  les  sculpteurs  africains  ont 
exercé  le  plus  leur  burin  et  leur  imagination. 

Les  corniches  ont  été  aussi  un  motif  à  riches  sculptures.  Les 
caissons  et  les  modillons  y  sont  en  général  très  fouillés  et 
offrent  une  variété  de  feuillages  et  de  fleurons  où  l'on  sent 
une  ins;)iralion  puisée  (\v^3  l'imitation  de  la  nature.  Dans 
quelque  cas  mèm3,  le  sculpteur  a  abandonné  la  tradition. 
C'est  ainsi  qu'au  Cxpitole  de  Matria,  un  des  caissons  renferme 
un  petit  bouclier  orné  de  figures  géométriques,  au  lieu  du 
tleuron  habituel. 

En  dehors  des  enduits  simulant  des  pilastres  qui  ornent 
l'intérieur  de  cellas,  il  en  est  qui  figurent,  dans  les  mêmes 
conditions,  des  feuillages  ou  des  fruits. 

L'enduit  a  encore  été  utilisé  pour  cacher  les  moellons  des 
murs  et  simuler,  à  leur  surface  des  pierres  de  taille  à  larges 
joints  ou  à  bossages. 

Parmi  les  autres  modes  de  décorations  que  l'on  employait 
encore  dans  les  temples,  il  faut  remarquer  les  corn  che.-^  plus 
ou  moins  fouillées,  les  niches  plus  ou  moins  grandes.  Ces 
dernières,  dans  les   temples,    n'ont   pas   toujours   abrité   les 


158       l'architecture  sacrée  de  l'afrique  païenne 

effigies  de  divinités,  car  à  Dougga,'  c'est  une  statue  de  magis- 
trat que  j'ai  trouvée  dans  une  des  niches  da  temple  de  Saturne. 

Une  inscription  parle  de  statues  acrolithes  qui  décoraient 
un  temple.  11  y  avait  d'ailleurs  un  peu  partout  de  ces  images 
dans  les  édifices  sacrés,  comme  ces  statues  de  villes  qui,  dans 
le  temple  Celestis,  à  Dougga,  couronnaient  la  corniche  de  la 
galerie  du  péribole.  Elles  étaient  en  calcaire,  en  marbre,  en 
métal  :  bronze  comme  à  Gafsa,  argent  comme  au  Kef,  or  comme 
à  Sidi  en  Naoui. 

Il  y  avait  également  des  statuettes  en  terre  cuite,  et  aussi  des 
statues  de  grandeur  colossale,  comme  celle  d'Apollon  à  Car- 
thage.  Ou  bien  ce  sont  des  thorax  que  les  inscriptions  nous 
disent  avoir  existé  :  à  Mraïssa,  il  y  avait  un  buste  de  Celestis 
dans  un  temple  et  j'en  ai  trouvé  un  en  pierre  qui  avait  été  fixé 
dans  les  murs  du  temple  de  Saturne  à  Dougga.  Enfin,  on  y 
voyait  aussi  de  simples  masques,  qui  étaient,  comme  celui  de 
Mercure,  à  H''  Bez,  suspendus  aux  parois  du  temple. 

Quelques  inscriptions  parlent  encore  d'objets  plus  petits, 
qui  composaient  le  mobilier  de  l'édifice.  Ce  sont,  en  dehors  de 
très  nombreux  autels,  des  burettes,  des  candélabres,  des 
vases,  un  réchaud,  des  lampes,  le  plus  souvent  en  bronze. 

Par  qui  ont  été  élevés  les  temples.  —  Un  fait  frappe  tout 
d'abord  lorsque  l'on  recherche,  à  l'aide  de  l'épigraphie,  dans 
quelles  conditions  ont  été  élevés  les  édifices  sacrés.  C'est  la 
variété  des  associations  et  surtout  le  grand  nombre  de  parti- 
culiers qui  ont  pris  l'initiative  et  la  charge  de  les  construire. 

Mais  ce  sont  souvent  aussi  des  cités,  des  centres  tout  entiers 
qui  ont  élevé  à  leurs  frais  des  temples  de  dimensions  variables 
et  il  semble  que  dans  ce  cas,  les  Capitules  aient  été  surtout 
l'objet  de  leur  générosité.  Celui  de  Medeïna  a  été  construit  par 
le  municipe  d'Althiburos  ;  la  porte  du  péribole  et  sans  doute 
les  temples  du  Capitole  de  Sbeïtla,  le  Capitole  de  Bijga  ont  été 
élevés  pecunia  puhlica.  11  est  cependant  un  certain  nombre 
de  sanctuaires  qui  sont  dus  aussi  à  un  prélèvement  fait  sur  les 
fonds  publics,  tels  que  celui  de  Saturne  à  H''  Douamis,  et  de 
Neptune  à  Mactar.  Des  villes  ayant  rang  de  civitas  ont  cons- 
truit des  temples,  la   Thuggensis  à  Saturne,  la  Thibicensis 


l'architecture  sacrée  de  L'AFRIQUE  PAÏENNE  159 

à  Esculape,  la  c.  Tliacensium  aux  Victoires,  et  la  c.  Uriisitana 
à  Jupiter.  Ailleurs,  c'est  la  colonie  romaine  de  Thuburbo  Majus 
qui  élève  un  temple  à  Minerve. 

Mais  ce  ne  sont  pas  seulement  des  villes  puissantes  qui 
témoignent  aussi  de  leur  dévotion  aux  divinités  romaines  ou 
romanisées  de  rAfrique.  Des  centres  plus  modestes  rivalisent 
avec  elles,  dans  la  mesure  de  leur  moyens.  Voici  un  petit 
bourg,  le  pagus  Thaccnsium  qui  élève  à  Cérès  un  sanctuaire 
((  arcum  cum  columnis.  » 

De  simples  paysans,  des  cultivateurs  se  cotisent  pour  cons- 
truire des  édifices  sacrés.  Les  coloni  du  saltus  Massipianus 
font  un  portique  sacré,  et  leur  œuvre  terminée,  continuent  à 
l'entretenir  et  à  l'agrandir,  car  plus  tard  ils  la  réparent  et  y 
ajoutent  deux  arcs  de  triomphe.  Les  coloni  d'un  simple  ftoidus, 
à  Sidi  Khalitat,  ont  élevé  un  temple  à  Céleste,  et,  de  même  que 
les  habitants  du  pagina  Tliacensium ,  ont  tenu  à  apprendre  à  la 
postérité  qu'ils  avaient  poussé  la  munificence  jusqu'à  l'orner 
de  colonnes.  On  peut  en  inférer  qu'un  luxe  dont  ils  étaient 
aussi  fiers  avait  dû  leur  demander  de  grands  sacrifices. 

Dans  la  respuhlica  Teancnsiiim,  les  paysans  du  fundus  Tigi- 
helle,  moins  riches  sans  doute  que  les  précédents,  réunissent 
leurs  oboles  pour  élever  un  petit  autel  qui  n'a  rien  de  bien 
remarquable,  à  Jupiter.  L'aridité  actuelle  du  pays  sauvage  où 
je  l'ai  trouvé,  confirme  bien  tout  ce  qu'une  telleunion  pour  un  si 
modeste  résultat,  trahit  de  pauvreté  chez  ses  habitants.  A  H'" 
Salah,  c'est  tout  le  peuple,  le  plehs  fundï  qui  a  construit  un 
temple. 

Dans  certains  cas,  ce  n'est  plus  un  pays  entier  ou  une  classe 
de  la  société  qui  l'habite  qui  s'est  mis  à  élever  de  tels  édifices, 
c'est  une  association  plus  restreinte  de  particuliers.  A  Aïn 
Tell,  les  seniores  Mas rensium  restaurent  un  temple  à  Mer- 
cure. Ailleurs,  c'est  la  gens  Bacchuiana  qui  élève  un  sanc- 
tuaire à  Saturne  d'Achaie.  A  Mactar,  si  j'interprète  bien  la 
traduction  de  M.  Berger,  des  prêtres,  les  «  pachas  des  choses 
sacrées»,  unissent  leurs  moyens  pour  construire  un  temple.. 
Parfois,  le  nombre  des  généreux  donateurs  a  été  considérable, 
et  leurs  noms  forment  une  longue  liste  qui,  counne  à  Bir-el- 
Faouera,  a  été  gravée  sur  le  nmr  antérieur  de  la  cella,  de 


160  l'architecture  sacrée  de  L'AFRIQUE  PAÏENNE 

chaque  côté  de  la  porte.  Cela  ne  rappelle-t-il  pas  la  coutume 
que  l'on  a,  dans  nos  églises,  de  fixer  le  nom  du  souscripteur 
sur  le  vitrail  ou  le  chemin  de  croix  qu'il  ont  donné  ? 

Telle  est  la  part  qu'ont  eu  les  collectivités  dans  l'érection  de 
tant  de  temples  qui  couvraient  le  sol  de  l'Afrique. 

Celle  des  particuliers,  qui  n'a  pas  été  moindre,  est  peut-être, 
à  certains  égards,  plus  intéressante.  Le  nombre,  la  richesse 
des  constructions  dont  le  paganisme  leur  est  redevable,  nous 
montrent,  en  elTel,  combien  grande  fut  la  dévotion  envers  l'an- 
tique religion.  Ils  lai.-sent  aussi  entrevoir  que  certaines 
familles  tenaient  en  leurs  mains  une  très  grande  partie  de  la 
richesse  du  pays 

A  vrai  dire,  ce  n'est  pas  souvent  la  piété  du  donateur  qui 
semble  avoir  été  la  cause  principale  de  sa  générosité,  et  cette 
magnificence  de  personnages  en  vue  peut  souvent  être  soup- 
çonnée de  n'avoir  pas  été  désintéressée.  Elle  nous  apparaît,  au 
travers  de  la  concision  de  textes  épigraphiques,  comme  le 
dernier  terme  de  ce  que  de  nos  jours  nous  appellerions  une 
«manœuvre  électorale».  C'est,  en  effet,  pour  arriver  à  une 
magistrature,  sacerdotale  ou  autre,  ardemment  désirée,  que 
beaucoup  de  citoyens  ont  promis  d'élever  un  temple,  s'ils 
étaient  élus,  à  quelque  divinité.  Mais  on  doit  reconnaître  que 
parfois  la  reconnaissance  seule  les  a  poussés  à  cet  acte  de 
générosité  et  en  tous  cas  que,  la  situation  tant  convoitée  une 
fois  acquise,  ils  ne  se  sont  pas  bornés  à  tenir  simplement  leur 
promesse.  Ils  ont  presque  toujours  manifesté  leur  gratitude  en 
ajoutant  à  la  somme  due  une  somme  nouvelle,  parfois  plus 
considérable  que  la  première,  pour  orner  ou  agrandir  l'édifice. 
Et  quand  le  moment  de  l'inauguration  arrivait,  ils  y  joignaient 
encore  les  fonds  nécessaires  pour  célébrer  la  fête  par  des 
distributions  de  vivres  et  des  jeux  scéniques.  Comme  à  Rome 
les  empereurs,  les  grands  donnaient  au  peuple,  en  Afrique,  le 
pain  et  les  jeux  du  cirque. 

Quand  il  s'agissait  d'une  fonction  sicerJotale  que  l'on  avait 

obtenue,  c'est,  naturellement,  à  la  divinité  dont  le  citoyen 

était  devenu  le  prêtre  qu'il  élevait  le  plus  souvent  un  sanctuaire. 

Parmi  les  nombreux  temples  qui  ont  été  construits  dans  ces 


l'architecture  sacrée  de  l'akrique  païenne        161 

conditions,  je  note  celui  de  Tabari^a,  dédié  à  Jupiter,  celui  de 
Sidi-en-Naoui,   et  celui  de  Dougga,  consacré  à  Céleste, 

Le  beau  Capitole  de  Dougga  est  lui  même  l'œuvre  de  deux 
frères,  les  Marcius  Simplex,  dont  les  hautes  fonctions  et  la 
générosité  ont  été  célébrées  non  seulement  dans  les  inscrip- 
tions du  temple,  mais  encor-e  sur  des  piédestaux  de  leurs 
statues  qui  ornaient  le  théâtre. 

Dans  bien  d'autres  localités  encore,  Matria,  Furni,  Dougga, 
etc.,  les  édifices  sacrés  ont  été  élevés  par  des  prêtres  de  la 
divinité  qu'on  y  honorait.  Il  serait  trop  long  d'énumérer 
quelles  étaient  les  fonctions  qu'ils  occupaient  et  je  citerai 
seulement  en  passant,  parmi  eux,  deux  prêtresses,  sacerdotes 
flaminicœ. 

En  dehors  du  sacerdoce,  nous  voyons,  dans  les  villes,  des 
habitants  auquels  leurs  concitoyens  ont  décerné  le  titre  de 
patro)ius,  manifester  leur  gratitude  de  la  même  manière.  Tels 
un  patronus  de  Putput,  un  patronus  pagi  et  civitaiis 
thuggensis,  etc. 

A  Sicca  Veneria,  c'est  un  curator  qui  rétablit  une  statue  de 
Vénus.  L'inscription,  qui  nous  apprend  ce  fait,  semblerait 
l'extrait  d'un  fait  divers  des  journaux  de  l'époque,  s'il  y  en  avait 
eu  alors.  Elle  relate  que  des  voleurs  ont  brisé  les  clôtures  du 
temple,  et,  après  y  avoir  pénétré,  en  ont  enlevé  l'image  de  la 
déesse. 

Dans  quelques  cas,  la  condition  du  donateur  fait  disparaître 
tout  soupçon  au  sujet  de  son  désintéressement.  C'est,  ici,  un 
centurion  décoré (/(as(atws),  là  un  vétéran,  ailleurs  un  esclave, 
servus  vilicus  de  l'empereur  qui  témoignent  de  leur  dévotion 
envers  leur  divinité  préférée. 

Parfois,  soit  que  leur  fortune  ne  leur  permit  point  d'élever  à 
eux  seuls  un  monument  tel  que  le  désirait  leur  piété,  soit 
qu'ils  aient  voulu  se  réunir  afin  de  donner  plus  d'importance 
et  de  richesse  à  l'édifice,  les  particuliers  se  sont  cotisés,  et 
cette  union  prenait  alors  souvent  le  caractère  d'une  touchante 
manifestation. 

A  Béja,  les  prêtres  d'un  temple  de  Cérès  le  réparent,  et  c'est 
un  citoyen  qui  se  charge  de  l'orner  et  d'y  rétablir  les  statues. 
A  Bou  ûjelida,  la  gens  Bacchuiana  ayant  décidé  de  construire 


162        l'architecture  sacrée  de  l'afrique  païenne 

un  sanctuaire  au  Saturne  d'Achaïe,  c'est  un  des  undecimprimi 
qui  lui  fournit  le  terrain  nécessaire.  A  H''  Douamis,  les  rôles 
sont  intervertis;  les  décurions  viennent  en  aide  à  l'un  de  leiu's 
concitoyens,  qui  voulait  élever  un  temple  à  Esculape,  en  lui 
donnant  un  emplacement. 

Quel  magnilique  concert  de  pieux  sentiments  ne  nous  révèle 
pas  cette  inscription  qui  nous  montre,  s'unissant,  à  Bijga, 
pour  rendre  son  antique  splendeur  au  temple  de  Vénus,  un 
particulier,  flamen  perpetus  et  curator  repuhlicae,  les  magis- 
trats de  la  cité  et  le  peuple  tout  entier,  ce  dernier  offrant  la 
seule  chose  qu'il  put  donner,  le  travail  de  ses  bras  :  adjuto  io 
splendidissimi  ordinh  totiiisque  popuil  lahore  ! 

Les  ressources  des  donateurs  avaient,  comme  bien  on  pense, 
des  limites,  et  leur  piélé  se  manifestait  sous  des  formes 
difféi entes.  On  n'élevait  pas  toujours  un  temple  tout  entier,  et 
ce  dernier  était  plus  ou  moins  grand,  plus  ou  moins  orné. 
Parfois,  on  n'en  construisait  qu'une  partie. 

On  a  vu  combien  sont  nombreux  les  temples  que  les  inscrip- 
tions nous  représentent  comme  tombant*  de  vétusté.  Dans  la 
série  des  textes  cités  par  les  auteurs,  j'en  ai  noté  27  qui,  étant 
en  ruines,  ont  été  relevés  .ou  réparés.  Et  parfois,  ce  travail  de 
restauration  ne  s'étendait  pas  seulement  à  un  temple,  mais  à 
un  grand  nombre  de  monuments.  Un  palronus  de  Putput  a 
relevé  à  la  fois  le  forum  et  ses  édifices,  le  Gapitole  et  la  curie. 
A  H'"Douirat,  c'est  un  temple  avec  ses  colonnes,  à  H''  Merabba, 
un  temple  et  son  portique  que  de  généreux  citoyens  réparent. 

Ailleurs,  la  réparation  effectuée,  on  agrandit  l'édifice,  on  y 
ajoute  quelque  partie  qui  le  rend  plus  commode,  plus  vaste  ou 
d'une  décoration  plus  riche.  C'est  ainsi  qu'un  citoyen  de 
Sustri  répare,  en  aère  collato,  le  Gapitole  de  la  petite  ville,  et 
y  ajoute  une  citerne,  addition  d'autant  plus  précieuse  qu'il  n'y 
a  point  de  source  sur  le  piton  où  était  la  civitas.  A  Agbia,  un 
certain  Gincius,  patron  de  la  ville,  non  content  de  réparer  un 
temple  de  Gérés,  érige  deux  statues,  l'une  au  Génie  de  la 
Curie,  l'autre  à  la  Fortune.  A  Bou  Ftis,  un  particulier  répare 
un  temple  et  y  pose  un  dallage. 

Peut-être  semblera-t-il  étonnant  qu'un  édifice  sacré  soit 
resté  aussi  longtemps  sans  dallage.  Cela  nous  révèle  un  fait  qui 


l'architecture  SACRKK  de  L'AFRIQUE  PAÏENNE  163 

s'est  produit  souvent  dans  l'Afrique  ancienne  :  un  assez  grand 
nombre  de  temples  n'ont  pas  été  achevés  aussitôt  après  leur 
construction  et  d'autres  ne  l'ont  même  jamais  été.  C'est  un 
détail  que  doivent  connaître  ceux  qui  étudient  les  ruines  de  ce 
pays.  Peut-être,  tout  au  début,  n'en  a-t-on  fait  souvent  que  les 
parties  essentielles,  soit  que  l'on  comptât  sur  quelque  don 
ultérieur,  soit  pour  toute  autre  raison.  Quoiqu'il  en  soit,  des 
constatations  de  ce  genre  ont  été  faites  assez  souvent,  par 
exemple  pour  le  temple  de  Saturne  à  Dougga,  et  celui  de 
Mercure  à  Aïn-Tounga. 

Certaines  inscriptions  nous  montrent  aussi  des  additions 
faites  postérieui'ement  à  la  construction  des  temples  :  A  l'op- 
pidum Tepeltense,  un  magistrat  en  répare  un  et  y  ajoute  une 
mosaïque.  Les  colons  du  saltus  Massipianus  construisent  un 
portique  et  ajoutent  deux  arcs  à  un  temple  qu'ils  réparent. 
A  Colonia  Utika  un  généreux  donateur,  non  content  de  relever 
nn  édifice  sacré,  y  ajoute  de  superbes  lambris.  A  Béja,  un 
temple,  refait  par  un  prêtre,  est,  par  un  habitant  de  la  ville, 
orné  des  statues  des  Cérès. 

A  côté  de  ces  grandes  dépenses,  consacrées  à  tout  un  édifice, 
ou  à  y  faire  d'importantes  additions,  on  en  relève  de  moins 
considérables.  A  H'"  Salah,  c'est  un  péribole  que  l'on  refait.  A 
Bordj  Chebane,  un  particulier  se  contente  d'orner  l'entable- 
ment d'un  temple  de  Saturne.  Ou  bien  on  fait  simplement  une 
réparation  ou  une  restauration  partielle,  comme  cette  statue  de 
Venus  du  Kef  qu'un  particulier  a  rétablie. 

Parmi  les  additions  faites  postérieurement  à  la  construction 
du  temple,  je  citerai  les  colonnes  de  marbre  qu'un  magistrat, 
à  Sidi  ben  Nour,  plaça  dans  les  sanctuaires  d'Apollon  et  de 
Diane,  l'emmarchement  qu'un  personnage  de  Toukabeur  a 
ajouté  à  un  temple.  A  Furni,  P.  Mummius  Saturninus  ayant 
augmenté  d'un  pronaos  une  cella  de  Mercure,  ses  citoyens  lui 
ont  élevé  une  statue  en  témoignage  de  reconnaissance.  A 
Tabarka,  c'est  simplement  une  porte  que  Ton  a  posée  dans  un 
temple  de  Pluton.  A  Colonia  Ulliina  deux  habitants  placent 
dans  un  tem.ple  de  Saturne  un  bas-relief  figurant  un  bélier  et 
des  vestigia.  A  Bou-Djelida,  deux  frères  olTrent  à  Tellus  et  à 
Cérès  une  porte  avec  ornements.  A  Vazi  Sarra,  un  citoyen  qui, 


164        l'architecture  sacrée  de  l'afrique  païenne 

d'ailleurs,  avait  déjà  construit  plusieurs  sanctuaires  dans  sa 
ville,  place  une  statue  sur  la  porte  du  péribole  de  Mercure, 

•  Enfin,  à  propos  de  ces  largesses  dont  j'ai  parlé,  et  que  l'on 
avait  coutume  de  faire  lors  de  la  consécration  des  monu- 
ments: distribution  de  vivres,  repas,  représentations  tliéàtrales, 
gymnases,  etc.,  l'inscription  du  Capitole  de  Matiia  mérite  une 
mention  spéciale.  Elle  offre  une  des  formes  les  plus  ingénieuses 
dont  s'est  exercée  la  générosité.  Un  citoyen  de  Numhili,  non 
content  de  tenir  les  promesses  qu'il  avait  faites  relativement 
au  temple,  après  l'avoir  construit,  orné  de  marbre,  de  statues 
et  du  reste,  a  fait  des  distributions  de  blé  en  le  comptant  à  un 
prix  inférieur  au  cours  du  jour,  ce  qui  ne  l'empêcha  pas  de 
donner  les  réjouissances  habituelles. 

A  côté  des  temples,  notons  quelques  édicules,  tels  que  celui 
qu'un  particulier  a  fait  à  Gérés,  à  Lorbeus,  et  celui  qu'un  autre 
éleva  à  Ghaouach,  avec  «  une  niche  pourvue  d'une  statue  et 
d'une  porte  ». 

Il  y  a  encore  des  monuments  de  dimensions  plus  modestes, 
tels  que  ce  bétyle  avec  colonne,  élevé  à  Thala  ptir  un  certain 
L.  Postumius,  et  l'autel  avec  degrés  qu'un  propriétaire  fit  chez 
lui  «  in  suo  »,  à  Gérés  grecque. 

Une  inscription  de  Krich-el-Oued  renferme  le  détail  des 
objets  du  culte  qu'offrit  un  flamine  d'Esculape  en  élevant  un 
autel  à  ce  dieu,  c'étaient  une  burette  en  bronze,  un  réchaud, 
un  vase  et  une  lampe  de  bronze. 

C'est  avec  intention  que  j'ai  laissé  de  côté  jusqu'ici  tout  un 
groupe  intéressant  de  donateurs  :  les  familles.  La  piété  et  le 
désintéressement  avec  lequel  on  remplit  les  promesses  faites 
par  un  parent,  on  entretient  et  on  répare  son  œuvre,  on 
l'agrandit  même  et  on  l'orne,  sont  dignes  d'attention. 

Voyez  plutôt  ce  G.  Glodius  Saturninus  qui,  à  Mùzuc,  promet 
de  construire  un  temple  d'Apollon,  et  qui  meurt  sans  avoir 
réalisé  son  projet.  II  laisse,  néanmoins,  à  sa  petite-fdle  la 
somme  promise,  et  celle-ci  ne  se  contente  pas  de  construire  le 
monument,  mais  veille  à  ce  qu'il  soit  pourvu  de  tous  les  orne- 
ments nécessaires  pour  le  compléter.  Sa  piété  filiale  ne  se 
contente  même  pas  d'avoir  aussi  largement  tenu  tous  les 
engagements  de  son  père.  Elle  y  ajoute,  à  ses  frais,  des  statues 


l'architecturi-:  sacrée  de  l'afrique  païenne        105 

de  marbre,  et  paie,  sur  sa  propre  fortune,  la  somme  nécessaire 
pour  achever  tous  ces  aménagements. 

A  Muzuc  encore,  les  héritiers  d'une  certaine  PlaïUia 
achèvent  le  temple  orné  de  statues  qu'elle  avait  promis  ;  à 
Kern  el  Kcbch,  un  fils  en  relève  un  qu'avait  construit  son  père 
et  qu'un  tremblement  ou  un  glissement  de  terre  avait  renversé. 

A  Sidi  ben  Nour,  le  neveu  et  les  héritiers  d'un  certain 
Pinarius  achèvent  le  temple  qu'il  a  commencé,  y  employant 
la  somme  qu'il  leur  avait  laissée  dans  ce  but,  et  y  ajoutent  une 
statue  rehaussée  d'or, 

A  H""  Chett,  un  père  élève  un  temple  à  Herculp:,  et  son  fils  y 
ajoute,  à  ses  frais,  une  statue  du  dieu.  J'ai  déjà  cite  ce  fils  qui 
relève,  à  H"'  Khi  ma,  un  temple  tombé  de  vétusté  (^ic), 
qu'avait  construit  son  père. 

A  Dougga,  L.  Ociavius  commence  le  temple  de  Saturne  et 
laisse,  pour  son  achèvement,  à  ses  héritiers,  une  somme  que 
ceux-ci  remettent  en  public. 

Et  c'est  autre  trait  n'est-il  pas  réellement  touchant  ?  Un 
soldat  de  l'empire  romain,  ce  centurion  décoré  dont  j'ai  déjà 
parlé,  laisse  par  testament  33.000  sesterces  pour  é'ever, 
à  Musti,  un  temple  à  la  Fortune.  Son  cousin  germain,  après 
avoir  hérité  de  lui,  y  ajoute  une  certaine  somme  pour  l'achè- 
vement du  monument,  puis  veille  à  son  exécution  en  se  faisant 
aider,  dans  ce  but.  par  trois  de  «es  frères.  Mais  lui-même 
meurt  avant  que  l'édifice  soit  terminé  et  c'est  son  neveu  et 
héritier  qui  l'achève  et,  avec  son  fils,  assiste  à  la  dédicace. 

Au  temple  de  Céleste,  à  Dougga,  le  donateur  du  monument 
meurt  en  laissant  une  somme  pour  son  achèvement,  et 
en  particulier  pour  la  fabrication  de  statues  d'argent.  Mais  il  se 
trouve  que  le  legs  est  insuffisant,  et  c'est  sa  famile  qui  parfait 
le  surplus  nécessaire  pour  terminer  et  orner  le  temple. 

Après  la  pitié  filiale,  voici  l'amour  conjugal.  A  Mraïssa,  une 
femme,  Fiaminica  divœ  Plautinœ,  promet  et  commence  un 
temple  de  Cérès.  Après  sa  mort,  son  mari  et  ses  fils  l'achèvent, 
Tornent  de  marbres,  de  mosaïques,  et  y  ajoutent  une  statue  de 
la  Pudicité  Auguste  et  un  thorax  de  Céleste.  De  même,  à 
Téboursouk,  une  femme  lait  construire  un  temple  que  son 
mari  avait  promis. 

14 


166  l'architecture  sacrée  de  L'AFRIQUE  PAÏENNE 

Prix  des  temples.  —  En  terminant,  je  relève  à  titre  de 
curiosité,  les  sommes  qu'a  coulées  l'érection  de  tout  ou  partie 
de  quelques-uns  de  ces  édifices  sacrés.  Peut-être,  un  jour,  un 
architecte  trouvera-t-il  quelque  intérêt  à  entreprendre,  grâce 
à  l'épigraphie,  une  étude  de  ce  genre,  sur  le  prix  de  la  main- 
d'œuvre  et  des  matériaux  dans  l'antiquité. 

Temple  de  Saturne,  à  Dougga 150.000  sesterces 

(dont  50.000  durant  la  vie  du  fondateur  et  lOO.UOO 
après  .sa  mort). 

Temple  de  Céleste,  à  Dougga 90.000      — 

Temple  de  la  Fortune,  à  H'"  Mest 40.000      — 

(do  )t  30.000  promis  et  10.000  ajoulés  [lar  les  héritiers) 

Temple  du  Gapitole,  à  Matria 24.000      — 

(ce  chiffre  est  un    iniiiimum,   l'édifice  a  pu  coûter 
plus). 

Temple,  indéterminé,  à  H''  Khachoun  ....     20.000      — 

TeiTiple,   à  Teboursouk 20.000      — 

(au  ininiinun,). 

Temple  d'Apollon,  à  H'' Khachoun 12.000       — 

Temple  de  Mercurius  Sobrius,  d'H'' Bez.  .       3.000      — 

Temple  de  la  Fortune,  à  Sidi  Naoui 8.000      — 

(au  minimum). 

Partie  d'un  temple,     |     réparalioii  d'un  porliqiic .     40.000      — 

à  Aïn  Hedja  (     pose  d'une  statue.       8.000      — 

Erection  d'un  autel  à  Toukabeur 500      — 

Pose  d'un  emmarchement  devant  un  temple 
de  Celestis,  à  Toukabeur 125      — 

Telles  sont  les  quelques  données  que  j'ai  extraites  du  bel 
ouvrage  de  MM.  C.  et  G.  à  l'intention  de  mes  lecteurs.  J'en- 
courrai volontiers  le  reproche  de  n'avoir  rien  dit  de  nouveau 
tout  en  ayant  été  assez  long,  si  ces  renseignements,  non  pas 
tant  par  leur  nature  que  leur  groupement,  sont  de  quelque 
utilité  à  ceux  qui,  n'ayant  pas  cette  étude  entre  les  lïKiins, 
désireront  se  faire  une  idée  des  temples  de  l'Afrique.  Je  sais 
trop,  par  expérience,  contre  quelles  difficultés  bibliographiques 
ont  à  lutter  les  explorateurs  de  bonne  volonté,  les  curieux  des 
choses  du  passé  qui,  dans  les  petits  centres  où  les  garnisons 


l'architecture  sacrée  de  L'AFRIQUE  PAÏENNE  1<)7 

de  l'Afrique,  voulenl  étudier  les  ruines,  pour  n'espérer  point 
avoir  leur  approbation. 

Enfin,  si,  en  m'étendant  aussi  longuement  sur  ce  travail  j'ai 
pu  montrer  quelle  est  son  utilité  et  témoigner  aux  auteurs  le 
plaisir  que  Ton  a  à  le  consulter,  je  serai  satisfait. 

Docteur  CARTOiN, 

Médecin  Major. 


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Temple  de  Célestis,  à  Doagga. 


Fig.  4- 
Tcinvlt;  d'Henchir  Khima. 


Temple  de  Siai  Mcdicn. 


MUSTAPHA  BEN  ISMAEL 

{Sni(c.) 


Combat  de  Yebdar 

{16  janvier  1836) 

Les  murs  déserts  de  TIemcen  n'avaient  qu'une  valeur 
militaire  ;  il  fallait  pour  que  cette  position  acquit  une  impor- 
tance politique,  repeupler  la  ville  et  enlever  à  l'influence  de 
l'Émir  la  population  musulmane,  qu'il  avait  pu  arracher,  mais 
non  éloigner  de  ces  lieux,  où  elle  était  habituée  à  vivre  et  à 
mourir. 

Le  plus  pressant  était  donc  de  ramener  à  TIemcen  la  popu- 
lation arabe.  Cette  mission  fut  confiée  au  général  Perregaux, 
qui  partit  le  15  janvier  avec  une  colonne  légère  composée  d'une 
avant-garde  de  cavaliers  auxiliaires  commandés  par  Mustapha 
ben  Ismaël  ;  de  l'infanterie  de  la  P''  brigade  (zouaves  et 
bataillon  d'élite,  ITMéger  et  sapeurs  du  génie)  et  d'une  section 
d'obusiers  de  montagne. 

Mustapha  ben  Ismaël,  délivré  enfin  de  sa  longue  captivité, 
reparut  pour  la  première  fois  avec  ses  cavaliers,  très  tiers  de 
le  revoir  à  leur  tête. 

L'Émir,  campé  à  Yebdar  (entre  TIemcen  et  Lamoricière), 
pour  compenser  la  faiblesse  des  moyens  de  défense  qu'il  était 
parvenu  à  grand  peine  à  réunir  en  si  peu  de  temps,  comptait 
sur  les  difficultés  du  terrain,  très  montagneux,  sur  les  rochers 
inaccessibles  des  Beni-Ad,  au  milieu  desquels  il  avait  planté 
son  camp. 

Mais,  les  Français  surent  le  relancer  et  le  débusquer  de  ce 
nid  d'aigles.  Les  Coulouglis,  heureux  enfin  de  respirer  l'air 
libre,  après  un  aussi  long  emprisonnement,  gravissent  résolu- 
ment des  sentiers  impraticables,  que  les  Arabes,  eux-mêmes, 
nomment  «  Irik-el-diah  »,  chemin  des  chacals. 

Les  braves  cavaliers  Douairs  et  Smélas,  qui  se  retrouvent 
enfin  dans  leur  élément,  véritables  hommes  de  cheval 
qu'aucun  obstacle  n'arrête,  débouchent,  en  même  temps  que 
les  fantassins,  sur  l'emplacement  du  camp  ennemi. 


472  MUSTAPHA  BEN   ISMAEL 

Aussitôt  le  caïd  Mazari.  neveu  de  Mustapha,  enlève  la 
charge  à  la  tète  des  cavaliers  du  Maghzen.  Ils  enfoncent  tout 
ce  qui  est  devant  eux.  L'Émir  exaspéré  d'être  vaincu  par  des 
musulmans,  au  service  des  chrétiens,  entre  dans  une  grande 
fureur.  Vainement  il  essaie  de  rallier  ses  soldats  qui  fuient, 
débandés,  devant  cette  attaque  impétueuse.  Il  leur  crie  dans 
sa  colère  :   «  Lâches  ! . . .    Voyez  qui  vous  avez  devant  vous  ?  ». 

Ses  objurgations  ne  peuvent  arrêter  la  déroute.  Tout  est 
sabré  ;  tout  est  tué  autour  de  lui.  Son  drapeau  vert  est  enlevé 
à  ses  côtés  par  le  cavalier  sméla  Ben  Kaddour,  et  lui-même, 
entraîné  par  le  torrent  des  fuyards,  est  bien  près  de  payer  de 
sa  vie  son  infructueuse  ténacité.  Au  milieu  de  la  mêlée  il  est 
reconnu  et  poursuivi  par  le  capitaine  Richepanse  et  le 
commandant  Yussouf;  ce  dernier  le  serre  de  près  et  continue, 
pendant  plusieurs  lieues,  la  chasse  qu'il  donne  à  l'Émir. 
En  ce  moment  )a  destinée  de  l'Algérie  dépend  de  la  vitesse  des 
deux  chevaux  ;  «  la  lutte  entre  deux  peuples  est  réduite  aux 
proportions  d'une  course  )>. 

Tous  les  bagages  d'Abdelkader  furent  pris  ;  son  infanterie 
laissa  sur  le  carreau  70  cadavres  sans  tète,  la  revanche  du 
Méc]iouar  ;  le  reste  de  ses  troupes  dispersé  dans  toutes  les 
directions  fût  rejeté  au  delà  du  djebel  Tizi. 

Mustapha  ben  Ismaël  qui  avait  échangé  ce  jour  là,  depuis 
sa  captivité  volontaire,  les  premiers  coups  de  fusil  avec  son 
mortel  ennemi,  acheva  la  poursuite  et  déblaya  le  terrain. 

Au  loin,  et  la  nuit  venue,  du  côté  des  Oulad-Mimoun 
(Lamoricière),  l'Émir  se  trouva  seul,  sans  tente,  sans  abri, 
sans  nourriture  et  sans  feu,  harassé  de  fatigue  et  de  faim  ;  il 
se  coucha  à  côté  de  son  cheval  auquel  il  devait  la  vie.  Après  la 
déroute  d'Abdelkader,  la  poursuite  des  habitants  de  Tlemcer: 
ne  fiit  plus  qu'une  battue.  Cernés  par  les  brigades  Perregaux 
et  d'Arlanges,  ils  se  rendirent  à  discrétion  et  furent  ramenés, 
au  nombre  de  2.500,  le  17  janvier.  Le  maréchal,  dès  leur 
rentrée  dans  la  ville,  leur  prouva  par  sa  protection  contre  leurs 
coreligionnaires,  qu'ils  n'avaient  pas  compté  à  tort  sur  sa 
générosité. 

Pendant  le  séjour  de  l'armée  à  Tlemcen,  on  travailla  active- 
ment à  remettre  en  état  le  Méchouar,  seule  partie  de  la  ville 


MUSTAPHA    BEN    ISMAEL  173 

demeurée  assez  entière  pour  que  le  maréchal  songeât  à  la  faire 
occuper  par  les  Français. 

D'autre  part,  l'occupation  définitive  de  cette  citadelle  ayant 
été  décidée,  il  était  du  plus  haut  intérêt  d'assurer  les  commu- 
nications de  Tlemcen  avec  la  mei-,  par  une  voie  plus  courte  et 
plus  facile  que  celle,  longue  de  liO  kilomètres,  qui  séparait 
cette  ville  d'Oran,  chef-lieu  du  commandement  de  la  province 
de  l'ouest. 

C'est  dans  cette  prévision  que  le  maréchal  Glausel  avait  fait 
occuper,  dès  la  fin  d'octohre  1833,  la  petite  ile  de  Rachgoun, 
qui  commande  l'embouchure  de  la  Tafna  et  n'est  séparée  de 
Tlemcen  que  par  une  distance,  nord  sud,  de  G5  kilomètres 
environ. 


Nouveau  combat  sur  la  Tafna 

(90  janvier  1836) 

■  Pour  faire  de  l'ile  de  Rachgoun  une  nouvelle  base  de  ravitail- 
lement, il  restait  à  créer  un  poste  fortifié  sur  les  bords  de  la  Tafna, 
près  de  son  embouchure,  en  face  de  l'île  même.  Le 
maréchal  Glausel  résolut  de  profiter  de  sa  présence  à  Tlemcen 
pour  pousser  une  reconnaissance  du  côté  de  la  mer  et  d'aller 
déterminer,  lui-même,  le  point  où  devraient  être  établis  le 
nouveau  camp  retranché  et  les  fortifications  projetées. 

Il  partit  de  Tlemcen  le  24  janvier,  ne  laissant  dans  cette  ville 
pour  la  garder,  que  la  l''^'  brigade  (général  Perregaux)  com- 
posée du  'I^  régiment  de  chasseurs  d'Afrique  (colonel  de  Gouzy) 
du  2"^  bataillon  de  Zouaves,  de  deux  compagnies  de  sapeurs  du 
génie,  du  bataillon  d'élite  composé  de  quatre  compagnies  de 
grenadiers  de  divers  régiments,  d'un  bataillon  du  17''  léger  et 
d'une  section  d'obusiers  de  montagne. 

«  La  mer  étant  si  près  de  Tlemcen,  pourquoi,  disait  Glausel, 
aller  la  chercher  à  Oran,  par  ces  longues  marches  en  pays 
ennemi  qui,  bien  plus  que  les  combats,  usent  et  fondent  les 
armées  ». 

.Les  cours  d'eau,  la  Saf-Saf  et  la  Sikkak,  qui  de  Tlemcen 
descendent  jusqu'à  l'île  de  Rachgoun,  après  s'être  jetés  dans  la 
Tafna,  avec  l'oued  Isser,  indiquaient  la  route  à  suivre. 


174  MUSTAPHA    BEN    ISMAEL 

Le  maréchal  envoya  à  Oran  l'ordre  de  diriger  vers  Rachgoun 
des  bâtiments  portant  des  blockhaus  et  du  matériel  pour 
l'établissement  projeté,  tandis  que  lui-même  s'y  rendait  de 
Tlemcen.  Un  des  ordres  envoyé  en  quadruple  copies  par  des 
nègres  qui  ne  voyageaient  que  la  nuit,  rampant  de  broussaille 
en  broussaille,  fut  intercepté  ?  Aussi,  à  la  stupéfaction  géné- 
rale, lorsque  l'armée  arriva  àllemchi,  contluentde  l'Isseravec 
la  Tafna,  l'ennemi  occupait  déjà  les  hauteurs  très  escarpées 
qui  couvrent  les  rives  de  la  Tafna,  depuis  ce  confluent  jusqu'à 
la  mer,  dont  la  route  se  trouvait  ainsi  barrée  par  les  Arabes. 

C'était  à  croire,  pour  l'honneur  de  l'Émir,  qu'il  avait  deviné 
les  projets  de  son  adversaire.  Pendant  le  peu  de  jours  qui 
s'étaient  écoulés  depuis  sa  défaite  de  Yebdar,  son  infatigable 
activité  était  parvenue  à  nous  susciter  de  nouveaux  ennemis. 
Il  avait  appelé  à  lui  tous  les  goums  de  l'ouest  de  la  province, 
tous  les  Kabyles  des  Traras,  ce  pâté  montagneux  qui  sépare 
Tlemcen  de  la  mer  ;  il  avait  môme  entrahié  à  sa  cause  la  puis- 
sante tribu  des  Beni-Snassen  du  Maroc. 

Toujours  supérieur  à  sa  fortune,  sachant  également  profiter 
des  leçons  du  malheur  et  des  chances  de  réussite,  il  employait 
tout  ce  qui  lui  restait  de  troupes  régulières  à  contenir  les 
tribus  qu'il  ne  pouvait  plus  soulever,  et  il  avait  cherché  et 
trouvé  sur  les  confins  du  Maroc  et  dans  ce  pays  même  les 
soldats  que  l'Algérie,  lasse  et  abattue,  ne  lui  fournissait  plus. 
Aussi  était-ce  avec  d'autres  éléments  que  l'Émir  venait  à  nou- 
veau s'opposer  à  la  marche  des  Français. 

Le  25  janvier,  vers  midi,  en  arrivant  sur  la  Tafna,  la  colonne, 
qui  comprenait,  outre  les  troupes  françaises  des  brigades 
d'Arlanges  et  de  Vilmorin,  400  Coulouglis  à  pied  et  600  cava- 
liers auxiliaires  Douairs  et  Smélas  sous  les  ordres  de  Musta 
pha  ben  Ismaël,  commença  à  être  attaquée  en  tête  et  en  flanc. 
Après  quelques  escarmouches  de  peu  d'importance,  une  charge 
du  Maghzen  dans  laquelle  les  cavaliers  de  Mustapha  coupèrent 
trente  têtes  aux  Kabyles,  suffit  pour  éloigner  les  groupes 
ennemis,  et  la  colonne  pût  établir  tranquillement  son  bivouac 
sur  le  plateau  de  Meldga,  juste  au  confluent  des  deux  rivières. 

Mais,  dès  le  soir,  on  vit  qu'une  grande  concentration  de 
forces  s'opérait.  De  tous  les  côtés,  aussi  loin  que  la  vue  pou- 


MUSTAPHA    MEN    ISMAEL  175 

vait  s'étendre,  on  voyait  accourir  des  contingents  d'hommes  à 
pied  et  à  cheval.  D'après  ces  indications  signiticatives,  le 
maréchal  Glauzel  jugea  prudent  d'appeler  à  lui  la  brigade 
Perregaux  pour  le  combat  qui  semblait  imminent. 

Le  26  au  matin,  le  maréchal  lit  [ranchir  Tisser  à  toutes  ses 
troupes,  moins  le  il^'  de  ligne  chargé  de  la  garde  et  de  la 
défense  du  camp.  L'action  commença  à  dix  heures  du  matin  ; 
elle  fut  engagée  par  Mustapha  ben  Ismaël  qui  fondit  avec  sa 
cavalerie  sur  les  forces  d'Abdelkader.  Les  hauteurs  de  gauche 
(ouestj  étaient  occupées  par  les  Kabyles  et  les  Marocains,  sous 
les  ordres  du  Khalifa  El  lîou-Hamedi,  chef  des  Oulhaça.  On 
disait  de  cet  intrépide  compagnon  d'Abdelka  1er,  qu'il  était  dur 
comme  un  Kabyle,  intelligent  comme  un  Arabe,  hardi  comme 
un  Turc  et  ambitieux  comme  un  roumi  (Européen). 

Abdelkader  s'était  établi  en  personne  sur  la  droite  avec  le 
reste  de  ses  troupes,  à  mi-côte  d'un  contrefort  descendant 
de  la  montagne  des  Sebà-Chiouck.  Le  maréchal  ne  lui  laissa 
pas  si  beau  jeu.  Ayant  laissé  son  convoi  en  sûreté  entre  les 
deux  rivières  sous  la  garde  du  ll*^  de  ligne,  afin  de  manœu- 
vrer plus  librement,  et  profitant  habilement  de  la  faute  qu'il  a 
provoquée  en  laissant  ignorer  à  l'ennemi  par  quelle  rive  il 
quitterait  son  camp,  il  se  jette  brusquement  sur  la  rive  droite 
en  franchissant  l'Isser  par  des  rampes  pratiquées  pendant  la 
nuit  par  le  génie.  La  2'"  brigade  (général  d'Arlanges)  tient  la 
droite  avec  les  fantassins  indigènes  et  le  bataillon  d'Afrique  ; 
la  3«  brigade  (colonel  de  Vilmorin)  avec  le  66«  de  ligne  et  le 
génie  combattent  au  centre  qui  se  relie  à  la  cavalerie  et  à 
l'artillerie  de  campagne  en  couvrant  la  gauche  sous  le  com- 
mandement du  colonel  de  Gouy. 

C'est  encore  à  Mustapha  ben  Ismaël  qu'est  confiée  la  pre- 
mière attaque.  Ce  brave  et  intrépide  guerrier  se  montre  à  la 
fois  général  et  soldat.  Il  comprend  avec  une  rare  intelligence 
de  la  guerre  et  exécute  avec  une  indomptable  témérité  la  pensée 
du  maréchal. 

Au  lieu  d'engager  un  combat  mou  et  éparpillé,  à  la  mode 
arabe,  il  crève  par  un  choc  impétueux  et  en  masse  le  centre  de 
l'ennemi,  avec  ses  fidèles  Douairs.  El  Mazari  à  la  tète  des 
Smélas  et  le  commandant  Yussouf  avec  les  fantassins  côulou- 


176  MUSTAPHA   BEN  ISMAEL 

glis,  l'appuient  et  dépassent  la  ligne  qu'ils  ont  enfoncée;  puis, 
se  rabattant  brusquement  sur  la  gauche,  ils  mettent  en  déroute 
l'aile  droite  de  l'ennemi  refoulée  en  désordre  vers  l'ouest, 
tandis  que  le  bataillon  d'Afrique  contient  et  éloigne,  par  ses 
feux  de  salve,  l'aile  droite  d'Abdelkader  coupée  du  centre  et 
de  la  droite  par  le  hardi  mouvement  de  Mustapha. 

Les  fantassins  indigènes  (Goulouglis)  enlevés  par  le  comman- 
dement de  l'impétueux  Yussouf,  justifient  amplement  ce  mot 
de  leur  vénérable  chef  au  maréchal  :  ((  Vous  serez  conteyit  de 
nous  !  ».  Sous  les  yeux  des  troupes  françaises,  ils  emportent 
vaillament  toutes  les  positions  et  chassent,  au  loin  dans  la 
plaine,  l'ennemi  débandé. 

Malheureusement  les  cavaliers  de  Mustapha,  emportés  par 
leur  ardeur  infatigable,  prompts  à  lancer  mais  plus  difficiles  à 
retenir,  s'éloignent  lieaucoup  trop  à  la  poursuite  de  leurs 
adversaires,  lesquels,  se  retournant  brusquement  et  voyant 
leur  petit  nombre,  les  enveloppent  et  les  i  amènent  sur  les 
lignes  françaises. 

Le  maréchal  Clausel,  qui  connaissait  leurs  tendances  à 
l'emballement  et  les  suivait  de  sa  lorgnette,  avait  prévu  cette 
éventualité  et  se  tenait  prêt  à  la  riposte.  Il  avait  fait  alléger  les 
chevaux  des  chasseurs  d'Afrique  des  paquetages  et  fait  monter 
les  cavaliers  en  selle  nue  ;  puis,  laissant  arriver  cette  masse 
confuse  à  bonne  portée  et  choisissant  le  moment  ou  les 
Douairs  et  Smélas,  arrivés  jusqu'à  lui,  ont  pu  rentrer  dans  le 
rang,  il  lance  à  la  charge  le  régiment  des  chasseurs,  du 
colonel  de  Gouy,  appuyé  d'un  bataillon,  sans  sacs,  du  66^  de 
ligne,  au  pas  de  course. 

Alors,  les  masses  marocaines  et  kabyles,  qui  s'avançaient 
croyant  prendre  leur  revanche,  sont  refoulées  en  désordre 
sur  toute  la  ligne  et  perdent  beaucoup  de  monde.  Les  Marocains 
sont  rejetés  sur  les  bords  escarpés  de  la  Tafna  et  précipités 
dans  le  gouffie  qu'ils  n'ont  plus  le  temps  de  refranchir  ;  la 
plupart  d'entre-eux  ne  peuvent  choisir  qu'entre  le  sabre  des 
chasseurs  d'Afrique  et  les  précipices  auxquels  ils  sont  acculés. 
L'escadron  turc  du  2*^  chasseurs,  commandé  par  le  Heutenant 
Mesmer,  qui  formait  le  premier  échelon  de  la  cliarge  et  se 
trouvait  le  plus  près  de  la  rivière,  en  fait  un  grand  carnage  ; 


MUSTAPHA   BEN   ISMAEL  177 

les  sabres  sont  rouges  de  sang.  Le  sous-lieutenant  Savaresse 
charge  un  porte-étendard  arabe  auquel  il  dispute  son  trophée 
et  tous  deux  périssent  en  roulant  dans  l'abîme. 

Tandis  que  le  fort  du  combat  se  passait  sur  l'aile  gauche 
française,  l'aile  droite,  commandée  par  le  général  d'Arlanges, 
maintenait  toujours  AbdelUader  isolé  du  restant  de  ses  troupes 
que  vainement  il  avait  tenté  de  rejoindre,  décimé  qu'il  était 
par  la  section  d'artillerie  de  la  1''^'  brigade,  dont  tous  les  coups 
portaient  dans  la  masse  des  burnous  blancs. 

Pendant  cette  brillante  action,  le  khalifa  Bou-Hamedi, 
voyant  les  périls  que  courait  son  maître,  tentait  une  diversion. 
Ayant  passé  à  son  tour  la  Tafna,  un  peu  au-dessous  du  confluent 
de  risser,  il  venait,  avec  élan  et  audace,  attaquer  le  convoi, 
objet  constant  de  l'attraction  en  campagne  et  de  la  convoitise 
des  Arabes,  qui  mettent  la  plus  petite  proie  au-dessus  de 
la  plus  grande  gloire. 

Mais  le  parc,  un  moment  menacé,  est  vivement  dégagé  par 
une  charge  à  la  baïonnette  des  grenadiers  du  ll'^  de  ligne, 
commandée  par  le  capitaine  Ripert  et  soutenue  sur  ses  ailes 
par  un  escadron  de  chasseurs  d'Afrique,  enlevé  par  le  brave 
commandant  Bernard,  qui  trouva  encore  là  pour  se  signaler 
avec  son  détachement,  tenu  en  réserve,  l'occasion  qu'il  savait 
toujours  faire  naître. 

Il  était  grand  temps  pour  Bou-Hamidi,  dont  la  tentative 
venait  d'échouer,  de  repasser  vivement  la  rivière,  .sous  peine 
d'être  aussi  coupé  à  son  tour.  Mustapha  ben  Ismaël  et  El 
Mazari,  qui  avaient  pu  reformer  leurs  escadrons  de  cavalerie 
auxiliaire,  sous  le  rideau  de  la  première  charge  des  chasseurs 
d'Afrique,  vinrent  lui  donner  le  coup  de  grâce  par  une  chasse 
émouvante,  lancée  dès  que  son  mouvement  de  retraite  fut 
dessiné. 

Les  Douairs  et  Smélas,  le  fusil  haut,  debout  sur  leurs 
étriers,  revinrent  au  camp  chargés  des  dépouilles  de  l'ennemi. 
C'est  encore  Mustapha  ben  Ismaël  et  ses  hardis  cavaliers  indi- 
gènes qui  eurent  ies  honneurs  de  cette  journée. 

La  victoire  restait  à  nos  troupes,  mais  Abdel kader  n'avait 
pas  dit  son  dernier  mot  ;  il  était  loin  de  s'avouer  vaincu.  Le 
lendemain,  27  janvier,  avant  de  poursuivre  sa  route  vers  la 

2 


178  MUSTAPHA    BEX    tSMAEL 

mer  et  de  s'engager  dans  les  gorges  étroites  de  la  Tafna,  le 
maréchal  Clausel  voulut  s'assurer  des  forces  de  l'ennemi  et 
attendre  le  renfort  de  la  brigade  Perregaux  appelée  de 
Tlemcen.  La  méfiance,  après  un  premier  succès,  est  une 
qualité  précieuse  à  la  guerre  :  le  maréchal  s'applaudit  de  ne 
l'avoir  point  oublié. 

Une  reconnaissance  de  cavalerie,  commandée  par  le 
capitaine  de  Montauban,  vint  en  toute  hâte  le  prévenir  que  de 
fortes  colonnes  ennemies,  de  cavalerie  et  d'infanterie  parais- 
saient au  nord  et  à  l'ouest,  marchant  vers  le  camp. 

Toutes  les  dispositions  de  combat  furent  immédiatement 
prises  pour  recevoir  le  choc.  La  situation  de  ces  3.500  français 
séparés  de  leurs  bases  d'opération,  Tlemcen  et  Rachgoun, 
acculés  aux  montagnes  de  la  Tafna  et  pressés  en  demi  cercle 
par  10.000  fanatiques,  eût  paru  critique  avec  tout  autre 
tacticien  que  le  maréchal  Clausel,  dont  la  tranquille  sérénité 
se  communique  bientôt  dans  tous  les  rangs. 

Renonçant  spontanément  à  continuer  sa  marche  vers  la 
mer,  à  travers  ces  gorges  de  la  Tafna  que  vingt  combats 
n'eussent  pas  réussi  à  dégager  de  la  présence  de  l'ennemi,  il 
envoi  le  convoi  en  arrière,  du  côté  de  Tlemcen  et  lui  fait 
gravir,  sous  la  garde  d'un  bataillon  d'infanterie,  cette  ligne 
de  crêtes  au-dessus  de  laquelle  se  trouve  le  plateau  où  s'élève 
de  nos  jours  le  village  de  Montagnac  (Remchi),  bordé  de 
précipices  de  trois  côtés.  Ainsi  posté,  le  convoi  se  trouve 
défendu  comme  dans  une  forteresse  naturelle.  De  cette  façon, 
tous  ses  mouvements  restent  libres,  sans  souci  de  son  parc  et 
de  ses  bagages  encombrants. 

Sur  ses  ordres,  les  quatre  autres  bataillons  d'infanterie 
prennent  position  sur  les  crêtes  de  droite  perpendiculaires  à  la 
route  de  Tlemcen  ;  la  cavalerie  se  poste  au  pied  des  collines,  à 
l'endroit  où  la  route  actuelle  fait  un  grand  lacet  pour 
descendre  dans  la  plaine,  couvrant  ainsi  ce  mouvement  de 
retraite  ;  la  cavalerie  auxiliaire  est  placée  au  centre,  à  la 
gauche  de  l'infanterie. 

A  peine  ces  dispositions  sont-elles  prises  que  l'ennemi 
attaque  à  la  fois  la  cavalerie  et  les  auxiliaires  indigènes  des 
deux   armes.    L'État-Major  est   étonné,   dans    cette  journée. 


I 


MUSTAPHA    BEN   ISMAKL  179 

de  voir  les  Arabes  s'avancer  en  bon  ordre,  avec  une  avant- 
garde  et  une  réserve,  sa  cavalerie  à  gauche,  son  infanterie 
à  droite,  dans  un  terrain  inégal  et  mamelonné. 

Ils  commencent  leur  attaque  avec  cette  audace  aveugle  et 
imprévoyante  que  l'ignorancp  du  danger  donne  à  des  jeunes 
troupes  enthousiastes  et  fanatiques  qui  n'ont  jamais  vu  le  feu. 

Les  chasseurs  d'Afrique  qui  avaient  devant  eux  un  ennemi 
dix  fois  plus  nombreux,  combattent  avec  leur  vaillance 
habituelle  ;  ils  entrent  comme  un  coin  dans  le  Ilot  des 
Marocains,  leur  enlèvent  des  armes  et  des  chevaux,  mais  ils 
sont  contraints  de  céder  devant  le  nombre  et  de  se  replier  avec 
calme,  en  se  rapprochant  des  lignes  de  l'infanterie.  Le  colonel 
de  Gouy  se  tire  honorablement  de  ce  mauvais  pas,  car  rien 
n'est  aussi  difficile,  devant  les  Arabes,  qu'une  retraite  lente  et 
méthodique,  après  une  charge  impétueuse.  Le  mouvement 
des  chasseurs  dut  être  aidé  par  le  feu  à  mitraille  de  la  section 
d'artillerie  de  campagne,  hardiment  dirigé  par  le  lieutenant 
Princeteau  et  soutenu  par  les  compagnies  d'éhte  du  iP  de  ligne. 

L'escadron  turc  de  notre  cavalerie  régulière  fit  encore  des 
prodiges  de  valeur  et  tua  plus  d'hommes  qu'il  n'en  comptait 
à  son  effectif.  Sur  la  gauche  de  notre  ligne,  les  Coulouglis 
à  pied  furent  enfoncés  par  la  cavalerie  marocaine  qui  les 
refoula,  en  les  obligeant  à  se  replier  vers  la  brigade  d'Arlanges, 
jusque  sur  le  bataillon  d'Afrique,  contre  lequel  leur  fougue 
vient  s'amortir. 

Ils  s'arrêtent  d'abord  devant  ce  mur  de  baïonnettes  et 
engagent  une  fusillade  très  vive  ;  puis,  renforcés  par  d'autres 
échelons,  devenant  plus  nombreux,  ils  essaient  de  déborder 
la  gauche  de  l'infanterie  française,  contre  le  front  de  laquelle 
Abdelkader,  visant  le  centre,  va  se  ruer  avec  toutes  ses 
forces  non  encore  engagées.  —  Le  moment  devient  critique  ! . . . 


Alors,  par  un  de  ces  coups  de  théâtre  si  communs  dans 
cette  guerre  d'Afrique,  oii  tout  est  soudain  et  éphémère,  le 
feu  cesse  sur  toute  la  ligne  de  l'ennemi  ;  les  masses  kabyles, 
fortement  engagées  sur  leur  aile  droite,  se  retirent  à  la  hâte 
sans  qu'aucun  mouvement  en  avant  de  notre  ligne  de  bataille, 


180  MUSTAPHA   BEN    ISMAEL 

ferme  comme  un  roc  et  immobile,  ait  motivé  cette  retraite 
inopinée  et  inexplicable. 

Craignant  un  piège,  le  maréchal  Clausel,  n'ayant  pas  encore 
le  secret  de  cette  énigme,  fait  suivre  avec  précaution  l'ennemi 
par  le  régiment  des  chasseurs  d'Afrique  et  les  cavaliers 
de  Mustapha  qui  avaient  formé  jusqu'alors,  ce  jour-là,  la 
réserve  de  cavalerie. 

Un  grand  mouvement  d'incertitude  se  manifeste  dans 
les  rangs  de  l'ennemi  en  retraite,  quand,  soudain,  des  coups 
de  canon  se  font  entendre  sur  la  gauche.  L'arrivée,  à  la  charge, 
d'un  officier  d'ordonnance  vient  enfin  donner  la  clef  de  tout 
ce  mystère:  C'est  le  général  Perregaux  qui,  parti  de  Tlemcen 
pendant  la  nuit,  a  quitté  sa  route  pour  marcher  au  canon, 
avec  l'instinct  du  véritable  homme  de  guerre  et  s'est  dirigé 
avec  une  précision  mathématique  sur  le  point  où  sa  présence 
devait  être  décisive,  si  la  retraite  de  l'ennemi  avait  pu  être 
douteuse. 

Ce  dernier,  engagé  dans  une  impasse,  menacé  sur  sa  droite, 
par  ce  renfort  inespéré  à  cette  heure  matinale,  sur  ses 
derrières  par  notre  cavalerie,  sur  le  point  d'être  pris  entre 
deux  feux  s'il  hésite  et  s'il  s'attarde,  juge  plus  sur  d'aban- 
donner le  combat  et  de  fuir  le  champ  de  bataille,  dès  qu'il  se 
voit  cerné.  L'Arabe  est  toujours  et  fatalement  vaincu  quand  il 
se  croit  tourné. 

L'on  pense  bien  que  Mustapha  ben  Ismaël  ne  laissa  pas 
passer  une  si  bonne  occasion.  Il  chargea  sur  les  talons  de 
l'ennemi  en  déroute  que  canonnait  vivement,  en  enfilade, 
l'artillerie  de  la  brigade  de  secours. 

Les  Douairs  et  Smélas  firent  des  ravages  considérables 
dans  les  rangs  des  Kabyles  en  fuite,  et,  comme  la  veille,  ils 
donnèrent  le  coup  de  grâce,  revenant  au  camp  chargés  des 
dépouilles  de  leurs  ennemis  vaincus. 

Dans  ces  deux  journées  de  combat,  la  troupe  de  Mustapha 
fut,  comme  toujours,  admirable  de  bravoure  et  d'entrain.  Les 
Arabes  eurent  plus  de  200  hommes  hors  de  combat.  Nos 
pertes  s'élevèrent  seulement  à  3  tués  et  48  blessés,  dont 
14  indigènes. 

La  marche  sur  Rachgoun  reconnue  impraticable  par  cette 


MUSTAPHA   BEN   ISMAEL  181 

nouvelle  expérience,  le  maréchal  fit  rentrer  ses  troupes  à 
Tlemcen  ;  les  laissa  en  repos  pendant  quelques  jours  et 
rentra  avec  elles  à  Oran,  le  7  février,  après  avoir  laissé 
un  bataillon  de  volontaires,  commandé  par  le  capitaine 
Cavaignac,  à  la  garde  du  Méchouar. 

Ce  fût  avec  des  transports  de  joie  et  d'allégresse  qu'on  apprit 
à  la  M'iéta  le  retour  du  grand  chef  Mustapha  ben  Ismaël,  de 
son  neveu  Mazari  et  des  cavaliers  Douairs  et  Smélas  qui  avaient 
survécu  à  toutes  ces  épreuves,  depuis  qu'ils  avaient  quitté 
leurs  tentes  deux  ans  auparavant.  Les  gens  de  la  plaine  se 
portèrent  en  foule  à  sa  rencontre,  vers  le  Tlélat  et  remercièrent 
le  maréchal  gouverneur  de  leur  avoir  rendu  leur  idole. 

ft  C'est  la  perle  réintégrée  dans  son  écrin  »  disaient-ils  aux 
généraux  français. 

Après  quelques  jours  de  repos  et  avant  de  regagner  Alger, 
le  maréchal  réorganisa  le  maghzen  d'Oran,  sur  des  bases 
définitives,  Mustapha  ben  Ismaèl  fut  nommé  agha  supérieur 
des  Douairs  et  Smélas  et  commandant  en  chef  des  alliés 
indigènes,  en  remplacement  de  Braham  hou  Chenack,  de 
la  M'iéta,  appelé  à  un  autre  commandement.  Le  caïd  Mazari 
fut  nommé  agha  de  Mostaganem,  sous  les  ordres  du  bey 
Ibrahim.  Mohamed  ben  Bachir  ould  Cadi  fut  nommé  caïd  de  la 
fraction  des  Douairs  et  Kaddour  ben  Saharaoui  ben  Mohktar, 
caïd  de  la  fraction  des  Smélas. 

La  cavalerie  auxiliaire  indigène,  ainsi  reconstituée,  fut 
placée  sous  l'autorité  du  général  d'Arlanges,  nommé  lieutenant 
général  est  appelé  au  commandement  de  la  division  à  Oran. 


Colonne  du  général  Perregaux 

{Mars  1830) 

Cette  année  1830,  qui  commençait  à  peine,  devait  être  fertile 
en  faits  d'armes.  La  soumission  des  Arabes  était  loin  d'être 
faite  dans  la  province  d'Oran,  et,  pour  atteindre  le  but,  le  plus 
difficile  restait  à  faire.  Malheureusement,  le  Ministre  de  la 
Guerre  demandait  des  résultats  et  refusait  le  temps  et  les 
moyens  de  les  atteindre,  puisque  l'etfectif  des  troupes,  déjà  si 


182  MUSTAPHA   BEN  ISMAEL 

restreint,  devait  être  encore  plus  affaibli  par  le  rappel  en 
France  des  deux  tiers  des  régiments  d'infanterie  détachés  à 
l'armée  d'Afrique  (12  sur  18), 

Cependant,  le  vide  qu'Abdelkader  entretenait  habilement 
autour  des  places  que  nous  occupions,  avait  pour  effet  d'affa- 
mer Oran,  notamment,  qui  manquait  de  vivres,  surtout  de 
viande.  Les  Douairs  et  les  Smélas,  nos  seuls  alliés,  étaient 
épuisés  par  les  précédentes  campagnes  et  n'avaient  plus  de 
bétail  à  nous  fournir.  Les  autres  Arabes  se  tenaient,  de  par  le 
mot  d'ordre  d'Abdelkader,  obstinément  éloignés  de  nos  mar- 
chés. Il  fallait  donc  aller  chercher  au  dehors  et  se  procurer 
ce  qu'on  refusait  de  nous  apporter. 

Le  23  février  1836,  les  troupes  de  la  Division  d'Oran  étant 
reposées  et  refaites,  le  général  Perregaux  sortit  inopinément 
de  la  place  avec  4.000  hommes,  et,  par  une  marche  rapide  de 
jour  et  de  nuit,  il  surprit  les  troupeaux  de  la  plaine  du  Sig  et 
enleva  aux  Gharabas  2.000  têtes  de  bétail,  ce  qui  ramena 
l'abondance  à  Oran. 

Le  Maghzen,  commandé  par  l'agha  Mustapha  ben  Ismaël, 
contribua  comme  toujours  au  succès  de  cette  fructueuse 
sortie,  en  pratiquant  la  razzia  à  la  mode  arabe. 

Le  14  mars,  le  même  général,  chargé  des  opérations  actives, 
sortit  une  deuxième  fois  d'Oran  avec  une  colonne  de  6.000 
hommes,  composée  de  trois  bataillons  d'infanterie,  trois  esca- 
drons de  chasseurs  d'Afrique  et  une  batterie  d'artillerie, 
comprenant  trois  pièces  de  campagne  et  trois  de  montagne. 
La  cavalerie  auxiliaire  de  Mustapha  ben  Ismaël  l'homme  indis- 
pensable à  chaque  coup  de  main,  était  forte  de  600  chevaux, 

La  colonne  alla  camper  le  premier  jour  à  la  fontaine  de  Gou- 
diel  et  le  15  mars  elle  se  dirigea  vers  la  Macta,  en  passant  par 
Arzew,  pour  aller  camper  à  Fornaka  chez  les  Abid  Chéra.qas. 
Le  16,  infléchissant  vers  le  sud  et  pénétrant  dans  la  plaine  de 
l'Habra,  elle  fit  sa  jonction  à  El-Hassian,  avec  le  colonel 
Combes,  le  bey  Ibrahim  et  le  caïd  Mazari,  qui  amenaient  de 
Mostaganem  deux  bataillons  d'infanterie  (47<'),  150  fantassins 
coulouglis  et  50  cavaliers  indigènes,  qui  portèrent  l'effectif  de 
cette  troupe  à  près  de  8.000  hommes. 

La  colonne  du  général  Perregaux  passait,  à  bon  droit,  pour 


MUSTAPHA   BEN   ISMAEL  183 

un  modèle  de  bonne  organisation  :  Les  transports  du  convoi 
étaient  admiralaicment  entendus  ;  les  marches  bien  réglées  et 
la  nourriture  du  soldat  augmentée  et  variée  suivant  une 
adaptation  plus  conforme  au  climat.  C'est  là  que  pour  la  pre- 
mière fois  on  fit  un  usage  régulier  des  distributions  de  sucre 
et  de  café,  et  que  le  riz,  employé  plus  fréquemment,  fit  désor- 
mais partie  de  l'ordinaire  de  la  troupe. 

On  fit  séjour  à  El  Hassian  ;  l'Émir  ne  se  montra  pas  mais  il 
envoya  son  agha  El  Habib  bou  Lhassen  avec  1.000  chevaux 
pour  observer  les  Français  et  les  isoler  des  populations  musul- 
manes afin  de  déjouer  leur  bat,  de  se  les  attacher  par  l'aman 
et  la  soumission. 

Le  18  mars,  au  matin,  au  moment  où  la  colonne  levait  le 
camp  pour  se  porter  à  Ferratas,  chez  les  Bordjia,  elle  fut 
serrée  de  près  par  les  nombreux  goums  d'El  Habib  bou 
Lhassen,  renforcés  des  Béni  Chougran  et  des  Abid  Chéragas. 
Le  général  Perregaux  résolut  de  se  débarrasser  par  un  coup  de 
vigueur  de  ce  blocus  incommode  qui  stérilisait  son  entreprise 
en  lui  interdisant  avec  les  Arabes  de  la  plaine  les  communica- 
tions et  les  soumissions  qui  étaient  son  but. 

Il  lança  brusquement  sur  ces  goums  tout  le  Maghzen  con- 
duit par  Mustapha  et  El  Mazari,  soutenus  par  la  cavalerie 
française  et  appuyés  par  toute  la  colonne  qui  les  suivait 
vivement. 

Le  vaillant  Mustapha  ben  Ismaël,  avec  sa  vigueur  habituelle, 
après  s'être  approché  le  plus  près  possible  à  petite  allure, 
fond  tout  à  coup  sur  l'ennemi,  commandé  ce  jour-là  par  un 
jeune  khalifa  de  l'Émir,  Si  ben  Fréha  ben  Khattir,  personnage 
important  de  la  famille  des  Hachem. 

II  le  charge  à  outrance  avec  cette  impétuosité  que  nous  lui 
connaissons,  le  disperse,  le  pourchasse  au-delà  des  montagnes 
et  lui  coupe  60  têtes  parmi  lesquelles  celle  d'un  porte-drapeau 
et  du  caïd  de  Kalâa,  Si  Mohamed  ben  Djilali. 

Deux  drapeaux,  50  chevaux  et  environ  2.000  têtes  de  bétail 
furent  les  trophées  rapportés  au  camp  français,  après  une 
poursuite  qui  ne  cessa  que  lorsque  le  dernier  cavalier  ennemi 
eut  disparu  dans  la  direction  de   Mascara.    La  déroute  des 


184  MUSTAPHA   BEN   ISMAEL 

Arabes  fut  complète  et  la  plaine  de  l'Habra  purgée  des  cavaliers 
d'Abdelkader  qui  ne  reparurent  plus. 

Après  un  repos  de  quarante-huit  heures,  la  colonne,  libre 
désormais  de  ses  mouvements,  traversa  le  21  mars  la  plaine  de 
Sirat  et  alla  s'établir  chez  les  Medjaers,  à  Aïn-Madar,  où  elle 
rççut  la  soumission  de  plusieurs  tribus  voisines. 

Le  reste  de  cette  campagne  ne  fut  qu'une  course  heureuse 
et  productive,  poussée  vers  l'Hil-Hil,  Bel-Hacel,  Sourk-el- 
Mitou,  Ennaro,  Mostaganem  et  Arzew,  qui  amena  la  soumis- 
sion de  tous  les  indigènes  de  la  rive  gauche  du  Chélif. 

Un  seul  fait  d'armes  digne  d'attention  se  produisit  seulement, 
lorsque  la  colonne  partant  du  gué  des  Oulad  Snoussi,  situé 
près  du  Meldga,  confluent  du  Chélif  et  de  la  Mina,  levait  son 
camp  pour  se  porter  vers  le  nord.  Elle  fut  vivement  attaquée 
par  les  tribus  non  encore  soumises  de  la  rive  droite  du  Chélif: 
Oulad  Khrelouf,  Beni-Zéroual,  Oulad  Bou-Kamel,  etc.,  qui 
vinrent  l'assaillir  inopinément  dans  les  terrains  boisés  et  cou- 
pés de  ravins  qui  séparent  Bel-Hacel  du  puits  d'Ennaro. 

Ce  fut  encore  une  nouvelle  occasion  pour  Mustapha  ben 
Ismaël  de  donner  des  preuves  de  cette  haute  capacité  militaire 
qui  le  distinguait  si  particulièrement,  et  pour  les  goums  des 
Douairs  et  Smélas  de  se  montrer  intrépides,  brillants  et  victo- 
rieux, dans  les  brusques  retours  offensifs,  si  vigoureusement 
menés,  qu'ils  exécutèrent  sur  l'ennemi,  pour  protéger  l'arrière- 
garde  et  éloigner  leurs  adversaires^  sans  cesse  culbutés  et 
refoulés  avec  de  grandes  pertes,  jusqu'à  Ennaro  où  ils  finirent 
par  disparaître  après  avoir  été  décimés  par  les  goums  du 
Maghzen,  toujours  aussi  ardents,  sous  le  commandement  de 
leur  vieil  agha. 

Dès  son  retour  à  Oran,  le  général  Perregaux,  blessé  du 
dualisme  entraîné  par  ce  détestable  système  du  double  comman- 
dement qu  on  lui  fiisait  partager  avec  le  général  d'Arlanges, 
quitta  la  division,  sur  sa  demande,  et  rentra  à  Alger. 

Son  nom  lui  survécut  dans  la  province  d'Oran  par  la 
création,  à  l'Habra  même,  qu'il  avait  pacifié,  de  la  petite  ville 
aujourd'hui  si  coquette  et  si  ombragée  qui  porte  son  nom. 
Gomme  Desaix,  en  Egypte,  Perregaux  reçut  le  surnom  de 
«  Sultan  juste  »  et  comme  lui  il  mourut  sur  un  champ  de 
bataille,  auprès  de  celui  dont  il  était  le  conseiller  et  l'ami. 


MUSTAPHA   BEN   ISMAEL  185 

Dar-el-Atchan 

(15  aoril  183(1) 

Pendant  que  le  général  Perregaux  paciliait  les  tribus  de  la 
région  orientale  de  la  province  d'Oran,  le  général  d'Arlanges, 
à  la  tète  d'un  petit  corps  de  troupes  réduit  à  1200  hommes, 
s'avança  vers  l'ouest  jusqu'à  Brédéah,  où  il  construisit  une 
redoute. 

Abdelkader,  qui  faisait  surveiller  ses  mouvements,  était  alors 
campé  à  la  fontaine  «  d" Aïn-el-Houtz  »  à  quelques  kilomètres 
au  nord  et  au-dessous  de  Tlemcen,  attendant  une  circonstance 
favorable  pour  agir  avec  quelque  succès  et  prendre  sa  revan- 
che de  la  Tafna.  Elle  ne  tarda  pas  à  se  présenter. 

On  se  souvient  qu'avant  de  quitter  Oran,  le  maréchal 
Glausel  avait  décidé  d'établir  un  camp  à  Rachgoun,  à  l'embou- 
chure de  la  Tafna  et  d'ouvrir,  de  là,  des  communications  pour 
ravitailler  Tlemcen.  Le  général  d'Arlanges,  resté  seul  à  la  tète 
de  la  Division,  était  chargé  de  cette  mission.  Les  forces  dont  il 
disposait,  jointes  à  celles  restant  libres  de  la  brigade  Perregaux, 
formaient,  après  la  rentrée  en  France  de  quelques  régiments, 
un  eiïectif  total  de  3000  hommes  mobilisables,  après  avoir 
pourvu  strictement  aux  besoins  de  la  défense  de  la  place 
d'Oran. 

C'est  avec  ce  faible  corps  de  troupes  que  le  nouveau  chef  de 
la  Division  dut  entreprendre  celle  double  mission  des  plus 
difficiles  et  des  plus  périlleuses.  La  colonne  réorganisée  se 
composait  de  6  bataillons  d'infanterie  (2600  hommes)  du 
i"''  bataillon  d'Afrique,  du  17e  léger  et  des  47«  et  66«  de  ligne  ; 
comme  cavalerie  :  de  150  cavaliers  auxiliaires  des  Douairs, 
commandés  par  Mustapha  ben  Ismaël  et  200  chevaux  du 
2*^  chasseurs  d'Afrique  ;  comme  artillerie  :  de  4  pièces  de 
campagne  et  4  obusiers  de  montagne;  enfin,  de  180  sapeurs  du 
génie,  commandés  par  le  colonel  Lemercier. 

L'entreprise  ordonnée  par  le  maréchal  Glauzel  était  d'autant 
moins  réalisable,  que  lui  même  y  venait  d'échouer  avec  un 
effectif  supérieur  ;  cependant  le  général  d'Arlanges,  homme  de 
cœur  et  de  discipline,  se  mit  immédiatement  en  campagne, 
sans  hésiter,  ni  réclamer,  comptant  sur  sa  calme  et  tenace 
fermeté  et  sur  les  excellentes  qualités  de  sa  petite  troupe. 


186  MUSTAPHA   BEN  ISMAEL 

Le  matériel  destiné  à  l'établissement  du  camp  de  Rachgoun, 
une  fois  embarqué  et  expédié  par  mer,  le  général  se  mit  en 
route  vers  le  sud  le  7  avril.  Une  si  faible  colonne  aurait  dû 
marcher  rai)idement  vers  le  but;  c'était  le  seul  moyen. d'em- 
pêcher l'Émir  de  pénétrer  ses  projets  et  de  rassembler  de 
nouveaux  contingents.  Il  n'en  fut  rien  ;  après  avoir  contourné 
le  grand  lac  salé  de  Misserghin  par  le  sud,  la  colonne  tut 
arrêtée  le  9  sur  l'oued  Heïmer  ;  le  9,  le  10  et  le  11,  le  général 
franchit  la  chaîne  du  Tessala,  par  le  col  d'Ain-Terzita,  afin 
d'y  vider  les  riches  silos  oii  les  Beni-Ameur  emmagasinaient 
leurs  grains.  Pour  ébranler  les  croyances  superstitieuses  des 
Arabes,  qui  disaient  cette  montagne  sacrée  et  infranchissable, 
les  troupes  furent  employées  pendant  ces  trois  jours  à  y  ouvrir 
un  chemin,  travail  sans  but,  resté  inachevé  ;  mauvais  emploi 
de  l'énergie  des  troupes  et  fâcheux  spectacle  pour  les  indigènes 
déjà  habitués  à  nos  inconséquences. 

Le  13  on  franchit  le  Rio-Salado  et  la  colonne  alla  camper 
sur  l'oued  Senan,  à  l'endroit  où  se  trouve  actuellement  Ain- 
Témouchent.  Le  14,  prenant  la  direction  de  l'ouest,  on  passa 
à  Aïn-Guettara,  et  à  midi  la  colonne  prenait  position  sur 
l'oued  Ghazer  ;  cela  faisait  sept  jours  d'employés  pour  franchir 
une  distance  qui  ne  dépasse  pas  75  kilomètres  en  droite  ligne. 

Cet  oued  Ghazer,  qui  se  trouve  sur  la  route  actuelle  de 
Témouchent  à  Beni-Saf,  un  peu  avant  d'arriver  au  nouveau 
village  de  Guiard,  est  un  affreux  ravin,  très  encaissé,  aux 
pentes  abruptes  coupées  de  failles  et  de  ressauts. 

Le  15,  la  colonne  quitta  l'oued  Ghazer  dès  la  pointe  du  jour  ; 
elle  gravissait  une  montagne  élevée  et  aride,  appelée  Dar-el- 
Atchan,  d'où  l'ennemi  s'était  déjà  montré,  épiant  ses  mouve- 
ments Le  flanc  gauche  (sud)  était  couvert  par  la  cavalerie  de 
Mustapha. 

Ce  vieux  tacticien,  qui  avait  la  pratique  éprouvée  des  diffi- 
cultés du  terrain,  voyant  cette  montagne  qui  fermait  perpen- 
diculairement l'entrée  du  défilé  long  et  tortueux  par  lequel  on 
s'était  imprudemment  engagé,  dit  au  général  qu'il  était 
dangereux  de  se  jeter  dans  cette  souricière  sans  avoir  déblayé 
le  terrain  en  avant  et  vaincu  ces  Kabyles  dont  les  rassemble- 
ments de  plus  en  plus  resserrés  devenaient  inquiétants. 


MUSTAPHA    llEX    ISMAEL  187 

Il  ne  cessait  de  demander  de  l'artillerie  et  proposait  de 
livrer  combat  avant  d'aller  plus  loin.  Son  avis  ne  prévalut  pas, 
ce  qui  eut  le  don  de  l'irriter.  Alors,  n'écoutant  que  son  instinct 
de  la  guerre,  plutôt  que  de  déférer  à  un  acte  de  discipline  et 
d'obéissance  qui  manquait  à  ses  yeux  de  sanction,  puisqu'il 
n'avait  ni  la  supériorité  de  la  raison  ni  celle  du  nombre  et  de 
la  force  brutale,  il  prit  subitement  la  résolution  d'attaquer  de 
lui-même  l'avant-garde  d'Abdelkader. 

En  comptant  d'être  soutenu,  il  reconnaissait  la  loyauté  du 
général  d'Arlanges,  auquel  il  croyait  de  son  devoir  de  rendre 
service  malgré  lui . 

Cette  attaque,  impétueuse  comme  à  l'ordinaire,  surprend  la 
tête  de  la  colonne  de  l'Émir  qu'elle  fait  d'abord  plier,  mais 
l'infanterie  qui  était  en  arrière  tint  bon  et  se  déploya  sur  les 
flancs  en  entourant  cette  poignée  de  cavaliers  Douairs.  Trop 
lier  pour  demander  du  secours,  le  brave  Mustapha  redouble 
d'énergie  pour  se  dégager. 

Contraint  d'accepter  le  combat  qu'il  aurait  du  engager,  qu'il 
n'a  pas  su  empêcher  et  qu'il  est  trop  tard  pour  rendre  décisif, 
le  général  d'Arlanges  qui  a  une  grande  estime  pour  Mustapha, 
malgré  sa  désobéissance,  envoie  lestement  les  chasseurs 
d'Afrique  pour  protéger  sa  retraite  et  lui  fait  réitérer  l'ordre 
de  se  replier.  Cela  n'est  plus  possible  ;  le  mouvement  de  flanc 
de  l'infanterie  kabyle  a  même  compromis  les  deux  escadrons 
de  chasseurs,  situation  réclamant  un  secours  qu'ils  ne  suffisent 
plus  à  donner. 

Un  bataillon  du  IT^  léger  et  deux  pièces  de  montagne  sont 
alors  détachés  pour  appuyer  la  cavalerie.  Le  renfort  arrivé  sur 
le  plateau  où  se  déroulait  l'action,  dégagea  la  cavalerie 
française  rendue  libre  de  ses  mouvements.  Mais  Mustapha ben 
Ismaël,  qui  avait  son  idée  ancrée  dans  la  tête  et  aurait,  pour 
l'entêtement,  rendu  des  points  à  un  Breton,  ne  veut  profiter 
du  renfort  qu'on  lui  envoie  que  pour  rendre  plus  inévitable 
encore  le  combat  auquel  son  général  s'obstine  à  vouloir  se 
soustraire. 

Il  reprend  la  charge  avec  ses  cavaliers,  qui,  malgré  leur 
courage  et  leur  valeur,  sont  bientôt  ramenés  en  déroute. 
L'affaire  prend  mauvaise  tournure.  A  travers  les  mailles  de  la 


188  MUSTAPHA    BEN    ISMAEL 

cavalerie  kabyle  qui  les  talonne  et  leur  coupe  des  têtes, 
débouche  l'infanterie  régulière  de  l'Émir  qui  vient  se  heurter 
au  bataillon  du  17^,  à  peine  fort  de  500  hommes,  lequel  est 
vivement  attaqué. 

C'est  alors  seulement  que  le  général  se  décide  à  agir. 
Laissant  ses  bagages  sur  le  revers  de  la  montagne  avec 
le  66'^  de  ligne  et  les  troupes  du  génie,  il  s'avança  en  bon 
ordre  avec  les  quatre  petits  bataillons  qui  lui  restaient 
et  avec  son  artillerie. 

Deux  pièces  de  canon,  habilement  mises  en  batterie  par  le 
colonel  Combes,  foudroient  de  leurs  coups  certains  les 
kabyles  qui  se  sont  entassés  dans  un  profond  ravin  pour 
tourner  la  droite  du  47^  ;  mais  cette  affreuse  boucherie 
n'arrête  pas  leur  tête  de  colonne,  toujours  hachée,  toujours 
renouvelée. 

«  Elle  arrive  jusque  sur  les  pièces  et,  sur  toute  la  ligne  de 
combat,  les  kabyles  chargent  avec  intrépidité  les  tirail- 
leurs de  notre  infanterie.  Cette  dernière  est  contrainte  de 
renverser  à  la  baïonnette  ceux  que  le  canon  épargne.  Nos 
braves  soldats  d'Afrique,  heureux  de  cette  lutte  corps  à  corps, 
plus  au  gré  de  leur  courage  et  de  leur  aptitude  spéciale  à  ce 
genre  de  combat,  tuent  à  l'arme  blanche  ces  intrépides 
adversaires,  dont  l'élan  fait  leur  admiration  et  qu'on  hésitait 
presque  à  mitrailler  en  masee.  Animés,  dit  le  duc  d'Orléans  (1), 
par  les  plus  nobles  passions  de  l'homme,  la  foi  musulmane  et  la 
haine  de  l'étranger,  les  fantassins  kabyles  se  dévouent  pour 
emporter  les  martyrs  du  canon  des  chrétiens,  et  n'abandonnent 
aucun  trophée  ou  Français,  dont  les  baïonnettes,  ce  jour-là, 
n'ont  conquis  qu'un  champ  de  bataille  ».  Le  sanglant  combat 
de  Dar-el  Atchan  nous  coûta  cher,  en  égard  au  petit  nombre 
des  combattants  :  10  tués  et  70  blessés.  Parmi  les  cavaliers  de 
Mustapha  plus  de  30  furent  mis  hors  de  combat  ;  la  plupart 
des  blessés,  transportés  à  l'ambulance,  vinrent  mourir  sur  les 
sables  des  bords  de  la  Tafna. 

Le  combat  finit  à  2  heures.  Le  soir,  sous  la  tente,  Mustapha 
ben  Ismaël,   loin  de  se  montrer  confus  et  repentant  de  son 


(l)  Les  Campagnes  d'Afrique. 


MrSTAPlîA    RKN    ISMAEL  i89 

attitude  du  luatin,  lit  les  plus  grands  elïoi-ts  pour  dissuader  le 
général  d'Arlanges  de  continuer  sa  marche  sur  la  Tafna.  Le 
vieux  Mustapha  n'était  pas  dupe  de  la  tactique  de  l'Émir,  dont 
le  but  évident  était  de  détruire  en  détail  cette  petite  troupe 
française,  engagée  malencontreusement  dans  ces  montagnes 
inextricables,  et  de  l'empêcher  de  parvenir  à  Rachgoun. 

«  Le  génie  inculte,  le  sauvage  bon  sens  de  ce  véritable 
homme  de  guerre,  ont  deviné  l'issue  de  la  situation  dont  le 
calme  apparent  aggrave  encore  le  péril.  Il  supplie  son  général 
de  ne  point  pénétrer  plus  avant  dans  les  montagnes,  sans 
avoir  encore  une  fois  mesuré  ses  forces  avec  l'ennemi  et  frappé 
un  grand  coup. 

—  «  Si  tu  parviens  à  dompter  ici  l'ennemi,  lui  dit-il,  lu 
deviendras,  alors  seulement  ,  libre  de  tes  mouvements. 
Si  tu  ne  peux  le  détruire,  ici,  estimes-toi  heureux  de  ne  pas 
l'avoir  rencontré  dans  ces  ravins  et  ces  défilés,  qui  se  referme- 
ront sur  toi  ». 

«  Le  lendemain  matin,  au  départ  de  la  colonne  et  comme 
dernier  argument,  Mustapha  descend  de  cheval  et  se  couche, 
comme  Souvorow,  en  travers  du  chemin,  sous  les  pas  du 
général.  Ce  dernier,  encore  irrité  de  leur  différend  de  la  veille, 
ne  veut  écouter  ni  ses  instances  prophétiques,  ni  cette  expres- 
sive protestation  du  vieil  agha  ;  il  engage  résolument  sa 
colonne  dans  le  défilé  ». 

Abdelkader,  comme  pour  escorter  une  proie  qu'il  croit  lui 
appartenir,  fait  harceler  l'arrière-garde  commandée  par  le 
colonel  Combes  qui,  au  moment  d'une  halte,  fait  braquer 
deux  pièces  sur  les  poursuivants  et  finit  par  les  éloigner  à 
coups  de  canon. 

Le  lendemain,  16  avril,  la  colonne  débouchait  sur  la  plage 
sablonneuse  de  la  Tafna  et  s'établissait  en  face  l'ile  de  Rach- 
goun, sur  les  hauteurs  de  la  rive  droite. 


190  MUSTAPHA   BKX    ISMAKL 

Sidi-Yacoub 

('J5  avril  1S36) 

Pendant  les  quelques  jours  que  dura  l'installation  du  camp 
retranché  et  des  blockhaus  construits  par  le  colonel  du 
génie  Lemercier,  la  prédiction  de  Mustapha  ben  Ismaël  se 
réalisa  !  La  population  kabyle  toute  entière  du  bassin  de  la 
Tafna,  de  Nédroma  et  de  la  frontière  du  Maroc  était  sous  les 
armes,  appelée  par  la  voix  fanatique  d'âbdelkader  ;  chaque 
jour,  nos  fourrageurs  étaient  attaqués  par  ses  éclaireurs,  mais 
le  gros  de  l'ennemi,  dissimulé  dans  les  montagnes  voisines,  ne 
se  montrait  pas,  afin  de  nous  inspirer  plus  de  sécurité  et  de 
confiance. 

Le  24  avril  au  soir,  voyant  le  relief  des  ouvrages  suffisam- 
ment avancé  pour  mettre  le  camp  à  l'abri  d'une  attaque  de 
vive  force,  le  général  d'Arlanges  dut  s'occuper  d'exécuter  la 
deuxième  partie  de  sa  mission  :  le  ravitaillement  de  la  garni- 
son de  Tlemcen.  Le  capitaine  Gavaignac,  toujours  bloqué  avec 
ses  500  volontaires  danâ  les  murs  du  Méchouar,  se  trouvait 
dans  la  situation  des  plus  pénibles.  Il  n'avait  été,  il  est  vrai, 
attaqué  qu'une  seule  fois  par  les  Arabes  qu'il  avait  repoussés  ; 
mais  depuis  son  isolement  du  reste  du  monde,  il  n'avait  pu 
faire  parvenir  que  deux  lettres  au  général.  L'active  et  étroite 
surveillance  d'Abdelkader  rendait  chaque  jour  la  correspon- 
dance plus  difficile,  et  la  situation  de  ce  prisonnier  volontaire 
plus  précaire. 

Le  Général  résolut  donc  de  pousser  une  reconnaissance  du 
côté  du  marabout  de  Sidi-Yacoub,  situation  élevée,  à  l'ouest 
du  camp,  sur  les  hauteurs  du  bord  de  la  mer  d'où  il  pouvait 
espérer  reconnaître  les  forces  de  l'ennemi  et  diriger  son 
expédition  sur  Tlemcen. 

Le  25  avril,  avant  le  jour,  il  se  mit  en  route  dans  cette 
direction,  avec  une  colonne  légère  de  1.500  hommes  de  toutes 
armes,  qui  passèrent  sur  la  rive  gauche  de  la  Tafna.  C'était 
trop  pour  une  reconnaissance,  pas  assez  pour  une  colonne  de 
combat,  mise  en  contact  avec  les  forts  et  nombreux  contingents 
de  l'Emir  accumulés  et  concentrés  pendant  ces   dix  jours 


MrsTArnA  ben  ismakl  191 

d'inaction:  troupes  dont  le  moral  se  tortillait  en  présence  de  cette 
poignée  de  Français  qu'on  se  vantait  de  jeter  bientôt  à  la  mer. 

Mauvais  pronostic  pour  le  début  :  le  gué  de  la  Tafn?.,  barre 
de  sables  mobiles,  comme  à  l'embouchure  de  toutes  les 
rivières,  fût  défoncé  au  départ  par  la  cavalerie,  avant  le 
passage  des  huit  pièces  d'artillerie,  dont  les  munitions  furent 
mouillées  et  avariées.  De  plus,  le  fruit  d'une  nuit  de  veille 
passée  par  l'infanterie,  en  silence  et  sans  feu,  se  trouva  perdu 
par  la  maladresse  des  sentinelles  qui  commirent  l'imprudence 
de  tirer  sur  des  patrouilles  volantes  de  l'ennemi  et  de  donner 
l'alerte  parmi  les  Arabes  aux  aguets. 

A  sept  heures  la  colonne  se  trouvait  rassemblée  sur  les 
hauteurs,  à  deux  lieues  du  camp,  près  de  Sidi-Yacoub  et 
continuait  sa  marche  lorqu'elle  .vint  heurter  une  grand'garde 
qui  se  replia  assez  vite  et  contre  laquelle  on  commit  la  faute 
de  tirer  le  canon  pour  la  disperser  ! 

((  C'est  le  rappel  de  l'armée  de  l'émir  que  l'on  bat  pour  le 
prévenir  ;  c'est  le  tocsin  des  bandes  kabyles  que  l'on  sonne 
dans  ces  montagnes  silencieuses,  oii  le  canon  retentit  à  des 
distances  immenses.  Ils  répondent  tous  à  la  voix  du  rassem- 
blement, mais  ne  se  montrent  pas  encore  ;  ainsi  le  veut  Abdel- 
kader  :  Plus  les  Français  seront  loin  de  leur  camp,  plus  il  en 
aura  facilement  raison.  » 

'Etonné  du  vide  qui  se  fait  autour  de  lui,  le  Général  s'arrête 
au  petit  hameau  de  gourbis  qui  entoure  le  marabout  de  Sidi- 
Yacoub.  Il  est  là,  sur  une  agglomération  de  contreforts  coupés 
de  ravins,  qui  domine  toute  la  contrée,  mais  qui  constitue  une 
mauvaise  position  défensive  II  envoie  alors  les  cavaliers 
indigènes  de  Mustapha  ben  Ismaël  à  la  découverte,  en  leur 
recommandant  de  rester  par  groupes  et  de  se  tenir  en  contact 
avec  lui. 

L'instinct  des  Douairs  livrés  à  eux-mêmes  reprend  le  dessus 
pour  le  malheur  de  la  colonne.  Dès  qu'ils  se  sentent  hors  de 
portée  de  leur  caïds  et  de  leurs  officiers,  les  cavaliers  du 
Maghzen  s'éparpillent  au  loin  ;  ils  font  la  découverte  pour  leur 
compte,  sur  la  droite  où  ils  ont  aperçu  des  troupeaux,  fouil- 
lent des  cabanes  et  des  gourbis  et  s'éloignent  à  perte  de  vue. 
L'imprévoyance  de  nos  cavaliers  auxiliaires  rend  inutile  la 


192  MUSTAPHA    BEN    ISMAEL 

prudente  circonspection  du  général.  Dès  qu'on  les  voit 
égrenés,  au  loin,  hors  de  portée  du  commandement,  les 
groupes  kabyles,  cachés  jusqu'alors,  s'avancent  drapeaux 
déployés  et  fusil  sur  l'épaule,  ils  s'approchent  de  toutes  parts 
rapidement  et  en  silence,  comme  de  vrais  soldats  aguerris  au 
combat  et  viennent  parader  jusqu'à  petite  portée  de  notre 
infanterie,  restée  en  position  à  Sidi-Yacoub. 

Dès  ce  moment,  le  but  de  la  reconnaissance  est  atteint. 
L'audacieuse  contiance  de  ses  allures  a  révélé  l'ardeur  et  le 
nombre  considérable  de  l'ennemi.  On  reconnaît  la  nécessité  de 
se  retirer,  mais  il  n'est  plus  temps. 

A  peine  a-t-elle  dessiné  son  mouvement  de  retraite  que  la 
colonne  est  assaillie  de  tous  les  côtés  à  la  fois.  Avec  une 
tactique  vraiment  surprenante,  les  Arabes  et  les  Kabyles, 
débouchant  par  toutes  les  gorges  et  s'emparant  de  toutes  les 
crêtes,  enveloppent  les  Français  sur  les  quatre  faces. 

Pas  un  de  nos  soldats  n'aurait  échappé  à  une  mort  certaine, 
si  l'Émir,  ébloui  par  cette  bonne  fortune  avait  eu  assez  de 
décision  pour  concentrer  tous  ses  moyens  d'action  sur  une 
seule  des  deux  proies,  entre  lesquelles  il  ne  sût  pas  choisir. 
Grisé  par  l'espoir  d'écraser  la  colonne  et  d'enlever  ensuite  le 
camp  de  Rachgoun,  il  diminua,  en  divisant  ses  forces,  son 
principal  avantage  et  l'unité  compacte,  en  envoyant  3000  hom- 
mes attaquer  nos  retranchements  qu'il  sait  presque  déserts, 
mais  que  le  colonel  Lemercier  défend  vigoureusement  en 
repoussant  les  assaillants. 

Le  coup  est  manqué.  La  molle  et  lointaine  tiraillerie  qui 
s'engage  à  Rachgoun,  ne  fait  même  plus  diversion  à  l'action 
principale'  de  Sidi-Yacoub,  qui  doit  décider  du  sort  de  la 
journée. 

Ici,  le  combat  devient  acharné  et  homérique.  Deux  faibles 
colonnes  d'infanterie,  commandées  par  les  colonels  Combes 
du  47e  et  Corbin  du  17'-'  léger  continuent  parallèlement  le 
mouvement  de  retraite  en  se  tenant  sur  les  crêtes,  déjà 
occupées  d'avance  par  l'ennemi.  A  l'arrière-garde  et  sur  les 
flancs,  un  rideau  de  tirailleurs  combat  pêle-mêle,  corps  à  corps 
avec  les  Kabyles. 

A  chaque  obstacle,   ravin   ou   mamelon,   il  faut  s'arrêter 


MUSTAPHA  liEN  ISMAEI.  193 

et  faire  un  retour  otïensif  pour  se  dégager  de  cette  affreuse 
mêlée.  Chacun  fait  des  prodiges  de  valeur  dans  ce  terrain 
broussailleux  sans  clairières  ni  sentiers  de  direction,  où  l'on 
ne  peut  charger  qu'isolément.  Plusieurs  fois  les  chasseurs 
d'Afri(iue  plongent  dans  ta  masse  principale  conduite  par 
l'Émir  en  personne,  donnant  le  temps  au  général  de  renforcer 
ou  de  remplacer  le  réseau  des  tirailleurs,  souvent  éclairci, 
dont  les  mailles  s'élargissant  de  plus  en  plus,  vont  bientôt 
livrer  passage  au  Ilot,  de  l'ennemi,  qui  s'est  déjà  emparé  de  nos 
morts  et  même  de  quelques  blessés. 

L'artillene,  dont  les  coups  sont  comptés,  obligée  à  ménager 
ses  munitions,  ne  tire  qu'à  coup  sur  et  comble  de  cadavres 
les  intervalles  ouverts  dans  nos  lignes.  Elle  sème  la  mort, 
mais  non  l'épouvante  ni  le  découragement;  elle  n'arrête  que 
ceux  qu'elle  tue  ;  elle  n'agit  que  sur  ceux  qu'elle  atteint.  Les 
autres,  sans  cesse  renouvelés,  viennent,  avec  ce  fanatisme 
froid  qu'on  leur  connaît,  chercher  de  plus  près  encore,  une 
mort  qu'ils  semblent  envier.  On  peut  voir,  dans  cette  circons- 
tance, combien  l'effet  matériel  des  moyens  de  destruction  est 
limité  contre  des  troupes  électrisées,  dont  le  moral  reste 
inébranlable. 

Un  instant,  une  compagnie  toute  entière  est  serrée  de  si  près, 
qu'il  faut  une  charge  de  cavalerie,  conduite  par  le  capitaine 
Bernard,  pour  arriver  à  la  dégager.  Bientôt,  engagés  sur  un 
terrain  qui  est  dominé  de  toutes  parts,  les -Français  se  trouvent 
exposés  à  un  feu  terrible.  La  topographie  du  lieu  ôte  tout 
avantage  à  l'artillerie  trop  gênée  dans  ses  mouvements  et, 
finalement,  les  tirailleurs  sont  partout  enfoncés,  ce  qui  permet 
à  l'ennemi  d'arriver  jusque  sur  les  colonnes.  Jamais  combat  plus 
acharné  n'avait  eu  lieu  encore  eu  Afrique.  Les  Kabyles,  dont 
l'audace  n'a  plus  de  bornes,  viennent  jusque  sur  les  canons  ; 
ils  saississent  par  les  roues  les  pièces  que  les  canonniers 
retiennent  par  l'affût  ;  on  se  hache  mutuellement  sans  se  faire 
lâcher  prise. 

Abdelkader  enflamme  leur  enthousiasme  ;  il  leur  montre  la 
mer  sans  vaisseaux  et  leur  crie  d'y  rejeter  les  mécréants  qu'elle 
a  vomis  sur  la  terre  africaine.  Un  effort  général  est  tenté  au 
moment  où  les  tirailleurs  évacuent  une  crête  immédiatement 

3 


194  MUSTAPHA    BEN    ISMAEL 

occupée  par  l'ennemi  ;  les  Kabyles  coulent  par  tous  les  flancs, 
comnfie  un  liquide  qu'on  verse.  II  faut  des  efforts  vraiement 
héroïques  pour  les  tenir  en  respect  et  les  empêcher  d'enfoncer 
les  colonnes.  Dans  cet  instant  suprême,  une  pluie  de  balles 
s'abat  et  frappe  ceux  que  la  crosse  ou  le  yatagan  ne  peuvent 
pas  entamer.  Le  lieutenant-colonel  de  Maussion,  chef  d'état- 
major,  les  aides  de  camp  sont  blessés  ;  le  général  lui-même 
est  atteint  au  cou  et  obligé  de  se  retirer  au  centre  d'un  carré. 
Les  soldats  français  tout  entiers  à  celte  lutte  inégale  que  leur 
courage  seul  permet  de  continuer,  n  apprennent  qu'ils  ont 
été  un  moment  sans  chef  qu'en  voyant  le  colonel  Combes 
prendre  le  commandement  et  changer  certaines  dispositions 
pour  sauver  le  restant  de  la  division  d'un  anéantissement 
presque  certain. 

Appelé  à  user,  en  cet  instant  solennel,  d'un  ascendant  et 
d'une  autorité  dont  il  n'avait  pas  toujours  fait  un  irréprochable 
emploi,  et  à  remplacer  un  général  avec  lequel  U  était  en 
délicatesse,  le  colonel  Combes  se  montra  supérieur  à  une  tâche 
aussi  difficile. 

Sa  sombre  et  dure  énergie  se  communique  comme  une 
traînée  de  poudre  et  inspire  une  confiance  sans  bornes  aux 
troupes  fermes  comme  un  roc.  Sous  son  commandement 
qu'enflamme  l'héroïsme  le  plus  pur,  les  deux  petites  colonnes, 
réduites  maintenant  à  quatre  compagnies  (tout  le  reste  est 
hors  de  combat  !)  exécutent  avec  un  élan  chevalei-esque  une 
charge  à  la  baïonnette.  Les  pièces  prises  par  l'ennemi  sont  enfin 
sauvées  et  le  capitaine  d'Etat-major  de  Martimprey,  qui  se 
multiplie  avec  une  égale  énergie,  a  retrouvé  un  chemin  pour 
les  remettre  en  batterie  sur  une  hauteur  voisine.  Les  tirailleurs 
aussi  dégagés  se  reforment,  mais  ils  sont  pressés  de  toutes 
parts  comme  par  les  anneaux  flexibles  d'un  vaste  serpent. 

—  «  Il  faut  donner  de  l'air  et  du  mouvement  à  la  colonne, 
crie  le  colonel  Combes  de  sa  voix  mâle  et  impérative,  nous 
étouffons  sous  le  poids  de  l'ennemi  !  » 

Alors,  il  fait  faire  la  navette,  tantôt  en  avant  tantôt  latérale- 
ment, à  ses  deux  petites  colonnes  qui  vont  habilement  recueillir 
les   compagnies  déployées,  et  à  chaque   retour   offensif  ce» 


MUSTAPHA  BEN  ISMAEL  195 

boules  de  neigo  se  grossissent  des  détachements  épars  et  des 
tirailleurs  aux  prises  pèle-iuêle  avec  les  Kabyles,  <|ui  sont 
ramenés  sur  la  réserve.  Le  front  resserré  et  rendu  plus 
compact  otTre  moins  de  développement  au  feu  de  l'ennemi  et 
l'ensemble  du  corps  expéditionnaire,  plus  maniable  opère 
plus  vite  et  plus  régulièrement  son  mouvement  de  retraite  ; 
ii'arrive  par  une  demi-conversion  en  arrière  et  à  gauche  à 
atteindre  la  dernière  crête  qui  borde  la  Tafna.  On  est  en  vue 
du  camp. 

Le  général  d'Arlanges,  qui,  malgré  sa  blessure  douloureuse 
a  repris  le  commandement  reparaît  au  milieu  des  troupes. 
11  félicite  le  colonel  Combes  de  ses  heureuses  dispositions  et 
lui  serre  la  main  devant  le  front  des  compagnies.  Il  trouve  sa 
petite  colonne  arrêtée  dans  une  position  où  se  trouvent, 
comme  des  bastions  naturels,  des  tertres  qui  abritent  enlin 
nos  malheureux  soldats,  et  un  plateau  découvert  qui  rend  à 
l'artillerie  et  à  la  cavalerie  la  possibilité  d'agir. 

Avant  de  reprendre  la  route  du  camp  sous  la  protection  de 
ses  canons  qui  tirent  à  toute  volée  sur  les  masses  profondes 
de  l'ennemi,  le  général  d'Arlanges  lui  fait  face  une  dernière 
fois  et  fait  brûler  ses  dernières  cartouches.  Ce  mouvement  qui 
refoule  enfin  l'ennemi,  est  appuyé  par  le  Maghzen  rassemblé 
avec  beaucoup  de  peine  par  Mustapha  ben  Ismaël  qui  salue 
Abdelkader  par-  une  dernière  charge  en  flanc  et  contribue 
ainsi  à  faire  cesser  le  combat  qui  a  duré  de  sept  heures  du 
matin  jusqu'à  midi. 

Les  cavaliers  du  Maghzen  obligés,  par  leur  imprudence 
du  matin,  de  combattre  séparés  et  coupés  de  la  colonne, 
eurent  cruellement  à  souffrir  dans  cette  terrible  mêlée  ;  leur 
conduite  fut  au-dessus  de  tout  éloge  et  nul  de  ceux  qui 
survécurent  à  cette  lutte  acharnée,  n'a  oublié  la  fière  et 
imposante  figure  du  vieillard.  Dix  fois  il  chargea  seul,  à  la 
tête  de  ses  cavaliers,  sans  être  appuyé  ni  soutenu  et  dix  fois 
les  multitudes  arabes  et  kabyles  reculèrent  épouvantées 
à  l'aspect  de  ses  drapeaux.  Les  Douairs  et  Smélas  rapportaient 
dans  nos  lignes  38  de  leurs  cavaliers  tués  ou  blessés  pendant 
la  durée  de  l'action.  Les  troupes  françaises  eurent  plus  de 


196  MUSTAPHA  BEN  ISMAEL 

300  hommes  mis  hors  de  combat.  Le  général  d'Arlanges  était 
plus  que  jamais  hors  d'état  de  porter  secours  au  capitaine 
Gavai  gnac. 

(A  suivre). 

J.  CANAL. 


-^=^1^ — 


ESSAI  Sllll  LA  FAIJM  flPlT 

DE   L'OFlAlSriE 

AVEC  DES  TABLEAL'X  ANALYTIQUES  ET  DES  NOTIONS 

POUR  LA  DÉTERMINATION  DE  TOUS  LES  REPTILES  &  BATRACIENS 

du  Maroc,  de  l'Algérie  et  de  la  Tunisie 


^v^.fvrvT-i^i^or*os 


Ce  travail  paraît  avant  l'heure  :  je  le  publie  quand 
même.  J'ai  hâte  de  mettre  entre  les  mains  des  modestes 
chercheurs  un  ouvrage  qui.  résumant  les  connais- 
sances acquises,  leur  permettra  de  s'initier,  sans  perte 
de  temps,  à  l'étude  d'une  des  ])ranches  les  plus  négli- 
gées de  l'Histoire  Naturelle. 

Combien  d'amateurs  deviendraient  d'utiles  auxi- 
liaires de  la  Science  si,  à  l'aide  de  livres  simples,  ils 
pouvaient  dénommer  les  êtres  de  la  Nature  auxquels 
ils  s'intéressent  ! 

C'est  pour  ces  d  irréguliers  de  la  Science  »  plutôt 
que  pour  les  initiés  que  j'ai  écrit  ce  livre.  Toutefois 
l'œuvre  de  vulgarisation  que  j'ai  entreprise  ne  m'a  pas 
fait  négliger  le  côté  purement  spéculatif  ;  les  erpétolo- 
gistes  trouveront  à  glaner  dans  les  détails  scientifiques 
que  je  donne. 

Tout  en  tenant  le  plus  grand  compte  des  travaux 
de  mes  devanciers,  je  me  suis  efforcé  de  faire  œuvre 
personnelle.  Étudiant  plus  souvent  la  Nature  que  les 
livres,  j'ai,  sans  nul  doute,  commis  des  erreurs  ; 
j'espère  me  les  faire  pardonner  en  présentant  des 
observations  inédites. 

Oran,  le  4  avril  1899. 

F.  D. 


INTUODUGTION 


Je  ne  sais  trop  comment  je  m'adonnai  à  l'étude  des  lézards 
et  des  serpents ....  Dans  mes  longs  voyages  botaniques  à 
travers  l'Oranie,  je  recueillais  toujours,  pour  le  Musée  d'Oran, 
les  espèces  intéressantes.  Faute  de  livres,  je  ne  pouvais  que 
rarement  nommer  les  animaux  que  je  rapportais.  La  mono- 
graphie algérienne  de  Strauch,  sur  les  reptiles,  et  celle  de 
M.  F.  Lataste,  sur  les  mammifères,  me  furent  seules  de  quel- 
que secours  (1).  Bieniôt  je  m'intéressai  plus  particulièrement 
aux  reptiles  qui  sont  plus  taciles  à  obtenir  que  les  mammiiëres. 
Grâce  à  l'ouvrage  de  Strauch,  je  fus  vite  au  courant.  Sans  ce 
livre,  il  est  fort  probable  que  je  ne  me  serais  jamais  occupé 
d'erpétologie. 

Mes  premières  études  ne  tardèrent  pas  à  me  convaincre  que, 
malgré  sa  valeur,  l'œuvre  du  savant  naturaliste  russe  avait 
besoin  d'être  mise  à  jour.  Je  résolus  dès  lors  d'apporter  ma 
pierre  à  l'édifice  dont  Strauch  avait  établi  les  fondements. 

Manquant  de  livres  et  de  matériaux,  je  tâtonnai  pendant  les 
premières  années.  En  1891,  le  travail  de  M.  G.  A.  Boulenger, 
l'éminent  erpétologiste  dyiErUish Muséum  de  Londres,  parut  à 
point  pour  m'aider  à  débrouiller  le  chaos  qui  s'était  fait  dans 
mon  esprit.  Il  n'en  fallut  pas  davantage  pour  m'encourager  ; 
je  redoublai  d'ardeur,  j'entrepris  de  longs  voyages  dans  le  Sud 
Oranais,  je  fis  faire  des  recherches,  j'eus  recours  à  l'obligeance 
d'amis  complaisants,  et  j'arrivai  à  posséder  des  matériaux 
suffisants  pour  ce  modeste  Essai. 

* 
*  * 

Je  ne  voulais  d'abord  publier  qu'un  simple  catalogue 
raisonné.  Mais  un  pareil  travail  n'aurait  été  d'aucune  utilité 
pour  les  débutants.  Aussi  est-ce  surtout  à  leur  intention  que 
j'en  ai  élargi  le  cadre. 


(l)  F.  Lataste:  Étude  de  la  Faune  des  vertébrés  de  Barbarie,  1885. 


ESSAI  SUR  LA  FAUNl'J  lORPÉïOLOGIQUE  DE  l'ORANÎE        190 

L'ouvrage  comprend  : 

1"  L'iiistoriquè  de  l'eriiélolugie  oruiiaise  ; 

2"  La  biblioi;rapl)ie  de  la  Berbérie  ; 

3"  Des  notions  sur  l'anatomio.  la  recherclie  et  la  conserva- 
tion des  reptiles  ; 

Un  chapitre  spécial  y  i!sl  consacré  au  traitement  des  mor- 
sures venimeuses. 

4°  Des  tableaux  dichotomiques  permettant  de  déterminer 
facilement  toutes  les  espèces  du  Maroc,  de  l'Algérie  et  de  la 
Tunisie  ; 

J'ai  étendu  ces  tableaux  à  toute  la  Berbérie,  persuadé  que 
sur  les  77  espèces  signalées  dans  cette  contrée,  près  de  70  se 
rencontreront  en  Oranie. 

5"  Les  diagnoses  de  toutes  les  espèces  de  la  province 
d'Oran  et  les  descriptions  des  espèces  litigieuses  ; 

J'ai  aussi  étudié  en  détail  quelques  espèces  critiques  de  la 
Berbérie. 

6°  Des  indications  sur  la  dispersion  géographique  des 
espèces  ; 

Cette  partie  de  mon  travail  est  loin  d'être  complète;  je  n'ai 
pu  tout  voir.  Des  recherches  restent  à  faire  principalement 
dans  la  vallée  de  la  ïafna,  le  long  de  la  frontière  marocaine  et 
dans  l'arrondissement  de  Mostaganem.  La  région  saharienne 
devra  être  revue. 

70  Des  notes  sur  les  mœurs  des  espèces  que  j'ai  pu  observer. 

Les  amateurs  et  les  colonseuxniêmes  pourront  en  tirer  des 
enseignements  utiles. 

En  résumé,  je  n'ai  négligé  ni  le  côté  pratique,  ni  le  côté 
purement  scientifique.  Sachant  d'avance  oi^i  l'on  buttera,  j'ai 
fait  tout  mon  possible  pour  supprimer  les  écueils.  Aussi 
j'espère  que  les  débutants  s'initieront  vite  à  l'étude  de  nos 
reptiles.  S'ils  veulent  ensuite  étendre  leurs  connaissances,  ils 
trouveront  dans  le  travail  de  M.  Boulenger,  une  œuvre  d'une 
précision  scientifique  incontestablement  supérieure  (1). 

Avant  de  terminer  cette  introduction  je  tiens  à  déclarer  que 
les  résultats  que  je  publie  sont  dus  pour  une  grande  partie  au 
précieux  concours  de  tous  ceux  qui  ont  bien  voulu  recueillir, 
dans  la  province,  des  reptiles  à  mon  intention.  Je  dois  citer 


d)  Voir  Bibliograpliie.  —  Boulenger;  Catalogue  of  Darbarij. 
Cette  œuvre  magistrale  est  écrite  en  anglais. 


200  INTRODUCTION 

tout  particulièrement  MM.  Hiroux,  de  Méchéria  ;  Pouplier, 
d'El-Abiod-SJdi  Cheikh  ;  P.  Pallary  et  de  LarioUe,  d'Oran,  qui 
ont  fait  pour  moi  d'importantes  récoltes.  MM.  Lafosse,  admi- 
nistrateur-adjoint de  la  Mékerra  et  Brunel,  géomètre,  m'ont 
aussi  envoyé  des  spécimens.  J'ai  trouvé  de  précieux  matériaux 
d'étude  dans  la  collection  de  M.  Paul  Mathieu,  d'Oran,  et  aussi 
dans  celle  de  M.  Moisson  qui  est  aujourd'hui  au  Musée  dOran. 

Je  me  fais  un  devoir  de  renouveler  à  tous  mes  plus 
sincères  remerciements. 

Il  me  reste  encore  à  rendre  un  public  hommage  à  l'illustre 
Maître  dont  la  science  erpétologique  fait  autorité  dans  le  monde. 
M.  G. -A.  Boulenger,  du  British  Muséum  de  Londres,  a  bien 
voulu  s'intéresser  à  mes  humbles  recherches,  m'encourager, 
me  fournir  les  matériaux  dont  j'ai  eu  besoin  et  m'aider  denses 
précieux  conseils.  Avec  un  désintéressement,  que  je  me 
plais  à  signaler,  il  m'a  donné  loyalement  son  avis  sur  toutes 
les  difficultés  que  je  lui  ai  soumises.  Je  ne  saurais  donc  trop 
lui  exprimer  ma  reconnaissance  pour  la  bienveillante  sollicitude 
dont  il  m'a  honoré  et  m'honore  encore. 

Je  dois  aussi  des  remerciements  à  la  Société  de  Géographie 
qui,  élargissant  le  cadre  de  ses  études,  a  donné  asile  à  mon 
travail  dans  son  Bulletin. 

Enfin  il  me  faut  rendre  particulièrement  hommage  à  la  bien- 
veillante attention  dont  M.  le  Ministre  de  l'Instruction  publique 
et  M.  le  Gouverneur  général  de  l'Algérie  ont  bien  voulu 
m'honorer.  En  encourageant  ce  modeste  travail,  ils  ont  tenu  à 
témoigner  de  l'intérêt  qu'ils  portent  aux  études  scientifiques 
concernant  l'Algérie. 


niSTOUlOUE 


Au  point  de  vue  erpétologique  la  province  d'Oran  a  été  très 
négligée.  C'est  à  peine  si,  depuis  1862,  quelques  voyageurs 
l'ont  parcourue. 

Pourtant  c'est  surtout  sur  des  matériaux  recueillis  en  Oranie 
queGuichenot,en  1850,  décrivit  les  reptiles  dans  (i^V  Exploration 
scientifique  de  V Algérie  y.  Les  quatre  planches  de  son  travail 
représentent  des  espèces  oranaises. 

C'est  aussi  dans  notre  province  que  Straucb,  en  1862,  trouva 
le  plus  d'éléments  pour  son  «  Essai  d'une  erpétologie  de 
V Algérie  ».  Depuis  lors  il  n'a  été  publié  que  quelques  notes 
sur  l'Oranie.  C'est  à  peine,  même,  si  quelques  amateurs  se 
sont  intéressés  à  nos  reptiles. 

Il  est  d'ailleurs  regrettable  d'avoir  à  constater  que  ce  sont 
surtout  des  Allemands,  des  Anglais,  des  Italiens  et  des  Russes 
qui  ont  le  plus  étudié  l'histoire  naturelle  de  la  Berbérie. 

Pendant  trente  ans  l'ouvrage  de  Strauch  a  été  le  seul  guide 
des  rares'  naturalistes  qui  se  sont  occupés  d'erpétologie 
algérienne.  Certes,  l'œuvre  n'est  pas  parfaite;  mais  elle  eut,  en 
son  temps,  une  grande  valeur.  Elle  reflète  l'esprit  d'un  homme, 
qui,  fortement  épris  de  la  Nature,  n  a  d'autre  but  que  de  faire 
profiter  les  autres  des  connaissances  qu'il  a  acquises. 

Le  travail  de  Strauch  comprend  des  tableaux  synoptiques  et 
les  descriptions  de  toutes  les  espèces  signalées  jusqu'alors  en 
Algérie.  Malheureusement  ces  descriptions  laissent  à  désirer 
car  elles  n'ont  pas  toujours  été  faites  sur  le  vif.  D'importantes 
indications  de  géographie  zoologique,  concernant  surtout  la 
province  d'Oran,  y  font  suite. 

Mais  si  à  Strauch  revient  le  mérite  d'avoir  publié  son 
remarquable  ouvrage,  à  d'autres,  plus  humbles,  revient  l'hon- 
neur de  lui  eh  avoir  facilité  les  moyens. 

Le  savant  erpétologiste  russe  avait  trouvé  en  Algérie  de 
précieux  matériaux  d'étude.  Il  avait  pu  étudier  les  collections 
de  Loche  et  de  Propliette  père,  d'Alger,  et  celles  de  Gaston  et 


202  HISTORIQUE 

de  Prophette  fils,  d'Oran.  Dans  son  travail,  il  attribua  loyale- 
ment à  chacun  d'eux  le  mérite  de  ses  découvertes. 

A  mon  tour,  je  m'empresse  de  saluer  la  mémoire  du 
naturaliste  Loche  qui,  le  premier,  réunit  à  Alger  les  spécimens 
zoologiques  de  l'Algérie.  Ces  magnifiques  collections  qui 
faisaient  partie  du  Musée  de  l'Exposition  permanente,  sont 
aujourd'hui  dispersées.  Ceux  qui  ne  s'opposèrent  pas  à  la  mise 
en  vente  du  Musée,  péchèrent  par  une  coupable  ignorance  ; 
mais  bien  plus  lourde  fut  la  faute  de  ceux  qui,  directement 
intéressés,  ne  surent  pas  conserver  à  l'Algérie  des  collections 
d'une  inestimable  valeur. 

Je  me  fais  aussi  un  devoir  de  rendre  hommage  à  la  mémoire 
de  Prophette  père  et  fils  et  de  Gaston,  à  celle  de  ce  dernier 
surtout  qui  fut  le  premier  erpétologiste  de  l'Oranie.  Tous  les 
trois  ont  rendu  service  à  la  Science  en  rassemblant  des 
matériaux  dont  un  savant  naturaliste  a  tiré  parti.  Ils  ont 
contribué,  par  leurs  modestes  recherches,  à  faire  connaître  la 
faune  des  reptiles  des  provinces  d'Alger  et  d'Oran.  Ces 
exemples  prouvent  donc,  une  fois  de  plus,  que  de  simples 
amateurs  peuvent  rendre  de  grands  services  à  la  Science. 
Pour  être  utiles,  ils  n'ont  qu'à  conserver  soigneusement  les 
animaux  ou  les  objets  qu'ils  collectionnent.  Tout  ce  que 
demande  la  Science,  c'est  que  chaque  échantillon  soit  accom- 
pagné d'une  étiquette  portant  le  lieu  de  provenance  et  la  date 
de  la  récolte. 

En  1867,  Lallemant  publia  son  «  Erpétologie  de  V Algérie  », 
qui  n'est  qu'un  abrégé  du  travail  de  Strauch.  C'est  à  peine  s'il  y 
est  fait  mention  de  quelques  localités  nouvelles  pour  l'Oranie. 

En  1891,  le  savant  travail  de  M.  G.  A.  Boulenger  vint 
réléguer  au  second  plan  celui  de  Strauch.  Depuis  1862,  la 
Science  avait  marché.  Aussi,  l'éminent  savant  du  British 
Muséum  a-t-il  apporté  dans  la  rédaction  de  son  étude  toute 
l'autorité  de  son  savoir  incontesté.  Il  est  toutefois  utile  de 
rappeler  —  et  M.  Boulanger  se  plaît  à  le  reconnaître  —  que 
c'est  grâce  aux  matériaux  recueillis  en  Algérie  et  en  Tunisie 
par  M.  F.  Lataste,  que  ce  travail  a  pu  être  mené  à  bonne  fin. 

Ce  qui  lait  la  valeur  de  l'œuvre  de  M.  Boulanger  c'est  que 
toutes  les  dénominations  que  ce  savant  a  adoptées  ont  été 


ESSAI  SUR  LA  FAUNE  ERPÉTOLOGIQUE  DE  l'ORANIE        203 

soumises  par  lui  à  une  minutieuse  critique.  Les  descriptions 
y  sont  aussi  d'une  précision  irréprociiable.  Seule  la  partie 
concernant  la  géographie  zoologique  est  incomplète  :  il  n'en 
pouvait  être  autrement,  car  c'est  aux  naturalistes  locaux  à 
combler  cette  lacune. 

C'est  surtout  sur  le  Maroc  et  sur  la  Tunisie  que  l'ouvrage 
de  M.  Boulanger  renferme  de  précieux  documents.  Ceux  qui 
concernent  l'Oraniesont  rares.  Seules  les  quelques  découvertes 
de  Bottger  et  celles  de  Maury  et  de  M.  Lataste  sont  venues 
grossir  le  catalogue  déjà  dressé  par  Strauch  pour  notre 
province. 

Ces  légères  et  inévitables  imperfections  ne  diminuent  en  rien 
la  valeur  d'une  œuvre  qui  fait  époque  dans  l'histoire  de 
l'erpétologie  algérienne. 

D'après  M.  Boulanger,  sur  les  76  espèces  barbaresques  qu'il 
énumère,  48  existent  en  Oranie. 

En  1894,  M.  Ernest  Olivier  a  publié  aussi  une  «  Herpétologie 
algérienne  ».  Cet  excellent  travail  est  malheureusement  trop 
écourté.  Des  tableaux  dichotomiques,  très  utiles  pour  la 
détermination  des  espèces,  en  forment  le  fond.  Les  descriptions, 
quoique  bonnes,  sont  un  peu  trop  brèves.  M.  E.  Olivier  n'a  rien 
ajouté  à  la  faune  de  l'Oranie.  En  revanche,  il  a  fait  de 
nombreuses  additions  à  la  géographie  zoologique  de  la 
province  de  Constantine.  Il  a  depuis  étudié  la  Tunisie.  Ce 
savant  zoologiste  est  un  de  ceux  auxquels  l'erpétologie  de  la 
Berbérie  orientale  doit  le  plus. 

En  résumé,  depuis  1862,  l'étude  des  reptiles,  dans  la  province 
d'Oran,  a  été  très  négligée. 


BIBLIOGRAPHIE  DE  LA  BERBERIE 


Voici  la  liste  des  ouvrages  qui  ont  été  publiés  sur  l'erpétolo- 
gie de  la  Berbérie  : 

Shaw  ,1.  —    Voyage  en  Barbarie  et  au  Levant.  Traduction 

française.  La  Haye,  1743. 
PoiRET.  —  Voyage  en  Barbarie.  Paris,  1802. 

?.  —  Esquisse  historique   et    médicale    de    l'expédition 

d'Alger,  en  1830.  Paris,  1881. 
RozET.  —  Voyage  dans  la  Régence  d'Alger.  Paris,  1833. 
Gervais.  —  Enumération  de  quelques  reptiles  provenant  de 

Barbarie.  Ann.  Se.  nat.,  1836. 
Wagner.  —  Reisen  in  der  Regentschaft  Algier.  Leipzig,  1841. 
Gervais.  —  Sur  les  Animaux  vertébrés  de  V Algérie.  (2<*  liste). 

Ann   Se.  nat.,  1848. 
GurcHENOT. —  Exploration  scientifique  de  l'Algérie.  Paris,  1850. 
Eichwald.  -  NaturJiistorischo  Bemerkungen  ûber  Algiers  und 

den  Atlas.  Nouv.  mém.  Soc.  nat.  Mos- 
cou, 185L 
Gervais.  —  Sur  quelques  opitidiens  d'Algérie.  Mém.  Ac.  Se. 

Montpellier,  1857. 
Labouysse.  —  Sur    les   Tortues  d'eau  douce  et  terrestres  de 

l'Algérie.  Ann.  de  la  Soc.  imp.  d'agr., 

d'hist.  nat.  et  des  arts  utiles  de  Lyon, 

1857. 
Gunther  a.  —  On  the  reptiles  and  Fishes  collected  by  the  Rev. 

H.  B.    Tristam   in   Northern   Africa. 

Proc.  zool.  Soc.  London,  18r>9. 
Tristam  H.  B.  —  The  Great  Sahara:  Wanderings  South  of  the 

Atlas  Mountains.  London,  1860. 
Strauch.  —  Essai  d'une  Erpétologie  de  l'Algérie.  Mém.  Acad. 

Se.  Saint-Pétersbourg,  1862. 
Lallemant.  —  Erpétologie  de  l'Algérie.  Paris,  1867. 
BÔTTGER  0.  —  Reptilien  von  Morocco  und  von  den  Canaris- 

chen    Inspln.     Abh.     Senckenb     Ges. 

Frankfurt,  1874  et  1877. 
Camerano.  —  Osservazioni  intorno  agli  anfibi  anuri  del  Ma- 

rocco.  Atti  Ac.  Turin,  1878. 


ESSAI  SUR  LA  FAUNE  ERPÉTOLOGIOUE  DE  L'ORANIE        205 

Lataste.  —  Description    de   reptiles  nouveaux  de  l'Algérie. 

Le  Naturaliste,  1880-1881. 
Lataste.  —  Liste  desVertébrés  recueillis  par  le  docteur  André 

pendant  l'expédition  des  Chotts.  Arch. 

miss,  scient.,  1881. 
BÔTTGER  0.  —  Liste  dervon  Herm.  D''  W.  Kobelt  in  der  Prov. 

d'Oran,  Algérien,  gesammelten  Krier- 

hthiere,  Ber.  Senckenb.  Ges.  1880-1881. 
GOLL.  —  Suv  le  fouette-queue.  Lausanne,  1882. 
BÔTTGER  0.  —  Die   Reptilien   und  Amphibien  von  Marocco. 

ii.^6/i.Senc/fen/>.Ges.Frankfurt,1883. 
Chasteigner  (de).    —     Un    lézard    algérien    destructeur    de 

serpents.  1883. 

BÔTTGER  0.  —  Liste  der  von  Herm.  Dr.  W.  Kobelt  in  Algérien 
und  Tunisien.  Frankfurt,  1885. 

Lataste.  —  Les  Acanthodactyles  de  Barbarie  et  les  autres 
espèces  du  genre.  Ann.  Mus.  de  Gênes, 
1885. 

Boulenger  g.  a.  —  On  the  Reptiles  and  Batraclnans  obtained 
Marocco  in  by  M.  Henry  Vaucher.  Ann. 
etMag.  N.  H.,  1889. 

Boulenger  G.  A.  —  Catalogue  of  the  Beptiles  and  Batra- 
chians  of  Barbarg  {Marocco,  Algeria, 
Tunisia),  based  chiefty  upon  the  ?s^otes 
and  Collections  niade  in  1880-1884  by 
M.  Fernand  Lataste  fin  Trans.  of  the 
Zoological  Soc.  of  London  vol.  xiii  ; 
part  3  ;  oct.  1891  ;  in.  4,  70  pages,  5 
planches. 

Anderson  John.  —  On  a  small  Collection  of  Mammals,  Rep- 
tiles, and  Batrachians  from  Barbary. 
(From  the  Procedings  of  the  Zool.  Soc. 
of  London,  Jannuary  5,  1892). 

Olivier  Ernest.  —  Herpétologie  algérienne.  Mém.  Soc.  Zool. 
de  France  189-1,  in. -8°,  36  pages. 

Olivier  Ernest.—  Les  Serpenta  de  la  Tunisie.  Bull.  Ass.  franc, 
pour  l'av.  des  se.  Tunis,  1896. 

Doumergue.  -  Contributions  à  la  faune  erpétologique  de  la 
province  d'Oran  {\oc.  cit.)  Tunis,  1896. 

Olivier  Ern.  —  Matériaux  pour  la  faune  de  Tunisie.  Bev.  se. 
du  Bourhonnais.  Clermont  1896. 
On  consultera  avec  grand  profit  : 


206  BIBLIOGRAPHIE   DE   LA   BERBÉRIE 

DuMERiL  et  BiBRON.  —  Erpétologie  générale.  Paris  '1834-1854. 

Toutes  les  espèces  recueillies  par  les  membres  de  l'Explora- 
tion scientifique  ont  été  décrites  dans  cet  ouvrage. 

AuDOUTN  ET  Savigny.  —  Exploration  scientifique  de  VEgypte 
et  Supplément.  Paris,  1818-1820. 

Cet  ouvrage  contient  un  magnifique  atlas  de  13  planches  oii 
sont  figurées  de  nombreuses  espèces  existant  en  Algérie. 

BouLENGER  G.  A.  —  Catalogue  des  Reptiles  du  British  Muséum. 
London  1885. 

C'est  le  plus  grand  monument  élevé  à  la  science  ei'pétologi- 
que.  * 


NOTIONS  GÉNÉRALES  SUR  LES  REPTILES 


Caractères.  —  Les  reptiles  sont  des  animaux  à  sang  froid  ou 
plutôt  à  température  variable.  Presque  tous,  au  moins  à  l'âge 
adulte,  respirent  par  des  poumons.  Leur  organisation  est 
intermédiaire  entre  celle  des  oiseaux  et  celle  des  poissons.  Les 
types  des  reptiles  sont  :  la  tortue,  le  lézard,  le  serpent,  la 
grenouille,  la  salamandre.  Les  reptiles  ont  été  divisés  en  deux 
grandes  catégories  :  les  reptiles  proprement  dits  et  les 
batraciens. 

Reproduct'iun .  —  Sauf  chez  les  batraciens  anoures  [crapauds, 
grenouilles)  il  y  a,  chez  les  reptiles,  un  véritable  accouplement 
des  sexes.  Le  pénis  est  simple  chez  les  tortues  et  les  serpents  ; 
il  est  double  chez  les  lézards.  Chez  les  urodèles  ^sa?a»?aH(ires, 
tritons)  le  pénis  existe  mais  il  est  très  modifié. 

Chez  le  mâle  des  reptiles  proprement  dits,  l'organe  copula- 
teur  est  logé  à  la  base  de  la  queue;  il  en  résulte  un  renfle- 
ment caractérisant  bien  le  sexe.  Lorsque  ce  renflement  n'est 
pas  saillant,  il  suffit  de  presser  la  base  de  la  queue  avec  les 
doigts  pour  en  faire  sortir  le  ou  les  pénis. 

Presque  tous  les  reptiles  .-îont  ovipares,  c'est-à  dire  que  les 
femelles  pondent  des  œufs.  Quelques-uns  mettent  au  monde 
des  petits  éclos  dans  le  ventre  de  la  mère;  on  les  dit  ovovivi- 
pares. Certaines  espèces  pondent  au  printemps  et  en  automne. 
La  dernière  ponte  peut  être  stérile.  Les  œufs  ne  sont  pas 
couvés  par  la  mère.  Ils  éclosent  sous  l'action  de  la  chaleur 
naturelle.  Les  petits  des  reptiles  proprement  dits,  naissent  sem- 
blables aux  parents  ;  ceux  des  batraciens  subissent  des 
métamorphoses. 

Locomotion. —  Les  tortues  marchent  ;  les  lézards  marchent, 
courent  et  grimpent;  quelques-uns  avancent  par  une  demi- 
reptation  à  cause  de  leur  organisation  serpentiforme  ;  les 
serpents  rampent  et  grimpent;  les  batraciens  nagent,  marchent 
et  sautent. 


:?08       ESSAI  SUR  LA  FAUNE  ERPÉTOLOGIQUE  DE  L'ORANIE 

Chez  les  serpents,  la  reptation  est  produite  par  des  ondula- 
tions bilatérales  du  corps  combinées  avec  le  redressement  des 
plaques  ventrales  qui  servent  de  points  d'appui.  Ils  grimpent 
aux  arbres  pour  y  chasser  les  oiseaux  et  détruire  les  nichées. 
Chose  plus  curieuse,  ils  peuvent  monter  le  long  d'un  mur 
finement  crépi. 

Mue.  —  Tous  les  reptiles  jouissent  de  la  propriété  de  changer 
de  peau  une  ou  plusieurs  fois  par  an.  C'est  ce  qu'on  appelle  la 
mue.  La  première  mue  se  produit  peu  de  temps  après  le  réveil 
printanier.  Ensuite,  selon  les  espèces,  elle  se  reproduit  tous 
les  mois  ou  à  des  intervalles  de  deux  à  trois  mois.  Elle  est 
fréquente  chez  les  têtards. 

A  l'approche  de  la  mue  les  reptiles  ne  mangent  pas.  En 
revanche,  quand  ce  laborieux  travail  est  accompli,  ils  absorbent 
une  grand  quantité  de  nourriture.  La  mue  commence  par  les 
lèvres.  Seule  cette  première  partie  de  l'opération  offre  quelque 
difficulté.  Mais,  lorsque  la  tète  est  dégagée,  le  reste  du  corps 
est  vite  débarrassé  de  la  vieille  défroque. 

Chez  les  batraciens  elle  s'enlève  d'une  seule  pièce.  Il  est 
curieux  de  voir  une  grenouille  enlever  sa  peau  comme  elle 
ferait  d'une  chemise  et  l'avaler  ensuite  pour  ne  pas  la  laisser 
perdre. 

Les  serpents  accrochent  à  un  buisson  leur  dépouille  entière 
et  retournée. 

Chez  les  lézards,  la  peau  se  détache  par  morceaux. 

Régénération  des  organes  amputés.  —  Les  lacertiens  et  les 
batraciens  jouissent  de  la  singulière  propriété  de  voir  se  régé- 
nérer certains  organes  amputés.  C'est  ainsi  que  chez  les  lézards 
la  queue  coupée  repousse  assez  vite.  Cet  organe  étant  très 
fragile,  est  rarement  intact  chez  beaucoup  d'espèces.  Comme 
le  renard  de  la  fable,  les  lézards  perdent  la  queue  à  la  bataille. 
Lorsqu'ils  se  querellent  ils  se  poursuivent  et  le  plus  fort  attrape 
le  fuyard  le  plus  souvent  par  la  queue.  Celui-ci  se  sauve  en 
laissant  une  partie  de  son  appendice  caudal  entre  les  mâchoires 
de  son  agresseur. 

C'est  au  moment  des  amours  que  ces  amputations  sont  le 
plus  fréquentes.  Le  mâle  qui  court  après  une  femelle  la  saisit 


ESSAI  SUR  T.A  FAUNE  ERPÉTOLOGIQUE  DE  L'ORANIE       209 

par  la  (|U(Uie  et  se  l'ait  traîner.  Si  la  femelle  résiste,  elle  l'isque 
Ibi't  (le  voir  sa  queue  coupée.  Cet  organe  se  reconstitue  petit  à 
petit.  Toutefois  la  partie  remplaçante  ne  ressemble  pas  absolu- 
ment à  la  partie  remplacée.  La  forme  des  écailles  n'est  plus  la 
même. 

Un  cas  curieux  est  celui  de  la  queue  fourchue.  Il  se  produit 
lorsque  l'organe  au  lieu  d'être  complètement  coupé  n"a  été 
qu'en  partie  brisé.  Si  une  vertèbre  caudale  est  écrasée  et 
fendue,  il  pousse,  sur  l'esquille  libre,  une  nouvelle  queue  qui 
se  gretï'e  sur  l'ancienne.  Chaque  branche  peut,  à  son  tour,  se 
bifurquer  dans  les  mêmes  conditions. 

Chez  les  batraciens  anoures,  la  queue  des  têtards  repousse  si 
elle  a  été  amputée. 

Mais  c'est  chez  les  batraciens  urodèles  que  la  régénération 
est  vraiment  extraordinaire.  Des  membres  entiers  peuvent  se 
reproduire.  Des  yeux  dont  on  a  fait  partiellement  la  résection 
se  reconstituent. 

Hibernation,  repos  esHval.  —  En  Algérie,  l'hibernation  n'est 
régulière  que  dans  la  région  montagneuse  élevée.  Partout 
ailleurs  il  suffit  que  le  soleil  échauffe  modérément  le  sol  pour 
voir  apparaître  quelques  espèces.  Ce  n'est  que  lorsque  la  terre 
est  mouillée  par  les  pluies  que  la  vie  active  des  reptiles  sarrête 
complètement.  Alors  les  batraciens  sortent. 

L'état  léthargique  est  donc  tout   à  fait  intermittent   pour' 
certaines  espèces.   Pour  les   autres,    il   est    en    général    de 
peu  de  durée.  Rares  sont  les  espèces  qui,  comme  le  caméléon, 
hibernent  pendant  de  longs  mois. 

Un  phénomène  plus  curieux  et  plus  régulier  est  celui  du 
repos  estrval.  On  croit  généralement  que  les  reptiles  recher- 
chent les  fortes  chaleurs  :  grande  erreur.  C'est  en  juillet  et 
août  que  les  reptiles  sont  le  plus  rares.  Ils  ne  sortent  aux 
heures  les  plus  chaudes  de  la  journée  que  s'ils  peuvent  se 
mettre  à  l'ombre. 

Il  est  difficile  d'établir  les  règles  du  repos  estival  ;  mais 
voici  ce  qui  se  produit  en  général. 

Dès  le  premier  printemps,  dans  le  dernier  mois  de  l'hiver 
même,   on  voit  courir  les  jeunes,  nés   l'année  précédente. 


tllO        ESSAI  SUR  LA  FAUXE  ERPÉTOLOGIQUE  DE  L'ORANIE 

Un  mois  après  les  adultes  apparaissent  et  remplacent  les  jeunes 
que  l'on  ne  revoit  généralement  que  bien  plus  tard.  Les  adultes 
s'accouplent  et  les  mâles  deviennent  rares.  En  juin,  juillet,  août, 
les  femelles  pondent;  elles  ne  disparaissent  à  leur  tour  que  lors- 
qu'elles ont  repris  l'embonpoint  perdu  à  la  suite  de  la  gestation. 
Les  petits  naissent  en  plein  été;  ils  soi-tent  aussitôt.  Dès  lors  on 
ne  voit  presque  plus  les  adultes.  Chose  curieuse,  ces  nouveau- 
nés  aflVontent  les  plus  fortes  chaleurs  tandis  que  leurs  parents 
se  cachent  pour  se  soustraire  aux  ardeurs  du  soleil. 

En  septembre,  lorsque  la  température  est  moins  élevée,  tous 
reviennent  à  la  vie  active  ;  jeunes  et  vieux  jouissent  des 
douceurs  de  l'automne.  Plusieurs  espèces  s'accouplent  de 
nouveau.  Les  premières  pluies  les  font  disparaître  ;  mais 
il  n'est  pas  rare  de  voir  quelques  espèces  pendant  les  beaux 
jours  de  l'hiver. 

On  trouvera  plus  loin  des  renseignements  plus  détaillés  sur 
la  vie  active  des  espèces  que  j'ai  pu  étudier. 

Les  serpents  craignent  encore  beaucoup  plus  la  chaleur  que 
les  lacertiens.  Dès  qu'il  fait  trop  chaud,  ils  ne  sortent  qu'à  la 
tombée  de  la  nuit.  Les  vipères  sont  essentiellement  nocturnes. 

Les    batraciens    hibernent    longuement  dans    les    régions 

froides.  Sur  le  littoral,  si  l'hiver  est  pluvieux,  ils  apparaissent 

dès  le  mois  de  janvier. 

La  durée   de   l'hibernation   varie   d'ailleurs    pour    chaque 
> 
espèce;  seule,  la  grenouille  hiberne  pendant  plusieurs  mois. 

Habitat.  —  Chaque  espèce  a  son  habitat  spécial.  Tandis  que 
certaines  recherchent  les  terrains  découverts,  bien  aérés, 
d'autres  préfèrent  les  bois  et  les  broussailles.  Tandis  que  les 
unes  se  plaisent  dans  les  endroits  rocailleux  ou  rocheux, 
les  autres  vivent  dans  les  sables. 

Toutefois,  on  ne  peut  poser  des  règles  précises  sur  l'habitat 
que  pour  une  région  restreinte.  Les  influences  de  lieu  et  de 
climat  le  modifient  presque  toujours  pour  les  espèces  qui  ont 
une  aire  de  dispersion  très  étendue. 

En  général,  les  lézards  recherchent  les  surfaces  nues  ou  peu 
broussailleuses  où  ils  peuvent  s'ébattre  et  fuir  à  leur  aise. 
Les  terrains  plats,  parsemés  de  grosses  pierres,  leur  conviennent 
à  merveille. 


ESSAI  SUR  LA  FAUNE  ERPl'yrOLOGlQUE  DE^^L'ORANIE        211 

Les  couleuvres  habitent  des  galeries  souterraines.  Dans  les 
terrains  pierreux  l'entrée  en  est  toujours  cachée  sous  une 
grosse  pierre   un  peu  enterrée  et  le  plus  souvent  plate. 

Les  vipères  lebetines  recherchent  les  lieux  très  rocheux  et 
très  broussailleux.  On  les  voit  rarement  en  terrain  nu.  La  vipère 
à  cornes  habite  les  sables  cl  les  touffes  d'alfa,  de  sparte  ou  de 
drinn  de  la  région  désertique. 

En  été  les  serpents  se  plaisent  dans  les  lieux  frais.  Dans  le 
Sahara,  ils  vont  se  réfugier  dans  les  oasis.  Ils  sont  alors  com- 
muns sous  toutes  les  pierres  des  palmeraies. 

Les  batraciens  habitent  les  régions  où  ils  peuvent  trouver  de 
l'eau  pour  se  reproduire.  Partout  ailleurs  ils  sont  rares. 
Le  discoglosse  et  la  rainette  ne  quittent  guère  les  lieux 
humides.  La  grenouille  ne  s'écarte  jamais  de  l'eau.  Enfin,  les 
crapauds  se  dispersent  partout  et  vivent  sous  des  pierres  ou 
dans  des  trous. 

Distribution  géographique.  —  Au  point  de  vue  de  leur 
dispersion,  les  reptiles  de  la  Berbérie  peuvent  être  répartis 
dans  deux  zones  bien  distinctes  :  la  zone  atlantique  et  la  zone 
saharienne.  Celle-ci  est  la  mieux  définie  car  elle  ne  s'avance 
guère  vers  le  nord  ;  l'autre,  qui  comprend  surtout  le  Tell, 
descend  sur  les  Hauts-Plateaux  et  a  de  nombreux  rapports 
avec  la  faune  circumméditerranéenne. 

Les  Hauts-Plateaux  n'offrent  donc  pas,  comme  pour  la  flore, 
une  zone  spéciale.  Certaines  espèces  atlantiques  et  sahariennes 
viennent  s'y  rejoindre.  Sous  l'influence  du  milieu  elles  s'y 
modifient  et  produisent  des  variétés  qui  en  rendent  l'étude 
difficile. 

Jusqu'ici  VOphiops  occidentalis  parait  être  la  seule  espèce 
propre  aux  Hauts-Plateaux  oranais.  Cette  exception  n'est  que 
momentanée^  car  ïophiops  qui  a  été  signalé  à  Biskra,  se 
rencontrera  probablement  un  jour  dans  la  région  saharienne 
de  la  province  d'Oran.  Il  est  à  Mécheria. 

La  région  des  Ghotts  constitue  à  peu  près  la  ligne  de  démar- 
cation des  deux  zones.  Mais  cette  ligne  n'est  pas  infranchissable 
et  plusieurs  espèces  comme  e  caméléon,  la  tarente,  l'acantho- 
dactyle  vulgaire,  le  fer 'à  cheval,  le  crapaud  vert,  etc.,  se 
rencontrent  depuis  le  littoral  jusqu'aux  oasis. 


'212        ESSAI  SUR  LA  FAUNE  ERPÉTOLOGIQUE  DE  l'ORANIE 

Alimentation.  —  Les  sauriens  et  les  batraciens  se  nourris- 
sent surtout  d'insectes.  Seul  le  lézard  de  palmier  est  herbivore, 
les  serpents  sont  carnivores  ;  ils  t'ont  leurs  victimes  préférées 
des  petits  mammifères  et  des  oiseaux  et  ne  dédaignent  pas  non 
plus  les  lézards  et  les  batraciens.  Les  tortues,  quoique  herbi- 
vores, se  nourrissent  aussi  d'invertébrés. 

f 

Utilité  des  reptiles.  ' —  En  général,  les  reptiles  sont  de 
précieux  auxiliaires  pour  l'agriculture.  Quelques-uns  sont 
malfaisants 

Voici  un  aperçu  du  rôle  utile  ou  nuisible  de  chaque  groupe  : 

Les  tortues  terrestres  produisent  quelques  dégâts  dans  les 
jardins  et  dans  les  récoltes.  En  revanche,  elles  se  nourrissent 
de  mollusques,  d'insectes  et  de  vers.  Leur  chair  est  estimée. 

Les  tortues  aquatiques  sont  nuisibles  dans  les  viviers. 

La  tortue  de  mer  ou  caouanne  est  souvent  vendue  sur  les 
marchés  et  consonunée. 

Tous  les  lézards  sont  essentiellement  insectivores.  Dans  les 
champs,  ils  débarrassent  les  plantes  de  nombreux  parasites. 
Ils  sont  surtout  friands  de  sauterelles. 

Dans  les  maisons,  les  tarentes  chassent  les  araignées  et  tous 
les  petits  insectes.  On  pourrait  y  employer,  plus  qu'on  ne  le 
tait,  le  caméléon  qui  est  un  grand  destructeur  de  mouches. 

Les  couleuvres  sont  à  la  fois  utiles  et  nuisibles.  Elles 
détruisent  les  campagnols,  les  souris  et  les  rats.  Elles  peuvent, 
dans  les  maisons,  remplacer  avec  avantage  les  chats.  Malheu- 
reusement, elles  sont  friandes  des  oiseaux  et  des  jeunes 
couvées.  Tout  compte  fait,  elles  sont  plus  utiles  que  nuisibles. 

La  couleuvre  d'eau  (vipérine)  détruit  les  jeunes  poissons 
et  les  batraciens  dans  les  viviers  et  les  cours  d'eau. 

Les  vipères  doivent  être  impitoyablement  détruites.  Il  serait 
bon  que  l'on  distribuât  des  primes  aux  ksouriens  pour  les 
engager  à  faire  une  guerre  acharnée  à  cette  affreuse  engeance 
qu'est  la  vipère  à  cornes. 

Les  batraciens  et  les  urodèles  sont  encore  plus  utiles  que 
les  lézards  et  les  couleuvres.  Ils  consomment  d'immenses 
quantités  d'insectes  de  toutes  sortes.  Aussi  devrait-on  multi- 
plier, surtout  dans  les  jardins,  les  crapauds,  les  discoglosses  et 


KSSAl  :^UR  LA   I  AUNE  ERPÉTOLOGIQUE  DE  L'ORANIE        'IV.i 

les  rainettes,  Toutefois  il  faut  éloigner  les  batraciens  des  viviers 
où  l'on  élève  de  jeunes  poissons. 

Quelques-uns  de  nos  reptiles  sont  comestibles.  Les  Arabes 
du  Sahara  consomment  le  varan,  le  scinque  ou  poisson  de 
sable  et  le  fouette-queue.  L'Européen  mange  parfois  les 
couleuvres,  les  tortues  et  surtout  les  grenouilles.  Ces  dernières 
lui  otl'rent  un  mets  délicieux  dont  il  ne  doit  pas  cependant 
abuser. 

Nécestiité  de  l'étude  des  reptiles.  —  Puisque  les  reptiles  sont 
les  uns  utiles,  les  autres  nuisibles,  il  faut  pouvoir  les  distinguer. 
Pour  cela  il  est  indispensable  de  posséder  des  notions  d'erpé- 
tologie. Malheureusement  l'étude  de  cette  science  a  été  très 
négligée.  Si  elle  a  tenté  des  savants  éminents  elle  n'a  jamais 
eu  autant  d'adeptes  que  les  autres  branches  de  l' histoire 
naturelle.  Cela  tient  beaucoup  plus  à  Timpression  de  dégoût 
qu'inspirent  les  reptiles,  qu'au  danger  souvent  imaginaire  qu'ils 
font  courir  :  la  preuve  en  est  qu'on  s'habitue  assez  vite  à  manier 
un  élégant  lézard  ou  une  gentille  rainette.  On  peut  d'ailleurs 
se  faire  la  main  en  négligeant  d'abord  l'étude  des  serpents. 

L'appréhension  du  début  étant  vaincue,  il  n'y  a  aucune 
raison  pour  ne  pas  admettre  que  l'étude  des  reptiles  est  tout 
aussi  intéressante  et  tout  aussi  utile  que  celle  des  fleurs,  par 
exemple.  Tout  s'enchaîne  dans  la  Nature  :  l'homme,  le  mam- 
mifère, l'oiseau,  le  reptile,  le  poisson,  l'insecte,  la  plante,  la 
roche  sont  les  unités  d'un  tout  dont  la  synthèse  n'a  de  valeur 
que  par  la  précision  et  l'étendue  de  l'analyse.  Pour  connaître 
le  tout,  il  est  nécessaire  d'étudier  lesélémentsqui  le  composent. 
Nier  l'utilité  de  l'étude  d'un  groupe,  c'est  nier  l'utilité  de  l'étude 
de  la  Nature  elle-même.  Or  nul  ne  s'avisera  aujourd'hui  de 
soutenir  que  les  sciences  naturelles  n'ont  pas  été  fécondes  en 
résultats  pratiques.  Elles  sont  devenues  une  des  conditions 
essentielles  du  progrès  humain  ;  c'est  sur  elles  que  reposent 
en  partie  nos  idées  philosophiques  et  nos  principes  d'organi- 
sation sociale. 

Il  devait  forcément  en  être  ainsi,  car  l'homme,  en  étudiant  la 
Nature,  s'est  découvert  lui-même.  C'est  en  observant  les  mœurs, 
les  conditions  d'existence,  les  moyens  mis  en  œuvre  dans  la 


214        ESSAI  SUR  LA  FAUNE  ERPÉTOLOGIQUE  DE  L'ORANIE 

lutte  pour  la  vie  chez  les  animaux:  qu'il  est  arrivé  à  se  connaître. 
En  arrachant  à  la  matière  organique  les  secrets  des  phéno- 
mènes qui  l'animent,  il  s'est  enfin  aperçu  qu'il  n'était  lui-même 
qu'un  chaînon  de  la  série  animale.  Il  a  compris  alors  que, 
soumis  aux  mêmes  lois  que  les  êtres  qui  l'entourent,  il  devait 
travailler  à  son  propre  bonheur  et  ne  pas  l'attendre  d'une 
puissance  surnaturelle  qui  ne  peut  rien  changera  un  ordre  de 
choses  établi. 

L'homme,  pour  se  développer  et  pour  s'améliorer  n'a  donc 
qu'à  étudier  la  Nature  :  partout  il  trouvera  des  tableaux  à 
admirer,  des  exemples  à  suivre,  des  spectacles  à  fuir. 


ESSAI  SL'R  LA  FAUNE  ERPKTOLOGIQUE  DE  r/ORAXIK        215 

RECHERCHE  ET  CONSERVATION  DES  REPTILES 


Il  y  a  des  reptiles  partout  ;  mais,  en  général,  les  espèces  sont 
localisées.  On  ti'ouvera  plus  loin,  pour  chaque  espèce, 
les  renseignements  concernant  son  habitat.  Pour  le  moment,  je 
me  bornerai  à  donner  quelques  indications  sur  les  époques  les 
plus  propices  pour  la  recherche  de  ces  animaux. 

Dès  le  mois  de  décembre,  après  les  pluies  d'automne,  si 
la  température  est  douce,  on  devra  rechercher  les  batraciens 
urodèles.  On  visitera  les  flaques  d'eau  des  vieilles  carrières, 
les  mares,  les  puits,  les  bassins,  les  citernes,  les  galeries  souter- 
raines, etc.  Il  serait  très  intéressant  de  trouver  les  têtards  et 
les  adultes  des  animaux  de  ce  groupe  ;  ils  sont  à  peu  près 
inconnus  en  Algérie.  L'époque  de  leur  apparition  est  loin 
(i'être  établie.  Il  est  même  fort  probable  que  ce  n'est  qu'en 
février  ou  en  mars  qu'ils  se  montrent  dans  les  eaux  exposées  à 
la  lumière  du  jour. 

Si  1  hiver  est  tiède  et  humide,  certains  batraciens  anoures 
se  recherchent  de  bonne  heure.  Dès  la  fin  de  janvier,  le 
discoglosse  jette  le  premier,  dans  le  calme  de  la  nuit,  son  timide 
chant  d'amour.  En  même  temps,  la  rainette  remplit  l'air  de 
ses  cris  assourdissants.  Normalement  ces  deux  espèces  ne 
commencent  guère  à  pondre  qu'à  partir  du  15  février. 

Les  crapauds  sortent  aussi  en  hiver,  mais  ils  ne  s'accouplent 
que  lorsque  les  rayons  du  printemps  ont  échauffé  les  nappes 
d'eau. 

La  grenouille  apparaît  la  dernière. 

L'époque  de  l'accouplement  pour  chaque  espèce  de  batracien 
varie  avec  le  régime  des  pluies. 

Pendant  les  années  sèches,  les  pontes  sont  tardives,  très 
irrégulières  et  très  réduites.  Il  n'est  pas  rare  alors  de 
rencontrer  des  têtards  presque  toute  l'année,  même  en  juillet. 

C'est  surtout  pendant  la  période  des  amours  qu'ii  faut 
rechercher  les  batraciens.  On  trouvera  alors  les  mâles  et  les 
femelles  accouplés,  ce  qui  permettra  de  les  distinguer  facile- 
ment. On  pourra  aussi  recueillir  des  têtards,  les  élever  et  faire 
des  observations  intéressantes. 


216        ESSAI  SUR  LA.  FAUNE  ERPÉTOLOGIQUE  DE  L'ORANIE 

C'est  pendant  les  mois  d'avril,  mai,  juin,  septembre  et 
octobre,  que  les  sauriens  et  les  serpents  sont  le  plus  communs. 
La  température  de  ces  mois  convient  à  merveille  à  presque 
toutes  les  espèces  ;  et  rares  sont  celles  qui  affrontent  les 
chaleurs  torrides  de  l'été.  Quelques-unes  se  trouvent  aussi 
en  automne  et  en  hiver  si  ces  saisons  ne  sont  pas  pluvieuses. 

Chaque  espèce  ayant  son  habitat  particulier,  il  faut,  pour  en 
recueillir  plusieurs  dans  une  région,  visiter  les  divers  points 
qui  diffèrent  soit  par  la  constitution  géologique  du  sol,  soit 
par  l'exposition,  soit  par  l'altitude,  soit  par  la  nature  de  la 
végétation,  etc. 

Ustensiles  de  citasse.  —  L'énumération  des  ustensiles  de 
chasse  ne  sera  pas  longue  :  des  petits  sacs  en  toile  suffisent.  Il 
est  pourtant  nécessaire  de  compléter  l'outillage  avec  une 
badine,  un  léger  piochon  et  un  flacon  d'alcool.  De  longues 
pinces  peuvent  aussi  être  employées  ;  je  n'en  suis  pas  partisan. 
Si  l'on  doit  explorer  une  localité  '  habitée  par  les  vipères, 
il  est  prudent  de  se  munir  d'une  bonne  paire  de  guêtres  et 
des  objets  nécessaires  à  un  premier  pansement.  Il  faut  avoir 
toujours  sur  soi  un  flacon  d'alcali,  ne  serait-ce  qu'en  prévision 
de  la  piqCu'e  des  scorpions  si  communs  sous  les  pierres. 

La  confection  des  sacs  demande  quelques  soins.  Ils  devront 
être  en  toile  aussi  mince  et  aussi  solide  que  possible  ;  les  cou- 
tures devront  en  être  soigneusement  rabattues  de  peur  que  les 
lézards  ne  les  effilochent  avec  leurs  griffes.  Il  faut  éviter 
avec  soin  de  mouiller  les  sacs,  la  toile  en  se  resserrant  empê- 
cherait l'air  de  pénétrer  à  travers  les  mailles  du  tissu,  et  les 
animaux  pourraient  être  asphyxiés.  Pour  les  batraciens,  il  est 
nécessaire  d'employer  des  sacs  faits  avec  un  tissu  en  réseau. 

Des  sacs  en  cuir  seront  utiles  pour  les  vipères.  On  peut  les 
remplacer  par  deux  sacs  en  toile  forte  et  solidement  cousue, 
l'un  contenant  l'autre. 

Chasse.  —  La  capture  des  reptiles  n'est  pas  difficile  ;  un  peu 
d'agilité  et  quelque  dextérité  suffisent.  L'arme  la  plus  employée 
pour  la  chasse  est  la  main.  Elle  permet  de  mesurer  la  pression 
à  exercer,  sans  abîmer  l'animal.  On  prend  les  batraciens  à 
pleine  main  ;  on  saisit  les  serpents  et  les  lézards  par  le  cou. 


a 


ESSAf  SUR  LA  FAUNE  ERPKTOLOGIQUE  DE  L'ORANIE       217 

Il  est  absolument  nécessaire  d'apporter  beaucoup  d'atten- 
tion à  la  recliercbe  des  reptiles,  et  l'on  ne  doit  jamais  négliger 
les  règles  d'élémentaire  prudence  que  cette  cbasse  impose. 
Lorsqu'on  soulève  une  pierre,  il  faut  examiner  rapidement 
et  avec  soin  le  sol  qu'elle  recouvrait,  afin  de  ne  pas 
lancer  la  main  sur  un  scorpion  ou  sur  une  vipère.  S'il  n'y  a 
rien  à  craindre,  on  saisit  vite  l'animal  par  le  cou  pour  éviter 
d'être  mordu.  D'ailleurs,  la  morsure,  même  d'un  gros  lézard, 
n'olïre  aucun  danger.  Il  est  toutefois  désagréable  d'être  pincé 
par  ses  solides  mâchoires. 

Il  ne  faut  pas  se  frotter  les  yeux  avec  les  doigts  lorsqu'on  a 
manié  des  batraciens  anoures  ou  des  urodèles.  Leur  peau  vis- 
queuse secrète  un  liquide  qui  peut  produire  une  grave  irritation 
de  l'organe  visuel.  Le  mieux  est  de  se  laver  les  mains  aussitôt 
qu'on  trouvera  de  l'eau. 

La  chasse  des  serpents  est  celle  qui  demande  le  plus  d'atten- 
tion. Si  on  ne  sait  pas  distinguer  une  couleuvre  d'un  reptile 
venimeux,  il  faut  bien  se  garder  de  saisir  l'animal  avec  la 
main;  on  l'abat  d'un  coup  de  badine  appliqué  sur  le  milieu  du 
corps.  On  peut  alors  l'examiner  tout  à  son  aise  et  prendre  les 
précautions  nécessaires  si  on  se  trouve  en  présence  d'une 
vipère. 

Il  faut  éviter  le  plus  possible  de  meurtrir  la  tête  des  reptiles. 

Voici  maintenant  quelques  notions  plus  détaillées  sur  la 
chasse  des  animaux  de  chaque  groupe  : 

Tortues.  —  Il  n'y  a  qu'à  ramasser  les  tortues  terrestres  dans 
les  prairies,  les  champs,  les  broussailles  ;  communes  au  prin- 
temps, elles  deviennent  rares  en  été. 

Les  tortues  aquatiques  sont  assez  difficiles  à  obtenir.  Il 
faut  les  rechercher  dans  les  canaux  d'irrigation  lorsqu'ils  sont 
momentanément  à  sec.  On  peut  les  pécher  dans  l'eau  avec 
un  troubleau.  A  bout  d'expédients,  on  pourrait  les  prendre  à 
la  ligne.  Les  tortues  aquatiques  sont  abondantes  en  été.  Les 
jeunes  naissent  de  très  bonne  heure. 

Lézards.  —  Presque  tous  les  lézards  habitent  dans  des 
trous  ou  sous  des  amoncellements  de  cailloux.  Lorsqu'ils 
circulent  ils  se  réfugient  sous  de  grosses  pierres  isolées.  Il 


218        ESSAI  SUR  LA  FAUNE  ERPÉTOLOGIQUE  DE  L'ORANIE 

n'y  a  donc  qu'à  soulever  celles-ci  pour  les  trouver.  Avec  un 
peu  de  dextérité,  on  peut  profiter  du  premier  moment  de 
frayeur  qui  paralyse  leurs  mouvements  pour  les  saisir.  Hélas  ! 
cet  instant  est  bien  court  ;  l'animal  s'échappe  et  se  précipite  à 
la  recherche  de  son  trou.  S'il  rencontre  sur  son  chemin  une 
grosse  pierre,  il  s'y  cache,  et,  toujours  alerte,  il  fuit  dès  que 
le  chasseur  touche  à  son  abri.  La  poursuite  continue,  et  si  le 
trou  sauveur  ne  peut  être  atteint,  l'animal  exténué  finit  par  se 
laisser  prendre  sous  un  dernier  refuge,  où  il  se  blottit  immo- 
bile. 

Il  est  souvent  utile,  lorsqu'on  soulève  une  pierre  de  tourner 
le  dos  à  la  broussaille  afin  d'obliger  l'animal  à  fuir  dans  le 
sens  opposé. 

Dans  les  terrains  nus,  dans  les  champs  par  exemple,  il 
est  difficile  de  capturer  les  lézards.  Un  bon  moyen  est  de  les 
poursuivre  à  la  course  ;  le  plus  souvent,  dans  leur  fuite 
eflrénée,  ils  ne  peuvent  pénétrer  dans  les  trous;  à  bout  de 
forces,  ils  s'arrêtent  et  se  laissent  prendre.  Si  l'animal  se 
réfugie  dans  un  trou,  quelques  coups  de  piochon  suffisent  pour 
le  déloger. 

Une  bonne  précaution  à  prendre  lorsqu'on  sait  qu'un  lézard 
est  sous  une  pierre,  c'est,  avant  de  soulever  celle-ci,  de 
boucher  d'un  coup  de  talon  ou  de  piochon  les  trous  où  pourrait 
se  réfugier  l'animal. 

Dans  les  terrains  présentant  quelques  touffes  de  palmiers 
nains,  les  lézards  vont  se  cacher  entre  les  racines.  Leur  cap- 
ture est  alors  bien  difficile. 

Lorsqu'on  chasse  dans  un  terrain  sablonneux  ou  meuble 
sur  lequel  sont  parsemées  des  pierres,  il  faut  avoir  soin, 
lorsqu'on  soulève  l'une  d'elles,  de  gratter  le  sable  avec  le 
piochon  ou  avec  un  grappin.  On  déterrera  ainsi  certaines 
espèces  qui  vivent  à  quelques  centimètres  sous  terre  : 
Gongylus,  Trogonophis,  Heieromeles ,  Erijx. 

Les  espèces  les  plus  difficiles  à  obtenir  sont  celles  qui 
habitent  les  broussailles  ou  les  rochers.  Pour  arriver  à  les 
capturer,  il  est  indispensable  de  connaître  leurs  mœurs.  Dans 
les  petites  broussailles  la  chasse  à  la  course  peut  donner  de 
bons  résultats  ;  on  oblige  ainsi  l'animal  à  se  réfugier  dans  une 


ESSAI  SUR  LA  FAUNE  ERPÉTOLOGIQUE  DE  L'ORANIE       210 

touffe  oîi  on  le  saisit.  Dans  les  grandes  broussailles,  la  capture 
est  plutôt  soumise  aux  caprices  du  hasard.  Le  meilleur  moyen 
est  alors  de  rechercher  les  animaux  sous  les  pierres,  de  bon 
matin,  en  été  ;  on  les  trouvera  engourdis. 

Au  printemps,  lorsque  le  soleil  est  bien  chaud,  on  pourra 
surprendre  le  lézard  ocellé  et  le  grand  agame  endormis,  en 
plein  midi,  sur  un  angle  de  rocher. 

Les  espèces  rupestres  sont  encore  plus  difficiles  à  atteindre. 
A  la  moindre  alerte,  elles  se  réfugient  dans  les  trous  et  les 
fentes  de  rocher  d'oi!i  il  est  impossible  de  les  déloger.  Il  faut 
beaucoup  de  patience  pour  arriver  à  faire  quelques  captures. 
L'expérience  seule  permet  d'augmenter  les  chances  de  succès. 
Voici  un  procédé  qui  me  réussit  assez  bien.  Si  je  veux  chasser  par 
exemple  le  lézard  à  paupières  transparentes  (L.  perspicillata) 
je  cherche  un  point  où  le  rocher  ofïre  une  muraille  avec 
quelques  petits  trous.  Ce  point  propice  trouvé  je  me  mets  en 
observation.  Les  petits  lézards  ne  tardent  pas  à  reprendre  leur 
promenade.  Chaque  fois  que  l'un  d'eux  se  rapproche  d'un  trou 
je  l'effraie  et  le  résultat  désiré  est  presque  toujours  atteint; 
l'animal  se  réfugie  dans  la  pierre.  Je  m'approche  aussitôt 
et,  tandis  que  je  bouche  l'ouverture  avec  une  main, 
avec  l'autre  j'applique  sur  l'orifice  un  sac  de  chasse  assez 
grand.  L'animal  est  prisonnier  ;  reste  à  le  déloger.  Pour 
cela,  je  suis  muni  d'un  fil  de  fer  souple  ;  je  l'introduis  dans  le 
trou  en  le  faisant  d'abord  passer  par  une  petite  ouverture 
pratiquée  dans  la  toile.  Le  lézard  effrayé  quitte  précipitamment 
sa  retraite  et  souvent  plonge  dans  le  sac. 

Sur  les  rochers  escarpés  on  peut  prendre  les  lézards  avec  un 
nœud  coulant.  Ce  procédé,  bon  pour  les  grosses  espèces,  m'a 
toujours  donné  de  mauvais  résultats  avec  les  petites.  Il  est 
plus  avantageux  de  prendre  celles-ci  à  l'hameçon  avec  amorce. 

Enfin,  si  on  ne  tient  pas  à  avoir  des  animaux  vivants,  la 
carabine  à  petits  plombs  et  l'hameçon  à  trois  branches 
permettront  de  faire  des  chasses  plus  fructueuses.  Dans  ce  cas 
on  doit  plonger  immédiatement  les  victimes  dans  l'alcool. 

Lorsqu'on  prend  un  lézard  il  faut  éviter  de  le  saisir  par  la 
queue  car,  l'appendice  caudal  étant  très  fragile,  l'animal  le 
laisserait  le  plus  souvent  dans  la  main  du  chasseur.  Il  faut 


220       ESSAI  SUR  LA  FAUNE  ERPÉTOLOGIQUE  DE  L'ORANIE 

prendre  l'animal  par  le  milieu  du  corps,  à  pleine  main,  aussi 
près  du  cou  que  possible,  tout  en  évitant  de  meurtrir  le  ventre 
sous  la  pression  des  doigts.  L'animal  capturé  est  aussitôt  logé 
dans  un  sac  de  grandeur  convenable. 

Dans  le  cas  d'extrême  nécessité  on  peut  mettre  plusieurs 
individus  de  la  même  espèce  dans  un  seul  sac  ;  on  ne  doit 
jamais  y  loger  des  espèces  différentes.  Les  petits  sacs  sont 
placés  au  lur  et  à  mesure  dans  une  musette.  On  prendra  bien 
soin  de  ne  pas  les  comprimer. 

C'est  surtout  au  printemps  et  en  automne  qu'il  faut  chasser 
les  lézards.  On  les  trouve  alors  toute  la  journée.  Lin  été,  ils 
deviennent  rares  et  n'apparaissent  que  le  matin  et  le  soir.  Peu 
de  reptiles  affrontent  les  chaleurs  torrides  du  milieu  du  jour. 
En  juillet  et  août,  certaines  espèces  passent  la  nuit  sous  les 
pierres  où  elles  se  laissent  facilement  Cfapturer  de  bon  matin. 

Ophidiens.  —  Avant  de  prendre  les  serpents  à  la  main  il 
faudra  pendant  longtemps  les  chasser  à  la  badine.  Une  étude 
préalable  des  espèces  en  collection  sera  de  la  plus  grande 
utilité.  Ce  sont  les  bêtes  fraîchement  tuées  que  l'on  étudiera 
avec  le  plus  de  fruit.  On  devra  se  méfier  du  caractère  otïert 
par  la  coloration;  il  peut  donner  lieu  à  de  cruelles  méprises. 

Le  dessus  de  la  tête  et  le  faciès  d'ensemble  présentent  les 
plus  sûres  garanties  pour  la  détermination.  Tandis  que  chez  les 
couleuvres  la  face  supérieure  du  crâne  est  recouverte  de 
grandes  plaques  symétriques,  comme  chez  les  lézards,  elle 
ne  porte,  chez  les  vipères,  que  des  écailles  de  forme  à  peu 
près  identique  à  celles  de  leur  dos,  mais  plus  petites.  La  queue 
courte  et  brusquement  rétrécie  des  vipères  communes  offre 
aussi  un  caractère  de  première  valeur. 

En  Algérie,  deux  ophidiens  seuls  ne  présentent  pas  ces 
caractères  généraux:  l'un,  VEryx  javelot,  serpent  tout  à  fait 
inoffensif,  n'a,  sur  la  tête,  que  de  très  petites  plaques  carrées 
semblables  à  des  écailles  ;  sa  queue  est  très  courte  et  obtuse  ; 
Faulre,  le  terrible  Naja,  a  la  tête  plaquée  comme  une  couleuvre  ; 
sa  queue  est  effilée.  On  ne  trouve  d'ailleurs  ces  deux  espèces 
ensemble  que  dans  le  Sahara. 

C'est  surtout  au  printemps  qu'il  faut  rechercher  les  serpents; 
on  peut  alors  les  trouver  à  toute  heure  de  la  journée.  Lorsqu'il 


ESSAI  SUR  LA  FAUNE  F.RI'KTOLOGIQUR  DE  L'ORANIE       221 

fait  chaud  ils  ne  sortent  guère  que  vers  le  soir  pour  circuler  la 
nuit.  Souvent  le  froid  du  malin  les  surprend  et  il  n'est  pas 
rare  de  les  trouver  engourdis  aux  bords    des  sentiers. 

Les  vipères  sont  essentiellement  nocturnes  ;  c'est  ce  qui 
explique  la  rareté  des  captures.  Ce  n'est  que  par  extraordi- 
naire qu'on  en  rencontre  dans  le  jour.  Il  n'y  a  donc  pas  à 
s'inquiéter  d'elles  outre  mesure  pendant  la  chasse. 

Lorsqu'on  recherche  les  serpents  et  surtout  les  vipères  il  iaut 
être  chaussé  de  forts  souliers  et  de  bonnes  guêtres;  il  est  aussi 
indispensable  de  s'armer  d'une  baguette  pour  pouvoir,  le  cas 
échéant,  abattre  un  animal  On  trouve  ces  reptiles  sous  les 
grosses  pierres.  Ils  sont  plus  faciles  à  saisir  que  les  lézards  car 
ils  mettent  un  certain  temps  pour  se  dérouler.  Toutefois  il  ne 
faut  pas  tarder  à  mettre  la  main  dessus,  car,  aussitôt  que  le 
corps  est  développé,  ils  fuient  avec  une  rapidité  extraordinaire. 
Un  coup  de  baguette  lestement  envoyé  peut  seul  les  arrêter. 

Si,  lorsqu'un  serpent  est  mis  à  découvert,  on  n'ose  le  saisir 
à  la  main,  on  peut  le  capturer  en  appliquant  dessus  vivement, 
et  délicatement  le  pied  guêtre.  Il  sera  ensuite  facile  d'examiner 
la  tète.  La  baguette  est  d'ailleurs  d'une  grande  utilité  en  cette 
circonstance  :  on  la  fait  glisser  le  long  du  corps  jusqu'au  cou 
qu'on  presse  contre  le  sol.  Lorsque  la  bête  est  immobilisée,  on 
peut  la  saisir  sans  crainte  derrière  la  tête,  avec  les  doigts,  ou 
à  pleine  main. 

Un  procédé  moins  dangereux  est  celui  qui  consiste  à  passer 
un  nœud  solide  autour  du  cou  du  serpent.  On  plonge  ensuite 
l'animal  dans  l'alcool.  Aussitôt  qu'on  peut  opérer  sans  danger 
on  délivre  le  cou  qui  reprend  sa  forme  naturelle. 

Lorsque  les  petits  serpents  se  réfugient  dans  des  trous,  on 
les  déloge  au  moyen  du  piochon.  Les  individus  de  très  grande 
taille  sont  plus  difficiles  à  capturer,  car  ils  habitent  des  fentes  de 
rocher  ou  des  trous  très  profonds.  On  les  prend  rarement  à  la 
main;  on  les  tue  au  fusil. 

Batraciens. —  1°  Adultes.  -  En  général  on^chasse  les  batra- 
ciens à  la  main.  Seules  les  grenouilles  qui  ne  quittent  pas  le 
bord  des  eaux,  se  laissent  difficilement  approcher  ;  à  la  moin- 
dre alerte,  elles  plongent.  Si  on  ne  peut  aller  les  saisir  dans 


222        ESSAI  SUR  LA  FAUNE  ERPÉTOLOGIQUE  DE  l'ORANIE 

leur  retraite,  il  faut  s'ingénier  pour  les  prendre  à  Fépuisette. 
On  peut  aussi,  lorsque  les  échantillons  sont  destinés  cà  être 
mis  dans  l'eau- de-vie,  les  pêcher  à  la  ligne.  Celle-ci  est  armée 
d'un  hameçon  à  trois  branches  ou  d'un  hameçon  simple. 

Voici  comment  on  opère  avec  le  premier.  La  ligne  étant 
attachée  à  l'extrémité  d'une  longue  canne  ou  d'un  roseau,  on 
la  porte  au-dessus  de  l'animal  à  capturer,  puis,  délicatement, 
on  dépose  l'hameçon  contre  l'un  des  côtés  du  ventre.  On 
donne  alors  un  petit  coup  sec  en  tirant  du  côté  opposé  à 
l'hameçon  ;  celui-ci  accroche  la  grenouille  qui  se  trouve  sus- 
pendue à  l'extrémité  de  la  ligne. 

Lorsqu'on  emploie  l'hameçon  simple,  il  faut  l'amorcer  avec 
un  insecte,  un  ver  rouge  ou  un  morceau  de  drap  écarlate.  Ce 
procédé  ne  donne  pas  d'aussi  bons  résultats  que  le  premier. 

C'est  surtout  la  nuit  qu'on  peut  capturer  une  grande  quan  - 
tité  de  batraciens.  Il  suffit  pour  cela  d'aller  se  promener  avec 
une  lanterne  dans  les  lieux  qu'ils  fréquentent.  Eblouis  par  la 
lumière,  les  animaux  s'arrêtent  et  se  laissent  prendre  sans 
bouger.  On  peut  les  attirer  sur  les  bords  des  pièces  d'eau  en 
allumant  du  feu  ;  ils  viennent  en  foule  faire  cercle  autour  du 
brasier. 

Les  crapauds,  le  discoglosse  et  la  rainette  ne  sont  communs 
qu'au  moment  des  amours.  Ils  abondent  alors  autour  des 
points  d'eau.  Lorsque  les  pontes  sont  effectuées,  ils  deviennent 
rares.  Les  uns  se  retirent  sous  les  pierres  dans  les  lieux  humides, 
les  autres  s'enfoncent  dans  des  trous  profonds.  Le  disco- 
glosse réapparaît  en  automne. 

2°  Œufs  et  Têtards.  —  Il  faut  avoir  grand  soin  de  recueil- 
lir les  œufs  et  les  têtards  des  batraciens.  En  les  élevant  on  fera 
des  observations  du  plus  haut  intérêt.  Les  œufs  peuvent  être 
transportés  dans  des  algues  d'eau  douce  humides  ou  mieux, 
comme  les  têtards,  dans  un  flacon  à  moitié  plein  d'eau. 

Urodèles.  —  Passé  la  période  des  amours,  les  urodèles 
vivent  hors  de  l'eau,  sous  les  pierres,  dans  les  lieux  très  hu- 
mides et  obscurs.  Il  est  donc  facile,  le  cas  échéant,  de  les 
prendre  à  la  main.  Jusqu'à  maintenant  on  n'en  a  pas  pris 
beaucoup  dans  ces  conditions  en  Algérie.  C'est  dans  l'eau, 
en  hiver  et  au  printemps,  qu'il  faut  les  pêcher.  On  se  sert 


ESSAI  SUR  LA  FAUNE  KRPKTOLOGIQUE  DR  L'ORANIE        223 

pour  cela,  de  l'épuisette  à  mailles  très  étroites,  du  troubleau 
ou  de  la  ligne  à  hameçon  simple,  amorcée  d'un  ver  rouge.  La 
pèche  à  la  ligne  se  pratique  surtout  dans  les  puits  et  les  gran- 
des mares.  Les  urodéles  étant  ovovivipares  on  n'aura  pas  à 
rechercher  les  ceufs,  mais  on  devra  emporter  des  femelles 
pleines  et  des  têtards  pour  les  élever. 

Les  tritons  signalés  dans  1  Oranie  par  Guichenot  (Expl. 
scient.)  n'ont  pas  été  retrouvés  depuis.  Il  y  a  donc  d'utiles 
recherches  et  d'importantes  études  à  faire  sur  ces  urodéles. 

Utilité  de  recueillir  de  nombreux  échantillons.  —  Il  est 
absolument  nécessaire  de  recueillir  plusieurs  échantillons  de 
la  même  espèce  et  surtout  dans  des  localités  éloignées  les  unes 
des  autres.  Plus  l'aire  de  dispersion  d'une  espèce  est  grande, 
plus  celle-ci  varie.  Ce  n'est  qu'en  ayant  sous  les  yeux  les 
diverses  variations  qu'on  arrive  à  bien  saisir  les  caractères  de 
l'espèce. 

Observation  importante.  —  La  recherche  des  reptiles  ne 
doit  pas  avoir  pour  but  unique  de  les  réunir  en  collections.  Il 
faut,  avant  tout,  faire  sur  le  vif  la  description  de  leurs  carac- 
tères. L'on  décrira  soigneusement  le  dessin  de  la  coloration  de 
la  robe  chez  les  jeunes,  chez  le  mâle,  chez  la  femelle,  au 
ment  de  l'accouplempiil,  pendant  la  gestation  et  après.  Le 
degré  d'adhérence  du  collier  et  la  profondeur  du  pli  gulaire 
chez  les  sauriens,  devront  aussi  être  observés.  On  prendra  les 
mesures  des  diverses  parties  du  corps  dès  que  l'animal  aura 
été  asphyxié.  Pour  certaines  espèces  on  notera  la  forme  de  la 
pupille,  la  coloration  de  l'iris,  etc. 

Chez  les  batraciens  on  observera,  en  outre,  le  plus  ou  moins 
d'apparence  de  la  membrane  tympanique. 

L'étude  des   métamorphoses    offre   un  très  grand   intérêt. 

(Chaque  tois  que  l'occasion  s'en  présentera,  on  consi- 
gnera les  traits  de  mœurs  de  chaque  espèce  :  l'habitat,  l'ap- 
parition et  la  disparition  des  jeunes  et  des  adultes,  les  époques 
des  mues,  de  l'accouplement  et  de  la  ponte,  la  durée  des 
périodes  de  gestation,  le  nombre  d'ovaires  et  d'œufs;  on  notera 


224       ESSAI  SUR  LA  FAUNE  ERPÉTOLOGIQUE  DE  L'ORANIE 

la  taille,  les  variations  spécifiques,  les  éléments  de  la  nour- 
riture etc. 

On  fera,  surtout,  de  précieuses  observations  en  s'asseyant 
dans  la  campagne  sur  une  grosse  pierre  et  en  suivant  des  yeux 
les  allées  et  venues  de  tout  le  monde  rampant. 

Enfin  tout  animal  capturé  sera  accompagné  d'une  étiquette 
qui  ne  le  quittera  plus  et  qui  portera  la  date  et  le  lieu  de  la 
récolte. 


Morsures  des  Serpents  venimeux 

En  Algérie,  les  serpents  venimeux  sont  excessivement 
dangereux;  sauf  la  vipère  il  n'y  a  pas  d'animaux  rétractaires  à 
leur  venin.  En  quelques  minutes  le  venin  de  la  vipère  à  cornes 
peut  rendre  tout  traitement  inutile.  Celui  de  la  vipère  lebetine 
est  tout  aussi  terrible,  car,  quoique  moins  actif,  il  est  sécrété 
en  plus  grande  abondance  par  des  animaux  atteignant  une 
taille  colossale.  En  général,  quelle  que  soit  l'origine  du  venin, 
toute  morsure  est  suivie  d'effets  redoutables  si  elle  n'est  pas 
immédiatement  traitée.  Le  danger  est  d'autant  plus  grave  que 
l'organe  atteint  est  plus  délicat  et  plus  rapproché  du  cœur. 

Les  cas  de  morsures  sur  le  tronc  ou  à  la  face  sont  rares;  le 
plus  souvent  les  piqûres  atteignent  les  mains  ou  les  jambes. 

Le  traitement  d'une  piqûre  ne  doit  pas  être  différé;  il  faut 
faire  un  premier  pansement  et,  sans  perdre  de  temps,  aller 
se  confier  à  un  médecin.  Les  Européens,  qui  se  font  soigner, 
meurent  rarement  des  suites  d'une  morsure  ;  en  revanche  les 
indigènes  qui  sont  rebelles  à  notre  médecine,  succombent 
presque  toujours.  L'effet  du  venin,  quoique  neutralisé,  laisse 
souvent,  lorsqu'il  a  été  combattu  trop  tard,  une  paralysie  du 
membre  atteint  qui  persiste  longtemps. 

Traitement  des  morsures.  —  Le  chasseur  de  reptiles  doit 
avoir  toujours  dans  sa  musette  un  cautérisant  quelconque  : 
acide  chromique,  nitrate  d'argent,  acide  phénique  ou  alcali. 
S'il  est  piqué,  il  doit  traiter  la  blessure  avec  rapidité  et  énergie. 


ESSAI  SUR  r-A  FAUNK  KRPÉTOLOGlnUK  HE  L'ORANIE        225 

Son  premier  soin  sera  de  ligaturer  fortement  le  membre  au- 
dessus  de  la  plaie.  Pour  plus  de  sûreté  il  pourra  doubler  les 
ligatures  eu  les  distançant.  Il  recherchera  ensuite  le  point  où  il  a 
été  mordu;  une  légère  rougeur  le  lui  indiquera.  Si  les  crochets 
sont  restés  dans  les  chairs  il  les  enlèvera  avec  la  pointe  d'un 
canif  et  de  prétérence  avec  des  pinces.  Gela  fait,  il  débridera  la 
plaie  avec  un  instrument  tranchant,  bistouri  ou  canif,  et  la 
fera  saigner  en  la  pressant  avec  les  doigts.  Le  plus  tôt  possible, 
sans  perdre  de  temps,  il  cautérisera  vigoureusement  la  bles- 
sure. 

Dans  le  cas  où  l'on  serait  dépourvu  de  tout  cautérisant,  on 
pourrait  y  suppléer  en  brûlant  la  plaie  débridée  au  moyen 
d'une  allumette  carbonisée,  ou  d'un  charbon  ardent,  ou,  mieux 
encore,  avec  de  la  poudre  qu'on  enflammerait  sur  place.  Enfin, 
le  traitement  par  le  fer  rouge  donne  les  meilleurs  résultats. 

La  succion  de  la  plaie  faite  par  un  chien,  ou  mieux  par  une 
personne,  a  été  recommandée.  Il  serait  imprudent  d'employer 
ce  procédé  en  Algérie  où  la  chaleur  dessèche  et  gerce  souvent 
les  lèvres.  Je  ne  crois  pas  d'ailleurs  que  ce  procédé  permette 
d'éviter  de  fâcheux  résultats  ;  le  venin  manifestant  son  action 
par  des  désordres  trop  rapides,  il  faut  s'occuper  avant  tout  de 
cautériser  la  plaie.  Lorsqu'on  est  dépourvu  d'un  cautérisant, 
si  on  a  la  chance  de  n'être  piqué  qu'à  un  doigt,  le  plus  court 
et  le  plus  sûr  moyen  d'éviter  les  complicatioiis,  c'est  de  faire 
l'ablation  d'une  ou  deux  phalanges  sans  perdre  une  seconde. 
L'enlèvement  immédiat  de  la  partie  charnue  au-dessous  de  la 
piqûre  avec  un  couteau  bien  effilé  suffit  dans  bien  des  cas. 
C'est  ainsi  que  procèdent  les  soldats  dans  le  Sahara. 

La  plaie  étant  soignée,  le  malade  devra  prendre  quelque 
réconfortant. 

Les  cas  de  guérison  sont  très  nombreux  lorsque  les  mor- 
sures sont  traitées  immédiatement.  Hélas  !  il  n'en  est  pas  de 
même  lorsque  le  venin  a  été  introduit  par  une  veine  dans  la 
circulation.  Jusqu'à  ces  dernières  années  la  Science  a  été  à 
peu  près  impuissante  à  lutter  contre  les  effets  du  venin  diffusé 
dans  le  sang.  De  nombreux  remèdes  ont  été  préconisés  ;  pas 
un  seul  n'a  donné  les  résultats  qu'on  en  attendait.  Mais  la 
Science  n'a  pas  fait  faillite  ;  les  théories  de  notre  immortel 


226       ESSAI  SUR  LA  FAUNE  ERPÉTOUOGIQUE  DE  l'ORANTE 

Pasteur,  en  ouvrant  à  la  Médecine  moderne  des  horizons 
immenses,  ont  étendu  le  champ  d'exploration  des  savants  ;  des 
découvertes  importantes,  prémisses  de  découvertes  futures, 
encore  plus  fécondes  en  résultats,  ont  déjà  permis  de  soulager 
cette  Humanité  à  laquelle  philosophes  et  savants  ne  cessent 
de  consacrer  leurs  efforts. 

L'étude  du  venin  ne  devait  pas  échapper  aux  investigations 
des  adeptes  de  l'école  nouvelle.  M.  le  docteur  Galmette,  direc- 
teur de  l'Institut  Pasteur  de  Lille  fut  un  de  ceux  qui  étudièrent 
le  venin  et  recherchèrent  le  moyen  d'en  combattre  les  effets. 
L'éminent  savant  vit,  le  premier,  ses  efforts  couronnés  de 
succès.  De  nombreux  essais  faits  dans  l'Inde  et  à  l'Institut  de 
Lille,  par  lui-même  ou  par  ses  disciples,  ont  démontré  l'effica- 
cité  de  sa  méthode. 

Voici  un  extrait  des  instructions  de  M.  le  docteur  Galmette 
sur  l'emploi  du  sérum  antivenimeux  (1)  : 

Instruction  pour  l'emploi  du  Sérum  antivenimeux 

«  Le  sérum  antivenimeux  est  du  sérum  de  cheval  immunisé 
contre  le  venin  des  serpents.  II  conserve  ses  propriétés  indéfi- 
niment, si  on  prend  soin  de  ne  jamais  déboucher  le  flacon  qui 
le  renferme  et  de  le  maintenir  à  l'abri  de  la  lumière.  Il  n'est 
altéré  par  la  chaleur,  qu'au-dessus  de  50  degrés  centigrades. 

«  On  l'emploie  en  injections  hypodermiques  dans  tous  les  cas 
de  morsures  de  serpents  venimeux  ou  de  scorpions.  Le  sérum 
empêche  les  effets  des  venins  provenant  de  toutes  les  espèces 
de  serpents  de  l'Europe,  de  l'Asie,  de  l'Afrique,  de  l'Océanie  et 
de  l'Amérique. 

«  La  dose  à  employer  est  de  10  c.  c,  c'est-à-dire  un  flacon 
entier,  pour  les  enfants  et  pour  les  adultes,  lorsqu'il  s'agit 
d'une  morsure  de  vipère  d'Europe  ou  d'un  serpent  de  petite 
espèce  des  pays  chauds. 

a  Dans  les  cas  de  morsures  par  des  serpents  de  grande  taille, 
tels  que  le  cobra  capel  de  l'Inde,  le  naja  haye  d'Egypte,  les 
hothrops  de  la  Martinique  et  de  l'Amérique  du  Sud,  les  crotales 
de  l'Amérique  Centrale  et  de  l'Amérique  du   Nord,  il  sera 


(l)  Docteur  A.  Galmette:  Le  cenin  des  serments.  Paris,  1896. 


ESSAI  SUR  LA  FAUNK  EHPKTOLOGIQUE  DE  L'ORANIE       2'27 

préférable  d'injecter  siinullanément  deux  doses  et  de  pratiquer 
ces  injections,  si  on  le  peut,  par  voie  intra-veincuse,  dans  la 
veine  du  pli  du  coude,  ou  dans  toute  autre  veine  superficielle. 
«  11  faut  intervenir  le  plus  tôt  possible  après  la  morsure, 
car  cei'tains  serpents,  dans  les  pays  chauds,  tuent  l'hoimne 
en  deux  ou  trois  heures.  Même  dans  les  cas  les  plus  graves, 
on  pourra  toujours  empêcher  la  mort  et  arrrêter  l'envenima- 
tion  si  on  injecte  le  sérum  dans  les  veines  au  plus  lard  une 
heure  et  demie  après  la  morsure.  Quand  les  accidents  d  in- 
toxication ne  sont  pas  très  menaçants,  on  peut  se  contenter 
d'injecter  le  sérum  sous  la  peau.  Il  n'y  a  aucun  danger  à  en 
injecter  de  grandes  quantités  :  le  sénim  ne  renferme  aucune 
substance  toxique  et  ne  cause  jamais  d'accidents. 

((  Les  injections  sous-cutanées  de  sérum  doivent  être  faites 
dans  le  tissu  cellulaire  du  tlanc  droit  ou  gauche  de  préférence, 
parce  qu'elles  ne  sont  pas  douloureuses  à  cet  endroit. 

«  On  doit  les  pratiquer  avec  une  seringue  stérilisable,  à 
piston  de  caoutchouc  ou  d'amiante,  de  10  ou  20  c.  c.  de  capa- 
cité. Avant  l'injection,  on  fait  bouillir  la  seringue  pendant 
cinq  minutes  dans  de  l'eau  additionnée  d'une  petite  quantité 
de  borax.  (Cette  substance  empêche  les  aiguilles  d'être  atta- 
quées par  la  rouillej.  On  lave  avec  soin  la  peau  du  blessé  avec 
du  savon  et  de  l'eau,  puis  avec  une  solution  antiseptique.  On 
introduit  alors  l'aiguille  profondément  dans  le  tissu  cellulaire, 
on  pousse  l'injection  en  une  ou  deux  minutes  et  on  retire 
brusquement  l'aiguille.  Le  sérum  se  résorbe  en  quelques  iHs- 
tants. 

a  Ces  précautions  de  propreté  sont  utiles  pour  ne  pas  pro- 
duire d'abcès.  On  peut  s'en  dispenser  si  le  temps  presse  et  que 
la  vie  de  la  personne  mordue  soit  en  danger  immédiat. 

«  Le  sérum  antivenimeux  préparé  à  l'Institut  Pasteur  de 
Lille  ne  renferme  pas  d'acide  phénique.  Son  pouvoir  antitoxi- 
que préventif  correspond  à  250,000  d'après  la  notation  de 
Roux.  Si  on  en  injecte  2  c.  c.  dans  les  ^■eines  d'un  lapin  pesant 
environ  deux  kilogrammes,  ce  lapin  doit  pouvoir  résister,  un 
quart  d'heure  après,  à  une  dose  d'un  venin  quelconque  calcu- 
lée pour  tuer  en  vingt  minutes  les  lapins  témoins. 


228        ESSAI  SUR  LA  FAUNE  EBPKTOLOGIQUE  DE  l'ORANIE 

«  Un  léger  précipité  albumineux  dans  les  flacons  n'est  pas 
un  indice  d'altération.  Mais  si  le  sérum  est  complètement 
trouble,  d'apparence  laiteuse,  il  faut  le  rejeter,  parce  qu'alors- 
il  a  été  envahi  par  des  germes  de  l'air  qui  peuvent  provoquer 
des  abcès. 

«  La  première  précaution  à  prendre,  aussitôt  que  l'on  est 
mordu  par  un  reptile,  est  de  serrer  le  membre  mordu  à  l'aide 
d'un  lien  ou  d'un  mouchoir,  le  plus  près  possible  de  la  mor- 
sure, entre  celle-ci  et  la  racine  du  membre. 

((  On  doit  laver  abondamment  la  plaie  produite  par  les  cro- 
chets du  serpent  en  la  faisant  saigner,  et  l'arroser  ensuite  avec 
une  solution  récente  de  chlorure  de  chaux  à  1  gr.  pour  60  d'eau 
distillée,  ou  avec  une  solution  de  chlorure  d'or  pur  à  1  gr. 
pour  100.  Ces  deux  substances  détruisent  très  bien  le  venin 
qui  reste  dans  la  plaie.  On  peut  faire  ensuite  un  pansement 
antiseptique  ordinaire. 

((  Il  est  inutile  de  cautériser  le  membre  mordu  avec  un  fer 
rouge  ou  avec  des  substances  chimiques,  et  on  doit  éviter 
d'administrer  de  l'ammoniaque  ou  de  l'alcool  qui  ne  pourraient 
qu'être  nuisibles  au  malade  et  au  traitement  par  le  sérum. 

((  Traitement  des  morsures  venimeuses  chez  les  animaux 
domestiques.  —  Dans'  certains  pays,  beaucoup  d'animaux 
domestiques  (bœufs,  moutons,  chevaux,  chiens)  sont  tués 
chaque  année  par  les  reptiles  venimeux  et  occasionnent  ainsi 
des  pertes  considérables  aux  agriculteurs.  L'emploi  du  sérum 
antivenimeux  permet  d'éviter  ces  pertes.  On  en  fait  usage 
exactement  comme  pour  l'homme  et  aux  mêmes  doses.  Les 
injections  aux  animaux  doivent  être  faites  de  préférence  sous 
la  peau  du  dos,  entre  les  deux  épaules.  » 

Si  on  n'a  pas  de  sérum,  on  peut  injecter  dans  la  plaie  du 
permanganate  de  potasse  en  solution,  1  pour  100.  Mais  on  doit 
agir  immédiatement.  Une  solution  à  1/60  de  chlorure  de  chaux 
sec  est  préférable  (1). 

Ce  sombre  tableau  des  accidents  produit  par  le  venin  ne  doit 
pas  effrayer  le  chasseur  de  reptiles.  Prudent  par  nécessité,  il 


(1)  Docteur  A,  Calmette  (Loc.  cit.,  p.  3G_). 


ESSAI  SUR  LA  FAUNE  ERPÉTOLOGIQUE  DE  L'OPANIE        2'i9 

risque  bien  moins  d'être  piqué  que  le  travailleur  des  champs 
ou  que  le  simple  promeneur.  D'ailleurs,  comme  tous  les  ani- 
maux, la  vipère  craint  l'homme.  Elle  fuit  à  son  approche  et  ne 
se  défend  que  si  elle  est  piétinée.  Si  l'on  a  pu  signaler  des  cas 
d'agression  de  la  part  des  vipères,  ils  sont  rares. 

Préparation  et  Conservation  des  Reptiles 

L'alcool  est  le  liquide  par  excellence  pour  la  conservation  des 
reptiles.  Lorsqu'on  rentre  de  la  chasse,  il  faut  séparer  les  ani- 
maux blessés  ou  morts  et  les  plonger  dans  l'alcool.  Il  est  môme 
préférable  de  faire  cette  opération  pendant  la  chasse.  On  peut 
agir  de  même  avec  les  animaux  intacts,  mais  il  vaux  mieux  les 
conserver  vivants  un  jour  ou  deux  dans  les  petits  sacs  :  là,  ils 
rejettent  les  détritus  de  leur  digestion.  Le  ventre  étant  vide 
l'alcool  n'aura  qu'à  imbiber  les  chairs. 

Le  temps  nécessaire  à  la  digestion  étant  écoulé,  on  retire 
les  reptiles  des  sacs  et  on  les  plonge  dans  l'alcool.  Lorsqu'ils 
ne  donnent  plus  signe  de  vie,  on  les  retire  pour  leur  fendre  le 
ventre.  Cette  incision  a  pour  but  de  faire  pénétrer  l'alcool  plus 
directement  dans  la  région  intestinale;  elle  empêche  la 
fermentation  des  matières  organiques  non  encore  digérées. 
Pour  la  pratiquer,  on  couche  l'animal  sur  le  dos  et,  un  peu 
au-dessus  des  membres  postérieurs,  on  fait,  avec  de  bons 
ciseaux  à  pointes  égales,  suivant  la  ligne  de  partage  des  écailles 
ventrales,  une  incision  longitudinale  de  longueur  propor- 
tionnelle à  la  taille  de  l'animal.  Chez  un  petit  lézard,  elle 
doit  être  de  1  à  2  centimètres  au  plus,  chez  un  gros,  de  3 
à  5.  Chez  un  serpent,  il  faut  en  faire  plusieurs  de  4  à  5  centi- 
mètres; il  est  même  prudent,  si  l'on  a  une  espèce  rare,  de 
fendre  le  ventre  dans  toute  la  longueur,  ou  de  faire  deux  ou 
trois  fentes  très  longues. 

L'incision  est  à  peu  près  inutile  chez  les  batraciens. 

Chez  les  serpents,  il  est  nécessaire  de  vider  le  ventre  lors- 
qu'il est  distendu  par  les  animaux  qu'ils  ont  avalé. 

Il  est  bon  d'introduire,  par  les  incisions,  une  mèche  de  coton 
ou  un  peu  de  coton  cardé  pour  assurer  l'imbibition  des 
parties  internes  par  l'alcool. 


230        ESSAI  SUR  LA.  FAUNE  ERPÉTOLOGIQUE  DE  l'ORANIE 

Lorsqu'un  serpent  est  vidé,  on  peut  le  bourrer  avec  du 
coton.  On  rapproche  ensuite  les  bords  des  fentes  au  moyen 
d'une  couture. 

Si  on  a  de  nombreux  échantillons  d'une  espèce,  l'incision 
n'est  pas  nécessaire.  Sur  le  nombre  on  finit  par  obtenir  un 
exemplaire  intact  pour  la  collection.  Pour  les  espèces  rares  et 
pour  celles  recueillies  en  voyage,  l'incision  est  indispensable. 
Sans  cette  précaution  on  s'exposerait  à  perdre  de  nombreux 
individus  ou  à  n'avoir  que  des  préparations  défectueuses. 

Les  lézards  et  les  serpents  doivent  être  plongés  dans  l'alcool 
fort  (90  à  95").  Les  bocaux  ou  les  flacons  destinés  à  les  contenir 
devront  être  assez  hauts  et  assez  larges  pour  que  le  corps  de 
l'animal  ballotte  librement  dans  le  liquide.  On  ne  doit  jamais 
bourrer  un  bocal.  Si  on  est  forcé  de  mettre  plusieurs  exem- 
plaires dans  le  même  récipient,  il  faut  en  réduire  le  plus 
possible  le  nombre.  On  évitera  ainsi  les  altérations  qui  se 
produisent  sur  les  points  en  contact. 

Les  serpents,  à  cause  de  leur  longueur,  ne  peuvent  être 
suspendus  dans  un  bocal.  On  est  obligé  de  les  enrouler  en 
spirale.  Pour  cela  on  les  place  d'abord  dans  un  récipient  assez 
étroit.  Aussitôt  que  l'animal  est  raidi,  on  le  retire  pour  le 
placer  dans  un  bocal  plus  grand,  dans  lequel,  plus  tard,  on 
pourra  le  suspendre. 

Les  reptiles  peuvent  rester  dans  le  premier  bain  jusqu'à  ce 
que  le  liquide  soit  coloré.  Toutefois,  il  faut  surveiller  les  ani- 
maux, et,  s'ils  restent  mous,  changer  l'alcool. 

Un  ou  deux  bains  suffisent  pour  les  petites  espèces.  Pour 
les  gros  lézards  et  les  serpents  il  est  nécessaire  le  plus  souvent 
de  renouveler  l'alcool  au  bout  de  quatre  à  huit  jours.  Si  dans 
le  deuxième  bain  l'échantillon  devient  raide,  une  troisième 
immersion  est  inutile. 

Il  faut  laisser  les  reptiles  dans  le  dernier  bain  plusieurs 
semaines  ou  plusieurs  mois.  Avant  de  les  mettre  en  collection 
on  les  lave  dans  un  bain  d'alcool  pour  enlever  la  matière  colo- 
rante. 

Les  batraciens  et  les  urodèles  doivent  être  préparés  dans 
l'eau-de-vie  à  45°  environ.  L'alcool  fort  les  momifie.  Je  me  sers 
avec  avantage  et  économie  du  vieil  alcool  assez  hydraté.  Les 


ESSAI  SUR  LA  FAUNE  ERPÉTOLOGIQUE  DE  L'ORANIE        231 

iDatraciens  rejetant  beaucoup  d'eau,  le  liquide  doit  être  renou- 
velé deux  ou  trois  lois  à  de  courts  intervalles.  Rien  n'empêche 
de  conserver  ensuite  ces  aninaaux  en  collection  dans  de  l'alcool 
à  85»  et  même  à  90°  pour  les  urodôles. 

Les  têtards  doivent  être  préparés  dans  de  l'eau-de-vie  très 
faible  ;  on  en  augmente  insensiblement  le  degré. 

Voyons  maintenant  comment  on  organise  une  collection 
de  reptiles  : 

On  choisit  d'abord  des  bocaux  de  capacité  suffisante.  Leur 
goulot  doit  être  régulièrement  cylindrique  et  assez  large  pour 
permettre  rentrée  et  la  sortie  de  l'animal,  sans  frottement. 

Le  bocal  convenable  étant  trouvé  on  y  place  l'animal  que 
l'on  couvre  d'alcool.  On  bouche  ensuite  avec  un  excellent 
bouchon  et  on  lute  avec  un  ciment  spécial.  Il  est  préférable  de 
ne  pas  luter  si  la  collection  est  destinée  à  l'étude, 

11  est  bon  de  suspendre  les  reptiles  dans  les  bocaux.  On  peut 
pour  cela  les  attacher  par  un  fil  ou  un  crin  à  des  crochets 
implantés  dans  le  bouchon.  Ce  procédé  est  mauvais  car,  par 
capillarité,  l'alcool  arrive  au  bouchon  et  le  pourrit.  Il  est  préfé- 
rable d'employer  des  boules  de  verre  creuses  auxquelles  on  sus- 
pend les  échantillons.  La  boule  surnage  et  fait  l'elïet  du  ludion. 

Dans  les  collections  publiques  on  emploie  des  bocaux  unis 
et  cylindriques  sans  goulot.  On  les  ferme  au  moyen  d'une 
plaque  de  verre  bien  ajustée.  Cette  plaque  est  fixée  par  une 
enveloppe  de  parchemin  que  l'on  applique  humide  et  que  l'on 
attache  solidement.  Le  parchemin  en  se  desséchant  forme  une 
fermeture  hermétique. 

Les  serpents,  lorsqu'ils  ne  sont  pas  trop  longs,  sont  conservés 
dans  des  tubes  fermés  à  la  lampe.  Ce  procédé  a  l'inconvénient 
de  rendre  l'étude  de  l'animal  difficile. 

Les  flacons  étant  bouchés,  on  colle  sur  chacun  d'eux  une 
étiquette  portant  le  nom  de  l'animal,  le  lieu  et  la  date  de  la 
capture.  Il  est  prudent  de  placer  aussi  les  mêmes  indications 
sur  une  étiquette  en  parchemin  que  l'on  glisse  dans  le  bocal. 

Les  collections  doivent  être  rangées  et  classées  dans  un 
appartement  peu  éclairé.  La  lumière  fait  pâlir  les  couleurs. 

Pour  conserver  plus  longtemps  les  couleurs  on  ajoute  quel- 


232        ESSAI  SUR  LA  FAUNE  ERPÉTOLOGIQUE  DE  l'ORANIE 

ques  gouttes  d'essence  de  térébenthine  à  l'alcool.  Quelques 
gouttes  de  glycérine  ramollissent  les  échantillons  sans  les 
endommager. 

On  peut  aussi  conserver  les  reptiles  par  l'empaillage  ou  par 
diverses  préparations  taxidermiques.  Ces  procédés  ne  sont 
employés  que  pour  les  grosses  espèces.  Je  ne  m'y  arrêterai  pas. 

Voyages  erpétologiques.  —  Lorsqu'on  est  à  demeure,  la  pré- 
paration des  reptiles  est  facile.  Avec  un  peu  d'attention  on 
évite  tous  les  mécomptes.  Il  n'en  est  pas  de  même  en  voyage. 
Là,  de  grands  soins  sont  indispensables  pour  préserver  de  la 
putréfaction  des  récoltes  abondantes  et  préparées  trop  rapide- 
ment. 

Si  le  voyage  ne  doit  durer  que  huit  jours  au  plus,  le  meilleur 
procédé  consiste  à  conserver  les  animaux  vivants  dans  des 
petits  sacs.  On  se  contente  de  mettre  en  alcool  les  animaux 
blessés.  Quelques  lézards  arrivent  à  percer  les  sacs  avec  leurs 
griffes.  On  remédie  à  cet  inconvénient  en  logeant  plusieurs 
petits  sacs  dans  un  grand.  Il  est  toutefois  préférable  de  placer 
directement  les  petits  sacs  dans  une  boîte  sans  issue,  mais 
dans  laquelle  l'air  pénètre  bien  par  les  joints.  Lorsqu'on  l'ou- 
vre il  suffit  de  prendre  quelques  précautions  pour  capturer  les 
lézards  en  liberté. 

Mais  si  l'on  entreprend  un  long  voyage,  les  difficultés  sur- 
gissent nombreuses.  Voici  comment  j'opère  dans  ce  cas  : 
j'emporte  des  flacons  solides  aussi  petits  que  possible  et  je 
les  emballe  soigneusement.  Avec  cela  j'ai  un  ou  deux  bocaux 
assez  grands  qui  me  servent  de  réservoirs. 

En  général,  je  séjourne  plus  ou  moins  longtemps  dans  une 
localité.  Lorsque  je  rentre  de  la  chasse,  je  retire  les  reptiles 
des  petits  sacs  et  je  les  plonge  dans  un  grand  bocal  conte- 
nant de  l'alcool  en  quantité  suffisante  pour  les  noyer.  Si  j'en 
ai  le  loisir,  je  ne  fais  cette  opération  qu'un  ou  deux  jours 
après.  Aussitôt  que  les  reptiles  sont  morts,  je  les  retire  un  à 
un,  je  tais  sous  le  ventre  les  incisions  nécessaires  et  j'attache 
autour  du  corps  ou  à  une  patte  une  étiquette  en  parchemin 
portant  le  lieu  de  capture  et  la  date  de  la  récolte.  Les  animaux 
ainsi  préparés  sont  placés  dans  l'autre  bocal  réservoir.  Ils  res- 


ESSAI  SUR  LA  FAUNE  ERPÉTOLOGIQUE  DE  L'ORANIE        233 

tent  là  le  temps  nécessaire  ou,  tout  au  moins,  jusqu'à  mon 
départ  pour  une  autre  localité.  Je  change  l'alcool  lorsque 
c'est  utile.  Avant  de  partir  je  loge  les  animaux  par  localité  dans 
les  flacons  ad  hoc.  Dans  l'intérieur  ou  à  l'extérieur  je  place 
une  étiquette  portant  encore  le  lieu  de  la  capture  et  la  date. 
J'emballe  et  je  fais  suivre  pour  les  garder  sous  ma  surveillance. 

L'emploi  du  verre  permet  d'observer  la  marche  de  la  prépa- 
ration. Si  on  constate  des  traces  de  fermentation,  on  change 
l'alcool.  Lorsqu'on  est  sûr  que  les  collections  sont  en  bon  état, 
on  les  expédie  par  petites  caisses  à  son  domicile. 

Ce  procédé  entraine  une  grande  dépense  d'alcool,  mais,  en 
revanche,  on  ne  perd  presque  rien.  Le  seul  inconvénient 
réside  dans  la  fragilité  du  verre.  En  emballant  soigneusement 
chaque  flacon  et  en  exerçant  une  surveillance  constante  sur 
mes  colis,  je  n'ai  jamais  eu  trop  à  m'en  plaindre. 

La  question  du  bouchage  des  flacons  doit  réclamer  tous  les 
soins.  Les  goulots  doivent  être  aussi  étroits  que  possible.  Au 
retour,  pour  ne  pas  abîmer  les  animaux,  on  brise  les  flacons 
si  c'est  nécessaire. 

Si  l'on  avait  à  explorer  des  régions  désertes  pour  le  parcours 
desquelles  il  faut  réduire  le  volume  et  le  poids  des  bagages,  il 
faudrait  adopter  le  système  des  récipients  en  métal.  Ces 
récipients  sont  ordinairement  en  cuivre  étamé.  Le  fond  a  la 
forme  d'une  ellipse  allongée.  Le  haut  porte  une  ouverture  d'un 
diamètre  assez  large  pour  laisser  passer  les  plus  gros  animaux 
et  la  main.  Une  fermeture  vissée  la  clôt  hermétiquement.  L'un 
des  récipients  sert  de  réservoir  à  alcool  ;  l'autre  de  réservoir  à 
reptiles.  Un  troisième  petit  réservoir  est  utile  pour  asphyxier 
les  animaux  et  opérer  comme  je  l'ai  dit  plus  haut.  Chaque 
échantillon,  pourvu  d'une  étiquette,  est  glissé  dans  le  réservoir 
où  l'on  augmente  au  fur  et  à  mesure  la  quantité  d'alcool. 

J'avais  adopté  ce  procédé  dans  mes  premiers  voyages.  Je  l'ai 
abandonné  car  il  a  le  grand  inconvénient  de  loger  les  animaux 
dans  un  trop  vaste  espace.  Sur  le  dos  des  chameaux  tout  est 
ballotté  et  les  échantillons  s'abîment.  On  peut,  il  est  vrai,  lorsque 
les  animaux  sont  bien  raides,  les  rouler  dans  des  chiflbns  et  en 
faire  de  petits  paquets. 


234;       ESSAI  SUR  LA  FAUNE  ERPÉTOLOGIQUE  DE  L'ORANIE 

Conservation  des  animaux  vivants.  —  Les  reptiles  peuvent 
rester  —  en  dehors  de  la  période  de  gestation  pour  les  femelles 
—  des  semaines,  et  certains  même  des  mois,  sans  prendre  de 
nourriture.  On  peut  donc  les  transporter  vivants  pendant  un 
voyage  de  quelques  jours.  Il  est  toutefois  évident  que  les  petites 
espèces  supportent  l'abstinence  moins  longtemps  que  les 
grandes. 

L'élevage  des  animaux  vivants  est  de  la  plus  grande  utilité 
pour  l'étude  de  leurs  mœurs.  A  cette  fm  les  reptiles  sont 
installés  dans  un  terrarium.  C'est  un  petit  aménagement  de 
briques  creuses,  de  pierres,  de  terre,  de  sable,  etc.,  où 
chaque  espèce  trouve  des  conditions  appropriées  à  sa  manière 
de  vivre.  Au  milieu  est  installé  un  bassin  très  peu  profond  où 
les  reptiles  peuvent  se  baigner  et  boire.  Cette  eau  doit  être 
renouvelée  souvent.    Un  petit  filet  la  purifierait  sans  cesse. 

On  nourrit  les  lézards  d'insectes  de  toutes  sortes  :  coléoptères, 
sauterelles,  fourmis,  etc.  On  emploie  de  préférence  les  vers  de 
tarine  que  l'on  trouve  en  quantité  dans  les  minoteries.  Les 
sauterelles  fournissent  un  mets  de  choix.  La  nourriture  doit 
être  abondante. 

Les  serpents  sont  nourris  de  souris,  de  petits  lapins,  etc.  Ils 
ne  mangent  que  des  proies  vivantes.  On  doit  les  séparer  des 
lézards  car  ils  en   feraient  souvent    leur    nourriture. 

Les  batraciens  sont  élevés  dans  des  aquariums.  Les  têtards 
demandent  une  installation  particulière.  Il  faut  qu'ils  puissent 
aisément  sortir  de  l'eau  à  la  fin  de  la  dernière  métamorphose. 

Quand  on  ne  peut  installer  un  terrarium  on  peut  élever  les 
reptiles  en  plein  air  dans  des  caisses  fermées  avec  de  la  toile 
métallique.  A  l'intérieur,  on  dispose  des  briques  creuses  où 
les  animaux  iront  se  réfugier.  Il  faut,  autant  que  possible, 
séparer  les  espèces. 

Expédition  des  reptiles.  —  Les  reptiles  vivants  sont  les  plus 
faciles  à  expédier.  Il  suffit  pour  cela  de  mettre  l'animal  dans 
un  petit  sac  qu'on  expédie  dans  une  boîte  en  bois. 

Malheureusement,  en  France,  les  animaux  vivants  ne  peuvent 
voyager  par  les  voies  postales.  Toutefois  une  sage  tolérance  de  la 
part  de  certains  employés  permet  de  faire  des  envois  qui^  somma 


ESSAI  SUR  LA  FAUNE  ERPÉTOLOGIQUE  DE  L'ORANIE       235 

toute,  sont  bien  moins  gênants  que  les  envois  de  liquides  par 
exemple.  Il  en  est  de  même  pour  les  colis  postaux.  Pourtant 
en  Angleterre,  en  Allemagne,  en  Autriche,  etc.,  les  envois  de 
reptiles  se  font  librement.  Je  ne  comprends  donc  pas  pourquoi 
on  n'accorde  pas  aux  naturalistes  français  les  mêmes  facilités. 

Seule  l'expédition  des  vipères  pourrait  être  interdite,  surtout 
sans  déclaration. 

Si  on  fait  un  envoi  de  reptiles  soit  par  la  poste,  soit  par  colis 
postal,  il  faut  éviter  de  bourrer  les  boites  de  sacs.  On  doit 
placer  ces  derniers  verticalement,  de  façon  à  ce  qu'ils  se  sou 
tiennent  les  uns  les  autres  sans  se  presser.  La  boîte,  tout  en 
étant  close,  doit  laisser  entrer  l'air  par  les  joints  qu'on  rend 
irréguliers  en  enlevant  quelques  fragments  de  bois. 

Les  batraciens  s'expédient  dans  des  boites  en  fer  blanc 
percées  de  quelques  petits  trous  et  dans  lesquelles  on  a  placé 
des  feuilles  de  salade  ou  de  l'herbe  fraîche. 

Les  urodèles  peuvent  être  expédiés  dans  les  mêmes  condi- 
tions mais  sur  une  couche  de  mousse  assez  humide. 

Tous  ces  animaux  doivent  avoir  le  plus  d'air  possible. 

Les  reptiles  en  alcool,  surtout  lorsqu'ils  sont  petits, 
s'expédient  dans  les  flacons  ou  les  tubes  qui  les  renferment. 
On  met  dans  chaque  flacon  un  peu  de  coton  pour  éviter  le 
ballottement.  Le  bouchage  doit  être  parfait. 

Lorsqu'on  veut  faire  un  envoi  important,  comprenant  de 
grosses  pièces,  on  met  le  tout  dans  une  vessie  de  porc.  Voici 
comment  l'on  opère  : 

On  se  procure  une  grande  vessie  ;  on  la  souffle  et  on  la 
laisse  sécher  à  l'air  pendant  trois  ou  quatre  jours.  Quand  elle 
est  assez  sèche  on  coupe  l'extrémité  et  on  y  ménage  une 
ouverture  assez  large  pour  laisser  passer  les  plus  gros 
paquets  qu'on  doit  y  introduire.  Au  fond  de  la  vessie  on  place 
une  couche  de  coton  cardé  qu'on  imbibe  d'alcool.  Après  avoir 
attaché  autour  du  corps  de  chaque  animal  une  étiquette  por- 
tant le  nom,  l'origine,  la  date  de  la  capture  et  l'habitat,  on 
procède  à  un  premier  emballage.  On  enroule  chaque  échan- 
tillon dans  un  linge  blanc  que  l'on  ficelle  sans  le  serrer  et  on 
glisse  chaque  petit  paquet  dans  la  vessie.  On  tait  de  même 
pour  les  tubes.   Quand  ce  travail  est  terminé  on  ajoute  de 


236       ESSAI  SUR  LA  FAUNE  ERPÉTOLOGIQUE  DE  L'ORANIE 

l'alcool  jusqu'à  ce  que  tous  les  paquets  soient  bien  imbibés. 
Une  réserve  de  liquide  doit  rester  au  fond  de  la  vessie.  Enfin 
on  ferme  celle-ci,  en  réduisant  le  plus  possible  son  volume  et 
on  ficelle  solidement  l'ouverture. 

La  vessie  peut  voyager  dans  une  boîte  en  bois  renfermant 
un  emballage  moelleux.  Il  est  préférable  de  la  loger  dans  une 
boîte  en  fer  blanc  que  l'on  fait  souder. 

Lorsque  l'envoi  doit  rester  longtemps  en  route  il  faut  rem- 
placer la  vessie  par  une  boîte  soudée  qu'on  expédie  dans  une 
caisse  en  bois. 


DESCRIPTION  DE  LA  FAUNE 


OBSERVATIONS 


Avant  d'entreprendre  la  description  de  la  faune,  je  vais 
donner  quelques  indications  préliminaires  indispensables. 

J'adopte  la  classification  de  Duméril  et  Bibron  un  peu 
modifiée. 

Dans  les  tableaux,  les  noms  des  espèces  existant  en  Oranie 
sont  suivis  de  l'initiale  0  (Oranie);  ceux  des  espèces  barbares- 
ques  non  encore  signalées  en  Oranie,  de  B.  (Berbérie). 

J'ai  fait  aussi  entrer  dans  les  tableaux  les  espèces  qui  ont  été 
signalées  en  Berbérie  mais  dont  la  présence  y  est  très  dou- 
teuse. Les  noms  de  ces  espèces  sont  en  italique. 

Je  ne  donne  qu'une  courte  description  des  espèces  bien 
connues  et  je  m'étends  sur  les  espèces  critiques  que  j'ai 
pu  étudier. 

Toutes  les  notes  et  de^rriptions  qui  ne  se  rapportent  pas  à 
des  espèces  existant  en  Oranie  sont  imprimées  en  caractères 
de  dimension  moindre. 

L'aire  de  dispersion  géographique  est  indiquée  par  les 
abréviations  suivantes  :  B.  (Berhérie);  M.  Maroc);  Al.  (Algé- 
rie); T.  {Tunisie);  0.  {province  d'Oran);  A.  {province  d'Alger); 
C.  (province  de  Constantine).T.  {Tell);  H. -P.  (Hauts-Plateaux); 
S.  {Sahara). 

Un  numéro  d'ordre  est  affecté  à  chaque  espèce  oranaise. 


CLASSE   DES   REPTILES 


Caractères.  —  Animaux  vertébrés  à  sang  froid  ou  plutôt  à 
température  variable.  Circulation  plus  ou  moins  incomplète. 
Quelques-uns  respirent  par  des  branchies  pendant  le  jeune 
âge  ;  tous  ont  des  poumons  à  l'âge  adulte.  Corps  dépourvu  de 
poils  et  de  plumes.  Peau  écailleuse  ou  nue.  Ovipares  ou  ovovi- 
vipares. 

La  classe  des  reptiles  se  subdivise  en  deuK  sous-classes  : 

TABLEAU  DES  SOUS-CLASSES 

Animaux   généralement   terrestres,    les   uns 

recouverts     d'une    carapace,    les    autres 

écailleux  au  moins  sur  la  tête.  {Tortues, 

lézards,  serpents). 

Sous-classe  des  Reptiles. 

Animaux  amphibies,  peau  lisse  ou  pustuleuse 
absolument  dépourvue  d'écaillés,  même 
sur  la  tête.  {Grenouilles,  salamandres). 

Sous-classe  des  Amphibiens. 


SOUS-CLASSE  DES  REPTILES  (de  Blainville) 


Caractères.  —  Pas  de  métamorphoses.  Des  poumons  à  tout 
âge.  Quatre  pattes,  deux  ou  pas.  Corps  lacertiformc  ouserpen- 
tiforme  (lézards,  serpents),  parfois  ramassé  et  renfermé  dans 
une  carapace  (tortues).  Peau  apparente  recouverte  d'écaillés 
sur  tout  le  corps  ou  au  ijioins  sur  la  tète  ou  sur  les  pattes. 
Ovipares  ou  ovovivipares. 

Cette  sous-classe  est  représentée  en  Berbérie  par  trois 
ordres  : 


ESSAI  SUR  LA  FAUNE  ERPÉTOLOGIQUE  DE  L'oRANIE       239 

Reptiles.  —  TABLEAU  DES  ORDRES 


2. 


Animaux  à  corps  ramassé  et  enfermé 
dans  une  forte  cuirasse.  (Tortues). 

Ordre  des  Cheloniens. 

Animaux  à  corps  étroit,  allongé,  non 
enfermé  dans  une  cuirasse.  {Lé- 
zards, serpents).  2 

Corps  vermiforme,  à  peau  lisse,  anne- 
lée  ;  seule  la  tête  est  couverte  de 
plaques  symétriques;  pas  de  pattes. 
(Famille  des  Amphisbéniens)  Ordre  des  Sauriens. 

Corps  lacertiforme  ou  serpentiforme  ; 
peau  écailleuse,  tuberculeuse,  gra- 
nuleuse ou  chagrinée;  des  pattes 
ou  pas.  3 

Corps  serpentiforme.  Pas  de  pattes 
apparentes.  Ecailles  ventrales  sur 
un  seul  rang,  bien  plus  larges  que 
les  latérales  et  montant  (sauf  chez 
Eryx)  sur  la  base  des  flancs.  (Ser- 
pents j. 

Ordre  des  Ophidiens. 

Corps  lacertiforme  ou  serpentiforme. 
Quatre  pattes,  rarement  pas.  Ecail- 
les ventrales  sur  plusieurs  rangs, 
les  médianes  semblables  aux  laté- 
rales ou  peu  différentes.  [Lézards, 

orvet). 

Ordre  des  Sauriens. 


240       ESSAI  SUR  LA  FAUNE  ERPÉTOLOGIQUE  DE  L'ORANIE 


Ordre  des  Chéloniens 


Caractères  de  l'ordre. —  Corps  i^amassé,  enfermé  dans  une 
boîte  osseuse  (carapace)  recouverte  de  plaques  d'écaillé. 
Mâchoires  dépourvues  de  dents  ;  celles-ci  sont  remplacées  par 
des  lèvres  cornées  et  tranchantes.  Respiration  pulmonaire  à 
tous  les  âges.  Cloaque  en  fente  longitudinale.  Pénis  simple. 
Ovipares. 

Les  animaux  de  cet  ordre  sont  connus  vulgairement  sous  le 
nom  de  tortues.  On  les  divise  en  tortues  terrestres,  tortues 
d'eau  douce  et  tortues  de  mer,  selon  l'élément  qu'elles  habitent. 

Caractères  de  classification  des  chéloniens.  —  Les  prin- 
cipaux caractères  sur  lesquels  repose  la  classification,  sont  : 
l'habitat  ;  la  conformation  de  la  cuirasse  qui  peut  être  entière 
ou  incomplète,  d'une  seule  pièce  ou  de  deux  ;  la  mobilité  ou 
l'immobilité  de  la  partie  postérieure  du  plastron  ;  la  forme  des 
doigts  et  leur  nombre  ;  le  nombre  d'ongles  ;  celui  des  plaques 
des  diverses  parties  de  la  carapace,  etc. 

Généralités.  —  La  classification  reposant  surtout  sur  les 
caractères  présentés  par  la  cuirasse,  je  donnerai  une  descrip- 
tion et  des  figures  de  celle-ci  : 

La  boîte  osseuse  se  compose  de  deux  parties  :  la  partie 
supérieure  ou  bouclier  et  la  partie  inférieure  ou  plastron  (PI.  L) 

Le  bouclier  comprend  aussi  deux  parties  :  l'une,  intérieure, 
le  disque,  et  l'autre,  extérieure,  le  limbe. 

Le  disque  est  formé  de  trois  séries  longitudinales  de  grandes 
plaques  :  l'une,  médiane,  porte  le  nom  de  série  médiane, 
rachidienne  ou  vertébrale  ;  les  deux  autres,  latérales,  sont 
appelées  séries  costales.  La  dernière  plaque  postérieure  de  la 
série  médiane,  se  nomme  plaque  pygale. 

Le  limbe  se  compose  de  deux  séries  de  plaques  symétriques 
qui  bordent  le  bouclier.  Elles  sont  séparées  en  avant  par  la 
nuchale  et,  en  arrière,  par  la  sus-caudale.  Celle-ci  peut  être 
double.  Elle  varie  de  forme  avec  le  sexe. 

Le  plastron  est  formé  de  grandes  plaques  disposées  en  deux 


ESSAI  SUR  LA  FAUNE  ERFÉTOLOfUQUË  DE  L'ORAME        241 

séries  symétriques.  Les  antérieures  portent  le  nom  de  collaires. 
Les  autres,  à  la  suite,  se  nomment  brachiales,  pectorales, 
abdominales,  fémorales,  sous-caudales. 

La  tète  est  recouverte  de  plaques  cornées  ou  d'une  peau 
coriace.  La  peau  apparente  du  corps  est  chagrinée.  Les  pattes, 
plus  ou  moins  écailleuses,  sont  terminées  par  des  doigts  de 
formes  diverses.  Chez  les  tortues  terrestres  les  doigts  sont 
soudés  en  moignons  ;  chez  les  aquatiques  ils  sont  parfaitement 
palmés  et  onguiculés  ;  chez  les  marines,  enfin,  ils  sont 
réunis  en  forme  de  rames  peu  onguiculées.  Chez  toutes,  les 
ongles,  en  nombre  variable,  sont  forts  et  saillants. 

Sexes.  —  Le  mâle  se  reconnaît  généralement  à  ce  que  le 
plastron  est  concave  dans  le  sens  de  la  longueur.  Chez  la 
femelle  il  est  plat  ou  légèrement  convexe. 

L'ordre  des  chéloniens  est  représenté  en  Berbérie  par  rois 
familles  dont  voici  le  tableau  : 


Chéloniens.  —  TABLEAU  DES  FAMILLES 

Doigts  réunis  en  un  moignon  portant  les  ongles. 

Carapace  très  bombée,  ossifiée  sur  les  côtés, 

réunie  au  plastron  sur  une  longueur  égale  à 

la  moitié  de  celle  du  bouclier.  Sus-caudale 

simple.  {Tortues  terreslresy 

Famille  des  Chersites. 

Doigts  palmés  ;  4-5  ongles.  Carapace  oblongue, 

peu  élevée  ou  déprimée,  réunie  au  plastron 

sur  une  longueur  égale  au  tiers  de  celle  du 

bouclier.  Sus-caudale  double.  {Tortues  d'eau 

douce). 

Famille  des  Paludines. 

Doigts  non  apparents  assemblés  en  forme  de 

rame.  Deux  ongles  au  plus.  Carapace  cordi- 

forme.  Animaux  de  grande  taille.  {Tortues 

marines). 

Famille  des  Tlialassites. 


242        ESSAI  SUR  LA  FAUNE  ERPÉTOLOGIQUE  PE  l'oRANIE 

Te  Famille.  —  CHERSITES 


Tortues  terrestres  <>> 

Caractères  de  la  famille. —  Carapace  très  bombée  formée 
de  plaques  symétriques  bien  distinctes.  Doigts  et  orteils  soudés 
en  moignons  portant  les  ongles.  La  tête,  les  pattes  et  la  queue 
peuvent  se  retirer  ou  se  replier  sous  la  bordure  marginale. 

En  Berbérie,  cette  famille  n'est  représentée  que  par  un  seul 
genre. 

Genre  TESTUDO  L. 

Caractères  du  genre.  —  Tète  couverte  de  plaques  cornées. 
Carapace  d'une  seule  pièce  très  bombée  ;  plastron  non  m.obile 
à  Varrière  ou  très  peu.  Cinq  ongles  aux  pattes  de  devant,  qua- 
tre aux  postérieures.  Queue  courte  et  épaisse. 

Deux  espèces  de  ce  genre  ont  été  signalées  en  Berbérie.  La 
présence  de  l'une  d'elles  (T.  campanulata)  est  plus  que  douteuse. 
En  voici  le  tableau  : 

G.  Testudo.  —  TABLEAU  DES  ESPÈCES 

Un  tubercule  corné,  très  saillant,  conique,  placé 
à  la  base  interne  de  chaque  cuisse,  de  chaque 
côté  de  la  queue  ;  profil  du  bout  du  museau 
vertical  ;  carapace  ovale,  à  bords  peu  den- 
telés, relevés  seulement  chez  les  vieux  in- 
dividus. 

T. ibera.  O. 

Pas  de  tubercule  corné  ;  profil  du  bout  du  muaeau 
oblique,  rentrant  ;  carapace  adulte  nettement 
oblongue,  dentelée  sur  son  pourtour,  à  bords 
postérieurs  très  élargis,  étalés  horizontale- 
ment. 

T.  marginata.  0.  ? 


(1)  Sur  les  tortues  terrestres  et  d'eau  douce  du  bassin  méditerranéen, 
consulter  la  belle  monographie  de  M.  Lortet.  (Arch.  Muséum  de  Lyon, 
1886. 


1 

I 


ESSAI  SUR  LA  FAUNE  ERPKTOLOGFQUE  DE  l'ORANIE         243 

1.  Tesfudo  ibera  Pallas 

Fig.  L.  Lortel  {loc.  cit.)  PI.  1 
La  tortue  ibériciue  oil  maurêtanique.         Arabe  :  Fakroun. 

Testudo  ibera  Pallas,  Gervais,  Lovtet,  Boulanger. 

T.  pusilla  Sliaw,  Slraucli,  Lallemant. 

T.  grœca  Poiret  non  Linné. 

T.  mauritanica  Guichenot,  Ernest  Olivier. 

Caractères  principaux.  —  A7iimal  terrestre:  carapace 
très  homhée;  un  tubercule  corné  conique  à  la  hase  interne  de 
chaque  cuisse. 

La  tortue  terrestre  a  la  carapace  très  bombée  et  complète- 
ment ossifiée  sur  les  côtés.  Le  disque  est  formé  de  13  plaques  ; 
le  limbe,  de  22  marginales,  d'une  nuchale  et  d'une  sus- 
caudale.  La  nuchale  est  petite,  très  étroite,  en  forme  de 
triangle  isocèle.  La  sus-caudale  est  simple  (très  rarement 
double).  Le  plastron  se  compose  de  six  paires  de  plaques 
symétriques.  La  tête  et  les  membres  peuvent  se  retirer  sous 
le  bouclier.  La  tête  est  recouverte  de  plaques  comme  chez  les 
sauriens.  Les  pattes  présentent  d'épaisses  et  grandes  écailles 
cornées  triangulaires,  subaiguës,  imbriquées,  à  pointes  libres. 
Les  doigts  et  les  orteils  sont  réunis  en  moignons  portant  cinq 
et  quatre  ongles.  A  la  base  interne  des  cuisses  se  trouve  un 
fort  tubercule  corné,  conique,  aigu  qui  distingue  l'espèce. 

Coloration.  —  Variable,  mais  ordinairement  à  fond  d'un 
jaune  nacré.  Les  plaques  de  la  série  médiane  du  bouclier  sont 
largement  bordées  de  noir.  Celles  des  latérales  portent,  anté- 
rieurement, une  tache  de  même  couleur  en  forme  de  triangle 
à  pointe  tournée  en  bas.  Ces  taches  présentent  dans  leur 
ensemble  une  certaine  symétrie.  De  même  celles  des  marginales 
qui  ont  la  pointe  du  triangle  noir  dirigée  en  haut.  Les  plaques 
du  disque  portent  en  outre  une  tache  noire  sur  leur  point  le 
plus  saillant. 

Le  plastron  est  jaune,  plus  tâché  de  noir  chez  le  mâle  que 
chez  la  femelle. 


244        ESSAI  SUR  LA  FAUNE  ERPÉTOLOGIQUE  DE  l'ORANIE 

Sexes. —  Mâle. — Sus-caudale  très  bombée  en  dehors.  Plastron 
visiblement  concave  dans  le  sens  de  la  longueur.  Sous-caudales 
bien  distantes  de  la  sus-caudale.  Coloration  du  plastron  plus 
noire  que  chez  la  femelle. 

Femelle.  —  Sus-caudale  non  bombée,  presque  plane.  Plas- 
tron plan,  ou  très  légèrement  convexe.  Sous-caudales  plus 
rapprochées  de  la  sus-caudale  que  chez  le  mâle.  Coloration  du 
plastron  assez  claire.  Partie  postérieure  assez  mobile,  ce  qui 
facilite  la  ponte. 

Taille:  Carapace  Qm  18.  0™ 24  (Lorfef)  (1).  -  Mars  à  juin, 
automne  (2). 

Variations.  —  La  carapace  est  plus  ou  moins  bombée  et 
plus  ou  moins  ovale.  La  forme  de  la  plaque  pygale  surtout  est 
très  variable.  Je  ne  m'arrêterai  pas  à  décrire  toutes  ces  varia- 
tions qui  ne  présentent  même  pas  des  caractères  constants. 

Observations. — La  T.  ibema  été  longtemps  confondue  avec 
la  r.  grœca  L.  dont  elle  a  toutes  les  apparences.  Le  gros  tuber- 
cule de  la  cuisse  l'en  distingue  pourtant  nettement,  car  il 
manque  chez  la  tortue  grecque. 

Distribution  géographiqhe  (B  :  T.,  H.  P.)  —  Cette  espèce 
est  très  commune  dans  le  Tell  oranais.  On  la  trouve  aussi  sur 
les  Hauts-Plateaux.  Elle  devient  de  plus  en  plus  rare  lorsqu'on 
se  rapproche  du  Sahara.  Les  points  extrêmes  de  la  province 
où  j'ai  constaté  sa  présence,  sont:  El-Aricha,  le  djebel  Beguira, 
Géryville.  Quoique  rare,  elle  est  donc  disséminée  sur  toute 
l'étendue  des  Hauts-Plateaux  et  dans  la  région  montagneuse. 
Elle  ne  paraît  pas  vivre  dans  les  oasis.  Les  indigènes  d'Arba 
Tahtani  et  d'El  Abiod-Sidi-Cheikh  m'ont  déclaré  qu'elle  n'exis- 
tait pas  dans  ces  régions. 

Ethologie.  —  La  tortue  maurétanique  apparaît  dès  le 
milieu  de  février  dans  les  lieux  chauds  du  Tell.  Les  individus 


(1)  Pour  la  taille,  je  donne  généralement  la  plus  grande  que  j'ai  obser- 
vée. Elle  peut  donc  être  moindre  que  celle  donuée  par  les  auteurs. 

(2)  Pour  la  période  de  la  vie  active,  je  donne  les  mois  pendant  lesquels 
les  espèces  se  trouvent  en  nombre. 


ESSAI  SUR  LA  FAUNE  ERPÉTOLOGIQUE  DE  l'ORAXIE       245 

des  deux  sexes  ne  tardent  pas  à  se  rechercher.  Dans  les 
premiers  jours  du  printemps  il  n'est  pas  rare  d'entendre,  dans 
la  broussaille,  un  bruit  insolite  :  on  dirait  le  choc  de  deux 
sabots.  Si  on  s'approche  on  ne  tarde  pas  à  apercevoir  deux 
tortues,  deux  mâles,  qui  se  battent  pour  une  femelle  qui,  de 
loin,  assiste  à  ce  combat  singulier. 

Un  bruit  plus  léger  est  perçu  lorsqu'un  mâle  poursuit  une 
femelle.  Chaque  fois  qu'il  l'atteint  il  la  frappe,  d'un  ou  deux 
coups,  avec  sa  nuchale.  Il  continue  ce  jeu  jusqu'à  ce  que  la 
femelle  s'arrête.  Alors  il  s'arc-boute  sur  ses  pattes  postérieures 
et  l'accouplement  a  lieu,  le  mâle  se  maintenant  dans  la  position 
verticale.  J'ai  constaté  le  fait  le  12  mars.  Je  n'ai  jamais  pu 
déterminer  la  durée  de  la  gestation,  pas  plus  que  celle  de 
l'incubation  chez  cette  espèce. 

Une  vieille  femelle  capturée  à  la  Macta  le  19  mai  1890  a 
pondu  un  œuf  le  25  juin.  Le  4  juillet  j'en  ai  trouvé  deux 
autres.  La  ponte  a  continué  et  j'ai  eu  en  tout  sept  œufs.  Ces 
œufs,  de  forme  elliptique,  mesuraient  0'"036  de  longueur  et 
On'OiS  de  diamètre.  Leur  coque,  d'un  beau  blanc,  était  aussi 
épaisse  et  plus  dure  que  celle  d'un  œuf  de  poule  (1). 

En  été  les  tortues  deviennent  rares.  Elles  craignent  l'arJeur 
du  soleil  et  s'enterrent.  Elles  apparaissent  de  nouveau  en 
septembre  pour  disparaître  aux  approches  de  l'hiver.  Elles 
s'enfouissent  dans  la  terre  ou  se  cachent  sous  une  grosse 
pierre.  Il  n'est  pas  rare  de  trouver  des  tortues  en  plein  hiver 
lorsque  le  soleil  échauffe  la  terre. 

Ces  apparitions,  exceptionnelles  il  est  vrai,  démontrent  que 
le  sommeil  hibernal  est  intermittent  chez  cette  espèce. 

Utilité  et  nocuité.  —  Les  tortues  terrestres  sont  herbi- 
vores, mais  elles  se  nourrissent  aussi,  surtout  pendant  la 
saison  sèche,  d'insectes,  de  mollusques  et  de  vers.  Quoiqu'elles 
puissent  commettre  des  dégâts  dans  les  jeunes  plantations,  je 
les  crois  plus  utiles  que  nuisibles.  Il  n'y  a  donc  pas  lieu  de  les 
détruire.  Toutefois  si  elles  étaient  trop  abondantes  dans  les 
cultures  il  serait  préférable  d'en  diminuer  le  nombre. 


(l)  Une  femelle  élevée  à  Bordeaux  par  M.  le  comte  Kercado  a  pondu 
17  œufs.  A  la  lin  de  novembre  ces  œufs  n'étaient  pas  écios.  (Act.  soc.  lin. 
Bordeaux,  t.  XXX.  —  3'  séri.3  •  t.  X,  p.  XXXV). 


24()       ESSAI  SUR  LA  FAUNE  ERPÉTOLOGIQUE  DE  l'oRANÎE 

Leur  chair  est  bonne  à  manger.  Le  bouillon  de  tortue  est 
recommandé  aux  personnes  faibles.  Les  œufs  frais  peuvent 
aussi  être  consommés.  Ils  sont  moins  riches  en  albumine  que 
ceux  des  oiseaux. 

La  tortue  maurétanique  vit  facilement  en  domesticité.  On  la 
nourrit  de  feuilles  de  salade,  de  légumes  veris,  de  mie  de 
pain,  etc. 

Sur  certains  points  de  l'Algérie  les  tortues  terrestres  font 
l'objet  d'un  commerce  d'exportation. 


Testudo  marginata  Schœpffer. 

F'kj.  Lorlet  {loc.  cit.)  PI.  III  et  IV 

La  lortue  bordée. 

Testudo  marginata  Schœpffer,  Gerçais,  D.  et  B.,  LalL,  Lortet. 
T.  campanulata  Walb.,  Strauch. 

La  présence  de  cette  espèce  en  Berbérie  n'est  pas  admise  par 
MM.  Lortet,  Boulanger,  Ernest  Olivier.  Je  n'ai  pu  obtenir  des 
tortues  de  Pélissier  où  Lallemant  dit  T.  marginata  commune.  Je 
ne  crois  pas  qu'elle  y  existe.  Toutefois  il  sera  bon  d'observer  avec 
attention  les  tortues  à  carapace  oblongue,  à  marginales  posté- 
rieures relevées.  L'absence  du  tubercule  de  la  cuisse  ferait  recon- 
naître, le  cas  échéant,  la  T.  marginata. 


2'»«  Famille.  —  PALU DINES 


Tortues  d'eau  douce 

Caractères  de  la  famille,  —  Animaux  fluviatiles;  tête 
non  écailleuse  ;  carapace  peu  élevée,  déprimée,  surtout  dang 
la  région  médiane;  sutures  des  plaques  peu  profondes;  doigts 
distincts  mais  réiviis  par  une  memhrane  comme  chez  les 
palmipèdes  ;  ongles  longs  et  aigus.  Tète,  membres  et  queue  se 
retirant  sous  le  limbe.  Queue  longue.  Espèces  habitant  les  eaux 
douces,  vives  ou  dormantes. 

Cette  famille  est  représentée  en  Berbérie  par  deux  genres 


ESSAI  SUR  [.A  FAUNE  ERPKTOLOGIyUE  DE,l'0RANIE        247 

Paludines.   —    TABLEàU   DES   GENRES 

Plastron   solidement  anastomosé  de  chaque  côté 

avec  le  bouclier. 

Genre  Eoiys. 

Plastron  uni  de  cliaque  côté  au  bouclier  par  une 

bande  cartilagineuse. 

Genre  Gistudo. 


Genre  EMYS  Merr. 

Caractères  du  genre.  —  Tête  nue  ;  plastron  solidement 
uni,  sur  les  côtés,  avec  le  bouclier,  fixe  à  l'arrière  ;  'pattes  anté- 
rieures à  5  ongles;  les  postérieures  à  4,  le  cinquième  orteil  en 
étant  dépourvu;  doigts  palmés.  Queue  longue  et  fine. 

Une  seule  espèce  en  Berbérie  : 
2.  Emys  leprosa  Schweigger  (Pi.  1) 

Fi<j.  L.  Lortet  [loc.  cit.)  PI.  VIII 

L'émyde  lépreuse  Arabe  :  Fa/.- /■oa?r-e/-wâ 

Emys  leprosa  Schw.,  Strauch,  Lall.,  Ern.  Olivier. 
Clemmys  leprosa  Schw.,  Boulanger. 
Emys  Sigriz  D.  et  B.,  Guichenot. 

Caractères  principaux.  —  Animal  aquatique  ;  carapace 
déprimée,  à  contour  variant  de  forme  avec  Vâge  ;  plastron 
solidement  uni  de  chaque  côté  au  bouclier  par  un  tissu  osseux 
de  même  nature  ;  sus-caudale  double  ;  doigts  et  orteils  régu- 
lièrement palmés  ;  tête  et  membres  se  retirant  sous  le  limbe. 

L'émyde  lépreuse  se  reconnaît  à  son  caractère  générique 
((  plastron  solidement  uni  au  bouclier  ».  Néanmoins  la  forme 
variable  de  sa  carapace  peut  faire  naître  des  doutes  au  sujet  de 
la  valeur  spécifique  de  certains  échantillons. 

Quand  l'émyde  naît  les  côtés  de  son  bouclier  sont  régulière- 
ment curvilignes  ;  mais,  au  fur  et  à  mesure  que  l'animal  gran- 


248         ESSAI  SUR  LA.  FAUxXE  ERPÉTOLOGIQUE  DE  L'ORANIE 

dit,  la  ligne  transversale  de  la  carapace,  à  la  hauteur  des  cuisses, 
s'allonge  ;  il  en  résulte  que  le  contour  devient  pentagonai. 
Lorsque  la  longueur  du  bouclier  dépasse  11-12  centimètres, 
les  angles  de  la  ligne  transversale  postérieure  ne  sont  plus 
aussi  saillants,  et  les  côtés  de  la  carapace  sont  presque  parallèles 
sur  toute  leur  longueur  chez  les  individus  de  16-18  centimètres. 

Un  autre  caractère  présente  par  les  pla{|ues  du  disque,  subit 
aussi,  d'après  l'âge,  d'imi^ortantes  modifications  : 

A  la  naissance,  les  plaques  de  la  série  médiane  sont  pliées 
en  dos  d'âne,  tandis  que  celles  des  séries  ialérales  portent 
chacune,  en  leur  milieu,  une  arête  obtuse  qui  n'atteint  pas  les 
bords  de  chaque  plaque.  Les  arêtes  sont  placées  sur  une  ligne 
longitudinale.  Elles  ne  tardent  pas  à  s'élargir  ;  avec  l'âge 
elles  se  transforment  en  un  tubercule  large  et  peu  saillant  qui 
finit  par  disparaître  ou  à  peu  près. 

La  carène  de  la  série  médiane  obéit  à  la  même  loi,  mais  plus 
lentement.  Elle  e.'ciste  encore  chez  des  individus  de  12  à  13 
centimètres.  Ensuite  elle  disparaît  et  la  série  médiane  devient 
plane. 

La  coloration,  comme  nous  le  verrons  plus  loin,  varie  aussi 
avec  l'âge. 

La  tête  de  l'émyde  est  dépourvue  de  plaques  cornées;  elle 
est  recouverte  d'une  peau  épaisse  et  unie. 

Les  doigts,  au  nombre  de  5,  sont  palmés  et  tous  pourvus 
d'un  ongle  long  et  aigu.  Les  orteils  sont  aussi  au  nombre  de 
5,  le  cinquième  seul  est  dépourvu  d'ongle.  La  queue  est  longue 
et  effilée. 

Coloration. —  1"  Carapace. —  La  coloration  varie  avec  l'âge 
et  surtout  avec  le  plus  ou  moins  de  pureté  des  eaux  que  les 
tortues  habitent.  Dans  les  eaux  sales,  dormantes  ou  stagnantes 
les  tortues  sont  invariablement  d'un  brun  vert-jaunâtre  tirant 
sur  le  noir.  La  coloration  naturelle  ne  se  trouve  que  chez  les 
individus  des  eaux  claires  et  courantes.  Voici  les  observations 
que  j'ai  faites  à  ce  sujet  : 

A  la  naissance,  les  jeunes  tortues  sont  brunâtres.  Bientôt 
elles  deviennent  d'un  brun  verdâtre.  Les  arêtes  des  écailles 
du  disque  passent  à  locre  claire.  L'année  suivante  les  arêtes 
s'effacent  davantage  en  s'élargissanL  La  couleur  ocre  claire  les 


ESSAI  SUR  LA  FAUNE  ERPÉTOLOGIQUE  DE  l'ORANIE        249 

recouvre  et  apparaît  sur  les  bonis  des  plaques  latéi'ales  du 
disque.  Peu  à  peu  cette  coloration  gagne  les  plaques  médianes. 

Pendant  quatre^  ou  cinq  ans,  le  bouclier  coniinue  à  se  mar- 
brer d'ocre  claire  qui,  petit  à  petit,  passe  au  rouge  feu. 

I.ors(|ne  les  tortues  dépassent  0"'I2  le  fond  devient  olivâtre 
et  s'unilie  de  plus  eu  plus.  Sur  les  vieux  individus  il  ne  reste 
plus  que  des  traces  tout  à  lait  Icrncs  des  premières  taclies. 

A  tous  les  âges  le  plastron  est  à  fond  blanc  jaunâtre  forte- 
ment tacbé  de  noir.  Les  plaques  marginales  sont  noires  en 
dessous.  Il  y  a  aussi  deux  taches  noires  sur  les  côtés  du 
plastron . 

2"  Tête  et  membres.  —  Le  dessous  de  la  tète,  la  gaine  du  cou 
et  les  membres  sont  à  fond  noir  grisâtre  parcouru  par  de 
nombreuses  lignes  parallèles  de  couleur  Jaune  citron  ou 
orangé  d'un  bel  elTtt.  Chez  les  vieux  individus,  la  gaine  devient 
d'un  gris  uniforme  et  les  hgnes  des  pattes  et  de  la  gorge 
prennent  la  couleur  claire  du  plastron. 

SEXES.  —  Mâle.  —  Le  mâle  a  le  plastron  concave  dans  le 
sens  de  la  longueur  et  fortement  taché  de  noir  dans  la  partie 
moyenne. 

Femelle.  —  La  femelle  a  le  plastron  plan;  sa  partie  noire  est 
généraleru'nt  moins  étendue  que  chez  le  mâle  ;  elle  disparait 
presque  chez  les  adultes. 

Taille.  —  Du  bout  du  museau  Ji  l'extrémité  de  la 
queue:  0"'30.  Carapace:  0'"19  de  longueur  sur  0^35  de 
largeur  au  milieu.  —  Presque  toute  l'année  dans  le  Tell. 

Observations.  —  \JEmui  leprosa  ressemble  beaucoup  à 
I'jE'.  Caspica  Gmel.  Certains  auteurs  ne  la  considèrent  que 
comme  une  variété  de  cette  dernière.  Les  matériaux  me  man- 
quent pour  donner  mon  opinion.  J'avoue  toutefois  que  je  ne 
saisis  pas  bien  la  valeui-  des  caractères  que  M.  Lortet  (/oc.  cit.) 
admet  pour  distinguer  les  deux  espèces.  Seule  la  figure  qu'il 
donne  lVE.  caspica  (PI.  VIII)  semble  en  offrir  un  de  sérieux  ; 
de  chaque  côté  de  la  plaque  pygale,  la  dernière  plaque  latérale 
se  distingue  en  elîet  par  ses  petites  dimensions  ;   sa  surface 


250        ESSAI  SUR  LA  FAUNE  ERPÉTOLOGIQUE  DE  L'ORANIE 

n'est  égale  qu'au  quart  de  la  troisième  latérale.  Chez  E.  leprosa 
elle  est  égale  aux  trois  quarts. 
Les  émydes  de  18  centimètres  sont  abondantes  en  Oranie. 

Distribution  géographique.  —  (B  :  T.,  H.-P  ,  S.)—  Cette 
espèce  est  très  abondante  dans  presque  tous  les  cours  d'eau  du 
Tell  et  des  Hauts-Plateaux  de  la  province  d'Oran.  Non  loin 
d'Oran,  elle  se  trouve  dans  l'oued  des  Andalouses,  à  Brédéah, 
dans  l'oued  Tlélat.  Elle  abonde  au  Sig,  à  Perrégaux,  à  la 
Macta,  à  Aïn-Témouchent,  Arlal,  etc.  Plus  au  sud,  j'ai  constaté 
sa  présence  dans  l'oued  Safsaf  à  Tlemcen,  dans  la  Tafna  à  Sebdou, 
dansla  MékerraàBedeau,  dansl'oued  Saïdaà  Aïn-el-Hadjar,  dans 
l'oued  El-Biodh  à  Géryville.  J'ignore  si  dans  la  province  d'Oran 
elle  atteint  la  région  saharienne.  Je  ne  l'ai  pas  vue  à  Arba 
Foukanietà  ArbaTahtani  où  les  indigènes  m'ont  affirmé  qu'elle 
n'existait  pas.  Il  y  a  pourtant  de  l'eau  toute  l'année  dans  la 
rivière. 

Ethologie.  —  L'émyde  lépreuse  est  bien  connue  par  son 
odeur  repoussante.  Cette  odeur  provient  de  la  vase  dans 
laquelle  s'enfouit  l'animal.  Les  émydes  des  eaux  limpides 
sentent  bien  moins.  Ces  émanations  nauséabondes  disparaissent 
lorsqu'on  laisse  séjourner  les  tortues  dans  l'eau  claire.  En 
hiver  et  au  premier  printemps  l'odeur  est  très  peu  prononcée. 
La  nourriture  contribue  donc  aussi  à  la  faire  naître. 

L'influence  de  l'eau  claire  se  fait  aussi  sentir  sur  la  coloration. 
De  jeunes  émydes  noirâtres  se  colorent  en  rouge  vif  au  bout 
de  quelques  mois  de  séjour  dans  l'eau  limpide  et  ensoleillée. 

Comme  les  tortues  terrestres,  les  émydes  peuvent  rester 
longtemps  sans  prendre  de  nourriture.  Leur  sommeil  hibernal 
est  intermittent. 

En  été,  lorsque  les  oueds  se  dessèchent,  les  émydes 
s'enterrent  dans  les  berges  et  attendent  là  le  retour  de  la 
période  pluvieuse.  Elles  sont  donc  soumises  accidentellement 
au  repos  estival. 

Les  émydes  s'accouplent  soit  hors  de  Teau,  soit  au  fond.  La 
femelle  pond  des  œufs  allongés  qu'elle  dépose  dans  la  terre 
non  loin  du  bord  de  l'eau.  Je  ne  sais  à  quelle  époque  a  lieu 
l'accouplement.   M.  Lortet  (loc.  cit.)  le  fixe   au  printemps. 


ESSAI  SUR  LA  FAUNE  ERPÉTOLOGIQUE  DE  L'oRANIE       251 

Je  le  crois  aussi.  Toutefois,  j'ai  observé  le  fait  suivant  : 
Une  grosse  femelle,  rapportée  depuis  peu  du  Sii;,  a  pondu 
neuf  beaux  œufs  dans  la  nuit  du  2  au  3  septembre  et  le  matin. 

Ces  œufs  étaient  d'un  beau  blanc,  de  forme  cylindro- 
elliplique,  à  bouts  largement  arrondis  ;  le  [tins  gros  avait  38 
millimètres  de  longueur  et  21  de  diamètre  ;  le  plus  petit,  34,5 
millimètres  de  longueur  et  21  d'épaisseur. 

Ces  œufs  étaient-ils  stériles  ou  devaient-ils  éclore  au  prin- 
temps suivant  ?  Je  l'ignore. 

Les  jeunes  émydes  naissent  vers  la  fin  du  mois  de  mars  ou 
au  commencement  d'avril. 

Le  8  avril  1899,  une  émyde  vue  à  Arlal  mesurait  O'n025.  Elle 
paraissait  être  seule. 

Le  13  avril  1898,  au  Sig,  la  carapace  de  nombreux  exem- 
plaires mesurait  0"i003. 

Si  l'accouplement  a  lieu  de  bonne  heure,  on  doit  donc 
admettre  qu'il  a  lieu  en  janvier. 

Au  mois  d'août,  les  émydes,  nées  en  avril,  ont  atteint  la 
taille  de  0"' 045,  celles  des  années  précédentes  avaient  0"' 006. 

L'émyde  est  surtout  Carnivore.  Elle  se  nourrit  d'insectes,  de 
batraciens,  de  poissons,  de  matières  animales  en  putréfaction. 
Dans  les  mares  et  les  lacs  elle  détruit  le  poisson.  Les  grosses 
émydes  mangent  les  petites.  Faute  de  nourriture  animale, 
les  émydes  se  contentent  de  produits  végétaux.  En  captivité, 
je  les  nourris  de  légumes  frais,  de  feuilles  de  salade,  de  mie  de 
pain  ;  de  temps  en  temps  je  leur  donne  du  poisson. 

Cette  espèce  est  assez  difficile  à  capturer.  Plus  méfiante  que 
la  grenouille,  elle  plonge  au  moindre  bruit.  Il  faut  la  pêcher 
avec  un  troubleau  ou  une  épuisette.  Dans  les  lacs  on  la  prend 
à  la  ligne  que  l'on  amorce  avec  une  petile  grenouille.  C'est 
dans  les  canaux  à  sec  et  dans  les  trous  des  vannes  qu'on 
les  capture  le  plus  facilement. 

Les  tortues  d'eau  ne  sont  donc  nuisibles  (juc  dans  les  viviers 
et  dans  les  rivières  poissonneuses. 


252       ESSAI  SUR  LA  FAUNE  ERPÉTOLOGIQUE  DE  L'ORANIE 

Genre  CISTUDO  Flem. 

Caractères  du  genre,  —  Tète  nue.  Plastron  mobile  en 
avant  et  en  arrière,  réunie  n  la  carapace  par  un  cartilage. 
Carapace  bombée  mais  peu  élevée.  Pattes  de  deoant  à  5  doigts 
onguiculés;  celles  de  derrière  à  i  ongles  seulement,  le  cinquième 
orteil  en  étant  dépourvu.  Doigts  et  orteils  palmés. 

Une  seule  espèce  a  été  signalée  en  Tunisie  et  dans  les 
provinces  d'Alger  et  de  Constantine  : 

Cistudo  europœa  Guich 
Fig.  L.  Loriot  (lac.  cit.)  (PL  VI). 

La  tortue  bourbeuse. 

Emys  orbicularis  L.  Boulanger. 

Testudo  lutaria  Rondelet. 

Cistudo  lutaria  Strauch,  LalL,  Ern.  Olir.ier. 

La  cistude  d'Europe  ou  (ortue  bourbeuse  existe  dans  l'est  de 
l'Alirérie  et  en  Tunisie.  M.  Hagemmueller  l'a  prise  a  -Bône. 
Lallemant  l'a  signalée  à  l'Harrach,  au  lac  Fetzara  et  dans  l'oued 
Sebaou.  Guichenot  dit  qu'elle  est  commune  dans  tous  les  fleuves 
de  l'Algérie.  C'est  là  une  grosse  erreur.  Si  toutefois  on  considère 
que  les  tortues  d'eau  ont  été  peu  observées  jusqu'ici,  on  pourrait 
peut-être,  en  taisant  des  recherches,  découvrir  la  cistude  dans  la 
province  d'Oran.  La  charnière  cartilagineuse  qui  unit  le  plastron 
au  bouclier  permettra,  le  cas  échéant,  de  reconnaître  la  cistude. 


3"»*  Famille.  —  THALASSITES 


Tortues  marines 

Caractères  de  la  famille.  —  Animaux  marins  de  grande 
taille.  Carapace  fortement  atténuée  en  pointe  à  Varrière. 
Pattes  à  extrémité  transformée  en  rame.  Doigts  indistincts. 
Deux  ongles  au  jj/us  ou  pas.  Tète  et  membres  ne  pouvant  pas 
se  retirer  sous  le  limbe.  Queue  très  courte. 

Dans  la  mer  Méditerranée  cette  famille  est  représentée  par 
deux  genres,  dont  voici  le  tableau  : 


ESSAI  SUR  LA  FAUNE  ERPÉTOLOGIQUE  DK  L'ORANIE        253 

Thalassites.  —  TABLEAU   DES  GENRES 

Carapace  recouverto,  comme  chez  les  tortues 
aquatiques,  d'écaillés  distinctes,  symétri- 
ques non  imbriquées.  Deux  ongles. 

Genre  Clieloiliii. 

Carapace  recouverte    d'une  peau  coriace   et 

creusée  de  protondes  et  larges  gouttières 

longitudinales.  Pas  d'ongles. 

Genre  Spliargis. 

Genre  CHELONIA  Brong. 

Caractères  du  genre.  —  Carapace  cordiforme  recouverte 
d'écaillés  cornées,  non  imbriquées.  Disque  à  i3  ou  i 5  plaques \ 
15  chez  notre  espèce.  Un  ou  deux  ongles. 

Ce  genre  est  représenté  dans  la  mer  Méditerranée  par  une 
seule  espèce  : 

3.  Chelonia  Caouauna  Schweigger 

La  caovianne.  Arabe  :  Fakroun-cl-hahar 

Chelonia  corticata  Rond.,  Straucli,  Lallcmant. 
Thalassochelys  corl i ca /fo?u/.  (Testudo),  Ern.  Olivier. 

Caractères  principaux.  —  Disque  à  15  plaques.  Deux 
forts  ongles  dont  un  seul  est  saillant. 

La  caouanne  est  la  grosse  tortue  de  mer  que  l'on  voit  assez 
souvent  au  printemps  sur  les  marchés  du  littoral.  Voici  la  des- 
cription succinte  d'un  individu  adulte  vivant  : 

Dessus  de  la  tête,  des  lèvres  à  l'occiput,  entièrement  recouvert 
de  grandes  plaques  cornées.  Lèvre  inférieure  bordée  d'une 
seule  ligne  de  plaques.  Mentonnière  très  développée.  Le  reste 
de  la  gorge,  les  épaules  et  tout  le  cou  non  écallleux,  à  peau 
chagrinée,  molle  et  grasse.  Yeux  à  paupières  noires,  saillantes. 

Carapace  cordiforme,  atténuée  en  pointe  dans  les  deux  tiers 
inférieurs.  Disque  à  15  plaques  ;  limbe  à  27.  Une  nuchale, 
deux  sus-caudales. 


254       ESSAI  SUR  LA  FAUNE  ERPÉTOLOGIQUE  DE  L'ORANIE 

Les  plaques  marginales  ont  leur  bord  inférieur  large  et 
horizontal  et  sur  le  mênrie  plan  que  le  plastron.  La  nuchale 
est  rectangulaire,  bien  plus  large  que  longue  ;  son  bord 
antérieur  est  un  peu  concave.  Les  deux  sus-caudales  forment 
entre  elles  un  angle  assez  profond.  Le  pourtour  du  limbe  est 
denté  par  suite  de  la  saillie  d'un  angle  de  chaque  marginale. 

Plastron  très  remarquable  par  la  forme  de  sa  partie  libre 
postérieure  qui  est  très  étroite.  Il  est  formé  par  deux  séries  de 
six  grandes  plaques  symétriques,  dont  deux,  les  abdominales 
et  les  pectorales,  sont  unies  aux  marginales  médianes  par  trois 
plaques  bien  plus  petites.  En  outre  les  pectorales  et  les  bra- 
chiales sont  bordées  en  avant  de  quatrp  ou  cinq  plaques  plus 
petites. 

La  partie  postérieure  (sous-caudales  et  fémorales)  est  pres- 
que en  forme  de  languette  élargie  à  la  base.  Ses  bords  sont 
très  distants  des  marginales  postérieures. 

Les  aines  sont  très  profondes  et  largement  entaillées. 

Les  aisselles  sont  bien  moins  marquées  que  chez  les  autres 
tortues,  les  épaules  étant  convexes  en  dessous. 

Pattes  en  forme  de  rames  portant  chacune  deux  ongles 
dont  un  seul  est  libre  ;  l'autre  est  enchâssé  horizontalement. 

Queue  très  courte,  épaisse,  conique,  molle,  à  paau  un  peu 
chagrinée,  grisâtre  en  dessus,  portant  plusieurs  plis  longitu- 
dinaux bien  marqués.  Distance  de  l'anus  au  bout  de  la 
queue  2  à  3  centimètres. 

Les  jeunes  caouannes  diffèrent  des  adultes  par  les  plaques 
de  la  série  médiane  qui  sont  pourvues  d'une  forte  épine.  Ces 
épines  disparaissent  avec  l'âge. 

Coloration. —  Les  plaques  de  la  tête  sont  d'un  fauve  clair; 
celles  du  bouclier,  d'un  brun  rougeâtre  mêlé  de  grisâtre. 
Tout  le  dessous  est  d'un  beau  jaune  blanchâtre. 

Taille.  —  A  Oran  la  carapace  des  individus  capturés  ne 
dépasse  que  rarement  0"^10.  Mais  d'après  les  auteurs  cette 
espèce  peut  atteindre  1"'50.  —  Avril,  mai,  juin. 

Observation.  —  La  caouanne  ne  peut  être  confondue 
qu'avec  la  tortue  franche  [Ch.  midas  Schw.  )  Mais,  chez  celle-ci, 
le  disque  est  formé  de  treize  plaques  seulement. 


ESSAI  SUR  LA  FAUNE  ERPÉTOLOGIQUE  DE  L'ORANIE        255 

Distribution  géographique.  —  La  caouanne  se  trouve  sur 
toute  l'étendue  du  littoral  barbaresque.  Les  grandes  plages 
oranaises  sont  très  fréquentées  par  ce  chélonien. 

Éthologie.  —  La  caouanne  vit  en  pleine  mer  ;  elle  ne 
s'approche  des  côtes  qu'au  printemps,  au  moment  de  la  ponte- 
La  nuit  elle  débarque  sur  les  plages  où  elle  enfouit  ses  œufs. 

Pendant  le  jour  la  caouanne  se  tient  en  pleine  mer  où,  aux 
heures  de  forte  chaleur,  elle  s'endort  en  se  laissant  doucement 
flotter  sur  les  eaux.  Lorsque  les  pêcheurs  la  surprennent,  ils 
la  saisissent  par  une  des  pattes  de  derrière  et  la  précipitent 
dans  leur  barque  en  la  retournant  vivement  sur  le  dos. 

Utilité.  —  La  chair  de  la  caouanne  est  bonne  à  manger. 
Avant  de  la  faire  cuire  il  faut  la  débarrasser  de  l'huile  qui  l'im- 
prègne en  pressurant  la  viande  découpée  en  tranches. 


Genre  SPHARGIS  Merr. 

Caractères  du  genre.  —  Carapace  très  allongée  non 
écailleui^e,  recouverte  cV une  peau  coria^'c,  tuberculeuse  chez  les 
jeunes  sujets,  lisse  chez  les  adultes.  Pattes  sans  ongles.  Dos  par- 
couru par  sept  carènes  qui  le  divise^it  en  six  larges  gouttières 
longitudinales. 

Ce  genre  ne  renferme  qu'une  seule  espèce: 

4.  Sphargis  coriacea  Gray 

La  tortue  luth 

Sphargis  coriacea  (Testudo)  Rond.,  Strauch,  Lall.,  Ern.  Oliv. 

Caractères.  —  Les  mêmes  que  ceux  du  genre. 

Cette  espèce,  facilement  reconnaissable  aux  caractères  énu- 
mérés  ci-dessus,  habite  la  Méditerranée  où  elle  a  été  très  rarement 
capturée.  Aussi  est-elle  peu  connue  des  naturalistes.  Sa  taille 
est  colossale.  Un  exemplaire  a  été  pris  sur  la  plage  de  la  baie 
d'Arzew  vers  1885.  Sa  carapace,  d'après  Monsieur  Bouty, 
contrôleur  des  Mines  quia  vu  l'animal,  mesurait  2^50  de  long 
sur  2  mètres  de  large. 


256       ESSAI  SUR  LA  FAUNE  ERPÉTOLOGIQUE  DE  L'ORANIE 


Ordre  des  Sauriens 


Caractères  de  l'ordri'.  —  Corps  allongé,  laccrlifonne, 
serpenù forme  ou  même  vermiforme.  Peau  écailleusa  ou  tuber- 
culeuse, parfois  chagrinée,  rarement  lisse.  Toujours  des 
plaques  ou  des  granulations  écaillexvses  sur  la  tèle.  (Jualre 
pattes;  quelquefois  deux  ou  pas.  Pénis  généralement  double. 
Animaux  ovipares  ou  ovovivipares. 

La  bouche  non  dilatable  et  l'existence  d'un  sternum  articulé 
distinguent  nettement  les  sauriens  des  opliidiens. 

Caractères  de  classification  des  sauriens.  —  Les  prin- 
cipaux caractères  dont  on  tire  parti  pour  la  classification  des 
sauriens  sont  :  le  nombre  de  membres  ou  leur  absence  ;  la 
forme  des  doigts  et  celle  de  la  langue;  la  nature  del'écaillure; 
la  forme,  le  nombre  et  la  disposition  des  plaques  ou  des  tuber- 
cules de  la  tète;  etc. 

Généralités.  —  Les  lézards  ont  ordinairement  quatre  pattes 
bien  conformées  :  on  dit  alors  que  leurs  corps  est  lacertiforme. 
Si  les  pattes  sont  atropbiées,  si  leur  nombre  est  réduit  à  deux 
ou  si  elles  manquent,  le  corps  tend  à  devenir  et  devient 
cylindrique  :  on  le  dit  alors  serpentiforme. 

Il  est  parfois  difficile  de  séparer  un  lézard  serpentiforme 
d'un  serpent.  Les  lézards  se  distinguent  par  les  séries  multi- 
ples d'écaillés  ventrales,  par  leur  langue  épaisse,  par  leur 
bouche  non  dilatable  et  enfin  par  la  présence  d'un  sternum. 

Les  amphisbéniens  font  exception,  car  ils  ne  présentent  pas 
tous  ces  caractères:  ils  manquent  de  pattes  et  de  sternum;  leur 
peau  est  nue.  Seules  les  plaques  de  la  tête  et  la  bouche  non 
dilatable  les  font  ranger  dans  les  sauriens. 

Les  sauriens  n'ont  généralement  pas  de  dents  au  palais.  Les 
dents  maxillaires  varient  dans  leur  forme  et  dans  leur  mode 
de  fixation. 

On  appelle  acrodontes  les  lézards  dont  les  dents  sont 
implantées  sur  la  crête  des  mâchoires.  Dans  ce  cas  les  dents 


ESSAI  SUR  LA  FAUNE  ERPÉTOLOGIQUE  DE  L'ORANIE        257 

sont  lo  plus  souvent  triangulaires,  contiguës  et  peu  épaisses 
dans  lo  sens  transversal.  {Caméléon,  agame,  tarante). 

On  appelle  pleuvodonles  ceux  dont  les  dents  sont  logées 
dans  une  large  rainure  de  la  mâchoire  et  appliquées  par  le 
côté  externe  contre  le  maxillaire.  Ces  dents  (pii  sont  cylindri- 
ques ou  cylindi-o-coniques,  ou  irrégulièrement  épaissies,  ont 
leur  extrémité  arrondie  obtuse.  {Gongyliis,  Eumeces). 

On  appelle  cœlodontes  ceux  dont  les  dents  sont  logées  dans 
une  étroite  rainure  de  la  mâchoire  et  appliquées  par  le  cùté 
sans  trop  d'adhérence.  Ces  dents  sont  canaliculées  et  le  plus 
souvent  aiguës.  {Lézard  ocellé,  tropidosaurc,  acantliodactyle}. 

D'autres  subdivisions  ont  été  basées  sur  la  forme  de  la 
langue.  Les  Crassilingues  ont  la  langue  large  et  épaisse  ;  les 
Brévillngues  Vont  courte,  étroite  et  échancrée;  les  Fissilingues 
l'ont  mince,  longue,  fourchue,  comme  chez  les  serpents,  mais 
non  protractile  ;  les  Vermilingues  enfin  l'ont  très  longce, 
fine,  renflée,  visqueuse,  à  son  extrémité,  très  protractile. 

Ce  sont  surtout  les  téguments  qui  fournissent  les  princi- 
paux caractères  pour  la  distinction  des  espèces.  On  peut  les 
diviser  en  trois  catégories  :  1°  ceux  de  la  tête  ;  2"  ceux  du  dos  ; 
3°  ceux  du  ventre. 

i°  La  tête.  —  La  tète  est  presque  toujours  couverte  de 
plaques  cornées  larges  et  symétriques.  Chez  les  crassilingues 
et  les  brévilingues  ces  plaques  sont  remplacées  par  des 
tubercules  écailleux  disposés  avec  plus  ou  moins  de  symétrie. 
Les  plaques  de  la  tête  ont  reçu  des  noms  particuliers.  Du 
bout  du  museau  à  l'arrière  on  y  distingue  :  la  rostrale,  les 
nasales,  les  préfrontales^  la  frontale,  les  fronto-pariétales,  les 
pariétales,  l'occipitale,  etc.  On  trouvera  dans  la  PI.  II  des 
figures  qui  suppléeront  avec  avantage  à  toute  description. 

2°  Le  dos.  —  Le  dos  est  recouvert  d'écaillés  appelées 
dorsales,  qui  sont  plates  ou  carénées,  de  dimensions  variables, 
souvent  entuilées.  Chez  certaines  espèces,  ces  écailles  sont 
réduites  à  des  granulations  contiguës. 

3"  Le  ventre.  —  Les  plaques  du  ventre,  appelées  ventrales, 
sont  presque  toujours  plus  grandes  que  celles  du  dos.  Elles 
sont  unies.  Plus  larges  que  longues,  elles  affectent   le  plus 


258       ESSAI  SUR  LA  FAUNE  ERPÉTOLOGIQUE  DE  L'ORANIE 

souvent  la  forme  d'un  rectangle  ou  d'un  parallélogramme  à 
angles  abattus.  Parfois  le  bord  est  arrondi.  Leur  disposition 
est  caractéristique  :  elles  forment  des  lignes  droites,  longitu- 
dinales et  parallèles  dont  le  nombre  varie  avec  les  espèces. 

Doigts.  —  On  a  établi  plusieurs  coupes  génériques  d'après 
la  forme  des  doigts  et  d'après  celle  de  leur  écaillure  inférieure. 
Les  doigts  sont  ronds,  plats,  bordés,  marginés,  dentelés,  etc. 

Sexes.  —  Le  mâle  se  reconnaît  souvent  au  renflement 
plus  ou  moins  prononcé  de  la  base  de  la  queue.  Chez  les 
lacertiens  ce  caractère  est  très  visible.  Il  l'est  peu  chez  les 
scincoïdiens.  Chez  le  caméléon  il  est  assez  sensible,  mais 
seulement  en  dessous.  Au  moment  du  rut  les  pénis  sont 
gonflés  et  la  grosseur  est  bien  plus  accentuée. 

Pour  reconnaître  un  mâle  dont  le  renflement  n'est  pas 
caractérisé  il  suffit  de  presser  entre  les  doigts  la  base  de  la 
queue.  Toutefois  chez  les  scincoïdiens  ce  résultat  ne  s'obtient 
pas  facilement.  Dans  cette  famille  la  base  de  la  queue  n'offre 
pas  de  grandes  différences  chez  les  deux  sexes. 

La  femelle  a  la  base  de  la  queue  arrondie,  s'amincissant 
insensiblement  jusqu'à  la  pointe. 

Pour  l'accouplement,  le  mâle  saisit  avec  sa  gueule  la  femelle, 
le  plus  souvent  par  la  ceinture  à  l'angle  de  U  cuisse  ;  ensuite 
il  replie  la  moitié  postérieure  du  tronc  de  façon  à  mettre  les 
cloaques  en  contact.  La  femelle  en  facilite  le  rapprochement 
par  un  mouvement  de  torsion. 

Les  lacertiens  sont  ovipares  ;  les  scincoïdiens,  ovovipipares 
en  général.  Les  œufs  sont  enfouis  ou  déposés  dans  un  endroit 
sec,  abrité,  mais  chauffé  par  les  rayons  du  soleil.  Leur  coque 
est  parcheminée. 

La  ponte  et  l'éclosion  ont  souvent  lieu  la  nuit.  Aussitôt  que 
les  petits  sont  éclos  ils  sont  libres  de  toute  tutelle  et  courent  à 
la  recherche  de  leur  nourriture. 

L'ordre  des  sauriens  est  représenté  en  Berbérie  par  huit 
familles,  dont  voici  le  tableau  : 


KSSAI  SUR  LA  FAUNE  ICRPKTO LOGIQUE  DE  l'ORANIE        250 

Sauriens.  -  TABLEAU  DES  FAMILLES 

Dessus  de  la  tête  couvert  de  grandes 
j  plaques  symétriques  semblables  à 

cellesdes  couleuvres. (Type:  Zezard 
ocellé).  PI.  IL  2 

i  Dessus  de  la  tête  dépourvu  de  grandes 
f  plaques  symétiiques,  mais  portant 

!  généralement    des    tubercules 

\  écailleux.  (Type  :  tarente).  6 

'    Corps  vermiforme  à  peau  nue,  divisée 

\  en  anneaux.  Pas  de  pattes. 

1  Famille  des  Amphisbéniens. 

\    Corps  recouvert  d'écaillés.  3 

(     Corps  lacertiforme.  4 

(    Corps  serpentiforme.  Des  pattes  ou  pas.  5 

Écailles  ventrales  semblables  par  leur 
!  forme  aux  dorsales  ;  toutes  nette- 

ment imbriquées.  Cou  non  dis- 
tinct. (Type:  gongrjle). 

Famille  des  Scincoïdiens  (ex  p.) 

4.  (  Écailles  ventrales  bien  différentes  par 
leur  forme  des  dorsales.  Cou  net- 
tement marqué  par  un  rétrécisse- 
ment, et  souvent,  en  dessous,  par 
un  collier.  (Types  :  lézard  ocellé, 
tropidosaure).  Famille  des  Lacerticns. 

Écailles  disposées  en  anneaux  faisant 
paraître  le  corps  comme  cerclé,  les 
ventrales  plus  larges  que  longues  ; 
un  pli  ou  un  sillon  longitudinal 
au  milieu  de  chaque  liane.  Pas  de 
membres  ou  membres  réduits  à 
des  appendices  peu  visibles. 

5.  j  Famille  des  Chalcidiens, 


260        ESSAI  SUR  LA  FAUNE  ERPÉTOLOGIQUE  DE  L'oRANIE 


(  Écailles  ventrales  semblables  aux  dor- 
sales, imbriquées.  Pas  de  sillon  ou 
de  pli  longitudinal.  Des  pattes  ou 
pas.  (Types  :  seps,  orvet). 

Famille  des  Scincoïdiens  (p^'-  p). 


6. 


Yeux  très  saillants,  enchâssés  dans  une 
paupière  unique,  conique,  ne  pré- 
sentant qu'un  petit  trou.  (Type  : 
caméléon). 


Famille  des  Caméléoniens. 


Yeux  de  forme  ordinaire. 


■    Paupières  rudimentaires  ;  œil  toujours 

i  ouvert  (Type  :  tarente). 

\  Famille  des  Geckotiens, 

Paupièresbien  conformées,  recouvrant 

l'œil.  î 


Animaux  de  très  grande  taille  à  tronc 
fusiforrne,  à  tête  allongée  pyrami- 
dale, à  queue  deux  fois  aussi  lon- 
gue que  le  tronc.  Peau  cerclée 
par  des  écailles  granuleuses  non 

imbriquées. 
8.  (  Famille  des  \arsLniens. 

Animaux  de  taille  variable  ;  à  corps 
aplati,  à  tête  à  contour  triangu- 
laire ou  pentagonal.  Peau  recou- 
verte d"écailles  imbriquées. 

Famille  des  Iguaniens. 


(A  suivre). 


F.  DOUMERGUE. 


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DOUMEROUR.  —  Erpélolofjic 


Plîuiclic  11. 


Fig,  3 


Fig.   1 


S''     <to 


Fig.  2 


tv 


Fig.   1 

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ro.strale. 

n 

nasal  3. 

m 

internasale. 

/"• 

préfrontalcs. 

/ 

frontale. 

IP 

fronto-pariétales. 

■7' 

interpariétale. 

(1 

occipitale. 

P 

pariétales. 

,At 

disque    sus-orbital 

formé  de  sus-ocu 

laires. 

,t/.^ 

supra  ciliaires. 

.?'• 

granules  sup.  ciliair 

//' 

tempo  pariétales. 

Fig.  2 

psns  postnasaie  super' 


inférieure 
narine, 
frênaie, 
préoculaires, 
supra  labiales  antér  * 
»  posté  1  ■ 


sous-oculaire. 

mentonnière. 

labiales  inférieures. 

inframaxillaires. 

gulaires . 

région  temporale. 

tympan. 

Fig.   3 

pli  gulaire. 

épaule. 

ais.selle. 

série    ventrale    mé- 
diane. 

série    ventrale    mo- 
yenne. 
0-  série  ventrale  mar- 
ginale. 


Fig.  4 

prrn  pl.iquc  préanalc. 
■>(/       squames    préanalcs 
/'/       pores  fémorau.x. 
(I        anus 
>■-(■      sons-caudales. 


Lacerta  Ocellaia,  var.  pater. 

Croquis  montrant  les  diverses  plaques  de  l'enveloppe  tégutiientaire 


TVOTES 

sur  les  Divers  Tracés  de  Chemin  de  Fer  Transsaharien 

EN  ÉTIDE  EX  ALGÉRIE 


CONSIDÉRATIONS   GÉNÉRALES 


a  Dessiner,  sur  une  carte,  un  réseau  de  chemins  de  ter  en  se 
»  donnant,  à.  priori,  pour  conditions,  que  toutes  les  mailles  en 
»  soient  également  serrées,  et  procéder,  ensuite,  à  l'exécution 
y>  de  ces  lignes,  est  commettre  un  véritable  gaspillage  de  la 
»  fortune  publique,  s'il  n'est  pas  permis,  d'ores  et  déjà,  de 
»  compter  sur  un  courant  sérieux  de  voyageurs  et  de  mar- 
»  chandises.  » 

Telle  est  l'opinion  de  M.  de  Lapparent,  ingénieur  des  Mines, 
exprimée  dans  un  ouvrage  technique  qui  a  pour  titre  :  «  Le 
siècle  de  fer  »  (Savy,  éditeur.  Paris.) 

C'est  sous  les  auspices  de  ce  principe  indiscutable  que  je 
place  le  présent  travail.  Jamais  circons'ance  n'avait  été  plus 
opporlune. 


Il  y  a  aujourd'hui  18  ans,  je  fus  délégué,  par  la  Société  de 
Géographie  d'Oran,  au  Congrès  de  V Assocïalion  française 
pour  l'avancement  des  sciences,  dont  les  assises  se  tenaient 
ici-même,  c'est-à  dire,  à  Alger.  J'avais  reçu  mission  de  faire  au 
Congrès,  une  communication  sur  un  projet  de  chemin  de  ter 
Transsaharien  par  l'Ouest  de  la  province  d'Oran  ;  projet  dont 
notre  Société  poursuit  la  réalisation  depuis  sa  tondation,  en 
1878. 

La  vérité  m'oblige  à  dire  que  l'insuccès  fut  complet;  ce 
projet  ne  sollicitait  aucun  intérêt,  disait-on;  il  fut  traité 
d'utopique  et  fut  relégué  dans  les  futurs  contingents, 

8 


202  tracf:s  de  chemin  de  fer  transsaiiarien  en  étude 

Je  cite  ce  fait  pour  démontrer,  une  fois  de  plus,  combien 
l'on  était  encore  en  France,  ignorant  des  conditions  nécessaires 
d'avenir  de  la  grande  colonie  algérienne. 

Eh  bien,  cinq  années  à  peine  après  le  Congrès,  une  amorce 
de  454  kilomètres  de  longueur  formait  la  première  section  de 
cette  voie  utopique,  et  la  locomotive  faisait  entendre  son  silîlet 
strident,  au  seuil  même  du  désert  :  le  point  terminus  provisoire 
était  arrêté  à  Aïn-Sefra. 

La  Société  de  Géographie  a  le  droit  d'être  fière  de  son 
œuvre;  seule,  elle  a  lutté  énergiquement,  malgré  l'indifférence 
de  ceux  qui  auraient  dû  l'aider  dans  cette  œuvre  patriotique, 
qui  intéresse  l'Algérie  en  général  et  notre  département  en 
particulier. 

Aujourd'hui,  par  suite  de  circonstances  qu'il  est  inutile  de 
rechercher,  l'utopie  s'est  évanouie,  et  deux  tracés  concurrents 
visent,  eux  aussi,  TExtrême-Sahara.  Et  c'est  grâce  à  cette 
compétition  jalouse  que  le  prolongement  de  notre  première 
section  arrive  à  peine  à  Djenien  Bou-Resg;  soit,  96  kilomètres 
seulement  au-delà  d'Aïn-Sefra. 

Les  deux  voies  concurrentes  sont  : 

l^Le  tracé  oriental,  ayant  Philippeville  pour  point  de  départ 
et  Biskra  pour  terminus  actuel,  puis,  le  Tchad  ; 

2°  Le  tracé  central,  dont  la  tête  de  ligne  serait  Alger  et  le 
terminus  actuel  Berrouaghia,  mais  visant  le  Tchad,  avec 
une  variante  sur  le  Touat. 

Je  me  propose  de  faire  ressortir  le  caractère  de  possibilité 
et  d'opportunuité  de  chacun  des  trois  tracés  en  présence. 

Pour  rester  dans  le  cadre  des  considérations  générales,  je 
dirai,  tout  d'abord,  que  dans  les  études  de  voies  ferrées,  il  est 
un  certain  nombre  de  considérations  techniques  de  la  valeur 
desquelles  dépend  le  succès  ou  l'insuccès  de  l'entreprise,  mais 
bien  souvent  négligées  dans  les  études  préparatoires.  On  vise 
un  but,  on  s'inquiète  médiocrement  des  voies  et  moyens  à 
mettre  en  œuvre  pour  la  réussite. 

«  Un  chemin  de  fer,  dit  M.  de  Lapparent,  dans  l'ouvrage 
«  cité  plus  haut,  est  un  appareil  qui  fait  circuler  la  sève 
((  industrielle  à  travers  toutes  les  parties  du  même  territoire; 
«  mais  cette  sève,  les  voies  ferrées  ne  la  créent  pas,  elles  se 


TRACÉS  DE  CHEMIN  DE  FEU  TKANSSAUAUIEN  EN  ÉTUDE     2(33 

«  bornent  à  la  recueillir;  s'il  est  certain  qu'elles  facilitent 
«  l'expansion  en  lui  ouvrant  des  débouchés,  il  ne  dépend  pas 
«  d'elles,  par  leur  valeur  propre,  de  les  faire  naître  là  où  il 
«  n'existe  pas  de  germes. . .  » 

On  ne  saurait  parler  plus  judicieusement. 
Je  diviserai  mon   travail  en   trois   parties    principales   ou 
chapitres,  qui  seront  subdivisés  en  paragraphes  ; 

Chapitre  1".  —  TRACÉ  OCCIDENTAL 

§  1^''.  —  Travaux  de  substruction  et  d'art; 
§  2*=.  —  Exploitation  technique; 
§  3«.   —  Conditions  économiques. 

Chapitre  2«.  -  TRACÉ  ORIENTAL 

§  l"^''.  —  Travaux  de  substruction  et  d'art; 
§  2e.  —  Exploitation  technique; 
§3'^.    —  Conditions  économiques. 

Chapitre  3^  —  TRACÉ  CENTRAL 


1^ 


2lj4  TRACES  1)K  CUEMIN  DK  lEU  l'RANSSAUAUlliN  KN  ÉTL'DK 


CHAPITRE   PREMIER 


TRACÉ   OCCIDENTAL 


§  f .  —  Travaux  de  Substruction  et  d'Art 


PREMIERE  PARTIE 


Pour  résoudre  le  premier  terme,  il  est  absolument 
indispensable  de  connaître,  aussi  exactement  que 
possible,  la  description  topographi(iue  du  pays  à 
traverser,  afin  de  permettre  l'étude  du  tracé  en 
direction,  d'en  déduire  le  profil  en  long,  les  profils  en 
travers  et  la  forme  des  courbes.  On  obtient,  ainsi,  une 
approximation  suffisante  du  mouvement  des  terres  et 
des  travaux  d'art.  En  dehors  de  ces  éléments,  toute 
base  d'évaluation,  même  approximative,  lait  défaut,  et 
ou  s'expose  à  de  cruelles  déceptions  économiques. 
C'est  alors  le  vrai  gaspillage  dont  parle  M.  de  Lapparent. 

La  C'*^  P.-L.-M.  a  fait  la  coûteuse  expérience 
de  cette  insuffisance  d'études,  dans  l'exécution  du 
réseau  algérien.  Pour  certaine  ligne,  la  dépense 
concernant  les  travaux  de  substruction  a  doublé. 

Pour  le  tracé  qui  nous  occupe,  je  signale  d'abord,  au 
point  de  vue  topograpliique,  cette  circonstance  parti- 
culièrement favorable,  qu'à  partir  d'Aïn-Sefra,  et 
jusques  au-delà  du  Touat,  tout  le  pays  dépend,  pour 
ainsi  dire,  du  bassin  hydrographique  nigérien;  ce  point 
est  important  à  noter,  il  permet,  d'ores  et  déjà, 
d'émettre  cette  opinion,  que  les  dépenses  de  terrasse- 
ments et  la  construction  des  travaux  d'art  seront  ré- 
duites à  leur  minimum. 


TRACÉS  DE  CllKMlN  DE  FER   TRANSSAIIARIEN  EN  ÉTUDE  ?65 

Je  (lois  (lii'(\  lie  suite,  ([ue  le  type  de  voie  adopté,  est. 
le  même  que  celui  d'Arzew  à  Djenieii  bou  Resg  ;  o'est- 
à-dire  :  la  vole  de  un  mètre  de  largeur  entre  raills. 

L'ensemble  du  tracé  formera  deux  parties;  la  pre- 
mière, embrassera  l'espace  d'Oran  au  Touat,  elle 
comprendra  trois  sections  : 

l'' D'Oran  à  Djenien  bou  Resg  ; 
2'-  De  Djenien  bou  Resg  à  Igli  ; 
3«  D'Igli  au  Touat. 

La  deuxième  partie  ti-aitera  du  Touat  au  Niger. 


l'«  SECTION 
D'Oran  à  Djenien  bou  Resg 

Cette  section  est  exploitée,  depuis  plusieurs  années, 
d'Oran  à  Aïn-Sefra  et  de  cette  dernière  station  à  Djenien 
l)Ou  Resg,  rexi)loitation  sera  ouverte  sous  peu. 


2«  SECTION 
De  Djenien  bou  Resg  à  Igli 

A  puilir  de  Djenien  ])ou  Resg,  la  voie  ferrée  suivra  la 
rive  gauche  de  l'oued  Dermel  et  se  dirigera,  par  Kreneg 
es  Zoubia,  vers  Aïn-Sefra  de  Figuig,  laissant  cette 
oasis  à  l'ouest  pour  éviter  toute  difficulté  diplomatique 
avec  le  Maroc  ;  elle  descendra,  ensuite,  la  vallée  de 
l'oued  Zousfana,  passant  par  Ben  Brahim,  Ksar  el 
Aroudj,  El  Mangar,  pour  atteindre  Igli,  ksar  très 
important,  construit  au  confluent  de  l'oued  Zousfana 
et  de  l'oued  Ghir,  rivières  courantes,  dont  la  réunion 
constitue  l'oued  Messaoura. 

Jusques  là,  et  sauf  quëbiues  travaux  d'art  d'imijor- 
tance  secondaire  surl'oued  Dermel  et  l'oued  Zousfana, 
le  tracé  ne  rencontre  aucune  difficulté  technique,  car 
le  pays  est  plat  et  légèrement  saljleux. 

Il  est  permis  de  croire,  d'ailleurs,  que  le  service  des 
Ponts-et-Chaussées    possède,  sur  cette  région,  des 


266     TRACÉS  DE  CHEMIN  DE  FER  TRANSSAHARIEN  EN  ÉTUDE 

données  suffisantes  pour  pouvoir  en  entreprendre  la 
réalisation  rapide  et  économique.  Il  est  donc  inutile 
d'aller  plus  loin  dans  cet  ordre  d'idées. 

La  construction  de  ce  premier  tronçon  de  voie 
transsaharienne  par  l'Ouest  Oranais  s'impose  à  tous 
les  points  de  vue.  Si  notre  influence  n'est  pas  prépon- 
dérante dans  cette  région  ;  si  nous  ne  nous  établissons 
pas  solidement  à  Igli,  le  Tafîlalet,  pays  riche  et  pro- 
ducteur, et  aussi  très  peuplé,  sera  perdu  pour  nous  à 
tout  jamais.  Les  Anglais  chercheront  à  atteindre  Igli 
avant  nous  par  le  Dra,  et  alors,  tout  accès  dans  le 
Touat  et  jusques  au  fond  du  Niger  nous  sera  interdit. 

Dans  ces  conditions  désastreuses  pour  notre  politi- 
que, la  voie  ferrée  actuelle  d'Oran  à  Djenien  bon  Resg 
deviendra  inutile,  elle  sera  une  charge  budgétaire 
sans  compensation,  un  vrai  gaspillage. 

Quant  au  Maroc,  entouré  par  les  Anglais  et  n'ayant 
avec  nous  que  quelques  rares  points  de  contact  sans 
valeur,  nous  devrons  forcément  renoncer  à  toute 
extension  de  territoire  de  ce  côté. 

J'ai  entendu  développer  cette  thèse  d'une  façon  très 
logique  et  très  concluante;  et  le  gouvernement,  qui 
aura  l'heureuse  chance  de  résoudre  le  problème  posé 
dans  la  Sra^-  section  du  transsaharien,  aura  droit  à  la 
reconnaissance  de  la  France  et  de  l'Algérie,  car  la 
continuation  de  notre  influence  sur  le  Touat  s'opé- 
rera comme  par  surcroît. 

La  longueur  de  ce  tronçon  sera  de  250  kilomètres 
environ. 


3«  SECTION 
D'Igli  au  Touat 


Il  convient  maintenant  de  s'occuper  de  la  2"  section, 
comprise  entre  Igli  et  le  Touat. 

A  partir  d'Igli,  la  voie  ferrée  transsaharienne  descend 
la  vallée  de  l'oued  Messaoura,  au  milieu  de  laquelle 
elle  développera  son  ruban  d'acier,  elle  passera  par 
Khersas,  Ksabi,  Béni  Araram,  Zaouia  Kounta,  ksours 


TRACÉS  DE  CHEMIN  DE  FER  ÏRANSSAIIARIEN  EN  ÉTUDE  267 

principaux,  placés  au  milieu  de  groupes  d'autres 
ksours  dépassant,  ensemble,  le  nombre  de  185,  et 
entourés  de  véritables  forêts  de  dattiers.  Elle  arrivera, 
enfin,  à  TaonrirI,  en  i>lein  Touat,  après  avoir  suivi  un 
développement  de  î-rjO  kilomètres, 

A  l'Est,  et  au  (lr(jit  de  Kersas,  est  le  groupe  considé- 
ral)le  du  Gourara,  oasis  formant  un  total  de  114  villages 
ou  ksours  ayant,  pour  villes  principales  :  Timimoun, 
Tiberkamin  et  Deldoul  ;  ce  dernier  ksar  se  trouvera  à 
80  kilomètres  tout  au  plus  de  la  voie  ferrée. 

Il  est  important  de  ncjter  ici  que,  avant  l'insurrection 
de  Bon  Amama,  un  négociant  de  SaïdiH  avait  créé  des 
relations  commerciales  importantes  avec  le  Gourara. 

A  l'Est  encore  de  la  voie,  au  droit  de  Taourirt,  et 
à  100  kilomètres  de  distance,  on  entre  en  plein  dans 
le  Tidikelt,  comprenant  51  ksours  dont  le  principal 
est  Timagden,  puis  Akabli,  un  peu  plus  loin,  à  l'Est. 

En  fait,  toute  la  troisième  section  est  animée,  depuis 
Igli,  par  une  population  de  459.300  habitants,  dont 
M.  Sabatier,  ancien  député  d'Oran,  a  fait  le  classement 
ethnographique  par  rapport  aux  diverses  castes  et  aux 
différences  d'origine  qui  distinguent  cette  population. 

Ce  pays  a  été  parcouru,  à  pied,  par  René  Caillé  et 
Gérard  Rholfs  ;  ce  dernier  a  dénombré  et  relevé  la 
position  des  divers  ksours.  Le  colonel  Daumas  et 
le  général  de  Coiomb  ont  complété  les  renseignements 
fournis  par  ces  premiers  explorateurs.  M.  Burin,  chef 
du  bureau  ara])e  de  Géryville,  et  M.  le  colonel  Golonieu. 
commandant  supérieur  du  cercle  de  Géryville,  sont 
descendus  jusques  à  Timimoun. 

Le  pays  est  plat,  le  sol  facile,  pas  de  travaux  d'art 
sérieux. 

Conclusion  :  pas  de  difficultés  techniciues  pour  la 
première  Partie  du  tracé. 

Une  autre  source  d'information  a  été  fournie  par 
les  caravanes  qui  partent,  annuellement,  des  Hauts- 
Plateaux  oranais,  et  qui  vont  trafiquer  jusques  au 
Gourara  et  au  Touat.  L'elfectif  de  ces  caravanes  est 
considérable  :  je  donnerai  plus  loin  des  détails 
circonstanciés. 


268      TRACÉS  DE  CHEMIN  DE  FEU  TRANSSAHARIEN  EN  ÉTUDE 

Incontestablement,  le  tracé  Oriental,  dont  je  m'occu- 
perai plus  loin,  ne  présente  rien  de  pareil,  rien  de 
si  avantageux,  bien  au  contraire. 

Si  je  récapitule  les  distances  qui  séi)areront  Oran  du 
Touat.  j'aurai,  savoir  : 

Première  Section.  —  D'Oran  à  Djenlen  hou 
Resg,  partie  en  exploitation .550  k. 

Deuxième  Section.  —  De  Djenien  boa  Resg  à 
Igli,  partie  dont  l'étude  est  entreprise 250 

Troisième  Section.  —  D'Igli  au  Touat,  partie 
sur  laquelle  on  possède  des  données  suffi- 
santes pour  un  avant-projet 160 


Total 1.260  k. 


DEUXIEME     PARTIE 


Du  Touat  au  Niger 


Au  Sud  du  Touat,  l'oued  Messaoura  s'enfonce  dans 
les  sables  de  l'Erg  lequel  borne,  à  l'Ouest,  leTanesrouf. 
On  possède,  sur  ces  régions, des  indications  ayant  une 
certaine  valeur.  MM.  Pouyanne,  ingénieur  en  chef  des 
mines  à  Alger,  et  Sabatier  ont  recueilli  d'une  foule  d'in- 
formants, indigènes  ou  soudaniens,  des  renseigne- 
ments précieux  que  ces  messieurs  ont  soigneusement 
coordonnés.  Le  commandant  Déporter  et  le  capitaine 
Bissuel  ont  fourni  également  un  certain  contingent  de 
recherches.  M.  Sabatier  est.  d'ailleurs,  un  savant  arabi- 
sant, connaissant  à  fond  les  idiomes  arabe,  kabyle  et 
berbère  ;  il  a  compulsé  toutes  les  publications  sorties 
de  la  plume  des  grands  explorateurs  :  René  Caillé, 
Barth,  Gérard  Rholfset  autres.  La  Carte  qui  accompa- 
gne son  ouvrage  est  un  document  géographique  judi- 


TRAC.1':S  r»K  CIIKMIN   DK  11:H    lit  A  NSSAH  AUIEN  EX   É'IL'DE  2(j'J 

c'ieuseinent  préparé  et  dont  la  précisiiMi  n'a  pas  encore 
été  dépassée. 

De  sorte  (lue.  on  est  en  mesnie.  dès  aujniird'hni,  de 
pouvoir  esqnisser,  à  grands  traits,  une  sorte  de  re('<)n- 
naissance  préparatoire  suffisante,  pour  justifier  la 
possibilité  d'atteindre  le  Niger,  sans  avoir  à  vaincre 
des  difficultés  techni<ines  trop  grandes,  tout  en 
possédant,  sur  les  pays  traversés,  des  indications 
économiciue>;  et  ethnographiques  précieuses. 

Deux  eml)rancheinents  peuvent  être  dirigés  sur  le 
Xiger  :  l'un,  visant  Tossaye,  au  coude  oriental  de  la 
grande  boucle:  l'autre.  Timbocktou. 

Le  premier  em])ranchement  aurait  pour  étapes 
principales  :  Tin  Tenaï.  Ain  Arlal,  Tfiuok  sur  l'oued 
Teghazrt,  Timissao,  Es-Souk  .... 

La  deuxième.  rencontreraitOuallen.Dizize,  Inrhaman 
sur  l'oued  Temarrasset,  puis  l'Adrar,  l'Azaouat  et  le 
Taganet,  finalement,  Timbocktou.  M.  Sabatier  a  donné 
une  intéressante  description  de  ces  peuplades. 

A  tout  prendre,  ce  dernier  tracé  est  préférable,  depuis 
l'occupation,  par  nos  troupes,  de  cette  importante  et 
ancienne  cité,  et  à  raison  de  l'influence  que  nous 
finirons  par  exercer  sur  la  confédéra.tion  des  Touareg 
Aouellimmiden. 

D'ailleurs,  on  pouri.i  descendre  le  Niger  jusques 
à  Say,  lie  manière  a  pouvoir  prendre  sous  notre  pro- 
tection, le  cas  échéant,  les  nomjjreuses  populations  du 
Saberma,  de  l'Adar,  le  Gober,  l'Air  et  le  Damergou 
jusques  à  Baroua,  sur  les  bords  du  Tchad. 

Evidemment,  ce  ne  sont  là  que  des  indications 
sommaires,  et  il  n'est  jamais  entré  dans  mon  esprit 
cette  idée  que  l'entreprise  de  la  deuxième  Partie  du 
Transsaharien  de  l'Ouest  exigerait  une  réalisation 
immédiate  :  ce  ne  sera  que  longtemps  après  notre 
installation  dans  le  Touat,  lorsque  l'influence  française 
régnera  dans  les  régions  Nigériennes,  dont  M.  Sabatier 
nous  monti-e  le  brillant  avenir  qui  les  attend  ;  c'est, 
enfin, lorsque  nous  serons  pourvusderenseignements 
topographiques  et  économiques  suffisants  que  des 
études  définitives  pourront  être  entreprises. 


270     TRACÉS  DE  CHEMIN  DE  FER  TRANSSAHARIEN  EN  ÉTUDE 

Le  développement  de  cette  deuxième  Partie 
du  tracé  serait  de 1 .  140  k. 

Reportant  le  total  de  la  première  Partie. .    .     1 .260 


On  aura  la  longueur  total  d'Oran  au  Xi^er  .     2.  iOO  k. 


§  2.  —  Exploitation  technique 


Ce  point  est  spécial  au  mouvement  des  trains  et, 
surtout,  à  l'alimentation  en  eau  des  chaudières  des 
locomotives  motrices.  Il  pourrait  être  traité  sous  le 
titre  de  conditions  hydrologiques  des  pays  traversés. 

Cette  question  de  l'alimentation  des  chaudières  pour 
la  voie  Transsaharienne  présente  une  importance 
capitale,  parfois  exclusive  de  tout  succès. 

En  France,  comme  aussi  dans  les  autres  contrées 
derEurope,ainsiqu'en  Asieeten  Amérique, la  question 
hydrologique  n'a  qu'une  importance  très  secondaire. 
Généralement,  les  voies  feirées  trouvent  partout  et 
aljondamment  dès  eaux  de  honne  qualité,  parce  qu'elles 
traversent  des  pays  parfaitement  arrosés  par  des 
fleuves  et  des  rivières.  Des  prises,  des  dérivations 
d'eau  y  sont  faciles.  En  outre,  on  se  trouve  au  milieu 
de  pays  civilisés;  personne  ne  menace  les  ouvrages 
hydrauliques  créés  pour  l'alimentation  des  machines 
à  vapeur,  sécurité  qui  n'existera  pas  dans  certaines 
régions  du  tracé  Oriental. 

Il  n'en  est  pas  de  même  ici,  et  le  cas  est  al)solument 
exceptionnel,  dans  les  vastes  régions  désertiques, 
caractéristiques  du  grand  Sahara  Africain.  Dans  ces 
vastes  régions,  très  sahleuses,  il  n'existe  aucun  cours 
d'eau,  depuis  les  crêtes  méridionales  du  grand  Atlas 
jusque  au  15^  parallèle,  sauf  la  petite  gouttière  de 
l'oued  Messaoura,  et  peu  ou  pas  de  sources  ;  de  rares 
puits  primitifs,  souvent  détruits  par  les  nomades, 
mais  fournissant  génénéralement  deseaux  lourdement 
chargées  de  sels  calcaires  et  magnésiens. 


TRACliS  OE  CHEMIN  DE  FER  TR.VNSSAII.VRIEN  EN  ÉTUDE  Î71 

Les  pluies  sont  très  rares,  d'ailleurs,  entre  le  20"  et 
le  30''  parallèles. 

Or,  les  eaux  ti'op  saturées  d'éléments  calcaires,  in- 
crusteront rapidement  les  chaudières  des  locomotives, 
et  des  accidents  très  graves  pouront  se  produire  de  ce 
fait.  Se  figure-t-on  un  train  resté  en  panne,  en  plein 
désert,  par  suite  d'un  accident  de  machine?—  Il  en 
résultera,  dans  tons  les  cas,  de  coûteuses  réparations 
d'entretien  du  matériel  roulant. 

Cette  appréciation  est  basée  sur  ce  fait,  qu'à  Oran, 
les  C'es  de  chemins  de  fer  P.-L.-M.  et  de  l'O.-A., 
n'emploient,  pour  éviter  des  accidents  de  chaudières, 
que  de  l'eau  de  la  source  Raz-el-Aïn.  de  préférence  à 
celle  des  sources  de  Brédéah,  excellente  cependant 
pour  les  usages  domestiques  ;  mais  que  l'on  rejette  à 
cause  de  ses  propriétés  incrustantes. 

Or,  l'eau  de  Raz-el-Aïn  renferme  par 
litre 0^560  de  sels 

Et  celle  de  Brédéah 0  8-771      id. 

Sans  doute,  ceci  n'a  rien  d'absolu,  et,  le  cas  échéant, 
on  peut  faire  usage  d'eaux  titrant  un  chiffre  de  sels 
plus  élevé;  mais  il  est  des  limites  qu'on  ne  saurait 
dépasser,  et  j'ai  tenu  à  mettre  ce  fait  en  relief,  pour 
prouver  que  la  question  liydrologique  doit  jouer  un 
grand  rôle  dans  un  i»i'ujet  d'établissement  de  voie 
ferrée. 

Quoi  qu'il  en  soit,  pour  le  tracé  qui  nous  occupe, 
rien  n'est  à  craindre  dans  cet  ordre  de  faits;  en  voici 
la  raison  : 

Sur  tout  le  parcours,  et  jusques  à  Taourirt,  l'eau  est 
abondante  et  de  bonne  qualité.  L'oued  Ghir,  cité 
déjà  du  temps  des  Ptolémée  comme  le  plus  grand  fleuve 
saharien,  alimente,  ainsi  que  je  l'ai  dit  plus  haut,  la 
grande  vallée  de  l'oued  Messaoura  jusques  au  fond  du 
Touat  :  il  descend  du  versant  méridional  du  grand 
Atlas  marocain,  et  est  produit  par  la  fonte  des  neiges  et 
des  glaciers  qui  en  couronnent  les  cimes.  Vers  le  prin- 
temps, au  moment  de  la  fonte  des  neiges,  l'oued  Ghir 
débordé,  prend  l'aspect  de  la  Loire,  selon  l'expression 


Zii  TBACES  DE  CHEMIN  DE  FER  TRANSSAHARIE.X  EN  ÉTUDE 

des  militaires  qui  faisaient  partie  de  l'expédition  du 
général  de  ^^'impfen.  à  Aïn-Cliaïr,  c'est-à-dire  en  plein 
Tafïilalet,  en  1870.  Ce  sont  ces  mêmes  eaiix  accumulées 
dans  le  sous-sol  sableux  de  la  vallée,  qui  arrosent  les 
palmiers  et  alimentent  les  nombreuses  populations 
de  cette  grande  région. 

Voici,  d'ailleurs,  l'opinion  de  M.  l'ingénieur  en  chef 
des  Mines,  Pouyaune  : 

«  Il  n'y  a  certainement  aucun  obstacle  à  aller  d'Oran 
«  au  fond  du  Toual:  cette  route  offrant  excellent  profil 
((  et  eau  abondante,  évitant,  d'ailleurs,  toute  dune  de 
«  sable ...» 

La  question  hydrologique  pour  la  première  Partie  du 
tracé  Occidental  est  donc  résolue  favoral)lement. 


§  3.  —  Conditions  économiques 


Ce  paragraplie  sera  divisé  en  deux  articles  : 

1"    DÉPENSES  DE  r.ONSTRUCTION. 

!2o  Exploitation  générale. 

1"  DÉPENSES  DE  Construction.  —  J'ai  dit.  déjà,  ({ue  la 
deuxième  section  du  tracé,  soit,  depuis  Djenien  bou 
Resgjusques  à  Igli,  ne  comportait  aucune  difficulté 
technique  :  tout  se  ])ornet  a  à  la  pose  de  la  voie  et  à 
l'exécution  de  quelques  travaux  d'art  ;  pas  de  terrasse- 
ments notables  ni  de  terres  dures,  pas  de  grands 
ravins  à  franchir.  Quant  aux  gares  et  aux  stations,  ces 
bâtiments  seront  édifiés  de  manière  à  pouvoir  servir 
de  refuge  en  cas  d'attaque  momentanée  et  en  atten- 
dant l'envoi  immédiat  de  secours  expédiés  des  postes 
permanents  établis  en  divers  points  stratégiques  choi- 
sis sur  la  ligne. 

En  ce  qui  concerne  l'exécution  des  travaux,  la  main- 
d'œuvre  sera  abondante  et  à  bon  marché.  Pour  en 
fournir,  d'ores  et  déjà,  la  preuve,  il  suffit  de  signaler 
ce  fait  décisif,  que,  dans  le  département  d'Oran,  les 


l'u.vcKs  HK  i:iii;min  dk  i  i;k  tkanssahaiuia  i;n  ini'in,  r,\i 

grands  travaux  publics  et  i)ai'ticuliei's,  sont  exécutés 
par  un  contingent  considérable  d'ouvriers  marocains, 
venant  du  Tatilalet,  ou  bien,  par  des  indigènes  origi- 
naires du  Gourara  et  même  du  Touat.  Cette  main- 
d'ceuvre  se  paie  à  raison  de  2  à  'A  fr.  la  journée.  C'est  là 
encore  une  des  conditions  des  plus  favorables  ([u'. m 
ne  trouvera  nulle  part. 

Aussi  bien,  il  me  sera  aisé  de  déterminer  le  prix  de 
revient  du  kilomètre  de  voie  ferrée. 

Au  surplus,  je  puis  procéder,  dans  mon  estimation, 
par  la  méthode  exi)érimentale.  selon  des  i)ases  d'ap- 
préciation des  [)lus  solides,  établies  déjà  Ainsi:  la 
Compagnie  Franco-Algérienne,  qui  a  construit  la  partie 
comprise  entre  Kralfallah  et  Aïn-Sefra,  à  dépensé  à 
peine  50.000  fr.  par  kilomètre.  Bien  que  les  conditions 
soient  à  peu  près  les  mêmes,  j'adopterai  le  chiffre 
de  60.000  fr. 

Soit,  de  ce  chef,  pour  une  longueur  de  250  kilomètres, 
entre  Djenien  bou  Resg  à  Igli,  15.000.000  fr. 

Mais,  pour  faire  face  à  tous  les  aléa,  je  fixerai 
IG.000.000  fr. 

Moyennant  cette  dépense  relativement  faible,  eu 
égard  à  la  grande  importance  du  but  patriotique  et 
économique  à  atteindre,  on  pouri^a  s'installer  à  Igli  en 
deux  années  de  temps.  Et,  certes,  cette  durée  n'a  rien 
d'extraordinaire,  si  l'on  songe  que  le  tronçon  de  Ivrei- 
der  à  Aïn  Sefra,  mesurant  182  kilomètres,  a  été  cons- 
truit en  50  jours. 

J'ai  fait  ressortir,  à  la  page  266,  les  considérations 
politiques  et  économiques  qui  nous  commandaient 
d'agir  rapidement  et  énergiquement  à  la  tète  de  l'oued 
Messoura,  je  n'y  reviendrai  pas. 

Passons  à  l'évaluation  sommaire  de  la  troisième 
section  des  travaux,  c'est-à-dire,  d'ilgli  à  Taourirt;  soit, 
450  kilomètres  de  longueur. 

Certaines  personnes  trop  timides,  ou  peut-être  trop 
ignorantes  des  conditions  qui  régissent  le  voisinage 
de  notre  frontière  marocaine,  ont  exprimé  la  crainte 
que  la  prise  de  possession  de  l'oued  Messaoura  soit  la 


27 'l      TRACÉS  DE  CHEMIN  DE  FER  TRANSSAHARIEN  EN  ÉTCDE 

cause  de  difficultés  diplomatiques  graves.  Cette  crainte 
me  semble  tellement  puérile,  tellement  dépourvue 
d'énergie,  que  je  ne  puis  résister  à  en  démontrer  l'ina- 
nité, en  citant  quelques-uns  des  articles  du  traité  con- 
clu entre  le  Gouvernement  français  et  l'Empereur  du 
Maroc,  en  1845,  véritable  traité  de  dupes,  pour  nous. 

L'article  4  porte  :  « Qu'en  Sabara  il  n'y  a  pas  de 

»  limite  territoriale  à  établir  entre  les  deux  pays, 
»  puisque  la  terre  ne  se  laboure  pas  et  qu'elle  sert  de 
»  pacage  aux  Arabes  des  deux  empires  ». 

L'article  6  va  plus  loin  encore  : 

«  Quant  au  pays  qui  est  au  sud  des  ksours  des  deux 
»  gouvernements  [Figuig  et  Iche.  .  .  ksours  marocams  ; 
»  Tyoui  et  Moghar. . .  ksours  français),  comme  il  n'y  a  pas 
»  d'eau  et  qu'il  est  inhabitable  et  que  c'est  le  désert 
»  i)roprement  dit.  la  délimitation  en  serait  superflue...)) 

Que  peut-on  craindre  en  présence  d'un  semblable 
traité  ? 

Il  ne  serait  pas  prudent  de  fixer  un  chiffre  de 
dépenses  au  sujet  d'une  entreprise  d'aussi  longue 
haleine  et  pour  laquelle  les  éléments  de  détail  font 
défaut.  Néanmoins,  il  est  à  peu  près  certain  que  les 
difficultés  techniques  seront  réduites.  C'est  ce  que 
démontrera,  d'ailleurs,  une  étude  sérieuse  ultérieure, 
qui  ne  pourra  être  entreprise  qu'après  notre  installa- 
tion à  Igli,  ainsi  que  je  l'ai  dit  déjà. 

"  Cependant,  et  dans  le  désir  d'avoir  une  idée  générale 
des  dépenses  que  nécessitera  l'établissement  de  la 
première  Partie  du  transsaharien  occidental,  je  calcu- 
lerai l'estimation  kilométrique  à  raison  de  80,000  fr., 
soit  une  augmentation  de  33  O/o  du  prix  de  la  .3^  section. 
J'obtiendrai  ainsi  pour  les  450  kilomètres  d'igli  au 
Touat 36.000.000  fr. 


que    je    porterai,    à    raison     des    aléa 

possibles  à 40.000.000 

Report  de  l'estimation  de  la  2^  section.    16.000.000 


Total  des  dépenses  de  la  l^-^  partie.    56.000.000  fr. 


TUAClis  DE  CHEMIN  HE  FEU  TRAXSSAUAKIEN  EN  ETUDE  X  i  .j 

M.  de  Lappareiil  estime  à  00.000  fr.  le  kilomètre, 
en  moyenne,  de  voie  ferrée  de  un  mètre  de  largeur  : 
c'est  le  prix  dr  i-evient  en  France.  Mais  il  convient 
de  noter  «lu'en  b'rance  les  frais  d'expropriation  sont 
considérables,  tandis  qu'ils  n'existeront  pas  en  Algé- 
rie ;  d'autre  part,  les  travaux  d'art,  les  gares,  les 
stations,  sont  bien  plus  importantes  dans  la  métro- 
pole et  la  main-d'œuvre  plus  chère. 

«  Le  Touat,  dit  M.  Sabatier,  placé  au  carrefour  des 
»  chemins  suivis  par  les  grandes  caravanes  qui  vont  : 
»  1"  du  Tidikelt  à  Ghadamès  ;  '■2°  du  Figuig  et  du 
))  Gourara  au  Touat  et  àTimboktou  :  3"  du  Khezas  au 
»  Tafilalet  ;  4"  du  Gourara  vers  le  Sud  Oranais  et  aux 
»  Béni  M'zab,  le  Touat  sera  le  centre  d'un  mouvement 
»  commercial  considérable  dont  profitera  la  voie 
»  ferrée  )>. 

J'estime  que  personne  ne  contestera  l'opinion  de 
M.  Sabatier  en  pareille  occurrence. 

2°  Exploitation  générale.  —  Ce  titre  s'applique  au 
trafic  dont  la  voie  ferrée  sera  susceptible,  c'est-à-dire, 
aux  matières  et  aux  produits  auxquels  elle  servira  de 
canal. 

Voyons,  d'abord,  quel  est  le  chiffre  de  la  population 
que  le  raill-way  desservira. 

Il  résulte  des  renseignements  recueillis  par  M.  Pou- 
yanne  et  par  M  Sabatier,  et  résumés  par  ce  dernier 
dans  son  ouvrage  déjà  cité,  que  l'effectif  des  popula- 
lations  qui  seront  placées  directement  sous  l'action  de 
la  voie  ferrée  se  divise  ainsi  : 

De  Djenien  à  Igli 608.000  habitants 

D'Igli  à  Taourirt  et  Insalah 378.173         — 

De  Taourirt  au  Niger 923.000         — 

Soit 1.909.173  habitants 

Populations  soudaniennes  pla- 
cées plus  ou  moins  directe- 
ment sous  l'action  de  la  gare 
terminus 5.132.000         — 

Total 7.041.173  habitants 


27li  TRACÉS  DE  CIIKMIN  1>E  FEU   TH.VNSSAIIAKIEN   EN   ÉlLDE 

Nombre  de  ksours  relevés  depuis  Igli  jusques  au 
Touat,  y  compris  le  Gourara  et  le  Tidikelt  :  349. 

D'autre  part,  et  continuant  ces  données  statistiques, 
on  peut  compter  que  le  nombre  de  palmiers  dattiers 
qui  ombragent  toute  la  région  placée  sous  l'action 
directe  de  la  voie  ferrée,  dei)uis  Igli,  a. . .    .       n.  iOO.OOO 

Zone  placée  à  2  jours  1/2  de  marche 2.7(JO.00O 

Zone  placée  au-delà  et  jusques  à  8  jours 

de  marche 3.000.000 

ToT.\i 11.100.000 


On  pourra  contester  quelques  uns  de  ces  chifïres  : 
mais  les  réductions  qu'on  pourra  opérer  seront  sans 
influence  sensible  sur  le  résultat  final. 

Selon  les  déductions  de  M.  Pouyanne,  chaque  pied 
de  palmier  dattier  peut  donner  une  moyenne  de 
40  kilogrammes  de  dattes.  Les  deux  premières  zones 
forment  un  total  de  8.100.000  pieds  de  dattiers. 
J'admettrai  seulement  6.000.000  ;  soit  une  production 
annuelle  en  dattes,  de  240.000,000  kilog.,  ou  l)ien,  en 
tonnes  240.000. 

M.  Sabatier  obtient  de  son  côté  320.000  tonnes. 

Quoi  qu'il  en  suit,  j'admettrai,  de  conliance  avec  lui, 
pour  l'ensemble  de  rimpr)rtation  et  de  l'exportation 
probables,  le  chiflre  de  200.000  tonnes. 

11  est  inutile  de  mettre  en  relief  l'importance  et  la 
valeur  du  fruit  délicieux  que  les  dattiers  produisent. 
Le  Gourara  et  le  Touat  fournissent  des  qualités  supé- 
rieures dont  je  ne  donnerai  pas  ici  le  classement 
spécifique.  Les  arabes  consomment  les  qualités  ordi- 
naires, qui  font  la  base  de  leur  nourriture  ;  les 
supérieures  figurent  sur  les  tables  opulentes.  Quant 
aux  qualités  inférieures,  en  provoquant  la  fermenta- 
lion  de  ce  fruit  essentiellement  sucré,  on  obtiendra 
des  eaux-de-vie  aussi  fines,  aussi  parfumées  qu'avec 
la  canne  à  sucre. 

La  datte  se  vend  actuellement  depuis  1  fr.  jusques  à 
1  fr.  501e  kilogr.  pour  les  qualités  supérieures.  La  voie 


TRACF.S  DE  CHEMIN  DE  FER  TRANSSAHARIEN  EN  ETUDR     'Z  t  i 

ferrée  permettra  une  réduction  de  50  O/o  dans  les  prix 
de  vente. 
Voilà  un  élément  de  trafic  sérieux. 

A  ce  mouvement  d'importation,  il  convient  d'ajouter 
celui  qui  naîtra  de  l'exploitation  des  gîtes  de  nitrate  et 
de  sulfate  de  potasse  qui  existent  dans  la  région  du 
Gourara  et  au  delà,  et  qui  ont  été  découverts  pai 
M.  Flamand,  professeur  de  minéralogie  à  l'Ecole  supé- 
rieure des  Lettres,  à  Alger.  On  sait  que  nous  sommes 
triJ3utaires  du  Chili  pour  cette  matière,  qui  constitue 
un  des  éléments  indispensable  pour  l'agriculture,  et 
dont  la  France  et  l'Algérie  pourront  s'assurer  le 
monopole. 

Quant  à  l'exportation,  on  pourra  noter  les  produits 
et  matières  suivants  :  blé,  bestiaux,  tissus  cotonneux, 
quincaillerie  domestique,  viande  sèche,  graisse,  beurre, 
huile,  sucre,  café,  bougies,  et  surtout  le  sel,  qui  fait 
absolument  défaut  dans  le  Soudan  et  dont  la  valeur  est 
très  élevée. 

J'ai  dit,  plus  haut,  pour  justifier  l'existence  d'un 
mouvement  coilimercial  réel  qu'un  certain  trafic  par 
caravanes  se  produisait  annuellement  entre  les  popu- 
lations des  Hauts-Plateaux  oranais,  et  le  Gourara  et  le 
Touat.  Voici  le  relevé  de  ce  mouvement  forcément 
limité  à  raison  de  l'exiguïté  des  moyens  dont  disposent 
nos  indigènes.  11  a  été  relevé  sur  le  journal  officiel  de 
l'Algérie  :  Le  Mohacher,  et  se  rapporte  à  l'année  1897  ;  il 
représente  une  année  moyenne  : 


1 

j                  TRIBUS 
1 

Hommes 

Femmes 

et  enfants 

Chameaux 

Moulons 

'  Ouled  Sidi  Cheikh 

Trafi 

200 
600 
800 

50 
300 
300 

600 
2.500 
4.500 

)) 
1.100 
1.100 

Ilamians 

Totaux 

1.600 

650 

7.600 

2.200 

278      TRACÉS  DE  CHEMIN  DE  FER  TRANSSAHARIEN  EN  ÉTUDE 

Je  laisse  sous  silence,  faute  de  documents  positifs,  le 
mouvement  qui  remonte  vers  le  Tatîlalet  ou  qui  en 
descend  mais  qui  doit  être  très  important,  si  l'on  con- 
sidère que  ce  pays  est  très  industrieux  et  très  peuplé. 

Le  tableau  qui  précède  met  vivement  un  point  en 
lumière  :  c'est  le  nombre  de  femmes  et  d'enfants  qui 
accompagnent  les  caravanes,  témoignage  évident  delà 
sécurité  qui  règne  dans  les  régions  parcourues,  et  que 
font  ressortir  davantage  les  massacres  et  les  assassi- 
nats qui  ont  jalonné  le  tracé  Occidental  :  Mission 
Flatters  et  le  marquis  de  Mores,  pour  ne  citer  que 
ceux-là. 

En  présence  de  ces  chiffres,  et  quelques  modestes 
qu'ils  soient,  n'est-on  pas  en  droit  d'espérer  une 
augmentation  énorme  de  ce  mouvement  initial,  grâce 
à  la  voie  ferrée  ? 

Il  m'a  paru  utile  de  mettre  en  présence  les  rapports 
qui  existent  entre  l'effectif  des  populations  desservies 
par  le  P.-L.-M,  et  celles  que  le  Transsaharien  intéresse. 
Voici  ce  rapport  : 

P.-L.-M.,  longueur  exploitée  :  2.933  k. 

Population  desservie  :  4.429.173. 

Chemin  de  fer  Transsaharien  jusques  au  Touat  ; 
1.260  k. 

Population  desservie  :  1.909.173. 

Je  signalerai,  seulement  pour  mémoire,  les  5.000.000 
de  populations  soudaniennes. 

Fixation  du  trafic  probable: 

Selon  les  relevés  méticuleux  de  M.  Sabatier,  le  total 
des  importations  et  des  exportations  de  la  mer  au 
Touat  s'élève  à  200.000  tonnes,  dont  moitié  sur  toute  la 
longueur  du  parcours,  et  moitié  de  Kreneg  es  Zoubia 
seulement  au  Touat  (J'ai  négligé  les  voyageurs). 

Soit,  en  tonnes  kilométriques,  pour 
la  longueur  totale  :  100.000' x  1.260^  =    126.000.000 1.  k. 

Du  Touat  à  Kreneg  es  Zoubia  : 
100.000'  X  660k  = 66.000.000  — 

En  outre,  de  Figuig  au    Tatîlalet  : 
30.000'  X  150k  zr  4.500.000  — 

Total 196. 500.000 1.  k. 


TRACÉS  DE  CHEMIN  HE  FER  TRANSSAHARIEN  EN  ETUDE     279 

J'ai  déjà  réduit  notablement  le  chifïi'e  des  dattiers 
pour  faire  la  part  des  aléa  ;  j'ai  fait  la  même  opération 
pour  le  calcul  des  dattes  récoltées.  C'est  le  même 
sentiment  qui  m'amène  à  réduire  le  chiffre  des  tonnes 
kilométriques  à  180.000.000,  et  à  négliger  l'exportation. 

Appliquant  à  ce  chiffre  le  tarif  le  plus  réduit  de  la  C'^ 
P.-L.-M.,  chemin  algérien,  soit  0  fr.  15  par  tonne  kilo- 
métrique un  obtient  comme  revenu  brut  :  27.000.000  fr. 

Il  reste  à  déterminer  les  dépenses  d'exploitation. 

Actuellement,  il  n'est  guère  possible  d'établir  un 
budget  exact;  ce  document  doit  comprendre,  comme 
dépenses  :  d'abord,  l'intérêt  du  capitale  et  l'amortisse- 
ment ;  ensuite,  les  dépenses  d'exploitation,  d'entretien 
et  de  protection  militaire.  Ce  dernier  cliapitre  a  été 
longuement  discuté  par  M.  Sabatier  :  je  ne  puis  que 
renvoyer  à  son  ouvrage.  Je  dirai  cependant  qu'il  évalue 
à  2.000.000  fr.  les  travaux  de  construction  de  forts, 
hôpitaux,  smalas,  etc.  Plus,  pareille  somme  annuelle 
pour  vivres,  déplacements,  entretien,  etc. 

Au  sujet  des  diverses  dépenses  d'exploitation,  elles 
peuvent  s'élever  à  10.000  fr.  le  kilomètre  au  minimum 
et  à  15.000  fr.  au  maximum  ;  adoptant  néanmoins  ce 
dernier  chiffre,  on  aura,  comme  dépense  annuelle  : 

probable 18.900. 000  fr. 

soit,  en  chiffres  ronds 20.000.000 

Il  y  a,  comme  différence  avec  la  recette 
brute 7.000.000 

Ce  revenu  est  très  rassurant  pour  l'entreprise. 

Je  ne  prétends  pas  affirmer  que  ce  résultat  sera 
atteint  dès  les  premiers  temps  de  l'exploitation  ;  mais 
il  est  permis  d'émettre  cette  opinion,  que  la  réussite 
du  projet  de  chemin  de  fer  transsaharien  entre  la  mer 
Méditerranée  et  le  Touat  est  certain  et  que  l'entreprise 
sera  productive. 

Je  reproduis,  en  terminant  mon  travail  sur  la  pre- 
mière Partie  du  tracé,  les  conclusions  de  M.  Sabatier  : 

((  Nos  conclusions  très  fermes  et  très  réfléchies  sont 
»  que  l'établissement  d'une  voie  ferrée,  desservant  par 


280     TRACÉS  DE  CHEMIN  DE  FER  TRANSSAHARIEN  EN  ÉTUDE 

»  l'Oued  Messaoura  l'intégralité  des  populations,  tant 
»  nomades  que  sédentaires  des  vallées  de  l'Oued  Ziz, 
»  de  rOued  Ghir,  et  de  l'Oued  Messaoura,  s'impose  au 
))  double  point  de  vue  politique  et  militaire  ;  que  le  tra- 
»  fie  serait  —  marchandises  dénombrées  en  gare  de 
»  Khreneg  es  Zoubia,  quel  que  soit  le  point  de  départ  — 
»  de  230.000  tonnes  ;  que  la  ligne  de  construction 
»  extrêmement  aisée  et  peu  coûteuse,  serait  assurée 
»  de  bénéfices  considérables  ;  que  notre  marché  d'ex- 

»  portation  y  trouverait  un  déijouché  sérieux 

»  Tel  était,  d'ailleurs,  dès  1880,  l'avis  d'un  Ingénieur 
»  dont  j'ai  pu,  bien  souvent,  constater  l'esprit  positif 
»  et  la  grande  valeur  scientifique  :  M.  Pouyanne  )). 


-♦  ^i  1 1^  » 


TRAGliS  DE  CHEMIN  DE  FER  TRANSSAHARIEN  EN  ÉTUDE  281 


CHAPITRE  DEUXIEME 


TRACÉ    ORIENTAL 


Ce  tracé  sera  examiné,  ainsi  que  je  l'ai  fait  pour  l'oc- 
cidental, au  triple  point  de  vue,  savoir  : 

^  le.  —  Travaux  de  sithstniction  et  d'art. 
§  2*^.    —  Considération  sur  Vexploltation  tecliniqiie  pro- 
prement dite, 
§  3'".         Considérations  économiques  ou  trafic. 


§  1^'\  —  Travaux  de  substruction  et  d'art 


En  ce  qui  concerne  le  tracé  Oriental,  quelles  sont  les 
données  topographiques  que  l'on  possède  et  qui  sont 
capables  de  fournir  des  indications  techniques  et  éco- 
nomiques suffisamment  précises  pour  passer,  de  suite, 
à  l'exécution  des  travaux?  On  peut  dire,  à  priori,  que, 
sauf  pour  la  section  de  Biskra  à  Ouargla,  on  est  très 
peu  édifié  à  cet  égard. 

De  Biskra,  terminus  actuel  de  la  ligne  Orientale,  à 
Ouargla,  la  voie  ferrée  développera  iOO  kilomètres  envi- 
ron de  longueur;  il  faut  noter  que  Biskra  est  à  '2b0 
kilomètres  de  Philippeville,  tète  de  ligne. 

A  tout  prendre,  cette  section  pourrait  se  justifier 
comme  déhouclié  du  M'zab.  D'ailleurs,  le  pays  est  bien 
connu,  il  est  plat,  il  ne  présente  aucune  difficulté  tech- 
nique, pas  de  travaux  d'art  sérieux. 

C'est  à  moitié  distance  de  la  route,  un  peu  au-delà  de 
Tuggurth,  que  se  trouvent  les  palmeraies  de  l'Oued 
R'hir,  œuvi'es  d'enti'eprises  particulières,  et  qu'arrosent 
une  multitude  de  puits  artésiens  récemment  forés. 


282  TRACÉS  DE  CHEMIN  DE  FER  TRANSSAHARIEX  EX  ÉTUDE 

Il  est  évident  qu'un  certain  mouvement  naiti-a  du 
voisinage  des  principales  villes  du  M'zab  :  Guerara, 
Berrian,  Gardaïa  et  Metlili  ;  et  aussi,  de  l'exploitation 
des  palmeraies  de  l'oued  R'hir. 

Mais,  ce  pays,  limité  à  l'Est  et  à  l'Ouest  par  les 
grandes  dunes  de  l'Erg  Oriental  et  de  l'Erg  Occidental 
ou  des  Chambaa,  tout  développement  dans  ces  deux 
zones  infranchissables  est  impossible  ;  et  Rhadamès 
qui  est  le  marché  le  plus  important  et  le  plus  voisin 
est  tout  à  fait  sollicité  du  côté  de  Tripoli. 

Au-delà  d'Ouargla.  vers  le  Sud,  etjusques  à  Timassi- 
nin,  on  traverse  toute  une  région  mamelonnée  de  fortes 
dunes  de  plus  de  350  kilomètres  de  long,  sur  une 
largeur  comprenant  plusieurs  degrés  de  longitude.  Le 
pays  est  inhabité  et,  d'ailleurs,  inhabitable  ;  c'est  le 
désert  dans  toute  sa  nudité,  tout  son  horreur,  ne  lais- 
sant entrevoir,  si  lointaine  soit-elle,  aucune  perspec- 
tive d'amélioration  ou  d'avenir.  Les  sources  y  sont 
très  rares  et  d'une  faible  abondance.  Mais  on  semble 
compter  sur  la  sonde  artésienne  pour  rafraîchir  quel- 
ques passages  dans  le  Gassi  Mokhanza.  Du  reste,  on  ne 
possède,  à  cet  égard,  que  des  renseignements  très 
sommaires  sans  indications  géologiques,  lesquelles 
sont  cependant  indispensables  pour  bien  juger  de 
l'existence  souterraines  de  nai)pes  artésiennes.  Donc, 
le  fameux  Igargar,  cette  antithèse  absolue  de  l'oued 
Ghir,  ne  permet  aucune  espérance. 

En  réalité,  dans  toute  la  région  que  je  viens  d'indiquer 
on  ne  rencontre  que  deux  puits  :  El  Biodh,  dont  l'eau 
est  détestable,  et  Timassinin,  triste  kouba,  qu'ombra- 
gent quelques  palmiers.  D'ailleurs,  je  m'appuie,  à  cet 
égard,  sur  l'avis  de  Duveyrier  qui  a  émis  cette  opinion, 
que  le  peu  d'eau  rencontrée  par  hazard,  dans  le 
prétendu  lit  de  l'Igargar,  est  amère  et  salée. 

A  partir  de  Timassinin,  on  se  trouve  en  présence  du 
grand  massif  Hoggarien,  presque  infranchissable  à 
cause  des  fortes  pentes  que  l'on  sait  exister  d'Amguid 
à  Amagdor  et,  quoique  moins  accidentées,  jusques 
au-delà  de  Bir  Garama,  point  où  périt  le  malheureux 
colonel  Flatters  et  ses  infortunés  compagnons. 


TRACÉS  DE  CHEMIN  DE  FER  TRANSSAHARIEN  EN  ÉTUDE  283 

Dans  cette  longue  distoiice  de  700  kilomètres,  qui 
sépare  Tiinassin in  deBirGarama,  on  ne  trouve  de  l'eau 
qu'à  Amguid  ;  mais  on  est  là  en  plein  pays  Touareg,  et 
personne  n'ignore  que  ces  nomades  pillards,  la  terreur 
du  désert,  se  sont  créés  dans  le  Hoggar,  des  repaires 
inattaquables. 

Dans  cette  situation,  de  même  que  dans  la  précédente, 
il  n'y  a  rien  :  pas  de  population  calme  et  tranquille 
comme  celle  qui  peuple  la  vallée  de  l'oued  Messaoura, 
pas  de  productions.  A  qui  et  à  quoi  une  voie  ferrée 
pourrait-elle  profiter? 

Je  laisse  sans  description,  et  pour  cause,  toute  la 
suite  du  tracé  jusques  au  Tchad.  Cette  partie  de  voie 
ferrée  traversera  des  régions  au  sujet  desquelles  on 
n'a  d'autres  indications  que  celles  fournies  par  Barth 
et  quelques  autres  explorateurs  du  Soudan  qui, 
certainement,  à  l'époque  de  leurs  voyages,  ne  pensaient 
guère  aux  voies  ferrées  ni  aux  conditions  de  leur 
installation. 

Des  données  sommaires  qui  précédent,  on  peut 
affirmer,  à  priori,  que,  depuis  Ouargla  jusques  à  Baroua, 
soit  une  distance  de  2500  kilomètres,  tout  le  pays  est 
à  peu  près  inconnu,  tant  au  point  de  vue  topographique 
que  des  ressources  qu'il  peut  posséder.  Il  n'est  donc 
pas  possilile  d'établir  un  avant-projet  indiquant,  même 
très  sommairement,  les  profils  en  long  et  en  travers 
de  la  voie  ferrée  en  projet  ainsi  que  les  travaux  d'art. 

A  l'égard  de  ces  régions  désertiques,  M.  Sabatier 
s'exprime  ainsi  : 

«  La  faune  y  est  très  pauvre  ;  les  fauves,  aussi  bien 
»  ([ue  l'homme,  y  meurent  de  faim.  Pas  une  voix  dans 
»  ces  espaces  hamadiques  immenses,  pas  un  insecte, 
«  pas  même  une  ombre.  Le  sol  ne  paraît  y  receler 
»  aucun  métal  précieux,  non  plus  que  aucun  combus- 
»  tible. . . .  )) 

Quant  au  relief  du  pays,  point  intéressant  à  considé- 
rer à  cause  des  frais  énormes  de  traction  motivés  par 


284      TRACÉS  DE  CHEMIN  DE  FER  TRANSSAHARIEN  EN  ÉTUDE 

la  raideur  des  rampes  et  des  pentes,  il  est  signalé  tout 
le  long  du  tracé  par  les  côtes  altitudinales  suivantes, 
vivement  accentuées  surtout  dans  le  massif  Hog- 
garien  : 

Pliilippeville 5  mètres 

Constantine 1000  — 

Batna 1059  — 

Biskra 223  — 

Ouargla 96  — 

Aïn-Taïba 250  — 

Timassinin 375  — 

Amgqid 1500  — 

Rien  de  comparable  n'existe  sur  le  tracé  Occidental. 


§  2^  —  Exploitation  technique 


J'ai  dit  à  la  page  270  quelles  étaient  les  conditions 
nécessaires,  ou  mieux,  indispensables,  pour  l'exploi- 
tation technique  en  matière  de  chemin  de  fer;  elles  se 
résument  dans  cette  exigence  :  eau  abondante  et 
dépourvue  d'éléments  incrustants  par  rapport  au 
foyer  des  locomotives  et  à  leur  faisceau  tubulaire. 

De  Bisl^ra  à  Touggourt,  l'eau  est  abondante  et  assez 
bonne.  Au-delà,  elle  laisse  beaucoup  à  désirer.  Ainsi, 
à  Mraïer,  le  poids  total  des  sels  par  litre  est  de  4^201  ; 
Tamerura  donne  4^511  ;  les  eaux  qui  alimentent 
Touggourt  possèdent  3^710  ;  à  Saàda  elles  renferment 
6s896.  Quant  aux  oasis  d'Ouargla,  visitées  en  1863  par 
M.  Pomel,  géologue,  et  M.  Rocard,  ingénieur  en  chef 
des  Mines,  à  Oran,  ces  Messieurs  ont  trouvé  une 
proportion  considérable  de  sels  par  litre  d'eau. 

La  source  de  Raz-el-Aïn,  préférée  à  Oran  par  la 
G'e  P.-L.-M.,  ne  renferme,  je  l'ai  déjà  dit,  page  271  ,  que 
0s560  par  litre. 

Voici,  d'ailleurs,  l'opinion  de  M.  Ghoisy,  ingénieur  en 
chef  des  Ponts  et  (Jhaussées,  chargé  par  M.  le  Ministre 
des    Travaux    publics,  de    l'étude    du    transsaharien 


TRACÉS  DE  CHEMIN   DE  FER  TRANSSAIIARIEN  EN  ÉTUDE  285 

oriental:  «  L'ean  de  ces  diverses  régions,  mallienrense- 
»  ment,  est  médiocre  ;  les  européens  s'y  lial)itueront 
»  avec  peine  ;  elle  incrustera  vite  les  chaudières. ...  •». 

Depuis  Ounrgla  jusques  à  Timassinin,  en  négligeant 
El  Biodli,  dont  l'eau  est  très  saumâtre,  on  ne  rencontre 
pas  la  plus  petite  source,  i)as  de  puits.  MM.  Rolland 
et  Philibert,  dit  M.  Sahatier,  espèrent,  grâce  à  la  sonde 
artésienne,  découvrir  quelques  nappes  souterraines.  • 
Mais  cette  espérance  est  bien  incertaine,  bien  loin- 
taine ;  car  on  ne  connaît  rien  sur  la  constitution 
géologique  du  pays,  ni  quelle  sera  la  qualité  de  l'eau 
obtenue. 

A  Amguid,  petite  station  à  250  kilomètres  de  Timas- 
sinin, il  y  a  un  puits  assez  abondant  ;  100  kilomètres 
plus  loin,  on  en  rencontre  un  autre,  celui  d'Inzinan 
Tikhsin  ;  300  kilomètres  au-delà,  on  atteint  le  puits  de 
Bir  Ghrrama,  terminaison  fatale  de  la  malheureuse 
mission  Flatters.  Enfin,  Asiou,  sur  l'oued  Tefassaset, 
est  à  250  kilomètres  de  Bir  Gharama. 

Mais  on  ne  connaît  rien  sur  le  débit  de  ces  divers 
puits,  ni  sur  la  qualité  de  l'eau  qu'ils  peuvent  four- 
nir. Il  est  possible,  d'ailleurs,  que  la  se])kha  s  ilée 
d'Amagdor,  située  à  moitié  distance  d'Amguid  et  de 
Bir  Gharama,  transmette  de  sa  salure  aux  terrains 
environnants. 

Enfin,  on  rencontre,  plus  loin,  le  pays  d'Aïr,  dont  la 
capitale  est  Aguadès,  puis  le  Damergou,  finalement,  le 
Tchad,  à  Barroua.  Ces  dernières  régions  sont  à  peu  près 
inconnues;  assez  peu,  toutefois,  paur  juger  qu'il  serait 
très  imprudent  de  fonder  sur  elle  un  projet  quelconque 
de  raill-way. 

M.  Leroy-Beaulieu  a  cité  réta])lissement  de  voies 
ferrées  dans  l'Asie  centrale,  en  Australie,  en  Egypte 
dans  la  vallée  du  Nil,  pays  inhabités,  dit-il;  il  n'a  pas 
indiqué  dans  quelles  conditions  hydrologiques  se 
trouvent  les  contrées  traversées. 

Résumant  les  différentes  sections  du  tracé  Oriental 
au  point  de  vue  hydrologique  on  a  : 


286  TRACÉS  DE  CHEMIN  DE  FER  TRANSSAIIARIEN  EN  ÉTUDE 

De  Pliilippeville  à  Biskra,  ligne  exploitée .  .  . .  289  k. 

De  Biskra  à  Ouargla,  projet  étudié  et  réalisable.  340  — 

D'Ouargla  a  Timassinin,  pays  peu  connu,  pas 

d'eau 400  — 

De  Timassiuin  à  Amguid,  pays  peu  connu, 

pas  d'eau 250  — 

D'Amg'uid  à  Bir  Gliarama,  pays  inconmi,  pas 

d'eau ,  450  — 

De  Bir  Gharama  à  Aguadès,  inconnu 650  — 

D'Aguadès  à  Barroiia  (Tchad),  iiiconnu 750  — 

Total 3.129  k. 


§  3.  —  Conditions  économiques 


Ce  chapitre  comprendra,  comme  le  tracé  Occidental, 
deux  subdivisions  : 

!•  dépenses  de  construction. 

2"  Exploitation  et  trafic. 

1°  DÉPENSES  DE  coNTRUCTiON.  —  A  l'exceptiou  de  la 
section  de  Biskra  à  Ouargla,  il  est  fort  difficile  d'établir^ 
même  approximativement,  un  prix  de  dépenses 
"kilométriques  moyen. 

MM.  Rolland,  Philibert  et  Fock,  fixent  un  prix  de 
100.000  francs.  Ce  chiffre  est  évidemment  trop  faible  et 
devra  être  fortement  majoré,  si  l'on  considère  la 
longueur  de  la  ligne,  son  relief  très  accentué  et  abrupte 
dans  le  massif  Hoggarien,  et  l'état  désertique  du  pays, 
lequel  est  très  peu  connu  sur  la  plus  grande  partie  du 
tracé.  Quelle  sera,  dans  ces  conditions,  l'importance 
des  travaux  de  terrassement  et  des  travaux  d'art,  deux 
éléments  qui  peuvent  atteindre  des  chiffres  très  élevés? 
Certainement,  à  cet  égard,  la  réponse  sera  négative  ou 
à  peu  près. 

Autre  considération  :  d'où  viendra  la  main-d'œuvre, 


I 


TnACÉS  DE  CHEMIN  DE  FER  TRANSSAHARIEN  EN  ÉTUDE     287 

puisque  le  pays  est  inhabité  et  inhabitable?  Elle  sera 
rare,  sans  doute,  et  très  coûteuse. 

Au  wSénégal,  la  construction  des  voies  ferrées  de 
Saint-Louis  à  Dakar  et  de  Ivayes  à  Bafoulabé,  a  donné 
lieu  à  des  dépassements  énormes  par  rapport  aux 
estimations  primitives. 

Le  pays  qui  nous  occupe  est  absolument  privé  de 
toutes  sortes  de  ressources.  L'alimentation  en  vivres 
et  en  eau  sera  très  difficile;  les  soins  médicaux  seront 
assurés  avec  beaucoup  de  peine,  sinon  impossibles, 
à  raison  des  distances. 


, Enfin,  si  l'on  considère  qu'on  se  trouvera  en  plein 
pays  Touareg  ;  c'est-à-dire,  au  milieu  de  populations 
nomades,  très  pillardes,  desquelles,  ainsi  que  le  dit  le 
commandant  Demgaeht,  il  ne  sera  jamais  possible  de 
gagner  leur  concours  ;  mais  qui  seront  toujours 
jalouses  de  notre  présence  au  milieu  d'elles.  Si  l'on 
considère  toutes  ces  circonstances,  de  fortes  instal- 
lations militaires  deviendront  al)Solument  indispensa- 
bles. Dans  de  semblables  conditions,  il  est  prudent, 
pour  éviter  tout  mécompte,  de  porter  l'estimation  à 
150.000  fr.  le  kilomètre,  prix  moyen  pour  la  section  de 
Ouargla  au  Tchad,  et  compter  seulement  65.000  fr.  pour 
la  section  de  Biskra  à  Ouargla. 

De  sorte  que  la  dépense  prol)a'de,  sera  ainsi  fixée  : 

De  Biskra  à  Ouargla,  340  kil.  à  65.000 fr.      22. 100.000  f. 
De    Ouargla    au    Tchad,    2  500    kil.   à 
150.000  fr 375.000.000 


Total...       397.100.000 


Soit,  en  ciiiffres  ronds  :      400.000  000 

Je  me  contente  de  ce  résultat  sommaire  pour  établir 

l'impossibilité  économique  de  la  voie  ferrée  poussée 
au-delà  d'Ouargla. 


288  TRACÉS  DE  CHEMIN  DE  FER  TRANSSAH.VRIEX  EN  ÉTUDE 

Exploitation  et  Trafic.  —  Je  rappelerai  ici,  avec 
à-propos,  la  définition  de  M.  de  Lapparent,  sur  les 
chemins  de  fer,  reproduite  page  262 

Or,  depuis  Ouargla  jusques  àBarroua,  la  sève  indus- 
trielle, selon  l'heureuse  expression  de  M.  de  Lappa- 
rent. fait  absolument  défaut.  Rien  ne  se  produit,  rien 
ne  se  consomme.  Du  moins,  je  n'ai  jamais  vu  aucun 
document,  aucune  statistique  pouvant  servir  de  base 
à  un  trafic  commercial  quelconque,  ainsi  que  l'a  fait 
M.  Sabatier  dans  son  ouvrage  :  Touat,  Sahara^  Soudan. 

Quelques  écrivains  ont  mis  en  avant  que  la  voie 
transsaharienne  concurrencerait  avantageusement  le 
commerce  anglais  au  Soudan.  Cette  idée  est  au  moins 
bizarre. 

■  On  sait  que  l'Hinteiiand  anglais,  au  Soudan,  e"st 
séparé  de  l'Hinterland  français  par  la  ligne  Say-Bar- 
roua,  en  vertu  du  traité  de  1895.  Est-il  possible  d'ad- 
mettre que  les  marchand  <^;.es  françaises  venant  de  la 
Méditerranée  et  suivant  la  direction  d'une  voie  ferrée 
de  8.150  kilomètres  de  dévoloppement.  qui  aura  coûté 
■iOO.000.000  fr.,  puissent  atteindre  les  bords  du  Tchad 
dans  des  conditions  plus  économiques  que  les  mar- 
chandises anglaises  remontant  parle  Niger  et  la  Bénoué 
avec  un  parcours  fluvial,  c'est-à-dire  très  économique, 
de  1.400  kilomètres  seulement? 

Xon,  cela  n'est  pas  admissible. 

J'ajoute  qu'il  est  permis  de  croire  que  la  construction 
de  la  voie  orientale,  si  elle  était  entreprise,  demanderait 
au  moins  25  années. 

Dans  ces  conditions,  j'adopte  les  conclusions  pré- 
cises de  M.  Sabatier.  en  ajoutant,  pour  leur  donner 
plus  de  poids,  l'irréduction  de  la  question  liydrolo- 
gique  : 

«  Sauf  quelques  régions  isolées,  présentant  uneffec- 
»  tif  d'habitants  insignitlant,  la  grande  voie  transsaha- 
»  rienne  orientale  traverse  le  désert  dans  toute  sa 
»  nudité  :  pas  de  population  stal^le.  pas  d'animaux,  pas 
»  de  produits  naturels  du  sol,  pas  de  végétation.  Rien 


TRACÉS  DE  CHEMIN  DE  FER  TRANSSAIIARIEN  EN  ÉTUDE  "289 

»  ne  pourra,  dans  raveiiir,  modifier  un  état  de  choses 
»  qui  s'aggrave  tous  les  ans. 

»  Ce  tracé,  entre  Ouargla,  et  Barroua,  rencontrera, 
»  dans  son  exécution,  de  grandes  difficultés  techni- 
»  ques  qui  auront  pour  conséquence  d'élever  considé- 
»  rablement  le  prix  de  revient  que  l'on  peut  estimer 
»  déjà  à  600.U00..000.  L'exploitation  technique  exigera 
»  une  protection  armée  coûteuse  et  pénible,  si  l'on  veut 
»  se  préserver  des  bandits  Touareg.  Le  trafic  commer- 
»  cial  sera  d'une  insuffisance  notoire » 


290  TRACÉS  DE  CHEMIN  DE  FER  TRANSSAIIARIEN  EN  ÉTUDE 


CHAPITRE  III 


TRACE     CENTRAL 


La  critique  relative  à  ce  tracé  ne  demandera  pas 
beaucoup  de  développement,  car  il  emprunte  la  plus 
grande  partie  de  son  parcours  aux  deux  autres  tracés  : 
Oriental  et  Occidental.  D'un  côté,  il  vise  le  Tchad  et, 
à  cet  effet,  on  utilise  le  projet  Oriental,  depuis 
d'Ouargla  jusques  à  Barroua.  11  aurait  aussi  pour 
objectif  le  Touat. 

Alger  serait  tète  de  ligne. 

Il  n'existe  sur  ce  tracé  qu'un  tronçon  de  135  kilomè- 
tres de  long  ayant  Berrouagliia  pour  terminus  actuel. 

A  tout  prendre,  cette  section  de  Berrouagliia  à 
Laghouat  est  possible  et  même  désirable  ;  sa  longueur 
de  300  kilomètres,  pourrait  être  édifiée  sans  des  diffi- 
cultés sérieuses. 

A  partir  de  Laghouat,  le  tracé  obliquerait  vers  l'Est 
pour  atteindre  Ouargla,  en  traversant  le  M'zab  par 
Gardaïa,  il  aurait  250  kilomètres  de  développement. 

Mais,  étant  donné  cette  circonstance  que  la  section 
de  Biskra  à  Ouargla  sera  plus  importante  et  d'une 
exécution  plus  facile  que  la  section  précédente,  et  sera 
plus  rapidement  construite,  il  n'y  a  pas  grand  espoir 
de  voir  jamais  Alger  en  communication  avec  Ouargla, 
du  moins  directement. 

En  ce  qui  concerne  la  ligne  Laghouat-Touat,  elle  se 
trouve  dans  des  conditions  très  défavorables.  Une 
partie  du  tracé  s'installe  sur  les  terres  de  parcours 
des  Chambaâ  ;  l'examen  de  la  carte  de  M.  Fourreau, 
nous  montre  que  ce  pays  est  très  tourmenté,  il  est 
coupé  de  ravins  nombreux  et  profonds  qui  nécessite- 


TRACliS  DE  CHEMIN  DE  FEU  TRANSSAII.VRIEX  EN  ÉTUDE  291 

roiit  d'importants  ouvrages  d'art,  et  ce,  sur  400  kilomè- 
tres de  longueur,  au  moins. 

J'ajouterai  que  le  sol  est  hamadien,  qu'il  ne  présente 
aucune  espèce  ressources  en  eau  et  en  produits  et 
qu'il  est  limité  à  l'Est  et  à  l'Ouest,  par  des  régions 
d'Erg  ou  dunes  sableuses. 

Voici,  d'ailleurs,  sur  cette  région,  l'opinion  de 
M.  Choisy,  désignée  déjà  plus  haut  : 

«  Il  est  possible  d'installer  une  voie  ferrée  entre 
))  Laghouat  et  Goléa  ;  mais  il  y  aura  de  sérieuses 
»  difficultés  à  vaincre  dans  le  dernier  tiers  du  tracé,  où 
»  s'accumulent  les  mauvais  passages,  les  oueds  et  les 
»  sables.  Comme  ressource  en  eau,  le  plateau  entre 
»  Goléa  et  Laghouat  ne  présente  aucun  indice  de 
»  nature  à  faire  espérer  le  succès  d'un  sondage 
»  artésien » 

D'autre  part,  on  ne  rencontre,  sur  ce  plateau,  aucune 
population  stable,  on  ne  recueille  aucun  produit,  on 
ne  créera  aucun  mouvement  commercial. 

De  Goléah,  où  l'on  trouve  exceptionnellement  de 
l'eau  assez  abondante,  le  tracé  atteindra  les  forts  Mac- 
Mahon  et  Iniffel,  récemment  construits  ;  il  suivra  la 
ligne  des  escarpements  occidentaux  du  plateau  liuma- 
dien  du  Tademaït,  pour  descendre,  ensuite,  par  une 
chiite  brusque  de  300  mètres  au  moins,  dans  la  région 
du  Tidikelt,  et  atteindra  enfin  Taourirt. 

Cette  section  de  Laghouat  à  Taourirt,  passant  par 
Gardaïa  et  Goléah,  développerait  une  longueur  de 
1.000  kilomètres  environ. 

Toute  la  région,  sauf  Goléa,  ne  présente  aucune 
espèce  de  ressources  de  même  que  la  région  précédente. 

Il  ne  faut  pas  espérer  que  l'embranchement  Algérois 
enlève  jamais  une  tonne  de  trafic  à  la  voie  Occidentale. 
Lorsque  nous  seront  installés  à  Igli,  dont  la  possession 
est  indispensable,  je  l'ai  déjà  établi,  tant  au  point  de 
vue  économique  que  politique,  tout  le  mouvement  de  la 
l'oued  Messaoura,  du  Touat  et  du  Gourara,  ne  sera 
nullement  influencé  par  la  voie  concurrente.  L'établis- 
sement de  la  voie  Oranienne  de  Djenien  bou  Resg 
à  Igli  représente  une  distance  de  250  kilomètres  seule- 
ment, estimée  18.000.000  fr.  Or  la  voie  Algéroise,  depuis 


292     TRACÉS  DE  CHEMIN  DE  FER  TRANSSAHARIEN  EN  ÉTUDE 

BeiTouaghia  jusques  à  Goléah,  point  situé  sur  le  même 
parallèle  qu'Igli,  représente  une  longueur  de  650  kilo- 
mètres et  coûtera  plus  de  50.000.œ0  fr. 

La  comparaison  de  ces  deux  termes  est  toute  au 
profit  du  projet  Occidental. 

Je  vais,  maintenant,  estinier  la  dépense  de  cons- 
truction du  tronçon  de  Berrouaghia-Laghouat,  très 
désirable,  et  celui  de  Laghouat-Ouargla,  dont  la  néces- 
sité est  très  contestable.  Je  laisserai,  sous  silence,  la 
section  Laghouat-Touat,  dont  je  viens  d'établir  tout 
à  l'heure  l'inanité,  ainsi  que  tout  le  tracé  Ouargla- 
Barroua  de  la  voie  Orientale,  formant  double  emploi, 
à  coup  sûr  parfaitement  inutile. 

Le  prix  kilométrique  du   tronçon   Berrouaghia-La- 
ghouat, doit  être  évalué,  par  comparaison,  à  la  première 
section  du  tracé  occidental,  à  60.000  fr.  le  kilomètre, 
soit,  pour  300  kilomètres,  18.000.000  fr.. 
en  chiffres  ronds 20.000.000  fr. 

De  Laghouat  à  Ouargla,  le  pays  est 
plus  difficile,  il  y  a  peu  d'eau  et  sa  qua- 
lité est  très  douteuse.  Le  prix  kilomé- 
trique devra  être  porté  à  70.000  fr.,  soit 
pour  250  kilomètres,  17.000.000  fr.,  en 
chiffres  ronds 20.000.000 


Total 40.000.000  fr. 


Il  reste  à  régler  la  question  du  trafic  probable.  Ce 
trafic  sera  bien  réduit  depuis  Berrouaghiaà  Laghouat, 
et  presque  nul  de  Laghouat  à  Ouargla,  à  cause  de 
la  concurrence  très  avantageuse  que  créera  la  section 
Biskra- Ouargla  du  tracé  Oriental. 

Quant  aux  populations  desservies,  l'effectif  doit  être 
très  faible. 

Somme  toute,  le  revenu  ne  sera  pas  bien  élevé. 

A  tout  prendre,  il  n'y  a  à  considérer  comme  exé- 
cutable, dans  des  conditions  économiques  suffisantes, 
ainsi  que  je  l'ai  déjà  dit,  que  le  tronçon  Berrouaghia- 
Laghouat. 

Là  doit  se  borner  le  tracé  Central. 


TRACÉS  DE  CHEMIN  DE  FER  TRANSSAHARIEN  EN  ÉTUDE  293 


RÉSUMÉ 


Des  faits  et  des  rircoiistaiices  mis  en  lumière  dans 
la  note  qui  préeède,  j'en  tirerai  la  comparaison 
suivante,  pour  chacun  des  trois  tracés: 


TRACE  OCCIDENTAL 

1°    Longueur    totale    du    tracé    d'Oran    au  Niger  : 

Tossaye  ou  Timl)ocktou 2.400  kilomètres 

Section  déjà  exploitée  550  — 

Section  à  entreprendre  de  suite,  de 

Djenien  bon  Resg  à  Igli 250  — 

D'Igli  au  Touat 460  — 

2°  Estimation  probable  des  dépenses  de  construction: 

De  Djenien  bon  Resg  à  Igli 16.000.000  fr.  . 

D'Igli  au  Touat iO. 000. 000 

Total  56.000.000  fr. 

3"  Populations  desservies  le  long  du  tracé  jusques 
au  Touat  : 

Répartie  dans  349  villages  ou  ksours        1.909.173   habits 
Populations  triJjutaires 5,132.000      — 

Total 7.041.173   habit' 

4"  Nombre  de  palmiers  : 

Placés  sous  l'action  de  la  voie 5.400  000 

Zone  à  2  jours  1/2  de  distance 2.700.000 

Zone  à  8  jours  de  distance 3.000.000 

Total 11.100.000 

5°  Production  et  Trafic  : 
La  production  de  ces  palmiers 
peut  être  évaluée  au  minimum  à 
270.000  tonnes,  lesquelles  trans- 
formées en  tonnes  kilométri- 
ques, en  égard  aux  distances  à 
parcourir,   donnent 196.500.000  loimes  kilom. 

Ce  chiffre  sera  une  des  bases  du  produit  de  l'exploi- 
tation, sans  compter  les  voyageurs. 

10 


■294  TRACÉS  DE  CHEMIN  DE  FER  TRANSSAHARIEN  EN  ÉTUDE 

TRACÉ  ORIENTAL 

1"  Longueur  totale  : 

De  Philippeville  au  Tcliad 3.129  Ivilomètres 

Longueur  en  exploitation 289         — 

Section  à  entreprendre,  de  Biskra  à 

Ourgla 340  — 

2"  Estimation  probaljle  des  dépenses  de  construction  : 

De  Biskra  à  Ouargla 25.000.000  fr. 

De  Ourgla  à  Barroua 375.000.000 

Total 400.000.000  fr. 

30  Populations  desservies  : 
Sans  renseignements  positifs,  mais  chiffres  relative- 
ment faibles  ; 

40  Nombre  de  palmiers  : 
Plantations  de  Biskra,  de  FOued  R'hir  et  de  la  région 
d'Ouargla,  sans  renseignement  positif  ;  à  coup  sûr, 
bien  inférieur  au  chiffre  constaté  par  les  relevés  du 
tracé  Occidental. 

5»  Production,  trafic  : 
Sans  indications    positives  ;   mais  il  est    i)ermis    de 
croire   que  le  trafic   sera    très  réduit  par   rapport 
comparatif  à  celui  du  tracé  Occidental. 


TRACE  CENTRAL 

lo  Longueur  d'Alger  à  Ouargla 689  kilomètres 

Partie  en  exploitation 139         — 

Section  à  réaliser,   de  Berroughia   à 

Laghouat 300         — 

De  Laghouat  à  Ouargla 250         — 

2"  Estimation  probable  des  dépenses  de  construction  : 

De  Berrouaghia  à  Laghouat 18.000.000  fr. 

De  Laghouat  à  Ouargla 18.000.000 

Total 36.000.000  fr. 

Soit 40.000.000  fr. 

30  Populations  desservies  : 
Sans  renseignements  positifs,  en  tous  cas,  chiffre  très 

peu  élevé  ; 

A"  Palmiers  : 
Chiffre  inconnu,  mais  insignifiant. 

5°  Poduction  et  trafic  : 
Même  observation  que  ci-dessus. 


TUA.CES  DE  CHEMIN  DE  FER    l'RANSSAlIARlEN  EN  ETUDE 


295 


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206  TRACÉS   DE  CHEMIN  DE  FER  TR.VNSSAIIARIEN  EN  ÉTUDE 


CONCLUSION 


Il  résulte,  du  travail  qui  précède,  que  des  trois  tracés  de 
voie  saharienne  en  présence,  le  tracé  Occidental  est  le  seul  qui 
réunisse  toutes  les  conditions  techniques,  économiques  et 
politiques  désirables  et  nécessaires.  C'est  le  seul,  dont  les 
dépenses  de  construction  sont  réduites  dans  une  proportion 
très  diminuée,  par  rapport  aux  autres  tracés  concurrents. 
Le  terrain  à  parcourir  ne  présente  aucune  difticulté  technique  ; 
l'eau,  cet  élément  de  première  nécessité,  est  abondante  et  de 
bonne  qualité  dans  toutes  les  régions  traversée^•.  Cette  voie 
desservira  des  populations  nombreuses,  stables  et  tranquilles. 
Le  trafic  sera  assuré  et  productif.  Enfin,  son  action  stratégique 
et  politique  contribuera,  dans  une  large  mesure,  à  asseoir 
notre  influence  dans  la  vallée  de  l'oued  Messaoura,  le  Gourara 
et  leTouat  justjues  au  Niger  ;  le  Tafilalet  sera  notre  tributaire. 

A  cet  effet,  la  construction  de  la  section  de  Djenien  bon 
Resg-Igli  s'impose  absolument,  si  nous  ne  voulons  pas  être 
chassés,  à  brève  échéance,  de  tout  le  Sud  algérien  jusques  au 
Soudan  occidental. 

Aucun  des  autres  tracés  ne  présente  de  semblables  avan- 
tages dus,  évidemment,  à  la  situation  géographique  et 
topographique  de  la  région.  Mais,  il  convient  pour  établir  notre 
action  protectrice  dans  tout  le  Sud  algérien,  d'entreprendre  la 
construction  du  tronçon  Biskra-Ouargla  et  celui  de  Berroua- 
ghia-Laghouat. 

Quant  aux  voies  et  moyens  à  mettre  en  œuvre,  c'est  au 
Gouvernement  qu'appartient  le  choix  entre  le  mode  suivi  dans 
la  Métropole  et  le  système  de  Compagnies  privilégiés. 

Oran,  le  19  Mars  1899.  BOUT  Y. 


XX' CONGRÈS 

des  Sociétés    L'i^aiigaises   de  Géogjraph.ie 


VŒUX 


I 

Le  XX'=  Congrès  des  Sociétés  Françaises  de  Géographie, 
réuni  à  Alger,  vote  de  dialeureuses  félicitations  à  MM.  Gouzy 
et  Delanne  pour  leur  patriotique  projet  de  loi,  et,  confirmant 
le  vœu  émis  par  le  Congrès  de  Lorient,  sur  la  proposition  de 
M.  Bouquet  de  la  Grye,  émet  le  vœu  que  le  Gouvernement 
prenne  telles  mesures  qu'il  jugera  convenables  pour  instituer 
le  méridien  maritime  et  achever  le  système  français  des 
mesures  décimales  dans  le  plus  bref  délai  possible. 

Il 

Le  Congrès  de  Géographie  d'Alger,  s'inspirant  des  traditions 
de  justice  et  de  tolérance  qui  ont  toujours  favorisé  la  force 
d'expansion  et  l'influence  morale  de  la  France  dans  le  monde, 
émet  le  vœu  : 

1°  Que  les  traditions  de  l'LsIam  et  l'étude  des  textes  soient 
continuées  et  soutenues  ; 

2»  Que,  conformément  au  projet  élaboré  depuis  1849  et 
renouvelé  fréquemment  depuis,  une  mosquée,  qui  serait 
naturellement  un  centre  religieux  de  l'Islam,  soit  construite  à 
Paris  et  groupe  autour  d'elle  les  800  musulmans  qui  y 
résident. 

III 

Le  Conseil  émet  le  vœu  : 

Qu'il  soit  créé  un  train  rapide  par  semaine  entre  Alger 
et  Tunis,  dans  l'une  et  l'autre  direction,  eiïectuant  par 
exemple  les  807  kilomètres  de  parcours  en  24  heures  et  le 
même  jour; 

Que  les  trains  entre  Alger  et  le  Kroubs,  entre  le  Kroubs  et 
Tunis  soient  pourvus  d'un  wagon-restaurant. 

De  plus,  relativement  à  l'élevage,  le  Congrès  émet  le  vœu 
que  le  parcours  des  440  kilomètres  entre  le  Kroubs  et  Tunis 
s'elfectue  par  les  wagons  de  bestiaux  en  24  heures  et  le  même 
iou  . 


298    VŒUX  DU  XXC  CONGRÈS  DES  SOCIÉTÉS  DE  GÉOGRAPHIE 

IV 

Le  Congrès  émet  le  vœu  qu'un  courrier  quotidien  rapide 

mette  en   communication   Marseille  et  Alger    et    qu'il    soit 

complété  par  des  trains  de  nuit  dans  la  direction  d'Oran  et  de 

Constantine. 

V 

Le  XX^  Congrès  des  Sociétés  françaises  de  Géographie, 
considérant  à  la  fois  les  intérêts  généraux  de  la  Tunisie  et 
l'importance  de  la  position  stratégique  et  navale  de  Bizerte, 
remercie  M.  le  Ministre  des  Affaires  Étrangères  de  la  réponse 
qu'il  a  bien  voulu  faire  au  XX''  Congrès  et  émet  à  nouveau  le 
vœu  : 

Qu'une  voie  ferrée  soit  construite  le  plus  tôt  possible  pour 
rapprocher  Bizerte  des  richesses  de  l'intérieur  et  mette  aussi 
à  sa  portée  les  ressources  militaires  de  l'Algérie. 

VI 

Le  XXe  Congrès  de  Géographie,  tenu  à  Alger  en  mars  1899, 
confirmant  la  décision  du  Congrès  de  Marseille,  tenu  en 
septembre  1898,  émet  le  vœu  : 

Que  les  Pouvoirs  publics  et  les  Chambres  de  commerce 
prennent  l'initiative  de  la  création  de  ports  francs  à  Dunkerque, 
le  Havre,  Saint-Nazaire,  Bordeaux,  Marseille  et  Alger. 

Que  les  mêmes  pouvoirs  en  étudient  la  réalisation  immédiate 
à  Alger. 

VII 

Le  XX^  Congrès  des  Sociétés  Françaises  de  Géographie 
émet  les  vœux  suivants  : 

Qu'il  soit  procédé  à  une  enquête  en  vue  de  déterminer  : 

1°  L'effectif  de  la  main-d'œuvre  indigène  en  Algérie  avec 
indication  du  contingent  kabyle  et  du  contingent  arabe  ; 

2°  Les  centres  qui  fournissent  cette  main-d'œuvre  ; 

3°  Les  travaux  auxquels  elle  est  occupée  ; 

4°  Le  taux  et  la  nature  des  salaires,  ainsi  que  les  conditions 
du  travail  des  ouvriers  indigènes. 

VIII 

Que  M.  le  Ministre  des  Colonies,  d'accord  avec  son  Collègue 
de  l'Instruction  publique,  fasse  le  nécessaire  pour  que  la  chaire 
des  maladies  des  pays  chauds  d'Alger  soil  outillée  aussi 
largement  que  possible,  pour  l'étude  non  seulement  théorique, 
mais  aussi  chimique  et  expérimentale  des  maladies  tropicales. 


VŒUX  DU  XX"  CONGRÈS  DES  SOCIÉTÉS  DE  GÉOGRAPHIE    299 

IX 

Que  toutes  les  Colonies  françaises  d'Afrique  soient  réunies 
entre  elles  par  des  câbles  sous-marins  français. 

X 

l"  Qu'il  soit  procédé  dans  le  plus  bref  délai  possible  à 
l'occupation  de  l'arrière-pays  algérien,  et  principalement 
des  oasis  du  Touàt  ; 

2"  Qu'il  soit  procédé  d'urgence  au  prolongement  des  lignes 
de  pénétration  saharienne,  et  notamment  de  celle  d'Aïn-Sefraau 
Touàt  par  Duveyrier,  sans  préjudice  du  complet  achèvement 
du  réseau  algérien  et  tunisien,  soit  vers  La^houat,  soit  vers  la 
frontière  marocaine  ; 

3°  Que  des  missions  scientifiques  soient  rapidement  orga- 
nisées en  vue  d'établir  la  carte  et  le  nivellement  des  terrains 
compris  entre  l'Atlas  et  le  Niger  au  nord  de  Tombouctou  ; 

¥  Que  des  études  de  même  nature  soient  faites  au  nord  du 
lac  Tchad. 

XI 

Que  les  Pouvoirs  publics  veuillent  bien  examiner  la 
possibilité  d'encourager,  par  tous  les  moyens  à  leur  disposition, 
les  travaux  du  genre  de  ceux  que  MM.  Bernard,  Lacroix 
et  Mouliéras  poursuivent  sur  le  Maroc. 

XII 

Que  les  documents  libyco-berbères,  recueillis  par  M.  Flamand, 
sur  les  rochers  et  pierres  écrits  du  Sahara,  si  curieux  pour 
l'histoire  de  l'art  et  si  intéressants  pour  l'étude  de  l'ethnologie 
et  de  la  zoologie  préhistoriques  de  l'Afrique  du  Nord,  soient 
modelés  pour  figurer  à  l'Exposition  universelle  de  1900. 

XIII 

Que  le  nom  du  vaillant  explorateur  Mizon,  mort  au  service 
de  la  France,  soit  donné  à  un  des  villages  de  l'Algérie. 

XIV 
Le  XX"^  Congrès  des  Sociétés  Françaises  de  Géographie, 
réuni  à  Alger,  reconnaissant  de  l'accueil  qui  a  été  réservé  aux 
membres  du  Congrès,  exprime  ses  sincères  remerciements  à 
M.  le  Gouverneur  Général  de  l'Algérie,  à  toutes  les  autorités 
civiles  et  militaires,  et  renouvelle  à  la  Chambre  de  Commerce 
d'Alger  l'assurance  de  sa  gratitude  pour  l'hospitalité  qu'elle 
lui  a  si  généreusement  ollerte. 


COMPTE -RENDU  DU  CONGKÉS 


La  Société  de  Géograpliie  et  d'Ardiéologie  d'Oran  avait  délé- 
gué son  président,  M.  le  lieutenant-colonel  Derrien,  pour  la 
représenter  au  vingtième  Congrès  des  Sociétés  françaises  de 
Géographie,  qui  s'est  tenu  à  Alger  du  26  avril  au  3  mai.  Mal- 
heureusement dès  le  deuxième  jour  le  délégué  officiel  était 
atteint  d'une  grave  indisposition  qui  l'a  mis  dans  l'imposibilité 
de  suivre  les  séances  du  Congrès,  et  c'est  par  suite  de  cette 
fâcheuse  circonstance  que  l'auteur  de  ces  lignes  a  dû  se  char- 
ger de  suppléer  au  Congrès  M.  Derrien  et  de  présenter  ici  le 
compte-rendu  de  cette  intéressante  réunion. 

Qu'il  nous  soit  permis  tout  d'abord  d'adresser  nos  remercie- 
ments aux  membres  de  la  Société  de  GéograpJiie  d'Alger  qui 
se  sont  mis  le  plus  obligeamment  du  monde  à  la  disposition 
des  Congressistes,  el  tout  spécialement  au  distingué  secrétaire 
général  du  Congrès,  M.  Aug.  Bernard,  et  à  M.  Molinier-Yiolle 
qui  dirigeait  le  service  des  renseignements.  Ajoutons  que  le 
Congrès  était  parfaitement  organisé.  La  Chambre  de  Commerce 
d'Alger  lui  offrait  l'hospitalité  dans  le  magnifique  hall  du  Palais 
Consulaire  décoré  de  superbes  tapis  arabes  qui  opt  excité 
l'admiration  des  nombreux  Congressistes.  De  tous  les  points  de 
la  métropole  étaient  accourus  des  touristes  auxquels  cette 
réunion  scientifique  ofl'rait  l'occasion  de  visiter  dans  la  plus 
belle  saison  notre  pays  si  attirant.  Des  Sociétés  étrangères 
même,  celles  de  Genève,  de  Madrid,  de  Rome  étaient  représen- 
tées. Le  ciel  s'est  montré  favorable,  et  le  beau  temps  a  permis 
aux  Congressistes  de  goûter  entièrement  le  charme  de  notre 
climat  et  la  beauté  de  la  nature  algérienne 

Quels  que  soient  les  progrès  que  ce  Congrès  ait  fait  faire  à 
la  Science,  son  résultat  peut-être  le  plus  important  aura  été 
de  faire  connaître  un  peu,  et  par  conséquent  aimer  beaucoup 
l'Algérie  à  ces  nombreux  visiteurs  venus  de  tous  les  coins  de 
la  mère-patrie. 

La  séance  solennelle  d'ouverture,  qui  a  eu  lieu  le  26  avril, 
a  été  marquée  par  d'intéressants  discours.  Après  les  paroles  de 


COMPTE- RENDU    DU   CONGRÈS  301 

bienvenue  adressées  aux  membres  du  Congrès  par  M.  de 
Varigny,  président  de  la  Société  d'Alger  et  du  Comité  d'orga- 
nisation, qui  a  fait  l'éloge  de  M.  de  Brazza,  délégué  par  M.  le 
Ministre  de  Tlnstruction  Publique  pour  présider  le  Congrès, 
celui-ci  a,  dans  une  remarquable  allocution,  rappelé  l'oîuvre 
accomplie  par  la  France  en  Afrique  (œuvre  à  laquelle,  ajou- 
tons-le, il  a  pris  lui-même  une  si  grande  part)  ;  il  a  montré 
l'unité  aujourd'hui  réalisée  de  notre  empire  africain,  et  a 
exprimé  l'espoir  que  le  Congrès  ferait  faire  un  pas  décisif  à  la 
question  delà  pénétration  saharienne.  Après  lui  enfin,  M.  le 
Gouverneur  Général  a  prononcé  un  important  discours  oi:i  il 
a  rendu  hommage  aux  hardis  explorateurs  de  notre  temps,  et 
insisté  sur  la  question  du  Transsaharien,  tout  en  indiquant 
qu'il  serait  peut-être  sage  de  se  borner  pour  l'instant  à  la  cons- 
truction d'un  Saharierx.  Ces  discours  ont  été  accueillis  par 
des  salves  d'applaudissements. 

Dans  la  soirée,  la  Chambre  de  Commerce  offrait  aux 
Congressistes  une  brillante  réception  à  laquelle  assistaient 
toutes  les  autorités,  et  au  cours  de  laquelle  notre  Président, 
présenté  à  M,  le  Gouverneur  Général,  lui  offrait  le  titre  de 
Président  d'honneur  et  recevait  de  lui  l'assurance  de  la  haute 
estime  dans  laquelle  il  tenait  notre  Société  oranaise. 

Le  lendemain,  27,  les  séances  du  Congrès  se  sont  ouvertes 
par  les  comptes-rendus  des  travaux  accomplis  par  les  Sociétés 
représentées.  Notre  Président  a  lu  au  milieu  d'une  assistance 
sympathique  le  résumé  de  nos  travaux,  et  M.  de  Brazza  a  rendu 
hommage  aux  éminents  résultats  obtenus  par  notre  Société  à 
laquelle  il  s'est  déclaré  fier  d'appartenir  comme  membre  d'hon- 
neur. 

Avant  de  passer  à  l'étude  des  grandes  questions  discutées 
dans  les  séances  du  Congrès,  rappelons  que  d'intéressantes 
excursions  avaient  été  organisées  pour  faire  connaître  aux 
Congressistes  les  environs  d'Alger.  C'est  ainsi  qu'ils  ont  été 
conduits  un  jour  dans  le  Sahel  jusqu'à  .Staouéli  et  à  la 
magnifique  ferme  de  la  Bridja,un  autre  jour  à  Maison-Cai'rée, 
à  la  ferme  et  à  l'usine  de  M.  Altairac.  On  a  également  visité  le 
Jardin  d'E.ssai,  dont  le  savant  directeur,  M.  Rivière,  a  fait  les 
honneurs,  la  grotte  de  Cervantes  où  M.  le  Consul  d'Espagne  a 


302  COMPTE-RENDU   DU   CONGRÈS 

tenu  à  guider  les  visiteurs,  et,  dans  la  ville  même,  les 
mosquées,  la  vieille  forteresse  de  la  Kasbah,  l'école  de  tapis 
indigènes  dirigée  par  M™^  Delfau.  M.  le  contre-amiral  Servan 
avait  eu  l'heureuse  idée  de  mettre  à  la  disposition  des  membres 
du  Congrès  un  torpilleur  et  la  vedette,  la  Seyhouse,  qui  les  ont 
promenés  jusqu'au  cap  Matifou.  Enfin,  après  la  clôture  du 
Congrès,  d'autres  excursions  plus  importantes  ont  été  dirigées 
vers  la  Kabylie,  Hammam  R'hira,  Boghar,  Teniet-El-Haad, 
etc. 

D'autres  attractions  avaient  été  ménagées,  notamment  des 
conférences.  La  première,  à  laquelle  nous  avons  eu  le  regret  de 
ne  pouvoir  assister,  a  été  faite  par  M.  Brunache,  administrateur 
d'Aïn-Fezza.  M.  Brunache  a  étudié  le  rôle  de  la  femme  et  la 
question  de  l'anthropophagie  et  de  l'esclavage  en  pays  nègre. 
Avec  la  compétence  que  lui  donne  son  glorieux  passé  d'explo- 
rateur, il  a  montré  la  place  que  tient  la  femme  dans  la  société 
nègre.  Son  succès  a  été  très  vif. 

M.  Flamand,  professeur  à  l'Ecole  Supérieure  des  Sciences 
d'Alger,  a  fait  une  conférence  sur  les  premiers  habitants  des 
Hauts-Plateaux  et  du  Sahara  algérien  d'après  les  monuments 
rupestres.  M.  le  Recteur  Jeanmaire,  qui  présidait,  a  rappelé 
dans  une  allocution  applaudie  le  rôle  de  l'Université  dans  le 
développement  des  études  géographiques.  Le  conférencier  a 
ensuite  pris  la  parole  et,  après  avoir  rapidement  décrit  les 
zones  entre  lesquelles  se  partagent  les  régions  étudiées,  il  a 
démontré,  à  l'aide  de  projections  lumineuses,  que  par  les 
pierres  gravées  rencontrées  non  seulement  à  Tiout,  mais  à 
Tazma,  à  Guebar  Richmi,  etc.,  on  peut  déterminer  quatre 
périodes  distinctes  dans  l'histoire  de  ces  pierres  :  la  première 
se  place  à  la  fin  du  quaternaire  et  montre  l'homme  contempo- 
rain de  grands  animaux  aujourd'hui  disparus,  tels  que  le 
bubulus  antiquus  (grand  buffle  dont  les  collections  de  géologie 
et  de  paléontologie  de  l'Ecole  des  Sciences  contiennent  de 
remarquables  débris)  ;  la  deuxième  est  la  période  lybico- 
berbère  qui  présente  des  dessins  moins  nets,  tracés  en 
pointillé,  accompagnés  d'inscriptions  en  caractères  lybico- 
berbères  ;  le  troisième  se  rattache  à  l'occupation  musulmane 
et  se  caractérise  par  l'inscription  de  versets  du  Coran  ;  quant 


COMPTE-RENDU  DU   CONGRÈS  303 

à  la  dernière,  que  l'orateur  appelle  plaisamment  la  période 
légionnaire,  elle  rappelle  le  passage  de  nos  soldats  par  des 
inscriptions  qui  n'ont  rien  de  religieux.  M.  Flamand  a  vivement 
intéressé  ses  nombreux  auditeurs,  qui  ont  salué  sa  péroraison 
de  bruyants  applaudissements. 

Le  soir  de  la  même  journée^  M.  de  Kovira  faisait,  sous  la 
présidence  de  M.  l'amiral  Servan,  assisté  de  MM.  de  Brazza 
et  Maistre,  une  conférence  sur  l'exploration  de  la  mission 
Gentil,  dont  le  conférencier  faisait  partie.  11  a  surtout  insisté 
sur  les  ressources  du  Baghirmi  et  montré  la  facilité  qu'il  y 
aurait  à  établir  une  voie  ferrée  reliant  l'Oubanghi  au  Chari  et 
rattachant  ainsi  le  Congo  au  bassin  du  lac  Tchad.  Les  applau- 
dissements qui  l'ont  accueilli  s'adressaient  autant  au  jeune 
explorateur  qu'au  distingué  conférencier. 

Enfin,  la  série  des  conférences  a  été  close  par  M.  Camille 
Guy,  chef  du  Service  de  Géographie  coloniale  au  Ministère  des 
Colonies.  Spirituel  en  même  temps  qu'éloquent,  M.  Guy  a 
tenu  son  nombreux  afuditoire  sous  le  charme  d'une  parole 
élégante  et  facile.  Après  un  hommage  applaudi  rendu  à 
l'explorateur  Maistre,  qui  présidait  la  conférence,  l'orateur 
a  raconté  l'exploration  et  l'occupation  de  la  boucle  du  Niger, 
en  démontrant  que  le  grand  tleuve  du  Soudan  est  un  fleuve 
français.  Il  a  rappelé  l'héroïque  expédition  de  René  Caillié 
qui,  le  premier,  visita  Timbouctou  et  fut,  en  récompense  de 
son  héroïsme,  traité  d'imposteur.  Puis  il  faut  arriver  à 
Faidherbe  qui  nous  conduit  au  Niger  qu'explorent  Mage  et  le 
capitaine  Galliéni,  aujourd'hui  général  et  gouverneur  de 
Madagascar.  Le  conférencier  montre  ensuite  M.  Binger 
conquérant  à  lui  tout  seul  le  pays  de  Kong  et  arrive  à  la 
dernière  période  si  féconde  en  magnifiques  dévouements,  en 
glorieuses  expéditions  qui  nous  assurent  la  possession  de  la 
boucle  du  Niger  avec  MM.  Mizon,  Toutée,  Hourst,  Marchand, 
Bretonnet,  Chanoine,  Voulet,  Decœur,  Baud,  etc.  Ce  tableau 
émouvant  de  l'œuvre  accomplie,  des  résultats  obtenus  au 
Soudan  par  nos  explorateurs  a  provoqué  un  enthousiasme  qui 
s'est  fréquemment  traduit  par  des  applaudissements. 

Parmi  les  distractions  offertes  encore  aux  Congressistes, 
n'oublions   pas  de  rappeler  la  visite   du   plan  en  relief  de 


304  COMPTE-RENDU   DU   CONGRÈS 

l'Algérie  préparé  par  M.  Moliner-Yiolle,  en  vue  de  l'Exposition 
Universelle  de  1900.  Go  plan,  au  1/200. 000c  pour  la  surface, 
au  1/100. 000«  pour  l'altitude,  donne  une  idée  très  nette  du 
relief  général  de  l'Algérie.  Il  a  été  présenté  par  M.  Augustin 
Bernard  qui  en  a  fait  clairement  ressortir  l'utilité.  Il  contri- 
buera, certainement,  à  faire  connaître  l'Algérie.  C'est  une 
œuvre  tout  à  fait  remarquable  et  qui  a  valu  à  M.  Molinier- 
VioUe  d'unanimes  félicitations. 

Rappelons,  enfin,  que  la  nouvelle  de  la  mort  de  l'explorateur 
Mizon,  survenue  au  cours  du  Congrès,  a  été  communiquée  par 
M.  Basset,  délégué  de  M.  le  Ministre  des  Colonies  et  que  le 
Congrès  a  exprimé  la  douleur  que  lui  causait  cette  grande 
perte. 

Nous  arrivons  à  la  partie  la  plus  importante  de  notre  compte- 
rendu,  aux  discussions  qui  n'ont  manqué  ni  d'intérêt,  ni 
d'éclat  et  dont  quelques-unes  ont  eu  un  grand  retentissement. 

Remarquons,  tout  d'abord,  que  par  la  nature  des  questions 
généralement  traitées,  des  vœux  déposés  et  admis,  le  Congrès 
a  été  surtout  algérien.  Il  se  distingue  par  là  des  autres  réunions 
des  Sociétés  françaises  de  Géographie.  Il  faut  ajouter,  d'ailleurs,  _ 
que  la  plupart  des  communications  ont  été  l'œ.uvre  d'Algériens. 
Les  membres  des  Sociétés  françaises  se  sont  en  général 
contentés  d'écouter  et  de  s'instruire.  La  seule  question  de 
géographie  générale  qui  ait  été  soumise  à  la  discussion  a  été 
elle-même  présentée  par  notre  concitoyen,  M.  Bonnin  de 
Sarrauton,  qui  a  exposé  la  question  de  l'application  du 
système  décimal  à  la  mesure  du  temps  et  des  angles  et  défendu 
le  système  qu'il  préconise  et  que  notre  Société  a  adopté  ;  il  a  fait 
émettre  un  vœu  conforme  à  ses  idées. 

Parmi  les  communications  diverses  citons  sans  ordre 
celles  de  M.  le  capitaine  Godchot,  sur  la  participation  de 
l'armée  à  la  conquête  et  à  la  colonisation  de  l'Algérie  ;  de 
M.  Napoléon  Ney,  sur  la  France  et  l'Islam  ;  l'intéressant 
rapport  de  M.  Simian,  sur  le  développement  du  port  d'Alger  ; 
le  travail  de  M.  Couput,  sur  le  mouton  en  Algérie,  dans  lequel 
ce  savant  établit  la  distinction  entre  la  région  tellienne  et  les 
steppes  où  existe  la  transhumance  et  où  il  est  nécessaire  de 
créer  des  points  d'eau.  Citons  encore  uneau're  communication 


COMPTE-RENDU   DU    CONORÈS  305 

de  M.  Couput,  sur  la  culture  de  l'olivier;  celles  de  M.  Rivière, 
sur  le  refroidissement  nocturne  en  Algérie  ;  l'exposé  très  clair 
et  très  savant  de  M.  Flamand,  sur  la  formation  des  grandes 
dépressions  du  Sud  d(>  l'Oraïu'e,  chotts  et  sebkhas,  mekaïuens 
et  meliereg  ;  puis  les  communications  de  M.  le  médecin-major 
Muguet,  sur  le  Mzab,  d'après  les  géographes  et  les  voyageurs  ; 
de  M.  le  colonel  Périsse,  sur  le  port  de  Bizertc  et  le  chemin 
de  fer  de  Bizerte  à  Souk-el-Arba  et  à  Tébessa  ;  de  M.  de 
Vialar,  sur  les  races  indigènes  de  l'Algérie,  leurs  origines  et 
leurs  destinées  ;  de  M.  Démontés,  sur  le  climat  algérien,  ses 
effets  sur  l'homme,  la  faune  et  la  llore;  du  docteur  Blaize,  sur 
l'utilité  de  développer  à  l'École  de  Médecine  d'Alger  l'étude 
des  maladies  des  pays  chauds  et  d'y  soigner  les  colons  et  les 
fonctionnaires  malades  qui  proviennent  des  régions  tropicales  ; 
enfin,  celle  de  notre  collègue,  M.  Doutté,  sur  les  récentes 
contributions  à  la  géographie  du  Maroc  ;  nous  avons  trouvé 
dans  cette  dernière  communication  un  éloquent  exposé  des 
travaux  remarquables  de  MM.  le  capitaine  Lacroix  et  de 
La  Martinière  {Documents  pour  servir  à  l'étude  du  Nord-Ouest 
africain)  ;  de  notre  vice-président,  M.  Mouliéras  (Le  Maroc 
inconnu)  et  de  notre  collègue,  M.  Aug.  Bernard  {Traduction 
de  l'Atlas  marocain  de  M.,  Schnell),  etc.  Le  Congrès  s'est 
associé  aux  conclusions  de  l'orateur  en  demandant  au  Gouver- 
nement d'encourager  la  continuation  de  ces  travaux. 

Nous  tenons  à  mentionner  encore  la  très  intéressante 
communication  de  M.  Sabatier,  sur  la  répartition  géographique 
de  la  criminalité  par  douar  en  Algérie  et  particulièrement 
dans  le  département  d'Alger.  Il  résulte  de  cette  étude, 
accompagnée  d'un  curieux  graphi(fue,  que  dans  les  pays 
berbères,  tels  que  les  communes  mixtes  de  Gouraya,  du 
Djurdjura,  la  proportion  de  la  criminalité  (il  ne  s'agit,  bien 
entendu,  que  du  vol)  est  la  même  qu'en  France  :  1  condamné 
pour  1000  habitants,  tandis  qu'en  pays  arabe  on  trouve 
1  condamné  pour  700  habitants.  L'accroissement  de  la  crimi- 
nalité s'explique  d'un  autre  côté  par  le  développement  des 
voies  de  communication  facilitant  l'écoulement  des  objets 
volés  et  par  la  suppression  des  armes  chez  les  indigènes, 
ce  qui  les  empêche  de  se  défendre. 


306  COMPTE-RENDU    DU    CONGRÈS 

Arrivons  maintenant  aux  questions  qui  ont  le  plus  attiré, 
l'attention  des  Congressistes.  La  première,  qui  a  soulevé  des 
polémiques  passionnées,  était  relative  à  la  naturalisation  des 
étrangers  dans  les  colonies  françaises.  Cette  discussion  s'était 
ouverte  par  une  savante  et  intéressante  étude  dé  M.  Busson 
sur  les  différents  systèmes  adoptés  dans  les  Etats  américains 
et  dans  les  diverses  colonies.  L'auteur  de  cette  communication 
avait  cru  devoir  conclure  par  le  vœu  que  la  France,  s'inspirant 
des  principes  qui  ont  assuré  le  développement  des  colonies 
anglo-saxonnes  et  latines,  attire  et  retienne  dans  ses  colonies 
les  travailleurs  étrangers  en  leur  facilitant  la  naturalisation  et 
en  y  mettant  comme  condition  principale  la  connaissance  de 
la  langue  française.  Ce  vœu  n'avait  été  tout  d'abord,  et  après 
une  vive  discussion,  admis  qu'avec  un  amendement  qui  en 
détruisait  la  valeur  ;  il  a  du  reste  été  écarté  parla  Commission 
de  révision  comme  présentant  un  caractère  politique. 

A  cette  question  se  rattachait  directement  la  communication 
de  M.  Félix  Dessoliers  sur  la  fusion  des  races  Européennes  en 
Algérie  par  les  mariages  mixtes  ;  se  fondant  sur  des  statisti- 
ques qui  établissent  le  nombre  croissant  de  ces  mariages 
mixtes,  l'orateur  estimait  qu'il  n'y  avait  pas  à  s'inquiéter  de 
voir  se  former  un  peuple  nouveau,  néo-latin,  qui  d'après  lui, 
sera  forcément  un  peuple  franco-algérien.  Ces  conclusions  ont 
amené  de  très  vives  répliques  de  M.  le  capitaine  Godchot  et 
de  M.  Sabatier. 

Mais  la  discussion  qui  a  été  de  beaucoup  la  plus  importante, 
celle  qui  a  surtout  assuré  au  vingtième  congrès  une  place 
parmi  les  plus  brillantes  réunions  géographiques,  a  été  la 
discussion  relative  au  Trans-aharien..  On  peut  dire  que  la 
question  a  été  pour  longtemps  épuisée.  Toutes  les  opinions  ont 
été  défendues  avec  talent  et  si  la  solution  intervenue  a  été  à 
peu  près  celle  que  défendait  notre  Société,  c'est  que  réellement 
elle  s'imposait. 

M.  Broussais,  président  du  Conseil  général  d'Alger  a  ouvert 
le  feu  en  faisant  un  magistral  exposé  de  l'œuvre  de  pénétration 
par  les  voies  ferrées  accomplie  en  Afrique.  Après  avoir,  sans 
rien  omettre,  montré  le  gigantesque  effort  de  toutes  les  puis- 
sances européennes  établies  sur  le  continent  noir  pour  «pousser 


COMPTE-RENDU   DU    CONGRÈS  307 

le  rail  en  Afrique  »  suivant  l'expression  de  Stanley,  M.  Brous- 
sais  a  détendu  éloquemment  le  projet  d'un  transsaharien 
africain  français,  et  il  a  tenté  de  prouver  qu'Alger  était  de 
toute  nécessité  la  tète  de  ligne  qu'il  fallait  adopter. 

M.  Bonnard,  délégué  de  la  Société  Tunisienne,  a,  au 
contraire,  vigoureusement  mais  infructueusement  combattu  en 
faveur  d'une  voie  plus  courte  aboutissant  à  la  petite  mer  de 
Bou-Grara  et  suivant  la  route  des  caravanes  par  Rhat, 
Ghadamès  et  Bihna. 

Notre  dévoué  secrétaire  général,  M.  Bouty,  a  enfin  exposé 
avec  talent  et  succès  le  projet  qu'il  défend  depuis  vingt  ans, 
le  tracé  occidental  par  Igli,  l'oued  Saoura  et  le  Touat. 

La  discussion  a  provoqué  une  communication  de  M.  Flamand, 
relative  aux  gisements  salins  du  Sahara.  Le  savant  professeur 
a  exprimé  l'opinion  qu'en  dehors  des  gisements  de  sel  qui  font 
l'objet  d'un  commerce  important,  il  ne  fallait  pas  compter  sur 
les  pierres  précieuses  que  certains  voyageurs  ont  cru  trouver 
dans  le  grand  désert,  sur  les  émeraudes  notamment,  qu'on  y 
trouve  en  effet,  mais  qui  n'ont  pas  de  valeur  marchande. 

M.  l'amiral  Servan  a  exposé  d'autre  part  une  séduisante 
hypothèse  sur  la  possibilité  de  détourner  vers  le  nord  de 
Timbouctou  le  cours  du  Niger  ;  mais  M,  Flamand  a  témoigné, 
d'après  son  expérience  personnelle,  la  crainte  que  les  cotes 
sur  lesquelles  s'appuyait  M.  l'amiral  Servan  ne  fussent 
contestables  ou  erronées.  Il  a  été  du  moins  décidé  qu'on 
inviterait  le  gouvernement  à  faire  procéder  à  des  études  de 
nivellement  au  nord  du  Niger  et  aussi  au  nord  du  Tchad. 

Quant  à  la  question  du  Transsaharien,  elle  a  été  reprise  par 
MM.  Bonnard  et  Broussais  ;  nous  avons  donné  lecture  d'une 
délibération  de  la  Chambre  de  Commerce  d'Oran  en  faveur  du 
tracé  oranais.  Mais  c'est  la  très  remarquable  communication 
de  notre  savant  collègue,  M.  Aug.  Bernard,  qui,  en  terminant 
la  discussion,  a  entraîné  tous  les  suffrages,  même  ceux  des 
Congressistes  qui  avaient  défendu  un  tracé  particulier. 
M.  Bernard  s'est  déclaré  nettement  hostile  non  à  tel  ou  tel 
tracé,  mais  au  Transsaharien  lui-même.  Contrairement  à 
l'opinion  de  M.  Broussais,  il  a  démontré  que  cette  voie  ferrée 
ne  pourrait  jamais  lutter  au  point  de  vue  économique  avec  les 


308  COMPTE-RENDU    DU    CONGRÈS 

voies  fluviales  telles  que  le  Niger,  le  Ghari,  TOubanglii,  et  que 
les  marchandises  iraient  toujours  à  la  côte  la  plus  voisine;  dès 
lors,  il  semble  bien  aventureux  de  lancer  un  chemin  de  fer  à 
travers  une  région  immense  et  stérile  comme  le  Sahara,  pour 
aboutir  au  seuil  d'un  pays  dont  les  richesses  ne  sont  pas 
encore  bien  connues.  M.  Bernard  a,  d'autre  part,  démontré 
la  nécessité  d'occuper  l'importante  région  du  Touat,  occu- 
pation qui  ne  présente  aucune  difficulté,  et  de  prolonger 
dans  cette  direction  la  voie  ferrée  construite  jusqu'à  Djenien- 
bou-Rezq,  sans  du  reste  négliger  pour  cela  d'entreprendre  la 
ligne  de  Berrouaghia  à  Laghouat  et  celle  de  Biskra  à  Tuggurt 
et  même  à  Ouargla.  Les  conclusions  de  M.  Bernard  ont  été 
celles  du  Congrès  ;  rédigées  par  le  bureau  que  présidait 
M.  Guy,  elles  ont  été  unanimement  approuvées  par  le  Comité 
des  délégués.  Nous  devons  nous  en  féliciter,  car  il  n'est  pas 
douteux  que  ce  vœu,  aussi  raisonnable  que  facile  à  réaliser, 
ne  reçoive  satisfaction . 

Le  Comité  des  délégués,  réuni  le  dernier  jour,  a  écarté 
certains  vœux  ayant  un  caractère  politique.  Il  en  a  modifié 
quelques-uns,  entre  autres,  le  vœu  déjà  émis  au  Congrès  de 
Marseille,  l'an  dernier,  en  faveur  de  rétablissement  de  ports 
trancs  ;  on  a  demandé  qu'en  attendant  une  mesure  générale 
Alger  fût  dès  à  présent  déclaré  port  franc.  Enfin  on  a  considé- 
rablement amendé  un  vœu  présenté  par  M.  Napoléon  Ney  qui 
préconisait  une  entente  avec  un  parti  puissant  dans  l'Islam  en 
vue  de  fortifier  la  puissance  française  dans  le  monde  musul- 
man et  de  lutter  contre  les  redoutables  associations  secrètes  ; 
le  Comité  a  cru  devoir  se  borner  à  émettre  le  vœu  que  l'étude 
des  textes  soit  continuée  et  soutenue  et  qu'une  mosquée  soit 
construite  à  Paris. 

La  séance  de  clôture,  présidée  par  M.  de  Brazza,  assisté  de 
M.  Jeanmaire,  Recteur  de  l'Académie  d'Alger,  et  de  M.  l'Ami- 
ral Servan,  a  eu  lieu  devant  un  public  nombreux,  dans  la  salle 
de  la  Chambre  de  Commerce.  M.  le  Recteur  a  en  quelques 
mots  aimables  annoncé  les  récompenses  accordées  par  M.  le 
Ministre  de  l'Instruction  Publique  à  l'ojcasion  du  Congrès. 
Nous  avons  été  heureux  d'entendre  nommer  parmi  les  nouveaux 
Officiers  d'Académie,  notre  excellent  collègue,  M.  Doutté,  au- 


COMPTE-RENDU    DU   CONGRKS  309 

quel  nous  olTrons  ici  toutes  nos  félicitations.  M.  de  Brazza  a 
prononcé  enfin  une  allocution  souvent  applaudie.  Il  a  rappelé 
la  transformation  accomplie  dans  cette  Afrique  où,  a-t-il  dit, 
un  voyageur  pouvait,  il  y  a  trente  ans,  rester  deux  ans  et  plus 
sans  donner  ni  recevoir  de  nouvelles,  tandis  qu'aujourd'hui, 
lorsqu'on  est  sans  nouvelles  d'un  voyageur  pendant  deux  mois, 
on  est  convaincu  qu'il  a  été  massacré.  Cette  simple  constatation 
montre  le  chemin  parcouru.  M.  de  Brazza  a,  en  terminant, 
exprimé  l'opinion  que  l'œuvre  du  vingtième  Congrès  de 
Géographie  sera  féconde  et  que  les  travaux  de  ce  Congrès 
ouvriront  une  ère  nouvelle  de  progrès  et  de  civilisation  pour 
le  continent  africain,  naguère  mystérieux. 

Le  soir,  un  banquet  réunissait  un  grand  nombre  de  Con- 
gressistes. M.  le  Gouverneur  Général  donnait  au  Congrès  une 
nouvelle  preuve  de  sympathie  en  y  assistant,  ainsi  que  la 
plupart  des  hauts  fonctionnaires.  Des  toasts  applaudis  ont  été 
portés  tandis  qu'une  retraite  aux  flambeaux  parcourait  les 
rues  de  la  ville  et  que  les  étrangers  émerveillés  admiraient  le 
splendide  spectacle  de  la  grande  mosquée  étincelante  de  feux. 

Nous  devons,  en  achevant  ce  modeste  compte-rendu,  féliciter 
la  Société  sœur  d'Alger  du  magnifique  succès  qu'elle  a  obtenu 
en  organisant  ce  Congrès  dont  les  travaux  laisseront  certaine- 
ment leur  trace  dans  l'histoire  de  la  colonisation  française  en 
Afrique.  Parmi  les  grandes  questions  soulevées,  le  problème 
si  grave  du  Transsaharien  a  reçu  la  solution  la  plus  logique 
en  même  temps  que  la  plus  conforme  à  nos  vues.  C'est  là  un 
grand  résultat  et  qui,  h  lui  seul,  donne  une  importance  toute 
particulière  au  vingtième  Congrès  des  Sociétés  françaises  de 
Géographie. 

Paul  RIJFF. 


11 


RAPPORT  SUR  LE  CONCOURS  OUVERT  EN  1899 

PAR  LA  SOCIÉTÉ  DE  GÉOGRAPHIE  ET  D'ARCHÉOLOGIE  D'ORAL 


Cette  année,  trois  des  questions  mises  au  concours,  ont  été 
traitées  par  les  candidats  dont  les  noms  suivent,  savoir  : 

1°  A  travers  lesKsours  et  le  Sud  Oranais,  par  Michel  Antar  ; 

2°  Monographie  de  Tiarct  ancienne  et  moderne,  par  M.  J. 
Canal,  agent  voyer  à  Bel-Abbès  ; 

3°  Monographie  de  V arrondisaement  de  Mostaganem,  par 
M.  Métrât,  instituteur  à  Mostaganem. 

La  Commission,  désignée  à  cet  effet,  a  examiné  ces  travaux  : 

Le  mémoire,  ou  plutôt  l'ouvrage  de  Michel  Antar  sur  le 
Sud  Oranais  est  une  œuvre  destinée  à  vulgariser  la  connais- 
sance de  l'Algérie  ;  il  est  destiné  aux  jeunes  gens  de  16  à  20 
ans.  Dans  vingt-huit  chapitres,  délilent,  en  un  récit  attrayant, 
tous  les  ksours  du  Sud  Oranais  ;  leur  description  est  agrémen- 
tée de  faits  historiques,  d'études  de  mœurs  et  d'appréciations 
judiciaires  sur  les  diverses  questions  arabes. 

M.  le  Général  de  Colomb,  auquel  l'ouvrage  est  dédié,  a  bien 
voulu  l'honorer  d'une  introduction  qui  est  un  remarquable 
résumé  de  la  situation  actuel  de  notre  Sahara  oranais. 

Le  travail  de  M.  Antar  a  été  classé  n"  1,  avec  médaille  de 
vermeil.  Notre  Société  lui  assure  en  outre  son  patronage  dans 
le  cas  où  il  ferait  publier  son  ouvrage. 

M.  Canal,  dont  les  œuvres  ne  se  comptent  plus,  n'a  pas 
reculé  devant  la  tâche  de  nous  éclairer  sur  les  origines,  la 
splendeur,  les  luttes  et  la  décadence  de  Tiaret.  Sa  monogra- 
phie comble  une  lacune  de  l'histoire  de  cette  province,  et  à 
paru  mériter  la  deuxième  place  avec  une  médaille  de  vermeil. 

M.  Métrât,  entin,  déjà  récompensé  l'an  dernier  par  une 
monographie  de  Mazouna,  a  présenté  une  monographie  de 
l'arrondissement  de  Mostaganem.  Ce  travail,  bien  que  présenté 
sous  une  forme  un  peu  sommaire,  n'en  constitue  pas  moins 
une  contribution  des  plus  utiles  à  la  géographie  de  notre  pro- 
vince, et  la  Commission  a  cru  devoir,  à  titre  d'encouragement, 
décerner  à  son  auteur  une  médaille  d'argent. 

POUR  LA  COMMISSION  : 

Le  Président,  Lieutenant-Colonel  DEPiPvIEN. 


CONCOURS 

ouvert  par  la  Société  de  Géographie  et  d'Archéologie  d'Oran  en  1899 

Le  Comité  administratif  de  la  Société  a  fixé  ainsi  qu'il  suit  le 
programme  des  questions  mises  au  concours  de  1899-1900  : 

1°  La  description  historique,  géographique,  agricole  et  indus- 
trielle de  l'une  des  communes  mixtes  civiles  d'A'in-Témouchent, 
Saint-Lucien,  Ammi-Moussa  ;  ou  de  l'une  des  communes-mixtes 
indigènes  de  Mascara,  Frenda,  Cacherou,  Saïda  ; 

2°  La  monographie  historique,  géographique  et  statistique 
de  la  commune  indigène  de  la  Yacoubia  ; 

30  La  rédaction  d'une  géographie  élémentaire  du  Maroc  ; 


CONCOURS  OUVERT  PAR  LA  SOCIÉTÉ  EN  1899  311 

4"  Les  Douairs  et  les  Zmélas  de  1830  à  1900,  au  point  de  vue 
démographique  et  statistique  (morcellement  des  lauulles  et  de 
la  propriété); 

5"  Historique  de  la  colonisation  des  Hauts-Plateaux  de  la 
province  d'Oran  ; 

ti'^  Le  bassin  de  la  Tafna  (Contribution  à  la  géographie 
physique  et  agricole  de  la  province  d'Oran). 

Peuvent  prendre  part  au  concours,  toutes  personnes  appar- 
tenant ou  non  à  la  Société  de  Géographie. 

Les  travaux  devront  être  remis  au  Secrétariat  de  la  Société 
le  31  mars  1900.  —  Les  récompenses  -consistant  en  médailles 
d'or,  de  vermeil,  d'argent  et  de  bronze,  seront  distribuées  à 
l'Assemblée  générale  de  mai  1900. 

Le  Secrétaire  Qénér al,  BOUTV. 
1-*—^  *i 

Station  Météorologique  de  Santa-Cruz  (Oran) 

C'est  à  l'initiative  de  M.  AufTret,  directeur  des  Cours  Indus- 
triels à  Oran,  qu'est  due  la  création  d'une  station  météorolo- 
gique dans  le  fort  abandonné  de  Santa-Cruz  que  le  Génie 
militaire  mit  gracieuserm^nt  à  la  disposition  d'un  comité  ou 
plutôt  d'une  association  de  quelques  citoyens  d'Oran. 

Le  but  de  cette  association  est  de  contribuer  à  l'étude  de  la 
météorologie  de  la  province  d'Oran  par  des  observations 
journalières  sur  l'air,  la  chaleur,  les  vents,  la  vapeur  d'eau, 
l'électricité,  Fozone  et  aussi  sur  les  tremblements  de  terre. 

Les  instruments  de  première  nécessité  nous  furent  gracieu- 
sement donnés  par  le  service  météorologique  de  l'Algérie  et 
par  plusieurs  habitants  d'Oran.  Une  première  subvention  de 
750  francs  du  Conseil  général  nous  permit  l'acquisition  d'un 
baromètre  et  d'un  thermomètre  enregistreurs  et  l'installation 
au  fort  d'un  mat  sémaphorique  et  d'un  gardien-observateur. 

Le  1^>'  décembre  1896  commencèrent  régulièrement  les 
observations  dont  les  résultats  mensuels,  jusqu'au  31  mars  1899, 
sont  consignés  dans  le  tableau  ci-après.  Le  point  de  la  casemate 
où  se  font  les  lectures  barométriques  est  à  l'altitude  de 
374  mètres  au-dessus  du  niveau  de  la  mer. 

Le  pic  d'Aïdour,  que  couronne  le  vieux  fort  de  Santa-Cruz, 
termine  à  l'ouest  la  chaîne  du  Murdjajo  dont  il  est  séparé  par 
une  forte  échancrure.  Il  forme  un  vaste  écran  entre  Oran  et  la 
rade  de  Mers-el-Kébir.  Cette  situation  topographique  de  l'Ob- 
servatoire est  particulièrement  favorable  à  l'étude  des  vents  et 
des  phénomènes  de  production  et  de  condensation  de  la  vapeur, 
d'eau  ;  elle  complète  ainsi  utilement  la  station  officielle  établie 
à  l'hôpital  militaire  à  l'altitude  de  40  mètres. 

Nous  nous  réservons  de  faire,  à  la  fin  de  cette  année,  une 
étude  comparative  des  observations  recueillies  depuis  trois  ans 
à  Santa-Cruz  et  à  l'hôpital  militaire  et  d'en  formuler  des 
déductions  intéressant  l'hygiène  et  le  climat  d'Oran. 

Le  Président  de  l'Association  météorologique  de  Santa-Crus, 
Lieutenant-Colonel  DERRIEN. 


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LES  DJEBALA  DU  MAROC 

d'après  les  travaux  de  M.  A.  MOULIÉRAS 


Nous  n'avons  pas  à  présenter  au  public  l'œuvre  de  M.  Mouliéras. 
Le  premier  volurfje  du  Maroc  Inconnu  (1)  a  été  apprécié  dans 
l'Europe  entière  avec  faveur  par  d'éminents  géographes,  par  des 
orientalistes  distingués  ;  notre  humble  suffrage  ne  saurait  rien 
ajouter  à  leur  jugement.  Le  deuxième  volume  de  cette  immense 
enquête,  comptant  plus  de  800  pages  sur  la  seule  pi'ovince 
des  Djebala,  vient  de  paraître  (2).  On  peut  dire  que  c'est  une 
encyclopédie  marocaine.  La  somme  de  documents  livrée  par 
l'auteur  aux  géographes,  aux  linguistes,  aux  historiens  est 
véritablement  étonnante,  lorsque  l'on  considère  le  peu  de  rensei- 
gnements que  l'on  avait  avant  lui  sur  cette  province  des  Djebala, 
l'une  des  plus  considérables  cependant  de  l'Empire  chérifien. 
Il  appartiendra  aux  ôrudits  de  mettre  ces  riches  matériaux  en 
œuvre,  chacun  pour  le  plus  grand  profit  de  sa  science  préférée. 
Nous  nous  proposons  seulement  de  donner  ici,  très  brièvement, 
une  idée  de  ce  que  Ton  peut  tirer  du  livre  au  point  de  vue  de  la 
description  générale  de  la  société  djebalienne  ;  encore  nous 
placerons-nous  à  un  point  de  vue  restreint,  en  négligeant  volon- 
tairement tout  ce  qui  a  trait  aux  idées  religieuses,  car  nous  avons 
dessein  de  traiter  ce  dernier  point  ailleurs.  Lorsque  nous  aurons 
ainsi  essayé,  à  travers  la  sécheresse  d'un  trop  court  résumé, 
de  montrer  quelle  riche  mine  d'information  est  le  livre  du  savant 
professeur  à  la  Chaire  d'Arabe  d'Oran,  notre  appréciation  personnelle 
sera  superflue  ;  le  lecteur  aura  déjà  assis  son  jugement.  Evidem- 
ment, pour  qu'il  le  fit  en  parfaite  connaissance  de  cause,  il  nous 
faudrait  comparer  les  renseignements  contenus  dans  le  livre 
avec  tous  ceux  que  des  informateurs  antérieurs  Jious  ont  déjà 
fournis  sur  le  Maroc,  tâche  considérable,  qui  incombera  aux 
spécialistes.  Nous  nous  contenterons  modestement  ici  de  nous 


(1)  Le  Maroc  Inconnu,  par  Auguste  Mouliéras.  l'"  partie.  Explora- 
tion duRif.  1  vol.  S°,  2U4  pages  et  2  cartes.  Oran,  décembre  1895. 

(2)  Le  Maroc  Inconnu,  étude  géographique  et  sociologique,  par 
Auguste  Mol  LiKRAS.  2'"'"  partie.  Exploration  des  Djebala  (Maroc  seTplen- 
trional).  l  vol.  6",  VIII -813  pages,  2  photographies  et  1  carte.  Paris,  1899. 

12 


314  LES   D.TEBALA   DU   MAROC 

reporter  surtout  aux  deux  ouvrages  les  plus  importants  qui 
aient  paru  sur  le  Maroc  dans  ces  dernières  années  :  nous  voulons 
parler  du  voyage  si  consciencieux  et  si  fécond  en  résultats 
du  vicomte  de  Foucauld  (\)  qui,  malheureusement  pour  nous, 
a  peu  exploré  le  Nord  du  Maroc,  et  du  grand  ouvrage  de 
MM.  de  Lamartinière  et  Lacroix,  vaste  répertoire  où  les  auteurs 
ont  entrepris  de  résumer,  avec  leur  haute  compétence,  tout  ce  que 
la  science  officielle  possède  de  renseignements  sur  la  terre  des 
Chérif(2'!.  Nous  avons  ainsi  un  double  but  :  placei-,  autant  que 
faire  se  peut,  les  nombreuses  indications  nouvelles  données  par 
M.  Mouliéras  dans  le  cadre  des  informations  déjà  acquises  et 
montrer,  par  ailleurs,  que  ces  nouveaux  documents  concordent, 
en  les  complétant,  avec  ceux  que  l'on  pogi^dait  déjà.  Cette 
concordance  générale  est  la  meilleure  preuve  de  l'exactitude 
des  informations  recueillies  par  le  savant  oranais  (3). 


Le  principal  informateur  de  M.  Mouliéras  est  toujours  le 
derviche  Moh'ammed  ben  Et'  T'ayyeb  <^\  dont  la  photographie 
orne  l'ouvrage  et  qui  commence  à  être  bien  connu  des 
arabisants  africains.  Ses  indications  ont  été  du  reste  appuyées 
par  celles  d'un  grand  nombre  d'autres  Marocains  et  contrôlées 


(1)  V"  Ch.  de  Foucauld;  Reconnaissance  au  Maroc,  1  vol.  4°,  XVI 
-  495  pages,  avec  Atlas  de  ?U  feuilles,  Paris,  1888. 

(2)  H. -M. -P.  DE  LA  Martinikre  et  N.  Lacroix  :  Documents  pour 
servir  à  l'étude  du  Nord-Ouest  Africain,  réunis  et  rédigés  par  ordre 
de  M.  Jules  Cambon,  Gouverneur  général.,  l"=  partie  (Frontière,  Rif, 
Djebala).  1  vol.  S",  XV  -  552  pages.  Gouvernement  général  de  l'Algérie, 
1894  —  Les  trois  derniers  volumes  sont  consacrés  au  Sud-Ouest  marocain 
et  oranais. 

(3)  Nous  prions  les  personnes  qui  professent  que,  tous  les  indigènes 
étant  des  imposteurs,  il  n'y  a  aucune  foi  à  attacher  à  leurs  récits,  de  ne 
pas  continuer  la  lecture  de  cet  article.  Elles  montrent  en  soutenant  cette 
opinion,  d'ailleurs  contraire  au  bon  sens,  qu'elles  n'ont  jamais  pris  la 
peine  de  contrôler  par  elles-mêmes  les  renseignements  dont  elles 
suspectent  la  sincérité.  Rien  n'est  cependant  plus  facile  que  d'interroger 
deux  marocains  et  de  vérifier  leurs  dires  l'un  par  l'autre.  Ges  mèrnes 
personnes  se  condamnent  du  reste  à  ne  tenir  aucun  compte  d'un  très 
grand  nombre  de  livres  :  ceux  des  Arabes,  en  particulier,  sont  pour  elles 
non  avenus,  de  même  que  la  plus  grande  partie  des  relations  de  voyages 
écrites  par  des  européens  ;  car  les  faits  qu'observi;  directement  le 
voyageur  sont  infiniment  moins  nombreux  que  ceux  qu'il  connaît  par 
renseignements  et  l'information  orale  est,  en  dernière  analyse,  sa 
source  de  connaisssances  la  plus  abondante.  La  moitié  de  l'ouvrage 
précité  du  V"=  de  Foucauld  (2"  partie)  consiste  exclusivement  en  rensei- 
gnements recueillis  oralement. 

(4)  Nous  adoptons  ici  le  système  de  transcription  des  mots  arabes 
et  berbères  suivi  par  M.  Mouliéras.  Gf.  Maroc  Inconnu,  1,  p.  42. 


LES   DJEBALA   DU   MAROC  315 

mainte  et  mainte  fois  par  l'auteur.  Mais  aucun  de  ces  Marocains 
ne  s'est  trouvé  avoir  l'ampleur  de  connaissances  du  derviche  : 
cet  étrange  pèlerin  est  vraiment  déconcertant  par  l'étendue 
de  sa  mémoire.  Quoi  est  le  mobile  qui  le  pousse  à  ce  perpétuel 
vagabondage'  Quel  étrange  besoin  de  déplacement  le  tourmente 
sans  cesse?  Est-ce  bien  le  désir  d'étudier  (jui  le  fait  ainsi  errer 
de  zaouia  en  zaouia,  sollicitant  la  retba  (i>  c'est-à-dire  le 
logement  gratuit,  plus  la  nourriture  que  les  étudiants  ont 
coutume  d'aller,  le  soir,  mendier  aux  portes  du  village  en 
disant  :  maârouf  liUaIi^~\  autrement  dit  :  «Un  bienfaitpour 
l'amour  de  Dieu  »  ?  (O-iO)  (3)_  N'est-ce  point  aussi  sa 
gourmandise  et  le  désir  de  prendre  part  aux  plantureuses 
ouaàda  C^)  que  de  pieux  pèlerins  olTrent  à  chaque  instant  aux 
marabouts  et  auxquelles  naturellement  les  étudiants  sont 
toujours  invités?  (29-30).  Tantôt  il  est  étudiant,  tantôt  il  est 
maître  d'école,  comme  cela  lui  arriva  dans  la  tribu  d'Es-Sah'el 
(581-582),  fort  mauvais  instituteur  du  reste,  l'esprit  trop 
rêveur  et  trop  mobile  pour  s'astreindre  à  une  pédagogie 
sérieuse.  Son  air  illuminé,  qui  le  fait  de  suite  reconnaître  pour 
une  créature  favorisée  de  Dieu,  le  protège  contre  toutes  les 
malveillances  (47;  et  ses  guenilles  lui  servent  de  passeport  à 
travers  les  tribus  les  plus  redoutées.  Chose  curieuse,  cette  vie 
nomade  lui  plaît;  il  n'aspire  à  aucun  emploi,  il  ne  profite  point, 
comme  font  habituellement  ses  coreligionnaires,  de  ses  relations 
avec  des  fonctionnaires  européens  pour  demander  «une  place»: 
il  ne  veut  être  ni  gardien  de  nuit  dans  une  ville,  ni  garde- 
champêtre  dans  un  douar-commune,  ni  chaouch  dans  une 
justice  de   paix,    ni  cavalier  de  bureau  dans  une  commune 


(1)  La  retba  existait  dans  les  niédersas  algériennes;  à  la  médersa 
de  Tlemcen,  il  y  avait  encore,  il  y  a  deux  ou  trois  ans,  des  étudiants 
nirettebin,  c'est-à-dire  logés  et  nourris  gratuitement  cliez  quelques 
personnages  importants  de  la  ville,  qui  faisaient  ainsi  œuvre  pieuse.  Il  y 
en  a  encore  un  cette  année  ;  cette  coutume  a  disparu  à  la  suite  de 
l'introduction  du  personnel  enseignant  français  dans  les  raédersas. 

(2)  Maroc  Inconnu,  t.  I,  p.  128;  t.  II,  pp.  750-751. 

(3)  Les  gros  chifl'res  placés  ainsi  entre  parenthèses  sont  des  renvois 
aux  pages  du  tome  II  du  Maroc  Inconnu  ;  nous  avons  préféré  les 
mettre  dans  le  texte  afin  de  ne  pas  alourdir  l'appareil  des  notes.  Les 
petits  chiffres  concernent  nos  propres  notes. 

(4)  Mot  usité  dans  l'ouest  de  l'Afrique  Mineure  pour  désigner  une  fête 
de  charité  en  l'honneur  d'un  saint  et,  par  suite,  le  repas  qui  l'accompagne. 


316  LES  DJEBALA   DU   MAROC 

mixte,  ni  imàm  dans  une  petite  mosquée Il  est  et  veat 

rester  saïW,  c'est-à-dire  voyageur  dévot  et  mendiant  ;  nous 
ne  connaissons  pas  de  désintéressement  plus  rare  parmi  ses 
coreligionnaires  (69-70).  Que  ses  informations  renferment 
parfois  quelques  inexactitudes,  cela  ne  surprendra  personne  ; 
elles  ont  d'ailleurs  le  défaut  des  informations  populaires  dans 
lesquelles  la  légende  est  souvent  substituée  à  l'histoire  ;  encore 
faut-il  remarquer  qu'il  se  présente  telle  circonstance  où  les 
renseignements  ainsi  recueillis  permettent  de  rectifier  les 
historiens  les  plus  sérieux,  comme  Ibn  Khaldoun  (568).  Qu'il 
ait  des  défaillances  de  mémoire,  on  l'admettra  bien  sans  doute 
aussi,  et  l'auteur  est  le  premier  à  le  regretter  (35).  Que  les 
données  statistiques  enfin  ne  soient  pas  exactes  absolument, 
l'auteur  lui-même  ne  le  nie  pas,  mais  elles  n'en  fournissent 
pas  moins  des  données  de  la  plus  haute  valeur  sur  l'importance 
relative  des  différents  villages. 


Les  limites  de  la  contrée  désignée  sous  le  nom  deDjehala^^'> 
sont  différemment  entendues  par  les  Marocains  eux-mêmes. 
Il  y  a  les  Djebàla  (sensu  stricto)  s'étendant  entre  le  Rif  et  le 
Tell  marocain  et  s'arrêtant  aux  plaines  de  la  province  d'El 
K'çar  el  Kebir  (Alcazar)<'-)  ;  il  y  a  les  Djehala  {largo  sensu) 
s'étendant  jusqu'à  l'Océan  Atlantique  et  comprenant  la  région 
de  Tanger,  d'El  K'çar,  d'Azila(Arzile)  etd'El  Araïche(Larache). 
C'est  dans  ce  dernier  sens  que  les  entend  l'auteur,  sans  pré- 
tendre d'ailleurs  aucunement  donner  à  cette  expression  un  sens 
géographique.  Au  Nord,  ils  sont  bordés  par  le  Rif,  puis  par  la 
mer  à  partir  des  R'mara,  oi!i  la  marée  se  fait  déjà  assez 
fortement  sentir  (290). 

Le  pays  des  Djebala  est  en  maint  et  maint  endroit  un  des 
plus  riches  du  Maroc  ;  certaines  parties  sont  tellement 
luxuriantes  que  les  habitants  ont  surnommé  leur  pays  Ech- 


(1)  Djehala  veut  dire  :  «  montagnards  ».  Il  y  a  en  Algérie  de  nombreuses 
tribus  ou  fractions  de  tribus  qui  portent  ce  nom  (Djebala  de  la  commune 
mixte  de  Nédroma,  Djebala  de  la  commune  mixte  d'El  Milia,  etc.. ..) 

(2)  De  Lamaktinière  et  Lacroix  :  Documents,  I,  p.  407,  prennent 
lexpression  de  Djebala  au  sens  étroit. 


LES  D.IEBALA   DU   MAROC  317 

Cham  Ee  Cer"u\  c'est-à-dire  la  petite  Syrie,  la  Syrio  étant 
toujours,  chez  les  poètes  arabes,  considérée  comme  le  pays 
le  plus  verdoyant  du  monde  (21).  Quelques  portions  des 
Djebala  ne  sont  qu'un  immense  verger,  comme  les  Béni 
Arous  ")  ou  bien  El  Djaija  (34).  Le  pays  est  montagneux, 
sauf  vers  l'Atlantique,  mais  à  la  lisière  du  Rif,  c'est  proprement 
une  Kabylie  et,  dans  certaines  tribus,  les  villages  s'échelonnent, 
comme  dans  le  massif  du  Djui-djura,  sur  des  pentes  d'une 
déclivité  effrayante  ('^74).  Les  habitations  du  hameau  de 
Tazrouth,  dans  les  R'mara,  sont  bâties  sur  des  pitons  séparés 
par  des  précipices  que  l'on  traverse  sur  des  ponts  en  plan- 
ches (294).  Le  climat  de  ces  régions  est  naturellement  excessif 
et  certains  villages  sont  bloqués  par  les  neiges  pendant  de 
longs  mois  d'hiver  (315)  (2). 

Un  des  pays  les  plus  intéressants  des  Djebala  et  un  de  ceux 
qui  piquent  le  plus  notre  curiosité,  c'est  cette  mystérieuse 
ville  d'Ech-Chaoun,  appelée  Chechaouen  par  les  Européens  et 
Chefchaouen  par  les  savants  arabes,  où  le  fanatisme  des 
habitants  ne  laisse  pénétrer  aucun  Européen.  Seul,  de  Fou- 
cauld,  déguisé  en  juif,  a  réussi  à  entrer  à  Ech-Ghaoun.  L'aspect 
de  la  ville  vue  du  dehors  est  enchanteur  (3).  Toutefois  le  grand 
voyageur  n'a  pu  la  visiter  pour  nous  la  décrire,  ayant  dû  rester 
enfermé  dans  le  mellali'  (i>.  Fort  heureusement,  M.  Mouliéras 
a  obtenu  d'un  Chaounais  qui  réside  maintenant  en  Algérie  les 
renseignements  les  plus  complets  sur  sa  ville  natale  (121  seq.). 
Mis  en  présence  de  la  photogravure  donnée  par  de  Foucauld, 


(1)  De  Lamartînière  et  Lacroix,  p.  408.  —  Cf.  De  Foucauld, 
Reconnccissance.  p.  6. 

(2)  Notro  manque  de  compétence  nous  interdit  de  nous  étendre  sur  les 
renseignements  géographiques.  Les  spécialistes  les  plus  distingués 
donneront  prochainement  leur  avis  à  ce  sujet  Rappelons  seulement  que 
M.  Schnell,  un  des  géographes  qui  ont  le  plus  étudié  le  Maroc,  apprécie 
hautement  Le  Maroc  Inconnu  (770).  —  Voy.  en  général  pour  la  géogra- 
phie des  Djebala  :  De  Lamartinière  et  Lacroix,  Documents,  I, 
pp.  407-46i. 

(3)  «  Avec  son  vieux  donjon  à  tournure  féodale,  ses  maisons  couvertes 
de  tuiles  ses  ruisseaux  <|ui  serpeiilent  di'-  toutes  parts,  on  se  serait  cru 
bien  pluiôt  en  face  de  (luelque  bourg  paisible  des  bords  du  tihin  ([ue  d'iuie 
des  villi  s  les  plus  fanatiques  du  Bif  >;.  (de  Foucauld.,  Reconnaissance . 
p   8). 

(i)  Dn  appelle  ainsi,  dans  les  villes  marocaines,  le  quartier  réservé  aux 
juifs.  Cf.  de  Foucauld,  Reconnaissance,  p.  395. 


318  LES   DJEBALA  DU   MAROC 

Abdesselam  (c'est  le  nom  de  cet  informateur)  a  aussitôt 
reconnu  sa  patrie  et  a  commenté  la  vue  prise  par  le  hardi 
explorateur  de  la  façon  la  plus  précise.  Seulement,  il  s'étonnait 
fort  qu'il  n'y  eût  là  qu'un  coté  d'Ech-Chaoun  et  il  s'obstinait 
à  retourner  la  gravure  pour  voir  si  le  reste  n'était  pas  derrière 
(130).  Les  indications  recueillies  par  M.  Mouliéras  nous 
confirment  que  cette  petite  ville  est  indépendante  o  et  ne 
relève  en  aucune  façon  de  la  tribu  de  Lékhmas  sur  le  territoire 
de  laquelle  elle  se  trouve  (136).  Suivant  les  lettrés  chaounais 
(122),  cette  cité  fut  fondée  par  des  Maures  du  royaume  de 
Grenade  qui,  effrayés  des  progrès  de  la  reconquista  chrétienne, 
émigrèrent  quelque  temps  avant  la  chute  de  leur  capitale  (^\ 
A  part  Ech-Ghaoun  et  Tétouan,  nous  i.e  connaissions  dans 
les  Djebala  (au  sens  étroit  du  mot)  aucune  autre  ville  ;  l'auteur 
nous  révèle  la  présence  de  bourgs  énormes,  pourvus  de 
plusieurs  mosquées  dont  l'une  est  ornée  d'un  minaret  :  tels  les 
Béni  Méjrou  ou  bien  K'alaât  Béni  K'asem,  dans  les  Béni  Zéroual 
(89);  tels  encore  El-Khzana  et  Béni  Zid  (1 19-120),  véritables  peti- 
tes villes,  non  loin  d'Ech-Chaoun,  qu'elles  égalent  presque  en 
importance.  Ge  sont  là,  pour  les  géographes,  de  véritables 
découvertes,  tant  était  grande  la  pénurie  de  nos  renseigne- 
ments sur  les  Djebala  avant  l'apparition  du  Maroc  Inconnu. 
Chemin  faisant,  l'auteur  nous  signale  les  ruines  romaines  (83, 
91,  126  etc..)  et  les  curiosités  naturelles  dont  ses  informateurs 
lui  ont  révélé  l'existence  (79,  81,  etc  . ..) 


«  Les  bosquets  de  notve  pays  ne  contiennent  aucun  arbre 
épineux.  On  y  trouve  le  myrte,  l'arbousier,  le  frêne,  le 
lentisque,  le  pin,  l'oranger,  la  vigne,  l'olivier.  L'aspect  riant 
de  notre  tribu  lui  a  valu  le  surnom  d'El-Bahdja  (la  joyeuse)  ». 


(l)  Cf.  DE  Lam.  et  Lac,  Documents,  I,  p.  353  et  n.  1. 

(?)  Cf.  id.  :  «  On  y  compte  deux  fractions  principales  :  Garnata  et  El 
Hadara  ».  Ce  passage  nous  confirme  le  renseignement  de  M.  Mouliéras, 
sur  une  immigration  Espagnole  à  Ech-Chaoun.  Les  (iharnàt'à,  sont  les 

émigrants  de  Grenade  {^^  ^>  t^  )  et  les  h'adhar  (pluriel  de  h'adhri.  ^j-^-=^) 
sont  les  autre.s  citadins,  de  même  qu'à  Tlemcen,  par  exemple,  la  ville  est 
divisée  en  deux  çoffs  :  çoff  h'adhri,  çoff  k'ouroughli. 


LES  DJEBALA   DU  MAROC  319 

Ainsi  parlait  un  habitant  d'El  Djaya  (34).  Cette  énumération 
d'arbres  implique,  non  seulement  la  richesse,  mais  aussi  une 
grande  variété  du  territoire.  La  fertilité  de  l'Oued  Ouarer'a  est 
proverbiale  <'^  Cependant,  malgré  cette  fécondité  du  sol, 
l'agriculture  djebalienne  est  restée  primitive.  Naturellement  la 
faucille  est  le  seul  instrument  dont  on  se  serve  pour  la 
moisson  des  céréales  (5)  ;  il  y  a  même  des  tribus,  comme  les 
Cenhadja-t-R'eddou,  où  la  moisson  se  fait  à  la  main,  en 
arrachant  d'un  seul  coup  les  épis  et  les  tiges  (442). 

Dans  la  plus  grande  partie  des  Djebala,  les  champs  de 
chanvre  et  de  lin  occupent  d'importantes  superficies;  le  rouis- 
sage, le  teillage,  le  tissage  s'elTectuent  par  les  anciens  procédés 
connus  en  Europe  (502). 

L'apiculture  est  très  répandue.  Dans  tello  tribu,  les  Béni 
Id'er,  par  exemple  (50-2),  ou  les  Çenhadja  t-R'eddou  (443),  il 
n'y  a,  pour  ainsi  dire,  pas  une  chaumière  sans  ruches  ;  on  a 
vu  des  villages  entiers  êtie  obligés  de  déguerpir  devant  les 
nuées  des  abeilles  que  l'on  avait  irritées  par  mégarde.  Une 
fois,  les  Béni  Ouandjel,  victorieux  des  Oulad  bou  Slama, 
ayant  mis  le  feu  à  un  de  leurs  villages,  les  abeilles  tombèrent 
indistinctement  sur  les  vainqueurs  et  les  vaincus  et  les  mirent 
tous  en  déroute.  La  sériciculture,  qui  a  peu  à  peu  disparu  de 
l'Algérie  et  que  les  encouragements  officiels  n'ont  pas  réussi  à 
ressusciter,  est  florissante  en  maint  endroit  des  Djebala  (503). 
La  soie  est  expédiée  à  Fas  et  à  Merrakech,  seuls  pays  oîi 
Ton  sache  la  tisser. 

Les  Djebala,  dont  beaucoup  boivent  du  vin,  cultivent  en 
grand  la  vigne  (2),  savent  la  piocher  et  la  tailler  (508).  Les 
variétés  de  vignes  cultivées  seraient,  au  dire  des  indigènes, 
extrêmement  nombreuses  ;  les  diverses  espèces  de  raisins 
portent  les  noms  les  plus  bizarres  :  Bou  Khenzir,  Bezzoul-el- 
Aouda,  Taferialt,  Ali^mar  bou  Amor,  etc.  (449j.  —  L'olivier 
est  aussi  cultivé  avec  un  grand  soin  et  l'auteur  nous  donne  les 
détails  les  plus  complets  sur  la  fabrication  de  l'huile  d'olive  (Cl, 


(1)  Cf.  de  Lam,  et  Lac,  Documents,  1,  p.  4')S. 

(2)  Cf.  Id.  p.   iU7. 


320  LES  DJEBALA   DU  MAROC 

449)  (1).  L'huile  de  baies  de  lentisque  est  très  employée  pour 
l'éclairage  ;  on  l'emploie  aussi  pour  la  cuisine,  après  lui  avoir 
tait  perdre  sa  saveur  désagréable  par  une  ébullition  prolongée. 
L'huile  du  bVo7n  ou  pistachier  de  l'Atlas  est  aussi  fort 
estimée  (61). 

Les  pentes  d'un  grand  nombre  de  montagnes  djebaliennes 
sont  très  boisées.  Malheureusement,  on  exploite  mal  et  on 
déboise  à  tort  et  à  travers.  La  valeur  du  chêne-liège  n'est 
même  pas  soupçonnée  (76).  Cependant,  il  y  a  des  fractions  de 
tribu,  comme  les  Béni  Rzin,  dans  les  R'mara,  qui  vivent  de 
l'exploitation  forestière.  Ils  débitent  le  bois,  etl'ouad  Ouringa, 
flottable  un  peu  en  amont  de  Tazrouth,  sert  à  son  transport 
jusqu'à  la  crique  d'El  Djebha,  où  des  balancelles  l'embarquent 
pour  Tétouan  et  pour  les  Galîya  du  Rif  (304).  C'est  encore  à 
Tétouan  que  s'en  vont  les  bois  coupés  chez  les  Béni  Grir  de  la 
même  tribu  de  R'mara  (292).  Les  Ktama  sont  riches  en  cèdres 
(95),  en  arabe  avez  (~\  et  les  gens  de  la  fraction  d'El  Khmis 
exploitent  une  forêt  de  ces  magnifiques  arbres,  dont  ils  font 
des  portes,  des  coffres,  etc (109). 


M.  Mouliéras  n'a  point  voulu  s'avancer  sur  le  terrain,  peu 
solide  encore,  de  l'ethnographie  maghribine  (128).  Il  pense 
d'ailleurs,  avec  raison,  que  l'information  orale  ne  fournit  pour 
la  solution  des  obscurs  problèmes  de  races  que  des  données 
sans  valeur  scientifique;  il  pense  encore  qu'en  l'état  où  est 
la  question  des  origines  berbères  il  convient  de  laisser  les 
anthropologistes  poursuivre  une  enquête  qui  est  à  peine 
commencée  et  qui  n'a  encore  donné  aucun  résultat  positif. 
Parmi  les  trente  et  quelques  naturels  des  Djebala  qu'il  a  vus  à 
Oran  et  qui  lui  ont  fourni  les  principaux  matériaux  de  son 


(1)  Sur  la  fabrication  de  l'huile  chez  les  indigènes,  vo3'.  HanOteau  et 
Letourneux.  La  Kainjlie  et  les  coutumes  hahyles,  3  vcl.  8",  Paris.  1893, 
2' éd.,  p.  520-525,  et  de  Galassanti-Motyunski,  Le  Djebel  Nefousa, 
1  vol.  8'.  155  p.,  Paris,.  1898-1899.  pp.  109-111. 

(2)  Les  pauvres  tribus  du  Rif  font  bouillir  une  partie  de  l'écorce  du 
cèdre  pour  la  ramollir  et  s'en  nourrissent.  C'est  le  lah'm  el  ares,  la 
viande  de  cèdre.  (Maroc  Inconnu,  I,  p.  62). 


LES   DJEBALA   DU   MAROC  321 

œuvre,   aucun   n'était   blond.  Tous   étaient  plus    ou    moins 
châtains,  quelques-uns  extrêmement  bruns  (777)  <i>. 

Les  Djebaliens  ont  une  ethnographie  à  eux,  qui  est  bien 
autrement  simple  :  ils  divisent  tout  simplement  leurs  compa- 
triotes en  R'inara  et  Cenliadja  et  ils  ont  une  tendance  à  étendre 
cette  division  à  tous  les  Marocains  et  même,  dans  leur  profonde 
ignorance,  au  globe  terrestre  tout  entier  (259).  Quelques 
réserves  qu'il  faille  faire  à  ce  sujet,  il  y  a  lieu  de  retenir  cette 
opinion  des  Djebaliens,  qui  ne  doit  évidemment  pas  être 
dépourvue  de  tout  fondement  historique  (->.  Dans  le  Rif  etdans 
les  Djebala,  les  R'mara  et  les  (jenhadja  forment  deux  grands 
çofTs  entre  lesquels  sont  rigoureusement  réparties  toutes  les 
tribus  (451-452).  Cependant,  il  arrive  que  des  fractions  d'un 
çofT  sont  enclavées  dans  une  grande  tribu  de  l'autre  çoff  :  il 
en  est  ainsi  des  Beni-bou-Zra,  çenhadjiens  qui  sont  englobés 
dans  la  grande  tribu  des  R'mara  proprement  dits  (R'mara 
sonsu  stricto)  et  restent  profondément  berbères  au  milieu  des 
R'mara  arabisés  (285)  (3). 


Cette  même  tribu  des  Beni-Bou-Zra  est  un  des  rares  groupes 
de  popu'ation  des  Djebala  qui  parle  encore  un  idiome 
berbère  C'i,  le  thamazir'th  (336).  II  en  est  de  même  d'une  partie 
des   Ktama,  celle  qui  es!   contigûe  au  Rif   (95).    La   langue 


(1)  Les  blonds  sont  au  contraire  noml)reux  chez  les  Rifains.  Cf.  sur  les 
b'onds  au  Maroc,  le  travail  de  Quedenfeldt  cité  plus  loin,  p.  115  seq.  Voyez 
aussi  Maroc  inconnu,  I,  p.  58,  ligne  33. 

(2)  Les  renseignements  fournis  par  le  capitaine  Thomas  et  utilisés  par 
DE  Lam.  et  Lac,  Documents.  I,  311,  paraissent  se  rapporter  en  partie  à 
cette  division  générale  des  tribus  en  R'mara  et  en  Çenhadja.  Ils  concor- 
dent avec  la  liste  donnée  par  M.  Mouliéras,  pp.  451-452.  Cependant  le 
capitaine  Thomas  range  les  Ktama  dans  les  (jenhadja,  tandis  que  M.  Mou- 
liéras en  fait  des  R'mara. 

(.'i)  Il  y  a  aussi,  çà  et  là,  des  populations  plus  ou  moins  noires  descen- 
dant de  la  fameuse  garde  nègre  créée  par  Moulai  Ismai'l  et  connue  sous 
le  nom  de  Abid  el  Hokhari,  par  exemple  chez  les  Béni  Ah'med  es  yourrak' 
et  chez  les  Béni  Zeroual  (de  Lam.  et  Lac,  Documents,  l,  n.  432  et  448: 
sur  Abid  el  Bckhari.  voy.  Ez  Ziani.  Et  Torcljwan,  trad.  Houdas,  p.  29 
seq  et  le  Kitàb  el  Istik'ça  du  Slaoui,  t.  IV.  p.  26-27.) 

(4)  Cf.  DE  Lam.  et  Lac,  Documents,  I,  p.  350,  ([ui  rangent  R'mara  Pt 
Ktama  parmi  les  tribus  du  Rif.  11  y  a  du  reste  à  ce  sujet  desaccord  entre  les 
Marocains  eux-mêmes.  D'après  ces  deux  auteurs  (p.  417)  les  Béni  H'asan 
sont  aussi  de  langue  berbère,  ainsi  que  de  Foncanld  le  déclare  également 
{Reconnaissance,  p.  10.) 


322  LES  DJEBALA  DU  MAROC 

berbère  recule  peu  à  peu  devant,  l'arabe,  ici  comme  dans  tout 
le  nord  de  l'Afrique  (^\  Mais,  dans  un  grand  nombre  de  tribus, 
l'arabe  est  encore  tellement  mélangé  de  thamazir'th  qu'il  est 
méconnaissable:  il  en  est  ainsi  cbez  les  Beni-ben-Chibeth,  les 
Oulad  bou-Slama  et  les  Béni  Ah'med,  où  l'on  observe  des 
particularités  dialectales   curieuses,    comme   la    permutation 

du  .^ u  avec  le  r  (374,\  En  d'afitres  endroits  ce  n'est  pas  au 

berbère  seulement  qu'il  faut  attribuer  la  corruption  de  la  langue 
arabe  :  c'est  ce  qui  arrive  à  Tétouan  où  la  langue  est  altérée  par 

de  nombreuses  permutations  du  j  et  du  o,  du  ^ ^et  du  »,  du^  ^■ 

et  du  ,  ^-  (^201)  <->  et  où  le  vocabulaire  lui-même  contient  des 
termes  singvdiers,  comme  A-aJ,  fontaine;  'Àc.s^  marché  aux 

céréales,   etc Cette    corruption    est    due    peut-être    à 

l'inlluence  des  nombreux  Israélites  qui  habitent  Tétouan  et 
des  Maures  Andalous  qui  y  ont  émigré  (202). 

L'auteur  donne  (614-618)  une  anecdote  en  dialecte  d'Ech- 
Chaoun  :  en  y  remarque  la  confusion,  si  fréquente  en  Algérie 
du  ^.  et  du  o.'  (-^^  du  ûi  et  du  3,  l'emploi  du  .>  (4)  et  du  :>  <■"') 
comme  particules  d'annexion,    des  métathèses   comme   noiil. 


(1)  Sur  l'aire  occupée  par  le  berbère,  voy.  Renk  Basset,  Etudes  sur 
les  dialectes  berbères,  1  vol.  8".  Itti  p.,  Paris,  18^i.  (Biill.de  IT^colesup. 
des  Lettres  d'Alger);  p.  VI-IX,  et,  en  ce  qui  concerne  spécialement  le 
Maroc,  (Juedenfeldt.  Einth.  u.Verbr.  d.  Berberberoelh.  in  Maroliho, 
in  \'erltandl.  anthr.  Ges..  1889.  Nous  croyons  savoir,  d'autre  part,  que 
M.  de  Calassanli-Motylinski  prépare  actuellement  une  carte  de  la  répartition 
du  berbère  en  Afrique. 

(2)  Sur  la  première  et  la  troisième  de  ces  permutations  en  berlière,  voy- 
René  FI^-SSet.  op.  Jaud.,  p.  29  et  45.  An  sujet  de  la  deuxième,  cif. 
Fischer,  Hieb-  xtnd  Stic/araffen  im  heutiqen  Marokko,  in  Mitth.  d. 
Sem.  f.  Or.  Spr.  z.  Berl.  lahrg.  II.  Abth.'lL  Weslas.  Stud..  p.  2  du 

t.  à  p.  —  L'impossibilité  de  prononcer  le  ^ ?  et  sa  transformation  en  Ti 

ou  en  une  sorte  de   hamza,  se  rencoulre  d'une  façon  sporadique,  chez 
nombre  d'indigènes  algériens. 

(3)  A  Tlemcen,  p.  ex.,  on  ne  prononce  q'une  seule  lettre  se  rapprochant 
beaucoup  duCl^-  Cf.  Qitede.nfeld,  loc.  cit.,  p.  191,  n.  1. 

(4)  Est-ce  la  finale  de  l'arabe  vj*  ?  est-ce  la  préposition  du  génitif 
kabyle?  M.  Mouliéras  penche  pour  la  seconde  hypothèse   614,  n.  2). 

(5)  L'emploi  du  ^  comme  particule  d'annexion  parait  général  au  Maroc, 
«  mais  nulle  part,  dit  de  Foucaui.d  (Reconnaissance,  11),  avec  autant 
d'excès  qu'aux  environs  de  Tétouan  ».  Certaines  populations  de  la  pe'ite 
Kabylie  emploient  couramment  comme  particule  d'annexion  di,  ^^•^  et 
aussi  le  ^  simplement,  de  même  que  elli.  ^'  (Cf.  Luciani,  Les  OuJed 
Athia  de  l'oued  Zhour,  in  Rev.  Afr.,  XXXIIP  ann..  4"^  trim.  1899,  n"  195, 
p.  .307-308).  On  peut  remarquer  que  ^^^j  pour  ^^  ,  est  un  démonstra- 
tif et  ,^1  un  relatif. 


LES   DJEBALA   DU   MAROC  323 

pour  loun  o,  couleur,  etc..  Dans  certains  endroits  la  désinence 
a  est  changée  en  i,  ce  <iui  est  un  reste  du  berbère  <-)  et  s'observe 
chez  certaines  tribus  mal  arabisées  de  rAfriifue  septentrionale, 
les  Kroumirs,  par  exemple  (492)  qui  disent  el  mi  ponrel  ma  et 
el  mri  pour  el  mra.  Enfin  le  vocabulaire  marocain  diffère 
considérablement  de  celui  du  reste  de  l'Afrique  Mineure  et  on 
trouvera  dans  le  Maroc  Inconnu  un  nombre  considérable  de 
mots  qui  ne  figurent  pas  dans  nos  lexiques  arabes-français  (3). 


(1)  Ces  métathèses  sont  extrêmement  communes  dans  les  dialectes 

algériens.  Ex  :  vj-*^  pour     v*'  ,   maudire  ;  ^ ^-^s  pour  ij^'^  j  saisir  ; 

V A=i.'j  pour  s y-=^  ,  répondre;  ■^'j  pourJL^^  ,  passer,  etc.. 

(2)  Cf.  Maroc  Inconnu.  I,  p.  137  n.  :  Mousi  pour  Mousa.  Beni  Bon 
Yah'yi,  tribu  du  Rif,  pour  Beni  hou  Yah'ya.  Duveyrier,  apud.  ue  Lam. 
et  Lac,  Documents,  I,  p.  338,  a  mal  entendu  ce  dernier  mot. 

(3)  Relevons  au  hasard,  parmi  les  nombreux  vocables  nouveaux  que  cite 
l'auteur,  une  trentiaine  de  termes  que  ne  donne  pas  Beaussier  : 

^y>  ,  bey^riou,  crottin  de  chèvre  (104)  — Ji^:.^-^^.  béllaidour,  belladone 

(309) —  , 9^^  j  îhil.'af,  impuissance  artificielle,  nouement  de  l'aiguillette 

(499)  —  i3- J"^'  /*'<^'"'' */'■'■  P'3t  composé  de  cardons  et  d'orties  bouillis  (418) 
—  O^a.,  h'azzan,  maître  d'école  isracUte  (143,  n.  2)  —  V:^-^"'-^'^?  inaJi'a- 
sin,  raisins  secs, noix,  amandes,  oranges,  sucreries,  desserts  variés  (38)  — 

^j>j.d-=s. ,  h'ammounii,  grain  moisi  dans  le  silo,  en  arabe  algérien  ^ 'j  t^-^, 

mechroub  (91)—  5_»;  V=>-  -,  klazzioua.  djellaba  épaisse,  grossière,  aux  raies 
multicolores  (96)  —  '^Ç^'^  y  mol.hfia,  synonyme  de  l'algérien  ^j'^  , 
methred,  plat  en  bois  avec  un  pied  (G17.  n.  18)  —  A.i»x^,  k/iencha,  sac  en 
cuir  des  écoliers  marocains  (104) —  -•  ^  ;  dlem,  chène-liège  (370)  — 
,, 9^j  ,  rif,  armée,  band?.  troupe  (131)  —  ^jj  y  zernidj,  thuya  (394) 


I)  -  -f^jj  y  zernidj, 

liane  (509)  —  -^  '•i-*^  , 
.1  .  I    C^.„„,„.. 


—  «iAÀ»"*-  ,  sebniya,  foulard  de  coton  blanc  (509)  —  ^jl*^  ,  meslouk/i, 
(littéralement  a  écorché  »),  imberbe  (68)  —  ç>L^^^  ,  selham.  burnous 
(553)  —  ijLiU;»  ,  mcharet,,  instituteur  ambulant  (351)  — ^^j^^,  choun, 
poche  (584)  —  ^=:jS^  ,  ciUouh\  kouskous  froid  sans  beurre  ni  graisse, 
arrosé  seulement  de  petit  lait  (594)  —  'i-'Sj^  ,  t'bouk'a,  panier  rond  tissé 
en  palmier  nain  (509)  —  'i.h)lc  ,  âïfa,  cris  de  joie  poussés  à  l'unisson 
dans  les  fêtes  (13)  —  ^^Ls  ,  àïl,  mignon  (Maroc  Inconnu,!,  p.  50),  fém. 
aLLc  ,  cala,  prostituée  (14)  —  iv)  f^  '  f^'erran,  homme  qui  ne  fait  pas 
les  prières  à  l'heure  voulue,  qui  les  joint  et  les  dit  en  une  seule  fois  (263 

n.  1)  —     i^-^-LJ»  ,  gbah'i,  répétition  continuelle  du  mot  «  hou,  hou  »  qui 

1^  I    f 

se  fait  dans  les  fêtes   en  dansant  au  son  de  la  musique  (13)  —  lO'"*''    > 

k'emnian,  receleur  (363)  —  ^  .'j^^r^  ,  merdeddouch,  marjolaine,  (148) 

—  À.i*^^iU^  ,     mchimcha,  nétle  du  Japon  (127.  n.  1) —  /   v-t-^  ,   mers, 

■•  t   ■  ' 

emplacement  de  plusieurs  silos  réunis  (419)  —  -oij..'  ,  n:-aha,  tournée  de 

mendicité  faite  par  des  étudiants  et  des  marabouts  (78)  —  Xcsr*""^l,  En- 

Nousldia,  la  mi-chàban  (193,  n.  1)  —  ij-;:-^'*  ■>  iiellil,  muezzin  qui 
convoque  les  fidèles  à  la  prière  pendant  la  nuit  (333,  n.  I). 


324  LES   DJEBALA   DU   MAROC 

Un  des  services  les  plus  considérables  qui  auront  été  rendus 
à  la  géographie  marocaine,  c'est  la  fixation,  par  M.  Mouliéras, 
d'une  manière  définitive,  de  l'orthographe  des  noms  de  lieux, 
soit  arabes,  soit  berbères.  Tous  sont  écrits  en  arabe  et  trans- 
crits en  caractères  français.  On  attend  encore  un  semblable 
travail  pour  l'Algérie  ;  s'il  avait  été  fait,  il  eût  évité  aux  carto- 
graphes des  méprises  extraordinaires  et  de  continuelles  incer- 
titudes (').  L'auteur  a  signalé  quelques-unes  des  erreurs  sin- 
gulières où  sont  tombés  des  voyageurs  au  Maroc,  faute  de 
connaître  les  éléments  de  la  langue  arabe  :  l'un  croit  que  la 
vipère  s'appelle  lefa'â,  parce  qu'enroulée  elle  ressemble  à  la 

lettre  /a,  ^ a.  (545)  !  l'autre  affirme  sérieusement  que  la  lettre 

b,  ^  ,  manque  dans  la  langue  des  Rifains(546)  !  (2).  Les  ortho- 
graphes les  plus  grossièrement  fautives  sont  encore  courantes 
de  nos  jours,  comme  cheul,  chellog,  pour  chlouh',  ou  encore 
Bocoyas.  Bekilya,  Belkouya,  pour  Bek'k'ouya,  tribu  dont  il 
fut  beaucoup  question  l'an  dernier  à  Oran  (586,  n.  i)  (3).  i\  est 


(1)  On  ne  saurait  dire  combien  la  cartographie  algérienne  a  souffert  et 
souffre  encore  de  cette  imprécision  dans  la  transcripiion  des  noms  propres 
arabes.  La  belle  carte  au  1/50,0(10'=  de  l'Algérie  est  loin  d'être  exempte  de 
défectuosités  h  cet  égard.  Toutefois  cela  n'est  rien  auprès  de  nos  premières 
cartes  qui  mentionnaient  des  Djebel  Manarf  et  des  Oued  Manarf  !  Si 
l'on  en  croit  le  géîiéral  Parmeutier,  il  existerait  encore,  dans  les  archives 
militaires  de  notre  colonie,  une  circulaire  de  Hugeaud  datée  du  camp  de 
l'Oued  Manarf  (Parmentier,  Vocahidaire  arabe- français  des  princi- 
paux termes  de  tjéographie,  etc.,  1  br.  8",  50  p.  Alger.  1881  ;  p.  2-3).  Sur 
la  carte  générale  de  l'Algérie  au  1/1. 500. 000"  éditée  en  184:5,  on  trouve,  dans 
l'Aurès,  au  nord  de  Sidi  Abid!  un  village  appelé  Ouachhounn  ! 

(2)  H.  Duveyrier,  apud  de  Lam.  et  Lac,  Documents,  \).  396.  n.  1.  dit: 
«  Melila,  telle  est  la  véritable  orthographe,  on  écrit  et  on  prononce  en 
arabe  aujourd'hui  comme  on  écrivait  au  XP  siècle.  Le  site  est  fiévreux 
et  melila  veut  dire  en  arabe  chaleur  fébrile.  »  On  est  stupéfait  en  présence 
de  cette  assertion  de  la  part  d'un  voyageur  qui  a  séjourné  à  Melilla  ;  il 
suffit  en  effet  de  s'adresser  au  pi^emier  marocain  venu  pour  constater 
que  tous  prononcent  Mliliya.  comme  l'a  constaté  Mouliéras.  Maroc 
Inconnu,  I,  p.  151.  Eidenschenk  et  Cohen-Solal,  Mots  usuels  de  la 
langue  arabe,  1  vol.  Oran,  1897,  p. 236,  écrivent  correctement  X^U.^»  Mliliya 
en  arabe,  mais  leur  transcription  est  espagnole.  Le  mot  espagnol  Melilla 
se  rapproche  assez  de  la  véritable  prononciation.  Quant  au  mot  melila, 
c'est  un  mot  d'arabe  littéraire  qui  n'a  rien  à  voir  ici.  Rien  n'est  plus 
dangrereux  que  de  vouloir  chercher  l'origine  des  noms  propres  du  nord  de 
l'Afriiiue  dans  les  lexiques  de  Freyiag  et  de  Kasimirski.  C'est  une  obser- 
vation qu'on  pourra  faire  en  prenant  connaissance  des  Irop  savantes 
étymologies  données  par  Largeau  dans  ses  relations.  A  ce  point  de  vue, 
de  Foncaidd  est  à  peu  prés  irréprochable  ;  il  a  su  faire  un  usase  tellement 
judicieux  de  ses  connaissances  eiinrahe,  que  l'on  n'a  pas  à  lui  reprocher 
de  ces  bévues  si  fréquentes  chez  d'autres.  —  En  ce  qui  concerne  le  ^^.^ 
certaines  tribus  le  prononcent  un  peu  comme  un  v  (Quedenfeldt 
loc.   cit.,  p.  192.  n.  2) 

(3)  Pourquoi  s'obstine-t-on  à  écrire  Riff  avec  deux  /"  (451)?  Queden- 
feldt, loc.  cit.,  p.  109,  n.  3,  avait  déjà  signalé  cette  ridicule  orthographe. 


LES   D.IEBALA    DU    MAROC  325 

vrai  que  mainte  et  mainte  ibis  les  arabes  qui  ignorent  profon- 
dément le  berbère  ont  été  les  premiers  à  estropier  les  noms 
propres  ;  ils  écrivent  Tsoiil  pour  Dsoid  f-illQ),  Clicfchaouen 
pour  Ech  Chaoun  (121),  Acila  (nous  écrivons  Arzille)  pour 
Azila  (603),  KIwlt'  pour  LekliloiW  (o(J6),  etc..  M.  Mouliéras  a 
mis  un  terme  à  cette  confusion.  Il  a  fait  plus  encore,  il  a  tenté 
de  nous  donner  l'étymologie  ou  tout  au  moins  la  signification 
courante  de  tous  les  noms  de  lieux  et  sa  nomenclature  du 
Maroc  est  destinée  à  faire  loi  parmi  les  géographes.  On 
est  tout  surpris  de  retrouver  au  Maroc  des  villages  portant  le 
nom  de  Tlemcen  (i>  (486)  ou  de  Ouahran,  c'est-à-dire  Oran  <~). 

* 

»  * 

Désireux  d'approfondir  en  détail  la  vie  matérielle  des 
populations  djebaliennes,  l'érudit  professeur  de  la  Chaire 
d'Oran  nous  donne  de  nombreux  détails  sur  leur  alimentation. 
A  l'instar  de  M.  Delphin  '•'',  il  n'a  pas  dédaigné  de  nous  exposer 
même  des  recettes  de  cuisine  (385,  n.  1).  Dans  mainte  tribu 
des  Djebala,  la  nourriture  des  habitants  est  fort  grosssière  : 
de  pauvres  peuplades  comme  les  Ktama  ou  les  Oulad  Bekkar 
ne  dédaignent  point  les  escargots  et  les  champignons,  qu'on 
mange  bouillis  dans  l'eau  (105j  ;  ils  donnent  la  chasse  aux 
gerboises  et  aux  sauterelles,  qu'ils  mangent  grillées  (361).  La 


(1)  Le  village  de  Tlemsoun,  clans  les  Béni  Messara.  «  Tlemcen,  dans 
le  dialecte  des  Braher  du  Maroc,  signifie  anlique.  Ex  ;  Tlemcen  elbeni 
ines  d'atlemsan.  Tlemcen  est  une  ville  antique.  C'est  pour  cette  raison 
sans  doute  que  les  Arab3s  appellent  Tlemcen  el  djidar,  mot  qui  signifie 
antique  en  Aralje  vulgaire.  »  (Mouliéras.  Les  Beni-Isguen.  étude  sur 
leur  dialecte,  1  broch,  8°.  78  p.,  Oran,  1895;  p.  41).  Agadir  Ao'ii  être  l'équi- 
valent de  djidar,  en  sorte  que  le.s  trois  noms  de  Tlemcen  semblent  avoir  la 
même  origine.  Les  indigènes  appellent  aussi  el  Djidar  d'autres  villes 
comme  Oudjda  et  Tak'demt  ;  le  nom  de  cette  dernière,  arabe  sous  sa  forme 
berbère,  signifie  aussi  «  ancien  ».  Cf.  les  célèbres  tombeaux  appelés  Djedar 
aux  environs  de  Frenda.  Djidar  au  reste,  comme  Tlemcen,  en  berbère, 
se  dit  de  tout  édifice  anticjue.  En  arabe  littéral  c/Jù/ar  signifie  «  muraille  ». 
11  y  a  un  Ouad  Tlem'cin  qui  de.scend  des  pentes  de  l'Aurès  oriental  vers 
le  Sad.  Agadir  signifie  surtout  «  forteresse  ».  Cf.  Agadir  sur  la  côte  occi- 
dentale du  Maroc. 

(2)  Maroc  Inconnu,  I,  80.  Cf.  Beni-Isguen,  p.  4ii.  Les  aventureuses 
conjectures  de  Rinn,  Origines  berbères,  in  Rev.  Afr.,  XXXIP  ann., 
n*  188,  p.  97,  ne  sont  guère  vraisemblal)les. 

(?>)  Voir  la  préface  des  excellents  Textes  pour  l'Etude  de  l'Arabe 
■parlé,  1  vol.  18",  VI  -  :^61  p.,  Paris-Alger,  1891,  du  distingué  directeur  de 
la  Médersa  supérieure  d'Alger,  p.  III. 


326  LES   DJEBALA   DU  MAROC 

consommation  de  la  viande  de  chacal  est  aussi  fort  à  la  mode 
(795,  n.  1)  et  beaucoup  de  montagnards  ne  se  font  pas  faute  de 
manger  du  sanglier  O.  Par  contre,  dans  d'autres  tribus,  le  gi- 
bier est  tellement  délaissé  qu'il  pullule  et  que  les  lièvres  el  les 
perdrix  causent  aux  vergers  de  grands  dégâts  (3l5j.  On  ne  sera 
pas  peu  surpris  d'apprendre  que  le  dindon  se  trouve  dans  la 
basse-cour  de  certains  villages  de  Meçmouda  (487)  :  ceux  qu'a 
vus  l'informateur  de  M.  Mouliéras  avaient-ils  été  dérobés  à  des 
européens  de  la  côte  ?  Il  ne  le  sait,  mais  il  est  douteux  qu'ils 
fussent  régulièrement  élevés.  Parmi  les  animaux  domestiques, 
il  faut  citer  le  furet,  très  répandu  chez  certains  montagnards 
des  Beni-H'assan  et  des  Beni-Léït  (757)  qui  le  dressent  à  la 
chasse.  Les  chiens,  comme  partout  en  pays  indigène,  sont  très 
méchants  et  occasionnent  aux  voyageurs  de  cruelles  mésaven- 
tures (301  )(2).  L'auteur  ne  nous  apprend  nulle  part  que  l'on  con- 
somme leur  chair  (3),  non  plus  que  celle  des  chats  ('').  Ces  der- 
niers sont  élevés  en  grande  quantité  par  les  Héddaoua  (184), 
confrérie  de  marabouts  mendiants,  fumeurs  de  kif,  qui  vivent 
avec  l'animal  cher  à  Baudelaire  dans  une  promiscuité  com- 
plète (5). 

Les  Djebala  aiment  beaucoup  les  liqueurs  alcooliques  et  les 
scènes  d'ivrognerie  sont  fréquentes  chez  ces  musulmans  (754). 
Non  seulement  les  étudiants  de  certaines  tribus  boivent,  à  la 
barbe  des  marabouts,  dans  leurs  orgies  nocturnes,  le  vin  acheté 
aux  chrétiens  et  aux  juifs  de  Tanger  (608),  mais  il  y  a  plus  :  un 


(1)  Maroc  Inconnu,  ],  57.  Ce  fait  n'a  rù'ii  d'étonnant  :  le  sanglier  est 
presque  la  seule  viande  qu'aient  à  leur  disposition  les  populations  pauvres 
qui  habitent  en  pleine  forêt.  C'est  ainsi  que,  dans  les  mêmes  conditions, 
certaines  tribus  algériennes  mangent  encore  le  sanglier  (Voy.  mon  Ex- 
cursion au  Cap  Bougarone,  in  Bull.  Soc.  Géog.  Oran.  XX'  ann.,  tome 
XVIT,  fasc.  LXXIll.  avril-juin  1897,  p.  i2.il).  (J'est  ainsi  encore  qu'au 
moyen-àge,  alors  que  les  forêts  de  chênes  couvraient  la  plus  grande  par- 
tie de  notre  pays,  la  viande  la  plus  usuelle  était  la  viande  de  porc  (La- 
vissE  ET  RamÎîaud.  Hist.  Gén.,  t.  11,  p.  4,  n.  1).  Nous  reviendrons  du 
reste  spécialement  sur  ce  sujet  Intéressant.  ^ 

(2)  Cf.  Delphin,  op.  laud.,  p.  322se([.  et  35i  seq. 

(3)  Cf.  Bertholon,  La  Cynophagie  dans  l'Afrique  du  Nord,  in  GR. 
25"=  sess.  AFAS.  Garth.  1896,  1^"=  part.  Doc.  off.  et proc.-verb.,  p. 207-208. 

(4)  Les  Arabes  de  la  Dhahra  (Maroc)  mangent  les  chats  sauvages  (185, 
n.  1). 

(5)  Lfis  fumeurs  de  kif,  les  h' echaïchin  semblent  aimera  vivre  en  fami- 
liarité avec  les  chats.  It  y  a  à  TIemcen  quelques-uns  de  ces  malheureux 
qui  se  promènent  avec  un  chat  sur  leur  épaule. 


LES   D.IEBALA    DU   MAROC  327 

grand  nombre  de  tribus  fabriquent  du  vin  (47(5,  n.)  que  l'on 
conserve  dans  des  jarres  énormes,  si  profondes  qu'un  homme 
s'y  pourrait  noyer  O.  Chez  les  Béni  Ah'med-es-Sourrak',  les 
mosquées  sont  pourvues  de  chais  où  sont  emmagasinés  vins, 
huile  et  çamet  (7Gi).  Ce  çamel  est  une  sorte  de  gelée  de  raisin, 
obtenue  par  la  cuisson  du  moût  (-'  et  qui  ne  contient  pas 
d'alcool  ;  mais  il  y  a  aussi  du  çamet  alcoolique  et  les 
Djebala  en  font  souvent  abus  (475,  n.  1).  Ils  abusent  parfois 
aussi  de  l'eau-de-vie  ou  mah'ya  f^)  que  leur  vendent  les  juifs 
de  Tanger,  de  Tétouan,  d'Ech-Chaoun  (115).  A  côté  des 
boissons  alcooliques,  il  faut  placer  le  thé,  dont  l'usage  est 
excessivement  répandu  ;  c'est  du  reste  u  la  grande  friandise  du 
Maroc»  ('');  la  poésie  arabe  qui  a  cours  là-bas,  reproduite  et 
traduite  par  M.  Mouliéras  (481),  peut  donner  une  idée  de 
l'amour  qu'ont  les  marocains  pour  ce  breuvage  (594)  <•''). 

On  fume  immodérément  le  A-(/"^)chez  les  Djebala  (20)  ;  les 
fumeurs  les  plus  endurcis  réveillent  leurs  sens  blasés  par  des 


(1)  Cf.  DE  Lam.  et  Lac,  Documents,  I,  pp.  325,  428,  438.  L'usage  des 
boissons  fermentées  est  plus  répandu  qu'on  ne  se  le  figure  parfois  dans 
l'Afrique  Mineure;  sans  parler  du  vin  de  palmier  on  lafpni,  bien  connu 
des  Sahariens,  on  peut  rappeler  que  les  indigènes  de  Djerba  cultivent  la 
vigne  et  fabriquent  un  vin  grossier,  que  du  reste  il  ne  savent  pas  conserver 
(Bertholon,  Exiiloration  anthropol.  de  Vile  de  Djerba,  ia  V Anthro- 
pologie, sept.-oct.  1897,  n.  5,  p.  56U). 

Cl)  Voy.,  pour  la  fabrication  du  çamet,  Maroc  Inconnu,  1,  p.  55. 

(3)  Les  juifs  qui  font  une  énorme  consommation  de  mak'ya  la  fabriquent 
eux-mèmes,  «  dans  le  Nord  avec  des  raisins  secs,  dans  la  montagne  avec 
des  figues,  dans  le  Sahara  avec  des  dattes.  Dans  les  villes  la /uo/^ya 
s'achète  par  carafes  au  marché  ;  dans  les  campagnes,  chaque  maison 
distille  tous  les  jeudis  ce  qu'il  lui  faut  pour  la  semaine  »  (de  Foucauld, 
Reconnaissance,  p.  397,  n.  1). 

(4)  DE  Foucauld,  Reconnaissance,  p.  125,  n.  I.  Le  thé  marocain  est 
du  thé  vert  importé  d'Angleterre.  On  le  prend  en  général  très  faible  avec 
beaucoup  de  sucre  et  de  la  menthe. 

(5)  Le  café  est  presque  inconnu  au  Maroc,  sauf  dans  les  grandes  villes 
et  dans  les  ports  de  mer  ^de  Foucauld,  o/>.  laud..  p.  126).  Le  cheikh  El 
Habrl,  des  Béni  Snasscn,  interdit  le  café  aux  Derk'aoua  (|ui  relèvent^  de 
de  son  autorité  et  ne  leur  permet  que  le  thé.  Ue  même  le  thé  est  la 
boisson  favorite  des  indigènes  du  Sahara  central:  ils  le  préfèrent  infini- 
ment au  café  que  beaucoup  d'entre  eux  ne  connaissent  pas  ou  n'aiment 
pas.  Cf.  FouREAu,  Mon  neuvième  voyage  au  Saliara  et  aux  pays 
touareg,  in  Bull.  Soc.  Géog.  Paris,  1'' sôr.,  t  XIX,  2"  trim.  1898, 
p.  250. 

(6)  Cf.  DE  Foucauld  op.  laud.,  p,  3i  ;  le  sultan  a  le  monopole  de  l'in- 
troduction du  /.î/"  dans  les  villes.  Voy.  Delphix,  Textes,  p.  108  et  110, 
sur  le  kif.  Sur  le  tabac  et  le  kif  au  Maroc,  cf.  une  intéressante  note  de 
M.  Fischer  dans  ses  Hieb-  und  Stic/noafjfen  im  Marokko,  p.  10,  n.  l' 
dut,  à  p. 


328  LES  DJEBALA  DU   MAROC 

poignées  de  tabac  à  priser  (^>  dont  ils  bourrent  leurs  narines, 
tout  en  grignotant  des  noix  et  des  raisins  secs  (lOi)).  Les 
Héddaoua  surtout,  cette  société  de  Clopins  Trouillefous,  font 
un  grand  abus  du  kif  (2)  à  l'exemple  de  leur  patron  Sidi  Héddi 
(186,  189).  Certaines  tribus  tirent  d'importants  revenus  de  la 
culture  du  chanvre  à  fumer  (3)  ;  celle  de  Ktama  est  célèbre 
dans  le  Maroc  entier  par  son  kif  ('*)  et  on  y  vient  s'approvision- 
ner de  tous  les  points  du  R'arb  (96).  On  absorbe  aussi,  sous 
forme  d'électuaire,  la  graine  du  h'achich  <"'>  et  l'opium  <*5>. 


L'habit  national  des  Djebala,  si  l'on  peut  s'exprimer  ainsi, 
c'est  la  djellaba  ^'^  sorte  de  long  vêtement,  avec  un  capuchon 
et  de  très  courtes  manches.  11  y  en  a  de  plusieurs  sortes  :  il  y 
a  la  r'orabiya,  toute  noire,  complètement  fermée  ;  la  d'ibiya, 
gris  cendrée  ;  la  faKciya  à  raies  blanches  et  noires  ;  la  chaou- 
niya,  très  courte,  avec  un  long  capuchon  ;  Vouazzaniya,  lon- 
gue, légère,  bordée  de  soie  ;  la  khizzioua,  couleur  carotte,  etc. 
(16-17)  (S).  Plusieurs  tribus  s'adonnent  spécialement  à  la  fabri- 
cation des  djellaba   et  quelques-unes  sont  renommées  pour 


(1)  L'usage  du  tabac  à  priser,  employé  seul  est  très-rare  au  Maroc  ("de 
FouCAULD,  op.  laud.,  p.  35).  Il  est  répandu  chez  bon  nombre  de  tribus 
algériennes,  qui  l'absorbent  par  la  bouche.-  Le  tabac  à  fumer  ne  s'emploie 
guère  au  Maroc  que  mélangé  au  kif.  Les  juifs  seuls  fument  la  cigarette 
(DE  FouCAULD,  loc.  Cit.)  Cependant,  dans  certains  k'çour  du  Sahara 
marocain,  tout  le  monde  fume  le  tabac  (ù/.,  p.  123). 
•  (2)  Dans  une  grande  partie  du  sud  marocain,  le  kif  est  «  l'apanage  des 
chérifs  et  des  marabouts  :  ils  le  fument  en  l'arrosant  de  grands  verres 
d'eau  de  vie  »  (id.,  p.  168). 

(3)  Le  Kif  est  une  variété  du  Cannabis  sativa,  L.,  à  feuilles  et  à  graines 
plus  petites  que  le  tvpe  (Battandier  et  Trabut,  Flore  de  V Alcjérie, 
1  vol.  8",  xr-»25-XXIV  p.,  Alger,  1888-1890  ;  p.  8U9). 

(4)  Cf.  DE  FouCAULD,  Reconnaissance,  35.  n. 

(5)  Cf.  Uelphin,  Textes,  p.  110. 

(0)  Maroc  Inconnu,  L  p.  62.  Pour  tout  ce  qui  concerne  l'alimentation, 
le  thé.  le  tabac,  etc...;  au  Maroc,  voy.  l'important  travail  de  (Jueden- 
FELDT,  loc.  cit.,  1887,  p    241  seq. 

(7)  Cf.  DE  Lam  et  Lac,  Documents,  I,  p.  408,  à  qui  une  coquille  fait 
écrire  djebala.  de  Foucauld.  iîeconnaî'ssance,  p.  11,  p.  23,  écrit  cons- 
tamment (/je?a6za  pour  (:/jeZia/-//!/a.  forme  employée  ça  et  là,  particulière- 
ment dans  les  villes  et  en  dehors  des  pays  où  ce  vêlement  est  habituel.  Mais  le 
terme  de  beaucoup  le  \Aas  vép-dodu  eai  djellaba.  Cf.  Delphin,  Textes, 
p.  49  (proverbe  sur  Sidi  Ah'med  ben  Yousef),  et  Quedenfeldt,  Einth. 
etc.,  p.  119,  n.  1. 

(8)  Cf.  Delphin,  Tecutes,  p.  194,  p.  196. 


LES   DJEBALA   DU   MAROC  329 

cela,  par  exemple  les  Cenhadja-l-el  Oiit'a(4it)).  Le  burnous  est 
fort  rare  ;  généralement  les  djebaliens  ne  le  portent  que  le 
jour  de  leur  mariage  et,  dans  maint  hameau,  il  y  a  un  burnous 
de  noces,  déposé  chez  un  notable  de  l'endroit  et  qui  sert  à  tous 
ceux  qui  se  marient  (495j.  Le  marabout  Bou  Selham  dut  son 
nom,  qui  signihe  Utomme  au  burnous,  à  ce  qu'il  portait  tou- 
jours ce  vêtement,  en  dépit  de  la  coutume  des  Djebala  (553). 


La  temme  djebaUenne  est  souvent  belle  :  les  femmes  de  telle 
tribu,  comme  les  Béni  H'ouzmer,  par  exemple,  sont  renommées 
pour  leur  beauté  (199).  11  est  vrai  que  l'idéal  du  marocain  en 
cette  matière  est  bien  ditîérent  du  nôtre  :  ce  qu'il  estime  le 
plus  chez  la  femme  c'est  l'embonpoint,  en  sorte  que  la  beauté 
est  affaire  de  kilogrammes  et  que  l'esthétique  n'est  plus  qu'ne 
arithmétique.  Les  malheureuses  que  leur  maigreur  déparent 
aux  yeux  de  leurs  contribules  absorbent  Voudhmi,  la  Dlan- 
tJiella  compressa,  (Clauson)  des  botanistes.  On  met  la  racine  de 
cette  plante  dans  des  outres  à  baratter  et  le  beurre  ainsi  tait  a, 
dit  on,  la  propriété  de  faire  engraisser  (476).  En  mainte  tribu, 
les  femmes  sont  très  libres,  vont  et  viennent  sans  voile  ;  dans 
celle  d'EI-Branès,  par  exemple,  elles  peuvent  circuler  à  visage 
découvert  (356)  ;  ailleurs,  comme  chez  les  Mernisa,  on  leur 
réserve  sur  le  marché  un  enclos  où  les  hommes  ne  peuvent 
pénétrer  (365).  Malgré  reffroyable  relâchement  des  nuHurs, 
l'adultère  est  relativement  rare,  car  il  est  réprimé  par  des  pei- 
nes terribles.  Chez  les  Beni-Zeroual,  comme  chez  beaucoup 
d'autres  tribus,  l'Iiomme  coupable  d'adultère  a  les  yeux  crevés 
avec  une  faucille  rougie  à  blanc  (18).  Quant  à  la  femme,  elle 
expire  sous  les  coups  de  bâtons  et  les  huées  de  la  populace  (51). 
D'autre  part  le  nombre  des  prostituées  et  des  ignobles  person- 
nages connu's  sous  le  nom  de  ail  est  évidemment  un  dérivatif 
à  la  lubricité  bien  connue  des  Djebala. 

Privilégié  entre  tous,  l'informateur  principal  de  l'auteur, 
MolTammed  ben  Tayyeb  peut  partout,  chez  ses  coreligionnaires, 
approcher  du  beau  sexe  sans  exciter  la  jalousie  de  qui  que  ce 
soit.  San  air  étrange  et  illuminé,  qui  'ait  qu'on  le  prend  pour 
un  bienheureux,  le  rend  particulièrement  vénérable  aux   yeux 

13 


330  LES    D.TEBALA    DU   MAROC 

des  femmes  (207-208).  Nous  les  avons  vues  bien  souvent,  à  Oran 
ou  à  Tlenicen,  arrêter  notre  derviche,  baiser  sa  main  ou  le  pan 
de  son  manteau  et  lui  adresser,  en  pleine  rue,  quelque  requête 
à  laquelle  il  répondait  d'un  ton  divinement  supérieur.  C'est 
ainsi  que  dans  les  Djebala,  il  allait  impunément  se  désaltérer 
à  la  fontaine  du  village,  au  milieu  des  femmes  qui  puisaient  de 
l'eau,  ce  qui  aurait  valu  à  tout  autre  qu'à  lui  une  cruelle  puni- 
lion  de  la  part  de  la  Djemaà  (48).  Même  dans  des  tribus, 
comme  les  Beni-Smih',  où  les  femmes  sont  d'une  sauvagerie 
excessive.  Moh'ammed  était  toujours  le  bienvenu  au  milieu  des 
groupes  de  ces  dames  et  n'excitait  ni  leur  frayeur,  ni  la  jalousie 
des  hommes  (297-298). 

La  femme,  pas  plus  chez  les  Djebala  que  dans  le  restant  du 
Nord  de  l'Afrique,  n'est  cette  esclave  qu'on  a  voulu  nous 
représenter.  L'auteur  a  déjà,  et  avec  raison,  protesté  contre  ce 
préjugé  si  répandu,  qui  veut  que  la  femme  indigène  ne  soit 
entre  les  mains  de  son  mari  qu'un  instrument  de  plaisir  et  de 
travail  '^>.  Il  revient  encore  sur  ce  point  et  il  y  insiste  particu- 
lièrement dans  quelques  pages  fort  intéressantes  (736-740). 
Quant  à  l'ignorance  de  la  femme,  elle  est  loin  d'être  aussi 
générale  qu'on  peut  le  penser.  Le  lecteur  sera  certainement 
surpris  d'apprendre  qu'on  a  vu  à  Fas  une  femme,  El  Aliya 
bent  Si-t'-Tayyeb,  qui  professait  dans  une  mosquée  un  cours 
de  logique  et  qui  expliquait  à  des  étudiants  des  deux  sexes  le 
commentaire  d'El  Azhari  sur  la  Djaroumiya  (741).  Evidemment, 
c'est  là,  et  l'auteur  en  convient,  une  exception  ;  nous  sommes 
loin  de  la  société  des  Rosternides  de  Tiaret  où  il  n'y  avait  pas 
une  servante  qui  ne  connût  les  signes  du  zodiaque  !  (2).  il  y  a 
bien,  ça  et  là,  dans  les  Djebala,  quelques  femmes  qui  savent 
lire  et  écrire,  mais  c'est  encore  assez  rare  et  le  djebalien  répète 
volontiers:  -.-j..'!  ^L*^3  w.*  =L.*»A.'f  ^Ax>  «  instruire  les  femmes, 
c'est  détruire  la  religion  ».  Gela  n'empêche  pas  toutefois  que 


(1)  Maroc  Inconnu.  I.  pp.   133-131. 

(2)  Masquerav,  Chronique  d'Ahou  Zal.aria.  I  vol.  8".  LXXIX-410  p 
Alger,  1870  ;  p.  78. 


LIlS    D.IEBALA    du    MAROC  331 

l'iiilluence  inoralo  de  la  femme  dans  la  société  djebalienne  reste 
très  grande  ('^ 


Malgré  cela,  le  mariage,  comme  dans  toute  l'Afrique 
Mineure,  a  le  caractère  d'une  vente.  La  jeune  lille  n'est  point 
consultée  (494),  et  le  plus  souvent  les  deux  époux  ne  se  sont 
jamais  vus  <-).  Le  cadre  restreint  de  notre  article  ne  nous 
permet  pas  d'entrer  dans  le  détail  des  cérémonies  qui 
accompagnent  le  mariage  chez  les  Djebala  (495-499),  et  qui 
du  reste  ne  diffèrent  pas  sensiblement  de  ce  qui  se  passe 
ailleurs  dans  l'Afrique  du  Nord.  Pour  la  même  raison  nous  ne 
pouvons  nous  étendre  sur  les  rites  et  usages  funéraires  en 
usage  dans  le  Nord  du  Maroc,  et  auxquels  M.  Mouliéras 
a  consacré  de  longs  développements  (4'25-435).  Notons  seule- 
ment que  l'on  garde  relativement  peu  de  réserve  dans  les 
cérémonies  funèbres  (433).  Les  femmes  ne  se  déchirent  point 
les  joues  et  ne  poussent  pas  de  lamentations  comme  cela  se 
pratique  en  Algérie  (427)  (3). 


La  mort,  chez  les  Djebala,  est  méprisée  et  ces  rudes  popula- 
tions sont  en  général  braves.  La  peur  de  l'au-delà  ne  les 
hante  pas.  Bien  au  contraire,  le  marocain  pense  que  l'existence 
terrestre  est  mauvaise,  que  toute  agitation  est  stérile,   que 


(1)  ViLLOT,  Mœurs,  coutumes  et  institutions  des  indigènes  de 
l'AlQérie,  1  vol.  IS",  X-521  p.,  Alger,  1888:  d'ordinaire  si  exact,  nous 
semble  s'éloigner  de  la  vérité  lorsqu'il  dit,  p.  llô,  que  l'indigène  ne 
de(nande  que  rarement  conseils  ou  consolations  a  sa  femme .  —  Hugonnet , 
Soureniy^s  d'un  chef  de  bureau  arabe,  1  vol.  l^",  2sG  p.,  Paris.  1858; 
p.  'J8  seq.,  nous  parait  donner  une  appréciation  beaucoup  plus  juste. 
Voy.  surtout  Mercier,  Condition  de  la  femme  musulmane  dans 
l'Afrique  septentrionale,  1  vol..  155  p.,  A'ger,  1895,  passim. 

(2;  Ce  caractère  de  vente  nous  semble  en  fait,  indubitable,  malgré 
l'opinion  de  Mercier,  op.  laïuL,  p.  82  seq.,  qui  examine  surtout  le 
point  de  vue  juridique,  et  de  liuGONNET,  op.  laud...  92.  Voy.  à  ce  sujet 
Haxoteac  et  Letournecx,  La  Kabijlie,  3  vol.,  8\  Paris.  2^  éd..  ISM  ; 
t.  II,  p.  149  seq.  et  Villot,  ojj.   laud.,  p.   81. 

(3)  On  pourra  comparer  la  description  des  cérémonies  du  mariage  et 
de  l'enterrement  chez  les  Djebala  avec  les  descriptions  analogues  publiées 
en  Algérie  ;  l'extrême  aboudance  de  cette  liltti-ratuiv  nous  interdit  de 
donner  ici  même  les  principales  références.  Voir  les  ouvrages  de  Villot. 
Hanoteau  et  Letourneux,  Féraud.  Daumas,  Bonnafont,  Fromentin,  Tru- 
melet,  Largeau,  Masqueray,  etc.,  etc. 


332  LES   DJEBALA    DU   MAROC 

l'homme  est  créé  pour  les  joies  futures.  C'est,  nous  dit 
M.  Mouliéras,  uti  pessimiste  terrestre  et  un  optimiste 
céleste  (62[).  De  l'avenir  terrestre,  il  ne  s'occupe  pas  ;  ici-bas, 
il  vit  dans  le  passé,  méprisant  tout  progrès  et  répétant  :  E^ns 
khelr  min  el  ijninn,  c'est-à-dire  :  «  Hier  valait  mieux  qu'au- 
jourd'hui »  ('). 

Le  trait  dominant  de  leur  religion,  c'est,  comme  dans  tout 
le  Maghrib,  le  culte  des  saints,  le  maraboutisme  :  pas  un 
hameau  qui  n'ait  son  oiiali.  Parmi  cette  foule  de  saints, 
quelques-uns  se  détachent  et  sont  universellement  révérés  : 
tel  est  le  célèbre  Sidi  Abdesselam  ben  Mechich  <-)  en  l'honneur 
de  qui  s'organisent  des  pèlerinages  monstres  (171)  et  à  qui  on 
rend  un  culte  digue  d'un  dieu.  Au  reste  le  nombre  des  familles 
de  marabouts  est  incalculable  chez  les  Djebala  qui,  déjà 
arabisés,  sont  atteints  de  la  manie  de  la  généalogie  chéri- 
fienne  (306).  Les  bourgeois  gentilshommes  sont  nombreux 
chez  eux  et  le  deviennent  de  plus  en  plus  (•^). 

Parmi  les  familles  maraboutiques  les  plus  influentes  des 
Djebala,  il  faut  citer  au  premier  rang  la  maison  d'Ouazzan  (*', 
oii  se  trouve  le  Conseil  supérieur  de  l'ordre  des  Tayyihiijin, 
peu  connus  sous  ce  nom  au  Maro»;,  car  on  les  appelle  généra- 


(1)  On  reconnaît  là  la  thèse  déx'eloppée  par  M.  Lapie  dans  son  inté- 
ressant livre  Les  civilisations  tunisiennes,  1  vol.  12",  304  p.,  Paris,  1898. 

(2)  DE  Lam.  et  Lac,  Documents,  T.  368.  Voir  en  général,  pour  tout 
ce  qui  concerne  les  marabouts  des  Djebala  et  du  iif.  le  très  intéressant 
chapitre  VIII  de  cet  ouvrage,  intitulé  :  Influences  religieuses  et  politi- 
ques du  Nord-Est  du  Maroc,  p.  361-389.  On  ne  manquera  pas  de 
remarquer  la  concordance  qui  existe  entre  les  données  fournies  par  les 
Documents  et  les  renseignements  contenus  dans  le  Maroc  Inconnu  qui 
complètent  plus  d'une  fois  les  premières. 

(3)  Voy.   au  sujet  des  fausses  généalogies  chérifiennes  GuiN,  De  la 

suppression  du  manuscrit  :  ,  j^*?'^-'  -X^*-'  r-  Y'^  ^s—  i  y^ir^j^y  J'j^    ? 
inRev.  Afr.,  XXXI»  ann..  u"  181,  janv.  1887,  p.  72-8U.  Cf.  le  proverbe  : 


«  Ennoblissons-nous  en  prenant  li  titre  de  chérif,  disait  un  jour  un 
jeune  ambitieux  à  son  père.  —  Attends,  lui  répondit  celui-ci,  (jue  soient 
morts  ceux  (jui  nous  connaissent  ».  Cité  par  Fkraud,  Les  Harar,  in  Rev. 
Afr.,  XVIII'  ann..   n"  1U3,  janv.  -  févr.  I87i,  pp   21-22. 

(4)  DE  Lam.  et  Lac  ,  Documents.  I,  pp.  372-386. — Ouazzan  veut  dire 
«  le  peseur  »  en  arabe.  Il  est  bon  toutefois  de  remarquer  que  ce  nom  se 
rencontre  ailleurs  :  il  y  a  un  Ouaz:en  da-ns  le  Ujeb  1  \efousa.  Cf. 
DE  Galassanti-Motylinski,  op.  laud.,  p.  1U8. 


LES    DJEBALA    DU    MAROC  333 

lement  Touhnmbi'ni,  du  nom  de  Moulaye  Et-Toiihami  ben 
MolTammed  ;  coiUM'iiier  est  considéré  par  la  masse  des  altlliés  et 
des  dignitaires  do  l'onlre  comme  le  plus  illustre  réorganisateur 
de  la  Confrérie  (458).  Ou  sait  que  le  chef  de  cette  confrérie 
est  devenu  le  protégé  de  la  France  et  que,  dans  ces  derniers  temps, 
il  a  joué  un  rôle  important  dans  notre  politique  marocaine. 
Il  serait  injuste  de  méconnaître  les  services  que  la  maison 
d'Ouazzan  nous  a  rendus,  non  seulement  au  Maroc,  mais 
encore  en  Algérie.  Peut-être  ces  services  nous  ont-ils  inspiré 
une  confiance  un  peu  exagéi'ée  dans  la  puissance  de  l'ordre 
des  Vaijyihiiiin.  En  tous  cas,  il  est  certain  (|ue  les  articles  de 
la  presse  métropolitaine  sur  le  chérif  d'Ouazzan  ont  le  plus 
souvent  manqué  de  mesure  et  qu'ils  ont  contribué  à  répandre 
dans  l'opinion  publique  des  idées  fausses  sur  le  degré  d'in- 
fluence de  l'ordre  de  Moulaye  Tayyeb.  On  en  est  venu  à 
considérer  les  grands  maîtres  de  cette  confrérie  commet  ayant 
une  influence  prépondérante  dnns  tout  le  Maroc  à  l'exclusion 
des  autres  puissances  religieuses.  M.  Mouliéras  s'est  élevé, 
non  sans  vivacité,  contre  de  pareilles  exagérations  qui  pour- 
rai-ent  avoir  leurs  dangers  (458  seq.)  Tout  en  reconnaissant  la 
grande  influence  du  chérif  d'Ouazzan  dans  nombre  de 
régions  du  Maroc,  il  a  fait  observer  qu'en  mainte  autre  contrée 
elle  était  absolument  nulle<  >;  que  la  ville  d'Ouazzan,  située" 
chez  les  Béni  Messara,  gémit  en  réalité  sous  le  joug  de  ces 
derniers,  lesquels  ne  se  font  pas  faute  de  la  piller  de  temps  à 
autre  (469; <'  ;  que  la  noblesse  la  plus  vénérée,  la  plus  popu- 
laire du  Maroc  n'est  pas  celle  des  chérifs  d'Ouazzan,  mais 
celle  des  descendants  directs  des  derniers  princes  Idris- 
sites  (462)  <'^\  Il  faut  donc  l'cvenir  à  une  appréciation  plus 
modérée  et  plus  juste  de  l'influence  ouazzanicnne  dans 
l'étendue  de  l'empire  chérihen,  tout  en  remarquant  que  la 
diplomatie  fram-aise  ne  pouvait  négliger  de  se  ï^ervir  de  cette 
i[itluence,  car  les  puissances  rivales  n'auraient  pas  manqué 
alors  de  l'exploiter  cnnire  nous('>. 


(\)  (Jf.  DE  FouCAULD,  Reconnaissance,  p.  l63-l(Ji. 
("2)   Vov.   sur    ces   pillag-îs    de  Lam.    et  Lac,   Documents.  I,  p.  375. 
438.  i(J8.  ' 
(3)  '  f.  id.,  p.  361-367. 
(i)  Bull.  Comité  Afr.  franc.,  1898.  p.  121. 


334  LES   DJEBALA   DU  MAROC 


A  côté  des  grandes  sociétés  religieuses  qui  initient  leurs 
adeptes  aux  pures  joies  extatiques,  il  y  a  aussi,  chez  les 
Djebala,  des  confréries  purement  sportives,  dont  le  tir  à  la 
cible  est  le  principal  exercice  (473).  Chez  les  Béni  Messara, 
tous  les  jours,  dans  chaque  village,  de  nombreuses  compagnies 
s'exercent  au  tir  et  à  l'escrime  '^\  Dans  toutes  les  fêtes,  les 
exercices  sportifs  tiennent  le  premier  rang,  tir,  escrime,  jeu 
de  balle  avec  une  balle  d'où  sort  une  longue  aiguille,  etc. .  . . 
(176).  Pas  de  fête  sans  que  la  poudre  ne  résonne;  conune  tous 
nos  indigènes,  les  Djebaliens  sont  des  fanatiques  de  la  fantasia^'^\ 
soit  équestre,  soit  surtout  pédestre:  une  vingtaine  de  combat- 
tants se  jettent  à  plat  ventre,  rampent,  se  cachent  derrière  les 
obstacles,  bref,  imitent  toutes  les  ruses  de  la  guerre  ^■^K  Puis  au 
bout  de  quelque  temps  de  ce  manège  emprunté  aux  adeptes 
de  Sidi  Ah'med  ben  Mousa  (''>,  un  cri  retentit,  aussitôt  suivi 
d'une  décharge  générale  de  fusils  (30). 

Tout,  chez  les  Djebala,  est  prétexte  à  fête  et  s'il  y  a  un  pays 
dont  les  habitants  mènent  joyeuse  vie,  c'est  bien  c?lui  ci  ;  les 
enterrements  eux-mêmes  sont  des  occasions  de  bombances  (■'). 
Mais  les  fêtes  ne  seraient  pas  complètes  sans  les  danses 
lascives  des  courtisanes  et  des  mignons  (20,  52,  104,  453, 
608,  etc.)  (6).  '  ^% 

Car  les  Djebala  ont  le  triste  privilège  d'être  le  peuple  le  plus 
débauché  qu'il  y  ait  au  Maroc.  La  corruption  des  mœurs  y 


(1)  Sur  les  confréries  de  tireurs,  vov.  Bis's ,  Marabouts  et  Kh  ou  an. 
1  vol.  8",  VIII-552  p.,  Alger,  1884  :  p.  121-126.  -  Sur  le  tir  à  la  cible  chez 
les  indigènes,  cf.  Delphin,  Textes,  271-275. 

(2)  «  L"afïaire  importante  ici  nVst  point  le  trafic,  c'est  le  Jeri  des  che- 
vaux ;  tout  cavalier  des  Ait  Ben  Zid  est  tenu  de  venir  chaque  dimanche 
(jour  de  marché)  y  prendre  part  ;  une  amende  de  dix  francs  punit  les 
manquants  »  (de  Foucauld,  Reconnaissance,  p.  71.) 

(3)  Sur  la  fantasia  comparée  chez  les  lafains  et  les  Djebaliens,  cf. 
QuEDENFELDT,  FAnth  . ,  etc..,  pp.  119-120  Cf.  les  combats  singuliers  des 
Touareg  décrits  par  Foureau,  Mon  neuvième  voyage  au  Sahara  et  aux 
pays  touareg,  in  Bull.  Soc.  Géog.  Paris,  7"  sér..  t.  xix.  2'=  trim.  18î'8, 
pp.  236-237/ 

(4)  Cf.  DEPONTet  CoppOLANi.  Les  Confréries  religieuses  musulma- 
nes. 1  vol.  576  p.,  Alger,  1897; 'p.  367.,  et  surtout  l'important  travail  de 
QuEDENFEi.nT  qui  écrit  Sidi  H'ammed  (sic)  ou  Mousa  (ioc.  cit  ,  1889, 
p.  572). 

(5)  Maroc  Inconnu,  I,  p.  66. 

(6)  Sur  les  danses  des  hommes  et  des  jeunes  éphéhes,  cf.  Delphin. 
Textes,  pp.  246  et  256. 


LES    D.IEBALA    DU    MAROC  335 

atteint  un  degré  inimaginable  <".  Point  de  village  où  ne  pullule 
l'ignoble  giton,  le  âil  répugnant;  les  Djebala  sont  pourris  par 
la  sodomie  ('^>.  Chaque  étudiant  a  son  mignon  et  il  est  même 
difticile  à  celui  qui  est  seul  d'obtenir  la  rctha  dans  une  mosquée, 
car  on  craint  qu'il  ne  veuille  s'emparer  d'un  éphèbe  apparte- 
nant à  l'un  de  ses  condisciples  (65).  Nombre  de  femmes 
mariées  supportent  que  leur  époux  entretiennent  sous  le  toit 
conjugal  une  de  ces  immondes  créatures  (i76,  512)  ;  on  se  fait 
gloire  d'avoir  un  tel  compagnon  et  on  se  promène  avec 
lui  (05)  ^•'>.  A  côté  du  ail,  il  y  a  aussi  la  alla,  prostituée 
achetée  et  possédée  en  coumiun  par  plusieurs  célibataires  f  14) 
Tout  ce  beau  monde  se  réunit  dans  chaque  village  au  be'it-eç- 
çolifa.  sorte  de  maison  commune  où  sont  enfermées  les  armes 
et  les  munitions  du  village  et  qui  est  en  même  temps  le 
théâtre  d'orgies  etfrénées  ^'" .  La  lubricité  des  femmes 
mariées,  dans  certaines  tribus,  égale  celle  des  hommes  (180) 
6t  il  faut  la  crainte  des  épouvantables  châtiments  qui  attendent 
l'adultère  pour  les  contenir  dans  le  devoir  que  leurs  maris 
observent  si  peu. 

Aïl  et  àïla  sont  mis  en  vente  C'^  sur  les  marchés,  absolument 
comme  une  marchandise  (6i)  :   leur  prix   ne  dépasse  guère 

(1)  Et  pourtant  de  Foucauld,  Reconnaissance,  p.  136.  résumant  ses 
impressions  sur  l'ensemble  des  marocains  dit  :  «  Les  mœurs  sont 
dissolues.  » 

(2)  L'exemjjle,  du  reste,  vient  de  haut  et  les  ché'-if  d'Ouazzan  eux-mê- 
mes ne  sont  pas  exempts  de  vices  infâmes  : 

Et  quia  non  metuunt  animœ  discrimen 
Principes  in  hahitum  verterunt  hoc  crimen  ; 
Virum  viio  tnrpiter  jungit  novus  hymen. 
Exagitata  procid  non  intrat  femina  limeo. 

(WrtGht,  Anecdotica  literaria,  apud  ut"  Méril,  Poésies  pop.  lat. 
(lu  Moyen-Age.  vol-  8°,  ^5i  p.  Paris,  1817  ;  p.  1U2.  n.  4.  où  l'on 
trouvera  i1'inléres'-;antes  indications  bibliog'aphiques  sur  les  vices  hon- 
teux du  Moyen-Age).  En  ce  qui  concerne  (Juazzan.  Cf.  in  Bull.  Coin. 
A  fr.  f7^anr.,  loc.cii.,  l'allnsion  de  la  ligne  20.  d'en  bas.  col.  '2,  p.  121. 
On  trouvera  une  source  de  comparaisons  intéressantes  avec  les  mœurs 
djeba'iennes  dans  le  récent  article  de  Matignon,  Deiuv  mots  sur  la 
péci .  en  Chine,  in  Rer.  d'Anthr.  <)'im.  t.  XIV,  14-ann.,  ii°  79,  15  janv. 
1899,  pp.  38-.5;i. 

(■\)  ÇA.  Haedo.  Topoiiraplne  et  Hist.  gén.  d'Alger,  trad.  Berbrugger 
et  Monereau,  in  Rev  Afr.,  XV'  ann.,  n°  85.  janv.  1871,  p.  49  et  n"  88. 
jnil.  1871,  pp.  3l2-.]|.'i.  en  tenant  compte  toutefois  des  exagérations  de 
Haedo. 

(i)  Au  coiu's  d'une  diatriiie  fielleuse  ((ueson  ton  nep''rm  4  pasdediscuter 
dans  nnt  revue  sérieuse,  .M.  Delbrel.  (|ui  n  pénétré  cliez  les  Fechtala, 
convient  cep 'udanl  ((ue  tout  ci!  ({ue  M.  Mouliéra.s  a  dit  de»^  uKHurs 
ahomiuab'es  des  djebalieus  est  exact  {Dcpi'che  Algérienne  Ai\  20  juin  18)9.; 
X'oir  dans  la  Dépêche  Algérienne  du  28  juin  1899  une  réponse  à 
l'article  de  M.  Delbrel. 

(5)  Cf.  DE  Lam.  et  Lac,  DQc.um.ents,  I,  p.  438. 


336  LES   DJEBALA    DU   MAROC 

150  francs,  quoiqu'il  y  en  ait  parfois  qui  atteignent  300  francs, 
sans  doute  à  cause  de  leurs  talents  inavouables  (511).  Comment 
se  recrute  ce  bétail  humain?  La  plupart  des  jeunes  gens 
exposés  ainsi  étaient  originairement  des  prisonniers  de  guerre; 
beaucoup  aussi  proviennent  de  vols,  car,  de  tribu  à  tribu,  de 
continuels  enlèvements  ont  lieu  (i).  Malheur  au  jeune  homme 
qui  s'écarte  trop  des  lieux  habités  :  il  court  le  risque  de 
tomber  entre  les  mains  de  ces  maraudeurs  d'une  nouvelle 
espèce  (39,  51,  76j  (2). 

A  côté  de  la  lubricité  djebalienne,  les  mœurs  du  Rif  et  des 
Braber  font  contraste  par  leur  pureté.  Il  semble  qu'au  Maroc, 
les  populations  restées  berbères  soient  d'une  moralité 
supérieure  aux  berbères  arabisés  (374).  Les  Dsoul,  par 
exemple,  mal  arabisés  et  voisins  des  Braber,  sont  exempts  des 
vices  infâmes  de  leurs  compatriotes  djebaliens  (435)  et,  d'une 
façon  générale,  les  Riafa  n'ont  pas  assez  de  mépris  pour  les 
inavouables  mœurs  de  leurs  voisins  (•^).  La  lubricité  de  ceux-ci 
s'accommode  très  bien,  chose  curieuse,  avec  leur  fanatisme  et 
c'est  précisément  dans  les  bourgs  où  il  y  a  le  plus  de  mosquées 
et  de  clercs  étudiant  le  livre  sacré  que  les  mœurs  soi)t  le  plus 
relâchées  (403). 

Des  gens  qui  vivent  ainsi  au  milieu  des  pires  excès  doivent 
nécessairement  s'user  vite  :  aussi  l'impuissance  est-elle  fré- 


(1)  Ces  mœurs  incroyables  sont  également  rapportés  par  de  Lam.  et 
Lac.  Documents,  I,  pp.  408,  438,  441  :  les  Keni  Messara  viennent  enlever 
des  jeunes  garçons  dans  l'intérieur  même  d'Ouazzan ils  n'épar- 
gnent pas  plus  les  filles  des  chérif  que  les  autres. 

(2)  Les  Djebaliens  qu'on  interroge  au  sujet  de  toutes  ces  liontes  sont 
généralement  embarrassés  et  n'avouent  pas  aisément  les  turpitudes  de 
leur  piys.  Mais  les  habitants  du  Rif  qui  les  connaissent  ne  tarissent  pas 
à  ce  sujet  ;  nous  venons  d'en  faire  encore  l'expérience  quelques  instants 
avant  d'écrire  ces  lignes. 

(3)  11  serait  peut-être  dangereux  de  généraliser  outre  mesure  et  de 
conclure  que,  d'une  façon  absolue,  les  Berbères  de  l'Afrique  Mineure  n'ont 
été  corrompus  que  par  les  Arabes.  Bien  que  les  mœurs  de  la  grande 
Kabylie  soient  en  général  pures,  il  s'est  cependant  conservé  çà  et  là 
(Guitser)  (îes  usages  bien  immoraux.  Cela  est  encore  plus  accentué  dans 
1  Aurés  et  les  b  rbères  d'Ouargla  sont,  parait-il,  extrêmement  dissolus. 
Signalons  cepimdant  ici  que  M.  Camille  Sabatier  a  soutenu  au  Congrès 
de  (iéographie  d'.Mger  de  cette  année  une  thèse  analogue  à  celle  de  M. 
Mouliéras  :  s'appuynut  sur  des  données  statistiques,  il  a  clierché  à 
démontrer  que  la  criminalité  en  Algérie  était  toujours  plus  élevée  dans 
les  douars-communes  arabes  ou  arabisés  que  dans  les  douars-communes 
berbères. 


LES   DJEBALA    DU    MAROC  337 

qiiente  chez  les  Djehaliens  et  elle  est  leur  grande  terreur  (52). 
Plutôt  que  de  l'attribuer,  en  efïet,  à  leurs  monstrueux  abus, 
ils  sont  convaincus  qu'elle  est  généralement  l'etlet  d'un 
sortillège  (52).  Le  tlnk'af  <'',  ou  art  de  nouer  l'aiguillette  est 
tlorissant  chez  les  Djebala  et  on  trouvera  dans  le  Maroc  Inconnu 
les  moyens  employés  à  cet  effet  (499  seq).  Aussi,  ce  que  les 
Djebaliens  demandent  le  plus  à  la  médecine,  ce  sont  des 
aphrodisiaques  :  ils  emploient  dans  ce  but  le  pyrèthre 
(Anacijclus  pyrethnim,  Coss.),  qu'ils  appellent  Tijent'ast(en 
arabe  guenfes),  le  turbith  (Ghhularia  Alypum,  L).  qu'ils 
appellent  Taserr'int  et  les  différentes  espèces  d'orobanches, 
dont  l'aspect  bizarre  ne  pouvait  manquer  de  les  frapper  et 
qu'ils  appellent  .1  ra/im  (en  Algérie,  rdim).  La  thérapeutique 
se  borne  chez  eux  à  l'emploi  de  quelques  simples  (105-106, 
476  seq.)  Les  Heouara-t-el-H'adjar  ont  une  singulière  coutume: 
le  premier  jour  du  printemps  presque  tout  le  monde  absorbe, 
mélangé  au  couscouss,  du  dévias  ou  tltapsia  cuit  :  ils  pensent 
que  cela  les  met,  pour  un  an,  à  l'abri  des  maladies,  même  de 
l'hydrophobie  !  (418).  La  rage  se  traite  ainsi  :  on  enlève  une 
poignée  de  poils  à  l'animal  après  l'avoir  assommé,  on  la  réduit  en 
cendres  et  on  applique  celles-ci  sur  la  plaie  ^2'.  La  victime  doit 
ensuite  se  bourrer  d'ail  cru  pendant  huit  jours.  Si  la  thérapeuti- 
que est  rudimentaire,  la  chirurgie  l'est  encore  plus:  quelques 
t'olba opèrent,  paniitrait-il,  Ic^  goitreux,  nombreux  dans  certai- 
nes tribus  où  on  les  nomme  rçli  ah-i i-h' alW oum  (799,  n.  1),  mais 
nulle  part  on  ne  pratique  la  trépanation,  très  connue  des 
habitants  de  l'Aurès  (336,  n.  1)  (3). 


(1)  A  Alger,  on  dit  encore  rehat'  :  merbout'.  qui  a  Taliruillette  nouée. 

(2)  Cette  manière  de  traiter  la  rage  parait  répandue  sur  toute  la  surface 
de  l'Afrique  du  Nord,  avec  différentes  variantes-  Cf.  Largeau,  Le  Sahara 
Algérien,  l  vol.  16%  347  p..  Paris.  1881  ;  p.  80.  De  même  on  guérit  la 
piqûre  du  scorpion  en  écrasant  la  bête  sur  la  plaie  (LARGEAr.  op.  laud., 
p.b(J.'J)-  An  reste  c'est  une  croyance  très  répandue  que  les  animaux  mal- 
faisants guérissent  eux-mêmes  le  mal  qu'ils  ont  produit  ou  encore  sont 
rendus  iuoffHnsifs  par  'eur  propre  image  Cf.  une  note  intéressante  à  ce 
sujet  dans  Houdas  et  Basset,  Miss,  scient,  en  Tun  ,  in  Bull,  Corresp. 
Afr..  1884,  p.  46.  n.  2:  et  Carra  de  Vaux,  l'Abrégé  des  merveilles. 
I  "ol.  in  8',  Paris  1897.  pp.  272.  243.  285  :  commenté  d'une  façon  très 
intéressante  par  Maspéro,   in  Journ.  des  Sav.,  févr.  1809,  pp.  82,  83. 

(3)  Cf.  Malbot  ei  Verseau,  Les  Cliaouias  et  la  trépanation  du 
crâne  dans  VAures,  in  L'Anthrop.  '897.  t.  Vlll,  n"  1,  janv.-févr.  et 
suiv.  —  Nous  n'avons  pas  à  notre  disposition,  au  moment  où  nous 
écrivons  ces  lignes  le  travail  de  (,)uedenkeldt.  Kranhheiten.  Voll\s- 
medicin  und  abergl.  Curen  in  Marohko,  in  Ausland,  1891,  4  seq. 


338  LES   DJEBALA    DU   MAROC 

La  panacée  universelle  reste  encore  le  JiHrz,  l'amulette, 
grifïonnée  par  les  lettrés.  Comme  jadis  la  Thessalie  pour  les 
Grecs,  le  Maroc  pour  les  algériens  est  la  patrie  des  sciences 
occultes.  La  vénération  des  masses  pour  tout  ce  qui  est  écrit  ^" 
leur  donne  une  conliance  aveugle  dans  les  petits  carrés  de 
papier  contenant  des  formules  magiques  dont  la  vente  est  le 
principal  moyen  d'existence  d'innombrables  t'olba  (477)(2). 


La  seule  institution  gouvernementale  qui  existe  chez  les 
Djebala,  c'est  la  djonaâ  <■')  ;  sans  elle  le  pays  serait  en  proie  à 
l'anarchie  la  plus  complète  et  les  habilarits  se  décimeraient 
les  uns  les  autres.  C'est  une  antique  institution,  mais  chez  les 
Djebala  arabisés  elle  a  perdu  sa  form,'  ber-bère  primitive  et  son 
ancienne  organisation  ('').  Toutefois  elle  reste  encore  le  seul 
pouvoir  qui  soit  capable  de  maintenir  un  peu  d'ordre  dans  la 
société  djebalienne  (503).  Ses  attributions  sont  extrêmement 
étendues  :  elle  décide  également  sur  les  affaires  d'ordre 
gouvernemental,  administratif  ou  judiciaire;  elle  connaît  du 
civil  et  du  criminel  ;  bretelle  exerce  une  véritable  omnipotence 
("504).  Bien  qu'elle  se  conforme  naturellement  à  la  coutume, 
cependant  il  ne  paraît  pas  qu'il  existe  des  A-'anown  écrits  <'^). 
En  ce  qui  concerne  la  sécurité,  la  djemaà  est  la  seule  garantie 


(1)  Quand  Largcau,  à  Ouargla,  faisait  aux  malades  dss  applications  de 
sinapismes  Rigollot,  ils  étaient  j^ersuadés  que  ce  i[ui  agissait  c'é- 
taient les  caractères  tracés  sur  le  dos  du  sinapisme  (avis  sur  la  mauièrii 
de  s'en  servir)  et  ils  s'écriaient  :  «  Qiii^i  grand  médecin  !  il  écrit  des 
livres  qui  brûlent  comme  du  feu  !  »  C  LarGeau,  Le  pays  de  Rir/ia, 
1  vol.  16°,  413  p,  Paris,  16 79  ;  p.  «5. 

(2)  Cf.  Maroc  Inconnu,  I,  p.  53,9-2. 

(3)  Nous  aurions  pu  nous  étendre  davantage  sur  ce  très  intéressant 
chapitre  des  djemaà,  mais  nous  avons  à  ce  sujet  en  manuscrit  un  travail 
spécial  que  nous  espérons  mettre  plus  lard  au  jour  Les  deux  livres 
fondamentaux  à  consulter  à  ce  sujet  sont  celui  di  Hanoteau  et  Le- 
TOURNEiJX  (op.  laud.)  et  ]V1a.squeuay,  Formation  des  cités  chez  les 
populations  sédentaires  de  l'Algérie.  1  vol.  XLVIII-326  p.,  8°, 
Paris,  1880  (Thèse). 

(i)  Il  en  est  cependant  resté  quelques  traces.  Ci  Lam.  et  Lac. 
Documents,  I,  p.  428. 

(5)  Ils  sont  fort  rares  au  Maroc.  Cf.  Fovcavld,  Reconv ai^sance,  1,  90. 
Au  moment  ou  nous  corrigeon-!  ces  épreuves.  M.  Mouliéras  nous  fait 
savoir  qu'il  existe  des  1,'anoun  manuscrits  dans  les  grands  villages  de 
Lékhmas.  Beni-Zéroual  et  (lenhadja. 


LES    DJEBALA   DU   MAROC  339 

des  habitants;  à  cetégard,  ses  membres  auraient  plutôt  souvent 
une  tendance  à  étendre  sa  compétence,  alin  de  se  partager, 
iiubuiient  (railleurs,  les  amendes  qu'ils  infligent  (391).  Mais 
ils  sont  retenus  d'autre  part  par  la  nécessite  d'éviter  toutes  les 
occasions  d'aiïaiblir  leur  autorité  en  se  heurtant  à  1  opposition 
de  gens  puissants  (283.)  La  djemaà,  pour  cette  raison,  s'immisce 
le  moins  possible  dans  les  querelles  personnelles  :  en  ce  qui 
concerne  les  meurtres  en  particulier,  elle  laisse  aux  familles  le 
soin  de  venger  elles-mêmes  les  victimes  par  l'exercice  du 
droit  de  talion  ">  (504).  Ne  font  partie  de  la  djemaà  que  les 
hommes  d'âge  mùr,  mariés,  considérés,  fds  d'un  ancien 
membre  du  conseil  et  ayant  des  parents  dans  le  village  (-).  La 
djemaà  siège  en  permence  f505)  ;  il  y  en  a  une  par  village  ou 
par  groupes  de  quelques  villages  (60)  et,  en  outre,  il  y  a  une 
djemaà  générale  de  toute  la  tribu  (506)  qui  dirige  ce  qu'on 
pourrait  appeler  ia  politique  extérieure  et  décide  de  la  paix  ou 
de  la  guerre.  Quant  au  caïd  nommé  par  le  sultan  et  que  la 
plupart  des  tribus  ont  fini  par  accepter,  il  ne  garde  une  ombre 
d'autorité  qu'autant  qu'il  reste  en  bons  termes  avec  la  djemaà 
générale;  sinon  il  est  obligé  de  déguerpir  (506>.  Les  djemaà 
locales  élisent  un  chef  par  fraction  ;  la  durée  de  ses  pouvoirs 
n'est  pas  limitée  ^'^\  et  il  est  révocable  par  ceux  qui  l'ont 
nommé.  Nous  avons  déjà  vu  que  les  munitions  étaient 
déposées  au  béït  eç  coh'fa  de  chaque  village  ;  c'est  qu'il  y  a 
partout  une  sorte  de  milice  bourgeoise,  dont  ne  font  partie  ni 
les  étudiants,  ni  les  hommes  mariés.  Le  béït  eç  çoh'fa  est  donc 
fréquenté  surtout  par  des  ignorants  et  des  célibataires,  et  cela 
nous  explique  comment  il  est  devenu  l'abominable  lieu  que 
nous  savons  2':2-23).  Ainsi,  il  y  a  un  commencement  d'organi- 
sation mililaire  et,  en  cas  de  guerre,  une  petite  armée  peut  être 


(1)  C'est  la  rel.'ba  kabyle  ou  t/iamer/ueret.  Cf.  Hanotkau  et  Letour- 
NEUX,  op.  laud.,  t.  in,  p  61.  On  rappelle  èï\C"i\:  outiJa  au  Maroc  (If. 
Moh'ammed  KEN  IUh'al  a  trarem  les  Béni  Snassen.  in  Bull.  Soc. 
Géocj.  Oran.  XIL  ann  ,  t.  IX,  fasc.  XL,  janvier-mars  1889,  p.  il  n.  l. 

(2)  Souvent  (Hek'k'onya,  Rif),  les  nr^mbres  de  la  djemaà  se  distiniruent 
des  simples  particuliers  par  la  djellaba  noire  et  le  roideau  de  corde  en 
poil  de  chameau  (Maroc  Inconnu,  I,  p.  'J'i). 

(3)  Les  R'iatha  n'élis-ent  aucun  espèce  de  cheikh  (de  Fomcauld,  Re- 
connaissance, p.  3i)  de  même  que  les  Ida  ou  BelalCw/.,  p.  155).  Ailleurs 
le  cheikh  est  élu  pour  un  an  {irl.,  p.  '.I?).  Ailleurs  encore,  il  est  hérédi- 
taire {iiL  151). 


340  LES   DJEBALA    DU   MAROC 

promptement  réunie;  la  centralisation  sociale  en  effet  ne 
dépasse  pas  la  tribu,  et  l'étal  d'hostilité  de  ces  agglomérations 
est  pour  ainsi  dire  permanent  dans  les  Djebala  (248). 

Le  sentiment  de  nationalité  est,  pour  le  moment,  encore 
restreint  à  la  tribu  ;  la  plus  grande  solidarité  règne  générale- 
ment entre  contribules,  et  il  n'y  a  point  d'exemple  qu'un 
individu  soit  mort  de  faim  au  milieu  de  ses  concitoyens,  comme 
cela  arrive  quotidiennement  dans  nos  sociétés  civilisées  (318). 
Mais  avec  les  frontières  de  la  tribu  s'arrête  l'esprit  de  confra- 
ternité; le  djebalien  ne  voit  pas  plus  loin  :  les  hommes  qui  sont 
de  l'autre  côté  de  la  rivière  ou  sur  l'autre  versant  de  la  monta- 
gne ne  sontpas  ses  frères  *'*.  Pourtant,  la  division  générale  des 
Djebala  en  Cenhadja  et  en  R'mara  est  déjà  l'indice  d'un  grou- 
pement supérieur  à  la  tribu  '-).  En  outre  les  Marocains  civilisés 
commencent  à  entrevoir  vaguement  1  idée  d'une  patrie  maro- 
caine et  c'est  un  des  côtés  les  plus  intéressants  du  Kitab  el 
iMik'ça,  qu'il  contient  à  cet  égard  de  nombreux  plaidoyers  (26); 
fait  grave,  digne  d'être  médité  par  nous.  C'est  à  vrai  dire  une 
idée  qui  est  encore  loin  de  se  faire  jour  dans  l'esprit  de  la 
n)ultitude,  et  les  Djebala,  en  particulier,  n'en  sont  encore  qu'à 
la  forme  tout  à  fait  provinciale  du  patriotisme.  Te  manque  de 
cohésion,  l'émiettement  des  tribus  et  l'insécurité  sont  cause 
que  l'on  ne  pourrait  voyager  si  l'hospitalité  n'était  générale- 
ment pratiquée.  A  la  vérité,  l'étranger,  dès  qu'il  parait  dans 
une  tribu,  est  considéré  comme  un  ennemi  :  Jwspcs,  Jiostis. 
Mais  dt'  s  qu'on  l'a  accueilli,  on  le  traite  en  hôte  ;'  les  marabouts, 
les  zaouiya  ofïrent  habituellement  le  gîte  et  le  couvert  à  l'étran- 
ger, ce  sont  presque  les  hôtelleries  du  Maroc  (•'>.  Cependant  il 
y  a  des  pays  où  la  méfiance  à  l'égard  de  l'étranger  quel  qu'il 
soit  ne  désarme  pas  ;  les  habitants  d'Ouazzan  (nous  ne  parlons 
pa"?  de  la  zaouia),  sont  [)arliculièrement  inhospitaliers  ('482- 


il)  Voy.  le'^  remarques  fort  inléressanles  et,  en  ce  t[in  concerne  le 
Maghrib.  entièrenripnt  vérifiahles,  de  Gumplowicz,  La  lutte  des  races, 
trad.   tSaye,  1  vol.  8",  Paris,  1893,  p.   193  seq. 

(21  «  En  188-2  l'assemblée  générale  des  Braber  s'est,  dit-on.  réunie;  elle 
était  composée  de  délégués  de  toutes  les  fraclions  (véritables  tribus)  et 
formait  un  total  de  près  de  lUOO  personnes  »  de  Foucauld,  Reconnais- 
sance, p.  362). 

(3)  Cf.  DE  Foucauld,  Reconnaissance,  p.  167). 


LES   DJEBALA   DU   MAROC  341 

i85).  Il  en  est  de  même  de  certaines  peuplades  d'El  R'arb  et 
de  Lékhlout'  qui  ne  se  gênent  pas  pour  répondre  à  celui  fjui 
se  présente  comme  t//)eï/yl/ia/i  (hôte  de  Dieu):  ^và/»  ^«.0'  s-;.::.'| 
I  f;_i.Ljj  c'est-à-dire  :   a  L'alouette  est  plus  petite  que  toi,  e 
cependant  elle  couche  dehors  )>  (552)  ^^\ 


Nous  avons  parlé  d'insécurité.  Que  dire  en  effet  d'un  pays, 
où  l'on  répète  couramment,  comme  un  proverbe:  r  J->  c^^_  ^j»J,1 
j>^  XisT^  c^^'  >  c'est-à-dire  :  a  Celui  qui  n'a  pas  le  fusil  à  la 
main  est  un  homme  mort  (586)»  ?  il  n'y  a  pas  de  contrée 
qui  soit  plus  infestée  par  les  brigands  que  les  Djebala.  Une 
tribu,  célèbre  par  son  banditisme,  semble  en  avoir  reçu  son 
surnom,  puisqu'elle  s'appelle  Béni  Ah' med-es-Sourrak\  c'est- 
à-dire  ((  les  voleurs  fils  d'Ah'med  ».  Il  n'y  a  point  de  plus  incor- 
rigibles pillards  (3)  et  leur  proverbe  favori  est  :  El  hafel  JVelou, 
«  ce  qui  ne  coûte  rien  est  doux  »  (763).  Les  Dsoul  sont  égale- 
ment célèbres  par  leurs  brigandages  ;  ils  ne  respectent  absolu- 
ment personne  r423).  Au  surplus  tous  les  Djebala  excellent 
dans  l'art  de  couper  les  routes  et  de  dévaliser  leur  prochain 
(281-282)  ;  tout  est  pour  eux  de  bonne  prise  <•'*>  et  la  plupart  du 
temps  ils  laissent  leur  victime  absolument  nue  (5*.  Rien  n'est 
plus  fréquent  dans  un  village  que  de  voir  rentrer  dans  le  plus 
simple  appareil  une  personne  qui  était  partie  en  voyage  '147), 
et  il  y  a  tel  ou  tel  trajet  pour  lequel  on  ne  trouverait  aucun 
guide  qui  consentit  à  vous  accompagner  ('•).  L'influence  des 


(1)  L'hospitalité  indigène  tant  vantée,  a  eu  aussi  ses  détracteurs  ;  on  a 
prétendu,  non  sans,  apparence  de  raison  qu'elle  favorisait  la  mendicité  et 
qu'elle  augmentait  le  nombre  des  vagabonds.  Cf.  Herbrugger,  De  llms- 
pitalité  clie;  les  Arahes.  in  Rec.  Afr.,  XI 11'=  ann  ,  n°  74.  mars  1S69, 
pp.   145-150. 

(2)  Cf.  QuEDKXFELDT,  Eintà,  etc.,  p.   118-119. 

(3)  Cf.  DE  L.^M.  ET  Lac,  Documents,  I,  432-433.  Sur  le  brigandage 
des  Béni  Messara,  cf.  ici.,  p.  438. 

(4)  Voy.  dans  Delphix,  Textes,  p.  196,  le  procédé  original  employé 
par  les  bandits  marocains  pour  faire  restituer  aux  voyageurs  l'argent  ou 
les  bijoux  qu'ils  auraient  pu  avaler,  afin  de  les  dérober  aux  recherches 
des  voleurs. 

(5)  Cf.  de  Fouc.\.uld,  Reconnaissance,  p.  5. 

(6)  C'est  ainsi  que  de  Forc.\ULD,  loc.  cit  ,  ne  put  trouver  à  Ecli-Chaoun 
un  guide  pour  le  conduire  jusqu'à  Fas  à  travers  les  territoires  de  Lékh- 
mab.  Béni  Zeroual  et  Béni  Ah'med. 


342  LES   DJEBALA   DU   MAROC 

marabouts  eux  mêmes  est  souvent  inefficace,  et,  d'ailleurs,  il 
y  a  tel  santon  fort  vénéré  de  sa  tribu,  qui  est  lui-même  un 
coupeur  de  routes  êmérite,  par  exemple  Sidi-l-Mekki-1  Ouaz- 
zani,  dont  la  zaouia  est  située  chez  les  Fennasa  (378-381). 

Un  autre  motif  d'insécurité,  c'est  l'état  de  guerre  perpétuel 
qui  existe  entre  les  tribus.  Elles  ont  entre  elles  des  haines 
féroces,  et  elles  exercent  réciproquement  sur  ceux  de  leurs 
membres  qu'elles  font  prisonniers,  d'atroces  représailles  (386 
387j.  Lorsqu'une  tribu  est  menacée,  elle  implore  l'alliance  des 
tribus  de  son  çotï";  des  députés  se  rendent  sur  les  marchés  de 
celles-ci  et  égorgent  publiquement  un  taureau  :  c'est  le  âr 
(honte,  déshonneur),  sacrifice  par  lequel  on  avoue  sa  faiblesse 
pour  demander  secours  (311).  Les  batailles,  naturellement,  ne 
sont  pas  dfs  batiilles  rangées  ;  chacun  combat  pour  soi,  s'avan- 
çant,  s'arrêtant,  fuyant  quand  bon  lui  semble.  Toutefois  cha- 
que fraction  de  tribu  a  pour  se  rallier  les  drapeaux  de  ses  mara- 
bouts (')  et  son  orchestre  de  hautbois  et  de  grosses  caisses  (75). 
Toutes  les  attrocités  possibles  sont  commises  contre  les  vaincus, 
les  cadavres  sont  horriblement  mutilés  et  les  contribules  des 
morts  n'osant  venir  enterrer  les  corps,  ceux-ci  pourrissent 
souvent  sur  place,  formant  d'immenses  et  nauséabonds  char- 
niers (434).  11  y  a  des  guerres  inexpiables,  dans  lesquelles  les 
vaincus  ne  veulent  pas  se  soumettre  et  qui  ne  finissent  pas  (372- 
373)  ;  il  y  a,  au  contraire,  d'autres  cas  où  des  fractions,  horri- 
blement foulées  par  leurs  ennemis,  implorent  en  vain  leurs 
frères  impuissants,  comme  ce  village  d'El  Mizab,  que  les  Béni 
Zeroual  oppriment  d'une  façon  atroce  (43). 

Ainsi  le  voyageur  que  les  bandits  n'ont  point  dévaUsé  court 
encore  le  risque  d'être  pris  entre  deux  partis  de  belligérants  ; 
il  y  a  bien  des  signaux  de  neutralité  traditionnels,  comme  par 
exemple  de  faire  tourner  sa  djellaba  au-dessus  de  sa  tête  (2ti0), 
mais  ils  n'offrent  pas  de  bien  sérieuses  garanties.  L'impossibi- 
lité de  voyager  est  telle,  même  pour  de  hauts  personnages, 
que  l'àmel  d'Oudjda,  mandé  par  le  sultan,  préfère  se  rendre  à 


(I)  Coutume  générale  dans  le  Nord  de  l'Afrique,  Cf.  Robin,  Xotes 
historiques  sur  la  grande  KalnjHe,  in  Réf.  Afr.,  X\'"  ann.,  n"  115, 
janv.-févr.  1876,  p.  48. 


LES   DJEBALA   UU    MAROC  343 

Fas  par  Nemours  et  Tanger,  en  prenant  le  paquebot  français 
qui  dessert  ces  deux  ports,  que  de  prendre  la  voie  directe 
par  terre  (422,  n.)  !  C'est  surtout  la  frontière  séparant  deux 
tribus  rivales  qui  est  dangereuse  pour  le  voyageur  qui  possède 
(juelque  bagage  ;  celui-là  ne  peut  voyager  qu'en  payant  des 
zet'VaV ,  cest-à-dire  des  gens  influents  que  l'on  n'ose  attaquer 
parce  que  leur  famille  et  leur  tribu  se  lèveraient  pour  les  ven- 
ger et  qui  vendent  leur  influence  pour  faire  passer  sans 
danger  les  voyageurs  d'un  village  à  un  autre  village  ">.  Arrivé 
à  celui-ci  on  cherche  un  autre  zet'Vtat\  et  ainsi  de  suite  (78). 
Et  que  l'on  n'aille  pas  croire  que  cette  insécurité  n'existe  que 
dans  les  territoires  indépendants,  car  les  régions  soumises  au 
sultan  sont  en  général  encore  plus  dangereuses,  les  agents  du 
gouvernement  ne  protégeant  nullement  les  populations  contre 
les  brigands  et  les  opprimant  autant  que  ceux-ci  peuvent  le 
faire  c'-^  {11,  537). 

Dans  ces  conditions,  il  n'y  a  que  d'innocentes  créatures, 
comme  le  derviche  Moh'ammed  ben  T'ayyeb,  n'ayant  rien  à 
perdre,  prêt  à  se  dépouiller  de  ses  vêtements  à  première 
sommation,  protégé  par  ses  apparences  d'illuminé,  qui  puis- 
sent circuler  sans  grand  danger  au  Maroc.  Et  encore,  que  de 
mésaventures  !  Que  de  fois  il  est  dépouillé  de  ses  pauvres 
habits,  n'échappant  à  la  mort  que  parce  qu'on  craint  de 
frapper  un  medjdCouh  (illuminé,  extatique),  parce  qu'on  sait 
que  sa  vengeance  n'est  pas  à  redouter  et  que  nulle  part,  même 
chez  les  Djebala,  on  ne  tue  un  homme  sans  raison  (47,  146, 
150,  181,  218,  262,  301,  319,  375,  388,  404,  483,  etc.j  <3>. 


Mais,  dira-t-on,  et  le  sultan?  Ne  peut-il  rétablir  l'ordre  ?  Le 
sultan  de  Fas  et  de  Maroc  n'est  pas  le  sultan  du  Maroc,  ou 
plutôt  le  Maroc,  considéré  comme  nation  soumise  à  un  seul 


(1)  Cf.  DE  FouCAULD,  Reconnaissance,  p.  7  n.  1,36,  51. 

(2)  «  le  blad  et  makhzen,  triste  région  où  le  gouvernement 

fait  payer  cher  au  peuple  une  sécurité  qu'il  ne  lui  donne  pas  ;  où,  entre 
les  voleurs  et  le  qtïïd,  riches  et  pauvres  n'ont  point  de  répit  ;  où  l'auto- 
rité ne  protège  personne,  menace  les  biens  de  tous,  etc »  (de 

FouCAULD,  Reconnaissance,  pp.  4LI-4I). 

(3)  Voir  dans  Delphin,    Textes,   32G-327,   le  récit   en    arabe   d'une 
semblable  mésaventure. 


344  LES   DJEBALA   DU    MAROC 

souverain,  est  une  conception  qui  n'a  jamais  existé  que  dans 
l'esprit  des  politiques  européens  ^'>.  Tout  le  monde  sait  en  effet 
que  le  prétendu  empire  des  cliérif  se  divise  en  deux  parties 
fort  inégales  :  le  blad  et  makhzen  et  le  Uad  es  siha  (72),  c'est- 
à-dire  le  pays  soumis  payant  des  impôts  et  fournissant  des 
recrues  et  le  pays  indépendant-'.  Or,  dans  les  Djebala,  le 
blad  el  makhzen  n'occupe  rfu'une  bien  petite  superficie,  eu 
égard  à  l'aire  totale  de  la  région  ;  quelques  tribus  seulement ,  sur- 
tout dans  la  partie  ouest  qui  confine  à  la  mer,  sont  soumises  ;  les 
autres  reconnaissent  nominalement  l'autorité  du  sultan,  mais 
ne  payent  aucun  impôt  (3),  à  moins  que  l'on  ne  décore  de  ce 
nom  le  cadeau  qu'elles  envoient  de  temps  à  autre  au  descen- 
dant de  Fat'ima-t-ez-Zohra  qui  occupe  le  trône  de  Fas  et  de 
Maroc  (319).  Il  y  a  gros  à  parier  que  bien  des  Djebaliens,  ceux 
surtout  qui  habitent  des  tribus  peu  accessibles,  comme  les 
Beni-bou-Ghibeth,  les  Oulad  bou  Slama,  les  Béni  Ah'med, 
savent  à  peine  qu'il  y  a  un  sultan  <^>  au  Maroc  ;  et  ce  sultan,  en 
somme,  si  l'on  considère  l'ensemble  des  populations  marocai- 
nes, est  à  peine  plus  puissant  qu'un  des  grands  caïds  des 
Braber  (IG)  <'').  Même  en  expédition  de  guerre,  il  faut 
qu'il  compte  avec  certaines  tribus  '*''  ;  il  a  alors  recours  à  sa 
politique  ordinaire  qui  consiste  à  exciter  plusieurs  tribus  contre 
celle  qu'il  veut  détruire  en  leur  permettant  de  la  manger  (703); 
encore  ce  procédé  ne  lai  réussit-il  pas  chaque  fois,  et  il  y  a 


(1)  Dans  le  texte  arabe  du  traité  de  Lalla  Mar'nia  (18  mars  1845),  le 
sultan  se  qualifie  simplement  de  «  sultan  de  Fas,  de  Men-akech  et  du 
Sous-el-Ak'(;a  »,  pas  plus.  Cf.  de  Lam.  et  L.\C.,  Documents,  I,  5'i5). 

(2)  Le  dernier  est  quai re  ou  cinq  fois  plus  vaste  que  le  premier  (de  Fou- 
CAULD,  Reconnaissance,  p.  XV).  Sur  l'expression  blad  es  siba.  Cf. 
Delphin,  Textes,  pp.  32U-35I. 

(3)  Les  Béni  Arous  sont  exempts  d'impùls  comme  chorfa.  C'est  une 
tribu  du  reste  très-turbulente,  soumise  nominalement,  mais  très-indé- 
pendante de  fait.  Cf.  de  Lam.  et  Lac,  Documents^  I,  430. 

(4)  Cf.  de  Foucauld,  Reconnaissance,  pp.  52.  158. 

(5)  « Tel  est  le  prestige  du  sultan.    On  le  regarde  comme  un 

chef  de  tribu   éloigné  avec  qui  on   serait   en  assez    mauvais   rapport 
(Zenàga)  »  (de  Foucauld,  Reconnaissance,  p.  114). 

(6)  «  En  1889,  lors  de  la  colonne  du  sultan,  la  tribu  de  Lékhmas  a 
refusé  à  l'armée,  forte  de  lO.UUU  hommes,  le  droit  de  prendre  de  la  paille» 
(cap.  Thomas,  apud  de  Lam.  et  lac,  Docnments.  I,  429)  La  même 
année,  ils  refusèrent  de  laisser  traverser  leur  territoire  à  l'ambassadeur 
d'Italie  qui  allait  porter  des  lettres  de  créance  au  sultan  (de  Lam.  et 
Lac,  id.,  p.  428). 


LES   DJEBALA  DU   MAROC  345 

telle  petite  tribu  qui  a  tenu  le  chérif  en  échec  pendant  plusieurs 
années,  comme  les  Béni  Mezguelda,  par  exemple  (447-448), 
Presque  toujours  il  est  obligé  de  composer,  d'accepter  des 
compromis,  de  se  contenter  d'une  soumission  nominale  qui 
consiste  simplement  à  lui  permettre  de  nommer  dans  la  tribu 
un  cai'd  agréé  par  la  djemaâ  (65,  448),  Une  des  choses  auxquel- 
les il  s'applique  le  plus,  c'est  de  se  concilier,  par  tous  les 
moyens,  les  marabouts  locaux  dont  l'influence  est  si  grande 
sur  les  populations  maghribines  ^'>,  et,  lorsqu'il  est  en  expédi- 
tion, il  ne  manque  aucune  occasion  de  les  visiter  et  de  leur 
faire  des  cadeaux  (-)  (134). 

Ce  qu'est  l'administration  marocaine  dans  les  Djebala,  on  le 
devine  sans  peine  (•^)  ;  c'est  un  malheur  de  plus  pour  le  pays 
(597),  Les  caïds  du  sultan  n'ont  habituellement  aucune 
influence.  Mais  il  a  réussi  à  les  faire  accepter  par  toutes  les 
tribus,  ce  qui  est  d'une  politique  fort  habile  ;  seulement  il  faut 
ajouter  qu'ils  ne  sont  généralement  que  des  caïds  in  partibus, 
n'étant  tolérés  qu'à  la  condition  de  ne  point  s'occuper  d'admi- 
nistration (*)  et  surtout  de  ne  pas  parler  de  payement  régulier 
des  impôts  (506).  A  cette  condition,  on  les  laisse  tranquilles. 
Au  reste  la  suzeraineté  religieuse  du  chérif  est  partout  recon- 
nue (■^>,  et  chaque  vendredi,  dans  toutes  les  mosquées,  on  récite 
la  khofha,  prière  en  l'honneur  du  souverain  (48).  Mais  la 
grande  majorité  des  tribus  s'en  tient  à  ce  platonique  hommage. 


(1)  Ce  fut  une  des  plus  grandes  préoccupations  des  Turcs,  pendant 
leur  longue  domination  de  l'Algérie,  de  rester  en  bons  ternies  avec  les 
marabouts  de  toute  espèce.  Cf.  A.  Uevoulx,  Lettres  adressées  par  des 
marabouts  arabes  au  pacha  d'Alger,  in  Rev.  Afr.,  XV[II=  ann.,  n°  1U5, 
mai-juin  1874,  p.  171, seq.  Quelque  temps  avant  la  prise  d'Alger,  en  1830, 
le  dey  voulant  se  concilier  les  populations,  envoyait  pour  être  sacrifiés, 
des  bœufs  et  des  moutons  à  tous  les  marabouts  des  tribus  des  environs. 
(MiCHiEL,  La  prise  d'Alger  racontée  par  un  captif,  in  Rev.  Afr., 
XX=  ann.,  mars-avril  1876,  n°  116,  p.  113). 

(2)  Cf.  DE  Lam.  et  Lac,  Documents,  I,  369. 

(3)  Cf.  Erckmanx,  Le  Maroc  Moderne,  1  vol.  304  p  ,  Paris,  1885, 
p.  125 seq. 

(4)  Cf.  sur  les  caïds  du  sultan  de  Foucauld,  Reconnaissance,  p.  47  et 
surtout  p.  58  (le  caïd  de  Bou  el  Djad).  —  Cf.  de  Lam.  et  Lac  ,  Docu- 
ments, I.  33]  (Rif)  et  431  (Lékhmas).  Ces  caïds  sont  en  réalité  de  sim- 
ples fonctionnaires  de  parade.  On  pense  l)ien  que  le  caïd  nommé  par  le 
sultan  à  Taodeni,  par  exemple,  à  520  kilom.  de  Tombouctou,  ne  .saurait 
être  autre  chose  qu'un  fonctionnaire  m  partibus  (Duveyrier,  apud 
DE  Lam.  et  Lac,  Documents,  l,  p.  279,  n.  1). 

(5)  Cf.  Duveyrier  in  de  Foccauld,  Reconnaissance,  p.  vu. 

14 


346  tlÇS  DJEBALA    DU   MAROC 


Quel  commerce  peut  exister  dans  un  pareil  pays  ?  —  M.  Mou- 
liéras,  dans  son  deuxième  volume,  a  étudié  d'une  façon  toute 
spéciale  le  commerce  marocain  et  il  a  puisé  ses  matériaux  dans 
les  recueils  officiels  qui  sont  de  nature  à  inspirer  le  plus  de 
confiance  (60,  221,  642).  La  majeure  partie  des  importations  et 
des  exportations  se  font  par  Tanger,  que  Casablanca  tend  sous 
ce  rapport  à  détrôner,  en  devenant  le  port  le  plus  fréquenté 
de  tout  le  Maroc  (644).  Il  ressort  des  documents  cités  par 
M.  Mouliéras  que  la  France  tient  un  bon  rang  commercial  au 
Maroc,  au  regard  des  autres  puissances  ;  toutefois  elle  ne 
progresse  point  comme  elle  le  devrait  et  elle  doit  surtout 
redouter  la  concurrence  de  l'Allemagne.  Les  maisons  alle- 
mandes savent  mieux  se  plier  aux  moindres  caprices  de  la 
clientèle  que  les  nôtres  (229)  ;  elles  font  des  prix  plus  bas 
et  accordent  plus  de  délais  (645)  (^);  elles  vent  davantage  au- 
devant  du  client,  et  il  y  a  telle  place,  comme  El  K'çar  el  Kebir 
(Alcazar)  que  visitent  régulièrement  des  représentants  alle- 
mands et  où  les  représentants  français  ne  viennent  jamais 
(538).  Aussi,  depuis  quelques  années,  le  commerce  allemand 
au  Maroc  a-t-il  pris  un  essor  vraiment  extraordinaire  (550). 

Il  est  vrai  que  la  lutte  commerciale  dans  ce  pays  est 
particulièrement  pénible  :  à  la  différence  des  mœurs  et  des 
langues,  au  manque  de  confortable,  à  la  difficulté  des  voyages 
vient  s'ajouter  encore  la  pénurie  des  communications  postales 
et  télégraphiques,  qui  sont  un  élément  essentiel  de  tout 
commerce  prospère.  Pour  l'extérieur,  les  principaux  ports 
marocains  sont  en  relations  assez  peu  fréquentes,  mais 
régulières,  avec  les  ports  européens.  Il  y  a  de  plus  deux  câbles 
sous-marins,  l'un  espagnol,  l'autre  anglais,  qui  relient  Tanger 
à  l'Europe.  L'absence  d'un  câble  français  d'Oran  à  Tanger  est 
un  de  ces  inconvénients  sur  lesquels  il  est  superflu  d'insister 
(661  662).  En  ce  qui  concerne  l'intérieur,  il  n'y  a  de  courriers 
à  peu  près  réguliers  que  sur  les  principales  villes  :  ils  sont  faits 


([)  Cf.  Moh'ammed  BEN  Rah'al,  A  travers  les  Béni  Snassen,  in  Bull. 
Soc.  Géog.  Oran,  xii°  ana.,  t.  ix,  fasc.  xl,j  anvier-mars  1889,  pp.  46-47. 
—  Les  Espagnols  se  sont  émus  de  celte  concurrence.  Cf.  à  ce  sujet  l'article 
anonyme  inlitulé:  Marruecos  coino  mercado  parala  produccion  y  la 
industria  espanolas,  in  Soc.  Géog.  Madrid  (Rev.  de  Geog.  col.  y  mer.), 
aùo  III,  n"  à,  t.  I,  19,  mayo  1899. 


LES   DJEBALA  DU    MAROC  347 

par  des  indii^fènes  qui  sont  rarement  inquiétés  O.  La  difficulté 
des  communications  est  naturellement  cause  que  sur  certains 
points  les  denrées  produites  dans  le  pays  sont  d'un  bon  marché 
extraordinaire  :  chez  les  Mei;mouda    on  paye  une  poule  5  à 

15  sous,  un  mouton  5  francs,  une  chèvre  2  fr.  50 (487). 

A  la  pénurie  des  communications  de  toute  espèce,  il  faut 
ajouter,  parmi  les  obstacles  que  rencontre  le  commerçant,  la 
complication  du,  système  monétaire  et  les  lluctuations  d'un 
change  très  élevé.  Le  compte  avec  les  monnaies  marocaines 
réelles  et  fictives  est  tellement  pénible  qu'il  y  a  de  quoi 
décourager  les  plus  intrépides  calculateurs.  M.  Mouliéras  a  eu 
la  patience  de  débrouiller  cet  écheveau  et  il  faut  lui  en  savoir 
gré  (694  seq.).  Quant  au  change,  qui  suit  les  fluctuations  du 
change  espagnol  (655),  on  trouvera  peut-être  les  chiffi-es  plus 
éloquents  que  toute  dissertation,  quand  nous  aurons  dit  qu'il 
était,  en  mai  1898,  à  cent  pour  cent  dans  toutes  les  places 
maritimes  du  Maroc  (645,  n.). 


Quels  sont,  indépendamment  de  la  haine  traditionnelle  de 
tout  musulman  pour  le  roumi,  quels  sont  les  sentiments  des 
populations  du  Xord  du  Maroc  à  notre  égard?  En  ce  qui  con- 
cerne les  lettrés,  en  ce  qui  concerne  ceux-là  qui  commencent 
à  avoir  quelque  notion  d'une  patrie  marocaine,  la  réponse  n'est 
pas  douteuse.  Il  suffit  de  parcourir  les  dissertations  haineuses 
d'un  écrivain  contemporain,  Ah'medben  Khaled  en-Naciri  es- 
Slaoui,  et  de  voir  avec  quelle  mauvaise  foi  il  écrit  l'histoire 
Câo,  238,692  n.j,  pour  comprendre  combien  il  redoute  l'interven- 
tion européenne  au  Maroc  et  particulièrement  l'intervention 


(1;  Le  respect  de  l'indigène  pour  tout  ce  qui  est  écrit  est  général  dans 
l'Afrique  du  Nord.  Aussi  des  courriers  postaux  fonctionnent-ils  dans 
maint  et  maint  p'\ys,  où  le  voyageur  isolé  ne  trouverait  aucune  sécurilo. 
Cf.  à  ce  sujet  une  noie  intéressante  in  Tour  du  Monde,  6  août  1808 
(couv).  —  Cependant,  ilans  d^,s  pay-;  commii  les  Djebala,  la  transmission 
des  lettres  reste  loujours  problématique.  Cf.  de  Foucauld,  Reconnais- 
sance, p.  5. 


348  LES   DJEBALA  DU   MAROC 

française  C^K  II  n'en  est  pas  de  même  pourtant  de  tous  les 
Marocains  éclairés,  et  il  y  a,  à  cet  égard,  de  nombreuses 
exceptions  ;  on  ne  lira  pas  sans  surprise  l'entretien  qu'aurait 
eu  à  ce  sujet  Moh'ammed  ben  T'ayyeb  avec  un  caïd  deTétouan, 
un  Slaoui  aussi  celui-là  (210),  De  même  que  ce  personnage 
appelait  de  ses  vœux  notre  domination,  de  même  les  nom- 
breuses familles,  qui,  après  1830,  fuyant  le  contact  de  l'infi- 
dèle, se  sont  réfugiés  au  Maroc,  principalement  chez  les  Dsoul 
et  les  H'ayaïna,  regrettent  aujourd'hui  leur  détermination  ; 
elles  apprécient  tellement  bien  la  différence  qu'il  y  a  entre 
notre  administration  bienveillante  et  régulière  et  l'anarchie 
qu'elle  ont  trouvée  au  Maroc  (2),  que  plusieurs  d'entre  elles  ont 
demandé  et  obtenu  du  Gouvernement  français  la  faveur  d'être 
rapatriées  (436).  Des  marabouts,  d'ailleurs,  ont  prédit  plusieurs 
fois  que  les  chrétiens  s'empareraient  du  pays  ^^  et  cette  éven- 
tualité semble  être  envisagée  avec  assez  de  résignation  f^)  (127, 
162). 

Parmi  les  nations  européennes,  les  Espagnols,  à  cause  de 
leur  morgue  et  de  la  grossièreté  avec  laquelle  ils  traitent  les 
musulmans,  leur  sont  particulièrement  antipathiques  (709). 
Cependant,  malgré  ces  procédés,  ou  plutôt  à  cause  d'eux,  les 


(1)  L'hostilité  du  Kitab  el  Istih'ça  contre  les  Français  est  évidente  ;  on 
ne  peut  s'empêcher  de  remarquer  par  contre  que  les  Anglais  sont  géné- 
ralement épargnés  par  lui.  Peut-être  n'est- il  pas  hors  de  propos  de  faire 
remarquer  ici  que  le  livre  a  été  édité  au  Caire,  en  1895.  Cf.  Taleb,  Un 
historien  musulman,  in  Alg.  nouv.,  1"  ann.,  4^  trim,,  n°  22  (l"  pov.  1896) 
et  n°  23  (8  nov.  1S96).  L'auteur  de  cet  ai'ticle,  qui  est  une  autorité  du 
plus  grand  poids  en  pareille  matière,  va  jusqu'à  penser  que  l'introduction 
de  ce  livre  en  Algérie  n'est  pas  exemi^te  d'inconvénients  pour  nous. 
Cependant  le  Kitab  el  IstiU'ça  est  extrêmement  répandu  chez  nos  indi- 
gènes et  il  nous  a  été  donné  de  constater  que  beaucoup  de  lettrés  musul- 
mans en  faisaient  ici  leur  lecture  fav'orite. 

(2)  Certains  pays  du  Maroc  sont  tellement  opprimés  qu'ils  soupirent 
après  la  conquête  française,  comme  après  une  délivrance:  «Que  de  fois 
ai-je  entendu  les  musulmans  (de  Taza,  qui  sont  opprimés  par  les  Riata) 
s'écrier  :  «  Quand  les  Français  entreront-ils  ?  Quand  nous  déharrasseront- 
ils  enfin  des  Riata?  Quand  vivrons-nous  en  jiaix  comme  les  gens  de 
TIemcen  ?  »  (de  Foucauld,  Reconnaissance ,  p.  32)  —  «  Aussi  combien 
ai-je  vu  de  Marocains,  revenant  d'Algérie,  envier  le  sort  de  leurs  voisins 
d'Algérie  :  il  est  si  doux  de  vivre  en  paix  !  qu'on  ait  peu  ou  qu'on  ait 
beaucoup,  il  est  si  doux  d'en  jouir  sans  inquiétude  !  »  de  Foucauld,  id., 
p.  41). 

(3)  De  pareilles  prédictions  avaient  jadis  été  faites,  suivant  les  indigènes, 
par  de  nombreux  marabouts  algériens  touchant  la  venue  des  Français 
dans  la  Régence  d'Alger. 

(4)  Cf.  Maroc  Inconnu,  I,  p.  &i. 


LES   DJEBALA   DU   MAROC  349 

Espagnols  n'ont  su  mener  à  bien  aucune  grande  œuvre  dans 
le  Maghrib,  Campés  sur  quelques  rochers  du  littoral,  inca- 
pables de  s'étendre,  ne  pouvant  même  pas  parvenir  à  tirer  du 
pays  leur  subsistance,  au  point  d'être  obligés,  à  Alhucemas, 
par  exemple,  lorsque  les  citernes  sont  vides,  de  faire  venir  de 
l'eau  d'Espagne  parce  qu'ils  ne  peuvent  aller  la  prendre  sur  la 
côte  (•>,  ils  n'ont  même  pas  pu  empêcher  les  Rifains  de  conti- 
nuer à  exercer  leurs  pirateries  ;  il  a  fallu  que  ce  fût  le  sultan 
qui,  sous  la  pression  des  représentants  européens,  prît  lui- 
même  l'initiative  d'anéantir  les  Bek'k'ouya,  les  derniers  pirates 
de  la  Méditerranée  (586,  n.)  !  A  la  vérité,  il  en  reste  bien 
encore  cà  et  là  le  long  de  la  côte,  par  exemple  sur  le  littoral 
de  la  grande  tribu  des  R'mara  (255  seq.)  et  cette  honte  pour 
l'aurore  du  XX^  siècle,  ne  cessera  complètement  que  le  jour 
où  une  puissance  européenne  se  décidera  à  faire  ce  que  fit 
notre  pays  en  1830 ('>.  En  attendant  ce  moment,  les  Rifains 
continueront  à  se  croire  invincibles  parce  qu'ils  ne  reconnais- 
sent aucune  domination,  parce  qu'ils  ne  se  doutent  pas  de  ce 
que  c'est  qu'un  régiment  de  zouaves  ou  de  tirailleurs  comman- 
dés à  l'européenne,  parce  que  les  armes  espagnoles  n'ont  point 
su  ou  pu  leur  inspirer  une  crainte  salutaire  (3). 

Leur  excellent  armement  contribue  aussi  à  augmenter  leur 
confiance  :  là  encore  l'Esjiagne  ne  s'est  pas  montrée  digne  du 
rôle  de  sentinelle  avancée  de  la  civilisation,  que  lui  assignait 


(1)  Cf.  DE  Lam.  et  Lac,  Documents,  1,  p.  403  et  Maroc  Inconnu,  I, 
p.  99.  Voir  pour  tout  ce  qui  concerne  les  établissenaents  espagnols  sur 
la  côte  marocaine  :  dans  le  premier  de  ces  ouvragées  l'intéressant  chapitre 
IX,  pp.  392-407;  dans  le  deuxième  les  pages  87-88,  94-101,  148-167,  170, 
qui  complètent  d'une  façon  indispensable  les  renseignements  fom'nis  par 
les  Documents.  Gf.  Quedenfeldt,  Einth.,  etc....  pp.  111-112. 

(2)  Sur  la  piraterie  barbaresque  en  généra',  qui  était  originellement 
une  forme  de  la  guerre  .sainte  on  cijihad,  cf.  de  Grammont, //isiozre 
d'Alger  sous  la  dom.  turque,  1  vol.  in  8°.  Paris,  XVI  -  420  p.,  1887; 
p.  VII  et  passim.  Ils  est  navrant  de  constater  qu'à  notre  époque  et  en 
pleine  Méditerranée,  un  tel  fléau  n'a  pas  encore  disparu.  En  sommes- 
nous  réduits  à  ne  pouvoir  faire  autre  chose  que  de  répéter  aux  marins 
le  conseil  qu'on  leur  donnait  oillciellement  en  18.37  :  «  Dans  l'état  actuel 
de  barbarie  où  est  plongé  le  Rif  on  ne  peut  faire  aux  marins  du  commer- 
ce d'autres  recommandations  que  d'éviter  cette  côte  »  ?  (de  Kerhallet, 
Description  nautique  de  la  côte  Nord  du  Maroc,  1857,  p.  31,  cité  par 
DE  Lam.  et  Lac,  Documents,  I.  310,  n.  1).  — Cf.  Ion  Perdicaris, 
Piracy  in  Moroceo,  in  As.  quart.  Reo.,  Th'^.  ser.,  oct.  1897,  vol.  IV, 
nos,  pp.  325-329. 

(3)  Gf.  Maroc  Inconnu,  I,  141  et  de  Lam.  et  Lac,  Documents,  l, 
p.  355. 


350  LES   DJEBALA  DU   MAROC 

la  possession  de  plusieurs  points  de  la  côte  marocaine.  Elle 
n'a  point  su  reprimer  la  contrebande  des  armes  que  des 
marins  de  ses  nationaux  et  des  marins  anglais  pratiquent 
journellement  sur  une  vaste  échelle.  Il  en  est  résulté  que  le 
Rif  aujourd'hui  à  peu  près  tout  entier  est  armé  de  fusils  à 
répétition,  que  ces  fusils  (généralement  des  fusils  Remington) 
ont  pénétré  chez  une  partie  des  Djebala  (305)  et  qu'ils  se 
répandent  peu  à  peu  dans  l'intérieur  du  Maroc  (^',  préparant 
ainsi  les  plus  grandes  difficultés  à  la  puissance  européenne  qui 
sera  obligéed'intervenirdansles  affaires  de  ce  pays  (2).  Les  tribus 
de  l'intérieur,  peu  accessibles,  ont  jusqu'ici  conservé  le  vieux 
fusil  à  pierre  (442)  tel  qu'on  le  fabrique  à  Tar'zouth  (^\  aux 
confins  du  Rif  et  des  Djebala.  Il  y  en  a  aussi  de  grande  fabri- 
ques chez  plusieurs  tribus  djebaliennes,  notamment  chez  les 
Béni  Mezguelda  (450)  ;  les  (abriques  de  Fas  en  fournissent  égale- 
ment un  grand  nombre  aux  Djebala  (402).  Quant  à  la  poudre 
on  en  fabrique  en  maint  et  maint  endroit  ;  les  Dsoul  sont 
renommés  pour  cela  (422),  et  la  fraction  de  Bou-Knana,  dans 
les  Cenhadja-t-el-Outa  a  remplacé  depuis  longtemps  l'industrie 
des  étuis  à  flèches  (Knana,  carquois)  par  celle  de  la  poudre 
à  fusil  (444).  Parmi  les  armes  blanches,  il  faut  surtout  signaler 
l'espèce  d'épée  nonmaée  sboula  ('■),  qui  atteint  parfois  les 
dimensions  d'un  véritable  rapière  (15). 


(1)  Cf.  DE  Lam.  et  Lac,  Documents,  I,  p.  419  (tribus  de  la  frontière), 
p.  254  (Rif)  p.  40  (pour  les  Djebala);  «  Ils  ont  presque  tons  des  Re- 
minprton  ou  autres  fusils  à  tir  rapide,  qu'ilç  entretiennent  très-bien  el  sont 
abondamment  pourvus  de  cartouches».  (FI  s'agit  surtout  dans  ce  passage 
des  tribus  traversées  par  le  Sultan  en  1889  dans  son  itinéraire  de  Fas  à 
Tétouan).  Cf.  Maroc  Inconnu,  \,  83,  05,  97  et  surtout  '.14-115,  où  l'on 
verra  dans  quelles  conditions  se  fait  ^importation  des  armes  de  guerre 
à  tir  rapide.  Les  Marocains  donnent  le  nom  de  Kolata  à  tous  les  fusils 
ce  chargeant  par  la  culasse.  (Je  mot,  dit  Moh'ammed  ben  Rah'al,  vient 
peut-être  (X'eajnnrjole,  espingolette  (Moh'ammed  ben  Rah'al,  A  travers 
les  Beni-Snassen,  in  Bull  Soc.  GéoQ.  Oran,  XIP  ann.,  t.  IX,  fasc.  XL, 
j an V. -mars  1889,  p.  17,  p.  32). 

(2)  L'Espagne  l'a  bien  éprouvé  dans  sa  dernière  campagne  de  Melilla. 

(3)  Cf.  Maroc  Inconnu,  I,  pp.  50-51. 

(4)  Cf.  Fischer,  Hieb-  und  Sticfnoaffen  und  Messer  im  heutigen 
Marol./w  iu  Mitth.  des  Sem.  f.  Or.  Spr . ,  Jahrg.  II,  AbLh.  II,  Westasiat. 
Stud.,  1899  ;  p.  7  du  t.  à  p.  —  Ce  trés-intéressant  et  très-important  travail 
n'a  été  connu  de  nous  qu'après  la  rédaction  de  cet  article;  on  devra  s'y 
reporter  pour  tout  ce  qui  concerne  les  armes  blanches  au  Maroc  —  Pour 
l'armem-nt  des  différentes  tribus  marocaines,  cf.  de  Fouuauld,  i?econ- 
naissance,  pp.  23-24,  3i,  124,  et  passim  et  Quedenfeldt  Einth.  etc., 
p.  121  et  184. 


LES   DJEBALA   DU   MAROC  351 

Il  ne  faut  pas  se  dissimuler  que  les  armes  perfectionnées 
se  répandent  de  plus  en  plus  au  Maroc  et  que  cet  état  de  clioses 
créera  des  obstacles  sérieux  à  la  puissance  qui  la  première  sera 
obligée,  pour  maintenir  l'ordre,  de  pénétrer  dans  cette  contrée  : 
soubaitons  que  ce  soit  notre  pays  qui  ait  un  jour  cet  honneur. 
Tout  nous  désigne  pour  cela  (i)  :  notre  frontière  commune  avec 
l'empire  des  Chérif,  le  fait  que  nous  gouvernons  déjà  tous  les 
musulmans  de  l'Est  de  l'Afrique  Mineure,  l'expérience  que 
nous  y  avons  chèrement  acquise,  l'hospitalité  que  chaque  jour 
nous  offrons  aux  milliers  de  marocains  qui  viennent  gagner 
leur  pain  ici,  la  nécessité  de  ne  pas  voir  perpétuellement  notre 
frontière  troublée  par  des  désordres  que  l'impuissant  sultan 
n'est  pas  capable  de  réprimer,  la  préférence  marquée  enfin  que 
les  marocains  montrent  pour  la  domination  française  à 
l'exclusion  de  celle  des  autres  peuples  européens.  Là-bas,  au 
Maroc,  notre  diplomatie,  à  la  tête  de  laquelle  se  trouvent  des 
hommes  profondément  versés  dans  la  connaissance  de  l'Islam, 
a  tâche  de  nous  préparer  le  terrain  ;  d'ici  nous  pouvons  aussi 
le  préparer.  A  l'instar  de  ces  poimdits  que  l'Angleterre,  dans 
l'Inde,  emploie  à  explorer  les  pays  peu  connus  qui  avoisinent 
la  péninsule,  que  n'instituons-nous  aussi  à  Alger  un  corps 
d'explorateursj  de  missionnaires  musulmans  qui,  sillonnant 
le  grand  empire  de  l'ouest,  nous  rapporteraient  les  renseigne- 
ments les  plus  précieux,  et  nous  rendraient  les  plus  grands 
services  au  triple  point  de  vue  scientifique,  commercial  et 
politique  (2)9  Us  diraient  là-bas  ce  qu'ils  ont  vu  chez  nous  : 
«  la  sécurité,  l'égalité,  la  justice,  la  liberté  religieuse  illimitée, 
le  clergé  mahométan,  ce  clergé  que  nous  avons  inventé  dans 
notre  royale  et  ignorante  bonté,  rétribué,  vivant  largement  sur 
le  budget  de  l'Etat,  —  les  médersas  réorganisées,  les  zaouiya, 
les  ordres  religieux  musulmans  tolérés,  l'enseignement  secon- 
daire et  supérieur  de  l'arabe  dans  les  Ecoles  françaises,  le 
respect  profond  des  vainqueurs  pour  la  religion  ,  les 
coutumes,  les  lois  des  vaincus  »  (117).  Ce  programme,  si  cela 


Cl)  Cf.  Ion  Perdicaris,  Présent  aspect  of  affairs  in  Morocco,  in 
As.  quart.  Rev.,  th''  ser,  vol.  Vil,  a"  14,  apr.  1899,  p.  339. 

(2)  Cette  idée  a  déjà  été  préconisée  par  notre  savant  maître  M.  Augustin 
Bernard,  professeur  à  l'Ecole  (Supérieure  des  Lettres  d'Alger,  dans  le 
Bull,  de  la  Soc.  de  Géogr.  com.  de  Paris,  t.  xviii,  1896,  5°"=  fasc,  pp. 
348-355  (De  l'emploi  des  indigènes  algériens  et  tunisiens  pour  l'explo- 
ration), et  nous  savons  que  depuis,  il  n'a  cessé  de  songer  aux  moyens 
pratiques  de  la  mettre  en  exécution. 


352  LES   DJEBALA    DU   MAROC 

nous  est  donné,  nous  l'appliquerons  au  Maroc  avec  autant  de 
scrupules  qu'à  l'Algérie  et  à  la  Tunisie  :  c'est  à  nos  diplomates 
de  préparer  l'occasion  avec  leur  haute  compétence  et  leur 
prudente  expérience  de  la  politique.  Ici  notre  humble  voix  doit 
se  taire  :  si  elle  osait  s'élever,  ce  serait  pour  exprim.er  le  vœu 
que  nous  ne  soyons  jamais  leurrés  par  une  prétendue 
rectification  de  frontière,  dont  la  presse  a  souvent  fait  trop 
grand  bruit;  nous  avons  droit,  cela  est  hors  de  doute,  à  la  rive 
droite  de  la  Mélouiya  O,  mais  qu'on  le  sache  bien,  ce 
changement  de  frontière,  qui  ne  nous  attribuerait,  à  part  l'Ilot 
verdoyant  des  Beni-Snassen,  que  des  territoires  infertiles  et 
qui  ne  nous  apporterait  que  de  nouvelles  charges  administra- 
tives, cette  rectification,  disons-nous,  n'appellerait,  dans  ces 
conditions,  pour  qui  que  ce  soit,  aucune  compensation  d'aucune 
sorte.  En  attendant  le  jour  où  se  décideront  toutes  ces  graves 
questions,  les  Français  de  l'Afrique  du  Nord  doivent  regarder 
vers  l'Ouest  et  répéter,  avec  M.  Mouliéras,  ces  vers  allégoriques  : 

«  L'Occident  (c'est-à-dire  le  Maroc)  est  étincelant.  N'est-il 
pas  en  même  temps  et  le  Vd  où  le  Soleil  se  couche  et  la  s,ource 
d'où  jaillit  l'Astre  des  Nuits  à  son  premier  croissant?»  (787). 


Nous  avons  fini.  Aussi  bien  sommes-nous  loin  d'avoir  épuisé 
le  sujet.  Nous  n'avons  pas  dépouillé  la  dixième  partie  de  l'ouvrage 
de  M.  Mouliéras,  nous  n'avons  fait  que  ramasser,  dans  une  mine 
inépuisable,  quelques  minerais  intéressants  que  nous  avons 
placés  sous  les  yeux  de  notre  public.  Encore  ne  nous  sommes- 


Ci)  Voici  comment  le  Slaoui,  qu'on  ne  suspectera  pas,  s'exprime  à  ce 
sujet:  «  Les  frontières  du  Mag'rlb  el  Ak'ça  sont  :  du  côté  du  Coucliant, 
l'Océan  Atlantique,  et,  du  côté  du  Levant,  l'Oued  Mélouiya  et  les  monta- 
gnes de  Taza  ■)>  !  (Istih'ça,  l,  34,  cité  à  la  page  693,  n.  1,  du  Maroc  Incon- 
nu, t.  II).  Cf.  tous  les'  premiers  chapitres  de  de  Lam.  et  Lac,  Docu- 
ments, I. 


LES   DJEBALA   DU   MAROC  353 

nous  placés,  pour  les  raisons  que  nous  avons  indiquées,  qu'à  un 
point  de  vue  restreint  et  avons-nous  écarté  de  notre  analyse  les 
riches  et  inédits  documents  intéressant  la  religion  musulmane  ; 
les  renseignements  concernant  l'instruction  au  Maroc  et  la  vie  des 
étudiants,  sujet  que  nous  traiterons  ailleurs  ;  les  indications 
fournies  par  l'auteur  sur  l'organisation  politique  (djemaà,  etc.)  et 
enfin  les  nombreux  matériaux  historiques,  qu'au  prix  d'un  labeur 
pénible,  l'auteur  a  extraits  de  la  gangue  informe  des  auteurs  musul- 
mans, pourles  offrir  à  ses  lecteurs,  éclaircis  et  ordonnés.  Il  n'a  point 
affecté  de  se  cantonner  dans  les  sciences  pures  et  il  a  étudié  les 
questions  pratiques,  celles  qui  intéressent  le  commerce,  par 
exemple,  avec  autant  de  soin  et  autant  de  scrupules  que  les  autres. 
Par  quelques  comparaisons  avec  les  renseignements  consignés 
dans  les  auteurs  éminents  qui,  en  ces  dernières  années,  ont  étudié 
soit  les  Djebala,  soit  les  autres  régions  marocaines,  nous  avons 
essayé,  dans  le  rayon  trop  court  de  nos  faibles  lumières,  de 
montrer  comment  le  livre  de  M.  Mouliéras  s'accorde  avec  ses 
prédécesseurs  et,  en  se  vérifiant  ainsi  lui-même,  les  complète 
merveilleusement.  Mais  il  y  a  un  autre  moyen  de  vérification  plus 
direct  auquel  nous  convions  très  instamment  toutes  les  personnes 
de  bonne  foi  :  cherchez  un  des  nombreux  Marocains  qui,  à  cette 
époque  de  l'année,  sillonnent  nos  villes  et  nos  campagnes  et,  le 
livre  en  main,  interrogez-le  sur  sa  tribu  d'origine.  Au  bout  de 
quelques  minutes,  quand  vous  aurez  vu,  devant  la  nomenclature 
des  villages,  des  marchés,  des  monts  et  des  rivières  de  sa  patrie, 
la  stupeur  se  peindre  sur  la  face  de  votre  Rifain  ou  Djebalien  ; 
quand  vous  l'aurez  entendu  éclater  de  rire  en  entendant  citer  les 
dictons  de  son  pays  ;  quand  vous  l'aurez  vu,  au  nom  du  marabout 
vénéré  de  son  village,  porter  dévotement  sa  mana  à  son  fi'ont,  puis 
à  ses  lèvres,  '«otre  conviction  sera  faite.  Quant  à  la  verve  du  style, 
au  coloins  et  à  la  vivacité  de  la  narration,  à  l'ordre  qui  règne  dans 
l'ouvrage  ;  quant  à  la  perfection  de  l'exécution  typographique,  qui 
fait  le  plus  grand  honneur  à  l'imprimeur,  d'autres,  plus  compétents 
que  celui  qui  trace  ces  lignes,  donneront  leur  appréciation  dans 
les  revues  littéraires.  Pour  lui,  il  n'a  voulu  que  tâcher  à  démontrer 
qu'il  y  a  là  un  livre  éminemment  vrai  et  instructif  qui  aura  sa  place 
à  la  table  de  travail  du  savant,  aux  mains  de  l'homme  du  monde, 
à  la  bibliothèque  de  l'homme  d'État,  aussi  bien  que  dans  la  sacoche 
de  nos  officiers,  s'il  leur  est  jamais  donné  de  conduire  un  jour  une 
colonne  au  Maroc.  Il  semble  se  former  depuis  quelques  années  en 
Algérie  un  groupe  de  savants  qui  feraient  volontiers  de  l'empire  des 

15 


354  LES   DJEBALA   DU   MAROC 

chérif  leur  sujet  préféré  d'études.  A  l'éti'anger  également,  en  Alle- 
magne surtout,  l'activité  scientifique  se  porte  de  plus  en  plus  vers  les 
études  marocaines  et  il  ne  se  passe  pas  d'années  où  un  savant  alle- 
mand n'aille  travailler  au  Maroc;  nos  pouvoirs  publics  se  préoccupent 
vivement,  nous  le  savons,  de  moyens  d'encourager  les  études  de 
ce  genre,  et  les  Écoles  supérieures  d'Alger  sont  toutes  désignées 
pour  fournir  ces  missionnaires  de  la  science  ;  nous  souhaitons 
vivement  que  M.  Mouliéras,  réaUsant  enfin  son  rêve,  puisse  aller 
bientôt  poursuivre  sur  place. son  immense  et  féconde  enquête. 

Tlemcen,  29  juin  1899. 


Edmond  DOUTTE. 


m 


CHROxNIQUE  GEOGRAPHIQUE 


Europe.  —  Signalons  quelques  renseignements  intéressants 
relatifs  au  commerce  extérieur  de  l'Angleterre,  de  l'Allemagne 
et  de  la  France  en  1898  : 

{Les  nombres  représentent  des  millions  de  francs) 

Exportation  Importation  Total 

Angleterre 7.350  11 .900  19.250 

Allemagne 5 .  002  6 .  864  11 . 866 

France 3.503  4.376  7.879 

On  constate  d'une  façon  générale  que  l'importation  l'emporte 
sensiblement  sur  l'exportation.  En  ce  qui  concerne  la  France, 
le  chiffre  des  importations  en  1898  dépasse  de  420  millions 
celui  de  1897;  cela  tient  à  la  mauvaise  récolte  qui  a  occasionné 
une  importation  exceptionnelle  de  blé.  Malheureusement  on 
constate  aussi  une  décroissance  assez  légère  mais  continue 
dans  l'exportation  :  la  diminution  est  en  1898  de  94  millions. 
Au  contraire  le  commerce  allemand  ne  cesse  de  gagner  du 
terrain  :  parti  de  7  milliards  1/2  en  1874,  il  atteint  9  milliards 
1/2 en  1890,  11  milliards  1/2  l'année  dernière  (Ij. 

* 

*  * 

Le  tunnel  du  Simplon  est  à  peine  entrepris  que  plusieurs 
villes  déjà  se  disputent  le  trafic  que  créera  cette  voie.  Genève 
veut  assurer  une  communication  directe  avec  Paris  par  le  col 
de  la  Faucille;  Berne  de  son  côté  propose  une  ligne  traversant 
rOberland  pour  se  diriger  sur  Bàle.  Mais  cette  dernière  voie 
ferait  forcément  double  emploi  avec  celle  du  Saint-Gothard. 
La  Compagnie  P.-L.-M.  demande  que  l'on  raccorde  la  station 
de  Frasne  en  France  à  Vallorbe  en  Suisse,  ce  qui  éviterait  les 
pentes  trop  fortes  et  raccourcirait  de  35  kilomètres  la  ligne 
Paris -Dijon  Lausanne.  Cette  dernière  ville  gagnera  surtout  à 
l'adoption  probable  de  ce  tracé  (2). 


(1)  V.  Ann.  de  Géoy.  15  mars  1899. 

(2)  id.  15  mai  1899. 


356  CHRONIQUE  GÉOGRAPHIQUE 

Un  des  navires  brise-glaces  dont  il  a  déjà  été  question  (1), 
VIermak,  a  pu  au  mois  de  mars  dernier  pénétrer  dans  le  port 
de  Kronstadt  en  écrasant  les  glaces  du  littoral  de  la  Baltique. 
Il  est  destiné  à  maintenir  libres  pendant  l'été  les  parages  de  la 
mer  de  Kara  et  les  estuaires  de  l'Ob  et  de  l'Iénisséi . 


Afrique.  —  Un  de  nos  plus  remarquables  explorateurs 
africains,  M.  Mizon,  est  mort  dans  les  derniers  jours  de  mars 
et  la  nouvelle  en  est  arrivée  pendant  le  Congrès  de  Géographie 
d'Alger.  Le  lieutenant  de  vaisseau  Mizon  n'avait  que  45  ans  ; 
il  est  mort  au  moment  d'aller  occuper  les  fonctions  importantes 
de  résident  à  Djibouti  où  son  premier  acte  eût  été  de  recevoir 
un  de  ses  émules,  le  commandant  Marchand.  La  carrière 
d'explorateur  de  M.  Mizon  commença  en  1880,  époque  à 
laquelle,  sur  les  indications  de  M.  de  Brazza,  il  fonda  le  poste 
de  Franceville  au  Gabon.  En  1881,  il  explora  un  itinéraire 
aboutissant  à  Sette-Cama  sur  la  côte.  Mais  c'est  de  1890  que 
datent  ses  grands  voyages.  Il  remonta  la  Bénoué  jusqu'à  Yola, 
malgré  la  résistance  de  la  Compagnie  royale  du  Niger.  Il  signa 
un  traité  avec  le  sultan  Zoubir,  se  dirigea  vers  le  Congo 
par  Ngaoundéré  et  rencontra  dans  la  vallée  de  la  Sangha 
M.  de  Brazza  venu  au  devant  lui.  Il  avait  ainsi  relié  le  Niger 
au  Congo  et  pouvait  assurer  à  la  France  une  communication 
entre  le  Soudan  et  le  Congo  par  la  rive  méridionale  du  lac 
Tchad.  Ce  rêve  ne  fut  pas  réalisé.  Reparti  pour  la  Bénoué,  en 
1892,  il  se  vit  arrêté  par  l'hostilité  de  la  Compagnie  du  Niger, 
et  rappelé  par  le  gouvernement,  tandis  que  son  navire  chargé 
de  marchandises  était  confisqué  contre  toute  espèce  de  droits. 
(Ajoutons  que  la  France  n'a  pas  encore  reçu  la  satisfaction 
qui  lui  est  due).  Le  dessein  politique  qui  avait  inspiré 
l'exploration  de  1890  fut  enfin  complètement  abandonné  en 
1884  lors  de  l'arrangement  franco-allemand,  qui  cédait  à 
l'Allemagne  l'Adamaoua  et  qui  étendait  la  frontière  orientale 
du  Cameroun  jusqu'à  l'embouchure  du  Ghari.  M.  Mizon  avait 


(l)  V.  Bull,  trim.  Soc.  de  Géog.  et  Archéol.  d'Oran,  avril-juin  1898, 
p.  117. 


I 


CHRONIQUE  GÉOGRAPHIQUE  357 

été  nommé,  en  1895,  résident  à  Majunga,  puis  à  Mayotte.  La 
France  perd  en  lui  un  excellent  serviteur.  La  Société  de 
Géographie  et  d'Archéologie  d'Oran  qui  l'avait  inscrit  au 
nombre  de  ses  membres  d'honneur  ressent  tout  particulière- 
ment cette  perte. 

* 
*  * 

Le  fait  le  plus  important  que  nous  ayons  à  signaler  ici  est  la 
convention  anglo-française  du  21  mars  dernier.  Cet  acte 
diplomatique  est  la  conclusion  de  l'héroïque  exploration  du 
commandant  Marchand  qui  goûte  en  ce  moment,  ainsi  que 
ses  compagnons  de  route,  la  récompense  que  la  reconnaissance 
nationale  accorde  à  leurs  glorieux  efforts.  Voici  le  texte  de 
cette  convention,  ou  plutôt,  comme  on  va  le  voir,  de  cet  article 
additionnel  à  la  Convention  du  14  juin  1898  (1)  : 

«  Les  soussignés,  dûments  autorisés  à  cet  effet  par  leurs 
gouvernements,  ont  signé  la  déclaration  suivante  : 

»  L'article  4  de  la  Convention  du  14  juin  1898  est  complété 
par  les  dispositions  suivantes,  qui  seront  considérées  comme 
en  faisant  partie  intégrante  : 

»  1"  Le  Gouvernement  de  la  République  française  s'engage 
à  n'acquérir  ni  territoire  ni  influence  politique  à  l'Est  de  la 
ligne  frontière  définie  dans  le  paragraphe  suivant,  et  le  Gou- 
vernement de  Sa  Majesté  britannique  s'engage  à  n'acquérir  ni 
territoire  ni  iniluence  politique  à  l'Ouest  de  la  même  ligne  ; 

»  2o  La  ligne  frontière  part  du  point  où  la  limite,  entre 
l'État  libre  du  Congo  et  le  territoire  français  rencontre  la  ligne 
de  partage  des  eaux  coulant  vers  le  Nil  et  de  celles  qui  s'écoulent 
vers  le  Congo  et  ses  affluents.  Elle  suit  en  principe  cette  ligne 
de  partage  des  eaux  jusqu'à  sa  rencontre  avec  le  11*'  parallèle 
de  latitude  Nord.  A  partir  de  ce  point,  elle  sera  tracée  jusqu'au 
15^  parallèle  de  façon  à  séparer  en  principe  le  royaume  de 
Ouadaï  de  ce  qui  était  en  1882  la  province  de  Darfour;  mais 
son  tracé  ne  pourra,  en  aucun  cas,  dépasser  à  l'Ouest  le 
21e  degré  de  longitude  Est  de  Greenwich  (180  40'  Est  de  Paris), 


(1)  V.  Bull.  trim.  Soc.   Géor/.  et  Archéol.  d'Oran,   Ghron.    géogr., 
avril-juin  et  juillet-décembre  1898. 


358  CHRONIQUE  GÉOGRAPHIQUE 

ni  à  l'Est  le  23"  degré  de  longitude  Est  de  Greenwich 
(20°  40'  Est  de  Paris)  ; 

»  3°  Il  est  entendu,  en  principe,  qu'au  Nord  du  15°  parallèle, 
la  zone  française  sera  limitée  au  Nord-Est  et  à  l'Est  par  une 
ligne  qui  partira  du  point  de  rencontre  du  tropique  du  Cancer 
avec  le  16^  degré  de  longitude  Est  de  Greenwich  (13o40'  Est  de 
Paris),  descendra  dans  la  direction  du  Sud-Est  jusqu'à  sa 
rencontre  avec  le  24"  degré  de  longitude  Est  de  Greenwich 
(21° 4C'  Est  de  Paris)  et  suivra  ensuite  le  24°  degré  jusqu'à  sa 
rencontre  au  Nord  du  15"  parallèle  de  latitude  avec  la  frontière 
de  Darfour  telle  qu'elle  sera  ultérieurement  fixée  ; 

»  4°  Les  deux  gouvernements  s'engagent  à  désigner  des 
commissaires  qui  seront  chargés  d'établir  sur  les  lieux  une 
ligne  frontière  conforme  aux  indications  du  paragraphe  2  de 
la  présente  déclaration.  Le  résultat  des  travaux  sera  soumis  à 
l'approbation  de  leurs  gouvernements  respectifs. 

Il  est  convenu  que  les  dispositions  de  l'article  9  de  la 
convention  du  14  juin  1898  s'appliquent  également  aux 
territoires  situés  au  Sud  du  14°  20'  de  latitude  Nord  et  au 
Nord  du  5"  degré  de  latitude  Nord,  entre  le  14^20'  de  longitude 
Est  de  Greenwich  (12°  Est  de  Paris)  et  le  cours  du  Haut-Nil. 

»  Fait  à  Londres,  le  21  mars  1899. 

»  Paul  Gambon.  —  Salisbury  ». 

Cette  convention  qui  met  fin  à  un  grave  conflit,  exclue 
définitivement  la  France  de  la  région  du  Bahr-El-Ghazal  cédée 
à  l'Angleterre.  En  échange  la  France  reçoit  ou  plutôt  semble 
recevoir  un  vaste  territoire  s'étendant  sur  les  rives  orientales 
et  septentrionales  du  lac  Tchad  et  comprenant  le  Ouadaï,  le 
Kanem,  le  Borkou  et  le  Tibesti,  sans  omettre  le  Baghirmi.  En 
réalité,  la  concession  faite  par  l'Angleterre  n'a  pas  grande 
valeur.  En  effet  la  convention  du  14  juin  1898  nous  reconnais- 
sait déjà  la  possession  des  rives  du  Tchad  à  partir  de  Barroua, 
et  par  conséquent  celle  des  pays  voisins.  Le  Baghirmi  d'ailleurs 
est  notre  protégé  depuis  l'expédition  Gentil.  Enfin  ces 
territoires  ne  pouvaient  à  aucun  titre  être  revendiqués  par 
l'Angleterre,  n'ayant  jamais  fait  partie  de  l'Egypte.  Au  contraire 


CHRONIQUE  GÉOGRAPHIQUE  359 

le  Bahr-El-Gliazal  que  nous  évacuons  était  notre  bien  ayant 
été  occupé  eflecti veulent. 

Mais  il  faut  reconnaître  qu'en  dehors  de  l'avantage  d'écarter 
une  cause  de  sérieuses  et  redoutables  complications,  cet  acte  a 
celui  d'être  très  net  et  d'affinner  l'unité  de  notre  empire 
africain.  La  perte  que  nous  subissons  n'est  pas  en  elle-même 
très  grave  du  moment  que  Fachoda  ne  nous  reste  pas.  La 
possession  de  l'immense  marécage  que  forme  le  Bahr  El- 
Ghazal  n'avait  d'utilité  qu'à  condition  d'avoir  un  débouché  sur 
le  Nil.  Fachoda  évacué,  le  reste  ne  valait  pas  grand  chose  et 
eût  coûté  fort  cher.  Il  valait  mieux  l'abandonner. 

La  convention  du  21  mars  a  naturellement  éveillé  les 
susceptibilités  de  l'Italie  qui  n'a  pas  renoncé  à  ses  prétentions 
sur  la  Tripolitaine  et  qui  se  trouve  lésée  si  la  France  étend  son 
influence  sur  l'hinterland  de  ce  pays.  Une  réciproque  bonne 
volonté  a  calmé  ces  appréhensions  (1). 

Parmi  les  régions  que  le  traité  du  21  mars  reconnaît  à  la 
France,  la  plus  importante  semble  être  le  Ouadaï.  Bien  qu'il 
n'ait  pas  de  limites  précises,  on  peut  évaluer  sa  superficie  à 
445.000  kilom.  carrés.  La  population  ne  dépasse  pas  2.400.000 
âmes  d'après  Nachtigal.  Le  pays  est  surtout  fertile  au  centre 
et  à  l'est.  La  population  se  compose  de  nègres  qui  exercent 
la  domination  politique  et  d'Arabes  mêlés  à  des  Nubiens,  Le 
sultan  qui  est  Nubien  n'a  sous  son  autorité  immédiate  que  le 
nord;  le  reste  obéit  à  des  vassaux  ou  paie  tribut.  Les  Ouadaïens 
sont  presque  tous  des  pasteurs  élevant  des  bœufs,  des  moutons, 
des  chèvres  et  aussi  des  chameaux.  En  fait  de  culture  ils  ne 
produisent  guère  que  le  millet  qui  leur  est  nécessaire.  La 
population  du  Ouadaï  septentrional  est  musulmane  et  très 
fanatique  ;  le  sultan  est  l'allié  du  chef  des  Snoussi.  Les  habitants 
du  sud  sont  au  contraire  païens  ou  musulmans  de  nom 
seulement.  Ils  sont  d'ailleurs  tous  également  belliqueux,  cruels 
et  hostiles  aux  étrangers.  Le  commeroe  d'exportation  qui 
consiste  surtout  en  esclaves,  en  ivoire  et  en  plumes  d'autruche 
se  tait  aujourd'hui  par  le  Darfour  ou  par  Djalo;  l'ancienne  route 


(1)  V.  Ann.  de  Géof/.  15  mai  l«99  et  Bull.  Soc.  Géog.  de  Lyon,  T.  XV, 

N"  i. 


360  CHRONIQUE  GÉOGRAPHIQUE 

conduisant  à  Benghazi  est  abandonnée.  La  capitale  actuelle  est 
Abechr,  située  près  de  la  route  de  Karthoum  à  Kouka.  Cette 
région,  fort  peu  connue,  n'a  guère  été  visitée  que  par  Vogel 
qui  y  fut  assassiné  (1855),  par  Nachtigal  (1873)  et  par  les 
Italiens  Matteuci  et  Massari  (1880)  (1). 

Il  convient  d'observer  que  la  convention  du  21  mars  a 
ramené  l'attention  sur  l'accord  anglo-congolais  de  1894  par 
lequel  l'Angleterre  donnait  à  bail  au  souverain  du  Congo 
l'enclave  de  Lado  sur  le  Nil  et  le  pays  compris  entre  la  rive 
gauche  du  Nil,  le  10  parallèle,  25'  à  l'est  de  Greenvich  et  la 
ligne  de  partage  des  eaux  entre  les  bassins  du  Nil  et  du  Congo. 
Ce  traité  concédait  à  l'Etat  libre  une  bande  de  terrain  de  10  km. 
de  large  aboutissant  à  l'Albert  Nyanza.  La  France  avait  protesté 
contre  cet  accord  auquel  le  roi  de  Belgique  avait  renoncé,  mais 
vis-à-vis  de  la  France  seule,  et  le  gouvernement  anglais  avait 
toujours  déclaré  que  pour  lui  la  convention  subsistait . 
Aujourd'hui  que  la  France  évacue  le  Bahr-El-Ghazal,  elle  n'a 
plus  intérêt  à  maintenir  son  opposition  et  il  devient  probable 
que  la  convention  de  1894  sera  désormais  appliquée.  Du  reste 
les  Belges  ont  depuis  longtemps  occupé  Lado. 


On  a  reçu  d'intéressantes  nouvelles  de  la  mission  Foureau- 
Lamy  qui  a  continué  sa  marche  pénible,  mais  heureuse  vers 
l'Air  (2).  Les  Comptes-Rendus  de  la  Société  de  Géographie  de 
Paris  publient  trois  lettres  de  l'explorateur  Foureau  ;  la 
première  du  6  janvier  datée  d'Oued  Affattakah,  la  deuxième  du 
20  janvier  écrite  à  Tadent,  la  troisième  enfin  du  9  février 
expédiée  d'Assiou.  Ces  lettres,  accompagnées  d'un  itinéraire 
provisoire  et  du  profil  d'une  partie  du  chemin  parcouru, 
contiennent  d'utiles  renseignements.  Il  en  résulte  que  la 
mission  a  eu  à  traverser  une  région  accidentée  et  volcanique 
au  sud  du  Tassili.  Les  explorateurs  ont  constaté  l'existence 
d'un  massif  puissant,  atteignant  1800  mètres,  l'Adrar,  dont  on 
n'avait  jamais  signalé  la  présence  dans  cette  direction  ;  cette 


(1)  Bull.  Soc.  Géog.  Lijon.  T.  XV.  n"  4,  p.  541 

(2)  V.  Comptes-Rendus  Soc.  Géog.  Paris,  Mars  1899  p.  108. 


CHRONIQUE  GÉOGRAPHIQUE  361 

chaîne  s'élève  du  nord  au  sud;  elle  est  d'accès  difficile.  Le 
passage  de  la  région  aride  et  accidentée  de  l'Anahef  a  été 
aussi  très  pénible  :  c'est  un  massif  composé  de  granit,  de 
gneiss,  de  schistes  à  la  base  et  de  masses  de  quartz.  C'est  dans 
ce  massif  que  la  mission  a  franchi,  le  9  janvier,  par  i  .362  m', 
d'altitude,  la  ligne  de  partage  des  eaux  entre  la  Méditerranée 
et  l'Atlantique.  Elle  a  visité  le  point  où  eut  lieu  le  massacre 
du  colonel  Flatters  et  qui  s'appelle  Tadjenout  et  non  Bir-El- 
Gharama;  elle  n'y  a  trouvé  aucun  vestige  du  massacre,  les 
ossements  ayant  été  brûlés. 

Le  voyage  de  Tadent  à  In-Azaoua  a  été  fort  pénible  ;  l'eau, 
le  bois,  tout  atome  de  végétation  faisait  défaut  ;  la  mission  a 
perdu  beaucoup  d'animaux  de  transport.  A  partir  de  Tadent, 
qui  est  à  1,200  mètres,  l'altitude  diminue  régulièrement,  et  à 
650  mètres  le  grès  remplace  le  granit.  Obligé,  faute  de 
moyens  de  transport,  de  laisser  à  In-Azaoua  une  partie  du 
convoi,  M.  Foureau  y  a  fait  construire  un  fortin  appelé 
Fort-Flatters.  Le  ravitaillement  a  été  assuré  jusquà  ce  point 
par  le  capitaine  Pein,  commandant  le  bureau  arabe  d'Ouargla. 
La  mission  a  eu  peu  de  contact  avec  les  indigènes.  On  sait 
qu'elle  est  actuellement  arrivée  au  but  de  son  voyage  à 
Agadès,  ou  plutôt  Agadé  suivant  M.  Foureau.  De  là,  sans 
doute,  après  un  repos  nécessaire  et  mérité,  la  mission  gagnera 
le  lac  Tchad  ou  peut-être  le  Niger.  Le  succès  peut,  dès  à 
présent,  être  considéré  comme  assuré-. 

* 

*  * 

Tandis  que  la  mission  Foureau  s'approche  du  lac  Tchad,  on 
reçoit  de  bonnes  nouvelles  de  la  mission  Voulet-Chanoine  qui 
s'y  rend  également  mais  en  partant  du  Niger  et  par  le 
Damergou.  TJne  dépêche  du  15  avril  annonçait  que  cette 
mission  était  en  très  bonne  situation  à  tous  les  points  de  vue. 
Elle  avait  conclu  des  traités  avec  les  chefs  du  Maouri  ;  les 
Touareg  n'osant  l'attaquer  avaient  fui  vers  le  Nord.  Il  s'est 
cependant  produit  des  incidents  encore  mal  connus  qui  ont 
motivé  l'ouverture  d'une  enquête  et  l'envoi  d'un  lieutenant- 
colonel. 

Enfin,  du  côté  du  Sud,  M.  Gentil  à  la  tête  d'une  forte  mission 
civile    et    militaire    se    dispose    à    rejoindre    sur    le    Ghari 


362  CHRONIQUE   GÉOGRAPHIQUE 

M.  Bretonnet,  et  d'autre  part  M.  de  Béhagle  qui  opère  dans 
les  mêmes  régions  donne  de  bonnes  nouvelles. 


On  vient  d'apprendre  l'achèvement  de  la  ligne  télégraphique 
construite  de  Eammakou  à  Timbouctou. 


La  mission  Fourneau-Fondère  chargée  d'explorer  la  région 
comprise  entre  l'estuaire  du  Gabon  et  la  Sangha  supérieure 
qui  a  quitté  Ouesso,  sur  la  haute  Sangha,  au  mois  de  février 
dernier,  a  terminé  ses  opérations,  et  elle  est  arrivée  à  Libre- 
ville au  commencement  du  mois  de  juin, 

* 

*  * 

De  récents  décrets  ont  réglé  au  Congo  français  plusieurs 
importantes  questions.  L'un  d'eux  est  relatif  à  la  définition  du 
domaine  public,  aux  servitudes  d'utilité  publique  pesant  sur  les 
propriétés  privées,  au  régime  des  terres  domaniales.  Un  autre 
décret  introduit  dans  cette  colonie  l'application  de  l'Act 
Torrens  qui  facilite  la  constitution  et  !a  transmission  des 
propriétés  foncières.  Un  troisième  décret  enfin  organise  le 
régime  forestier,  interdit  la  destruction  des  forets  et  exige  des 
concessionnaires  la  plantation  annuelle  d'arbres  et  de  lianes  à 
caoutchouc  et  à  gutta-percha. 

*  "  * 

Dans  l'Afrique  orientale  on  travaille  activement  à  la  voie 
ferrée  de  Djibouti  à  Harrar.  Il  y  a  30  kilomètres  terminés 
seulement  ;  mais  les  travaux  avancent.  Une  première  section 
de  110  kilomètres,  de  Djibouti  à  Mordalé,  sera  ouverte  dès 
cette  année  ;  une  deuxième,  allant  jusqu'à  El  Bah  (270  kilo- 
mètres), sera  ouverte  l'année  prochaine.  Aussi  Djibouti  prend 
un  grand  développement.  Cette  ville  contenait,  il  y  a  deux 
ans,  8  Français  et  un  millier  d'Indigènes  ;  elle  possède 
aujourd'hui  un  millier  d'Européens  et  environ  10.000  Indi- 
gènes. Elle  a  bien  distancé  Zeilah  et  Assab  (1). 


(l)  V.  Bull.  Soc.  Géog.  Lyon,  t.  XV,  n°  4. 


CHRONIQUE  GÉOGRAPHIQUE  363 

Asie.  —  La  question  chinoise  est  toujours  à  l'ordre  du  jour. 
Une  importante  concession  a  été  accordée  à  un  Syndicat  anglo- 
italien  pour  l'exploitation  des  mines  de  houille,  de  fer  et  de 
pétrole  du  Chan-Si  central,  avec  le  droit  de  prendre  les 
mesures  nécessaires  pour  relier  cette  région  aux  grandes 
voies  par  des  canaux  ou  des  chemins  de  fer.  Déjà  un  traité  est 
signé  pour  l'établissement  d'une  voie  ferrée  de  Taï-Yuen-Fou, 
capitale  du  Chan-Si,  à  Tching-Ting-Fou,  au  débouché  des 
montagnes.  Rappelons  que  le  Chan-Si  possède  un  des  plus 
grands  bassins  houillers  connus.  Un  seul  groupe  a  35.000 
kilomètres  carrés.  Il  y  a  de  plus  du  fer  dans  le  voisinage  (1). 


Un  conflit  a  paru  quelque  temps  imminent  entre  la  Pvussie 
et  l'Angleterre,  à  propos  des  voies  ferrées  à  construire  en 
Chine.  Mais  une  récente  convention  a  de  nouveau  ajourné  la 
lutte  qui  semble  cependant  inévitable.  En  vertu  de  cet  accord 
anglo-russe,  la  Russie  reste  maîtresse  de  construire  le  chemin  de 
fer  de  Mandchourie  ;  elle  s'engage,  d'autre  part,  à  ne  pas 
gêner  l'action  exclusive  de  l'Angleterre  dans  le  bassin  du 
Yang-Tzé-Kiang.  Cette  dernière  clause  a  une  grande  importance 
au  sujet  des  voies  ferrées  que  l'on  se  propose  de  prolonger  à 
travers  le  Yunnan  et  qui  n'auraient  que  peu  d'importance 
si  elles  n'aboutissent  |)as  au  bassin  du  Yang-Tzé-Kiang.  Du 
reste  la  convention  était  à  peine  signée  que  de  nouvelles 
difficultés  ont  surgi  au  sujet  de  la  voie  ferrée  que  les  Russes 
veulent  pousser  jusqu'à  Pékin  ;  ces  difficultés  semblent  du 
reste  aplanies. 

*,  * 

Les  affaires  si  compliquées  de  Chine  donne  un  nouvel 
intérêt  au  Transsibérien.  Le  tracé  s'en  est  en  effet  trouvé 
modifié  depuis  l'occupation  de  Port-Arthur.  Désormais,  la  tête 
de  ligne  n'est  plus  Vladivostock  mais  Port-Arthur.  Le  nouveau 
tracé  quitte  l'ancien  àTchita  (à  environ  8ûO  kilomètres  du  lac 
Raïkal).  Les  rails  sont  posés  jusqu'au  Raikal  et  l'on  construit  le 


(\)  V.  Ann.  de  GéoQ.,  15  mars  1899. 


364  CHRONIQUE  GÉOGRAPHIQUE 

bac  à  vapeur  brise-glaces  qui  transportera  les  trains  à  travers 
le  lac  jusqu'à  ce  qu'on  ait  achevé  la  ligne  qui  doit  le  contourner. 
Actuellement  la  ligne  est  exploitée  de  Moscou  à  Tomsk 
(3.957  kilomètres),  on  parcourt  cette  distance  en  5  jours. 
Elle  est  de  plus  terminée  jusqu'à  Krasnoïarsk  et  à  peu  près 
achevée  jusqu'à  Irkoutsk.  Elle  sert  déjà  d'ailleurs  à  un 
important  mouvement  de  voyageurs.  En  1898,  200.000  familles 
russes  ont  été  installées  en  Mandchourie  et  il  y  en  a  autant 

d'inscrites  pour  1899  (1). 

* 

*  * 

D'un  autre  côté,  l'achèvement  du  chemin  de  ter  de  Merv  à 
Kouchk  met  les  Russes  aux  portes  de  Hérat  et  fortifie  leur 
position  en  Afghanistan. 


Amérique.  —  Signalons  une  intéressante  étude  sur  le 
Contesté  franco-brésilien  dont  l'auteur,  M.  Brousseau,  a  passé 
sept  ans  à  explorer  la  Guyane.  Il  a  visité  la  région  des  mines 
d'or,  le  Carsevenne,  le  Cachipour,  et  a  recueilli  d'importants 
documents  pour  établir  la  carte  du  Contesté  entre  l'Oyapoc  et 
l'Araguary,  région  qui  a  450  kilomètres  de  côtes  et  plus 
de  60.000  kilomètres  carrés.  Les  renseignements  fournis  sont 
très  complets  (2). 

Régions  polaires.  —  On  a  découvert,  le  15  mai,  un  document 
émanant  de  l'expédition  Andrée  mais  qui  malheureusement 
ne  peut  renseigner  sur  son  sort.  C'est  une  bouteille  portant  la 
marque  de  l'expédition  et  contenant  une  dépêche  d'après 
laquelle  elle  a  été  jetée  le  11  juillet  1897,  jour  du  départ  du 
ballon,  à  10  heures  57'  du  soir,  par  82°  de  latitude  nord.  La 
bouteille  a  été  retrouvée  près  du  Wolla-Fjord  sur  les  côtes 

d'Islande. 

* 

»  * 

On  a  enfin  reçu  des  nouvelles  de  l'expédition  de  Gerlache 
qui  avait  donné  de  graves  inquiétudes.  La  Belgica  est  rentrée  à 


(1)  V.  Soc.  de  Géog.,  Paris.  Comptes-Rendus^  mars  1890. 

(2)  V.  Ann-  de  Géog.,  15  mars  1899. 


CHRONIQUE   GÉOGRAPHIQUE  365 

Punta-Arenas  le  28  mars.  L'expédition  avait  dû  hiverner  par 
71"  36'  de  latitude  Sud  et  92"  de  longitude  0.  de  Greenwich, 
sur  les  côtes  de  la  Terre  d'Alexandre  I,  après  avoir  visité 
la  baie  Hughes  et  la  Terre-Palmier.  4  navires  seulement  ont 
réussi  à  dépasser  la  latitude  70'^  dans  la  région  antarctique. 
M.  de  Gerlache  du  reste  se  proposait  surtout  d'étudier  la 
géologie  des  terres  australes  ainsi  que  la  flore  et  la  faune,  e  t  il 
a  certainement  réalisé  son  programme. 


On  a  également  appris  que  M.  Borchgrevink  a  réussi  à 
débarquer  dans  la  Terre  Victoria  où  il' hiverne.  D'autres 
expéditions  vers  les  régions  antarctiques  sont  en  préparation. 


Paul  RUFF. 


«I»  »  »■« 


BIBLIOGRAPHIE 


L'APOCALYPSE  D'ESDRAS 

Traduction  de  la  version  éthiopienne,  par  M.  René  Basset 
directeur  de  l'École  Supérieure  dos  Lettres  d'Alger,  membre 
honoraire  correspondant  de  la  Société  de  Géographie  et  d'Archéo- 
logie d'Oran  (1). 


L'Apocalypse  d'Esdras  est  connue  dans  la  littérature  latine 
sous  le  nom  de  Quatrième  livre  cVEsdras.  Dans  l'édition 
officielle  de  la  Vulgate,  donnée  par  le  pape  Clément  VIII,  on 
a  imprimé  pour  la  première  fois  un  troisième  et  un  quatrième 
livre  d'Esdras,  plus  une  Prière  de  Manassé.  C'est  de  la 
deuxième  de  ces  œuvres  que  nous  parlons  ici,  d'après  la 
traduction  que  vient  d'en  donner,  sur  la  version  éthiopienne,  le 
très  érudit  directeur  de  l'École  supérieure  des  Lettres  d'Alger. 

Le  texte  original  grec  de  cette  apocalypse  est  en  etfet 
perdu  (2j,  mais  il  en  existe  une  version  syriaque,  une  version 
éthiopienne,  deux  versions  arabes,  une  version  latine  dérivée  du 
texte  grec,  plus  deux  versions  arméniennes  dont  l'une  est 
dérivée  de  la  version  syriaque  et  l'autre  de  la  version  latine 
(p.  1-6). 

L'auteur  véritable  est  inconnu  et  d'ailleurs  l'Église  catholi- 
que elle-même  regarde  le  quatrième  livre  d'Esdras  comme 
apocryphe. 

Les  textes  de  toutes  ces  versions  sont  concordants,  à  l'ex- 
ception de  celui  de  la  version  latine  qui  comprend  :  1°  le  texte 
des  autres  versions  ;  2°  les  chapitres  I  et  II,  beaucoup  plus 
récents,  œuvre  d'un  chrétien  qui  écrit  contre  les  Juifs 
partisans  de  l'ancienne  loi  ;  3"  les  chapitres  XV  et  XVI,  que  les 
allusions  historiques  qu'ils  contiennent  forcent  à  attribuer  à 
un  auteur  de  la  tin  du  III"  siècle  (p.  18-21).  Ces  deux  fragments 
sont  évidemment  ajoutés  et  le  reste  forme  un  tout  parfaite- 
ment cohérent. 


(1)  René  Basset,  Les  cqwcryplies  étliiopiens,  traduits  en  français. 
IX,  Apocalypse  d'Esdras,  1  vol.,  ia-8''  écu,  139  pp.  Paris,  1899.  — 
Les  chiffres  placés  entre  parenthèses  dans  le  texte  de  ce  compte-rendu 
indiquent  les  numéros  des  pages  du  livre  de  M.  R.  Basset. 

i2)  Il  existe  encore,  en  grec  et  en  éthiopien,  deux  autres  apocalypses 
attribuées  à  Esdras,  différentes  de  celle-ci  (p.  2>. 


l'apocalypse  d'esdras  367 

La  littérature  apocalyptique,  car  il  y  a  là  un  véritable  genre 
littéraire,  appartient  surtout  aux  époques  troublées.  C'est 
dans  ces  siècles  sombres  où  les  grandes  calamités  s'abattent 
sur  les  peuples,  où  le  cerveau  des  croyants  est  hanté  par  les 
terribles  problèmes  de  l'eschatologie,  que  les  apocalypses 
apparaissent.  Elles  ont  leurs  sources  dans  les  livres  étranges 
d'Ezéchiel  et  de  Zacharie,  remplis  d'etïrayantes  et  fantastiques 
visions  ;  elles  fleurissent  pendant  de  longs  siècles,  et,  même 
après  la  disparition  du  genre,  elles  ont  encore  inspiré  de 
nombreux  poètes,  à  commencer  par  le  Dante  et  à  finir 
par  Victor  Hugo  dont  ont  a  pu  dire  qu'il  avait  le  tempérament 
apocalyptique. 

Elles  traitent  surtout  des  troublantes  questions  de  l'au-delà, 
du  jugement  dernier,  des  peines  et  des  récompenses  futures  : 
aux  heures  où  les  peuples  foulés  et  opprimés  commencent  à 
désespérer  de  toute  justice,  elles  réconfortent  les  âmes  des 
découragés  par  la  perspective  d'une  justice  céleste,  et  elles 
cherchent  à  eflfrayer  le  pécheur  par  les  tableaux  terrifiants 
qu'elles  lui  présentent  des  épreuves  qui  le  menacent.  On 
s'elîorrait,  dans  ces  premiers  siècles  du  christianisme,  de  provo- 
quer le  repentir  du  méchant  en  lui  représentant  les  châtiments 
terribles  qui  l'attendaient  et,  au  Moyen-Age  encore,  les  scènes 
d'épouvante  qui  doivent  accompagner  le  Jugement  Suprême 
étaient  un  thème  familier  aux  moralistes  :  la  prose  de  la  messe 
des  morts,  Dies  ira,  dies  illa,  est  entièrement  conçue  dans 
cet  esprit  (1).  Le  Coran  est  remph  de  peintures  semblables, 
destinées  à  frapper  l'imagination  encore  simple  des  anciens 
Arabes  (2).  Le  grand  imàm  Màlik,  fondateur  du  rite  religieux 
suivi  par  nos  indigènes,  adressant  au  Commandeur  des 
Croyants  une  lettre  sur  la  morale,  débute  par  le  tableau  des 


(1)  Cf.  La  poésie  attribuée  à  Saint-Bernard  et  éditée  par  Du  Méril, 
Poésies  pop.  latines  du  Moyen-Age.  i  vol.  8',  Paris  18i7,  p.  108  seq. 
Page  117  :  «....  Veniet  judex  de  cœlis.  — Teslis  verax  et  lidelis  ;  — 
Veniet  et  non  silebit  ;  —  Judicabit,  non  timebit.  —  Juste  quidem  judicabit 
—  Nec  personaiii  acceptabit,  —  Pretio  non  corrumpetur,  —  Sed  nec 
precibus  flectetur.  —  Judicabit  omnes  gantes  —  Et  salvabit  innocentes,  — 
etc.. . 

(2)  Coran,  III,  lOî;  VII,  5;  Xtll,  5;  XIX.  37  seq.  ;  LXXV,  l  seq. 
LV,  31  seq.  ;  LVI,  I  seq.,  etc.. 


368  l'apocalypse  d'esdras 

châtiments  futurs  (1),  montrant  ainsi  que  la  peur  de  l'enfer 
est,  suivant  lui,  le  commencement  de  la  sagesse.  Et  il  est 
certain  que  la  crainte  de  lafm  du  monde,  qui  nous  fait  sourire 
aujourd'hui,  a  jadis  rempli  d'angoisse  des  générations  entières. 
Les  Apocalypses  sont  l'expression  de  cet  état  d'esprit.  Analy- 
sons rapidement  celle  qui  nous  occupe  sur  l'élégante  traduction 
de  M.  Basset. 

Esdras,  réfléchissant  aux  malheurs  qui  ont  fondu  sur  sa 
race,  s'étonne  que  Dieu  ait  livré  le  peuple  qu'il  avait  élu  à  des 
ennemis  impies.  L'ange  Uriel  lui  apparaît  et  lui  dit  que  sa 
raison  ne  saurait  résoudre  ce  problème  :  «  Gomment,  lui  dit-il, 
pourrais-tu  connaître  la  hgne  de  conduite  du  Très-Haut?... 
Toi  qui  est  corruptible,  tu  ne  peux  connaître  la  voie  de  celui 
qui  échappe  à  la  corruption  »  (p.  31,  v.  IL)  Au  fond,  ce  qui 
tourmente  Esdras,  ce  n'est  autre  que  le  problème  de  l'existence 
du  mal  qui  préoccupa  tous  les  esprits  à  cette  époque  et  au 
sujet  duquel  les  gnostiques  enfantèrent  les  plus  bizarres 
théories.  Esdras  en  effet  répond  à  l'ange  :  «  Il  eût  été  meilleur 
pour  nous  de  ne  pas  être  créés,  plutôt  que  de  l'être,  de  vivre 
dans  le  péché  et  de  souffrir  sans  en  connaître  la  raison  ». 
(Id.,  V.  12).  L'ange  continue  en  faisant  la  description,  bien 
connue,  des  signes  qui  annonceront  la  fm  du  monde.  Dans 
une  deuxième  vision  qu'a  Esdras,  l'ange  lui  tient  à  peu  près 
les  mêmes  discours  (p.  39-48).  Mais  la  même  idée  liante 
toujours  l'esprit  du  prophète  :  dans  la  troisième  vision,  il 
s'adresse  au  Seigneur  et  retrace  l'histoire  de  la  création.  Un 
passage  remarquable  est  IV,  38  (p.  48)  où  il  dit  :  «...  Tu  as 
dit. . .  :  Que  le  ciel  et  la  terre  soient,  et  ton  verbe  exécutait.  » 
M.  René  Basset  reconnaît  dans  cette  part  faite  au  verbe  comme 


(l)  « Que  ton  esprit  se  représente  les  abîmes  et  les  affres  de  la 

mort,  et  ce_qul  t'arrivera  à  ce  momenl,  et  ce  que  tu  subiras  après  le  trépas: 
la  comparution  devant  Dieu  (gloire  à  lui  !)  ;  puis  le  jugement  suprême; 
puis  après  le  jugement,  l'éternité.  Prépare  dés  maintenant,  pour  le 
Jugement  de  Dieu,  le  Souverain  Maître,  ce  qui  te  permettra  d'affronter 
plus  facilement  l'épouvante  et  l'angoisse  de  ces  assemblées  dernières.  Ah! 
si  tu  pouvais  voir  ceux  qui  auront  encouru  la  colère  du  Dieu  Très-Haut, 
que  de  tourments  variés  ils  subiront  !  combien  terrible  sera  sa  vengeance  ! 
si  tu  pouvais  entendre  leurs  gémissements  au  milieu  des  ffammes  et  les 
sanglots  qu'ils  pousseront,  alors  que  l'angoisse  assombrira  leurs  visages  ; 
si  tu  pouvais  te  figurer  l'éternité  pendant  laquelle  ils  souffriront,  la  face 
tournée  vers  les  gouffres  du  feu  infernal,  n'entendant  pas,  ne  voyant  pas 
et  ne  cessant  de  crier  :  «  Malheur!  Malédiction!  »  Plus  terrible  encore 
que  tout  cela  sera  la  douleur  qu'ils  éprouveront  de, voir  que  Dieu  s'est 
détourné  d'eux,  la  perte  de  toute  espérance  et  la  réponse  que  Dieu  fera 
à  leurs  lamentations  :  «  Loin  de  moi,  restez  dans  le  feu  éternel  !  et  ne 
m'adressez  pas  la  parole!  etc..»  (Risàlat  el  Imàm  MaliUilâHai'oûn 
er-Rachid,  1  br.  30  pp.  Boulaq.,  1311,  p.  3-4). 


l'apocalypse  d'esdras  369 

démiurge,  une  intUience  philonienne  (1)  :  c'est  dans  le  même 
esprit,  fait-il  remarquer  (p.  11),  que  le  verbe  est  représenté 
dans  l'Epitre  aux  Hébreux  (2).  Après  avoir  terminé  son  exposé 
de  la  création,  Esdras  s'écrie  de  nouveau  :  «  Si  tu  as  créé  le 
monde  pour  nous,  pourquoi  ne  le  possédons  nous  pas  en  héri- 
tage? »  L'ange  répond  que  le  bonheur  est  au  bout  des  épreuves. 
Puis  il  reprend  le  récit  des  scènes  du  jugement  dernier. 
C'est  alors  qu'Esdras  lui  demande  ce  que  deviendront  les 
âmes  après  la  mort,  en  attendant  ce  jour  suprême  :  l'Ange 
répond  que  les  ùmes  des  justes  seront  l'objet  de  sept 
faveurs  ou  récompenses  pendant  sept  jours  (p.  60-62)  ;  les 
âmes  des  méchants  seront,  au  contraire,  tourmentées  de  sept 
façons  pendant  sept  jours  (p.  63).  Puis  elles  s'en  iront  dans 
leurs  demeures  (3)  —  Esdras  demande  ensuite  :  «  Au  jour  du 
jugement,  les  justes  pourront-ils  intercéder  pour  les  pécheurs 
aux  yeux  du  Très-Haut?  ».  A  quoi  l'Ange  répond  :  «  De  même 
que  maintenant,  le  père  n'envoie  pas  le  fils  à  sa  place  ;  ni  le 
fils,  le  père;  ni  le  maître,  son  serviteur;  ni  l'ami,  son  ami 
pour  être  malade,  ou  se  coucher,  ou  manger,  ou  être  guéri  à 
sa  place  ;  de  même  il  sera  impossible  que  quelqu'un  intercède 
pour  un  autre..  ..»  (p.  65,  v.  70-71).  On  sait  que  l'Église 
catholique  a  tranché  cette  question  en  sens  contraire  :  elle 
pense  que  ses  prières  (4)  et  l'intercession  des  saints  pourront 
obtenir  en  faveur  des  pécheurs  condamnés  une  atténuation  ou 
même  la  remise  de  leurs  peines.  Aussi  ce  passage  du 
quatrième  livre  d'Esdras  a-t-il  été,  dans  un  manuscrit, 
supprimé  comme  contraire  à  la  doctrine  catholique  (p.  12). 
Mais  la  doctrine  exposée  dans  l'apocryphe  qui  nous  occupe,  en 
ce  moment,  a  laissé  des  traces  lointaines.  Le  traducteur  en 
rapproche  les  trois  versets  suivants  du   Coran  :   «  C'est  le 


Cl)  Le  mot  de  verbe  est- la  IracUictioa  littérale  du  mot  grec  Aoyoç,  qui 
a  ici  le  sens  de  «  raison,  pensée  »  (cpr.  l'ancien  sens  de  notre  mot 
discours).  Mais  la  théolo,'ie  philonienne  va  plus  loin:  le  veibe  n'est  pas 
seulement  la  raison  de  Dieu,  c'est  Dieu  même  en  acte;  c'est  [)lus  encore, 
c'est  le  lieutenant  de  Dieu,  âon  fils  l'intermédiaire  entre  le  Créateur  et  la 
création. 

(2)  «  Diebus  istis  locutus  est  nobis  in  Filio,  quem  conslituit  bœredetn 
universorum,  per  qu.im  fecit  et  sœcula  ».  Vulg.,  Hebr  ,  1.,  2). 

(3,1  Ce  mot  n'est  pas  davantage  précisé  —  II  est  intéressant  de  comparer 
la  doctrine  musulmane  sur  ce  i)oint.  Voy.  à  ce  sujet  le  parai<raphe 
intitulé  :  De  L'état  <le  l'àme  après  la  inort  d'après  la  croyance 
■musulmane,  in  Baugks.  Vie  de  Sidi-Ahou-Médiène,  l  vol.  gd-8°, 
XXXV-118  pp.,  Paris,  I88i  ;  p.  87-97  ;  voy.  aussi  dans  le  même  ouVrage 
le  paragraphe  relatif  au  Barzakk,  p.  97-lUl. 

(i)  Cf.  tout  l'oflice  de  la  (^ortimémoration  des  morts. 

16 


370  l'apocalypse  d'esdras 

jour  où  une  âme  ne  pourra  rien  pour  une  âme,  ce  jour-là  tout 
sera  dévoilé  à  Dieu  »  (LXXXII,  49)  —  «  Lorsque  le  son 
assourdissant  de  la  trompette  retentira,  le  jour  où  l'homme 
fuira  son  père  et  sa  mère,  sa  compagne  et  ses  enfants,  ce  jour-là 
tout  homme  suffira  à  sa  propre  occupation  (1)  »  (LXXX, 
33-37)  —  a  Lorsque  la  trompette  sonnera,  il  n'y  aura  plus  de 
lien  de  parenté  entre  les  hommes  ;  les  liens  de  parenté 
n'existeront  plus.  On  ne  se  fera  plus  de  demandes  réciproques  » 
(XXIII,  103)  (2).  On  peut  rapprocher  de  ces  citations  la 
poésie  suivante  de  notre  moyen-âge  : 

Non  hic  excusatio,  non  hic  advocatus, 
Planclus.  luctus,  lacrymœ,  fletus  et  precatus, 
Honor,  opes,  munera,  geaus,  potentatus. 
Non  juvabit  miseros  val  cujusdam  staïus.  (3) 

Après  avoir  reçu  cette  réponse  au  sujet  de  l'intercession, 
Esdras  revient  à  son  thème  favori  :  «  X'eût-il  pas  mieux  valu 
que  la  terre  ne  produisît  pas  Adam,  plutôt  que  de  le  produire 
et  l'instruire  à  pécher?  »  (p.  67,  v.  11).  Et  il  adresse  au 
créateur  une  prière  pour  qu'il  soit  pardonné  aux  méchants  en 
faveur  des  justes  (p.  72).  Il  a  des  arguments  terribles  :  «  Si  la 
semence  du  laboureur  ne  lève  pas,  il  dit  :  «  Peut-être  n'a-t-elle 
c(  pas  reçu  assez  de  pluie,  c'est  pourquoi  elle  a  péri  »  —  Mais 
l'homme  que  tu  as  fait  de  tes  mains,  que  tu  as  formé  à  ta 
ressemblance,  s'il  est  ton  image  et  si  tu  as  tout  créé  à  cause  de 
lui,  pourquoi  le  compares-tu  et  le  f<iis-tu  ressembler  à  la 
semence  du  laboureur?  »  (p.  76,  v.  43-44).  L'ange  répond  par 
l'argument  de  liberté,  dont  les  méchants  se  sont  servis  pour 
offenser  Dieu  :  «  Après  avoir  été  créés,  ils  ont  profané  le  nom 
de  leur  créateur;  ils  n'ont  pas  rendu  grâce  à  celui  qui  les  avait 
formés  »  (p.  77,  v.  60). 


(1)  Le  Diesirœ  trahit  des  préoccupations  analogues:  «Judex  ergo  cum 
sedebit,  —  Quiquid  latet  apparebil,  —  Nil  inultura  remanebit.  —  Quid 
sum  miser  tune  dictarus  ?  —  Quom  patronum  rogaturus,  —  Cum  vix 
justus  sit  securus  ?  ». 

(i)  Cf.  encore  XXXI,  32  :  «  Le  père  ne  .satisfera  pas  pour  son  fils,  ni  le 

fils  pour  son  père  ».  —  LX,  3  :  « Vos  parents  ni  vos  enfants  ne  vous 

serviront  de  rien  ».  —  LXXIV,  49  :  «  L'intercession  des  i  tercesseurs  ne 
leur  servira  de  rien  «  —  Toutefois  le  l^rophète  pourra  intercéder  en  faveur 
de  qui  il  voudra.  Il  est  l'intercesseur  continuel  par  excellence,  et  même 
il  finira  par  faire  entrpr  tout  son  peuple  dans  le  Paradis.  Telle  est  la 
doctrine  musulmane  actuelle,  ctavée  sur  un  certain  nombre  de  passages 
du  Coran,  tels  ((ue  II,  î-''^  :  XIX,  !l(J  :  XX,  108  :  XXXIX.  45  :  LXXVIII. 
38,  et  sur  de  nombreuses  traditions. 

(3)  MoNE,  Schauspiele  cl.  Miîtelalt.,  1,  393.  ap.  Du  Méril,  op.  laud., 
p.  118.  n.  -l. 


l'apocalypse  d'esdras  371 

Dans  une  quatrième  vision,  Esdras  aperçoit  une  femme  qui 
se  lamente.  Elle  lui  expose  qu'ayant  été  trente  ans  stérile,  elle 

enfin  eu  un  fils  qu'elle  a  perdu  le  jour  où  il  se  mariait. 
Esdras  cherche  à  la  consoler,  quand  tout-à-coup  elle  disparaît 
et  fait  place  à  une  ville  immense.  L'Ange  explique  cette  vision 
à  Esdras  :  la  femme,  c'est  Sion,  à  qui  au  bout  de  3000  ans 
Salomon  construisit  un  temple  qui  est  le  fils.  La  mort  de  celui- 
ci,  c'est  la  ruine  de  Sion  (p.  83-89).  On  reconnaît  là  la  Jéru- 
salem Céleste  qui  devait,  selon  les  anciennes  croyances, 
descendre  sur  la  terre  et  être  la  demeure  des  J  uifs  ressuscites  (1). 
Les  premiers  chrétiens  le  crurent  aussi  (2),  mais  plus  tard,  la 
doctrine  catholique  vit  dans  cette  Jérusalem  le  symbole  de 
l'Eglise  à  laquelle  seraient  appelés  tous  les  chrétiens  (3)  et  elle 
en  mit  les  Juifs  à  la  porte. 

Dans  la  cinquième  vision,  apparaît  à  Esdras  un  aigle  à  trois 
têtes,  six  paires  d'ailes  et  quatre  paires  d'ailerons  qui  régnent 
successivement.  La  critique  moderne  a  trouvé  la  clé  de  cette 
énigme  :  l'aigle  est,  comme  dans  Daniel,  l'empire  romain  ;  les 
six  paires  d'ailes,  les  six  premiers  Césars  ;  les  quatre  paires 
d'ailerons,  Galba,  Othon.  Vitellius  et  Nerva  ;  les  trois  têtes,  les 
trois  premiers  Flaviens.  Le  lion  qui  vient  ensuite  faire 
disparaître  l'aigle  est  le  Messie  (p.  91-98).  Tout  cela  est 
présenté  comme  une  prophétie,  puisque  l'apocalypse  est 
censée  avoir  été  composée  par  Esdras.  C'est  là  l'allure  habi- 
tuelle d'un  grand  nombre  d'apocalypses  ;  l'auteur  y  prophétise 
des  événements  qui,  en  réalité,  sont  passés,  mais  qu'il 
présente  comme  futurs.  Arrivé  à  son  époque  il  continue  à 
vaticiner  ;  mais  ses  prédictions  deviennent  aussitôt  beaucoup 
plus  vagues  et  la  critique  discerne  facilement  le  moment  où  il 
cesse  de  mettre  en  œuvre  l'histoire  et  celui  où  il  s'abandonne 
à  son  imagination  (4).  C'est  ce  qui  se  produit  ici.  Les  prophé- 
ties qui  suivent  n'ayant  plus  aucune  précision  et  le  troisième 
des  Flaviens,  c'est-à-dire  Domilien,  ayant  été  assassiné  en  96, 


(1)  Cette  croyance  a  sa  source  dans  Isa'ie.  Vov.  en  pardculier  LXV, 
17-19. 

(2)  Il  en  est  ainsi  de  Tertullien.  Voy.  Adv.  Marcionon.  1.  III,  chap. 
XXIV,  in  MiiJNE,  Patrol.  lat.,  II,  355.  Cf.  Augustin,  De  cic.  Dei,  1.  XX, 
chapitre  XXI,  par.  2,  in  Migne,  ici.,  XLI,  691  et  les  références  données  à 
la  note  4. 

(3)  «  Sed  accessislis  ad  Sion  montem,  et  civitatem  Dei  viventis, 
Jérusalem  cœlestem,  elc »  (Vulg.,  Ad  Hebr..  XIL  23  seq). 

('i)  F.  Macler.  Les  apocalypses  apocryphes  de  Daniel,  in  Rec.  Hist. 
Rel.,  t.  XXXIII.  17=  ann.,  u-  1,  janv.-fév.  1896,  pp.  6etsuiv. 


372»  l'apocalypse  d'esdras 

l'Apocalypse  d'Esdras  est  forcément  un  peu  postérieure  à  cette 
date. 

La  sixième  et  dernière  vision  d'Esdras  nous  montre,  sous 
une  forme  symbolique,  celui  qui  doit  régner  sur  le  monde 
nouveau,  exterminer  ses  ennemis  et  réunir  les  neuf  tribus  de 
Sion.  Enfin  Esdras  reçoit  l'ordre  d'écrire  de  nouveau  la  Loi 
qui  avait  disparu  ;  il  la  reconstitue  de  mémoire  en  quarante 
jours  et  la  donne  aux  sages  du  peuple.  Cette  croyance,  d'après 
laquelle  la  Loi,  détruite  par  Nabuchodonosor,  avait  été 
reconstituée  par  Esdras,  se  retrouve  chez  les  premiers  Pères 
de  l'Église,  tels  que  TertuUien,  Saint-Irénée,  Clément  d'Alexan- 
drie (p.  16). 

Telle  est  l'Apocalypse  d'Esdras  ;  les  prophéties,  on  le  voit,  y 
occupent  une  moindre  place  que  dans  beaucoup  d'autres 
œuvres  semblables.  Les  questions  eschatologiques  y  sont  au 
contraire  au  premier  plan  ;  il  faut  aussi  remarquer  la  place 
prépondérante  qu'y  occupent  les  questions  d'Esdras  au  sujet 
du  problème  du  mal  qui  font  de  cette  œuvre,  comme  de 
plusieurs  autres  analogues,  une  sorte  de  métaphysique 
populaire. 

Aussi  l'influence  du  livre  d'Esdras  a-t-elle  été  considérable  . 
on  en  retrouve  la  trace  dans  la  littérature  musulmane  et 
M.  R.  Basset  a  tait  (p.  21)  allusion  à  un  curieux  passage  d'Ets- 
Tsa'labî,  que  nous  résiimous  sur  le  texte  même  de  l'écrivain 
arabe.  Cet  auteur,  dans  son  son  livre  sur  les  Proplièles,  raconte 
en  effet  que  les  Amalécites  avaient  vaincu  les  .Juifs  ;  mais  les 
docteurs  de  ceux-ci  avaient  pu  se  sauver  et  enterrer  dans  des 
montagnes  la  Loi  ou  (cTawrat  ».  'Ozaïr,  c'est-à-dire  Esdras  (1), 
s'était  mis  à  mener  la  vie  ascétique  au  sommet  d'un  mont.  Il  ne 
descendait  que  les  jours  de  fête.  Un  jour  en  revenant,  il  rencontra 
une  femme  qui  pleurait  près  d'une  tombe  (2j,  il  chercha  à  la 
réconforter,  mais  celle-ci  lui  dit  :  «  Je  suis  le  monde  d'ici-bas. 
Je  t'annonce  que,  dans  ton  oratoire  il  jaillira  une  source  et  il 
poussera  un  arbre.  Mange  des  fruits  de  cet  arbre,  bois  de  l'eau 
de  cette  fontaine,  fais-y  tes  ablutions  et  prie  deux  «  rek'a  » ,  et 


(1)  'Ozaïr  est  mentionné  une  fois  dans  le  Coran,  IX,  3U  :  «  Les  Juifs 
disent  :  «  'Ozaïr  est  fils  de  Dieu  »  On  verra  dans  le  passage  de  Tsa'aiabi 
que  nous  rapportons,  l'explication  de  cette  légende  :  les  commentateurs 
disent  généralement  que  Dieu  ressuscita  'Ozaïr  cent  ans  après  sa  mort  e_L 
que  ce  prophète  récita  la  loi  toute  entière  à  ses  coreligionnaires,  ce  qui 
fit  croire  qu'il  était  fils  de  Dieu.  Cpr.  Coran,  II,  256. 

(2)  On  reconnaît  ici  la  vision  d'Esdras,  quoique  défigurée,  (p.  84-89). 


l'apocalypse  d'esdras  373 

u  verras  venir  à  toi  un  vieillard  qui  te  donnera  quelque 
chose.  Ce  qu'il  te  donnera,  prends-le  ».  Le  lendemain  matin 
en  effet  une  source  avait  jailli  et  un  arbre  avait  poussé  dans 
l'oratoire  du  Saint.  Un  vieillard  se  présenta,  lui  fit  avaler  trois 
espèces  do  tioles,  le  fit  entrer  et  marcher  dans  la  source  :  à 
chaque  pas  qu'il  faisait  il  augmentait  en  science,  en  sorte  qu'il 
revint  près  de  son  peuple,  sachant  la  Tawràt  mieux  que 
personne.  Il  attacha  une  plume  à  chacun  de  ses  doigts  et 
écrivit  ainsi  de  mémoire  toute  la  Loi.  Et  lorsque  les  docteurs 
revinrent  avec  les  livres  qu'ils  avaient  déterrés^  et  qu'ils  les 
comparèrent  avec  ce  qu'avait  écrit  Esdras,  ils  ne  trouvèrent 
aucune  différence.  Et  tous  dirent  :  «  Il  faut  que  ce  soit  le  fils 
de  Dieu  »  (1). 

D'autre  part,  le  rituel  de  l'Église  catholiqut^  a  gardé  un 
certain  nombre  de  passages  empruntés  au  IV"^  livre  d'Esdras 
(p.  22)  :  mais  ce  que  le  traducteur  nous  signale  de  plus 
curieux  sous  ce  rapport,  c'est  que  Christophe  Colomb  s'appuya 
sur  l'Apocalypse  d'Esdras  pour  affirmer  l'existence  d'un 
Nouveau  Monde  (2).  Cet  argument,  fait  remarquer  M.  Basset, 
était,  aux  yeux  des  docteurs  de  l'époque,  d'un  poids  autrement 
considérable  que  toutes  les  raisons  d'ordre  scientifique. 

On  voit  que  le  livre  dont  nous  entretenons  nos  lecteurs  est 
du  plus  haut  intérêt  à  maint  et  maint  point  de  vue.  La  compétence 
nous  manque  malheureusement  pour  dire  de  la  traduction 
le  bien  qu'il  en  faudrait  certainement  dire.  Nous  ne  pouvons 
qu'en  apprécier  le  style  qui  est  clair  et  élégant;  une  introduc- 
tion très  érudite  et  où  cependant  l'auteur  s'est  refusé  à  suivre 
certains  exégètes  par  trop  subtils,  met  en  mesure  tous  ceux 
qui  s'intéressent  à  la  science  des  religions,  d'aborder  l'étude 
du  texte  en  toute  connaissance  de  cause. 


Tlemcen,  le  15  juin  1899. 


Edmond  DOUTTÉ. 


(1)  Ets  TSA'LAiii,  Qirac  el  Anbià.  1  vol.  4",  Tyl  pp..  Caire,  1314;  p.  195 
Cf.  Ahmed  BEN  Iyas,  ÈadàT-ez-Zolwûr.,  l  vol.  8\  216  pp.,  Caire,  1314' 
p.  1/3.  Le  luanquo  de  ressources  1)il)liograplii(|ues  à  Tlemcen  nous 
empêche  de  nous  référer  aux  travaux  de  Weil  et  di;  Lidzbarski. 

(2)  « Avant  qu'on  connût  la  trace  du  monde  futur  ,  avant  .jue 

fussent  marqué-,  du  sceau  ceux  qui  thésaurisent  la  foi.  Ce  iour-[;i  j'ai 
pensé  que  j'étais  jiar  moi-même  et  qu'il  n'eu  étnit  pas  d'autre,  —  Je  lui 
répondis  :  «  Quelle  sera  la  marque  de  la  durée  qui  lui  est  assignée  ? 
Quand  arrivera  la  fin  du  premier  monde  ?  Quand  le  commencement 
du  suivant?  >>  (p.  45,.  chap.  IV,  v.  5-7). 


HAGIOLOGIE   MAG'RIBINE 


—  Hier  est  arrivée  à  Oran  une  saints  musulmane  habillée 
en  homme. 

Prononcées  un  certain  matin  du  mois  de  juillet  de  l'an  de 
grâce  1899,  ces  quelques  paroles  du  grand  explorateur  maro- 
cain m'avaient  fait  ouvrir  des  yeux  étonnés  (1). 

—  Est-ce  bien  vrai  ?  dis  je  aussitôt  à  Moh'ammed  ben 
T'ayyéb.  Prends  garde  !  Tu  sais  avec  quelle  facilité  certains 
Chrétiens  écervelés  te  traitent  d'imposteur,  toi  et  tous  ceux 
de  ta  religion  du  reste  ? 

L'éternel  pèlerin  se  contenta  de  répondre  : 

—  Demain,  elle  sera  ici,  ici  même,  dans  ton  bureau. 

Et,  le  len-iemain,  ayant  fait  préparer  d'avance  du  café,  des 
fruits,  des  gâteaux,  non  de  ces  gâteaux  qu'une  dent  islamique 
ne  saurait  effleurer  sans  commettre  un  gros  péché,  mais  des 
gâteaux  pétris  par  la  main  savante  d'une  pure  croyante,  le 
lendemain,  j'étais  avec  ma  femme  et  mes  enfants  dans  mon 
cabinet  de  travail  quand  le  derviche  arriva.  Il  n'avait  avec  lui 
que  son  inséparable  parapluie.  J'eus  une  exclamation. 

—  Gomment  !  tout  seul  '?  Et  la  oualiya  (sainte),  où  est-elle  ? 

—  Patience,  fit  le  cheminot  en  souriant;  elle  me  suit,  elle 
arrive. 

Elle  arrivait,  en  efïet,  suivie  de  la  femme  du  derviche  et  de 
ses  deux  mok'addem.  On  me  l'amenait  par  surprise  :  il  s'agis- 
sait de  lui  montrer  la  route  qui  conduit  à  Dédda  Youh  (2),  le 
saint  vénéré  dont  les  eaux  thermales  produisent  des  cures  si 


(1)  Il  y  avait  de  quoi  être  stupéfait,  carc'p.stla  première  fois  que  pareil 
secret  s'envole  liors  du  monde  fermé  de  l'Islam.  Un  très  honorable 
interprète  principal  de  l'armée  en  retraite,  M.  L.  Guin,  frappé  de  ma 
découverte  inattendue,  m'avouait  ces  jours-ci  qu'en  dépit  de  ses  50  années 
passées  à  fréquenter  les  Indigènes  et  à  étudier  leurs  ouvrages,  il  ignorait 
absolument  ce  détail  typique  ainsi  que  d'autres  particu'arités  extraordi- 
naires qui  caractérisent  la  phalange  si  nombreuse  et  si  bien  gardée  des 
saintes  et  des  saints  musulmans  de  l'Afrique  Septentrionale.  Veuillez 
réfléchir  à  celte  grave  déclaration  de  l'un  de  nos  meilleurs  arabisants 
algériens,  et  ne  vous  demandez  pas  ensuite  ce  que  la  Science  officielle, 
représentée  par  d'aveugles  profanes,  peut  bien  savoir  de  réel  et  d'exact 
urle  mystérieux  troupeau  des  marabouts,  des  maraboutes,  des  saints  et 
des  saintes  de  l'Islam  ipù,  de  nos  jours  encore  et  plus  que  jamais  peut- 
être,  sillonnrnt  à  pas  de  loup  et  tondent  dévotement  l'immense  surface 
territoriale  qui    s'étend  des  déserts    de    la   Trip'blitaine    au   rivage  de 

l'Atlantique 

(2)  Les  Bains  de  la  Reine,  sur  la  route  d'Oran  à  Mers-el-Kebir. 


HAGIOLOGIE   MAG'RIBINE  375 

merveilleuses,  et  on  lui  avait  dit  que  de  la  maison  d'un  certain 
t'aleb  roumi  ce  chemin  était  parfaitement  visible. 

—  Un  t'aleb  rournil  Je  n'en  ai  jamais  vu,  avait-elle  dit  à 
l'épouse  de  l'explorateur.  Entrons  donc  voir  celui-ci. 

D'elle-même,  la  première,  elle  avait  franchi  les  trois  marches 
de  la  porte,  et  elle  s'avançait  dans  le  corridor,  pieds-nus,  les 
bras  croisés  sur  la  poitrine,  dans  l'attitude  de  nos  pieuses 
chrétiermes  au  retour  de  la  Sainte-Table.  Son  costume 
masculin,  —  deux  légers  burnous,  un  h'aïk  en  laine,  une 
âbaya  et  un  kenbouch,  —  ne  pouvait  me  donner  le  change  sur 
le  sexe  de  la  frêle  personne  qui  venait  me  visiter  :  Le  visage 
frais  et  rose,  les  yeux  mi-clos,  se  fermant  souvent  devant 
l'éclat  du  grand  soleil  qui  inondait  ma  terrasse  et  une  partie 
de  mon  bureau,  les  mains  assez  mignonnes,  teintées  de  henné 
au  bout  des  doigts,  mais  très  peu,  à  peine  sous  les  ongles,  la 
pauvre  enfant  que  j'avais  devant  moi  aurait  pu  difficilement 
passer  pour  un  homme  parmi  ses  coreligionnaires.  Quant  aux 
Européens,  comme  ils  ne  font  pas  cas  des  porteurs  de  burnous 
qu'ils  rencontrent,  il  est  certain  que  notre  sainte  n'avait  éveillé 
l'attention  d'aucun  d'eux. 

La  veille,  Moh'ammed  m'avait  recommandé,  en  trois  ou 
quatre  phrases  rapides,  de  témoigner  à  D'éhbiya  (1)  les  plus 
grands  égards.  Nous  étions  d'ailleurs  sous  l'œil  vigilant  de  l'un 
de  ses  mok'addem,  le  nommé  K'addour,  un  rustre  aux  larges 
épaules,  à  la  mine  patibulaire,  dont  la  principale  fonction 
consiste  à  suivre  la  jeune  sainte  comme  son  ombre.  Son 
collègue,  l'autre  mok'addem,  s'était  arrêté  en  route  et  n'était 
pas  entré.  Le  gros  K'addour  lui-même  avait  failli  rester  à  la 
porte,  trop  brusquement  refermée  par  ma  domestique,  mais 
D'éhbiya  l'ayant  appelé,  cet  homme  pratique  n'avait  pas  tardé 
à  faire  son  apparition  dans  mon  bureau  et  s'était  laissé  choir 
sur  un  bon  fauteuil,  entre  sa  patronne  d'un  côté  et  la  femme 
du  derviche  de  l'autre. 

—  Zaret-na  l -baraka,  ya  ouallou  Lhali.  (La  bénédiction 
divine  nous  a  visités,  6  ami  de  Dieu). 

A  cette  formule  de  politesse  que  je  répétais  deux  ou  trois 


(l)<u\.»^  nom  propre  arabe  signifiant  en  or. 


376  HAGIOLOGIE   MAG'RIBINE 

fois,  D'éhbiya  répondit  en  se  penchant  à  mon  oreille,  de  manière 
à  n'être  entendue  que  de  moi  seul  : 

—  Je  suis  une  oual'vja  (sainte)  et  non  un  oualï  (saint). 

—  Je  le  sais,  tis-je  tout  bas  ;  et  je  sais  aussi  qu'il  y  a  des 
ouali  (saints)  qui  portent  des  vêtements  de  femmes. 

—  Comment  !  Comment  !  Mais  qui  donc  es-tu  ?  Musulman 
ou  chrétien  ? 

Alors,  d'un  geste  solennel,  lui  montrant  du  doigt  les  cieux, 
je  répondis  : 

—  Celui  qui  lit  dans  les  cœurs,  celui-là  seul  le  sait. 

—  Sami-ni,  sami-ni.  (Viens  près  de  moi,  près  de  moi). 

Et  elle  me  montrait  un  siège,  à  sa  gauche,  sur  lequel  je 
m'assis,  tandis  que  le  peu  sémillant  K'addour,  à  sa  droite,  se 
bourrait  de  raisin  et  de  pêches,  bombance  royale  qui  était  la 
bienvenue,  disait-il,  parce  qu  il  n'avait  pris  qu'un  peu  de  café 
le  matin,  sans  autre  chose. 

Cueillant  délicatement  les  grains  d'une  belle  grappe  de  raisin 
que  je  lui  avais  mise  entre  les  doigts,  et  les  croquant  avec  une 
sage  lenteur,  D'éhbiya  m'expliquait  qu'elle  n'aimait  que  les  fruits. 

—  Les  bœufs  que  je  fais  égorger  à  chacune  de  mes  ouaâda, 
je  n'y  touche  même  pas.  La  viande  me  répugne,  ajoutait- elle, 
et  j'ai  si  peu  d'appétit  qu'il  m'arrive  parfois  de  rester  deux  jours 
sans  manger. 

Elle  venait  d'achever  son  raisin  et  elle  tendait  ses  deux 
mains  au  mok'addem.  Celui-ci,  comprenant  ce  que  ce  geste 
signifiait,  releva  un  pan  de  son  burnous  et  s'empressa  d'essuyer 
un  à  un  les  dix  doigts  de  sa  maîtresse. 

Cependant  la  femme  de  l'explorateur  ne  tarissait  pas  sur  les 
mérites  de  D'éhbiya. 

—  Une  si  jeune  enfant,  à  peine  dix-huit  ans,  déjà  sainte,  et 
extatique  !  (mejd'ouba). 

Dans  le  fm  fond  de  mon  àme,  je  priai  le  Dieu  des  Montanistes 
de  m'accorder  l'inestimable  faveur  d'assister  à  l'une  de  ces 
fréquentes  et  terriiiantes  crises  pendant  lesquelles  la  jeune 
vierge  des  Sedjrara  (1),  ravie  en  extase,  prononce,  paraît-il, 
d'une  voix  tonnante,  le  nom  du  célèbre  santon  dont  elle  est  la 
servante  préférée  :  Sidi  Abd-el-K'ader  el-Djilani. 

{A  Suivre).  Auguste  MOULIÉRAS. 


([)  Tribu  des  environs  de  Perrégaux  (département  d'Oran). 


MUSTAPHA  BEN  ISMAEL 

(SUITE  ET  VIS) 


La   Sikkak 

{U  juillet  1830) 

Depuis  la  désastreuse  afîaire  de  Sidi-Yacoub,  nos  troupes  de 
la  division  d'Oran,  étroitement  observées  par  Tennemi,  subis- 
saient un  véritable  blocus  dans  leur  camp  de  laTafna.  Aucune 
sortie  n'était  plus  possible  ;  elles  durent,  pendant  plus  d'un 
mois  d'escarmouches,  se  borner  à  défendre  leurs  retranche- 
ments. 

Seuls,  les  fidèles  cavaliers  du  Maghzen  sortaient  pour  four- 
rager et  a\aient,  chaque  fois,  des  engagements  avec  l'ennemi. 
Dans  deux  de  ces  combats,  ils  eurent  à  déplorer  la  perte  de 
plusieurs  des  leurs. 

D'un  autre  côté,  l'état  de  la  mer  ne  permettait  pas  de  débar- 
quer des  vivres,  de  sorte  que  la  disette  commençait  à  se  faire 
sentir  dans  le  camp.  Les  troupes  furent  successivement 
réduites  à  la  demi,  puis  au  quart  de  ration.  Cela  devenait 
inquiétant.  La  nourriture  étant  réduite  à  une  poignée  de  riz 
cuit  à  l'eau  bourbeuse,  les  soldats  s'affaiblirent  promptement 
et  bientôt  furent  contraints  de  manger  la  chair  des  chevaux 
tués  à  l'ennemi,  à  chaque  sortie  des  Douairs  et  des  Sinélas. 

Pour  exciter  encore  davantage  l'irritabilité  des  cavaliers  du 
Maglizen,  qui  souffraient  le  plus  de  la  famine,  des  Kabyles  et 
des  Arabes  venaient,  à  tout  propos,  leur  jeter  par  dessus  les 
retranchements  ces  décevantes  paroles  : 

—  «  Vos  femmes  et  vos  enfants  sont  prisonniers  :  tout  ce 
qui  n'a  pas  été  tué  par  notre  sultan  Abdelkader,  autour  d'Oran, 
a  été  enlevé,  et,  pendant  que  vous  mourez  de  faim  .^ur  cette 
plage,  au  service  des  dirctiens,  nous  nous  partageons  aos  trou- 
peaux et  vos  biens  ». 

En  effet,  pendant  que  les  troupes  de  la  Division  étaient  blo- 
quées à  la  Tafna  et  le  reste  de  la  province  d'Oran  sans  défense, 
Abdelkader,  laissant  à  une  partie  de  son  armée  la  garde  du 


378  MUSTAPHA  BEN   ISMAEL 

blocus  de  Rachgoun,  se  porta  vivement  vers  la  M'iéta,  sur  les 
terres  de»  Douairs,  pour  exercer  contre  eux  de  violentes 
représailles. 

Ceux  d'entre-eux  qui  n'étaient  pas  au  goum  du  Maghzen  avec 
l'agha  Mustapha,  cultivaient  paisiblement  leurs  terres  et 
s'occupaient  de  l'élevage  du  bétail.  L'émir  les  surprit  inopiné- 
ment dans  leurs  campements  et  opéra  sur  eux  une  immense 
razzia  dans  laquelle  Si  Ahmed  ould  Cadi  perdit  totalement  ses 
troupeaux  et  ses  biens  estimés  300.000  francs.  Ce  riche  butin 
fut  enlevé  et  conduit  en  lieu  sûr  à  El-Améria  (aujourd  hui 
Lourmel).  Là,  l'émir  écrivit  à  Si  Ahmed  ould  Cadi  qui  était  un 
des  chefs  des  Douairs  à  la  colonne  du  général  d'Arlanges,  une 
lettre  comminatoire,  lui  rappelant  le  temps  de  leur  jeunesse 
passée  ensemble  et  de  leurs  études  faites  en  commun.  Il 
l'engageait  vivement  à  quitter  les  Français  et  à  venir  le 
rejoindre,  ajoutant  qu'il  lui  restituerait  tous  ses  biens. 

Le  destinataire  de  cette  lettre  répondit  termement  à  Abdel- 
kader  : 

—  «  Je  vous  remercie  de  vos  offres  généreuses  et  je  ne  compte 
que  sur  Dieu  seul  pour  me  dédommager  de  la  perte  de  mes 
biens  que  vous  m'avez  ravis.  Achevez  votre  œuvre,  c'est  la  loi 
de  la  guerre  ;  mais  le  sort  des  batailles  est  inconstant,  s'il 
vous  favorise  aujourd'hui,  il  pourra  vous  être  contraire  de- 
main !  C'est  dans  cet  espoir  que  je  refuse  vos  offres  et  que  je 
demeure  au  sein  des  Français  nos  bienveillants  protecteurs, 
dont  nous  sommes  et  demeurons  les  enfants  d'adoption.  » 

Ainsi,  malgré  toutes  ces  tentatives  et  ces  excitations  réité- 
rées, pour  détacher  de  nous  nos  braves  auxiliaires,  le  moral 
des  Douairs  restait  inébranlable  ;  ce  qui  faisait  dire  par 
Mustapha  ben  Ismaël  au  général  d'Arlanges  : 

—  «  Ce  sont  (les  hommes  auxquels  il  ne  reste  d'entier  que  Je 
cœur,  )) 


Cependant,  le  général  profitant  d'une  accalmie  qui  permit, 
vers  la  fin  mai,  à  quelques  navires  dOran  de  venir  les  ravi- 
tailler, eut  un  moment  l'intention  d'embarquer  la  division 
toute  entière  pour  la  débloquer  et  la  faire  rentrer  à  Oran  par 


MUSTAPHA   BEN  ISMAEL  379 

mer    II  fit  part  de  son  projet  à  Mustapha  ben  Ismaël,  toujours 
homme  de  bon  conseil  : 

—  «  Faites  ce  qu'il  vous  plaira,  lui  répondit  le  vieil  agha, 
exécutez  votre  projet  sans  vous  préocuper  ni  de  moi  ni  des 
miens.  Nous  ne  connaissons  pas  la  mer,  ni  les  vaisseaux,  nous 
ne  connaissons  que  la  voie  de  terre  et  nos  braves  chevaux. 
Avec  eux,  nous  serons  toujours  assez  forts  pour  regagner  nos 
terres  de  la  M'iéta  par  une  marche  de  nuit,  et  nous  y  arrive- 
ront coûte  que  coûte.  » 

La  mer  redevenue  mauvaise,  les  troupes  restèrent  à  la 
Tafna,  pendant  qu'en  France  le  Gouvernement  et  les  Chambres 
justement  émues  de  la  triste  situation  des  troupes  de  la  divi- 
sion d'Oran,  résolurent  de  les  en  tirer  avec  honneur. 

On  ht  embarquer  lestement  à  Toulon  et  transporter  à 
Rachgoun  par  le  Nestor,  la  Ville  de  Marseille  et  le  Scipion, 
4,500  hommes  d'infanterie  avec  mission  d'aller  en  toute  hâte 
dégager  !e  général  d'Arlanges. 

Le  5  juin  1836  les  trois  vaisseaux  apparurent,  enfin,  a 
l'horizon  et  vinrent  bientôt  opérer  leur  mouillage  dans  la  rade, 
à  l'abri  derrière  l'île  de  Rachgoun.  Ils  amenaient  trois  régi- 
ments de  ligne  :  les  23^,  24^  et  62^  placés  sous  les  oidres  du 
général  Bugeaud,  auquel  le  Gouvernement  confiait  le  com- 
mandement de  cette  nouvelle  expédition.  En  même  temps,  le 
général  de  Létang  était  nommé  à  Oran  au  commandement  de 
la  place  et  de  la  Division. 

Le  7  juin,  le  débarquement  des  troupes  de  renfort  était 
achevé.  Calme  et  résigné  dans  sa  disgrâce,  le  général 
d'Arlanges  remit  à  Bugeaud  la  direction  du  camp  retranché 
et  celui  des  braves  et  vieilles  troupes  d'Afrique  dont  l'estime  et 
l'affection  suivit  dans  sa  retraite  l'officier  général  distingué, 
paternel  et  loyal,  que  sa  chétive  apparence  et  sa  santé  déla- 
brée avaient  souvent  privé  de  l'autorité  et  de  l'ascendant 
moral  si  nécessaires  à  la  pratique  journahère  du  commande- 
ment et  aux  actions  de  guerre.  De  son  côté,  l'agha  Mustapha 
ben  Ismaël,  en  vue  de  la  reprise  de  l'offensive,  reçut  de  la  M'iéta 
un  important  renfort  de  cavaliers  auxiliaires  des  Douairs  et 
Smélas,  qui  porta  l'effectif  du  Magh/.en  à  600  chevaux. 


380  MUSTAPHA   BEN  ISMAEL 

A  son  débarquement,  le  général  Bugeaud  trouva  une  vérita- 
ble place  forte  construite  à  Rachgoun  avec  des  développements 
exagérés  et  des  travaux  de  patience  excessifs,  sans  qu'un 
murmure  se  fut  élevé  pendant  la  pénible  et  laborieuse  exécu- 
tion de  ces  ouvrages  visiblement  superflus  pour  le  présent  et 
justifiés  seulement  par  la  nécessité  d'arracher  au  désœuvre- 
ment et  au  spleen  des  soldats  qui  manquaient  de  tout  hors  le 
sentiment  du  devoir,  et  dont  les  cruelles  épreuves,  patiem- 
ment subies,  semblaient  accroître  encore  le  dévouement  au 
drapeau  et  l'obéissance  passive. 

Le  général  Bugeaud,  sans  perdre  de  temps,  se  disposa  à 
reprendre  l'otlensive  ;  il  réunit  les  troupes  pour  se  faire  con- 
naître, leur  parla  affectueuse  ment  et  conquit  promptement 
leur  confiance. 

Ses  préparatifs  achevés,  il  rompit,  le  12  juin,  ce  blocus  de  la 
Tafna  qui  durait  depuis  le  25  avril.  Pour  montrer  à  Abdel - 
kader  qu'il  ne  le  craignait  pas  et  se  trouvait  libre  de  ses 
mouvements,  le  général  prit  la  route  d'Oran  par  le  littoral, 
harcelé  par  des  coureurs  ennemis,  mais  nullement  gêné 
dans  sa  marche.  Le  13,  bien  qu'il  fit  très  chaud,  la  colonne 
combattit  avec  succès  un  parti  d'Arabes  qui  l'attaquèrent  de 
flanc.  Le  14,  près  de  l'Oued  Ghaser,  un  bataillon  du  62%  qui 
n'avait  jamais  vu  le  feu,  fatigué  par  la  marche  et  surpris  par 
une  attaque  soudaine  de  cavalerie,  se  pelotonna  autour  de  son 
drapeau  ;  on  le  dégagea  immédiatement  et  les  cavaliers  de 
Mustapha  ben  Ismaël,  prompts  à  la  riposte,  furent  les  premiers 
à  lui  faire  un  rempart  de  leurs  corps.  Le  16,  la  colonne  arriva 
à  Oran  et  y  prit  un  peu  de  repos  pendant  deux  jours. 

Le  18,  la  colonne  avec  un  fort  ravitaillement  reprit  la  route 
de  Tlemcen  où  l'on  arriva  après  cinq  jours  de  marche,  rendus 
pénibles  par  la  forte  chaleur.  Entre  Tisser  et  Tlemcon,  nos 
troupes  eurent  à  soutenir  une  attaque  d'arrière-garde  qui 
dégénéra  peu  après  en  combat  général  de  cavalerie  auquel 
prirent  part,  avec  succès,  trois  escadrons  de  chasseurs  d'Afri- 
que et  la  cavalerie  auxiliaire  de  l'Agha  Mustapha. 

On  trouva  à  Tlemcen  la  garnison  fatiguée  par  les  privations, 
mais  d'un  moral  à  toute  épreuve. 


MUSTAPHA   BEN   ISMAEL  381 

«  La  présence  dans  cette  place,  dit  le  duc  d'Orléans  (I),  des 
troupes  de  la  division  commandée  par  le  général  Bugeaud, 
lut  un  court  entr'acte  dans  les  souffrances  de  cette  petite 
garnison  du  Méchouar,  séparée  du  monde  depuis  le  mois  de 
février  et  à  laquelle  on  avait  donné  le  droit  de  se  croire  oubliée 
par  la  France.  Deux  fois  elle  avait  entendu  le  canon  du 
général  d'Arlanges,  et  deux  fois  ce  bruit,  en  s'éloignant,  avait 
tralii  son  espérance  sans  ébranler  son  ferme  dévouement. 
L'expression  assurée,  la  pâleur  de  leurs  visages  amaigris, 
attestaient  à  la  fois  de  leurs  dures  privations  et  de  la  persévé- 
rante énergie  d'àmes  inaccessibles  au  découragement. 

((  Le  plus  pâle  de  tous,  le  plus  maigre,  parce  qu'il  avait 
voulu  souffrir  plus  qu'aucun  de  ses  soldats,  le  brave  capitaine 
Gavaignac  rehaussa  encore  par  sa  modestie  et  son  abnégation 
une  conduite  exemplaire  admirée  de  toute  l'armée.  » 

Le  convoi  de  vivres  conduit  à  Tlemcen  ne  l'approvisionnait 
que  pour  un  mois.  C'était  peu.  Le  général  Bugéaud  repartit 
dès  le  26  à  la  Tafna  pour  y  aller  chercher  un  plus  fort  ravitail- 
lement. En  revenant  de  Rarhgoun,  où  on  était  arrivés  sans 
encombre,  la  colonne  ne  tarda  pas  à  appercevoir  de  forts  con- 
tingents ennemis  l'observant  de  tous  côtés  et  paraissant 
vouloir  lui  barrer  le  passage  et  lui  enlever  le  convoi. 

Le  second  jour,  le  général  vint  camper  sur  les  bords  de  la 
rivière,  au  débouché  de  la  vallée  de  l'oued-el-Ateuch  (vallée 
de  la  soif),  vers  Tendroit  où  se  trouve,  de  nos  jours,  le  point 
appelé  X  La  Plàtrière.  »  L'Émir,  avec  toutes  ses  troupes, 
s'était  posté  deux  lieues  plus  loin,  à  la  Pierre  du  Chat,  vers 
l'entrée  des  gorges  de  la  Tafna,  barrant  ainsi  le  chemin  carros- 
sable aux  Français.  Le  général  Bugeaud  fait  faire  une  recon- 
naissance sur  la  route,  pour  tromper  l'ennemi  qui  l'attendait 
de  ce  côté  Mais,  dès  la  nuit  venue,  laissant  tous  ses  feux  de 
bivouac  allumés  pour  donner  le  cliange,  il  ordonne  un  rapide 
mouvement  de  flanc,  à  gauche,  lequel  transporte  l'infanterie 
sur  les  hauteurs  qui  commandent  le  col  des  Sebà-Chiouck, 
non  gardé  par  l'ennemi.  A  trois  heures  du  matin,  le  colonel 
Combes,  à  la  tète  de  trois  bataillon*,  s'empare  du  col  qui  est 


(1)  Duc  (I'Orléaxs.—  Les  campagnes  d'Afrique. 


382  MUSTAPHA  BEN   ISMAEL 

désert  et  assure  ainsi  le  passage  de  la  chaîne  de  montagne  à 
toute  la  division,  qui  descend  le  versant  sud,  passe  Tisser  et 
va  camper  le  soir  à  l'angle  du  confluent  de  la  Sikkak  avec  cette 
rivière. 

Avoir  su  éviter  le  combat  là  où  l'ennemi  le  voulait,  s'était  se 
l'assurer  par  ailleurs  avec  l'avance  suffisante  pour  en  choisir 
l'emplacement. 

Au  petit  jour,  quand  les  arabes  constatèrent  l'évacuation  du 
camp  de  l'oued-el  Ateuch,  Abdelkader  entra  dans  une  grande 
colère. 

Son  orgueuil  et  sa  fierté  supportaient  mieux  une  défaite 
qu'une  mystification  ;  il  se  résignait  à  subir  la  supériorité  de 
la  force,  mais  non  celle  de  l'intelligence  et  de  la  ruse.  L'humi- 
liation de  ce  chassé-croisé,  la  colère  d'avoir  été  deux  fois  dupé, 
ajoutèrent  à  son  impatience  de  se  venger  d'un  adversaire  dont 
l'habileté  faisait  ainsi,  de  la  vanité  de  l'Émir  l'instrument  de  ses 
desseins. 

—  ((  Ce  français  est  un  renard,  s'écria-t-il,  et  son  armée  est 
un  serpent,  mais  saura-t-il  être  un  lion  9  » 

L'armée  musulmane,  quitta  ces  montagnes,  et,  comme 
fascinée  par  ce  convoi  qui  venait  de  lui  échapper,  elle  tourna 
les  gorges,  descendit  à  sa  suite  et  vint  aussitôt  camper  dans  la 
plaine  de  Tisser.  Du  camp  français  on  vit  défiler  à  petite 
distance,  pendant  l'après-midi,  une  nombreuse  cavalerie  qui, 
drapeaux  déployés,  sortit  des  gorges  de  la  Tafna  où  elle  nous 
avait  vainement  attendus.  Elle  vint  s'établir  à  une  lieue  en  amont 
de  notre  bivouac,  tandis  que  l'infanterie  régulière  et  les 
contingents  kabyles  prenaient  position  à  une  lieue  en  aval.  Le 
gros  des  forces  ennemies  remonta  la  rive  gauche  de  Tisser  et 
vint  camper  à  deux  kilomètres  à  gauche  de  la  colonne  fran- 
çaise, manœuvre  qui  aux  yeux  de  tous  avait  pour  but  de 
l'enfermer  le  lendemain  dans  le  profond  ravin  de  la  Sikkak, 
très  encaissé  de  tous  côtés  et  que  les  Français  devaient  passer 
deux  fois  pour  se  rendre  à  Tlemcen,  la  route  étant  la  corde  de 
Tare  formé  par  ce  cours  d'eau. 

Dans  un  ordre  du  jour  resté  célèbre  et  dont  les  assertions 


MUSTAPHA   BEN   ISMAEL  383 

se  sont  vérifiées  avec  un  bonheur  inouï,  le  général  Bugeaud 
annonça  ainsi  à  ses  troupes  le  combat  du  lendemain  : 

—  «  Vous  serez  attaqués  demain  dans  votre  marche  ;  vous 
saurez  souffrir  un  temps  les  insultes  de  l'ennemi  et  vous  vous 
bornerez  à  le  contenir.  Mais  vous  prendrez  votre  revanche 
dès  que  le  convoi  sera  en  sûreté  sur  la  route  de  Tlemcen. 
Alors,  vous  marcherez  sur  vos  adversaires  et  vous  les  préci- 
piterez dans  les  ravins  de  J'Isser,  de  la  Sikkak  ou  de  la 
Tafna.  » 

A  quatre  heures  et  demi  du  matin,  le  6  juillet,  malgré 
toute  sa  diligence,  le  général  fut  attaqué  par  les  Arabes  qui 
tenaient  sa  gauche,  alors  que  la  moitié  du  convoi  seulement 
avait  passé  le  ravin  de  la  Sikkak.  Le  général  Bugeaud  fit 
contenir  l'ennemi  par  les  Douairs,  toujours  les  premiers  au 
feu,  et  par  un  bataillon  du  256  de  ligne  appuyé  d'un  escadron 
du  2^  chasseurs  d'Afrique. 

Dans  cette  première  escarmouche,  qui  fut  très  vive,  l'agha 
Mustapha  ben  Ismaël  fut  blessé  d'une  balle  qui  lui  brisa  le 
petit  doigt  de  la  main  droite.  Obligé  de  se  retirer  à  l'am- 
bulance pour  y  recevoir  un  pansement  d'un  chirurgien-major 
que  Bugeaud  lui  avait  envoyé  et  qui  croyait  devoir  lui  expri- 
mer des  paroles  de  sympathie,  le  brave  Mustapha  lui 
répondit  : 

—  (k  II  est  mutile  de  me i)Iaindre,  car  le  sang  colore  très  hien 
la  main  :  c'est  le  henné  des  guenners.  » 

Pendant  ce  temps  sur  le  champ  de  bataille,  l'affaire  devenait 
de  plus  en  plus  chaude.  A  l'autre  extrémité,  sur  la  droite, 
finfanterie  régulière  de  l'Émir  rendue  audacieuse  par  le  sou- 
venir du  succès  de  Sidi-Yaconh,  se  ruait  avec  force  sur  nos 
lignes  à  peine  établies  sur  le  plateau. 

Le  2^  chasseurs  d'Afrique,  ayant  à  sa  tête  le  colonel  Serva 
de  Laisle,  se  prépara  à  charger  ! 

Il  n'y  avait  pas  un  instant  à  perdre  si  on  voulait  laisser  au 
colonel  Combes,  commandant  la  colonne  de  droite,  le  temps  de 
se  déployer  et  d'assurer  sa  position  ; 

—  «  J'avais  besoin  de  dix  minutes  de  plus,  dit  le  général 
Bugeaud  dans  son  rapport,  pour  achever  mes  dispositions  et 


384  MUSTAPHA  BEN   ISMAEL 

distribuer  tous  les  rôles  ;  il  fallait  aussi  donner  le  temps  à 
l'ennemi  de  passer  à  son  tour  la  Sikkak,  afin  de  l'y  précipiter. 
Abdelkader  n'a  pas  voulu  me  donner  ces  dix  minutes  ;  il  a  re- 
jeté sur  moi  mes  tirailleurs  et  mes  spahis  et  s'est  avancé  en 
grosses  masses  informes,  poussant  des  cris  atïreux  !  » 

C'est  à  ce  moment  que  le  régiment  du  2<^  chasseurs  d'Afrique 
disposé  pour  la  charge  fut  ébranlé  par  le  commandement  de 
Bugeaud  en  personne  !  C'est  lui-même  qui  le  lança  sur  les 
cohues  arabes  en  s'écriant  de  sa  voie  sonore  et  puissante  : 

—  Allo7is,  braves  chasseurs  !  au  nom  du  Roi  et  pour  Vhon- 
neur  de  la  France,  chargez  !!!. . .  Cette  première  contre-attaque 
ne  réussit  qu'à  moitié.  Le  colonel  de  Laisle  ayant  devant  lui 
des  forces  dix  fois  supérieures,  ne  pouvait  pas  contenir  un  tel 
(lot  ;  il  eut  son  képi  emporté  par  une  grêle  de  balles  qui  ne  le 
blessèrent  pas  et  ses  escadrons  durent  plier  !  Mais,  ce  peu  de 
temps  avait  suffi  aux  brigades  Combes  et  de  Vilmorin  pour 
prendre  à  leur  tour  l'offensive  ;  et  comme  on  pouvait  tout 
demander  aux  vieux  briscards  du  2^  chasseurs  d'Afrique,  leurs 
escadrons  promptement  reformés  renouvelèrent  la  charge,  et 
cette  fois  appuyés  par  tous  les  bataillons  de  l'infanterie 
d'Afrique  qui  se  porta  résolument  en  avant,  au  commande- 
ment du  général,  après  qu'une  volée  de  mitraille  et  d'obus 
avait  été  lancée  sur  celte  vaste  confusion  de  burnous,  qui  cou- 
vrait le  plateau. 

Cette  vigoureuse  offensive  nous  donna  la  victoire.  La  deu- 
xième charge  des  chasseurs  d'Afrique  eut  un  plein  succès;  un 
bataillon  régulier  de  cette  infanterie  rouge,  dont  l'Émir  était  si 
fier,  cerné  sur  un  contre-fort  escarpé,  fut  fait  prisonnier  en 
grande  partie.  Sur  un  autre  point,  beaucoup  d'arabes  périrent 
en  se  précipitant  du  liaut  des  escarpements  dans  la  rivière 
plutôt  que  de  se  rendre.  Cette  charge  furieuse  bouscule  l'en- 
nemi :  les  chasseurs,  mêlés  avec  les  cavaliers  arabes  en  dérou- 
te, arrivent  sur  les  fantassins,  appelés  nizams  :  tout  est  rompu, 
tout  est  enfoncé  par  l'élan  indomptable  de  notre  intrépide 
cavalerie. 

Et,  cette  fois  encore,  en  historien  impartial,  nous  devons 
dire  que  c'est  au  concours  spontané  des  cavaliers  auxiliaires 
du  maghzen,  conduits  par  Ismaël  ould  Kadi,  que  cette  charge 


MUSTAPHA    BEN   ISMAEL  385 

décisive  dût  son  plein  succès.  Il  faut  se  souvenir  que  dès  la 
pointe  du  jour  les  Douairs  avaient  été  chargés  de  la  défense  du 
convoi,  mais  celte  lutte  d'arrière-garde  ne  pouvait  leur  conve- 
nir et  c'est  pourquoi  voyant  fléchir  leurs  camarades  des  chas- 
seurs devant  le  nombre  écrasant  de  leurs  adversaires,  ils  se 
précipitèrent  spontanément  dans  la  mêlée. 

Bugeaud  rend  compte  ainsi,  de  cet  épisode,  dans  son  rapport 
ofticiel  : 

—  «  Les  arabes  ont  plié  une  seconde  fois  ;  une  seconde  fois 
aussi  je  leur  ai  lancé  ma  cavalerie,  mais  alors  400  Douairs  et 
Smélas  m'avaient  rejoints  ;  malheureusement,  leur  agha 
Mustapha  venait  d'être  blessé  d'une  halle  à  la  main.  Malgré 
la  privation  de  cet  excellent  chef,  ils  m'ont  rendu  de  grands 
services.  Eux  et  les  chasseurs  d'Afrique  se  sont  couverts  de 
gloire.  Tout  a  été  culbuté,  la  cavalerie  arabe  a  perdu  beau- 
coup d'hommes,  d'armes  et  de  chevaux  ;  ses  morts  et  ses  bles- 
sés sont  restés  en  notre  pouvoir.  »  Ce  fut  à  la  suite  de  cette 
débâcle  que  ce  qui  restait  de  l'infanterie  régulière  de  l'émir, 
lâchement  abandonnée  sur  le  champ  de  bataille  par  la  cavale- 
rie, rompue  et  disloquée  par  les  baïonnettes  de  nos  bataillons, 
se  précipita  fatalement  sur  un  des  points  les  plus  difficiles  du 
ravin  de  lisser.  Une  pente  assez  rapide  aboutissant  à  un  rocher 
taillé  à  pic,  à  dix  ou  douze  mètres  au-dessus  d'une  sorte  de 
plage. 

C'est  là  qu'un  carnage  horrible  commença  et  se  poursuivit 
malgré  les  efforts  personnels  du  général  Bugeaud  pour  l'ar- 
rêter. Dans  le  but  d'échapper  à  une  mort  certaine,  ces  mal- 
heureux vaincus  se  précipitent  au  bas  du  rocher,  s'assomment 
entre-eux  ou  se  mutilent  d'une  façon  affreuse.  Bientôt  cette 
triste  ressource  leur  est  enlevée  ;  des  chasseurs  et  des  volti- 
geurs avaient  trouvé  un  passage  dans  le  lit  de  la  rivière  et  les 
ennemis  aux  abois  furent  cernés  de  toute  part.  Alors  arrivent 
à  la  rescousse  les  Douairs,  ayant  à  venger  leurs  pertes  de  la 
M'iéta,  et  ils  assouvissent  avec  rage  leur  horrible  passion  de 
couper  des  têtes. 

Le  général  Bugeaud  témoin  de  cet  affreux  spectacle,  toujours 
généreux  envers  les  vaincus,  veut  faire  cesser  cette  boucherie  ; 
sa  voix  a  bien  de  la  peine  à  dominer  le  tumulte  ;  néanmoins 


386  MUSTAPHA   BEN   ISMAEL 

il  réussit  à  soustraire  à  leurs  bourreaux  130  de  ces  ma^heureux, 
perdus  sans  issue  sur  ce  rocher  et  n'ayant  que  le  choix  entre 
les  baïonnettes  des  voltigeurs  des  17^  et  47«,  et  le  yatagan  des 
Douairs.  Le  général  les  couvre  de  son  corps  et  leur  sauve  la  vie. 
Ces  prisonniers  furent,  peu  après,  expédiés  en  France. 

A  ce  moment  le  feu  avait  cessé  sur  toute  la  ligne,  l'ennemi 
s'était  enfui  dans  les  montagnes  et  des  cavaliers  de  l'arrière- 
garde  venaient  rendre  compte  qu'au  plus  fort  de  l'action  le 
convoi  avait  réussi  à  entrer  dans  Tlemcen. 

Le  capitaine  Cavaignac  qui  avait  eutendu  le  bruit  du  canon 
et  de  la  fusillade  avait  eu  la  témérité  de  sortir  de  la  place  avec 
son  bataillon  et  de  descendre  jusqu'à  Hennaya  pour  venir  l'y 
chercher. 

Tout  devait  réussir  dans  cette  heureuse  journée.  A  la  suite 
de  cette  brillante  affaire  qui  eut  pour  résultat  d/éloigner  pour 
longtemps  l'émir  Abdelkader  du  théâtre  de  la  lutte,  le  général 
Bugeaud  ne  crut  pouvoir  récompenser  le  brillant  courage  du 
Maghzen,  qu'en  demandant  la  croix  d'officier  pour  i'agha 
Mustapha  ben  Ismaël  et  dix  croix  de  chevalier  de  la  Légion 
d'honneur  pour  les  principaux  chefs. 


Ravitaillement  de  Tlemcen 
Combat  de  Chabat-el-Leham 

{2  décetnhre  i8S6) 

L'ennemi  fut  quelque  temps  à  revenir  du  coup  vigoureux 
porté  à  ses  espérances  par  le  combat  de  laSikkak.  Abdelkader 
s'en  fût  à  Tagdempt  pour  se  recueuillir  et  relever  les  ruines 
de  cette  vieille  cité,  dont  il  voulait  faire  son  arsenal.  Le  pays 
put  alors  jouir  de  quelques  mois  de  calme. 

Après  avoir  ainsi  accompli  sa  mission,  le  général  Bugeaud 
ne  tarda  pas  à  rentrer  en  France,  laissant  la  direction  des 
affaires  au  nouveau  titulaire  du  commandement  de  la  province, 
le  général  de  Létang. 

Mustapha  ben  Ismaël,  toujours  à  la  tête  des  Douairs,  fut 
chargé  de  surveiller  les  tribus  ennemies;  d'opérer  des  razzias, 
ce   en  quoi  il  excellait,  et  de  ravitailler  Tlemcen,  jusqu'au 


MUSTAPHA  BEN   ISMAEL  .'187 

moment  où  le  général  de  Létang  prit  lui-même  la  direction 
d  une  de  ces  expéditions  (23  novembre  1836).  L'ennemi 
toujours  aux  aguets,  mais  trompé  par  les  habiles  manœuvres 
du  gt^néral,  était  à  peine  prévenu  de  la  marche  de  la  colonne 
qu'elle  arrivait  le  28  à  Tlemcen. 

Abdelkader  et  son  Khalifa  de  l'ouest,  El  Bou  Hamidi,  n'em- 
ployèrent pas  à  réunir  leurs  contingents  toute  la  célérité  qu'ils 
auraient  pu  y  mettre,  aussi  le  général,  parti  de  Tlemcen  dans 
la  nuit  du  29,  put  arriver  sur  l'Isser  sans  tirer  un  coup  de 
fusil. 

Le  lendemain,  quelques  cavaliers  ennemis  commencèrent  à 
se  montrer  à  hauteur  de  Nekrelet-bou-Haït,  et  tiraillèrent 
avec  l'arrière  garde  jusque  surla  hauteur  où  depuis  lors  a  été 
établi  le  village  d'Aïn-Témouchent  ;  là,  pendant  la  nuit, 
Abdelkader  put  joindre  son  khalifa  El-Bou-Hamidi  avec  des 
forces  considérables . 

Le  30,  à  la  pointe  du  jour,  à  peine  la  colonne  avait-elle  quitté 
son  bivouac  qu'elle  était  vigoureusement  attaquée.  Les  masses 
ennemies  furent  contenues  avec  applomb  et  sang-froid  dès  le 
commencement  de  cette  marche  en  retraite.  La  cavalerie  et 
les  drapeaux  de  Mustapha  marchaient  sur  le  flanc  gauche  ; 
l'infanterie  du  colonel  Combes  flanquait  la  droite  et  tenait 
l'arrière-garde.  L'ennemi  réservait  tous  ses  efforts  pour  le 
défilé  de  Ghabat-el-Leham,  ce  défilé  de  la  chair,  célèbre  dans 
les  chroniques  du  pays  pour  le  souvenir  de  la  sanglante 
défaite  qu'y  éprouvèrent  jadis  les  Espagnols  à  leur  retour 
d'une  expédition  sur  Tlemcen  conduite  par  le  marquis  de 
Cornarès. 

Avant  de  s'engager  dans  ce  passage  difficile,  le  général  de 
Létang  résolut  de  tenter  un  retour  offensif  vigoureux  sur  les 
forces  ennemies,  afm  de  donner  de  l'air  à  son  convoi,  ses 
principales  forces  étant  concentrées  vers  notre  arrière -garde 
qu'elles  harcelaient. 

Le  mouvement  fut  exécuté  avec  beaucoup  d'élan  et  un 
entraînement  remarquable. 

Le  général,  qui  était  un  beau  et  franc  cavalier,  chargea  lui- 
même  à  la  tête  du  goum  de  Mustapha  et  arracha  des  mains  de 
l'ennemi  le  nommé  Mohammed  ould  Kaddour,  un  des  chefs  des 


388  MUSTAPHA   BEN    ISMAEL 

Douairs.  L'aglia  ben  Ismaël  et  ses  cavaliers  se  conduisirent 
brillamment,  comme  de  coutume,  dans  cette  charge  ;  ils  com- 
battirent à  rangs  serrés  et  en  ligne  comme  s'ils  fussent  d'une 
arme  régulière,  et  le  flanc  gauche  de  la  colonne  qu'ils  occu- 
paient, fut  brillamment  défendu.  La  poursuite  se  continua  à 
plus  de  six  kilomètres  en  arrière  de  l'entrée  de  la  gorge, 
jusqu'à  peu  de  distance  d'Aïn-Témouchent,  Pendant  que  les 
Arabes  étaient  ainsi  refoulés  et  menés  battant,  le  convoi,  sous 
l'escorte  d'un  bataillon,  avait  franchi  le  défilé. 

Après  cette  offensive  hardie,  le  mouvement  de  retraite  de  la 
colonne,  libre  de  ses  impedimenta,  ne  fut  pas  sérieusement  in- 
quiété ;  dès  la  sortie  du  Ghabat-el-Leham,  tous  les  tiraillements 
cessèrent  et  l'ennemi  disparut.  Le  soir,  au  bivouac,  le  général 
de  Létang  et  les  officiers  supérieurs  de  la  colonne,  se  rendi- 
rent dans  la  tente  du  vieil  agha  Mustapha  ben  Ismaël,  pour  le 
féliciter  chaudement  de  la  belle  conduite  que  lui  et  son  goum 
avaient  tenue  pendant  cette  journée. 


Traité  de  paix  de  la  Tafna 

{30  mai  iSSl) 

«  Les  incertitudes  et  les  irrésolutions  du  gouvernement 
français,  relativement  à  notre  position  en  Afrique  étaient  tou- 
jours les  mêmes  :  le  pays  n'étant  ni  connu,  ni  étudié,  chaque 
nouvelle  législature,  chaque  remaniement  ministériel,  appor- 
taient de  nouvelles  hésitations,  de  nouvelles  fluctuations  dans 
la  question. 

«  L'unité  de  vues  et  la  persistance  dans  une  décision  une 
fois  arrêtée,  qui  n'auraient  pu  naître  que  d'une  connaissance 
exacte  des  difficultés  à  vaincre  que  d'une  conviction  approfon- 
die et  raisonnée  de  la  possibilité  de  les  surmonter,  manquant 
totalement  au  pouvoir  dirigeant,  l'unité  d'impulsion  manquait 
aussi,  et  les  déterminations  sur  la  conduite  des  affaires  étaient 
toujours  laissées  à  la  merci  des  événements  du  moment  »  (4). 


(1)  Wai.sin-IIstherazy.—  Le  Marflicen  rl'Oran. 


MUSTAPHA   BEN   ISMAEL  389 

C'est  ainsi  que  l'établissement  militaire  de  la  Tafna  avait  été 
créé  en  avril  1836,  dans  les  circonstances  déjà  décrites  et  avait 
conté  600.000  francs.  Malgré  tous  les  soins  donnés  à  nos 
soldats  les  fièvres  palustres  les  décimaient.  D'autre  part,  la 
garnison  de  500  hommes,  commandée  par  le  capitaine  Cavai- 
gnac  et  enfermée  dans  le  Mécliouar  de  Tlemcen,  avec  cent  jours 
de  vivres  au  bout  desquels  elle  mourait  de  taim,  étroitement 
bloquée  dans  cette  petite  forteresse  par  les  troupes  de  l'Emir, 
souffrait  horriblement  dans  cette  prison,  presque  un  tombeau, 
et  était  séparée  du  reste  du  monde. 

Le  ravitaillement  de  cette  garnison,  objet  constant  des  pré- 
occupations de  la  division  d'Oran,  avait  déjà  causé  certains 
incidents  équivoques,  notamment  celui  de  l'intervention  de 
l'émir  Abdelkader,  qui  se  chargea  de  ravitailler  la  garnison 
pour  trois  mois,  moyennant  la  livraison  d'un  chargement  de 
souffre,  de  plomb,  d'acier  et  autres  munitions  de  guerre,  que 
le  général  Brossard,  successeur  du  général  de  Létang,  eut  le 
triste  courage  de  livier  à  notre  mortel  ennemi.  Pour  cacher 
les  trafics  de  cette  inavouable  négociation,  ce  ravitaillement 
fut  présenté  au  public,  comme  ayant  été  conclu  au  prix 
d'une  somme  d'argent  que  l'on  devait  compter  à  l'Émir  par 
l'intermédiaire  de  son  oukil,  le  juif  Ben-Douran. 

C'est  à  la  suite  ce  cette  affaire  que  le  général  Brr;;^>ard,  qui 
était  passé  en  Espagne  et  de  là  à  Paris,  fui  arrêté  par  ordre  du 
ministre  de  la  guerre,  le  maréchal  Soult,  et  déféré  au  Conseil 
de  guerre  à  Perpignan,  ou  nous  verrons  peu  après  Mustapha 
ben  Ismaël  aller  déposer  son  témoignage. 

Sur  ces  entrefaites  le  général  Bugeaud  revint  à  Oran  avec 
des  instructions  directes  du  gouvernement  et  des  pouvoirs 
pour  traiter  la  Paix  avec  Abdelkader  ;  pouvoirs  mal  définis  et 
donnés  à  l'msu  du  'général  de  Damrémont  gouverneur  général, 
ce  qui  produisit  encore  de  graves  froissements. 

C'est  avec  un  véritable  Ci)rps  d'arinée,  composé  de  3  briga- 
des d'infanterie,  une  de  cavalerie  el  '•1  batteries  d'artillerie  que 
le  général  Bugeaud  se  présente  à  la  Tafna,  vers  l'endroit  connu 
de  nos  jours  sous  le  nom  de  la  Platnere  et  que  l'on  désignait 
alors  par  Faïd-el-Ateuch.  Cette  petite  armée  forte  de  près 
de  9.000  hommes  permettait  de  se  présenter  sur  le  terrain 


390  MUSTAPHA  bb:n  ismaeL 

des  négociations,  ou  du  combat,  dans  une  attitude  respectable 
et  imposante.  Mustapha  ben  Ismaël  y  commandait  aux  600  ca 
valiers  des  Doiiairs  et  Smélas,  qui  marchait  aux  côtés  de  la 
cavalerie  française.  Quelques  jours  auparavant,  pendant  les 
marches,  le  général  Bugeaud  communiqua  le  projet  de  traité  de 
paix  à  Mustapha  ben  Ismaël,  comme  pour  lui  demander  son 
avis.  Ce  dernier  se  contenta  de  répondre  : 

—  «  Vous  savez  mieux  que  moi  ce  qui  vous  convient,  mais  je 
pense  que  vous  faites  une  faute  dont  vous  ne  tarderez  pas  à 
vous  repentir.  » 

Lorsque  les  troupes  françaises  furent  arrêtées  au  confluent 
de  l'oued  El-Ateuch  avec  la  Tafna,  on  n'y  rencontra  que  la 
solitude  et  le  silence  ;  pas  un  cavalier  arabe  ne  se  montrait  à 
l'horizon.  Les  Franc-ais  se  sentirent  humiliés  de  cette  mystifi- 
cation, car  il  fallut  attendre,  au  lieu  du  rendez-vous,  et  on 
attendit  longtemps  ;  les  éclaireurs  revenaient  sans  nouvelles. 
C'est  alors  que  l'Etat-major  décida  de  se  porter  au-devant  de 
l'Émir.  L'intrépide  Mustapha,  qui  était  sur  ses  étriers  depuis 
la  pointe  du  jour,  ne  disait  mot.  Voulant  lui  faire  l'honneur  de 
l'admettre  avec  les  quatre  ou  cinq  chefs  de  service  qui,  seuls 
avec  l'interprète  Brahemscha,  devaient  accompagner  le 
général,  Mustapha  déclina  cette  otïre  : 

—  «  Je  prévois,  dit-il,  que  l'entente  ne  sera  pas  sérieuse  avec 
Abdeikader  que  je  connais  fort  bien  et  dont  j'aurais  pu  épouser 
la  cause  au  début.  Néanmoins,  sans  m'opposer  à  vos  intentions, 
je  vous  prie  de  me  laisser  en  dehors  de  votre  rencontre  directe 
avec  lui.  » 

Nous  ne  rappelerons  pas  le  détails  de  cette  célèbre  et 
dramatique  entrevue,  oîi  le  général  français  montra  combien 
peut  imposer,  même  à  des  barbares,  un  acte  d'énergie  et  de 
résolution.  Nous  nous  bornerons  à  citer  un  fait  dépendant  de 
notre  sujet,  très  peu  connu,  mais  qui  n'en  est  pas  moins  d'un 
haut  enseignement  pour  prouver  toute  l'importance  qu'Abdel- 
kader  attachait  à  enlever  à  notre  cause,  à  détacher  de  nous 
par  tous  les  moyens  en  son  pouvoir,  les  anciennes  tribus 
Maghzen  et  combien  il  tenait  à  nous  priver,  à  l'avenir,  du 
concours  puissant  qu'elle  nous  avaient  si  loyalement  prêté 
dans  la  lutte  qui  se  terminait,  du  moins  en  apparence. 


MUSTAPHA   BEN   ISMAEL  391 

«  Au  moment  de  se  séparer  et  après  avoir  pris  congé  l'un 
de  l'autre,  Miloud  ben  Arach,  un  comparse,  s'approcha  des 
deux  interlocuteurs  et  remit  à  l'Emir  une  lettre  que  celui-ci 
présenta  lui-même  au  général  en  le  priant  de  n'en  proidre 
connaissance  que  lorsqu'il  serait  hors  du  camp. 

c(  Persistant  jusqu'au  dernier  moment  dans  son  idée  de  ne 
point  nous  laisser  les  précieux  auxiliaires  qui,  en  haine  de  lui, 
s'étaient  donnés  à  nous  ;  sachant  que  les  propositions  directes 
qu'il  avait  faites  de  lui  rendre  ces  deux  tribus,  propositions 
qu'il  avait  commencé  par  poser  comme  conditions  sine  quâ 
non  de  tout  accomodement,  avaient  été  hautement  et  énergi- 
quement  repoussées,  Abdelkader  ne  désespérait  pas  d'arriver 
à  son  but  en  tournant  la  difficulté  :  il  se  contentait  donc  de 
présenter  dans  sa  lettre  une  liste  de  douze  des  principaux 
personnages  des  Douairs  et  des  Smélas,  ses  ennemis  person- 
nels dont  il  demandait,  disait-il,  dans  l'intérêt  de  la  paix  et 
de  la  bonne  harmonie,  entre  les  deux  nations,  l'expulsion  ou 
tout  au  moins  l'éloignement  momentané  du  pays  »  (1). 

L'agha  Mustapha  était,  bien  entendu,  désigné  en  première 
ligne,  puis  venait  son  neveu  El  Mazary,  ensuite  Ismaël-ould- 
Gadi,  Adda-ould-Othman,  Hadj-el-Ouzza,  chefs  de  fractions  ; 
Mohamed  ould  Kaddour,  un  des  plus  brillants  cavaliers  du 
Maghzen,  etc.,  etc. 

Enfin,  notre  bey  Ibrahim  de  Mostaganem,  qui  avait  encouru 
la  haine  de  l'Emir  par  sa  fidélité  à  notre  cause.  Abdelkader 
était  certain  d'arriver  par  cette  concession,  si  elle  était  accordée, 
à  la  prompte  dislocation  des  tribus  Maghzen,  car  il  savait  bien 
que,  par  l'effet  de  leur  constitution  aristocratique,  les  Douairs 
se  dissolvent  et  se  séparent  dès  qu'ils  ne  sont  plus  réunis 
entrereux  par  l'autorité  des  chefs  qui  donnent  à  ces  agglomé- 
rations la  force  et  la  cohésion. 

Le  général  Bugeaud  laissa  cette  lettre  et  les  propositions 
qu'elle  contenait  sans  réponse;  il  inéprisMil  de  semblable.? 
moyens  de  vengeance  et  refusait  de  s'en  rendre  complice. 

Le  traité  de  paix  fut  conclu  le  30  mai  1837;  le  4  juin  les 
troupes  françaises  quittèrent  les  établissements  de  la  Tat'na 


(1)  WALSIN-ESTHÉItAZY.  (loc.   Cit.) 


392  MUSTAPHA.  BEN  ISMAEL 

complètement  abandonnés  à  l'exception  de  l'île  de  Rachgoun. 
Ce  traité  fut  ratifié  par  le  gouvernement  le  15  juin  et,  dès  le 
12  juillet,  la  mort  dans  l'âme,  le  brave  capitaine  Cavaignac 
se  voyait  contraint  d'évacuer  avec  ses  troupes  ce  Méchouar  de 
Tlemcen,  qu'il  avait  si  vaillamment  détendu  et  que,  la  lionte 
au  front,  il  remettait  au  tonde  de  pouvoirs  du  sultan 
Abdelkader,  car  ce  dernier,  maintenant  qu'il  était  traité  par  la 
France  en  souverain,  se  donnait  le  titre  de  Sultan.  Les 
principaux  notables  Coulouglis  de  Tlemcen,  suivirent  nos 
soldats  à  Oran,  pour  échapper  aux  représailles. 


L'Agha  Mustapha  est  nommé  Général 

Ainsi,  la  paix  était  faite,  mais  à  quel  prix  ?.  .  .  La  France 
cédait  Rachgoun  avec  toutes  les  constructions,  forts  et  bara- 
quements de  la  Tafna.  Elle  cédait  Tlemcen  et  la  citadelle  du 
Mécbouar,  toute  la  province  de  Médéa  et  la  région  de  Mascara. 
La  colonie  naissante  était,  dès  lors  cernée  par  deux  ennemis 
implacables  :  à  l'est,  par  Achmed-Bey,  sultan  de  Constantine  ; 
à  l'Ouest  par  Abdelkader.  Ces  vastes  territoires  conquis  par 
nos  armes  en  dehors  des. quelques  points  que  nos  troupes 
continuaient  à  occuper,  étaient  livrés  à  notre  ennemi,  depuis 
la  province  de  Constantine  jusqu'à  la  frontière  du  Maroc  ! . . . . 

Les  conditions  et  conventions  résultant  de  ce  traité  de  la 
Tafna  demeurèrent  inexplicables  ;  aussi  Bugeaud  fut-il  désavoué 
par  les  Chambres,  par  l'opinion  publique  et  surtout  par  l'Armée 
d'Afrique  dont  le  gouverneur  général  de  Damrémont,  tenu  à 
l'écart  de  ces  négociations,  se  fit  l'éloquent  et  sévère  interprète. 
Néanmoins,  ce  traité  amena  le  calme  et  la  tranquilité  pendant 
deux  ans. 

Dans  cet  intervalle  un  grave  dissentiment  s'éleva  entre  le 
général  Bugeaud  et  un  autre  général  placé  sous  ses  ordres,  au 
sujet  de  la  rançon  de  200  prisonniers  arabes  qu'on  avait  rendus 
à  l'émir.  iMustapha  ben  Ismaël  fut  désigné  pour  se  rendre  à 
Perpignan,  nou  seulement  pour  tâcher  d'aplanir  les  difficultés 
existantes  entre  les  deux  généraux,  mais  encore  pour  se  présen- 


MUSTAPHA   BEN   ISMAEL  393 

ter  comme  témoin  devant  le  Conseil  de  guerre,  dans  le  procès 
intenté  au  général  Brossard 

Le  vieil  agha,  suivi  dans  celte  mission  de  quelques  chefs 
indigènes,  fut  ensuite  mandé  à  Paris  et  présenté  au  roi  Louis- 
Philippe,  lequel  l'ayant  complimenté  dans  une  audience 
solennelle  lui  dit  : 

—  «  Agha  Mustapha  ben  Ismaël,  nous  connaissons  votre 
«  fidélité  et  votre  bravoure  ;  aussi  le  gouvernement  de  la 
«  France  estime-t-il  qu'il  n'est  qu'une  récompense  qui  soit 
«  digne  de  vous  et  de  lui,  c'est  de  vous  élever  au  même  rang 
((  que  les  chefs  de  son  armée.  Je  suis  particulièrement  heu- 
«  reux  de  vous  annoncer  que  par  ordonnance  de  ce  jour 
((  (octobre  1837)  vous  êtes  élevé  à  la  dignité  de  maréchal  de 
((  camp  '■général  de  brigade).  En  vous  conférant  ce  grade  que 
«  vous  avez  si  bien  mérité,  la  France  veut  prouver  à  vos  en- 
ce  nemis,  qui  sont  aussi  les  siens,  qu'elle  ne  fait  pas  aussi  bon 
ft  marché  qu'on  le  pensait  de  ceux  de  nos  braves  et  loyaux 
((  auxiliaires  musulmans,  fidèles  à  notre  cause,  dont  elle  à  le 
«  devoir  de  récompenser  les  brillants  et  inestimables  servi- 
ce ces.  —  Général  Mustapha,  le  roi  de  France  vous  admire  et 
«  vous  remercie.  » 

D'autres  récompenses  furent  en  même  temps  accordées  aux 
principaux  chefs  de  son  entourage  ;  mais  en  ce  qui  le  touchait 
plus  personnellement,  cette  haute  distinction  fit  comprendre  à 
Abdelkader  que  celui  qui  pouvait  désormais  se  prévaloir  de  ce 
titre  de  général,  était  par  cela  môme  placé  pour  jamais  en  de- 
hors de  ses  atteintes. 

Une  autre  mesure  générale  prise  également  à  la  même 
époque  en  faveur  des  cavaliers  du  Maghzen,  fut  pour  eux  un 
témoignage  de  Tint'  rêt  qu'on  leur  portait,  en  même  temps 
qu'une  légitime  récompense  de  leur  courage  et  de  leur  abné- 
gation :  la  solde  qu'ils  n'avaient  touché  jusqu'alors  que  pendant 
le  temps  qu'ils  passaient  sous  les  drapeaux  ou  en  expédition, 
devînt  une  rétribution  llxe  et  non  une  indemnité  de  réqui- 
sition. 

Cette  solde  quoique  moins  élevée  leur  fut  payée,  à  partir  de 
cette  époque,  régulièrement  et  à  terme  fixe. 


394  MUSTAPHA  BEN   ISMAEL 

Toutefois  on  connaissait  bien  peu  l'opiniâtreté  de  l'émir 
Abdelkader  pour  croire  qu'il  se  tiendrait  pour  battu  à  l'égard 
de  Mustapha  !  C'est  encore  par  l'intermédiaire  de  cet  astucieux 
juif  Ben  Douran  que  malgré  les  ordres  formels  du  général 
Bugeaud  il  fit  agir  auprès  du  chef  du  Maghzen  le  vieux 
Mustapha,  d'El-Mazary  son  neveu  et  son  compagnon  d'armes, 
dans  le  but  de  les  éloigner  et  par  dessus  tout  de  soustraire  le 
général  Mustapha  aux  ovations  et  aux  témoignages  d'admiration 
qu'il  recevait  journellement  de  ses  coreligionnaires.  Tout  fut 
mis  en  œuvre  pour  les  déterminer  à  se  rendre  à  La  Mecque. 

Mustapha  éventa  le  piège  et  aux  avances  qui  lui  furent  faites 
par  les  agents  d' Abdelkader,  il  répondit  avec  sa  franchise  et  sa 
rondeur  habituelles  : 

—  «  Si  on  veut  me  faire  quitter  le  pays,  on  n'a  qu'à  m'en 
donner  l'ordre,  je  suis  prêt  à  obéir.  Mais  le  pèlerinage  est  une 
chose  de  religion  et  non  de  service,  je  ne  consulterai  pour 
accomplir  cetle  obligation  que  la  voix  de  ma  conscience.  Pour 
le  présent,  le  moment  me  parait  inopportun  ;  je  pense  être 
plus  utile  aux  miens  en  restant  au  milieu  d'eux  qu'en  les 
abandonnant,  sans  conseils  et  sans  direction,  au  milieu  des 
circonstances  difficiles  qu'ils  ont  à  traverser.  » 

El  Mazary  refusa  également  d'une  façon  péremptoire  les 
offres  qui  lui  étaient  faites  et  dont  il  n'était  pas  difficile  de 
deviner  les  motifs,  Ben-Douran  n'osa  pas  insister  auprès  d'eux, 
mais  Hadj-El-Ouzza  ayant  cédé  à  ses  sollicitations  consentit  à 
partir  pour  Alger  pourvu  d'un  emploi  officiel,  et  le  bey 
Ibrahim,  sacrifié  aux  exigeances  du  sultan  dût  abandonner  le 
pays  et  se  retirer  également  à  Alger  avec  une  petite  pension . 

Sur  la  prosition  du  général  Mustapha,  son  neveu  Si  Ahmed 
ould  Kadi  fut  nommé  caïd  supérieur  des  Douairs. 

Le  général  Bugeaud  qaitta  la  terre  d'Afrique,  pour  rentrer 
en  France,  le  6  décembre  1837,  laissant  le  commandement  de 
la  province  au  général  Auvray  qui  avait  succédé  à  Oran,  au 
général  Brossard. 


MUSTAPHA  BEN  ISMAEL  395 

Rupture  de  la  paix  de  la  Tafna 

(  12  novembre  1839) 

—  Si  vis  pacem,  para  bellum  ! 

Après  le  traité  de  la  Tafna,  Abdelkader  disait  à  Léon  Roches  : 

((  En  faisant  la  paix  avec  les  chr  tiens,  je  me  suis  inspiré  de  la 
parole  de  Dieu  qui  dit  dans  le  Coran  :  la  paix  avec  les  infidèles 
doit  être  considérée  par  les  musulmans  comme  une  trêve 
pendant  laquelle  ils  doivent  se  préparer  à  la  guerre.  .  et  il 
ajoutait  : .  .  .  Lorsque  V heure  de  Dieu  aura  sonné,  les  Français 
me  fourniront  eux-mêmes  des  motifs  plausibles  de  recommen- 
cer la  guerre  sainte.  » 

La  marche  militaire  exécutée  par  la  division  d'Alger  à  la 
fm  d'octobre  1839  et  connue  sous  le  nom  de  :  «  Passage  des 
Portes  de  fer  »  fut  le  prétexte  cherché.  Cette  démonstration 
augmentait  le  prestige  de  l'armée  française,  Abdelkader  ne  put 
la  tolérer.  L'Émir  avait  attiré  à  lui  presque  toutes  les  tribus 
qui  peuplaient  le  territoire  qui  nous  était  réservé,  entre  la 
Ghiffa  et  l'oued  Kaddara  ;  sans  nous  déclarer  officiellement  la 
guerre  il  les  lança  en  armes  dans  la  plaine  de  la  Mitidja.  Tous 
nos  établissements  furent  saccagés,  nos  postes  isolés  surpris, 
massacrés  et  nos  convois  enlevés. 

La  panique  fut  grande  en  Algérie  et  même  en  France  ;  le 
maréchal  Valée  fut  accusé  d'imprévoyance,  avec  quelque 
fondement. 

Le  18  novembre,  Abdelkader  lui  lit  parveiiir  la  lettre 
suivante  : 

—  Le  seigneur  El  Hadj  Abdelkader  prmce  des  croyants,  au 
maréchal  Valée. 

((  Salut  à  ceux  qui  suivent  le  chemin  de  la  vérité.  Vos  lettres 
((  nous  sont  parvenues  Nous  les  avons  lues  et  comprises.  Démon 
«  côté  je  vous  ai  écrit  que  tous  les  Arabes  depuis  les  Oulhaça 
a  jusqu'au  Kef,  sont  décidés  à  faire  la  guerre  sainte.  J'ai  tenté 
((  de  combattre  leur  dessein,  mais  ils  ont  persisté.  Personne 
«  ne  veut  plus  de  la  paix  ;  chacun  se  dispose  à  la  guerre.  Il 


396  MUSTAPHA   BEN  ISMAEL 

«  faut  donc  que  je  me  range  à  l'opinion  générale  pour  obéir  à 
«  notre  sainte  loi. 

«  Je  me  conduis  loyalement  avec  vous  et  je  vous  avertis  de 
((  ce  qui  se  passe.  Renvoyez  mon  Consul,  qui  est  à  Oran,  afin 
«  qu'il  rentre  dans  sa  famille.  Tenez-vous  prêt  ;  tous  les  mu- 
«  sulmans  déclarent  la  guerre  sainte.  Vous  ne  pourrez  quoiqu'il 
«  arrive,  m'accuser  de  trahison.  Mon  cœur  est  pur  et  je  ne 
«  ferai  jamais  rien  de  contraire  à  la  justice.  » 

«  Écrit  à  Médéa  le  11  de  Ramadan  1255  (18  novembre 
1839).  » 

Quel  chef-d'œuvre  de  duplicité  !  Abdelkader  déclarait  offi- 
ciellement la  guerre,  lorsque  depuis  huit  jours  elle  était  com- 
mencée. Les  hostilités  devaient  durer  sept  ans. 

Son  premier  soin,  après  avoir  affermi  l'autorité  d'El-Rou- 
Hamedi,  son  khahfa  de  l'ouest,  toujours  résident  à  Tlemcen, 
fut  de  lui  recommander,  par  dessus  toutes  choses,  d'agir  par 
tous  les  moyens  possibles  pour  tâcher  de  provoquer  des  défec- 
tions chez  les  Douairs  et  les  Smélas,  afin  de  les  empêcher  de 
se  joindre  à  nous.  Les  provocations  et  les  promesses  d'El-Rou- 
Hamedi  n'eurent  aucun  succès  à  la  M'iéta.  A  partir  de  cette 
époque,  chaque  mois  fut  marqué  par  un  nouveau  combat, 
chaque  jour  par  une  tentative  nouvelle. 

Le  13  décembre  1839,  Mustapha-ben-Thami,  khalifa  de 
Mascara,  vînt  assaillir  les  Douairs  et  Smélas  à  Bou-Téchich, 
en  avant  de  la  Maison  Carrée  :  il  fut  repoussé  après  un  long 
combat,  par  les  seuls  cavaliers  de  nos  braves  tribus  alliées. 

Le  25  décembre,  le  camp  de  Misserghin  est  vivement 
attaqué,  et  c'est  à  grand'peine  que  les  Douairs  et  Smélas, 
campés  aux  environs,  parviennent  à  mettre,  leurs  douars  à 
l'abri  des  atteintes  de  l'ennemi.  Deux  mois  se  passèrent  ensuite 
sans  autres  incidents  que  des  vols  de  bétail  et  des  actes  de 
représailles  infligés  aux  voleurs  par  le  général  Mustapha  ben 
Ismaël. 

Le  29  décembre  une  ordonnance  royale  releva  de  ses 
fonctions  le  maréchal  Valée  et  nomma  à  sa  place,  au  gouver- 
nement général  à  Alger,  le  général  Bugeaud,  qui  revhit  pour 
la  troisième  fois. 


MUSTAPHA  BEN  ISMAEL  397 

La  conquête  de  l'Algérie  allait  enfin  entrer  dans  une  phase 
nouvelle. 

Par  malheur,  depuis  plusieurs  mois,  l'ancien  gouverneur 
général,  ignorant  tout  ce  qui  avait  trait  à  la  province  d'Oran, 
ne  s'en  (ccupait  pas  du  tout  et  les  tribus  du  Maghzen 
abandonnées  dans  l'inaction,  au  milieu  de  l'indifférence 
générale,  se  débattaient  dans  une  extrême  misère. 

Presque  tous  les  troupeaux  avaient  été  vendus  vu  l'impossi- 
bilité de  les  nourrir,  et  aussi  pour  ne  pas  les  laisser  devenir 
d'un  moment  à  l'autre  la  proie  de  lennemi.  Les  chefs  les  plus 
considérables  jadis,  privés  de  ces  ressources  indispensables 
de  la  vie  arabe,  en  étaient  réduits  à  se  nourrir  de  farine 
bouillie  dans  l'huile.  Nos  braves  alliés  résistèrent  cependant  à 
ces  rudes  épreuves;  ils  avaient  confiance  en  la  fortune  de  la 
France,  et  cette  confiance  ne  tut  pas  trompée.  L'arrivée  d'un 
nouveau  général  vint  mettre,  comme  par  enchantement,  un 
terme  à  cette  difficile  situation  et  inaugurer  l'ère  des  jours 
meilleurs. 

Ce  général,  le  plus  jeune  de  l'Armée  française,  c'était  de 
Lamoricière  ! 

Dès  son  arrivée,  qui  eut  lieu  le  20  août  1840,  l'offensive  fut 
hardiment  reprise  autour  d'Oran  ;  les  secours  distribués  avec 
sollicitude  aux  familles  nécessiteuses  des  Douairs  et  Smélas  ; 
enfin,  quelques  fructueuses  razzias  pratiquées  dans  les 
environs,  vinrent  accroître  ces  ressources  et  diminuer 
l'insolence  des  agresseurs.  Tout  cela  fit  renaître  partout  la 
confiance  et  l'espoir. 


Reprise  des  hostilités.  —  Bugeaud  et  Lamoricière 

Dès  son  retour,  le  général  Bugeaud  demanda  des  renforts 
que  le  Gouvernement  lui  envoya  aussitôt;  en  même  temps,  il 
lançait  une  proclamation  où  on  lisait  : 

«  J'avais  tout  fait,  au  risque  d'un  désaveu,  pour  conclure 
«  une  paix  ardemment  désirée  par  tous  ;  mais  puisque  au- 
({  jourd'hui  on  déchire  le  traité,  je  réduirai  l'Algérie  par  la 
a  force  écrasante  des  armes  !  » 

C'est  ce  qiii  fut  fait.  Dès  que  les  préparatifs  prescrits  furent 


398  MUSTAPHA   BEN  ISMAEL 

terminés,  Bugeaud  se  rendit  à  Mostaganen,  qui  venait  de  subir, 
avec  Mazagran,  au  commencement  de  l'année,  un  siège 
mémorable.  Là,  le  gouverneur  général,  distinguant  le  général 
Mustapha  ben  Ismaël  à  la  tête  des  goums  du  Maghzen, 
s'avança  vers  lui  et  lui  dit  : 

—  «  Après  avoir  tout  fait  pour  assurer  la  sécurité  et  le  bien- 
être  des  habitants  de  ce  pays,  je  reconnais  aujourd'hui  que  votre 
appréciation  était  juste  à  l'égard  d'Abdelkader.  »  Puis  se 
tournant  vers  les  cavaliers  de  Mustapha  ben  Ismaël,  au  nom- 
bre de  500,  il  s'écria  : 

—  «  Vous  faites  désormais  partie  intégrante  de  l'armée 
française  ;  vous  avez  des  généraux  et  des  chefs  pris  parmi  vous, 
persévérez  dans  cette  voie  de  fidélité.  Vos  goums  toucheront  la 
même  solde  que  celle  de  nos  propres  soldats  et  auront  droit, 
comme  eux,  aux  vivres  et  aux  rations  de  fourrage.  La  France 
viendra  en  aide  par  des  pensions  aux  veuves  et  aux  orphelins 
de  ceux  d'entre  vous  qui  seront  morts  pour  notre  cause.  Soyez 
donc  fermes  dans  l'accomplissement  de  vos  devoirs  ;  je  compte 
sur  vous.  » 

Le  général  Mustapha  remercia  vivement  le  général  Bugeaud 
de  ces  bienveillantes  paroles  qui  laissèrent  une  profonde  et  très 
favorable  impression  dans  l'esprit  de  tous  les  assistants. 

La  colonne  formée  à  Mostaganem,  partit  le  lendemain  pour 
se  rendre  à  l'Hil-Hil  et,  de  là,  marcher  sur  Tagdempt,  pour 
détruire  ce  foyer  d'intrigues  que  l'ennemi  supposait  hors  de 
notre  atteinte.  On  s'attendait  à  une  vive  résistance  de  la  part 
des  troupes  d'Abdelkader.  A  l'approche  de  cette  enceinte,  très 
intelligemment  fortifiée,  les  troupes  furent  disposées  en  ordre 
de  combat,  mais  les  têtes  de  colonnes  ne  tardèrent  pas  à  cons- 
tater, avec  un  certain  étonnement,  que  la  ville  était  déserte  et 
abandonnée  à  ses  défenseurs. 

Les  cavaliers  du  Maghzen  furent  des  plus  utiles  au  cours  de 
cette  expédition  ;  bien  qu'ils  eussent  amené  avec  eux  toutes  les 
bêtes  de  somme  disponibles,  ils  n'en  durent  pas  moins,  comme 
ceux  des  régiments,  charger  leurs  chevaux  de  denrées  afin  que 
la  colonne  pût  emporter  avec  elle  une  plus  grande  quantité 
d'approvisionnements  et  par  suite,  tenir  plus  longtemps  la 


MUSTAPHA  BEN  ISMAEL  399 

campagne,  sans  être  obligée  de  retourner  à  sa  base  de  ravi- 
taillement et  compléter,  ainsi,  d'un  seul  coup,  les  projets  qu'il 
était  dans  les  intentions  du  gouverneur  général  d'exécuter 
dans  cette  première  période  de  ses  opérations. 

Avant  de  quitter  Tagdempt,  où  elle  fit  séjour,  la  colonne 
expéditionnaire  détruisit,  en  les  faisant  sauter  de  fond  en 
comble,  tous  les  établissements  élevés  à  grands  frais  par  l'Émir  ; 
elle  incendia  les  maisons  couvertes  en  chaumes  qui  compo- 
saient cette  bourgade,  arsenal  militaire  d'Abdelkader.  La 
colonne,  suivant  la  vallée  de  la  Mina,  se  dirigea  ensuite  sur 
Mascara.  Dans  le  trajet,  un  vif  engagement  eut  lieu  entre  la 
cavalerie  de  Mustapha  et  les  goums  des  Hachem,  dans  la  plaine 
d'Eghris  ;  ces  derniers  furent  battus  et  l'on  pénétra  dans  Mas- 
cara sans  rencontrer  d'autre  résistance,  le  28  mai. 


Combat  d'Akbet  Khedda 

Après  a^oir  confié  le  commandement  de  celte  place  au 
commandant  Géry,  auquel  il  laissa  trois  bataillons  d'infanterie 
et  un  escadron  de  cavalerie  avec  trois  sections  d'artillerie  et 
trois  compagnies  du  génie,  comme  garnison,  le  général  Bu- 
geaud,  avec  le  gros  de  la  colonne,  se  remit  en  marche  sur 
Mostaganem  par  la  roule  directe  d'Akbet-Kedda. 

A  peine  la  tête  de  colonne  était-elle  engagée  dans  cet  étroit 
délilé  qu'on  est  obligé  de  franchir  pour  déboucher  sur  la  plaine 
de  l'Habra,  qu'Abdelkader  qui,  partout  présent  et  partout 
insaisissable,  suivait  tous  nos  mouvements^  déboucha  inopi- 
nément des  environs  d'El-Bordj  à  la  tète  d'une  nombreuse 
cavalerie  arabe  et  des  corps  de  cavaliers  réguliers  des 
provinces  de  l'ouest  et  du  centre.  Cette  avalanche  attaqua  avec 
impétuosité  la  partie  de  nos  troupes  qui  n'était  pas  encore 
engagée  dans  le  passage  du  col  et  qui  constituait  l'arrière- 
garde  composée  de  deux  bataillons  des  6«  et  13^  léger,  d'un 
bataillon  du  41^  de  ligne,  appuyés  par  une  section  d'artillerie 
de  montagne,  le  tout  sous  le  co/nmandement  du  général 
Levasseur. 

Le  terrain  de  la  lutte  est  le  plus  horriblement  tourmenté 


400  MUSTAPHA  BEN   ISMAEL 

qu'on  puisse  rencontrer  dans  la  province  d'Oran,  à  tel  point 
qu'il  fut  impossible  au  général  de  Lamoricière  de  porter 
secours  à  son  arrière-garde  par  les  flancs,  tant  était  étroite 
l'arête  sur  laquelle  elle  cheminait.  Les  bataillons  se  défendirent 
avec  énergie  et  repoussèrent  l'ennemi  à  la  baïonnette. 

Gomme  dans  toutes  les  circonstances  difficiles,  ce  fut  encore 
à  Mustapha  ben  Ismaël  et  à  ses  intrépides  cavaliers  que  l'on 
eût  recours  pour  dégager  nos  troupes  comme  bloquées  dans 
cet  étroit  passage. 

La  cavalerie  du  Maghzen  s'élance,  grimpe  sur  les  flancs  de 
ces  affreuses  fondrières,  aborde  l'ennemi  avec  un  tel  élan  qu'il 
le  disloque,  le  met  en  fuite  en  arrière  et  le  poursuit  jusqu'en 
vue  de  Mascara.  Cette  dernière  les  serre  de  près  dans  leur 
mouvement  de  retraite,  lorsqu'il  s'agit  de  rejoindre  la  colonne, 
libre  enfin,  grâce  à  eux,  de  ses  mouvements.  Les  Smélas  sont 
particulièrement  éprouvés  et  perdent  quelques-uns  de  leurs 
plus  courageux  cavaliers,  entre'autres  le  jeune  Hadj-Moham- 
med-ben-Châa,  d'une  famille  considérable  des  Smélas. 

«  L'ennemi,  dit  le  général  de  Lamoricière  dans  son  rapport, 
n'a  eu  qu'à  se  repentir  d'avoir  engagé  ce  combat,  car  il  y  a 
perdu  au  moins  400  hommes,  dont  7  chefs,  et  beaucoup  de 
chevaux.  Il  se  retira,  après  la  dernière  charge  de  Mustapha 
ben  Ismaël,  silencieusement  pour  enlever  ses  morts  et  ses 
blessés.  Nous  emportâmes  les  nôtres  (10  tués,  dont  1  officier 
et  54  blessés)  ne  voulant  laisser  entre  ses  mains,  ni  un  mort, 
ni  un  vivant,  ni  un  seul  vestige  qui  pût  lui  donner  occasion 
de  chanter  victoire.  » 

Le  4  juin,  le  corps  expéditionnaire  rentrait  à  Mostaganem 
où  il  resta  trois  jours  pour  se  reposer  et  préparer  le  ravitaille- 
ment. Chaque  cavalier  des  goums  du  général  Mustapha,  reçut 
un  sac  de  provisions  et  20  paquets  de  cartouches  ;  les  officiers 
et  les  chefs  des  goums  reçurent  aussi  chacun  10  paquets  de 
cartouches. 

Le  7  Juin,  la  colonne  avec  un  grand  convoi  repartait  à 
Mascara  pour  continuer  les  opérations  contre  l'émir  Abdel- 
kader. 


MUSTAPHA   BEN  ISMAEL  401 


Campagn<^  de  1841  autour  de  Mascara 

Les  troupes  sillonnèrent  dans  tous  les  sens  le  pays  des 
Hachem  du  10  au  20  juin,  moissonnant  et  emmagasinant  tout 
ce  qu'elles  purent  prendre  des  immenses  récoltes  abandonnées 
sur  pied,  et  dont  la  belle  plaine  d'Eghris  était  couverle  ;  les 
cavaliers  des  troupes  régulières  et  des  goums  se  rendaient 
deux  fois  par  jour  à  la  moisson  et  rapportaient  des  gerbes 
ammassées  et  concentrées  sur  le  point  appelé  VArgoub.  De 
là,  on  procédait  au  dépiquage  et  au  battage  des  grains  à 
Djenan-hen-Yekhlef.  Les  Douairs  et  Smélas  employés  à  ces 
travaux  reçurent  pour  leur  part,  la  moitié  des  récoltes  ainsi 
faites,  l'autre  moitié,  part  de  l'Etat,  fut  emmagasinée  au  bordj 
de  Mascara,  trop  petit  pour  la  contenir. 

«  Pendant  l'exécution  de  ces  travaux,  dit  encore  le  général 
de  Lamoricièi  e,  nous  avons  été  sans  cesse  surveillés  par  de  forts 
partis  de  cavaliers  ennemmis.  Quatre  à  cinq  cents  chevaux 
tentèrent  d'enlever  les  transports  de  nos  Douairs,  qui  allaient 
incessamment  du  lieu  du  travail  au  camp,  pour  porter  les 
grains.  Quelques  mulets  et  chameaux  furent  ainsi  enlevés,  un 
jour,  mais  les  cavaliers  Douairs  les  ayant  aperçus  se  précipi- 
tèrent sur  l'ennemi  ;  je  les  fis  appuyer  par  les  spahis  et  les 
chasseurs  d'Afrique.  En  peu  d'instants  ils  reprirent  leurs  ani- 
maux, tuèrent  aux  assaillants  plusieurs  hommes  dont  un  chef 
et  ramenèrent  des  chevaux  de  prix. 

«  Déjà  nos  Douairs  et  Smélas,  dès  notre  arrivée  à  Mascara, 
avaient  montré  leur  habileté  à  atteindre  les  cavaliers  ennemis. 
S'étant  rencontrés  près  des  jardins  de  laville  avec  des  partisans 
arabes,  ils  leur  avaient  tué  trois  hommes  et  ramené  quatre 
chevaux.  Plus  récemment,  ayant  aperçu  un  de  ces  postes  à 
l'aide  desquels  l'ennemi  nous  tient  sans  cesse  en  observation, 
ils  le  chargèrent  avec  une  telle  impétuosité,  qu'ils  le  prirent  et 
détruisirent  en  entier.  Huit  chevaux  restèrent  entre  leurs 
mains.  » 

Une  série  de  combats  heureux,  la  preuve  éclatante  donnée 
à  Abdelkader,  par  notre  invasion  des  pays  du  sud,  entièrement 
inconnues  de  nos  troupes,  que  nous  pouvions  l'atteindre 


402  MUSTAPHA   BEN   ISMAEL 

partout  où  il  se  retirerait  ;  l'impossibilité  bien  avérée  pour  lui, 
par  la  destruction  de  Tagdeinpt,  qu'il  ne  pourrait  nulle  part 
élever  des  établissements  permanents  ;  entin,  la  prise  et  l'oc- 
cupation de  Mascara,  le  cœur  de  sa  puissance,  tels  étaient  les 
importants  résultats  matériels  et  moraux  obtenus  dans  cette 
période  de  un  mois. 

Cependant,  la  constance  d'Abdelkader  ne  se  lassait  pas. 
Ayant  appris  que  nos  troupes  devaient  regagner  Mostaganem 
pour  aller  y  chercher  un  nouveau  convoi  de  ravitaillement, 
fidèle  à  sa  tactique,  il  épiait  les  mouvements  du  corps  expédi- 
tionnaire pour  l'assaillir  pendant  sa  retraite. 

En  effet,  lorsque  vers  le  milieu  de  juillet,  cette  colonne  se 
remit  en  route  pour  revenir  à  la  mer,  elle  trouva  sur  son 
passage,  au  nord  de  la  plaine  de  la  Mina,  toutes  les  forces  de 
l'Émir  réunies  au  petit  village  de  Tiliouanet,  ou  une  attaque  de 
nuit,  la  première  tentée  jusqu'alors  par  les  Arabes,  vint 
échouer  contre  le  sang-froid  et  l'énergie  de  nos  soldats. 
Le  25  juillet,  dès  le  point  du  jour,  Abdelkader  lui-même  tomba 
sur  l'arrière  garde  avec  1,500  chevaux,  tout  ce  qu'il  avait 
pu  rassembler  malgré  ses  appels  désespérés.  Le  général  de 
Lamoricière  aurait  pris  l'offensive  s'il  eut  été  en  présence  d'un 
ennemi  sérieux,  mais  il  dédaigna  de  s'arrêter  et  jugea  que 
celui  qui  le  suivait  ne  valait  pas  la  peine  de  perdre  un  temps 
précieux.  On  se  borna  à  refouler  les  assaillants  à  l'aide  de  la 
cavalerie  auxiliaire  du  général  Mustapha  ben  Ismaël,  et  les  cava- 
liers les  plus  audacieux,  qui  chargeaient  en  fourrageurs,  furent 
tués  par  les  tirailleurs  de  l'infanterie  qui  flanquaient  la  colonne. 

Sur  ces  entrefaites,  on  vint  annoncer  à  Lamoricière  qu'une 
tribu  avec  ses  femmes,  ses  bagages  et  ses  troupeaux,  fuyait 
sur  la  droite  vers  les  ravins  de  Kalâa.  Il  lança  aussitôt  sur  elle 
sa  cavalerie  en  selle  nue,  appuyée  des  zouaves  sans  sacs.  Mais 
il  dut  quand  même  arrêter  la  colonne  pour  se  retourner  contre 
Abdelkader  et  l'empêcher  de  courir  sur  le  détachement  qui 
allait  exécuter  ce  coup  de  main.  Le  c<iup  réussit  à  merveille  et 
on  prit,  ce  jour-là,  42  femmes,  8  hommes  et  quelques  centaines 
de  bœufs  et  de  moutons,  le  tout  confié  à  la  garde  des  cavaliers 
Douairs  et  Smélas,  qui  hissèrent  les  femmes  sur  les  mulets  du 
convoi  pour  ne  pas  arrêter  la  marche  de  la  colonne. 


MUSTAPHA  BEN  ISMAEL  403 

La  division,  rentrée  à  Mostaganem  s'y  reposa  trois  ou  quatre 
jours,  si  on  peut  qualifier  de  repos  la  préparation  d'un  convoi 
considérable  et  d'un  nouveau  départ.  On  attendait  le  général 
Bugeaud  qui  était  allé  taire  une  apparition  à  Alger  ;  dès  son 
retour,  la  division  d'Oran  se  remit  en  marche  dans  la  direction 
de  Mascara. 

En  apprenant  ce  mouvement,  l'P^mir  qui  n'était  pas  resté 
inactif  et  avait  fait  appel  aux  contingents  de  Tlemcen,  concen- 
tra des  forces  considérables,  composées  de  son  infanterie  et  de 
sa  cavalerie  régulières,  que  commandaient  ses  Kalifas  El-Bou- 
Hamedi  et  Hadj-ben- Mustapha,  ainsi  que  des  goums  irréguliers, 
entre  Tighnit  et  Màoussa. 

La  colonne  vivement  attaquée,  engagea  un  long  et  vif  combat 
dans  lequel  on  se  battit  corps  à  corps.  Les  cavaliers  de  l'Émir 
déployèrent  un  grand  courage  dans  cette  rencontre,  surtout 
contre  nos  chasseurs  d'Afrique  qu'appuyaient  les  cavaliers  de 
Mustapha  ben  Ismaël.  L'ennemi  finit  cependant  par  être  refoulé 
et  fut  poursuivi  dans  son  mouvement  de  retraite  jusqu'à  l'Oued- 
el-Abd. 

Dans  ce  combat,  très  meurtrier,  Mohammed  bel  Bachir  et 
Mohammed  ben  Daoud,  chefs  des  Douairs,  furent  blessés.  Dans 
la  mêlée,  un  cavalier  d'Abdelkader,  nommé  Chakar,  ayant  tiré 
sur  le  général  Mustapha  ben  Ismaël  un  coup  de  fusil  qui  ne 
l'atteignit  heureusement  pas,  fut  aussitôt  rejoint  par  Si  Ahmed 
ould  Kadi  qui  lui  porta  un  coup  mortel  et  s'empara  de  son 
cheval. 

Après  cet  heureux  succès  de  nos  armes,  la  division  gagna 
sans  encombre  Mascara  et  ce  dernier  ravitaillement  ayant  défi- 
nitivement complété  les  opérations  prévues  au  programme  de 
la  campagne,  du  printemps,  les  troupes  de  la  division,  ainsi 
que  Mustapha  ben  Ismaël  avec  ses  goums,  rentrèrent  à  Oran 
dans  la  première  quinzaine  du  mois  d'août. 

Vers  le  milieu  de  septembre  1841,  la  division  d'Oran  et  le 
Maghzen  se  reformèrent  à  Mostaganem  pour  la  reprise  des 
opérations  de  la  campagne  d'automne.  Le  19  le  gouverneur 
général  arriva  d'Alger  pour  diriger  la  colonne  de  l'ouest. 

Les  forces  réunies  à  iMostaganem  furent  divisées  en  deux 
corps,  l'un  sous  le  nom  de  :  colonne  politique  dont  le  gouver- 


404  MUSTAPHA   BEN   ISMAEL 

neur  général  prit  aussitôt  le  commandement  ;  l'autre  sous  le 
nom  de  colonne  de  ravitaillement,  aux  ordres  du  général  de 
Lamoricière  commandant  de  la  province.  Mustapha  ben  Ismaël 
avec  les  cavaliers  du  Maghzen  faisaient  partie  de  cette  dernière. 

La  première  colonne,  marchant  à  petites  journées,  vint 
manœuvrer  dans  les  plaines  de  la  Mina  et  du  Ghelif  pour  cher- 
cher à  nouer  des  relations  avec  les  tribus  dont  on  espérait  la 
soumission.  Le  général  Bugeaud  ayant  appris,  après  une 
vaine  attente,  que  les  nombreuses  populations  des  plaines 
étaient  réfugiées  chez  les  Flittas  des  environs  de  Zemmora, 
dans  les  bois  épais  et  les  profonds  ravins  de  Thifour,  là  oîi 
quelques  mois  plus  tard  Mustapha  ben  Ismaël  devait  trouver 
la  mort,  surprit  brusquement  ces  aglomérations  par  une  mar- 
che de  nuit  des  plus  hardies  et  écrasa  ces  tribus  amoncelées 
dans  ces  terrains  couverts  et  difficiles.  Il  leur  fit  subir  une 
razzia  considérable,  leur  fil  un  grand  nombre  de  prisonniers, 
hommes,  femmes  et  enfants  et  ramena  à  Mostaganem  toutes 
ces  immenses  captures  avec  la  cavalerie  de  sa  colonne  dont  il 
laissa  l'infanterie  à  la  fontaine  d'Aïn-Madar  sous  les  ordres  du 
colonel  Tempoure. 

Pendant  ce  temps,  la  seconde  colonne  chargée  de  ravitailler 
Mascara  se  vit  disputer  le  passage  entre  les  puits  d'El  Romri 
et  la  fontaine  d'Aïn-Kebira.  Abdelkader  était  là  avec  de  forts 
contingents  sans  cesse  renouvelés.  Craignant  de  s'engager 
avec  sa  colonne,  alourdie  par  un  pesant  convoi,  dans  la  longue 
route  sans  eau  qui  traverse  les  montagnes  des  Sedjeraras,  le 
général  de  Lamoricière  arrêta  son  mouvement  et  fit  prévenir 
le  gouverneur  de  cette  concentration  des  forces  de  l'ennemi  et 
de  ses  intentions. 

Le  général  Bugeaud  saisissant  avec  empressement  l'occasion 
de  se  mesurer  avec  l'Emir,  marcha  vers  lui  sans  hésiter.  Les 
deux  colonnes  firent  leur  jonction  au  gué  de  Sidi-Megdade  sur 
l'oued  l'Hil-hil.  Le  7,  les  troupes  réunies  atteignaient  Aïn- 
Kebira  et  le  8  octobre  elles  livraient,  auprès  d'El-Bordj,  un 
brillant  combat  contre  toutes  les  forces  concentrées  sur  ce 
point  par  l'Émir. 

Notre  cavalerie  dirigée  par  le  général  Mustapha  engagea 
vigoureusement  le  combat  contre  les  groupes  ennemis  ;  mais, 


MUSTAPHA   BEN   ISMAEL  405 

arrêtés  dans  leur  élan  par  les  réguliers  de  Mascara  et  de 
Tlemcen,  nos  alliés  plièrent  un  instant  et  furent  ramenés  sur 
les  flancs  de  la  colonne.  Revenus  à  la  charg;  avec  les 
chasseurs  d'Afrique  qu'on  leur  enjoignit  cette  fois,  les  cavaliers 
de  Mustapha  s'élancèrent  de  nouveau  en  avant,  les  rênes  aux 
dents,  le  fusil  haut,  droits  sur  leurs  étriers.  Le  choc  fut 
épouvantable  ;  les  réguliers  de  l'Émir  durent  céder,  à  leur 
tour,  devant  notre  admirable  cavalerie  d'Afrique,  non  sans 
avoir  opposé  une  vive  résistance,  dans  laquelle  un  grand 
nombre  de  combattants  des  deux  côtés  furent  tués  ou  mis  hors 
de  combat. 

Les  masses  arabes  qui  avaient  tenté  de  nous  barrer  le 
passage  ayant  disparu  dans  toutes  les  directions,  la  colonne 
s'en  vint  bivouaquer  vers  l'oued  Maoussa,  dans  la  plaine 
d'Eghris  et  le  lendemain  rentra  à  Mascara. 

Les  deux  colonnes  se  séparèrent  de  nouveau,  et  tandis  que 
la  deuxième  manœuvre  à  l'est  de  Mascara  pour  menacer  et 
frapper  les  tribus  hostiles,  la  première,  sous  les  ordres  du 
Gouverneur  général  opère  dans  l'ouest.  Elle  marche  sur  Aïn- 
Fekan,  puis  se  porte  à  Sfisef  (Mercier-Lacombe)  d'où  elle 
traque  et  pourchasse  de  nombreuses  tribus  réfugiées  dans  les 
affreuses  gorges  de  la  forêt  de  Guétarnia  ;  puis  elle  descend 
la  vallée  de  l'Oued-el-Hammam,  passe  à  Hanimam-bou-llanifia 
et  va,  le  16,  détruire  la  Guetna,  demeure  de  Mahieddin,  père 
d'Abdelkader,  dont  elle  vide  les  silos  et  transporte  à  Mascara 
les  immenses  approvisionnements. 

Au  cours  de  ces  fructueuses  marches,  les  cavaliers  de 
Mustapha  surent  rendre  comme  par  le  passé  les  services  qu'on 
était  en  droit  d'en  attendre. 

Les  colonnes,  de  nouveau  réunies,  marchèrent  sur  Saïda 
(l'heureuse)  dernier  poste  import^w  restant  encore  debout 
des  établissements  d'Abdelkader,  sur  la  limite  du  Tell,  lequel 
fut  détruit  de  fond  en  comble. 

De  retour  à  Mascara  à  la  fin  d'octobre,  les  Douairs  et  Smélas 
y  apprenaient  une  fâcheuse  nouvelle  encore  grossie  par 
^'incertitude  de  rapports  exagérés  qui  les  accabla  de  douleur 
et  de  consternation  : 

El  Bou  Hamedi,  le  Khalifa  de  l'Ouest,  revenant  à  Tlemcen 


406  MUSTAPHA  BEN   ISMÂEL 

après  le  combat  d'El  Bordj,  s'était  approché  d'Oran  pendant 
que  toutes  les  troupes  de  la  Division  étaient  à  Mascara  et, 
grâce  aux  intelligences  qu'il  s'était  ménagées  avec  un  traître, 
il  fit  combler  près  du  ravin  de  Raz-el-Ain,  un  fossé  de  protec- 
tion derrière  lequel  étaient  établies  les  tentes  des  familles  de 
nos  alliés. 

Dans  la  nuit  du  21  au  22  octobre,  il  pénétra  dans  l'intérieur 
de  l'enceinte  et  enleva  les  femmes  et  les  enfants  d'un  grand 
nombre  de  Douairs,  avant  que  les  défenseur  laissés  non  loin  de 
là,  en  l'absence  du  goum,  aient  eu  le  temps  de  s'apercevoir  de 
cette  audacieuse  tentative,  et  le  khalifa  avec  ses  prises  se  sauva 
en  toute  hâte. 

Généraux  et  officiers  de  la  colonne  de  Mostaganem,  tous 
furent  sensibles  au  malheur  qui  frappait  si  inopinément  les 
Douairs  ;  toute  l'armée  s'associa  vivement  à  leur  désir  de 
vengeance. 

Mustapha  trouva  à  Mostaganem  des  lettres  lui  indiquant  que 
plusieurs  tribus  du  Khalifa  El  Bou  Hamedi  qui  avaient  parti- 
cipé à  ce  hardi  coup  de  main,  étaient  campées  entre  Ham- 
mam-bou-Hadjar  et  le  marabout  de  Si  Abd  Allah  Berkan. 

Le  général  Bugeaud  informé  de  ce  fait,  donna  l'ordre,  avant 
de  quitter  Mostaganem,  au  général  Levasseur  d'accompagner 
à  Oran  le  général  Mustapha  ben  Ismaël  et  d'appuyer  ses 
mouvements  et  ses  revendications  contre  les  dissidents. 

Le  14  novembre  ils  sortirent  d'Oran,  longèrent  le  pied  des 
montagnes  parallèles  à  la  mer,  sans  être  aperçus  et  après  une 
marche  de  nuit,  ils  virent  au  jour  naissant  les  campements 
indiqués.  Mustapha  devançant  la  colonne,  enveloppa  le  camp 
de  ses  ennemis  et  fit  arrêter  tous  les  chefs.  L'opération  eut  un 
plein  succès  et  l'Agha  des  Douairs  put  donner  cours  à  sa 
vengeance  :  ElMiloud  ould  el  Hassasna,  caïd  de  Bou-Hamedi, 
Bel  Kredda  et  Beloufa  bel  Hadj,  dissidents  des  Douairs,  les 
fauteurs  d'intrigues  et  de  défections,  eurent  la  tête  tranchée 
devant  toute  la  tribu  assemblée.  Quatre  autres  n'échappèrent 
à  sa  colère  que  par  la  fuite. 

Un  détachement  du  goum  fut  chargé  de  ramener  à  Oran  les 
troupeaux,  les  femmes  et  les  enfants,  tandis  que  la  colonne 


MUSTAPHA   BEN   ISMAEL  407 

française  se  dirigeait  sur  TIemceo,  à  marches  forcées  pour 
atteindre  Bou  flamedi. 

A  leur  approche  ce  dernier  prit  la  fuite  avec  ses  contingents, 
poursuivis  jusqu'au  poste  de  Sebdou,  place  de  guerre  d'Abdel- 
kader  qui  fut  détruite.  La  colonne  descendit  ensuite  la  vallée 
des  Beni-Snous,  le  long  de  la  Tafna,  chassant  devant  elle  les 
habitants  de  Tlemcen  fidèles  à  l'Emir  qui  se  réfugièrent  au 
milieu  des  rochers  abrupts  et  des  contreforts  inaccessibles  des 
abords  du  Kef.  L'ascension  s'opère  avec  peine,  les  cavaliers 
Douairs  et  Smélas  doivent  mettre  pied  à  terre  et  conduire  leurs 
chevaux  en  mains.  Arrivés  sur  le  plateau  du  Kef,  oi^i  les 
assiégés  se  croyaient  invulnérables,  les  colonnes  d'attaque 
furent  reformées  et  pénétrèrent  comme  un  coin  dans  les  grottes 
rocheuses  qui  servaient  de  refuge  aux  fuyards.  —  Là,  un 
combat  acharné,  une  mêlée  affreuse,  couronna  cette  chasse  à 
l'homme  dans  laquelle  excellaient  les  cavaliers  du  Maghzen. 
Tout  fut  culbuté,  saccagé,  pillé,  le  butin  fut  considérable  et  les 
troupeaux  razziés  nombreux. 

Pendant  ce  temps  El  Bou  Hamidi,  peu  soucieux  de  se  trouver 
en  présence  de  Mustapha  ben  Ismaël,  s'était  enfui  chez  les 
Traras,  près  Nédroma.  Il  y  fut  pourchassé  mais  sans  succès  ; 
toutefois  cette  poursuite  eut  pour  effet  de  soumettre  les  Beni- 
Ameur,  les  Ghossels,  les  Oulhassa  et  les  Traras. 

De  retour  à  Oran,  Si  Ahmed  ould  Kadi  fut  nommé  Aghades 
Douairs"  et  commandant  en  second  du  Maghzen  d'Oran  en 
récompense  de  ses  brillants  services.  El  Hadj  Mazary  fut 
nommé  Agha  du  Maghzen  de  Mostaganem. 


Campagne  de  1842 

Après  quelques  mois  de  repos  qui  servirent  au  général  de 
Lamoricière  à  concevoir  et  à  organiser  cette  brillante  et  si 
décisive  campagne  de  1842.  Le  général  Bugeaud,  gouverneur 
général,  adopta  ce  plan  de  campagne  en  son  entier  et  sans 
aucune  modification. 

Le  général  Mustapha  ben  Ismaël  et  son  neveu  Si  Ahmed  ould 
Kadi,   le  nouvel  agha  des  Douairs,  turent  placés  avec  leurs 


408  MUSTAPHA  BEN   ISMAEL 

goums  à  la  disposition  immédiate  du  général  de  Lamoricière 
pour  rester  en  permanence  auprès  de  lui  à  Mascara,  où  la  di- 
vision devait  demeurer  pendant  tout  l'hiver.  Durant  quatre 
mois  ces  troupes  en  haillons,  qui  vivaient  à  l'arabe,  avec  de  la 
farine  bouillie  et  des  galettes  cuites  aux  feux  du  bivouac,  faute 
d'autres  vivres,  parcoururent  toute  la  contrée  courant  par 
monts  et  par  vaux,  à  travers  la  pluie  et  la  neige,  soumettant 
toutes  les  tribus  des  environs  de  Mascara.  La  division  rentra 
à  Oran^  pour  se  ravitailler  et  se  refaire,  le  17  avril  1842,  rem- 
placée à  Mascara  par  la  brigade  d'Arbouville,  de  Mostaganem. 
Ce  repos,  toutefois  ne  devait  pas  exister  pour  les  vaillants  ca- 
valiers du  général  Mustapha  qui,  au  lieu  de  rentrer  à  Oi  an, 
furent  expédiés  à  Tlemcen,  qu'Abdelkader  tenait  bloquée  de 
loin. 

—  ce  Vous  avez  sans  doute  acquis  des  droits  au  repos,  leur 
dit  Bugeaud  en  les  quittant,  mais  pourriez  vous  en  jouir  com- 
plètement, si  votre  inaction  permettait  à  votre  ennemi  de  se 
rélever  pendant  l'hiver?  »  Ils  partirent  donc  pour  Tlemcen  où 
l'Emir  portait  en  ce  moment  tous  ses  efforts.  La  perte  de  cette 
place  de  ^uerre  lui  avait  été  plus  sensible  que  celle  de  Mascara 
à  cause  des  relations  qu'elle  lui  permettait  d'entretenir  avec  le 
Maroc. 

C'était  des  montagnes  des  Traras,  sur  la  rive  gauche  de  la 
Tafna  que  l'Émir  adressait  ses  injonctions  et  tentait  de  nous 
reprendre  les  Oulad-Riah,  les  Ghossel  et  toutes  les  tribus  de  la 
région  Le  général  Bedeau  qui  commandait  à  Tlemcen  depuis 
le  mois  de  février,  date  de  son  occupation  définitive,  amena 
avec  lui  Mustapha  ben  Ismaël  et  500  de  ses  Douairs,  Mohamed 
ben  Abdalla  kalifa  de  Tlemcen  et  son  maghzen,  le  tout  soutenu 
par  2,500  fantassins  et  3  obusiers  de  montagne. 

Ayant  passé  la  Tafna,  le  7  mars,  le  général  Bedeau  toucha 
à  Nédroma  le  8  et  força,  par  son  approche,  Abdel kader  à 
évacuer  le  pays  et  à  se  réfugier  chez  les  Beni-Snassen  (Maroc). 

C'est  au  cours  de  cette  campagne  dans  les  Traras,  que  les 
cavaliers  de  Mustapha  capturèrent  un  parti  de  Nedromis 
opérant  pour  le  compte  d'Abdelkader  et  parcourant  le  pays 
pour  y  opérer  des  razzias  et  se  procurer  des  renseignements  en 
espionnant  la  marche  de  nos  colonnes.  Parmi  les  21  cavaliers 


MUSTAPHA  BEN  ISMAEL  409 

qui  furent  faits  prisonniers  se  trouvaient  deux  des  principaux 
cfiei's  :  Si  Hamza  ben  Rehhal  et  Ben  Nekache,  deux  cousins. 

Que  les  temps  sont  changés  et  les  hommes  aussi  !  A  l'heure 
ou  nous  écrivons  ces  lignes,  le  fils  du  premier  est  notre  digne 
ami  Si  M'hamed  ben  Rehhal  de  Nédroma,  ancien  élève  du  Lycée 
d'Alger  :  cœur  droit,  fin  letlré,  qui  a  donné  à  notre  Société  de 
Géographie  une  étude  sur  l'instruction  primaire  des  indigènes 
et  ces  belles  pages  «  A  ti^avers  hs  D  ni-Snossen  »  que  nous 
avons  savourées.  —  Le  fils  du  second,  également  notre  ami, 
est  ce  bon  docteur  Nekache,  médecin  de  colonisation  à  Inker- 
mann,  à  Uemchi  puis  à  l'Hillil  et  récemment  nommé  dans  son 
propre  pays  à  Nédroma,  Celui-là  même  qui,  après  de  brillantes 
études  au  Lycée  d'Alger  et  à  la  faculté  de  mé^.ecine  de  Paris, 
a  eu  le  courage  de  se  franciser  complètement,  comme  Belka- 
cem  Bon  Sédira  à  Alger  ;  d'adopter  nos  mœurs,  nos  usages  et 
nos  vêtements  et  comme,  ce  dernier,  aussi,  de  donner  l'exem- 
ple du  croisement  des  races  en  épousant  une  française. 

Fermons  la  parenthèse  et  reprenons  notre  récit.  Vers  le  mois 
de  juin  1842,  les  goums  du  général  Mustapha,  après  deux  mois 
de  repos  bien  gagnés,  passés  dans  leurs  familles  à  Oran  et  à  la 
M'Iéta,  furent  de  nouveau  adjoints  au  général  de  Lamoricière 
et  envoyés  à  Tiaret,  poste  nouvellement  fondé,  où  se  préparait 
une  expédition  vers  le  sud-est. 

A  quatre  jours  de  marche  de  Tiaret,  la  colonne  arrive  au 
kçar  de  Goudjila,  montagne  carrée  en  forme  de  terrasse,  qui 
domine  la  partie  orientale  des  versants  du  Djebel-Amour.  C'est 
là,  qu'après  la  destruction  de  Tagdempt,  l'Émir  avait  installé 
son  dernier  arsenal  avec  le  reste  de  ses  approvisionnements 
en  armes  et  munitions,  soustraits  jusqu'alors  à  nos  recherches. 

Goudjila,  situé  en  ligne  droite,  à  250  kilomètres  de  la  mer, 
était  le  point  le  plus  méridional  que  nous  eussions  atteint  jus- 
qu'à ce  jour.  C'était  le  premier  pas  tait  dans  cet  inconnu  des 
Hauts-Plateaux  sahariens,  que  nos  colonnes  devaient,  plus 
tard,  sillonner  en  tous  les  sens  à  la  poursuite  de  notre  infati- 
guable  ennemi. 

Du  haut  de  cette  splendide  terrasse  dominant  vingt  lieues  de 
pays  à  la  ronde,  monté  sur  le  sommet  le  plus  élevé  de  la 
montagne,  où  est  accroché  comme  un  nid  d'aigle,  le  petit  kçar 


410  MUSTAPHA  BEN  ISMAEL 

■  de  Goudjila,  Mustapha  ben  Ismsël,  plongeant  avec  orgueil  son 
regard  sur  l'immense  plaine  ondulée  qui  s'étend  au  sud,  sans 
autre  limite  que  l'horizon  visuel,  et  sur  ces  montagnes  boisées 
de  Trumelet  et  de  Teniet-el-Hâad,  que  l'œil  distingue  encore 
confusément  vers  le  nord,  dans  la  direction  du  Tell,  leva  les 
bras  au  ciel  et  s'écria  : 

—  «  Fils  de  Mahieddin,  ce  pays  ne  peut  pas  être  destiné  à 
appartenir  à  un  marabout,  à  un  homme  de  zaouia  comme  toi. 
Enlevé  par  la  conquête  à  ceux  que  j'avais  servi  toute  ma  vie, 
c'est  à  la  France,  à  la  nation  qui  a  su  le  leur  arracher  qu'i 
revient  de  plein  droit,  et  non  pas  à  toi  qui  n'avait  fait  que  le 
voler.  J'ai  aidé  de  toutes  mes  forces  les  Français  à  reprendre 
leur  bien,  parce  que  moi,  soldat,  je  ne  pourrai  obéir  qu'à  des 
soldats. 

((  Je  les  ai  conduits  jusqu'aux  portes  du  Sahara  ;  je  puis 
maintenant  mourir  tranquille!...  car  justice  complète  sera 
bientôt  faite  de  ta  ridicule  ambition.  » 

Un  dernier  fait  d'armes  signala  la  fin  de  cette  campagne  de 
1842  qui  avait  eu  Tiaret  pour  centre  d'opérations.  Le  8 
octobre,  Abdelkader  prévenu  qu'une  caravane  nombreuse  de 
Harrars,  autorisée  par  le  général  de  Lamoricière,  se  chargeait 
d'orge  et  de  blé  sur  les  matemores  des  Oulad-Chérif  insoumis, 
l'Emir  accourt  sur  eux  et  tente  de  leur  enlever  ce  convoi, 
ignorant  que  la  colonne  française,  revenant  de  Goudjila  et  de 
Taguin,  se  trouvait  près  de  là,  campée  au  col  de  Torrich,  dans 
une  position  invisible.  Prévenue  de  cette  attaque,  la  cavalerie 
monte  aussitôt  à  cheval,  précédée  comme  de  coutume  par  les 
goums  de  l'intrépide  Mustapha,  Douairs  et  Smélas  en  tête, 
drapeaux-  déployés.  A  cette  vue,  une  panique  se  produit  chez 
les  gens  de  l'Émir  ;  son  goum  est  rapidement  atteint,  turieu- 
sement  bousculé  et  rejeté,  après  une  ardente  poursuite  dans 
un  profond  et  inextricable  ravin. 

Deux  cent  huit  chevaux  lui  sont  pris;  plus  de  cent  réguliers 
restent  sabrés  sur  le  champ  de  bataille,  cinquante  sont 
ramenés  prisonniers,  et  tout  ce  qui  avait  été  enlevé  aux 
Harrars,  est  repris  et  rendu  à  cette  tribu.  Naturellement  les 
Douairs  et  Smélas  furent  cités,  à  l'ordre  de  la  Division,  avec 
les  plus  grands  éloges,  pour  l'élan,  la  vigueur  et  l'entraînement 


MUSTAPHA   BEN   ISMAEL  411 

donl  ils  venaient,  encore  une  fois,  de  donner  des  preuves  dans 
ce  brillant  combat  de  cavalerie  qui  portait  à  l'ennemi  un  coup 
si  terrible  et  si  irréparable,  qu'il  disparut  du  pays. 

Du  coup,  la  campagne  fut  close,  mais  les  chevaux  du 
Maghzen,  hors  d'état  de  continuer  leurs  services,  par  suite  des 
privations  et  des  fatigues  de  ces  marches  interminables, 
avaient  un  besoin  impérieux  de  se  refaire.  En  conséquence  le 
général  Mustapha  ben  Ismaël  reçut  l'ordre  de  retourner  à 
Oran,  où  les  ooums  arrivèrent  le  22  octobre. 


Campagne  de  1843.  —  Prise  de  la  Smala 

Le  programme  pour  la  campagne  de  1843,  était  d'expulser 
l'Emir  Abdelkader  des  territoires  de  l'Algérie  et  de  le  rejeter 
dans  le  Maroc. 

A  cet  effet,  deux  fortes  colonnes,  d'une  division  chacune, 
devaient  le  traquer  et  tâcher  de  le  prendre  entre-elles  ou  de  le 
pousser  vers  l'ouest.  La  première  formée  à  Bnghar  était  com- 
mandée par  le  duc  d'Aumale  ;  la  seconde  concentrée  à  Frenda, 
entre  Mascara  et  Tiaret,  était  aux  ordres  de  Lamoricière,  lequel 
avait  rappelé  en  toute  hâte  d'Oran  le  général  Mustapha  ben 
Ismaël  avec  cinq  cents  chevaux  du  maghzen. 

Pendant  ce  temps  rÉmir,avec  sa  mobilité  habituelle,  filait 
comme  un  lézard  entre  les  deux  colonnes,  et,  après  avoir  mis  sa 
smala  en  sûreté  à  El-Oussekr,  à  53  kilomètres  à  l'est  de  Frenda, 
il  descendit  chez  les  Aaîouïa  et  les  Kraïches  et  tomba  à  l'impro- 
viste  sur  les  Oulad-Khouïdem  et  les  Oulad-Abbas,  auxquels  il 
enleva  plus  de  50  tentes  et  razzia  tous  les  troupaaux. 

Le  général  de  Lamoricière  apprenant  cela,  changea  de  direc- 
tion et  se  jeta  vers  l'ouest  pour  le  poursuivre.  Mais  déjà  l'Emir 
informé  par  ses  espions  de  tous  nos  mouvements,  se  trouvait 
avec  toutes  ses  forces  réunies  à  El-Oussekr  et  à  Reghaï,  lors- 
qu'un ordre  parvint  au  général  Lamoricière  de  reprendre  la 
direction  de  l'est  tandis  que  le  duc  d'Aumale,  accourant  à 
marches  forcées,  se  dirigeait  vers  lui,  du  côté  opposé  afin  de 
cerner  Abdelkader  entre  les  deux  colonnes. 

Pendant  que  ces  mouvements  s'accomplissaient,  l'Émir  qui 
ignorait  complètement  la  marche  et  les  intentions  du  duc 


iiS  MUSTAPHA   BEN   ISMAEL 

d'Aumale,  s'attachait  seulement  à  observer  la  colonne  du  géné- 
ral Lamoricière  pour  se  dérober  à  ses  coups.  C'est  alors  que  la 
Smala  d'Abdelkader  qui  faisait  la  navette  entre  Goudjila,  El- 
Oussekr  et  Taguin,  se  fixa  définitivement  autour  de  cette 
dernière  source. 

La  smala  avait  mis  quatre  jours  à  se  rendre  d'El-Oussekr  à 
Taguin^  de  l'ouest  à  Test,  par  ordre  de  l'Emir  afin  d'échapper 
à  Lamoricière.  C'est  là  qu'elle  fut  surprise  si  audacieusement 
par  la  cavalerie  du  duc  d'Aumale,  dans  des  circonstances 
particulièrement  hardies,  qu'il  n'entre  pas  dans  notre  cadre  de 
raconter.  Toutefois  il  convient  de  rappeler  que  la  prise  de  la 
smala,  par  ce  coup  de  main  inattendu,  porta  le  plus  terrible 
coup  à  la  puissance  d'Abdelkader  et  détruisit  complètement 
son  prestige  aux  yeux  des  populations  indigènes,  non  encore 
soumises  à  notre  domination. 


Razzia  des  Hachem  à  Aïn-Kremis 

Le  général  de  Lamoricière  se  trouvait  à  Aïn-Sidi-Mansour, 
à  la  tête  des  eaux  de  la  haute  Mina,  lorsqu'un  jeune  nègre  qui 
s'était  sauvé  de  l'immense  foule  de  prisonniers  que  la  colonne 
de  l'est  chassait  devant  elle,  vint  lui  apprendre  la  prise  de  la 
Smala,  par  Ould  el  Rey,  le  fils  du  roi.  Il  lui  annonçait, 
en  même  temps,  qu'une  nombreuse  émigration  des  Hachems, 
échappés  du  désastre,  se  dirigeait  chez  les  Keraïch,  par 
le  Nahr-Ouassel.  Cette  masse  fuyante  de  la  smala,  cher- 
chant un  refuge  dans  le  Tell,  venait  se  faire  prendre  aux  toiles 
de  la  colonne  de  Lamoricière  qu'elles  ne  soupçonnaient  pas  si 
près  de  Tiaret.  «  Nouée  et  dénouée  en  une  heure  avec  l'éclat 
d'un  coup  de  théâtre,  l'action  dramatique  si  vivement  menée 
par  le  duc  d'Aumale,  allait  avoir  à  120  kilomètres  de  Taguin,  un 
tragique  épilogue.  »  (1) 

Les  malheureux  fuyards,  Hachem  pour  la  plupart,  Flittas 
pour  le  reste,  allaient  camper,  se  croyant  en  pleine  sécurité, 
lorsque,  comme  un  coup  de  foudre,  ils  se  virent  entourés  par 


(l)  Camille  ROUSSET.  —  Les  cominencements  d'une  conquête. 


MUSTAPHA   BEN   ISMAEL  413 

la  charge  furieuse  des  goums  tant  redoutés  de  Mustapha  ben 
Ismaël,  suivis  de  près  par  le  reste  de  la  cavalerie  réguhère. 
Toute  cette  cavalerie  de  la  colonne  Lamoi-icière,  était  montée 
à  cheval  au  premier  signal  et  les  avait  atteints  et  surpris  à 
l'improviste  après  une  course  folle  de  40  kilomètres.  Ainsi,  ils 
n'avaient  échappé,  à  Taguin,  aux  spahis  de  Jusouf,  que  pour 
tomber  en  plein  dans  les  griffes  impitoyables  des  moghaznis 
de  Mustapha,  qui  s'emparèrent,  au  lieu  dit  :  Aïn-Kremis,  de 
leurs  chameaux,  des  troupeaux,  de  toutes  les  provisions  et 
bagages  et  complétèrent  parce  coup  demain,  l'heureux  succès 
de  Taguin. 

Les  Hacheras  et  Flittas,  objet  de  cette  foudroyante  razzia 
avaient  été  si  complètement  dépouillées  de  tout  ce  qu'ils 
possédaient,  que  le  général  Lamoricière  avant  de  les  faire 
reconduire  chez  eux,  dans  la  plaine  d'Eghris  et  sur  le  plateau 
de  Mendès,  fut  obligé  de  les  nourrir  et  de  les  vêtir. 


Mort  de  Mustapha  ben  Ismaël 

Gorgés  de  butin,  après  cette  rapide  et  fructueuse  campagne, 
les  moghaznis  des  trois  goums,  Douairs,  Smélas  et  Gharabas, 
n'aspiraient  qu'à  regagner  leurs  douars,  autour  d'Oran  et 
d'Arzew,  et  à  y  rapporter  triomphalement  leur  part  du  pillage. 

La  colonne  campa,  avec  ses  prises,  le  22  mai1843àAm- 
Trid  et  se  porta  le  lendemain,  23,  sur  le  Telilat.  Là,  elle  se 
divise  en  trois  groupes  :  le  premier  avec  le  convoi  de  prison- 
niers tait  à  Aïn-Kremis,  est  envoyé  à  Mascara  sous  l'escorte 
d'un  bataillon  d'infanterie  et  un  escadron  de  cavalerie;  le  gros 
des  troupes  formant  le  deuxième  groupe,  sous  le  commande- 
ment du  général  de  Lamoricière,  remonte  à  Tiaret  où  l'on 
commençait  à  construire  les  remparts  d'une  forteresse.  Enfin 
le  troisième  groupe,  composé  de  Mustapha  ben  Ismaël  et  des 
goums,  sous  ses  ordres  est  autorisé  à  rentrer  à  Oran. 

Au  lieu  de  prendre,  selon  les  sages  conseils  de  Lamoricière, 
le  chemin  qui,  de  Tiaret,  mène  à  Oran  par  la  vallée  de  la  haute 
Mina,  par  Tagdempt,  Djilali-ben-Amar,  Fortassa,  Relizane, 
l'Hil-Hil  et  le  Tlélat,  le  vieux  reitre  qu'était  Mustapha,  qui 


414  MUSTAPHA  BEN  ISMAEL 

avait,  dit-on,  enrichi  son  harem  d'une  jeune  et  séduisante 
algérienne,  qu'il  avait  hâte  de  retrouver,  voulut  gagner  trois 
jours  sur  cet  itinéraire  présentant  une  certaine  sécurité. 

Il  tira  droit  sur  Relizane  à  travers  ce  pays  des  Flittas  qu'il 
avait  tant  de  fois  traversé  et  ravagé,  et  longea  de  l'oued  Temda 
à  Rahouïa  la  vallée  de  la  Ménasfa. 

C'était  le  23  mai  1843  ;  les  cavaliers,  pied  à  terre,  tiraient 
par  la  bride  leurs  chevaux  pliant  sous  le  faix.  Les  Gheurfa, 
dont  ils  traversaient  le  territoire  depuis  le  matin,  s'aperçurent 
de  leur  nonchalance  et  de  leur  désordre  et  eurent  aussitôt  la 
tentation  d'en  profiter. 

A  peine  avait-il  dépassé  la  Raouhïa,  point  de  séparation  avec 
la  colonne  de  Mascara,  qu'il  lui  était  plus  prudent  de  suivre 
il  commença  à  être  inquiété  par  des  groupes  isolés  de  cavaliers 
avec  lesquels  il  dut  tirailler  pour  les  maintenir  à  distance.  En 
voyant  ces  symptômes  menaçants  on  lui  conseilla,  avant  de 
poursuivre  plus  loin,  de  se  rabattre  sur  Djilali-ben  Amar.  Par 
une  obstination  fatale  il  ne  voulut  rien  écouter  et  tint  à  l'hon- 
neur de  ne  point  invoquer  le  secours  et  la  protection  de  la 
colonne  de  Mascara  qui  marchait  dans  cette  direction. 

Il  continua  sa  route  à  travers  les  Flittas  : 

—  «  Comment,  dit-il,  à  ses  lieutenants  qui  lui  conseillaient 
«  la  prudence,  vous  avez  peur  d'affronter  les  Flittas  avec  six 
ft  cents  kialinn  aguerris  par  cent  combats,  endurcis  par  mille 
«  fatigues,  avec  mes  braves  Douairs  qui  ont  foulé  sous  les  sa- 
«  bots  de  leurs  étalons  hennissants,  les  alluvions  du  Tell  et  les 
a  sables  du  désert  ;  les  moissons  jaunissantes  et  les  cadavres 
«  de  leurs  ennemis;  allons-donc?  En  avant  toujours  et  qu'on 
«  se  garde  bien  de  changer  la  direction  de  la  route.  »...  On 
«  s'inclina  ! . . . 

Cependant,  en  passant  près  de  la  kouba  de  Sidi-El-Azereg 
quelques  coups  de  fusils  plus  rapprochés  furent  tirés  sur 
Mustapha  lui-même,  sans  l'atteindre.  Les  quelques  cavaliers 
d'élite  qui  lui  étaient  tout  dévoués,  dont  les  chevaux  n'étaient 
pas  allourdis  par  le  butin,  maintinrent  toute  la  journée  l'en- 
nemi à  distance  en  usant  contre  lui  les  dernières  cartouches 
qui  leur  restaient.  Les  assaillants  peu  nombreux,  virent  leurs 
rangs  augmenter;   ils  se  bornèrent  à  épier  la  marche  du 


MUSTAPHA   BEN  ISMAEL  415 

maghzen,  et  à  chaque  sommet,  à  chaque  crête  découverte, 
faisant  selon  leur  usage  des  signaux  avec  les  pans  de  leurs 
burnous,  ils  virent  leur  nombre  s'accroître  ce  qui  décupla  leur 
audace. 

Vers  quatre  heures  du  soir,  cette  foule  de  cavaliers  marchant 
sans  ordre  et  sans  précautions,  dont  la  retraite  n'était 
protégée  que  par  ce  petit  nombre  de  cavaliers,  les  seuls  qui 
fussent  encore  en  état  de  combattre,  fut  forcée  pour  continuer 
la  marche  de  s'engager  dans  les  terrains  boisés  et  difficiles 
situés  à  dix  kilomètres  au  sud-est  de  Zemmorah,  qui  forment 
les  crêtes  de  partage  des  eaux,  entre  le  bassin  de  la  Menasfa  et 
celui  de  la  basse  Mina.  Les  guides  de  cet  immense  convoi  de 
bagages  s'égarèrent  dans  ce  labyrinthe  d'étroits  chemins,  dans 
cet  échiquier  déchiqueté  composé  de  pitons  infranchissables 
coupés  d'affreux  ravins. 

Arrivés  chez  les  Oulad-Sidi-Yaya,  à  l'endroit  connu  sous  le 
nom  de  Akbet-Beïda  (la  blanche  montée)  la  tête  de  colonne  fut 
arrêtée  par  le  resserement  du  sentier  zigzagant  entre  un  escar- 
pement boisé  à  gauche  et  une  longue  crevasse  formant  un 
précipice  profond  sur  la  droite,  obstacles  difficiles  à  franchir, 
qui  constituent  le  col  de  Thifour. 

Pendant  qu'au  milieu  des  cris  et  du  tumulte,  la  foule 
aglomérée  à  l'entrée  du  passage  commençait  à  s'écouler  lente- 
ment et  que  la  mehalla  était  à  moitié  engagée  dans  ce  sombre 
défilé,  une  fusillade  intense  éclata  tout  à  coup  sus  les  flancs 
dégarnis  et  en  tête  de  cette  cohue  confuse,  tirée  par  des  Flittas, 
cachés  dans  les  bois.  Surpris  dans  un  pareil  désordre,  dans  la 
confusion  augmentait  à  chaque  instant,  les  moghazisis  n'es- 
sayèrent même  pas  de  se  défendre  ;  ils  ne  songeaient  qu'à  fuir. 
«  La  peur,  selon  l'image  arabe,  pénétra  dans  ces  cœurs  de 
lion  par  la  porte  de  l'avarice.  » 

Ceux  qui  s'étaient  déjà  dégagés  de  ce  mauvais  pas,  refluèrent 
sur  ceux  qui  se  pressaient  de  passer  ;  les  bêtes  de  somme 
tombaient  de  tous  côtés,  soit  atteintes  par  les  balles  de 
l'ennemi,  soit  par  suite  de  la  précipitation  que  chacun  mettait 
à  vouloir  faire  demi-tour  pour  rebrousser  chemin,  ou  chercher 
une  autre  issue  pour  franchir  le  défilé  de  Thifour.  Tout  cela 
réuni  vînt  encore  accroître  les  difficultés  du  passage. 


416  MUSTAPHA  BEN  ISMAEL 

La  panique  la_  plus  effroyable  s'empara  de  ces  hommes 
d'élite  que  rien  n'avait  pu  amollir  jusqu'alors.  Le  petit  nombre 
de  cavaliers  Douairs  qui  se  trouvaient  en  tête,  tormantl'avant- 
garde,  tenta  vainement  d'atteindre,  dans  les  bois  où  ils 
échappaient  à  leurs  coups,  les  Flittas  à  pied,  peu  nombreux, 
qui  jetaient  le  trouble  et  la  terreur  dans  cette  foule  désordonnée. 

Indépendamment  des  accidents  de  terrain  qui  rendaient 
cette  tentative  difficile,  la  plupart  d'entre-eux  avaient  épuisé 
leur  dernière  cartouche. 

En  dépit  du  danger,  toujours  accourant  au  feu,  le  vieux 
Mustapha  ben  Ismaël  qui  s'était  tenu  jusqu'alors  à  l'arrière- 
garde,  songeur,  laissant  aller  son  cheval  la  bride  sur  le  cou, 
s'avançait  maintenant  l'œil  en  feu,  debout  sur  ses  étriers 
malgré  ses  80  ans,  furieux  de  voir  ses  goumiers  qui  pourtant 
en  avaient  vu  de  plus  rudes,  se  débander  uniquement 
préoccupés  de  mettre  leur  butin  à  l'abri,  résistant  mollement 
et  lâchant  pied. 

La  voix  vibrante  et  sonore  du  vieux  chef  se  fait  entendre, 
dominant  le  tumulte  ;  le  lion  qui  dormait  se  réveille  et 
l'instinct  de  l'homme  de  guerre  décuple  ses  forces.  Il  rallie  les 
fuyards  et  communique  à  tous  l'ardeur  qui  l'anime,  la  bravoure 
que,  ni  l'âge,  ni  la  fatigue  n'ont  pu  s'éteindre  en  lui.  Arrivé  au 
pied  d'un  mamelon  que  son  cheval  ne  peut  franchir,  il  met  un 
instant  pied  à  terre  et  fait  lui-même  le  coup  de  feu,  excitant 
les  siens,  qui  bondissent  à  l'appel  de  leur  nom,  par  dessus  les 
fourrés  de  lentisques  ;  il  les  électrise  et,  en  une  poussée 
furieuse,  il  chasse  devant  lui  les  agresseurs  qui  n'osent 
affronter  ni  son  regard,  ni  son  fusil.  Puis  il  se  remet  en  selle 
pour  diriger  le  mouvement  et  imposer  silence,  par  sa  présence, 
aux  cris  et  aux  vociférations  tulmutueuses  de  toute  cette 
cohue. 

«  C'était,  dit  Walsin-Esterhazy,  auquel  nous  empruntons  . 
ces  notes,  une  noble  et  imposante  figure  de  vieillard  à  la  barbe 
toute  blanche,  dont  le  nez  aquilin  et  la  profondeur  du  regard, 
couleur  d'acier,  rappelaient  le  type  de  l'aigle.  Lorsqu'on  le 
voyait  au  moment  de  combattre,  suivi  de  ses  deux  étendards 
tant  redoutés,  marchant  en  tête  de  la  foule  de  ses  cavaliers, 
haletante  sous  sa  parole  brève  et  saccadée,  son  aspect  avait 


MUSTAPHA   BEN   ISMAEL  4l7 

quelque  chose  de  grandiose  et  de  sauvage,  qui  portait 
involontairement  l'imagination  vers  le  souvenir  de  ces  guerriers 
des  premiers  temps  de  l'islamisme,  qui  conduisirent,  à  travers 
les  déserts,  leurs  hordes  fanatiques  à  la  conquête  de  l'Occident.» 

Après  avoir  reconnu  l'obstacle  qui  arrêtait  le  mouvement  et 
apprécié  la  gravité  de  la  sitation,  Mustapha  s'élance  de  nouveau 
contre  ces  invisibles  et  insaisissables  ennemis,  qui  le  tiennent 
ainsi  en  échec,  lorsque,  soudain,  une  balle  l'atteint  en  pleine 
poitrine.  Le  vieil  héros  salïaisse  sur  sa  selle,  s'y  maintient 
pendant  quelques  secondes  et  finit  par  glisser  lentement  à 
terre. 

11  vivait  encore  1  II  vécut  assez  pour  se  voir  abandonné, 
lâchement,  par  des  hommes  que  ne  terrifiait  plus  son  regard 
éteint.  Ses  serviteurs  accourent,  s'empressent  autour  de  lui, 
cherchant  à  le  ranimer.  Vains  efforts  !  Ce  grand  est  noble 
guerrier  ;  ce  beau  vieillard  à  la  barbe  neigeuse,  dont  la  vie 
n'a  été  qu'une  longue  suite  de  luttes  pour  son  pays  et  en  der- 
nier lieu  pour  la  France,  qu'il  aimait,  a  terminé  bravement  et 
glorieusement  sa  féconde  carrière,  le  fusil  haut,  face  à  l'en- 
nemi ! 

Les  Douairs  et  les  Smélas  désormais  privés  de  leur  chef, 
démoralisés,  découiagés  par  cette  lutte  sans  issue,  poursuivis 
à  leur  tour  dans  cette  souricière  où  ils  se  sont  enfoncés  eux- 
mêmes  de  gaîté  de  cœur,  abandonnent  la  meilleure  partie  de 
leurs  prises  et  s'enfuient  précipitemment,  laissant  sur  le 
terrain  leurs  blessés  et  leurs  morts,  même  le  corps  du  chef  qu'ils 
avaient  tant  vénéré. 

Dans  la  précipitation  de  cet  incompréhensible  déroute,  tout 
est  abandonné  :  bêtes  de  somme  chargées,  riches  dépouilles, 
causes  premières  du  désastre,  étendards  qui  les  avaient 
conduits  tant  de  fois  à  la  victoire,  tout  roule  au  fond  des  ravins 
de  Bab-Thifour  et  devient  la  proie  d'indignes  ennemis,  étonnés 
eux-mêmes  de  leur  facile  victoire. 

Le  même  soir,  quelques  fuyard  apportèrent  la  nouvelle  de 
ce  désastre  au  camp  retranché  de  Zemmora,  à  dix  kilomètres  à 
peine  du  théâtre  de  la  lutte,  où  commandait  alors  le  capitaine 


418  MUSTAPHA   BEN   ISMAEL 

de  Mac-Mahon,  lequel  dépêcha  aussitôt  un  officier  et  un 
peloton  de  spahis  sur  le  lieu  du  combat. 

Le  corps  du  général  Mustapha  n'avait  pas  été  tout  d'abord 
reconnu  par  les  Flittas  ;  éblouis  par  la  richesse  de  la  proie,  ils  ne 
songèrent  qu'à  dépouiller  le  cadavre  encore  palpitant  et  à 
s'arracher  l'immense  butin  tombé  si  inopinément  entre  leurs 
mains.  Ce  ne  fut  que  plus  tard,  dans  la  nuit,  lorsque  à  la 
nouvelle  de  ce  triomphe  inespéré,  toutes  les  populations  des 
Oulad-Sidi-Yaya,  sortant  de  leurs  sauvages  retraites  de  Gar- 
boussa,  accoururent  à  la  curée,  qu'ils  eurent  connaissance  de 
l'importance  de  la  victime  qu'un  sort  cruel  venait  d'atteindre  ! 
Mustapha  fut  reconnu  par  un  homme  étranger  à  la  tribu  des 
Gheurfas,  à  sa  main  droite  mutilée  par  une  blessure,  au  combat 
de  la  Sikkak  en  1837, 

Lorsque  les  spahis  du  capitaine  de  Mac-Mahon  arrivèrent  sur 
le  lieu  du  combat,  avec  les  serviteurs  du  général  Mustapha,  ils 
furent  assez  heureux,  en  cherchant  parmi  les  morts,  pour 
retrouver  son  cadavre. 

Il  était  décapité  ! .  . .   Sa  tète  et  sa  main  droite  furent 

apportées  à  Abdelkader  qui,  dit-on,  contempla  longuement 
cette  sanglante  offrande  et  s'écria  ; 

—  0  Mustapha  ben  Ismaël,  que  n'as^tu  écouté  la  voix  de 
Dieu  et  celle  de  notre  saint  Prophète?  Que  n'est  tu  venu  à 
moi,  au  sein  des  vrais  musulmans  combattant  pour  la  bonne 
cause,  au  lieu  de  servir  les  infidèles  ?  Ta  tête,  que  voilà,  serait 
encore  sur  tes  épaules  ! ... . 

Et  il  fit  donner  aussitôt  à  ces  restes  pantelants,  les  honneurs 
de  la  sépulture. 

Quant  au  corps  mutilé  de  Mustapha,  resté  sur  le  champ  de 
bataille,  il  fut  racheté,  le  lendemain,  au  gens  des  Oulad-Sidi- 
Yaya,  par  le  caïd  de  Kalâa,  Kaddour  ben-Morfi,  qui  le  fit 
pieusement  recueillir  et  ramener  à  Zemmorah.  Le  spahi  Ben 
Daoud  ben  Derouich,  qui  avait  été  précédemment  goumier  des 
Douairs,  sous  les  ordres  du  général  Mustapha,  revendiqua 
l'insigne  honneur  de  rapporter  au  travers  de  sa  monture  les 
restes  glorieux  de  son  ancien  chef.  Le  corps  fût  déposé  et 
provisoirement  inhumé    à    l'endroit    même,    où   s'élève,    à 


MUSTAPHA  BEN  ISMAEL 


419 


Zemmorah,  la  kouba  que  nous  avons  construite  en  son 
honneur  au  sommet  du  pic  qui  couronne  le  village,  au  sud,  et 
que  les  Flittas,  dont  la  haine  pour  le  glorieux  mort  n'a  pu 
encore  s'éteindre,  appellent  «  Djebel  Ouraîa  »  terme  de  mépris 
dont  les  arabisants  comprendront  la  signification. 

On  exhuma  ce  corps  quelques  jours  après  sur  la  demande 
de  la  famille  et  on  le  lit  transporter  à  Oran  où  il  fut  définitive- 
ment enterré,  le  29  mai,  dans  le  cimetière  musulman,  en 
présence  de  toute  la  garnison  réunie  sous  les  armes  et  sous  le 
commandement  du  général  Thierry,  pour  lui  rendre  les 
honneurs  dus  à  son  grade  et  à  ses  hautes  qualités. 


4âO  MUSTAPHA   BEN   ISMAEL 


e:ï>ilooilje: 


Telle  fut  la  fin,  à  quatre-vingts  ans,  de  ce  guerrier  illustre, 
vaillant  entre  tous  et  brave  comme  la  témérité,  qui  «  après 
avoir  fait  trembler,  au  bruit  des  sabots  de  son  cheval,  toutes 
les  populations  de  la  province  d'Oran  et  avoir  été  la  terreur 
des  soldats  d'Abdelkader  venait  d'être  abattu  par  la  balle 
obscure  de  quelque  pâtre  ignoré.  » 

Telle  fut  la  fm  de  ce  soldat  que  la  France  avait  fait  général 
et  qui  eut  de  la  peine  à  trouver  un  tombeau  !.  Cependant, 
l'armée  porta  le  deuil  du  général  Mustapha  ben  Ismaël,  aimé 
et  estimé  de  tous,  apprécié  comme  il  convenait,  surtout  par 
les  gens  du  Maghzen,  qui  le  considéraient  comme  un  père. 

Quant  aux  moghaznis  du  col  de  Thifour,  ils  n'eurent  même 
pas  le  bénéfice  de  leur  défaillance  ;  pour  sauver  leurs  têtes  il 
leur  avait  fallu  faire  le  sacrifice  de  leurs  bagages  et  de  leur 
butin.  Les  premiers  fuyards,  auxquels  la  peur  avait  donné  des 
ailes,  triste  exemple  des  ces  inexplicables  et  soudaines  épou- 
vantes qui  s'emparent  parfois  inopinément  des  multitudes, 
lorsqu'elles  ne  sont  plus  liées  par  la  cohésion,  l'ordre  et  la 
discipline,  les  premiers  arrivés  à  Oran,  dis-je,  avaient  parcouru 
224  kilomètres  en  vingt  heures.  Accueillis  avec  horreur, 
repoussés  avec  dégoût  par  les  vaillantes  femmes  de  leurs 
douars,  ils  durent  expier  leur  lâcheté  par  une  pénitence  de 
quarante  jours  que  leur  imposèrent  leurs  épouses.  En  même 
temps  le  général  leur  fit  dire  qu'ils  ne  devaient  pas  songer  à 
dresser  leurs  tentes  et  à  s'y  reposer  avant  d'avoir  écrasé  les 
Flittas  et  d'en  avoir  tiré  une  vengence  éclatante. 

Mohammed  bel  Bachir  ould  Cadi,  de  la  famille  des  Behaïtsia, 
avait  été  primitivement  désigné  par  l'autorité  militaire  pour 
remplacer  Mustapha  dans  son  commandement  ;  mais  sur  les 
vives  instances  des  chefs  Douairs  et  Smélas,  ce  choix  ne  fut  pas 
ratifié  et  on  nomma  agha  des  Douairs  El  hadj  Mazary,  neveu  du 


MUSTAPHA  BEN  ISMAEL  421 

général  Mustapha,  qui  revenait  de  la  Mecque,  et  se  trouvait  le 
personna;j,e  le  plus  considérable  de  nos  Iribus  alliées  en  iiiènie 
temps  (iu(>  l'aillé  tles  l'elia'itsia.  Moliannned  bel  Dacliir  lui  l'ut 
adjoint  comme  khalit'a. 


Pendant  longtemps  on  entendit,  le  soir,  dans  les  douars  de 
la  plaine  de  la  M'Iéta,  et  parfois  dans  des  longues  marches  des 
colonnes,  les  gens  des  Douairs,  chanter  et  rapsodier  cette 
triste  complainte  : 

((  0  malheur!  le  fds  de  Mustapha  se  jette  éperdu  au  milieu 
((  du  goum  ;  il  parcourt  les  rangs  des  cavaliers  et  ne  voit  plus 
((  Mustapha  ;  Mustapha  le  protecteur  des  malheureux  ! 

((  Il  parcourt  les  rangs  des  cavaliers  et  appelle  son  père  ! 
«  Hélas  !  l'homme  aux  vertus  héroïques  ;  celui  dont  l'ascendant 
((  maintenait  la  paix  dans  les  tribus,  a  quitté  pour  toujours 
«  cette  terre,  et  nous  ne  le  verrons  plus  "... 

((  Lorsqu'il  s'élançait  à  la  tête  des  goums  sur  un  coursier 
«  impétueux,  l'animant  des  rênes  et  de  la  voix,  les  guerriers  le 
«  suivaient  en  foule  ! 

«  Qu'd  était  beau  dans  l'ivresse  du  triomphe  lorsque  sur  son 
((  noir  coursier  du  Soudan,  à  la  selle  étincelante  de  dorures, 
((  il  apparaissait  comme  le  génie  de  la  guerre  ou  le  dra jon  des 
((  combats  ! 

«  Pleurons  le  plus  intrépide  des  hommes,  celui  que  nous 
((  avons  vu  si  beau  sous  le  harnais  de  guerre.  Pleurons  celui 
«  qui  fut  la  gloire  des  cavaliers  ! 

«  Comment  est-il  tombé  dans  les  ténèbres  de  la  mort,  lui  si 
((  brillant  de  gloire,  laissant  ses  amis  dans  l'affliction,  comme 
«  s'il  n'avait  jamais  existé  ! 

((  Guerriers  !  pourquoi  vous  rassemblez-vous  ?  Qui  pourrait 
((  avoir,  aujourd'hui,  la  prétention  de  vous  commander  ? 
«  d'égaler  celui  qui  a  rempli  le  pays  de  la  renommée  de  ses 
«  hauts  faits?. . . 

«  Il  n'est  plus  personne  qui  puisse  remplacer  le  Lion,  et  ses 
((  amis  consternés  n'ont  plus  de  force  que  pour  remplir  la 
c(  contrée  de  leur  désolation  ! 


422  MUSTAPHA  BEN  ISMAEL 

«  Dieu  est  témoin  que  Mustapka  ben  Ismaël'fut  fidèle  à  sa 
((  parole  jusqu'à  la  mort  et  qu'il  ne  cessa  jamais  d'être  le  modèle 
«  des  cavaliers. 

((  Il  fut  la  gloire  de  notre  époque,  mais  le  flambeau  de  sa 
«  maison  s'est  éteint  depuis  qu'il  a  mêlé  sa  poussière  à  la 
((  poussière  des  vaillants  cavaliers  qui  l'avaient  précédé  dans 
c(  le  tombeau  ! )) 


Ayant  cherché  vainement,  à  Oran  et  à  la  M'iéta,  le  tombeau 
du  grand  Mustapha  ben  Ismaël  le  tombeau  que  la  France  devait 
à  un  de  ses  plus  illustres  et  fidèles  guerriers,  mort  à  son  service, 
et  n'ayant  rien  trouvé,  Fauteur  de  cette  biographie,  s'est 
rendu  le  20  Août  1899  à  Zemmorah  pour  y  accomplir  un  pieux 
pèlerinage  à  la  mémoire  de  son  héros,  devant  la  kouba  que 
l'on  y  a  fait  élever  en  son  honneur. 

Quelle  déception!...  Il  n'y  a  trouvé  qu'un  modeste  et 
vulgaire  mausolée,  dont  le  fac-similé  est  reproduit  en  tête  de 
cet  épilogue.  La  kouba  sans  porte  et  sans  gardien,  est  ouverte 
à  tous  les  vents,  couverte  d'inscription  burlesques  ou  grossières 
et  souillée  d'ordures  par  les  féroces  et  haineux  Flittas,  qui 
n'admettent  pas  qu'on  ait  élevé  ce  tombeau  de  leur  ennemi, 
sur  leur  propre  territoire,  et  qu'on  les  ait  obligés  à  y  monter  les 
matériaux  et  l'eau  pour  la  faire  bâtir  par  les  ouvriers  du  Génie. 

Ils  considèrent  cette  kouba  comme  un  dépotoir  et  un  objet 
de  dégoût. 

Puisque  l'on  a  toujours  dit  que  la  France  était  assez  riche 
pour  payer  sa  gloire,  il  eut  été  plus  digne  d'elle  et  d'une 
politique  plus  habile  aux  yeux  des  indigènes  qui  se  sont 
loyalement  soumis  à  notre  domination,  de  consacrer  le  souvenir 
des  services  éminents  que  nous  a  rendus  le  général  Mustapha 
ben  Ismaël  par  un  monument  public^  digne  de  ce  héros  et  de 
son  illustre  mémoire. 

Il  est  encore  temps  de  réparer  cet  inexplicable  oubli, 
considéré  par  les  Indigènes  de  la  plaine  de  la  M'iéta  et  la 
famille  des  Béhaltsia  comme  un  déni  de  justice, 

J.  CANAL. 
FIN 


DUNE     CONFÉRENCE     SUR     L'HISTOIRE 

m; 

MASSIF  DU  SANTA-CRUZ 

FAITE    A    LA 

SOCIÉTÉ  DE  GÉOGRAPHIE  D'ORAN,  LE  9  JANVIER  1899 

Par   M.   Louis   GENTIL 


M.  Gentil,  invité  par  le  Président  et  le  Comité  de  la  Société, 
à  parler  de  ses  études  géologiques  surl'Oranie,  expose  succinc- 
tement la  constitution  et  la  structure  de  la  montagne  du 
Santa-Cruz  qui  domine  la  ville  d'Oran. 

Il  s'excuse  de  n'avoir  pas  encore  entretenu  la  Sociale  de 
Gt'oj/mp/i  (g  des  résultats  de  ses  recherches  qui  peuvent  inté- 
resser cette  Société  locale  si  florissante  et,  en  quelques  mots, 
il  fait  ressortir  le  but  théorique  et  appliqué  de  la  géologie. 

Les  applications  multiples  (mines,  agriculture,  recherches 
d'eau,  etc..)  de  la  géologie  ont  beaucoup  contribué  à  donner 
à  cette  science  son  grand  essor  pendant  ces  dernières  années. 
En  particulier,  la  géographie  physique  a  beaucoup  emprunté 
à  la  géologie,  et  l'on  peut  presque  dire  aujourd'hui  que  la 
géographie  physique  c'est  la  géologie,  que  la  géologie  c'est  la 
géographie  physique. 

Après  cette  introduction,  M.  Gentil  al)orde  son  sujet. 

Il  croit  devoir,  tout  d'abord,  détruire  une  légende  populaire  : 
celle  de  l'origine  volcanique  du  Santa-Gruz.  Cette  opinion 
résulte  sans  doute  de  la  forme  coni(iue  de  cette  montagne  qui 
est,  en  réalité,  presque  exclusivement  constituée  par  des  ter- 
l'alns  sédlmentaires. 

La  série  des  terrains  qui  s'y  succèdent  est  assez  complexe 
bien  qu'en  apparence  le  massif  semble  constitué  des  mêmes 
schistes  et  d'une  roche  dolomitiiiue  compacte.  Elle  comprend: 

1"  D'abord  une  série  assez  puissante  de  schistes  Intercalés  de 
grès  très  durs  ou  quartzltes  qui  forment  le  squelette  Interne  de 


424  RÉSUMÉ  d'une  conférence 

la  montagne.  Ces  schistes  sont  cVâgc  primaire.  Ils  pourraient 
renfermer  un  représentant  du  terrain  carbonifère,  bien  que 
cependant  rien  ne  le  prouve.  Ce  que  l'on  peut  dire,  en  tout 
cas,  c'est  que  si  le  carbonifère  est  encore  à  rechercher  en 
Algérie,  le  Santa-Cruz  est  l'un  des  rares  massifs  qui  puissent 
le  receler.  Les  schistes  primaires  de  cette  montagne  sont  assez 
peu  répandus  en  surface  ;  ils  supportent  le  Fort  Saint-Gré- 
goire, ils  sont  entaillés  par  la  falaise,  en  partie  faite  de  main 
d'homme,  et  que  longe  la  roule  du  Fort  Lamoune  à  la  Caserne 
des  Douanes. 

2°  Au-dessus  de  ces  schistes  s'est  déposé  un  terrain  formé 
de  gypse,  de  marnes  vivement  colorées,  de  dolomies  caver- 
neuses qu'on  appelle  des  cargneules.  Ce  terrain  a  dû  constituer 
un  dépôt  important  :  c'est  le  terrain  triasiqne  dont  Texistence 
a  été  récemment  reconnue  en  Algérie. 

La  détermination  d'âge  et  du  mode  de  dépôt  de  ce  terrain 
font  l'objet  de  discussions  depuis  de  nombreuses  années. 
M.  Gentil  n'a  plus  de  doutes  en  ce  qui  concerne  les  affleure- 
ments gypseux  de  l'Oranie.  C'est  l'analogue  du  Trias  sal itère 
de  la  Lorraine.  C'est  à  la  présence  d'un  grand  nombre  de 
pointements  de  ce  terrain  qu'il  faut  attribuer,  dans  la  province 
d'Oran,  l'existence  d'un  grand  nombre  d'oued  salés. 

Dans  le  Santa-Cruz,  ce  terrain  est  très  faiblement  répandu. 
Il  n'en  reste  que  des  témoins  insignifiants  aux  Bains  de  la 
Reine  et  en  divers  autres  points  du  massif,  notamment  près 
de  la  Chapelle. 

Ce  terrain  gypseux  a  été  traversé,  après  .son  dépôt,  par  des 
filons  d'une  roche  verte  qu'on  appelle  ophite  et  que  l'on  ren- 
contre, en  particulier,  au  voisinage  immédiat  des  Bains  de  la 
Reine. 

3'^  Au-dessus  du  Trias  s'est  déposé  un  terrain  important, 
car  il  joue  un  grand  rôle  dans  la  structure  du  Santa  Cruz.  Ce 
terrain  appartient  au  Lias,  placé  à  la  base  des  terrains  juras- 
siques ;  il, constitue  les  masses  puissantes  de  dolomie  (calcaire 
magnésien)  qui  sont  développées  tout  le  long  de  la  route  de 
Mers-el-Kébir  et  sont  activement  exploitées  comme  caillasses 
d'empierrement.  Cette  dolomie  forme  les  arêtes  rocheuses  si 
saillantes  du  sommet  du  Santa-Cruz.  Cette  roche,  brune  à  la 


SUR  l'histoire  du  massif  du  santa-cruz  425 

surface,  noire  dans  les  cassures  fraîches,  a  une  puissance  de 
pi  us  de  100m. 

Mais  le  terrain  liasique  n'est  pas  limité  à  cette  seule  assise 
de  dolomie.  Cette  dernière,  en  elïet,  est  surmontée  de  bancs 
assez  minces  de  calcaire  alternant  avec  des  argiles  rendues 
schisteuses  parla  compression. 

4"  Une  série  de  schistes  ardoisiers  surmonte  les  calcaires 
précédents.  Ces  schistes  rappellent  certains  schistes  des  Alpes. 
Ils  ont  l'aspect  d'ardoises  et  ont  suscité  des  recherches  en 
certains  points,  notamment  dans  le  ravin  de  1'  «  Ardoisière.  » 
Ces  schistes  sont  d'âge  jurassique. 

5»  Enfin  la  série  des  terrains  du  Santa-Cruz  se  termine  par 
un  développement  assez  puissant  de  schistes  bruns  alternant 
avec  des  grès  durs,  en  bancs  rougeàtres.  formant  la  plus  grande 
partie  du  sol  du  bois  des  Planteurs. 

Cette  formation  est  d'âge  encore  imprécisé.  M.  Ficheur, 
professeur  à  l'École  supérieure- des  Sciences  d'Alger,  qui  l'a 
vue  récemment,  la  met  en  parallèle  avec  celle  des  schistes  déve- 
loppés dans  le  massif  d'Arzeu  et  qui  appartiennent  au  terrain 
crétacé  inférieur.  M.  Gentil  n'a  pu  se  faire  d'opinion  sur  ce 
terrain,  mais  il  a  la  certitude  que  la  détermination  de  son  âge 
sera  bientôt  résolue  par  l'étude  qu'il  va  faire  d'une  série  de 
fossiles  en  as?ez  mauvais  état,  mais  en  assez  nombreux  échan- 
tillons, récemment  recueillis  par  M.  Doumergue  et  par  lui. 

Telle  est  la  succession  des  terrains  sédimentaires  qui  com- 
posent le  Santa  Gruz.  Ces  terrains  appartiennent  exclusivement 
aux  séries  primaire  et  secondaire. 

Le  grand  développement  de  calcaire  blanc  qui  forme  les 
environs  de  Noiseux  et  le  couronnement  du  Merdjadjou  fait 
partie  de  la  série  tertiaire  ;  mais  il  convient  de  séparer  cette 
formation  et  de  limiter  la  montagne  du  Santa-Cruz  à  une  ligne 
qui  joindrait  Ras  el-Aïn  à  Sainte-Clotilde. 

Comment  l'auteur  est-il  arrivé  à  établir  la  succession  des 
terrains  qui  composent  cette  montagne  ? 

La  détermination  de  l'âge  des  dépôts  sédimentaires  ne  peut 
se  faire  que  par  l'étude  des  fossiles,  c'est-à-dire  des  débris 
d'êtres  organisés  recueillis  dans  les  sédiments  contemporains 
de  leur  développement.  Or,  le  massif  de  Santa-Cruz  n'a  pas  été 


426  RÉSUMÉ  d'une  conférence 

très  généreux,  jusqu'ici,  à  cet  égard.  Les  fossiles  qu'on  y  a 
recueillis  sont  très  rares  au  point  que  l'on  a  toujours  réuni 
dans  une  seule  formation  (schistes  d'Oran)  toute  une  série  de 
schistes  d'âges  différents. 

La  comparaison  de  cette  montagne  avec  un  autre  massif, 
celui  des  Traras,  situé  entre  la  Tafna  et  Nemours  dans  l'Ouest, 
a  permis  à  M.  Gentil  d'y  distinguer  plusieurs  terrains.  Ce 
géologue  n'a  fait,  en  cela,  que  confirmer  l'heureuse  idée  de 
l'un  de  ses  devanciers,  M.  le  D^'  Bleicher.  L'ingénieur  des  mines, 
Baills,  a  également  émis  des  idées  analogues.  M.  Gentil  a  pu, 
par  des  comparaisons  étroites,  établir  la  similitude  qui  existe 
entre  les  terrains  primaires  et  secondaires  des  Traras  et  du 
Santa-Cruz  et,  aujourd'hui,  des  découvertes  paléontologiques 
viennent  lui  apporter  la  confirmation  définitive  de  cette  assi- 
milation. 

M.  Gentil  fait,  à  ce  sujet,  l'éloge  d"un  excellent  naturaliste, 
d'un  chercheur  démérite,  M.  Doumergue,  professeur  au  Lycée 
d'Oran.  Ce  savant  a  mis  à  profit,  avec  une  patience  et  un  sens 
d'observation  des  plus  précieux,  toutes  ses  indications  :  il  a 
découvert  presque  partout  des  fossiles  oîi  M.  Gentil  pensait  en 
trouver  et  ses  brillantes  trouvailles  constituent  déjà  de  belles 
collections  qui  méritent  de  figurer  au  premier  rang  dans  la 
collection  d'histoire  naturelle  du  Musée  d'Oran. 

La  succession  de  terrains  établie,  l'étude  géologique  du  Santa- 
Cruz  n'est  pas  terminée.  Cette  première  partie  du  travail  du 
géologue  constitue  la  stratigraphie.  Il  lui  faut  ensuite  se  rendre 
compte  des  plissements,  des  dislocations  qui  ont  affecté  les 
divers  terrains  du  massif  étudié  :  cette  deuxième  partie  consti- 
tue la  tectonique. 

A  ce  point  de  vue,  Tétude  de  la  montagne  du  Santa-Cruz 
offre  des  difficultés.  Les  terrains  énumérés  plus  haut  ont  été 
soumis  à  des  efibrts  considérables  pendant  de  longues  périodes. 
Il  en  est  résulté  des  plissements  parfois  très  aigus,  des  cassu- 
res ou  failles.  Tel  terrain  originairement  horizontal  est  main- 
tenant relevé  jusqu'à  la  verticale.  Bien  mieux  il  est,  souvent 
aussi,  renversé. 

C'est  ainsi  que  la  tectonique  du  Santa-Cruz  peut  se  résumer, 
se  schématiser  en  deux  plis  aigus  dirigés  à  peu  près  parallèle- 


SUR  l'histoire  du  massif  du  SANTA-CRUZ  4'27 

ment  au  bord  de  la  mer  et  déversés  vers  le  Sud.  Le  sommet 
du  iiremier  pli  est  marqué  par  le  pilon  rocheux  qui  supporte 
le  vieux  Fort  de  Santa  Cruz  ;  le  deuxième  forme  l'extrémité 
nord  du  Mcrdjajou  et  la  crête  rocheuse  qui  descend  de  ce 
point  vers  la  «  Kasbah.  »  Entre  ces  deux  plis  s'est  creusé,  par 
érosion,  le  col  du  Santa-Cruz  et  le  grand  ravin  de  l'Ardoisière, 

Là  se  termine  Fétude  du  géologue.  Il  lui  est  loisible, 
après  avoir  étudié  la  constitution  intime  de  la  montagne, 
sa  structure,  d'essayer  d'en  interprêter  le  relief.  Il  devra 
évidemment,  pour  en  expliquer  sa  forme,  faire  la  plus  grande 
part  aux  érosions,  aux  ravages  des  eaux  superficielles.  Mais  ne 
sera-t-il  pas  frappé  de  l'existence  de  crêtes  saillantes  le  long 
des  plissements  subis  par  les  terrains  qui  composent  la  mon- 
tagne? Ne  pourra-t-il  pas  distinguer,  également,  sur  sa  carte 
géologique,  les  parties  rocheuses  de  celles  qui  ne  le  sont  pas  ? 

A  un  point  de  vue  plus  général,  le  géologue  pourra  indiquer 
le  rôle  que  joue  le  massif  du  Santa-Cruz  dans -la  géographie 
générale  de  la  région.  Il  verra  que  la  montagne  d'Oran  doit 
être  considérée  comme  le  squelette,  l'ossature  d'une  petite 
chaîne  côtière  qui  part  d'Oran  el  va  s'épanouir  et  se  terminer 
en  falaise  à  environ  50  kilomètres  de  là,  au  cap  Figalo. 

Il  considérera  cette  chaîne  de  collines  comme  formée  d'un 
axe  de  terrains  primaires  et  secondaires  recouverts  d'un  man- 
teau tertiaire. 

Il  pourra  même  aller  plus  loin,  essayer  d'établir  le  rôle  que 
peut  jouer  le  massif  de  Santa-Cruz  dans  l'orographie  générale 
de  l'Algérie. 

Il  sera  alors  frappé  de  la  similitude  à  la  fois  géologique  et 
géographique  de  cette  montagne  et  du  massif  de  Bouzaréah, 
au-dessus  d'Alger. 

Comme  le  massif  du  Santa-Cruz,  le  Bouzaréah  marque  l'axe 
ancien  d'une  chaîne  côtière  recouverte  de  terrains  tertiaires 
qu'on  appelle  le  Saliel  d'Alger. 

Le  nom  de  Sahel  d'Oran  convient  également  à  la  petite 
chaîne  qui  s'étend  du  Santa-Cruz  au  cap  Figalo, 

L'analogie  peut  encore  être  poussée  plus  loin  :  de  même  que 
le  Sahel  d'Alger  sépare  de  la  mer  la  plaine  de  la  Melidja,  de 
même  le  Sahel  d'Oran  sépare  de  la  mer  la  plaine  de  la  Sebkha. 


428  t\ÉsuMÉ  d'une  conférence 

Ces  deux  grandes  plaines  sont  également  bordées  au  sud 
par  des  chaînes  de  structure  géologique  analogue  :  la  chaîne 
de  V Atlas  Metidjien  d'un  coté,  la  chaîne  du  Tessala  de  l'autre. 

Il  parait  assez  curieux  de  constater  ainsi  que  les  deux  plus 
grandes  villes  de  l'Algérie,  les  deux  capitales  en  quelque  sorte 
de  cette  grande  colonie,  Alger  ei  Oran,  soient  situées  dans  des 
conditions  géologiques  et  géographiques  si  semblables. 


M.  Gentil  termine  sa  conférence  en  annonçant  la  découverte 
qu'il  vient  de  faire  à  Lamoricière. 

Il  a  trouvé  là,  à  la  base  des  terrains  crétacés,  un  grand 
vertébré,  un  crocodilien,  ô.oni\\  a  recueilli  les  ossements  assez 
bien  conservés.  Ces  débris  organisés  seront  étudiés  plus  tard. 
M.  Gentil  les  a  exhumés  par  des  fouilles  méthodiques. 

Sans  rien  présumer  de  la  détermination  spécifique  de  cet 
animal  ancien,  ce  géologue  se  borne  à  constater  que  c'est  la 
première  fois  qu'un  grand  reptile  est  découvert,  à  ce  niveau 
géologique  en  Algérie,  et,  en  quelques  mots,  il  rappelle  les 
découvertes  importantes  faites  au  même  niveau  ou  à  un  niveau 
très  proche  en  Angleterre,  en  Belgique  et  dans  l'Allemagne 
du  Nord. 


Essai  sur  ril}ilr4il()<;i('  el  la  Oéolj^gie 

DE   r.A 

REGION    Di:    SAÏDA 

par     1©     Com.m£Lnd.a,nt     .A-ZÉMiA. 


nu    102°    REGIMENT  D  INFANTERIE 

1899 


PRÉFACE 


Les  hasards  de  la  vie  militaire  nous  ont  conduit  à 
tenir  garnison,  de  1895  à  1897,  dans  la  petite  ville  de 
Saïda  du  département  d'Oran,  distante  de  180  kilomè- 
tres de  la  côte,  sur  la  limite  du  Tell  et  des  Hauts 
Plateaux. 

Saïda,  en  arabe,  sig-nifîe  a  Heureuse  »  ;  c'est  une  cité 
naissante  dont  le  développement  rapide  tient  à  sa 
situation  privilégiée  au  centre  d'une  région  agricole  et 
viticole  fertile  et  aux  portes  du  Sud  Oranais  dont  elle 
peut  être  considérée  comme  une  des  clefs. 

L'altitude  de  Saïda  à  886  mètres  au-dessus  du  niveau 
de  la  mer  et  son  voisinage  de  la  ligue  de  partage  des 
eaux  entre  la  Méditerranée  et  la  région  des  Chotts 
donnent  aux  influences  climatériques  une  acuité  pro- 
noncée vers  les  deux  extrêmes  :  le  ciel  y  est  transpa- 
rent et  le  nuage  de  sable  opaque,  la  brise  douce  et  le 
siroco  impétueux,  la  pluie  torentielle  et  la  sécheresse 
intense,  l'hiver  froid,  et  l'été  brûlant. 

Des  divergences  semblables  se  manifestent  égale- 
ment dans  la  variété  des  sites  :  au  champ  fertile  suc- 
cède la  lande  stérile,  au  sol  accidenté  confine  la  plaine 
immense,  à  la  forêt  de  pins  fait  suite  l'alfa  rabougri. 


430  PRÉFACE 

Les  sources  de  la  région  de  Saïda,  comme  celles  des 
contrées  calcaires,  sont  rares  et  abondantes.  En  dehors 
de  la  zone  irrigable,  le  sol  est  aride  et  désolé,  c'est  le 
pays  de  la  soif.  Aussi,  avec  quel  soin  ces  eaux  fraîches 
et  limpides  sont-elles  colligées  pour  les  besoins  de 
l'alimentation  et  de  l'arrosage  ?  Leur  utilisation  sous 
un  climat  ardent  procure  en  ettet  les  deux  conditions 
essentielles  au  développement  des  plantes  «  Humor  et 
Calor  ». 

Le  Haut  Tell  est  peu  connu  des  voyageurs  ;  quelques 
lignes  sont  réservées  à  sa  description  dans  de  rares 
ouvrages  scientifiques  ;  il  nous  a  paru  intéressant  de 
consacrer  des  loisirs  de  garnison  à  étudier  l'hydrolo- 
gie et  la  géologie  de  cette  remar(iuable  région. 

L.  AZÉMA. 


— >-^^=^^M^^^^ 


ESSAI  SIR  L  ilVIIROLOIIIE  vV  LA  (iEOLOlilE 

DE    LA    RÉGION    DE    SAÏDA 


PREMIERE    PARTIE 


HYDROLOGIE 


GENERALITES 

La  vapeur  d'eau,  qui  se  forme  sans  cesse  à  la  surface 
des  mers,  est  entraînée  par  les  vents  vers  les  continents  oîi 
elle  se  condense  à  l'état  de  pluie  ou  de  neige. 

Cette  eau  météorique  est  dite  torrentielle  \ovsqu  elle  ruisselle 
à  la  suface  du  sol  et  souterraine  lorsqu'elle  circule  dans 
le  sous-sol  après  s'être  infiltrée  dans  la  terre;  elle  devient  eau 
de  source  au  point  d'émergence. 

Les  eaux  torrentielles  et  souterraines  contribuent  à  la 
formation  des  cours  d'eau  et  retournent  à  l'océan  après  avoir 
répandu  leur  action  vivifiante  dans  les  territou'es  traversés. 

Le  cycle  effectué  par  l'eau  météorique,  qui,  après  avoir  été 
soustraite  aux  mers  à  l'état  de  vapeurs,  y  retourne  à  l'état 
liquide,  se  nomme  circuit  de  Vévaporation 

Dans  la  région  de  Saïda,  les  pluies  sont  généralement 
causées  par  des  courants  atmosphériques  du  S.  0.  Le  circuit 
de  l'évaporation  commence  dans  l'Atlantique  et  se  termine 
dans  la  Méditerranée  ou  dans  la  haute  région  des  Chotts,  suivant 
que  les  eaux  ruissellent  sur  Tun  ou  l'autre  côté  de  la  ligne  de 
partage,  qui  passe  à  moins  de  8  kilomètres  au  S.-E.  de  Saïda. 

Le  débit  des  eaux  torrentielles  et  souterraines  est  habituel- 
lement proportionnel  à  l'abondance  des  eaux  météoriques. 
A  Saïda,  il  n'en  est  pas  ainsi  pour  les  eaux  souterraines  ;  leur 
débit  est  à  peu  près  constant  toute  l'année  par  suite  de 
dispositions  particulières  du  sous  sol  que  nous  allons  étudier. 


432  ESSAI  SUR   l'hydrologie  et  la  GEOLOGIE 


CHAPITRE  PREMIER 


Rôle  de  l'acide  carbonique  dissous  dans  les  eaux  météoriques 


La  présence  de  l'acide  carbonique  dans  les  eaux  météoriques 
est  indispensable  à  la  dissolution  des  roches  calcaires  de  la 
surface  et  de  l'intérieur  du  sol. 

Cet  agent  chimique  se  combine  aux  carbonates  de  calcium 
et  de  magnésium  qui  constituent  la  plus  grande  partie  de 
l'écorce  terrestre  pour  former  des  bicarbonates,  sels  plus 
solubles. 

La  solubilité  maxima  de  l'acide  carbonique  dans  un  litre  d'eau 
à  15  degrés  est  de  1  litre  en  volume  et  ls'-97  en  poids.  Cette 
limite  n'est  jamais  atteinte  dans  les  eaux  qui  circulent  à  la 
surface  ou  à  l'intérieur  du  sol  et  les  eaux  souterraines,  les 
plus  riches  en  gaz  carbonique,  renferment  à  peine  la  sixième 
partie  du  maximum  de  dissolution. 

1»  Eaux  torrentielles.  —  La  plus  grande  partie  de  l'acide 
carbonique  dissous  par  les  eaux  torrentielles  est  empruntée 
à  l'air  atmosphérique  qu'elles  battent  sans  cesse  dans  leur 
course. 

La  quantité  de  ce  gaz  enlevée  est  donc  fort  minime  puisque 
l'air  n'en  contient  que  les  2  à  4  dix  millièmes  de  son  volume. 

Une  autre  cause  de  production  réside  dans  la  fermentation, 
au  sein  même  de  l'eau,  des  détritus  organiques  déversés  par 
les  lieux  habités. 

La  transformation  s'opère  aux  dépens  de  l'oxygène  dissous 
dont  la  proportion  diminue  à  mesure  que  celle  de  l'acide 
carbonique  augmente. 

Dans  les  contrées  tempérées,  les  eaux  des  fleuves,  devenues 
plus  chaudes  en  se  rapprochant  de  la  mer,  tendent  à  se 
minéraliser  de  plus  en  plus  en  dissolvant  les  éléments  minéraux 
des  roches  superficielles  de  leur  lit,  tels  que:  chlorures, 
carbonates  et  sulfates  avec  en  peu  de  soude,  potasse,  alumine, 


I 


DK   LA    RÉGION   DE   SAIDA  433 

oxyde  de  fer  et  silice.  Les  eaux  du  bassin  (]o  la  Seine  (environs 
de  Paris)  renferment,  [lar  liire,  de  0^''15  à  Os'SG  d'acide 
carbonique  total  et  de  O^'à  O^'-OIS  d'acide  carijonique  libre. 

2"  Eaux  souterraines.  —  Les  eaux  souterraines  se  chargent 
d'acide  carbonique  pendant  leur  filtration  à  travers  la  terre 
végf^tale  où  elles  se  trouvent  en  contact  avec  une  atmosphère 
confinée  et  riche  de  ce  gaz  qui  provient  de  la  racine  des  plantes 
et  de  la  fermentation  des  détritus  végétaux  de  l'iiumus.  Les 
eaux,  après  s"étre  saturées  dans  ce  milieu,  dissolvent  les  roches 
calcaires  inférieures  en  trar.sformant  les  sels  carbonates,  qui 
les  composent,  en  sels  bicarbonatés  plus  sokibles. 

Mais  ces  eaux  ne  tarderaient  pas  à  perdre  les  bicarbonates 
acquis  si,  au  sein  de  la  terre,  elles  se  trouvaient  placées  dans 
les  mêmes  conditions  que  celles  coulant  à  l'air  libre  ;  le 
phénomène  bien  connu  des  eaux  pétrifiantes  produirait  un 
dépôt  de  carbonate  de  calcium  provenant  de  la  décomposition 
spontanée  du  bicarbonate  précédemment  dissous  en  ces  deux 
éléments  de  constitution  :  l'acide  carbonique  se  dégagerait.    • 

La  décomposition  du  bicarbonate  n'a  pas  lieu  lorsque  les 
eaux  sont  sous  pression  ou  en  contact  avec  une  atmosphère 
conllnée  aussi  riche  en  acide  carbonique  que  l'eau  elle-même. 

Les  anciens  tuyaux  de  conduite  de  la  source  Sultan  à  Saïda, 
remplacés  en  1897,  après  dix  années  d'usage,  ne  contenaient 
intérieurement  aucun  dépôt  calcaire  par  l'effet  de  la  pression 
exercée  par  la  colonne  liquide.  Cette  pression,  en  maintenant 
la  cohésion  du  bicarbonate  dissous,  s'opposait  au  dégagement 
de  l'acide  carbonique. 

L'eau  souterraine  circule  dans  les  galeries  dont  le  tracé  est 
aussi  capricieux  que  celui  de  certaines  rivières  ;  des  couloirs 
étroits  et  tortueux  succèdent  à  des  salles  immenses  dont  les 
voûtes  tantôt  é!evées  ou  tantôt  surbaissées  supportentd'énormes 
stalactites  qui  atteignent  parfois  le  sol  et  ressemblent  à  des 
piliers  gigantesques. 

L'onde  coule  en  minces  filets  torrentueux  ou  s'étale  en  de 
vastes  nappes  tranquilles  ;  souvent  une  muraille  rocheuse 
semble  opposer  à  l'eau  un  obstacle  infranchissable,  mais  elle 
la  franchit  par  siphonnement  et  reparait  plus  loin. 


434  ESSAI  SUR  l'hydrologie  et  la  géologie 

Partout  règne  une  atmosphère  surchargée  d'acide  carbo- 
nique. 

L'exploration  des  galeries  souterraines  de  la  région  de  Saïda 
n'a  été  réalisée  que  sur  un  seul  point  appelé  ((  Trou  aux 
Pigeons  »  dont  nous  donnerons  la  description  au  chapitre 
suivant.  D'après  cet  aperçu,  l'aspect  des  cavités  spéléennes  de 
Saïda  se  rapprocherait  sensiblement  de  celui  de  la  région  des 
Causses  du  Midi  de  la  France  ;  il  ne  saurait  d'ailleurs  en  être 
autrement  puisque  ces  deux  pays  présentent  la  plus  grande 
analogie  comme  dispositions  des  couches  géologiques. 

Les  eaux  de  source  de  Saïda  renferment,  par  litre,  de0&''235 
à0s''320  d'acide  carbonique  total,  celle  de  Montpellier  (Lez) 
Off'-210. 

L'action  dissolvante  de  l'acide  carbonique  contenu  dans  les 
eaux  souterraines  a  pour  conséquence  : 

Le  creusement  et  l'agrandissement  des  galeries  en  raison 
des  facilités  de  dissolution  qu'offre  la  roche  d'après  sa  dureté, 
sa  structure  et  son  homogénéité  ; 

Ensuite,  l'établissement  de  nouvelles  communications  à  de 
plus  grandes  profondeurs  et  l'élargissement  des  seuils  d'éva- 
cuation intérieurs  et  des  seuils  de  sortie  ; 

Enfin,  l'abaissement  progressif  du  niveau  de  l'eau,  l'unifor- 
misation plus  constante  du  débit  et  la  création  de  nouveaux 
seuils  de  sortie  à  un  niveau  inférieur  aux  précédents. 


«I 


DE  LA   RÉGION   DE  SAÏDA  435 


CHAPITRE  II 


Régime  des  sources  des  environs  de  Saïda 


§  lei'.  _  Origine  et  débit  des  sources 

Les  sources  sont  alimentées  par  les  eaux  météoriques  et 
leur  débit  est  généralement  en  raison  directe  de  l'abondance 
des  pluies  sur  le  sol  qui,  par  sa  constitution  géologique, 
déverse  les  eaux  souterraines  vers  les  points  d'émergence. 

Dat:s  la  région  de  Saïda,  le  débit  des  sources  fait  exception 
à  cette  règle  ;  il  demeure  à  peu  près  constant  que  les  pluies 
soient  rares  ou  abondantes.  Ce  phénomène  s'explique  par  la 
nature  caverneuse  du  sous-sol  qui  est  susceptible  d'emmaga- 
siner les  eaux  venant  de  la  surface  et  de  s'opposer  à  leur 
écoulement  hàlif  par  l'agencement  de  seuils  d'évacuation 
étroits. 

Il  peut  être  intéressant  de  rechercher  entre  quelles  limites 
varie  la  quantité  d'eau  disponible  en  fm  d'année  dans  les 
réservoirs  spéléens  de  Saida.  Avant  d'aborder  ce  problème  il  est 
nécessaire  de  déterminer  les  données  suivantes  : 

1°  Surface  du  territoire  qui  par  sa  constitution  géologique 
recueille  l'eau  météorique  alimentant  les  sources  ; 

2'3  Quantité  d'eau  météorique  tombant  annuellement  sur  le 
territoire  ; 

3°  Débit  des  sources. 

La  solution  du  problème  sera  donnée  par  la  dilTérence  entre 
le  volume  de  l'eau  météorique  tombée  pendant  une  année  à  la 
surface  et  le  volume  de  l'eau  dél)itée  par  les  sources  pendant 
le  même  temps. 

Hàtons-nous  d'ajoutar  que  Tévalualion  de  l'eau  météorique 
par  le  pluviomètre  sera  excessive  parce  que  cet  instrument 
donne  la  totalité  de  l'eau  pluviale  tombée  et  que  la  majeure 


436  ESSAI  SUR  l'hydrologie  et  la  géologie 

partie  de  celle-ci  ne  s'infiltre  pas  dans  la  terre  ;  elle  s'écoule  à 
l'état  torrentiel,  est  absorbée  par  les  végétaux  et  s'évapore 
directement  dans  l'atmosphère.  Il  est  à  remarquer  toutefois  que 
la  région  de  Saïda  se  prête  à  l'infiltration  rapide  des  eaux  mé- 
téoriques par  la  faible  déclivité  et  la  nature  fissurée  de  son  sol 
dolomitique.  Au  cours  des  années  1890  et  1897  de  sécheresse 
extrême,  le  déb't  des  sources  saïdéennes  n'a  subi  qu'une  très 
faihle  diminution. 

I.  —  L'appréciation  du  versant  topographique  d'une  région 
est  basée  sur  la  nature  des  pentes  du  sol.  Une  étude  faite  à  ce 
point  de  vue  particulier  présenterait  moins  d'intérêt  pour  notre 
travail  que  la  détermination  de  l'écoulement  des  eaux  souter- 
raines sur  les  couches  imperméables  du  versant  intérieur  que 
l'on  peut  appeler  versant  géologique. 

Si  le  versant  topographique  peut  être  facilement  déterminé 
par  une  reconnaissance  du  terrain,  une  étude  sur  la  carte,  ou 
une  construction  de  profils  suivant  des  lignes  déterminées,  le 
versant  géologique,  au  contraire,  étant  invisible  échappe 
à  l'appréciation,  aux  mesures  et  n'est  susceptible  d'une 
détermination  hypothétique  que  par  l'établissement  de  coupes 
géologiques  basées  sur  la  stratigraphie  des  couches  apparentes 
du  sol. 

Le  versant  des  eaux  superficielles  est  identique  au  versant 
des  eaux  souterraines  lorsque  les  assises  géologiques  sont 
disposées  parallèlement  et  par  conséquent  en  stratification 
concordante. 

C'est  le  cas  le  plus  fréquent  ;  l'anticlinal  se  confond  alors 
avec  la  ligne  de  faîte  et  le  synclinal  avec  le  thalweg. 

Il  n'en  est  pas  ainsi  à  Saïda  où  le  versant  géologique  bien 
plus  développé  que  le  versant  topographique  s'étend  vers  le 
S.  E.  au-delà  de  la  ligne  de  partage  des  eaux  entre  la  Méditer- 
rannée  et  les  Hauts  Plateaux  et  draine  vers  le  N.  0.  les  eaux 
tombées  sur  le  versant  des  Chotts.  Nous  verrons  dans  l'étude 
sur  la  géologie  de  la  région  de  Saïda  que  l'assise  de  dolomie 
bathonienne  sous  laquelle  glissent  les  eaux  souterraines  est 
plissée  en  une  large  ondulalion  dont  l'anticlinal  est  situé 
au  S,  de  la  ligne  de  partage  précitée  et  le  synclinal  cà  plus  de 


DE   LA    RÉGION   DE  S\ÏDA  437 

30  kilomètres  au  N.  0.  de  la  vallée  de  l'O.  Saïda.  Si  des  eaux 
souterraines  sortent  de  terre  à  proximité  de  cette  rivière  entre 
Ain-el-Hadjar  et  S  lida,  c'est  que  la  haute  vallée  de  l'O.  Saïda 
est  constituée  par  une  légère  ondulation  du  sol.  Quant  aux 
sources  qui  sourdent  dans  le  vallon  de  l'Oued  Nazereg,  leur 
présence  sur  ce  point  est  la  conséquence  de  la  formation  de 
digues  ralureîles  ou  failles  locales  qui  arrêtent  les  eaux  dans 
leur  course  souterraine. 

La  surface  du  territo're  correspondant  au  versant  géologique 
est  limitée  à  l'E.  par  l'Oued  Tifrit,  dont  le  cours  supérieur  est 
parallèle  à  celui  de  l'Oued  Saïda  ;  au  N.  par  la  route  n"^  4S,  de 
Tagremaret  à  Saïda;  à  l'O.  parla  vallée  de  l'Oued  Saïda  et  au  S. 
par  le  massif  du  Djebel  Naliaser  qui  délimite  de  ce  côté  le 
plateau  des  Ilassasna. 

La  superficie  de  cette  région,  qui  mesure  de  30  à  35  kilomè- 
tres en  tous  sens,  peut  être  évaluée  à  100,000  hectares. 

II.  —  Le  relevé  de  la  hauteur  moyenne  des  eaux  météori- 
ques tombées  à  Saïda  de  1885  à  1894  est  indiqué  dans  le 
tableau  suivant.  Ces  données  résultent  des  observations  plu- 
viométriques  faites  à  l'hôpital  militaire  de  cette  ville  à  l'altitude 
de  886  mètres. 

HAUTEL'R    moyenne  DES  EAUX  MÉTÉORIQUES  TOMBÉES   A   SaÏDA 

DE  1885  A  1894 

Janvier 49^/'"  3 

Février 48  8 

Mars 48  2 

Avril 57  8 

Mai 47  5 

Juin 13  6 

Juillet 5  8 

Août 5  0 

Septembre 24  6 

Octobre 20  4 

Novembre 36  0 

Décembre 63  Q- 

Total 420  m/m  o 

pour  dix  années  et  42  ■"'■",  en  moyenne,  pour  une  année. 


438 


ESSAI  SUR  l'hydrologie   ET  LA   GÉOLOGIE 


III.  —  Le  débit  de  toutes  les  sources  pérennes  de  la  région 
de  Saïda  est  indiqué  dans  le  tableau  suivant  dû  à  l'obligeance 
de  M.  Aymé,  conducteur  des  Ponts  et  Chaussées  à  Saïda. 


Nomenclature  et  débit  des   sources  pérennes 

DE   LA    région    de    SaÏDA 


Bassin  de  l'Oued 
Ain-el-Hadjar 


Bassia 

de 

rOued -Saïda 


Bassio 

de 

rOued  Nazerej 


Aïn-Tibezada  (1160'") 33  litres  à  la  secoEde 

Aïn-el-Hadjar  (1050m) 50  — 

Aïn-oum-Rekhaït(lOlO'").    .    .  25  — 

Sans  nom  (1010™; 5  — 

Ain  Kerdouba  (OGO'") 4  — 

Aïn-Maamar  (930™) 3  — 

Aïn-Raiei  (STo-") 4  — 

Quartier  Nègre  (825"') 10  — 

Aîn-Sultan  ou  S-^^  Maboul  (900'») .  40  — 

Eaux  chaudes  (760^) 4  — 

Source  du  Communal  (750'")     .  G  — 

Aïn-Hallouf(750"') 10  — 

AïD-Nazereg  (lOlO'i') 100  — 

Aïn-Lagteraret  (925ni) 10  — 

Aïn-Keimen  (940"') 5  — 

Ain-Kerdouba  (950'"j 8  — 

Ain  Kerma  (925"') 0  — 

Aïn-Fakrouin  (825'») 35  — 

Aîn-Nahe  (760"') 18  — 

Sans  nom  (7G0'") 10  — 

Aïn-Ouangal  ou  S«  Poirier  (870m}  80  — 

Aïn-Temsoun  (940"") 10  — 


Total . 


47()  litres  à  la  seconde 


La  solution  du  problème  posé  devient  la  suivante  : 
Le  produit  de  la  surface  du  territoire,  soit  100,000  hectares, 
par  la  hauteur  moyenne  de  la  lame  d'eau  tombée,  soit  G'"  042, 
donne  comme  volume  de  la  masse  d'eau  météorique,  42,000,000 
de  mètres  cubes. 


DE   LA   RÉGION   DE  SAÏDA  439 

D'un    autre    côté,    le    débit    moyen    des    sources    étant 
de  476  litres  à  la  seconde, 

il  sera  de  28  mètres  cubes  à  la  minute, 

de  1.713  niètres  cubes  à  l'heure, 

de  41 .120  métrés  cubes  au  jour, 

de  15.011.136  mètres  cubes  à  l'année. 

Ce  dernier  nombre  retranché  de  42,000,000  de  mètres  cubes, 
c'est-à-dire  du  volume  de  l'eau  dans  l'année,  donne  :  26,988,864 
de  mètres  cubes.  Telle  est  la  limite  maxima  de  la  quantité 
d'eau  restant  disponible  dans  les  réservoirs  souterrains  à  la 
fin  de  l'année. 

§  II.  —  Régime  des  sources  situées  sur  la  rive  droite  de  l'Oued 
Saïda  et  dans  le  vallon  de  l'Oued  Nazereg 

Les  sources,  dont  l'énumération  a  été  donnée  plus  haut, 
sont  échelonnées  sur  la  rive  droite  de  l'Oued  Suïda  et  dans  le 
vallon  de  l'Oued  Nazereg,  ce  dernier  point  est  le  débouché  du 
principal  collecteur  souterrain  si  l'on  considère  l'abondance 
des  eaux  qui  en  jaillissent. 

Toutes  ces  sources  sont  p'érennes  et  leur  débit  total  atteint 
476  litres  à  la  seconde.  Ce  débit  est  à  peu  près  constant  toute 
l'année  ;  ainsi  au  mois  de  septembre  181)7,  après  une  période 
de  grande  sécheresse,  le  niveau  de  l'eau  dans  le  réservoir  de 
captation  de  la  source  Sultan  n'avait  baissé  que  de  6  centi- 
mètres. 

Les  sources  de  la  rive  droite  de  l'O.  Saïda,  depuis  A'in-el- 
Hadjar  jusqu'à  Sa'ida,  sourdent  à  travers  les  fissures  du  banc 
de  dolomie  bathonienne  ;  elles  sont  au  nombre  de  6  avec  un 
débit  de  100  litres  à  la  seconde. 

L'échelonnement  de  ces  sources  à  peu  de  distance  du  lit  de 
la  rivière  indique  qu'elles  résultent  d'un  plissement  des  cou- 
ches géologiques  dont  la  direction  du  synclinal  serait  celle  du 
thalweg  de  la  vallée.  L'effet  du  plissement  a  rapproché  et 
resserré  les  assises  du  sol  et  mis  obstacle  à  l'écoulement  des 
eaux  souterraines,  qui  sont  obligées  de  s'échapper  au  dehors. 

Les  sources  du  cirque  de  Saïda  sont  au  nombre  de  trois  avec 


440  ESSAI  SUR  l'hydrologie  et  la  géologie 

un  débit  de  50  litres  à  la  seconde.  Celles  du  vallon  de  l'Oued 
Nazereg  sont  au  nombre  de  12  avec  un  débit  de  300  litres  à  la 
seconde 

La  source  de  Nazereg,  la  plus  importante  et  la  plus  en 
amont  du  vallon,  est  éloignée  de  8  kilomètres  du  confluent  de 
l'Oued  Nazereg. 

Le  jaillissement  primordial  de  ces  eaux  souterraines  a  été 
occasionné  par  la  production  de  failles  locales  de  direction 
perpendiculaire  au  trajet  des  eaux  et  l'aflaissement  du  terrain 
sur  la  lèvre  nord  de  la  faille  a  formé  une  soi'te  de  digue  natu- 
relle, qui  ayant  retenu  les  eaux,  les  a  obligées  a  prendre  un 
niveau  plus  élevé  et  à  s'écouler  à  la  surface  du  sol.  Plus  tard, 
ces  mêmes  eaux  chargées  de  gaz  carbonique  ont  abaissé  gra- 
duellement leur  niveau  par  la  dissolution  des  roches  de  contact 
et  par  la  production  de  nouveaux  seuils  d'évacuation  à  un 
niveau  inférieur  ;  en  conséquence,  les  sources  de  la  basse 
vallée  de  l'Oued  Nazereg  peuvent  être  considérées  comme  des 
dérivations  de  la  source  primordiale  d'Aïn-Nazereg. 

La  richesse  en  bicarbonates  des  eaux  de  source  à  leur  point 
d'émergence  démontre  que  pendant  leur  trajet  souterrain  elles 
sont  restées  en  contact  avec  une  atmosphère  confinée  riche 
en  gaz  carbonique,  que  le  travail  de  dissolution  des  roches 
calcaires  du  sous-sol  a  toujours  lieu  et  que  les  vastes  dépôts 
de  tufs  calcaires  situés  à  proximité  des  sources  ne  cessent 
d'augmenter. 

La  visite  du  Trou  aux  Pigeons,  galerie  souterraine  voisine 
de  la  ferme  Solari,  permet  de  contempler  dans  un  grandiose 
spectacle  ces  cavités  immenses  oij  circulent  les  eaux  souter- 
raines et  qui  sont  le  résultat  du  travail  de  la  nature. 

La  galerie  orientée  N.  S.  est  située  à  22  mètres  au-dessous 
du  sol  naturel.  Le  terre-plein  de  la  galerie,  légèrement 
accidenté,  est  accessible  sur  100  mètres  de  longueur  ;  à  la 
suite  s'étendent  les  eaux  d'un  lac  de  300  mètres  de  longueur. 

Deux  méats  ou  avens,  espacés  de  130  mètres,  permettent  la 
descente. 

L'aven  N.,  sorte  de  puits  circulaire  à  murs  verticaux  et 
rocheux  de  9  mètreî;  de  profondeur,  donne  accès  sur  un  talus 
à  35»  formant  une  rampe  de  raccordement  avec  le  terre-plein. 


DE   LA   RÉGION    DK  SAÏDA  44l 

L'argile  boueuse  et  glissante  qui  recouvre  le  talus  en  rend 
l'accès  dit'licile. 


L'aven  S.,  ouvert  dans  un  cahos  de  roches,  est  d'un  accès 
plus  difficile  encore.  C'est  le  véritable  «  Trou  aux  Pigeons  » 
servant  de  refuge  à  ces  volatiles. 

La  largeur  raaxima  de  la  galerie  est  de  30  mètres  entre  les 
deux  avens  ;  celte  largeur  décroît  jusqu'à  l'extrémité  S.  du  lac 
où  elle  se  réduit  à  3  ou  4  mèlres. 

La  hauteur  de  voûte  est  très  variable,  10  à  15  mètres  au 
maximum  ;  d'énormes  stalactites  y  sont  fixées  et  présentent 
toutes  les  variétés  de  ces  sortes  de  pétrifications.  La  profondeur 
du  lac  varie  de  1  à  4  mètres  ;  elle  est  maxima  à  l'extrémité  S. 

L'eau  du  lac  a  un  écoulement  qui  donne  naissance  à  un 
petit  cours  d'eau.  Celui-ci,  après  avoir  longé  et  traversé  le 
terre  plein  de  la  galerie,  disparait  dans  une  anfractuosité 
rocheuse. 

D'après  les  Arabes,  il  existerait  sous  le  plateau  des  Flassasna 
un  lac  immense  et  des  galeries  souterraines  munies  d'avens 
analogues  à  celle  du  «Trou  aux  Pigeons  ».  C'est  très  possible 
en  raison  de  la  masse  des  eaux  qui  circulent  sous  ces  terrains 
et  de  leur  action  de  dissolution  incessante  sur  les  roches 
calcaires  qu'elles  baignent. 

Combien  est  admirable  le  travail  de  la  Nature  qui  semble 
avoir  ici  pour  objet  d'atténuer  des  conditions  climatériques, 
qui,  si  elles  s'exerçaient  dans  toute  leur  puissance,  rendraient 
la  région  de  Saïda  inhabitable  et  en  feraient  le  prolongement 


44â  ESSAI  SUR  l'hydrologie  et  la  géologie 

du  Sahara.  Ce  sont  précisément  les  obstacles  que  les  eaux 
trouvent  dans  leur  écoulement  souterrain  par  suite  de  l'agen- 
cement  de  seuils  d'évacuation  étroits  et  du  jeu  admirable  des 
siphons  qui  assurent  la  formation.au  sein  de  la  terie  de  vastes 
réservoirs  donnant  peu  à  peu,  mais  d'une  façon  constante,  ces 
eaux  fraîches  et  limpides  qui  répandent  sur  leur, passage  la  vie, 
et  la  richesse. 


§  III.  —  Régime  des  sources  situées  sur  les  versants  du 
Djebel-el-Hassem  et  Doumat  Kebach 

La  carte  géologique  mentionne  quelques  sources  et  puits 
sur  les  bords  des  plateaux  de  Djebel-el-Hassem  et  Doumat 
Kebach. 

Les  principaux  sont  :  Aïn-Zien,  Aïn-la-Orafïé,  Aïn-Djelloul, 
Aïn-Touïfia,  Aïn-Beïda,  Aïn-el-Ilamra,  Hassi-ben-Damud,  etc. 

La  situation  de  ces  points  d'eau,  qui  paraît  anormale, 
s'explique  par  la  grande  perméabilité  des  terres  qui  recouvrent 
des  plateaux  longs  de  8  kilomètres  et  larges  de  1,000  à  1,500 
mètres. 

Les  éléments  du  sol  sont  constitués  en  effet  sur  une  épaisseur 
moyenne  de  25  mètres  par  des  graviers  et  des  sables  contenant 
des  rognons  de  silex,  des  fragments  de  calcaire,  de  dolomies 
et  des  globules  de  limonite.  Ces  terrains  reposent  sur  une 
assise  épaisse  de  marnes  oxfordiennes  imperméables.  Dès  lors, 
les  eaux  météoriques  s'infiltrent  rapidement  dans  le  sol  poreux 
et  l'imbibent  ;  puis,  arrivées  à  la  couche  imperméable,  elles 
s'écoulent  en  plus  grande  abondance  vers  l'O.  à  l'état  de 
sources  temporaires,  tandis  que  vers  l'E.  elles  suffisent 
seulement  à  l'alimentation  de  quelques  puits. 


DE  LA  RÉGION  DE  SAÏDA  443 


CHAPITRE  III 


Eaux  de  la  région  de  Saïda  au  point  de  vue  de  Falimentaiion 


GENERALITES 

Si,  dans  l'économie  animale,  l'eau  joue  un  rôle  indispensable 
par  sa  nature  même,  elle  peut  y  produire  une  action  nuisible 
lorsque  les  éléments  minéraux  qu'elle  tient  en  dissolution 
atteignent  une  trop  forte  proportion  et  lorsqu'elle  sert  de 
véhicule  à  des  principes  morbides. 

L'homme  aurait  tout  intérêt  à  ne  boire  que  des  eaux  distil- 
lées et  aérées  (jui  se  digèrent  facilement,  dissolvent  les  sels  en 
excès  dans  l'organisme  et  sont  exemptes  de  matières  orga- 
niques. 

Le  corps  humain  trouve  en  abondance  dans  les  aliments 
journaliers  les  matériaux  nécessaires  à  la  formation  de  sa 
charpente  osseuse  sans  qu'il  lui  soit  nécessaire  d'avoir  recours 
à  des  eaux  riches  en  éléments  minéraux. 

Le  Comité  consultatif  d'hygiène  de  France  a  fixé  aux  quan- 
tités suivantes  les  limites  que  ne  doivent  pas  dépasser  les 
éléments  minéraux  et  les  matières  organiques  contenus  dans 
les  eaux  pour  être  considérées  comme  potables. 

Chlore.  —  Moins  de  0  ?•'  04  par  litre  correspondant  à  0  s^'  066 
de  chlorure  de  sodium. 

Acide  sulfuriqiie.  —  Moins  de  0  =■'  03  par  litre  correspondant 
àO  S''  051  de  sulfate  de  calcium. 

Matières  organiques.  —  Moins  de  0  ?''  002  par  litre  calculé 
en  oxygène. 

Degré  hydrotimétrique.  —  Moins  de  20<^. 


44i  ESSAI   SUR   LIIYDUOLOGIE   ET   LA   GEOLOGIE 

Les  éléments  minéraux  les  plus  communs  des  eaux  potables 
sont  les  suivants  par  ordre  d'importance  : 

Carbonate  de  calcium.  —  Ce  sel  est  dissous  à  létat  de 
bicarbonate  à  la  faveur  d'un  excès  d'acide  carbonique  ;  toute 
quantité  supérieure  à  Os^SO  par  litre  rend  les  eaux  pe.-antes 
et  indigestes.  Les  eaux  de  source  de  Saida  en  renferment 
de  Os^rie  à  08^''2l  par  litre. 

Sulfate  de  calcium.  —  Ce  sel  est  toujours  nuisible  ;  les  eaux 
qui  en  renferment  dans  une  grande  proportion  sont  dites 
séléniteuses.  Les  eaux  de  source  de  Saïda  n'en  renferment  pas. 

Chlorure  de  sodium.  —  Ce  sel,  très  répandu  dans  la  nature, 
rend  les  eaux  saumâtres  au-dessus  de  0  sr  80  par  litre.  Les 
eaux  de  source  de  Saïda  en  renferment  de  0  ?■'  04  à  0  ?"'  05  par 
litre. 

Sulfate  de  magnésium.  —  Ce  sel  très  commun  dans  les 
eaux  d'Algérie  exerce  des  efïets  purgatifs  nuisibles.  Les  eaux 
de  source  de  Saïda  en  renferment  moins  de  0  s''  02  par  litre. 

Sels  de  fei\  de  potassium  et  d'aluininimn.  —  Ces  sels  ne  se 
trouvent  dans  les  eaux  que  par  quantités  infinitésimales.  Les 
eaux  de  source  de  Saïda  n'en  renferment  pas. 

Oxygène  et  acide  carbonique.  —  La  présence  de  ces  gaz  rend 
les  eaux  sapides  et  digeslives. 

Matières  organiques.  —  Elles  proviennent  de  la  décompo- 
sition des  corps  organisés  ou  de  germes  vivants  ;  ces  eaux 
doivent  être  exclues  de  l'alimentation.  Les  eaux  de  source 
de  Saïda  n'en  renferment  pas. 

§  L  —  Eaux  de  source 

Les  eaux  de  source  de  la  région  de  Saïda  sont  fraîches 
(i6  à  17°  en  tout  temps)  limpides,  incolores  et  d'une  saveur 
légèrement  salée  ;  elles  renferment  moins  de  0  s'"  410  par  litre 
de  matières  salines  normales  à  l'économie  et  la  moitié  environ 
des  quantités  limites  de  chlore  et  d'acide  sulfurique  assignées 
par  le  Comité  consultatif  d'hygiène  à  la  catégorie  des  eaux 
potables. 


DE   LA.   RÉGION   DE   SAÏDA  445 

La  présence  des  matièrtvs  organiques  n'est  pas  décelée  par 
la  méthode  au  permanganate  de  potassium. 

Le  degré  liydrotimétrique  élevé  de  ces  eaux  (47"  en  moyenne) 
est  dû  à  la  présence  de  sels  bicarbonatés  de  calcium  et  de 
magnésium  ;  elles  peuvent  néanmoins  servir  sans  danger  à 
l'alimentation  et  aux  usages  domestiques. 

En  résumé,  les  eaux  de  source  de  la  région  de  Saïda  sont 
dures,  cuisent  mal  les  légumes  et  décomposent  le  savon  ;  ce 
sont  des  eaux  potables  de  médiocre  qualité.  A  la  suite  de 
pluies  abondantes  et  prolongées  la  plupart  des  eaux  de  source 
deviennent  laiteuses  par  l'argile  qu'elles  tiennent  en  suspension 
et  qui  provient  de  la  pénétration  directe  d'eaux  torrentielles 
souillées  dans  les  couloirs  souterrains  à  la  faveur  de  fissures 
peu  apparentes  du  sol  ;  on  prétend  mémo  qu'au  moment  des 
invasions  de  sauterelles,  les  eaux  de  la  source  Sultan  roulent 
des  cadavres  de  ces  acridiens  à  leur  sortie  de  terre.  Pour 
remédier  à  ces  inconvénients  et  pour  approvisionner  en  tout 
temps  les  habitants  de  Saïda  en  eau  claire,  la  municipalité  a 
fait  construire,  en  1897,  à  proximité  de  la  source,  deux 
immenses  réservoirs  pourvus  de  filtres. 

Les  résultats  donnés  par  les  analyses  de  l'eau  des  principales 
sources  des  environs  de  Saïda  et  consignés  dans  le  tableau 
n»  1,  page  450,  permettent  d'établir  que: 

1°  Les  eaux  de  toutes  les  sources  de  la  région  de  Saïda,  qui 
ont  une  grande  analogie  de  composition,  ont  la  môme  origine  ; 

2"  Les  eaux  de  source  du  vallon  de  l'Oued  Nazereg,  plus 
chargées  en  sels  bicarbonatés  et  chlorurés  que  les  sources 
échelonnées  sur  les  bords  de  l'Oued-Saïda,  fournissent  une 
course  souterraine  plus  longue  ; 

3°  La  proportion  en  éléments  minéraux  des  eaux  recueillies 
pendant  l'année  pluvieuse  de  1895  est  plus  faible  que  celle  des 
eaux  provenant  des  années  de  sécheresse  suivantes. 

§  IL  —  Eaux  de  puits 

Les  puits  de  Saïda  sont  creusés  dans  le  quartenaire  récent 
constitué  par  des  tufs  calcaires,  des  argiles  et  des  sables  ;  ils 
ont  une  profondeur  de  7  à  10  mètres.  Le  puits  creusé  en  1897 


44G  ESSAI  SUR  l'hydrologie  et  la  géologie 

par  le  Génie  dans  l'intérieur  de  la  redoute  est  profond  de 
18  mètres.  Le  forage  a  atteint  les  marnes  oxfordiennes  situées 
sous  les  tufs  calcaires. 

Les  éléments  minéraux  dissous  dans  les  eaux  de  puits  varient 
suivant  la  provenance  de  la  nappe  d'eau  souterraine,  qui  peut 
être  : 

1°  Une  déviation  de  la  source  Aïn-Sultan  (puits  de  la 
Redoute)  ; 

2°  Une  infiltration  de  l'Oued  Saïda  (puits  Robert,  situé  dans 
le  bas  quartier  de  la  gare)  ; 

30  L'ne  masse  d'eau  renfermée  dans  une  poche  souterraine 
(puits  Altrach). 

La  perméabilité  du  sol  sur  lequel  est  bâti  Saïda  facilite  la 
contamination  de  l'eau  du  plus  grand  nombre  des  puits  par 
l'infiltration  des  eaux  d'arrosage,  des  eaux  ménagères  et  même 
des  liquides  putrides  issus  de  fosses  d'aisance  non  cimentées. 

Aussi,  faut-il  considérer  l'absorption  de  ces  eaux  comme  la 
cause  déterminante  des  infections  typhiques  qui  déciment 
périodiquement  la  population  et  la  garnison  de  la  ville. 
.  L'intérêt  de  la  santé  publique  exige  le  comblement  des 
puits  dont  les  eaux  seraient  reconnues  impropres  à  l'alimen- 
tation. Cette  œuvre  d'assainissement  entreprise  partiellement 
en  1898,  avec  la  construction  d'un  réseau  d'égoûts,  a  amené 
une  diminution  notable  dans  la  mortalité  typhique  ;  en  1897, 
on  enregistrait  35  décès  à  la  suite  d'une  violente  épidémie  sur 
les  troupes  de  la  garnison  et,  en  1898,  3  décès  seulement 
sans  épidémie  déclarée. 

L'analyse  de  l'eau  des  puits  Robert  et  Altrach  (voir  le  tableau 
j\°  1)  fait  ressortir  que  les  quantités  de  chlore  et  d'acide  sulfu- 
rique  dépassent  les  maxima  fixés  par  le  comité  consultatif 
d'hygiène  ;  il  en  est  de  même  pour  le  degré  hydrotimétrique. 

Nous  donnons  à  titre  documentaire  (voir  le  tableau  n^  1), 
l'analyse  de  l'eau  des  sources  du  Kreider  et  de  Sfid.  L'eau  de 
cette  dernière  source  a  la  réputation  méritée  auprès  des 
Arabes,  de  guérir  les  bestiaux  malades  par  absorption  d'her- 
bages nuisibles.  Ce  pouvoir  curatif  doit  être  atlribué  à  la 
grande  quantité  de  sels  de  magnésie  que  l'eau  de  Sfid  tient  en 
dissolution. 


DE  LA   RÉGION   DE   SAÏDA  4-i7 

§  III.  —  Eaux  thermales 

La  région  de  Saïda  renferme  deux  sources  thermales  : 

1°  Eaux  chaudes  de  Saïda  ou  petites  eaux  chaudes  ; 
2*^  Source  d'Hamman-ouhl-Klialed. 

I.  —  Les  eaux  chaudes  de  Saïda  sourdent  dans  le  lit  même 
de  l'Oued  Saïda,  à  hauteur  de  la  ferme  espagnole  située  à  800'" 
au  N.  du  moulin  Flinois.  La  température  au  point  d'émergence 
est  de  35"  centigrades. 

La  proportion  des  éléments  minéraux  contenus  dans  ces 
eaux  (voir  le  tableau  n^  2,  page  454)  est  sensiblement  la  même 
que  celle  des  eaux  de  l'Oued  Saïda  prélevées  à  hauteur  du 
pont  du  chemin  de  fer  (Sud  de  Saïda)  ;  il  faut  en  conclure  que 
les  eaux  de  la  rivière  reçoivent  dans  la  gorge  du  vieux  Saïda 
des  sources  d'origine  thermale  puisque  l'eau  d'Aïn-el-Hadjar 
et  d'Aïn-Piekhaït,  qui  alimentent  l'Oued  en  amont,  sont  moins 
minéralisées. 

Les  petites  eaux  chaudes  sont  utilisées  par  les  indigènes 
pour  laver  le  linge. 

II.  —  Les  eaux  d'Hamman-ould-Khaled  sont  situées  à  7  ki- 
lomètres au  N.  du  village  de  Nazereg  ;  elles  jaillissent  à  la 
température  de  45"  centigrades  au  fond  d'un  bassin  circulaire 
en  maçonnerie  de  10  mètres  de  diamètre  et  de  2  mètres  de 
profondeur. 

Ce  bassin  sert  de  piscine  aux  indigènes  ;  il  est  à  moitié 
comblé  par  de  la  vase  infecte  qui  souille  tout  échantillon  d'eau 
prélevé  et  amène  des  différences  sensibles  dans  l'évaluation  de 
la  matière  organique. 

Les  eaux  d'Hamman-oul  1-Khaled,  de  même  que  les  petites 
eaux  chaudes,  peuvent  être  classées  dans  la  catégorie  des 
eaux  thermales  chlorurées  et  sodiques. 

Les  Arabes  les  utilisent  contre  les  douleurs  rhumatismales. 

La  température  élevée  de  ces  eaux  est  l'indice  de  leur  pas- 
sage dans  le  voisinage  de  roches  éruplives  non  refroidies  et 
l'explication  de  leur  richesse  en  éléments  minéraux  dissous. 

Le  contact  d'une  eau  souterraine  avec  la  roche  éruptive  se 


448  ESSAI   SUR   l'hydrologie   et  la   GÉOLOfilE 

produit  par  l'intermédiaire  de  failles  ou  fissures  profondes  qui 
sillonnent  tout  terrain  éruptif 

Dans  le  principe,  les  courants  d'eau  qui  se  sont  engouffrés 
dans  ces  crevasses  ont  été  aussitôt  projetés  au  dehors  à  l'état 
de  vapeurs  en  occasionnant  un  refroidissement  rapide  des 
parois  surchauflëes  ;  plus  tard,  un  état  d'équilibre  s'est  établi 
avec  production  de  courants  ascendants  d'eau  chaude  et  des- 
cendants d'eau  froide  analogues  à  ceux  qui  s'établissent  dans 
toute  chaudière. 

Dans  ces  conditions  l'eau  de  sortie  est  d'autant  plus  chaude 
que  l'orifice  est  plus  rapproché  de  la  source  de  chaleur. 

Ces  explications  conviennent  au  cas  de  thermalité  de  la 
source  d'Hamman-ould-Khaled,  dont  le  point  d'émergence  est 
voisin  d'un  massif  dolomitique  reposant  sur  des  roches  érup- 
tives  qui  se  montrent  à  découvert  au  fond  des  gorges  de  l'Oued 
Tifrit. 


TABLEAU   No  1. 


A.]V.A.LYSES 


DES      EAUX      DE     SOURCES 


(le  Saïda  et  de  ses  environs 


450  ESSAI  SUR  l'hydrologie  et  la  géologie 

Tableau  n»  1.  ANALYSES  des  eaux  de  source 


DESIGNATION  DES  SOURCES 


Aïn-oiim-Reckaït 

(N.  du  cimelière  d'Aïn-el-Hadjar) 

Aïn-oum-Rekaït 

Aïn-el-Hsdjar 

(à  SUU'"  S.-O.  du  village) 

Aïn-el-Hadjar 

Source  Maboul 

(alimente  la  ville  de  Saîda) 

Source  Maboul 

Source  Maboul  

Aîn-Nazereg 

(a  1200"  au  S.-E  de  la  ferme  Solari) 

Aïn-Nazereg 

Aïn-Kerma - 

(à  800-  à  rO.  de  la  ferme  Solari) 

Aîn  Kerma 

Aïn-Kerboiida ... 

(3  300"  au  S.-O .  de  la  ferme  Solari) 

Trou  aux  Pigeons 

(à  2000°  au  S.-E.  de  la  ferme  Solari) 

Source  Poirier 

(à  500»  a  ro.  de  la  ferme  Ripou.x) 

Source  Poirier 

Puits  de  la  maison  Robert 

(rue  Pasteur  à  Saîda) 

Puits  de  la  maison  Altrarh 

(avenue  Gambetta,  -41,  à  Saîda) 

Aïn-Kreider 

(sur  le  Chott) 

Aïn-SfuI  

.(voie  ferrée  de  Marboum) 


DATE 

du 

prélèvement 


Novembre  1895 
Septembre  1896 
Novembre  ISriô 
Septembre  1800 
Septembre  189.") 
Novembre  1890 

Mars  1897 
Novembre  189.J 

Juin  1890 
Novembre  1895 
Septembre  1890 
Novembre  1895 

Juin  1890 
Novembre  1895 
Septembre  1890 
Kovembie  1895 
Septembre  1890 

.Mars  1S97 

Mars  1897 


1010"' 

d» 
1050° 

d" 

900- 

.1° 

d» 
1010" 

d» 

91.5'" 

d" 

O.^O- 
1025" 

870" 

d" 

800" 

850" 
» 


litres 

25 
h  la  seconde 

d° 

50 
à  la  seconde 

d" 

40 
h  la  seconde 

d° 

d» 

100 
à  la  seconde 

d» 

0 
à  la  seconde 

d» 

8 
à  la  seconde 

d' 


80 
à  la  seconde 


à  la  seconde 


11 
à  la  minute 


1 
1 

17° 
17° 
10° 

r.o 

17° 
10° 
17° 
10° 
17° 
10° 
17° 
10» 
17» 
10" 
10° 
20° 
17" 


46' 


0g297 

0.313 

0.332 

0.306 

0.300 

O.O: 

0.370 

0.405 

0.il2 

0.405 

0.413 

0.40 

0.414 

0.370 

0.395 

0.361 

0.759 

0.551 

0.710 


ELEME 


0.237 
0.2.50 
0.245 
0.278 
0.281 
0.298 
0.289 
0.309 
0.320 
0.308 
0.315 
0.311 
0.323 
0.300 
0,319 
0.210 
0.498 
0.245 
0.125 


■OS 


0.014 

0.015 

0.018 

0.019 

0.018 

0.017 

0.017 

0.015 

0.01 

0  015 

0.01' 

o.ol: 

0.015 
0.017 
0.010 
0.037 
0.058 
0.087 
0.108 


DE  LA.  RÉGION  DE  SAÏD\ 

î   Saïda.    et   da    ses    environs 


451 


ERMlNÉS 

COMPOSITION    PROBABLE 

OBSERVATIONS 

» 

a 

X3 
C 

S 

S.  = 
-?  si 

s 

S  — 

O    1, 

■? -o 

ô 

—    tt 

g 

3 

S 

-a 

3 

2  S 

o   OJ 

3       CO 

ce 
o  ojO 

370 

O.OÔl 

0.02'i 

0.20  4 

0.163 

» 

» 

0.025 

» 

0.023 

0.142 

0.107 

La  leclierclie  ries  matiè- 
res oi';;;inii|ue.s  par  le  pro- 
cédé au  permanganate  de 

087 

0.052 

0.02i 

0.22:i 

0.105 

» 

" 

0.027 

» 

0.023 

0.1.55 

0.108 

pot^tssiLim  n'adonné  aucun 
résultat.  Ces  eaux  sont 
exemples  fie  matières  or- 

^87 

0.054 

0.030 

(1 .  225 

0.157 

)) 

0.013 

0.017 

» 

O.0i:-i 

0.1.50 

0.103 

ganiques. 

093 

0.00.". 

0.031 

0.238 

0.102 

•ù 

0.015 

0.016 

» 

0.041 

0.105 

0.120 

996 

0.0G3 

0.030 

0.21; 

O.ISO 

>l 

0.012 

0.017 

» 

0.041 

0.162 

0.124 

099 

0.067 

0.031 

0.254 

0.209 

y 

0.005 

0.024 

» 

0.03S 

0.170 

0.137 

398 

0.065 

0.02S 

0.2.72 

O.IOG 

» 

0.010 

0.018 

» 

0.038 

0.175 

0.129 

lis 

0.0G2 

0.030 

0.303 

0.179 

» 

0.018 

0.005 

« 

■  0.0.53 

0.211 

0.118 

120 

0.004 

0.031 

0.308 

0.193 

» 

0.01! 

0.014 

n 

0.046 

0.214 

0.127 

119 

0.061 

0.031 

0.300 

0.177 

» 

0.017 

0.000 

« 

0.0.33 

0.213 

0.116 

117 

0.065 

0.032 

0.301 

O.lOi 

h 

0.015 

0.012 

» 

0.0.50 

0.200 

0.120 

jll4 

0.065 

0.032 

0.203 

0.192 

1) 

0.015 

0.009 

» 

0.053 

0.201 

0.126 

[112 

0.063 

0.031 

0.314 

0  190 

1) 

0.011 

0.014 

» 

0.0  4G 

0.218 

0.125 

^00 

O.OOi 

0.02'i 

0.273 

0.104 

» 

0.010 

0.019 

» 

0.030 

0.180 

0  128 

112 

0.0G7 

0.020 

0.28? 

0.210 

» 

0.005 

0.0-23 

» 

0.030 

0.100 

0.138 

p82 

O.O'iS 

0.041 

0.211 

0.126 

» 

0.050 

» 

> 

0.070 

0.-40 

0.083 

187 

0.118 

0.081 

0.48i 

0.290 

» 

0.077 

0.013 

» 

0.140 

0.334 

0.105 

105 

0.0Ô2 

0.118 

0.270 

0.110 

i> 

0.018 

O.oos 

» 

0.111 

0.1  .S8 

0.07.i 

159 

0.0S6 

0.117 

» 

» 

0.283 

0.162 

» 

0.047 

0.218 

0.283 

V) 

Leaii  (le  Slid  jouit  de 
propriétés  ciiratives  sur  les 
bestiaux  ayant  mangé  de 
mauvais  lierbages. 

TABLEAU    N"  2. 


.fVIVALYSES 


DES      EAUX      THERMALES 


(les  environs  de  Saïda 


454  ESSAI  SUR  l'hydrologie  et  la  géologie 

Tableau  n»  2.  ANALYSES  des  Eaux  thermales 


DATE 

c 

P 

<a 

ÉLÉMENTS 

DÉSIGNATION   DES  SOURCES 

du 
prélèvement 

'S 
-3 

< 

O 

■es 

'p 
p. 

03   0) 

•5 'S 

<  S 

o  1) 
11 

"ce 

0) 

'o 

p 
o 

6 

Novembre  1893 

705" 

300  litres 
à  la  minute 

3  o 

52» 

0g475 

0.204 

0.042 

» 

1 

0.058  0.116 

a  800"  au  N.  du  moulin  Flinois) 

Eaux  chaudes  de  Saïda 

Septembre  1890 

d" 

d° 

uO" 

51° 

0.4G5 

0.288 

0.041 

» 

0.057 

0.113 

Eau  (ie  l'Oued  Saïda : 

(prise  à  hauteur  du  pont  du  cliemin  de  fer) 

Mars  1807 

835" 

» 

» 

57° 

0.4-JO 

0.31G 

0.030 

» 

0.039 

0.107 

Eaux  chaudes  d'Hauiman-ould-Khalpd 

(a  7  k.  au  N.  du  villaKe  de  Nazereg) 

» 

9 

» 

» 

» 

» 

B 

» 

» 

» 

1878 

» 

1.7C0 

0.279 

0.270 

0.100 

0.149 

0.304 

Analyse  de  M .  Bailloud 

1884 

D 

D 

» 

D 

1.45 

0.031 

0.426 

» 

0.306 

0310 

Analyse  de  M.  Lacour-Avmar 

1891 

» 

» 

45° 

B 

1.580 

0.089 

0.42i 

O.OOi 

0.41fi 

0.300 

Analyse  de  M .  AzÉma 

Novembre  1895 

710" 

450  litres 
à  la  minute 

45" 

59° 

1.830 

0.350 

0.481 

0.001 

0.380 

0.3G4 

Analyse  de  M.  Azéma 

Sept(imbrel896 

d" 

d° 

45» 

59° 

1.830 

0.31i 

0.490 

O.OOl 

0.400 

0.376 

DE  LA  RÉGION  DE   SaIdA 

455 

des     environs     de     Saïda 

DÉTERMINÉS 

COMPOSITION     PROBABLE 

.2 

C 

S) 
09 

ci 
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O.OJl 

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0.29S 

0.163 

o 

» 

B 

» 

s 

0.0C3 

B 

B 

B 

> 

D 

0.056 

0.207 

0.107 

0.071 

D 

0.050 

» 

0.291 

0.162 

D 

D 

D 

» 

B 

0.032 

» 

B 

» 

B 

B 

0.094 

0.202 

0.106 

0.ÛT6 

» 

0.044 

D 

0.275 

0.214 

S 

S 

> 

B 

B 

0.026 

0.023 

B 

B 

B 

n 

0.00'. 

0.191 

0  141 

» 

B 

» 

» 

» 

D 

D 

S 

» 

D 

B 

B 

B 

» 

» 

B 

> 

B 

'  0.0S7 

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D 

0.360 

» 

D 

» 

tracer 

0.070 

» 

» 

0.560 

0.135 

0.0S4 

B 

» 

B 

B 

0.606 

B 

» 

O.OTO 

0.053 

0.268 

0.045 

0.120 

0.023 

» 

» 

» 

B 

0.571 

0.015 

0.120 

B 

0.036 

0.07:^ 

0.085 

0.495 

8 

B 

'Il 

» 

0.420 

0.001 

FD 

0..J73 

)) 

» 

» 

B 

B 

0.342 

0.270 

0.177 

0.002 

B 

B 

B 

0.640 

0.472 

B 

U.ilSl 

" 

0.412 

0.001 

11.511 

» 

» 

» 

B 

B 

0.431 

0.243 

0.133 

0.002 

B 

B 

B 

0.662 

0.355 

B 

456 


ESSAI   SUR    LHYOROLOGIE   ET    LA    GEOLOGIE 


OBSERVATIONS 


Les  résultats  obtenus  par  M.  Dechaux  dans  son  analyse  des 
eaux  d'Hamman  ould  Khaled  diffèrent  sensiblement  pour 
certains  éléments  minéraux  de  ceux  trouvés  dans  les  analyses 
effectuées  depuis  1878.  Le  tableau  suivant  fait  ressortir  ces 
différences  en  prenant  pour  terme  de  comparaison  la  moyenne 
des  résultats  acquis  dans  les  analyses  plus  récentes. 


ELEMENTS  MINÉRAUX  QUI  DIFFÈRENT 


RÉSULTATS 

trouvés 
par  M.  Dsehaux 


Anhydi-ide  sulfurique..  .. 

Acide  silicique 

Chlore 

Potasse  (,>t  Soude 


0.'^76 
0.100 
0.149 
0.53-3 


MOYENNE 

des  nombres  relevés 

dans  les  analyses 

postérieures 


0.4.35 
0.002 
0.392 

0.378 


DIFFERENCE 


—  0.179 
+  0.098 

—  0.243 
+  0.15i 


La  composition  probable  de  l'eau  d'Hamman  ould  Khaled, 
calculée  par  M.  Bailloud,  d'après  les  données  de  son  analyse, 
semble  inexacte.  La  quantité  de  chaux  entrant  dans  la  compo- 
sition du  sulfate  et  du  carbonate  de  calcium  est  de  0  ?■■  270, 
alors  qu'elle  a  été  trouvée  de  0  fc'i'SlO.  La  quantité  d'anhydride 
sulfurique  combinée  au  calcium,  au  magnésium  et  au  sodium 
est  de  0  g-"  466  au  lieu  de  0  &'■  426. 

Des  inexactitudes  du  même  genre  se  retrouvent  dans  la 
composition  de  l'eau  donnée  par  M.  Lacour  Aymar.  Ainsi  : 

L'anhydride  sulfurique  isolé  de  ses  combinaisons  —  0  g.  414  tandis  que  l'analyse  donne  0  g.  424 
Le  chlore  -  ^  0      389  -  0      416 

La  magnésie  —  =  0      OBO  —  0      070 

La  soude  -  =  0     320  -  0      268 


DEUXIEME  PARTIE 


GÉOLOGIE 


GÉNÉRALITÉS 

Envisagée  quant  à  sa  constitution  géologique,  la  région  de 
Saïda  appartient  aux  assises  oolithiquesdu  Jurassique  inférieur 
et  moyen.  Une  classification  plus  rigoureuse  des  terrains  n'a 
pu  être  faite  à  causa  de  la  pénurie  des  documents  paléontolo- 
giques  résultant  d'un  nombre  trop  restreint  d'observations. 

On  distingue  dans  cette  région  trois  formations  géologiques 
bien  déterminées. 

La  formation  inférieure  consiste  dans  une  assise  dolomitique 
puissante  à  rattacher,  malgré  l'extrême  rareté  des  fossiles,  au 
Bajocien  et  au  BaUtonien  du  groupe  ooUlhique  inférieur  ;  cette 
assise  prédomine  dans  la  partie  E.  de  la  région. 

La  formation  moyenne  est  constituée  par  les  marnes  argi- 
leuses callovo-oxfordiennes  qui  reposent  en  stratification 
concordante  sur  la  dolomie,  composent  la  majeure  partie  du 
sol  agricole  et  sont  recouvertes  au  N.  E.  de  Nazereg  par  des 
carapaces  et  des  tufs  calcaires. 

Enfin,  la  formation  supérieure  comprend  les  bancs  de 
dolomie  gréseuse  de  l'assise  corallienne  qui  couronne  les 
sommets  boisés  des  hauteurs  au  N.  0.  de  Saïda. 

Les  plans  de  ces  trois  étages  sont  inclinés  dans  le  même 
sens  sur  l'horizon  avec  un  angle  variable  inférieur  à  2''.  Les 
directions  des  inclinaisons  par  rapport  à  la  méridienne  sont 
voisines  d'un  angle  de  35''. 

Si  l'on  considère  une  coupe  du  terrain,  perpendiculaire  à  la 
direction,  dans  laquelle  la  ligne  AB  représente  une  horizontale 
et  la  hgne  AC  la  trace  de  l'assise  inférieure,   on  remarque 


458 


ESSAI   SUR  L^HYDKOLOÛIE  ET  LA  GEOLOGtË 


que  la  disposition  des  assises  affecte  la  forme  d'un  segment  de 
cercle  BAC  dont  l'angle  A  est  inférieur  à  2°.  Il  existe  un 
anticlinal  vers  le  centre  A  et  un  synclinal  vers  la  circonfé- 
rence BG. 


tù'c/inaX 


^ 


Sync/îha/ 


^oco'^ 


L'assise  Bajoco-Bathonienne  de  la  formation  inférieure  se 
montre  à  découvert  dans  leivoisinage  de  l'anticlinal  et  plonge 
ensuite  sous  les  couches  supérieures. 

L'épaisseur  des  sédiments  augmente  à  la  périphérie. 

Il  est  probable  que  la  région  de  Saida  occupe  la  partie 
médiane  d'une  ondulation  générale  du  sol,  mesurant  plus  de 
80  kilomètres  de  largeur  ;  son  anticlinal  est  situé  vers  le  S.  E. 
à  la  limite  méridionale  du  plateau  des  Hassasna  et  son  synclinal 
vers  le  N.  0.  peut-être  sur  le  thalweg  portant  successivement 
les  noms  de  Oued  Taourira,  Séfioum  et  Haoumet.  C'est  pendant 
la  formation  du  Jurassique  moyen  que  le  sol,  sollicité  par  des 
pressions  latérales  dues  à  la  contraction  de  l'écorce  terrestre, 
s'est  abaissé  lentement  vers  le  synclinal  en  oscillant  autour 
de  l'anticlinal. 

Pendant  ce  mouvement,  la  surface  de  chaque  assise  ne  s'est 
pas  maintenue  rigoureusement  plane,  il  s'est  formé  des 
plissements  d'une  importance  secondaire  qui,  s'ils  n'ont  pas 
atténué  la  direction  générale  du  sol,  ne  l'en  ont  pas  moins 
influencée. 

L'Oued  Saïda,  en  amont  de  cette  ville,  coule  dans  une  vallée 
de  plissement  de  cette  catégorie  comme  nous  le  démontrerons 
plus  loin.  


DE  LA  RÉGION  DE  SAÏDA  459 


CHAPITRE   PREMIER 


Stratigraphie 


§  I.  —  Assise  Oolithique  inférieure 

L'étage  oolithique  inférieur  est  susceptible  d'un  bon  examen 
dans  les  escarpements  du  bord  oriental  du  cirque  de  Saïda  et 
principalement  à  300  mèlres  en  amont  du  pont  du  chemin  de 
fer,  point  où  l'Oued  Saïda,  à  peine  sorti  de  l'étroite  gorge  du 
vieux  Saïda,  change  de  direction  vers  l'O. 

La  formation  se  montre  dans  toute  sa  puissance  sous  l'aspect 
d'une  falaise  de  roches  dolomitiques  de  60  mètres  de  hauteur  ; 
elle  repose  sur  une  couche  de  marnes  rouges  ou  rosées  de  10  à 
20  centimètres  d'épaisseur  qui  la  séparent  d"un  épais  banc 
calcaire  appartenant  probablement  au  lias  supérieur. 

Ce  banc  est  visible  sur  une  trop  faible  étendue  dans  le  ravin, 
qui  du  dépôt  des  Haras  aboutit  au  coude  de  la  rivière,  pour 
être  étudié. 

L'assise  doloraitique  a  été  classée  dans  les  étages  Bajocien  et 
Bathonien  par  analogie  avec  des  formations  similaires  plutôt 
que  par  la  détermination  des  fossiles  qui  y  sont  extrêmement 
rares. 

Le  plan  de  séparation  entre  le  Bajocien  et  le  Bathonien 
semble  se  trouver  à  demi  épaisseur  de  l'assise  sur  la  ligne 
marquée  dans  les  escarpements  latéraux  du  ravin  de  Baiel  par 
un  banc  rocheux  rose  ou  marbré  de  rose  situé  à  la  partie 
supérieure  du  talus  de  raccordement  entre  le  fond  du  ravin  et 
la  paroi  rocheuse  verticale  du  haut  de  la  falaise. 


460  ESSAI  SUR  l'hydrologie  et  la  géologie 

La  roche  rosée  est  compacte,  dure,  pétrie  de  stylines 
à  la  partie  supérieure  et  composée  des  éléments  minéraux 
suivants  : 

Carbonate  de  calcium 709 

Carbonate  de  magnésium 233 

Oxyde  de  fer 18 

Alumine 9 

Silice 9 

Eau 22 

Cette  roche  est  une  dolomie  calcarifère  renfermant  une  pro- 
portion double  de  carbonate  de  calcium  et  une  petite  quantité 
d'oxyde  de  fer  et  d'argile. 

L'observation  peut  aisément  se  faire  dans  une  vaste  anfrac- 
tuosité  delà  roche  placée  au  confluent  du  ravin  de  Raiel  et  de 
son  premier  affluent  de  droite. 

Il  convient  d'englober  dans  l'assise  Bajoco-Bathonienne  les 
argiles  bariolées  et  brunes  qui  reposent  sur  la  dolomie.  Les 
argiles  brunes  contiennent,  en  effet,  des  empreintes  de  posi- 
domies  associées  à  des  ammonites  de  6  millimètres  de  diamè- 
tre indéterminables.  Ce  fait  a  été  signalé  par  M.  Velsch,  dans 
la  thèse  qu'il  a  publiée  en  1892.  en  donnant  la  description  des 
sédiments  placés  à  la  base  du  Djebel-Irnem  (rive  gauche  de 
l'Oued  Saida). 

Nous  avons  trouvé  ces  mêmes  espèces  dans  les  argiles  ligni- 
teuses  et  schisteuses  extraites  à  18  mètres  de  profondeur  du 
puits  creusé,  en  1897,  par  le  Génie  dans  la  redoute  de  Saïda 
(rive  droite  de  l'Oued  Saïda), 

Description  de  l'étage  Bajoco-Bathonien 

La  formation  Bajoco-Bathonienne  a  une  épaisseur  variable 
de  50  à  80  mètres.  Le  banc  dolomitique  se  subdivise  en  un 
grand  nombre  de  strates  parallèles,  assez  bien  définies  et 
d'épaisseur  variable  de  30  centimètres  à  2  mètres. 

La  structure  de  la  roche  est  cristalline  ou  compacte  ;  sa 
cassure  est  blanche,  grise  ou  gris  rougeàtre  ;  sa  composition 
minéralogique  est  : 


1)K  LA   RÉC.ION'   DE   SAÏUA  ^bl 

Carbonate  de  calcium 536 

Carbonate  de  magnésium 420 

Oxyde  de  fer 20 

Silice 14 

Eau 10 

C'est  de  la  dolomie  proprement  dite  renfermant  une  petite 
quantité  d'oxyde  de  fer  et  de  silice. 

Les  parties  superficielles  de  la  roche  inégalement  rongées 
par  l'action  dissolvante  de  l'eau  météorique  sont  parsemées 
d'aspérités  dites  Tètes  de  Chat  d'un  parcours  difficile  et  de 
cavités  remplies  d'une  argile  ferrugineuse  dont  la  couleur 
rougeâtre  se  distingue  au  loin.  Ces  terrains  produisent  une 
maigre  végétation  de  plantes  et  d'arbustes  résineux. 

La  couche  d'argile  bariolée,  placée  au-dessus  de  la  dolomie, 
présente  des  teintes  rougeâtres  et  grisâtres.  Cette  argile  est 
assez  pure  et  exploitée  pour  la  fabrication  de  briques.  L'épais- 
seur du  banc  varie  de  2  à  3  mètres. 

Au-dessus  de  l'argile  bariolée  s'étage  une  autre  couche 
d'argile  brune  plus  ou  moins  marneuse  dans  laquelle  s'inter- 
calent de  petites  zones  d'un  calcaire  plus  ou  moins  argileux 
et  schisteux  se  divisant  en  minces  plaquettes.  L'argile  du 
sommet  de  la  couche  renferme  d-îs  empreintes  de  posidomies 
et  des  ammonites  indéterminables  par  leur  exiguité  ;  quant 
aux  zones  à  plaquettes,  elles  se  multiplient  à  la  partie  supérieure 
du  sédiment  et  sont  recouvertes  d'empreintes  de  processus  de 
nérinées.  Ces  plaquettes  sont  particulièrement  nombreuses  sur 
le  revers  occidental  du  Djebel  Irnem. 

Les  argiles  à  posidomies  extraites  du  puits  creusé  par 
le  Génie  dans  la  redoute  de  Sa'ida  ont  *  la  composition 
suivante  : 

Carbonate  de  calcium 82 

Carbonate  de  magnésium 17 

Oxyde  de  fer 166 

Alumine 191 

Silice 457 

Eau 87 

Cette  argile  est  un  silicate  d'aluminium  et  de  fer  hydraté 


462  ESSAI  SUR  l'hydrologie  et  la  géologie 

renfermant  une  faible  proportion  de  carbonate  de  calcium  et 
de  magnésium. 

Les  plaquettes  à  processus  de  Nérinées  recueillies  sur  le 
versant  0.  du  Djebel  Irnem  ont  la  composition  suivante  : 

Carbonate  de  calcium 629 

Carbonate  de  magnésium 10 

Oxyde  de  fer 60 

Alumine 30 

Silice 246 

Eau 25 

ce  sont  des  calcaires  siliceux  un  peu  argilitiques. 

Physionomie  du  terrain 

La  dolomie  prédomine  dans  toute  la  région  orientale  de 
Saïda  où  la  chaîne  des  hauteurs  oxfordiennes  de  K'  Tine, 
Djebel  el  Hassem  et  Doumat  Kebach  ne  la  recouvre  que  partiel- 
lement. Le  plan  incliné,  déterminé  par  le  banc  dolomitique, 
présente  une  direction  angulaire  de  35''  avec  la  méridienne  et 
un  plongement  inférieur  à  2>'.  Le  banc  disparaît,  en  amont  de 
Saïda,  sur  les  bords  de  l'Oued  Saïda  et,  en  aval,  à  plus  de 
11  kilomètres  de  la  rive  droite  du  même  Oued.  Dès  lors, 
l'observation  du  développement  souterrain  de  la  dolomie  n'est 
plus  possible  ;  mais  d'après  la  stratigraphie  générale  des 
couches  géologiques  visibles  et  l'inclinaison  d'un  lambeau 
dolomitique  à  découvert  dans  le  petit  vallon  de  Ch*  Hamra, 
il  est  présumable  que  la  dolomie  plonge  sous  les  hauteurs  de 
la  rive  gauche  de  l'Oued  Saïda  sans  modifier  son  inclinaison 
primitive. 

Cependant,  nous  déduirons  l'existence  d'un  léger  plissement 
de  la  dolomie  dans  la  partie  haute  de  la  vallée  de  l'Oued  Saïda, 
en  amont  du  marabout  de  Sidi-Maamar,  d'après  les  considé- 
rations suivantes  : 

Le  b.<nc  dolomitique  avant  de  dispai-aitre  sur  les  br.rds  de 
cet  Oued  (direction  du  synclinal)  prend  une  inclinaison  plus 
grande  ;  la  rive  gauche  du  cours  d'eau  est  bordée  par  les 
collines  de  Tinanarine  et  de  Louachim  qui  indiquent  un 


DE  LA   RÉCION  DE   S  AIDA  463 

anliclinal  ;  enfin,  plusieurs  sources,  dont  deux  abondantes, 
n'ont  leur  raison  d'être  à  proximité  de  la  rivière  que  si  un 
plissement  ayant  rapproctié  les  assises  du  sous-sol  a  mis 
obstacle  à  Técoulement  des  oaux  souterraine?. 

Bien  diflereiite  est  la  cause  qui  lait  jaillir  aux  confins 
apparents  du  banc  dolomitique  les  nombreuses  et  abondantes 
sources  du  cirque  de  Saïda  et  du  vallon  do  l'Oued  Nazereg  ; 
c'est  ici  une  taille  locale,  de  direction  perpendiculaire  au 
courant  des  eaux  souterraines,  qui  a  fait  office  de  digue.  Les 
eaux,  après  s'être  accumulées  dans  la  faille,  se  sont  fait  jour 
au  dehors  en  utilisant  les  fissures  des  roches  et  en  pratiquant 
par  leur  pouvoir  de  dissolution  sur  les  roches  calcaires  de 
nouveaux  seuils  'd'évacuation. 

Les  argiles  bariolées  immédiatement  supérieures  à  la  dolomie 
se  rattachent,  avons-nous  dit,  à  la  formation  bathonienne 
inférieure  plutôt  qu'à  la  formation  callovo-oxfordienne  supé- 
rieure. Ces  argiles  peuvent  être  observées  sur  de  nombreux 
points  : 

Soubassement  oriental  du  D.  Irnem  ; 

Déblai  de  la  voie  ferrée  au  sommet  de  la  cote  de  crève-cœur 
(route  de  Saïda  à  Aïn-el  Hadjar)  ; 

Escarpement  occidental  de  la  Mouna  (Cht  Kirichi)  ; 

Rive  droite  du  ravin  Ch^  Kirichi  en  aval  du  chemin  de 
grande  communication  n°  48. 

Les  avgiles  bariolées  n'offrant  aucune  résistance  aux  agents 
atmosphériques,  ont  été  entamées  dans  les  mêmes  conditions 
que  les  marnes  oxfordiennes  supérieures  en  découvrant  la 
dolomie  sur  de  larges  espaces.  Aussi,  au  premier  aspect,  ces 
sédiments  de  la  base  des  hauteurs  oxfordiennes  semblent  faire 
partie  intégrante  de  cette  formation. 

Age  géologique 

M.  Pomel,  dans  son  ouvrage  sur  la  description  stratigraphi- 
que  de  l'Algérie,  pubhé  en  1889,  classe  la  formation  dolomiti- 
que sur  l'horizon  de  la  grande  oolithe  en  reconnaissant  qu'il 
est  impossible  d'en  resserrer  de  plus  près  la  classification  par 
le  manque  de  fossiles. 


464  ESSAI   SUR  L*HYDR0L0GIE  ET  LA  GEOLOGIE 

M.  Velsch,  dans  sa  thèse  de  1892,  rattache  la  même  assise 
au  bathonien,  sans  produire  de  preuves. 

M.  Fischeur,  dans  sa  noie  publiée  le  20  mai  1893  el  inséi-ée 
au  Bulletin  de  la  Société  Géologique  de  France,  considère  la 
couche  de  calcaires  plus  ou  moins  dolomitisés  des  terrains 
jurassiques  du  massif  de  Bou  Thaleb,  comme  présentant  la 
plus  grande  analogie  avec  les  assises  du  même  âge  de  Saïda. 
Ce  géologue,  d'après  les  rares  fossiles  trouvés  par  M.  Brossard, 
rapporte  l'âge  de  la  dolomie  au  Bathonien  ou  au  Bajocien. 


§  II.  —  Assise  Callovo-Oxfordienne 

L'assise  callovo-oxfordienne  repose  en  stratification  concor- 
dante sur  la  formation  Bajoco-Bathonienne  et  possède,  à  peu 
près,  son  inclinaison.  L'épaisseur  de  l'assise  augmente  pro- 
gressivement du  S.  E.  vers  le  N.  0. 

La  délimitation  entre  le  callovien  et  l'oxfordien  ne  peut  être 
établie  parce  que  les  fossiles  particuliers  à  ces  deux  étages 
sont  confondus  dans  un  banc  calcaréo-groseux,  situé  à  la  base 
de  la  formation.  Ce  banc  de  couleur  jaunâtre  mesure  de  20  à  30 
centimètres  d'épaisseur. 

Fossiles  caractéristiques 

Les  fossiles  que  nous  avons  recueillis  sur  les  divers  points 
de  la  région  indiqués  sur  la  carte,  sont  : 

,'  Beineckeia  anceps  ;  d'Orb. 

N.  0.  de  la  base  de  la  l  Périsphinctes  Bakeriœ  ;  d'Orb. 

montagne  carrée        \  Neumayria  oculata. 

près  )  Hecticoceras  lunula  ;  Zieten. 

du  village  deNazereg    [  Périsphinctes  plicatilis  ; 

\  Ammonites  du  genre  Adelœ;  d'Orb. 

[  Beineckeia  anceps  (fragments). 

Cimetière  arabe  à  l'E.    ]  Slephanoceras  coronalus  ;  Schol. 

du  D.  Irnem  )  Ammonites  Lalandeanus  ;  d'Orb. 

(  Fragments  de  Bélemnites, 


DE  LA   RÉGION  DE   SAÏDA  465 


Moulin   Flinois  ;  route 

de  Dayu  ;  chemin  lic 

la  loi-nie  Pardiès 

à  la  roule  de  Ta^remaret 


Dans  le  voisinage  des  deux  pre- 
miers points  on  recueille  de  nom- 
breux fragmenls  de  Reineckeia  an- 
ceps  ;  au  troisièmes  point  on  tr'ouve 
des  échantillons  complets  mesurant 
jusqu'à  30  centimètres  de  diamè- 
tre. 


Description  de  l'étage 

La  puissance  moyenne  de  la  formation  est  de  250  mètres  ; 
elle  est  constituée  par  des  sédiments  argilo-inarneux  présen- 
tant à  la  base  3  ou  4  bancs  rocheux  superposés,  parallèles  et 
équidistants  de  25  mètres  environ. 

Le  banc  rocheux  inférieur  est  un  grès  psammite  de  30  à  40 
centi mitres  d'épaisseur,  devenant  ocreux  après  une  longue 
exposition  à  l'air  ;  sa  composition  est  : 

Carbonate  de  calcium 190 

Carbonate  de  m:ignésium 17 

Oxyde  de  fer 87 

Silice 692 

Eau 14 

Nous  avons  trouvé  dans  des  fragments  provenant  du  banc 
qui  coupe  le  chemin  vicinal  n°  7  (voir  la  carte)  des  empreintes 
d'ammonite,  d'oursin,  des  fragments  de  liges  d'encrines  et  de 
petits  bivalves. 

Les  bancs  rocheux  supérieurs  sont  calcaréo-grèseux  avec 
un  à  2  mètres  d'épaisseur  ;  ils  s'exploitent  comme  pierre 
à  bâtir. 

Ces  roches  ont  préservé  on  partie  de  l'érosion  les  marnes 
inférieures  et  constitué,  à  la  base  des  hauteurs  de  la  rive  gauche 
de  l'Oued- Saïda,  de  vastes  paliers  cultivables. 

Les  sédiments  argilo-marneux  présentent  généralement  une 
teinte  bleue  cendrée,  qui  peut  devenir  accidentellement  rouge 
intense  (versant  N.  E.  de  l'Abd-el-Krim)  ;  on  y  rencontre  de 
volumineux  cristaux  de  gypse. 


466  ESSAI  SUR  l'hydrologie  et  la  géologie 

Presqu'au  sommet  de  l'assise  se  développe  une  mince  couche 
(2  à  3  centimètres)  de  marne  ferrugineuse  silicifiée  et  fortement 
teintée  de  rouge  ou  de  jaune  dont  la  composition  est  : 

CarJ3onate  de  calcium 169 

Carbonate  de  magnésium 24 

Oxyde  de  fer '.    .  494 

Alumine 49 

Silice : 152 

Eau 112 

Cette  marne  so  fragmente  à  l'air  en  petits  prismes,  qui, 
entraînés  par  les  pluies,  se  répandent  sur  les  pentes  infé- 
rieures. Un  de  ces  fragments  contenait  un  moule  interne 
de  bivalve. 

Physionomie  du  terrain 

Les  terrains  callovo-oxfordiens  recouvrent  la  plus  grande 
partie  du  territoire  Ouest  de  Saïda  où  ils  constituent  le  sol 
agricole. 

Les  collines  du  Djebel-el-Hassen,  Doumat  et  Kebach  appar- 
tenant à  la  même  formation  et  situées  au  S.  E.  de  Saïda  sont 
les  vestiges  de  sédiments  qui  s'étendaient  primitivement 
jusqu'aux  hauteurs  de  la  rive  gauche  de  l'Oued  Saïda  et  qui 
témoignent  de  l'importance  des  dénudations  opérées  par  les 
agents  atmosphériques. 


§  IIL  —  Assise  Corallienne 

L'assise  corallienne  repose  en  stratification  concordante  sur 
l'assise  callovo-oxfordienne  et  s'en  distingue  assez  nettement 
par  un  faciès  particulier  et  des  fossiles  spéciaux  ;  son 
inclinaison  est  aussi  grande  que  celle  des  couches  infé- 
rieures et  son  épaisseur  augmente  progressivement  du  S.  E. 
vers  le  N.  0. 


dl:  la  région  de  saïda  467 

Fossiles  caractéristiques 

Une  espèce  non  déterminée. 


,    Térébratules  .  tt    n-  ^     n      •    o 
Sommet  de  la  <  Un  Dictyolhyris  ? 


montagne 
carrée 


prèsNazereg     1    Spongiaires; 
(Voir  la  carte)   '    Peignes  ; 


Un  Echinobrissus  ? 
Oursms  .    .      jjj^  Glypticus  Burgondiacus 


(csiièce  coraimiiie  au  callovicc) 


\    Limes. 

Sommet  du      i    Astrocœnia  ; 
D.  Irnem        '    Montivaulties  à  base  large  et  à  base  pé 
(Voir  la  carte)   j        donculée. 

Les  échantillons  recueillis  sont  déformés  et  difficilement 
déterminables. 

Description  de  l'étage 

La  puissance  moyenne  de  la  formation  est  de  150  à  200  mè- 
tres. Cette  assise  est  constituée  par  des  marnes  argileuses 
coupées  par  des  bancs  rocheux  de  5  à  10™  d'épaisseur  et  équi- 
distants  de  50  mètres  environ.  Cliaque  banc  rocheux  est  cons- 
titué à  la  base  par  du  calcaire  gréseux  légèrement  magnésien 
passant  à  la  dolomie  compacte  dans  le  haut  de  la  roche.  Les 
intempéries  en  efïVitant  la  base  provoquent  la  chute  d'énormes 
quartiers  de  pierre  qui  se  brisent  et  jonchent  de  leurs  débris 
le  pied  des  pentes  de  la  ujontagne.  La  composition  minéralo- 
gique  du  calcaire  gréseux  situé  à  la  base  du  banc  rocheux  le 
plus  bas  du  corallien  (montagne  carrée)  est  : 

Carbonate  de  calcium 830 

Carbonate  de  magnésium 108 

Oxyde  de  fer -    7 

Alumine 12 

Silice 18 

Eau 25 

C'est  un  calcaire  dans  lequel  la  proportion  de  magnésie  entre 
pour  l/7e  et  renfermant  un  peu  d'argile  et  d'oxyde  de  fer, 


468  ESSAI  SUR  l'hydrologie  et  la  géologie 

Dans  l'Abd-el-Krim  les  bancs  rocheux  sont  très  apparents 
sous  l'aspect  de  routes  nouvellement  tracées  ;  dans  le  Tiber- 
guent  ils  sont  peu  visibles  au  milieu  des  bois  de  pins  ;  enfin 
dans  les  environs  de  Franchetti  la  formation  apparaît  dans 
toute  sa  puissance. 

Physionomie  du  terrain 

Les  terrains  coralliens  placés  à  1,000  ou  1,100  mètres  d'alti- 
tude, couronnent  les  hauteurs  à  l'O.  de  Saïda.  Les  bancs 
rocheux  de  cette  formation  ont  préservé  dans  une  certaine 
mesure  les  flancs  des  hauteurs  contre  les  dénudations  exer- 
cées par  les  agents  atmosphériques. 

§  IV.  —  Carapaces  calcaires  et  Tufs  calcaires 

Carapaces  calcaires.  —  Les  carapaces  calcaires,  très  com- 
munes en  Algérie,  sont  des  concrétions  qui  se  forment  à  la 
surface  du  sol  sous  l'influence  de  son  excès  d'humidité. 

Ces  concrétions  consistent  en  un  calcaire  crayeux,  plus  ou 
moins  dur,  atteignant  souvent  plusieurs  mètres  d'épaisseur  et 
comprenant  dans  sa  masse  des  zones  irréguliôres  de  quelques 
centimètres  d'épaisseur  d'un  calcaire  cristallin  et  des  débris 
arrachés  aux  terrains  sur  lesquels  elles  se  sont  formées. 

La  carapace  s'épaissit  constamment  car  elle  est  produite  par 
l'évaporation  rapide,  sous  un  soleil  ardent,  des  eaux  chargées 
de  sels  calcaires  qui  filtrent  à  la  surface  du  sol  par  capillarité 
ou  qui  s'y  répandent  dans  le  voisinage  des  sources. 

Les  carapaces  appartiennent  à  toutes  les  époques  géolo- 
giques ;  il  s'en  forme  encore  de  nos  jours. 

Les  marnes  oxfordiennes,  situées  au  N.  E.  de  Nazereg  et  au 
S.  de  Saïda  et  voisines  de  points  d'émergence  d'eaux  souter- 
raines, sont  couvertes  de  carapaces  épaisses  qui  sont  exploitées 
sur  plusieurs  points  pour  la  tabrication  de  la  chaux  à  bâtir. 

Tufs  calcaires.  —  Les  tufs  sont  des  dépôts  calcaires  que  les 
eaux  souterraines  abandonnent  à  peu  de  distance  de  leur  point 
d'émergence.  Ce  calcaire  provient  du  carbonate  de  calcium 
devenu  hbre  par  la  décomposition  spontanée  à  l'air  libre  du 


DE  LA  RÉGION   DE   SAÏDA  469 

bicarbonate  de  calcium  dissous  dans  ces  eaux.  Le  carbonate, 
sel  moins  soluble  que  le  bicarbonate,  se  dépose  et  l'acide 
carbonique  rendu  libre  se  dégage.  Nous  avons  vu  que  celte 
décomposition  ne  pouvait  s'efïectuer  dans  le  trajet  souterrain 
parce  que  l'eau  se  trouvait  en  contact  constant  avec  une  atmos- 
phère aussi  riche  en  acide  carbonique  que  l'eau  elle-même. 

Le  dépôt  calcaire  se  dispose  généralement  en  forme  dégaine 
autour  des  objets  immergés,  tels  que  mousses,  herbages, 
racines,  etc. . .  Après  la  décomposition  de  la  matière  organique 
interne,  la  masse  calcaire  présente  des  cavités  caractéristiques 
qui,  se  remplissant  avec  le  temps,  rendent  le  calcaire  compacte 
et  forment  les  travertins. 

Les  tufs  calcaires  contiennent  de  nombreuses  empreintes 
des  végétaux  contemporains  à  leur  formation. 

Les  dépôts  de  la  source  Sultan  et  ceux  qui  couronnent  le 
mamelon  situé  au  quartier  nègre  de  la  route  de  Nazereg 
renferment  des  empreintes  de  feuilles  provenant  de  vigne 
vierge  et  de  roseaux. 

11  existe  des  masses  considérables  de  tufs  calcaires  à  proxi- 
mité des  sources  de  Nazereg,  du  Poirier  et  de  Sultan  ;  les 
maisons  de  Saïda  sont  construites  sur  un  immense  dépôt  formé 
far  la  dernière  source.  On  ne  remarque  que  peu  ou  point  de 
tuf  dans  le  voisinage  des  autres  sources,  ce  qui  indique  une 
origine  bien  plus  récente. 

Tous  ces  tufs  appartiennent  au  quaternaire  récent  parce 
qu'ils  se  continuent  actuellement,  que  leur  structure  est 
caverneuse,  que  leurs  fossiles  appartiennent  à  des  végétaux 
contemporains  et  qu'ils  n'ont  subi  aucune  dislocation  du  fait 
des  éruptions  locales. 

Bien  plus  anciens  sont  les  tufs  calcaires  à  structure  compacte 
de  la  zone  élevée  du  Djebel  Amrous  et  de  ses  contreforts.  Ils 
représentent  les  vestiges  d'une  épaisse  couche  déposée  autre- 
fois sur  des  plateaux  qui  fermaient  la  vallée  de  l'Oued  Saïda 
en  reliant  les  hauteurs  de  la  rive  droite  de  ce  cours  d'eau  aux 
collines  de  la  rive  gauche.  Alors,  les  sources  jaillissant  à  un 
niveau  plus  élevé  inondaient  df  vastes  plaines  dont  il  ne  reste 
aujourd'hui  que  des  lambeaux  épars  constitués  par  les  contre- 
forts entre  l'Oued  Saïda  et  son  affluent  l'Oued  Nazereg. 


470 


ESSAI   SUR  l'hydrologie    ET   LA   GÉOLOGIE 

TABLEAU         DES 
LÉGENDE     GÉOLOGIQUE 


C3 

ce 

CD 

DC 
LU   £ 

TERRAINS 

ÉTAGES 

SOUS-ÉTAGES 

O 

ce 

UJ 

«t  c: 

D.    " 
-UJ 

PRINCIPAUX   FOSSILES 

Moderne 

D 

Alluvions 

» 

n 

7> 

Quartenaire 

Tufs  calcaires 

q 

» 

Empreintes  de  feuilles  et  de  roseaux 

Tertiaire 

! 

Carapaces  calcaires 
Tufs  calcaires 

p 
p 

» 
» 

1) 

(    Espèce  non  déterminée. 
Térèbratules  < 

(    Dictyothyris  ? 

Oolithique 
supérieur 

Corallien 

1 

Bancs  dolomitiques  gréseux 

Je 

150 

c    Echinobrissus  ? 
Oursins      ] 

(    Giypticus  Burgondiacus? 

Astrocœnia;  Montivaulties 

Peignes,  limes,  spongiaires 

1 

Marnes  bleues  cendrées 

150 

Empreintes  d'ammonites  et  d'oursins 

1 
\ 
Oxfordien 

Grès  pszmmite 

Encrines  et  biva  «3S 

Rsineckeia  anceps;  Périsphinctes 

Oolithique 

Jo 

1 

Backeriœ  et  Plicatiiis;  Neumayria 

moyen 

Banc  gréseux 

1                    oculata  ;  Hecticoreras  lunula 

Fossilifère 

100 

,                 Ammonites  Adelœ  et  Lalandeanus 

1 
Callovien 

Stephanoceras  coronatus 

\              1 

^           Marnes  brunes 

Fragments  de  Bèlemnites 

\ 

Plaquettes  à  processus  de  nèrinèes 

Posidomies  et  ammonites  très  petites 

Oolithique 
inférieur        ^ 

1                            1 
'        Bathonien 

)                            i 

Argiles  bariolées 
1 

Jb 

80 

» 

Bajocien          ' 

Banc  dolomitique 

Stylines  et  Polypiers 

Lias 

supérieur 

Toarcien 

Marnes  liasiques  rouges 

1 

2 

» 

DE  LA   REGION   DE   SAÏDA 


471 


ASSISES     GÉOLOGIQU  ES 

LÉGENDE     MINÉRALOGIQUE 


NATURE    DES    ROCHES 


Terres  argileuses 

Tut  concrètionnè  caverneux 

Concrétions  calcaires  crayeuses 

Concrétions  calcaires  compactes 


Sédiments  argilo  marneux  bleus  cendrés  alternant  avec 
d'épais  bancs  de  dolomie  gréseuse  devenant  calcarifère 
à  la  base. 


Sédiments  arçilo  marneux  bleus  cendrés  av3c  bancs  de 
calcaire  grèsejx  dont  le  plus  bas  est  de  grès  psammite, 


MINÉRAUX  ACCIDENTELS 


Calcaire  gréseux  jaunâtre 


Harnis  ligniteuses  avec  plaquettes 
Calcaire  siliceux  argilitique 

Argile  ferrugineuse 
Dolomie  ocmpacte  et  cristalline 

Dolomie  calcarifère 

Argile  calcarifère  et  ferrugineuse 

Calcaire  grès  compacte 


Rognons  de  silex 


Gypse  (cristaux  volumineux) 


MATERIAUX  UTILES 

aux  Arts,  à  l'Industrie,  à  l'Agriculture 


ouches  ûe  galène  et  de  limonite  par 

èpigénie  de  pyrite 

Filons  de  barytine 


Pierre  à  bâtir  gèlive 

Chaux  grasse 

Chaux  maigre  grise 

» 

Moellons  gèlifs 

Matériaux  d'empierrement 


Moellons  calcaires  de  bonne  qualité 


Grès  pour  meules 


Moellons  qélifs 


Argile  tègufaire 
Matériaux  d'empierrement 


472  ESSAI  SUR  l'hydrologie  et  la.  géologie 

CHAPITRE    II 


Tectonique 


Particularités  sur  les  terrains  Pjajoco-Bathoniens 

La  carte  géologique  indique  d'un  gros  trait  deux  failles 
locales  qui  sont  probablement  contemporaines  et  le  résultat 
d'un  même  phénomène  dynamique.  La  plus  importante  com- 
mence près  de  la  colonne  Lamoricière,  s'étend  vers  l'E.  par 
le  champ  de  tir,  le  camp  romain  et  Aïn-Nazereg  et  se  termine 
à  la  limite  du  bassin  de  l'Oued  Saïda,  c'est-à-dire  au  col 
traversé  par  le  chemin  de  grande  communication  n"  48.  La 
seconde  qui  semble  le  prolongement  de  la  première,  se  déve- 
loppe autour  du  D.  Irnem  en  décrivant  une  vaste  courbe  dont 
les  extrémités  sont  appuyées  à  l'E.  au  D.  Amrous  et  à  l'O.  au 
moulin  Flinois.  Le  terrain  compris  dans  la  courbe  se  nomme 
Cirque  de  Saïda. 

Le  tracé  curviligne  de  ces  failles,  le  peu  de  netteté  des 
surfaces  de  séparation,  la  présence  d'eaux  de  sources  abon- 
dantes au  niveau  le  plus  bas  du  denivellement  indiquent  que 
le  fléchissement  du  sol  est  lié  à  l'érosion  des  eaux  plutôt  qu'à 
des  actions  le  rattachant  de  près  ou  de  loin  à  la  dynamique 
interne. 

Cette  dernière  cause  ne  saurait  être  absolument  écartée;  il 
existe,  en  etfet,  des  roches  éruptives  non  loin  de  là,  puisque 
les  marnes  des  gorges  de  l'Oued  Tifrit  ont  été  métamorphisées 
à  leur  contact.  Si  une  éruption  s'est  manifestée,  probablement 
à  l'époque  tertiaire,  à  moins  de  25  kilomètres  de  Saïda,  n'est-il 
pas  rationnel  d'admettre  que  ses  effets  se  sont  étendus  jusqu'à 
cette  région?  On  peut  également  admettre  l'hypothèse  d'un 
effondrement  de  voûtes  pratiquées  par  les  eaux  souterraines 
dans  un  sol  déjà  disloqué  sous  l'intkience  de  roches  cristallines 
issues  des  profondeurs.  Quoiqu'il  en  soit,  la  première  faille 
résulte  de  l'alfaissement  du  terrain  sur  la  lèvre  septentrionale. 


DE   LA    RÉGION    DE   SAÏDA  473 

Le  maximum  du  denivellement  atteint  60  mètres,  c'est-à-dire 
toute  l'épaisseur  du  banc  dolomitique,  entre  les  gorges  de 
l'Oued  iMessaour  et  Aïn  Nazercg.  (Voir  la  coupe  n"  1.)  La 
situation  de  la  hauteur  voisine,  cotée  1000,  en  atteste  l'impor- 
tance. Cette  croupe  prolongeait  autrefois  la  colline  de  Meriem 
restée  à  son  niveau  primitif;  actuellement  la  roche  dolomitique 
du  camp  romain  domine  au  S.  les  marnes  oxfordiennes  du 
sommet  de  la  coupe  iOOO,  ce  qui  est  anormal.  (Voir  la  coupe 
no  1,  page  482.) 

La  discordance  entre  les  strates  situées  sur  les  deux  lèvres 
de  la  faille  détermine  les  eaux  souterraines,  glissant  sous  la 
dolomie  et  venant  du  S.  E.  par  l'elïet  de  l'inclinaison  des 
couches  géologiques,  à  se  rassembler  dans  la  faille  pour  jaillir 
à  proximité  sous  forme  de  sources  ;  mais  l'action  dissolvante 
de  ces  eaux  chargées  d'acide  carbonique  sur  les  roches  calcaires 
baignées  amène  un  abaissement  constant  du  niveau  de  l'eau 
et  la  formation  de  nouveaux  seuils  de  sortie  de  plus  en  plus 
abaissés.  C'est  à  cette  cause  qu'il  faut  attribuer  la  l'ormation 
des  sources  qui  sourdent  à  plusieurs  kilomètres  de  la  faille, 
dans  la  vallée  de  l'Oued  Nazereg  et  la  diminution  lente  et  pro- 
gressive du  débit  des  sources  situées  dans  la  zone  la  plus  élevée. 

Le  cirque  de  Saïda  est  pour  certains  géologues  un  bas  fond 
de  la  mer  oxfordienne  et  la  ceinture  de  roches  environnantes 
une  falaise  de  la  même  mer.  Les  sédiments  du  D.  Irnem 
se  seraient  déposés  dans  ce  bas  fond  de  la  même  manière  que 
ceux  des  hauteurs  voisines  de  même  origine  sans  qu'il  se  soit 
produit  de  faille. 

M.  Velsch  estime,  au  contraire,  qu'une  faille  s'est  formée 
postérieurement  au  dépôt  de  l'oxfordien.  Pour  nous,  le  cirque 
avec  sa  ceinture  de  falaises  est  le  résultat  d'un  fléchissement  ac- 
cidentel du  sol  causé  par  l'atiouillement  des  eaux  souterraines. 

Le  D.  Irnem,  miné  à  la  base  vers  TE.,  a  participé  au 
mouvement  d'atïaissement,  aussi,  les  plans  déterminés  par  les 
divers  sédiments  de  cette  élévation  sont  à  une  altitude  infé- 
rieure de  60  mètres  environ  aux  plans  correspondants  des 
hauteurs  voisines.  (Voir  la  coupe  n°  2,  page  474). 

L'examen  des  hautes  falaises  du  cirque  permet  de  constater 
que  : 


474  ESSAI  SUR  l'hydrologie  et  la  géologie 

A  l'Est.  —  Les  strates  de  la  dolomie  et  de  l'éperon  du  vieux 
Saïda  ont  une  pente  normale  et  que  la  falaise  a  été  produite 
par  une  cassure  nette  de  la  roche. 

A  l'Ouest.  —  Le  plissement  des  couches  dolomitiques  au  S. 
du  moulin  Flinois  indique  un  mouvement  de  torsion  suivi  de 
rupture  par  défaut  de  flexibilité  de  la  roche. 

Au  Sud.  —  Les  assises  gréseuses  oxfordiennes  n'ont  subi 
que  de  légers  déplacements  en  raison  de  leur  situation  sur 
une  ligne  qui  a  été  la  charnière  du  mouvement. 

Les  trois  coupes,  ci-après,  exécutées  d'après  le  profil 
A.  B.  G.  D.  E.  (Voir  la  carte)  aux  divers  moments  qui  ont  pré- 
cédé, accompagné  et  suivi  la  formation  du  cirque  de  Saïda 
faciliteront  la  compréhension  de  notre  hypothèse. 

Coupe  N'^î.  —  Configuration  du  Terrain  avant  le  fléchissement 

Le  banc  dolomitique  se  prolonge  sans  interruption  du  bord 
oriental  au  bord  occidental  du  cirque.  Les  pians  déterminés 
par  les  divers  sédiments  du  D.  Irnem  correspondent,  en  tenant 
compte  de  l'inclinaison,  aux  plans  des  couches  similaires  de 
l'Abd-el-Krim,  montagne  la  plus  voisine  à  l'O. 

Coupe  N°  2.  —  Configuration  du  Te.rain  après  le  fléchissement 

Le  travail  des  eaux  souterraines  a  produit  d'immenses  cavi- 
tés sous  le  banc  dolomitique  ;  puis  les  voûtes  ont  cédé  en  en- 
traînant le  sol  extérieur  et  en  ouvrant  de  larges  crevasses  sur 
les  contours  de  la  zone  d'affaissement.  Toute  la  partie  E.  du 
D.  Irnem  a  participé  au  mouvement  général  et  le  sommet 
de  cette  hauteur  s'est  abaissé  de  60  ■"  environ. 

Coupe  AT"  S.  —  Etat  actuel  du  Terrain 

Les  agents  atmosphériques  ont  élargi  et  approfondi  les 
crevasses,  raviné  et  corrodé  les  pentes,  enlevé  et  détruit  les 
quartiers  de  roches  ébranlé  ■;.  L'éperon  du  vieux  Saïda,  compris 
entre  deux  crevasses  qui  se  coupent  bOus  un  angle  aigu,  reste 
isolé  et  les  couches  rocheuses  de  son  soubassement  semblent  se 
prolonger  sans  transition  sous  les  argiles  bariolées  du  D.  Irnem 


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de  la  région  de  saïda  475 

Particularités  sur  les  terrains  callovo-oxfordiens 

Les  sédiments  oxfordiens  portent  rempreinte  de  secousses 
violentes  du  sol. 

Dans  l'Abd-el-Krim  et  son  contrefort  le  Kerdad  on  relève  la 
trace  de  trois  coupures  perpendiculaires  à  la  ligne  de  faîte. 

Les  hauteurs  de  Siour  et  de  Menha,  autrefois  réunies,  ont 
été  séparées  par  une  convulsion  du  sol.  .     ■ 

Particularités  sur  les  terrains  coralliens 

Le  plateau  couronnant  les  hauteurs  de  K'  Tine,  Djebel-el- 
Hassem,  Doumat  et  Kebach  (S.  E.  de  Saïda)  est  formé  de 
graviers  et  de  sables  mélangés  à  des  fragments  de  dolomie,  de 
calcaire,  de  silex  et  à  des  globules  de  limonite.  Cette  consti- 
tution hétérogène  présente  quelque  analogie  avec  la  nature 
des  éléments  répandus  dans  les  grès  friables  de  la  base  du 
Corallien  ;  l'on  peut  donc  rattacher  ces  terrains  avec  d'autant 
plus  de  certitude  à  cette  formation  qu'ils  se  trouvent  par  leur 
altitude  à  1150  mètres  sur  le  prolongement  du  plan  inférieur 
de  l'assise.  Ce  serait  un  rivage  de  la  mer  corallienne  ou  les 
débris  roulés  des  formations  antérieures,  remaniés  et  en  partie 
dissous  par  les  eaux  météoriques,  n'auraient  laissé  à  la  surface 
que  des  fragments  peu  solubles  et  principalement  des  rognons 
de  silex.  Quant  aux  calcaires  lithographiques,  qui  se  montrent 
sur  quelques  points,  ils  ont  été  formés  à  l'intérieur  du  sol  par 
les  eaux  de  pénétration  tenant  en  dissolution  le  calcaire  des 
couches  superficielles. 

Il  est  évident  que  l'hypothèse  d'une  formation  postérieure 
au  Corallien  doit  être  écartée,  car  tout  dépôt  de  ce  genre 
aurait  recouvert  les  sédiments  voisins  plus  anciens  et  par 
conséquent  la  dolomie  de  la  rive  droite  de  l'Oued  Hadjar. 

La  disposition  et  la  composition  de  ces  terrains  peut  être 
étudiée  avec  fruit  dans  la  large  brèche  qui  sépare  le  K^  Tine 
du  Djebel-el-Hassem. 


476  ESSAI  SUR  l'hydrologie  et  la  géologie 

Nous  avons  expliqué  dans  l'Hydrologie  la  présence  de 
quelques  sources  temporaires  situées  à  la  base  de  ces  terrains 
par  la  facilité  avec  laquelle  les  matières  désagrégées  qui  le 
composent  se  laissent  pénétrer  par  l'eau  météorique  et  la 
propriété  qu'elles  possèdent  de  la  retenir  dans  les  interstices 
de  leurs  éléments. 


DE   LA   RKGION   DE   SAÏDA  477 


CHAPITRE     III 


Géomorphogénie 


Caractère  des  hauteurs 

Au  moment  de  Témergence  du  sol  de  Saïda  au-dessus  des 
mers  secondaires,  fait  provoqué  par  le  soulèvement  lent  et 
progressif  de  l'écorce  terrestre,  ou  par  le  retrait  des  eaux  dans 
des  abimes  plus  profonds,  ce  sol  était  formé  de  couches  sédi- 
mentaires  uniformément  disposées  et  plissées  en  de  larges 
ondulations.  Aussitôt  l'action  des  agents  atmosphériques  inter- 
vient et  l'eau  météorique,  le  plus  actif,  ravine,  dénude  et  ravage 
les  couches  sédimentaires  en  faisant  sentir  ses  principaux, 
effets  sur  les  lignes  de  plus  faible  résistance.  Les  eaux  s'intro- 
duisent aussi  dans  le  sol  à  la  faveur  des  fissures  et,  par  un 
travail  incessant  de  dissolution  sur  les  roches  inférieures,  pré- 
parent l'effondrement  de  vastes  territoires.  L'immense  dénu- 
dation  effectuée  par  les  eaux  pendant  des  siècles  met  à 
découvert  les  couches  inférieures  du  sol  et  prépare  au  géologue 
un  immense  champ  d'observation  qui  lui  permettra  de  recons- 
tituer l'histon-e  du  globe  et  des  êtres  qui  s'y  sont  succédé.  La 
région  de  Saïda  formée  de  sédiments  argileux  tendres,  friables 
et  facilement  délayables  alternant  avec  des  bancs  rocheux  durs 
et  compactes  a  reçu  sous  l'influence  de  l'usure  du  temps  un 
faciès  particulier. 

Nous  avons  vu  que  le  sommet  des  hauteurs  de  la  rive  gau- 
che de  l'Oued  Saïda  était  couronné  par  les  bancs  rocheux  du 
corallien  sous  forme  de  hauts  plateaux  à  bords  escarpés.  Ces 
roches,  par  leur  résistance  aux  intempéries,  ont  constitué  un 
toit  protecteur  aux  assises  inférieures. 

Le  sédiment  de  marne  argileuse  situé  immédiatement  au- 


478  ESSAI   SUR  L'ilYDROLOGIli   ET  LA   GÉOLOGIE 

dessous,  entamé  à  mesure  que  les  bords  du  toit  s'écroulent 
n'offre  de  tous  cotés  que  des  talus  à  pentes  raides. 

Le  second  banc  rocheux  placé  sous  la  marne,  ayant  été  plus 
longtemps  protégé  que  celui  du  sommet,  offre  une  surface  plus 
large  et  constitue  un  premier  gradin. 

Il  en  est  de  même  pour  tous  les  autres  bancs  rocheux  jus- 
qu'à la  base  do  la  moniagne,  chacun  d'eux  constituant  un 
gradin  ;  en  sorte  que  les  lianes  de  la  montagne  sont  disposés 
en  terrasses  successives  du  sommet  à  la  base. 

Les  talus  escarpés  correspondent  aux  sédiments  marneux  et 
les  paliers  cultivables  aux  assises  rocheuses. 

Ces  hauteurs  et  les  contreforts  qui  s'en  détachent  consti- 
tuent des  séries  de  positions  défensives  redoutables. 

Le  fond  des  ravins  est  Iréquemment  obstrué  par  les  quartiers 
de  roches  tombés  des  assises  supérieures. 

Les  terrains  marneux  de  la  rive  droite  de  l'Oued  Saida,  non 
recouverts  d'une  roche  protectrice,  ont  été  enlevés  en  grande 
partie  Aussi,  la  dolomie  bathonienne  apparait-elle  à  découvert 
sur  de  larges  surfaces. 

Caractèrk  des  vallées 

Tous  les  divers  types  de  vallées  sont  représentés  dans  la 
région  saidéenne  ;  la  vallée  d'érosion  est  la  forme  la  plus 
habituelle. 

Le  seul  cas  de  vallée  de  plissoneat  est  la  haute  vallée  de 
l'Oued  Saida  jusqu'au  marabout  de  Sidi-Maamar.  A  ce  point 
s'ouvre  une  gor'ge  de  fracture  de  plus  de  2  kilomètres  de 
longueur,  sinueuse,  étroite  et  à  flancs  roclieux  inaccessibles. 

Les  vallées  d'érosion  présentent  différents  caractères  et 
varient  d'aspect  suivant  qu'elles  ont  été  creusées  : 

[o  Dans  des  terrains  argileux  ; 

^o  Dans  des  terrains  argileux  coupés  par  des  bancs  rocheux 
parallèles  et  à  peu  près  horizontaux  ; 

3"  Dans  des  bancs  rocheux. 

L  —  Les  terrains  argileux  de  la  haute  vallée  de  l'Oued  Saïda, 
en  amont  d'Aïn-el-Hadjar,  sont  facilement  détrempés  et  enlevés 


DE  LA    RÉGION   DE   SAIDA  479 

par  les  eaux  do  pluio  dont  l'action  destructive  est  proportion- 
nelle à  rintensilé  de  la  pente  du  sol.  En  conséquence,  les 
flancs  des  vallons  ravinés  plus  rapidement  que  les  lignes  de 
faîte  des  croupes  présentent  un  accès  plus  facile  que  toutes  les 
autres  directions  du  terrain.  Le  prolil  des  thalwegs  accuse  une 
pente  très  raide  dans  le  premier  tiers  de  la  longueur  des 
ravins,  cette  pente  diminue  ensuite  très  rapidement  et  se 
rapproche  de  l'horizontale. 

II.  —  Les  bancs  argileux  avec  intercallation  de  bancs  rocheux 
parallèles  sont  à  considérer  suivant  que  le  profil  des  thalwegs 
est  longitudinal  ou  perpendiculaire  aux  strates  du  sol. 

Le  premier  cas  est  particulier  aux  vallées  principales  ou  de 
contact  creusées  sur  des  lignes  de  moindre  résistance  formées 
par  des  sédiments  juxtaposés  ou  imbriqués  et  d'inégale  dureté. 
La  vallée  de  l'Oued  Saïda,  dans  la  partie  en  aval  de  la  ville  du 
même  nom,  appartient  à  cette  catégorie.  Le  lit  de  la  rivière 
s'est  déplacé  peu  à  peu  vers  l'O.  ;  aussi,  la  rive  droite  est 
basse  et  plate  tandis  que  la  rive  gauche  est  haute  et  escarpée. 

Le  second  cas  s'applique  aux  vallées  secondaires  descendant 
d'un  terrain  supérieur  et  comprend  tous  les  ravins  de  la  rive 
gauche  de  l'Oued  Sa'ida  tributaires  de  cette  rivière. 

La  direction  de  ces  ravins  est  sensiblement  perpendiculaire 
aux  sédiments.  Quant  aux  flancs,  ils  sont  taillés  en  forme  de 
gradins  successif;  le  haut  du  gradin  est  occupé  par  le  banc 
rocheux  et  la  rampe  de  raccordement  d'un  gradin  à  l'aatre  est 
formée  par  la  terre  argileuse  toujours  à  pente  fort  raide. 

III.  —  Le  banc  rocheux  de  la  dolomie  bathonienne  est 
creusé  par  les  ravins  de  la  rive  droite  de  l'Oued  Saïda  en  amont 
de  la  ville.  Le  premier  travail  de  creusement  s'est  accompli  à 
la  faveur  de  tissures  primordiales  que  l'eau  a  progressivement 
élargies  par  l'action  dissolvante  de  l'acide  carbonique  dissous 
et  par  la  désagrégation  mécanique  des  parois.  Les  gorges 
profondes,  étroites  et  sinueuses  de  ces  ravins  sont  bordées  de 
hautes  falaises  de  roches  à  pic  infranchissables. 


480  ESSAI  SUR  l'hydrologie  et  la  géologie 


CHAPITRE     IV 


Minéralogie 


Les  minéraux  de  la  région  de  Saïda,  sont  : 

La  limonite  ou  oxyde  de  fer  hydraté; 
La  galène  ou  sulfure  de  plomb  ; 
La  baryline  ou  sulfate  de  barium  ; 
Le  gypse  ou  sulfate  de  calcium. 

Limonite 

La  limonite  ou  oxyde  de  fer  hydraté  est  répandue  en  masses 
irrégulières  dans  les  bancs  dolomitiques  bathoniens  et  princi- 
palement dans  celui  qui  borde  le  ravin  d'El-Bouck,  près  du 
moulin  Flinois. 

Ce  minéral  provient  de  la  transformation  par  épigénie  de  la 
pyrite  de  fer.  Quelques  échantillons  ont  conservé  la  forme  cu- 
bique où  contiennent  encore  au  centre  de  la  pyrite. 

Galène 

La  galène  ou  sulfure  de  plomb,  associée  le  plus  souvent  à 
la  limonite,  se  rencontre  à  l'état  de  mouchetures  dans  la  dolo- 
mie  ;  elle  n'a  donné  à  l'analyse  aucune  trace  d'argent.  Des 
sondages  ont  été  opérés  sans  résultat,  il  y  a  quelques  années, 
dans  le  ravin  d'El-Bouck,  pour  rechercher  des  filons  exploi- 
tables. 

La  présence  de  la  vanadinite  ou  vanadiate  de  plomb  aurait 
été  signalée  dans  les  gorges  du  ravin  d'El-Bouck,  ainsi  que 
celle  de  lapyromorphite  ou  phosphate  de  plomb  au  fond  d'un 
puits  de  sondage  pratiqué  sur  le  bord  de  la  route  de  Géryville 


DE  LA   RÉGION   DE   SAÏDA  481 

il  hauteur  du  terraiu  de  mano'uvre.  Nos  recherches  à  ce  sujet 
sout  restées  infructueuses. 

Barytine 

La  barytine  ou  sulfate  de  bariuin  existe  à  l'état  de  filons 
dans  la  dolomie  bathonienne  ;  l'un  de  ces  filons  émerge  du  sol 
à  quelques  mètres  au  S.  de  l'enceinte  du  vieux  Saïda  ;  un 
deuxième  à  l'origine  du  vallon  d'El-Hamra.  Les  échantillons 
recueillis  sont  mélangés  à  du  calcaire  et  à  de  l'oxyde  de  fer. 

Gypse 

Le  gypse  ou  sulfate  de  calcium  est  répandu  en  volumineux 
cristaux  dans  les  marnes  oxfordiennes. 


Nota.  —  Nous  avons  découvert  un  bloc  de  granit  dans  les 
alluvions  du  ruisseau  d'El-Bouck.  Selon  foute  vraisemblance 
ce  fragment  doit  provenir  de  la  vallée  de  Tifrit  où  cette  roche 
apparaît. 


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Echelle  des  Haulsurs -p-^ 


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1000 __ IQQO'^ 

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20000 


Echelle  des  Disiances i 

50000 


Qcyiihc^  Je  ^  M\'i<pxi\X.  JKL . 


TABLE  DES  CHAPITRES 


Pr'em.ièjre  Partie 


H^r>I^OLOGIE: 


Généralités 431 

Chapitre  I.  Rôle  de  l'acide  carbonique  dissous   dans  les 

eaux  iiiétéoi'iques 4o? 

Chapitre  II.  Régime  d(?s  sources  des  environs  de  Saïda.    .     4"^5 

Origine  et  débit  des  sources 435 

Régime  des  sources  situées  sur  la  rive  droite 
de  l'Oued  Saïda  et  dans  le  vallon  de  l'Oued 
Nazereg '139 

Régime  des  sources  situées  sur  les  versants 
du  Djebel-el  Hassem  et  Donmat  Kebach     .     ''j'r2 

Chapitre  III.  Eaux  de  la  région  de  Saïda  au  point  de  vue  de 

l'alimentation 4'i3 

Eaux  de  sources 444 

Eaux  de  puits 445 

Eaux  thermales 447 

Tableau  d'analyses  des   eaux  de   sources    de 

Saïda  et  de  ses  environs 450 

Tableau  d'analyses  des  eaux  thermales   des 

environs  de  Saïda 454 


Deuxième  Paiftie 


OEJOLOGIE 


Généralités 457 

Chapitre  I.  Stratigraphie 459 

Assise  oolithique  inférieure  ;  description  de 
l'étage  bajoco-bathonien  ;    physionomie  du 

terrain  ;  âge  géologique 459 

Assise  callovo-oxfordienne  ;  fossiles  ;  descrip- 
tion de  l'étage  ;  physionomie  du  terrain.    .  464 

Assise  corallienne  ;   fossiles  ;   description  de 

l'étage  ;  physionomie  du  terrain 4G6 

Carapaces  calcaires  et  tufs  calcaires 468 

Tableau  des  assises  géologiques 470 

Tableau  des  fossiles 471 

Cha-Pitre  II.  Tectonique 472 

Particularités   sur  les   terrains  bajoco-balho- 

niens 472 

Particularités  sur  les  terrains  callovo-oxfor- 

diens 475 

Particularités  sur  les  terrains  coralliens  .   .    .  475 

Chapitre  III.  Géomorphogénie 477 

Caractère  des  hauteurs 477 

Caractère  des  vallées '.   .  478 

Chapitre  IV.  Minéralogie 480 

Coupes  principales  du  terrain 482 

Carte  géologique  des  environs  de  Saida  .    .   .  4s2 


NOTICE 

sur  les  fouilles  exécutées  dans  les  ruines  de  Portus-Magnus 
par  les  soins  de  M.  Georges  SIMON 


M.  Georges  Simon,  membre  de  notre  Société,  vient  de 
faire  pratiquer  à  ses  frais,  par  un  détachement  de  40  prison- 
niers militaires,  des  fouilles  dans  les  ruines  de  Portus-Magnus, 
situées  à  quelques  kilomètres  seulement  de  sa  propriété  des 
Hamyans,  l'un  des  plus  beaux  domaines  de  l'Algérie.  Ces 
recherches  poursuivies  pendant  15  jours  dans  Tunique  but 
d'enrichir  de  nouveaux  spécimens  les  collections  d'objets 
antiques  du  Musée  d'Oran,  qui  lui  doit  déjà  d'importantes 
séries  monétaires  fl),  ont  produit  une  abondante  récolte.  Elles 
auraient  été  plus  fructueuses  encore  s'il  avait  pu  les  entre- 
prendre vers  la  partie  centrale  de  l'antique  cité,  dans  les 
terrains  voisins  du  forum,  découvert  et  déblayé  en  partie  il  y 
a  trois  ans,  mais  il  a  dû  y  renoncer  en  présence  des  prétentions 
peu  acceptables  des  propriétaires  de  ces  terrains. 

Les  objets  recueillis  proviennent  de  deux  nécropoles  de 
l'époque  romaine  situées  près  de  l'enceinte  de  l'ancienne 
ville  et  de  trois  autres  emplacements  où  l'on  n'a  trouvé 
aucune  trace  de  sépulture. 

Voici  la  description  de  ces  objets  : 

1"  Une  stèle  néo-punique.  —  Cette  stèle  (planche  A)  a  été 
découverte  dans  le  terrain  de  M.  Eugène  Roubineau,  de 
Saint-Leu,  à  l'intersection  du  chemin  de  Saint-Leu  et  de 
la  grande  route  d'Oran  à  Moslaganem,  où  l'on  avait  exhumé 


*(1)  Entre  autres,  les  monnaies  en  argent  des  Volsques,  Tectosages  et 
toutes  les  monnaies  consulaires  en  argent,  etc.,  etc. 


10 


48G        NOTICE  SÛR  LES  FOUILLES  DES  RUINES  DE  PORTUS-MAGNUS 

précédemment  les  deux  stèles  qui  sont  encore  chez  M.  Rou- 
bineau,  à  Saint-Leu  (planche  B,  n'^s  [  et  2). 

Une  autre  stèle  représentant,  en  haut  relief,  un  homme 
en  longue  tunique  entre  deux  chevaux,  reproduite  ici  (plan- 
che C)  et  trouvée  au  sud  du  village,  près  de  l'endroit  d'où 
proviennent  les  épitaphes  des  cavaliers  des  ÂL.E,  actuehement 
au  Musée,  n^^  71  et  72  du  catalogue  du  Musée  d'Oran. 

2"  Onze  urnes  cinéraires  (Olla  cineraria).  —  C'est  au 
même  endroit  et  à  des  profondeurs  variant  entre  0  '»  40  et  0  '"  50 
seulement  au-dessous  du  niveau  du  sol  qu'ont  été  trouvées 
ces  urnes,  qui  font  l'objet  de  la  planche  D.  Elles  étaient  placées 
dans  des  entailles  ou  trous  pratiqués  dans  un  banc  horizontal 
du  tuf.  Leur  hauteur  varie  entre  17  et  9  centimètres.  Elles  sont 
en  poteries  rougeàtres  ou  grises  de  pâte  assez  gr-ossière, 
couvertes  les  unes  d'une  simple  patère  retournée,  les  autres 
d'un  couvercle  avec  bouton  à 'tige  cylindrique.  Quatre  sont 
munies  d'une  anse.  Cinq  contiennent  encore  des  cendres  et 
des  os  calcinés,  les  autres  sont  vides  et  semblent  n'avoir 
jamais  contenu  ni  cendres  ni  ossements. 

Une  foule  d'autres  urnes  avaient  été  déposées  dans  cette 
nécropole,  mais  elles  étaient  brisées  en  mille  pièces.  A  quelle 
époque  appartient  ce  colombaire?  On  sait  que  l'usage  de  la 
crémation  date  delà  fin  de  la  République  romaine  et  qu'elle 
devint  de  plus  en  plus  rare  à  partir  du  siècle  des  Antonins. 
C'est  donc  antérieurement  à  cette  dernière  époque  que  nos 
urnes  y  ont  été  placées. 

3»  Quarante-une  lampes  de  l'époque  païenne,  —  Ces 
lampes  proviennent  en  grande  partie  d'un  champ,  situé  à 
200  mètres  au  S.  0.  des  ruines  de  Portus  Magnus,  où  l'on  a 
mis  à  découvert  plusieurs  tombes  creusées  dans  un  sol  très 
compact  ou  dans  le  tuf  Les  couvercles  de  ces  tombes  se 
composaient  de  grandes  pierres  plates  non  taillées.  Quelques 
lampes  proviennent  de  fouilles  faites  dans  le  jardin  d'un  ancien 
lieutenant  de  tirailleurs,  à  l'Ouest  des  ruines,  au  sommet  de  là 


NOTICE  SUR  I,ES  FOUILLES  DES  RUINES  DE  PûUTUS-MAGNUS         'iHl 

colline  qui  descend  vers  la  meu  ;  deux  autres  enfin,  d'un 
emplaceinentsituéà  l'Ouest  des  ruines  et  voisin  des  premières 
maisons  de  Saint-Leu. 

En  voici  la  description  : 

1 .  Lanip(>  en  terre  rouge  tine  et  légère,  ronde,  sans  anneau. 

Sujet  :  Génie  ailé  marchant  à  gauche  et  portant  une 
énorme  couronne.  —  Rv.  Marque  en  relief  en  forme 
de  croix  et,  au-dessous,  quelques  points  dans  un 
rectangle. 

D.  1[^^.  (Planche  E.,  no  1). 

2.  Lampe  en   terre  rouge,  vernissée,  assez  lourde,  ronde, 

sans  anneau,  bec  large  et  long  avec  volutes.  Sujet  :  Bige 
courant  à  gauche.  Son  conducteur  excite  ses  chevaux:  du 
fouet.  —  Rv.  Double  cercle  concentrique. 
D.  79""".  (Planche  E,  n"  2.) 

3.  Fragment  de  lampe  en  terre  rougeâtre  avec  son  anneau, 

décoré  d'un  quadrige  courant  à  droite.  Le  conducteur, 
dont  la  cassure  a  emporté  la  moitié  du  corps,  porte  une 
longue  palme  dans  la  main  gauche, 

4 .  Lampe  à  deux  becs  ornés  de  trois  volutes  (lucerna  hilycnis), 

terre  rouge,  disque  bordé  d'un  double  filet.  Sujet  : 
xiutel  d'où  sort  un  serpent  entre  deux  oliviers.  Queue 
triangulaire  décorée  de  palmettes.  —  Rv.  Traces  de 
lettres. 

Long.  167  "ini,  larg.  74  "'"^ 

5.  Lampe  du  même  type.  Sujet  :  La  Fortune  debout  à  gauche 

tenant  un  gouvernail  et  une  corne  d'abondance.  Queue 
triangulaire  avec  palmette. 

Long.  169  "'"',  larg.  76™"'.  (Planche  E,  n°  3.) 

6.  Lampe  du  même,  type.   Sujet:   Tête  de  Mercure  accostée 

d'une  bourse  et  d'un  caducée.  Queue  brisée. 
(Planche  E,  n»  4.) 


488        NOTICE  SUR  LES  FOUILLES  DES  RUINES  DE   PORTUS-MAGNUS 

7.  La  même  lampe.  Queue  brisée. 

8.  Lampe  en  terre  blanche,  très  lourde,  ronde,  avec  anneau. 

Sujet  :  Génie  ailé  sur  une  roue  traînée  par  deux  dragons. 
—  Rv.  Double  cercle  concentrique. 

0.75™'". 

9.  Partie  supérieure  d'une   lampe   en    terre  grise,    ronde. 

Sujet  :  Eléphant  marchant  à  gauche  sur  lequel  est  assis 
un  personnage  tête  et  jambe  nues,  yètu  d'une  tunique  à 
plis  et  tenant  un  fouet  (?)  de  la  main  droite.  Oves  au 
pourtour. 

D.  90  "1111. 

10.  Lampe  en  terre  blanchâtre,,  assez  légère,   ronde,  avec 

anneau,  bec  orné  de  volutes.  Sujet  :  Cerf  fuyant  à  droite. 
Rv.  Dans  un  cercle  la  lettre  punique  P  en  relief. 
(Planche  E,  n»  5.) 

11.  Dessus  de  lampe  dont  le  médaillon  bien  conservé  est  orné 

d'une  fem,me  nue,  les  jambes  croisées,  tenant  de  la  main 
droite  un  vase  {olpé),  dont  elle  verse  le  contenu  dans 
un  vaste  bassin  à  long  pied  cylindrique,  sur  lequel  elle 
s'appuie  de  la  main  gauche. 

(Planche  F,  n"  1.) 

12.  Dessus  de  lampe   dont  le  médaillon  en  partie  brisé  et 

assez  fruste  présente  une  femme  nue  et  des  suivantes 
également  nues,  peut-être  Diane  surprise  au  bain 
par  Actéon. 

(Plancher,  no  2.) 

13.  Lampe  en  terre  rouge  assez  fine,  ronde,  avec  anneau  et 

bec  de  18"'f"de  long.  Sujet:  Buste  d'un  persoyinage 
barbu,  en  cheveux,  de  profil  à  droite,  —  Rv.  Traces  de 
lettres. 

(Planche  F,  n»  3.) 


NOTICE  SrU  LES  FOT'ILLES  DES  RVINES  DE  PORTrS-MACNUS        489 

14.  Lampo  en  terre  blanchâtre,  lourde,  ronde,  avec  anneau. 

Sujet  :  Vir  et  fcm'ma  quadnij}c^,  nudi,  in  lecto.  Rv. 
Cercle. 

D.  73  """. 

15.  Lampe  en   tsrre  grisâtre,   lourde,  ronde,  avec  anneau. 

Sujet  :  Personnage  "portant  sur  son  épaule  une  perche 
aux  deux  extrémités  de  laquelle  est  suspendu  un  objet 
indistinct.  —  Rv.  Cercle. 

D.  75'"'". 

16.  Lampe  en  terre  grossière  gris  noir,  ronde,  anse  brisée. 

Sujet  :  Tète  du  soleil  entourée  de  rayons. 
D.  72""".  (Planche  F,  no4) 

17.  Lampe  en  terre  rougeàtre,  ronde,  avec  anneau.  Sujet  : 

Lion  courant  à  droite. —  R^v.  Double  cercle  concentrique. 
D.  72  mm.  (Planche  F,  no  5.) 

18.  Lampe  en  terre  rouge  brun,  ronde,  avec  anneau  incom- 

plètement foré.  Sujet  :  Oiseau  becquetant  sur  un  olivier. 
—  Pvv.  Cercle.     . 

D. 6imm 

19.  Lampe  en  terre  rougo  fine,  rondo,  avec  anneau.  Sujet  : 

Trois  cornes  d'abondance  entrelacées.  —  Rv.  Dans  un 
cercle,  la  marque  L  FEDISEC. 

20.  Petite  lampe  en  terre  noirâtre,  ronde,  avec  anneau.  Sujet  : 

Deux  palmes.  —  Rv.  Double  cercle  concentrique. 
D.  53  "!'". 

21 .  Dessus  de  lampe  en  terre  grise,  ronde.  Sujet  :  Deux  palmes 

et  une  couronne. 

22.  Dessus  de  lampe,  ronde,  avec  anneau.  Sujet:    Une  cou- 

ronne de  laurier. 


490        NOTICE  SUR  LES  FOUILLES  DES  RUINES    DE  PORÏUS-MAGNUS 

23.  Petite  lampe   en  terre  rouge  avec  anneau.  Sujet:  Deux 

pahnes  se  rejoignant  par  le  haut.  —  Ptv.  Dans  un  cercle, 
la  marque  G.  CLO.  SVC. 

D.  65mm. 

24.  Petite  lampe  en  terre  grise,  ronde,  anneau  brisé,  disque 

orné  de  Deux  palmes  et  entouré  d'un  double  filet.  Oves 
au  pourtour.  —  Rv,  Cercles  concentriques. 
D.  54'"™. 

25.  Petite  lampe  en  terre  à  couverte  noire,  ronde.  Anse  brisée 

anciennement  et  dont  la  cassure  a  été  recouverte  de 
vernis  noir.  Sujet  :  Croissant  surmonté  d'une  étoile  à 
cinq  brandies.  —  Rv.  La  marque  C.  CLO.  SVC. 
D.  68"™. 

26.  Petite  lampe  du  même  type,  avec  anneau.  —  Rv.  C.  CLO. 

SVC. 

27.  Lampe  en  terre  noirâtre,  assez  légère,  ronde,  avec  anneau. 

Sujet  :  Eosace  à  35  rayons.  Oves  au  pourtour.  —  Piv. 

SERGPRIM. 

D.  7(3""". 

28.  Lampe  en  terre  rouge,  assez  fine,  ronde,  avec  anneau. 

Disque  orné  de  rayons.  —  PvV.  Cercles  concentriques. 
D.  78™™. 

29.  Lampe  en  terre  rouge,  fine,  avec  anneau  et  bec  long  de 

23  """.  Disque  orné  d'un  cercle  entouré  de  4i  rayons  et 
bordé  d'un  triple  filet.  —  Rv.  Cercle. 
D.  75°*". 

30.  Lampe  en  terre  noirâtre,  ronde,  avec  anneau.  Disque  uni 

entouré  d'un  double  filet.  Oves  au  pourtour. 
D.  74""°. 

31.  Petite  lampe  rouge  brun,  ronde,  avec  anneau.  Disque  uni 

entouré  d'un  double  filet.  Rameaux  au  pourtour. 
D.  54'""!. 


NOTICE  SUR  T.rs  FOTiILLES  DES  RUINES   DE  PORTITS-MAGNUS        491 

32  Petite  lampe  en  terre  grise,  rougeùlre,  ronde,  avec  anneau. 
Disque  orne  d'un  cercle  et  entouré  d'un  double  filet. 
Oves  au  pourtour. 

33.  Lampe  en  terre  grise  assez  légère,  ronde,  avec  anneau. 

Disque  uni  e.itouré  d'un  triple  filet  interrompu  vers  le 
bec.  Oves  au  pourtour.  —  Rv.  Dans  un  double  cercle,  la 
marque  SERGPRIM. 

D.  7G""n. 

34.  Lampe  du  même  type  en  terre  rougeàtre  assez  lourde.— 

Rv.  Même  marque  SERGPRIM. 

35.  Lampe  en  terre  rougeàtre  lourde,  ronde,  avec  anneau. 

Disque  uni  (brisé  au  centre),  entouré  d'un  double  filet. 
—  Rv.  Dans  un  cercle,  la  marque  AVFFRON. 
D.  63"i'i'. 

36.  Fragment  de  lampe  ronde  portant  la  marque  CARMERG. 

37.  Lampe  en  terre  rouge  assez  fine,  ronde,  avec  anneau.  Disque 

uni  entouré  d'un  filet. —  R\.  Double  cercle  concentrique. 
D.  71™'". 

38.  Lampe  en  terre  lourde,  gris,  brun,  ronde,  avec  anneau. 

Disque  uni  entouré  d'un  double  filet.  —  Rv.  Double 
cercle  concentrique. 

39.  Lampe  en  terre   blanchâtre  assez  lourde,   ronde,   avec 

anneau.  Disque  uni  entouré  d'un  filet.  —  Rv.  Cercle. 
D.  67 mm. 

40.  Petite  lampe  en  terre  noirâtre,  ronde,  avec  anneau.  Disque 

uni  entouré  d'un  double  filet.  —  Piv.  Cercle. 

])_  ^jO  mm 

41  Lampe  en  terre  grisâtre,  ronde,  avec  anneau.  Disque  îini 
entouré  d'un  double  filet.  —  Rv.  Dans  un  cercle,  la 
marque  :  L  FEDISEC. 

D.  74'^™. 


492         NOTICE  SUR  LES  FOUILLES  DES  RUINES  DE  PORTUS  MA.GNUS 

4°  Une  belle  amphore.  —  Cette  amphore,  dont  nous  don- 
nons ici  le  dessin,  mesure  0^95  de  hauteur.  Elle  a  été  trouvée 
dans  la  nécropole  aux  tombeaux,  debout  à  plus  de  deux  mètres 
au-dessous  du  niveau  du  sol. 


5°  Un  petit  vase  ln  terre,  du  même  type  que  ceux  trouvés 
dans  le  cimetière  des  officiales  à  Carthage  (Delattre.  Fouilles 
d'un  cimeùère  romain  à  Carthage  en  i8S8,  p.  12),  dans  la 
propriété  du  commandant  Archambeau,  près  de  Cherchell 
(Bullel.  de  la  Soc.  d'Oran,  année  1890,  p.  2G3,  f.  8)  et  àArbal 
(Catalogue  du  Musée  d'Oran,  n°  287).  Celui  de  Portus  Magnus 


Planche  A 


'•^-^-i 


Planche  C 


a 

■  a> 

c 

CL, 


Planche  E 


Planche  F 


Planche  G 


Planche  H 

MABOUES  CÉRAMIQUES  ROMAINES 

(Fouilles  de  Porlus-Magnus) 
±0   MA.RQUES    DE    LAMPES 

t 

[^    Lampe  n»  1. 


O    Lampes  n»»  14,  15,  18,  29,  39,  4U. 

Lampes  n°'  2,  8,  20,  37. 

jSj/  Lampes  n»»  24,  28. 

\l2y  Lampe  n»  10. 

AVFFRON  Lampe  n»  35. 

CARMERC  I^mpeno36. 

G.  GLO.  SVC  Lampes  n°«  23,  25,  26. 

LFEDISEG  Lampes  noH 9,  41. 

SERGPRIM  Lampes  n''^  27,  33,  34. 

2"  MARQUES   DE   PLATS.  —  §  7°  du  texte 

S  I  L  V  A  N  I 
R  0  I  P  V  M  E 

3»  MAB<^UES  DE  POTERIES.  —  §  8»  du  texte 

0  F     PARI 
OPIVLIRV? 
R  E  J3  0  N  I 
RV  FI  0 
A  F  A 
G  H  R  E 

DOM  I 
R  I  G  N  0  T 


NOTICE  SUR  LES  FOUILLES  DES  RUINES  DE  PORTUS-MAGNUS        403 

dont  le  dessin  r si  donné  (planche  G,  n"  1)  est  en  terre  rouge 
vernissée,  très  fine  et  mesure  137"""  de  long  et  81""'  de  haut. 

6»  Deux  bols  (patinae);  quatorze  pots  et  quatorze  patères, 
dont  les  différents  types  sont  représentés  planche  G,  appar- 
tiennent à  la  catégorie  des  poteries  communes  et  sans  orne- 
ments, sauf  cependant  deux  petits  pots  nos  2  et  3  et  deux 
patères  no=  4  et  5  qui  sont  en  terre  rouge  vernissée,  fine  et 
légère  et  de  fabrication  très  soignée. 

7"  Deux  plats  estampillés.  —  L'un  de  ces  plats  (n"  6), 
en  terre  rouge  fine,  vernie,  à  rebord  droit,  mesure  158  ^m  ^q 
diamètre  et  porte  au  fond  dans  un  grand  cercle  l'estampille 
SILVANI. 

L'autre,  du  même  type  que  le  précédent,  a  IfiO™"'  de 
diamètre  et  porte  la  marque  ROIPVME.     , 

8°  Sept  fragments  de  poterie  estampillés,  savoir  : 

Un  fragment  de  plat  marqué  OF.  PARI,  les  deux  dernières 
lettres  ne  sont  pas  certaines. 

Un  fragment  de  plat  portant  dans  un  rectangle  une  marque 
difficile  à  déchiffrer  :  OFIVLIRV/'? 

Un  fond  de  vase  orné  d'un  grand  cercle  au  centre  duquel, 
dans  un  cartouche  rectangulaire,  on  lit  l'estampille  REBONL 

Un  fond  de  vase  portant  dans  un  petit  cercle  la  marque 
RVFIO. 

Un  fond  de  vase  avec  la  marque  AFA?  dans  un  cercle. 
Les  lettres  sont  empâtées  et  brouillées. 

Les  fragments  qui  précédent  sont- de  pâte  rouge,  très  fine  et 
de  facture  soignée. 

Un  grand  fragment  de  doliuin  avec  lèvre  sur  laquelle  on  lit 
l'inscription  CHPiE  en  grandes  lellres  de  6  centimètres  faites 
au  doigt. 

Fragment  de  col  d'air.phore,  portant  en  lettres  en  relief  de 
13"'m  et  sur  deux  lignes,  la  marque 

DOMI 
ï\IGNOT 


494        NOTICE  SUR  LES  FOUILLES  DES  RUINES  DE  PORTUS-MAGNUS 

9»  Deux  fragments  historiés.  —  L'un  de  ces  fragments 
est  décoré  du  bœuf  Apis  debout,  à  droite,  auquel  un  adorateur 
offre  un  vase  du  genre  olpé. 

L'autre  est  orné  de  lièvres  fuyant  à  droite. 


Ces  débris  sont  de  poteries  rouges  vernissées,  très  fines  et 
de  style  gréco-égyptien. 

10°  Objets  en  os.  —  Un  style  à  pointe  et  aplati  à  l'autre 
bout.  On  sait  que  ce  genre  de  poinçon  servait  à  écrire  sur  des 
tablettes  recouvertes  d'une  couche  mince  de  cire.  On  employait 
la  pointe  pour  tracer  les  caractères  et  le  bout  plat  pour  faire 
les  corrections. 

Un  fragment  de  style. 

11°  Objets  en  verre. —  Trois  fioles  à  parfums  (ttngueniaria), 
—  Trois  cols  de  burettes,  munis  d'une  anse,  en  verre  recouvert 
d'une  matière  blanche  irisée.  —  Neuf  fragments  de  verre  blanc 
irisé  et  un  de  verre  bleu  indigo. 

12°  Objets  en  métal.  —  Une  petite  bague  en  or  dont  le 

chaton  porte  les  lettres  :  (  J 


I 


NOTICE  SUR  LES  FOUILLKS  DES  RUINES  DE  POUTUS-MAGNUS        495 

Une  petite  bague  de  bronze.  —  Un  objet  de  bron/c,  long  de 
78'""',  à  tête  de  clou  d'un  bout  et  terminé  do  l'autre  par  un 
large  anneau.  —  Dix  clous  de  bronze.  Sur  l'un  d'eux,  ti  es  bien 
conservé,  brille  encore  la  couleur  jaune  du  métal;  les  autres 
sont  complètement  oxydés. 

IS^*  Des  fragments  de  mosaïque  commune,  sans  intérêt, 
trouvés  au  bas  de  la  colline  de  Portus-Magnus,  du  côté  de  la 
mer,  dans  les  ruines  d'une  maison  romaine. 

14°  Six  grandes  briques  de  0"'20à  0^30  de  long,  faites 
à  la  main,  sans  marques. 

Dix  petites  briques  rectangulaires  de  O^OS  à  O'W'IO  de  long, 
trouvées  dans  une  fouille  entreprise  à  l'Est  du  village. 

150  Monnaies. 

CARTHAGINOISE 

Tête  de  Cerès  à  gauche  R,  busts  de  cheval  ('261  de  Cohen) 
(au  Musée). 

IMPÉRIALES   ROMAINES 

Tibère G.  B.  frappée  en  Zengitane  (245  de  Muller) 

—    M.  B.  Hippopotame  à  droite.  Frappée  en 

Egypte. 

Domitien M.  R.  447  de  Cohen. 

Trajan G.  B.  552.  » 

—     G.  B.  fruste. 

—     M.B.  fruste. 

Plotine G.  B.  Vesta  assise  à  gauche  tenant  le  Pal- 
ladium et  son  sceptre. 

Hadrien G.  B.  703  de  Cohen. 

—      G.  B.  800  » 

—      G.  B.  817  »         R.  Hilaritas  P.  R. 

—      G.  B.  fruste. 

—       M.B.  fruste. 

Faustine  mère.. .    .M.B.     51  de  Cohen. 
Marc-Aurèle M.B.  243  » 


496         NOTICE  SUR  LES  FOUILLES  DES  RUINES  DE  PORTUS-MAGKUS 

Commode G.  B.  272  de  Cohen. 

Maximin  G.  B.     76  »         R.  Providentia  AVG. 

Gordien  III G  B.  251  » 

—        244  » 

Tetricus  le  père. . .  P.  B.     95  » 

—  . . .  P.  B.  fruste. 

Claude  II P.  B.    50  de  Cohen. 

Constance  Chlore. .  P.  B.  335  » 

Maximin  IT  Daza.. .  M.  R.  150  » 

Constantin  le  Grand  M.B.  508  » 

—  M.B.  515  » 

—  P.  B.  454  » 

—  P.B.Q.  760  ))  R.VN.  MR. 

—  (CoDstantiflople)  P.  B.  454  » 
•       —      (Rome)     P.  B.    15          » 

Crispe P.  B.  31  » 

Constance  II M.  B.  44  » 

—         P.  B.  188  » 

Magnence M.  B.  68  » 

Constance  Galle. . .  P.  B.  9  » 

Gratien P.B.Q.  77  » 

Valentinien  II P.B.Q.  70  » 

Le  Musée  d'Oran  est  aujourd'hui  en  possession  de  tous  les 
objets  décrits  ci-dessus,  à  l'exception  toutefois  de  deux  des 
stèles  néo-puniques,  conservées  par  M.  Eugène  Roubineau, 
propriétaire  du  terrain  fouillé,  de  5  lampes  (no*  5, 9, 11 ,  16  et  35) 
offerte  par  M.  Simon  à  un  savant  venu  en  mission  archéolo- 
gique dans  la  province  d'Oran,  et  d'une  grande  partie  des 
monnaies,  abandonnées  à  M.  le  capitaine  Molins,  du  2«  Zouaves, 
qui  était  présent  au  moment  de  leur  découverte.  Le  Musée 
d'Oran  d'ailleurs  possède  des  exemplaires  de  toutes  ces 
médailles. 

Qu'il  nous  soit  permis,  en  terminant,  d'exprimer  toute  notre 
gratitude,  tous  nos  remerciements  à  M.  Georges  Simon,  qui, 
par  ses  libéralités,  a  mérité  le  titre  que  nous  nous  plaisons  à 
lui  donner  ici,  dô  bienfaiteur  du  Musée  d'Oran. 


INSCRIPTIONS  INÉDITES  DE  LA  MAURÉTANIE  CÉSARIENNE 


1°  Kherba  des  Aouîssat 

Nous  devons  à  M.  Fabre,  Ileceveur  des  Contributions  diverses 
à  Tiaret,  la  conmiunication  des  deux  inscriptions  funéraires 
chrétiennes  ci-après,  trouvées  dans  les  ruines  romaines 
dites  :  Kherha  des  Aouissat,  à  une  vingtaine  de  kilomètres  au 
Nord-Est  de  Tiaret,  dans  la  vallée  de  l'Oued  Tiguiguest  : 
Hauteur  0"'7I.  —  Largeur  0'"40.  —  Hauteur  des  lettres  O'°04. 
N° 1246.  D  •  M  •  S 

MEMORIAI/////I  ROGATI 
VIXIT  ANNIS  liv 
MERENTIBVS  /////// 
L  A  B  0  R  I  B  V  S  F  I  L  I 
SVI  FECERViT  ETOC 
LATIA  MONTA  yic  AP  CCCGXX 

D(is)  U{anihus)  S(acfum).  MEMORIA  (?)  ROGATI  VIXIT 
ANNIS  LXV  MERENTIBUS  LABORIBUS  FILI  SUI 
FEGERUNT  ET  OCLATIA  MONTANA  (ou  MONIANA)  A(nno) 
P(rovinciae)  GGCCXX  (459  de  J.-C). 

M.  Gagnât,  qui  a  bien  voulu  nous  donner  la  traduction  qui 
précède,  d'après  une  photographie,  est  d'avis  que  les  lettres 
à  moitié  effacées  entre  MEMORIA  et  ROGATI  devaient 
constituer  le  cognomen  gentilice  du  défunt,  auquel  ses  fils  et 
la  nommée  Oclatia  Montana  élevèrent  le  monument. 

Cette  inscription  est  enclavée  dans  la  maçonnerie  d'un 
marabout  élevé  à  1,500  mètres  des  ruines  et  dédié  à  la 
mémoire  de  Si  el  Hadj  Saïd  : 

Hauteur  0"  36.  —  Largeur  0'°42.  —  Hauteur  des   lettres  O^ÛSS. 
N»  1247.  D  •  M  •  S  • 

M  E  M  0  R  I  A  I 
NO///IM  VI  X 
I  T  A  N  I  S  E^ 
//3  P/////HSES 

Dans  les  lacunes  de  cette  inscription  sont  des  lettres 
usées,  indéchiffrables. 


498      INSCRIPTIONS  INÉDITES  DE  LA  MAURÉTANIE  CÉSARIENNE 

A  ces  inscriptions,  M.  Fabre  avait  joint  une  pièce  de  monnaie 
romaine  trouvée  par  un  Espagnol  en  piochant  son  jardin.  C'est 
un  Constantinus  P.  F.  AVG.,  buste  lauré  et  cuirassé  à  droite 
et  portant  au  revers  :  SOLI  INVICTO  GOMITI,  avec  le  soleil 
radié  debout,  de  face,  à  demi  nu,  regardant  à  gauche,  levant 
la  main  droite  et  tenant  un  globe.  Cette  uiédaille  a  été  déposée 
au  Musée  Demaëght. 

M.  Fabre  nous  a,  en  outre,  transmis  des  croquis  de  chapi- 
teaux, des  fragments  de  colonnes  diversement  ornés,  de 
pierres  de  corniche  que  j'avais  déjà  vus  sur  ce  même  terrain, 
en  188*2,  lors  d'une  excursion  géodésique  et  qui  ont  été  repro- 
duits dans  le  Bulletin  de  1883  avec  un  anagramme  du  Christ 
et  une  épilaphe  à  la  mémoire  de  SEMAMA. 

«  En  arrivant  à  Kherba,  nous  a  écrit  M.  Fabre,  on  est  tout 
a  d'abord  étonné  de  la  présence  de  nombreux  menhirs  qui 
«  entourent  de  toute  part  le  petit  hameau  et  lui  donnent  un 
«  caractère  particulier.  Ces  rnoijolithes  ont  une  hauteur  de 
«  un  mètre  à  l'^SO  au-dessus  du  sol  actuel,  y  sont  enfoncés 
((  de  2  à  3  mètres  et  alignés  systématiquement  dans  diverses 
a  directions. 

«  Il  m'a  été  atlirmé.que  dans  toute  la  plaine  de  Tiguiguest 
«  où  cependant  les  vestiges  de  l'occupation  romaine  se 
«  trouvent  en  quantité,  on  ne  trouve  qu'à  Kherba  seulement 
«  des  monuments  de  cette  nature. 

«  En  outre  des  menhirs,  on  remarque  sur  chacune  des 
a  collines  avoisinantes  des  vestiges  de  monuments  composés 
«  d'énormes  pierres  grossièrement  dégrossies.  La  forme  géné- 
tt  raie  de  ces  ruines  affecte  un  carré  d'une  dizaine  de  mètres 
«  de  côté,  au  centre  duquel  parait  avoir  existé  un  pavage 
«  circulaire. 

«  Sur  la  colline  du  Nord  existent  en  plus  les  restes  d'un 
a  édifice  rectangulaire  de  trois  mètres  de  longueur  sur  deux 
a  de  largeur;  la  base  de  l'édifice  est  seule  restée  debout  ;  elle 
«  est  composée  d'énormes  pierres  placées  sur  champ. 

«  Parmi  les  débris  environnants,  j'ai  retrouvé  une  pierre 
«  qui  a  dû  servir  de  corniche  à  l'édifice,  lequel  devait  être  un 
((  mausolée  bien  postérieur  aux  ruines  (^). 


(1)  Ce  mausolée  devait  être  analogue  à  celui  de  Souma,  cliez  les  Hallouva-Cheraga  et 
dont  le  dessin  ligure  dans  le- Bulletin  de  la  Société  du  3'  trimestre  1895. 


ÎNSCRIPtIOMS  INÉDITES  DE  LA  MAURÊTANIG  CÉSAUIENNE      499 

«  Sur  la  colline  Ouest,  on  remarque,  enterrées  dans  le 
«  rocher,  deux  tombes  jumelles  qui  ont  été  découvertes  et 
«  violées  tout  récemment  par  un  Marocain  de  passage. 

«  Ce  sol  où  s'élèvent  les  fermes  de  Kherba  est  entièrement 
«  cDuvert  par  des  pierres  non  taillées  qui,  pour  la  plupart, 
({  proviennent  des  menhirs  avoisinants;  on  ne  distingue  à  la 
«  surface  que  quelques  murs  énormes  non  cimentés  et  qui 
«  ont  dû  être,  comme  les  fermes  actuelles,  élevés  avec  les 
«  débris  des  anciennes  constructions. 

«  Pour  retrouver  ces  dernières,^  il  faut  creuser  à  une  pro- 
«  fondeur  de  2  à  4  mètres.  Quoique  invisibles  actuellement, 
«  il  n'en  est  pas  moins  certain  que  des  travaux  assez  considé- 
cc  râbles  existent  dans  le  sous-sol,  comme  en  témoignent  les 
«  vestiges  de  chapiteaux  et  de  colonnes  signalées  plus  haut. 

«  Enfm,  parmi  les  débris  de  toute  sorte  qui  couvrent  le  sol 
«  sur  une  surface  de  5  à  6  hectares  environ,  on  trouve  une 
ft  petite  quantité  de  pierres  de  couleur  verdàtre  qui  semblent 
«  être  du  carbonate  de  cuivre.  Certains  blocs  ont  été  travaillés, 
((  car  il  existe  des  débris  ouvragés  dans  le  mur  en  pierres 
«  sèches  qui  ferme  le  jardin  sur  la  face  Nord. 

«  Que  ces  blocs  soient  composés  de  carbonate  de  cuivre  ou 
«  de  toute  autre  substance,  on  ne  les  trouve  que  dans  les 
«  ruines  (les  alentours  dans  un  rayon  très  étendu  en  sont 
«  absolument  dépourvus).  Ils  ont  donc  été  apportés  à  Kherba 
«  par  les  anciens  habitants  qui  les  avaient  extraits  d'un 
«  gisement  actuellement  inconnu.  » 

Nous  remercions  M.  Fabre  de  ses  intéressantes  communi- 
cations. Les  ruines  qu'il  a  visitées  témoignent  une  fois  de  plus 
de  l'importance  de  l'occupation  romaine  dans  le  bassin  de 
l'Oued  Riou. 

Nous  renouvelons  à  cette  occasion  le  vœu  de  voir  quelque 
jour  s'effectuer  des  fouilles  suffisantes  qui  permettront  de 
découvrir  les  identifications  des  principales  ruines  romaines  de 
cette  contrée,  telles  que  celles  de  Kebbaba,  Tirazza,  Achelefî, 
Souma,  Konsou,  Kherba,  etc. 


500     INSCRIPTIONS  fNÉDITES  t)E  LA  MAURÈTANIE  CÉSARIENNE 


2»  Oued  Taria 

En  parcourant  mes  carnets  de  mission  géodésique  en  1882 
entre  Mascara  et  Saïda,  j'ai  retrouvé  une  note  épigraphique 
que  je  crois  utile  de  reproduire  ici  : 

19  mars.  Etape  du  village  de  Taria  à  Ras  Aïchata.  —  On 
suit  le  chemin  de  Taria  à  Benian  en  longeant  la  rive  gauche 
de  l'Oued  Taria.  A  7  kilomètres  du  village,  entre  le  barrage 
de  la  rivière  et  la  hauteur 'appelée  Djerf  Sidi  Lhassen,  mon 
guide  me  signale  des  pierres  éparses  sur  une  étendue  de 
2.000  mètres  carrés  environ,  comme  des  ruines  romaines 
appelées  par  les  Arabes  :  Kherha  m'tâ  Rerouta. 

Je  fais  faire  halte  à  mon  détachement  et  inspecte  ces  ruines 
qui  ne  présentent  rien  de  remarquable.  Ayant  déclaré  aux 
Arabes  que  je  donnerai  un  franc  à  celui  d'entre  eux  qui  me 
montrerait  des  pierres  écrites,  en  cinq  minutes,  on  m'apporte 
quatre  fragments  d'épigraphes  dont  les  croquis  sont  ci-après  : 


.-or25 


« . 


/  î  M  /}  )<  I  M 


^— -.-0'50 


Malgré  mes  promesses  réitérées  de  nouvelles  gratifications, 
je  ne  pus  obtenir  d'autres  traces  d'inscription. 


DERRIEN. 


ISSAl  Si  ii  FMIf,  KPIT 

DS  L'OFlAISriE 

AVF.C   DES  TABLEAUX   ANALYTIQUES   ET   DES   NOTIONS 
POUR  LA  DÉTERMINATION  DE  TOUS  LES  REPTILES  &  BATRACIENS 

du  Maroc,  de  l'Algérie  et  de  la  Tunisie 

(suite) 


4««  Famille.  —  CAMELEONÏENS 

Caractères  de  la  famille.  —  Tête  étroite  et  haute,  relevée 
en  casque,  pourvue  en  dessus,  chez  les  adultes,  de  trois  fortes 
carènes,  la  médiane  plus  Jiaute.  Gorge  en  forme  de  jabot.  Corps 
très  aplati  sur  les  côtés  ;  peau  couverte  de  fines  granulations 
qui  la  font  paraître  comme  chagrinée.  Yeux  enferm^és  dans  une 
paupière  unique,  conique,  percée  d'un  petit  trou  au  sommet. 
Cette  paupière  est  mobile  et  permet  à  Vanimal  de  voir  dans 
tous  les  sens.  Langue  protractile,  très  longue.  Doigts  au  nombre 
de  cinq,  réunis  en  deux  groupes  opposables  et  préhensiles. 
Queue  prenante. 

Cette  famille  ne  renferme  que  le  genre  Chamœleo  dont  les 
caractères  sont  ceux  de  la  famille. 
Ce  genre  est  représenté  en  Berbérie  par  une  seule  espèce  : 

5.  Chamœleo  vu/garis  Daud. 

Le  caméléon.  Arabe  :  Tata-bouf. 

Chamœleo  cinereus  Aldr.,  Strauch,  Lallemant. 
Chamœleo  vulgaris  Cuv.,  D.  et  B.,  Ern.  Olivier. 
Chamœleo  vulgaris  Daud.,  Boulenger. 

Caractères  principaux.  — Museau  non  prolongé  en  pointe. 
Capuchon  profond  se  rabattant  bien  sur  le  cou  et  bordé  par 
une  ligne  de  tubercules  larges  et  convexes.  Gorge  pendante 
parcourue  par  une  ligne  médiane  de  tubercules  coniques, 
saillants,  toujours  blancs.  La  ligne  blanche  se  continue  jusqu'à 
Vanus,  mais  sans  faire  saillie.  Tubercules  de  la  ligne  dorsale 
plus  forts  que  les  latéraux  et  ne  formant  une  ligne  dentelée 
que  chez  les  individus  très  adultes. 

Je  ne  décrirai  pas  cette  espèce  qui  est  bien  connue.  Seuls  les 
jeunes  individus  présentent  quelque  intérêt  ;  ils  se  distinguent 
de  leurs  parents  par  leur  tête  arrondie,  dépourvue  de  crêtes 


41 


50^       ESSAI  SUR  LA  FAUNE  ERPETOLOGIQUE  DE  l'oRANÎE 

Coloration.  —  Le  caméléon  jouit  de  la  singulière  propriété 
de  pouvoir  changer  de  couleur  et  prendre  celle  de  l'objet  sur 
lequel  il  se  trouve.  Cette  faculté  lui  permet  d'échapper  à  la 
vue  de  ses  ennemis. 

Sexes.  —  Mâle.  —  Carène  occipitale  bien  détachée  et  très 
saillante.  Renflements  des  pénis,  allongés,  cylindriques,  paral- 
lèles et  bien  visibles. 

Femelle. —  Carène  occipitale  peu  saillante.  Pas  de  renflements 
à  la  base  de  la  queue.  Anus  large  et  en  forme  de  croissant. 

Taille.  —  0">163  4-  0™142  =0™305.  —Avril  à  octobre, 
surtout  en  été. 

Distribution  géographique.  —  (B  :  T.,  H.  P.,  S.).  —  Le 
caméléon  se  trouve  partout  en  Oranie.  Il  est  commun  dans  le 
Tell,  rare  sur  les  Hauts-Plateaux  et  abondant  dans  les  oasis. 
Hors  du  Tell,  je  l'ai  rencontré  à  El  Aricha  (mai),  Bedeau 
(septembre),  Géryville  (juillet),  Arba-Tahtani  (août). 

Ethologie,  —  Le  caméléon  est  un  des  lézards  les  plus 
hibernants  de  l'Oranie.  Il  n'apparaît  guère  qu'en  mai  et  ne 
devient  commun  qu'à  la  fin  de  juin.  On  peut  pourtant 
rencontrer  quelques  rares  individus  en  automne  et  dès  les 
premières  journées  chaudes  du  mois  de  février. 

C'est  surtout  pendant  l'été  qu'il  est  abondant.  Néanmoins 
il  craint  les  fortes  chaleurs  et  ne  circule  jamais  aux  heures  les 
plus  chaudes  de  la  journée.  Il  sort  le  matin  et  de  préférence 
vers  le  soir. 

Les  caméléons  s'accouplent  en  août-septembre.  J'ai  eu 
l'occasion  de  suivre  les  diverses  périodes  de  la  reproduction 
chez  ces  animaux.  Voici  quelques  notes  à  ce  sujet  : 

Le  31  août  1896,  je  pris  deux  caméléons  ;  je  les  mis  en 
cage.  Le  lendemain  matin,  à  huit  heures  et  demie,  ils  s'accou- 
plèrent. La  femelle  se  tenait  verticalement  aux  barreaux.  Le 
mâle  grimpa  sur  elle  et  s'y  maintint  en  se  cramponnant  au 
milieu  du  ventre  avec  les  pattes  de  devant  ;  puis  il  ramena  la 
partie  postérieure  de  son  corps  sous  le  cloaque  de  la  femelle. 
L'accouplement  eut  heu  aussitôt.  Il  dura  deux  minutes.  Le 
mâle  resta  sur  la  femelle  encore  huit  minutes.  Sa  coloration 


ESSAI  SUR  LA  FArXE  KRPKTftLOGIQUE  DE  l'ORANIE        503 

était  cViin  beau  gris  clair  jaunâtre,  taché  de  noir.  Celle  de  la 
femelle  était  d'un  brun  noir,  fâché  de  jaune  orangé.  Chose 
curieuse,  la  coloration  de  la  femelle  a  persisté  pendant  toute  la 
durée  de  la  gestation.  La  ponte  eut  lieu  le  7  octobre.  Elle 
ne  fut  que  de  17  œufs,  la  femelle  étant  de  petite  taille.  Ces 
œufs  cylindro-oblongs,  arrondis  aux  deux  bouts,  mesuraient 
IG  millimètres  de  longueur  et  S  d'épaisseur. 

En  général,  la  ponte  a  lieu  du  1.")  septembre  au  15  octobre. 

Le  nombre  d'd'ufs  dépasse  souvent  4<>. 

Les  œufs  sont  déposés  dans  la  terre  au  pied  d'une  touffe  ou 
d'une  broussaille.  Ils  ne  semblent  éclore  qu'au  mois  d'aotlt  ou, 
au  plus  tôt,  à  la  fin  du  mois  de  juillet  de  l'année  suivante.  Je 
n'ai,  en  effet,  jamais  rencontré  de  jeunes  caméléons  avant  le 
milieu  d'août,  Des  exemplaires  pris  le  19  août  mesuraient,  du 
museau  au  bout  de  la  queue,  6  centimètres. 

Je  dois  toutefois  signaler  une  observation  de  M.  Michaud  qui 
a  vu  de  jeunes  caméléons  à  Kléber  en  janvier  1899.  L'hiver 
ayant  été  très  sec  et  chaud,  il  a  dû  se  produire  une  éclosion 
anormale. 

Le  caméléon  se  nourrit  de  sauterelles,  de  diptères,  et;".  Il 
prend  ces   insectes  avec  sa  langue   qu'il  lance  jusqu'à  une 
distance  de  10  à  20  centimètres.  Il  ne  dédaigne  pas  les  jeunes' 
lézards.  En  captivité  on  peut  le  gaver  avec  des  lanières  de 
cœur  de  bœuf. 

Utilité.  —  Le  caméléon  est  un  grand  chasseur  de  mouches. 
Aussi,  rend-il  des  services  dans  les  maisons  oi^i  pullulent  ces 
désagréables  diptères.  Il  serait  utile  de  le  répandre  dans  les 
jardins  et  dans  les  vergers  où  il  débarrasserait  les  plantes  et 
les  arbres  d'une  multitude  de  parasites. 


ô'»^  Famille.  —  GECKOTIEXS 

Caractères  de  la  famille.  —  Animaux  à  corps  souvent 
déprimé,  surtout  en  dessous  ;  tête  presque  toujours  large  et 
plate,  dépourvue  de  grandes  plaques  lisses  symétriques,  les- 
quelles sont  remplacées  par  des  écailles  tuberculeuses  subpoly- 
gonales planes  ou  convexes.  (PI.  III).  Peau  couverte,  au  moins 


504       ESSAI  SUR  LA  FAUNE  ERPETOLOGIQUE  DE  l'oRANIE 

sur  le  dos,  de  petites  granulatio}is  souvent  inégales,  parfois 
entremêlées  de  tubercules  très  saillants.  Rarement  des 
écailles  imbriquées  sur  li  dos  (Tropiocolotes).  Yeux  toujours 
ouverts,  les  paupières  étant  rudimentaires.  Langue  épaisse, 
peu  é'.hancrée.  Queue  trèf,  fragile  et  divisée  en  anneaux  chez 
plusieurs  espèces.  Pattes  à  cinq  doigts  dont  la  forme,  très 
variable,  offre  d'excellents  caractères  génériques. 

Les  geckotiens  sont  des  animaux  qui  ne  quittent  généra- 
lement leur  retraite  qu'à  la  tombée  de  la  nuit.  Il  faut  donc 
les  rechercher  au  coucher  du  soleil  ou  de  bon  matin.  Ils  sont 
tous  très  utiles  car  ils  font  la  chasse  aux  insectes  nocturnes  : 
moustiques,  papillons,  araignées,  etc. 

Cette  famille  est  représentée  en  Berbérie  par  huit  genres, 
dont  voici  le  tableau  : 

Geclcofiens. —TABLEAU  DES  GENRES 

Doigts  nettement  élargis  sur  tout  ou 

partie  de  leur  longueur.  (PI.  IV, 

l  fig.  %  6.  6  a.)  fPl.Y.  fig.  1  c,  2  a,  4  a.)  2 

d.   ' 

(Doigts  sans  expansions  latérales,  arron- 
dis, comprimés,  grêles  ou  effilés. 
(PL  V,  fig.  3,  5,  6,  7,  7  a.)  5 

/    Expansions  digitales  nettement  termi- 

:  nales.  (PI.  Y,  fig.  1,  2  a,  4  a.)  3 

*-•   ;    Expansions  digitales  occupant  toute  la 
1  longueur  des  doigts  ou  les  deux 

\  tiers  inférieurs.  4 


Expansions  digitales  terminales,  très 
petites(l  mill.aupIus),ar:ondies- 
tronquées,légèrement  émarginées 
en  avant  ;  présentant  en  dessous 
deux  plaques  senii- elliptiques, 
symétriques,  rugueuses,  séparées 
par  un  sillon  angulaire  médian, 


4. 


ESSAI  SUR  LA  FAUNE  ERPÉTOLOGIQUE  DE  l'ORANIE       505 

ayant,  dans  leur  ensemble,  l'aspect 
de  la  plante  des  pieds  d'un  ru  mi- 
nant. (PI.  V,  fig.  4  a.) 

Genre  Pliyllodactylus. 

Expansions    digitales    présentant  en 

dessous   des   lamelles    parallèles 

disposées    en   éventail      (PI.  V. 

fig.  2  a.) 

Genre  Ptyodactylus. 

/  Doigts  largement  spatules,  présentant 
en  dessous  des  lamelles  transver- 
sales, parallèles,  sans  sillon  mé- 
dian. (PI.  IV,  fig.  2.) 

Genre  Tarentola. 

Doigts  élargis  seulement  dans  les 
deux  tiers  inférieurs  ;  phalanges 
supérieures  rétrécies  en  forme  de 
griffe.  (PI.  IV,  fig.  6.)  Face  infé- 
rieure de  l'expansion  recouverte 
pardesécailles,  plates,  imbriquées 
et  divisées  en  deux  séries  symé- 
triques par  un  étroit  sillon  longi- 
tudinal. (Fig.  6  a.) 

Genre  Hemidaclylus. 

Corps  recouvert,  même  en  dessous,  de 
petites  écailles  visiblement  en  dos 
d'âne  et  imbriquées  ;  carènes  dis- 
posées en  lignes  longitudinales  et 
parallèles. 

Geiire  Tropiocolotes. 

Pas  d'écaillés  carénées  et  imbriquées 
sur  le  dos  dont  Técaillure  est 
granuleuse.  6 


506       ESSAI  SUR  LA  FAUNE  ERPÉTOLOGIQUE  DE  L'oRANIE 


6. 


Écaillure  du  ventre  formée  de  granu- 
lations uniformes  non  imbriquées 
et  semblables  ou  à  peu  près  à  celles 
des  flancs  et  du  dos. 

Genre  Stenodactylus. 


7. 


Écailles  ventrales  plates,  imbriquées, 
bien  différentes  par  leur  forme  des 
fines  granulatioi.s  du  dos. 

Doigts  de  forme  régulièi'e,  très  petits, 
fins  et  cylindriques.  (PI.  V,  fig.5.) 

Genre  Saurodactylus. 

Doigts  de  forme  anormale,  comprimés 
par  les  côtés  en  forme  de  longue 
griffe  à  leur  extrémité,  de  dimen- 
sions exagérées  pour  la  taille  de 
l'animal.  (PI.  V,  fig.  3,  .3  a). 

Genre  Gymnodactylus. 


Genre  TARENTOLA  Gray. 

Caractères  du  genre.  —  Doigts  spatules,  s' élargissant  de 
la  base  au  sommet  et  pré^-entant  en  dessous  des  lamelles  trans- 
versales, parallèles.  Troisième  et  quatrième  doigts  onguiculés. 
Dos  portant  des  lignes  de  tubercules  pyramidaux  ou  ovalaires. 
Queue  annelée,  rendue  épineuse  par  des  tubercules  bien  déve- 
loppés. 

Ce  genre  est  représenté  en  Berbérie  par  deux  espèces  affines 
bien  variables  et  dont  les  diverses  formes  mal  connues  semblent 
présenter  certains  caractères  constants.  Une  étude  sérieuse  de 
nombreux  échantillons  barbarcsques  recueillis  dans  les  trois 
zones,  dans  les  maisons,  sur  les  rochers  et  sur  les  arbres, 
permettra  seule  de  débrouiller  le  groiTpe  du  T.  mauritanica 
{Auct.)  Jl  faudrait  surtout  bien  connaître  les  T.  neglecta  et 
T,  angusticeps  de  Strauch, 


ESSAI  SUR  LA  FAUNE  ERPÉTOLOGIQUE  DE  L'ORANIE       507 

Manquant  de  matériaux,  je  n'ai  pu  étudier  ce  genre  à  tond. 
D'autres  seront  plus  heureux.  Pour  faciliter  leurs  recherches, 
je  joins  aux  résultats  de  mes  études,  les  figures  originales 
des  formes  litigieuses  que  j'ai  pu  me  procurer. 

G.  Tarentola.  —  TABLEAU  DES  ESPÈCES  d) 


Tubercules  du  dos  et  des  flancs,  lisses, 
tous  isolés,  petits  (0,5  millimètre)  ; 
les  dorsaux  un  peu  oblongs,  ceux  des 
flancs  légèrement  coniques,  tous  à 
peine  saillants  et  très  distants,  sur 
un  fond  finement  granuleux,  très 
régulier,  à  éléments  très  petits,  lisses 
et  convexes.  (PI.  IV,  fig.  h.)  Narines 
touchant  nettement  la  rostrale. 

T.  Delalandii  Canaries. 

Tubercules  du  dos  et  des  flancs,  tous 

nettement  carénés.  2 

Tubercules  tous  isolés,  les  médians 
carénés,  les  autres  trièdres,  plus  sail- 
lants, tous  très  rapprochés  dans  le 
sens  de  la  longueur  et  formant  ensem- 
ble 1?-14  rangées  longitudinales 
presque  régulières.  (PI.  IV,  fig.  3,  4.) 

T.  neglecta  et  var.  B. 

Tubercules  des  flancs  et  du  dos,  en 
majeure  partie,  accompagnés  de 
deux  ou  plusieurs  tubercules  se- 
condaires, les  principaux  étant 
trièdres  ou  pyramidaux.  Sur  la 
ligne  ou  sur  une  bande  médiane 
du  dos  il  existe  une  à  six  lignes 
de  tubercules  isolés,  oblongs, 
peu  saillants,  convexes  ou  carénés. 

T.  mauritanica  et  var.  O, 


(1)  Il  est  nécessaire  d'avoii-  des  sujets  adultes. 


508        ESSAI  SUR  LA  FAUNE  ERPÉTOLOGIQUE  DE  l'ORANIE 

6,  Tarenfola  mauriianica  L  et  var. 

Fig.  Bonaparte  Fauna  Italica 

La  tarente.  Arabe,  Oran:  Tadjdamet,  Aïchel  guerâat. 

Platydactylus  facetanus  Aldr.,  Strauch. 
PI.    muralis  D.   et  B.,    Gerv.,   Lallemant. 
Tarentola  mauritanica  L.  Giinlh.,  Blg.,  Ern.  Olivier. 

Caractères  principaux.    —   Tubercules,  au  moins  ceux 
des  flancs,  entourés  de  tubercules  secondaires. 

La  T.  mauritanica  L.  est  une  espèce  très  variable. 

Voici  un  tableau  des  principales  variations  que  j'ai  observées  : 

T.  mauritanica.  —  TABLEAU  DES  VABIÉTÉS 


Dos  portant  sur  la  ligne  médiane  une 
rangée  de  tubercules  plus  petits 
et  de  forme  un  peu  différente  de 
celle  des  tubercules  principaux  de 
la  2"  rangée  lesquels  ressemblent 
à  ceux    des   rangées    suivantes. 

Dos  portant  en  arrière  des  épaules 
3  à  5  lignes  de  tubercules  isolés, 
peu  saillants,  formant  une  bande 
qui  tranche  nettement  entre  les 
bandes  latérales  du  dos.  Ces  der- 
nières présentent  des  rangées  de 
tubercules  dont  les  principaux, 
obscurément  trièdres,  dépassent 
peu  les  secondaires. 

Coude  et  bras  entièrement  recouverts 
d'écailles  imbriquées.  Ligne  mé- 
diane de  tubercules  simples  se 
bifurquant  nettement  sur  le  cou  et 
irrégulièrement  sur  la  moitié  infé- 
rieure   du   dos.   Tubercules  des 


3. 


ESSAI  SUR  LA  FAUNE  ERPÉTOLOGIQUE  DE  L'OPANIE       509 

autres  rangées  trièdres,  aigus,  très 
saillants,  accompagnés  de  deux 
tubercules  aussi  trièdres,  bien 
plus  petits  ;  ceux  du  bas  des 
[lancs,  sur  deux  rangées,  entourés 
d'une  rosette.  Prénasale  rectan- 
gulaire à  la  base,  séparant  nette- 
ment la  rostrale  de  la  narine  et 
reposant  contre  la  première  sus- 
labiale.  Doigts  spatules. 

Animaux  atteignant   une  assez 
forte  taille  et  habitant  les  maisons 

et  les  murs. 

Variété  facetana. 

Coude  et  bras  dépourvus  d'écaillés 
imbriquées, portant,  surtoutsur  le 
bras,  de  gros  tubercules  aigus, 
distants.  Prénasale  généralement 
en  forme  d'accent,  la  pomte  infé- 
rieure atteignant  ou  non  la  pre- 
mière suslabiale. 

Animaux   de  la  région   salia- 
rienne.  4 

Tubercules  dorsaux,  gros,  trièdres, 
aigus,  saillants  sur  les  secondaires 
et  donnant  à  l'animal  un  aspect 
fortement  épineux. 

Animaux  habitant  les  murs  des 
ksours. 

Variété  deserti. 

Tubercules  principaux  surbaissés  dé- 
passant   peu    les    secondaires  ; 
aspect    simplement  tuberculeux. 
Animaux    habitant    les    oasis, 
hors  des  maisons. 

Variété  Saharœ. 


510       ESSAI  SUR  LA  FAUNE  ERPÉTOLOGIQUE  DE  L'ORANIE 


Bras,  coude  et  avant-bras  dépourvus 
d'écaillés  imbriquées,  portant  des 
tubercules  distincts,  obtusément 
coniques.  Tubercules  de  la  bande 
médiane  du  dos  longs  et  étroits, 
la  longueur  égalant  deux  fois  la 
largeur,  obtusément  carénés,  très 
peu  saillants  et  disposés  sur  plu- 
sieurs rangées  longitudinales. 
Écaillure  du  fond  à  éléments  légè- 
rement pyramidaux  et  présentant, 
comme  les  tubercules,  des  stries 
rayonnantes.  Tubercules  secon- 
daires très  rapprochés  latérale- 
ment, se  touchant  souvent.  (PI.  lY, 
fig.  1.)  Variété  lissoïde. 

Coude  et  bras  recouverts  d'écaillés 
imbriquées,  plaies,  à  carène  linéaire, 
presque  visible  à  l'œil  nu.  Parfois 
le  bras  porte  quelques  tubercules. 
Tubercules  secondaires  du  dos 
nettement  séparés  des  voisins  par 
3-4  écailles  fines  du  fond.  Écaillure 
du  fond  à  éléments  plats,  lisses 
ou  à  peu  près  comme  les  tuber- 
cules principaux. 

Variété  mauritanica.    5 

'  Taille  grêle,  3  lignes  de  tubercules 
simples  et  carénés  sur  la  bande 
médiane  du  dos,  celle  du  milieu 
se  bifurquant  sur  le  cou  et  dans  la 
moitié  inférieure  du  dos.  Bras 
couverts  d'écaillés  imbriquées. 

Sous-variété  gracilis 


^-  "^    Taille  massive,  cou  large,  4  lignes  de 
tubercules    simples,    élargis,    à 


ESSAI  SUR  LA  FAUNE  ERPÉTOLOGIQUË  DE  L'ORANIE       511 

carène  marquée  mais  peu  élevée. 
Fourches  non  distinctes.  Bras 
portant  quelques  écailles  proémi- 
nentes ou  parfois  des  tubercules 
chez  les  sujets  adultes. 

Sous-variété  ntlantica. 


Variété   FACETANA 

Bdttger  :  iu  Rept.  von  Marocco,  fig.  I,  donne  la  disposition 
exacte  des  plaques  nasales. 

Tète,  à  la  hauteur  des  oreilles,  plus  étroite  que  longue, 
17  sur  19  millimètres,  couverte,  du  museau  à  l'occiput,  de 
petites  plaques  granuleuses.  Les  plaques  qui  se  trouvent  en 
avant  de  la  ligne  postérieure  des  yeux  sont  polygonales  ; 
beaucoup  ont  leur  surface  convexe,  presque  plane.  Celles  de 
l'occiput,  quoique  surbaissées,  sont  plutôt  de  forme  conique. 
A  l'œil  nu  elles  ne  se  distinguent  pas.  Il  y  a  15  à  17  écail- 
les dans  une  ligne  transversale  entre  les  yeux.  Narine 
entièrement  séparée  de  la  rosi  raie  par  une  prénasale  qui 
touche  largement  la  labiale.  Bord  antérieur  du  trou  de 
l'oreille  non  dentelé.  Les  tubercules  du  dessus  du  corps  sont 
disposés  comme  il  suit:  sur  le  cou,  de  la  partie  supérieure  du 
trou  auditif  jusqu'à  l'épaule,  il  y  a  de  chaque  côté  une  rangée 
de  rosettes  dont  le  tubercule  central  est  peu  saillant,  conique. 
Une  ou  deux  rosettes  se  voient  encore  en  arrière  du  trou 
auditif.  Sur  le  dos  et  sur  la  région  moyenne  des  flancs  il  existe 
en  tout  une  quinzaine  de  rangées  longitudinales  de  tubercules. 
Dans  le  sens  transversal  ces  tubercules  forment  des  lignes 
courbes,  parallèles,  assez  régulières.  Tous  les  tubercules  sont 
pyramidaux,  trièdres,  aigus.  Les  plus  petits  se  trouvent  sur  la 
ligue  médiane  ;  ils  sont  isolés,  plus  courts  que  ceux  de  la  ligne 
suivante;  la  carène  ({uoique  bien  marquée  est  peu  saillante. 
De  cliaque  côté  de  la  ligne  médiane,  la  deuxième  rangée  est 
formée  de  tubercules  plus  ou  moins  isolés,  plus  forts  et  plus 
saillants.  Sur  la  troisième  rangée  la  forme  pyramidale  s'accuse 
davantage  ;    les    tubercules  secondaires    se    montrent   à  la 


512       ESSAI  SUR  LA  FAUNE  ERPÉTOLOGIQUE  DE  L'ORANIE 

base  du  tubercule  central  et  deviennent  plus  nombreux 
au  fur  et  à  mesure  qu'on  se  rapproche  des  flancs  où 
ils  forment  un  cercle  complet.  Écaillure  du  fond  formée 
d'éléments  peu  inégaux,  trapézoïdes,  à  peu  près  plans.  Base 
des  flancs  parcourue  par  un  fort  pli.  Doigts  nettement  spatu- 
les, à  lames  transversales  présentant  parfois  une  dépression 
médiane  peu  marquée.  Queue  annelée  portant  en  dessus  et 
sur  les  côtés  six  rangées  de  tubercules  placés  sur  le  bord 
postérieur  des  anneaux.  Ces  tubercules  sont  plus  grands  que 
ceux  du  tronc  et  très  aigus.  Le  dessous  de  la  queue  est  couvert 
d'écaillés  planes  irrégulières,  imbriquées,  sur  2  à  6  rangs. 

GoLOBATiON.  —  La  coloration  varie  avec  l'habitat.  Elle 
ne  présente  jamais  les  couleurs  éclatantes  des  reptiles  en 
général.  Le  ventre  est  toujours  d'un  blanc  très  sale.  Le  dos 
est  gris,  gris  cendré,  gris  brunâtre  ou  gris  noirâtre  tacheté 
de  blanc.  Il  porte  souvent  des  bandes  transversales  d'un  brun 
foncé.  Les  individus  qui  vivent  dans  les  endroits  bien 
exposés  au  soleil  sont  d'un  gris  jaunâtre  uniforme.  Ceux  qui 
habitent  les  lieux  ombragés  sont  d'un  gris  noirâtre.  Tous  les 
jeunes  ont  la  queue  alternativement  annelée  de  blanc  sale  et 
de  gris  noirâtre. 

Sexes.  —  Mâle.  —  Deux  protubérances  peu  marquées  contre 
la  ligne  anale  et  formant  par  leur  réunion  un  mamelon 
transversal  qui  dépasse  nettement  le  plan  du  reste  de  la  queue. 
Côtés  de  la  base  de  la  queue  droits. 

Femelle.  —  Tout  le  dessous  de  la  queue  sur  le  même  plan . 
Base  visiblement  plus  étroite  que  la  suite. 

Taille.— 0 '"07  -f-  0™075=i:  0,145,  Printemps,  été,  automne. 

Observation.  —  Cette  variété  a  les  plus  grands  rapports 
avec  celle  d'Italie  à  laquelle  on  peut  l'identifier. 

Variété  DESERTI  Lat.  in  litt.  h  Blg.  floc.  oit.) 

Boulanger  {toc.  cit.)  PI.  XIII,  fîg.  3  a,  6,  c  donne,  en  grandeur 
naturelle,  cette  variété. 

«  Se  distingue  par  sa  taille  plus  grande  mesurant  jusqu'à 
103  mill.  depuis  le  museau  jusqu'à  l'anus,  par  la  tête  un  peu 


ESSAt  SUR  LA  FAUNE  ERPÉTOLOGIQUE  DE  l'oRANIE        513 

plus  longue  et  plus  pointue,  par  les  granulations  plus  fines 
entre  les  tubercules,  par  la  coloration  très  pâle  d'un  blanc 
jaunâtre  sans  ou  avec  des  taches  d'un  clair  brunâtre  très 
indistinctes.  » 

La  variété  deserti  n'est  qu'une  exagération  du  type.  C'est 
plutôt  une  forme  qu'une  variété.  Les  tubercules  dorsaux,  sauf 
ceux  de  la  rangée  médiane,  d'ailleurs  peu  apparente,  sont  très 
gros  et  à  peu  près  tous  de  même  dimension.  Les  flancs  portent 
de  grosses  rosettes. 

Taille.   -  0"i08  +  0^>  093^=0/173. 

Variété  SAHARŒ  Nob  (PI.  III,  fig.  1) 

Cette  variété  se  distingue  aux  caractères  suivants  : 
Une  seule  ligne  médiane  de  tubercules  isolés.  Les  principaux 
des  rangées  latérales  ne  les  dépassentguère  en  hauteur  ;  ils  sont 
tous  très  distincts  et  accompagnés  de  tubercules  secondaires 
formant  des  rosettes  déjà  assez  apparentes  sur  les  premières 
rangées.  L'écaillure  du  fond  est  irrégulière  sur  une  large  bande 
dorsale  qui  tranche  sur  l'écaillure  du  fond  par  ses  éléments 
2  à  4  fois  plus  grands  que  ceux  des  flancs.  L'ensemble  du  dos 
a  un  aspect  tuberculeux   et  non   épineux    comme   chez  la 
variété  deserti. 
Cette  variété  se  rapproche  beaucoup  de  la  sous-var.  atlantica. 

Variété  MAURITANICA 

Se  distingue  à  ses  3-5  lignes  de  tubercules  isolés  qui  forment 
sur  la  région  médiane  du  dos  une  bande  bien  distincte.  Les 
tubercules  principaux  des  côtés  du  dos  et  C3ux  des  flancs  sont 
peu  saillants  et  accompagnés  de  tubercules  secondaires,  en 
rosettes  sur  les  flancs.  Expansion  des  doigts  à  bords  presque 
parallèles.  Cette  variété  présente  deux  sous-variétés. 

Sous-variété  GRAGILIS 

C'est  la  forme  que  l'on  trouve  dans  le  Tell  hors  des  maisons, 
dans  les  carrières,  sous  les  pierres  isolées,  sur  les  arbres. 

Les  caractères  donnés  dans  le  tableau  la  distinguent  parfai- 
tement. 


514       ESSAI  SUR  LA  FAUNE  ËRiPETOLOGIQUE  DE  l'oRANIË 

Sous-variété  ATLANTICA  Nob.  (PI.  III,  fig.  2) 

Cette  variété  présente  des  caractères  très  saillants.  En  voici 
la  description  : 

Tète  plus  large  que  longue,  20  ■"/"!  sur  18.  La  largeur  entre  les 
tempes  est  égale  à  la  distance  du  pli  du  cou  au  bout  du  museau. 
Plaques  tuberculeuses  du  dessus  de  la  tête  proéminentes, 
subpyramidales,  toutes  à  peu  près  de  même  forme.  Cou  large 
et  court,  peu  marqué.  Tronc  plus  massif,  surtout  plus  ramassé 
que  chez  les  variétés  facetana  et  gracilis. 

Tubercules  dorsaux  bien  différents  de  ceux  de  la  var. 
facetana;  ceux  de  forme  trièdre,  très  saillants,  manquent  ou  à 
peu  près;  il  n'y  en  a  qu'une  rangée,  plus  ou  moins  marquée, 
de  chaque  côté  de  la  base  du  dos.  (Chez  un  individu  très  vieux 
l'écaillure  est  forte,  les  carènes  sont  très  nettes,  mais 
le  trièdre  reste  plus  long  que  haut.)  Dans  la  région  médiane 
du  dos,  il  y  a,  le  plus  souvent,  4  rangées  de  tubercules  isolés, 
ovalo-rectangulaires,  convexes,  lisses,  parfois  plus  ou  moins 
nettement  carénés.  Il  est  à  remarquer  que  ces  rangées  sont 
paires  et  qu'il  n'existe  pas  de  ligne  médiane  dorsale  nettement 
fourchue  sur  le  cou  comme  chez  la  var.  gracilis.  Ce  caractère  a 
une  grande  valeur  et  pourrait  faire  élever  la  variété  au  rang 
d'espèce,  s'il  était  commun  à  tous  les  individus.  Les  cinq 
individus  que  j'ai  eus  en  ma  possession  le  pré-entaient  nette- 
ment. Les  tubercules  des  bandes  latérales  sont  accompagnés 
de  tubercules  secondaires,  mais  ils  sont  allongés,  peu  saillants 
et  peu  tranchants.  Les  rosettes  complètes  sont  peu  nombreuses 
sur  les  flancs. 

Coloration.  —  Gris  noirâtre,  soumise  aux  effets  du 
mimétisme. 

Observations.  —  Quoique  la  mentonnière  ne  présente  géné- 
ralement que  des  caractères  assez  fugaces,  on  peut  néanmoins 
en  tirer  parti  si  on  s'en  tient  à  la  forme  dominante  dans 
chaque  variété.  Aussi,  faut-il  l'observer  sur  un  grand  nombre 
d'individus.  Chez  mes  atlantica  la  plus  grande  largeur  de  la 
mentonnière  égale  la  longueur.  Les  bords  latéraux  sont  formés 
de  deux  lignes  droites  qui  font  un  angle  obtus.  Chez  facetana 


ESSAI  SUR  LA  FAUNE  ERPÉTOLOGIQUE  DE  L'ORANIE       515 

la  longueur  de  la  mentonnière  est  ordinairement  plus  grande 
que  la  largeur.  Le  cùté  supérieur  de  l'angle  latéral  est  concave 
et  non  droit,  la  première  souslabiale  s'avançant  dans  la 
mentonnière. 

La  forme  de  la  prénasale  à  laquelle  Strauch  a  accordé  une 
certaine  valeur  est  loin  de  présenter  un  caractère  spécifique  ; 
mais  elle  offre  un  bon  caractère  de  race. 

Le  nombre  de  labiales  est  variable  et  de  peu  de  valeur. 

Chez  atlantica  je  compte  ^  ?  l  labiales  ;  une  de  plus 
en  haut. 

Chez /acefana  je  compte-^»    ^  >-^  ;  deux  de  plus  en  haut. 

Je  signale  tout  simplement  ces  caractères  à  l'attention  des 
naturalistes. 

Taille.  -  0,06  +  0,067  =  0,127  ;  0,075  +  (queue). 

Variété  LISSOÏDE  Nob.  (PI.  IV,  fig.  1) 

ïète  longue  et  étroite,  18  sur  15,  couverte  de  plaques 
tuberculeuses,  convexes,  subpyramidales  ;  celles  de  l'occiput 
entremêlées  d'éléments  plus  petits.  Il  y  a  15  plaques  sur  la 
ligne  transversale  des  yeux.  Prénasales  en  forme  d'iccent 
court  et  séparées  par  une  internasale  presque  aussi  grande 
qu'elles.  Trou  des  narines  ne  touchant  que  l'angle  de  la 
rostrale  à  la  suture  qui  la  réunit  avec  la  suslabiale.  Trou 
auditif  très  petit  (1,  2  millimètre  sur  1  de  largeur). 

Cou  étroit,  portant  de  chaque  côté  deux  rangées  de  rosettes 
peu  proéminentes  et,  en  dessus,  des  tubercules  carénés  accom- 
pagnés de  tubercules  secondaires  même  sur  les  deux  lignes 
médianes.  Les  tubercules  isolés  ne  commencent  qu'en 
arrière  du  cou. 

Tubercules  dorsaux  isolés  sur  quatre  rangées,  obtusément 
carénés,  très  peu  saillants,  deux  fois  plus  longs  que  larges 
(1  millimètre  sur  0,5)  à  bords  parallèles  et  à  extrémités 
un  peu  arrondies.  Carènes  non  relevées  en  arrière. 

Tubercules  latéraux  obtusément  trièJres,  à  carène  peu 
relevée  en  arrière,  pas  plus  saillants  que  ceux  des  rangées 
médianes  et  de  même  dimension.  Tubercules  secondaires 
moitié  plus   courts  que  les  principaux,  mais  aussi  éleyés, 


516        ESSAI  SUR  LA  FAUNE  ËRrÉTOLOGiQUE  DE  L*ORANIË 

réduits  à  deux  sur  deux  rangées  de  chaque  côté,  chacun 
d'eux  se  rapprochant  beaucoup  du  voisin,  le  touchant  môme 
assez  souvent.  Deux  rangées  de  rosettes  sur  les  flancs,  peu 
saillantes,  à  tubercule  principal  petit,  subconique.  En  tout 
14  rangées  longitudinales.  Membre  antérieur  entièrement 
tuberculeux,  à  tubercules  presque  obtus.  Bords  de  l'expansion 
des  doitgs  presque  parallèles.  Queue  relativement  longue,  à 
tubercules  peu  saillants,  épineux,  couchés  en  arrière. 

Cette  variété,  qui  présente  de  sérieux  caractères  distinctifs, 
est  remarquable  par  sa  forme  grêle  et  allongée.  Son  ventre 
n'est  guère  plus  large  que  la  tête. 

Coloration.  —  D'un  jaune  très  pâle,  presque  blanche. 
Taille.  —  0,065  +  0,083  =  0,148. 

Distribution  géographique  (B  :  T.,  //.-P.,  S.)  —  La 
tarente  est  commune  partout.  On  la  trouve  depuis  le  bord  de 
la  mer  jusque  dans  le  Sahara. 

Ayant  confondu  dans  mes  notes  diverses  variétés,  il  m'est 
difficile  d'établir  l'aire  de  dispersion  de  celles  que  je  viens 
de  décrire. 

Je  ne  donnerai  que  les  localités  d'où  j'ai  pu  examiner  des 
échantillons  en  collection  : 

1°  Variété  facetana.—  Oran  (remparts,  maisons);  Aïn-el-Turck. 

2°  variété  deserti.  —  Je  l'ai  reçue  d'Aïn-Sefra  (Hiroux),  juin  ; 
d'El-Abiod-Sidi-Cheikh  (Pouplier),  octobre.  Je  l'ai 
capturée  à  Arba-Tahtani  (août).  Cette  variété  abonde 
dans  les  habitations  des  oasis. 

3°  Variété  Saharœ.  —  Aïn-Sefra  (Hiroux). 

4°  Sous-variété   gracilis.    —    Oran    (rochers,    arbres)  ;    îles 

Habibas;  Arlal. 
M.  Pallary  me  l'a  rapportée  du  cap  Spartel  (Maroc). 

M.  G.  Buchet  l'a  recueillie  au  cap  Sim,  près  Mogador. 
5"  Sous-variété  atlantica.  —  Saïda  :  dj.  Aïat  (Pallary);  gorges 

de  l'oued  Saïda  ;  Bedeau.  Méchéria  (Hirouxj. 

6»  Variété  lissoïde.  —  Stitten  :  ravin  du  barrage,  dans  les 
rochers. 


ESSAI  SUR  LA  FAUNE  ERPÉTOLOGIQUP:  DE  l/oRANIE        5l7 

Ethologie.  —  La  tarente  se  trouve  partout,  dans  les 
maisons,  sur  les  remparts,  dans  les  carrières,  dans  les  souter- 
rains, sur  les  arbres,  etc.  Elle  court  avec  agilité  et,  grâce  à 
l'épanouissement  de  ses  doigts  qui  forme  ventouse,  elle 
poursuit  les  insectes  môme  sur  les  surfaces  les  plus  lisses. 
Dans  les  maisons  on  la  voit  traverser  le  plafond  et  scruter 
les  angles  qu'elle  débarrasse  des  araignées. 

Gomme  la  plupart  des  geckotiens,  la  tarente  est  plulôt 
nocturne  que  diurne.  On  ne  l'aperçoit  que  rarement  dans  le 
milieu  du  jour.  Elle  se  tient  alors  toujours  à  l'ombre,  sous  un 
rocher  ou  sur  un  arbro.  Elle  sort  à  l'approche  de  la  nuit  et 
après  le  lever  du  soleil.  Elle  ne  s'éloigne  guère  de  la  fente 
qu'elle  habite  avec  toute  la  famille.  La  recherche  de  sa  nour- 
riture l'oblige  pourtant  à  s'en  écarter.  C'est  ce  moment  qu'il  faut 
choisir  pour  la  prendre.  On  bouche  prestement  le  trou  et  on 
capture  l'animal  lorsqu'il  revient  vers  sa  demeure.  Lorsqu'on 
le  saisit,  il  pousse  un  petit  cri  aigu. 

La  tarente  est  très  rare  en  hiver;  elle  hiberne  sous  les  toits, 
dans  les  tuyaux  de  gouttière  d'où  les  fortes  pluies  la  chassent. 

La  femelle  pond  en  juin-juillet.  Les  œufs,  à  coquille  dure, 
sont  ordinairement  au  nombre  de  deux.  Ils  sont  ovales, 
longs  de  14  millimètres,  épais  de  11.  Ils  sont  déposés  sur 
le  sol,  sous  une  pierre  ou  à  l'ombre  dans  une  lézarde  d'un 
mur  exposé  au  soleil . 

Utilité.  —  La  tarente  se  nourrit  d'insectes.  Elle  devrait  être 
multipliée  dans  les  maisons  qu'elle  débarrasse  des  araignées 
et  autres  vermines.  C'est  un  animal  tout  à  fait  inofïensif. 


Tarentola  neglecta  Blg.  (PI.  IV,  fig.  3,  4) 
La  tarente  dédaignée. 

Tarentola  neglecta  Strauch,  1887  (in  Benierk,  û.  d.  Geck.),  p.  21. 

(PL,  fig.  3,  4.) 
Tarentola  angusticeps  Strauch  (loe.cit.),  p.  22.  (PL,  fig.  1,  2). 
T.  neglecta  Blg.  (Cat.  of  Barb.),  Ern.  Olivier. 

Caractères  principaux.  —  Tous  les  tubercules  principaux 
isolés,  carénés,  presque  trièdres,  très  rapproches  sur  le  milieu  du 
du  dos. 


12 


518        ESSAI  SUR  L.\  FAUNE  ERPÊTOLOGIQUE  DE  l'oRANIE 

M.  Boulenger  réunit  les  deux  espèces  de  Strauch  en  une  seule 
fT.  negleetaj,  la  T.  angusticeps  n'étant  considérée  par  le  savant 
erpétologiste  que  comme  une  simple  variation  du  type.  Le  tableau 
ci  dessous  donne  les  différences  établies   par  Strauch. 

T.  neglecta  Blg.  -  TABLEAU  DES  ESPÈCES  DE  STR.\  UCII 

I     Plaques    tuberculeuses    de    la    surface 
'  de  la  tète  convexes,   lisses  ou  va- 

guement carénées.  Tubercules    sur 
14  rangées.    PI.  IV,  fig.  3,  3  a.) 

T.  negli-cla  Strauch. 

Plaques  tuberculeuses  de  la  surface  de  la 
tête  plates,  mais  à  carène  bien  sail- 
lante. Tubercules  sur  12  rangées. 
(PI.  lY,  fig.  4,  4o.) 

T.  angusticeps  Strauch. 

Les  deux  espèces  ont  été  recueillies  ^  Batna  par  H.  Deyrolle 
(ex  Strauch). 

Tarentola  Delalandii  D.  et  B.  (PI.  IV,  fig.  5.) 

Fig.  Gervais.  Reptiles  des  Canaries.  (PL,  fig.  8-10) 

Le  platydactyle  de  Delalande. 

Platydactylus  Delalandii  D.  et  B.,  Gerçais,  Strauch. 

Cette  espèce  des  Canaries  a  été  signalée  à  Bogharpar  Strauch, 
d'après  un  échantillon  de  l'exposition  permanente.  Aucune 
découverte  n'est  venue  confirmer  la  présence  de  cette  espèce  en 
Algérie  ;  rien  n'y  fait  présumer  son  existence.  Peut-être  la 
rencontrera-t-on  au  sud  du  Maroc,  dans  le  versant  atlantique. 


Genre  HEMIDACTYLUS  Gray. 

Caractère  du  genre.  —  Doigts  tons  onguiculés,  bien  plus 
larges  dans  les  deux  tiers  inférieurs  que  dans  le  tiers  supérieur. 
Celte  dernière  partie  est  formée  de  deux  phalanges,  tr'es  grêles 
ressemblant  à  une  forte  griffe  quiz  termine  un  petit  ongle. 
Face  inférieure  de  la  partie  élargie  couverte  par  deux  séries 
parallèles  d'écaillés  lametleuscs  séparées  par  un  sillon  médian. 


ESSAI  SUR  LA  FAUNE  ERPÉTOLOGIQUE  DK  l'ORANIK       519 

Une  seule  espèce  de  ce  genre  a  été  signalée  en  Algérie  et  en 
Tunisie. 

7.        Hemidadylus  iurcicus  L.  (Pi.  IV,  fig.  G,  6a) 

Fig.  Bory  de  Saint-Vincent  (Expèd.  en  Morée)  rept.  PI.  XI,  fig.  2. 
L'hémidactyle  verruculeux  de  Guvier. 

Hemidactylus  cyanodactylus  fla/.,  Strauch. 
H.  verruculatus  Cav.,  Gerv.,  Guich.;  D.  et  B. 
H.  turcicus  (Lacerta)  L.,  Blg.,  Ern.  Olivier. 

Caractères  principaux.  —  Corps  subcylindrique  à  dos 
parcouru  par  14  lignes  de  tubercules  saillants,  blancs,  isolés, 
trièdres,  à  carène  obtuse.  Doigts  élargis  dans  les  deux  tiers 
inférieurs,  terminés  par  une  sorte  de  longue  grijfe. 

Coloration.  —  Dessus  du  corps  d'un  gris  cendré  assez 
foncé,  parsemé  de  taches  brunes  sur  le  dos  et  de  lignes 
sinueuses  de  même  couleur  sur  la  tête.  Tubercules  blancs. 

Sexes  —  Deux  petits  renflements  à  la  base  de  la  queue 
chez  le  mâle. 

Taille.-  0^045  +  O-" 050 rr  0^095;  0^048  +  queue.  O"»  12 
[Strauch).  —  Février  à  décembre. 

Distribution  géographique.  —  (B  :  T.,  H.  PL,  S.)  —  Cet 
animal  est  assez  rare  Lataste  (ex  Blg.)  l'a  signalé  à  Oran,  où 
je  l'ai  trouvé  plusieurs  fois  dans  les  environs  :  carrières  et 
ravins  autour  du  Polygone,  pic  d'Aïdour,  falaises  de  Gambetta 
et  Batterie  espagnole.  Je  l'ai  recueilli  aussi  dans  le  ravin  Sainte- 
Anne,  près  de  Misserghin,  et  à  Arlal.  On  le  trouvera  certaine- 
ment ailleurs.  Je  ne  le  connais  pas  des  Hauts-Plateaux  et  du 
Sahara  oranais. 

Etfiologie.  —  L'hémidactyle  vit  de  préférence  d  ms  les 
ravins  rocheux  sous  les  grosses  pierres  en  partie  enterrées. 
On  le  trouve  aussi  sous  les  tas  de  moellons  dans  les  vieilles 
carrières,  dans  les  vieux  murs  et  dans  les  drains  abandonnés. 


520       ESSAI  SUR  LA  FAUNE  ERPÉTOLOGIQUE  DE  L'ORANIE 

11  ne  sort  qu'à  la  tombée  de  la  nuit.  C'est  un  animal  inoffensif 
et  aussi  utile  que  la  tarcnte. 

La  femelle  pond  en  juin  2  ou  3  œufs  subsphériques  de 
de  9  mil),  sur  10.  La  coquille  est  dure,  grise  et  marbrée  de 
violet  par  places.  L'éclosion  a  lieu  en  juillet. 


Genre  PTYODACTYLUS  Gray. 

Caractères  du  genre.  —  Doigts  assez  longs,  cylindro- 
coniques,  terminés  par  une  exj^iansion  senti- circulaire  ou 
trapézoïde,  légèrement  échancrée  en  avant.  La  face  inférieure 
de  Vc-xpansion  est  recouverte  de  lamelles  obliques  et  parallèles 
disposées  en  éventail  et  divisées  en  deux  séries  symétriques  par 
un  sillon  médian.  Un  ongle  microscopique  est  logé  dans  chaque 
échancrure. 

Ce  genre  est  représenté  en  Algérie  par  une  seule  espèce, 
Pt.  oudrii  Lat.  que  M.  Boulenger  ne  sépare  pas  du  Pi.  lohatus 
Geoffroy  d'Egypte.  L'étude  que  j'ai  faite  des  exemplaires  du 
Sud  Oranais  m'a  amené  â  maintenir  au  rang  d'espèce  le 
Pt.  oudrii  de  M.  F.  Lataste. 

Le  tableau  ci-après  fait  ressortir  les  différences  spécifiques 
sur  lesquelles  je  base  mon  opinion  : 

G.  Ptyodactylus.  —  TABLEAU   DES   ESPÈCES 

Tête  renflée,  front  sur  un  plan  bien  plus  élevé  que 
celui  du  museau  ;  corps  arrondi  ;  diamètre 
de  l'œil  atteignant  presque  5  mil!.  ;  cuisses 
dépourvues  de  petits  tubercules  saillants 
semblables  à  ceux  du  dos  ;  expansions  des 
doigts  semi-circulaires  ;  ouverture  tympa- 
nique,  étroite  et  longue,  2  à  3  fois  plus  haute 
que  large  ;  narines  très  saillantes  en  forme  de 
bourrelet  bien  distinct,(  PL  V,  fig.  2,  5a  ) 

Pt.  lobatus  Geoff.  —  Egypte. 


ESSAI  SUR  LA  FAUNE  ERPÉTOLOGIQUE  DE  L'ORANIE       521 

Tète  plate  :  tronc  déprimé  ;  diamètre  de  l'œil 
dépassant  à  peine  o  inill.  ;  cuisses  et  avant- 
bras  pourvus  do  nombreux,  tubercules 
saillants  semblables  à  ceux  du  dos  ;  expan- 
sions des  doigts  à  bords  souvent  repliés 
en  dessus,  ce  qui  donne  à  l'ensemble  la 
forme  d'un  losange  ;  ouverture  tympaniqu3 
petite,  à  peine  plus  haute  que  large,  en 
forme  de  demi-cercle  ;  bourrelet  des  narines 
peu  saillant.  (PI.  V,  (ig.  1,  la,  h,  c.) 

Pt.  Oudrii  Lat.  —  O. 

8.       Piyodaciylus  oudrii  Lat.  (PI.  V,  llg.  1, 1  a,  b,  c) 

Fig.  Blg.  Cat.  Bavb.  (PI.  XIII,  f.  2,  a,  b,  c.) 
Le  type  est  figuré  :  Description  de  l'Egypte,  suppl.  (PI.  i,  fig.  2.) 

Le  gecko  d'Ouclri. 

Ptyodactylus  Oudrii  Latasie,    in  journal  le  Naturaliste,  1880, 

p.  299. 
Pt.  lobatus  Geoffr.  var.  Oudrii  Blg.,  Ern.  Olivier. 

Caractères  principaux.   ~  {Voir  le  tableau  ci-dessus.) 

Tête  ressemblant  à  celle  de  Tarentola  mauritanica,  mais  plus 
plate.  Ses  dimensions  sont  :  largeur  entre  les  oreilles  0^013  ; 
distance  du  bout  du  museau  à  la  ligne  des  oreilles  0™015,  au 
pli  du  cou  O'nQlB  ;  hauteur  0"i007.  (Chez  Pt.  lobatus  d'Egypte 
la  tète  est  renflée  comme  chez  Stenodactglus  guttatus  :  elle 
est  haute  de  O'nQlO,  le  front  étant  sur  un  plan  bien  plus  élevé 
que  celui  du  museau.)  Yeux  petits,  un  peu  plus  larges  (0'»0031) 
que  hauts,  à  arcade  sourcilière  presque  droite,  à  angles  supé- 
rieurs un  peu  arrondis  mais  bien  marqués.  (Chez  Pt.  lobatus 
les  yeux  sont  presque  circulaires  et  le  diamètre  du  globe  est 
de  OniOOil.)  Narines  peu  saillantes.  (Chez  Pt.  lobatus  elles 
forment  un  bourrelet  très  proéminent  bien  détaché.)  Granula- 
tions de  la  partie  antérieure  de  la  surface  de  la  tête  plus 
grandes  que  celles  de  la  région  frontale  et  plus  encore  que 


522       ESSAI  SUR  LA  FAUNE  ERPÉTOLOGIQUE  DE  L'ORANIE 

celles  de  l'occiput.  Labiales  en  nombre  variable  (-^^•••), 
difficiles  à  compter  ;  les  supérieures  ne  correspondent  pas 
exactement  aux  inférieures.  (Chez  Pt.  lohatus  elles  sont  très 
symétriquement  placées.)  Mentonnière  très  étroite  (O"'OO08) 
et  longue,  la  pointe  atteignant  presque  la  ligne  inférieure  des 
inframaxillaires.  Ces  dernières,  très  contiguës  entre  elles,  sont 
deux  fois  plus  longues  que  larges.  (Chez  Pt.  lohatus  les  infra- 
maxillaires  sont  aussi  larges  que  hautes.)  Trou  auditif  petit, 
en  forme  de  demi-cercle  :  la  corde,  en  avant,  mesure  O^OOIS 
de  haut,  la  flèche  0,001.  (Chez  Pt.  lohatus  les  dimensions  sont 
0^003  surO"i001.)  Corps  couvert  de  fines  granulations  à  peu 
près  semblables  à  celles  de  l'occiput.  Sur  ce  fond,  font  saillie 
de  petits  tubercules  arrondis,  peu  proéminents,  mais  bien 
visibles,  distants  les  uns  des  autres  de  1  à  2  millimètres  et 
disposés  sur  une  douzaine  de  lignes  irrégulièrement  parallèles. 

Des  tubercules  semblables  existent  aussi  en  assez  grand 
nombre  sur  les  cuisses  et  sur  les  jambes.  Ils  sont  rares  sur 
les  bras,  assez  nombreux  sur  les  avant-bras.  On  en  voit 
encore  de  plus  petits  sur  le  bord  postérieur  des  anneaux 
de  la  queue.  Le  dessous  de  la  queue  est  couvert  de  petites 
écailles  à  peu  près  semblables  à  celles  du  dessus.  Membres 
plus  ramassés  que  chez  Pt.  lohatus.  Avant-bras  plus  court  que 
le  bras.  (Chez  Pt.  lohatus  il  est  au  moins  aussi  long.)  Chez  les 
deux  espèces,  la  différence  est  encore  plus  sensible  dans  les 
membres  postérieurs.  Extrémité  de  chaque  doigt  élargie,  à 
expansion  formée  en  dessous  par  des  lamelles  parallèles 
obliques,  disposées  en  éventail  ;  bords  relevés,  ce  qui  donne 
au  contour  de  l'expansion  (sur  le  vif)  une  forme  losangique  ; 
bords  antérieurs  blancs. 

Je  dois  faire  observer  que,  lorsque  la  mue  se  produit  au 
moment  de  la  mise  en  alcool,  si  on  enlève  le  vieil  épiderme, 
on  voit  que  les  expansions  des  doigts  ont  une  tendance  à 
devenir  semi-circulaires  comme  chez  les  Pt.  lohatus  d'Egypte 
que  j'ai  en  collection  ou  que  j'ai  vus  figurés.  Il  y  aura  lieu  de 
bien  fixer  la  forme  de  l'expansion  de  l'animal  égyptien. 

Les  membres  de  Pt.  oudrii  ayant  des  proportions  moindres, 
la  distance  entre  les  coudes  et  les  genoux  ramenés  sur  le  tronc, 
est  plus  grande  que  chez  Pt.  lohatus.  Elle  égale,  en  moyenne, 


ESSAI  SUR  LA  FAUNE  ERPÉTOLOGIQUE  DE  L'ORANIE        523 

le  tiers  de  la  distance  de  l'aisselle  à  l'aine.  (Chez  Pt.  lobaius 
elle  n'est  égale  qu'au  quart.) 

CoLOHATioN.  —  D'un  gris  brunâtre  assez  foncé  avec  des 
taches  éparses  plus  sombres,  mais  peu  distinctes.  Ventre  d'un 
blanc  sale. 

Sexes.  —  Le  mâle  est  pourvu,  à  la  base  de  la  queue,  de 
deux  petits  mamelons,  portant  sur  le  côté  deux  tubercules 
saillants. 

Taille.— 0 m  058  +  0"' 056  ;  GraOGO  +0"iG58  z=  O'MIS.  Un 
jeune  (12  août)  :  0'n028  +  (queue). 

Distribution  géographique.  —  (Ai  :  H.-PL,  S.)  —  Cette 
espèce  n'était  connue,  dans  la  province  d'Oran,  que  par  un 
exemplaire  recueilli  à  Djenien-bou-Resq  par  mon  regretté  ami 
Maury  et  donné  par  lui  à  M.  Lataste.  J'ai  été  assez  heureux 
pour  retrouver  ce  gecko.  Je  l'ai  vu  à  Géryville,  vers  les  Gorges. 
(20  juillet  1897).  Je  l'ai  capturé  en  nombre  à  Stitten  le  28. 
Enfin,  j'en  ai  pris  deux  jeunes  individus  au  sommet  du  Djebel- 
bou-Derga  (poste  optique  près  de  Géryville),  le  12  août.  M.  Pic 
(in  litt.)  me  dit  avoir  capturé  le  Ptyodactyle  à  Méchéria  et  à 
Aïn-Sefra. 

Ethologie.  —  Cette  espèce  vit  dans  les  amas  de  rochers, 
comme  Tarentola  mauritanica.  Elle  a  d'ailleurs  l'aspect  de  la 
variété  noirâtre  de  cette  dernière.  Elle  cohabite  à  Stitten  avec 
la  var.  Ussoide  laquelle  s'en  distingue,  de  loin,  à  première  vue, 
par  sa  coloration  très  pâle. 

Pt.  oudrii  paraît  avoir  des  mœurs  identiques  à  celles  de  la 
tarente  ;  il  ne  semble  sortir  que  le  matin  et  le  soir.  A  Géryville, 
j'ai  aperçu  cette  espèce  à  la  tombée  de  la  nuit,  sur  des  rochers 
à  pic  où  je  n'ai  pu  l'atteindre.  A  Stitten,  je  l'ai  vue  en  abon- 
dance le  matin,  de  neuf  heures  à  onze  heures,  dans  les  grands 
amas  de  rochers,  peu  exposés  au  soleil,  qui  se  trouvent  vers 
le  barrage.  Je  l'ai  chassée  en  la  délogeant  des  anfractuosités 
horizontales,  avec  un  bâton.  Très  agile,  elle  est  diftlcile  à 
prendre.  Ce  n'est  qu'avec  l'aide  de  petits  arabes  que  j'ai  pu 
en  capturer  une  dizaine  d'individus.  Les  deux  jeunes  que  j'ai 
pris  au  Djebel-bou-Derga,  sous  une  grosse  pierre  à  moitié 


524       ESSAI  SUR  LA  FAUNE  ERPÉTOLOGIQUE  DE  L'ORANIE 

enterrée,  me  laissent  à  penser  que,  pendant  le  jeune  âge,  les 
mœurs  de  cette  espèce  se  rapprochent  de  celles  de  VHen),idac- 
tylus  turcicus. 

Genre  PHYLLODACTYLUS  Gray. 

Caractères  du  genre.  —  Tous  les  doigts  onguiculés,  por- 
tant à  leur  extrémité  une  expansion  suhtriangulaire  à  face 
inférieure  unie  ou  finement  chagrinée  rugueuse  et  divisée  en 
deux  far  un  sillon  médian. 

Ce  genre  est  représenté  en  Tunisie  par  une  seule  espèce  : 

Phyllodactylus  europœus  Gêné.  (PI.  V,  fig.  4,  'i  a) 
Fig.  Bonaparte  f'FaM/ia  italicaj. 

Le  phyllodactyle  d'Europe. 

Phyllodaclylus  europœus  Gêné  ;  Boulenger. 

M.  Doria  a  signalé  cette  petite  espèce  à  Tiio  Galita  (T.) 


Genre  GYMNODACTYLUS  G.  Cuvier 

Caractères  du  genre.  —  Doigts  onguiculés,  dépourvus 
d'expansions,  arroniis  ou  un  peu  aplat is  dans  la  moitié 
inférieure,  généralement  comprimés  par  les  côtés  dans  la  partie 
supérieure;  pas  de  dentelures  sur  les  bords.  Le  mâle  a  ordinai- 
retnent  des  pores  fémoraux. 

Ce  genre  est  représenté  au  Maroc  par  une  espèce  : 

Gyranodactylus  trachyblepharus  Boltg.  (PI. V,  fig.  3,  3  a,  6) 

Description  eijig.  BoLlg.  Abh.  Senck.  Gés.  187'i.  (PI.  X.  fig.  3^ 
a,  b,  c,  d.) 

Le  gymuodaclyle  à  paupières  hériss  es. 

Gymnodaclylus  trachyblepharus Bb^^^.  in  Rept.  oo/i Maroc...  1874 
G.  —  —  Boulenger. 

Espèce  de  petite  taille,  grêle,  à  queue  fine,  bien  reconnaissable  à 
ses  paupières  supérieures  fortement  dentées  en    scie   et  à    ses 


ESSAI  SUR  LA  FAUNE  ERPÉTOLOGIQUE  DE  L'0RAN[E       525 

doigts  compriinos  laléralemoiit  dans  le  tiers  supC'ritmr  et  de 
longueur  un  peu  exagérée.  Dos  couvert  de  fines  granulations. 
Ventrales  plates,  assez  larges,  imbriquées. 

Cette  espèce  a  été  recueillie  au   Djebel  Iladib,  près  Mogador 
(Maroc),  par  von  den  Herren  et  von  Fi-itsch  (ex  Boltger.) 


Genre  SAURODACTYLUS  Fitz. 

Caractères  du  genre.  —  Doigts  presque  filiformes,  tous 
onguiculés,  semblables  à  ceux  des  petits  lacertïens  ;  face  infé- 
rieure striée  par  des  replis  transversaux  s'étendant  sur  toute 
la  largeur;  côtés  très  peu  dentelés.  Orteil  interne  s' écartant  à 
angle  droit.  Corps  couvert  d'écaillés  symétriques  ;  celles  du 
dos  très  petites,  granuleuses  ;  celles  du  ventre  hienplus  grandes, 
plates,  imbriquées. 

Une  seule  espèce  au  Maroc  et  en  Algérie. 
9.  Saurodacfyliis  mauriianicus  D.  et  B.  (Pl.V,  fig.  5, 5  a) 

Fig.  Blg.  Clac,  cit.)  Pi.  XIII,  f.  1,  a,  b,  c. 

Le  saurodactyle  de  Maurétanie. 

Gymnodactylus  mauritanicus  D.  et  B.,  Stranch,  Lallemant. 
Saui'odactylus  mauritanicus  D.  eti?.,  Blg.,  Ern.  Olivier. 

Ce  saurodactyle  est  le  plus  petit  de  nos  sauriens.  11  est  très 
rare  et  peu  connu.  Voici  la  description  du  seul  individu  que  je 
possède  : 

Aspect  d'un  petit  Lacerta  perspicillata,  k  dos  bronzé.  Tête 
dépourvue  de  plaques  symétriques,  un  peu  plus  longue  que 
large:  ligne  des  oreilles  5  niill.,  distance  au  bout  du  rnuseau 
0'"006.  Museau  court;  œil  circulaire  (0  "'00 12)  à  arcade  sour- 
cilière  non  saillante  ;  tempes  assez  proéminentes  ;  labiales 
nettement  élargies  |.  Nanne  entre  la  rostrale,  la  l^e  labiale  et 
trois  nasales.  Les  deux  supranasa'es  grandes,  larges,  contiguës 
entre  elles  et  à  la  rostrale  ;  les  deux  autres  nasales  sont  formées 
par  deux  granulations  semblables  à  celles  de  la  tête,  mais  plus 


526        ESSAI  SUR  LA  FAUNE  ERPÉTOLOGIQUE  DE  L'ORANIE 

grandes.  Ecaillure  de  la  surface  de  la  tête  fine,  très  régulière, 
imbriquée,  les  plus  grandes  écailles  se  trouvant  sur  le  museau. 
Peau  du  dos  recouverte  d'écaillés  paraissmt  régulières,  très 
finementgranuleuses,  absolument  semblables  à  celles  d'un  petit 
Lacerta,  lisse  à  l'œil  nu.  En  dessous,  l3s  écailles,  très  fines  sous  la 
gorge,  s'agrandissent  au-delà.  Sur  le  ventre,  elles  sont  à  peu 
près  toutes  de  même  gi-andeur,  visiblement  imbriquées  et 
régulièrement  disposées.  Toutes  sont  très  plates,  anguleuses, 
mais  à  angles  très  arrondis.  Queue  couverte  en  dessus  et 
sur  les  côtés  d'écaillés  carrées  ou  un  peu  rectangulaires,  à 
bords  droits  et  épais,  toutes  semblables,  à  peu  près  régulière- 
ment disposées  en  verticilles.  En  dessous  et  sur  le  milieu, 
se  trouve  une  ligne  de  plaques  trapézoïdes  à  grande  base 
convexe.  Cette  ligne  atteint  le  bout  de  la  queue.  Elle  est 
bordée  de  chaque  côté  de  deux  lignes  de  plaques  semblables 
à  celles  du  ventre.  Les  premières  pla({ues,  les  plus  grandes, 
ont  U»i00125  de  largeur  et  0'"0005  de  longueur.  Membres 
très  écailleux.  Doigts  très  fins  (le  plus  long  mesure  22  mi  11.), 
très  oblusément  denticulés  sur  les  côtés,  portant  en  dessous 
des  plaques  larges,  courtes,  carénées  dans  le  sens  de  la 
largeur.  2^^  3«  et  4^  doigts  à  peu  près  égaux,  s'étalant  en 
éventail.  Orteils  inégaux;  le  4%  qui  est  le  plus  long  (3  mill.), 
dépasse  à  peine  le  3*=. 

Coloration.  —  Dessus  brun,  presque  bronzé,  uni,  tacheté 
de  points  de  couleur  rouge  de  brique,  distants,  disposés  en 
lignes  peu  régulières.  Quelques  écailles  noires  touchent  ces 
points.  Queue  plus  colorée,  portant  de  nombreuses  taches 
orangées,  irrégulières,  grandes,  élargies.  Ventre  d'un  blanc 
très  sale.  Dessous  de  la  queue  rosé  orangé. 

Taille  —  0"i027  +  0'"032  =  0"i059  ;  largeur  du  corps  6  à 
7  millimètres. 

Observation.  —  Le  seul  échantillon  que  je  possède  et  qui 
provient  de  Sebdou  semble  différer  des  échantillons  recueillis 
à  Mogador  par  M.  Gaston  Buchet.  Les  exemplaires  marocains 
ont  le  corps  moins  grêle  et  l'éraillure  de  leur  queue  diffère 
nettement  de  celle  de  l'exemplaire  de  Sebdou  ;  la  ligne  inférieure 


ESSAI  SUR  LA  FAUNE  ERPÉTOLOGIQUE  DE  l'oRANIE        527 

et  régulière  de  plaques  larges  et  con  ligues  n'existe  pas.  Les 
écailles  supérieures  des  anneaux  ne  sont  pas  disposées  en 
verticilles  réguliers;  elles  sont  de  dimensions  inégales  et  leur 
bord  libre  est  arrondi  en  pointe.  N'ayant  qu'un  seul  échantillon 
oranais,  je  me  contente  de  signaler  les  différences  constatées. 
La  figure  de  BIg.  (loc.  cit.)  représente  aussi  un  animal  plus 
ramassé  semblable  à  ceux  de  Mogador. 

DfSTRIBUTION  GÉOGR\PH[QUE.  —  (M.,  Al  :   T.,  //.   P.,  S.)  — 

M.  Lataste  a  reçu  de  Nemours  deux  individus  de  cette  espèce, 
récoltés  par  M.  Gazagnaire  en  1888  {ex  Blg.).  C'est  la  seule 
localité  de  la  province  d'Oran  où  cette  espèce  ait  été  signalée. 
Je  l'ai  retrouvée  en  septembre  1896  dans  le  djebel  Mizab,  à 
14  kilomètres  de  Sebdou,  non  loin  de  la  maison  forestière.  J'ai 
vu  deux  individus,  mais  je  n'ai  pu  en  capturer  qu'un  seul. 
Depuis,  je  n'ai  plus  revu  cette  espèce  que  sa  petitesse  et  peut- 
être  aussi  des  mœurs  spéciales  soustraient  aux  recherches. 

Dans  la  province  d'Alger  elle  a  été  signalée  au  Sersou 
(Millier).  Slrauch  l'a  vue  dans  la  collection  Loche,  provenant 
du  Sahara. 

Ethologie.  —  Cette  espèce  m'a  paru  vivre  comme  l'hemi- 
dactyle.  J'ai  trouvé  l'exemplaire  que  je  possède  sous  un 
amoncellement  de  grosses  pierres  en  partie  enterrées. 

Un  autre  individu  que  je  ne  pus  prendre  se  trouvait  sous 
une  pierre  isolée  qui  recouvrait  un  trou  vertical  dans  lequel 
il  disparut. 

Cet  animal  ne  doit  sortir  qu'à  la  tombée  de  la  nuit.  Je  l'ai 
pris,  vers  les  cinq  heures,  dans  un  endroit  très  ombragé, 
dans  une  forêt  pierreuse. 


Genre  TROPIOCOLOTES  Peters. 

Gar^cti^res  du  genre.  —  Taille  petite.  Tête  petite  et 
plate.  Doigts  fins,  courts,  non  dilatés.  Dos  et  ventre  cow  erts 
d'écaillés  imbriquées,  carénées,  les  carènes  formant  des 
lignes  continues  et  parallèles.  Ecaillure  de  la  queue  semblable 
à  celle  du  corps. 


528       ESSAI  SUR  LA  FAUNE  ERPÉTOLOGIQUE  DE  L'ORANIE 

Une  espèce  de  ce  genre  existe  dans  le  Sahara  tunisien  : 

Tropiocolotes  tripolitanus  Peters.  (PI.  V,  fig.  6) 
Fig.  Peters  Mon.  Berl.  Ac.  1880.  (PI.  X,  fig.  1) 

Le  tropiocolotes  de  la  Tripoli taiiie. 

Tropiocolotes  tripolitanus  Peters,  Boulenger. 

Cette  espèce  du  Sud  tunisien  est  inconnue  en  Algérie.  On 
pourra  la  rencontrer  dans  le  Sahara  constantinois. 

M.  M.  Blanc  m'a  envoyé  de  Foum  Tatahouine  (Tunisie)  deux 
échantillons  de  cette  espèce  remarquables  par  leur  corps  grêle. 
(Fig.  6.) 


Genre  STENODACTYLUS  Fitz. 

Caractères  du  genre.  —  Doigts  cylindriques  à  écailles 
latérales  les  faisant  paraître  dentelés  en  scie  à  la  loujie  ;  face 
inférieure  portant  plusieurs  rangées  longitudinales  d'écaillés 
suhépineuses.  Ventre  couvert  de  fines  granulations  de  même 
facture  que  celles  du  dos. 

Ce  genre  est  représenté  en  Algérie  et  en  Tunisie  par  une 
seule  espèce  : 

10.  Sienodaciylus  guffatus  Cuv. 

Le  type:  Fig.  Expédition  d'Egypte,  rept.  (PI.  V,  fig.  ?.) 

Le  stenodactyle  tacheté. 

Stenodactylus  guttatus  Guy.,  Aud.  et  Sav.,  Boulenger^ 
Caractères  principaux.  —  {Voir  ceux  du  genre). 

Le   St.   guttatus  Cuv.  est  bien  variable.  Le  type,  qni  es 
égyptien,  ne  paraît  pas  avoir  encore  été  rencontré  en  Berbérie. 

La  forme  algérienne  diffère  tellement  du  type  que  Guichenot 
n'a  pas  hésité  à  élever  au  rang  d'espèce  (St.  unauritanicus) 
l'animal  d'Oran.  Sans  admettre  l'opinion  de  Guichenot,  je  suis 
loin  de  la  repousser.  Mon  indécision  vient  de  ce  que  St.  mauri- 
taniens varie  dans  notre  province  et,  dans  ces  conditions,  je 


ESSAI  SUR  LA  FAUNE  ERPÉTOLOGÎQUE  DE  l'oRANIE        529 

préfère  ne  le  considérer,  momentanément,  que  comme  une 
variété.  L'élude  de  matériaux  sullisants  permettra,  plus  tard, 
d'être  affirmatif.  En  attendant,  voici  un  tableau  présentant  les 
différences  observées  : 

St.  guttatus.  —  TABLEAU  DES  VARIÉTÉS 

/  «  Extrémité  des  membres  postérieurs 
appliqués  le  long  du  corps  attei- 
gnant presque  le  trou  auditif.  Écail- 
lure  du  dos  à  éléments  bombés.  » 
(Strauch.) 

Variété  Wilkinsonnii. 

Extrémité  des  membres   postérieurs 

atteignant  à  peine  l'aisselle.  2 


Plaques  nasales  formant  autour  des 
narines  un  bourrelet  très  saillant. 
Ecadlure  du  dos  égale,  à  éléments 
lisses,  plans  conve.xes.  Un  sillon 
dorsal. 

Variété  guttatus  (St.  Cmu.)  — Egypte. 

Plaques  nasales  ne  formant  pas  un 
bourrelet  saillant.  Écaillure  supé- 
rieure plus  ou  moins  inégale  à 
éléments  striés  nettement  con- 
vexes, subpyramidaux.  3 


Écaillure  peu  inégale. 


Variété  mauritanicus. 


3. 


Écaillure  formée  d'éléments  de  gran- 
deur variable  :  les  plus  grands 
égalant  4  fois  les  plus  petits,  bien 
visibles  à  l'œil  nu  et  ressortant 
comme  des  tubercules. 

Variété  Hirouxii. 


530       ESSAI  SUR  LA  FAUNE  ERPÊTOLOGIQUE  DE  l'oRANIE 

Variété  MADRITANICUS 

Fig.  Guich.,  Explor.  se.  de  l'Algérie  (PI.  1,  fig.  1) 

St.  mauritanicus  Guich.,  Strauch,  Lallemant. 
St.  guttatus  Blg.,  Ern.  Olivier. 

Tête  épaisse  (8  à  9  mill.),  aussi  large  que  longue  ;  ligne 
des  tempes  :  11  mill.  ;  de  la  ligne  des  oreilles  au  museau  :  11- 
12  millimètres.  Museau  court.  Narines  très  peu  saillantes. 
Labiales  ^°  ,    " (Ce  caractère  est  sans  valeur).  Écaillure 

9     '        8  ^  ^ 

assez  fine,  granuleuse.  Granules  subécailleux,  épais,  subconi- 
ques sur  le  dos,  ceux  de  la  tête  assez  plats,  tous  striés  par  des 
rayons  irréguliers  qui  partent  du  centre.  Tous  ces  granules 
sont  à  peu  près  de  même  grandeur  ;  leur  contour  est  irrégulier. 
Ventre  à  granulations  plus  fines,  convexes,  arrondies,  régu- 
lièrement disposées.  Celles  de  la  gorge  encore  plus  fines. 
Queue  grosse.  Écaillure  supérieure  exagérant  celle  du  dos. 
L'inférieure  plus  fine  que  celle  du  dessus.  Membres  courts  et 
forts.  Doigts  et  orteils  assez  gros  (0,0008  de  diamètre).  Le  doigt 
du  milieu  est  le  plus  long,  mais  il  dépasse  à  peine  les  latéraux. 

Coloration.  —  Robe  à  couleur  changeante  sous  l'effet  du 
mimétisme.  Lorsqu'on  prend  l'animal,  il  est  généralement  d'un 
gris  noirâtre,  lorsqu'on  le  retire  du  sac  de  chasse  on  le  trouve 
avec  une  robe  gris  clair  ornée  de  bandes  plus  apparentes. 
Parfois  on  le  trouve  de  couleur  roussâtre. 
Voici  la  coloration  la  plus  commune  que  l'on  constate  à  Oran  : 
Fond  d'un  gris  noirâtre.  Sur  le  dos  et  sur  la  tête  de  larges 
bandes  transversales  de  même  couleur,  bien  plus  foncées, 
bordées  de  noir,  tranchent  vivement  sur  le  fond  de  la  robe.  La 
première  de  ces  bandes  forme,  sur  la  tète,  un  grand  fer  à  cheval 
qui,  des  yeux,  contourne  l'occiput.  Son  épaisseur  est  de  deux 
millimètres.  Elle  est  bordée  .par  une  ligne  sinueuse  d'écaillés 
noires.  Les  extrémités  du  fer  à  cheval  montent  souvent  sur  les 
arcades  sourcilières  pour  descendre  sur  les  côtés  du  museau. 
La  roslrale  et  la  mentonnière  sont  aussi  entourées  d'un  cercle 
presque  fermé.  Un  deuxième  ter  à  cheval  se  trouve  sur  le 
cou  ;  chaque  branche  atteint  le  milieu  de  l'espace  compris 
entre  l'épaule  et  l'oreille. 


ESSAI  SUH  LA  FAUNE  ERPÉTOLOGIQUE  DE  l'ORANIE       531 

En  arrière,  h  une  dislancc  égale  à  celle  qui  sépare  les  deux 
fers  à  cheval,  se  trouve  une  troisième  bande  de  3  niill.  qui 
barre  lo  haut  du  dos.  Cette  bande  est  parfois  sectionnée  en 
ti'ois  taches,  les  latérales  étant  les  plus  petites.  Jusqu'à  la 
naissance  de  la  queue  peuvent  exister  trois  ou  quatre  autres 
grandes  taches  semblables  à  la  grande  de  la  troisième  bande. 
On  trouve  aussi  de  petites  bandes  plus  ou  moins  apparentes 
sur  les  membres.  Tout  le  dessus  du  corps  et  des  membres  est 
semé  d'un  grand  nombre  de  gouttelettes  d'un  brun  clair  ou 
d'un  blanc  sale. 

Les  flancs,  les  pattes  et  la  queue  sont,  assez  souvent, 
latéralement,  lavés  de  jaune  crème  réticulé  par  le  brun  du 
dos.  Le  museau  est  plus  clair  que  la  partie  frontale.  Ventre 
blanc.  La  queue  porte  des  anneaux  mal  définis  de  taches 
alternativement  claires  et  sombres. 

Observation.  —  Je  n'ai  jamais  constaté  les  taches  bleues 
que  l'on  voit  dans  la  figure  de  Guichenot. 

Sexes.  -  Le  mâle  présente  sous  la  queue  deux  mamelons 
bien  distincts  séparés  par  un  sillon  profond. 

Taille.  —  0'n052  +  0"i033  =  0'"085. 

Distribution  géographique. —  (Ai,  T  :  T.,  H.  P.,  S.)—  Ne 
possédant  de  l'Algérie  que  des  échantillons  de  la  province 
d'Oran,  je  ne  puis  dire  jusqu'où  s'étend,  à  l'est,  la  var. 
mauritanica,  telle  que  je  viens  de  la  délimiter. 

C'est  d'Oran  que  Guichenot  l'a  décrite  et  figurée.  On  la 
rencontre  presque  toute  Tannée  sur  le  plateau  qui  s'étend 
d'Oran  à  la  montagne  des  Lions.  Elle  y  est  rare.  Aussi,  à  la 
Batterie  espagnole  (très  rare).  Je  l'ai  recueillie  (var,  gris  perle) 
à  Kralfallah  (20  août),  au  Khreider  (15  juillet).  J'ai  pr  s  aussi 
un  exemplaire  à  Géry ville  le  10  août.  Ayant  donné  cet 
échanlillon,  je  ne  sais  s'il  appartient  à  la  var.  mauritanica 
ou  à  la  var.  Hivoiucii.  Il  était  à  fond  roussàtre. 

M.  M.  Blanc  m'a  envoyé  la  variété  mauntanica  de  Foum 
Tatahouine  (Tunisie). 

Un  échanlillon  du  même  pays,  sans  localité  précise,  pré- 
sente une  écaillure  bien  curieuse:  les  écailles  sont  inégales  et 


532       ESSAI  SUR  LA  FAUNE  ERPÉTOLOGTQUE  DE  l'ORâNIË 

allongées,  comme  imbriquées.  Malheureusement  l'exemplaire 
est  en  mauvais  état,  l'épiderme  manque. 

Variété  HIROUXII  Nob.  (PI.  V,  fig.  7,  7  a) 

Se  sépare  de  la  variété  précédente  par  l'écaillure  du 
dos  qui  est  inégale.  On  distingue  nettement,  sur  le  dos,  des 
granulations  2  à  4  fois  plus  grandes  que  les  autres.  Ces 
granulations  sont  blanches  ou  brunes.  Les  plus  grandes 
ressortent  comme  les  tubercules  du  Ptyodactylus  oudrii. 

La  coloration  est  à  fond  roussàtre,  les  bandes  et  les  taches, 
d'un  brun  roussàtre  plus  foncé.  J'ai  reçu  cette  variété  de 
Méchéria  (Hiroux). 

Ethologie.  —  Le  stenodactyle  est  comme  tous  les  geckotiens 
un  animal  nocturne.  Il  commence  à  circuler  vers  le  soir.  Il  se 
blottit  sous  les  pierres  isolées  où  on  le  capture  facilement, 
mais  rarement.  Si  le  temps  est  frais,  on  peut  le  trouver  dans 
la  journée.  Enroulé  en  cercle,  il  ne  fait  pas  un  mouvement. 
C'est  certainement  le  lézard  le  plus  facile  à  prendre.  Il  doit  être 
la  proie  des  couleuvres.  C'est  là  une  des  causes  de  sa  rareté.  Il 
habite  dans  la  terre,  dans  un  trou  caché  sous  un  petit  moellon. 

L'immobilité  qu'il  manifeste  lorsqu'on  le  surprend  n'est  que 
voulue.  Si  on  laisse  un  moment  l'animal  libre  sur  la  main,  il 
s'élance  comme  une  sauterelle  et  disparait  assez  vite.  Quand 
on  le  saisit,  il  pousse  un  petit  cri  aigïi. 

On  trouve  cette  espèce  presque  toute  l'année.  Je  l'ai  prise  à 
Oran  le  2  février,  le  10  mars,  le  1-4  juin,  le  5  octobre,  le 
8  décembre.  Je  n'ai  pu  faire  aucune  remarque  sur  la  période 
de  gestation  Les  jeunes  naissent  après  le  15  août.  Le  28,  un 
nouveau-né  mesurait  29  +  19  =  48  mill.  Ses  pattes  étaient 
très  longues  ;  sa  coloration,  identique  à  celle  des  adultes. 

Variété  WILKINSONNII 

Stenodactylus  Wilkinsonnii  Straiich  (Bermek.,  Gekonidem,    loe. 
cit.,  page  67.) 

Strauch  a  décrit  et  cité  son  espèce  de  Batna  d'après  deux 
exemplaires  recueillis  par  M.  H.  Deyrolle. 

Observation.  —  Je  ferai  remarquer  que  les  jeunes  geckotiens 
ont  souvent  les  membres  de  longueur  anormale. 

(A  suivre). 


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298  d'archéologie  de  11  province 

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t.  19  Bulletin  trimestriel  de 

géographie  et  d'archéologie 


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