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Full text of "Bossuet et les saints peres, d'apres des documents originaux et inédits"

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BOSSUET 


LES  SAINTS  PÈRES 


BOSSIET   ET   LES  SAIKTS  PÈKES. 


■ITPOGHAPHIK  FIRM1A--DID0T   ET   C'^   —   MESXIL   (EURE). 


\       L'Abbé    THEODORE    DELMONT 


BOSSUET 


LES  SAINTS  PÈRES 


«  Il  n'est  pas  croyable  combien  ou  avance, 
pourvu  qu'on  donne  quelque  temps  (à  la  lecture 
des  Pères).    » 

BossUET,  Écrit  composé  pour  le    Cardinal 
de  Bouillon. 

((  Citm  Patrum  omnium  relut  encyclopedia 
sint  vestri  libri. 

«  Vos  livres  sont  comme  une  encjclopédie  de 
a  tous  les  Pères.  » 

Lettre  du  P.  François-Marie  Caiipiosi,  de 
Rome,  à  l'évêque  de  Meaux,  sept.  1698. 


PARIS 

PUTOIS-CRETTÉ,   LIBRAIRE-ÉDIT  KUR 

DO,  ki:k  m-,  rknnks',  90 

1896 


Aios 


A  SA  GRANDEUR  MONSEIGNEUR  COULLIE, 

ARCHEVÊQUE    DE    LYON    ET    DE   VIENNE, 

Primat  des  Gaules, 

Chancelikf;   des   Facli.tks  cathouqies   de   Lyon, 


Hommage  de  filiale  vénération. 


A  MONSIEUR  EMMANUEL  DES  ESSARTS, 

Chevalier  de  la  Légion  d'iionneik, 
Doyen  de  la  Faci'lté  des  Lettres  de  Cler.mont, 


Hommage  de  respectueuse  reconnaissance. 


A  MONSIEUR  EUGENE  LEOTARD, 

Ancien  élève  de  l'École  Normale  supérieure. 
Commandeur  de  l'Ordrr  de  Sainl-Grégoire  le  Grand, 
Doyen   de   la   Kacilté  catijolioue  des  Lettres  de    Lyon, 

Homntagr  d'affectueux  res/iect. 
T.  D. 


PUEFACK 


Le  génie  est  un  don  du  Ciel  beaucoup  plus  «  qu'une  lon- 
gue patience  ».  Néanmoins,  la  condition  de  la  nature  hu- 
maine exige  que  les  facultés  les  plus  puissantes  ne  se  dé- 
veloppent que  sous  l'influence  de  causes  multiples  et 
différentes.  Saisir  ces  causes,  analyser  leur  action  et  sur- 
prendre en  quelque  sorte  le  secret  de  la  formation  du  génie 
est  une  étude  qui  présente  autant  de  charme  que  d'intérêt, 
à  notre  époque  surtout  où  la  critique  ne  se  contente  pas 
d'admirer  les  chefs-d'œuvre,  mais  veut  remonter  à  leurs 
sources,  à  leur  origine  véritable. 

Ce  travail  s'impose  pour  un  génie  sublime  comme  celui 
de  Bossuet,  «  dont  la  gloire  est  devenue  l'une  des  religions 
de  la  France  (1)  ». 

On  veut  savoir  comment  s'est  formé  cet  esprit  merveil- 
leux, en  qui  l'élan  et  la  puissance  ne  détruisent  jamais  ni 
le  parfait  équilibre  ni  la  majestueuse  sérénité.  On  veut  sa- 
voir sous  quelles  influences  s'est  épanouie  la  pensée  de  ce 
grand  homme,  qui  ne  fut  pas  seulement  «  le  plus  éloquent 
des  Français  »,  comme  l'a  dit  Voltaire,  «  la  voix  la  plus 
simple ,  la  plus  forte ,  la  plus  brusque ,  la  plus  familière , 
la  plus  soudainement  tonnante  »  qui  fut  jamais,  ainsi  que 


(1)  Sainle  Beiive,  Causeries  du  Lundi.  \,  i>.  I«0.    -    De  Maislic  avait  dit  ■  une 
des  religions  françaises.  • 


Mil  PRÉFACE. 

parle  Sainte-Beuve  (1) ,  mais  encore  «  le  plus  grand  nom  de 
l'histoire  de  la  littérature  française  »  (2),  la  personnification 
la  plus  haute  et  la  plus  complète  du  génie  de  notre  race. 
On  veut  savoir  quelle  action  ont  exercée  sur  le  développe- 
ment harmonieux  du  génie  de  cet  écrivain,  unique  dans 
notre  langue  avec  Pascal ,  la  Bible .  les  Pères  de  TÉglise , 
l'antiquité  grecque  et  latine,  la  philosophie  scolastique  et 
cartésienne,  les  mœurs  de  la  cour,  l'esprit  et  la  littérature 
du  temps? 

Il  n'a  fallu  rien  moins,  en  efl'et,  que  le  concours  plus  ou 
moins  efficace  de  ces  diverses  causes  pour  donner  à  la  France 
son  oracle,  le  grand  Bossuet.  Or,  deux  seulement  de  ces 
causes  ont  été  l'objet  d'études,  de  monographies  intéres- 
santes (3 1.  —  C'est  d'abord  la  philosophie  de  Bossuet,  à  la- 
quelle M.  Delondre  consacrait,   en  1855,  son  ouvrage  la 
Doctrine  philosophique  de  Bossuet  sur  la  connaissance  de 
Dieu,  et  M.  Nourrisson,  en  1859,  ^on  Essai  sur  la  Philoso- 
phie de  Bossuet  :  il  y  a  aussi  les  pages  que  M.  Lanson  a 
écrites  dans  son  Bossuet  sur  la  philosophie  du  grand  évè- 
que  (p.  466-i92) ,  et  l'article  excellent  de  M.  Brunetière, 
publié  dans  la  Reçue  des  Deux  Mondes  du  T'  août  1891  (4), 
où  l'éminent  critique  établit  magistralement  que  c'est  faire 
tort  à  Bossuet  de  la  moitié  de  son  génie  philosophique  que 
de  ne  le  chercher  que  dans  les  Manuels  ad  usu/n  Delphini  : 
la  philosophie  de  Bossuet  se  trouve  dans  ses  Sermons ,  ses 
Oraisons  funèbres,   ses   Panéf/i/riqucs ,  sa  Politûpte,  son 
Histoire  des   Variations ,  ses  Elr cations  sur  les  mystères , 
sa    l)èfense  de  la  Tradition,   son    Traité  de  la  Concupis- 
crnce,  etc.,  parce  que  c'est  là  qu'on  peut  voir  la  conception 

(1)  Causi-ries  du  Lundi ,  I.  \.  p.  \Xi. 
i)  Nisard,  Histoire  de  la  lillrialurr  française,  I.  III.  p.  IV.K 

(3)  Ce  sonl  assurcmenl  deux  études  nés  imporlaiiles  que  la  llièse  de  M.  Flébel- 
li.iu,  Itomiuel  historien  du  prolrslantisme.  un  vol.  in  K",  1801,  cl  celle  de  M.  l'abbé 
Bellon,  llossuet  directeur  de  ronscience,  un  vol.  in-S",  l'aris,  ISîMi.  Mais  elles  n'oul 
pas  irait  aux  causes  sous  rinilucnce  des(|uclles  s'est  développé  le  génie  de  Uossuel. 

(*)  Il  est  iiitilule  :  la  Philosoiihir  de  bossurt.  —On  le  trouve  maintenant  dans  la 
cinquième  série  des  Éludes  critiques  sur  l'histoire  de  la  littérature  française- 


PREFACE.  u 

de  la  vie  el  de  la  destinée  humaine  que  se  faisait  le  grand 
évêque  de  Meaux,  «  le  philosophe,  le  théologien  de  la  Pro- 
vidence '>.  —  C'est  ensuite  \ influence  de  la  Bible  sur  Bos- 
suet,  que  le  P.  de  la  Broise,  de  la  Compagnie  de  Jésus,  a 
supérieurement  traitée  dans  sa  belle  thèse  Bossuef,  et  la 
Bible  [i),  dont  M.  Perrons  disait  (Revue  d'enseifjnement 
secondaire  et  supérieur,  1891)  que  «  la  soutenance  en  avait 
été  exceptionnellement  brillante  et  que  le  P.  de  la  Broise, 
qui  a  un  remarquable  talent  d'écrivain  et  plus  encore  d'o- 
rateur, avait  charmé  la  vieille  Sorbonne  ».  Quelles  études 
Bossuet  a-t-il  consacrées  à  la  Bible ,  depuis  le  jour  où ,  à 
l'âge  de  quinze  ans ,  il  ouvrit  pour  la  première  fois  ce  livre 
divin,  dans  le  cabinet  de  travail  de  son  père  ou  de  son  oncle, 
et  t<  y  trouva  un  goût  et  une  sublimité  qui  la  lui  firent  pré- 
férer à  tout  ce  qu'il  avait  lu  (2)  »,  jusqu'au  moment  où, 
dans  sa  dernière  maladie,  il  se  faisait  lire  par  tous  ceux  qui 
l'approchaient  «  presque  tout  le  Nouveau  Testament  et  plus 
de  soixante  fois  l'Kvangile  de  saint  Jean ,  particulièrement 
le  dix-septième  chapitre  (3)?  »  Quelle  a  été  la  méthode  de 
Bossuet  dans  l'étude  de  l'Écriture  sainte?  Comment  Bossuet 
a-t-il  compris  et  traduit  la  Bible?  Quels  secours  en  a-t-il 
tirés  pour  se  «  former  le  style  et  ripprendre  les  choses  », 
comme  il  le  dit  lui-même  dans  son  Écrit  composé  pour  le 
cardinal  de  Bouillon  (4)?  Quel  usage  a-t-il  fait  de  la  Bible 
dans  sa  prédication.  Sermons,  Panégyriques ,  Oraisons  fu- 
nèbres, dans  ses  ouvrages  d'éducation,  Discours  sur  F  his- 
toire universelle  et  Politirjue  tirée  des  propres  paroles  dr 
rÉcrifure  sainte ,  dans  ses  ouvrages  de  controverse  et  de 
polémique  avec  les  Protestants,  les  Jansénistes,  le  P.  Caffaro, 


(1)  Etude  d'après  les  documenis  orùjiiiau.r.   I   vol.  iii-S"  de    i.ri-i.xi  [lagcs ,  t8!>l. 
Paris,  Biay  et  Ketaux. 

(2)  l,'al)l)é  Le  Dieu,  Mcinoirm,  t.  I,  p.  lu  el  13.    -  I.e  même  l'ait  est  rapporté 
par  le  1'.  de  la  Une,  dans  son  Oraison  funi-brr  de  Bossuet. 

(3)  Relation   de  la  mort  de  Bossuet,  éi'rilc   par  l'ahbc  de  Saint-André,  publiée 
par  l'abbé  Guellée  à  la  suite  des  Mémoires  de  l'abbc  Le  Dieu  (18iJG-37.) 

(i)  Mis  au  jour  par  M.  Kloquet  dans  ses  savantes  Études  sur  la  vie  de  Bossuet,  t.  II. 


X  PRÉFACE. 

Fénelon.  le  dodeiir  Coulaii  et  Richard  Simon,  eiilin  dans 
ses  ouvraiies  ascétiques,  Lettres  spirituelles,  Élévations  sur 
les  Mystères  et  Méditations  sur  V Évangile?  Voilà  à  peu  près 
les  questions  auxquelles  le  P.  de  la  Broise  a  répondu  avec 
autant  de  science  que  de  clarté. 

Pourquoi  ne  pas  faire  un  travail  analogue  à  propos  des 
Saints  Pères?  Bossuet  les  a  étudiés  presque  aussi  religieuse- 
ment que  la  Bible  et,  s'il  ne  leur  doit  pas  autant,  il  leur 
doit  beaucoup ,  comme  il  l'avouait  lui-même  dans  son  Écrit 
(oniposè  pour  le  cardinal  de  Bouillon  (1669-1670)  sur  le 
style  et  la  lecture  des  écrivains  et  des  Pères  de  f  Eglise  jjoar 
former  un  orateur  :  «  Il  n'est  pas  croyable  combien  on 
avance  (1),  pourvu  qu'on  donne  quelque  temps  (à  la  lec- 
ture des  Pères).  » 

Quel  temps  Bossuet  a-t-il  consacré  à  cette  lecture,  ou 
plutôt  à  ces  études  patristiques? 

Quelle  méthode  a-t-il  suivie  comme  traducteur  et  com- 
mentateur des  saints  Pères,  et  quelle  influence  ont-ils  exer- 
cée sur  la  formation  de  ce  style,  qui  est  «  le  plus  grand 
style  »  de  notre  langue? 

Quel  usaye  a-t-il  fait  de  la  doctrine  des  Pères  latins  et 
des  Pères  grecs  soit  dans  ses  œuvres  oratoires,  soit  dans  ses 
(puvres  de  théologie  et  d' exégèse ,  soit  dans  ses  œuvres  as- 
cétiques et  ses  Lettres  de  direction,  soit  dans  ses  œuvres y>A/- 
losophi^jues,  historiques  et  politiques ,  soit  dans  ses  œuvres 
Ae  polémique  et  de  controverse  contre  les  Protestants,  con- 
tre les  Jansénistes,  contre  les  Casuistos,  contre  les  Qiiiélistes, 
contre  le  crilicisme  d'KUies  Dupin  et  de  Richard  Simon? 

Voilà  le  programme  que  s'est  tracé  l'auteur  de  ce  travail. 

(Tesl  une  bonne  fortune  d'avoir  pour  guide,  —  outre  les 
Mrninirrs  et  le  Journal  de  l'abbé  Le  Dieu  (quatre  volumes 


fi)  /li'«nrrr  csl  ici  pris  dans  le  sens  do  pronifsser ,  de  faire  du  progrès,  comme 
<|tiMnd  IloNMiel  flil  dans  les  Avanlorics  rlr  lu  retraite  :  t  Vous  n'avancerez  qu'au- 
lanl  f|ue  vous  voub  alTectionncrcz  à  désirer  la  rclraile  el  le  silence.  » 


PRRFAfK.  XI 

iii-8°i,  outre  la  Vir  de  Bosswt  par  Levesqnc  de  Burigny  (1), 
etïllisfoire  de  Bossuet  par  le  cardinal  de  Bausset  (2), 
outre  les  travaux  remarquables  de  l'abbé  Vaillant  (3),  de 
Gandar(i),  de  rioquet(5),  de  M.  Arren  (6),  de  M.  l'abbé  Hu- 
rel  (7)  de  M.  l'abbé  Lebarq  (8) ,  du  Père  de  la  Broise  (9),  de 
M.  Lanson  (10)  et  de  M.  Brunetière  (11  ),  —  c'est  une  bonne 
fortune  d'avoir  pour  guide  Bossuet  lui-même  dans  les  con- 
fidences qui  lui  ont  échappé ,  soit  en  indiquant ,  dans  son 
Plan  de  tliéol.O(ji(%  les  Trai/é.s  des  Pères  les  plus  utiles  pour 
commencer  l'étude  de  la  théologie,  soit  en  écrivant  au  car- 
dinal de  Bouillon  quels  sont  les  Pères  quil  faut  cultiver  de 
préférence.  N'est-ce  pas  l'histoire  précieuse  de  son  propre 
esprit  et  des  avantages  qu'il  a  retirés  de  ses  études  patristi- 
ques  que  nous  trouvons  consignée  dans  ces  quelques  pages 
suggestives  et  profondes?  Les  admirateurs  éclairés  de  Bos- 
suet ne  sauraient  trop  remercier  Floquet  de  les  avoir  pu- 
bliées en  1855.  On  en  trouvera  l'analyse  et  des  extraits  en 
tête  de  ce  travail. 

Rechercher  à  travers  l'iEUvre  immense  de  Bossuet  la  part 
d'influence  qui  revient  aux  saints  Pères,  saisir,  à  la  lu- 
mière de  ce  que  nous  dit  le  grand  évèque  de  Meaux,  ce 
qu'il  doit  à  TertuUien,  à  saint  Augustin,  à  saint  Chrysostome, 


(1)  Un  volume  in-8"  publié  à  Bruxelles  et  à  Paris  en  ITtil. 

(2)  Quatre  volumes  in-S"  parus  en  181  i. 

(3)  Éludes  sur  les  Sermons  de  Bossuel  d'après  les  manusrrils.  Un  vol.  in-8", 
Paris.  IS'il. 

(4)  Bossuet  oralcur  :  Éludes  critiques  sur  les  Sermons  de  la  jeunesse  de  Bossuet- 
3"  édit.,  Didier,  1880. 

(H)  Études  sur  la  vie  de  Bossuel  jusqu'à  son  entrée  en  fonctions  comme  précep- 
teur du  Dauphio.  Var'is,  Didot,  .'{vol.  18,-ig.  Bossuet  jirécepleur  du  Dauphin,  fils  de 
Louis  XIV.  et  évèque  à  la  cour.  Un  vol.  186i. 

(6)  Essai  de  rhétorique  sacrée  d'après  Bossuet.  Un  vol.  in-8>>,  de  Paris.  18.";!». 
Le  (  liapitre  ix  de  celte  Itiose  du  doyen  actuel  de  la  Faculté  des  lettres  de  Poi- 
tiers est  intitulé  :  De  l'étude  des  Pères. 

(7)  Les  orateurs  sacrés  à  la  cour  de  Louis  .XI W  2  vol.  iM-U2,  Paris  1811.  Livre  II 
et  livre  lll. 

(8)  Histoire  critique  de  la  prédication  de  Bossuet;  un  vol.  in-8".  Lille,  Desdce, 
188'J:  et  les  Préfaces  des  Œuvres  oratoires  de  Bossuet,  H  vol. 

(9)  Bossuet  et  la  Bible,  ouvrage  analysé  plus  haut. 

(10)  Bossuet.  Un  vol.  in-1-2.  I8!M.  Lecéne  et  Oudin. 

(11)  Article  sur  Dossuet  dans  V Encyclopédie  lamirault  c(  Confcrcmes  à  la  Sor- 
bonne  1893-181)4. 


\ii  PRÉFACE. 

à  saint  (irégoire  le  Grand,  à  saint  Gyprien,  à  Glément 
Alexandrin,  à  saint  Grégoire  de  Nazianze  (ce  sont  là  les 
Pères  dont  il  parle  à  Emmanuel-Théodose  de  la  Tour  d'Au- 
vergne, abbé  duc  d'Albret,  cardinal  de  Bouillon  (1)  ),  met- 
tre en  lumière  les  résultats  de  ses  efforts  pour  se  «  former 
le  style  »  et  «  apprendre  les  choses  »  à  si  bonne  et  si  sainte 
école  :  tel  est  le  but  de  cette  étude  critique  sur  Bossiiet  et 
les  sain f s  Prrfs,  d'après  des  documents  originaux  et  inédits. 

Voici  quels  sont  ces  documents. 

1°  Les  Cartons  de  la  Bibliothèque  du  grand  séminaire  de 
Meaux  et  en  particulier  le  carton  A,  où  se  trouve  un  ca- 
hier non  numéroté  ni  paginé,  que  le  Père  de  la  Broise 
cite  plusieurs  fois  dans  son  étude  Bossuet  et  la  Bible  et 
qui  contient  beaucoup  plus  de  notes  sur  les  Pères  que  sur 
l'Écriture  sainte.  —  Il  porte  même  sur  la  couverture  ce 
titre,  qui  n'est  pas  de  la  main  de  Bossuet  :  Extraits  divers 
des  saints  Pères.  11  est  formé  d'une  cinquantaine  de  pages, 
de  dates  et  de  provenances  diverses,  qu'on  a  cousues  en- 
semble. —  Il  y  a  dans  les  autres  cartons,  B,  C,  h,  etc.  (2), 
d'autres  fragments  de  notes  écrites  par  Bossuet,  en  par- 
ticulier dans  le  carton  B,  n°  2,  les  notes  qui  portent  pour 
titre  :  Chri/sostomtts  :  liber  qnod  Detts  sit  Christus.  Il  les 
prenait  tantôt  sui'  des  feuilles  volantes,  tantôt  sur  des 
cahiers:  aussi  les  fragments,  séparés  et  déchirés,  portent-ils 
parfois  de  la  main  de  Bossuet  une  pagination  qui  renvoie 
à  im  cahier  aujourd'hui  lacéré  ou  perdu. 

2"  Les  Mftni/scri/s  de  la  Bibliothèque  nationale,  Fonds 
français  :  12811  ri  s/t/rnnfs,  et  surtout  les  cinq  volumes 
des  Sermons,  n"M 2821-12825.  —  M.  l'abbé  Lebarq,  dans  les 

(1)  Coriinic  il  n'avait  encore  (juc  \iiigl-cini|  ans,  ses  (  oiilempor.iins  i'appclorenl 
Venfanl  rourie. 

(2)  C'est  le  P.  «le  la  Broise  lui-même  qui,  de  .lorsey,  maison  Saint-Louis,  a  bien 
\oulu  me  donner  ces  [irccieuses  indicalirms.  —  (tu'ii  trouve  ici  l'expression  de 
ma  respectueuse  et  profonde  reconnaissance. 


PKKFACi:.  Mil 

intéressantes  études  qui  font  le  début  de  son  Histoire  cri- 
tique de  la  Prédication  de  Bossuet,  a  très  bien  prouvé 
l'existence  de  cahiers  d'Extraits  et  de  Remarques  morales, 
où  les  pensées,  prises  chez  les  Pères  en  grande  partie,  s'a- 
massaient en  vue  des  discours  futurs  :  certaines  pages  dé- 
chirées de  ces  cahiers  sont  aujourd'hui  reliées  avec  les  Ser- 
mons (1)  et  font  suite  à  d'autres  pages  conservées  dans  la 
collection  Floquet. 

3°  Les  Cahiers  de  la  Collection  Floquet,  dont  M.  Fabbé 
Follioley,  proviseur  au  lycée  de  Nantes,  possède  la  plus 
grande  partie.  —  M.  l'abbé  Lebarq  avait  vu  et  transcrit  de 
notables  fragments  de  ces  Cahiers  (2).  M.  Armand  Gasté, 
de  la  Faculté  de  Caen,  en  a  acquis  quelques-uns  et  il  a 
publié  là-dessus  quelques  notes  dans  la  Revue  de  la  Fa- 
culté. 

4"  La  Mineure  ordinaire  de  Bossuet ,  thèse  de  théologie 
sur  la  Cité  de  Dieu  ou  l' Église,  soutenua  le  5  juillet  1651, 
et  qu'on  peut  considérer  comme  inédite,  puisqu'elle  ne  se 
trouve  dans  aucune  édition  des  OEuvres  complètes  de  Bos- 
suet. —  Elle  appartient  à  M.  Bathery.  Les  Pères  Jésuites  l'ont 
publiée  dans  leurs  Etudes  religieuses  en  1869.  On  la  trou- 
vera reproduite  dans  notre  thèse  latine  :  Quid  conférant  la- 
tina  Bossuet i  opéra  ad  (  ognoscendani  illius  ritani,  indolein, 
doctrinamque,  p.  OV-lOO.  Nous  en  tirerons  ici  de  précieuses 
indications  sur  les  études  patristiques  de  Bossuet  au  collège 
de  Navarre. 

5°  \.K  Bible ài\}L  Concile,  qui  faisait  partie  de  la  collection 
Floquet  et  où  le  P.  de  la  Broise  a  vu  «  cités  une  foule  de 
Pères,  spécialement  saint  Jérôme  et  Théodoret  (^3)  ».  — Mais, 

(I)  Parmi  ces  autographes  de  Bossuet.  on  rencontre  çà  et  là  des  f'euiUes  rem- 
plies (le  notes  tirées  des  Pères,  et  au  dos  desquelles  il  a  écrit  un  exorde  .  une 
péroraison  de  sermon  ou  de  panégyrique. 

(-2)  Œuvres  oratoires  de  Bossitet ,  t.  V.  p.  :j32. 

(3)  C'est  ce  qu'il  m'écrivait  le  "  février  t8M. 


x,v  PRÉFACE. 

en  1892,  elle  était  aux  mains  diin  libraire  de  Paris,  M.  Da- 
mascène  Morgand,  passage  des  Panoramas,  qui  refusait 
d'en  donner  communication  sans  la  vendre,  et  il  en  de- 
mandait 10,000  francs  (!)  Il  parait  qu'il  a  baissé  depuis 
jusqu'à  6.000  francs:  mais  on  avouera  qu'une  telle  acqui- 
sition n'est  pas  à  la  portée  de  toutes  les  bourses  (1). 

G"  l.c  Catalogue  des  livres  de  la  Bibliothèque  de  MM.  Bos- 
suet,  anciens  évêquos  de  Meau.x  et  de  Troyes,  qui  se  vendra 
à  l'amiable  le  lundi,  3  décembre  l"i2,  dans  une  des  salles 
du  couvent  des  RR.  PP.  Augustins ,  MDCCXLU  ,  105  pages 
in-8°,  chez  Pierre  Gandoin,  Pierre  Piget  et  Barois  fils.  — 
Cette  plaquette  rare,  dont  M.  Brunetière  parle  dans  son  ar- 
ticle de  la  Revue  des  Deux  Mondes  du  1''  août  1891  sur  la 
Philosophie  de  Bossuet  et  qu'il  a  communiquée  à  M.  Bé- 
belliau,  comme  on  petit  le  voir  dans  Bossuet  historien  du 
protestantisme,  p.  151,  note  1,  ne  contient  guère  que  l'in- 
dication des  ouvrages  que  possédait  l'évèque  de  Meaux  : 
sur  1,V70  numéros  du  catalogue,  il  y  a  à  peine  vingt  ou- 
vrages d'une  date  postérieure  à  la  mort  du  grand  prélat, 
170i;  son  neveu,  d'ailleurs,  n'était  pas  si  grand  clerc  et 
on  ne  cite  de  lui  que  quelques  instructions  favorables  au 
jansénisme.  —  Les  divisions   du  Catalogue  de  vente  cor- 
respondent assez  bien  à  l'arrangement  de  la  bibliothèque 
de  Bossuet,  tel  qu'il  est  donné  dans  l'édition  Lâchât,  t.  III, 
p.  58'i.,  «  d'après  une  copie   faite  en  1083  par  l'abbé  Le 
Dieu  >.  En  complétant  l'un  par  l'autre  ces  deux  documents, 
on  peut  reconstituer  le  tableau  synoptique  suivant  des  ma- 
tières de  la  bibliothèque  de  l'évèque  de  Meaux  :  «  L  Thko- 
i.odiA.  liildia  sacra  et  Biblioruni   interprètes  • —  critici  et 
dissf'rtatiniies; —  interprètes   ortliodoi i;  —  heterndori .  — 
SS.  Patkks   «iKAKCi,  —  LATi.M.    —  Theoloiji    scoluslici ,  — 


(I)  M.  l'alilx-  l.(;l>ar<|  signale  encore  qiiel(|ucs  autres  colleclitins  d'aiilo^raplies 
(lit;/  il.  Cli«»U'*>>  ;i  liiiugeies  (Allier)  el  chez  un  ou  deux  amateurs  de  Dijon. 


PREFACE.  XV 

polemici,  — moralca , —  ascetici, —  concionatores , —  Ik^- 
terodoxi.  —  II.  Jus  canonicum  (1;.  —  III.  (iRAMMATici.  — 
IV.  HisTORiA.  —  V.  Bibliolliecarii. 

C'est  avec  l'émotion  d'un  pieux  respect  que  l'on  feuil- 
lette les  manuscrits  du  grand  évêque  de  iVIeaux  :  l'auteur 
de  ces  lignes  l'a  éprouvé  et  il  serait  heureux  si ,  en  lisant 
ce  nouveau  travail  sur  Bossuet,  on  ressentait  une  fois  de 
plus  la  vérité  profonde  de  ces  paroles  de  Sainte-Beuve  dans 
ses  Causeries  du  Lundi,  XII,  p.  261  :  «  On  ne  se  lasse  pas 
de  repasser  devant  cette  grande  figure,  qui  offre  la  plus 
juste  proportion  avec  l'époque  où  elle  parut  et  où  l'on 
peut  dire  qu'elle  régna.  » 


(1)  .Nous  abrégeons  la  nomenclalure  pour  ces  dernières  divisions  du  Catalogue 
dont  nous  n'avons  pas  à  nous  occuper. 


ANALYSE   ET   EXTRAITS 

DK    l/ÉCRIT    COMPOSÉ    PAR    BOSSUET    POUR    LE    CARDINAL 
DE    BOUILLON, 

Sur  le  style  et  la  lecture  des  écrivains  et  des  Pères 
de  l'Église  pour  former  un  orateur. 


Hossuet,  après  avoir  dit  que,  «  pour  la  prédication,  il  y 
a  deux  choses  à  faire  principalement  :  former  le  slylo  — 
apprendre  les  cJtoses  »,  constate  qu'il  «  a  peu  lu  de  livres 
français  »  et  que  «  ce  qu'il  a  appris  du  style,  il  le  tient  des 
livres  latins  et  un  ]>eu  des  Grecs,  de  Platon,  d'Isocrate  et 
de  Démostliènes,  »  de  Cicéron,  Tite-Live,  Salluste,  Térence, 
des  poètes,  qui  sont  aussi  «  de  grand  secours  et  dont  il 
ne  connaît  que  Virgile  et  un  peu  Homère,...  Horace,  qui 
est  bon  à  sa  mode,  mais  plus  éloigné  du  style  oratoire  ». 
«  \j'%  truor/'s  (liversf's  de  Balzac,  ajoute-t-il,  peuvent  don- 
ner (juel(jU('  idée  du  style  fin  et  tourné  délicatement...  Au 
reste,  il  le  faut  l)ient6t  laisser,  car  c'est  le  style  du  monde 
le  plus  vicieux,  parce  qu'il  est  le  plus  affecté  et  le  plus  con- 
traint... .reslinic  la  Vie  de  ïkirthéleniy  des  martyrs,  —  les 
Leilrcs  au  provincial,  dont  (juclques-unes  ont  beaucoup  de 
force  el  de  vi-lH-ineiice,  et  toutes  une  extrême  délicatesse. 
—  Les  livres  et  les  préfaces  de  MM.  de  Port-Royal  sont  bons 
à  lire,  parce  qu'il  y  ;i  de  la  gravité  et  de  la  grandeur; 
in.iis...  l(Mirstylea  pende  xariété...  Les  versions  de  (Pcrrot) 
<l  \l)l.in(<>iii  I  siinl  bonnes, ..   Pour  les  poètes,  je  trouve  la 


PRKFACE.  wii 

force  et  la  véhénieucc  dans  Corneille;  plus  de  justesse  et 
de  régularité  dans  Kacine... 

«  Mais  ce  qui  est  le  plus  nécessaire  pour  former  le  style  , 
c'est  de  bien  comprendre  la  chose,  de  pénétrer  le  fond  et 
la  (in  de  tout,  et  d'en  savoir  beaucoup... 

«  Venons  maintenant  au.\  choses.  La  première  et  le  fond 
de  tout,  c'est  de  savoir  très  bien  les  Écritures  de  V Ancien 
et  du  Nouveau  Testament.  » 

Bossuet  expose  la  méthode  qu'il  a  suivie,  en  les  lisant  : 
c'est  de  remarquer  premièrement»  les  beaux  endroits  qu'on 
entend,  —  sans  se  mettre  en  peine  des  obscurs  —  ;...  de 
prendre  le  génie  de  la  langue  sainte  et  de  ses  manières  de 
parler;,.,  de  ne  guère  lire  les  commentaires  que  lorsqu'on 
trouve  quelque  difficulté;...  de  ne  pas  chercher  si  exacte- 
ment la  suite  et  la  connexion  dans  tous  les  membres  (prin- 
cipalement dans  saint  Paul)  ». 

«  Pour  les  Pères,  je  voudrais  joindre  ensemble  saint 
Augustin  et  saint  Chrysostome.  L'un  élève  l'esprit  aux  gran- 
des et  subtiles  considérations;  et  l'autre  le  ramène  et  le 
mesure  à  la  capacité  du  peuple.  Le  premier  ferait,  peut- 
être,  s'il  était  seul,  une  manière  de  dire  un  peu  trop  abs- 
traite; —  et  l'autre  trop  simple  et  trop  populaire.  Non 
que  ni  l'un  ni  l'autre  ait  ces  vices  ;  —  mais  c'est  que  nous 
prenons  ordinairement  dans  les  auteurs  ce  qu'il  y  a  de  plus 
éminent(l).  Dans  saint  Augustin,  toute  la  doctrine;  dans 
saint  Chrysostome,  l'exhortation,  l'incrépation,  la  vii^ueur; 
la  manière  de  traiter  les  exemples  de  l'Écriture  et  d'en 
faire  valoir  tous  les  mots  et  toutes  les  circonstances. 

((  A  l'égard  de  saint  Augustin,  je  voudrais  le  lire  à  peu 


fl)  C'est-à-dire  :  ce  qui  y  clomine ,  i<-  t|ui  >  est  le  plus  facile  à  saisir,  bossuet  a 
dit  dans  le  même  sens  :  •  On  défînil  /«s  hommes  par  ce  qui  domine  en  eux.  • 
Traité  de  la  connaissance  de  Dieu  et  de  soi-même .  cliap.  I,  'J,  II. 


XVIII  PREFACE. 

près  dans  cet  ordre  :  les  livres  de  la  Doctrine  chrétienne,  les 
premiers  ;  théologie  admirable.  —  Le  livre  de  Catechizan- 
(lis  rudibi(S;dc  Moribus  Ecclesiae  catholicae;  —  Enchiri- 
dion  ad  Laurentium  ; —  de  Spiritu  et  Httera; —  de  Vera 
religione-  —  de  Civitate  Dei  (ce  dernier,  pour  prendre, 
comme  en  abrégé,  toute  la  substance  de  sa  doctrine).  — 
Mêlez  quelques-unes  de  ses  épîtres  :  celle  rt  Volusien;  ad 
Honoralum,  de  Gralia  Novi  Testamenti,  ainsi  que  quel- 
ques autres.  —  Les  livres  de  Sermone  Domini  in  monte  — 
et  de  Consensu  evangelistarum. 

«  A  l'égard  de  saint  Chrysostome,  son  ouvrage  sur  saint 
Matthieu  l'emporte,  à  mon  jugement.  Il  est  bien  traduit 
en  français  (1);  et  on  pourrait,  tout  ensemble,  apprendre 
les  choses  —  et  former  le  style.  Au  reste,  quand  il  s'agit 
de  dogmatiser,  jamais  il  ne  se  faut  fier  aux  traductions. 
—  Les  Homélies  sur  la  Genèse,  excellentes;  —  sur  saint 
Paul,  admirables;  —  au  peuple  d'Antioche,  très  éloquen- 
tes. —  Quelques  homélies  détachées,  sur  divers  textes  et 
histoires. 

«  .le  conseille  beaucoup  le  Pastoral  de  saint  Grégoire, 
surtout  la  troisième  partie;  c'est  celle,  si  je  ne  me  trompe, 
(jui  est  distinguée  en  avertissements  à  toutes  les  conditions 

qui  contiennent  une  morale  admirable  et  tout  le  fond 
de  la  doctrine  de  ce  grand  Pape. 

«  Ces  ouvrages  sont  pour  faire  un  corps  de  doctrine. 
Mais  comme  l'usage  veut  qu'on  cite  quelques  sentences, 
c'est-à-dire  accuraiius  aut  elegantius  dictata,  Tertullien 
en  fournit  beaucoup.  Seulement,  il  faut  prendre  garde  que 
les  beaux  endroits  sont  fort  communs.  Les  beaux  livres  de 

(I)  Il  sagil  <Je  la  traduclioii  faite  par  Le  Maistre  de  Saci  sous  le  pseudonyme  de 
Mamilhj  Les  homëlies  de  saint  Jean  Chrysoslome  sur  tout  l'Évangile  de  sai»l 
Mnli/iieti,  Iniduilcs  on  Iraiiçais  par  l'riul-Aiiloinc  de  Marsilly  (pseudonyme).  Paris, 
1  he/  I'.  le  Pelil  imprinietir,  trois  vol.  in-i",  IWiS. 


PREFACE.  XIX 

TertuUien  sont  :  l'Apologétifiiie,-  -  de  SpertaruUs ;  —  de 
Cultii  nnilirhri;  —  de  Velandis  virginibus;  —  de  Poeni- 
tenti'a,  admirable; —  Touvrage  contre  Marcion ,  de  Carne 
Christi;  —  de  Resiirrectione  carnu;  celui  de  Praescrip- 
tionc,  excellent,  mais  pour  un  autre  usage.  —  On  ap- 
prend admirablement  dans  saint  Cyprien  le  divin  art  de 
manier  les  Écritures  et  de  se  donner  de  l'autorité  en  fai- 
sant parler  Dieu  sur  tous  les  sujets  par  de  solides  et  sé- 
rieuses applications. 

«  Saint  Augustin  enseigne  aussi  cela  divinement  par  la 
manière  et  l'autorité  avec  laquelle  il  s'en  sert  dans  ses  ou- 
vrages polémiques,  surtout  dans  les  derniers  contre  les  pé- 
lagiens.  Ce  qu'il  faut  tirer  de  ce  Père,  ce  ne  sont  pas  tant 
des  pensées  et  des  passages  à  citer  que  Part  de  traiter  la 
théologie  et  la  morale  et  l'esprit  le  plus  pur  du  christia- 
nisme. 

«  Au  reste,  ce  que  je  propose  ici  de  la  lecture  des  Pères 
n'est  pas  si  long  qu'il  paraît.  11  n'est  pas  croyable  combien 
on  avance  pourvu  qu'on  y  donne  quelque  temps  et  qu'on 
suive  un  peu. 

«  Clément  Alexandrin  viendra  à  son  tour  et  l'on  pourra 
mêler  la  lecture  de  son  Pédagogue,  comme  aussi  quelques 
discours  choisis  de  saint  Grégoire  de  Nazianze^,  très  propre 
à  relever  le  style. 

«  .l'écris  ce  qui  me  vient  sans  donner  repos  à  ma  plume, 
.le  n'ai  pas  même  à  présent  le  loisir  de  relire;  quoique ,  pour 
un  si  grand  prince  de  l'Église  et  qui  doit  être  une  de  ses 
lumières,  il  ne  faudrait  rien  dire  que  de  médité  (il.  .le  sais 


(I)  Ltniii  fie  Itossiicl  n'a  pas  iiioiiis  de  inérile.  pour  élrc  sponlané  :  il  imus  ré- 
vèle mieux ,  au  eonlraire,  ses  pensées  intimes  et  les  secrets  de  son  travail  sur  les 
saints  Pércs. 


PREFACE. 


à  qui  je  parle,  et  qu'un  mot  suffit  avec  lui  pour  se  faire 
entendre  (1)  ». 


(1)  L'Iiisloire  du  cardinal  de  Bouillon,  de  Venfant  rouge,  est  loin  d'avoir  jusliGé 
les  espérances  de  Bossuet.  Mais  après  avoir  converti  l'oncle,  le  maréchal  de  Turenne, 
(gloire  que  s'est  attribuée  à  tort  le  cardinal  de  Bouillon  à  plusieurs  reprises),  il 
appartenait  à  l'illustre  orateur  de  donner  au  neveu  ces  leçons  et  ces  conseils 
admirables. 


BOSSUET 

ET  LES   SAINTS   PÈRES 

CHAPITKE  PREMIER 

LES   ÉTUDES  PATRISTIQUES    DE    BOSSUET 

A    DIJON    (?).    —    AU    COLLÈGE    DE    XAVARRE.    —    A    METZ. 
A    PARIS.    —    A    MEAUX. 

ARTICLE  V' 

Études  patristiques  de  Bossuet  à  Dijon  (?). 
(1627-1642.) 

Ou  sait  que  lîossuet  fit  ses  premières  études  à  Dijon,  au 
collège  des  Jésuites,  fondé  en  1581  par  le  président  Odinet 
(iodran,  au  nom  de  Jacques,  son  père,  et  au  sien  (1),  et 
dès  lors  appelé  du  nom  de  ses  fondateurs  le  collège  des  Go- 
drans. 

Cet  établissement  avait  tant  de  succès  que  le  4  février  et 
le  9  mars  1614  le  vicomte  maïeur  et  les  échevins  de  Dijon 
manifestèrent  la  crainte  que  <(  aucuns  de  ces  écoliers  ne 
vinssent  à  étouficr,  sil  n'y  était  pourvu,  tant  ils  étaient  en 
nombre  excessif  et  pressés  (2)  ». 

Les  Pères  Jésuites  rccevaieni  f/ra/t/ if pmr/i /  les  enfants  des 
pauvres  et  élevaient  les  fils  de  Messieurs  du  Parlement,  de 

(i)  Voir  ce  qu'en  dit  Floquet  :  IJludes  sur  la  vie  de  Bossuet,  t,  I,  p.  iv  el  'r2, 
d'après  le  Parlement  île  Bourgogne,  pai'  P.  l'alliot  (ItJl'J).  et  un  Essai  historique  ma- 
nuscrit sur  les  écoles  et  collè'/es  de  Dijon. 

(i)  Registres  de  l'Iiùtel  de  ville  de  Dijon  .  elles  par  Hmniot. 


r.OSSl  KT    rT    LES    SMNTS    PIIIKS. 


2  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

la  Chambre  des  Comptes,  des  bourgeois  et  des  gentils- 
hommes de  la  province,  avec  tant  de  zèle  et  de  dévouement 
que  plusieurs  fois  (1)  on  les  loua  en  public  «  des  grands 
soins  dont  tous  ces  enfants,  sans  distinction,  étaient  l'objet  » 
dans  leur  collège. 

Le  futur  évêque  de  Meaux,  depuis  le  départ  de  son  père 
en  1038  pour  la  ville  de  Toul,  où  il  était  conseiller  au  Par- 
lement do  Metz,  habitait  avec  son  frère  Antoine  chez  leur 
oncle  Claude  Bossuet ,  rue  des  Jésuites ,  et  n'avait  que  quel- 
ques pas  à  faire  pour  se  rendre  au  collège  des  Godrans. 
Malgré  le  mot  célèbre  d'un  régent  en  belle  humeur,  Bossue- 
fus  aratro,  le  jeune  Jacques-Bénigne,  «  dès  son  enfance,  fit 
briller  son  esprit  et  sa  vivacité  d'une  manière  qui  donna 
d'abord  de  grandes  espérances  à  sa  famille.  —  Il  fit  paraî- 
tre des  dispositions  naturelles  pour  les  sciences,  et  surtout 
combien  il  avait  la  mémoire  heureuse ,  en  récitant  des  vers 
de  Virgile  sans  nombre ,  son  oncle  l'excitant  à  l'étude  et  lui 
faisant  ainsi  cultiver  sa  mémoire  de  bonne  heure.  Comme 
il  était  homme  de  lettres .  il  prenait  beaucoup  de  plaisir  à 
ces  exercices,  et  le  neveu  faisait  les  délices  de  l'oncle  et 
l'admiration  de  ses  maîtres  (2).  » 

Le  jeune  écolier  étudia-t-il  alors  les  Pères  de  l'Eglise? 

Il  ne  le  semble  pas,  et  voici  pour  quelles  raisons. 

Ce  n'est  que  dans  le  cabinet  de  son  père  ou  de  son  oncle, 
vers  l'âge  de  quatorze  ou  quinze  ans,  ((  étudiant  alors  en  se- 
conde ou  en  rhétorique,  qu'il  ouvrit  les  Livres  saints  »  et 
«  jeta  la  main  sur  une  Bible  latine ,  qu'il  emporta  avec  la 
permission  de  son  père  ».  Ce  fait,  qui  nous  est  attesté  à  la 
fois  })ar  l'abbé  Le  Dieu  (3)  et  par  le  Père  de  la  Rue  (4),  éta- 
blit clairement  qu'au  collège  des  Godrans  on  n'apprenait 
pas  la  Bible  (5)  :  or,  si  la  Bible  n'était  pas  entre  les  mains  des 


I  l'.'irtit^ulicieiiienlle  7  mai  I»i42.  où  le  conseiller  Kyol  leur  rendit  iiummagc  en 
plein  l'arlcnicnt  (lieyixlres  du  Pailcnienl  de  Dijon). 

(i)  I.'al)l)C  Le  bieu.  Mémoires,  t.  I.  p.  11  et  12. 

(.{)  Mimoiitn,  t.  I,  p.  ii  et  i;{. 

(4    Ornis'iii  funèbre  de  IJossuct.  prononcée  à  Moaux.  le  ■2;{  juillet  1704. 

(.'jj  Nous  savons,  au  contraire.  |)ar  le  Mcmoirr  d'Arnauld  sur  le  Uvrilemeut  des 
Hludvs  duii»  les  Lellrvu  humaines,  (|ue,  dans  cliaiiue  classe  de  Port-Uoyal,  on  obli- 
geait les  élevés  à  lire  en  particulier,  pendant  une  demi-heure,  les  Figures  de  la 


LES  ÉTUDIiS  PATR\STIQUES  DE  BOSSUKT.  3 

élèves,  comment  supposer  que  les  saints  Pères  faisaient  par- 
tie des  livres  classiques?  La  lîalio  stidliorum  ne  le  dit  pas, 
et  de  récentes  discussions  ont  établi  qu'il  n'en  était  rien. 

La  question  des  classicjucs  païens  et  chrétiens,  autour 
de  laquelle  on  menait  grand  bruit  il  y  a  quelque  quarante 
ans,  alors  que  Louis  Veuillot,  l'abbé  Gaume  et  le  P.  Ventura 
tonnaient  contre  <■<  les  œuvres  abominables  »  des  Homère , 
desCicéron,  des  Virgile,  qui  empoisonnent  la  jeunesse,  et 
que  l'abbé  Landriot,  l'abbé  Charles  Martin,  le  V.  Daniel,  le 
P.  Cahour,  de  la  Compagnie  de  Jésus,  leur  répondaient  au 
nom  des  traditions  séculaires  de  l'Église  catholi<iue ,  —  cette 
question  des  classiques  païens  et  chrétiens  a  soulevé  de  nou- 
veau en  1891-93  des  débats  passionnés,  et  tandis  que  l'abbé 
(iarnier  anathématisait  ces  collèges  libres  et  ces  séminaires 
qui  ne  forment  que  des  générations  «  païennes  »,  l'abbé 
Victor  Martin,  professeur  aux  Facultés  catholiques  d'An- 
gers (1),  l'abbé  E.  Ragon,  professeur  à  l'Institut  catholique 
de  Paris  (2),  l'abbé  Delamarre  (3)  et  l'abbé  Dubourguier  (4) 
défendaient  des  établissements  calomniés  à  tort.  Le  P.  De- 
laporte,  docteur  es  lettres,  publiait  dans  les  Études  reli- 
gieuses (5)  des  articles  remarquables,  qui  depuis  ont  été 
réunis  en  volume ,  et  où  il  démontre  que ,  non  seulement  à 
l'époque  de  la  tentative  classique  des  Apollinaire,  sous  Julien 
l'Apostat,  mais  encore  à  la  fin  du  seizième  siècle,  on  a  essayé 
en  vain  de  substituer  les  auteurs  chrétiens  aux  autours  païens 
dans  l'enseignement  secondaire. 

Bible.  Dans  l'I'niveisité,  les  écoliers  étaient  tenus  d'apprendre  tous  les  jours 
quelques  versets  de  l'Écriture  sainte,  et  un  arrêt  du  Parlement  (!28  juin  l"0;j)  en- 
joisnait  au  pjincipal  du  collège  dont  il  autorisait  les  statuts  à  tenir  la  main  à 
l'observation  de  cette  ])rescription.  (Rollin,  Traité  des  éludes.  Discours  prélimi- 
naire.) —  Pourquoi  les  Jésuites  ne  suivaient-ils  pas  cette  coutume  au  commen- 
cement du  dix-septième  siècle?  Probablement  à  cause  des  défenses  des  évèques, 
qui,  alarmes  des  jiériis  (|ue  faisait  courir  à  la  foi  catholique  le  libre  examen  ap- 
plique par  les  Protestants  à  nos  saints  Livres,  ne  voulaient  pas  i|u'oii  les  mit 
entre  les  mains  des  fidèles.  Aujourd'hui  encore,  toute  traduction  catholique  de  la 
Itible  a  besoin  d'une  ai>proi)ation  spéciale  de  l'ordinaire,  ou  èvé<|ue  du  lieu  ou 
elle  s'imprime. 

{\)  Reruc  des  Facullés   calholiques  d'Autjcrs,  décembre  isoi,  février  et  avril 
189-2. 

(-2)  i.'lJiiseigncment  chrétien,  i"  janvier  et  l""'  février  isî»3. 

(U)  Bulletin  de  la  société  générale  d'éducaliou  et  d'enseignement,  l.'i  février  1«!t3. 

{'<)  Question  du  lalia  classique,  Amiens,  \Vf.H. 

{."»)  Numéros  de  mal ,  juin  ,  juillet  wy.\. 


4  BOSSl'ET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

«  Le  saint  archevêque  de  iMilan,  Charles  Borromée,  ou 
de  son  propre  mouvement,  ou  par  l'insinuation  d'autrui, 
proscrivit  à  iMilan,  par  manière  d'essai,  dit  le  célèbre  théo- 
logien jésuite  Petau,  les  maîtres  anciens,  Cicéron,  Virgile 
et  tous  les  autres;  puis  il  décréta  renseignement  des  meil- 
leurs auteurs  du  christianisme.  Mais  tout  à  coup,  il  chan- 
gea d'avis,  quand  il  eut  constaté  par  expérience  combien 
cette  méthode  était  funeste  aux  études  sérieuses  (  1).  »  Dans 
((  cette  espèce  de  nouveau  collège,  raconte  un  autre  auteur, 
saint  Jérôme  et  saint  Ambroise  tenaient  la  place  de  Ci- 
céron; Eusèbe  et  Sévère -Sulpice.  de  Tite-Live  et  de  Ta- 
cite; saint  Augustin  était  le  supplément  universel  de  tous 
les  autres;  les  poètes  y  étaient  tout  à  fait  négligés...  Les 
disciples  n'en  devinrent  pas  plus  vertueux,  mais  très  mal 
habiles  »  ;  il  fallut  renoncer  à  ce  malencontreux  système 
et  revenir  aux  païens.  L'épreuve  était  concluante  :  si  les 
.lésuites  avaient  eu  un  instant  l'idée  de  protester  contre  le 
culte  exagéré  de  la  Renaissance  pour  les  chefs-d'œuvre  de 
la  Grèce  et  de  Rome,  l'erreur  de  saint  Charles  Borromée 
les  aurait  bien  vite  détournés  d'une  tentative  infructueuse. 
Mais  il  ne  parait  pas  que  ces  excellents  éducateurs  de  la  jeu- 
nesse aient  rien  changé  aux  traditions  des  scolatiques  et  des 
humanistes,  qui  faisaient  des  auteurs  païens  la  base  exclu- 
sive de  l'enseignement  secondaire,  comme  l'établit  le  P.  De- 
laporte.  Il  ne  parait  pas  même  que  dans  les  collèges  des 
Jésuites  on  ait  mêlé  les  auteurs  chrétiens  aux  auteurs  païens, 
et  Hossuet  dut  faire  ses  études  classiques  au  collège  des  (io- 
drans  sans  avoir  été  initié  aux  beautés  doctrinales  et  lit- 
téraires de  ces  Pères  grecs  et  latins,  qu'il  devait  tant  ad- 
mirer plus  tard. 

Kn  tout  cas,  il  n'acquit  point  chez  les  Jésuites  de  Dijon 
cotte  connaissance  approfondie  du  grec,  que  Lancelot  don- 
n;iit  à  Uacine  et  aux  autres  élèves  des  Petites  écoles  de  Port- 
UoyaL  hanslcs  collèges  de  la  Compagnie  de  Jésus,  on  insis- 
tait surtout  sur  le  latin,  comme  on  peut  le  voir  par  l'exemple 

(I)  1'.  Dion.  l'clavii,  Oralio  do  Icficinli  delrcdi. 


LES  ETUDES  PATRISTIQUES  DE  BOSSUET.  5 

de  Corneille  opposé  à  celui  de  Racine  :  sans  négliger  le 
grec,  on  ne  lui  faisait  qu'une  place  secondaire,  et  Bossuet 
aura  besoin  à  Navarre  d'étudier 

Co  langage  soiuiro  aux  douceurs  souvoraines, 

Le  plus  lj(>au  (iiii  soit  né  sur  dos  lèvres  humaines  (1). 

Il  pourra,  dès  lors,  lire  dans  le  texte  original  saint  Chry- 
sostorae,  saint  Basile,  saint  Grégoire  de  Nazianze,  et  mieux 
remplir  plus  tard  ses  fonctions  de  précepteur  auprès  de  son 
royal  élève. 

ARTICLE  II 

Études  patristiques  de  Bossuet  à  Navarre 
(17  octobre  1642  —  9  avril  1652). 

Du  collège  des  Godrans  Bossuet  passa  au  collège  de  Na- 
varre, à  Paris,  où  il  devait  rester  dix  ans  (16i2-1652)  et  où 
il  arriva  assez  tôt,  le  17  octobre  1642,  pour  voir  «  entrer 
dans  Paris  le  cardinal  de  Richelieu  mourant,  ^^orté  dans 
une  chambre  construite  en  planches,  couverte  de  damas, 
ayant  à  côté  de  lui  un  secrétaire  pour  écrire  sous  sa  dictée  », 
et  accueilli,  disaient  à  l'envi  les  (iazettes,  «  avec  tous  les 
témoignages  de  la  bienveillance  et  des  vœux  ardents  pour 
le  rétablissement  d'une  santé  si  chère  (2)  ».  Le  i  décembre 
suivant,  le  grand  cardinal  était  mort  et  le  jeune  Bossuet, 
après  avoir  défilé  devant  le  corps  de  l'illustre  défunt,  ex- 
posé pendant  trois  jours  avec  une  pompe  inouïe  au  Palais 
Cardinal,  assistait  à  ses  funérailles  et  à  son  oraison  funèbre 
prononcée  par  l'évoque  de  Sarlat,  Jean  de  Lingendes.  La 
forte  imagination  du  jeune  humaniste,  déjà  chanoine  de 
Metz  (3),  devait  garder  de  ces  grands  spectacles  un  souve- 
nir ineffaçable. 

(1)  André  Clicnicr. 

(2)  Histoire  de  Bossue l .  par  le  cardinal  de  liausset,  cl  Études  sur  la  vie  de 
Bossuet.  par  Kloquet,  t.  I,  p.  ~l-~-2. 

(3)  Tonsuré  dos  l'âge  de  huit  ans,  Bossuet  avait  été  nommé  chanoine  de  Metz, 
à  treize  ans,  par  un  intime  ami  de  son  père,  le  chanoine  Jean  Rover,  tournnire  ou 
semainier,  au  moment  de  la  mort  du  chanoine  Uertoti.  Celui-ci  avait  un  coadju- 
leur,  Sainlignon,  (|ui  réclama  une  succession  achetée  d'avance.  .Mais  le  Parlement 
adjugea  à  Bossuet  le  canonicat  eu    litige  et  interdit  les  coadjutoreries  (-27  juin 


«  BOSSUET  ET  LKS  SAINTS  PERES. 

Quelles  furent  à  Navarre  les  études  'pnfristiques  de  Bos- 
suet? 

Lors  de  la  soutenance  de  la  thèse  du  P.  de  la  Broise, 
M.  Gazier  a  semblé  dire  que  Bossuet  jeune  cultivait  surtout 
les  Pères  et  que  c'est  par  leur  intermédiaire  qu'il  devint 
pleinement  l'homme  de  la  Bible.  Cette  opinion  n'a  pas  pré- 
valu. 

Bossuet  étudia  pourtant  les  saints  Pères.  Dans  quelle  me- 
sure? Il  est  difficile  de  le  déterminer  avec  précision.  On 
sait  qu'il  eut  pour  professeur  de  philosophie  et  d'Écriture 
sainte  Nicolas  Cornet  (1).  «  un  docteur  de  l'ancienne  mar- 
que, de  l'ancienne  simplicité,  de  l'ancienne  probité  »,le 
bras  droit  de  Richelieu,  puis  de  Mazarin  ;  pour  professeur 
de  grec,  Nicolas  Mercier,  helléniste  remarquable  ('2);  pour 
professeurs  de  théologie  scolastiqup  et  positive  le  docteur 
Pierre  Guischard .  qui  devait  occuper  cette  chaire  pendant 
cinquante-trois  années,  et  le  docteur  Dussaussoy,  qui  ensei- 
gnait la  doctrine  de  saint  Thomas;  pour  professeurs  de  con- 
troverse enfin  le  docteur  Péreyret  et  le  docteur  Claude  Le- 
feuvre ,  grand  maitrc  de  Navarre.  —  Bossuet  accordait  peu 
de  temps  aux  mathématiques,  «  les  curiosités  de  ces  sciences 
étant,  disait-il,  une  étude  trop  abstraite,  d'un  trop  grand 
attachement  et  de  peu  de  fruit  pour  les  gens  d'Eglise  (3)  ». 
En  revanche ,  il  s'adonnait  avec  passion  à  l'étude  de  l'Écri- 
ture sainte  ;  mais  «  il  semblait  ne  faire  que  jouer,  tant  l'étude 
lui  était  aisée.  Ses  compagnons  étaient  étonnés  de  le  voir 
le  premier  et  le  plus  vif  à  leurs  divertissements,  comme  s'il 
n'eût  eu  d'autre  inclination...  Dès  cet  âge,  il  sut  se  rendre 
aimable  à  tous  (4)  », 

Les  Pères  de  l'Église  ne  faisaient  pas  à  Navarre  l'objet  d'un 

uni).  Les  fruits  du  l)6nélicc  furent  perçus  jusqu'en  mai  ir.'iS  par  le  chapitre, 
If-nu  seulemciil  à  payer  une  modi<iue  pension  aux  clianoines  étudiants. 

(I)  Les  Mi'tnoires  de  l'abln;  Le  Dieu  nous  disent  (juc  Nicolas  Cornet  «  connut 
d'abord  le  mérite  de  IJossuel  et  prit  soin  do  ses  éludes  et  de  sa  conduite.  Sous  un 
tel  maître,  il  lit  autant  de  pro;;rés  dans  la  piété  qu(!  dans  les  sciences  ». 

(-2)  ■  Il  (iwissnet)  apprit  le  grec  à  fond,  dit  l'ahbc  Le  Dieu;  il  lut  tous  les  histo- 
riens grecs  et  latins,  les  orateurs  et  les  poètes.  » 

(3)  •  Il  les  estimait  poiirlaiil ,  dit  I.e  Dieu,  en  ceux  à  qui  elles  sont  utiles  dans 
leur  profession.  » 

(4)  Mémoiri's  de  l'alibi'  Le  Dieu,  I.  I.  p.  L-i. 


LES  ÉTUDES  PATRISTIQUES  DE  BOSSUET.  7 

enseignement  à  part  :  du  moins,  FEdit  de  153ô,  qui  réglait 
les  cours  de  la  Faculté  de  théologie,  VÉdit  de  Ré  formation 
du  3  septembre  1598,  lu  à  l'J^niversité  assemblée  dans  la 
fameuse  séance  du  18  septembre  IGOO  (  1  j ,  les  S/ntu/s  de  la 
Falcidté  de  théologie,  imprimés  en  1715  et  conformes  à 
l'arrêt  de  1598  et  à  celui  de  1535,  Tarticie  du  Mercurt'  de 
1709  sur  le  doctorat  en  théologie,  V Histoire  de  r Université 
de  Paris  au  dix-septième  et  au  dix-huitième  siècle  (2)  par 
M.  Jourdain  et  son  Index  chronologicus  chartarum  (3)  ne 
disent  pas  qu'il  y  eût  des  cours  spéciaux  consacrés  à  la  Pa- 
trologie. 

Bossuet  dut  apprendre  la  patristique  soit  dans  les  cours 
d'Écriture  sainte,  puisque,  d'après  VEdit  de  1535,  les  lec- 
tures des  Livres  saints  devaient  être  faites  avec  apparat , 
interprétation  ou  expositions  des  saints  Docteurs  anciens 
approuvez  par  l'Église;  soit  dans  le  cours  de  théologie  sco- 
las tique,  puisque  les  quatre  Livres  des  Sentences  de  Pierre 
Lombard,  ({ui  faisaient  le  fond  principal  de  ces  cours,  ne 
sont  que  le  recueil  méthodique  des  textes  les  plus  impor- 
tants et  les  plus  célèbres  des  saints  Pères  sur  les  dogmes  de 
la  foi  catholique,  et  que  la  Som/ne  théologique  de  saint  Tho- 
mas d'Aquin,  que  commentait  à  Navarre  Jean  Dussaussoy, 
cite  à  chaque  page  saint  Augustin  et  les  autres  docteurs  de 
l'Église;  soit  surtout  dans  le  cours  de  théologie  positive  (i) , 
qui  ne  devait  être  qu'un  exposé  de  la  doctrine  des  saints 
Pères  sur  les  grandes  vérités  et  les  mystères  augustes  de  no- 
tre religion;  soit  enfin  dans  le  cours  de  controverse ,  fondé 
par  ràclielieu  en  1038,  et  qui  avait  pour  objet  principal  de 
défendre  la  Tradition  et  les  saints  Pères  contre  les  Protes- 
tants, qui  les  accusaient  d'avoir  faussé  l'esprit  de  la  primi- 
tive Église.  —  Il  est  vrai  qu'il  faut  toujours  distinguer  en- 
tre les  règlements  et  leur  application,  entre  les  titres  des 


(1)  Voir  la  Rvformation  de  l'Université  de  Paris,  petit  vol.  in  1-2,  ])iil)li(''  en  KiOl. 

(-2)  lu  iii-f".  lSii-2-18(Je, 

(3)  i;n  in-t".  lS(i-2. 

i't)  C'est  Fi(i(|uct  qui  parle  de  ce  rours  :  Etudes  sur  la  vie  de  Dossuel,  t.  l,  p.  80 
mais  •  il  est  incomplet  et  no  cite  pas  toutes  les  sources  »,  comme  le  lui  reproche 
le  P.  de  la  Uroisc,  Dossnet  et  la  Bible .  p.  xvi.  nnir. 


8  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

chaires  et  l'enseignement  qu'y  donnent  les  professeurs.  Voilà 
pourquoi  les  conclusions  qui  viennent  d'être  formulées  res- 
tent un  peu  hypothétiques.  C'est  le  cas  de  rei^retter,  avec 
le  P.  de  la  Broise,  que  Y  Histoire  du  colli'gc  royal  de  Navarre, 
Régit  Navarrae  Gymnasii  Parisiensis  historia,  par  Jean  de 
Launoy  {1677  ),  s'arrête  au  seuil  du  grand  siècle  et  que  la  des- 
truction totale  des  archives  de  Navarre  empêche  de  la  com- 
pléter (1). 

Il  nous  manque  encore  d'autres  documents  précieux  qui 
auraient  pu  nous  renseigner  sur  l'étude  des  Pères  faite  par 
Bossuet  à  xXavarre.  Ce  sont  ses  thèses  et  ses  discours  :  sa 
thèse  de  philosophie  en  16V3,  dédiée  à  Cospéan,  évêque  de 
Lisieux.  qui  prédit  que  u  ce  jeune  homme,  d'un  extérieur  si 
noble,  serait  une  des  plus  grandes  lumières  de  l'Église  »  !  2)  ; 
sa  Tentative  (3)  dédiée  à  Condé,  présent  à  la  soutenance  le 
2i  janvier  16i8  (V),  et  qui  avait  pour  titre  De  Dec  trino  et 
uno  et  de  Angelis  {Jy)\  sa  Sorbonique  ^  9  novembre  1650, 
d'où  sortit  un  procès  entre  les  docteurs  de  Navarre  et  ceux 
de  Sorbonne,  qui  soutenaient  la  nullité  de  la  thèse  (6), 
parce  que  le  candidat  n'avait  pas  dit  :  Dignissime  domine 
Prior,  en  s'adressant  au  Prieur  de  Sorbonne  (7),  «  bachelier 


(1)  Bossuel  et  la  îiible.  p.  xvii. 

(•2)  Bossuet  fut  reçu  maître  cs-arts  le  i>  août  l(i'ti  [livgistres  de  la  Faculté  de 
théologie). 

<3)  Cette  llièse  conférait,  avec  le  droit  de  lire  \Gfi  Sentences,  le  titre  de  bachelier 
sententiaire,  ou  haclielierde  second  ordre,  ou  encore  de  deuxième  licence.  —  La 
lecture  des  Sentences  devait  se  faire  en  l'une  des  maisons  incori)orées  à  l'I'niver- 
sité  et  sous  la  direction  d'un  docteur  régent  de  la  Faculté.  Elle  commençait  clia- 
(jue  année  le  Hi  se|)teml)re  et  se  continuait  jusqu'au  -29  juin,  anniversaire  de  la 
mort  de  l'ierre  I.omhard,  le  Jlaitic  «les  Sentences. 

(i)  L'abbé  Le  Dieu  a  tort  de  donner  la  date  du  -Xi  janvier  l(i'»8  pour  la  Tenta- 
tive de  Bossuet  [Mémoires,  p.  -20.) 

(5)  On  a  prétendu  que  le  sujet  de  la  Tentative  de  Bossuet  fut  ■  une  comparaison 
de  la  gloire  du  monde  et  de  celle  qui  attend  le  juste  après  cette  vie.  »  —  Mais  le 
F'.  Tabaraud  et  Floi|uet  ont  établi  la  fausseté  de  cette  assertion  par  les  renseigne- 
ments très  exacts,  très  détailU's  et  tiès  curieux  donnés  par  le  Mercure,  août  et 
septembre  1709,  sur  Vllistoire  du  doctorat. 

(<i)  On  i)eut  voir  à  ce  sujet  dans  Flo<|uet ,  Ktudc.i ,  t.  I,  p.  131-1 W,  les  curieux 
détails  qu'il  donne  sur  cet  incident  et  sur  la  plaidoirie  de  Bossuet,  qui  parla  en 
latin  devant  le  Parlem(;nt  à  huis-clos  et  obtint  gain  de  cause  pour  lui,  mais  non 
pas  pour  les  docteurs  de  \av;irr(\  déboutés  de  leurs  im-lentions. 

(")  C'fst  probablement  à  cause  de  cet  incident  i|U(;  lorsqu'on  distribua  les  lieux 
ou  les  places  entre  les  licencies  de  l(i:.()-l(>M,  Itossiiel  n'eut  ()ue  la  troisième  place  : 
la  première  lut  donnée  à  Arn'iand-Jcan  le  Bouthiliier  de  Uancé.  neveu  de  larclie. 
véque  de  Tours ,  aumônier  de  Monsieur,  et  la  seconde  au  prieur  de  Sorbonne, 
fiaslon  Chamillart. 


LES  ÉTUDES  PATRISTIQUES  DE  BOSSUET.  « 

en  licence,  élu  pour  gouverner  la  maison  pendant  un  an, 
pour  régler  et  ouvrir  les  sorl)oniques,  par  une  harangue  (ou 
paranympho)  du  répondant  et  par  neuf  arguments  (1)  »  ;  sa 
Mineure  ordhinJre,  5  juillet  1051  ;  ^^Majcure  ordinaire  (2)  ; 
son  discours  solennel  de  paranijmphe  (3),  que  l'abbé  Le  Dieu 
place  en  10^8,  (|u'il  faudrait  rapporter,  d'après  le  cardinal 
de  Hausse!  et  Floquel ,  à  l'année  1651 ,  et  qui  était  le  déve- 
loppement de  ce  texte  de  saint  Pierre  :  «  Deum  timete,  re- 
geni  honorificate  »  (4),  d'une  signification  si  haute  et  si  géné- 
reuse au  milieu  des  troubles  de  la  Fronde,  en  1651  comme 
en  iCi-S;  enfin  les  thèses  auxquelles  Bossuet  présida  dans 
la  grande  salle  de  l'archevêché ,  assis  entre  le  grand  maître 
Nicolas  Cornet  et  le  chancelier  de  l'Université,  des  mains 
duquel  il  reçut  le  bonnet  de  docteur,  le  9  avril  1052  5); 
il  lui  répondit  par  cette  magnifique  harangue  que  plus  de 
cinquante  ans  plus  tard,  au  mois  d'août  1703,  l'évêque  de 
Meaux  répétait  du  ton  le  plus  franc  et  sans  aucune  hésitation 
à  l'abbé  Le  Dieu,  qui,  dans  son  admiration ,  l'écrivit  sur-le- 
champ  pour  nous  la  transmettre  :  «  Iho ,  te  duce ,  ladm  ad 
■<anctas  illas  aras ,  etc.  (6). 

Il  est  regrettable  que  le  cabinet  des  Estampes,  si  riche 
en  thèses  de  cette  époque ,  ne  possède  pas  celles  de  Bossuet. 
Déjà  de  son  temps,  le  1®' janvier  1703,  l'abbé  Le  Dieu  se 
plaignait  d'avoir  inutilement  cherché  chez  les  anciens  doc- 

(I)  Dictionnaire  de  Tri'voa.c  ,  arl.  Prieur. 

(-2)  Ni  le  cardinal  de  Bausset  ni  Flo(|uel  ne  parlent  de  ces  deux  tlièses  de  Bos- 
suet :  elles  claient  [murtant  rcglenientaircs  et  Bossuet  les  soutint  comme  tout  le 
monde. 

(3)  On  z[)\w\iv\\.  Paranijmphe  \(i  discours  solennel  qui  se  prononçait  à  la  Faculté 
«le  tliéologic  et  de  médecine  à  la  (in  de  chaque  licence  et  dans  lequel  l'orateur. 
le  |iaranyni|ilic,  adressait  à  clia(|ue  licencié  un  compliment  auquel  se  mêlait  une 
cpisrammc"  :  le  licencié  r('|)()ndait  pur  (|uel(iu<ï  trait  du  même  genre.  Cet  iisa^e 
ayant  dcmrié  lieu  à  des  abus,  les  Paranymplies  se  réduisirent  à  de  simples  haran- 
gues. —  Klu  paranympheà  l'unaniniité  par  les  licenciants  de  Navarre.  Bossuet  dut. 
au  dire  de  I'lo(piet.  aller  inviter  tous  les  cor|)s  coiistiliiés  à  la  solennitc  des  l'aïa- 
nymphes  cl  (ironoiiccr  en  un  jour  i|uator/e  disi'ours  latins.  —  Mais  "SX.  l'abbe  Ur- 
bain, dans  son  Nicolas  Cocffcleau,  !«!);{,  montre  i|ue  ce  devoir  incombait  au  Para- 
nymphe  des  .jacobins. 

(V)  Le  Dieu  [Mémoires,  p.  U)  apiielle  ce  discours  de  Bossuet  •  le  panégyrique  du 
roi  et  du  collège  de  Navarre,  tpi'il  prononça  en  faisant  les  Par'inyhtji/ies  ». 

(.">)  C'est  la  date  donnée  par  l-lo(piei,  d'après  les  catalogues  des  d<icteurs  en 
théologie,  l.e  Dieu  dit  le  Ki  mai;  Muréri.  U:  H>  mai;  de  Bausset.  le  18  mai.  —  C'est 
le  10  mai,  <'ii  ellcl.  et  non  pas  le  18,  (|ne  Bossuet  prit  le  bonnet  de  docteur  ;i  la 
Faculti';  de  théologie,  après  avoir  été  reçu  ;i  rarchcvéché  le  il  avril. 

(fi)  Voir  V Histoire  de  Bossuet,  par  le  cardinal  de  Bausset. 


JO  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

teurs  de  Navarre  les  thèses  de  théoloeie  et  les  harangues  de 
Bossuet  (1).  Il  n'existe,  semble-t-il,  qu'une  seule  thèse  de 
Bossuet  :  c'est  la  Minrure  ordinaire ,  qui  a  pour  sujet  l'É- 
glise (^2i.  Elle  faisait  partie,  il  y  a  une  vingtaine  d'années, 
du  cabinet  de  M.  Kathery.  et  les  Études  religieuses  des 
PP.  Jésuites  l'ont  publiée  en  juin  1869.  —  La  Mineure  ordi- 
naire,  dont  la  soutenance  durait  six  heures,  se  trouvait 
placée,  dans  les  deux  années  de  licence,  entre  la  Sorhonique, 
qu'il  fallait  défendre  de  six  heures  du  matin  à  six  heures 
du  soir,  et  la  Majeure  ordinaire,  de  huit  heures  du  matin  à 
six  heures  du  soir. 

Si  la  Sorbonique  de  Bossuet  avait  fait  grand  bruit,  les 
documents  contemporains  sont  muets  sur  sa  Mineure  ordi- 
naire. Il  l'avait  dédiée  à  Henri  de  Bourbon,  fils  naturel 
d'Henri  IV  et  de  la  marquise  de  Verneuil  (Henriette  de 
Balsac  d'Entragues  i ,  nommé  évèque  de  Metz  dès  l'âge  de 
six  ans  (3).  Ce  fut  Pierre  Bédacier  ou  Bédassier,  adminis- 
trateur du  diocèse  de  Metz  et  évèque  d'Augnste,  qui  présida 
la  thèse,  assisté  des  professeurs  de  la  maison  de  Navarre 
On  y  trouve  cités  saint  Irénée  li),  saint  Cyprien  '5\  saint 
Athanase  (6j ,  saint  Cyrille  d'Alexandrie  [1),  saint  Jean  Chry- 
sostome  (8),  saint  Épiphane  (9),  saint  Paphnuce  (10)  et  quel- 
ques autres  anciens  Pères  que  Bossuet  ne  nomme  pas  (11). 
Il  affirme  même  contre  les  Protestants  «  qu'on  peut  tirer 
de  la  doctrine  des  Pères  des  arguments  très  clairs  »  pour 
établir  la  légitimité  «  d'un  culte  modéré  envers  les  images 


(1)  Journal,  t.  M,  p.  ;{.";8-3.";!). 

(2)  Quaestio  Iheolorjica  :  Quaeitam  est  civilas  Dei  ?  Psal.  î*i>. 

(3)  La  vie  scandaleuse  de  cet  évèque  fait  un  triste  contraste  avec  les  éloges  que 
lui  décerne  le  haclielier  licentiantde  16.">1.  —  Il  est  vrai  que  celui-ci  devait  ignorer 
les  mœurs  du  prélat. 

('•)  «  victoreui  (juidein  liac  potcstate  usuni  tentavil  Ircnarus  ad  lenitateni  in- 
flectere.  » 

(•'>)Adeux  reprises  :  •  Beatissimus  Cyprianus...'S\\\\\  quidcm  persuasum  est  abs- 
tentuni  a  Stephano  fuisse  Cyprianum.  • 

(ti)  •  Sancti  Allianasii  causaiii  l'ontifex  .lulius...  tractavit.  » 

(7)  •  Cacleslini  CuriUus  in  liplicsina  parles  egil.  • 

(8}  .  (  I  saiictus  Joanncs  iUc  Chrijsostnmus  apud  SuzonuMiuni  tui'ril  rcruni  no- 
varum  auilior.  ■ 

(!•)  •  Cacteruni  sancti  Epipliunii  leniporc.  ■ 

(III)  «  yucinadmoduin  liistoriac  l'nphnulii  non  onin(!ni  penitus  abrogarim  lidcni.  • 

(II)  •  Qui/jundam  r.r  nnlii/uis  PalriOus  visuiii  fuil...  » 


LES  ÉTUDES  PATRISTIQUES  DE  BOSSUET.  1 1 

(lu  Christ  et  des  saints  :  Chris//,  cl  sanctorum  in  imar/liti- 
hi(s  vencralio  modcrata  elici  jiotest  ex  doctrina  Patriim  non 
oùsciiris  <u'(jHnii'ntis  ».  Dès  cette  époque,  on  le  voit,  Bos- 
suet  était  familier  avec  les  œuvres  des  saints  Pères.  Toute- 
lois,  il  reste  toujours  un  doute  sur  la  question  de  savoir  si 
Hossuet  citait  ces  autorités  de  première  ou  de  seconde  main. 

Go  qui  laisserait  croire  ([uc  Bossuct,  dans  cette  thèse,  se 
servait  des  citations  insérées  dans  les  auteurs  de  théologie 
quil  étudiait,  c'est  le  petit  nombre  des  allusions  aux  saints 
Pères  que  Ton  rencontre  dans  les  onzo  pièces  oratoires  que 
M.  Tabbé  Lebarq  a  recueillies  pour  l'époque  de  Navarre. 
1G42-1652.  Il  n'y  en  a  aucune  dans  XExordc  d'un  sermon 
sur  le  jugement  dernier,  prêché  par  Bossuet  à  l'hôtel  de 
Vendôme  en  16 V3,  alors  qu'il  n'avait  que  seize  ans,  «  en 
présence  de  l'évêque  de  Lisieux  et  de  deux  évêques  de  ses 
amis,  dont  ils  furent  si  contents  que  M.  Cospéan  promit  au 
prédicateur  de  le  présenter  à  la  Beine,  afin  qu'il  lui  récitât 
ce  sermon-là  même ,  tant  il  estimait  son  talent  et  avait  envie 
de  le  faire  connaître  »  (1)!  Le  Sermon  résumé  sur  le  péché 
dliabitude,  qui  semble  n'être  qu'une  analyse  d'un  discours 
de  M.  de  Sarlat,  Jean  de  Lingendes,  qui  prêcha  à  la  cour  de 
1647  à  16'i-9,  contient  un  seul  texte  de  saint  Augustin  :  Deus 
impossibilia  tion  juhet ^  etc. 

Les  Méditations  sur  la  brièveté  de  la  vie  et  sur  la  félicité  des 
Saints  (1648)  renferment  un  grand  nombre  de  citations  de 
l'Écriture,  pas  une  seule  des  Pères.  Le  Panégijrique  de  saint 
Gorgon,  prêché  à  Metz  le  9  septembre  1649,  ne  contient 
qu'une  comparaison  empruntée  à  saint  Basile  (2),  dans 
l'exorde,  et  une  phrase  de  saint  Cyprien  dans  le  deuxième 
point  (3).  Dans  le  Sermon  sur  la  félicité  des  Saints^  l""  no- 
vembre 1649,  il  n'y  a  qu'une  ligne  des  Sermons  de  saint 

(I)  Mémoires  de  Le  Dieu,  t.  I,  p.  19.  —  L'évêque  de  Lisieux  ayant  eu  ordre,  sur 
ces  entrefaites,  de  se  retirer  dans  son  diocèse,  «  au  moment  de  la  fin  de  la  cabale 
des  Importants  (septembre  tCi3).  le  dessein  du  sermon  qui  devait  être  récité 
devant  la  Reine  man(]ua  ». 

{■i)  «  Tout  ainsi,  dit  saint  Basile,  que  les  abeilles  sortent  de  leur  ruche,  (|uand 
elles  voient  le  beau  temps,  etc.  •. 

(.'{)  «  Riipla  compage  viscerum,  torquebantur  in  serve  Dei  non  jam  membra, 
sed  vulnera. 


12  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

Léon  (1).  Aucun  texte  des  Pères  ni  dans  Y  Allocution  pour  la 
veille  de  la  fête  de  l Assomption  de  la  sainte  Vierge ,  1650, 
ni  dans  le  Fragment  s/tr  l'Assomption  de  la  sainte  Vierge 

Saint  Bernard  est  cité  à  trois  reprises,  «  l'admirable  saint 
Grégoire  »  une  fois,  saint  Épiphane  une  fois,  saint  Augustin 
et  saint  Chrysostome  sept  ou  huit  fois  chacun  dans  le  long 
Sermon  pour  la  fête  du  Rosaire,  prêché  à  Navarre  en  IGôl 
et  dont  les  théologiens  admirent  la  profondeur.  Le  premier 
sermon  de  Bossuet  prêtre,  prononcé  à  Navarre  le  samedi 
saint,  30  mars  1652,  contient  plusieurs  citations  de  Tertul- 
lien.  du  «grand  saint  Cyrille  d'Alexandrie  »,  de  Clément 
Alexandrin,  de  saint  Jean  Chrysostome,  d'Origène  et  surtout 
de  saint  Augustin,  dont  les  textes  fournissent  à  Fora  teur  tout 
le  début  du  deuxième  et  troisième  point.  On  voit  par  là  que 
le  génie  naissant  de  Bossuet  goûtait  de  plus  en  plus  l'élo- 
quence des  saints  Pères  et  qu'elle  allait  devenir,  avec  la 
Bible,  l'aHment  principal  de  sa  prédication. 

D'ailleurs ,  il  nous  reste  de  cette  époque  un  écrit  bien  in- 
téressant, dont  l'abbé  Le  Dieu  avait  pris  copie  en  1683  et  que 
M.  Lâchât  a  publié  pour  la  première  fois  dans  le  tome  Ili"  de 
son  édition  de  Bossuet,  pp.  581  et  suiv.  :  c'est  le  Plan  d'nn 
traité  de  théologie,  qu'on  suppose  fait  par  Bossuet  lui-même 
pour  son  usage  personnel,  vers  16i8.  II  est  reproduit  dans 
l'édition  Guillaïune,  t.  X,  pp.  458  et  suiv.,  et  dans  l'édition 
Blond  et  Barrai  (1879),  t.  XI,  pp.  622-623  (2).  On  y  voit  un 
assez  long  catalogue,  près  de  30  pages  à  deux  colonnes  in-'i-'', 
des  questions  qu'on  a  coutume  do  discuter  dans  un  cours  de 


(I)  •   Transeunt  in  honorem  Iriumphi  ctiam  inslnimcnla  xuppiicn.  « 

{'2]  «  Œuvres  complcti's  de  Bosnuel .  procédées  de  son  Histoire  par  le  cardinal  de 
Ucausset  et  de  divers  éloiçcs;  édition  contenant  tous  les  ouvrages  édités  jusqu'à  ce 
jour.  c(dlationnés  sur  les  textes  les  plus  corrects  par  une  soci('tc  d'ecclésiasti- 
ques. •  —  I>ai'-le-I)uc.  Bertrand;  Paris,  liloud  et  Barrai. 

C'est  cette  édition  en  dfmze  volumes  in-i"  à  deux  colonnes,  avec  tables,  que 
nous  citerons  toujours,  sauf  pour  les  Œuvres  oraloirea  de  Bossuet;  nous  ren- 
verrons alors  aux  six  volumes  publiés  par  l'abbé  Lebarq  et  qui  contiennent  seuls 
le  texte  délinltii'. 

Ccltf!  édition  de  Bar-le-I)nc  a  l'avantage  d'être  aussi  com()lrte  (|u'aucune  autre: 
le  texte  de  Bossuet  y  est  moins  altère  (|ui;  dans  Lâchai:  il  n'y  man(|ue  que  quel- 
ques variantes,  et.  de  plus,  elle  contient  des  notices  tlié(dogi(iues,  Tort  utiles  i)our 
les  recherches  qui  font  l'objet  de  celle  thèse. 


LES  ETUDES  PATUISTIQIES  DE  lîOSSUET.  l.J 

théologie  et  surtout  «  des  matières  traitées  dans  la  troisième 
[)artie  de  la  Somme  de  saint  Thomas  (1)  ». 

Un  passage  seul  concerne  les  Pères  :  De  Pairum  s/r/p(is, 
Palrumquc  (tnctoritas,  ubi  sunt  unanimes.  Bossiiet  y  dit 
<[ue  «  l'autorité  des  Pères  est  encore  plus  grande,  lorsqu'ils 
traitent  des  mo'urs  et  de  la  vie  chrétienne  cjue  lorsqu'ils 
parlent  des  questions  théologiques.  Il  faut  lire  et  étudier 
les  Pères  assidûment,  mais  avec  la  docilité  d'un  disciple  et 
non  pas  avec  la  hauteur  d'un  juge,  pour  les  suivre  et  non  pas 
pour  les  tirer  à  soi.  Patrum  de  moribus  et  vita  christiona 
l.raclantium,  adhue  cmctoritas  major  quam  cum  de  rébus 
tJieologicis  disscrunt.  Patres  assidue  legendi  et  versandi,  sed 
cum  discipuli  docililale ,  non  judicis  supercilio ,  et  ut  scqua- 
mur,  non  ut  sequantur.  »  Bossnet  parle  encore  «  du  suc  et  de 
la  piété  des  Pères  dans  l'exposition  des  saintes  Écritures  : 
Patrum  in  exponcndis  Script  uris  succus  et  pie  tas  »  ,  et  il  les 
oppose  «  à  la  sécheresse  des  hérétiques  et  de  ceux  qui  sont 
en  quête  de  curiosités  »  (2),  «  Parmi  les  anciens  Pères, 
ajoute-t-il,  les  uns,  trop  adonnés  à  la  philosophie,  n'ont  pas 
pénétré  profondément  les  secrets  intimes  de  l'Évangile; 
mais  les  autres,  élevés  d'abord  dans  des  écoles  chrétiennes, 
ont  parlé  dune  manière  exacte  et  lumineuse  des  graves 
articles  de  la  religion  :  E  Patribus  antiquis ,  alii,  philoso- 
pliiac  nimiutn  addicti ,  interiora  Evangelii  non  altius  pene- 
trarunt;  sed  alii  in  scholis  christianis  primum  eruditi , 
pure  et  dilucide  de  gravibus  religionis  articulis  disscruf- 
runf  ».  On  voit  par  là  que  Bossuet  préfère  aux  Pères  apo- 
logétiques du  second  siècle,  comme  saint  Justin  et  saint 
Irénée,  les  Pères  du  troisième  et  surtout  du  quatrième 
siècle,  dont  il  fera  ses  délices. 

Mais  la  partie  la  plus  intéressante  de  ce  recueil  de  notes 
est  le  début  écrit  en  français  :  Traités  des  Pères  les  plus 
utiles  pour  commencer  Vétude  de  la  théologie.  Ces  deux 

(I)  Il  n'y  a  là  que  des  jalons,  des  indications  sommaires,  quelques  vues  géné- 
rales :  re  n'est  pas  une  exposition  eompléte  d'un  plan  de  théologie,  tel  que  Bos- 
suet. parvenu  à  sa  uialurité,  aurait  pu  le  concevoir.  .Mais  pour  un  projet  d'études 
fait  à  vingt  et  un  ans,  il  ne  niainiuc  ni  de  grandeur  ni  d'exactitude. 

(i)  Aridilas,  c  conlrario.  haercliris  cl  curiosa  venantibus. 


14  BOSSLET  ET  LES  SAINTS  PÈRES. 

pages  nous  montrent  trop  bien  comment  Bossuet  s'adon- 
nait à  la  lecture  réfléchie  des  Pères,  dès  ses  premières 
études  théologiques,  pour  qu'il  ne  soit  pas  utile,  nécessaire 
même  de  les  reproduire  ici. 

Idée  gi'u&i'aU'  de  la  religion. 

«  Saint  Augustin  :  I)e  Catechizandis  j'udibus; —  ses 
quatre  livres  de  la  Doctrine  chrétienne;  —  son  traité  de  la 
Vraie  Religion;  —  celui  des  Mœurs  de  F  Église  catholi- 
que : —  son  Enchiridion,  adressé  à  Laurent. 

Trinité. 

«  Le  Symbole  de  Nicée;  —  celui  de  saint  Athanase; — 
son  Recueil  des  passages  de  l'Écriture,  qui  prouvent  l'es- 
sence commune  du  Père,  du  Fils  et  du  Saint-Esprit,  t.  I, 
p.  209  ;  —  sa  Lettre. des  décrets  du  concile  de  Nicée,  p.  248, 
t.  Il,  p.  10,  16;  —  ses  trois  Lettres  à  Sérapion  sur  la  divi- 
nité du  Saint-Esprit,  t.  I.  p.  173. 

«  Saint  Grégoire  de  Nazianze  ,  ses  cinq  Oraisons  de  la 
Théologie,  XXX1II%  XXXIV  ,  XXXV%  XXXVL,  XXXVir. 

((  Saint  Augustin  :  Contre  Maximin,  arien; —  les  huit 
premiers  livres  de  son  ouvrage  de  la  Trinité. 

Incarnation. 

«  La  Lettre  de  saint  Athanase  à  Epictète. 

«  Celle  de  saint  Augustin  à  Volusien;  —  son  traité  dr  la 
Persérérance ,  particulièrement  la  fm  où  est  expliquée  la 
prédestination  de  Jésus-Christ. 

«  Les  Lettres  de  saint  Cyrille  d'Alexandrie,  ({ui  furent 
ues  au  concile  d'Ephèse,  et  celles  ([u'il  écrivit  sur  \ Accord 
avec  les  Orientaux. 

«  La  Lettre  de  saint  Léon  à  Flavien. 

«   La  Définition  du  Concile  de  ChaU édoine. 

«   Les  Arutthéiuatisiiies  du  V  Co/icilr. 

«  La  Définition  du  VL  Concile. 


LES  ÉTUDES  PATRISTIQUES  DE  BOSSUET.  15 

«  La  Lettre  de  saint  Bernard  à  Innocent  II,  contre  Pierre 
Abailard,  touchant  la  satisfaction  de  Jésus-Christ  et  la  ré- 
demption. 

Grâce. 

«  Les  huit  Canons  du  Concile  de  Milet. 

«  Le  livre  de  saint  Augustin  :  De  l'Esprit  et  de  la  lettre; 

—  ses  deux  ouvrages  contre  Julien;  celui  de  la  Grâce  et  du 
libre  arbitre; —  de  la  Correction  et  de  la  Grâce;  —  de  la 
Prédestination  des  Saints;  —  du  Don  de  la  persévérance; 

—  ses  Lettres  ;  —  ses  Sermons  sur  les  Paroles  de  l'Apôtre. 

((  Les  Réponses  de  saint  Prosper  aux  objections  de  Vin- 
cent de  Lérins  et  du  Collateur. 
«  Le  Concile  d'Orange. 
((.  La  VP  Session  du  Concile  de  Trente. 

Sacrements. 

«  Les  sept  livres  de  saint  Augus-  (  Les  uns  et  les  autres 
Wm  du  Baptême  contre  les  donatistes ;  |  sur  l'efficace  des  sa- 
ses  livres  Contre  P arménien.  (  crements en  général. 

<(  Les  Catéchèses  mystagogiques  de  saint  Cyrille  de  Jéru- 
salem pour  l'Eucharistie  principalement. 

«  Le  traité  de  saint  Ambroise  de  Initiandis ;  —  le  traité 
des  Sacrements  qui  est  entre  ses  œuvres. 

«  L'homélie    LXXXIII'     de    saint  ( 
Chrysostome  sur  saint  Matthieu;        )  ces  deux  pour  l'Eu- 

«  La  XXIV  sur  la  première  E pitre  )  charistie. 
aux  Corinthiens^  ch.  x;  ( 

«  Les  Catéchèses  de  saint  Gaudence. 

«  Les  Catéchèses  de  saint  Eucher. 

«  Le  Concile  de  Trente. 

Pénitence. 

«  Tertullien  :  De  la  Pénitence;  —  son  traité  de  la  Doc- 
trine de  l'Église;  —  celui  de  la  Pudicité. 


16  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PÈRES. 

«  Les  Lettres  de  saint  Cyprien;  —  son  traité  de  Lapsis. 

«  Lettre  de  saint  Pacien  à  Sernpronien,  contre  les  Nova- 
tiens. 

«  Saint  Ambroise,  De  la  Pénitence. 

«  La  dernière  des  cinquante  Homélies  de  saint  Augustin; 
—  son  Sermon  XXXll"  De  Verbis  Apostoli,  sur  la  prière  pour 
les  morts  ;  —  sou  livre  de  Cura  pro  mortuis  agenda.  — 
Voyez  aussi  ÏEnchiridioîi,  sur  la  nature  de  rame;  —  ses 
derniers  livres  de  la  Trinité,  savoir  les  IX%  X%  etc. 

Eglise. 

«  Les  livres  de  saint  Cyprien  :  De  F  Unité  de  i  Église:  — 
sa  Lettre  à  Antonien. 

«  Le  livre  de  saint  Augustin  :  De  l'Unité  de  l'Eglise;  — 
sa  Lettre  CLXIL ,  et  celles  sur  les  Donatistes. 

«  Les  Lettres  de  saint  Ignace  sur  F  autorité  épiscopale. 

«  La  plupart  de  celles  de  saint  Cyprien  sur  le  même  sujet 
et  pour  le  gouvernement  ecclésiastique,  particulièrement 
celles  qu'il  a  écrites  au  pape  saint  Corneille,  à  Florentins 
Puppiénus,  etc.,  sur  t autorité  du  témoignage  des  Apôtres. 

«  Saint  Jean  Chrysostome  :  sa  première  Homélie  sur  saint 
Matthieu;  —  les  deux  premières  sur  saint  Jean; —  les  qua- 
trième et  cinquième  sur  la  première  aux  Corinthiens,  I,  26. 
sur  ces  mots  :  Non  multi  nobiles;  —  sur  la  Force  de  la  tra- 
dition et  l'autorité  des  décisions  de  l'Eglise. 

«  Saint  Irénée ,  livre  IIP  Contre  les  Hérésies. 

«  Tertullien  :  Des  Prescriptions. 

«  Vincent  de  Lérins  :  Sur  la  forme  des  Jugements  ecclé- 
siastiques; —  les  premières  Actions  du  Concile  de  Chalcé- 
doine;  — les  Actes  du  V"  Concile,  du  VP  et  du  VIP. 

Morale. 

t  de  saint  Justin,  (     ,  ,,  .,  , 

,      ,  .         \    1, .  xi  ,  \  ou  1  on  voit  les  mœurs 

"  Apologe tiques l  d  Atnenag-oras,       ,        i  ,+• 

;  de   lertulhen,     ( 

«  Le  Pédagogue  de  saint  Clément  Alexandrin, 


LES  ÉTUDES  PATRISTIQUES  DE  BOSSUET.  17 

«  Les  Morales  et  les  Ascétiques  de  saint  Basile. 
«  Le  qualrième  livre  de  saint  Augustin  De  la  Doctrine 
chrétienne. 

Controverse  contre  les  Juifs. 

«  Dialogue  de  saint  Justin  avec  Tryphon.  » 
On  est  étonné ,  quand  on  parcourt  ces  pages  écrites  par 
un  jeune  homme  de  vingt  et  un  ans  à  peine,  de  trouver 
chez  lui  tant  d'érudition ,  tant  de  connaissances  patrologi- 
ques.  Elles  font  honneur  à  la  fois  aux  excellents  profes- 
seurs de  Navarre,  qui  guidaient  si  hien  leurs  élèves,  et  au 
génie  précoce  de  celui  qui  apprenait  à  si  bonne  école  à  pui- 
ser dans  les  trésors  des  saints  Pères  toutes  les  richesses 
de  la  science  théologique.  «  L'Écriture  Sainte,  dit  l'abbé 
Le  Dieu  parlant  des  travaux  de  Bossuet  à  Navarre ,  sous  les 
yeux  de  Nicolas  Cornet,  l'Écriture  Sainte  fut  le  fondement 
de  ses  études.  Les  saints  Pères  et  les  Conciles  faisaient 
toute  son  application  et  l'occupaient  beaucoup  plus  que 
les  exercices  ordinaires  de  la  licence.  11  prit  saint  Thomas 
pour  son  maître  dans  la  scolastique;  il  s'attacha  de  point 
en  point  à  sa  doctrine ,  et  il  se  fît  gloire  toute  sa  vie  de  ne 
s'en  être  jamais  écarté,  parce  qu'il  en  trouvait  les  princi- 
j)es  plus  suivis,  plus  sûrs  et  plus  conformes  à  la  doctrine 
constante  de  l'Église  et  de  saint  Augustin.  C'est  ce  qu'on 
lui  a  ouï  dire  cent  et  cent  fois,  de  sorte  qu'il  embrassa 
jusqu'à  la  prémotion  physique  de  l'Ange  de  l'école  (1).  » 

ARTICLE  III 

Etudes  patristiques  de  Bossuet  à  Metz 
(mai  1652-février  1659). 

Bossuet,  prêtre  (2)  et  docteur  en  avril-mai  1052,  après 
une  retraite  faite  à  Saint-Lazare,  sous  la  direction  de  M.  Vin- 

(I)  Mémoires,  t.  I,  p.  38. 

(-2J  11  avait  été  ordonné  sous-diacre  le  21  septembre  16i8,  à  Langres  par  a  son 
propre  évoque  » ,  Sébastien  Zamet  (Dijon  n'avait  pas  alors  de  siège  épiscopal),  et 

BOSSUET    F.T  LES  SAINTS   PÉKES.  •> 


18  BOSSUET  ET  LES  SALNTS  PERES. 

cent,  comme  on  appelait  alors  saint  Vincent  de  Paul  (1),  se 
vit  offrir  par  Nicolas  Cornet  la  grande  maîtrise  du  collège 
de  Navarre,  dont  le  cardinal  de  Richelieu,  archevêque  de 
Lyon.  étaÀt  grand provisci/r.  Celte  offre  si  honorable  s'ex- 
plique par  les  brillants  succès  qu'avaient  obtenus  à  Navarre 
<(  une  infinité  d'actions  éclatantes  (de  Bossuet),  qui  méri- 
taient d'être  conservées  à  la  postérité;  ses  thèses,  ses  dispu- 
tes et  le  reste  lui  attiraient  toujours  Tadmiration  des  plus 
habiles  gens  :  c'est  le  témoignage  qu'en  ont  donné  ses 
maîtres,  MM.  (iuischard,  grand-maitre,  et  Dussaussoy,  tous 
deux  professeurs  en  théologie  à  Navarre d'autres  doc- 
teurs, moins  avancés  en  âge,  (jiii  l'ont  vu  briller  dans  la 

licence M.  Lefeuvre,  professeur  royal  en  théologie,  à 

Navarre,  et  le  révérend  père  dom  Jérôme  Feuillant  :  l'nn  et 
l'autre  en  parlent  encore  aujourd'hui  avec  admiration  et 
savent  des  faits  singuliers,  surtout  pour  le  succès  de  ses  ser- 
mons et  de  son  éloquence  i2)  ».  D'ailleurs,  la  place  de 
grand-maitre  de  Navarre,  proposée  à  Bossuet,  «  ne  pouvait , 
dit  Le  Dieu,  nuire  à  son  avancement,  parce  que,  le  faisant 
connaître  au  cardinal  ministre  (.î) ,  en  travaillant  avec  lui- 
même  au  moyen  d'immortaliser  son  nom .  il  en  devait  at- 
tendre les  plus  grandes  récompenses...  L'abbé  Bossuet  ne 


diacre  le  21  septembre  1019,  à  Metz,  où  il  était  chanoine  et  où  il  passait  les  va- 
cances, en  donnant  <ies  preuves  de  sa  piété  par  son  assiduité  à  l'église.  «  Mes- 
dames ses  sœurs,  dit  Le  Dieu,  nous  ont  souvent  raconté  sa  manière  de  saluer  sa 
famille  le  soir  en  se  retirant  :  Je  m'en  vais  à  Matines,  disait-il.  »  {Mémoires ,  p.  -2\.) 

(I)  «  Cette  retraite,  dit  Le  Dieu,  fut  (pour  Bossuet)  une  occasion  de  connaître 
intimement  l'inslitueur  de  la  Mission  (des  Prêtres  de  la  Mission  ou  Lazaristes)  et 
de  se  lier  à  lui  d'une  manière  toute  particulière.  Ce  saint  homme,  doué  d'un 
discernement  exquis,  connut  aussitôt  le  mérite  de  l'abhé  Dossuet;  il  fut  frap()é 
lie  l'étendue  et  de  la  solidité  d'un  esprit  si  pénétrant  et  si  lumineux,  et  encore 
plus  de  sa  piété  sincère,  de  l'innocence  de  ses  mœurs,  de  sa  simplicité,  si  on 
ose  le  dire,  ou  plut(U  de  sa  candeur,  de  sa  droiture,  de  son  désintéressement, 
de  sa  modestie,  qui  était  peinte  sur  son  visage  avec  toutes  ces  vertus  si  chères 
et  si  estimées  de  .M.  Vincent.  Il  voulut  donc  s'attacher  l'abbé  Bossuet  et  commença 
par  l'associer  aux  Messieurs  de  la  conférence  des  mardis.  • 

{■2)  Le  Dieu,  Mémoires,  t.  I,  p.  40.  —  Bossuet,  à  peine  ordonné  sous-diacre  en 
1»>'i8,  avait  clé  reçu  dans  la  Confrérie  du  llosaire.  établie  à  Navarre.  Il  y  prêcha 
cette  anné(!  même,  en  octobre,  un  sermon  ((ui  lit  sensation.  L'année  suivante, 
après  son  diaconat,  il  devint  directeur  àa  la  Confrérie,  qu'il  èdilia  pendant  trois 
années  par  sa  prédication  élo<)uente. 

(3)  Il  s'agit  de  Mazarin,qui  aspirait  avec  passion,  dit  Le  Dieu,  à  la  gloire  «  de 
rcconsti'uire  le  collège  de  Navarre,  conune  Hichclieu  avait  re(;oDStruit  la  Sor- 
bonne.  Mazarin  se  lit  nommer  grand  proviseur  de  Navarre  en  1U.'>3,  à  la  mort  do 
l'archevêque  de  l.>oti  t. 


LES  ÉTUDES  PATRISTIQUES  DE  BOSSUET.  Î9 

donna  pas  dans  ce  vain  projet  (1);  mais,  suivant  naturelle- 
ment sa  vocation,  il  s'en  alla  à  Metz,  où  il  établit  sa  rési- 
dence ,  attaché  au  service  de  son  canonicat  et  de  son  archi- 
diaconé  (2)...  Il  était  le  premier  de  jour  et  de  nuit  à  tous  les 
offices  de  l'Église,  comme  s'il  n'eût  d'autre  talent  <{ue  de 
chanter  les  louanges  de  Dieu  (3).  «> 

Bossuet,  eu  refusant  la  maîtrise  de  Navarre,  pour  aller 
remplir  à  Metz  les  fonctions  de  chanoine  et  d'archidiacre, 
«  se  conduisit,  dit  Sainte-Beuve,  comme  un  jeune  lévite  mi- 
litant, qui,  au  lieu  d'accepter  tout  d'abord  un  poste  agréable 
au  centre  et  dans  la  capitale ,  aime  mieux  aller  s'aguerrir 
et  se  tremper  en  portant  les  armes  de  la  parole  là  où  est  le 
devoir  et  le  danger,  sur  les  frontières.  »  [Caxsfrtrs  du 
Lundi,  X,  p.  187.) 

«  On  ne  voit  pas,  dit  Lamartine  dans  son  Portrait  de  Bos- 
suet, 185V,  on  ne  voit  pas  trace  dun  défaut  dans  son  en- 
fance ou  d'une  légèreté  dans  sa  jeunesse  ;  il  semblait 
échapper  sans  lutte  aux  fragilités  de  la  nature  et  n'avoir 
d'autre  passion  que  le  beau  et  le  bien.  On  eût  dit  qu'il  res- 
pectait d'avance  lui-même  l'autorité  future  de  son  nom,  de 
son  ministère,  et  qu'il  ne  voulait  pas  qu'il  y  eût  une  tache 
humaine  à  essuyer  sur  l'homme  de  Dieu  ,  quand  il  entrerait 
de  plain  pied  du  siècle  dans  le  tabernacle.  »  Sainte-Beuve 
ajoute  à  propos  du  Sermon  prêché  par  Bossuet  à  quinze  ans 
dans  les  salons  de  l'hôtel  de  Rambouillet  :  «  Il  ne  parait 
pas  que  Bossuet  en  ait  été  atteint  en  rien  dans  sa  vanité ,  et  il 
n'y  a  pas  d'exemple  d'un  génie  précoce  ainsi  loué,  caressé 
du  monde  et  demeuré  aussi  parfaitement  exempt  de  tout 
amour-propre  et  de  toute  coquetterie.  »  [Causfrifs  du 
Lundi,  X,  p.  187.) 

Quand  il  avait  prêché,  pour  se  mettre  à  l'abri  des  ap- 

(1)  Nicolas  Cornet  lui  ayant  offert  plus  tard,  une  seconde  fois,  la  place  de 
i;rand-rnaître  de  Navarre,  quand  Mazariiieùt  été  nommé  grand  proviseur,  Bossuet 
eut  la  modestie  de  la  refuser  de  nouveau. 

{-2)  Il  avait  été  nommé,  par  l'évêque  de  Metz  (Henri  de  Bourbon,  marquis  de 
Verneuil),  archidiacre  de  Sarrebouri;,  en  janvier  1052,  et  au  mois  de  juin  suivant, 
il  prêta  à  Toul,  devant  le  Parlement,  le  serment  requis  pour  cette  dignité  ecclc- 
siastique. 

(3)  Mémoire.-^,  t.  I,  p.  li.  Vi. 


20  UOSSUET  KT  LKS  SAINTS  PKRES. 

plaudissements,  il  se  tenait  caché  chez  lui,  «  rendant  gloire 
à  Dieu  lui-même  de  ses  dons  et  de  ses  miséricordes,  sans 
dire  seulement  le  moindre  mot  ni  de  son  action  ni  du  succès 
qu'elle  avait  eu...  Il  en  usait  de  même  dans  toutes  les  autres 
occasions  »,  ajoute  Fahbé  Le  Dieu  (1). 

Bossuet   allait   passer  à  Metz  sept  années  consécutives, 
1652-1659.  sauf  quelques  voyages  à  Paris  et  à  Dijon,  depuis 
le  mois  d'avril  1656  jusqu'à  l'automne  de  1657. 
Quelles  furent  alors  ses  études  patristiques? 
Nous  le  savons  par  l'abbé   Le  Dieu,  par  Floquet,  par 
iM.  l'abbé  Lebarq  et  par  les  œuvres  mêmes  de  Bossuet. 

L'abbé  Le  Dieu  affirme  que  le  jeune  archidiacre  de  Sarre- 
bourg  et  bientôt  de  Metz  \^)  «  n'avait  là  d'autres  occupations 
que  la  prière  et  que  l'étude.  Bossuet  disait  souvent  que  c'é- 
tait à  Metz ,  où ,  vivant  sans  distraction,  il  avait  le  i:)lus  lu  les 
saints  Pères. . .  Après  les  offices ,  il  s'enfermait  dans  son  cabi- 
net et  sur  ses  livres.  Et  c'est  ainsi,  qu'il  a  amassé  ce  fond  iné- 
puisable de  doctrine  dans  la  méditation  de  l'Écriture  Sainte 
et  dans  la  recherche  de  la  Tradition  (3)...  Avec  l'Écriture 
Sainte,  l'abbé  Bossuet  lisait  les  saints  Pères,  à  Metz,  et  prin- 
cipalement saint  Chrysostome ,  saint  Augustin  :  saint  Chry- 
sostome,  pour  y  apprendre  les  interprétations  de  ses  livres, 
propres  à  la  chaire,  pour  se  familiariser  avec  sa  grande  et 
noble  éloquence  et  ses  tons  incomparables  d'insinuation , 
qui  lui  faisaient  dire  que  ce  Père  était  le  plus  grand  prédica- 
teur de  l'Église.  Il  louait  aussi  Origène,  ses  heureuses  ré- 
iiexions  et  sa  tendresse  dans  l'expression,  dont  il  rapportait 
souvent  cet  exemple  «  qu'heureuses  furent  les  tourterelles, 
dit  Origène,  d'avoir  été  offertes  pour  Notre  Seigneur  et  Sau- 
veur. Ne  pensez  pas  qu'elles  fussent  semblables  à  celles  que 
vous  voyez  voler  dans  les  airs,  mais  sanctiliéespar  le  Saint- 
Esprit,  qui  descendit  autrefois  du  ciel  en  forme  de  colombe, 

(1)  On  a  bien  remai(|ué  ()uo  Bossuet  s'approprie  aisément  ce  dont  il  parle  et  ce 
sur  quoi  il  s'appuie  :  mon  texte,  mon  Évangile,  mon  niaitre,  mon  pontife,  etc.  — 
Mais  ce  n'est  point  chez  lui  personnalité  ni  arrogance;  c'est  que  «  sa  personne 
propre  est  al^sorhéc  et  se  confond  dans  la  personne  i>ublique  du  lévite  et  du 
prclre.  Il  n'est  que  l'Iioninie  du  Tios-llaut  en  ces  nioinents.  » 

(-2)  Il  fut  pioniu  en  août  )<>.■)'*  an  grand  arclildiaconc  de  Metz. 

(.i)  Mi'inoiirx.  l.  I,  p.  -il,  V>  cl  VK 


LES  ÉTUDES  PATRlSïlQUES  DE  BOSSUET.  21 

elles  ont  été  faites  une  hostie  digne  de  Dieu.  »  M.  de  Meaux 
a  pris  d'Oi'igène  une  infinité  d'endroits  aussi  doux  et  aussi 
tendres  que  l'on  peut  voir  semés  à  toutes  les  pages  du  Com- 
mentaire de  ce  prélat  sur  le  Cantique  des  Cantiques.  Cette 
éloquence ,  douce  et  insinuante ,  a  toujours  été  de  son  goût  ; 
et  tels  furent  les  modèles  de  l'éloquence  de  la  chaire  qu'il 
se  proposa  dans  sa  jeunesse.  Pour  saint  Augustin ,  il  le  lisait 
plus  qu'aucun  autre,  afin  d'y  apprendre,  disait-il,  les 
grands  principes  de  la  rehgion.  On  voit,  dans  les  Ex- 
traits de  ce  saint  docteur,  qu'il  avait  mis  tous  ses  ouvra- 
ges par  morceaux  :  tantôt  il  en  remarque  les  principes 
de  théologie,  tantôt  des  desseins  de  sermons,  des  divi- 
sions, des  preuves  (1)...  Saint  Bernard  était,  à  son  avis,  un 
des  plus  grands  docteurs  de  l'Église  après  saint  Augustin , 
son  vrai  disciple  et  très  attaché  à  ses  principes.  Ce  fut  aussi 
celui  auquel  il  s'appliqua  davantage  par  la  conformité  de 
la  doctrine,  et  il  le  possédait  parfaitement...  11  n'avait  pas 
moins  étudié  les  autres  Pères  de  l'Église  dès  le  temps  de  sa 
longue  résidence  à  Metz,  et  il  y  parut  bien  un  peu  après 
dans  ses  excellentes  prédications,  pleines  surtout  de  saint 
Augustin  et  de  saint  Grégoire  de  Nazianze,  qu'il  mettait 
au-dessus  de  tous  les  Pères  grecs  (2)  par  la  connaissance 
des  mystères,  quoiqu'il  n'eût  pas  négligé  les  autres,  qu'il 
savait  employer  si  à  propos  (3).  i> 

Les  Extraits  et  les  cahiers  des  Notes,  que  l'abbé  Le  Dieu 
a  eus  entre  les  mains ,  nous  manquent  aujourd'hui  pour 
apprécier  les  études  patristiques  du  jeune  orateur.  Il  n'en 
reste  que  des  fragments  épars  dans  les  Cartons  de  Meaux, 
dans  la  collection  Floquet  et  à  la  Bibliothèque  nationale.  Flo- 


(1)  Pourquoi  faut-il  «lue  ces  Extraits  soient  en  grande  partie  perdus  pour  nous 
et  qu'il  ne  nous  en  reste  que  quelques  laniljeaux? 

(2)  Mémoires ,  t.  I ,  p.  48-4<). 

(3)  S'il  fallait  en  croire  le  ministre  Jean  Le  Clerc ,  Bossuet  aurait  été  incapable  de 
lire  dans  l'original  les  Pères  grecs,  et  il  ne  les  aurait  connus  que  par  de  médio- 
cres et  infidèles  versions  ou  même  par  les  tables  des  matières.  Gandar,  dans 
son  livre  Bossuet  orateur,  p.  99,  prétend  que  Bossuet  «  n'était  pas  helléniste  en 
sortant  du  collège ,  qu'il  ne  le  devint  que  beaucoup  plus  tard  (1670-1681)  et  qu'il 
citait  les  Pères  grecs  de  seconde  main,  durant  sa  jeunesse.  —  Mais  l'abbé  Le  Dieu 
nous  affirme  que  Bossuet  «  apprit  le  grec  à  fond  •,  à  Navarre,  et,  ûdin?,  s&s  Extraits , 
le  grec  est  toujours  soigneusement  accentué. 


22  HOSSUET  ET  LES  SAINTS  PEKES. 

quet  n'en  parle  pas  dans  le  premier  volume  de  ses  savantes 
Etudes  sur  la  vie  di'  Bossuet ,  où  il  consacre  pourtant  une 
douzaine  de  pages  (1)  à  montrer  «  l'affection  très  vive  de 
Bossuet  pour  les  Pères  de  l'Église  >» ,  durant  son  séjour  à 
Metz  ;  son  zèle  ardent  pour  la  eloire  «  de  ces  grands  hommes, 
qui  sont  nourris  de  ce  froment  des  élus,  de  cette  pure  subs- 
tance de  la  religion ,  et  pleins  de  cet  esprit  primitif,  qu'ils 
ont  reçu  de  plus  près  et  avec  plus  d'abondance  de  la  source 
même  (2)  »  ;  et  sa  prédilection  pour  saint  Augustin ,  «  l'aigle 
des  Pères,  le  docteur  des  docteurs  »,  comme  il  l'appelait  dans 
un  Sermon  pour  la  vêture  d'une  postulante  Bernardine , 
prêché  à  Metz  en  1656.  Cette  prédilection  ne  lui  faisait  point 
négliger  les  autres  docteurs  de  l'Église. 

Gandar,  dans  l'excellent  chapitre  de  son  Bossuet  oratfur 
intitulé  Bu  souvenir  et  de  F  imitation  des  Pères  de  iÉglise 
dans  les  Sermons  composés  par  Bossuet  à  Metz  (1652-1656) , 
ne  parle  pas  plus  que  Floquet  des  Notes  et  des  Extraits 
du  jeune   orateur,  qui,   apparemment,   lui  ont  échappé. 

C'est  l'honneur  de  M.  l'abbé  Lebarq  d'avoir  «  indiqué  avec 
plus  de  précision  qu'on  ne  Y  avait  encore  ÎRit  Jusqu'à  lui, 
ce  que  l'orateur  le  plus  prédestiné  à  la  haute  éloquence 
qui  fut  jamais,  crut  devoir  s'imposer  de  soins  pour  se  pré- 
parer, je  ne  dis  pas  à  prononcer,  mais  à  composer  ses  im- 
mortels discours. 

«  On  nous  l'a  montré  méditant  la  Bible,  se  plongeant 
tous  les  jours  dans  cette  source  sacrée,  et  s'en  imprégnant 
si  bien,  si  je  puis  ainsi  parler,  que  son  style  en  est  devenu 
le  plus  antique  des  temps  modernes,  ou  plutôt,  comme  ce- 
lui des  Livres  saints  eux-mêmes,  le  plus  éternel,  par  ce 
caractère  d'universalité  qui  le  fait  être  de  tous  les  temps 
et  de  tous  les  pays.  On  a  aussi  surpris,  dès  l'époque  de  son 
séjour  à  Metz,  son  ardente  application  à  la  la  lecture  des 
saints  Pères,  qui  devait  faire  de  lui  un  des  grands  continua- 
teurs de  la  Tradition  catholique,  au  moins  dans  son  en- 
semble. 

(1)  Pages  i!3l-2'»rj. 

{•2)  Défense  de  la  Tradition  et  des  saints  Pères  :  liv.  IV,  cliap.  xviii. 


LES  ÉTUDES  PATRISTIQUES  DE  BOSSLET.  23 

<(  Mais  nous  pouvons  préciser,  eu  le  regardant  de  tout 
près  à  l'œuvre  [i] .  » 

Et  M.  l'abbé  Lebarq  «  entre  résolument  dans  les  habi- 
tudes studieuses  de  Bossuet  »  ;  il  ne  craint  pas  de  ((  désen- 
chanter au  premier  abord  certaines  imaginations  légère- 
ment romanesques,  auxquelles  ce  grand  homme  pourra 
sembler  amoindri,  si  on  ne  laisse  pas  supposer  en  lui  une 
sorte  d'érudition  infuse  et  des  pensées  toujours  subites  et 
aussi  imprévues  pour  lui-même  que  pour  son  auditoire  ou 
pour  ses  lecteurs...  La  vérité,  pour  être  un  peu  différente, 
n'en  est  pas  moins  belle.  L'étude  de  documents  irrécusables, 
puisqu'ils  sont  autographes,  nous  peut  apprendre  comment 
ces  grandes  pensées,  qui  nous  saisissent  autant  peut-être 
par  leur  allure  aisée  et  naturelle  que  par  leur  hauteur  et 
leur  portée  incomparable,  loin  d'être  en  cette  âme  des 
accidents  sublimes,  faisaient,  au  contraire,  son  entretien 
habituel  et  s'excitaient  en  elle  à  l'occasion  de  son  commerce 
presque  quotidien  avec  les  grands  génies  de  l'antiquité 
chrétienne  (2).  » 

M.  l'abbé  Lebarq  montre  ensuite  que  Bossuet,  dans  cer- 
tains endroits  de  ses  Sermons  renvoie  à  des  Extraits  de  l'É- 
criture, à  des  Remarques  morales,  qui  n'étaient  autres  que 
des  cahiers  de  Notes,  rédigées  les  unes  avant  les  stations  de 
Carême  et  d'Avent  fournies  par  notre  orateur,  les  autres  en 
vue  d'une  préparation  plus  lointaine  à  la  prédication  et  au 
fur  et  à  mesure  que  Bossuet,  «  cherchant  avant  tout  à  se 
nourrir  dune  doctrine  pure  et  substantielle,  dépouillait 
œuvre  par  œuvre  les  collections  des  saints  Pères  (3)  ». 

Ces  cahiers  étaient  volumineux  à  l'origine;  l'un  d'eux, 
qui  ne  se  compose  plus  que  dune  vingtaine  de  pages  in- 
folio, n'en  comptait  guère  moins  de  deux  cents,  puisque  la 
dernière  feuille  est  cotée  192  par  l'auteur  lui-même  (4).  Il 
y  a  dans  les  Cartons  de  Meaux  des  Extraits  d'Aristote,  qui 

(I)  Histoire  critique  de  la  Prédication  de  Bossuet .  1888.   Lille,  Desclée ,  in-S'; 
Première  partie;  cliap.  I",  p.  3  el  4. 
(i)  Iliidcm. 
(3)  Ibidem,  p.  11. 
(t)  Ibidem  ,  p.  Ui. 


2i  B0S6UET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

remontent  certainement  à  lépoque  de  Navarre,  et  qne 
M.  Lâchât  i^l),  après  M.  Nourrisson  ['2;,  avait  eu  la  malheu- 
*reuse  idée  de  donner  comme  étant  l'œuvre  de  Bossuet  pré- 
cepteur du  Dauphin.  II  y  a  aussi,  dans  les  cahiers  autogra- 
phes conservés  à  Meaux,  «  plusieurs  feuilles  où  il  est  aisé, 
dit  M.  rab])é  Lebarq .  de  reconnaître  l'écriture  de  lépoque 
de  Metz,  si  différente  de  celles  de  Meaux  ou  de  Paris,  qui 
contiennent  des  extraits  et  des  analyses  en  latin  et  en  grec 
de  passages  d'Origène,  de  saint  Chrysostome,  etc.,  sur  le 
culte  des  images  :  il  n'est  pas  douteux  qu'elles  n'aient  été 
écrites  à  l'occasion  de  la  Réfutation  du  Catéchisme  de 
Ferry  (3)  ». 

C'est  donc  avec  un  «  formidable  appareil  d'érudition 
patristiqne  »  que  Bossuet  abordait  la  chaire  chrétienne 
et  la  controverse  dans  cette  ville  de  Metz,  où  le  maréchal 
et  la  maréchale  de  Schomberg  (Marie  de  Hautefort ) ,  qui 
l'honoraient  de  leur  alfectueuse  estime  (4),  l'assemblée 
des  trois  ordres  1 5j ,  qui  le  députa  en  1653  à  Stenay,  au- 
près du  grand  Condé  (6),  et  en  1658  à  Sedan,  auprès  du 
maréchal  Fabert  (7) ,  le  chapitre  de  la  cathédrale  1 8) ,  le 

(I)  T.  XXVI,  p.  '2i  des  Œuvres  de  Bossuet. 

(-2)  Essai  sur  la  Philosophie  de  Bossuet,  Paris.  I8."."H. 

(3)  Histoire  critique  de  la  Prédication  de  Bossuet,  p.  12; 

(4)  Bossuet,  dans  l'Épitrc  dédicatoire  de  la  Réfutation  du  Caléhisme  du  sieur 
Paul  Ferry,  dit  au  maréchal  de  Schomberg  :  •  Certes ,  je  serais  peu  reconnais- 
sant de  tant  de  bontés  dont  vous  m'honorez,  si  je  n'espérais  l'appui  de  Votre  Ex- 
cellence que  par  des  considérations  générales.  Tant  d'honneurs  que  j'en  ai  reçus 
et  que  j'ai  si  peu  mérités,  tant  d'obligations  effectives,  tant  de  bienfaits  qui  sont 
si  connus  me  persuadent  qu'elle  favorisera  cet  ouvrage,  que  je  vous  offre  comme 
une  assurance  de  mes  très  humbles  respects  et  de  la  perpétuelle  fidélité  qui  m'at- 
tache inviolablement  à  votre  service.  »  Bossuet  parait  avoir  assisté  le  maréchal  au 
moincnl  de  sa  mort,  à  Paris,  le  6  juin  lti:iU.  Il  écrivait  à  sa  veuve,  <pii  lui  avait  mandé 
un  entrelien  r|u'elle  avait  eu  avec  la  reine-tncre  :  «  .le  ne  vous  ferai  pas  de  remer- 
ciements de  la  part  que  vous  m'y  avez  donnée;  ce  sont.  Madame,  des  effets  ordi- 
naires de  vos  bontés;  et  j'y  suis  accoutumé  depuis  si  longtemps  qu'il  n'y  a  plus 
rien  de  surprenant  pour  moi  dans  toutes  les  grâces  (|ue  vous  me  faites.  » 

(';)  C'était  un  conseil  permanent  de  députés  de  la  /jourr/eoisie ,  du  clergé,  de  la 
nolilesse,  qui  veillait  aux  intérêts  du  pays. 

((;)  Il  s'agissait  d'obtenir  que  la  saurvgardr  de  Metz,  qui  coûtait  lo.ooi)  livres  par 
an,  ne  fût  pas  augmentée  par  les  agents  de  (".onde,  qui  voulaient  rançonner  la  ville. 
Kcpoussée  par  Caillet,  secrétaire  des  commandements  de  M.  le  Prince,  la  de- 
Mjande  de  Bossuet  fut  accueillie  favorablement  par  Condé  lui-même. 

("j  Cet  illustre  enfant  de  Metz  venait  d'être  nommé  maréchal  par  Louis  XIV,  le 
2(»juin  lti:is. 

(«)  Dés  I(i.i4,  le  chapitre  avait  voulu  que  Bossuet  fût  d'un  conseil  composé  de 
qui'hpies  chanoines  et  chargé  de  décider  des  affaires  de  l'église  de  Metz.  Le  29  mai 
de  la  même  année,  les  chanoines  le  nommèrent  à  l'unanimité  solliciteur  de  leurs 


LES  ETUDES  PATRISTIQUES  DE  BOSSUET.  25 

clergé  (1),  révêqiie  (2)  et  son  siiETragant ,  Pierre  Bédacier, 
évèqiie  d'Auguste  (3),  les  Protestants  (4)  et  les  Juifs  eux- 
mêmes  (5)  rendaient  hommage  à  la  science,  à  la  piété/ 
à  la  mansuétude,  à  l'éloquence  du  jeune  et  brillant  archi- 
diacre. 

La  Réfutation  du  Catf'cJiisme  du  sieur  Paul  Ferrij,  mi- 
nistre de  la  religion  pré  fendue  réformée,  que  ses  coreli- 
gionnaires appelaient  le  ministre  à  la  bouche  d'or,  nous 
apparaît  dès  l'année  1655  comme  une  preuve  éclatante  des 
études  patristiques  de  Bossuet.  —  La  Première  vérité  qu'il 
établit  :  Que  Von  peut  se  sauver  en  la  communion  de  VÉ- 
qlise  Romaine  (6) ,  est  bien  prouvée  par  les  principes  du 
ministre  (7)  ;  mais  elle  ressort  surtout  de  ce  fait  que  «  la 
foi  du  Concile  du  Trente  touchant  la  justification  et  le  mé- 
rite des  bonnes  œuvres  nous  a  été  enseignée  par  l'ancienne 
Eglise  et  qu'elle  établit  très  solidement  la  confiance  du 
fidèle  en  Jésus-Christ  seul  (8)  ».  Les  chapitres  iv,  v,  vi, 
[Belle  doctrine  de  l'apôtre,  très  bien  entendue  par  saint 
Augustin),  les  chapitres  vii-xi,  xm,  xiii,  et  dernier  de 
cette  Section  deuxième  sont  remplis  de  textes  de  saint  Au- 
gustin, tirés  de  son  livre  Contra  dnas  Epistolas  Pelagi,  de 
ses  Lettres  89  (157),  23,  105,  et  106,  de  son  traité  De  Pec- 

aflaires  :  il  devait  plus  tard  être  élu  syndic  (-20  avril  l()o8).  —  Voir  Floquet,  Études, 
t.  I,  p.  373-0. 

(1)  Bossuet  et  son  pcre  prirent  part  à  la  fondation  du  Grand  Séminaire  de  Metz, 
après  la  mission  prêcliée  par  les  I.azaristes  en  16.j8,  et  achetèrent  le  terrain  où 
devait  s'élever  cet  établissement. 

(•2)  C'était  Henri  de  Bourbon  ,  marquis  de  Verneuil,  qui  estimait  beaucoup  Bos- 
suet et  qui  ne  donna  sa  démission  que  le  .'}  mai  16."i9,  très  probablement  grâce  à 
l'influence  de  l'archidiacre  de  Metz,  alors  à  Paris. 

(3)  Bossuet,  en  IG'iS,  prit  parti  pour  lui  dans  le  conflit  survenu  entre  le  doyen  du 
chapitre  et  le  sulTragant  :  le  chapitre  approuva  liauteinent  la  conduite  de  Bossuet. 
"  Pierre  Bédacier,  dit  Le  Dieu,  aimait  tendrement  l'abbé  Bossuet,  se  servait  fort  de 
son  conseil  et  de  ses  lumières,  et  l'appliquait  à  toute  sorte  de  fonctions,  mais 
principalement  à  la  controverse  avec  les  Calvinistes.  -> 

{'()  Il  eut  le  bonheur  de  recevoir  l'abjuration  de  l'avocat  Gaspard  de  Lallouette 
(-21  avril  1K)3);  il  devint  supérieur  ou  directeur  de  l'asile  de  la  Propnçjation  de  la 
Foi,  établi  à  Metz  pour  les  jeunes  filles  protestantes  ou  juives  converties. 

(5)  Bossuet  en  convertit  deux,  les  frères  de  Veil  (I65't);  mais  ils  devinrent  pro- 
testants l'un  et  l'autre. 

(6)  Paul  Ferry,  dans  son  Catéchisme  général  de  la  Réformation  (1634),  s'efforçait 
de  prouver  •  qu'on  avait  pu  anciennement  faire  son  salut  dans  l'Église  catholique 
romaine,  mais  que,  absolument,  on  ne  l'a  pu  faire  depuis  la  Réforme,  surtout 
après  l'année  VUS  ». 

(7)  C'est  le  titre  môme  de  la  Section  première. 

(8)  C'est  l'intitulé  de  la  Section  deuxième. 


2G  BOSSUEÏ  ET  LES  SAINTS  l'EUlîS. 

cato  oi'iginali ,  de  ses  livres  Des  mêrllos  cl  de  la  rémission 
des  péchés,  De  l'esprit  de  la  lettre ,  «  où  il  traite  excel- 
lemment la  question  »  de  la  justification  par  la  foi,  du 
Traité  sur  saint  Jean ,  du  De  naturn  et  gratta ,  du  De  cor- 
rectione  et  gratia^  de  La  Cité  de  Dieu,  du  De  gratia  et 
liber 0  arbitrio.  iN"est-ce  pas  là  une  érudition  étonnante  pour 
un  jeune  homme  de  vingt-sept  ans?  Il  ne  craint  pas  de 
dire,  chap.  xii,  que  «  le  seul  témoignage  de  saint  Augustin 
est  capable  de  convaincre  les  plus  obstinés.  Car  qui  ne  sait 
que  ce  grand  évêque  est  celui  de  tous  les  saints  Pères  qui 
a  disputé  le  plus  fortement  contre  ce  mérite  pélagien  qui 
s'élève  contre  la  gloire  de  Dieu?  Et  toutefois  cet  humble 
docteur,  ce  puissant  défenseur  de  la  grâce  ,  dans  les  lieux  où 
il  foudroie  les  pélagiens,  prêche  si  constamment  le  mérite 
qu'il  est  impossible  de  ne  voir  pas  que  le  mérite  établi  par 
les  vrais  principes,  bien  loin  d'être  contraire  à  la  grâce,  en 
prouve  clairement  la  nécessité  et  en  fait  éclater  la  vertu  ». 
—  La  Seconde  vérité,  que  le  «  salut  est  impossible  dans  l'E- 
glise réformée  » ,  est  bien  établie  encore  par  l'autorité  de 
saint  Augustin  [Traité  du  Baptême,  Sermons,  Lettres,  En- 
chiridion,  etc.);  mais  Bossuet  allègue  de  plus  des  textes  de 
Tertullien  chap.  ii),  du  «  grand  saint  Basile  »,  de  «  saint  Gré- 
goire, évêque  de  Nysse,  frère  de  cet  admirable  docteur  », 
de  saint  Jérôme  [Épttre  à  Marcelle) ,  de  saint  Optât,  «  qui 
vivait  au  quatrième  siècle,  et  qui  était  «  un  grand  évêque, 
écrivant  contre  Parménian,  donatiste  »  (chap.  m),  du  «  grand 
Cyprien,  plus  ancien  qu'Optât  »  chap.  iv),  de  saint  Bernard, 
de  Gerson,  de  Pierre  d'Ailly  i chapitre  dernier).  —  On  com- 
prend qu'appuyé  sur  le  témoignage  de  tant  de  Pères  et  de 
docteurs,  Bossuet  dise  dans  son  Avertissement  :  «  Je  conjure 
nos  adversaires  de  lire  cet  ouvrage  en  esprit  de  paix  et 
d'en  peser  les  raisonnements  avec  l'atteution  et  le  soin  que 
méritent  des  matières  de  cette  importance.  J'espère  que  la 
U.'cturc  leur  fera  conoaitre  que  je  parle  contre  leur  doc- 
trine, sans  aucune  aigreur  contre  leur  personne;  »  et  dans 
sa  Conclusion  éloquente  :  «  Votre  nouveauté  s'égalera-t-elle 
à  cette  antiquité  vénérable,  à  cette  constance  de  tant  de 


LES  ÉTUDES  PATRISTIQUES  DE  BOSSUET.  27 

siècles,  à  cette  majesté  de  l'Église?  Qui  êtes-vous  et  d'où 
venez-vous?  à  qui  avez-vous  succédé?  et  où  était  l'Eglise  do 
Dieu,  lorsque  vous  êtes  tout  d'un  coup  parus  dans  le 
monde?  Et  ne  recourez  plus  désormais  à  ce  vain  asile  d'É- 
g-lise  invisible,  réfuté  par  votre  ministre;  mais  recherchez 
les  antiquités  chrétiennes  ;  lisez  les  historiens  et  les  saitifs 
docteu7's.  » 

Si  Bossuet,  dans  son  premier  livre  de  controverse,  se 
faisait  ainsi  le  défenseur  de  la  Tradition  et  des  saints  Pères , 
il  s'inspirait  encore  d'eux  dans  les  Sommons  de  cette  époque, 
les  Sermons  de  Metz  (1652-1659),  dont  il  nous  reste  cin- 
quanle-sept  pièces  :  trente  et  une  de  1652  à  1656,  treize  de 
l'interruption  du  séjour  à  Metz,  1656-1657,  et  treize  de  la 
lin  de  l'époque  de  Metz,  1657-1659. 

Gandar  a  pu  dire  en  toute  vérité ,  dans  son  Bossuet  ora- 
teur, p.  80  :  «  Il  est  curieux  de  mettre  à  part  et  de  lire 
avec  attention  les  sermons  composés  à  Metz  :  on  y  ressaisit 
en  quelque  sorte  la  trace  des  lectures  de  Bossuet  et  on  voit 
avec  quelle  ardeur  il  étudiait  alors  les  Pères ,  avec  quelle 
vénération  toute  filiale  il  se  glorifiait  de  reproduire ,  sans  y 
rien  changer,  «  l'excellente  doctrine  »,  les  «  admirables 
raisonnements  »,  les  «  belles  paroles  »,  de  ces  «  grands  per- 
sonnages. » 

Ce  qui  prouve  le  mieux  que  le  jeune  orateur  écrit  ses 
discours  sous  l'impression  de  ses  récentes  lectures  des  saints 
Pères,  ce  sont  les  défauts  mêmes  des  Sermons  de  Metz ,  les 
longueurs,  les  digressions,  les  hors-d'œuvre,  auxquels  il  se 
laisse  aller,  avec  l'intempérance  de  la  jeunesse ,  pour  faire 
entrer  dans  ses  développements  un  passage  qu'il  vient  de 
lire  pour  la  première  fois  et  qui  lui  a  causé  une  émotion 
profonde. 

Ainsi,  le  Sermon  sur  la  bonté  et  la  rigueur  de  Dieu  en- 
vers les  pécheurs,  prêché  dans  la  cathédrale  de  Metz  le 
21  juillet  1652,  contient,  au  début,  deux  grandes  pages  — 
édition  Lebarq  (1)  —  sur  «  la  doctrine  si  extravagante  des 

(1)  T.  I,  1).  134-135. 


28  BOSSUEÏ  ET  LES  SAINTS  PERES. 

Marciouites,  les  plus  insensés  hérétiques  qui  aient  jamais 
troublé  le  repos  de  la  sainte  Église  ».  Bossuet  ^lent  de  lire 
le  traité  Con/rr  Marcion ,  Adversm  Marcionem ,  et  il  veut 
«  recueillir  entre  autres  une  leçon  excellente  du  grave  Ter- 
tuUien  (1)  ». 

Le  premier  point  roule  encore  en  partie  sur  des  paroles 
de  Tertullien,  «  ce  grand  homme....  qui  dit  fort  à  propos,... 
qui  dit  très  bien...  De  suo  optimus ^  de  nostro  juslus  (2)  », 

Tertullien  et  le  traité  Contre  Marcion  reviendront  à  la  fin 
du  discours,  après  «  la  belle  réflexion  que  fait  le  docte  saint 
Jean  Chrysostome  »  et  trois  ou  quatre  pag-es  qui  sont  le 
résumé  du  De  Bello  judako  et  du  siège  de  Jérusalem,  avec 
des  souvenirs  de  «  la  Vie  dWpollonius  Ti/ancus  »  par  Phi- 
lostrate. 

D'ailleurs,  les  pages  qui  suivent  ce  sermon  dans  les  Ma- 
nuscrits de  Bossuet  contiennent  des  extraits  de  Josèphe  et 
des  Pères,  écrits  en  vue  de  ce  discours  :  il  y  a  d'autres  ex- 
traits de  Josèphe,  rédigés  plus  tard,  à  l'épocjue  du  Discours 
sur  r Histoire  universelle,  pour  la  seconde  partie  duquel 
Bossuet  relut  son  ancien  sermon,  qui  remontait  à  vingt- 
cinq  ans  (3). 

Dans  le  Sermon  sur  la  Nativité  de  la  sainte  Vierge,  prêché 
le  8  septembre  1652,  devant  le  maréchal  de  Schomberg, 
nous  voyons  défiler  et  «  les  saints  Pères  qui  ont  assuré  » , 
et  saint  Jean  Chrysostome  dans  le  premier  livre  du  Sacer- 
doce,  et  «  l'admirable  saint  Grégoire,  qui  dépeint  en  ces 
termes  la  conception  du  Sauveur  »,  et  saint  Bernard,  et  «  le 
docte  saint  Thomas  »  (dans  la  question  XIP  de  sa  première 
partie)  »,  et  «  la  doctrine  de  saint  Augustin ,  que  vous  trou- 
verez merveilleusement  expliquée  en  mille  beaux  endroits  de 
ses  excellents  écrits  »,  et  «  une  belle  pensée  de  saint  Epi- 
phane,  qui  assure  (dans  Y  Hérésie,  lxxviii)  etc.,  et  «  un 
i)assage  célèbre  de  saint  Augustin  dans  le  livre  de  la  Sainte 
Virtjinilé,  où  ce  grand  docteur  nous  enseigne  que  la  Vierge, 

M)  Voir  plus  loin,  cliap.  m  do  cet  ouvrage,  p.  1:20-2. 

(•2j  Ces  paroles  sont  tirc(!s  du  Df  rnsurrrctionr  car)iix,  I  i. 

(."îj  Leijarq,  Œmi'.  nrnl.  <lf  Boxs.  t.  ï,  p.  13-2;  et  Gandar  fîos-.  ornt..  p.  70. 


LES  ÉTUDES  PATRISTIQUES  DE  BOSSUET.  29 

selon  le  corps,  est  mère  du  Sauveur  qui  est  notre  chef,  et, 
selon  l'esprit,  des  fidèles  qui  sont  ses  membres  »,  et  ce 
même  saint  Augustin  qui  dit  que  c'est  par  le  cœur  que  Marie 
nous  a  enfantés.  —  Il  est  vrai  que  ce  sermon  a  quatre  points , 
chose  unique  dans  les  œuvres  oratoires  de  Bossuet.  Il  est 
vrai  aussi  que  dans  le  Panégyrique  de  saint  François  d'As- 
sise, prêché  à  Metz,  le  4  octobre  1652,  Bossuet  ne  cite  que 
quatre  fois  le  grave  Tertullien  ,  une  fois  «  l'admirable  saint 
Jean  Chrysostome  »,  et  une  fois  «  l'admirable  saint  Augus- 
tin ».  Il  est  vrai  entin  que  dans  le  Sermon  pour  la  veille 
de  la  Fête  de  la  Conception  de  la  sainte  Vierge  ,  7  décem- 
bre 1652,  saint  Augustin  ne  parait  qu'uue  fois  et  «  le  grave 
Tertullien»  lui-même  n'occupe  que  deux  pag-es,  avec  une 
«  remarque  très  bonne  »,  avec  «  une  autre  doctrine  excel- 
lente,  merveilleusement  expliquée...  au  livre  II  Contre 
Marcion,  où  ce  g-rand  homme  raconte,  etc..  »  ;  avec  cette 
«  belle  doctrine  d'où  l'orateur  tire  un  raisonnement  qu'il 
supplie  ses  éditeurs  de  comprendre  »  ;  avec  «  ce  beau  pas- 
sage,... qui  explique  si  bien  cette  vérité  »  ;  enfin  avec  «  les 
conséquences  que  Bossuet  prétend  tirer  de  ces  savants  prin- 
cipes de  Tertullien  ».  Il  s'agit  du  dogme  de  l'Immaculée 
Conception,  dont  Bossuet  dit  deux  cents  ans  avant  sa  défi- 
nition :  «  Après  les  articles  de  foi,  je  ne  vois  guère  de  chose 
plus  assurée.  » 

Dans  les  dix  Sermons  qui  nous  demeurent  de  l'année 
1653,  «  l'admirable  saint  Jean  Chrysostome  est  cité  deux 
fois,  saint  Grégoire  le  Grand  une  fois,  «  le  grand  saint 
Thomas  »  une  fois,  saint  Jérôme  une  fois,  saint  Léon  deux 
fois,  «  le  saint  évêque  de  Lyon,  le  grand  Irénée,  l'honneur 
des  églises  des  Gaules  »,  deux  fois,  «  fadmirable,  le  docte, 
l'incomparable  saint  Augustin  »,  vingt  fois,  et  «  le  g-rave, 
le  docte  Tertullien  »  ,  trente  fois.  Le  Sermon  sur  les  démons 
débute  par  des  extraits  de  Tertullien  et  de  saint  Augustin 
sur  les  démons. 

Nous  avons  de  l'année  165i  huit  Sermons,  où  l'on  relève 
une  fois  le  nom  de  saint  Jean  Chrysostome,  une  fois  celui 
de  saint  Jérôme,  une  fois  celui  de  saint  Cyprien,  «  cet  il- 


30  BOSSUET  ET  LES  SAlMS  PERES. 

lustre  défenseur  de  T unité  ecclésiastique,  »  une  fois  celui 
de  saint  Ambroise ,  «  ce  grand  évèque  avec  son  éloquence 
ordinaire  »,  une  fois  celui  d'Eusèbe  deCésarée,  une  fois  celui 
de  saint  Pacien,  sept  fois  celui  de  Tertullien  avec  «  son  mer- 
veilleux apologétique,  »  et  dix-sept  fois  celui  du  «  grand 
saint  Augustin  ».  Le  texte  du  Smiion  sur  r Ascpiision  est 
écrit  en  grec  par  Bossuet. 

La  lecture  des  six  Sermons  qui  restent  de  1655  permet 
d'y  constater  une  citation  «  du  grand  saint  Basile,  l'orne- 
ment de  rÉg-lise  orientale ,  le  rempart  de  la  foi  catholique 
contre  l'hérésie  arienne  » ,  une  de  saint  Thomas ,  deux  de  saint 
Eucher,  deux,  «  du  saint  martyr  Irénée,  cet  illustre  orne- 
ment de  l'Église  gallicane  »,  dix  du  grave  Tertullien  et  une 
trentaine  de  «  l'incomparable  saint  Augustin  ».  Tout  le  verso 
de  l'une  des  feuilles  du  Sermon  pour  la  fête  de  fAnnoncia- 
lion  est  couvert  de  textes  latins  de  Tertullien  (1),  de  saint 
Augustin,  de  saint  Eucher.  Le  texte  d'un  Sermon  de  véliire 
est  encore  en  grec. 

En  1656,  onze  Sermons,  où  l'on  trouve  Origène,  saint  .lé- 
rôme,  saint  Fulgence,  saint  Thomas,  saint  Ghrysostonie, 
saint  Grégoire  de  Tours,  saint  Bernard,  cités  une  seule  fois, 
Tertullien  vingt-sept  fois  et  saint  Augustin  trente-trois  fois. 
A  la  suite  du  Sermon  pour  une  postulante  Bernardine ,  Bos- 
suet avait  transcrit  des  textes  de  saint  Bernard  dont  il  s'est 
inspiré  pour  la  péroraison. 

En  1657,  cinq  Sermons  ou  Pané(/)/rirpies,  où  Salvien,  Ori- 
gène, saint  Épiphane,  «  le  grand  saint  Ambroise  »,  saint 
Basile  de  Séleucie,  saint  Chrysostome  sont  nommés  une 
fois,  le  grave  Tertullien  douze  fois  et  «  l'incomparable  saint 
Augustin  »  dix  fois. 

De  1658,  il  nous  reste  onze  pièces  oratoires,  où  nous  trou- 
vons une  citation  de  saint  Prosper.  de  saint  Eucher,  de  saint 
Basile  de  Séleucie,  de  saint  Grégoire  le  Grand,  de  saint 
liernard,  trois  de  saint  Paulin  de  Noie,  «  ce  digne  prélat  »  , 
<juatre  de  saint  Jean  Chrysostome,  dix  du  grave  Tertullien 
et  dix-sept  du  grand,  de  l'incomparable  saint  Augustin. 

O.'tte  îinalysc  nous  montre  qu'à  l'époque  de  Metz  Bossuet 


LES  ÉTUDES  PATRISTiQUES  DE  BOSSLET.  31 

ne  lisait  guère  les  Pères  f/recs  et  ne  citait  que  rarement 
saint  Chrysostome,  saint  Basile,  saint  Grégoire  de  Na- 
zianze,  Origène  et  saint  Épiphane. 

C'est  l'étude  des  Pères  latins  qui  absorbait  alors  à  peu 
près  complètement  l'esprit  de  Bossuet  :  il  admirait  saint 
Cyprien ,  saint  Fulgence,  saint  Paulin,  saint  Optât,  saint 
Bernard,  saint  Thomas,  saint  Grégoire  le  Grand,  saint  Léon 
le  Grand,  le  «  merveilleux  Apologétique  du  docte,  du  grave 
Tertullien  »,  (c  ce  célèbre  prêtre  de  Carthage  »,  dont  le 
eénie  ardent  et  foueueux  avait  sédait  la  jeune  imae,'ination 
de  Bossuet,  si  bien  que  W  Freppel  a  pu  dire  :  «  Bossuet 
est  l'écrivain  des  temps  modernes  qui  s'est  le  plus  inspiré 
de  Tertullien  (1)  ».  —  Toutefois,  même  dès  l'époque  de  Metz, 
c'est  saint  Augustin  que  Bossuet  cite  le  plus  souvent  :  il  ne 
se  lasse  pas  d'admirer  «  la  profonde  théolog-ie,  la  belle  doc- 
trine merveilleusement  expliquée  du  grand,  de  l'admira- 
ble, de  l'incomparable  saint  Augustin  ».  Mais  ce  n'est 
pas  en  1658,  comme  l'ont  dit  Floquet,  Études,  t.  I,  p.  233, 
^SV,  et  Gandar,  Bossuet  orateur,  p.  100,  que  le  jeune  ar- 
chidiacre de  Metz  a  appelé  l'évêque  d'Hippone  «  le  père 
et  le  maître  de  tous  les  prédicateurs  de  l'Evangile,  le  doc- 
teur de  tous  les  docteurs  ».  M.  l'abbé  Lebarq  a  établi  que 
le  Sermon  ch^  rêture  cV  une  postulante  Bernardine  où  se  trou- 
vent ces  belles  paroles  est  du  28  août  1659  :  «  Si  la  date 
liturg'ique  est  certaine ,  dit-il ,  l'année  me  parait  l'être  aussi, 
après  un  examen  plusieurs  fois  répété  du  manuscrit  ».  Quant 
à  «  la  g-rande  ville  »  dont  parle  l'orateur,  on  ne  sait  s'il 
s'agit  de  Paris  ou  d'une  capitale  de  province  comme  Metz. 
Quoi  qu'il  en  soit,  à  Metz,  comme  à  Paris,  Bossuet  était 
convaincu  que  l'autorité  de  saint  Aug-ustin  suffit  à  trancher 
toutes  les  difficultés.  Le  8  septembre  1652,  il  prêchait  pour  la 
première  fois  devant  le  maréchal  et  la  maréchale  de  Schoni- 
berg-  et  il  osait  dire  (second  point,  I,  p.  177,  édit.  Le- 
barq) que  Jésus  «  en  recevant  d'elle  (Marie)  la  vie,  lui  est 
redevable  et  d'une  partie  de  sa  gloire,  et  même  en  quelque 

(I)  Terlidlien,  t.  H,  p.  100. 


32  BOSSUET  I:T  LES  SAINTS  PERES. 

façon  de  la  pureté  de  sa  chair  ».  Il  comprenait  bien  que 
cette  proposition  pouvait  «  paraître  un  peu  extraordinaire, 
du  moins  au  premier  abord  )>  ;  «  mais,  ajoutait-il  aussitôt, 
je  prétends  l'établir  sur  une  doctrine  si  indubitable  de 
l'admirable  saint  Augustin  que  les  esprits  les  plus  conten- 
tieux seront  contraints  d'en  demeurer  d'accord  ».  Et  après 
avoir  expliqué  cette  doctrine,  il  disait  :  «  Comme  ce  n'est 
pas  ici  le  lieu  d'éclairer  cette  vérité ,  je  me  contenterai  de 
vous  dire,  comme  pour  une  preuve  infaillible,  que  c'est  la 
doctrine  de  saint  Augustin,  que  vous  trouverez  merveil- 
leusement expliquée  en  mille  beaux  endroits  de  ses  excel- 
lents écrits,  particulièrement  dans  ses  savants  livres  contre 
Julien  le  Pélagien.  » 

Voilà  comment,  dès  la  première  heure,  vibraient,  pour 
ainsi  dire,  à  l'unisson  la  grande  âme  de  Bossuet  et  celle  de 
l'illustre  évoque  d'Hippone. 

ARTICLE  IV. 

Études  patristiques  de  Bossuet  à  Paris 
(février  1659-7  février  1682)  (1). 

C'est  au  commencement  de  1659,  très  probablement  au 
mois  de  février  (2) ,  que  Bossuet  quitta  Metz  et  vint  s'établir 
à  Paris,  où  il  devait  demeurer  vingt- trois  ans. 

Il  devait  y  traiter,  au  nom  du  chapitre  de  Metz,  d'affaires 
ecclésiastiques  importantes.  D'ailleurs,  les  souvenirs  qu'a- 
vaient laissés  ses  prédications  de  1G57  à  Navarre  (3)  dans 


(1  )  C'est  la  date  de  rcnlrôe  do  lîossuet  à  Ulcaiix  :  il  avait  été  nomme  évêque  de  ce 
diocèse  le  -1  mai  KiSi  et  préconisé  le  17  novemhre  de  la  même  année. 

(2)  Cela  ressort  d'une  lettre  que  Colljertde  Croissy,  intendant  d'Alsace ,  accorda 
au  conseiller  Bossuet  pour  son  lils,  l'abbé  Bossuet,  et  qui  devait  lui  servir  d'intro- 
duction chez  le  futur  minisire  de  Louis  XIV,  le  s'and  Colbert.  Celle  lettre  est  datée 
du  4  février  •!(>;)!>  :  «  i»uoique  les  mérites  de  M.  l'abbé  Bossuet,  dit-elle,  soient 
assez  connus  pour  trouver  partout  un  favorable  accueil  et  que  je  sois  bien  per- 
suade que  mes  lettres  ne  pourront  ))lus  rien  ajouter  à  l'estime  que  vous  en  faites, 
Je  ne  laisse  pas  de  le  prier,  etc..  . 

(.'!)  «  i:n  1(m7,  dit  Le  Dieu ,  i)arlant  sans  doute  d'après  les  Registres  de  Navarre, 
un  dimanche  fctc  du  Kosain;,  à  l'occasion  de  cette  Confrérie,  il  fit  un  discours 
<lonl  on  parl(!  encore  avec  admiration.  »  —  C'est  le  second  Sermon  pour  la  fête 
du  Ko.iaire  :  Lcban],  t.  Il,  p.  .iia  et  suiv. 


l'église  des  Jacobins 
églises 


LES  ÉTUDES  PAÏRISTIQUES  DE  BOSSUET.  33 

1),  aux  Feuillants  (2)  et  dans  d'autres 


(3)  le  faisaient  réclamer  partout  à  Paris  (i).  Saint 


(I)  Bossuet  y  avait  prononcé  (rue  Saint-Honoré)  le  Panégyrique  de  saint  Tho- 
mas (l'Aquin.  ie  7  mars  IG.-;7,  et  le  gazelier  Loret  l'avait  célébré  avec  entliousiasme 
dans  ces  vers  macaroniques  : 


Monsieur  l'abbé  Bossuet, 
Que  d'ouïr  on  est  Ijien  aise.... 
T'uisqu'enfin  c'est  son  élément 
De  discourir  divinement. 
Le  jour  du  Docteur  Angélique, 
Cet  orateur  évangélique . 
Mais  orateur,  s'il  en  fut  onc, 
Dans  les  Jacobins  prêcha  donc 
Et  du  saint  publiant  la  gloire, 
Charma  si  bien  son  auditoire 
Contenant  plusieurs  gens  lettrés 
Et  (lu  moins  six  ou  sept  Mitres, 
Que  tout  de  bon  la  voix  publique 
Loua  tant  son  panégyrique 
Qu'il  fut.  étant  de  tous  prisé. 
Lui-même  panégyrisé. 
L'un  soutenait  à  sa  louange 

(-2)  Il  s'agit  Ici  des  Feuillants  de  la  rue 
second  Panéç/yrique  de  saint  Joseph  .  le 
sa  Muze  historique  du  24  mars  l(i.">7  : 

Bossuet,  ce  jeune  docteur, 
Cet  excellent  prédicateur. 
Et  dont  l'éloquence  naissante 
Est  si  pressante  et  si  puissante, 
Lundi,  dans  les  Feuillants,  prêcha 
Et  plus  que  jamais  épancha 
Dans  les  cœurs  de  son   auditoire 
Le  dégoût  de  la  fausse  gloire 
Et  de  ce  grand  éclat  mondain 
Que  les  sages  ont  à  dédain 
Et(iui  n'est  qu'une  piperie. 


Qu'il  possédait  un  esprit  d'ange. 

Alléguant  ce  raisonnement 

Qu'il  prêchait  plus  qu'humainement. 

L'un  disait  :  .4  voir  son  visage  , 

Il  est  encor  tout  jeune  d'âge. 

Et  pourtant  où  voit-on  des  vieux 

Édilier  et  prêclicr  mieux? 

Bref,  sa  harangue  finie , 

Toute  l'illustre  compagnie 

De  l'exalter  prit  de  grands  soins  .. 

Je  sentais  «lue  son  éloquence 

Avait  touché  ma  conscience. 

Dissipé  presque  ma  langueur. 

Et  réchauffé  mon  tiède  cœur. 

Il  jiresse  .  il  enflamme  ,  il  inspire. 

...  Ce  jeune  prédicateur 

Est  une  lumière  nouvelle... 

Saint-Honoré,  où  Bossuet  avait  prêché  son 
19  mars  1G,">7  :  le  gazetier  Loret  disait  dans 

Alléguant  l'époux  de  Marie, 
Qui  se  plut,  exempt  de  péché. 
D'être  un  trésor  toujours  caché. 
Il  débita  cette  matière 
Avec  tant  d'art  et  de  lumière, 
.Avec  tant  de  capacité , 
Avec  tant  de  moialité , 
Que  l'Éminence  Baberine 
Admirant  sa  rare  doctrine 
Et  plus  de  vingt-deux  prélats 
De  l'ouïr  n'étaient  jamais  las! 


(3)  Allusion  surtout  à  l'Hôpital  général,  où  Bossuet  avait  prononcé,  le  30  juin  1(>,")7, 
le  Panri/yrique  de  saint  Paul  qui  nous  reste  et  qui  n'est  pas  le  fameux  Surrexit 
Paulus.  Gandar  et  M.  Gazier  placent  Inen  ce  Panégyrique  en  Ki.';;»;  mais  M.  l'abbé  Le- 
barq  revient  à  l'opinion  de  Floquet. 

(4)  Ou  savait,  d'ailleurs,  à  Paris  le  succès  extraordinaire  qu'avait  obtenu  le 
jeune  archidiacre  de  Metz,  préchant  pour  la  première  fois  devant  la  cour. 
Louis  XIV,  âgé  de  dix-neuf  ans ,  était  entré  solennellement  à  Metz  le  18  septem- 
bre 1057.  Anne  d'Autriche  avait  voulu  entendre  Bossuet  prêchant  le  Panégyrique 
de  sainte  Thérèse,  to  octobre  :  le  gazetier  Loret  racontait  ainsi  la  chose,  le  -2!)  octo- 
bre suivant  : 


Bossuet,  docteur  signalé,... 
Prêcha  ,  me  dit-on ,  l'autre  jour 
Devant  notre  Reine  et  sa  cour. 
.\yant  pris  pour  matière  et  téze  (sic) 
Les  vertus  de  sainte  Thérèse , 
Cette  reine,  dit-on  aussi, 
L'ordonnant  et  voulant  ainsi. 
Outre  la  dite  Majesté 
Ayant  Monsieur  à  son  côté , 

BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PÏCIŒS. 


Multitude  de  personnages 
Savants,  qualiliés  et  sages 
Qui  l'oyant  attentivement 
Firent  de  lui  ce  jugement 
Qu'un  jour  son  éloquence  exquise 
Ferait  un  grand  bruit  dans  l'Église... 
Ce  sermon,  beau  par  excellence. 
N'étant  ni  trop  long  ni  trop  succinct 
Tous  se  louèrent  du  prédicateur, 
3 


34  BOSSUEÏ  ET  LES  SAINTS  PERES. 

\'inccnt  de  Paul  l'avait  prié  de  donner  la  retraite  à  Saint- 
Lazare  pour  l'ordination  de  Pâques,  en  1659,  et  Bossuet 
allait  prêter  l'appui  de  sa  parole  déjà  célèbre  à  diverses 
œuvres,  fondées  ou  développées  par  l'inépuisable  charité  de 
l'homme  de  Dieu  (1). 

Nous  savons  par  l'abbé  Le  Dieu  que  Bossuet  «  choisit  son 
logement  au  doyenné  de  Saint-Thomas  du  Louvre  (2) ,  avec 
M.  de  Lamet,  son  ancien  ami,  docteur  de  Navarre,  comme 
lui.  et  doyen  de  cette  église,  depuis  curé  de  Saint-Eustache,' 
avec  l'abbé  du  Plessis  de  la  Brunetière ,  depuis  grand-vicaire 
de  Paris  et  évêque  de  Saintes;  l'abbé  d'Hocquincourt,  de- 
puis évêque  de  Verdun;  l'abbé  Janon,  son  parent  (3);  l'abbé 
Tallemant,  l'aine,  prieur  de  Saint-Irénée  de  Lyon;  et  Saint- 
Laurent  (4),  alors  introducteur  des  ambassadeurs  auprès 
de  Monsieur,  et  mort  depuis  faisant  les  fonctions  de  gouver- 
neur de  M.  le  duc  d'Orléans  d'aujourd'hui.  C'était  une  agréa- 
ble société  (5)  de  gens  de  lettres  et  d'une  probité  bien 
connue  (6)  ». 

Dans  ce  miheu  si  distingué,  si  intelligent,  si  bien  en  har- 
monie avec  la  piété  profonde  du  digne  ami  de  saint  Vincent 
de  Paul,  Bossuet,  âgé  de  trente-deux  ans  à  peine,  consa- 
crait tout  son  temps  à  la  prière  et  au  travail.  «  Tout  occupé 

De  sa  rare  et  sainte  métliocle.  Le  cardinal,.. 

De  son  discours  net  et  coulant.  Qui  goûte  fort  les  belles  choses, 

De  sa  bonne  grâce  en  i)arlant.  Que  l'on  prêche,  écrit,  dit  ou  fait, 

De  sa  douceur  insinuante.  8e  déclara  plus  que  satisfait. 

(1)  Le  jeune  archidiacre  de  Metz  n'oublia  pas  les  œuvres  analogues  fondées  en 
Lorraine.  «  AL  l'archidiacre  Bossuet  a  procuré  une  partie  des  bienfaits  de  la  Reiiie- 
Jlére  »,  dit  le  Cartulaire  de  la  Propagation  de  la  Foi  à  Metz.  Il  mentionne  également 
les  dons  personnels  de  l'archidiacre.  (Floquet,  Études.  1. 1,  p.Vi"-'*;;!).)  —  Le  10  sep- 
tembre Kitit,  Bossuet  fut  élu  doyrn  du  chapitre  de  Metz,  à  l'unanimité  moins  une 
voix,  la  sienne. 

(2)  Une  circulaire  imprimée  des  chanoines  de  Metz  à  tous  les  chapitres  du 
royaume  (12  seplcmljre  H>">!t)  dit  <|ue  toutes  les  réponses  doivent  être  adressées  à 
l'aris,  où  les  recevra  «  M.  l'abbé  Bossuet,  chanoine  et  grand  archidiacre  de  Téglise 
de  Metz,  logé  au  Doyenné  de  Saint-Nicolas  du  Louvre,  vis-à  vis  de  réglisc  collé- 
giale de  ce  nom  ». 

(3)  Compatriote  de  Bossuet,  issu  comme  lui  d'une  famille  parlementaire  de  Dijon, 
il  était  grand  obédieiu;ier  de  la  collégiale  de  Saint-.Iust  de  Lyon. 

CO  Ce  l'arisot  de  Sainl-Laurent.  Iaï(iue,  a  cic  l'ami  d('  Kaciin;  et  de  Boileau, 
comme  on  le  voit  par  leurs  lettres  d'août  1(>8". 

("i)  Des  aj/prohalioiis  données  par  Bossiuît  à  bon  nombre  <le  livres  (|u'il  avait  eu 
à  examiruT,  des  actes  notariés  où  il  (igure.  de  umo  à  Kii!!'.  élabiisstmt  (pi'il  habitait 
encore  le  Doyenné  de  Saint-Tliomas  du  Louvre  lors(iu'il  fut  nomme  évé(iue  de  Con- 
dom,  le  8  septembre  l(;ti!». 

(ti)  Mnnoirrs  de  Le  Dieu  ,  t.  L  |>.  <'8. 


LES  ÉTUDES  PATRISTIQUES  DE  BOSSUET.  3:. 

de  ses  études  et  des  fonctions  de  son  saint  ministère,  il  ne 
pensait  pas  à  faire  fortune.  Ses  amis  y  songèrent  pour  lui. 
On  voulut  alors  le  faire  curé  de  Saint-Eustache  de  Paris.  M.  de 
Verneuil,  auparavant  évêque  de  Metz ,  qui  connaissait  par- 
ticulièrement notre  abbé,  lui  destina  la  cure  de  Saint-Sul- 
pice,  dont  il  était  patron  en  qualité  d'abbé  de  Saint-Germain 
des  Prés.  On  le  jugeait  capable  de  tout  et  on  lui  souhaitait 
toutes  ]es  places  (1)  ».  Pour  lui,  il  n'accepta  que  le  doyenné 
de  Gassicourt,  près  de  Mantes,  dont  Pierre  Bédacier,  suf- 
fragant  de  Metz,  se  démit  en  sa  faveur  (octobre  10(j0) ,  et  le 
doyenné  du  chapitre  de  Metz  en  1664. 

Il  prêchait  avec  un  succès  de  plus  en  plus  grand  en 
1659,  chez  les  Filles  de  la  Providence  (2) ,  aux  Grandes  Car- 
mélites (3),  à  l'Hôpital  général  (4),  aux  hicurables  (5),  aux 
Petits  Augustins  (6),  aux  Feuillants  (7),  aux  Nouveaux  Con- 
vertis (8).  —  L'année  1660  est  Tannée  du  Carême  des  Mini- 
mes (9),  la  première  station  que  Bossuet  ait  prêchée  dans  la 
capitale  (10),  l'année  du  Sermon  pour  la  fête  de  la  Visita- 
tion, à  Chaillot ,  devant  la  reine  d'Angleterre,  du  Panégyri- 
que de  saint  Jacques,  du  premier  Sernwn  pour  VAssomp- 

(I)  Le  Dieu  :  Mémoires ,  t.  I .  p.  (>9. 

(-2)  Où  il  donna  le  beau  Sermon  sur  l'éminenle  dir/nité  des  Paunres. 

(3)  Où  il  reprit,  sur  l'ordre  d'Anne  d'Autriche,  le  Depositum  custodi  (premier  Pa- 
négyrique de  saint  Josepli). 

(4)  Où  il  prèciia  le  jour  de  la  Compassion. 

(.'>)  Il  leur  donna  le  Sermon  sur  la  Natirilé  de  la  sainte  Vierge,  le  premier  des 
éditions  ordinaires  de  Bossuet. 

(0)  Il  y  prêcha  à  roccasion  de  la  canonisation  de  saint  Thomas  de  Villeneuve. 
Loret  disait  dans  la  Muse  historique  du  31  mai  1659  : 

Mais  ce  qui  fut  plus  à  la  gloire  Que  ce  docteur  presque  angélique. 

De  ce  saint,  d'heureuse  mémoire  L'éloquent  abbé  Bossuet, 

Et  dont  si  grand  est  le  renom  ,  Digne  un  jour  d'avoir  un  rochet. 

Fut  un  admirable  sermon  ,  Fit  en  l'honneur  de  ce  saint  homme 

Ou  plutôt  son  panégyrique  Le  dernier  qu'on  ait  fait  à  Uome. 

(7)  Il  y  donna  le -2  octobre  \in  Sermon  sur  les  Anges  Gardiens,  à  l'occasion  de 
rinauguration  de  l'église  du  noviciat  des  Feuillants,  rue  d'Enfer,  et  non  pas  prés 
des  Tuileries,  où  était  le  grand  monastère  de  ces  religieux. 

(8)  Il  y  prêcha  le  quatrième  dimanche  de  l'Avent. 

(!»)  "  Le  Carême  des  Minimes,  dit  Gandar  dans  son  Bossue/  orateur,  p.  204.  ]iré- 
ché,  en  1(>:>8  d'après  Le  Dieu,  en  IU.'>9  d'après  Deforis  et  tous  ceux  qui  l'ont  copié, 
l'a  été,  en  I(i»iO,  comme  M.  Floquet  l'a  solidement  établi.  »  M.  l'abbé  Lebarq  est 
aussi  de  cet  avis.  Histoire  critique,  p.  180. 

(10)  Ce  n'était  qu'un  petit  Carême,  c'est-à-dire  qu'il  ne  comportait  (ju'un  sermon 
par  semaine.  Bossuet  eut  auparavant  à  prêcher  trois  jours  consécutifs,  les  13, 14, 
l.'i  lévrier,  aux  Nouvelles  catholiques,  auK  Nouveaux  Convertis  et  aux  Minimes.  — 
Nous  avons  onze  Sermons  du  Carême  des  Minimes. 


36  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

lion  et  de  la  Y  Hure  de  M'"  de  Bouillon  de  Château-Thierry 
aux  Carmélites.  —  L'année  1661  fut  marquée  par  le 
Carême  des  Carmélites  et  par  les  Panégijriques  de  saint 
Pierre  et  de  sainte  Catherine  (1).  —  En  1662,  Bossuet 
donna  à  la  cour  sa  première  station  (2),  qui  lui  valut  les 
éloges  du  roi  (3)  et  «  marqua  pour  lui,  et  d'une  façon  plus 
générale,  pour  l'éloquence  religieuse  en  France  au  dix- 
septième  siècle,  ce  point  si  difficile  à  saisir,  qui  est  celui 
de  la  maturité  et  de  la  perfection  (4)  ».  —  En  1663,  d'où 
il  faut  rejeter,  comme  Gandar  (5)  et  M.  l'abbé  Lebarq  (6) 
l'ont  définitivement  établi,  «  ce  que  tous  les  biographes, 
tous  les  critiques,  tous  les  éditeurs  de  Sermons  ont  pu  dire, 
sur  la  foi  de  l'abbé  Le  Dieu ,  de  dom  Deforis  et  de  l'abbé 
Maury,  d'un  Carême  que  Bossuet  aurait  prêché  dans  ce 
couvent  des  Bénédictines  du  Val- de-Grâce  où  la  reine 
mère  aimait  à  se  retirer  » ,  les  monuments  authentiques 
de  la  prédication  de  Bossuet  sont  ses  Semions  aux  Nou- 
velles Catholiques  (7),  aux  Nouveaux  Convertis  (8),  à  l'Hô- 
pital général  (9),  au  Val-de-Grâce  (10),  à  Saint-Nicolas  du 
Chardonnet  (il),  Toraison  funèbre  de  Nicolas  Cornet  (27 
juin)  et  l'Avent  partiel  aux  Carmélites  de  la  rue  du  Bou- 
loi  (12).  —  De  166V,  année  moins  féconde,  il  ne  nous 
reste  qu'un  Sermon  sur  la  Circoncisio7i ,  un  Sermon  pour 
le  2"  samedi  de  Carême,  le  Panégyrique  de  saint  Sulpice , 
prêché  devant  la  reine  mère ,  et  les  Sermons  de  vêture  de 

(I)  Voir  ral)l)é  Lebarq,  Histoire  critique,  p.  18i-l!).S.  —  il  nous  reste  huit  Ser- 
mons  du  Carême  des  Carmélites. 

("2)  Sur  di\-liuit  Sermons  qui  furent  prêches  à  la  cour,  douze  et  un  fragment 
nous  sont  parvenus. 

(3)  On  sait(|ue  Louis  XIV  lit  écrire  au  père  de  Bossuet  par  le  conseiller  Uosc 
"  une  lettre  fort  belle  » ,  où  il  le  félicitait  d'avoir  un  tel  lils. 

(4)  Gandar.  Bossuet  orateur,  x>.  -408.  —  Rossuet  prêcha  encore,  eu  \Wfl,YOrai- 
soii  funèl/rc  du  P.  de  Bourgoing  (i  décembre)  et  le  Ptinéfjyric/ue  dv,  saint  François 
de  Sales  {'28  décembr(^). 

(.">)  Bossuet  orateur ,  p.  l'Ji  et  3U. 

(())  Histoire  critique  ,  p.  lin  et  suiv. 

(7)  Troisième  vendredi  de  Carême. 

(s)  Sermon  sur  la  Femme  adultère  (quatrième  samedi  de  Carême). 

(9)  Le  jour  de  la  Compassion  de  la  Sainte  Vierge. 

(10)  Le  l.'i  août,  devant  la  reine  mère. 

(II)  Le  Dieu  nous  apprend  que  Bossuet  y  fit,  en  I»;(i:î,  «  les  Kntreticns.  plusieurs 
seniaiiHis  de  suite  ,  pour  la  bourse  cléricale  ». 

(\-2)\.-A  Liste  fies  j/rédicateurs  nous  apprend  que  »  M«'  l'cvêtiue  d'Amiens  (Fran- 
çois Faure)  prêchait  concurremment  «  avec  .M.  l'abbé  Bossuet  ». 


LES  ÉTUDES  PATRISïlQLES  DE  BOSSUET.  37 

iM""  d'AUjert  à  Jouarre  et  de  la  comtesse  de  Rochefort  aux 
Carmélites.  —  En  1665,  après  le  Panéfjyrique  de  saint 
Pierre  Nolasque  dans  l'église  des  Pères  de  la  Merci  (31  jan- 
vier) et  quelques  autres  Sermons,  perdus  pour  la  plupart, 
Bossuet  donna  la  station  du  Carême  à  Saint-Thomas  du  Lou- 
vre et  celle  de  l'Avent  au  Louvre  (cinq  Sermons).  —  En 
1666,  il  prêcha  à  Saint-Germain  11  son  second  Carême 
royal,  12  Sermons,  dont  la  plupart  sont  des  chefs-d'oeu- 
vre (2).  —  De  1667,  «  année  maigre  »,  dit  iM.  labbé  Le- 
barq,  il  ne  nous  reste  qu'un  Sermon  pour  la  Quinquagésime, 
trois  autres  pour  Y  Exaltation  de  la  Croix,  pour  la  Vêtiire 
de  M""  de  Beauvais  (3)  et  pour  la  Noël.  —  En  1668,  Bossuet 
prêcha  la  Circoncision  à  Dijon  ,  devant  le  grand  Condé ,  et 
l'Avent  à  Saint-Thomas  du  Louvre  (4)  ,  avec  un  Sermon 
pour  la  Toussaint  (le  h^  des  éditions  ordinaires),  le  Pané- 
gyrique de  saint  André  et  celui  de  saint  Thomas  de  Cantor- 
béry.  —  En  1669 ,  après  plusieurs  Sermons  isolés  aux  Nou- 
velles Catholiques,  à  l'Oratoire,  en  présence  de  Madame, 
Bossuet  prononça  V Oraison  funèbre  de  la  reine  d'Angle- 
terre, à  la  Visitation  de  Chaillot  (16  novembre),  et  donna 
sa  dernière  station  devant  la  cour,  l'Avent  de  Saint-Ger- 
main en  Lave  (5)  ,  dont  Robinet,  plus  médiocre  encore  que 
Loret ,  disait  le  4  janvier  1670  que  Bossuet , 

Bornant  ses  sermons  de  l'A  vont , 
Leur  fit  avec  un  style  tendre 
Encore  des  merveilles  entendre 
Concernant  le  Verbe  incarné , 
Et  dedans  une  crèche  né. 

—  Enfin   en  1670,  il   se  fit  entendre  aux  Nouveaux  Con- 
vertis et  à  Saint-Denis  pour  V Oraison  funèbre  de  la  du- 


(I)  La  station  avait  été  annoncée  pour  le  Louvre;  mais  la  mort  d'Anne  d'Autri- 
che, survenue  au  commencement  de  rannée,  fit  quitter  à  Louis  XIV  Paris  pour 
Saint-Germain. 

(i)  Il  ne  nous  reste  aucune  autre  œuvre  oratoire  de  cette  année  ir.Gii  :  Bossuet 
partit  pour  Metz,  dés  le  mois  de  mai. 

(3)  Cette  Véture  fut  prêclice  à  Chaillot  devant  la  reine  d'Angleterre. 

('*)  C'était  l'église  collégiale  de  la  paroisse  dont  il  était  l'hôte. 

(•'))  Évéque  nommé  de  Condom  depuis  le  8  septembre,  il  s'était  démis  de  son 
decanat  de  Metz,  dès  le  -H)  octobre  :  il  ne  devait  être  sacré  évéque  que  le  21  sep- 
tembre lt>70.  dans  r.Vssemblée  du  clergé  de  France,  à  Pontoise. 


38  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PÈRES. 

chesse  d'Orléans,  Henriette-Anne  d'Angleterre  (21  août),  à 
Saint-Germain-en-Laye,  où  il  officia  pontificalement  pour  la 
première  fois,  le  i  octobre,  dans  la  chapelle  des  Uécol- 
lets,  et  prononça  le  Panégyrique  de  saint  François  d'As- 
sise (1). 

«  Quand  il  était  appelé,  dit  l'abbé  Le  Dieu,  il  prêchait 
devant  le  roi  et  les  évêques  avec  l'applaudissement  que  l'on 
sait.  Sa  mission  finie,  et  simple  particulier,  il  se  retirait  de 
la  cour  et  se  renfermait  avec  ses  amis  et  sur  ses  livres  (2).  » 

«  Ses  livres  »,  c'étaient,  comme  toujours  la  Bible  et  les 
saints  Pères. 

Il  les  étudiait  avec  amour,  avec  passion,  pour  faire  passer 
dans  son  éloquence  toute  «  la  substantifique  moelle  »  et 
toutes  les  beautés  de  leur  doctrine. 

§  I.  —  Place  plus  grande  faite  aux  Pères  grecs. 

La  première  chose  qui  frappe ,  quand  on  étudie  les  OEii- 
vres  oratoires  de  Bossuet  à  cette  époque,  c'est  la  place  de 
plus  en  plus  grande  qu'il  y  fait  aux  Pères  grecs. 

Ainsi,  en  1659,  dans  les  onze  ou  douze  pièces  qui  nous 
restent,  on  trouve  cités  saint  Léon,  saint  Cyprien,  saint  Pierre 
Damien,  saint  Bernard,  le  «  grand  saint  Thomas  »,  Salvien, 
saint  Paulin ,  «  l'éloquent  Pierre  Chrysologue  »  ,  saint  Gré- 
goire le  Grand,  Origène;  TertuUien,  ce  grand  homme,  avec 
ses  «  belles  paroles  »,  avec  ce  qu'il  disait  «  si  éloquem- 
ment  j>,  parait  une  quinzaine  de  fois;  le  «  grand  saint  Au- 
gustin » ,  avec  «  les  ouvertures  admirables  qu'il  nous 
donne  »,  n'est  pas  invoqué  moins  de  trente-quatre  fois.  Mais 
—  chose  remarquable  —  Bossuet,  après  s'être  «  aidé  d'une 
forte  expression  de  TertuUien  »,  se  sert  «  d'un  excellent 
discours  d'un  autre  docteur  de  l'Église  :  c'est  le  grand  saint 


(I)  Kn  somme,  de  l(w!>à  nno,  dans  l'espace  de  onze  années.  Bossuet  a  donné  à 
Paris  neuf  stations,  dont  (|uatie  à  la  cour  —  Carême  de  l(>0-2,  Avcnt  de  lt>05,  Ca- 
rême (le  lOiHi  et  Avent  de  l(l<i!>  —  el  cinq  en  ville.  Carême  aux  Minimes,  ItitiO.  aux 
Crandes  Carmélites,  UiGI  :  Avcnt  partiel  aux  Carmélites  de  la  rue  du  lîouloi,  IWi.'î  ; 
Carême  de  Kiti.';  et  Aveiitdc  ItiOS  à  Saint-Tliomas  du  Louvre.  Il  nous  reste  de  ces  pré- 
dications 1.1-2  pièces  oratoires. 

(i)  Mcmoins,  \t.  "o  et  71. 


LES  ÉTUDES  PATRISTIQUES  DE  BOSSUET.  31» 

Grégoire  de  Nazianze,  qui  a  mérité,  parmi  les  Grecs,  le  sur- 
nom auguste  de  Théologien,  à  cause  des  hautes  conceptions 
qu'il  a  de  la  nature  divine.  Ce  grand  homme  invite  tout  le 
monde  à  désirer  Dieu  (1).  »  «  Le  docte  et  éloquent  saint 
Jean  Chrysostome  »  fournit  à  Bossuet  presque  tout  le  pre- 
mier, tout  le  second  et  tout  le  troisième  point  d'une  Esquisse 
d'un  Sermon  de  charité  prêché  en  1659  à  l'Hôpital  général  : 
le  jeune  orateur  cite  en  latin  plus  d'une  page  des  Homélies 
de  ce  Père  '2).  11  s'en  inspire  aussi  pour  les  deux  premières 
pages  du  premier  point  du  célèbre  discours  sur  YÉminente 
dignité  des  pauvres  dans  l'Église  (3). 

Dans  les  dix-neuf  Sermons  de  Bossuet  qui  nous  restent  de 
Tannée  1660,  on  remarque  que  saint  Grégoire  de  Xysse, 
saint  Grégoire  le  Grand,  saint  Fulgence,  saint  Paulin,  saint 
Irénée,  Salvien,  Eusèbe  de  Césarée,  sont  cités  une  fois,  saint 
Basile  de  Séleucie  deux  fois,  saint  Gyprien  trois  fois,  saint 
Léon  et  saint  Thomas  cinq  fois,  saint  Jean  Chrysostome 
douze  fois  [k],  Tertullien  50  fois  et  saint  Augustin  78  fois. 

Si  l'on  étudie  les  quinze  Ser77ions  de  1661,  on  trouve  une 
citation  de  saint  Ambroise,  deux  de  saint  Bernard,  trois  de 
Salvien,  de  saint  Léon,  cinq  de  saint  Grégoire  le  Grand, 
six  de  saint  Pierre  Chrysologue  et  de  saint  Grégoire  de  Na- 
zianze, qui  parle  «  excellemment  »  ,  dixàe  saint  Jean  Chry- 
sostome, presque  autant  que  de  Tertulhen,  qui  n'est  plus 
invoqué  qu'une  quinzaine  de  fois,  tandis  que  saint  Augus- 
tin Test  77  fois,  plus  que  tous  les  autres  Pères  ensemble.  Il 
est  vrai  que  saint  Chrysostome  peut  se  consoler  d'être  cité 
moins  souvent;  Bossuet  dit  de  lui  dans  le  Sermon  sur  la 
parole  de  Dieu  :  «  J'ai  observé  à  ce  propos  qu'un  des  plus 
illustres  prédicateurs  et  sans  contredit  le  plus  ('loqwnt  qui 
ait  jamais  enseigné  l'Eglise,  je  veux  dire  saint  Jean  Chrvsos- 
tome,  reproche  souvent  à  ses  auditeurs,  etc.  (5).  «  Voilà  un 
éloge  à  rendre  jaloux ,  s'il  se  pouvait ,  un  saint  Augustin  ,- 

(I)  Sermon  pour  la  Visitation  de  la  sainte  Viet-Qe.  Édition  Leliarq,  t.  III,  p.  10. 
(-2)  Édition  Lebarq.  t.  Il,  p.  :>55-a>!). 

(3)  Édition  Lebarq,  t.  III,  p.  1-20-I-2I. 

(4)  Voir  surtout  le  Sermon  sur    l'honneur  du   monde  :  premier  ot  deuxième 
l'oint.  Édition  Lel)arq,  t.  lll,  .«--.'i-il. 

(5)  Édition  Lebarq.  t.  lll,  p.  .-iSii. 


40  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

et  ce  qui  en  accentue  l'intention,  comme  le  fait  remarquer 
l'abbé  f^ebarq ,  c'est  que  cet  éloge  est  une  addition  interli- 
néaire. 

§  II.  —  Los  Sniniim'n-e^  do  1(J6'2  et  les  études  patristiques  de  Bossuet. 

Un  fait  plus  important  et  qui  nous  renseigne  encore  mieux 
sur  les  études  patristiques  de  Bossuet,  à  Paris,  c'est  la  ré- 
daction, faite  au  commencement  de  166*2,  des  Sommaires 
des  Sermons  que  Bossuet  avait  déjà  prêches. 

Au  moment  de  paraître  dans  la  chaire  du  Louvre ,  en  pré- 
sence de  Louis  XIV  et  de  la  cour  la  plus  brillante  qui  fut 
jamais,  Bossuet  était  si  profondément  convaincu  de  la  gra- 
vité de  la  mission  qui  lui  était  confiée  qu'il  se  condamna 
à  un  effort  de  travail,  unique  dans  sa  vie  laborieuse.  «  Non 
content,  dit  l'abbé  Lebarq,  d'avoir  par  devers  lui  ces  volu- 
mineux Extraits  des  Pères,  ces  Commentaires  et  ces  Dis- 
sertations, où  il  avait  consigné  depuis  longtemps  déjà  l'im- 
pression produite  par  ses  lectures,  il  voulut,  pour  ainsi 
dire ,  se  ressaisir  tout  entier.  Il  repassa,  la  plume  à  la  main , 
toute  sa  prédication  antérieure,  cherchant,  non  des  dévelop- 
pements tout  faits,  mais  un  moyen  assuré,  grâce  aux  Som- 
maires, rédigés  tous  à  cette  époque ,  de  retrouver  aisément 
la  trace  des  vérités  exposées  par  lui  aux  différents  auditoires 
qu'il  avait  évangélisés  (1).  » 

Quand  on  lit  ces  Sommaires ,  on  est  frappé  de  la  place 
qu'y  tiennent  les  saints  Pères,  comme  si  leur  seul  nom  de- 
vait éveiller  dans  la  merveilleuse  mémoire  de  Bossuet  tout 
un  monde  de  souvenirs  et  de  développements,  inspirés  par 
leurs  ((  belles  paroles  »  et  leur  «  excellente  doctrine  ».  Ce 
fait ,  que  ni  (iandar  ni  M.  l'abbé  Lebarq  n'ont  suffisamment 
mis  en  lumière,  deviendra  évident  par  quelques  exemples, 
pris  au  hasard  dans  les  Sermons  de  1652  à  1662. 

Voici  le  Sommaire  d'un  des  premiers  Sermons  de  Bossuet, 
le  Sermon  sur  la  Bonté  et  la  Rif/iieur  de  Dieu  envers  les  pé- 
cheurs, prêché  à  Metz,  le  21  juillet  1652. 

(1)  lOililidii   l.rl,:iii|,  (/ùirrr.s  nrnh.irrx  ,1,'  ltnss)irl .  l.  1\,   InlroduCliOil,  V-  VI  Ct  Ml 


LES  ETUDES  PATRISTIQUES  DE  P.OSSUET.  41 

«  Sommaire.  —  Justice  de  Dieu ,  suite  de  sa  bonté ,  quelle 
elle  est.  Teriullien  (p.  3,4). 

\"' point.  — Deus  ex suo  optinms. Iw^Xiceàe,  Dieu,  quelle. 
Non  habemus pontificeni,  etc.  (li  » 

Ou  remarquera  que  le  premier  texte  cité  est  de  Teriullien 
et  que  c'est  de  lui  que  Bossuet  a  tiré  tout  un  développement. 

Autre  Sominaire  d'un  Sermon  de  1652,  le  Sermon  sur  la 
Conception  de  la  sainte  Vierge,  7  décembre  (2), 

Sommaire.  —  l'ota  pulchra  es. 

«  Quod  natum  est  ex  carne .,  caro  est  (p.  3,  4).  —  Dieu 
fait  des  choses  contre  l'ordre  commun  (p.  4,  5).  —  Les  grâ- 
ces faites  à  Marie  sont  sans  conséquence  (p.  6,  7).  —  Faut 
distinguer  Jésus-Christ  d'avec  Marie,  mais  aussi  Marie  d'avec 
les  autres  (p.  8);  —  et  que  le  péché  soit  vaincu  partout 
(p.  9).  —  Le  futur,  présent  à  Dieu  [Tertull.)  (p.  10,  11).  — 
Il  agit  en  homme  avant  l'Incarnation  [Tertull.)]  donc  en  fils 
avant  qu'il  le  soit  (p.  11,  12). 

Ces  indications,  inintelligibles  pour  nous,  rappelaient  à 
Bossuet  deux  passages  du  Livre  contre  Marcion  :  «  Comme 
remarque  très  bien  le  grave  Teriullien,  il  est  bienséant 
à  la  nature  divine,  qui  ne  connaît  en  soi-même  aucune 
différence  de  temps,  de  tenir  pour  fait  tout  ce  qu'elle  or- 
donne, etc..  Kt  je  fortifie  ce  raisonnement  par  une  autre 
doctrine  excellente  des  Pères,  merveilleusement  expliquée 
par  le  même  Tertullien.  »  Suivent  deux  pages  entières, 
«  tirées  de  ces  savants  principes  de  Tertullien  (3)  ». 

Autre  Sommaire  d'un  Sermon  de  1655,  le  Sermon  pour 
r Annonciation  de  la  sainte  Vierge. 

Sommaire.  —  Benedicta  tu  in  mulieribus. 

«  La  promesse  de  notre  salut  aussi  ancienne  que  la  sen- 
tence de  notre  mort  (p.  1). 

Aemuln  operatione  (p.  2,  3,  4). 

<(  Double  fécondité  :  par  la  nature ,  par  la  charité  ;  toutes 
deux  à  Marie  (p.  5,  6). 

(I)  Édition  Leharq.  t.  I,  p.  l3-.>. 
(-2)  Édition  Lebarq.  t.  I,  p.  -2-28. 
(3)  Édition  Leljarq.»t.  1,  p.  -2;W--241. 


42  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

Multa  ex  Tertulliano ,  de  Incarnatione ;  —  ex  Eucherio 
Lugdunensi ,  de  Maria;  —  de  Poenitentia  :  «  La  pénitence 
renverse  Ninive  (p.  10)  (1).  » 

Ces  simples  mots  «  Aemuh)  operatione  » ,  qui  résument 
trois  pages  de  Bossuet ,  sont  de  Tertullien  dans  son  De 
Carne  Christ i. 

Ces  «  nombreux  passages  de  Tertullien,  de  saint  Eucher 
de  Lyon  »  ,  que  signale  l'orateur,  se  trouvent,  non  pas  dans 
le  sermon  lui-même,  mais  dans  une  page  toute  couverte 
d'Extraits  des  Pères,  sans  rapport  avec  l'Annonciation  et 
que  Bossuet  voulait  utiliser  pour  ses  compositions  ulté- 
rieures. 

he  Sommaire  du  Sermon  pour  la  fêle  du  Rosaire ,  prononcé 
à  Paris,  au  collège  de  Navarre,  en  octobre  1657.  contient 
les  passages  suivants  : 

«  V point.  —  Nature  féconde;  charité  féconde.  Caritas 
mater  est,  saint  Augustin  (p.  5,  6)... 

«  2°  point.  —  Deux  enfantements  de  Marie;  l'un  sans 
peine,  l'autre  douloureux  :  Apoc.  (p.  11). 

«  Souffrances  de  Marie  à  la  croix.  Cœur  d'une  mère  : 
Chananée.  S.  Basil.  Seleuc.  (p.  12).  » 

Encore  des  noms  et  des  paroles  des  saints  Pères,  qui  éveil- 
lent dans  l'esprit  du  jeune  orateur  tout  un  monde  de  sou- 
venirs. 

Le  Sermon  sur  la  médisance ,  prêché  pendant  la  mission 
de  Metz  en  1658,  n'est  malheureusement  qu'une  esquisse; 
et  pourtant,  Bossuet  en  a  donné  le  résumé  à  l'époque  des 
Sommaires ,  à  cause,  sans  doute,  des  nombreuses  citations 
des  saints  Pères  qui  s'y  trouvent,  comme  on  va  en  juger  : 

Sommaire.  —  Médisance. 

«  \" point.  — Par  haine,  par  envie,  sa  cause  ordinaire. 
L'amour  de  la  société  parait  seulement  en  ce  qu'on  a  hor- 
reur de  la  solitude  ;  au  reste ,  nous  no  nous  pouvons  souf- 
frir. Cela  parait  par  l'inclination  à  la  médisance.  Facilius 
falso  malo  quamvero  bono  creditur  (leviuW.,  ad  Nat.,  1.  T.). 

M)  liditioii  Lel)aiq.  l.  11.  p.  1. 


LES  ETUDES  PATRISTIQUES  DE  BOSSUET.  43 

Felicius  in  acerbis  atrocibusquc  mentitur  (p.  3).  —  Ancilla 
fur  maledicciitia  i^.  Chrysost.).  —  On  médit  pour  montrer 
qu'on  pénètre  bien  dans  les  choses  cachées  :  Omnes  celpene 
omnes  amatmis  nostras  suspiciones  vd  (licore  vcl  existimare 
cognitioiies.  (S.  Aug.,  p.  6). 

«  i'  point.  — ,  La  cliarité  se  maintient  par  l'inclination  et 
par  l'estime .  Elle  est  respectueuse  :  Ho?io?'e  invicem  prae- 
venientes.  Vous  dites  peu  de  choses;  mais  cela  s'accroît 
ingcnita  quibusdam  menticndi vol up talc.  (Tertull.,  Apolog., 
p.  7).  » 

«  3'  point.  —  Le  monde  hait  les  médisants,  et  tout  le 
monde  leur  applaudit   :  Mule  tant  quos  laudant  (p.  8).    » 

Encore  une  parole  de  TertuUien,  que  Bossuet  cite  autre- 
ment dans  le  texte  du  sermon  :  Amant  quos  mule  tant ,  dc- 
pretiant  quos  probant  (1). 

Le  Sommaire  de  la  reprise  du  Sermon  sur  la  loi  de  Dieu, 
prêché  à  Paris,  en  1(359,  chez  les  Sœurs  de  l'Union  chrétienne, 
maison  mère  de  la  Propagation  de  Metz ,  dont  Bossuet  était 
le  supérieur,  se  ramène  presque  à  un  texte  de  saint  Augustin. 

Sommaire.  —  La  nature  a  donné  des  bornes  :  aux  enfants 
la  faiblesse,  aux  hommes  la  raison,  «  Le  méchant,  robustus 
puer.  — Posse  quod  velis ,  velle  qiiod  oportet...  » 

C'est  l'analyse  d'un  texte  de  saint  Augustin  ,  que  l'on 
peut  résumer  ainsi  :  «  Beatitudo  in  duobus  sita  est  :  posse 
quod relis,  velle  quod  oportet.  Ut  beati  simus ,  non  est  prius 
eligendum  posse  quod  volumus ,  ut  pravi  homines  faciunt ., 
sed  velle  quod  oportet.  »  Bossuet  reprendra  ce  texte  du 
livre  XlIPde  la  IVinité eiil  en  tirera,  en  1661,  presque  tout 
le  premier  point  du  Sermon  suj'  rambition,  dont  voici  le 
Somnmire ,  en  partie  du  moins  : 

«  r  '■  point.  —  Félicité  en  deux  choses  :  pouvoir  ce  qu'on 
veut,  vouloir  ce  qu'il  faut.  —  Ici,  le  temps  de  bien  vouloir; 
au  ciel,  de  pouvoir.  Saint  Augustin,  De  Trinitate.  —  Puis- 
sance nuit,  si  la  volonté  n'est  bien  réglée.  Pilate,  exemple. 
De  Spiritu  et  littera  (p.  1,  -2,  3,  V,  5,  6,  7,  8)...  (2).  » 

(I)  Édition  Lcbarq.  t.  il,  p.  W"  et  ii,i.i. 
(■2)  Édition  Lebarq,  t.  lll,  p.  (CJT. 


44  BOSSUEÏ  Eï  LES  SAINTS  PERES. 

Encore  un  livre  de  saint  Augustin,  dont  Bossuet  s'inspire 
dans  le  Carême  des  Carmélites  et  dont  il  s'inspirera  dans  le 
Carême  du  Louvre,  en  1662,  pour  le  Sermon  sur  V ambition, 
qui  ne  se  compose  guère  que  de  réminiscences  de  ceux 
de  1661  et  de  1660  (1 1  pour  le  IV  dimanche  de  Carême. 

Tantôt,  c'est  tout  un  exorde  que  Bossuet,  dans  ses  Som- 
maires de  1662,  ramène  à  la  parole  d'un  Père  :  voyez,  par 
exemple,  \q  Sermon  pour  la  vêturf  (V  un  (^  postulant*'  Bernar- 
dine (2). 

€  Exorde.  — Liberté.  Le  monde,  une  prison  (Tertullien).  » 

Il  y  a  là  l'indication  d'un  texte  très  long  de  Tertullien. 
«  Ce  grand  homme ,  c'est  Tertulhen,  leur  représentait  tout 
le  monde  comme  une  grande  prison,  où  ceux  qui  aiment 
les  biens  périssables  sont  captifs  et  charg-és  de  chaînes  du- 
rant tout  le  cours  de  leur  vie,  «  Il  n'y  a  point,  dit-il,  une 
plus  obscure  prison  que  le  monde ,  où  tant  de  sortes  d'er- 
reurs éteignent  la  véritable  lumière ,  ni  qui  contienne  plus 
de  criminels ,  puisqu'il  y  en  a  presque  autant  que  d'hom- 
mes; ni  de  fers  plus  durs  que  les  siens,  puisque  les  âmes 
mêmes  en  sont  enchaînées;  ni  de  cachot  plus  rempli  d'or- 
dures par  l'infection  de  tant  de  péchés  et  de  convoitises  bru- 
tales. Majores  tenebras  habet  mundus ^  quae  hominumprae- 
cordia  excaecant;  grariores  catenas  induit  mimdus,  quac 
ipsas  animas  hominum  constrinr/unt ;  pejores  immunditias 
exspirat  mundus,  libidines  hominum.  Tellement,  poursui- 
voit-il.  ô  très  saints  martyrs,  que  ceux  qui  vous  arrachent 
du  milieu  du  monde,  etc.  i3i. 

Voyez  encore  le  Sermon  sur  les  souffrances ,  prêché  aux 
Carmélites  le  dimanche  des  Hameaux,  10  avril  1661  (V). 
((Exorde  :  Calvaire;  trois  crucilîés.  Saint  Augustin.  )> 
Il  s"ag"it  encore  ici  d'un  texte  très  important  de  ce  Père  : 
((  Voici  un  mystère  admirable.  Nous  voyons ,  dit  saint  Au- 


(I)  C'est,  d'après  M.  l'abbi;  Lebai^i,  le  Sermon  sur  nos  dispositions  à  l'cgard  drs 
nëcessilés  de  la  rie,  (|ui  a  été  préclié  aux  Minimes  le  (|uatrième  (liiiianclie  de  Ca- 
rême. 

(■!}  Kdition  Leliani.  t.  III,  j).  ii. 

(H)  Voir  la  suite,  é<iiti(m  Lchani .  t.  III.  \>.  -m. 

CO  Édition  l.cbar(|.  t.  III.  p.  ii:iO. 


LES  ÉTUDES  PATRISTIQUES  DE  BOSSUET.  45 

gustin,  trois  hommes  attachés  à  la  croix  :  un  qui  donne  le 
salut;  un  qui  le  reçoit;  un  qui  le  perd.  Ti'('s  crant  in  cnicc; 
Kims  Salvafor,  alias  salcandus,  alius  damnandus.  » 

Tantôt,  c'est  tout  un  point,  toute  une  partie  de  sermon 
que  Bossuet  résume  dans  la  parole  d'un  Père,  qu'il  ne  cite 
même  pas  toujours,  tant  il  est  familiarisé  avec  des  textes 
dont  il  fait  sa  nourriture  quotidienne. 

Prenez  le  premier  point  de  V Esquisse  d'un  sermon  au.r 
Nouveaux  Convertis,  prêché  le  IV"  dimanche  de  l'Avent , 
1659  ou  1660. 

«  V  point.  —  Péché  sort  de  la  volonté  humaine  contre 
la  volonté  divine.  Double  contrariété  :  à  Dieu,  comme  mau- 
vais; à  l'homme,  comme  nuisible  :  saint  Augustin,  p.  2,  3. 
—  Pourquoi  nuisible?  Ennemis  impuissants,  montrent  leur 
inimitié  résiste ndi  voluntate ,  non  potestate  laedendi  [^d\i\.i 
Augustin;  de  Civit.,  xii,  in.)... 

((  Le  péché  est  sa  peine  soi-même.  La  peine  ne  vient  pas 
de  Dieu  :  Nec putemus ,  etc.,  saint  Augustin  (1).  » 

Prenez  encore  le  second,  le  troisième  point  du  Sermon  sur 
les  Dénions  et  du  Sermon  sur  les  rechutes,  prêches  pendant 
le  Carême  des  Minimes,  février-mars  1660  : 

«  -1" point.  —  Jalousie  des  anges.  Pharaon,  Ezech.,  xxxii. 
Moyens  imperceptibles  du  malin  esprit;  TertuUien.  Com- 
paraison du  serpent  :  TertuUien,  [Adv.]  Valent.  —  Condes- 
cendance du  diable.  Saint  Chrysostome.  Exemples  (2).  » 

«  2"  point.  —  Pénitence  est  une  précaution.  Autrement 
l'indulgence  et  1 3j  la  miséricorde  divine  l'exposerait  au  mé- 
pris (p.  8).  TertuUien.  [Notez]. 

«  S''  point.  —  Eau  du  baptême,  eau  de  la  pénitence  : 
TertuUien.  Rigueur  et  miséricorde  dans  la  pénitence 
(p.  12).  Dieu  se  rend  toujours  plus  rigoureux.  (^Notezi  ^^^p.  12, 
13)  Ci-').  » 

(I)  Le  texte  de  saint  Augustin  est  celui-ci  :  »  Nec  putemus  illam  (mnquillila- 
lon  et  ineffabile  lumen  Del  de  se  proferre  unde  peccata  inmiantur.  (In  Ps.  VII, 
n.  lii).  —  Bossuet  se  servira  de  nouveau  de  ce  texte  dans  un  Sermon  de  TAvent 
du  Louvre  de  lC6o  sur  la  Nécessité  de  la  pénitence. 

(-2)  Édition  Lebarq.  t.  III.  p.  -214. 

(3)  Il  senilile  qu'il  laudrait  lire  de  au  lieu  tic  et. 

(i)  Édition  Leharq,  t.  III,  p.  -lii-l. 


46  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

On  pourrait  multiplier  les  exemples  et  citer  le  Sommaire 
du  Sermon  sur  les  vaines  excuses  des  péc/teurs ,  Carême  des 
Minimes,  li  mars  1660  (1),  ou  celui  du  Sermon  pour  la  fêle 
de  r Annonciation,  prêché  le  5  avril,  le  lundi  de  Quasi- 
modo  1660  (2). 

Mais  on  a  vu  suffisamment  par  ce  qui  précède  com- 
ment l'attention  de  Bossuet ,  repassant  sa  prédication  an- 
térieure, se  portait  de  préférence  sur  les  textes  des  saints 
Pères,  dont  il  pourrait  se  servir  à  la  cour.  Il  s'en  servit, 
en  effet,  beaucoup  plus  que  de  ses  Sermons  eux-mêmes, 
puisque,  comme  le  dit  très  bien  M.  l'abbé  Lebarq,  «  les 
discours  prêches  au  Louvre  sont  bien  des  œuvres  nou- 
velles, même  lorsqu'ils  reviennent  sur  un  sujet  déjà  traité 
dans  d'autres  auditoires...  On  admire  l'indépendance  de 
ce  puissant  esprit  par  rapport  à  lui-même;  on  s'étonne 
et  on  se  félicite  qu'il  se  soit  emprunté  en  somme  si  peu 
de  chose.  Deux  sermons  sur  dix-huit  qui  furent  alors  com- 
posés peuvent  passer  pour  des  reprises...  En  dehors  de  ces 
deux  exemples,  les  emprunts  ne  porteront  que  sur  des  dé- 
tails (3).  » 

L'examen  à^s  Sermons ,  ou  Fragments  de  sermons,  ou  au- 
tres OEuvres  oratoires  de  Bossuet  qui  nous  restent  de  1662 
à  1670  inclusivement  —  seize  de  1662  [k),  sept  de  1663  (5), 
six  de  1664  (6),  treize  de  1665  (7),  douze  de  1666   (8), 

(1)  Édition  Lebarq,  t.  Ill,  j).  30S. 

(2)  Ibidem,  p.  428. 

(;?)  Édition  Lebarq,  t.  IV.  Introduction,  p.  VII. 

(i)  11  y  a  4i  citations  de  saint  Augustin.  -2\)  de  Tcrtullien,  !i  de  saint  Grégoire  de 
Na^ianze,  «  le  théolosien  d'Orient  »,  .'>  de  saint  Jean  Chrysostome,  .'>  de  saint  Gré- 
goire le  Grand,  i  de  saint  Cyprien,  i  du  grand  saint  Paulin,  une  de  saint  Am- 
hroise.de  Laclnncc,  A'Arnohr,  Ae  Tlirodoni .  de  saint  .lérùmc.  —  Les  noms  en 
italique  sont  ceux  des  Pères  que  Bossuet  n'avait  pas  encore  cités. 

(.■>)  On  y  trouve  ;{0  citations  de  saint  Augustin.  10  de  Tcrtullien.  4  de  saint  Gré- 
goire le  Grand,  ,{  de  saint  Basile  et  de  saint  chrysostome,  .">  de  saint  Cyprien, 
H  de  saint  Bernard  ,  2  de  saint  Ambroise,  une  de  saint  Thomas  et  de  saint  Charles 
Jiorromée. 

((i)  On  y  relève  20  fois  le  nom  de  saint  Augustin,  r>  fois  celui  de  Tertullien,  4  fois 
celui  de  saint  Grégoire  le  Grand,  2  fois  celui  de  saint  Ambroise  et  de  saint  Bernard 
et  une  fois  celui  de  saint  Basile,  d'Origcne,  de  Salvlen,  de  saint  .lérôme  et  de  saint 
Thomas. 

(7)  On  y  remarque  14  passages  de  saint  Augustin,  7  de  Tertullien.  2  de  saint 
<;régoire  de  Nysse,  3  de  saint  Grégoire  le(irand,un  de  saint  Chrysostome ,  de 
Salvien,  du  Pape  Innocent  I'-',  de  Thcodorct ,  de  Julien  Ponière,  du  «  grand  .svn;// 
llilnirr  »  cl  ■    du  grand  saint  Thomas  ». 

(K)  Il  y  a  -2(i  textes  de  saint  Augustin,  (>  de  Tcrtullien  :>  du  »  docte,  éloquent  et 


LES  ÉTUDES  PAÏRISTIQUES  DE  BOSSUET.  47 

quatre  de  1667  (11,  dix  de  1668  (-2  ,  douze  de  1669  (3), 
et  trois  de  1670  (4),  — l'examen  de  ces  pièces  montre  que 
les  études  patristiques  de  Bossuet  étaient ,  avec  les  études  bi- 
bliques, sa  grande  préoccupation  à  Paris  comme  à  Metz. 

§  111.  —  Pères  (le  l'Église  dojit  Bossuet  s'inspire  alors 
pour  la  première  fois. 

Le  nom  de  Tertullien  revient  moins  souvent  sous  sa 
plume ,  au  fur  et  à  mesure  que  le  grand  orateur  avance 
dans  la  vie  :  c'est  saint  Grégoire  de  Nazianze ,  «  le  théologien 
d'Orient  »,  c'est  le  «  docte,  l'éloquent  et  judicieux  saint 
Jean  Chrysostome  »,  c'est  «  le  grand  Pape  »  saint  Gré- 
goire ,  c'est  Salvien ,  c'est  a  le  grand  saint  Ambroise  » ,  le 
«  grand  saint  Bernard ,  le  grand  saint  Thomas  » ,  que  Bos- 
suet cite  le  plus  souvent  après  saint  Augustin ,  «  le  docteur 
des  docteurs  »,  en  qui  est  ((  toute  la  doctrine  ». 

Les  lectures  de  Bossuet  s'étendent  de  plus  qn  plus .  et  il 
s'inspire  à  partir  de  1662  de  Pères  dont  le  nom  n'avait 
pas  encore  paru  sous  sa  plume  :  saint  Denys,  «  le  grand 
Aréopagite  » ,  Lactance ,  Arnobe  ,  Théodoret ,  le  Pape  Inno- 
cent V\  «  le  grand  saint  Hilaire  »  de  Poitiers,  Julien  Po- 
mère ,  dont  le  traité  De  la  vie  contemplative  se  trouve  parmi 
les  œuvres  de  saint  Prosper,  «  Hésychius,  prêtre  de  Jérusa- 
lem »,  «  le  grand  Pape  saint  Hormisdas  »,  saint  Ignace  et 
sa  Lettre  aux  Romains,  «.  Eusèbe  Émissène  »  ou  d'Émèse. 


judicieux  saint  Chrysostome.  »  (>  de  saint  Grégoire  le  Grand  .  .">  de  saint  Grégoire  de 
Nazianze,  3  de  Salvien.  ^  de  saint  Thomas ,  î  de  saint  Ambroise,  de  saint  Hilaire , 
de  saint  Fulgence,  de  saint  Paulin,  de  Théodoret  et  de  saint  Isidore. 

(I)  Saint  Augustin  est  cité  -21  fois,  Tertullien  i  fois,  saint  Amliroise  3  fois,  saint 
Justin  -2  fois,  saint  Bernard  -2  fois,  saint  Grégoire  le  Grand,  saint  Grégoire  de  N\sse. 
saint  Léon,  saint  Ambroise,  Salvien.  Sulpicc  Sévère,  Hésychius.  le  grand  Pape 
saint  Hormisdas.  Eusèbe  d'Emèse  une  fois. 

(•2)  Il  y  a  30  citations  de  saint  Augustin,  17  de  Tertullien.  3  de  saint  Grégoire 
le  Grand.  3  de  saint  Ambroise,  3  de  saint  Chrysostome.  2  de  saint  Grégoire  de 
Nysse,  une  de  Clément  Alexandrin,  une  d'Eusébe  Émissène  on  d'Emèse. 

(3)  Saint  Augustin  y  est  cité  -28  fois.  Tertullien  7  fois,  »  legrand  saint  Ambroise  » 
8  fois.  Salvien  3  fois,  saint  Clirjsostome  2  fois,  saint  Grégoire  le  Grand  2  fois,  saint 
Grégoire  de  Nysse  2  fois,  le  Philosophe  martyr  saint  Justin,  saint  Hilaire,  saint 
Ignace,  Julien  Pomère,  saint  Cyrille  d'Alexandrie,  saint  Pierre  Chrysologue,  saint 
Eucher,  saint  Bernard  ,  saint  Thomas  une  fois. 

(4)  Ces  3  œuvres  oratoires  ne  contiennent  que  i  textes  de  saint  Augustin.  3  de 
Tertullien,  un  de  saint  Ambroise.  de  saint  Hilaire  et  de  Lactance. 


48  BOSSUET  ET  LliS  SAINTS  PERES. 

Il  serait  difficile  de  trouver  quelque  Père  de  FÉg-lise  un  peu 
connu  que  Bossuet  n'ait  pas  un  jour  ou  l'autre  mis  à  contri- 
bution .  en  même  temps  qu'il  citait  Sénèquc ,  Tacite  et  Pline 
le  Jeune,  à  plusieurs  reprises. 

Bossuet  pourtant  ne  donne  pas  toujours  le  texte  latin  des 
Pères  dont  il  invoque  l'autorité ,  surtout  quand  il  s'adresse 
à  la  cour.  En  revanche,  comme  le  fait  remarquer  l'abbé 
Lebarq  dans  le  tome  V  des  OEuvres  oratoires  de  Bossuet, 
((  les  manuscrits  de  l'orateur  sont  surchargés  de  notes  mar- 
ginales, textes  de  l'Écriture  et  des  Pères,  qu'il  cite  quelque- 
fois de  mémoire  en  ajoutant,  comme  dans  le  Canevas  cVune 
conférence  à  l'hôtel  de  Longueville  1668  :  Non  longe  àpro- 
prio.  En  elfet,  il  serait  possible  de  compléter  la  citation  en 
comblant  quelques  lacunes;  mais  il  n'y  a  rien  à  recti- 
fier (1).  »  Deforis  a  trop  souvent  fondu  avec  le  texte  même 
de  Bossuet  ces  notes  marginales ,  dont  il  a  donné  des  tra- 
ductions où  il  n'y  a  pas  un  mot  du  grand  orateur. 

§  IV.  —  Des  Extraits  et  des  Remarques  morales  rédigi'ïs  alors 
par  Bossuet  en  lisant  les  Pères. 

Il  était  si  habitué  à  lire  les  Pères  la  plume  à  la  main 
qu'en  1666,  il  rédigea  de  nouvelles  Remarques  morales, 
auxquelles  il  renvoie  dans  les  Sermons  de  cette  année, 
comme  cinq  ans  plus  tôt  dans  le  Sermon  sirr  la  Pénitence, 
premier  dimanche  du  Carême  des  Grandes  Carmélites,  1661, 
on  lisait  :  Vicl.  Ejct?riits  de  l'Écriture,  p.  -26,  27,  et  Vifl. 
Bemarq.  mor.,  p.  9.  M.  Gazier  a  le  premier  soupçonné , 
dans  son  édition  critique  des  Sermons  choisis  de  Bossuet, 
Sermon  sur  la  justice ,  1666,  que  ces  Remarques  morales 
étaient  un  cahier  de  notes.  M.  Tabbé  Lebarq  a  retrouvé 
en  Basse-Normandie,  dans  la  collection  Floquet,  à  Fromen- 
tin '  2i,  la  page  même  à  laquelle  Bo.ssuet  se  reporte  dans 
le  passage  cité  par  M.  (îazier.  Il  montre,  dans  le  chapitre 
premier  de  sa  savante  Histoire  critique  de  la  Prédication  de 

(I)  Kdition  Lebarq,  Œuvres  oratoires  tie  Bossuet.  t.  V,  p.;J8â. 

(-2)  Elle  a  ulc  vendue  dejjuis  peu  et  ai)i)arliciit  à  M.  Gastc  et  à  M.  l'ahljé  Follkiley. 


LES  ÉTUDES  PATRISTIQUES  DE  BOSSUET.  49 

Bossuet,  p.  5  et  suiv. ,  comment  Deforis  et  les  autres  édi- 
teurs, après  lui,  ont  reproduit  en  les  défigurant,  dans  les 
Pensées  chrétiennes  et  morales ^  les  Remarques  que  le  grand 
orateur  avait  rédigées  à  diverses  époques,  particulière- 
ment avant  les  stations  de  Carême  et  d'Avent  qu'il  devait 
prêcher.  Une  feuille  de  ces  Remarques  nous  a  été  conservée 
avec  le  Sermon  sur  la  justice  (du  Carême  royal  de  Saint- 
Germain,  1666 1,  auquel  elle  sert  d'enveloppe.  C'est  préci- 
sément la  table  des  Extraits  contenus  dans  un  cahier 
certainement  écrit  en  vue  de  la  station  que  Bossuet  avait 
à  fournir  à  la  cour.  Voici  le  contenu  de  cette  table  et  de  ce 
cahier  d'après  M.  l'abbé  Lebarq  (1)  : 

«  Mss.  12.823,  f.  233.  —  Diverses  remarques  et  extraits 
des  Pères.  —  Glem.  Alexand.,  Paedag.,  p.  1,  4.  —  Ex  Greg.  7. 
Ep.  1-2.  Greg.  Nyss.,  de  Prof,  christiana.  —  Item  de  Perf. 
christiani  forma,  p.  2,  11.  —  Ex  Hilar.,  p.  5,  6,  7,  8,  9.  — 
Greg.  Naz.,  Orat.  15,  p.  12.  —  17,  p.  13.  —  Ex  Synesio.  — 
Greg.  Naz.  —  Basilio,  —  CyrilloHieros.,  p.  15,  16.  — Basil., 
de  sancta  Virginitate ,  p.  16,  17,  18,  19,  —  et  au  bas  de 
la  page  :  Les  remèdes  des  chrétiens  mourants.  Le  triomphe 
des  funérailles  chrétiennes.  » 

«  Cette  feuille,  dit  M.  l'abbé  Lebarq,  ainsi  que  les  débris 
du  cahier,  présente  une  entière  ressemblance  matérielle  avec 
tous  les  sermons  de  1666.  Il  y  a  plus.  En  face  des  extraits 
se  lisent  des  numéros  d'ordre,  ajoutés  après  coup.  Or,  ces 
chiffres  ont  été  mis  pour  indiquer  à  l'avance  les  sermons  du 
Carême  de  Saint-Germain  pour  lesquels  ces  extraits  ou  ces 
remarques  pourraient  être  utiles  à  l'orateur  (2).  »  M.  l'abbé 
Lebarq  l'établit  invinciblement  pour  le  Sermon  sur  le  culte 
dû  à  Dieu  [it  10),  pour  le  Sermon  du  premier  Dimanche  de 
Carême  (n°  2),  pour  le  Sermon  n°  7,  fête  de  l'Annonciation, 
et  le  Sermon  n°  li,  pour  le  Dimanche  des  Rameaux. 

On  est  frappé,  quand  on  examine  la  table  précédente,  de 
voir  que  sur  dix-neuf  pages  d'Extraits,  il  y  en  a  onze  qui 
sont  tirés  des  ouvrages  des  Pères  grecs,  Clément  d'Alexan- 

(I)  Histoire  critique  de   la  prédication   de  Bossuet,   p.  7,  note  2. 
(•2)  Ibidem ,  p.  7  et  8. 

BOSSUET   ET    LES   SAINTS    PÈUF.S.  4 


:,0  150SSUEÏ  ET  LES  SAINTS  PEUES. 

(Irie,  saint  Grégoire  de  Nysse  (1),  saint  Grégoire  de  Na- 
zianze,  Synésius,  saint  Basile  et  saint  Cyrille  de  Jérusalem. 
«  Dans  ces  notes,  les  trois  langues  se  marient  :  une  phrase . 
commencée  en  français  ou  en  latin ,  se  continue  en  grec , 
ou  réciproquement  (2).  » 

On  remarque  aussi  qu'il  y  a  tel  paragraphe  sur  la  Clé- 
mence, d'après  saint  Grégoire  de  Nazianze,  dix-septième 
discours,  dont  Bossuet  se  souviendra  dans  le  troisième 
point  de  son  beau  Sermo?i  sur  la  justice.  L'abbé  Le  Dieu 
ne  s'était  donc  pas  trompé  en  disant  que  Bossuet  «  se  ser- 
vait particulièrement  de  saint  Grégoire  de  Nazianze  pour 
donner  au  roi  et  aux  princes  des  instructions  convenables 
à  leur  état  et  à  leur  cour  (3).  » 

M.  l'abbé  Lebarq  signale  encore  des  Extraits  des  Oraisons 
funèbres  prononcées  par  saint  Grégoire  de  Nazianze  et  saint 
Basile  et  suppose  avec  raison  qu'elles  ont  été  relues  après 
la  mort  de  la  reine  mère  (1666),  dont  Bossuet  devait  pro- 
noncer l'éloge,  en  janvier  1667.  Les  Extraits  et  les  Re- 
marques morales  que  Bossuet  n'utilisa  pas  en  1666  lui 
servirent  plus  tard  et  il  y  renvoie  dans  les  Sermons  de 
1668  et  de  1669,  en  particulier  dans  l'Esquisse  sur  la  vigi- 
lance chrétienne,  1668,  où  M.  l'abbé  Lebarq  relève  avec  rai- 
son des  allusions  à  des  textes  de  Clément  d'Alexandrie  et 
de  saint  Grégoire  de  Nysse,  recueillis  deux  ans  plus  tôt  (4). 

Ce  n'est  pas  seulement,  en  1666,  avant  le  Carême  de  Saint- 
Germain-en-Laye,  c'est  àMetz  (1652-1659),  comme  le  prouve 
«  l'abondance  à'Ecrtraits  vraiment  étonnante  qu'il   avait 

(1)  Saint  Grrr/oirc  de  Ni/ssc  (3;{-2-;5'J(i  ou  400/),  né  à  Sôbaste,  dans  le  Pont,  était 
liére  de  saint  liasile.  Il  se  maria,  quitta  sa  femme  i)our  le  sacerdoec,  la  prédi- 
cation ])our  la  rlictoriciue,  renseignement  pour  la  solitude,  enlin  la  solitude  pour 
l'épiscopat,  37'2.  Il  détendit  la  doctrine  d'Atlianase,  fut  persécuté  sous  Valens , 
protégé  sous  Théodosc,  parut  avec  éclat  dans  les  conciles,  à  la  cour,  et  |»ro- 
nonça  dans  Constantiiiople  les  Oraisons  fiinéhrcs  de  l'inipératrice  l'Iaccille  et  de 
sa  liile  l'ulcliéric.  «  H  n'avait  pas,  comme  saint  Basile,  U;  don  de  tout  embellir 
par  l'imaginalion  et  le  sentiment.  Sa  mélliode  est  sèche,  ses  allégories  sont  suliti- 
les...  Uu  reste  la  supériorité  de  sa  raison  est  remarquable.  »  -  Nous  avons  de  lui 
des  traités  de  la  Formalion  de  l'homme,  de  la  Virginitc,  des  Uomvlies  sur  l'Ec- 
clrsiaste ,  sur  le  Cantique  des  Cantiques,  Panrgyriqwjs,  des  Oraisons  funè- 
bres, etc. 

(-2)  Édition  l.ebarq,  Ilisl.  critiq..  p.  i.i. 

Oi)  Mrmoircs  ,  p.  ;)8. 

Ci)  Édition  l,cban|,  Oiuvrcs  oniloirrs  de  Bossuet ,  t.  Y,  p.  ;t8:2. 


LES  ÉTUDES  PATRISTIQUES  DE  BOSSUET.  51 

déjà  par  devers  lui  au  commencement  de  l'époque  de  Paris 
(1659)  »,  c'est  en  1660,  avant  le  Carême  des  Minimes,  en 
1661,  avant  le  Carême  des  Grandes  Carmélites,  en  1662, 
avant  le  Carême  du  Louvre  (1),  que  Bossuet  avait  noté, 
en  les  accompagnant  de  réflexions  personnelles ,  certains 
passag-es  des  Pères  où  il  voyait  quelque  rapport  avec  les 
sujets  qu'il  méditait  de  traiter.  Pour  les  trouver  ainsi  sans 
peine  et  sans  hésitation  ,  il  fallait  qu'il  n'en  fût  pas  à  sa  pre- 
mière lecture.  Il  fallait  surtout  qu'il  eût  pris  l'halîitude  de 
lire  la  plume  à  la  main,  habitude  à  laquelle  il  resta  fidèle 
jusqu'à  la  fin  de  sa  vie ,  aux  époques  surtout  où  il  composait 
y  Histoire  des  Variations  (2)  et  où  il  discutait  avec  Jurieu , 
avec  Basnage,  avec  Fénelon,  avec  Richard  Simon. 

«  On  s'étonne,  dit  le  savant  auteur  de  V  Histoire  critique.de 
la  Prédication  de  Bossuet  (3)^  on  s'étonne  de  l'abondance 
et  de  la  sûreté  de  l'érudition ,  qui  fait  une  partie  de  la  force 
victorieuse  de  ses  ouvrages;  on  en  a  le  secret  en  se  rap- 
pelant les  ressources  que  lui  ménagèrent  à  toutes  les  épo- 
ques de  sa  vie  les  habitudes  laborieuses  et  sa  méthode  de 
travail.  »  Il  jouit  toute  sa  vie  «  de  la  meilleure  santé  du 
monde  »,  dit  Le  Dieu  (4),  sans  avoir  jamais  eu  aucune  ma- 
ladie dangereuse,  mais  seulement  une  fièvre  tierce  deux  ou 
trois  années  de  suite,  en  1677,  en  1678  et  1679...  Son  tem- 
pérament était  admirable  :  de  là  cette  facilité  merveilleuse 
pour  le  travail  et  pour  l'application  continuelle  dans  la- 
quelle il  a  passé  sa  vie.  Maître  de  son  sommeil ,  il  l'interrom- 
pait pour  prier  Dieu  au  milieu  de  la  nuit ,  ce  qu'il  a  fait 
tout  le  temps  de  son  épiscopat  à  Meaux  ;  et  pour  travailler 
dans  le  silence  et  le  recueillement ,  tant  que  sa  tête  y  pouvait 
fournir;  il  retrouvait  ensuite  le  sommeil  et  se  reposait  en- 
core suivant  le  besoin.  »  —  Nous  avons  une  preuve  authen- 
tique de  ces  habitudes  de  Bossuet  dans  cette  page  du  Traité 

(I)  'I  y  a  des  cahiers  dont  l'écriture  est  contemporaine  des  Sommaires ^(\ni  sont 
tous  de"  160-2. 

(iJ)  Les  ciiations  innombrables  de  cette  Histoire  n'ont  pu  être  prises  en  défaut 
par  les  intéressés,  parce  que  Bossuet  avait  écrit  des  cahiers  entiers,  encore  sub- 
sistants, d'Extraits  des  auteurs  Protestants. 

(3)  Page  37. 

{i)  Mémoires,  p.  "213. 


52  HOSSUET  ET  LES  SALNTS  PERES. 

de  la  Concupiscence ,  que  M.  Lanson  trouve  «  merveilleuse  », 
comme  «  la  sereine  et  candide  poésie  des  Grecs,  qui  dans 
la  nature  aimaient  surtout  à  exprimer  la  transparence  des 
profondeurs  aériennes  et  l'immortelle  beauté  de  la  lumière 
infinie  (1)  ».  «  Je  me  suis  levé  pendant  la  nuit  avec  David 
«  pour  voir  vos  cieux  qui  sont  les  ouvrages  de  vos  doigts ,  la 
lune  et  les  étoiles  que  vous  avez  fondées  »  :  qu'ai-je  vu ,  ô 
Seigneur!...  Le  soleil  s'avançait  et  son  approche  se  faisait 
connaître  par  une  céleste  blancheur  qui  se  répandait  de 
tous  cùtés;  les  étoiles  étaient  disparues,  et  la  lune  s'était 
levée  avec  son  croissant  d'un  argent  si  beau  et  si  vif  que  les 
yeux  en  étaient  charmés...  :  à  mesure  qu'il  approchait,  je 
la  voyais  disparaître;  le  faible  croissant  diminuait  peu  à 
peu  ;  et  quand  le  soleil  se  fut  montré  tout  entier,  sa  pâle  et 
débile  lumière  s'évanouissant  se  perdit  dans  celle  du  grand 
astre  qui  paraissait,  dans  laquelle  elle  parut  comme  absor- 
bée... Et  la  place  du  croissant  ne  parut  plus  dans  le  ciel, 
où  il  tenait  auparavant  un  si  beau  rang  parmi  les 
étoiles  (2)  !  » 

§  V.  —  Éludes  patristiques  de  Bossuet,  précepteur  du  Dauphin  (1670-1682). 
Les  saints  Pores  au  PelU  Concile. 

Lorsque  Louis  XIV  déclara  dès  les  premières  jours  de 
septembre  1670  au  duc  de  Montausier,  gouverneur  du  Dau- 
phin, qu'il  avait  choisi  (3)  M.  de  Condom  pour  précepteur 
du  royal  enfant  (i)  et  Huet  pour  sous-précepteur,  Bossuet 
objecta  ses  devoirs  d'évèque,  inconciliables  avec  les  fonc- 
tions de  précepteur,  qui  devaient  l'éloigner  de  son  diocèse, 
alors  que  le  Concile  de  Trente  faisait  de  la  résidence  une 

(I)  Bossuet,  p.  ."iO-.-il. 

{■2)  On  comprend,  à  la  lecture  de  cette  page,  que  M.  Lanson  s'écrie  :  «  Faut -il 
après  cela  laire  honneur  au  Vicait-e  Savoyard  d'avoir  inventé  dans  la  littérature 
française  le  lever  du  jour?  » 

(.'<)  Ce  choix  de  Louis  MV  fut  tout  spontané  et  ne  vint  pas  du  duc  de  Montau- 
sier, coniniu  l'a  affu-nié  dans  la  ]'{'(■  de  ce  personnage  le  P.  Le  Petit,  jésuite  : 
Montausier  préférait  Huet. 

('.)  Le  Père  Dom  Denis  de  Sainte-Marthe  disait,  en  l()8."i,  à  Bossuet  dans  VEpiln' 
ilédicnluirc  de  son  Trriilè  de  la  Confession  :  <<  Tant  d'excellentes  qualités  vous 
ont  lait  choisir  par  Louis  le  Grand  pour  le  dépositaire  de  son  plus  précieux  Ire- 
sor,  et  s'il  m'est  permis  de  parler  ainsi.  i)our  le  second  père  d'un  lils  digne  de 
lui  >. 


LES  ÉTUDES  PATKISTIQUES  DE  BOSSUET.  53 

oblig-ation.  Le  roi  comprit  ses  honorables  scrupules;  il  en- 
gagea M.  de  Condoin,  dont  les  bulles  étaient  arrivées  depuis 
la  fin  de  juin,  à  se  faire  sacrer  et  à  suivre  l'inspiration  de 
sa  conscience.  Bossuet  consulta  quatre  docteurs,  dont  l'un 
était  le  coopérateur  du  vénérable  M.  Olier,  Raguier  de 
Poussé  ,  curé  de  Saint-Sulpice,  et  l'autre  l'ami  de  saint  Vin- 
cent de  Paul,  Hippolyte  Ferret,  curé  de  Saint-Nicolas  du 
Chardonnet.  Ils  furent  unanimes  à  déclarer  que  Bossuet  de- 
vait  au  moins  essayer  de  concilier  ses  devoirs  d'évêque  avec 
les  fonctions  si  importantes  pour  le  royaume  et  pour  l'Église 
que  Louis  XIV  voulait  lui  confier.  Le  prélat  répondit  en  ce 
sens  à  Sa  Majesté  qui,  le  jour  même,  le  5  septembre,  le 
nomma  précepteur  du  Dauphin  (1).  Il  ne  devait  entrer  en 
charge  qu'au  mois  de  décembre  suivant;  en  attendant,  il 
fut  sacré  évêque  (2)  le  21  septembre,  à  Pontoise,  en  présence 
de  l'Assemblée  générale  du  clergé  de  France,  qui  y  était 
réunie  depuis  le  mois  de  juin ,  et  dont  l'abbé  de  Fromen- 
tière,  plus  tard  évêque  d'Aire,  se  fit  l'interprète  heureux 
en  disant  à  Bossuet:  «  Il  ne  faudrait.  Monseigneur,  d'autres 
sujets  de  vous  estimer  que  le  choix  que  fait  de  vous  le  roi 
du  monde  le  plus  pénétrant  et  le  plus  judicieux,  pour 
remplir  des  places  aussi  importantes  que  celles  où  il  vous 
élève...  Mais  l'approbation  de  tout  le  royaume  s'est  jointe 
à  celle  du  roi  (3).  » 

Bossuet  prit  possession  de  l'évêché  de  Gondom  le  21  no- 
vembre 1G70;  mais  sa  conscience  l'obligea  à  donner  sa  dé- 
mission, dès  le  mois  de  juillet  suivant  (4).  Il  avait  prêté 
serment  comme  précepteur  du  Dauphin,  le  23  septembre 
1670  (5) ,  et  il  devait  rester  à  la  cour  jusqu'en  février  1682, 

(1)  Le  brevet  royal  n'est  pourtant  que  du  13  septembre.  Le  roi  s'y  félicite  d'a- 
voir «  choisi  le  précepteur  de  son  fils  entre  tous  les  prélats  de  son  royaume  ». 

{'2}  Le  prélat  consccrateur  fut  Cliarles  Maurice  Le  Tellier,  coadjuteur  de  Reims, 
assisté  de  l'évéque  de  Verdun.  Armand  de  Mouchy  d'Hocquincourt ,  ancien  com- 
mensal de  Bossuet  au  doyenné  de  Saint-Tliomas  du  Louvre,  et  de  l'évéque  d'Au- 
tan, de  Roquette,  «  du  clergé  de  M.  le  Prince  ». 

(3)  La  Gazette  de  France  du  HTi  septembre  1070  disait  que  «  l'abbé  de  Fromen- 
tiéres  avait  fait  un  très  beau  discours  sur  le  sujet  de  celte  action  »,  le  sacre  de 
Bossuet. 

(4)  Elle  ne  devint  officielle  qu'après  l'agrément  d'Innocent  XI  et  la  nomination 
de  rahl)é  de  Thorigny  (de  Goyon  de  Matignon)  au  siège  de  Condom  (oct.  1671). 

(o)  En  décembre  1071 ,  Louis  XIV  donna  à  Bossuet  le  prieuré  de  Saint-Étiennc 


54  BOSSUET  ET  LKS  SAINTS  PERES. 

pendant  plus  de  onze  aniv'ics ^  soit  à  titre  de  précepteur, 
jusqu'en  1G80,  soit  à  titre  de  premier  aumônier  de  Madame 
la  Dauphine,  à  partir  de  1680. 

Pendant  ces  onze  années,  Bossuet  fut  «  un  évêque  au  mi- 
lieu de  la  cour  »,  comme  devait  le  dire  plus  tard  xMassillon, 
prononçant  en  1711  l'Oraison  funèbre  de  Monseigneur  le 
Dauphin  (1).  C'est  assez  dire  qu'il  continua  sa  vie  labo- 
rieuse et  édifiante,  que  la  lecture  de  l'Ecriture  sainte  et  l'é- 
tude des  Pères  demeurèrent  sa  passion  favorite. 

Gui  Patin  nous  a  conservé  le  souvenir  (2)  d'un  discours 
prononcé  par  M.  de  Condom,  le  14  décembre  1670,  sur  l'é- 
loquence des  livres  sacrés,  à  l'Académie  Lamoignon,  en 
présence  de  Boileau,  Pellisson,  Fléchier,  Ménage,  Huet, 
Fleury,  Bouhours,  Rapin,  Gilles  Gossart,  Blondel  ,  Baillet, 
Tavernier,  Ducange,  Gui  et  Charles  Patin  et  les  deux  La- 
moignon. Il  aurait  parlé  tout  aussi  savamment  de  l'élo- 
quence des  saints  Pères. 

On  sait  d'autre  part,  par  les  Mémoires  de  l'abbé  Le 
Dieu  (3) ,  «  qu'il  était  alors  appliqué  tout  entier  à  former 
Monseigneur  le  Dauphin  » ,  que  «  l'antiquité  grecque  et 
latine  repassa  sous  ses  yeux,  poètes,  orateurs,  philosophes 
et  historiens  »  ;  «  qu'entre  les  poètes  grecs,  il  ne  s'attacha 
qu'à  Homère  ;  qu'il  le  savait  aussi  bien  que  Virgile  et  Ho- 
race, et  qu'il  en  récitait  des  vers  avec  la  même  facilité  «  ; 
qu'Homère  «  était  un  de  ses  délassements  »  et  que ,  «  tout 
endormi,  il  fit  un  beau  vers  hexamètre  grec  »;  que  «  Vir- 
gile et  Horace  ne  lui  étaient  pas  moins  familiers  »  ;  qu'on 
n'allait  jamais  à  la  campagne  sans  Virgile  ;  «  qu'il  ne  cessait 
de  vanter  la  douceur  de  ses  vers  » ,  et  qu'il  faisait  «  des 
fables  latines  dans  le  goût  de  Phèdre  (4)  ». 

Mais  «  quelque  occupation  que  l'évèque  de  Condom  eût 
à  la  cour,  dans  l'instruction  des  Nouveaux  Catholiques,  avec 

de  Plessis-Grimoult,  prés  de  Caen,  diocèse  de  Rayeux,  un  bcnénce  de  ;>,000  livres. 
Kn  juin  iti'H,  il  le  nomma  encore  titulaire  de  l'abbaye  de  Saint-Lucien  de  Beau- 
vais. 

(1)  Dans  la  Sainte-Chapelle  de  Paris. 

(4)  Lettre  du  15  décembre  KiTO.  —  Voir  aussi  Huet.  liayle,  Floquet. 

(:j)T.  I.  p.  l.>2,  I'p2et  suiv. 

(i)  Ibidim,  p.  I'.l. 


LES  ÉTUDES  PATRISTIQUES  DE  BOSSUET.  55 

son  travail  ordinaire  pour  Monseigneur  le  Dauphin  »,  avec 
«  ses  occupations  extérieures  et  de  grand  éclat  (i)  »,  «  il 
s'en  faisait  de  particulières  avec  ses  amis,  qui  n'étaient  ni 
moins  édifiantes,  ni  moins  utiles  ».  «  Il  lui  vint  cette  bonne 
pensée  de  faire  entre  eux,  en  commun,  une  lecture  publi- 
que de  l'Écriture  sainte,  où  chacun  fournirait  ce  que  Dieu 
lui  donnerait.  »  Le  dessein  «  fut  exécuté  pour  la  première 
fois  à  Saint-Germain,  en  1673,  un  premier  dimanche  de 
l'Avent,  après  le  sermon,  pour  tenir  lieu  des  vêpres,  qui 
ne  se  disaient  pas  au  château...  Quelqu'un  dit  :  Ceci  fst  un 
Concile;  et  depuis,  on  a  toujours  ainsi  nommé  cette  assem- 
blée, qui  parut  encore  plus  vénérable  par  ce  beau  nom.  » 
C'était  trop  peu  de  parler  de  la  Bible,  d'haïe,  par  lequel 
on  commença,  du  Pentateuque ,  de  Job ,  des  Psaumes ,  des 
Cantiques,  des  Prophètes,  sous  les  ombrages  de  Saint-Ger- 
main,  ou  à  Versailles,  dans  la  célèbre  «  allée  des  Philoso- 
phes »  :  on  se  réunissait  à  jours  fixes  «  chez  M.  de  Condom  » 
et  «  il  y  avait  aussi  à  diner  pour  ceux  à  qui  leurs  emplois 
permettaient  de  faire  au  prélat  l'honneur  de  prendre  place 
à  sa  table  ».  Le  -Concile  était  brillamment  composé  de  Pères 
laïques,  comme  La  Bruyère,  Pellisson,  Caton  de  Court,  Cor- 
demoy,  le  comte  de  Troisville ,  le  maréchal  de  Bellefonds; 
de  rabbins,  ainsi  qu'on  appelait  les  Orientalistes,  Eusèbe 
Renaudot,  Barthélémy  d'Herbelot,  les  deux  frères  Veil,  Ni- 
colas Thoynard;  et  de  théologiens,  d'érudits,  comme  Huet, 
Fénelon,  Gallois,  Mabillon,  enfin  l'abbé  Fleury,  secrétaire, 
et  Bossuet,  président,  àme  du  Concile  :  tous  les  amis  du 
prélat  lui  avaient  décerné  le  nom  de  Père  grec  (2).  «  C'est 
l'ouvrage  de  plusieurs  siècles,  que  de  joindre  ensemble, 
une  seconde  fois,  un  aussi  grand  nombre  d'hommes  extra- 
ordinaires. » 

Dans  une  réunion  si  pieuse  et  si  savante ,  les  saints  Pères 
ne  pouvaient  être  oubliés  :  on  les  citait  comme  des  oracles. 
«  On  avait  recours  à  saint  Jérôme  et  aux  plus  célèbres  com- 
mentateurs... M.  de  Condom  consultait  les  saints  Pères  avec 

(I)  T.  I,  p.  165-1C<Î-I67. 

(-2)  Lettre  de  l'abbé  Le  Dieu.  5  nov.  ififKî,  citée  par  Floquet,  t.  I,  p.  237. 


56  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

les  plus  habiles  interprètes ,  et  sans  même  oublier  les  cri- 
tiques [i).  »  Ceux  qui  ont  vu  la  célèbre  Bible  du  Concile, 
annotée  par  Bossaet  lui-même  et  par  l'abbé  Fleury  sous 
la  dictée  de  Bossuet,  affirment  «  quiuie  foule  de  Pères  y 
sont  cités,  spécialement  saint  Jérôme  et  Théodoret  (2)  ». 

§  VI.  —  Los  saints  Pères  dans  les  discours  et  les  autres  œuvres 
de  Bossuet,  précepteur  du  Dauphin. 

Les  ouvrages  composés  par  Bossuet  à  cette  époque  (1G70- 
1G82)  attestent  qu'il  se  nourrissait  de  plus  en  plus  de  la 
lecture  des  saints  Pères. 

Les  années  consacrées  au  préceptorat  du  Dauphin  furent, 
au  point  de  vue  de  la  prédication,  des  ((  années  d'un  per- 
pétuel silence  »,  à  peine  interrompu  par  cinq  discours  très 
remarquables  qui  nous  sont  parvenus  et  deux  ou  trois  al- 
locutions perdues  (3).  —  Les  cinq  Sermons  qui  nous  restent 
sont:  celui  de  la  Pentecôte,  5  juin  1672,  dont  l'abbé  Le 
Dieu  nous  «  raconte  l'eCPet  merveilleux  à  Saint-Germain, 
en  présence  de  la  reine  (le  roi  étant  à  sa  campagne  de  Hol- 
lande),  oiî  ce  prélat  (Bossuet)  attendait  son  auditoire  jus- 
qu'à lui  faire  répandre  des  larmes  de  joie,  en  expliquant 
les  dons  du  Saint-Esprit  (4)  »  ;  celui  de  la  Profession  de 
M^'°  de  la  Vallière  (/^  juin  1675)  (5),  dont  M"'=  de  Sévigné, 
qui  n'en  parlait,  il  est  vrai,  que  par  ouï  dire,  écrivait  à  tort 
à  sa  fille  qu'il  n'avait  pas  été  «  aussi  divin  qu'on  l'espé- 
rait »;  celui  de  Pâques  1681,  quatrième  des  éditions  or- 
dinaires; le  fameux  discours  sur  r Unité  de  l'Eglise  et  le 
Sermon  de  Vêlure  de  iMarie-Anne  de  Saint-François  Bailly 
(5  décembre  1681). 

Dans  ces  cinq  discours,  on  relève  quatorze  citations  de  saint 

(1)  Mémoires  de  Le  Dieu.  I.  I,  p.  Kid-ltiK. 

(2)  Ce  sont  les  paroles  du  P.  de  la  Broisc,  écrivant  à  l'auteur  de  ce  travail,  le 
7  février  18!»2. 

Ci)  Il  s'agit  des  Exhortations  prononcées  le  jour  de  la  première  Communion  du 
Dauphin  (Noël,  1074)  et  d'une  allocution  aux  liahitants  de  Grandvilliers  (diocèse 
,  de  ISeauvais),  après  l'incendie  de  ce  bourg  (sept.  IG80). 

(4)  Mr7noi7T.1,   t.   1,   J).  Km. 

(.■>)  Uossuet  y  dit  dans  l'cxorde  :  «  .le  romps  un  silence  <lc  tant  d'années,  je  lais 
entendre  une  voix  que  les  chaires  ne  connaissent  plus.  •' 


LES  ÉTUDES  PATRISTIQUES  DE  BOSSU  ET.  57 

Augustin,  cinq  du  «  docte  Tertullien,  ce  grand  homme»; 
cinq  de  saint  Bernard,  trois  de  saint  Grégoire  le  Grand, 
deux  de  saint  Irénée,  deux  de  saint  Cyprien,  deux  de  saint 
Optât,  une  de  saint  Jean  Chrysostome,  d'Origène,  de  saint 
Théodoret,  de  saint  Pierre  Chrysologue,  de  saint  Léon, 
d'Eusèbe  de  Césarce,  de  saint  Hilaire  de  Poitiers,  «  du 
grand  saint  Prosper  »,  de  saint  Grégoire  de  Nazianze,  «  du 
grand  pape  Innocent  I"  ».  On  y  remarque  surtout  des 
noms  de  Pères  dont  Bossuet  n'avait  pas  encore  invoqué  le 
témoignage  :  saint  Jean  Climaque,  «  le  grand  Cyrille  de 
Jérusalem  »,  saint  Yves  de  Chartres,  saint  Césaire  d'Arles, 
saint  Avile,  «  ce  docte  et  saint  évêque  de  Vienne,  ce  grave 
et  éloquent  défenseur  de  l'Église  romaine  »,  saint  Rémi, 
et  Hincmar,  archevêque  de  Reims.  Bossuet  cite  encore  dans 
son  Sermon  sur  r Unité  de  l'Église ,  qui  est  un  véritable  mo- 
nument de  science  et  d'érudition,  les  papes  Ânastase  II,  Pe- 
lage II,  Adrien  \%  Alexandre  III,  Innocent  III,  Grégoire  IX, 
Urbain  VI ,  Pie  II ,  les  Capitulaires  de  Charlemagne  et  de 
Louis  Le  Pieux,  les  Lettres  d'Henri  II  d'Allemagne  et  d'Ed- 
gar d'Angleterre,  enfin,  un  nombre  infini  de  Conciles,  tant 
généraux  que  particuliers,  en  qui  il  voit  comme  dans  les 
Pères  les  organes  de  cette  Tradition,  dont  il  est  le  défen- 
seur jaloux,  «  l'Afrique,  les  Gaules,  la  Grèce,  l'Asie,  l'O- 
rient et  l'Occident  unis  ensemble  (1).  » 

Certes,  jamais  aussi  Bossuet  n'avait  tant  mis  à  contribu- 
tion dans  ses  discours  les  œuvres  des  saints  Pères. 

Il  invoquait  encore  leur  témoignage  à  la  même  époque 
dans  ses  travaux  de  controverse  :  —  V  Exposition  de  la 
doctrine  de  l Église  catholique ,  dont  la  première  édition 
parut  à  la  fin  de  1671  (2)  et  la  seconde  en  1679  avec  un 
Avertissement  «  très  notable  (3)  »,  où  l'on  remarque,  outre 

fl)  Sermon  xiir  rUnitc  de  l'Église,  premier  point,  versus  médium,  t.  VII,  p.  88(» 
de  l'édition  Bloud  et  Barrai. 

(2)  On  sait  que  VExposition  avait  circulé  d'abord  en  manuscrit,  de  la  fin  de  I(î(i8 
à  ItiTl.  ébranlant  Paul  Ferry,  ramenant  le  marquis  de  Courcillon.  de  Dangeau,  Tu- 
renneet  ses  neveux,  le  comte  de  Lorge  et  le  comte  de  Rozan.  Bossuet  ne  la  publia 
que  parce  que  deux  minisires  protestants,  Jean  Baillé  et  Philippe  du  Bosc,  l'avaient 
attaquée.  (|uoique  inédite  encore. 

(3)  Le  mot  est  de  Floquet  :  Bossuet  précepteur,  p.  ^i. 


58  BOSSUET  ET  LES  SAIiNTS  PERES. 

une  foale  de  citations  des  Conciles  anciens  et  modernes,  des 
passages  de  «  saint  Athanase  (1)  et  saint  Hilaire  (2),  les  deux 
plus  illustres  défenseurs  de  la  foi  de  Nicée  »  (3),  de  saint  Au- 
gustin, dont  le  nom  revient  souvent  (iv,  à  plusieurs  repri- 
ses, VI,  vil),  et  les  noms  de  saint  Basile,  saint  Ambroise, 
saint  Jérôme,  saint  Jean  Chrysostome ,  saint  Grégoire  le 
(irand,  et  plusieurs  autres  «  grandes  lumières  de  l'anti- 
quité »  ;  et  surtout  saint  Grégoire  de  Nazianze,  qui  est  ap- 
pelé «  le  Théologien  par  excellence  (III)  »;  —  la  Conférence 
avec  M.  Claude,  ministre  de  CJiarenton,  sur  la  matière  de 
r Église,  «  conférence  fameuse  dont  l'Église,  dont  le  monde 
ont  retenti  (4)  »,  dont  Fénelon  disait,  en  1705,  que  c'était 
<(  l'ouvrage  le  plus  célèbre  que  Bossuet  eût  composé  dans 
sa  vie  tout  entière  (5)  »,  et  dont  la  Relation,  «  faite  sur 
l'heure  (6)  »  par  le  grand  évèque  (commencement  de  mars 
1678),  quoiqu'elle  n'ait  paru  qu'en  1682,  contient  des  allu- 
sions aux  divers  Conciles  contre  les  Ariens,  et  à  l'autorité 
de  «  saint  Athanase ,  de  saint  Basile ,  de  saint  Grégoire  de 


(1)  Saint  Athanane  (291-373),  né  à  Alexandrie,  fut  élu  par  le  peuple  patriarche 
de  cette  ville,  après  avoir  mené  la  vie  ascétique  auprès  de  saint  Antoine  et  rédige 
en  partie  les  décrets  de  Nicée.  Ses  combats,  son  génie  servirent  plus  à  l'agrandis- 
sement du  ciiiistianisme  que  toute  la  puissance  de  Constantin.  Cet  homuie  lutta 
tour  à  tour  contre  les  païens,  les  sectaires,  les  évéques  jaloux  de  sa  gloire,  les 
empereurs  (Constantin,  Constance,  Julien,  Valens)  ofl'ensés  de  son  altière  indé- 
pendance; et  dans  cette  orageuse  carrière  (Il  fut  chassé  cinq  fois  violemment  de 
son  siège  patriarcal)  pas  un  moment  de  repos,  ou  de  faiblesse.  Un  de  ses  retours 
à  Alexandrie,  sous  Julien,  fut  en  Egypte  une  fête  telle  que  l'empire  romain  n'en 
connaissait  plus,  depuis  l'abolition  des  triomphes.  —  J>es  Œuvres  de  saint  Atha- 
nase ont  été  publiées  par  Montlaucon  avec  une  traduction  latine,  Paris,  3  vol., 
1098.  «  C'est  le  dialecticien  des  mystères,  dit  Villemain...  I/intrépidi;,  le  magna- 
nime Athanase  »  a  un  a  génie  précis  et  impérieux...  On  dirait,  à  l'entendre,  un 
législateur  plutôt  qu'un  apôtre,  tant  il  analyse  et  discerne  avec  une  subtile  ri- 
gueur les  élémenls  de  la  croyance  dont  il  éclaire  les  âmes  »...  C'est  le  grand  doc- 
teur de  la  foi...  Il  semble  qu'il  ne  veut  pas  être  un  orateur,  mais  le  dépositaire 
impassible  de  la  vérité.  Sa  puissance  et  sa  gloire  sont  placées  plus  haut  que  les 
tribunes  de  la  terre.  » 

(-1)  Saint  IlHairc  de  Poitiers  (300?  —  3(i7),  né  de  iiarents  nobles,  mais  païens. 
se  convertit  à  la  foi  catholique  dont  il  devint  le  défenseur  intrépide  contre  les 
Ariens,  après  son  élévation  à  l'épiscopat  vers  330.  Orach;  des  conciles  de  Milan, 
de  Béziers,  de  Séleucie,  pendant  son  exil  en  Phrygie,  il  a  laissé  des  Traités  (de 
la  Trinité,  des  Synodes,  sur  saint  Matthieu),  qui  i'ont  fait  surnommer  par  saint 
Jérôme  le  Rhône  de  l'éloquence  latine.  U  a  été  l'Athanase  de  l'Église  d'Occident. 

(3)  AvertisKrment. 

('*)  Ce  sont  les  paroles  de  l'abbé  Anselme  dans  VOraison  funèbre  du  maréclial 
rie  I.orge,  il  novembre  1703. 

(■>)  Instruction  pastorale  sur  le  cas  de  conscience.  20  avril  170:i. 

((i)  I'"lo(|uet  :  Bossuet  précepteur,  p.  380.  —  Voir  aussi  l'Avertissement  de  la  Con- 
férence. 


LES  ÉTUDES  PATRISTIQUES  DE  lîOSSUET.  59 

Naziaiize,  de  tant  d'autres  saints  évèques  »,  d'Origène,  de 
Justin  Martyr,  de  saint  Ambroise,  de  saint  .lérôme,  de  saint 
Chrysostome ,  de  saint  Aui;ustin,  avec  lesquels  «  nous  avons 
treize  cents  ans,  de  l'aveu  de  notre  adversaire,  pour  la 
prière  des  saints  et  pour  Tlionneur  des  reliques  (1)  ». 

Les  œuvres  pédagogiques  de  Bossuet  (2),  le  Traité  de  la 
connaissance  de  Dieu  et  de  soi-même,  publié  après  sa  mort, 
en  1722  (3);  la  Logiqiw  (1828)  (4),  le  Traité  des  cau- 
ses (5),  le  Traité  du  liljre  arbitre  (6),  V Histoire  abrégée  de 
France  (7),  le  Discours  sur  lliistoire  universelle  (mars  1681) 
et  la  Politique  tirée  des  propres  paroles  de  T Écriture  sainte, 
parue  en  1709,  ne  comportaient  pas,  semble-t-il,  de  nom- 
breuses citations  des  saints  Pères.  —  Néanmoins,  Bossuet, 
débordant  en  quelque  sorte  «  des  belles  paroles  »  des  Doc- 
teui*s  de  l'Église,  les  fait  intervenir  à  chaque  instant,  jus- 
que dans  sa  Logique,  où  il  invoque  six  fois  saint  Aug"ustin  et 
ses  ouvrages  De  Magistro,  de  Vera  Religione,  De  Cici- 
tate  Dei,  etc.  —  Le  Traité  de  la  Connaissance  de  Dieu 
et  de  soi-mémr  cite  plusieurs  fois  «  saint  Thomas  et  les  au- 
tres docteurs  de  l'Ecole  »,  à  propos  de  l'âme  des  bètes  et  de 
l'immortalité  de  l'àme  (chap.  v).  Une  note  relevée  dans  le 
manuscrit  de  Bossuet  (chap.  iv")  signale  une  démonstration 
oubliée  de  saint  Augustin,  Boèce  et  saint  Thomas  ».  — 
Dans  le   Traité  du   libre  arbitre ,  saint  Augustin  est  cité 


(I)  Bossuet  cite  encore,  vers  la  fin  de  sa  Relation  [suite  de  la  Conférence),  deux 
textes  importants  de  saint  Augustin  et  de  Tertullien. 

("2)  Nous  ne  pailons  ni  de  la  Grammaire  lat.i/ie,  composée  par  Bossuet  pour  le 
Dauphin  et  recopiée  en  IWtO  pour  le  duc  de  Bourgogne,  ni  d'une  Prosodie  perdue, 
ni  des  Modèles  d'('critii,re  pour  le  Dauphin,  une  trentaine  de  phrases,  publiées 
pour  la  première  fois  en  1881  par  M.  Aug.  L.  Ménard  [Œuvres  inédites  de  Bossuet, 
t.  l,  Préface  XLV  et  suivantes),  ni  des  Sentences  pour  M^''  le  Dauphin  choisies  par 
AP'  l'évéqve  de  Condom  ,  au  nombre  de  109,  55  tirées  des  philosophes  et  historiens 
grecs  ou  de  Cicéron,  et  54  de  la  Bible. 

(3)  Il  fut  alors  attribué  à  Fénelon.  il  reparut  en  1741  sous  le  nom  de  son  auteur, 
mais  plus  altéré  et  plus  défiguré  qu'en  1722.  l.'abi)é  Pérau  en  1743  et  les  éditeurs 
de  Versailles  en  1818  reproduisirent  ce  texte  fautif.  C'est  à  l'abbé  Caron,  de  Saint- 
Sulpice,  que  revient  l'honneur  d'avoir  donné  en  1846  la  première  édition  exacte 
de  ce  chef-d'œuvre. 

(4)  C'est  Flo(|uet  qui  l'a  publiée. 

(5)  C'est  Nourrisson  qui  l'a  édité  d'après  une  copie  de  Floquet. 

(6)  Il  a  été  publié  en  1731,  par  le  neveu  de  Bossuet,  évoque  de  Troyes. 

(7)  Elle  fut  publiée  en  1747,  sous  le  nom  du  Dauphin;  mais  Bossuet  s'en  était 
déclaré  l'auteur  dans  la  Controverse  du  quiotismc  :  Remarque  sur  In  Réponse  d'- 
Aï, de  Cambrai  à  la  Relation. 


60  BOSSLliT  ET  LES  SAINTS  PERES. 

chap.  m,  IV,  v,  surtout  à  propos  de  la  prescience  divine  ,  et 
Bossuet  défend  Topinion  de  saint  Thomas,  le  Docteur  an- 
gélique ,  dite  de  la  prémotion  ou  prédéterminât  ion  physi- 
que. —  Le  Discours  sur  T Histoire  universelle ,  qui  renferme 
tant  de  citations  d'auteurs  profanes  et  des  textes  de  tous 
les  historiens  grecs,  latins  et  juifs,  comme  Josèphe  et 
Philon ,  fait  une  large  part  aux  Pères  de  l'Église  :  on  y  ren- 
contre plus  de  vingt  fois  le  nom  d'Eusèbe  de  Césarée,  treize 
fois  celui  de  saint  Augustin ,  dix  fois  celui  de  Tertullien , 
neuf  fois  celui  d'Origène,  six  fois  celui  de  saint  Irénée, 
cinq  fois  celui  de  Lactance,  quatre  fois  celui  de  saint  Jérôme, 
trois  fois  celui  de  saint  Justin  et  celui  de  saint  Grégoire 
de  Nazianze ,  deux  fois  celui  de  saint  Jean  Chrysostome  et 
de  saint  Épiphane ,  une  fois  celui  de  saint  Basile,  de  saint 
Âtlianase,  de  saint  Grégoire  le  Grand,  de  saint  Cyprien, 
d'Arnobe,  de  saint  Théodoret,  de  saint  Denis  d'Alexandrie 
et  de  Grégoire  de  Tours.  —  Dans  la  Politique  tirée  des  pro- 
pres paroles  de  V  Écriture  sainte,  saint  Ambroise  est  cité 
douze  fois,  saint  Augustin  dix  fois,  Tertullien  sept  fois, 
saint  Irénée  deux  fois,  saint  Grégoire  le  Grand,  saint  Jé- 
rôme, Grégoire  de  Tours,  Eusèbe,  Lactance,  saint  Denis 
l'Aréopagite,  «  le  docte  et  pieux  Gerson  »  une  fois;  de  plus, 
au  liv.  VII,  Bossuet  énumère  tous  les  Pères  des  Gaules  de- 
puis saint  Pothin  et  saint  Irénée,  jusqu'à  saint  Hilaire,  saint 
Martin,  saint  Rémi,  saint  Avite,  qui  ont  cru  à  la  primauté  de 
rÉglise  romaine,  et  tous  les  Papes  qui,  comme  Anastase  II, 
Pelage  II,  Paul  I",  Alexandre  III,  ont  rendu  hommage  à  la 
foi  catholique  des  Français  et  de  leurs  rois.  —  Enfin,  nous 
savons  parla  célèbre  lettre  de  Bossuet  à  Innocent  XI,  De  his- 
titutione  Delphini ,  8  mars  1679,  que  Tillustre  précepteur, 
s'il  n'expliquait  pas  à  son  royal  élève  les  ouvrages  des 
Pères,  comme  la  Bible,  surtout  V  Evangile,  les  Actes^  des 
Apôtres  et  les  Épitrcs  de  saint  Paul,  lui  faisait  apprendre  les 
actes  des  Martyrs  les  plus  illustres  et  les  Vies  des  Pères , 
Vitas  Patrum. 

On  peut  donc  dire  en  toute   vérité  que  Bossuet  et  les 
.saints  Pères  étaient  inséparables  à  l'époque  du  préceptorat 


LES  ÉTUDES  PATRISTIQLES  DE  BOSSUET.  61 

du  Dauphin,  comme  à  l'époque  de  Navarre,  de  Metz  et  de 
la  prédicatiou  à  Paris. 


ARTICLE  V 

Études  patristiques  de  Bossuet  à  Meaux 
'8  février  1682  -  12  avril  1704  . 

L'épiscopat  de  Bossuet  dura  vingt-deux  à  vingt-trois  ans 
et  le  vit  mêlé  aux  plus  grandes  affaires  —  soit  dans  son  dio- 
cèse, où  la  prédication  de  la  parole  de  Dieu  était  sa  grande 
occupation  (1),  avec  l'instruction  et  la  conversion  «  des 
frères  errants  »  ou  des  nouveaux  catholiques  (i2) ,  et  avec 
les  soins  de  prédilection  qu'il  croyait  devoir  aux  âmes  pures 
et  ferventes  qui  s'étaient  spécialement  consacrées  à  Dieu 
dans  la  vie  rehgieuse  (3 1  ;  —  soit  en  dehors  de  son  diocèse, 
au  sein  des  Assemblées  du  clergé  de  France,  dont  il  fut,  la 


(I)  Nous  savons  par  l'abbé  Le  Dieu,  Mémoires,  p.  18-2,  que  Bossuet,  ayant  pris 
possession  le  dimanche,  8  février  l(i8-2,  de  l'évêclie  de  Meaux,  auquel  il  avait  été 
nommé  le  -2  mai  l(j8l  et  préconisé  le  1"  novembre,  prêcha  dans  sa  cathédrale  dès 
le  mercredi  suivant,  jour  des  Cendres,  et  «  déclara  qu'il  se  destinait  tout  à  son 
troupeau  et  consacrerait  tous  ses  talents  à  son  instruction.  Il  s'engagea  «  à  prêcher 
toutes  les  fois  qu'il  oflicierait  pontilicalemcnt  el  jamais  aucune  affaire,  quelque 
pressée  qu'elle  fût,  ne  l'empêcha  de  venir  célébrer  les  grandes  letes  avec  son 
peuple, et  leur  annoncer  la  sainte  parole.  »  —Ce  témoignage  est  confirme  par  celui 
de  Rochard,  lieutenant  des  chirurgiens  du  roi ,  à  Meaux,  dans  son  Journal  histo- 
ritjue  ou  Grand  Recueil,  dont  le  prieur  de  Saint-laron,  Dom  René  Gillot,  nous  a 
conservé  ce  qui  concerne  la  prédication  du  grand  orateur,  et  par  celui  de  Rave- 
neau,  curé  de  Saint-Jean  les  Deux-Jumeau\.  qui  ne  va  malheureusement  que  jus- 
qu'en ItMiS.  Bossuet.  d'ailleurs,  a  tenu  admirablement  sa  promesse,  et  M.  l'abbé 
l.ebarri  a  relevé  la  mention  ou  même  l'analyse  de  plus  de  trois  cents  discours  ou 
exhortations,  prononcés  en  vingt-deux  ans  d'épiscopat. 

{•2)  M.  l'abbé  Lebarq ,  dans  son  Histoire  critique  de  la  Prédication  de  Bossuet, 
deuxième  partie,  chap.  ni,  p.  Si'i-S-i",  signale  les  nombreuses  missions  que  Bos- 
suet filou  fit  faire  soit  pour  les  anciens,  soit  pour  les  nouveaux  catholiques,  dans 
sa  ville épiscopale  et  dans  les  paroisses  du  diocèse,  avant  et  après  Iol Révocation 
de  l'édit  de  Nantes  (-20  octobre  U»:i).  Ces  missions  sont  celles  de  Meaux  (lti84),de 
Coulommiers  (I08.">).  de  la  Ferté-sous-Jouarrc,  de  Lizy.  de  Nanteuil-les-Manteaux, 
(IG8,'>),  de  Claye.  de  Mesnil-Amelot  (KiSii),  de  Nanteuil-le-Haudouin  (  168"  ).  de 
Joui-le-Chatel,  de  Crouy  (l(j88),  de  Bouleurre,  de  Silly  (168!»),  de  Meaux  (l(iO-2).  de 
Faremoutiers  (1000). 

(3)  Il  faut  voir  les  visitandines  de  Meaux  exprimer  dans  leurs  Mémoires  leur 
reconnaissance  et  leur  admiration  pour  ce  prélat ,  qui  s'était  élevé  si  haut  dans 
l'estime  de  son  siècle  «  par  la  sublimité  de  sa  science  et  par  son  génie  prodigieux  », 
et(iui.  pourtant.  «  semblait  venir  du  fond  d'un  désert  pour  apprendre  à  aimer 
Dieu  souverainement  et  à  mépriser  le  monde  et  ses  maximes  •.  Que  de  sermons 
de  vêture,  d'allocutions,  d'exhortations,  do  conférences,  d'élérations  Bossuet 
jjrononça  à  Meaux,  à  Jouarre ,  à  Faremoutiers.  à  Coulommiers.  à  Collinances,  à 
Rosoy,  à  Crécy,  à  Pont-aux-Dames .  et  même  à  Paris,  aux  Carmélites,  aux  Béné- 
dictines, à  Torcy.  à  l'Hôtcl-Dieu.  etc.: 


62  BOSSL'ET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

gloire  et  l'oracle,  sinon  en  1682  (1),  du  moins  en  1700  (2)  ;  — 
soit  dans  les  discussions  avec  les  protestants  de  France  (3  , 
d'Allemagne  (V j  et  d'Angleterre  (5},  discussions  que  Bossuet 
dirigeait  comme  «  le  grand  maître  dans  l'art  de  combattre 
les  hérésies  (6),  »  le  docteur  «  tout-puissant  dans  la  dispute 
et  à  qui  il  était  impossible  d'échapper  »  i7) ,  ainsi  que  par- 
laient les  catholiques,  ou  comme  «  le  plus  à  redouter  de 
tous  les  controversistes  pour  la  Réforme  (8)  »  ,  «  le  plus 
dangereux  ennemi  »  des  Protestants  (9  ) ,  ainsi  que  le  re- 
connaissaient Basnag'e  et  Jacques  Spon;  —  soit  enfin,  à  l'é- 


(I)  L*attitude  de  Bossuet  dans  la  fameuse  assemblée  de  lnHi  lui  a  valu  de  nombreu- 
ses attaques  de  la  part  de  l'abbé  Rolirbacher,  de  l'abbé  Réaume.  etc.  —  Ils  oublient 
que  l'évcque  de  Meauv  empêcha  alors  un  schisme,  une  rupture  de  l'Église  de 
France  avec  l'Église  romaine,  schisme  et  rupture  dont  ne  s'eirrayaient  nullement 
des  prélats  courtisans,  comme  M.  de  Harlay,  archevêciue  de  Paris,  Le  Tellier,  ar- 
chevêque de  Reims ,  de  Choiseul,  évêque  de  Tournay,  etc.  Ils  en  auraient  même  pris 
l'initiative,  et  c'est  pour  les  en  empêcher  que  Bossuet  rédigea  la  déclaration  du 
19  mars  l(i8-2  au  lieu  et  place  de  M.  de  Tournay,  qui  niait  l'indéfeclibilité  et  du  Pape 
et  de  l'Église  elle-même. 

Ci)  Il  fut  mis  à  la  têie  de  la  commission  chargée  d'examiner  162  propositions, 
qui  furent  réduites  d'abord  à  M't.  puis  à  1-2"  :  quatre  étaient  jansénistes,  cincf 
pélagieunes  ou  semi-pélagiennes,  et  les  autres  résumaient  la  morale  relâchée.  Bos- 
suet rédigea  le  rapport  sur  ces  pi-opositions  avec  tant  de  précision  et  de  clarté 
que  six  jours  suflirent  à  l'assemblée  pour  se  mettre  en  état  de  prononcer  son  ju- 
gement. Ce  jugement  fut  porté  à  l'unanimité,  malgré  les  divergences  d'opinion 
des  evê(iues.  «  C'est  peut-être,  dit  le  cardinal  de  Baussct,  une  des  circonstatices 
de  la  vie  de  Bossuet,  où  il  montra  avec  plus  d'éclat  combien  il  était  supérieur  à 
toutes  les  petites  passions,  qui  dégradent  trop  souvent  des  hommes  et  des  carac- 
tères d  ailleurs  estimables.  »  (Histoire  de  Bossuet ,  liv.  XI,  il.) 

(3)  Bossuet  publia  contre  eux,  après  la  Conférence  avec  M.  Claude,  les  Réflexions 
sur  un  écrit  <le  M.  Claude,  le  Traité  de  la  Communion  sous  les  deux  espèces,  la 
Tradition  défendue  sur  lu  matière  de  la  communion  sous  une  espèce ,  Explication 
de  quelques  difficultés  sur  les  prières  de  la  messe,  à  un  nouveau  catholique,  l'His- 
toire des  Variations  (I<i88),  la  Défense  de  l'Histoire  des  Variations ,  16!>l ,  et  les  six 
Avertissements  aux  Protestants,  1089-i)l. 

(4)  Bossuet  fut  consulté  par  le  pape  Clément  XI  sur  un  projet  de  réunion  des 
Luthériens  à  l'Église  catholique,  il  y  a  dans  ses  Œuvres,  à  cote  des  Pièces  concer- 
nant un  projet  de  réunion  des  protestants  de  France,  un  Recueil  de  dissertations  et 
de  lettres,  composées  dans  la  vue  de  réunir  les  Protestants  d'Allemagne  de  la  Con- 
fession d'Augsbourg  à  l'Église  catholique,  des  Règles  à  ce  sujet,  un  Projet  de  réu- 
nion, etc.  —  Ou  connaît  la  Correspondance  échangée  à  ce  i)ropos  entre  Bossuet  et 
Leibniz,  qui  y  renonça  pour  des  motifs  politiques,  afin  de  ne  pas  compromettre 
les  droits  de  la  maison  de  Hanovre  au  trône  d'Angleterre. 

(.'))  Dans  les  |)icces  justilicatives  qui  accompagnent  le  livre  Vil  de  son  Histoire  de 
Bossuet,  le  cardinal  de  Bausset  montre  comment  Bossuet  convertit  des  protestants 
illustres,  entre  autres  niilord  Perth,  grand  chancelier  d'Ecosse  {lG8.";),et  milord 
Lovât,  gentilhomme  écossais  (ITOH). 

(0)  c'est  l'évêque  de  Saintes.  Guillaume  du  Plessis  Geste  de  la  Brunetière  qui 
parle  ainsi  dans  {'approbation  du  livre  de  l'abbé  de  Cordemoy  :  Éternité  des  peines 
de  l'enfer,  l(>!>7. 

'')  Saurin,  ïilogc  de  M.  l'évêque  de  Meaitx,  Journal  des  Savants,  8  sept.  1704. 

(8)  Cet  aveu  de  Basnage  est  rapporté  par  l'abbé  d'Artigny  dans  ses  Nouveaux 
Mémoires  ;  1 749. 

(9)  Lettre  de  .Jacques  Si)on  à  l'abbé  Nicaise.  1 1  avril  l(i,"<l. 


LES  ÉTUDES  PATRISTIQUES  DE  BOSSUET.  Gâ 

poque  des  débats  passionnants  de  la  querelle  douloureuse 
du  Quiétisme  (1)  et  des  longs  démêlés  avec  Richard  Si- 
mon (2  ,  ou  avec  le  P.  Quesnel,  de  l'Oratoire  (3). 

Malgré  tant  de  travaux,  écrasants  pour  tout  autre  que 
pour  un  Bossuet,  le  grand  évèque  de  Meaux  ne  se  lassait  pas 
d'étudier  les  saints  Pères  avec  une  véritable  passion. 

En  effet,  Le  Dieu  nous  affrme  que  Bossuet,  «  pendant 
toute  sa  vie,  et  encore  l'été  de  1703  »  ,  après  sa  fièvre  du 
mois  d'août,  se  rendait  à  la  cour  pour  y  continuer  avec 
ses  amis,  les  Pères  du  Concile,  leurs  études  à  la  fois  bibli- 
ques et  patristiques.  «  C'était  un  bel  exemple,  surtout  à 
Versailles,  où  cette  troupe  se  faisait  remarquer  davantage 
dans  le  petit  parc ,  dans  l'allée  qu'ils  avaient  nommée  des 
Philosophes ,  dans  l'île  Royale  et  ailleurs.  Ce  vieillard  ,  vé- 
nérable par  ses  cheveux  blancs,  dont  le  mérite  et  la  dignité, 
joints  à  tant  de  bonté  et  de  douceur,  lui  attiraient  les  res- 
pects des  petits  et  des  grands,  dès  qu'il  se  montrait,  mar- 
chait à  la  tête ,  résolvant  les  difficultés  qui  se  proposaient 
sur  la  sainte  Écriture,  expliquant  un  dogme,  traitant  un 
point  d'histoire,  une  question  de  philosophie.  Avec  une  po- 
litesse charmante,  il  y  avait  une  entière  liberté  :  on  y  par- 
lait de  tout  indifféremment  et  sans  contrainte;  les  belles 
lettres  y  étaient  honorées  par  le  récit  des  plus  beaux  en- 
droits des  poètes  anciens  i et  modernes;  on  y  lisait  aussi 
des  discours  académiques  et  autres  ouvrages  nouveaux.  Lui- 
même,  ce  grand  homme,  toujours  naturel,  simple  et  mo- 
deste jusqu'à  la  fin,  faisait  lire  ses  propres  ouvrages  à  la 

(i)  Celte  querelle,  sur  laquelle  on  a  tant  écrit,  dura  de  l()!)7a  16!»o,  époque  de  lu 
condamnation  des  Maximes  des  Saints,  ou  plutôt  Jusqu'en  1700,  où  Bossuet  fit  à 
l'Assemblée  du  clergé  le  rapport  de  tout  ce  qui  s'était  passé  dans  l'affaire  du  Quié- 
tisme. Bossuet  était  convaincu  •  qu'il  y  allait  de  toute  la  religion  ».  De  là  son  ar- 
deur, qu'on  a  trouvée  excessive.  Mais  elle  lut  excitée  par  les  faux-luyanls  de 
Fénelon  ;  d'ailleurs ,  Bossuet  lit  des  avances  [)our  se  réconcilier  avec  lui ,  des  KiOît. 

("2)  C'est  le  1'.  de  la  Broise  qui,  dans  Bossuet  et  la  Bible,  a  le  mieux  raconté  la 
l)olémique  de  Bos<uet  de  Richard  Simon.  Elle  commeuça  en  1C78,  où  Bossuet  lit 
sup()rimcr  VUistoire  critique  du  Vieux  Testament.  Elle  reprit  en  1689  et  dura  jus- 
(]u'à  la  mort  di;  M.  de  Meaux. 

(:5)  C'est  le  Problème  ecclésiastique,  1698-1699 (?)  —  qui  faut-il  croire,  M.  de  Noailes 
approbateur  des  Réflexions  morales,  du  P.  Quesnel,  ou  M.  de  Noailles,  censeur  de 
l'Exposition  de  la  foi,  par  Barcos.  neveu  <lu  fameux  abbé  de  Saint-Cyran  —qui  dé- 
chaîna la  guerre  fatale  dont  l'Église  de  France  devait  souffrir  si  longtemps  au  dix- 
huitiéme  siècle. 


64  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

compagnie,  les  soumettait  à  sa  censure ,  et  profitant  des 
avis  des  plus  simples,  il  faisait  faire  à  l'heure  même. les 
corrections  qu'on  demandait.  Ainsi  fut  lue  et  corrigée  toute 
sa  Politique,  dans  les  promenades  de  son  dernier  séjour  de 
Versailles,  voulant  enfin  la  donner  aux  pressantes  sollici- 
tations du  public.  Telle  fut,  au  milieu  des  palais  et  des  jar- 
dins de  Louis  le  Grand,  cette  académie  de  sagesse,  où  pré- 
sida Tévêque  de  Meaux,  comme  lit  autrefois  l'illustre  et 
saint  Alcuin  dans  la  célèbre  école  du  palais  de  Gharle- 
mag'ne  f  1)  »  —  Bossuet  publia  une  partie  des  Notes  rédigées 
au  Concile  :  la  Dissertation  sur  les  Psaumes ,  Dissertatio 
de  P salmis ,  Liber  Psalmorum  (1691)  (2) ,  Supplenda  in  Psal- 
mos  (1693)  (3),  Libri  Salornonis j  Proverbia,  Ecclesiastes , 
Canticum  Canticorum ,  Sapientia^  Ecclesiasticus  cum  notis, 
parus  après  VExplication  de  r Apocalypse  (1689)  (4)  et 
avant  l Explication  de  la  prophétie  d'Isaïe  sur  l'enfantement 
de  la  sainte  Vierge  et  du  Psaume  XXI  (11  mars  1704)  (5). 
«  Son  dessein,  dit  Le  Dieu  (7),  était  de  donner  (les  notes  de 
la  Bible  du  Concile)  au  public ,  et  non  seulement  sur  les 
livres  qu'on  vient  de  dire,  mais  encore  sur  tout  le  corps  de 
la  Bible  et  aussi  bien  sur  le  Nouveau  Testament  que  sur 
l'Ancien,  comme  il  s'en  explique  dans  son  épitre  dédicatoire 
des  Psaumes.  »  Or,  les  saints  Pères  étaient  toujours  ses  gui- 
des dans  les  travaux  d'exégèse  que  son  zèle  lui  faisait  en- 
treprendre ,  tout  comme  dans  ses  prédications  et  ses  divers 
ouvrage  de  polémique. 

§  1.  —  Derniers  Exlrails  de  saint  Augustin. 

L'abbé  Le  Dieu  affirme  (8)  que  «  les  dernières  remarques 

(1)  Mcnioircs  de  I.e  Dieu,  t.  1.  p.  i:{l)-137. 

{■2)  Cet  ouvrage  est  ad  cessé  au  clergé  de  Meaux. 

(;{)  Grotius  ayant  prétendu  «lu'on  ne  trouvait  rien  dans  les  Psaumes  qu'on  put 
rapporter  au  Messie  et  (|ue  c'était  la  raison  ])our  la(|uelle  les  Apôtres  ne  les  avaient 
jamais  cités.  Bossuet  réfuta  cette  erreur  dans  quelques  pages  fortes  et  substantiel- 
les, Supplément  au  livre  des  Psaumes. 

('»)  C'était  une  réponse  à  V Accomplissement  des  Prophéties  de  Jurieu. 

(■"i)  C'est  dans  l'intervalle  ipie  lui  laissaient  les  horribles  souffrances  de  la  pierre 
que  Bossuet  composa  celle  admirable  Explication.  Il  y  goûtait  un  cliarme  divin  et 
>  |>uisait  des  forces  sui'nafurcUes. 

(ti)  Mémoires,  t.  I.  p.  I(i«. 

(8)  Ibidem,  \t.  50. 


LES  ÉTUDES  PATRISTIQUES  DE  BOSSUET.  Cf. 

de  Bossuet  (dans  les  Extraits  de  saint  Augustin,  aujour- 
d'hui perdus  pour  nous,  mais  que  le  secrétaire  de  lévèque 
de  Meaux  avait  eus  entre  les  mains)  étaient  tirées  particuliè- 
rement des  Sermons  mêmes  du  saint,  de  ses  Traités  sur 
saint  Jean  et  de  ses  Commentaires  sur  les  Psaumes,  et 
dans  ce  dernier  ouvrage  il  s'attachait  surtout  à  la  morale  ». 
Cela  nous  prouve  que  Bossuet  est  demeuré  fidèle  jusqu'à 
la  fin  de  sa  vie  à  l'habitude  de  sa  jeunesse  :  lire  la  plume 
à  la  main,  et  prendre  des  notes,  «  des  desseins  de  sermons, 
des  divisions,  des  preuves  »  (1). 

«  Il  avait,  dit  Le  Dieu,  une  édition  in-8"  des  Psaumes  de 
saint  Augustin,  de  sa  Cité  de  Dieu  et  de  ses  ouvrages  contre 
les  Pélagiens.  C'est  ce  qu'il  avait  le  plus  lu  ;  le  texte  et  les 
marges  en  sont  chargés  de  mille  sortes  de  remarques  ;  il 
ne  pouvait  se  passer  de  ces  livres,  et  il  les  avait  toujours  à 
sa  suite.  Il  n'avait  pas  moins  lu  les  grandes  éditions  :  celle 
de  Lyon  de  Grypse  (2),  qui  demeurait  à  Paris  et  la  première 
qu'il  lut,  est  toute  marquée  de  sa  main  ;  celle  du  grand  Na- 
vire (3),  de  la  bibliothèque  de  Meaux,  de  même;  et  celle 
des  Pères  Bénédictins  (4-),  la  dernière  venue,  était  encore 
plus  lue  et  la  plus  maj^quée;  il  l'estimait  plus  que  les  autres 
et  elle  le  suivait  partout.  »  —  Quelle  perte  pour  nous  que 
celle  de  ces  éditions  précieuses  de  saint  Augustin  anno- 
tées par  Bossuet!  Le  Commentaire  de  Desportes  par  3Ial- 
herbe  ne  serait  rien  en  comparaison  du  Commentaire  de 
saint  Augustin  par  l'évèque  de  Meaux.  «  Il  était  tellement 
nourri  de  la  doctrine  de  saint  Augustin  et  attaché  à  ses 
principes  (\\i  A  n'établissait  aucun  dogme ,  ne  faisait  aucune 
instruction,  ne  répondait  à  aucune  difficulté  que  par  saint 


(1)  Mémoires,  p.  w. 

(2)  L'édition  de  Lyon  en  II  vol.  in-folio  est  de  KWi.  —  Bossuet  ne  put  s'en  servir 
qu'à  Paris,  après  1C<>4,  et  à  Meaux. 

(3)  L'édition  du  Grand  Navire,  Parisiis ,  Magna  Xan's,  est  l'œuvre  des  théolo- 
giens de  Louvain  :  elle  parut  en  (>  volumes  en  1580  et  en  7  vol.  in-folio  en  ui'il.  C'est 
probablement  cette  dernière  qu'avait  Bossuet  à  Navarre  et  à  Metz. 

(4)  Elle  parut  en  10  vol.  de  U>"<J  à  1700  :  doin  Delfau.  doni  Constant,  dom  Blam- 
pin  et  dom  Guesnié  en  étaient  les  auteurs.  Elle  fut  attaquée  par  les  Jésuites  et  par 
Fénelon .  mais  défendue  par  Bossuet,  qui  travailla  avec  Mabillon  à  la  préface  gé- 
nérale. Rome  l'approuva,  malgré  les  efforts  des  Jésuites  et  de  Fénelon  pour  la  faire 
passer  pour  janséniste. 

BOSSUET  ET  LES  SAINTS   PÈRES.  5 


66  liOSSUET  ET  LES  SAliSTS  PERES. 

Augustin;  il  y  trouvait  tout,  et  la  défense  de  la  foi  et  la 
pureté  des  mœurs  :  témoin  ses  propres  ouvrages  dogma- 
tiques, même  le  petit  écrit  publié  contre  l'opéra  et  la  co- 
médie, et  enfin  l'aiiaire  du  Quiétisme  (1).  » 

L'al)bé  Le  Dieu  est  d'autant  plus  dans  le  vrai  que  la  Lettre 
au  P.  Cdffaro,  théatin,  9  mai  169i,  cite  à  plusieurs  reprises 
saint  Thomas,  saint  Athanase ,  saint  Cyprien,  saint  Au- 
gustin (six  fois),  invoque  partout  la  doctrine  des  Pères,  «  les 
saintes  délicatesses  des  Pères  » ,  et  que  les  Maximes  et  les 
réflexions  sur  la  comédie  (2),  sont  pleines  «  des  grands 
noms  de  saint  Thomas  et  des  autres  saints  »  :  saint  Augus- 
tin y  paraît  quinze  ou  seize  fois;  il  y  a  des  pages  entières 
remplies  de  textes  de  la  Soinme  théologique  et  des  Com- 
mentaires du  Docteur  Angélique  sur  saint  Paul  ;  saint  Bona- 
venture,  saint  Antonin,  que  Bossuet  n'avait  guère  nommés 
jusque-là,  se  trouvent  cités  à  côté  de  saint  Athanase,  de 
saint  Ambroise  et  de  saint  Jean  Chrysostome ,  mis  large- 
ment à  contribution  ^ar  l'évêque  de  Meaux. 

§  II.  —  Les  saints  Pères  dans  la  (luerellc  du  Quiétisme. 

Quant  à  la  controverse  du  Quiétisme,  voici  comment  le 
duc  de  Saint-Simon,  un  homme  du  monde,  apprécie  dans 
ses  Mémoires  l'usage  que  Bossuet  avait  su  faire  de  l'au- 
torité des  saints  Pères  pour  son  Instruction  sur  les  états 
d'oraison, 'pdiVue  en  mars  1697,  six  semaines  après  les  Ma- 
ximes des  saints ,  de  Fénelon  :  «  [Cette  Instruction]  était  un 
ouvrage  en  partie  dogmatique ,  en  partie  historique  de  tout 
ce  qui  s'était  passé  depuis  la  naissance  de  TafFaire  jus- 
qu'alors, entre  lui,  xM.  de  Paris  et  M.  de  Chartres  d'une  part , 
M.  de  Cambrai  et  M'"'  Guyon  de  l'autre.  Cet  historique, 
très  curieux  et  où  M.  de  Meaux  laissa  voir  et  entendre  tout 
ce  qu'il  ne  voulut  pas  raconter,  apprit  des  choses  infinies,  et 
fit  lire  le  dogmatique.  Celui-ci  clair,  net,  concis,  appuyé 
de  passages  sans  nombre  et  partout  de  l'Ecriture  et  des 

(I)  Mrmoires  de  Le  Dieu ,  t.  I,  p.  M. 

(-2)  Elles  ne  sont  que  le  développenicut  de  la  LeUre  au  P.  Caff'aro. 


LES  ÉTUDES  PATRISTIQUES  DE  BOSSUET.  07 

Père><  ou  des  conciles,  parut  uu  contraste  du  barbare,  de 
l'obscur,  de  l'ombragé ,  du  nouveau ,  et  du  ton  décisif  de 
vrai  et  de  faux,  des  Maximes  des  Saints  .'on  le  dévora  s^us- 
sitôt  qu'il  parut.  L'un,  comme  inintelligible  (1) ,  ne  fut  lu 
que  des  maîtres  en  Israël;  l'autre  k  la  portée  ordinaire,  et 
secouru  de  la  pointe  de  l'historique ,  fut  reçu  avec  avidité 
et  dévoré  de  même.  Il  n'y  eut  ni  homme  ni  femme,  à  la 
cour,  qui  ne  se  fit  un  plaisii*  de  le  lire ,  et  qui  ne  se  piquât 
de  l'avoir  lu ,  de  sorte  qu'il  lit  longtemps  toutes  les  conver- 
sations de  la  cour  et  de  la  ville.  Le  roi  en  remercia  publique- 
ment M.  de  Meaux.  »  Celui-ci  fit  paraître  encore  une  Préface 
sur  rinstniction  pastorale  de  M.  de  Cambrai,  cinq  autres 
écrits  sur  le  même  sujet,  et  un  Sommaire  de  la  doctrine 
du  livre  qui  a  pour  titre  :  Explication  des  Maximes  des 
Saints,  des  conséqiiences  qui  en  résultent,  etc.  Fénelon  s'é- 
tant  appuyé  sur  l'autorité  des  théologiens  mystiques  et  sco- 
lastiques,  qu'il  prétendait  favorables  à  ses  opinions,  Bossuet, 
défenseur  de  la  Tradition ,  ùta  cette  ressource  à  son  adver- 
saire da1is  trois  ouvrages  latins  qui  parurent  coup  sur  coup  : 
Mystici  intuto;  ScJiola  in  tuto;  Quietismus  redivivus.  Dans 
le  premier,  il  défendait  contre  Fénelon  sainte  Thérèse  et  le 
bienheureux  Jean  de  la  Croix,  dont  il  venait  de  relire  les 
œuvres  ascétiques  ;  dans  le  second ,  il  montrait  que  les  sco- 
lastiques  n'avaient  rien  de  commun  avec  les  quiétistes  et 
les  erreurs  de  Molinos.  Inutile  de  rappeler  la  Réponse  àcjua- 
tre  lettres  de  M.  de  Cambrai  et  la  Relation  du  quiétisme , 
écrasante  pour  Fénelon ,  si  Fénelon  n'avait  pas  eu  «  une  de 
ces  modesties  superbes  et  inflexibles ,  qui  sont  incapables 
d'avouer  une  erreur  :  il  pouvait  s'humilier,  se  mépriser, 
se  faire  petit,  s'offrir  aux  coups,  aux  outrages,  se  cou- 
cher dans  la  poussière  ;  mais  de  dire  une  fois  bonnement 
qu'il  avait  eu  tort,  qu'il  s'était  trompé,  il  ne  le  pouvait 
pas...  Donner  lieu  de  dire  que  Bossuet  l'avait  fait  chan- 

(1)  Ces  jugements  sévères  de  Saint-Simon  sont  d'autant  plus  remaniuables  (|u'il 
était  l'ami  de  Fénelon,  dont  il  a  laissé  un  si  beau  jjortrait.  ^  D'ailleurs.  Saint-Simon 
parle  comme  le  chancelier  d'Asuesseau  dans  ses  Mémoires,  comme  Le  Dieu  dans 
son  Journal  et  l'ablx'r  Plielipeaux  dans  sa  Rulaiion  de  l'origine  du  progrès  et  de  la 
condamnation  du  (juiétixme. 


68  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

gcr,  se  reconnaître  convaincu,  persuadé  par  celui  qui  avait 
trompé  tous  ses  calculs ,  voilà  ce  qui  lui  paraissait  encore 
plus  impossible  à  subir.  Tout  lui  paraissait  préférable  à 
cette  extrémité  (1).  »  Il  cria  donc  contre  Bossuet  et  «  ses  em- 
portements »  ,  parce  que  Bossuet  avait  dit ,  pour  s'excuser  de 
parler  contre  M""'  Guyon,  que  c'était  trop,  «  si  cette  Priscille 
n'avait  pas  trouvé  son  Montan  pour  la  défendre  (2)  ».  Mais 
il  avait  bien  osé,  lui  Fénelon,  qu'on  veut  faire  passer  pour 
l'innocence  et  la  candeur  même,  soutenir  en  public  et  en 
particulier  que  Bossuet  avait  violé  le  secret  de  la  confes- 
sion! Il  ne  fit  croire  à  personne  que  son  illustre  rival  se  fût 
rendu  coupable  d'un  crime  si  odieux.  Il  est  vrai  que  Bossuet, 
avec  son  esprit  franc  et  droit,  s'impatientait  devant  les  «  tor- 
tillements  »   de  Fénelon,  les  textes  «  mis  à  l'alambic  », 
les  chicanes  de  terminologie,   les  évasions,    les   finesses, 
les  contorsions  de  cet  «  esprit  à  faire  peur  (3)    »;  il  s'ir- 
ritait à  la  fin  de  l'attitude  de  Fénelon,  qui  jetait  des  cris 
de  victime  égorgée,  de  juste  crucifié,  toutes  les  fois  que 
la   logique  impitoyable   de  son  adversaire  le  clouait  par 
un  argument  irréfragable,  qui  lui  faisait  l'effet  d'un  ou- 
trage. Il  lui  échappa  donc  des  expressions  souverainement 
regrettables   (4).  Mais  Fénelon  mentit  sciemment  à  plu- 


{l)  Bossuat,  par  Lanson.  p.  400-iOl.  —  Voir  aussi  l'reuvre  magistrafe  et  définitive 
(le  M.  Croiislé,  Fénelon  et  Bossuet,  2  vol.  in-8^,  Clianipioii,  18!)4-!to. 

(2)  Ceux  qui  reprochent  tant  à  Bossuet  ces  mots  de  «  Priscille  et  de  Montan  •  , 
appliqués  aux  erreurs  et  non  pas  à  la  conduite  privée  de  Fénelon  et  de  M""  Guyon, 
ne  devraient  pas  oublier  qu'il  y  a  quelqu'un  de  plus  coupable  que  M.  de  Meaux  : 
c'est  le  1'.  de  la  Hue,  le  célèbre  jésuite,  (|ui,  prêchant  aux  Feuillants  et  parlant 
du  «  |>ur  amour  des  quiétistes  »,  prononça  les  mots  d'Héloïse  et  d'Abélard.  «  Tout 
le  monde  comprit  l'allusion  »,dit  un  témoin  oculaire.  —  Il  est  plus  que  probable 
que  Bossuet  s'inspira  de  cette  malice;  mais  il  l'atténua  singulièrement. 

(3)  «  Je  ne  puis  expliquer  mon  fond  .  disait  Fénelon  dans  un  moment  d'abandon 
avec  un  cher  ami,  Correspondance,  t.  VI.  p.  l!»i>.  Il  m'échappe,  il  me  paraît  changer 
à  toute  heure.  .Te  ne  saurais  rien  dire  qui  ne  me  paraisse  taux  un  moment  après. 
Le  défaut  subsistant  et  facile  à  dire,  c'est  (pie  je  tiens  à  moi  et  que  l'amour- 
proprc  me  décide  souvent.»  -Cet  aveu  suffit  à  justifier  la  conduite  de  Bossuet , 
dauliint  plus  (jue  Fénelon  avait  adopté,  dans  toute  la  (jucrelle,  un  système  ingé- 
nieux, mais  déloyal  .-on  l'accusait  d'erreur,  il  s'expli{]uait  et  l'explication  était  un 
système  tout  différent,  ((u'il  remplaçait  bientôt  par  un  autre,  et  ainsi  à  l'infini. 

('»)  Il  écrivait  à  son  nmeu,  l'abbé  Bossuet,  le  1i  septembre  l(i!)S  :  «  M.  de  Cambrai 
est  un  homme  sans  mesure,  qui  doune  tout  à  l'esiiril,  à  la  subtilité  et  à  l'invention, 
qui  a  voulu  tout  gouverner  et  nn'-me  l'État,  par  la  direction,  ou  rampant,  ou  in- 
solent outre  mesure.  »  —  Bossuet  a  écrit  aussi  :  «  Gnyonia  sua!  »  mais  en  écar- 
tant à  iilusieurs  reprises  toute  interprétation  qui  aurait  pu  porter  atteinte  à  la 
pureté  des  nnrurs  de  M.  de  Cambrai. 


LES  ÉTUDES  PATRISTIQUES  DE  BOSSUET.  69 

sieurs  reprises  (1)  et  calomnia  Bossiiet  d'une  manière  in- 
digne ;  cependant ,  il  avait  été  son  ami ,  son  obligé  de  bien 
des  manières,  et  le  grand  évêque  de  Meaux,  «  consommé 
depuis  longtemps  dans  la  science  de  l'Eglise,  dit  d\\- 
guesseau,  couvert  des  lauriers  qu'il  avait  remportés  tant 
de  fois  en  combattant  pour  elle  contre  les  hérétiques  » , 
avait  tous  les  droits  au  respect.  La  vérité  triompha  enfin, 
et  le  bref  d'Innocent  XII,  du  12  mars  1699,  en  condam- 
nant le  livre  ào,  l'Explication  des  Maximes  des  Saints  avec 
vingt-trois  propositions  qui  en  étaient  extraites,  fournit 
à  M.  de  Cambrai  l'occasion  de  se  soumettre  spontané- 
ment à  Rome  et  d'obtenir  ainsi,  aux  yeux  de  la  postérité, 
un  mérite  qui  a  trop  fait  oublier  ses  torts  (2)  et  les  rai- 
sons invincibles  qu'avait  eues  Bossuet  de  défendre  avec 
ardeur  cette  doctrine  des  «  Saints  »  et  des  «  Pères  de  l'E- 
glise » ,  à  laquelle  il  s'était  voué  corps  et  âme. 

§  III.  —  Prédilection  de  plus  en  plus  marquée  pour  saint  Augustin. 

«  Quand  il  avait  un  sermon  à  faire  à  son  peuple ,  dit  l'abbé 
Le  Dieu,  avec  sa  Bible,  il  me  demandait  Saint  Auf/ustin; 
quand  il  avait  une  erreur  à  combattre ,  un  point  de  foi  à  éta- 
blir, il  lisait  saint  Augustin.  On  le  voyait  courir  rapidement 
sur  tous  les  ouvrages  de  ce  Père  propres  à  ce  sujet;  il  n'y 
cherchait  pas  seulement  les  principes  qu'il  y  avait  appris 
toute  sa  vie  et  qu'il  y  retrouvait  d'un  coup  d'œil ,  marqués 
d'un  trait  sur  les  marges;  mais  il  y  cherchait  encore  la 

(I)  M.  l'abbé  Bellon,  clans  sa  thèse  récente,  Bossucl  directeur  de  conscience,  18!)U. 
se  demande,  p.  -23-2  :  «  Fénelon  a-t-il  menti  volontairement?  —  Les  faits  semblent 
repondre  oui  »,  ajoute-t-il,  et  il  le  prouve  très  bien. 

{-2)  On  oublie  surtout  que  Fénelon,  après  avoir  condamné  son  livre  par  obéis- 
sance, parle,  dans  ses  deux  lettres  au  Pape  des  i  et  10  avril  KiOii.  de  son  innocence, 
des  outrages  qu'il  a  subis;  il  affirme  qu'il  a,  non  favorisé,  mais  combattu  l'erreur: 
il  maintient  ses  explications;  il  veut  bien  croire  qu'il  a  mal  exprimé  son  sens  dans 
son  livre  et  qu'il  portera  les  tribulations  d'un  cœur  humble  et  soumis.  —  Il  n'y 
parait  guère,  et  le  !t  octobre  1009.  Fénelon  écrit  à  l'abbé  de  Chanterac  :  «  Je  ne  me 
suis  jatnais  rétracté;  3lu  contraire,  j'ai  toujours  soutenu  (|ue  je  n'avais  cru  au- 
cune des  erreurs  en  question.  Le  Pape  n'a  condamné  aucun  des  points  de  ma  vraie 
doctrine,  amplement  éclaircie  dans  mes  défenses.  Il  a  seulement  condamné  les 
expressions  de  mon  livre  avec  le  sens  (pCelles  présentent  naturellement  ci  que  le 
n'ai  jamais  eu  en  vue.  •  —  «  Celui  qui  errait  a  prévalu,  écrivait-il  plus  tard  au 
P.  Tellier;  celui  qui  était  exempt  d'erreur  a  été  écrasé.  » 


70  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

conduite  qu'il  devait  garder  avec  les  errants  en  comljattant 
leurs  erreurs;  et  après  leur  condamnation,  il  étudiait  dans 
ce  Père  les  moyens  de  ramener  les  esprits  à  la  paix  et  à  la 
soumission.  C'est  ce  qu'il  fit  dans  toute  Taffaire  du  Quié- 
tisme,  demandant  avec  instance  (1)  des  conférences  amia- 
bles, tant  de  fois  pratiquées  par  saint  Augustin,  et  propo- 
sant l'exemple  de  la  soumission  et  de  la  rétractation  de 
Leporius  (2),  si  à  propos  en  cette  rencontre.  C'est  ce  qu'il 
a  fait  encore  depuis  en  faveur  des  protestants,  dans  ses  Ins- 
tnictions  sur  les  promesses  de  r Église  (3),  par  les  paroles 
même  du  saint  docteur,  et  en  imitant  sa  conduite  envers 
les  Pélagiens  et  les  Donatistes. 

«  Il  possédait  saint  Augustin  de  telle  façon  qu'en  quelque 
difficulté  que  ce  fût,  il  ne  manquait  jamais  d'y  trouver  le 
point  de  décision ,  et  souvent  en  un  mot.  Avec  une  si  grande 
connaissance  de  saint  Augustin ,  il  ne  faut  pas  s'étonner  que 
M,  de  Meaux  en  fit  ses  délices,  ou  qu'il  le  mit  en  œuvre  à 
tout  propos.  Il  s'était  fait  une  telle  habitude  de  son  style , 
de  ses  principes,  de  ses  paroles  mêmes,  que  par  son  bon  goût 
il  a  rétabli  une  lacune  de  huit  lignes  dans  le  Sermon  ccxcix 
de  l'édition  des  Bénédictins.  Ce  Sermon  n'avait  pas  encore 
paru,  et  les  Bénédictins  mêmes,  si  habiles,  n'auraient  pas 
essayé  de  remplir  ce  vide.  Cependant,  il  est  reconnu  pu- 
bliquement dans  leur  dernier  tome,  parmi  les  tables,  que 
ce  tfixte  a  été  bien  rétabli.  Mais  parce  qu'il  s'y  trouve  quel- 
que petite  diversité,  je  rapporterai  ici  cette  restitution  telle 
qu'elle  a  été  faite  par  ce  prélat.  Elle  est  du  tome  V,  sermon 
299%  n"  5,  p.  1213,  en  ces  termes  :  «  Bomim  certamen  cer- 
tavi;  cttrsiun  consummnvi ;  fidem  scrvavi  :  haec  donavit  his 


(I)  Voilà  un  ténioignasc  décisif,  comme  beaucoup  d'autres,  contre  Fénelon. 
(|ui,  après  avoir  refusé  de  conférer  avec  Bossuet,  écrit  le  \i  août  i(>97  :  «  On  a  re- 
fusé (le  me  laisser  ex()li(iuer!  » 

(-2)  Leporius.  moine  de  Jlarseille.  soutenait  des  opinions  contraires  à  la  doctrine 
catholi(|ue  sur  la  grâce,  le  i)eclié  originel  et  la  rédemption  do  l'iiumanité.  Cassien  . 
son  al)lié.  et  Proculus.  son  évéque.  essayèrent,  mais  inutilement,  de  l'éclairer. 
Leporius.  ayant  passé  en  Afriiiuc.  eut  des  conférences  avec  saint  Augustin,  <>vèqiie 
d'ilippone.  ([ui  le  convainguil  de  la  fausseté  de  ses  opinions.  Leporius  les  rétracta 
et  enviiya  cette  rétracUition  à  tous  les  évé(iues  des  (laiilcs.  (Voir  Aug. ,  Epist.-HU; 
Cassien.  de  Inrurnationi'.) 

(.'{)  La  première  Inalruciion  est  de  l'Oii,  la  seconde  de  l"(il. 


LES  ÉTUDES  PATRISTIQUES  DE  BOSSUET.  71 

donis  suis,  débet  promissam  coronam;  quod  immolaris, 
quod  bonum  cerlamen  certas,  quod  fidcm  servas,  ab  illo 
habes  ;  qiiidenim  habes  quod  non  acccpisti?Sedhis,  inquam , 
donis  suis  débet  alia  doua  sua.  Antequam  talia  donaret , 
quam  coronam  deberet? 

a  Vide  ipsuni  apostolum  dicentem  :  Fidelis  sermo  et  onmi 
acceptione  dignus  :  quod  Chn'stus  Jésus  venit  in  hune  mun- 
dum  peccatores  salvos  facere,  quorum  primus  ego  sum.  » 
«  La  voilà  telle  qu'elle  m'a  été  dictée  et  depuis  communi- 
quée à  ceux  qui  en  ont  été  envieux.  Ces  savants  Bénédictins, 
après  avoir  douté  que  le  Sermon  383%  t.  V,  p.  1484,  fût  de 
saint  Augustin ,  revenus  naturellement  à  la  pensée  et  au 
g-oùt  de  M.  de  Meaux,  ont  reconnu  dans  la  même  table  (1) 
le  style,  le  génie  et  la  modestie  du  saint  docteur  ;  que  ce  dis- 
cours est  digne  d'être  mis  au  nombre  de  ses  véritables  Ser- 
mons ;  et  ils  ont  fait  à  notre  prélat  l'honneur  de  cette  resti- 
tution. Il  le  croyait  si  bien  de  ce  Père  qu'il  en  avait  fait 
décrire  les  plus  belles  paroles  en  un  tableau  qu'il  fît  exprès 
placer  dans  sa  chambre,  comme  un  avertissement  néces- 
saire à  toute  heure  au  gouvernement  épiscopal ,  et  pour  sa 
satisfaction  (2). 

«  J'avais  oublié  cette  preuve  éclatante  de  son  respect  et 
de  son  zèle  pour  saint  Augustin.  En  1689 ,  il  voulut  célébrer 
l'office  pontifical  au  jour  de  sa  fête,  dans  l'église  des  cha- 
noinesses  de  Notre-Dame  de  Meaux.  Pour  rendre  la  solennité 
parfaite,  il  prononça  le  panégyrique  du  saint  docteur, 
après  vêpres,  sur  ces  paroles  :  Gratta  Dei  sujn  id  quod 
sum  :  et  gratia  ejus  in  me  vacua  non  fuit.  Et  il  se  renferma 
dans  ces  deux  propositions  :  ce  que  la  grâce  a  fait  pour 
saint  Augustin  et  ce  que  saint  Augustin  a  fait  pour  la  grâce. 
Son  zèle  le  porta  si  loin  qu'en  une  heure  et  demie  il  ne 
put  expliquer  que  la  première  proposition  (3).  » 

(1)  Opéra  D.  Augi'stini,  édition  des  Bénédictins,  XI,  Addeiida  et  corrlgeada  in 
t.  V. 

(-2)  Le  sermon  iiSS»  de  saint  Angustin  fut  prononce  le  jour  anniversaire  de  sa 
consécralion  épiscopale. 

(3)  Il  est  profondément  regrettable  que  nous  n'ayons  rien  de  ce  Panégyrique , 
ni  rien  des  deux  Panégyriques  de  saint  Thomas  d'Aquin  prononcées  le  7  mars 
1657  et  le  18  juillet  16G,-;. 


72  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

On  a  vu  plus  haut,  page  21 ,  le  grand  cas  (ju'il  faisait  de 
saint  Bernard ,  son  éloquent  compatriote ,  et  l'abbé  Le  Dieu 
ajoute  «  qu'il  le  possédait  parfaitement;  il  le  lut  et  relut 
plusieurs  fois  pour  combattre  le  Quiétisme ,  et  il  s'en  servit 
avec  l'avantage  que  Von  sait;  il  louait  fort  l'élévation  de  son 
esprit,  mais  surtout  son  onction  et  sa  piété.  Son  amour  pour 
ce  Père  le  lit  aller  exprès  à  la  Trappe  1)  pour  y  passer  le 
jour  de  sa  fête.  Et  en  1689.  touché  d'une  semblable  dé- 
votion, il  célébra  pontificalement  cette  fête  dans  l'église  des 
Bernardines  du  Pont-aux-Dames  de  son  diocèse,  et  y  pro- 
nonça le  panégyrique  du  saint  (2)... 

«  Il  n'avait  pas  moins  étudié  les  autres  Pères  de  l'é- 
glise ,3).  » 

On  peut  s'en  convaincre,  en  parcourant  les  Méditations 
sur  rÉvant/ile  et  les  Elévations  sur  les  M ij stères  (4),  les 
plus  beaux  des  livres  mystiques  après  Y  Imitation  (5),  et  où 
l'on  rencontre,  à  côté  d'innombrables  citations  de  la  Bible, 
tant  de  passages  de  saint  Augustin ,  de  saint  Ambroise ,  de 
Tertullien,  de  saint  Bernard,  d'Origène,  de  saint  Jean  Chry- 
sostome. 

On  raconte  au  sujet  de  ce  dernier  Père,  une  anecdote 
aussi  plaisante  que  significative.  Le  jardinier  de  Bossuet, 
se  plaignant  de  l'inditTérence  de  son  maître  pour  les  fleurs, 
s'écriait  avec  humeur  :  «  Il  faudrait  planter  des  saint  Jean 
'Chrysostome  pour  vous  les  faire  regarder.  » 


(1)  Bossuet  était  intimement  lié  avec  le  célèbre  abhé  de  Raiicé  (Armand-Jean  le 
Bouthillier)  :  il  y  avait  alliance  entre  leurs  t'amilles  (Flo(|uet,  Etudes,  t.  111,  p.  4.(7); 
ils  avaient  été  condisciples,  rivaux  et  amis  à  Navarre.  Un  moment  séparées,  lors 
delà  vie  mondaine  de  l'abbé  de  Rancé(lt>5l-l()(>o),  ces  deux  grandes  âmes  sympathi- 
sèrent de  nouveau  à  l'époque  de  la  conversion  de  l'abbé  et  de  la  réformation  de  la 
Trappe  (KMHi)  :  Bossuet  y  lit  alors  plusieurs  voyages,  dont  il  parle  dans  un  Mémoire 
écrit  après  la  mort  de  Rancé  et  inséré  dans  la  vie  de  cet  éniinent  religieux,  il 
lui  envoya  ses  Oraisons  funèbres  de  KiG!)  et  de  1070,  et  il  aurait  voulu,  avant  son 
sacre,  faire  a  la  Trappe  une  retraite,  que  les  circonstances  ne  lui  permirent  i)as. 

(-2)  Encore  un  Panr<j)/riijuf  dont  la  i)erte  est  très  regrettable. 

(3)  Mémoires  de  Le  Dieu.  p.  ."il-rw. 

(4)  Écrites,  les  premières  en  li«!»."i  et  les  secondes  en  l<>!Hi,  pour  les  religieuses  de 
la  Visitation  de  Sainte-.Marie  de  Mcaux,  elles  n'ont  été  publiées  qu'en  1731  par 
le  neveu  de  Bossuet,  évoque  do  Troyes. 

;.">;  «  où  trouver,  dit  M.  Lanson,  p.  ii»o,  rien  de  comparable  aux  deux  premières 
Semaines  des  Élévations,  un  jilus  vigoureux  et  plus  calme  elTorl  pour  contenter 
la  raison  avide  de  conq)rendrc  sans  violer  le  mystère  impossible  à  comprendre?... 
Où  trouver  surtout  un  mysticisme  plus  sain,  plus  serein,  plus  robuste,  que  dans 


LES  ÉTUDES  PATRISTIQUES  DE  BOSSUET.  73 

Autre  anecdote  qui  prouve  combien  Bossuet  connaissait 
à  fond  saint  \ug"ustin  et  saint  Bernard.  Il  écrivait  en  1700 
au  cardinal  de  Noailles  :  «  Si  vous  m'ordonnez  de  vous  rap- 
porter les  passages  de  ces  deux  saints,  je  crois  pouvoir  le 
faire  en  peu  de  jours  »,  tant  sa  mémoire  était  pleine  de 
leurs  œuvres! 

Dès  1693,  en  effet,  dès  la  pidDlication  de  YHisloire  cri- 
tique des  principaux  commentateurs  du  Nouveau  Testa- 
ment,  depuis  le  commencement  du  christianisme  juscjiies 
à  noire  temps,  par  Richard  Simon,  prêtre  (Rotterdam, 
M.  DC.  XCIIl),  Bossuet  avait  à  cœur  de  venger  la  doctrine  et 
la  gloire  de  ces  Pères  qu'il  aimait  tant.  Le  dernier  livre  de 
Richard  Simon  «  avait  paru  le  plus  dangereux  de  tous  à 
notre  prélat,  dit  l'abbé  Le  Dieu.  Saint  Augustin  y  est  traité  de 
novateur  et  tous  les  saints  Pères  méprisés.  M.  de  Meaux  en 
entreprit  la  réfutation  par  un  grand  ouvrage  où  il  défend, 
non  seulement  tous  les  saints  Pères ,  mais  particulièrement 
saint  Augustin  et  sa  doctrine ,  qui  est  celle  de  l'Église  ro- 
maine sur  la  grâce.  Cet  ouvrage  était  prêt  à  paraître 
en  1692  (1),  lorsque  tout  à  coup  notre  prélat  en  fut  détourné 
par  de  nouvelles  erreurs  encore  plus  dangereuses  pour  l'É- 
glise. C'est  le  nouveau  Quiétisme  qui  commença  dès  lors  à  se 
traiter  en  secret  »  (2j.  — •  Le  grand  ouvrage  dont  il  s'agit 
ici,  c'est  la  Défense  de  la  Tradition  et  des  saints  Pères.  «  Bos- 
suet n'avait  rien  tant  à  cœur  que  de  publier  ce  livre,  qu'il 
jugeait  nécessaire  en  ce  temps  où  l'on  a  comme  renouvelé 
les  anciennes  contestations ,  sans  parler  des  critiques  si  in- 
jurieux à  saint  Augustin.  Il  se  sentait  sollicité  de  tenir  la 
parole  qu'il  avait  donnée  à  ce  sujet  dans  sa  seconde  Ins- 
truction contre  la  version  de  Trévoux  (3);  et,  six  semaines 
avant  sa  mort,  il  se  fit  rendre  un  compte  exact  de  cet  écrit 
pour  en  reprendre  les  principes,  et  se  préparer  à  le  con- 


les  Méditations  et  les  Elévations?  un  mysticisme  d'une  tendresse  qui  n'énerve 
pas,  qui  ne  fond  pas  les  énergies  du  cœur?  » 

(I)  Il  y  a  là  une  erreur  de  date  :  l'Histoire  critique  n'ayant  paru  qu'en  l(i03,  Bos- 
suet ne  pouvait  pas  lui  avoir  répondu  des  iC<>2. 

(•2)  Mémoires,  t.  l .  j).  20-2--203. 

(3)  Elle  est  de  1703;  la  première  avait  paru  en  1702. 


74  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

duire  à  sa  fin.  Un  homme  tout  à  lui  (1)  en  avait  fait  l'ana- 
lyse; il  en  écouta  la  lecture  avec  une  joie  indicible  :  «  Vous 
me  faites,  dit-il,  un  très  grand  plaisir,  je  retrouve  ici  toute 
ma  doctrine,  et  je  me  vois  par  ce  moyen  en  état  de  finir 
très  aisément.  «  Dieu  nous  Ta  (Mé  au  milieu  de  ce  travail  et 
de  ces  pensées,  comme  autrefois  il  retira  du  monde  saint 
Augustin,  composant  contre  Julien  le  Pélagien,  pour  la  dé- 
fense de  la  grâce,  son  dernier  ouvrage  demeuré  impar- 
fait (2).  » 

Cette  fin  était  bien  digne  du  grand  homme ,  cjui  pouvait 
dire  des  saints  Pères  ce  qu'il  avait  écrit  des  saints  Livres 
au  clergé  de  Meaux.  en  1691  (3)  :  «  Oui,  vieillir  sur  eux, 
mourir  sur  eux,  voilà  tous  mes  vœux.  Certe  in  his  consencs- 
cere ,  his  immoi'i,  sitmma  votoinim  est.  » 

Les  habitants  de  Meaux,  qui  voyaient  toutes  les  nuits 
une  lampe  briller  dans  la  chambre  de  Bossuet ,  pour  éclai- 
rer ses  travaux ,  ses  études  sur  la  Bible  et  les  Pères ,  disaient 
entre  eux  :  «  C'pst  /'f'toi/f  de  Monseigneur  ».  Cette  «  étoile  » 
s'éteignit  le  12  avril  ITOi;  ou  plutôt,  non;  «  l'étoile  »  de 
Bossuet  rayonne  plus  belle  et  plus  brillante  que  jamais  au 
firmament  de  l'Église  de  France. 


(1)  L'abbé  Le  Dieu  lui-même. 

(2)  Mêmoirea  de  Le  Dieu .  p.  .■)()-:;". 

(3)  Epistola  ad  Clern.m  Meldensem,  en  tète  des  Psaumes. 


CHAPITRE  II 

BOSSUET    TRADUCTEUR   ET    COMMENTATEUR 
DES    SAIXTS    PÈRES. 

ARTICLE  V'- 

Textes  d'après  lesquels  on  peut  juger  Bossuet 
traducteur  des  saints  Pères. 

Rossuet,  depuis  sa  jeunesse  jusqu'à  son  dernier  soupir, 
eut  à  traduire  presque  chaque  jour  les  Pères  grecs  et  les 
Pères  latins,  dont  il  citait  des  passages  soit  dans  ses  sermons, 
soit  dans  ses  ouvrages  d'exposition  et  de  controverse. 

Mais  il  ne  semble  pas  qu'il  les  ait  jamais  traduits  en  se 
proposant  de  traduire,  comme  il  a  traduit,  de  la  Rible,  le 
Cantique  des  Cantiques  (1),  un  certain  nombre  de  Psau- 
mes (2),  un  chapitre  de  saint  Jean  (3)  et  l'Apocalypse  (4). 

Les  cahiers  de  Notes,  les  Extraits  et  les  Remarques  mo- 
rales,  que  Rossuet  rédigea  en  tout  temps,  sont  perdus  en 
grande  partie.  Ce  qui  nous  en  reste  ne  contient  point  de 
traductions  des  Pères.  —  Ainsi,  le  volumineux  recueil  de 


(I)  Beaucoup  d'éditeurs  contestent  et  suppriment  cette  traduction.  Mais  M.  La- 
cliat  assure  qu'elle  est  autiientique,  sans  se  donner  grand  peine,  il  est  vrai,  pour 
justifier  son  opinion.  C'est  le  P.  de  la  Broise  qui,  dans  Bossuet  et  la  Bible,  p.  3-'>, 
a  établi  le  premier  que  cette  traduction  n'est  ni  celle  de  Louvain  remaniée,  ni 
celle  de  Saci;  «  que  c'est  une  traduction  nouvelle  » ,  et  que  Bossuet  «  n'aurait  pas 
laissé  un  de  ses  secrétaires  traduire  pour  les  communautés  de  son  diocèse  l'un 
des  livres  les  plus  difliciles  de  l'Écriture  ». 

{■i)  Dans  les  Prières  ecclésiastiques,  il  y  a  trente-quatre  V&SiumQ?,  traduits,  parmi 
lesquels  se  trouve  le  CXVlU",  le  plus  long  de  tous.  Il  y  faut  ajouter  le  \X[«,  que  Bos- 
suet traduisit  et  expliqua  à  la  fin  de  sa  vie. 

(3)  Il  s'agit  du  chapitre  xvn<=,  le  sermon  de  la  Cène,  commenté  par  Bossuet  dans 
les  Méditations  sur  l'Evangile. 

(4)  L'Apocalyiise  avec  une  explication  parut  en  1680. 


76  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  TERES. 

près  de  -200  pages,  étudié  par  M.  l'abbé  Lebarq  (1),  est  «.  écrit 
en  entier  en  latin  ».  Tel  autre  recueil,  «  égale  ment  anté- 
rieur à  1660,  joint  aux  textes  latins  des  réflexioiu  en  fran- 
çais ».  Ces  réflexions,  qui  ne  sont  pas  des  traductions,  se 
trouvent  dans  les  manuscrits  de  Bossuet  :  Deforis,  les  édi- 
teurs de  Versailles  et  même  M.  Lâchât  les  ont  publiées  en 
partie  sous  le  titre  de  Pensées  chrétiennes  et  morales  et  de 
Pensées  détachées;  mais  M.  l'abbé  Lebarq  a  montré  qu'il  y 
avait  là  des  ébauches  de  sermons  qu'il  fallait  en  retirer  (2) , 
et  que,  d'ailleurs,  «  les  réflexions  en  français  »  sont  en 
grande  partie  inédites  (3). 

Ce  nest  donc  que  par  les  fragments  innombrables  des 
Pères,  épars  dans  les  œuvres  oratoires  et  les  autres  ouvrages 
de  Bossuet,  que  Ton  peut  juger  de  sa  manière  de  traduire 
les  Docteurs  de  l'Église  grecque  et  latine. 

Or,  comme  l'a  très  bien  dit  le  P.  de  la  Broise  à  propos 
de  l'ouvrage  de  M.  Henri  Wallon,  Le-s  saints  Évangiles,  tra- 
duction tirée  des  œuvres  de  Bossuet  (4) ,  qui  est  «  la  ver- 
sion des  Evangiles  la  plus  noblement  écrite  peut-être,  et 
à  tous  les  points  de  vue  l'une  des  meilleures  que  notre 
langue  possède  (5)  »  ,  nous  n'avons  pas  là  la  traduction 
des  Evangiles,  «  telle  que  Bossuet  l'aurait  faite,  s'il  avait 
entrepris  ce  travail  d'une  manière  suivie.  On  ne  traduit  pas 
de  la  même  façon  un  livre,  qu'on  mène  du  commencement 
à  la  tin,  et  un  passage  qu'on  jette  au  milieu  d'un  discours 
ou  d'un  ouvrage.  Dans  le  passage  détaché,  dans  le  texte  de 
quelques  lignes,  on  vise  à  ramasser  plus  de  force  et  plus  de 
trait  ;  parfois  la  thèse  particulière  qu'on  se  propose  de  dé- 
montrer force  à  insister  d'une  manière  spéciale  sur  quel- 
ques mots  qu'on  ne  songerait  pas  à  souligner  dans  une  tra- 


(1)  Histoire  critique  de  la  prédication  de  Bossuet,  p.  13-l(i. 

(-2)  Il  a  en  relirù  un  Sermon  sur  l'Epiphanie,  dont  roriginal  avait  été  sciemment 
adouci,  et  une  esquisse  sublime  d'un  Sermon  sur  l'enfer,  prêché  à  la  mission  de 
Meaux,  donnée  à  la  lin  du  Carême  de  1684  avec  le  concours  de  Féuelon,  Fleury  et 
«  autres  amis  •  do  Bossuet. 

(.1)    Ilit.  cril.,  p.  -20  et  -Xi. 

(4)  Cette  traduction  a  paru  en  I8,"i5,  alors  (luc  les  œuvres  imprimées  de  Bossuet 
renfermaient  encore  des  traductions  de  textes  insérées  par  les  premiers  éditeurs. 

(■■>)  Bossuet  cl  la  Bible,  p.  G. 


BOSSUET  TRADUCTEUR  ET  COMMENTATEUR  DES  SAINTS  PERES.     77 

(luction  proprement  dite  ;  à  côté  de  ces  mots  importants  sur 
lesquels  on  veut  appuyer,  on  laisse  passer  les  autres  un  peu 
au  hasard,  sans  peser  chaque  expression,  comme  on  le  fe- 
rait dans  une  version  complète,  destinée  à  tenir  lieu  de 
l'original;  enfin,  quand  on  jette  ci  et  là  quelques  frag- 
ments séparés,  on  ne  songe  pas  à  mettre  entre  eux  cette 
unité  (le  ton  et  de  style,  qu'on  rechercherait  dans  une  ver- 
sion faite  avec  suite.  Les  divergences  de  style  et  de  ma- 
nière doivent  surtout  être  sensibles  entre  des  fragments 
traduits  à  de  longs  intervalles  de  temps  et  dans  des  ou- 
vrages de  nature  diverse  (1).  » 

Ajoutez  à  cela  que  Deforis  et  ses  successeurs  ont  souvent 
donné  comme  étant  de  Bossuet  des  traductions  de  leur 
crû  :  heureusement,  l'édition  définitive  des  Œuvres  ora- 
toires de  Bossuet,  publiée  par  M.  l'abbé  Lebarq,  a  débar- 
rassé de  cette  prose  parasite  et  apocryphe  le  grand  stvle 
de  lévêque  de  Meaux. 

Néanmoins,  on  n'a  pas  les  éléments  nécessaires  et  indis- 
pensables pour  se  faire  une  juste  idée  de  la  manière  dont 
Bossuet  aurait  traduit  les  saints  Pères;  on  a  seulement 
maintes  et  maintes  preuves  de  la  manière  dont  il  les  a  tra- 
duits pour  son  usage  et  pour  les  besoins  de  son  éloquence 
ordinaire,  de  ses  controverses,  de  ses  œuvres  ascétiques  et 
dogmatiques. 

ARTICLE  II 

Différence  entre  Bossuet  traducteur  de  la  Bible 
et  Possuet  traducteur  des  saints  Pères. 

Nous  connaissons  par  plusieurs  écrits  de  Bossuet  lidée 
qu'il  se  faisait  de  la  traduction  de  la  Bible.  «  Le  premier 
objet  d'un  traducteur,  dit-il  dans  la  Deuxième  Instruction 
sur  la  Version  de  Trévoux  (2),  c'est  d'être  fidèle  au  texte , 

(I)  Bossuet  et  ta  BilAe,  p.  7. 

(-2)  Elle  parut  en  1703  avec  une  Dissertation  sur  la  doctrine  et  la  critique  de 
Grotius. 


78  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

sans  lui  »'>tei'  un  seul  trait  ni  la  plus  petite  syllabe  ».  Il  veut 
que  la  traduction  soit,  pour  les  pensées  et  pour  le  style, 
limage  exacte  de  roriginal.  Ce  qu'il  regrette  dans  la  Ver- 
sion de  Mons  (1),  c'est  que  les  auteurs  y  aient  «  mêlé  leur 
industrie  et  l'élégance  naturelle  de  leur  esprit  à  la  parole 
de  Dieu...  Si  la  Version  de  Mons  a  quelque  chose  de  blâ- 
mable, ccst  principalement  qu'elle  affecte  trop  de  politesse, 
et  qu'elle  veut  faire  trouver,  dans  la  traduction,  un  agré- 
ment que  le  Saint-Esprit  a  dédaigné  dans  l'original.  Aimons 
la  parole  de  Dieu  pour  elle-même...  J'aime  pour  moi  qu'on 
respecte,  qu'on  goûte  et  qu'on  aime  dans  les  versions  les 
plus  simples  la  sainte  vérité  de  Dieu  «.  Bossuet  reproche 
surtout  à  Richard  Simon  de  «  se  rendre  auteur  (*2)  » ,  de 
mettre  «  les  pensées  des  hommes  au  lieu  de  celles  de 
Dieu  (3)  ». 

Aussi  la  première  règle  qu'il  ait  suivie  dans  la  traduction 
des  Livres  Saints,  c'est  la  fidélité  littérale  la  plus  parfaite, 
et  le  P.  delà  Broise  n'a  pas  eu  de  peine  à  établir  que,  quoi- 
qu'on puisse  reprocher  quelques  fautes  à  Bossuet,  ses  tra- 
ductions l'emportent  presque  toujours  sur  celles  de  ses  con- 
temporains, —  le  P.  Amelotte  de  l'Oratoire,  Godeau,  évèque 
de  Vence,  le  P.  Bouhours,  aidés  des  PP.  Le  Tellier  et  Ber- 
nier,  traducteurs  du  Nouveau  Testament  et  MM.  de  Port- 
Royal,  traducteurs  de  l'Ancien  et  du  Nouveau  Testament,  — 
«  parce  qu'elles  serrent  davantage  le  texte,  parce  qu'elles 
sont  plus  brèves,  et  par  suite  plus  fortes...  Bossuet  semble 
prêt  à  faire  violence  à  toute  construction  française  :  en 
tous  cas,  il  va  aussi  loin  qu'il  peut  et  ne  s'arrête  que 
devant  l'impossible...  Il  n'est  plus  besoin  du  reste  de  dé- 
fendre Bossuet  dans  ses  hardiesses  de  mots  ou  de  construc- 
tions :  c'est  au  déclin  du  dix-septième  sièle,  c'est  au  dix- 


1)  Elle  est  ainsi  appelée,  parce  qu'elle  liil  iinininiécî  à  .AIous  :  le  I'-'  volume  {les 
Proi'crbes)  parut  en  Ki'-i.  le  dernier  de  l'Ancien  Testament,  le  Cantit/ne  des  Can- 
liqwx,  en  1(>!PV.  L'Ancien  Testament  a  1.j  vol..  le  Nouveau  ".  publics  de  Kiît*  à  I"IH). 
I-a  traduction  est  toute  de  Saci:  les  notes  sont  de  lui  pour  II  vol.  seulement. 

(i)  Dnirirmr  Iimlrticlion  SUT  la  Vrrsion  de  Trévoux  :  le  Nouveau  Testament 
traduit  par  Uictianl  Simon. 

(.'»)  Lcllrc  au  caidinal  de  Noaillos.  en  tète  des  Inslriiclio>ts  sui'  la  Version  de 
Trévoux, 


BOSSUET  TRADUCTEUR  ET  COMMENTATEUR  DES  SAINTS  PÈRES.    79 

huitième  surtout  qu'on  pouvait  lui  en   faire  un  reproche. 
Notre  temps  porte  presque  jusqu'à  l'excès  le  g-oùt  des  tra- 
ductions fortes  et  audacieuses,  des  phrases  presque  incor- 
rectes,  mais  expressives.  Nous  ne  savons  plus  que  louer    - 
Bossuet  d'avoir  été  littéral,  d'avoir  souvent  enrichi  par  une    \ 
heureuse  audace  notre  vocabulaire  et  notre  syntaxe,  d'à-      i 
voir  brisé  les  moules  convenus  pour  frapper  les  passages 
qu'il  traduit  d'une  empreinte  plus  fidèle  et  plus  person- 
nelle en  même  temps,  de  s'être  écarté  des  chemins  battus 
pour  aller  à  son  but  par  des  sentiers  plus  droits  et  plus 
pittoresques  (1)  ». 

3Iais  Bossuet  traducteur  des  saints  Pères  a-t-il  gardé  la 
même  fidélité  littérale  que  dans  ses  traductions  de  la  Bible? 
Il  ne  le  semble  pas.  —  D'abord,  ce  n'est  plus,  «  la  sainte 
vérité  de  Dieu,  la  pensée  de  Dieu,  la  parole  de  Dieu  »,  à  la- 
quelle on  ne  saurait  «  ôter  un  seul  trait  ni  la  plus  petite\ 
syllabe  ».  —  Et  puis,  Bossuet  n'ignore  pas  que  «  la  lettre  \ 
tue  et  que  l'esprit  vivifie  ».  C'est  de  l'esprit  des  saints  Pères    \ 
qu'il  se  pénètre  et  qu'il  remplit  ses  ouvrages. 

Bossuet  sait,  d'ailleurs,  que  «  la  lettre  »  chez  les  Pè- 
res latins  surtout,  n'est  pas  toujours  d'un  goût  irrépro- 
chable. Il  comprend  avant  Villemain  (2  !  que  «  Tertullien , 
Cyprien,  Arnobe,  Augustin,  nés  sous  le  ciel  brûlant  de 
Carthage ,  étaient  plus  orientaux  que  latins.  La  langue  ro- 
maine se  transformait  dans  leurs  écrits ,  et  y  prenait  comme 
une  empreinte  de  ce  génie  arabe  fervent  et  subtil ,  frappé 
tour  à  tour  des  soleils  d'Afrique  et  d'Asie.  »  Il  sent  même 
que  les  Pères  grecs,  les  Basile,  les  Chrysostome,  les  Gré- 
goire de  Nazianze ,  supérieurs  par  le  goût  à  leurs  contem- 
porains de  l'Église  d'Occident,  ne  sont  pas  des  modèles  à 
imiter  en  tout. 

Cela  ne  veut  pas  dire  que  Bossuet  apporte  dans  ses  tra- 
ductions des  Pères  de  l'Église  les  habitudes  de  ses  contem- 
porains, qui  habillaient  les  auteurs  anciens  à  la  française, 
parlaient  des  Lettres  de  Cicéron  à  M.  de  Pompone  (Pompo- 

(\)  Tableau  de  l'éloquence  chréiicnnc  au,  quatrième  xiùclc,  Nouv.  rtlit.  1870.  p.  81. 
(-2)  Bossuet  et  la  Bible,  p.  î)-->2. 


80  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

uius  Atticus),  traduisaient,  comme  Coeffeteau,  Gabii,  Pom- 
peii.  par  Gabium  et  Pompoium  (1),  au  lieu  de  Gabies  et 
Pompéies,  et  allonseaient  le  texte,  comme  le  bon  Amyot, 
en  y  insérant  des  explications  ou  des  répétitions  destinées  à 
rendre  la  phrase  plus  harmonieuse.  Ces  défauts  étaient  plus 
ou  moins  ceux  des  traducteurs  de  saint  Augustin  au  dix- 
septième  siècle  :  Antoine  Arnauld  pour  le  Livre  de  la  vraie 
ri'liqion  (1647),  le  Livre  de  la  foi,  de  l'espérance  et  de  la 
charité'  (IQh-S  et  1685),  le  Liv?'e  de  la  Correction  et  de  la 
Grâce  (1647),  des  Mœurs  de  l'Ér/lise  catholique  (1657),  les 
Sermo?is  sur  les  Psaumes  (1683  ;  Arnauld  d'Andilly  pour 
les  Confessions  (1649-1659- 1676 i;  Philippe  Goibaud  du 
Bois  pour  les  Livres  de  la  manii're  cV cnseiçiner  les  principes 
de  la  religion  chrétienne  à  ceux  qiii  n'en  sont  pas  encore 
instruits.  De  la  vertu  de  continence  et  de  tempérance ,  de 
la  patience  et  contre  le  mensonge  (1678),  les  Lettres  (1684), 
les  Sermons  sur  le  Nouveau  Testament  (1694  et  1700) ,  les 
Livres  de  la  doctrine  chrétienne  (1701),  les  Livres  de  l'es- 
prit et  de  la  lettre  (1700).  C'étaient  aussi  les  défauts  des  tra- 
ducteurs de  Tertullien  :  Louis  Giry  pour  Y  Apologétique 
(1636)  et  le  Traité  de  la  chair  de  Jésus-Christ  (1661);  Ma- 
nessier  pour  le  Livre  du  Manteau  (1665),  le  Livre  de  la  Pa- 
tience (1667);  Hébert  pour  le  Traité  des  prescriptions  contre 
les  hérétiques,  De  l'habillement  des  femmes,  De  leur  ajuste- 
ment et  du  Yoile  des  Vierges  (1683).  C'étaient  encore  les 
défauts  des  traducteurs  de  saint  Jean  Chrysostome  :  Le 
Maistre  pour  le  livre  du  Sacerdoce  (1652);  Antoine  de  Mar- 
silly  (Nicolas  Fontaine)  pour  les  Serïnons  sur  saint  Matthieu 
(1664-1079-1692) ,  Y  Abrégé  de  la  Doctrine  sur  l'Ancien  Tes- 
tament (1688),  Y  Abrégé...  sur  le  Nouveau  Testament  (1676), 
les  Homélies  sur  les  Épitres  de  saint  Paul  (1690),  sur  la 
Genèse  (1702),  sur  les  Actes  des  Apôtres  (1703);  l'abbé  de 
Maucroix  pour  les  Sermons  au  peuple  d'Antioche  (1671  et 
168î)).  C'étaient  enfin  les  défauts  des  traducteurs  de  saint 
Itasile  le  Grand,  l'abbé  de  Bellegarde  et  Leroy  de  Hautefon- 

(1)  Voir  le  thèse  de  M.  rabbt-  Irhain  :  Nicolas  Coeffeteau,  un  des  fondateurs  de 
a  prosr  franraisr.  m  vol.  iii-8",  IS'ja. 


BOSSUEÏ  TRADUCTEUR  ET  COMMENTATEUR  DES  SAINTS  PÈRES.     81 

taine,  et  des  traducteurs  de  saint  Grégoire  le  Grand  (Ij, 
de  saint  Bernard  (2),  de  saint  Léon  (3),  etc..  etc. 

Il  n'y  a  dans  Bossuet  traducteur  des  Saints  Pères  ni  les 
libertés  étranges  que  ses  contemporains  prennent  avec  le 
texte,  ni  leur  remplissage,  ni  leurs  amplifications  plus  ou 
moins  oratoires  et  que  notre  siècle  a  d'autant  plus  de  peine 
à  s'expliquer  qu'elles  cachent  beaucoup  de  contre  sens  et 
de  faux  sens, 

A  Navarre  et  à  Metz ,  Bossuet  traduit  les  Pères  avec  une 
fidélité  qui  va  parfois  jusqu'au  réalisme.  —  Ainsi  dans  le 
Panégyrique  de  saint  Gorgon  (9  sept.  1649),  ce  texte  de 
saint  Cyprien  :  «  Rupta  compagt'  riscerum,  torquebantur  in 
servo  Dei  non  jam  memhra ,  scd  ruinera,  »  est  rendu  de  la 
manière  suivante  :  «  Les  nerfs  et  les  os  étaient  découverts; 
et  la  peau  étant  toute  déchirée,  ce  n'était  plus  ses  membres, 
mais  ses  plaies  que  l'on  tourmentait  ».  —  Ainsi  encore, 
dans  le  Sermon  de  1652  j)Our  le  samedi  saint,  «  ces  paroles 
si  généreuses  du  grave  Tertullien  aux  tyrans  :  Paratus  est  ad 
omne  supplicimn  ipse  habitas  orantis  christiani ,  sont  tra- 
duites par  ces  mots  :  «  La  seule  posture  du  chrétien  priant 
affronte  tous  vos  supplices  ».  —  Dans  le  Sermon  sur  la  Bonté 
et  la  Rigueur  de  Dieu  envers  les  pécheurs  (21  juillet  1652), 
on  lit  :  «  La  justice  fait  ses  atfaires  ;  elle  défend  ses  intérêts  : 
Omne  justitiae  opus ^  prociiratio  bonitatis  est  n^  dit  Tertul- 
lien. Et  encore  :  Comme  le  dit  très  bien  le  même  Ter- 
tullien ,  «  ce  que  Dieu  est  bon,  c'est  du  sien  et  de  son  pro- 
pre fonds;  ce  qu'il  est  juste,  c'est  du  nôtre  :  De  suo  optimus, 
de  nostro  justus  ».  —  Dans  le  Sermon  sur  la  Loi  de  Dieu ,  le 
Bon  Pasteur  est  représenté  rapportant  sur  ses  épaules  la 
brebis  égarée ,  parce  que  «  errant  de  çà  et  de  là ,  elle  s'é- 
tait extrêmement  travaillée  (i)  :  Multum  enim  errando  labo- 
raverat ,  dit  Tertullien  ».  —  Dans  le  Sermon  sur  les  Démons 


(I)  En  particulier  dom  Saint-Germain  Millet  (10-24  et  1G44),  et  Moreau  (104-2). 
(-2)   Antoine  de   Saint-Gabriel,    (1078,  1G81 ,  1082),   les    Bénédictins   de   Saint- 
Maur.  etc. 

(3)  Nicolas  Fontaine  et  de  Croisent  de  Verlevoye. 

(4)  Bossuet  dira  plus  tard  en  l(>>,"i,  Sermon  sur  la  gloire  de  Dieu  dans  la  conver- 
sion des  pécheurs  :  «  Elle  s'était  extrêmement  fatitjuée  ». 

BOSSUET   ET  LES  SAINTS  PÈRES.  0 


82  BUSSUET  ET  LLS  SAIMS  PERES. 

(1653),  on  lit  que  riiominc  «  adultère  tous  les  ouvrages  de 
Dieu,  dit  le  g-rave  Tertullien  ».  —  Dans  le  Sermon  pour  le 
jour  de  Pâques  (165i),  Bossuet  dit  avec  saint  Augustin  que 
«  la  convoitise  qui  nous  résiste  ne  peut  être  combattue  sans 
péril;  elle  ne  peut  être  aussi  bridée  sans  contrainte,  ni  par 
conséquent  modérée  sans  inquiétude  :  Illa  quae  resistunt 
periculoso  debellantur  praelio ;  et  illa  quae  victa  sunt  non- 
dum  securo  triumphantur  otio ;  sed  adhuc  sollicito  pre- 
muntur  imperio  ».  —  Dans  le  Sermon  pour  le  jour  de  la 
Pentecôte  (165i),  nous  lisons  :  «  Comme  dit  le  grand  Augus- 
tin, ce  que  la  loi  commande,  la  foi  l'impètre  :  Fides  impe- 
trat  quod  lex  imperat.  »  —  Tout  un  passage  de  saint  Gyprien 
est  traduit  à  la  fin  du  Sermon  pour  la  vêture  d'une  nouvelle 
catholique  à  Metz  :  Bossuet  semble  y  sacrifier  l'élégance 
à  la  fidélité.  ((  Voici,  dit-il,  comme  parle  ce  grand  person- 
nage (saint  Gyprien,  ce  grand  défenseur  de  l'unité  ecclé- 
siastique) à  quelques  prêtres  de  l'Église  Romaine ,  qui  s'é- 
taient retirés  de  la  société  des  fidèles  sous  le  prétexte  de 
maintenir  la  pure  doctrine  de  l'Évangile  contre  les  ordon- 
nances des  pasteurs  de  l'Église.  «  Ne  pensez  pas,  mes  frères, 
que  vous  défendiez  l'Évangile  de  Jésus-Ghrist ,  en  vous  sé- 
parant de  son  troupeau  et  de  sa  paix  et  de  sa  concorde  ; 
étant  certes  plus  convenable  (1)  à  de  bons  soldats  du  Sau- 
veur de  ne  point  sortir  du  camp  de  leur  capitaine ,  afin 
que,  demeurant  dedans  avec  nous,  ils  puissent  pourvoir 
avec  nous  aiix  choses  qui  sont  utiles  à  l'Église.  Gar,  puisque 
notre  concorde  ne  doit  point  être  rompue  et  que  nous  ne 
pouvons  pas  quitter  l'Église  pour  aller  à  vous,  ce  que  nous 
ferions  volontiers,  si  la  vérité  le  pouvait  permettre  (2),  nous 
vous  prions  et  nous  vous  demandons  avec  toute  l'ardeur 
possijjle  que  vous  retourniez  au  plus  tôt  à  notre  fraternité 
et  à  l'Église  de  laquelle  vous  êtes  sortis  (3).  Née  putetis 
sic  vos  Evangelium   Christi  asserere ,  dum  vosmetipsos  a 

(I)  On  remarquera  ce  participe  présent  un  peu  lourd  .  connue  le  suivant  demcu- 
rnnl. 

(-2)  Ci'tte  incidente  n'est  pas  dans  le  texte  latin. 

(.t)  l.c  texte  do  saint  Cyprien  dit  seulement  :  «  Ecclesiam  matrem,  l'Église  votre 
mère.  • 


BOSSUET  TllADUCTEUll  ET  COMMENTATEUR  DES  SAINTS  PÈRES.      83 

Christi  grege  et  ab  ejus  pace  et  concordia  separatis;  cum 
magis  militibus  gloi'iosis  et  bonis  congruat  intra  domoslica 
castra  consisterc,  et  intus  positos   ea  qiiae   in    commune 
tractanda  swit  agere  ac  providere.  Nam  cum  unanimitas 
et  concordia  nostra  scindi  omnino  non  debeat,  quia  nos 
Ecclesia  derelicta  foras  exire  et  ad  vos  venire  non  possumus, 
ut  vos  magis  ad  Ecclesiam  matrem  et  ad  nostram  fraterni- 
tatem  revertamini,  quibus  possumus  hortamentis  petimus 
et  rogamus.  —  On  pourrait  citer  encore  un  long-  texte  de 
saint  Augustin  traduit  dans  le  Sermon  pour  la  Fête  de  la 
Visitation,  en  1655  :   «  Voulez-vous  savoir,  demande  saint 
Augustin  jusqu'où  IWpôtre  est  descendu  pour  se  rendre 
faible  avec  les  faibles?  Il  s'est  abaissé  jusqu'à  donner  du  lait 
aux  petits  enfants.  Ecoutez-le  lui-même  dire  aux  Thessa- 
loniciens  :  «  Je  me  suis  conduit  parmi  vous  avec  une  dou- 
ceur d'enfant,  comme  une  nourrice  qui  a  soin  de  ses  en- 
fants ».  Et  en  effet,  nous  voyons  les  nourrices  et  les  mères 
s'abaisser  pour  se  mettre  à  la  portée  de  leurs  petits  enfants; 
et  si,  par  exemple,  elles  savent  parler  latin,  elles  appetis- 
sent  (1)  les  paroles  et  rompent  en  quelque  sorte  leur  langue, 
afin  de  faire  d'une  langue  diserte  un  amusement  d'enfant. 
Ainsi  un  père  éloquent ,  qui  a  un  fds  encore  dans  l'enfance , 
lorsqu'il  rentre  dans  sa  maison ,  il  dépose  cette  éloquence 
qui  l'avait  fait  admirer  dans  le  barreau  pour  prendre  avec 
son  fils  un  langage  enfantin.  Quare  qiio  descenderit  usque 
ad  lac  parvulis  dandum  :  Factus  sum  parvulus  in  medio 
vestrum,  tanquam  si  nutrix  foveat  fdios  suos.    Videmus 
enim  et  nutrices  et  mafres  descendere  ad  parvidos  :  et  si 
norunt  latina  verba  dicere ,  decurtant  illa,  et  quassant, 
quodam  modo,  linguam  suam,  ut  possint  de  lingua  diserta 
fieri  blandimenta  puerilia...  Et  disertus  aliquis  pater,...  si 
habeat  parvuhim  filium ,  cum  ad  domum  rediei'it,  seponit 
forensem  eloquentlam  quo  ascenderat ,  et   lingua  puerili 
descendit  cul  jiarvulum  ». 


(I)  On  remarquera  ce  mot  qui  n'est  pas  resté  dans  la  langue  française,  quoi- 
qu'il le  méritât. 


84  nOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

ARTICLE  III 

Progrès  de  Bossuet,  traducteur  des  saints  Pères. 
Son  originalité. 

Dès  Tépoque  de  Metz,  1652-16159,  on  peut  surprendre 
chez  le  jeune  orateur  des  progrès  constants  dans  ses  traduc- 
tions comme  dans  son  éloquence.  —  Ce  texte  de  saint  Augus- 
tin, tiré  du  De  sancta  cirginitate  :  «  [Maria]  cooperala  est 
charitate  ut  filii  Dei  in  Ecclesia  nasceréhtiir  »,  n'est  traduit 
qu'imparfaitement  en  1651  dans  le  Sennon  sur  le  Rosaire. 
«  C'est  par  le  cœur  que  vous  nous  avez  enfantés  [ô  bien- 
heureuse Marie] ,  parce  que  vous  nous  avez  enfantés  par  la 
charité  ».  La  seconde  partie  de  la  phrase  de  saint  Augustin 
n'est  pas  rendue.  —  Même  traduction  en  1652  dans  le  Ser- 
mon sur  la  Nativité  de  la  sainte  Vierge  [i).  —  En  1655,  dans 
le  Sermon  pour  la  fête  de  l' Annonciation ,  Bossuet  traduit 
ainsi  :  «  Elle  a  coopéré  par  sa  charité  à  la  naissance  des 
enfants  de  Dieu  dans  rÉglise  »  (2).  Traduction  à  peu  près 
identique  dans  le  second  Sermon  pour  la  Nativité  de  la 
sainte  Vierge,  en  1656  :  «  Marie  participe  à  la  fécondité  na- 
turelle de  Dieu,  engendrant  son  propre  fils,  et  à  la  fécon- 
dité de  sa  charité,  engendrant  aussi  les  lidèles,  à  la  nais- 
sance desquels  elle  a  coopéré  par  sa  charité  :  Cooperata  est 
charitate  (3)  ».  En  1657,  dans  le  second  Sermon  pour  la  fête 
du  Rosaire,  prêché  à  Navarre,  Bossuet  dit  mieux  encore  : 
«  Parce  que,  poursuit  ce  grand  homme  (saint  Augustin), 
I  Marie]  a  coopéré ,  par  sa  charité ,  à  faire  naître  dans  l'Église 
les  enfants  de  Dieu;  quia  cooperata  est  charitatr ,  ut  filii 
Dei  uascerentur  in  Ecclesia  (i)  ». 

On  peut  faire  la  même  remarque  à  propos  de  ce  texte  de 
Tertullien  sur  le  Verbe  incarné  :  ((  Ediscens  jam  indc  à  pri- 
mordio,  jam  inde  hominem ,  quod  erat  futurus  in  fine  ». 
Bossuet  traduit  en  1652  dans  son  Sermon  sur  la  Conception 

(I)  (ICuvrcs  oratoires  de  Bossuet;  édition  ],el)an| .  t.  I,  p.  180. 
(-2)  Iliidctn,  t.  II.  p.  8. 
(:<)  Jljidtm,  t.  Il,  p.  iJV. 
r..  Il/iil<t„.  t.  II,  ,).  .;-,|. 


( 
BOSSUET  TRADUCTEUR  ET  COMMENTATEUR  DES  SAINTS  PÈRES.      85 

de  la  sainte  Vierge  (1)  :  «  11  se  plaisait  d'exercer,  dès  l'ori- 
gine du  monde ,  ce  qu'il  devait  être  dans  Ja  plénitude  des 
tenjfis  ».  —  En  1656,  dans  le  second  Sermon  sur  la  Nativité 
de  la  sainte  Vierge,  il  dit^  «  ...  Ce  qu'il  devait  être  enfin  dans 
la  plénitude  des tei)ips  »  (2).  —  La  même  année,  prêchant 
à  Paris  la  Conception  de  la  sainte  Vierge,  il  traduit  ainsi  : 
«  Il  se  plaît  d'exercer  dès  l'origine  du  monde  ce  qu'il  sera 
dans  la  fin  des  tempsf(3)  ».  Le  progrès  du  traducteur  est 
facile  à  constater  au  point  de  vue  de  l'exactitude  et  de  la 
fidélité  aussi  bien  que  de  l'élégance. 

Prenons  encore  cet  autre  texte  de  Tertullien  à  propos  des 
martyrs  :  «  Corona  premit  imlncra,  palma  sanguineni  obs- 
curat,  plus  vicloriarum  est  quam  injîiriarum  ».  Bossuet 
traduit  dans  le  Panégyrique  de  saint  Paul ,  30  juin  1657  : 
«  Il  ne  reçoit  pas  plus  tôt  une  plaie  qu'il  la  couvre  par  une 
couronne;  aussitôt  qu'il  verse  du  sang,  il  acquiert  de  nou- 
velles palmes;  il  remporte  plus  de  victoires  qu'il  ne  souffre 
de  violences  (4).  »  —  Dans  le  Panégi/rique  de  saint  Victor, 
qui  est  postérieur,  quoique  de  la  même  année,  du  moins 
d'après  l'abbé  Vaillant,  Gandar  et  l'abbé  Lebarq,  le  jeune 
orateur  se  corrige  et  s'améliore  en  disant  :  «  Il  ne  reçoit 
aucune  blessure  qu'il  ne  couvre  par  une  couronne  ;  il  ne 
verse  pas  une  goutte  de  sang  qui  ne  lui  mérite  de  nouvelles 
palmes  ;  il  remporte  plus  de  victoires  qu'il  ne  souffre  de 
violences  (5).  » 

Dès  cette  époque,  d'ailleurs,  Bossuet  révèle  l'art  avec  le- 
quel il  sait  tirer  des  saints  Pères  un  parti  merveilleux.  Tan- 
tôt, c'est  un  mot  qu'il  ajoute,  une  image  qu'il  insère  dans 
la  traduction  et  qui  donne  à  la  pensée  un  relief  nouveau. 
Tantôt,  c'est  toute  une  série  d'idées  ou  de  sentiments  qu'il 
sait  faire  sortir  d'une  parole  assez  vague,  assez  obscure  par 
elle-même  et  que  seul  peut  éclairer  un  génie  comme  celui 
de  Bossuet. 

(I)  Édition  Lehani.  t.  I.  p.  \2'(0. 
(-2)  Ibidem,  t.  H.  p.  -iil. 
(.'})  Ibidem,  t.  11,  p.  '2;i(>. 

(4)  Œum-es  oraloire.i .  t.  Il,  p.  Il.î. 

(5)  Ibidem,  t.  p.  3i0. 


86  ROSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

Quelle  clarté  lumineuse  jetée  sur  quelques  mots  de  saint 
Augustin  et  de  Clément  d'Alexandrie  dans  ces  passages  du 
Smiiuii  poiw  le  Samedi  Saint  (1652)  :  «  Saint  Augustin  dis- 
tingue deux  sortes  de  vie  en  Tàme  :  l'une  qu'elle  commu- 
nique au  corps  et  l'autre  dont  elle  vit  elle-même  :  Aliiid 
est  e)W)i  in  anima  unde  corpus  rivificatur,  aliud  aride  ipsa 
civificalur  (1).  »  «  Ce  qui  a  donné  occasion  à  Clément  Alexan- 
drin de  dire,  dans  cette  belle  hymne  qu'il  adresse  à  Jésus 
le  roi  des  enfants ,  c'est-à-dire  des  nouveaux  baptisés ,  que 
«  ce  divin  pêcheur  (ainsi  appelle-t-il  le  Sauveur)  retirait 
les  poissons  de  la  mer  orageuse  du  siècle,  et  les  attirait 
dans  ses  filets  par  l'appât  d'une  douce  vie ,  dulci  vita  ines- 
cans  (2)  ». 

Voici  d'heureux  commentaires  de  l'évêque  d'Hippone  : 
«  C'est  pourquoi ,  dit  l'admirable  saint  Augustin,  «  le  pre- 
mier degré  de  misère,  c'est  d'aimer  les  choses  mauvaises; 
et  le  comble  de  mcdheur,  c'est  de  les  avoir  :  Amando  enim 
res  noxias  miseri,  habendo  sunt  miseriores  (3)».  —  «  Ce 
n'est  pas  la  rigueur  des  tourments  qui  le  fait  mourir  (le  Sau- 
veur) ;  il  meurt ,  parce  qu'il  le  veut  ;  et  il  sort  du  monde  sans 
contrainte,  parce  qu'il  y  est  venu  volontairement  :  Abscessit 
potestate ,  quia  non  renerat  necessitate  (4)  ».  —  «  C'est  pour- 
quoi le  grand  Augustin ,  parlant  de  ceux  qui  gardaient  la 
Loi  par  la  seule  terreur  de  la  peine,  non  par  l'amour  de  la 
véritable  justice,  il  prononce  cette  terrible,  mais  très  véri- 
table sentence  :  «  Ils  ne  laissaient  pas,  dit-il,  d'être  crimi- 
nels, parce  que  ce  qui  paraissait  aux  hommes  dans  l'œuvre, 
devant  Dieu,  à  qui  nos  profondeurs  sont  ouvertes,  n'était 
nullement  dans  la  volonté  :  au  contraire,  cet  d'il  pénétrant 
de  la  connaissance  diviîie  voyait  qu'ils  aimeraient  beaucoup 
mieux  commettre  le  crime,  s'ils  osaient  en  attendre  l'impu- 
nité, Coram  Deo  îion  erat  in  voluntate  quod  coram  liomini- 
husapparebat  in  opère  ;  ])otiusque  ex  illo  rei  tenebantur  quod 


(I)  (Eui^rvs  oratdircs ,  t.  I.  p.  Ilii. 

(•2)  Ihidrm,  p.  1-21. 

(.'<)  Sr-rmon  sur  la  loi  de  Dieu,  ('dilioii  Lcbarq  ,  I.  I.  p.  ;i;i". 

(4)  Sermon  pour  l'ExaUalion  de  la  Sainlc-Croix ,  Ibidem,  ]i.  VU. 


BOSSUET  TRADUCTEUR  ET  COMMENTATEUR  DES  SAINTS  PÈRES.      87 

eosnoreratDcus  malle,  si fîeripossef,  impwie  committarc  {\.  ). 
Ce  n'est  pas  tant  saint  Augustin  qui  gag-ne  à  être  traduit 
et  commenté  par  Bossuet  que  ïertullien,  «  ce  dur  Afri- 
cain (2)  »,  saint  Cyprien,  Origène,  saint  Léon,  saint  Basile, 
saint  Grégoire  de  Nazianze,  saint  Chrysostome  lui-même, 
—  «  En  faisant  de  nouvelles  Eglises,  on  n'a  pas  fait  de  socié- 
tés séparées.  On  a  été  prendre  des  premières  Églises  la  con- 
tinuation de  la  foi  et  la  semence  de  la  doctrine  :  Traducem 
fidf'i  et  semina  doctrinae  ceterae  exinde  Ecclesiae  mutuatae 
sKjit  »,  dit  Tertullien  (3).  —  «  TertuUien  explique  fort  excel- 
lemment le  dessein  de  notre  Sauveur  dans  la  rédemption 
de  notre  nature ,  lorsqu'il  parle  de  lui  en  ces  termes  :  Le 
diable  s'étant  emparé  de  l'homme  qui  était  l'image  de  Dieu, 
«  Dieu,  dit-il,  a  regagné  son  image  par  un  dessein  d'émula- 
tion :  Deus  imaginem  suani  a  diabolo  captam  aemula  opera- 
tione  recuperavit  (i)  ».  Entendons  quelle  est  cette  émula- 
tion, et  nous  verrons  que  cette  parole  enferme  une  belle 
théologie.  C'est  que  le  diable,  se  déclarant  le  rival  de  Dieu, 
a  voulu  s'assujettir  son  image,  et  voilà  jalousie  contre  jalou- 
sie, émulation  contre  émulation.  Or,  le  principal  effet  de 
l'émulation,  c'est  de  nous  inspirer  un  certain  désir  de  l'em- 
porter sur  notre  adversaire  dans  les  choses  où  il  fait  son  fort 
et  où  il  croit  avoir  le  plus  d'avantage.  C'est  ainsi  que  nous 
lui  faisons  sentir  sa  faiblesse,  et  c'est  le  dessein  que  s'est  pro- 
posé la  miséricordieuse  émulation  du  Réparateur  de  notre 
nature.  Pour  confondre  l'audace  de  notre  ennemi ,  il  fait 
tourner  à  notre  salut  tout  ce  que  le  diable  a  employé  à  notre 
ruine  ;  il  renverse  tous  ses  desseins  sur  sa  tète ,  il  l'accable 
de  ses  propres  machines,  et  il  imprime  la  marque  de  sa 
victoire  partout  où  il  voit  quelque  caractère  de  son  rival 
impuissant.  Et  d'où  vient  cela?  C'est  qu'il  est  jaloux  et  poussé 
d'une  charitable  émulation.  C'est  pourquoi  la  foi  nous  en- 


ci  >  Svrmon pour  la  Pentecôte,  édition  Leijarq  .  p.."i()'f. 

(-2)  Le  mot  est  de  Bossuet  lui-même,  qu'on  u  vu  pourtant  si  élogieux  pour  «  ce 
grand  homme  ». 

(3)  Sermon  pour  la  Vcturc  d'une  nouvelle  calholiipie  (l(>.")i).  édition  Lel)an(.  t.  1. 
p.  48't. 

(4)  De  Carne  Christi,  n"  1". 


88  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

seigne  que  si  un  homme  nous  perd ,  un  homme  nous  sauve  ; 
la  mort  règne  dans  la  race  d'Adam  :  c'est  de  la  race  d'Adam 
que  la  vie  est  née  ;  Dieu  fait  servir  de  remède  à  notre  péché 
la  mort  qui  en  était  la  punition;  l'arbre  nous  tue,  l'arbre 
nous  guérit;  et  pour  accomplir  toutes  choses  nous  voyons 
dans  l'Eucharistie  qu'un  manger  salutaire  répare  le  mal 
qu'un  manger  téméraire  avait  fait.  L'émulation  de  Dieu  a  fait 
cet  ouvrage  »  (1).  — On  raconte  que  Socrate,  lisant  les  pre- 
miers dialogues  de  Platon,  se  serait  écrié  :  «  Que  de  choses 
me  fait  dire  ce  jeune  homme  auxquelles  je  n'ai  jamais 
songé!  »  Si  TertuUien,  revenant  au  monde,  lisait  Bossuet, 
ne  pourrait-il  pas  dire  avec  plus  de  raison  :  «  Que  de  choses 
il  me  fait  dire  auxquelles  je  n'ai  jamais  songé  !  »  —  Bos- 
suet semble  le  reconnaître  lui-même,  lorsque  dans  son  Sr/'- 
mon  pour  la  Vêture  d'une  nouvelle  catholique  (2),  il  parle 
ainsi:  «  Nous  enseignons,  disaient-ils  [les  Pères],  ce  que 
nous  ont  appris  nos  prédécesseurs;  et  nos  prédécesseurs 
l'ont  reçu  des  hommes  apostoliques;  et  ceux-là,  des  apô- 
tres; et  les  apôtres,  de  Jésus-Christ;  et  Jésus-Christ,  de  son 
Père.  )>  C'est  à  peu  pjrès  ce  que  veulent  dire  ces  paroles  du 
grand  TertuUien.  Ecclesia  ab  Apostolis,  apostoli  a  Cliristo, 
Christus  a  Deo  tradidit  (3).  » 

Bossuet  prête  encore  de  son  fonds  à  TertuUien,  quand  il 
le  fait  parler  ainsi  à  propos  de  l'âme  en  proie  à  la  douleur  : 
«  Au  contraire,  dit  TertuUien,  elle  s'émeut  elle-même 
jiur  le  grand  effort  qu'elle  fait  pour  ne  se  pas  émouvoir;  et 
encore  que  la  faiblesse  ne  C abatte  pas,  elle  s'agite  par  sa 
résistance^  et  sa  fermeté  même  rébranle  par  sa  propre  con- 
tention :  In  hoc  tamen  mota  ne  moreretur,  ipsa  constan- 
tia  concassa  est  achersus  inconstaîitiae  concussionem  (il.  » 
—  Autre  exemple  dans  le  Sermon  pour  la  Pentecôte,  1658  : 
«  C'est  pourquoi  TertuUien  s'étonne  qu'il  y  eût  des  chré- 
tiens assez  lâches  pour  se  racheter  par  argent  des  persécu- 


(1)  Sermon  potir  la  fête  de  l'Annonciation,  MCm  :  t-ditioii  Lclmrq,  t.  II.  ]).  4. 

(-2)  KrJition  Leharq,  t.  I,  p.  '(Ki. 

(:J)  I)<:  p7-aescriplioiir.  n"  1". 

(i)  Sermon  jiour  la  fitc  de  la  Compassion  dr  la  sainte  Virrijc,  Lobarq,  t.  H  .  p.  t"l. 


BOSSUET  TRADUCTEUR  ET  COMMENTATEUR  DES  SAINTS  PERES.      89 

tions  qui  les  menaçaient;  et  vous  allez  entendre  des  senti- 
ments vraiment  dignes  de  l'ancienne  Église  et  de  l'esprit 
du  christianisme  :  Christianus pecunia  sa/rus  est;  ft  in  hor 
nummos  habet  ne  patiatur,  dum  adver.sus  Deum  erit  di- 
ves  (1)  ».  0  honte  de  l'Église,  s'écrie  ce  grand  homme,  un 
chrétien  sauvé  par  argent,  un  chrétien  riche  pour  ne  souf- 
frir pas!  A-t-il  donc  oublié,  dit-il,  que  Jésus  s'est  montré 
riche  pour  lui  par  l'effusion  de  son  sang?  At  enim  C/iristiis 
sanguine  fuit  dives  pro  illo.  Ne  vous  semble-t-il  pas  qu'il 
lui  dise  :  Toi,  qui  t'es  voulu  sauver  par  ton  or,  dis-moi, 
chrétien ,  où  était  ton  sang?  N'en  avais-tu  plus  dans  tes  vei- 
nes, quand  tu  as  été  fouiller  dans  tes  coffres  pour  y  trouver 
le  prix  honteux  de  ta  liberté?  Sache  qu'étant  rachetés 
par  le  sang,  étant  délivrés  par  le  sang,  nous  ne  devons 
point  d'argent  pour  nos  vies  ;  nous  n'en  devons  point  pour 
nos  libertés,  et  notre  sang  nous  doit  garder  celle  que  le  sang 
de  Jésus-Christ  nous  a  méritée  :  Sanguine  enipti,  sanguine 
numerati ,  nullum  nummwn  pro  capite  debemus  (2)  ». 

«  L'Église ,  éclairée  par  le  Sauveur  Jésus ,  qui  est  son  vé- 
ritable soleil ,  dit  l'admirable  saint  Gyprien  (3) ,  bien  qu'elle 
répande  ses  rayons  par  toute  la  terre,  n'a  qu'une  lumière 
qui  se  communique  partout  :  Ecclesia  Domini  luce  pjerfusa 
per  totum  orbem  radios  suos  por?ngit;  ununi  tanien  lumen 
est ,  quod  ubique  diffunditur  (4)  ».  Comme  par  quelques 
mots  Bossuet  a  su  relever  la  belle  image  de  saint  Cyprien  ! 
—  Voici  encore  un  commentaire  plus  heureux  de  ce  Père 
dans  V Esquisse  d'un  Sermon  sur  la  eharité  :  «  Saint  Cy- 
prien ,  De  opère  et  eleemosyna  :  «  Mais  vous  avez  plusieurs 
enfants  et  une  nombreuse  famille.  Vous  dites  que  vos  char- 
ges domestiques  ne  vous  permettent  pas  de  vous  montrer 
libéral  aux  pauvres.  Atqui  hoc  ipso  oportet  amplius  dones^ 
quo  multorum  [ngnorum  pater  es  :  C'est  ce  qui  vous  impose 
l'obligation  d'une  charité  plus  abondante.  Car  vous  avez 

(I)  De  fuga  in  persecnlione,  n"  1-2.  —  Ce  texte  est  assez  obscur;  ni;iis  Bossuet 
réclaire  admirablement. 
('2)  Édition  Lebarq,  t.  H,  p.  4()5-4!»(). 
(3)  Liber  de  Unitnte  Eccle.siae. 
('*)  Édition  Lebarq,  t.  I .  p.  484. 


90  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

plus  de  personnes  pour  lesquelles  vous  devez  apaiser  Dieu, 
plus  de  péchés  à  racheter,  plus  d'âmes  à  déhvrer  de  la 
gêne,  plus  de  consciences  à  nettoyer  des  fautes  continuel- 
les auxquelles  notre  fragilité  est  sujette  et  de  tant  de  ten- 
tations auxquelles  elle  est  exposée.  Vous  êtes  prêtre  dans 
votre  famille  :  vous  devez  instruire,  faire  la  prière  pour 
tous;  et,  comme  vous  augmentez  votre  tahle  et  la  dépense 
de  votre  maison  selon  le  nombre  de  vos  enfants ,  pour  en- 
tretenir cette  vie  mortelle,  ainsi  pour  nourrir  en  eux  cette 
vie  céleste  et  divine,  autant  que  le  nombre  des  enfants 
s'accroît,  autant  devez- vous  multiplier  la  dépense  des  bonnes 
œuvres  :  Quo  ampUor  fupritpignorum  copia ,  esse  et  operiim 
débet  impensa...  Si  donc  vous  aimez  vos  enfants,  si  vous 
ouvrez  sur  leurs  besoins  la  source  d'une  charité  et  d'une 
douceur  vraiment  paternelle,  recommandez- les  à  Dieu 
par  vos  bonnes  œuvres  :  qu'il  soit  leur  tuteur,  leur  curateur 
et  leur  protecteur.  Soyez  le  père  des  enfants  de  Dieu  afin 
que  Dieu  soit  le  Père  de  vos  enfants  ».  «  Cette  belle  phrase, 
dit  M.  l'abbé  Lebarq,  est  ajoutée  au  texte  ,  où  Bossuet,  d'ail- 
leurs, prend  et  laisse  très  librement  (1).  » 

Origène  est  aussi  J^ien  traité  par  Bossuet  que  Tertullien 
et  saint  Cyprien  :  «  C'est  pourquoi  le  grand  Origène  n'a 
pas  craint  de  nous  assurer  que  la  parole  de  l'Évangile  est 
une  espèce  de  second  corps  que  le  Sauveur  a  pris  pour 
notre  salut.  Panis,  quem  Dominus  corpus  suum  esse  dicit, 
rcrbumest  nulntonurn  anhnarum  (2).  Qu'est-ce  à  dire  ceci, 
chrétiens?  et  quelle  ressemblance  a-t-il  pu  trouver  entre  le 
corps  de  notre  Sauveur  et  la  parole  de  son  Evangile?  Voici 
le  fond  de  cette  pensée  :  c'est  que  la  Sagesse  éternelle,  qui 
est  engendrée  dans  le  sein  du  Père,  s'est  rendue  sensible  en 
deux  sortes.  Elle  s'est  rendue  sensible  en  la  chair  qu'elle 
a  prise  au  sein  de  Marie;  et  elle  se  rend  encore  sensible  par 
les  Écritures  divines  et  par  la  parole  divine  (3).  »  Il  serait 
aisé  de  multiplier  les  exemples.  —  En  voici  un  de  saint  Bâ- 
ti) Édition  Lebarq,  t.  11.  p.  fiSS.  —Saint  Cyprien.  De  ojjercetcleemosyna,  XVIll-\X. 
(2)  Commrnlaircsxur  mini.  Matthieu.  ;  n"  8'i. 
(.'«)  Édition  l,el)ar(|,  (.   il,  p.  :toi.  Paucgijriquc  de  snint  Paul. 


BOSSUET  ïiUDUCTEUR  ET  COMMENTATEUR  DES  SAINTS  PÈRES.     91 

sile  de  Séleiicie  à  propos  de  la  Chananéenne  (Bossuet  dit  la 
Chanauée  I  :  «  Remarquez  qu'elle  ne  dit  pas  :  Seigneur,  ayez 
pitié  de  ma  fdle.  Ayez,  dit-elle,  pitié  de  moi.  Mais  si  elle  veut 
qu'on  ait  pitié  d'elle,  qu'elle  parle  donc  de  ses  maux.  Non, 
je  parle,  dit-elle,  de  ceux  de  ma  fille.  Pourquoi  exagérer 
mes  douleurs?  N'est-ce  pas  assez  des  maux  de  ma  fille  pour 
me  rendre  digne  de  pitié?  Il  me  semljle  que  je  la  porte  tou- 
jours en  mon  sein,  puisqu'aussitôt  qu'elle  est  agitée,  toutes 
mes  entrailles  sont  encore  émues  :  In  illa  vim  patior;  c'est 
ainsi  que  la  fait  parler  saint  Basile  de  Séleucie  (1)  :  «  Je 
suis  tourmentée  en  sa  personne;  si  elle  pâtit,  j'en  sens  la 
douleur;  ejus  est  passio,  meus  vero  dolor  :  le  démon  la 
frappe,  et  la  nature  me  frappe  moi-même;  hanc  daemou , 
me  natiira  vexât;  tous  les  coups  tombent  sur  mon  cœur  et 
les  traits  de  la  fureur  de  Satan  passent  par  elle  jusque  sur 
mon  âme  :  hanc  daemon,  me  natura  vexât;  et  ictus  qiios 
hiftifjit  per  illcun  ad  me  usque  pervadunt  (2),  —  Autre 
exemple  à  propos  de  saint  Paulin  :  «  Je  me  souviens  ici, 
chrétiens,  que  saint  Paulin,  évêque  de  Noie,  parlant  de  sa 
parente,  sainte  Mélanie ,  à  qui  d'une  nombreuse  famille  il 
ne  restait  plus  qu'un  petit  enfant,  nous  peint  sa  douleur 
par  ces  mots  :  «  Elle  était,  dit-il,  avec  cet  enfant,  veste  nial- 
heuvpux  d'une  gvande  vaine,  qui,  bien  loin  de  la  consoler, 
ne  faisait  qu'aigir  ses  douleurs ,  et  semblait  lui  être  laissée 
pour  la  faire  ressouvenir  de  son  deuil  plutôt  que  pour  ré- 
parer son  dommage  :  Unico  [tantum]  sibi pavvulo ,  incen- 
tove  potius  quam  consolatore  lacvymavum^  ad  memoviam 
potius  quam  ad  compensationem  affectuum  develicto  (3).  » 
—  Un  dernier  exemple  à  propos  de  saint  Eucher,  évêque  de 
Lyon  au  cinquième  siècle  :  ((  De  quoi  vous  plaignez-vous, 
ô  Seigneur  ?  Voilà  votre  parole  accomplie  :  vous  avez  dit 
(]ue  Ninive  serait  renversée;  elle  s'est  en  effet  renversée 
elle-même.  Ninive  est  véritablement  renversée,  puisque  le 
luxe  de  ses  habits  est  changé  en  un  sac  et  en  un  cilice;  la 


(1)  Oratio  XX.  in  Chanan. 

(2)  Sermon  pour  la  fête  de  la  Compassion  de  la  sainte  Vierfje,  Lebaixi,  t.  II.  p.  'i(>ii, 

(3)  Ibidem,  p.  'tH-2. 


92  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

superfliiité  de  ses  banquets  en  un  jeûne  aiisitère;  la  joie 
dissolue  de  ses  débauches  aux  saints  gémissements  de  la 
pénitence:  Siibvertitur  plane  Ninive ,  diim  calcatis  deterio- 
ribus studiis  inmeliora  convertitur ; subverlitiii' plane,  dum 
jnirpiira  in  cilicium,  affluentia  in  jejunium,  lœtitia  muta- 
tur  in  fletum  (1).  0  ville  utilement  renversée  (2)!  » 

Ce  sera  désormais  Thabitude  et  le  grand  art  de  Bossuet 
de  prêter  aux  saints  Pères  autant  et  plus  qu'il  leur  emprunte  : 
Toriginalité  de  son  génie  en  fait ,  non  pas  un  traducteur, 
mais  un  commentateur  éloquent  des  Docteurs  de  FÉglise. 


ARTICLE  IV 

Bossuet  commentateur  des  Saints  Pères. 

A  mesure  que  se  développait  en  lui  le  merveilleux  talent 
dont  la  Providence  l'avait  doué  ,  Bossuet  s'adranchissait  de 
plus  en  plus  des  entraves  qu'une  traduction  plus  ou  moins 
littérale  pouvait  mettre  à  lessor  de  sa  pensée  et  aux  envo- 
lées de  son  éloquence. 

Gandar,  dans  Bossuet  orateur,  p.  Oi-OS,  a  parfaite- 
ment mis  en  lumière  l'idée  «  du  ton  habituel  que  le  com- 
mentaire àe  Tertullien  donne  à  la  parole  de  Bossuet.  Il  cite 
un  passage  du  Sermon  pour  la  Visitation,  1659,  sur  les 
droits  de  Dieu  au  respect  des  hommes,  où  «  l'emprunt  fait  à 
Tertullien  »  devient  le  thème  «  d'un  magnifique  dévelop- 
pement »  :  «  Qui  pourrait  nous  dire,  mes  sœurs,  le  respect 
que  nous  devons  au  Souvain  Être?  Il  est  seul  en  tout  ce  qu'il 
est;  il  est  le  seul  sage,  le  seul  bienheureux,  Roi  des  rois, 
Seigneur  des  seigneurs,  unique  en  sa  majesté,  inaccessible 
en  son  trùne,  incomparable  en  sa  puissance.  De  là  vient  que 
Tertullien,  tfichant  d'exprimer  magnifiquement  son  excel- 
lence incommunicable,  dit  qu'il  est  le  «  souverain  grand, 
([ui,  no  souffrant  rien  qui  s'égale  à  lui,  s'établit  lui-même  (3) 

(Ij  IlomrUe  sur  la  j/énilencc  dos  Niniintcs. 

(-2)  KdiUon  I,el)aiq,  t.  H,  p.  'i5C. 

(.'{)  Et  iKin  pus  o  ;i  lui-môme  ».  rommc  a  lu  Gandar.  Voir  I.ebani.  t.  111,  p.  ". 


BOSSUET  TRADUCTEUR  ET  COMMENTATEUR  DES  SAINTS  PERES.      93 

une  solitude  par  la  singularité  de  sa  perfection  :  Summwn 
magnum,  ex  defectionf  armidi  solitudmem  quamdam  de 
ùngnlaritate praestantiae  auae  possidons.  Voilà  une  manière 
de  parler  étrang-e  ;  mais  cet  homme ,  accoutumé  aux  expres- 
sions fortes,  semble  chercher  des  termes  nouveaux  pour 
parler  d'une  grandeur  qui  n'a  point  d'exemple.  Et  surtout 
n'admirez- vous  pas  cette  solitude  de  Dieu,  solitudinem  de 
ùngularitate praestantiae  :  solitude  vraiment  auguste  et  qui 
doit  inspirer  de  profonds  respects?  Mais  cette  solitude  de 
Dieu  nous  donne  encore,  ce  me  semble,  une  belle  idée. 
Toutes  les  grandeurs  ont  leur  faible  :  grand  en  puissance, 
petit  en  courage  ;  grand  courage  et  petit  esprit  ;  grand  es- 
prit dans  un  corps  infirme,  qui  empêche  ses  fonctions.  Qui 
veut  se  vanter  d'être  grand  en  tout?.,.  Il  n'y  a  que  vous,  ô 
Souverain  Grand,  ù  Dieu  éternel,  quiètes  singulier  en  toutes 
choses,  inaccessible  en  toutes  choses,  seul  en  toutes  choses  : 
Solitudmem  quamdam ,  etc.  Vous  êtes  le  seul  auquel  on 
peut  dire  :  «  0  Seigneur,  qui  est  semblable  à  vous  (1),  pro- 
fond en  vos  conseils  (2),  terrible  en  vos  jugements,  absolu 
en  vos  volontés,  magnifique  et  admirable  en  vos  œu- 
vres (3)  »? 

Gandar,  qui  trouve  qu'en  ce  passage  Bossuet  se  heurte 
à  un  écueil,  en  essayant  «  sans  grande  nécessité  et  d'une 
manière  assez  indiscrète  de  faire  passer  dans  notre  langue  » 
les  expressions  «  singulières  »  de  Tertullien,  oublie  de  si- 
gnaler les  progrès  accomplis  par  le  jeune  orateur,  lorsque, 
à  moins  dun  an  d'intervalle,  il  reprend  le  même  passage, 
dans  son  Carême  des  Minimes ,  pour  la  fête  de  l'Annoncia- 
tion, renvoyée  du  25  mars  au  5  avril  1660  :  «  Si  vous  avez 
été  étonnés  de  voir  un  Souverain  qui  se  fait  sujet,  je  crois 
que  vous  ne  le  serez  pas  moins  de  voir  l'Unique  et  l'Incompa- 
rable qui  se  donne  des  compagnons ,  et  qui  entre  en  société 
avec  les  hommes  :  Et  habltaiit  in  nobis.  C'est  le  mvstère 
de  cette  journée.  Pour  bien  entendre  cette  nouveauté,  for- 


ci) Psaume  XXXIV,  10. 

(2)  Varianle  :  pensées. 

(3)  Exode,  XV,  II. 


94  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

mez-vous  en  votre  esprit  une  forte  idée  de  cette  parfaite  unité 
de  Dieu,  qui  le  rend  infini,  incommunicable  et  unique  il) 
en  tout  ce  qu'il  est.  Il  est  le  seul  sage,  le  seul  bienheureux, 
Roi  des  rois,  Seigneur  des  seigneurs,  unique  en  sa  majesté, 
inaccessible  en  son  trône,  incomparable  en  sa  puissance. 
Les  liomines  (2)  n'ont  point  de  termes  assez  énergiques  pour 
parler  dignement  de  cette  unité  :  et  voici,  néanmoins ,  Mes- 
sieurs, des  paroles  de  Tertullien ,  qui  nous  en  donnent,  ce 
me  semble,  une  grande  idée ,  autant  que  le  peut  permettre  la 
faiblesse  humaine.  Il  appelle  Dieu  «  le  Souverain  grand  », 
Summum  magnum;  ?nais  il  n'est  souverain,  dit-il,  qu'à 
cause  qu'il  surmonte  tout  le  reste  :  Summum  Victoria  sua 
constat.  »  Et  ainsi,  ne  souffrant  rien  qui  l'égale,  il  se  fait  (3) 
lui-même  une  solitude  par  la  singularité  de  son  excel- 
lence (4)  :  Atque  ex  defectione  aemuli  solitudinem  quam- 
dam  de  singularitate  praestantiae  suae  possidens ,  unicum 
est.  Voilà  une  manière  de  parler  étrange;  mais  cet  homme, 
accoutumé  aux  expressions  fortes ,  semble  chercher  des  ter- 
mes nouveaux  pour  parler  d'une  grandeur  qui  n'a  point 
d'exemple.  Est-il  rien  de  plus  majesttieu.r  ni  de  jjliis  au- 
guste que  cette  solitude  de  Dieu?  Pour  moi.,  je  me  repré- 
sente,  Messieurs ,  cette  majesté  infinie  toute  resserrée  en 
elle-même ,  cachée  dans  ses  propres  lumières,  séparée  de 
toutes  choses  par  sa  pjropre  étendue,  qui  ne  ressemble  pas 
les  grandeurs  humaines ,  où  il  y  a  toujours  quelque  faible, 
où  ce  qui  s'élève  d'un  côté  s'abaisse  de  l'autre  ;  inais  qui  est 
de  tous  côtés  également  forte  et  égcdement  inaccessible.  Qui 
ne  s' étonnerait ,  chrétiens,  de  voir  cet  Unique ,  cet  Incom- 
parable qui  sort  de  cette  auguste  solitude  pour  se  faire  des 
compagnons  (5)?  »  Toutes  les  taches,  toutes  les  imper- 
fections du  premier  commentaire  n'ont-elles  pas  disparu 
pour  faire  place  à  des  beautés  nouvelles? 


(I)  l'nif/Kc  au  lieu  de  ■■irul.  trop  répété. 

(-2)  Oïl  a  mis  en  italique  tout  ce  qui,  dans  le  texte  de  1060,  diffère  du  texte  de  Km!». 
(:j)  Bossuel  avait  dit  en  d(>.'ii)  :  «  Tout  ce  qui  s'égale  à  lui;...  il  s'établit  lui- 
même.  » 
(4)  Ce  terme  vaut  mieux  que  celui  de  «  pcrleclion  »  en  ItiV,». 
(.'i  Édition  Lebani,  t.  III,  p.  i;n-'t38. 


BOSSUET  TRADUCTEUR  ET  COMMENTATEUR  DES  SAINTS  PÈRES.       95 

Voici,  d'ailleurs,  un  passage  fameux  de  Bossuet  qui  prouve 
peut-être  mieux  que  tout  autre  comment  le  génie  sait  tirer 
de  l'or  des  textes  les  plus  étranges.  Il  s'agit  de  ces  paroles  de 
Tertullien  dans  son  Livre  de  la  Résurrection  de  la  chair, 
chap.  IV  :  Post  totum  ignobilitatis  elogium,  caducae  in  ori- 
ginem  terrant  et  cadaveris  nonien,  et  de  isto  quoque  noniine 
periturae  in  nullum  inde  jam  nomen,  in  omnis  jam  vocabuli 
mortem.  Ce  texte,  cité  de  la  sorte  dans  le  célèbre  Sermon 
sur  la  Mort,  Carême  du  Louvrè;~i^62'(l),  est  inintelligible  : 
on  est  obligé  de  construire  caducae  ei peritiirae  avec  ignobi- 
litatis. Cette  construction  offre  un  sens  acceptable;  mais 
les  deux  parties  de  la  phrase  sont  suspendues  au  mot  post, 
et  restent  en  l'air,  puisqu'il  n'y  a  pas  de  proposition  prin- 
cipale. Bossuet  cite  le  même  passage  dans  V  Oraison  funèbre 
du  P.  Bourgoing,  k  décembre  1662,  en  y  ajoutant  le  mot 
carnis  [caducae  carnis  in  terrani)  :  le  sens  devient  dès  lors 
plus  clair  et  plus  raisonnable  (2).  Mais  la  phrase  n'en  de- 
meure pas  moins  en  l'air,  suspendue  à  un  génitif.  Il  faut 
donc  vérifier  la  citation  et  recourir  au  texte  même  de  Ter- 
tullien, comme  l'a  fait  M.  Gustave  Allais  dans  le  Bulletin 
mensuel  de  l Académie  de  Clermont  du  l"  juillet  1885  : 
Un  texte  de  Tertullien  cité  par  Bossuet  (p.  355).  Voici,  dit- 
il,  à  peu  près  la  phrase  de  Tertullien,  débarrassée  de  quel- 
ques incidentes  inutiles  ici,  mais  respectée  dans  son  ensem- 
ble :  Et  nonprotinus,  et  non  ubique  conviciwn  carnis;...  im- 
rnundae,  frivolae,  infirniae.,  criniinosae ,  onerosae,  niolestae, 
et,  p}0st  totum  ignobilitatis  elogium,  caducae  in  oriqinem 
terram,  etc.  »  ;  le  reste  comme  plus  haut,  dans  Bossuet.  Tout 
change  aussitôt  d'aspect.  La  citation,  maintenant  complète, 
est  facile  à  expliquer.  La  période  de  Tertullien  est  lancée 
dans  un  grand  mouvement  d'interrogation  et  se  déroule 
majestueuse  et  terrible  :  «  Ne  voyez-vous  pas  comme  aussi- 
tôt, comme  de  toutes  parts  éclate  l'invective  infamante  que 


(l)  Édition  Lebarq ,  t.  iv,  p.  IC8. 

("2)  Dans  l'Oraison  funèbre  de  Henriette  d'Angleterre,  duchesse  d'Orléans,  -21  août 
I()"0,  une  note  marginale  porte  :  Cadit  in  originem  lerram  ,  et  cadaveris  nomen, 
ex  isto  quoque  nomine  jKrilura,  au  lieu  de  caducae.  et  de  de  isto...  periturae. 


9C  BOSSUET  El  LES  SAEMS  TERES. 

mérite  la  chair,  oui.  cette  chair  impure,  frivole,  infirme, 
criminelle,  pesante,  gênante,  entîn,  pour  clore  cet  ensem- 
ble de  termes  qui  flétrissent  notre  iDassesse  (1),  destinée  à 
tomber  dans  la  terre  d'où  elle  tire  son  origine,  à  prendre  le 
nom  de  cadavre  et  à  perdre  même  ce  nom  pour  en  venir 
à  n'avoir  aucun  nom  dans  la  mort  même  de  tout  vocable?  » 
Quelle  que  soit  la  véhémence  de  ce  réquisitoire,  qui  réunit 
contre  le  corps  humain  tous  les  chefs  d'accusation  dont  il 
veut  l'écraser  pour  l'avilir  à  nos  yeux  et  en  montrer  élo- 
quemment  l'incurable  ignominie,  on  avouera  que  la  langue 
de  TertuUien  est  singulièrement  étrange  et  tourmentée 
Ces  expressions  fantastiques  :  Peritnrae  in  nullum  inde  jani 
nomen ,  in  oinnisjam  vocabidi  morteni,  «  cette  mort  de  tout 
vocable  »  ne  présentent  à  l'esprit  du  lecteur  français  aucun 
sens  saisissable,  ou  du  moins  expressif. 

Aussi  bien,  Bossuet  ne  s'attache-t-il  pas  à  donner  une 
traduction  exacte  du  latin.  «  11  interprète,  il  commente ,  il 
développe  avec  un  éloquence  magistrale;  il  dédaigne  de 
traduire  (2).  »  Il  ne  voit  que  la  beauté  d'ensemble  du  texte 
latin  ;  il  en  dégage  l'image  colorée  et  le  tour  énergique ,  et 
il  trouve  de  génie  l'expression  définitive,  immortelle;  il 
créé  le  «  je  ne  sais  quoi  qui  n'a  plus  de  nom  dans  aucune 
langue  ».  Mais  citons  tout  entière  cette  période  fameuse, 
où  Bossuet  donne  une  idée  si  belle  de  l'anéantissement 
dernier  de  la  chair  et  de  l'œuvre  innommable  de  la  Mort. 
«  Il  n'y  aura  plus  sur  la  terre  aucuns  vestiges  de  ce  que 
nous  sommes  :  la  chair  changera  de  nature;  le  corps 
prendra  un  autre  nom  :  «  même  celui  de  cadavre  ne  lai 
demeurera  pas  longtemps  :  il  deviendra,  dit  TertuUien, 
un  je  ne  sais  (juoi  qui  n'a  plus  de  nom  dans  aucune  lan- 
gue »  :  tant  il  est  vrai  que  tout  meurt  en  lui,  jusqu'à  ces 
termes  funèbres  par  lesquels  on  exprimait  ses  malheureux 
restes  (3)!  »  —  Dans  l'Oraison  funèbre  du  P.   Bourgoing, 

(I)  C'est  la  trailuctioii  (juc  propose  M.  Gustave  Allais  jioiir  res  mots  :  posttolu.m 
ir/,iohililalis  rlo(jium  .  après  une  discussion  savante  sur  la  siitnilication  (lu  mot  elo- 
ijiuiii .  <|ui  a  i)ris  peu  à  peu  un  sens  péjoratif,  ainsi  i|ue  l'établissent  de  nombreux 
textes,  et  veut  dire  llétrissure.  acrusation  deslionorante. 

(i)  M.  (iuslave  Allais,  loco  cil'ilo,  p.  X,l. 

(;»)  Sermon  sur  lu  MorI ,  édition  l.ehani.  t.  IV.  p.  I(i7-I(is. 


BOSSUET  TRADUCTEUR  ET  COMMENTATEUR  DES  SAINTS  PÈRES.  07 

.  Bossuet  dit  «  un  je  ne  sais  quoi  qui  ri -à  point  de  nom  »  et 
«  tant  il  est  vrai  que  tout  meurt  en  nos  corps,...  on  expri- 
mait nos  malheureux  restes  (1)  ».  —  Dans  r Oraison  funèbre 
de  la  duchesse  d'Orléans  on  remarque  une  addition  et  une 
suppression  :  «  Notre  chair  change  bientôt  de  nature. 
Notre  corps  prend  un  autre  nom;  même  celui  de  cadavre, 
dit  TertuUien,  parce  qu'il  nous  montre  encore  quelque 
forme  humaine,  ne  lui  demeure  pas  longtemps;  il  devient 
un  je  ne  sais  quoi  qui  n'a  plus  de  nom  dans  aucune  lan- 
gue, tant  il  est  vrai  que  tout  meurt  en  lui,  jusqu'à  ces 
termes  funèbres  par  lesquels  on  exprimait  ses  malheureux 
restes!  »  Bossuet  ne  cite  pas  le  texte  latin  de  TertuUien. 

Cet  exemple  devrait  suffire.  Mais  voici  pourtant  encore  un 
commentaire  éloquent  «  du  grand  saint  Grégoire  de  Na- 
zianze,  qui  a  mérité  parmi  les  Grecs  le  surnom  auguste  de 
Théologien,  à  cause  des  hautes  conceptions  qu'il  a  de  la 
nature  divine.  Ce  grand  homme  invite  tout  le  monde  à  dé- 
sirer Dieu  par  la  considération  de  cette  bonté  infinie  qui 
prend  tant  de  plaisir  à  se  répandre  ;  ce  qu'ayant  expliqué 
avec  soin,  il  conclut  enfin  par  ces  mots  :  «  Ce  Dieu,  dit  cet 
excellent  théologien,  désire  d'être  désiré;  il  a  soif,  le  pour- 
riez-vous  croire,  au  milieu  de  son  abondance;  mais  quelle 
est  la  soif  de  ce  premier  Etre?  C'est  que  les  hommes  aient 
soif  de  lui  :  Sitit  sitiri.  Tout  infini  qu'il  est  en  lui-même, 
et  plein  de  ses  propres  richesses,  nous  pouvons  néanmoins 
l'obliger  :  et  comment  pouvons-nous  l'obliger?  C'est  en  lui 
demandant  qu'il  nous  oblige,  parce  «  qu'il  donne  plus  vo- 
lontiers que  les  autres  ne  reçoivent  »  :  ce  sont  les  paroles 
de  saint  Grégoire  (2).  Ne  diriez-vous  pas,  chrétiens,  qu'il 
vous  représente  une  source  vive  qui,  par  la  fécondité  con- 
tinuelle de  ses  eaux  claires  et  fraîches ,  semble  présenter  à 
boire  aux  passants  altérés?  Elle  n'a  pas  besoin  qu'on  la 
lave  de  ses  ordures,  ni  qu'on  la  rafraîchisse  dans  son  ar- 
deur; mais  se  contentant  elle-même  de  sa  netteté  et  de  sa 
fraîcheur  naturelle,  elle   ne   demande,   ce   semble,    plus 

(I)  Sermon  sur  la  mort.  Lebarq,  t.  IV,  p.  'M'.\. 
(-2)  Oratio  LX. 

DOSSLET   ET  LES   SAINTS   PÈRES.  7 


98  .  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

rien,  sinon  que  Ton  boive  et  que  l'on  vienne  se  laver  et  se 
rafraîchir  de  ses  eaux. 

«  Ainsi  la  nature  divine,  toujours  abondante,  ne  peut 
non  plus  (1)  croître  que  diminuer  à  cause  de  sa  plénitude  : 
et  la  seule  chose  qui  lui  manque,  si  l'on  peut  parler  de  la 
sorte,  c'est  qu'on  vienne  puiser  en  son  seiu  les  eaux  de  vie 
éternelle  dont  elle  porte  en  elle-même  une  source  in- 
finie et  inépuisable.  C'est  pourquoi  saint  Grégoire  a  raison 
de  dire  «  qu'il  a  soif  que  nous  ayons  soif  de  lui  »  et  qu'il 
reçoit  comme  un  bienfait,  quand  nous  lui  donnons  le  moyen 
de  nous  bien  faire  (2) .  »  —  La  magnifique  comparaison  de 
Bossuet  donne  à  la  pensée  de  saint  Grégoire  un  relief  éton- 
nant. 

Villemain,  dans  son  Tableau  de  réloquoncc  chrétienne 
au  quatrième  sii'cle ,  p.  123,  édit.  de  1870,  rappelle  quel- 
ques images,  quelques  allégories  par  lesquelles  saint  Basile 
représente  la  vie  humaine  (3),  et  il  ajoute  :  «  Bossuet  re- 
nouvelait devant  une  cour  voluptueuse  ces  fortes  images, 
dont  saint  Basile  avait  frappé  les  habitants  de  Césarée.  La 
puissance  de  son  génie  ajoutait  à  la  terreur;  mais  il  n'y 
avait  plus  cette  première  ferveur  d'enthousiasme  qui  trans- 
portait les  chrétiens  du  quatrième  siècle.  Bossuet,  sans 
doute,  était  plus  sublime  ;  mais  il  n'était  pas  plus  éloquent; 
car  l'éloquence  se  compose  de  l'action  qu'elle  produit  au- 
tant que  du  génie  qu'elle  atteste.  »  —  Certes,  loin  de  nous 
la  pensée  de  diminuer  la  gloire  de  ces  Pères  de  l'Église 
«  dont  le  génie  seul  fut  debout  au  milieu  des  ruines  de  l'em- 
pire » ,  et  qui  «  ont  l'air  de  fondateurs  au  milieu  des  rui- 
nes,... d'architectes  de  ce  grand  édifice  religieux,  qui  de- 
vait succéder  à  l'empire  romain  (4)  )>.  Mais  il  est  bien  per- 
mis de  faire  remarquer,  à  l'encontre  d'un  critique  éminent 
comme  Villemain ,  que  Bossuet  n'était  pas  seulement  «  su- 

(I)  On  dirait  aujourd'hui  :  «  Ne  peut  pas  plus  croitie  que...  » 

(-2)  Sfrmon  pour  la  Visilntion  de  la  saintf  Vicrijr,  KiriO,  Leharq,  t.  Il[,  p.  Kt  et  1 1 . 

(.■J)  «  De  nièine,  dit-il,  que  ceux  qui  doruicut  dans  un  luivirc  sont  poussés  vers 
le  port  et  sans  le  savoir  arrivent  au  terme  de  letu'  course,  ainsi  dans  la  rapidité 
rie  noire  vie  (lui  s'écoule,  nous  soniincs  entraînés  d'un  niouveinent  insensible  et 
continu  vers  notre  dernier  ternie  :  tu  dors,  le  temps  t'échappe,  etc. 

(i)  Tableau,  etc.,  ]>.  7:2. 


BOSSUET  TRADUCTEUR  ET  COMMENTATEUR  DES  SAINTS  PERES.    99 

blime,  »  qu'il  avait  une  onction  singulière,  une  douceur 
pénétrante  et  qu'il  arracha  maintes  fois  des  larmes  à  cette 
'<  cour  voluptueuse  »  de  Louis  XIV,  en  lui  rappelant  que 
c  l'homme  est  infiniment  méprisable  en  tant  qu'il  passe 
et  infiniment  estimable  en  tant  qu'il  aboutit  à  l'éter- 
nité (1).  » 

Saint  Jean  Chrysostome  a  beau  être  «  le  plus  éloquent 
des  prédicateurs  »  :  Bossuet  lui  prête  largement  de  son 
fond  par  des  commentaires  encore  plus  éloquents  que  l'ori- 
ginal dont  il  s'inspire. 

Prenons  pour  exemple  un  passage  du  Sermon  sur  l'hoti- 
iieur  du  monde  (2j ,  prêché  aux  Minimes  devant  le  grand 
Condé,  le  21  mars  1660.  «  Le  premier  crime  dont  j'accuse 
l'honneur  du  monde  devant  la  croix  de  Jésus-Christ,  c'est 
d'être  le  corrupteur  de  la  vertu  et  de  l'innocence.  Ce  n'est 
pas  moi  seul  qui  l'en  accuse;  j'ai  pour  témoin  saint  Jean 
Chrysostome,  et  dans  un  crime  si  atroce,  je  suis  bien  aise 
de  faire  parler  un  si  véhément  accusateur.  C'est  dans  l'ho- 
mélie XVII  sur  la  divine  Épitre  aux  Romains  que  ce  grand 
prédicateur  nous  apprend  que  la  vertu  qui  aime  les  louanges 
et  la  vaine  gloire  ressemble  à  une  femme  qui  se  prostitue 
à  tous  les  passants.  Ce  sont  les  propres  termes  de  ce  saint 
évêque;  encore  parle-t-il  bien  plus  fortement  dans  la  liberté 
de  sa  langue;  mais  la  retenue  de  la  nôtre  ne  me  permet 
pas  de  traduire  toutes  ses  paroles  (3)  ;  tâchons  néanmoins 
d'entendre  son  sens  et  de  pénétrer  sa  pensée.  Pour  cela  je 
vous  prie  de  considérer  que  la  pudeur  et  la  modestie  ne  com- 
battent pas  seulement  l'impudicité.  mais*  encore  la  vaine 
gloire  et  l'amour  désordonné  des  louanges  :  jugez-en  par 
l'expérience.  Une  fille  bien  élevée  rougit  d'une  parole  dés- 
honnête;  un  homme  sage  et  modéré  rougit  des  louanges 
excessives;  en  lune  et  en  l'autre  de  ces  rencontres,  la  mo- 
destie fait  baisser  les  yeux  et  monter  la  rougeur  au  front.  Et 

(I)  C'est  la  division  du  Sermon  sur  la  mort  et  de  VOraison  funèbre  d'ilcnrielto 
d'Angleterre. 

{•î)  D'après  Gandar,  c'est  «  un  des  chefs-d'œuvre  de  la  jeunesse  de  Bossuet  ».  Bos- 
isuct  orateur,  p.  -27.'). 

(3)  Il  a  retranché  déjà  le  mot  impvcUqHe  dans  la  phrase  précédente. 


100  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

cVoù  vient  cela,  chrétiens,  sinon  par  un  sentiment  que  la 
nature  nous  inspire,  cjue,  comme  le  corps  a  sa  chasteté  que 
limpudicité  corrompt,  il  y  a  aussi  une  certaine  intégrité  de 
l'âme  c|ui  peut  être  violée  par  les  louanges.  »  —  La  première 
rédaction  effacée  par  l'auteur  continuait  ainsi  :  «  C'est  pour- 
quoi la  même  nature  nous  donne  la  pudeur  et  la  modestie 
pour  nous  défendre  de  ces  deux  corruptions,  comme  s'il  y 
avait  du  déshonneur  dans  l'honneur  même  et  de  la  honte 
dans  les  louanges.  Ne  vous  étonnez  pas,  chrétiens,  si  cette 
âme  avide  de  louanges,  qui  les  cherche  et  les  mendie  de 
tous  cùtés,  est  appelée  par  saint  Ghrysostome  une  infâme 
prostituée;  elle  mérite  bien  ce  nom,  puisqu'elle  méprise 
la  modestie  et  la  pudeur.  »  Bossuet,  reprenant  ce  sermon 
en  1865  pour  le  Carême  de  Saint-Thomas  du  Louvre,  y  fit 
des  retouches  qui  sont  un  perfectionnement  du  texte  :  il 
dit  :  «  Une  femme  qui  s'abandonne  »,  au  lieu  de  «  qui  se 
prostitue  »  ;  —  «  car  c'est  une  chose  remarquable  » ,  au 
lieu  de  «  pour  cela  je  vous  prie  de  considérer  »;  -—  «  une 
personne  honnête  et  bien  élevée  rougit  d'une  parole  im- 
modeste »  ,  au  lieu  de  «  une  fille  bien  élevée,  rougit  d'une 
parole  déshonnéte  ».  Ce  qui  est  plus  significatif,  c'est 
«  qu'un  trait  de  plume,  dit  l'abbé  Lebarq  (1),  donne  en 
outre  ici  à  entendre  qu'en  1665,  renonçant  à  ce  qui  pré- 
cède, texte  et  corrections,  Bossuet  se  décide  à  commencer 
par  ces  mots  :  «  C'est  une  chose  remarquable...  »  Il  ne 
garde  donc  de  saint  Jean  Chrysostome  que  le  commentaire 
qu'il  en  a  fait. 

Un  peu  plus  loin,  dans  le  même  Sermon,  Bossuet  com- 
mente admirablement  un  mot  du  même  Père  :  «  C'est  pour- 
quoi, dit  très  bien  saint  Jean  Chrysostome,  toutes  les  vertus 
chrétiennes  sont  un  grand  mystère;  qu'est-ce  à  dire?  Mys- 
tère signifie  un  secret  sacré.  Autrefois,  quand  on  célébrait 
les  divins  mystères,  comme  il  y  avait  des  catéchumènes 
(]ui  n'étaient  pas  encore  initiés,  c'est-à-dire  qui  n'étaient 
pas  du  corps  de  l'Église,  qui  n'étaient  pas  baptisés,  on  ne 

(I)  (lùirrcx  oratoiiTS  de  Bûxswl.  t.  III.  p.  X».  noie  I. 


ROSSUET  TRADUCTEUR  ET  COMMENTATEUR  DES  SAINTS  PERES.     tOl 

leur  parlait  que  par  énigmes  :  vous  le  savez,  vous  qui  avez 
lu  les  homélies  des  saints  Pères  (1).  Ils  étaient  avec  les  fidè- 
les pour  entendre  la  prédication  et  le  commencement  des 
prières.  Venait-on  aux  mystères  sacrés,  c'est-à-dire  à  l'ac- 
tion du  sacrifice,  le  diacre  mettait  dehors  les  cathéchuraè- 
nes  et  fermait  la  porte  de  l'Église.  Pourquoi?  C'était  le 
mystère.  Ainsi  des  vertus  chrétiennes.  Voulez-vous  prier? 
Fermez  votre  porte  :  c'est  un  mystère  que  vous  célébrez, 
.leûnez-vous?  Soig-nez  votre  face,  de  peur  qu'il  ne  paraisse 
que  vous  jeûniez  :  Ungo  caput  tmim,  et  faciem  tuam 
lava  (*2);  c'est  un  mystère  entre  Dieu  et  vous  (3),  » 

On  pourrait  citer  encore  un  autre  passage  du  même  Ser- 
mon où  Bossuet  compare ,  d'après  saint  Ghrysostome ,  la 
vaine  gloire  à  une  impudente,  qui  vient  corrompre  la  vertu, 
lui  enseigne  à  se  farder,  à  se  contrefaire,  pour  arrêter  les 
spectateurs.  «  Vive  Dieu!  infâme,  cette  innocente  se  gâte- 
rait entre  tes  mains.  »  Ce  beau  mouvement  oratoire  n'est 
que  de  Bossuet. 

Dans  un  autre  Sermon  sur  r honneur,  prêché  en  1666  (4), 
pendant  le  Carême  de  Saint-Germain ,  voici  comment  parle 
notre  grand  orateur  :  «  L'éloquent  et  judicieux  saint  Jean 
Ghrysostome  en  (5)  rend  cette  raison  excellente,  dans  la 
quatrième  homélie  sur  l'évangile  de  saint  Matthieu,  où  il  dit 
à  peu  près  ces  mômes  paroles  :  <(  Je  ne  puis,  dit-il,  compren- 
dre la  cause  de  ce  prodigieux  aveuglement  qui  est  dans 
les  hommes  de  croire  se  rendre  illustres  par  cet  éclat  exté- 
rieur qui  les  environne ,  si  ce  n'est  qu'ayant  perdu  leur  bien 
véritable,  ils  ramassent  tout  ce  qu'ils  peuvent  autour  d'eux, 
et  vont  mendiant  de  tous  côtés  la  gloire  qu'ils  ne  trouvent 
plus  dans  leur  conscience.  Cette  parole  de  saint  Ghrysos- 
tome me  jette  dans  une  plus  profonde  considération  ,  et 


(1)  L'orateur  s'adresse  ici,  non  pas  aux  fidèles,  mais  aux  religieux  Minimes,  les 
PI*.  Giry,  Cossart,  de  Saint-Gilles.  Barré,  Bessin,  la  Noue,  de  Coste,  d'Ormesson,que 
Floquet  cite  comme  ayant  pu  entendre  Bossuet  en  I6(>0. 

(•2)  Saint  Matthieu,  vi,  v.  17. 

(3)  I.ebarq,  t.  III,  p.  339. 

(i)  Probat:)lement  le  mercredi  -2-2  mars. 

(o)  Il  s'agit  d'expliquer  pourquoi  les  hommes  se  laissent  éhlouir  par  la  vaine 
gloire. 


un  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

m'oblige  de  reprendre  les  choses  d'un  plus  haut  principe. 
Tous  les  hommes  sont  nés  pour  la  grandeur,  parce  que 
tous  sont  nés  pour  posséder  Dieu.  Car,  comme  Dieu  est 
grand,  parce  quil  n'a  besoin  que  de  lui-même,  l'homme 
aussi  est  grand ,  chrétiens ,  lorsqu'il  est  assez  droit  pour 
n'avoir  besoin  que  de  Dieu.  C'était  la  véritable  grandeur 
de  la  nature  raisonnable,  lorsque  sans  avoir  besoin  des 
choses  extérieures,  qu'elle  possédait  noblement  sans  en  être 
en  aucune  sorte  possédée ,  elle  faisait  sa  félicité  par  la  seule 
innocence  de  ses  désirs,  et  se  trouvait  tout  ensemble  et 
grande  et  heureuse,  en  s'attachant  à  Dieu  par  un  saint 
amour.  En  effet,  cette  seule  attache  qui  la  rendait  tempé- 
rante, sage,  vertueuse,  la  rendait  aussi,  par  conséquent,  li- 
bre, tranquille,  assurée.  La  paix  de  la  conscience  répandait 
jusque  sur  les  sens  une  joie  divine.  L'homme  avait  en  lui- 
même  toute  sa  grandeur,  et  tous  les  biens  externes  dont  il 
jouissait  lui  étaient  accordés  libéralement,  non  comme  un 
fondement  de  son  bonheur,  mais  comme  une  marque  de 
son  abondance.  Telle  était  la  première  institution  de  la 
créature  raisonnable.  Mais  de  même  qu'en  possédant  Dieu 
elle  avait  la  plénitude ,  ainsi  en  le  perdant  par  son  péché 
elle  demeure  épuisée.  Elle  est  réduite  à  son  propre  fonds, 
c'est-à-dire  à  son  premier  néant...  Toutefois,..,  le  cœur  de 
l'homme  cherche  sans  cesse  quelque  ombre  d'infinité...  Il 
s'applique  ce  qu'il  peut  par  le  dehors.  Il  pense  qu'il  s'in- 
corpore, si  vous  me  permettez  de  parler  ainsi,  tout  ce  qu'il 
amasse,  tout  ce  qu'il  acquiert,  tout  ce  qu'il  gagne  {!).  »  — 
Qu'il  y  a  loin  de  la  simple  parole  de  saint  Jean  Chrysos- 
tome  à  ce  commentaire   aussi  profond  qu'éloquent! 

Saint  Augustin  lui-môme ,  que  Bossuet  cite  avec  tant  de 
prédilection,  ne  lui  fournit  souvent  qu'une  idée,  qu'un 
trait,  qu'un  mot,  dont  le  génie  de  notre  orateur  sait  tirer 
un  merveilleux  parti.  —  Ainsi,  de  ce  texte  de  saint  Augus- 
tin :  Très  erant  in  cnice  :  anus  Salvator,  alius  salvandus , 
alius   damnandus;  nous   voyons    trois    hommes    attachés 

(1;Lebar<|.  I.  V,  ]>.  v.\-'t(i. 


BOSSUET  TRADUCTEUR  ET  COMMENTATEUR  DES  SAINTS  PÈRES,     in:} 

à  la  croix  :  un  qui  donne  le  salut,  un  qui  le  reçoit,  un  qui 
le  perd  il)  »,  Bossuet  fait  sortir  «  toute  la  doctrine  chré- 
tienne touchant  les  souffrances,  »  avec  «  tout  le  partage 
et  tout  le  sujet  de  son  discours  »  sur  les  souffrances ,  pro- 
noncé aux  Grandes  Carmélites  de  la  rue  Saint-Jacques,  le 
dimanche  des  Rameaux,  10  avril  1661  (2).  «  Au  milieu,  dit- 
il,  l'auteur  delà  g-ràce  :  d'un  côté,  un  qui  en  profite;  de 
l'autre  côté,  un  qui  la  rejette.  Au  milieu  le  modèle  et  l'ori- 
g'inal;  d'un  côté,  un  imitateur  fidèle,  et  de  l'autre  côté,  un 
rebelle  et  un  adversaire  (3).  D'un  côté,  un  qui  endure  avec 
soumission;  de  l'autre,  un  qui  se  révolte  jusque  sous  la 
verge.  Discernement  terrible  et  diversité  surprenante  !  Tous 
deux  sont  en  la  croix  avec  Jésus-Christ,  tous  deux  compa- 
gnons de  son  supplice;  mais,  hélas!  il  n'y  en  a  qu'un  qui 
soit  compagnon  de  sa  gloire.  Voilà  le  spectacle  qui  nous 
doit  instruire.  Jetons  ici  les  yeux  sur  Jésus,  «  l'auteur  et  le 
consommateur  de  notre  foi  »  :  nous  le  verrons,  chrétiens, 
dans  trois  fonctions  remarquables.  Il  souffre  lui-même  avec 
patience;  il  couronne  celui  qui  souffre  selon  son  esprit,  il 
condamne  celui  qui  souffre  dans  l'esprit  contraire.  C'est  ce 
qu'il  nous  faut  méditer  :  parce  que,  si  nous  savons  entendre 
ces  choses,  nous  n'avons  plus  rien  à  désirer  touchant  les 
souffrances.  En  effet,  nous  pouvons  réduire  à  trois  chefs  ce 
que  nous  devons  savoir  dans  cette  matière  importante  : 
quelle  est  la  loi  de  souffrir;  de  quelle  sorte  Jésus-Christ  em- 
brasse ceux  qui  s'unissent  à  lui  parmi  les  souffrances;  quelle 
vengeance  il  exerce  sur  ceux  qui  ne  s'abaissent  pas  sous  sa 
main  puissante,  quand  il  les  frappe  et  qu'il  les  corrige;  et 
le  Fils  de  Dieu  nous  instruit  pleinement  touchant  ces  trois 
points.  Il  nous  apprend  le  premier  en  sa  divine  personne; 
le  second,  dans  la  fin  heureuse  du  larron  si  saintement 
converti  ;  le  troisième ,  dans  la  mort  funeste  de  son  compa- 
gnon infidèle.  Je  veux  dire  que,  comme  il  est  notre  ori- 
ginal, il  nous  enseigne,  en  souffrant  lui-même,  qu'il  y  a 

(1)  C'est  la  traduction  de  Bossuet. 

(2)  Lel)ar(|,  t.  ni.  p.  680  et  suivantes. 

(3)  Variante:  «  d'un  côté  une  imitation  lidéle;  de  l'autre  une  opposition  sacri- 
lèse  .. 


loi  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

nécessité  de  souffrir  (  l  )  ;  il  fait  voir,  clans  le  bon  larron  (2). 
de  quelle  bonté  paternelle  il  use  envers  (3)  ceux  qui  souf- 
frent comme  ses  enfants;  enfin,  il  nous  montre  dans  le 
mauvais  quels  jugements  redoutables  il  exerce  sur  (4)  ceux 
qui  souffrent  comme  des  rebelles.  Il  établit  la  loi  de  souf- 
frir; il  en  couronne  le  droit  usage;  il  en  condamne  Va- 
bus  (5)  ». 

On  peut  citer  encore,  comme  exemple  frappant  de  la  ma- 
nière admirable  dont  Bossuet  commente  saint  Augustin,  le 
premier  point  du  fameux  Sermon  sur  T ambition,  prêché  aux 
Carmélites  en  1661  (6),  repris  avec  des  retouches  au  Louvre 
en  1662  (7)  et  à  Saint-Germain  en  1666  (8).  Pour  prouver 
que  «  la  fortune  nous  joue,  même  quand  elle  est  libérale  », 
même  quand  elle  nous  fait  «  son  présent  le  plus  cher,  le 
plus  précieux,  celui  qui  se  prodigue  le  moins,  celui  qu'elle 
nomme  puissance  (9)  » ,  Bossuet  invoque  «  une  excellente 
doctrine  de  saint  Augustin  (livre  XIII,  de  la  Trinife).  Là  ce 
grand  homme  pose  pour  principe  une  vérité  importante, 
que  la  félicité  demande  deux  choses  :  pouvoir  ce  qu'on 
veut,  vouloir  ce  qu'il  faut  :  Passe  quod  velit,  relie  quod 


(I)  Variante  :  «  que  la  loi  de  souffrir  est  indispensable.  » 
(-2)  Var.  «  dans  le  larron  pénitent.  » 

(3)  Vnr.  :  «  qu'il  a  une  bonté  paternelle  pour  •. 

(4)  Va?-.  :  «  qu'il  exerce  des  jugements  redoutables  sur.  » 

(.l)  Ce  luxe  de  divisions  données  et  redonnées  était  un  défaut  à  la  mode,  dont 
Bossuet  se  corrigea  dés  sa  première  station  à  la  cour,  mais  dont  ses  contemporains 
demeurèrent  plus  ou  moins  épris.  puis(|ue  Kénelon  s'en  plaignait  en  168.">  (?),  dans 
son  Deuxième  dialogue  sur  l'éloquence,  et  La  Bruyère,  en  1088.  dans  le  chapitre  De 
la  Ch'iiri'.  XV«  des  Caractères  : 

'  Les  prédicateurs,  dit-il .  ont  toujours,  d'une  nécessité  indispensable  et  géomé- 
trique, trois  sujets  admirables  de  vos  attentions  :  ils  prouveront  une  telle  chose 
dans  la  première  partie  de  leur  discours,  cette  autre  dans  lu  seconde  partie,  et 
cette  autre  encore  dans  la  troisième.  Ainsi  vous  serez  convaincu  d'abord  d'une 
certaine  vérité,  et  c'est  leur  premier  point  ;  d'une  autre  vérité  ,  et  c'est  leur  second 
point:  et  puis  d'une  troisième  vériti-.cït  c'est  leur  troisième  point:  de  sorte  que 
la  première  rèlloxion  vous  instruir;!  d'un  des  principes  les  plus  londamentaux  de 
votre  religion,  la  seconde,  d'un  autre  principe  (|ul  ne  l'est  pas  moins,  et  la  dernière 
réilexion,  d'un  troisième  et  dernier  principe,  le  plus  important  de  tous  et  (jui  est 
remis,  etc. 

((>}  Le  m  mars,  IV»  dimanche  de  Carême. 

{",  Quatrième  scimaiiie. 

(H)  C'était  le  i  avril  que  Bossuet  devait  le  prêcher:  mais  il  ne  le  prêcha  i)as  en 
l'absence  de  Leurs  Majestés. 

Ci)  Nous  citons  le  texte  de  liiii-»,  (|ui  est  le  plus  i)arfait.  En  1661 ,  Bossuet  mon- 
trait :  l"qne  le  chrétien  véritable  ne  doit  désirer  de  puissance  que  pour  en  avoir 
sur  soi-riième;  -2-  que  si  Dieu  lui  en  a  donné  sur  les  autres,  il  leur  en  doit  tout 
remploi  et  tout  l'exercice. 


ROSSUET  TRADUCTEUR  ET  COMMENTATEUR  DES  SAINTS  PERES.     105 

oporU't.  Il  montre  assez  longuement  qu'il  est  également  né- 
cessaire de  désirer  ce  qu'il  faut  que  de  pouvoir  exécuter 
ce  qu'on  veut;...  qu'il  est  encore  plus  essentiel,  «  bien  plus 
nécessaire  à  la  félicité  véritable  d'avoir  une  volonté  bien 
réglée  que  d'avoir  une  puissance  bien  étendue  »  ;  puis  il 
ajoute  :  «  Mais  il  est  temps,  chrétiens,  que  nous  fassions  une 
application  plus  particulière  de  cette  belle  doctrine  de  saint 
Augustin.  Que  d e mandez- vous ,  ô  mortels?  Quoi?  que  Dieu 
vous  donne  beaucoup  de  puissance?  Et  moi,  je  réponds  avec 
le  Sauveur  (1)  :  «  Vous  ne  savez  ce  que  vous  demandez.  » 
Considérez  bien  où  vous  êtes;  voyez  la  mortalité  qui  vous 
accable;  regardez  cette  figure  du  monde  qui  passe  (2). 
Parmi  tant  de  fragilité ,  sur  quoi  pensez- vous  soutenir  cette 
grande  idée  de  puissance?  Certainement  un  si  grand  nom 
doit  être  appuyé  sur  quelque  chose,  etc.,  etc.  (3).  »  Alors 
s'engage  entre  l'orateur  et  l'ambitieux  un  dialogue  des  plus 
vifs,  des  plus  pressants,  des  plus  dramatiques  :  ce  mot  seul 
traduit  exactement  l'impression  que  produisent  certains  pas- 
sages des  Sermons  de  Bossuet,  où  il  se  révèle  à  nous  avec  l'art 
et  la  mise  en  scène  d'un  poète  dramatique,  tandis  qu'il  se 
manifeste  ailleurs  avec  les  envolées  superbes  d'un  poète 
lyrique,  au  verbe  inspiré  comme  celui  des  prophètes  (4). 

Veut-on  un  dernier  exemple  de  l'art  avec  lequel  Bossuet 
commente  et  interprète  saint  Augustin?  Qu'on  prenne  les 
Maximes  et  Réflexions  sur  la  Comédie ,  où  un  mot  des  Con- 
fessions, liv.  III,  c.  2,  et  un  autre  du  de  Catechizandis  rudi- 
bus,  n°  25,  donnent  lieu  à  une  analyse  du  plaisir  que  l'on 
prend  au  théâtre,  analyse  «  admirable  de  finesse  et  de 
vérité  (5)  »  :  «  Pourquoi  en  est-on  si  touché,  si  ce  n'est,  dit 

{I)  Saint  Matthieu,  xx.  '2-2. 

(-2)  Épitre  aux  Corinthiens  ;  De  Trinitate,  XUI,  17. 

(;i)  Lebarq,  t.  IV,  p.  147  et  suivantes. 

Cf)  M.  Lanson,  dans  son  Bossuet ,  p.  4o-4G,  montre  que  dans  le  Sermon  sur  l'Im- 
péaitence  finale  (la  mort  du  mauvais  riche)  et  dans  le  Sermon  sur  les  Démons 
(le  chœur  des  mauvais  anges;,  il  y  a  deux  scènes  d'un  mystère  «  avec  l'accenl  dra- 
matique •  .  —  Le  P.  de  la  Broise,  Bossuet  et  la  Bihle ,  p.  88-Oi.  a  fait  voir  éloquem- 
ment  ce  qu'il  faut  entendre  par  le  lyrisme  de  Bossuet.  —  M.  Brunetiére.  dans  une 
conférence  faite  à  Dijon  , -2-2  avril  I8!K(.  établissait  magistralement  que  non  seule- 
ment Bossuet  est  •<  au-dessus  de  tous  les  orateurs  »,  mais  qu'il  est  le  premier 
di;  nos  lyriques. 

(■>)  Lanson,  Eoxsuet ,  p.  i:iii. 


106  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

saint  Augustin,  qu'on  y  voit,  qu'on  y  sent  l'image ,  l'attrait, 
la  pâture  de  ses  passions?  et  cela,  dit  le  même  saint,  qu'est- 
ce  autre  chose  qu'une  déplorable  maladie  de  notre  cœur? 
On  se  voit  soi-même  dans  ceux  qui  nous  paraissent  comme 
transportés  par  de  semblables  objets  :  on  devient  bientôt 
un  acteur  secret  dans  la  tragédie  (1);  on  y  joue  sa  propre 
passion ,  et  la  fiction  au  dehors  est  froide  et  sans  agrément, 
si  elle  ne  trouve  au  dedans  une  vérité  qui  lui  réponde.  C'est 
pourquoi  ces  plaisirs  lang-uissent  dans  un  âge  plus  avancé, 
dans  une  vie  plus  sérieuse,  si  ce  n'est  qu'on  se  transporte 
par  un  souvenir  agréable  dans  ses  jeunes  ans,  les  plus 
beaux  de  la  vie  humaine,  à  ne  consulter  que  les  sens,  et 
qu'on  en  réveille  l'ardeur,  qui  n'est  jamais  tout  à  fait 
éteinte.  »  M.  Lanson  trouve  là  «  toute  la  philosophie  de  l'art 
dramatique,...  l'essence  même  du  drame  et  la  source  du 
plaisir  qu'il  procure  (2)  ».  Évidemment,  c'est  beaucoup 
plus  que  n'en  disaient  les  quelques  mots  de  saint  Augustin 
auxquels  Bossuet  a  fait  allusion  plutôt  qu'il  ne  les  a  traduits. 

On  comprend  donc  toute  la  justesse  de  ce  mot  de  Ville- 
main,  Tableau  de  l'éloquence  chrétienne  au  cpiafriéme  siècle^ 
p.  504  :  «  Il  n'y  a  pas  eu  pour  l'éloquence  originale  de  Bos- 
suet une  source  d'inspiration  plus  féconde  que  les  ouvrages 
de  saint  Augustin.  Il  les  étudiait  sans  cesse;  il  les  admirait 
en  les  transformant.  » 

Bossuet ,  d'ailleurs ,  ne  disait-il  pas  lui-même  au  cardinal 
de  Bouillon  que  «  ce  qu'il  faut  tirer  de  ce  Père,  ce  ne  sont 
pas  tant  des  pensées  et  des  passages  à  citer  que  l'art  de 
traiter  la  théologie  et  la  morale  et  l'esprit  le  plus  pur  du 
christianisme?  » 

De  tous  les  docteurs  de  l'Église  qu'il  a  cités ,  celui  dont  il 
est  le  plus  difticile  de  faire  usage,  surtout  dans  la  prédica- 
tion, c'est  assurément  le  Docteur  angélique,  saint  Thomas 


(1)  Bossucl  était  allé  au  tlioàtro  dans  sa  jeunesse,  avant  d'avoir  reçu  les  ordres, 
et  il  avait  dû  voir  jouer  (lueliiues  pièces  de  Corneille  de  IGW  à  1648;  il  n'y  retourna 
plus  (|ue  pourvoir  jouer  Hslher  à  Saint-Cyr.  en  l(»8!);  ces  lointains  souvenirs 
avaient  laissé  dans  son  esprit  une  impression  assez  vive  pour  (|u'en  16'J^,  il  parlât 
du  sujet  en  connaissance  de  cause. 

(i)  UoHsii.fl.  p.  /j40. 


BOSSUET  TRADUCTEUR  ET  COMMENTATEUR  DES  SAINTS  PERES.    107 

d'Aquin,  dont  la  Somme  thêologique  est  un  monument 
admirable  de  synthèse  harmonieuse  et  savante,  mais  n"a 
rien  d'oratoire  et  d'attrayant.  Bossuet,  de  1659  à  1070,  ne 
le  cite  guère  textuellement,  du  moins  dans  ses  Sennom : 
mais  tantôt  il  fait  allusion  à  sa  doctrine  qu'il  résume,  comme 
dans  le  fragment  d'un  Sermon  pour  la  Conception  de  la 
sainte  Vierge^  Avent  du  Louvre  1665,  où  il  dit  :  <(  Le  grand 
saint  Thomas  nous  enseigne  que,  pour  entendre  dans  quelle 
hauteur  et  avec  quelle  plénitude  la  sainte  Vierge  a  reçu 
la  grâce,  il  la  faut  mesurer  par  son  alliance  et  par  son 
union  très  étroite  avec  son  Fils  :  et  c'est  par  là,  chrétiens, 
qu'il  nous  est  aisé  de  connaître  que  les  hommes  ne  lui 
doivent  donner  aucunes  bornes  (1).  »  Tantôt  il  emprunte 
à  la  Somme  de  saint  Thomas  quelque  comparaison  qu'il 
commente  d'une  manière  originale  et  éloquente ,  »  comme 
dans  le  Sermon  pour  la  Quinquagésime ,  prêché  en  1667  : 
«  Saint  Thomas  voulant  nous  décrire  ce  que  c'est  qu'un  bon 
entendement  et  quel  est  l'homme  bien  sensé,  dit  que  c'est 
celui  dont  l'esprit  est  disposé  comme  une  glace  nette  et 
bien  unie,  où  les  choses  s'impriment  telles  qu'elles  sont  (2), 
sans  que  les  couleurs  s'altèrent  ou  que  les  traits  se  courbent 
et  se  défigurent  :  In  quo  objecta  non  distorta ,  sed  simplici 
inluilu  recta  videntur  (3).  Qu'il  y  a  peu  d'entendements 
qui  soient  disposés  de  cette  sorte  1  que  cette  glace  est  iné- 
gale et  mal  polie  I  que  ce  miroir  est  souvent  terni,  et  que 
rarement  il  arrive  que  les  objets  y  paraissent  en  leur  na- 
turel (i).  »  Voilà,  certes,  un  éloquent  commentaire  d'un 
passage  de  saint  Thomas  assez  lourd  et  assez  peu  élégant. 
—  En  voici  un  autre  dans  le  même  sermon  :  <(  Le  même  saint 
Thomas  remarque  qu'il  y  a  un  certain  mouvement  dans  nos 

(I)  Lebarq,  l.  IV.  p.  5<)0. 

(iJ)  Cette  comparaison  se  retrouve  dans  la  Prcfaci-  de  l'Histoire  du  Consulat  et 
dp  l'Empire  de  M.  Thiers.  Il  est  pourtant  peu  probable  i|ue  M.  Thiers  en  ait  em- 
prunté l'idée  à  Bossuet  ou  à  saint  Thomas.  Il  ne  les  lisait  guère:  il  n'était  pas 
comme  le;  grand  Berryer,  dont  on  conserve  au  Musée  Carnavalet  un  Bossuet  où 
sont  soulignés  les  plus  beaux  passages  des  discours.  Son  goût  pour  cet  auteur 
était  si  connu  que  les  typographes  parisiens,  qu'il  avait  défendus,  firent  pour  lui 
une  édition  des  O^-aisons  funèbres,  tirée  à  vn  e.remplaire.  (Lebarq,  t.  V,  p.  i30.) 

(.3)  Summa  theolofiica  :  I"  II»*-',  Quacst.  Ll,  art.  :J. 

(i)  Lebarq,  t.  V.  p.  -230. 


108  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

esprits  qui  s'appelle  précipitation  ;  et  je  vous  prie,  Messieurs, 
de  le  bien  entendre.  Ce  grand  homme,  pour  nous  le  rendre 
sensible,  nous  l'explique  par  la  ressemblance  des  mouve- 
ments corporels  (1).  Il  y  a  beaucoup  de  différence  entre  un 
homme  qui  descend  et  un  homme  qui  se  précipite.  Celui 
qui  descend,  dit-il,  marche  posément  et  avec  ordre  et  s'ap- 
puie sur  tous  les  degrés  :  mais  celui  qui  se  précipite  se  jette 
comme  à  l'aveugle  par  un  mouvement  rapide  et  impétueux 
et  semble  vouloir  atteindre  les  extrémités  sans  passer  parle 
milieu.  Appliquons  ceci^  avec  saint  Thomas,  aux  mouve- 
ments de  l'esprit.  La  raison,  poursuit  ce  grand  homme ,  doit 
s'avancer  avec  ordre  et  aller  considérément  d'une  chose  à 
l'autre;  si  bien  qu'elle  a  comme  ses  degrés  par  où  il  faut 
qu'elle  passe  avant  que  d'asseoir  son  jugement.  Mais  l'esprit 
ne  s'en  donne  pas  toujours  le  loisir;  car  il  a  je  ne  sais  quoi 
de  vif  qui  fait  qu'il  se  précipite.  Il  aime  mieux  juger  que 
d'examiner  les  raisons,  parce  que  la  décision  lui  plaît  et  que 
l'examen  le  travaille.  Comme  donc  son  mouvement  est  fort 
vif  et  sa  vitesse  incroyable,  comme  il  n'est  rien  de  plus 
malaisé  que  de  fixer  la  mobilité  et  de  contenir  ce  feu  des 
esprits,  il  s'avance  témérairement,  il  juge  avant  que  de 
connaître  (2)  :  il  n'attend  pas  que  les  choses  se  découvrent 
et  se  représentent  comme  d'elles-mêmes;  mais  il  prend  des 
impressions  qui  ne  naissent  pas  des  objets,  et,  trop  subtil 
ouvrier,  il  se  forme  lui-même  de  fausses  images.  C'est  ce 
qui  s'appelle  précipitation ,  et  c'est  la  source  féconde  de 
tous  les  faux  préjugés  qui  obscurcissent  notre  intelli- 
gence (3).  »  Pour  comprendre  toute  la  beauté  de  ce  passage, 
il  faut  le  rapprocher  du  texte  même  de  saint  Thomas,  que 
Bossuet  ne  cite  point  :  «  Praccipitatio  in  actibus  animae  mc- 
taphorice  dicitur,  secundum  simililudinem  a  corporali  motu 


(I)  Summa  thcoloijù-a  :  II»  11»°,  Quaest.  LUI.  art.  ;{. 

(-2)  Descartes  ne  parle  pas  aulremcnt  dans  ses  Principes  de  la  philosophie,  on 
il  montre  que  l'intelligence  étant  courte  et  lente  et  la  volont('  •  beaucoup  plus 
ample  ».  celle-ci  devance  et  dépasse  le  jugement,  de  fa(,'on  ([uo  nous  donnons 
notre  consentement  à  des  choses  dont  nous  n'avons  jamais  eu  <|u'une  connaissance 
lorl  conluse...  Nous  portons  notre  volonté  au  delà  de  ce  <|ue  nous  connaissons 
clairement  et  distinctement  ». 

W)  I.cbarq,  t.  V,  p.  ->:<(i--23l. 


lîOSSUET  TRADUCTEUR  ET  COMMENTATEUR  DES  SAINTS  PERES.     109 

acceptam.  Dicitiir  auton  praecipitari  secundum  coi'poralem 
motum  quod a  superiori  in  una  pervenit  secundumimpetum 
quemdain  proprii  motus  vel  alicujus  impellentis ,  non  ordi- 
nale incedendo  per  gradus.  Summum  autem  animae  estipsa 
ratio;  imum  autem  est  operatio  per  corpus  exercita;  gradus 
autem  medii,  per  quos  oportet  ordinate  descendore  sunt 
«  memoria  ^i  praofcritorum ,  «  intelligmtia  >^  prarsendum, 
^olertia  in  considerandis  futuris  eventibus,  «  ratiocinatio  » 
conferens  unum  alteri,  «  docilitas  »  per  quam  aliquis  ac- 
quiescit  sententiis  majorum;  per  quos  quidem  gradus  ali- 
quis ordinate  descendit  recte  consiliando.  Si  quis  autem 
feratur  ad  agendum  per  impetum  voluntatis  vel passionis, 
pertransitis  hujusmodi  gradibus,  erif  praecipitatio  ». 

Quelle  différence  entre  cette  langue  sobre,  forte,  pleine, 
rude ,  sans  grâce  aucune ,  et  la  langue  de  notre  grand  Bos- 
suet,  qui  rend  si  bien  la  pensée  de  saint  Thomas,  mais 
«  en  la  dépouillant  du  manteau  sévère  de  la  scolastique  » , 
comme  l'écrivait  Pie  IX  à  l'abbé  Lebretlion ,  traducteur  et 
abbréviateur  de  la  Somme  théologique  :  Scolastici  pallii 
severitate  exutaml 

Mais  Bossuet  n'a  jamais  mieux  montré  comment  il  savait 
commenter  saint  Thomas  d'Aquin  que  dans  ses  Maximes  et 
Ri-flexions  sur  la  Comédie  (169i),  lorsqu'il  «  dépouille  [la 
Dissertation  du  P.  Caffaro]  de  l'autorité  qu'elle  a  prétendu 
se  donner  par  le  grand  nom  de  saint  Thomas  et  des  autres 
saints  ».  Il  faudrait  citer  ces  pages  lumineuses,  où  l'illustre 
évèque  de  Meaux  fait  voir  d'abord  que ,  dans  les  deux  ar- 
ticles du  Docteur  angélique  (1),  qu'on  allègue  en  faveur 
de  la  comédie ,  «  il  est  bien  certain  que  ce  n'est  pas  ce  qu'il 
a  dessein  de  traiter  »,  puisque,  «  quand  il  serait  vi'ai,  ce 
qui  n'est  pas,  que  saint  Thomas,  à  l'endroit  que  l'on  pro- 
duit de  sa  Somme ,  ait  voulu  parler  de  la  comédie,  soit 
qu'elle  ait  été  ou  qu'elle  n'ait  pas  été  en  vogue  de  son 
temps  (2) ,  il  est  constant  que  le  divertissepient  qu'il  ap- 

(I)  Il  s'agit  des  articles  -2  et  :\  de  la  Question  l(i8  de  la  W  11"'=  de  la  Somme. 
{-!)  Bossuet  dit  [ilus  haut  :  «  On  ne  voit  guère,  en  effet  (de  comédie),  et  peut- 
(Hre  point  dans  le  temps  de  ce  saint  docteur.  Dans  son  livre  sur  les  Sentences,  il 


110  BOSSUEÏ  ET  LES  SAINTS  PERES. 

prouve  doit  être  revêtu  de  trois  qualités  dont  la  première 
et  la  principale  est  qu'on  ne  recherche  point  cette  délecta- 
tion dans  des  actions  ou  des  paroles  malhonnêtes  ou  nui- 
sibles; la  seconde,  que  la  gravité  ny  soit  pas  entièrement 
relâchée;  la  troisième,  qu'elle  convienne  à  la  personne,  au 
temps  et  au  lieu.  »  «  Voilà  donc  comment  saint  Thomas  fa- 
vorise la  comédie,  conclut  Bossuet  (1)  :  les  deux  passages  de 
sa  Sofntnf,  dont  les  défenseurs  de  cet  infànie  métier  se  font 
un  rempart,  sont  renversés  sur  leur  tète;  puisqu'il  parait 
clairement,  en  premier  lieu,  qu'il  n'est  pas  certain  qu'il 
ait  parlé  de  la  comédie;  en  second  lieu,  que  plutôt  il  est 
certain  qu'il  n'en  a  pas  voulu  parler;  en  troisième  lieu, 
sans  difficulté  et  démonstrativement ,  que  quand  il  aurait 
voulu  donner  quelque  approbation  à  la  comédie  ff}  plJe- 
mihnf  spéculativement  et  en  général,  la  nôtre  eu  particu- 
lier et  dans  la  praticpie  est  exclue  ici  selon  ses  principes, 
comme  elle  est  ailleurs  absolument  détestée  par  ses  paroles 
expresses.  Que  des  ignorants  viennent  maintenant  nous  op- 
poser saint  Thomas  et  faire  d'un  si  grand  docteur  un  par- 
tisan de  nos  comédies.  » 

Après  des  exemples  si  nombreux  et  si  concluants ,  n'est-on 
pas  en  droit  de  dire  que ,  si  l'on  a  appelé  Amyot  «  un  tra- 


parle  lui-même  des  ■  jeux  de  théâtre  comme  de  jeux  qui  furent  autrefois  :  Ludi 
nui  in  Ih'-atris  aQcbantur  ».  et  dans  cet  endroit  non  plus  que  dans  tous  les  autres 
où  il  traite  des  jeux  de  son  temp»,  les  théâtres  ne  sont  pas  seulement  nommés. 
Je  ne  les  ai  pas  non  plus  trouvés  dans  saint  Bonaventure,  son  contemporain. 
Tant  de  décrets  de  l'Église  et  le  cri  universel  des  saints  Pères  les  avaient  discré- 
dités, et  peut-être  renversés  entièrement.  Ils  se  relevèrent  quelque  temps  après 
sous  une  autre  forme,  dont  il  ne  s'agit  pas  ici:  mais,  comme  l'on  ne  voit  pas  (lue 
saint  Tiiomas  en  ait  fait  aucune  mention,  l'on  ]ieut  croire  (lu'ils  n'étaient  pas 
beaucoup  en  vigueur  de  son  temps,  où  l'on  ne  voit  guère  que  dos  récits  ridicu- 
les d'histoires  pieuses,  ou  en  tout  certains  jongleurs,  joculalorcs ,  qui  divertis- 
saient le, peuple  et  qu'on  prétend  à  la  lin  que  saint  Louis  abolit  par  la  peine 
qu'il  y  a  toujours  à  contenir  de  telles  gens  dans  les  règles  de  l'Iionnêteté.  »  — 
Ces  détails  si  précis  sur  l'histoire  de  noire  théâtre  sont  étonnants  che/.  un  con- 
temporain de  Boileau,  si  dédaigneux  du  moyen  âge.  M.  Petit  de  JuUeville,  dans 
ses  savantes  études  sur  le  Tlimire  en  France  au  moyen  (Uje,  établit  pourtant 
qu'au  drame  liturgique  succéda  le  drame  semi-lilnrfiùjue.  qui.  au  treizième  siècle, 
produisit  le  Jeu  de  saint  Nicolas,  de  Jean  Bodel,  d'Arras.  I"  moitié  du  treizième 
siècle,  puis  le  Miracle  de  Théophile  de  Hutebeuf,  entre  liVi  et  t-280,  le  Jeu  de  la 
Feuilli'i-  en  1-2<>-2,  et  liohin  et  Marion  vers  l.")8;i.  Saint  Thomas,  qui  ne  mourut  qu'en 
1-2"'»,  comme  saint  lionaventurc,  aurait  jiu  connaître  deux  ou  trois  de  ces  œuvres 
«Irainatiques,  qui ,  d'ailleurs,  n'étaient  pas  les  seules  jouées  alors  dans  les  Con- 
fréries. 
(Ij  11  a  fait  six  considérations  en  quatre  paragraphes,  2-2-3»!. 


BOSSUET  TRADUCTEUR  ET  COMMENTATEUR  DES  SAINTS  PERES.     111 

ducteur  de  génie  »,  il  faut  à  plus  forte  raison  et  à  plus 
juste  titre  appeler  notre  grand  Bossuet,  si  habile  dans  l'art 
de  se  servir  des  Pères  de  l'Église,  non  pas  un  traducteur, 
mais  un  commentateur  de  génie,  qui  féconde  admirablement 
les  germes  déposés  dans  les  œuvres  qu'il  cite  et  les  amène  à 
un  épanouissement  complet  et  radieux? 

A  propos  de  ce  commentateur  de  génie,  Sainte-Beuve,  dans 
une  page  célèbre  de  ses  Nouvcdiix  LuikI'is  ,  t.  II ,  p.  3'i-7-3V8, 
constatait  avec  un  rare  bonheur  d'expression  l'influence  du 
latin  sur  le  style  de  Bossuet  :  «  Ce  qu'il  savait  à  fond, 
admirablement,  c'était  le  latin...  Il  en  avait  l'usage  très 
familier;  il  le  parlait;  il  disputait  en  latin  dans  l'école  ;  il 
écrivait  couramment  des  lettres  latines  aux  prélats  étran- 
gers avec  qui  il  correspondait;  les  notes  dont  il  charg-eait 
les  marges  de  ces  livres  étaient  le  plus  souvent  en  latin. 
C'est  de  cette  connaissance  approfondie  du  latin  et  de  l'u- 
sage excellent  qu'il  en  sut  faire  que  découle  chez  Bossuet  ce 
français  neuf,  -plein,  substantiel,  dan.-i  le  se  fis  de  la  racine, 
et  original  :  et  ce  n'est  pas  seulement  dans  le  détail  de  l'ex- 
pression, de  la  locution  et  du  mot,  que  cette  sève  de  litté- 
rature latine  se  fait  sentir,  c'est  dans  l'ampleur  des  tours, 
dans  la  forme  des  mouvements  et  des  liaisons ,  dans  le  joint 
des  phrases  et  comme  dans  le  geste.  Veut-il  faire  un  vœu 
sur  la  fin  de  l'Oraison  funèbre  du  grand  Condé;  il  s'écriera  : 
«  Ainsi  puisse-t-il  toujours  vous  être  un  cher  entretien  !  Ainsi 
puissiez-vous...,  etc.  »  On  a  reconnu  la  forme  latine  du 
vœu  :  Sic  te  Diva  potens  Cypri,  sic  fratres  Helenae ! . . .  Et 
dans  l'Oraison  funèbre  de  iMichel  Le  Tellier  :  «  Sache  la 
postérité  !  »  toutes  vivacités  et  brusqueries  grandioses,  fami- 
lières à  l'orateur  romain  et  à  la  nation  qui  porte  la  toge.  » 

Mais  si  «  ce  latinisme'^,  si  sensible  de  Bossuet  dans  sa 
pai'ole  française  »  est  chez  lui  «  plus  qu'un  accident,  qu'un 
trait  curieux  à  noter  »,  s'il  «  est  fondamental  »,  et  comme  un 
«  caractère  constant  »,  si  Bossuet  lui-même  nous  avertit, 
dans  son  Ecrit  composé  pour  le  cardinal  de  Bouillon  en 
1069-70,  «  qu'on  prend  dans  les  écrits  de  toutes  les  lan- 
gues le  tour  qui  en  est  l'esprit,  —  surtout  dans  la  latine 


112  BOSSUEÏ  ET  LES  SAINTS  PERES. 

dont  le  g'énie  n'est  pas  éloigné  de  celui  de  la  nôtre,  ou 
plutôt  qui  est  tout  le  même  »,  n'est-ce  pas  à  l'habitude 
qu'avait  le  grand  orateur  de  lire,  d'étudier,  de  traduire  et 
de  commenter  les  saints  Pères  qu'il  a  dû  la  «  saveur,  la 
verdeur  »  de  ce  latinisme,  qui  «  réintègre...  quantité  de 
mots  dans  la  pleine  et  première  propriété  et  sincérité  ro- 
maine »?  Sainte-Beuve  ne  l'a  pas  assez  dit,  tout  en  recon- 
naissant que  Bossuet  savait  «  toutes  les  sortes  de  latin, 
celui  de  Cicéron  comme  celui  des  Pères,  de  TertuUien  et 
de  saint  Augustin  ». 

C'est  de  ce  dernier  latin,  —  latin  de  la  décadence,  trop 
semblable  au  bas  latin,  au  latin  des  camps,  —  qu'est  sorti 
le  français  par  une  longue  et  laborieuse  évolution.  Qu'y  a- 
t-il  donc  d'étonnant  à  voir  Bossuet,  nourri  du  latin  des 
Pères,  parler  un  «  français  neuf,  plein,  substantiel,  dans 
le  sens  de  la  racine,  et  o?'iginal  »? 

Nisard  lui-même,  qui  montre  si  bien  dans  ce  grand 
homme  «  l'union  des  deux  antiquités  »,  antiquité  païenne 
et  antiquité  chrétienne,  n'a  pas  assez  fait  voir  combien  la 
familiarité  de  Bossuet  avec  les  saints  Pères  a  dû  influer  sur 
la  formation  d'un  style,  qui  est  «  le  plus  grand  style  » 
de  notre  langue  et  de  notre  littérature  française. 

Il  faut  donc  reprendre  en  le  complétant  un  mot  de  Ville- 
main.  Trois  courants  se  sont  rencontrés,  descendant  l'un 
d'Homère  et  de  Virgile,  l'autre  de  la  Bible  et  du  Sinaï,  le 
troisième  de  saint  Augustin  et  des  autres  Pères  de  l'Église, 
et  ces  trois  courants  réunis  ont  formé  un  fleuve  qui  ne  porte 
qu'un  nom,  le  nom  de  notre  grand  Bossuet. 


CHAPITRE  III 

LES    SAINTS    PÈRES    ET    BOSSUET    ORATEUR. 

Nous  sommes  bien  loin  de  l'époque  où  l'abbé  de  Cléram- 
baut,  répondant  au  discours  de  Tabbé  de  Poliguac,  suc- 
cesseur de  Bossuet  à  F  Académie  Française,  disait,  le  2  août 
170i,  que  Févêque  de  Meaux  «  laissa  obtenir  à  ses  rivaux  le 
premier  rang  qu'il  pouvait  occuper,  dans  l'éloquence  sa- 
crée ))  ;  de  l'époque  où  Voltaire  écrivait  dans  le  Siècle  dr 
Louis  A7F(1)  :  «  Quand  Bourdaloue  parut,  Bossuet  ne  passa 
plus  pour  le  premier  prédicateur  »  ;  où  La  Harpe  résumait 
Fopinion  commune  de  dix-huitième  siècle  (2),  en  osant 
dire  :  u  Bossuet  était  médiocre  dans  les  sermons  (3)  ;  »  où 


(I)  Chapitre  xxxh,  Bes  Beaux  arls. 

(-2)11  l'aut  reconnaître  pourtant  que  d'AIembert  dans  un  Éloge  de  Bossuet,  lu 
à  l'Académie  en  1779,  admirait  ses  Sermons,  qui  sont  plutôt  «  les  esquisses  d'un 
grand  maître  que  des  tableaux  terminés:  ils  n'en  sont  que  plus  précieux  pour 
ceux  (jui  aiment  à  voir  dans  ces  dessins  heurtés  et  rapides  les  traits  hardis 
d'une  touche  libre  et  ficre  et  la  première  sève  de  l'enthousiasme  créateur.  »  —  Il 
faut  aussi  faire  exception  pour  le  P.  de  Neuville,  un  des  plus  célèbres  prédica- 
teurs du  lemps  :  il  élait  occupé  à  revoir  les  Sermons  qui  avaient  fait  sa  renommée 
et  qu'on  le  pressait  de  juiblier,  quand  il  reçut  ceux  de  Bossuet.  publiés  par  dom 
Deforis.  Il  écrivit  aussitôt  au  libraire  Boudet  :  «  Y  pensez-vous.  Monsieur?  Vous 
souhaitez  que  mes  Sermons  paraissent  et  vous  m'envoyez  Bossuet;...  Que  mes 
paperasses  me  semblent  froides  et  inanimées I  que  je  me  trouve  petit  et  ram- 
pant! Combien  je  sens  que  je  ne  suis  rien!...  Plût  au  ciel  que  la  Providence 
m'eût  enrichi  de  ce  trésor  avant  cet  ùgc  d'affaiblissement  et  de  langueur  qui  me 
met  hors  d'élat  d'en  proliter!  A  l'école  de  ce  maître  unique  du  sublime,  de  l'éner- 
gique, du  patliétique,  j'aurais  appris  à  réfléchir,  à  penser,  à  exprimer,  et  j'aurais 
désiré  de  tomber  dans  ces  négligences  de  style  inséparables  de  l'activité,  de 
1  impétuosité  du  génie.  Heureux  le  siècle  qui  a  produit  ce  prodige  d'éloquence 
que  Rome  et  Athènes,  dans  leurs  plus  beaux  jours ,  auraient  envié  à  la  France  ! 
Malheur  au  siècle  qui  ne  saurait  le  goûter  et  l'admirer  !»  —  Et  pourtant ,  quand  les 
Sermons  du  P.  de  Neuville  parurent  après  sa  mort,  en  177»;.  l'édition  en  fut  épui- 
sée sur  le  champ;  on  les  traduisit  en  allemand,  en  italien,  en  espagnol,  tandis 
que  trente  ans  s'écoulèrent,  sans  qu'on  songeât  à  réimprimer  ceux  de  Bossuet! 

(3)  Lycée  ou  Cours  de  littérature,  deuxième  partie,  liv.  II,  cliap.  1",  section  IV. 

BOSSCET  ET  LES   SAINTS   PÈRES.  8 


lli  HOSSLET  ET  LES  SAIiNTS  PERES. 

il  fallait  à  dom  Dcloris  un  vrai  courage,  dont  on  ne  lui  a 
pas  toujours  été  assez  reconnaissant  (1),  pour  résister,  même 
au  risque  d'un  procès,  à  la  sottise  de  son  libraire,  qui  lui 
reprochait  sa  conscience  et  son  respect  pour  le  texte  de  Bos- 
suet  comme  <•  un  manque  de  discernement  »,  et  à  l'imper- 
tinence de  l'abbé  Maury,  Torateur  à  la  mode ,  qui  l'accusa 
de  ramasser  «  le  linge  sale  de  Bossuet  »  et  qui  aurait  voulu 
qu'on  fit  ((  des  triages,  des  retranchements  »  ,  qu'on  effaçât 
ce  qu'il  appelait  «  des  tours  incorrects,  des  négligences, 
des  chutes  (2)  »,  tout  comme  Dussaux,  un  connaisseur 
pourtant,  taxait  les  Sermons  de  Bossuet  de  «  matériaux  in- 
formes,  souvent  infectés  d('  la  rouille  d'un  temps  où  l'élo- 
quence était  encore  sauvage  et  notre  littérature  à  demi 
barbare  (  !  ) .  » 

Nous  sommes  même  loin  de  Chateaubriand,  qui,  dans 
le  Génie  du  Christianisme ,  où  il  a  si  bien  parlé  des  Orai- 
sons funèbres ,  ne  parait  pas  connaître  d'autres  sermons  que 
ceux  de  Bourdaloue  et  de  iMassillon  (3),  et  qui,  dans  ses 
Mélanges  littéraires  (décembre  1805),  va  jusqu'à  repré- 
senter Bossuet  comme  ayant  été,  dans  sa  jeunesse,  «  un  bel 
esprit  de  l'hôtel  de  Rambouillet  ».  «  Ses  premiers  sermons, 
dit-il,  sont  pleins  d'antithèses,  de  battologies  et  d'enflure 
de  style.  Dans  un  endroit  il  s'écrie  tout  à  coup  :  «  Vive  l'É- 
ternel (4)  »  !  Il  appelle  les  enfants  la  recrue  continuelle  du 
genre  humain  ;  il  dit  que  Dieu  nous  donne  par  la  mort  un 
appartement  dans  son  palais.  Mais  ce  rare  génie,  épuré  par 
la  raison  qu'amènent  naturellement  les  années,  ne  tarda  pas 
à  paraître  dans  toute  sa  beauté;  semblable  à  un  fleuve,  qui 
en  s'éloignant  de  sa  source ,  dépose  peu  à  peu  le  limon  qui 

(1)  Voir  en  partii  iilier  M.  Lâchât,  si  dur  pour  dom  Deforis,  auquel  M.  Brunetière 
et  M.  Lebarq  rendent  pleinement  justice. 

(i)  1,'abbé  Maury  avait  pourtant  composé  pour  l'cdition  de  177-2  une  lalroduction, 
on.  malgré  de  roi,Tettal)les  concessions  au  i,'oût  du  temps  et  (pielques  idées  qui 
sentent  la  vieille  rliéloricpie ,  il  appréciait  avec  une  Ljrande  justesse  et  parfois 
avec  un  rare  bonheur  d'expression  le  génie  de  Bossuet,  (|u'll  plaçait  hardiment  à 
la  léte  des  orateurs  sacrés.  —  En  1810,  il  publia  ses  Rrflp.rions  sur  les  Sermons 
fie  Bossuet,  où  l'admiration  est  encore  plus  accentuée. 

(:t)  •  On  médite  sans  cesse ,  on  feuillette  nuit  et  jour  les  Oraisons  funèbres  de 
Hossuft  et  les  sermons  de  Bourdaloue  et  de  Massillon.  ■  {Troisième partie,  liv.  IV. 
cliap.  l"';. 

(4)  Kl  ce  cri  est  superbe,  n'en  déplaise  à  M.  de  Chateaubriand. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  ORATEUR.  115 

troublait  son  eau  et  devient  aussi  limpide  au  milieu  de  son 
cours  que  profond  et  majestueux  (1)  ». 

Nous  sommes  presque  aussi  loin  de  Y  Histoire  de  Bosssuet^ 
où  le  cardinal  de  Bausset  dit  au  second  livre ,  I  :  «  Les  Ser- 
mons de  Bossuet  offrent  sans  doute  ])eaucoup  d'inégalités 
et  d'imperfections.  Mais  on  ne  doit  pas  oublier  qu'il  les 
prononça  il  y  a  plus  de  cent  cinquante  ans  ;  qu'ils  furent 
écrits  et  composés  avec  toute  la  rapidité  (2)  qu'exigeait 
l'empressement  qu'on  montrait  à  l'entendre,  etc.;  on  doit 
encore  se  rappeler  que  Bossuet  ne  les  avait  point  destinés  à 
l'impression ....  et  alors  on  sera  encore  plus  frappé  des  éclairs 
de  génie  qui  échappent  sans  cesse  à  leur  auteur...  Enfin, 
ne  pourrait-on  pas  dire  des  Sermons  de  Bossuet  ce  que  Quin- 
tilien  dit  des  vers  d'Ennius  :  «  Révérons-les  comme  ces  bois 
consacrés  par  leur  propre  vieillesse,  dans  lesquels  nous 
voyons  de  grands  chênes  que  le  temps  a  respectés ,  et  qui 
pourtant  nous  frappent  moins  par  leurs  beautés  que  par 
je  ne  sais  quel  sentiment  de  religion  qu'ils  nous  inspi- 
rent (3).  » 

Depuis  1815  environ,  une  révolution  littéraire  est  venue 
régénérer  l'histoire  et  atlranchir  la  critique ,  à  la  suite  de 
Chateaubriand,  le  glorieux  porte-drapeau  des  idées  nou- 
velles, quoiqu'il  sacrifie  parfois  au  goût  du  dix-huitième 
siècle.  Elle  a  donné  le  signal  d'une  justice  tardive,  mais 
éclatante,  rendue  diWxSermons  de  Bossuet.  L'honneur  en  re- 
vient à  l'Université,  «  toujours  si  dévouée,  dit  Gandar  (4),  à 
la  gloire  de  Bossuet,  alors  même  qu'elle  n'accepte  pas  ses 
maximes  ».   Tandis  que  Villemain  prenait  l'initiative  de 


(1)  Sans  s'arrêter  à  ce  qu'il  y  a  d'étrange  dans  cette  image  d'un  lleuve,  qui  de- 
vient plus  limpide  en  s'éloignant  de  sa  source,  comment  ne  pas  regretter  que 
Chateaubriand  ail  eu  la  main  assez  malheureuse  pour  criti(iuer  le  Sermon  sur  la 
Mort,  l'un  des  plus  admirables  chefs-d'œuvre  de  Bossuet:  Sainte-Beuve  le  lui  re- 
proche avec  raison  dans  ses  Noicvenux  Lundis.  II. 

(•2j  Ne  serait-ce  pas  le  cas  de  répéter  le  mot  d'Alceste  :  Voyons,  monsieur;  le 
temps  ne  l'ait  iien  à  l'affaire,  surtout  quand  il  s'agit  d'un  génie  comme  celui  de 
Bossuet?  (Le  Misanthrope,  1,2.) 

(3)  «  Ennium,  sicut  sacros  vetustate  lu  cas ,  adoremus ,  in  quibus  grandia  et 
anliqua  robora  jam  non  tantam  habent  speciem  quantum  relligionem.  »  (Insti- 
tution oratoire,  X.  1.) 

(4)  Bossuet  orateur,  Introduction,  p.  XXVIII.  (1867.) 


116  BOSSUEÏ  ET  LES  SAINTS  PERES. 

cette  réparation  (1).  deux  de  ses  disciples.  Patin  et  Saint- 
Marc  Girardin,  célébraient  l'éloquence  des  Sermons  dans 
un  concours  où  ils  se  partagèrent  la  couronne  acadé- 
mique (2).  Après  eux,  Nisard  (3)  et  Sainte-Beuve  (4), 
l'abbé  Vaillant  (.'))  et  Floquet  (6),  Gandar  (7)  et  l.achat  (8), 
Sacy  (9)  et  Scherer  (10),  l'abbé  Hurel  (11)  et  M.  Jacqui- 
net  (12),  M.  Gazier  (13)  et  M.  Rébelliau  (U) ,  M.  Paul 
Janet  (15)  et  M.  Bertrand  (16),  M.  l'abbé  Lebarq  (17)  et 
M.  Brunetière  fl8)  ont  dit  les  sentiments  d'admiration  pro- 
fonde qu'inspirent  à  la  critique  contemporaine  «  les  ébau- 
ches [de  Bossuet]  ,  aussi  étonnantes  que  ses  sermons  les  plus 
achevés  (19).  » 

On  ne  croit  plus  pourtant,  comme  Sainte-Beuve  l'avait 
cru  tout  d'abord  dans  ses  Causeries;  du  Lundi,  X,  que  l'élo- 
quence de  Bossuet  «  n'a  pas  eu  d'aurore  »;  on  lui  ap- 
plique, au  contraire,  ces  mots  d'un  sermon  (20)  :  «  Ni  l'art, 
ni  la  nature,  ni  Dieu  lui-même  ne  produisent  pas  tout  à 
coup  leurs  grands  ouvrages  ;  ils  ne  s'avancent  que  pas  à 

(I)  Discours  et  mélanges  littéraires. 

(-2)  Éloges  de  Bossuet,  couronnés  en  18-2". 

(3)  Histoire  de  la  littérature  française,  liv.  III,  eliap.  xiii,  et  liv.  IV,  chap.  vu.  et 
les  Grands  sermonaires  français,  Revue  des  Deux-Mondes,  janvier  I8.">". 

(i)  Causeries  du  Lundi,  X,  -i.  art.,  p.  180  et  198.  et  Nouveaux  Lundis,  II,  i  art- 
p.  334  et  3?i-2. 

(.">)  Études  sur  les  Sermons  de  Bossuet  d'après  les  manuscrits,  1851. 

((>)  Études  sur  la  rie  de  Bossuet,  3  vol.  1835,  et  Bossuet  précepteur  du  Danjiliiii  et 
évèquc  à  la  cour,  I8()i. 

(7)  Bossuet  orateur,  Études  critiques  snr  les  Sermons  de  la  jeunesse  de  Bossuet, 
(HM-im-2\  troisième  édit.  1880. 

(8)  Édition  des  Œuvres  de  Bossuet  en  31  vol.  chez  vivôs,  l8(i-2-I8(iG.  Préface  du 
tome  VIII. 

(ît)  Variétés  morales  et  littéraires,  1. 1.  p.  'Mi. 

(10)  Etudes  critiques  sur  la  littérature  contemporaine ,  VI.  p.  'l'A.  —  Il  soutien! 
pourtant  que  «  le  sermon  est  un  genre  laux.  dans  lequel  on  ne  peut  penser  ni 
dire  juste,  etc. 

(II)  Les  Orateurs  sacrés  à  la  rour  de  Louis  .\IV.  liv.  11.  et  liv.  III.  première  sé- 
rie, chap.  I". 

(1-2)  Des  Prédicateurs  au  dix-septième  siècle  avant  Bo.sxuet,  et  Oraisons  funèbres. 
nouvelle  édition,  180-2. 

(13)  Sermons  choi.iis  de  Bossuet. 

(14)  Choix  de  sennons  de  Bossuet. 

(13)  Bossuet  moraliste.  Revue  des  Deux  Mondes  (13  août  188(i.) 

(10)  Bossuet,  Chefs-d'œuvre  oratoires.  1888. 

(17)  Histoire  c7-itique  de  la  prédication  de  Bossuet,  1888. 

(I8j  Sermons  choisis  de  Bossuet ,  Introduction.  —  Article  Bossuet  dans  la  Grande 
Enri/clopédie  et  Coursa  la  Sorbonne,  1803-0'». 

(10)  Msard,  Histoire  de  la  littérature  française  ;  liv.  III:  ciiap.  xiii.  <.;  7. 

(-20)  Sermon  (premier  des  éditions  ordinaires)  ])our  la  Nativité  de  la  sninle 
\'ierf/f.  E  rnrrir. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  ORATEUR.  117 

pas.  On  crayonne  avant  que  de  peindre  ;  on  dessine  avant 
que  de  bâtir,  et  les  chefs-d'œuvre  sont  précédés  par  des 
coups  d'essai.  »  On  reconnaît  donc  qu'il  y  a  dans  cette  élo- 
quence trois  époques  distinctes  :  l'époque  de  Navarre  et  de 
Metz,  16i8-1659;  l'époque  de  Paris,  1659-1670  ou  plutôt 
1681  ;  et  l'époque  de  Meaux,  118-2-i70i.  Dans  la  première, 
«  il  s'essaie  »  ;  dans  la  seconde ,  «  il  excelle  »  ;  dans  la  troi- 
sème ,  «  il  se  transforme  » ,  comme  le  dit  excellemment 
Sainte-Beuve  dans  sas  Nouveaux  Lundis,  t.  II,  p.  333.  On 
peut  caractériser  encore  chacune  de  ces  trois  manières  en 
affirmant  d'une  façon  générale  que  «  la  première  est  di- 
dactique et  théologique,  la  seconde  plutôt  philosophique 
et  morale,  la  troisième  plutôt  homilétique  »,  comme  parle 
M.  Brunetière  dans  V Introduction  des  Sermons  choisis  de 
Bossue t,  p.  26. 

Quelle  a  été  dans  ces  trois  périodes  de  Navarre  et  de  Metz, 
de  Paris,  de  Meaux,  l'influence  des  saints  Pères  sur  l'élo- 
quence de  notre  grand  orateur  ? 

Voilà  la  question  à  laquelle  n'ont  répondu  qu'incidem- 
ment et  d'une  manière  incomplète  l'abbé  Vaillant,  Gandar, 
Sainte-Beuve,  M.  Brunetière  et  M.  l'abbé  Lebarq.  Il  importe 
cependant  de  la  bien  résoudre  pour  connaître  exactement 
les  progrès  et  l'évolution  du  génie  oratoire  de  Bossuet. 

ARTICLE  r^ 

Influence  des  saints  Pères  sur  Bossuet  orateur 
pendant  l'époque  de  Navarre  et  de  Metz,  1648-1659. 

Durant  cette  période ,  Bossuet  avait  le  génie ,  la  science , 
la  force,  le  zèle;  mais  il  ne  savait  pas  en  faire  toujours  le 
meilleur  emploi. 

De  là,  dans  les  Sermons  de  Metz ,  —  l'enthousiasme  exubé- 
rant et  naïf  de  la  jeunesse  studieuse,  l'étalage  de  l'érudition 
sacrée  et  profane  (1),  «  l'appareil  scolastique  du  raisonne- 

(II  II  «  dégorge  [sa  science]  iiii  peu  au  liasai'il .  dit  M.  Lanson;  il  étale  ses  au- 
teurs: il  en  l'ait  sonner  les  noms.  »  Bossuet,  p.  "0. 


118  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PEKES. 

ment,  prolixe,  iaterminable,  sans  cesse  proclamé  con- 
cluant, invincible,  tout  bardé  de  théologie  et  de  philoso- 
phie, tout  hérissé  de  termes  et  de  définitions  d'école  [i)  »  ; 
de  longues  et  inutiles  digressions,  un  symbolisme  théolo- 
gique d'un  goût  étrange  (2)  ;  —  la  crudité  des  expres- 
sions (3j,  la  hardiesse  bizarre  des  métaphores  (4),  la  trivia- 
lité des  mois  ordure,  bourbier,  pourrir,  solder,  familiers 
au  jeune  prédicateur,  et  que  Chateaubriand  appelle  «  Fé- 
cume  au  mors  du  jeune  coursier  »;  —  et  avec  cela,  parmi 
les  hasards  d'un  goût  qui  deviendra  plus  sûr,  un  feu  singu- 
lier, une  imagination  ardente,  l'onction  d'un  cœur  inspiré 
«  la  première  sève  de  l'enthousiasme  créateur  (5  )  » ,  une 
familiarité  hardie,  un  pathétique  ingénu,  une  poésie  d'ex- 
pression, une  verve  soudaine  aux  brusques  saillies,  qui  ont 
fait  dire  à  Merlet,  que  «  Bossuet  deviendra  plus  égal  et 
plus  châtié,  mais  que  jamais  il  ne  sera  plus  merveilleuse- 
ment orateur  ». 

Les  qualités  de  Bossuet  lui  viennent  sans  doute  de  son 
propre  fonds;  mais  n'a-t-il  pas  pris  au  contact  des  Pères  de 
l'Église ,  surtout  de  saint  Augustin ,  de  Tertullien ,  de  saint 
Cyprien ,  qu'il  étudie  alors  de  préférence ,  quelque  chose  de 
leurs  habitudes  de  véhémence  africaine,  d'essor  impétueux 
et  d'élan  superbe  ?  Il  est  difficile,  pour  ne  pas  dire  impossible 
de  déterminer  jusqu'à  quel  point  les  brusques  saillies  du 
jeune  archidiacre  de  Sarrebourg  et  de  Metz  sont  spontanées, 
originales,  ou  plus  ou  moins  inspirées,  imitées  des  docteurs 
et  dos  Pères,  dont  il  dira  en  1060,  dans  le  Sermon  sur  les 
vaines  excuses  des  jif^cheurs  (6)  :  «  Nous  usons  nos  esprits  à 

(1)  Lanson,  Bossuet,  p.  71. 

(-2)  Ainsi,  il  considore  «  les  deux  hras  de  la  croix  du  Sauveur  Jésus  •,  el  •  dans 
l'un  il  se  reprcserilc  lui  trésor  inlini  de  puissance,  et  dans  l'autre,  une  source  im- 
mense de  miséricorde.  •  {Exaltation  de  la  Croi.r ,  1053).  Ainsi,  encore,  il  appelle 
les  prédicateurs  «  mères  de  Jésus-Christ  ».  KJoS.  Panégyrique  de  saint  Bernard. 

Cij  X  propos  de  la  Conception  de  la  sainte  Vierge,  du  siège  de  Jérusalem  où  une 
lemme  eut  la  rage  de  massacrer  son  enfant,  «  de  le  faire  bouillir  et  de  le  manger  », 
ilu  martyre  de  saint  Gorgon  .  où  Kossuel  dit  que  •  des  exhalaisons  infectes  sor- 
taient de  la  graisse  de  son  corps  rôli  ».  etc. 

(/»)  l.e  Christ  est  lantiU  un  «  capitaine  sauveur  »,  tantôt  un  «  ambassadeur  » 
lant6l  •   la  clef  mystérieuse,  par  laquelle,  sont  ouverts  les  coffres  du  Père  éter- 
nel »,  etc. 

(j)  D'Alembcrt,  Éloge  dr  Bossuet.  1779. 

(•i)  Premier  Sermn)i  pour  le  ilimnncbc  de  la  Passion,  Leijarq,  t.  III. 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  ORATEUR.  119 

chercher  dans  les  saintes  Lettres  et  dans  les  éerirains  eccir- 
siastiqucs  ce  qui  est  utile  à  votre  salut.  »  Ou  ne  peut  s'em- 
pêcher pourtant  de  remarquer  que,  dans  le  Panégyrique 
de  ^amt  Bernard ,  qui  est  certainement  un  des  chefs-d'œuvre 
de  la  jeunesse  de  Bossuet,  en  1653,  il  n'y  a  que  trois  citations 
des  Pères  ,  une  de  saint  Grégoire  (1) ,  une  de  saint  Chrysos- 
tome  et  une  de  saint  Augustin,  quoique  le  texte  ne  com- 
prenne pas  moins  de  trente  pages  de  l'édition  grand  in-8" 
de  M.  l'ahhé  Lebarq,  t.  I^  p.  391-421.  Le  Panégyrique  de 
saint  Paul,  autre  chef-d'œuvre  phis  admirable  encore, 
1657,  ne  contient,  dans  vingt-six  pages,  que  quatre  cita- 
tions d'Origène,  de  Tertullien,  de  saint  Augustin  et  de  saint 
Jean  Chrysostome.  Le  génie  de  Bossuet  vole  déjà  de  ses  pro- 
pres ailes  et  il  n'est  jamais  mieux  inspiré  que  lorsqu'il 
s'abandonne  au  souffle  puissant  qui  l'emporte  vers  les  hau- 
tes régions  de  l'éloquence. 

Quant  aux  défauts  de  ses  premiers  essais  oratoires,  il  ne 
faut  pas  oublier  qu'ils  sont  le  tribut  que  l'étudiant  de  Na- 
varre, l'archidiacre  de  Metz  a  payé  aux  habitudes  de  son 
temps,  avant  qu'il  pût  s'en  affranchir  à  force  de  goût  et  de 
génie.  Au  moment  où  le  jeune  orateur  montait  dans  la 
chaire,  il  y  avait  encore  chez  les  prédicateurs  et  même  chez 
les  meilleurs  —  en  dépit  des  progrès  que  Nicolas  Coeffe- 
teau,  évêque  de  Marseille,  Gospéan,  évêque  d'Aire,  Go- 
deau,  évêque  de  Grasse,  le  cardinal  de  BéruUe,  le  P.  Le- 
jeune,  le  P.  Senault,  le  P.  Desmares,  de  l'Oratoire,  les 
deux  de  Lingendes,  le  Jésuite  Claude  de  Lingendes  et  l'é- 
vêque  de  Mâcon,  Jean  de  Lingendes,  Port-Royal  et  lAI.  Sin- 
glin ,  saint  Vincent  de  Paul  et  le  cardinal  de  Retz  (-2)  avaient 
fait  réaliser  à  l'éloquence  de  la  chaire,  —  «  beaucoup 
de  pédantisme  et  de  mauvais  goût,  beaucoup  de  galima- 
tias subtil,   de  rhétorique  pompeuse,   d'éloquence  alam- 

(1)  Bossuet  lui  emprunte  ce  trait  de  mauvais  goût  que  les  prédicateurs  sont 
«  les  mères  de  Jésus-Christ.  » 

("2)  Le  cardinal  de  Retz  a  laissé  deux  Panégyriques,  l'un  de  saint  Charles  Borro, 
mée,  daté  de  Kiw,  l'autre  de  saint  Louis,  prononcé  le  i";  août  ItiW,  la  veille  de 
la  Journée  des  Barricades;  la  péroraison  de  ce  dernier  discours  est  un  des  plus 
beaux  mouvements  d'éloquence  que  puisse  citer  l'histoire  de  la  chaire  fran- 
çaise avant  Bossuet. 


120  MOSSUET  ET  LES  SAIMTS  PERES. 

biquée  (1).  »  Néanmoins,  on  peut  dire  que  l'imitation  des 
saints  Pères  ne  fut  pas  étrangère  à  ces  imperfections  d'un 
génie  oratoire  merveilleux,  mais  qui  avait  à  se  former  et 
à  s'épanouir  suivant  l'adage  célèbre  :  fiunt  oratores. 

«  Bossuet,  dit  Sainte-Beuve  au  tome  X  des  Causeries  du 
Limcli,  p.  199,  Bossuet,  comme  tous  les  talents,  et  surtout 
les  talents  d'orateur,  a  eu  un  apprentissage  à  faire.  Il  n'a 
jamais  eu  de  tâtonnements,  mais  des  rudesses  premières, 
des  hasards,  des  inexpériences  de  diction,  des  archaïsmes. 
Les  sermons  de  la  première  époque,  prêches  pour  la  plu- 
part en  province,  se  ressentent  un  peu  trop  des  habitudes 
de  l'école  et  de  l'influence  de  Tertullien,  qu'il  étudie  et 
imite  de  préférence  parmi  les  Pères  de  l'Église.  » 

5J  I.  —  Inlluence  i)répondérante  do  Tertullien. 

Gandar  a  développé  cette  idée  si  juste  dans  le  chapi- 
tre IIP  du  livre  1"^  de  Bossuet  orateur  :  Du  souvenir  et  de 
l'imitation  des  Pères  de  l'Église  dans  les  sermons  composés 
par  Bossuet  à  Metz  (  1652-16561.  Il  y  montre  que  de  tous 
les  écrivains  ecclésiastiques,  Tertullien  est,  après  saint  Au- 
gustin, celui  dont  le  nom  et  les  ouvrages  tiennent  le  plus 
de  place  dans  les  sermons  composés  à  Metz.  Le  «  docte  », 
le  «  grave  Tertullien,  ce  célèbre  prêtre  de  Carthage  »,  ce 
<(  grand  homme  » ,  «  cet  excellent  homme  » ,  est  cité  par 
notre  jeune  orateur  en  maints  endroits.  Il  est,  d'ailleurs, 
assez  naturel  que  le  génie  ardent  et  fougueux  de  Tertullien 
ait  séduit  la  jeune  imagination  de  Bossuet  par  ses  emporte- 
ments mêmes  et  par  ce  mélange  de  subtilité  et  de  rudesse 
qui  donne  à  son  style  une  physionomie  si  saisissante.  Sans 
doute ,  Bossuet  doit  à  ce  «  dur  Africain  »  plusieurs  beaux 
passages  de  ses  premiers  discours,  quelques-uns  pleins 
d'énergie,  d'autres  charmants  de  délicatesse  et  de  grâce, 
comme  celui  que  cite  (îandar,  p.  93,  et  qui  est  tiré  d'un 


(I)  I.aiison ,  Bossuet,  p.  (iO.  —  Voir  aussi  Jacrjuinet,  Des  prédicateurs  au  dix-sep- 
lièiiie  siècle  avant  Bossuet. 


LES  SAINTS  PÉRÈS  ET  ROSSUET  ORATEUR.  121 

Sermon  de  vêture  aux  Nouvelles  catholiques,  1658  (1). 
W  Freppel  le  reproduit  très  longuement  dans  son  étude 
savante  sur  Tertiillien  (2).  Mais  sans  reprocher  à  Bossuet, 
comme  l'a  fait  Gandar,  ces  expressions  trop  audacieusement 
traduites  du  latin  dn  «  célèbre  prêtre  de  Carthage  »  :  «  une 
chair  angélisée  (3)  »  pour  désigner  le  corps  de  Marie,  et 
«  l'illuminateur  des  antiquités  » ,  c'est-à-dire  le  Christ 
Jésus  (4),  parce  que  cette  dernière  expression  est  fort  belle 
et  que  M.  Brunetière  (5)  trouve  dans  les  Exhortations  de  la 
vieillesse  de  Bossuet  des  hardiesses  équivalentes  à  la  pre- 
mière, «  des  chairs  immortifiées  »  et  bien  d'autres  expres- 
sions semblables,  il  est  incontestable  que  «  les  excès  »  de 
Tertullien,  comme  l'évèque  de  Meaux  les  appelle  dans  le 
Sennon  sur  l'unité  de  t Église ,  ne  lui  déplaisaient  dans  sa 
jeunesse  ni  pour  la  pensée,  ni  pour  le  goût,  ni  pour  le 
style,  «  et  peu  s'en  est  fallu  que  Bossuet,  à  vingt-cinq  ans, 
ne  donnât  par  surprise  à  Tertullien  la  place  que  Lucain  a 
usurpée  dans  les  préférences  du  grand  Corneille  (O).  » 

Un  sermon  bien  caractéristique  à  ce  point  de  vue,  c'est  le 
Sermon  sur  la  Bonté  et  lu.  Rigueur  de  Dieu  envers  les  pé- 
cheurs,  prêché  à  Metz  le  21  juillet  1G52.  Après  un  texte  de 
saint  Luc,  vient  un  premier  exorde,  qui  rappelle  les  larmes 
du  Sauveur  à  la  vue  de  Jérusalem,  dont  il  prédit  la  ruine, 
et  qui  résume  d'avance  les  deux  points  du  discours  du  jeune 
orateur.  Il  insiste  longuement,  dans  le  second  exorde,  sur 
l'antique  erreur  des  Marcionites,  dont  il  vient  de  lire  l'ex- 
posé et  la  réfutation  dans  les  livres  éloquents  de  Tertullien 
Contre  Marcion  :  «  Il  n'y  eut  jamais,  dit-il  sans  transition 
aucune,  de  doctrine  si  extravagante   que  celle  qu'ensei- 

(I)  B  Dépouillez- VOUS  généreusement  de  Thabit  du  siècle;  laissez-lui  sa  pompe 
(H  ses  vanités;  ornez  votre  corps  et  votre  âme  des  clioses  qui  plaisent  à  votre  époux  I 
Que  la  candeur  de  votre  innocence  soit  colorée  par  l'ardeur  du  zèle  et  par  la  pu- 
deur modeste  et  timide.  Ce  n'est  que  par  le  silence  ou  ()ar  des  réponses  d'humi- 
lité que  votre  bouche  doit  être  embellie.  Insérez  ;i  vos  oreilles,  c'est  Tertullien 
<|ui  vous  y  exhorte,  iusérez  à  vos  oreilles  la  sainte  parole  de  Dieu.  » 

(-2)  T.  H.  p.  10-2-103. 

(3)  Angelificata  caro,  premier  Sermon  pour  VAnsomption,  l(i(iO. 

(i)  Deuxième  Sermon  pour  la  Visitation,  U>M,  troisième  Sei'tnon  pour  la  Purifi- 
cation, Hi'i'S. 

(5)  Sermons  choisis  de  Bossuet,  Introduction,  p.  '2G-'27. 

(((j  Bossuet  orateur,  p.  98. 


122  BOSSUEÏ  ET  LES  SAINTS  PERES. 

gnaient  autrefois  les  Marcionites,  les  plus  insensés  héréti- 
ques qui  aient  jamais  troublé  le  repos  de  la  sainte  Église. 
Ils  s'étaient  figuré  la  Divinité  d'une  étrange  sorte  :  car  ne 
pouvant  comprendre  comment  sa  bonté  si  douce  et  si  bien- 
faisante pouvait  s'accorder  avec  sa  justice  si  sévère  et  si 
rigoureuse,  ils  divisèrent  l'indivisible  essence  de  Dieu;  ils 
séparèrent  le  Dieu  bon  d'avec  le  Dieu  juste.  »  Nous  rentrons 
ainsi  dans  le  sujet.  Mais  le  jeune  orateur,  tout  plein  de 
la  controverse  menée  vivement  par  le  «  célèbre  prêtre  de 
Carthage  »,  ne  fait  grâce  à  ses  auditeurs  d'aucun  détail. 
«  Et  voyez,  s'il  vous  plaît,  chrétiens,  si  vous  ouïtes  jamais 
parler  d'une  pareille  folie  :  ils  établirent  deux  dieux,  deux 
premiers  principes,  dont  l'un,  qui  n'avait  pour  toute  qua- 
lité qu'une  bonté  insensible  et  déraisonnable,  semblable 
en  ce  point  à  ce  dieu  oisif  et  inutile  des  Épicuriens,  crai- 
gnait tellement  d'être  incommode  à  qui  que  ce  fût  qu'il  ne 
voulait  pas  même  faire  de  la  peine  aux  méchants,  et  par  ce 
moyen  laissait  régner  le  vice  à  son  aise  :  d'où  vient  que 
Tertullien  le  nomme  «  un  dieu  sous  l'empire  duquel  les 
péchés  se  réjouissaient  :  sub  quo  delicta  gouderput  (1).  — 
L'autre,  à  lopposite,  étant  d'un  naturel  cruel  et  malin, 
toujours  ruminant  à  part  soi  quelque  dessein  de  nous  nuire, 
n'avait  point  d'autre  plaisir  que  de  tremper,  disaient-ils, 
ses  mains  dans  le  sang  et  tâchait  de  satisfaire  sa  mauvaise 
humeur  par  les  délices  de  la  vengeance.  A  quoi  ils  ajou- 
taient ,  pour  achever  cette  fable ,  qu'un  chacun  de  ces  dieux 
faisait  un  Christ  à  sa  mode,  et  formé  selon  son  génie;  de 
sorte  que  Notre-Seigneur,  qui  était  le  Fils  de  ce  Dieu  en- 
nemi de  toute  justice,  ne  devait  être,  à  leur  avis,  ni  juge 
ni  vengeur  des  crimes;  mais  seulement  maître,  médecin  et 
libérateur.  Certes,  je  m'étonnerais,  chrétiens,  qu'une  doc- 
trine si  monstrueuse  ait  pu  trouver  quelque  créance  parmi 
les  fidèles,  si  je  ne  savais  qu'il  n'y  a  point  d'abîme  d'er- 
reurs dans  lequel  l'esprit  humain  ne  se  précipite,  lorsque, 
enflé  des  sciences  bumaines  et  secouant  le  joug  de  la  foi,  il 

{\)  AdversHit  Marcionem,  11,  1.'». 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  ORATEUR.  123 

se  laisse  emporter  à  sa  raison  égarée.  Mais  autant  que  leur 
opinion  est  ridicule  et  impie,  autant  sont  admirables  les 
raisonnements  que  leur  opposent  les  Pères  ;  et  voici  entre 
autres  une  leçon  excellente  du  grave  TertuUien,  au  second 
livre  contre  Marcion.  — Tu  ne  t'éloignes  pas  tant  de  la 
vérité ,  Marcion ,  quand  tu  dis  que  la  nature  divine  est  seu- 
lement bienfaisante.  Il  est  vrai  que,  dans  l'origine  des  cho- 
ses. Dieu  n'avait  fait  que  de  la  bonté,  et  jamais  il  n'au- 
rait fait  aucun  mal  à  ses  créatures ,  s'il  n'y  avait  été  forcé 
par  leur  ingratitude  :  Deux  a prinioi'dio  tautinn  bonus  (1). 
Ce  n'est  pas  que  sa  justice  ne  l'ait  accompagné  dès  la  nais- 
sance du  monde;  mais  en  ce  temps  il  ne  l'occupait  qu'à 
donner  une  belle  disposition  aux  belles  choses  qu'il  avait 
produites  :  il  lui  faisait  décider  la  querelle  des  éléments; 
elle  leur  assignait  leur  place;  elle  prononçait  entre  le  ciel 
et  la  terre,  entre  le  jour  et  la  nuit;  enfin  elle  faisait  le  par- 
tage entre  toutes  les  créatures  qui  étaient  enveloppées  dans 
la  confusion  du  premier  chaos.  Telle  était  l'occupation  de 
la  justice  dans  l'innocence  des  commencements.  «  Mais  de- 
puis que  la  malice  s'est  élevée,  dit  TertuUien,  depuis  que 
cette  bonté  infinie,  qui  ne  devait  avoir  que  des  adorateurs, 
a  trouvé  des  adversaires  :  At  cniin  ut  malum  postea  enipit, 
atque  inde  jam  cocpit  honitas  Dei  cimi  adversario  agere, 
la  justice  divine  a  été  obligée  de  prendre  un  bien  autre 
emploi.  Il  a  fallu  qu'elle  vengeât  cette  bonté  méprisée;  que 
du  moins  elle  la  fît  craindre  à  ceux  qui  seraient  assez 
aveugles  pour  ne  l'aimer  pas.  Par  conséquent ,  tu  t'abu- 
ses, Marcion,  de  commettre  ainsi  la  justice  avec  la  bonté, 
comme  si  elle  lui  était  opposée;  au  contraire,  elle  agit  pour 
elle,  elle  fait  ses  affaires,  elle  défend  ses  intérêts  :  Omne 
justiiicœ  opus,  procuratio  honltatis  esl^  dit  TertuUien.  Et 
voilà  sans  doute  les  véritables  sentiments  de  Dieu  notre 
Père  touchant  la  miséricorde  et  la  justice.  Ce  qui  étant 
ainsi,  il  n'y  a  plus  aucune  raison  de  douter  que  le  Sau- 
veur .lésus,  l'envoyé  du  Père,  qui  ne  fait  rien  que  ce  qu'il 

(\)  Adve^sus  MarcioHcm.  Il,  11. 


124  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

lui  voit  faii'e,  n'ait  pris  les  mêmes  pensées.  Et  sans  en 
aller  chercher  d'autres  preuves  dans  la  suite  de  sa  sainte 
vie,  etc.  » 

Xous  voilà  enfin  revenus  au  sujet,  mais  après  que  Bos- 
suet  s'est  échauffé  contre  Marcion,  dans  un  simple  exorde, 
comme  si  Marcion  lui  tenait  à  cœur  autant  que  Luther  et 
Calvin ,  ou  du  moins  comme  s'il  voulait  apprendre  à  tous  les 
a  simples  qui  l'écoutent  ce  que  c'était  qu'un  homme  dont 
ils  auraient  ignoré  toujours  et  le  nom  et  les  erreurs  (1)  ». 

Bossuet  emprunte  encore  à  Tertullien  tout  le  début  du 
premier  point  :  «  Pour  vous  faire  entendre  par  une  doc- 
trine solide  combien  est  immense  la  miséricorde  de  notre 
Sauveur,  je  vous  prie  de  considérer  une  vérité  que  je  viens 
d'avancer  tout  à  l'heure  et  que  j'ai  prise  de  Tertullien.  Ce 
grand  homme  nous  a  enseigné  que  Dieu  a  commencé  ses 
ouvrages  par  un  épanchement  de  sa  bonté  sur  toutes  ses 
créatures,  et  que  sa  première  inclination  c'est  de  nous  bien 
faire,  etc.,  etc.  »  Bossuet  en  vient  à  dire  que  Dieu  est  bon  de 
son  propre  fonds  et  qu'il  est  juste  du  nôtre  :  De  suo  opti- 
mus,  de  nostro  jusius  (2).  «  L'exercice  de  la  bonté  lui  est 
souverainement  volontaire  ;  celui  de  la  justice,  forcé,  » 

Cette  idée  est  très  heureuse.  Il  faut  reconnaître,  d'ail- 
leurs, que  Bossuet  n'a  pas  persévéré  dans  l'erreur  d'une 
longue  digression  sur  «  les  fols  Marcionites  »,  ni  «  reproduit 
trois  fois  dans  les  manuscrits  qui  nous  restent  ce  passage 
de  l'exorde  du  Sermon  Sur  les  Bontés  et  les  Rigueurs  de 
Dieu ,  qui  se  retrouve  jusque  dans  le  Sermon  sur  les  Dé- 
mons, prêché  à  Paris  en  1660  (3)  »,  Il  ne  se  trouve  pas 
même  dans  \e  Sermon  sur  les  Démons,  prêché  en  1653, 
ou  du  moins  il  y  est  effacé,  supprimé,  et  c'est  par  suite 
d'une  interpolation  de  Deforis  qu'on  le  lit  dans  les  éditions 
autres  que  celle  de  Gandar  [k)  et  de  l'abbé Lebarq. 

Il  n'en  est  pas  moins  vrai  que  Bossuet,  pendant  la  pé- 
riode de   Metz,  n'empruntait  pas  seulement   à  Tertullien 

fl)  Odinàd.T,  Bossuet  orateur,  j).  07. 
(•2)  Tertullien,  De  resiirrectionc  carnis,  li. 
(3)  Gandar.  Bossuet  orateur.  \).  i»7-i>8. 
i'i)  Choix  de  Sermons,  p.  lO'i.  n.  I. 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  ORATEUR.  125 

«  quelques  sentences,  c'est-à-dire  ckccuratius  aut  eleganlius 
dictata  (1)  »  ;  il  lui  en  prenait  beaucoup,  comme  «  ces  fai- 
blesses de  notre  Dieu,  jmsillilates  Dei  »  (2);  «  le  déslionneur 
nécessaire  de  notre  foi  :  Necessarium  dedecus  fidei  (3)  »  ; 
«  Prorsiis  credibile  est,  quia  ineptwn  est;...  certum  est  quia 
impossibile  est  (i)  )>;  le  Verbe  de  Dieu  est  le  «  rayon  que  la 
lumière  produit,  sans  rien  diminuer  de  son  être,  sans  rien 
perdre  de  son  éclat  ; . . .  il  est  sorti  de  la  tige ,  mais  il  ne  s'en 
est  pas  retiré  :  Non  récessif,  sed  excessit  (5)  »;  «  ce  que 
dit  Tertullien  est  très  véritable  (6)  :  Que  les  hommes  sont 
accoutumés,  il  y  a  longtemps,  à  manquer  au  respect  qu'ils 
doivent  à  Dieu  et  à  traiter  peu  révéremment  les  choses 
sacrées  :  semper  humana  gens  niale  de  Deo  meruit  (7).  » 
«  C'est  pourquoi,  dit  Tertullien  (voici  des  paroles  pré- 
cieuses) (8) ,  Dieu  ayant  remis  le  jugement  à  la  fin  des  siè- 
cles, il  ne  précipite  pas  le  discernement,  qui  en  est  une 
condition  nécessaire  :  Qui  semel  aeternuni  judicium  desti- 
narit  post  saeculi  finem ,  non  praecipitat  discretionem , 
quae  est  conditio  judicii,  ante  saeculi  finem.  Aequalis  est 
intérim  super  omne  hominutn  genus ,  et  indulgens,  et  in- 
crepans;  communia  voluit  esse  et  commoda  profanis  et  in- 
commoda suis  (9i.  Remarquez  cette  excellente  parole  :  «  Il 
ne  précipite  pas  le  discernement  »  ;  «  Tertullien  a  dit  un 
beau  mot  que  je  vous  prie  d'imprimer  dans  votre  mé- 
moire :  Non  admittit  status  fidei  nécessitâtes  :  la  foi  ne 
connaît  point  de  nécessités  flO).  »  Vous  perdrez  ce  que  vous 
aimez.  —  Est-il  nécessaire  que  je  le  possède?  —  Votre  pro- 
cédé déplaira  aux  hommes.  —  Est-il  nécessaire  que  je  leur 
plaise?  —  Votre  fortune  sera  ruinée.  —  Est-il  nécessaire 

(I)  Sur  le  style  et  la  lecture  des  écrivains  et  des  Pères  de  l'Église  pour  former  un 
orateur. 

(■2)  Panégyrique  de  saint  François  d'Assise,  1(m-2.  Exorde. 

(3)  Ibidem. 

(i)  Tertullien,  De  Carne  Christi,  :>.  —  Cité  dans  le  même  Pnnégyrii/ue. 

(.'il  Sermon  sur  le  Mystère  de  la  sainte  Trinité,  l(i.'>o,  premier  point. 

(li)  Premier  Sermon  sur  la  Providence ,  prêche  en  l<>,">(i  à  Dijon,  devant  le  duc 
d'Epernon. 

(7)  Apologétique,  40. 

(8)  Vre.m'ier  Sermon  sur  la  Providence,  premier  point. 
(!»)  Apologétique,  41. 

(10)  De  Corona,  11. 


120  BOSSLET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

que  je  la  conserve  ?  —  Et  quand  votre  vie  même  serait  en 
péril  1 1),  »  etc.,  etc. 

Toutefois,  le  jeune  orateur  aimait  encore  plus  «  la  belle 
doctrine  »,  «  rexcelleiite  doctrine  »  de  Tcrtullien  que  ses  for- 
tes expressions.  Tantôt  il  trouvait  l'enseignement  des  Pères 
«  merveilleusement  expliqué  »  par  «  ce  grand  homme  » ,  et 
il  tirait  «  un  raisonnement  «  ,  une  «  conséquence  »  des  «  sa- 
vants principes  de  TertuUien  »  ,  du  «  beau  passage  de  Ter- 
tuUien,  qui  explique  si  bien  cette  vérité  (2)  »,  Tantôt,  c'é- 
taient «  les  paroles  du  grave  TertuUien  qu'il  prêtait  ^  olon- 
tiers  aux  sentiments  de  François  d'Assise ,  si  dignes  de  cette 
première  vigueur  et  fermeté  des  mœurs  chrétiennes  (3),  » 
et  il  mettait  dans  la  bouche  de  ce  grand  saint  un  passage 
du  de  Patientia,  n°  8  [k) ,  un  passage  du  de  Cultu  muUe- 
bri,  II,  n°  13  (5),  deux  passages  du  de  Spectaciilis,  29  et 
28  (6).  Tantôt  il  disait  :  «  Pourquoi  ne  m'écrierai-je  pas  en 
ce  lieu  (7),  avec  le  grave  TertuUien,  dont/rt/  tiré  presque 
toutes  les  remarques  que  je  viens  de  faire ,  en  son  livre  IV 
contre  Marcion,  pourquoi,  dis-je,  ne  m'écrierai-je  pas  avec 
lui  :  «  0  Christum  et  in  novis  veterem!  Oh!  que  Jésus- 
Christ  est  ancien  dans  la  nouveauté  de  son  Évangile  (8)  !  » 
Tantôt  encore,  il  loue  «  cet  excellent  apologétique  »,  «  cet 
admiraljle  apologétique  »,  et,  puisant  à  son  gré  dans  toute 
la  suite  des  écrits  de  TertuUien ,  il  accumule  dans  le  même 
discours,  dans  la  même  page,  des  textes  tirés  de  quatre  ou 
cinq  traités  différents  (9),   de  ces  traités  dont  il  dira  au 

(1)  Ce  masiiiNque  commentaire  se  trouve  dans  le  second  Sermon  pour  la  Fête  de 
la  Pentecôte,  4(>,">8.  premier  point. 

(■2)  Voir  le  premier  sernum  sur  la  Conception  de  la  sainte  Vierge,  \^i:'r2.  I.ebarq , 
i,  p.  •i;«»--24i. 

(3)  Panrr/ijrirjiie  de  saint  François  d'Assise .  KiîJiî.  lehani,  p.  -JOti-'iOT. 

(4)  •  Nous  avons  un  corps  et  une  àme  qui  doivent  être  exposés  à  toute  sorte 
d'incommodit(!'s  :  Ipsam  animam  ipsumque  corpus  c.rpositum  omnibus  ad  inju- 
riam  (jerimus.  ■> 

(5)  •  Je  travaille  à  léduire  en  servitude  l'appétit  de  ces  voluptés  (|ui ,  i)ar  leur 
délicatesse,  rendent  molle  et  elTéminéo  cette  mâle  vertu  de  la  loi  :  Discutiendav 
sunl  deliciae  i/unrum  mollitia  et  ftxxu  jidvi  virtus  cffeminari potest.  » 

(G)  •  Quelles  plus  grandes  délices  à  un  chrétien  (jue  h;  dégoût  des  délices?  Quae 
major  voluptas  fjuam  faslidium  ipsius  roluptatis.'  Quoi!  ne  pourrions-nous  pas 
vivre  sans  plaisir,  nous  qui  devons  mourir  avec  plaisir?  Non  possunitcs  rivcrc 
sine  voiuptate.  qui  mori  rum  voluptalc  debcmus? 

(")  Deuxième  point  du  Sermon  sur  Jésus-Christ  objet  de  scandale,  lOSS. 

(«}  Voir  tout  ce  passage  dans  Lcbarq,  j).  'tG;j-'»(>S. 

(!))  Gandar.  Bossuet  orateur,  p.  iKi. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  ORATEUR.  127 

cardinal  de  Bouillon  :  «  Les  beaux  livres  de  Tertullien  sont  : 
rApologt'tique ;  —  de  Specfaculis;  —  de  Cultii  muliehri; 

—  de  Velandis  vh'ginibus ; —  de  Pœnitentia^  admirable; 

—  l'ouvrage  contre  Marcion;  —  de  Carne  Chrisli;  —  f/c 
Hesio'rectione  rarnis;  celui  de  Praescriptione ,  excellent, 
mais  pour  un  autre  usage.  » 

§  II.  —  Induence  de  saint  Cyprien." 

Ce  n'est  pas  seulement  Tertullien ,  dont  la  lecture  conti- 
nuelle exposait  le  jeune  orateur  à  des  citations  trop  fré- 
quentes, à  des  digressions  inutiles,  à  des  longueurs  de 
mauvais  goût  :  c'est  aussi  saint  Cyprien,  comme  l'a  fort 
bien  montré  Gandar  dans  son  beau  livre  Bossuet  orateur, 
p.  82-92.  Il  s'agit  du  second  exorde  du  Sermon  Sur  la  loi 
de  Dieu,  prêché  à  Metz  le  23  février  1653.  Le  souvenir 
mal  digéré  d'une  épitre  de  saint  Cyprien  le  sollicite  et  lui 
fait  rompre  la  justesse  des  proportions  (li.  Mais  laissons 
parler  Bossuet  lui-même  :  «  Dans  cette  importante  délibé- 
ration (2),  chrétiens,  je  me  représente  que,  venu  tout 
nouvellement  d'une  terre  inconnue  et  déserte,  séparée  de 
bien  loin  du  commerce  et  de  la  société  des  hommes,  igno- 
rant des  choses  humaines,  je  suis  élevé  tout  à  coup  au  som- 
met d'une  haute  montagne,  d'où,  par  un  effet  de  la  puis- 
sance divine,  je  découvre  la  terre  et  les  mers  et  tout  ce  qui 
se  fait  dans  le  monde.  C'est  avec  un  pareil  artifice  que  le 
bienheureux  martyr  Cyprien  fait  considérer  les  vanités  du 
siècle  à  son  fidèle  ami  Donatus  (3).  Élevé  donc  sur  cette 

(1)  Gandar,  Bossuet  orateur,  p.  84. 

(-2)  Il  s'agit  de  savoir  le  sens  exact  de  ces  paroles  de  David  ;  «  Co(jitavi  inas 
iiieas  et  converti pedes  meos  in  testimonia  tua.  »  (Ps.   CXVIII,  ,■>!».) 

(.i)  .  L'épîlre,  dit  Gandar.  a  la  forme  d'une  homélie,  et,  par  les  détails  de  la 
mise  en  scène,  rapelle  les  dialogues  de  Cicéron.  Saint  Cyprien  décrit  avec  com- 
plaisance le  berceau  de  vignes  pendantes  enlacées  aux  roseaux  où.  par  une 
lielle  journée  d'automne,  il  «  adiéve  à  son  lidéle  ami  Donat  •  un  discours  qu'il  lui 
avait  promis.  Aussitôt  le  disciple  oublie  les  beautés  du  paysage  et  les  joies  de  la 
vendange;  les  yeux  fixés  sur  le  maître  qu'il  aime,  suspcudu  à  ses  lèvres,  il  se  livre 
à  lui  tout  entier,  les  oreilles  et  l'esprit  comme  le  cœur.  Et  saint  Cyprien  prend 
l'engagement  d'être  simple;  les  ressources  du  sujet  supléeront  assez  à  la  stérilité 
de  son  génie.  Après  avoir  rappelé  à  Donat  quelles  étaient  ses  incertitudes,  alors 
qu'il  errait  encore  en  chancelant  dans  les  ténèbres  du  siècle,  et  le  merveilleux 
changement  que  la  grâce  a  fait  en  lui ,  saint  Cyprien  veut  le  détacher  entière- 


128  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERKS. 

montagne,  je  vois  du  premier  aspect  cette  mulitude  infinie 
de  peuples  et  de  nations,  avec  leurs  mœurs  différentes  et 
leurs  humeurs  incompatibles,  les  unes  barbares  et  sau- 
vages, les  autres  polies  et  civilisées.  Comment  pourrais-je 
vous  rapporter  une  pareille  variété  de  coutumes  et  d'incli- 
nations? Après,  descendant  plus  exactement  au  détail  de  la 
vie  humaine,  je  contemple  les  divers  emplois  dans  lesquels 
les  hommes  s'occupent.  0  Dieu  éternel  !  Quel  tracas  !  Quel 
mélange  de  choses!  Quelle  étrang-e  confusion!  Je  jette  les 
yeux  sur  les  villes,  et  je  ne  sais  où  arrêter  la  vue,  tant  j'y 
vois  de  diversité.  Celui-ci  s'écliauffe  dans  un  barreau;  cet 
autre  songe  aux  affaires  publiques;  les  autres,  dans  leurs 
boutiques,  débitent  plus  de  mensonges  que  de  marchan- 
dises. Je  ne  puis  considérer  sans  étonnement  tant  d'arts  et 
tant  de  métiers  avec  leurs  ouvrages  divers ,  et  cette  quan- 
tité innombrable  de  machines  et  d'instruments  que  l'on 
emploie  en  tant  de  manières.  Cette  diversité  confond  mon 
esprit;  si  l'expérience  ne  me  (1)  la  faisait  voir,  il  me  serait 
impossible  de  m'imaginer  (2)  que  Tinvention  (3)  fût  si 
abondante. 

«  D'autre  part,  je^  regarde  que  la  campagne  n'est  pas 
moins  occupée  :  personne  n'y  est  de  loisir  ;  chacun  y  est  en 
action  et  en  exercice,  qui  à  bâtir,  qui  à  faire  remuer  la  terre, 
qui  à  l'agriculture,  qui  dans  les  jardins  :  celui-ci  y  travaille 
pour  l'ornement  et  pour  les  délices,  celui-là  pour  la  nécessité 
ou  pour  le  ménage  :  et  qu'est-il  nécessaire  que  je  vous 
fasse  une  longue  énumération  de  toutes  les  occupations  de 
la  vie  rustique?  La  mer  même,  que  la  nature  semblait  n'a- 
voir destinée  que  pour  être  l'empire  des  vents  et  la  dé- 


ment (iu  monde,  en  le  lui  montrant  tel  qu'il  est.  «  l'oui-  un  instant,  ligure-toi  que 
tu  es  ravi  sur  la  cime  la  plus  élevée  d'une  haute  montagne:  de  là  examine  la  face 
des  choses  qui  se  déroulent  au-dessous  de  toi .  etc.  »  In  tel  cadre  ne  se  prêtait 
que  trop  à  tous  les  procédés  ordinaires  de  l'amitlilication  ;  saint  Cyprien  n'a  pas 
résisté  à  la  tentation  de  le  remplir.  Il  a  pris  plaisir  à  étaler  les  scandales  de  ce 
temps-là,  les  misères  de  tous  les  temps,  la  terre  et  la  mer  inlèstées  par  la 
guerre,  et  le  brigandage,  le  cirque  ou  les  gladiateurs  s'égorgent,  le  théâ- 
tre, etc..  etc.  • 

(I)  Vnrifinlo.  nous. 

(•2j  Var.,  de  convevoir. 

(3)  l'a/-.,  rimagination. 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  OKATEUR.  129 

meure  des  poissons ,  la  mer  est  habitée  par  les  hommes  ;  la 
terre  lui  envoie  dans  des  villes  flottantes  comme  des  colo- 
nies de  peuples  errants  qui,  sans  autre  rempart  il)  que 
d'un  bois  fragile,  vient  se  commettre  à  la  fureur  des  tem- 
pêtes sur  le  plus  perfide  des  éléments.  Et  là,  que  ne  vois-je 
pas?  que  de  divers  spectacles  !  que  de  durs  exercices  !  que 
de  différentes  observations!  Il  n'y  a  point  de  lieu  où  pa- 
raisse davantage  l'audace  tout  ensemble  et  l'industrie  de 
l'esprit  humain. 

«  Vous  raconterai-je,  fidèles,  les  diverses  inclinations  des 
hommes?  Les  uns,  d'une  nature  plus  remuante  ou  plus  gé- 
néreuse, se  plaisent  dans  les  emplois  violents;  tout  leur 
contentement  est  dans  le  tumulte  des  armes ,  et  si  quelque 
considération  les  oblige  à  demeurer  dans  quelque  repos,  ils 
prendront  leur  divertissement  à  la  chasse ,  qui  est  une  image 
de  la  guerre.  D'autres,  d'un  naturel  plus  paisible,  aiment 
mieux  la  douceur  de  la  vie  :  ils  s'attachent  plus  volontiers 
à  cette  commune  conversation ,  ou  à  l'étude  des  bonnes  let- 
tres, ou  à  diverses  sortes  de  curiosités,  chacun  selon  son 
humeur.  J'en  vois  qui  sont  sans  cesse  à  étudier  de  bons 
mots,  pour  avoir  l'applaudissement  du  beau  monde.  Tel 
aura  tout  son  plaisir  dans  le  jeu;  ce  qui  ne  devrait  être 
qu'un  relâchement  de  l'esprit,  ce  lui  est  une  affaire  de  con- 
séquence; il  donne  tous  les  jours  de  nouveaux  rendez- 
vous  ,  il  se  passionne ,  il  s'impatiente .  il  y  occupe  dans  un 
grand  sérieux  la  meilleure  partie  de  son  temps.  Et  d'autres 
qui  passent  toute  leur  vie  (2)  dans  une  intrigue  continuelle; 
ils  veulent  être  de  tous  les  secrets,  ils  s'empressent,  ils  se 
mêlent  partout,  ils  ne  songent  qu'à  faire  toujours  de  nou- 
velles connaissances  et  de  nouvelles  amitiés.  Celui-ci  est 
possédé  de  folles  amours:  celui-là,  de  haines  cruelles  et 
d'inimitiés  implacables;  et  cet  autre,  de  jalousies  furieuses. 
L'un  amasse  et  l'autre  dépense.  Quelques-uns  sont  ambi- 
tieux et  recherchent  avec  ardeur  les  emplois  publics;  les 
autres  sont  plus  retenus  et  aiment  mieux  le  repos  et  la  douce 

(I)  Var.,  défense. 

(-2)  Variante,  celui-ci  passe  toute  sa  vie. 

BOSSIET   ET  LES  SAINTS  PÈRES.  «1 


130  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

oisiveté  d'une  vie  privée.  Chacun  a  sa  manie  et  ses  inclina- 
tions dillerentes.  Les  mœurs  sont  plus  différentes  que  les 
visages  ;  chacun  veut  être  fol  à  sa  fantaisie  :  la  mer  n'a  pas 
plus  de  vag-ues ,  quand  elle  est  agitée  par  les  vents ,  qu'il  nait 
de  diverses  pensées  de  cet  abime  sans  fond  et  de  ce  secret 
impénétrable  du  cœur  de  l'homme.  C'est  à  peu  près,  mes 
frères,  ce  qui  se  présente  à  mes  yeux,  quand  je  considère 
attentivement  les  affaires  et  les  actions  qui  exercent  la  vie 
humaine. 

«  A  cette  étonnante  diversité,  je  demeure  surpris  et  comme 
hors  de  moi;  je  me  regarde;  je  me  considère,  que  ferai-je? 
où  me  tournerai-je?  Co(/itavi  vins  meas.  Certes,  dis-je  in- 
continent en  moi-même,  les  autres  animaux  semblent  ou 
se  conduire  ou  être  conduits  d'une  manière  plus  réglée  et 
plus  uniforme  :  d'où  vient  dans  les  choses  humaines  une 
telle  inégalité  et  une  telle  bizarrerie?  Est-ce  là  ce  di\-in 
animal  dont  on  raconte  de  si  grandes  merveilles?  cette  âme 
d'une  vigueur  immortelle  n'est-elle  pas  capable  de  quelque 
opération  plus  divine  et  qui  ressente  mieux  le  lieu  d'où 
elle  est  sortie?  Toutes  les  occupations  que  je  vois  me  sem- 
blent ou  servîtes ,  ou  folles,  ou  criminelles  ;  j'y  vois  du  mou- 
vement et  de  l'action  pour  agiter  Fàme  ;  je  n'y  vois  ni 
règle ,  ni  véritable  conduite  pour  la  composer.  «  Tout  y  est 
vanité  et  affliction  d'esprit  »,  disait  le  plus  sage  des  hommes. 
Ne  paraitra-t-il  rien  à  ma  vue  qui  soit  digne  d'une  créature 
faite  à  l'image  de  Dieu?  Cogitciri  rias  meas.  Je  cherche,  je 
médite ,  j'étudie  mes  voies;  et  pendant  que  je  suis  dans  ce 
doute ,  je  découvre  un  nouveau  genre  d'hommes  que  Dieu 
a  dispersés  de  cà  et  de  là  dans  le  monde ,  qui  mettent  tout 
leur  soin  à  former  leur  vie  sur  l'équité  de  la  loi  divine  :  ce 
sont  les  justes  et  les  gens  de  bien.  » 

Enfin,  nous  voici  au  sujet  du  sermon,  à  la  loi  de  Dieu! 
Lexorde  et  la  division  du  sujet  ont  encore  près  de  trois 
pages  de  l'édition  Lebarq  (1).  Bossuet  s'est  donc  laissé 
séduire  parce  qu'il  appelle  «  l'artifice  »  de  saint  Cyprien,  et 

(I)  1,  I).  .'M^-SUi. 


LES  SAINTS  PERES  ET  ROSSUET  ORATEUR.  131 

s'il  n'a  pas  donné  dans  les  procédés  d'amplification  ora- 
toire où  se  complaisait  son  modèle,  s'il  n'a  pas  versé  clans 
«  la  comédie  ou  la  satire  »  ,  dont  Gandar  lui  reproche  de 
«  se  rapprocher  un  peu  trop  peut-être  »  (1),  s'il  a  su  main- 
tenir toujours  le  ton  «  de  vérité  familière  et  d'innocente 
raillerie  »  qui  convient  à  la  chaire  chrétienne,  il  est  incon- 
testable que  «  les  détails  où  il  s'est  amusé  lui  ont  fait  oublier 
son  but  et  la  longueur  de  la  route  »  (2),  et  que,  tout  en 
«  animant  le  lieu  commun  et  en  l'abrégeant  »,  il  a  donné 
comme  un  sermon  dans  l'exorde  d'un  sermon. 

Ce  qui  prouve  le  mieux  qu'il  y  a  là  une  erreur  de  goût , 
c'est  que  Bossuet  —  reprenant  ce  Sermon,  non  pas  pour  la 
troisième  fois  et  vers  1661 ,  chez  les  Carmélites  du  faubourg- 
Saint  Jacques  ou  les  Bénédictines  du  Yal-de-Gràce ,  comme 
l'ont  dit  Fabbé  Vaillant  dans  ses  Études,  p.  77,  Floquet, 
tome  II,  p.  131,  et  Gandar,  p.  90,  mais  bien  pour  la  seconde 
fois  en  1659,  chez  les  Sœurs  de  l'Union  chrétienne  (3),  ainsi 
que  l'établit  M.  l'abbé  Lebarq,  d'après  l'écriture  et  l'ortho- 
graphe ,  qui  font  la  transition  entre  l'époque  de  iMetz  et  l'é- 
poque de  Paris  (4)  —  Bossuet  refait  complètement  l'exorde 
du  discours  de  1653  :  il  le  corrige,  il  l'abrège,  il  en  élague 
«  l'artifice  »  de  saint  Cyprien  et  jusqu'au  nom  de  ce  Père 
et  de  VEpUrr  à  Donat.  Mais  il  faut  citer  le  nouvel  exorde 
pour  surprendre  le  jeune  orateur  en  flagrant  délit  de  pro- 
grès étonnants. 

«  Dans  cette  consultation  importante ,  dit-il ,  où  il  s'agit 
de  déterminer  du  point  capital  de  la  vie  et  de  se  résoudre 
pour  jamais  sur  les  devoirs  essentiels  de  l'homme,  chré- 
tiens, je  me  représente  que,  venu  tout  nouvellement  d'une 
terre  inconnue  et  déserte,  ignorant  les  choses  humaines, 
je  découvre  d'une  même  vue  tous  les  emplois,  tous  les  exer- 
cices, toutes  les  occupations  différentes  qui  partagent  en 


(I)  Dosswl  orateur,  p.  8!). 

(i)  Bossuet  orateur. 

(H)  C'était  la  maison-mère  de  la  Propagation,  de  Metz,  dont  Bossuet  était  le  su- 
périeur. 

(4)  Histoire  critique  de  la  Prédication  do  Bossuet,  p.  107,  et  Œuvres  oratoires, 
U ,  p.  Siîi,  note  I. 


132  BOSSLET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

tant  de  soins  les  enfants  d'Adam  durant  ce  laborieux  pèle- 
rinage. 0  Dieu  éternel!  quel  tracas!  quel  mélange  de  cho- 
ses! quelle  étrange  confusion!  et  qui  pourrait  ne  s'étonner 
pas  d'une  diversité  prodigieuse?  La  guerre,  le  cabinet,  le 
gouvernement,  la  judicature  et  les  lettres,  le  trafic  et  l'a- 
ÇTiculture,  en  combien  d'ouvrages  divers  ont-ils  divisé  les 
esprits!  Cela  passe  de  bien  loin  l'imagination  (1).  Mais  si 
de  là  je  descends  au  détail,  si  je  regarde  de  près  les  secrets 
ressorts  qui  font  mouvoir  les  inclinations ,  c'est  là  qu'il  se 
présente  à  mes  yeux  une  variété  (2)  bien  plus  étonnante. 
Celui-là  est  possédé  de  folles  amours,  celui-ci  de  haines 
cruelles  et  d'inimitiés  implacables,  et  cet  autre  de  jalousies 
furieuses.  L'un  amasse  et  l'autre  dépense;  quelques-uns 
sont  ambitieux  et  recherchent  avec  ardeur  les  emplois  pu- 
blics, et  les  autres,  plus  retenus,  se  plaisent  dans  le  repos 
de  la  vie  privée;  l'un  aime  les  exercices  durs  et  violents, 
l'autre,  les  secrètes  intrigues  ;  et  quand  aurais-je  fini  ce  dis- 
cours,  si  j'entreprenais  de  vous  raconter  toutes  ces  mœurs 
différentes  et  ces  humeurs  incompatibles  ?  Chacun  veut  être 
fol  à  sa  fantaisie;  les  inclinations  sont  plus  dissemblables 
que  les  visages  ;  et  la  mer  n'a  pas  plus  de  vagues,  quand  elle 
est  agitée  par  les  vents,  qu'il  nait  de  pensées  différentes  de 
cet  abime  sans  fond  et  de  ce  secret  impénétrable  du  cœur 
de  l'homme. 

«  Dans  cette  infinie  multiplicité  de  désirs  et  d'occupa- 
tions, je  reste  interdit  et  confus;  je  me  regarde,  je  me  con- 
sidère :  que  ferai-je  ?  où  me  tournerai-je  ?  Cogitavi  vias 
meas.  Certes,  dis-je  incontinent  en  moi-même,  les  autres 
animaux  semblent  ou  se  conduire  ou  être  conduits  d'une 
manière  plus  réglée  et  plus  uniforme.  D'où  vient  dans  les 
choses  humaines  une  telle  inégalité  ou  plutôt  une  telle 
Ijizarrerie  ?  Est-ce  là  ce  divin  animal  dont  on  dit  de  si  gran- 
des choses?  Cette  àme  d'une  vigueur  immortelle,  etc.  (3).  » 

Bossuet  a  désormais  conscience  du  défaut  des  discours 

(\)'  Ganclar,  dit  M.  l'aljbc   l.ebar(|,  renvoie  en   note  cette   surcliarge,  <iu'il  a 
inconiplctemenl  (léclillfrée.  » 
(i)  Variuntr  :  mullitudc,  diversité. 
(:j)  Lehani,  t.  il,  p.  :Mi-ii'ii. 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  ORATEUR.  133 

qui  ne  finissent  point  et  des  exordes  qui  contiennent  tout 
un  sermon.  Il  a  resserré  en  (juelques  lignes  deux  on  trois 
pages  de  son  exorde  de  1G53;  il  a  supprimé,  avec  «  Farti- 
fice  »  de  la  montagne  et  du  panorama  imaginé  par  saint 
Cyprien,  tous  les  traits  qui  n'étaient  pas  nécessaires,  tous 
les  lîors-d'œuvre  accumulés  dans  la  première  rédaction.  Il 
arrive  au  plus  vite  à  l'explication  de  son  texte  et  de  son  su- 
jet, et  il  lui  suffit  d'une  forte  et  vive  image  :  «  La  mer  n'a 
pas  plus  de  vagues  »  etc.,  pour  exprimer  avec  autant  de 
justesse  que  d'énergie  la  multiplicité  des  occupations  des 
mortels  et  l'inconstance  de  leurs  désirs,  qui  s'égarent  loin 
de  Dieu  et  de  sa  sainte  loi. 

§  m.  —  Influence  heureuse  et  malheureuse  de  saint  Augustin. 

Saint  Augustin  lui-même ,  «  le  maître  de  tous  les  prédi- 
cateurs de  l'Évangile,  le  docteur  des  docteurs  »  (1),  le 
«  grand ,  »  «  l'admirable  »  ,  «  l'incomparable  saint  Augus- 
tin »,  dans  lequel  Bossuet,  dès  l'époque  de  Metz,  aime  à 
«  trouver  toute  la  doctrine  »,  comme  il  le  dira  au  cardinal 
de  Bouillon ,  n'a-t-il  pas  exercé  une  influence  tour  à  tour 
heureuse  et  malheureuse  sur  le  jeune  archidiacre  de  Metz  ? 

Dans  la  Défense  de  la  Tradition  et  des  saints  Pères, 
liv.  XII,  ch.  30 ,  Bossuet  rapporte  une  prière  que  le  vénéra- 
ble Guillaume,  abbé  de  Saint- Arnould  de  Metz,  faisait  le 
jour  de  saint  Augustin  avant  la  messe  :  (c  Je  vous  prie, 
Seigneur,  de  me  donner,  parles  intercessions  et  les  mérites 
de  ce  saint,  ce  que  je  ne  pourrais  obtenir  par  les  miens, 
qui  est  que ,  sur  la  divinité  et  l'humanité  de  Jésus-Christ , 
Repense  ce  qu'il  a pensr ,  je  sache  ce  qu'il  a  su,  j'entende 
ce  qu'il  a  entendu,  je  croie  ce  qu'il  a  cru,  j'aime  ce  qu'il  a 
aimé,  je  prêche  ce  qu'il  a  prêché.  »  Cette  prière  dut  être 
celle  du  jeune  archidiacre  de  Metz,  de  1652  à  1659,  comme 
Floquet  et  Gandar  l'ont  fait  remarquer  avec  tant  de  raison. 

Saint  Augustin  est  pour  Bossuet  «  celui  de  tous  les  Pères 

(I)  Sermon  pour  la  vêlure  d'une  postulante  Bernardine ,  -28  août  Ki.'i'.i. 


134  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

qui  a  le  mieux  entendu  les  maladies  de  notre  nature  (1)  », 
comme  aussi  tous  les  points  de  la  relig-ion  catholique .  et  le 
premier  des  livres  de  la  Doctrine  chrétienne  est  une  «  théo- 
logie admirable  (2)  ».  Aussi  Bossuet  ne  craint-il  pas  de 
«  décider  »  les  questions  en  «  suivant  les  traces  que  nous  a 
marquées  cet  incomparable  docteur»,  «  qui  nous  donne  une 
admirable  ouverture  pour  connaître  parfaitement  »  les  vé- 
rités et  les  mystères  de  la  foi  catholique  (3).  Quand  le  jeune 
orateur  i(  n'ose  pas  entreprendre  de  résoudre  une  question 
de  lui-même  (i)  »  ,  il  invoque  l'autorité  de  saint  Augustin, 
((  si  forte  et  si  indubitable  que  les  esprits  les  plus  contentieux 
seront  contraints  d'en  demeurer  d'accord  (5)  ».  Il  se  con- 
tente «  de  dire,  comme  pour  une  preuve  infaillible,  que 
c'est  la  doctrine  de  saint  Augustin,  que  vous  trouverez  mer- 
veilleusement expliquée  en  mille  beaux  endroits  de  ses  ex- 
cellents écrits,  particulièrement  dans  ses  savants  livres  con- 
tre Julien  le  Pélagien  (6)  ».  «  Ne  nous  éloignons  pas  de  saint 
Augustin  »,  dit-il  dans  le  Sermon  pour  le  sciniefli  saint, 
faussement  appelé  le  premier  Sermon  pour  le  jour  de  Pâ- 
ques, et  en  effet,  saint  Augustin  remplit  presque  entière- 
ment le  deuxième  et  le  troisième  points.  Il  sert  à  l'orateur 
à  peindre  les  trois  âges  de  la  vie  promise  aux  justes  :  d'abord, 
la  vie  menée  ici-bas,  heureuse  parce  qu'elle  est  sainte  «  et 
qui  nous  apparaît  comme  l'enfance  des  chrétiens  »  ;  puis, 
('  la  fleurissante  jeunesse  »  des  élus  dans  le  ciel ,  auquel 
saint  Augustin  donne  cette  belle  devise  :  Cnpidilate  e.r- 
tinctd ,  charitate  compléta  (7),  la  convoitise  éteinte,  la 
charité  consommée  »  ;  enfin ,  «  la  maturité  dans  la  résurrec- 
tion générale  ».  «  Dans  ce  dernier  âge  et  du  monde  et  du 
genre  humain ,  après  avoir  abattu  nos  autres  ennemis  sous 
ses  pieds ,  la  mort  couronnera  ses  victoires.  Comment  cela 


(1)  Sermon  pour  la  Fêle  de  la  Conception  de  la  sainte  Vierge,  '  décembre  KVi-i. 
l'remicr  Point. 
(2J  I-Jcril  composé  pour  le  cardinal  de  Bouillon. 
{'■i)  Sermon  sur  le  Rosaire,  l(i.")7.  Lcbarq,  t.  11 ,  p.  3.">1. 
(i)  .M("'me  fliscours,  iiiome  passage. 

(3)  Sermon  pour  la  Nativité  de  la  sainte  Vierge,  l(i.V2.  Lebani,  t.  I,  p.  177. 
(6)M('nic  fiisi-oiirs,  p.  178. 
(7)  LeUre  CLXXVII.  ri.  17. 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  ORATEUR.  135 

se  fera-t-il?  Si  vous  me  le  demandez  en  chrétiens,  c'est-à- 
dire  non  point  pour  contenter  une  vaine  curiosité,  mais  pour 
fortifier  la  fidélité  de  vos  espérances  ,  je  vous  l'exposerai  par 
quelques  maximes  que  je  prends  de  saint  Aug-ustin  :  elles 
sont  merveilleuses,  car  il  les  a  tirées  de  saint  Paul  (1)  ». 

Voilà  l'intime  pensée  du  jeune  orateur,  et  elle  ne  variera 
jamais  dans  sa  longue  carrière  :  «  la  source  vive  d'où  il 
veut  tirer  désormais  tous  ses  discours,  c'est  l'Ecriture  ex- 
pliquée par  les  Pères;  mais  saint  Paul  commenté  par  saint 
Augustin,  c'est  la  fleur  du  froment,  c'est  le  plus  pur  de  la 
substance  du  christianisme  (2)  ». 

Bossuet  emprunte  donc  à  saint  Augustin  des  traits  subli- 
mes, des  idées  grandioses,  entre  autres  celle  qu'il  développe 
dans  le  premier  point  du  Sermon  sur  les  caractères  des 
deux  alliances  (3).  à  savoir  que,  si  vous  «  lisez  les  Ecritures 
divines,  vous  verrez  partout  le  Sauveur  Jésus...  Il  n'y  a  pas 
de  page  où  on  ne  le  trouve.  Il  est  dans  le  Paradis  terrestre, 
il  est  dans  le  Déluge ,  il  est  sur  la  montagne ,  il  est  au  pas- 
sage de  la  mer  Rouge,  il  est  dans  le  Désert,  il  est  dans  la 
Terre  Promise.  —  C'est  pourquoi  l'admirable  saint  Augustin 
dit  que  ni  dans  la  loi  de  nature,  ni  dans  la  loi  mosaïque,  il 
n'y  voit  rien  de  doux,  s'il  n'y  lit  le  Sauveur  Jésus.  Tout  cela 
est  sans  goût;  c'est  une  eau  insipide,  si  elle  n'est  changée 
en  ce  vin  céleste,  en  ce  vin  évangélique  que  l'on  garde  pour 
la  lin  du  repas,  ce  vin  que  Jésus  a  fait  et  qu'il  a  tiré  de 
sa  vigne  élue.  Voulez-vous  que  nous  rapportions  quelques 
traits  de  l'histoire  ancienne,  et  vous  verrez  combien  elle 
est  insipide,  si  nous  n'y  entendons  le  Sauveur.  Nous  en  di- 
rons quelques-uns  des  plus  remarquables,  avec  le  docte 
saint  Augustin.  »  Il  y  a  là  le  germe ,  «  les  premiers  linéa- 
ments de  l'œuvre  la  plus  originale  et  la  plus  achevée  de  Bos- 
suet »,  la  seconde  partie  du  Discours  sur  l'Histoire  univer- 
selle  (4). 


(I)  Leharq,  I,  t.  p.  Id't-liS. 
(-2)  Gandar  ,  Bossuet  orateur,  p.  lO.'i. 

(3)  Prêche  à  Metz,  chez  les  Sœurs  de  la  Propagation  de  la  Foi,  le  deuxième  di- 
manche après  l'Épiplianie,  tti'jS. 
CO  Bossuet  orateur,  p.  '.il. 


136  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

Mais  si  Bossuet  doit  à  saint  Augustin  de  magnifiques 
aperçus  et  de  superl^es  inspirations,  ne  lui  doit-il  pas  aussi 
des  citations  trop  fréquentes,  des  hors-d'œuvre,  des  di- 
gressions, des  longueurs  invariablement  amenées  par  ces 
mots  :  «  C'est  une  belle  doctrine  de  saint  Augustin  »; 
c'est  «  un  beau  passage  » ,  «  ce  sont  les  savants  principes  » 
de  ce  «  grand  homme  »  ;  «  ce  grand  évèque  dit  admira- 
blement »  etc. 

Bossuet,  d'ailleurs,  écrira  plus  tard  au  cardinal  de  Bouil- 
lon que  saint  Augustin  «  ferait  peut-être,  s'il  était  seul,  une 
manière  de  dire  un  peu  trop  abstraite  ».  N'est-ce  pas  une 
confidence,  un  aveu  autant  qu'un  conseil?  Le  jeune  archi- 
diacre de  Metz  n'a  pas  échappé  à  l'écueil  que  présentait  la 
fréquentation  assidue  d'un  génie  au  goût  parfois  défectueux 
comme  saint  Augustin.  Les  Sermons  de  Metz  sont  «  un  peu 
trop  abstraits  » ,  grâce  souvent  à  l'évêque  d'Hippone. 

A  ce  point  de  vue ,  le  premier  Sermoîi  sur  la  Pentecôte, 
165i,  est  tout  à  fait  caractéristique  (1).  —  Bossuet  y  prend 
pour  texte  une  parole  de  saint  Paul  dans  la  seconde  Épitre 
aux  Corinthiens,  III,  6  :  «  Liltera  occidit ;  spiritus  autem  vi- 
vifUat.  La  lettre  tue,  mais  l'esprit  vivifie  ».  Or,  c'est  le  titre 
même  d'un  des  ouvrages  de  saint  Augustin  les  plus  familiers 
à  notre  jeune  orateur  :  De  Spiritu  et  littera  (2).  Après 
avoir  montré  dans  le  premier  exorde  comment  Dieu  a  choisi 
le  jour  de  la  Pentecôte,  «  où  les  Israélites  étaient  assemblés 
par  une  solennelle  convocation,  pour  y  faire  publier  haute- 
ment le  traité  de  la  nouvelle  alliance  »,  et  comment  «  le 
Saint-Esprit  descend  en  forme  de  langue  pour  nous  faire 
entendre  par  cette  figure  qu'il  donne  de  nouvelles  langues 
aux  saints  apôtres  (3)  »,  Bossuet,  dans  le  second  exorde, 

n)  «  Il  n'y  a  guère  dans  tous  les  manuscrils  de  Bossuet,  dit  M.  l'abbo  Lebarq , 
Œuvres  oratoires  de  B.,  t.  I,  p.  îiiV,  d'éclievcau  plus  embrouille  que  celui-ci.  On 
trouve  jus(|u'à  trois  rédactions  de  l'exposition  du  sujet  et  du  commencement  de 
la  preuve.  L'une  d'elles  (|ui  diffère  des  autres  par  récriture  et  l'ortliograplie  est 
une  reprise  postérieure.  »  M.  l'abbé  Lebarq  la  renvoie  à  l'année  l(i.">.">.  Ce  n'est  pas 
un  petit  embarras  que  de  démêler  les  deux  autres  qui  sont  contemporaines. 
M.  Lebarq  y  i)arvient  en  tenant  compte  d'un  élément  négligé  par  Deloris,  la  pa- 
gination et  un  petit  l'envoi  indiqués  par  Bossuet. 

(•2)  Voir  les  nombreuses  citations  (ju'il  en  fait  et  l'Écrit  composé  pour  le  cardi- 
nal de  Ilouilloii. 

(.'{)  Lebarq,  t.  I,  p.  ."iK-.VKi. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  ORATEUR.  137 

«  entre  d'abord  en  matière  :  elle  est  si  haute  et  si  importante 
qu'elle  ne  lui  permet  pas  de  perdre  le  temps  à...  faire  des 
avant-propos  superflus...  Comme  donc  la  loi  nouvelle  de 
notre  Sauveur  n'était  pas  faite  pour  un  seul  peuple,  cer- 
tainement il  n'était  pas  convenable  qu'elle  fût  publiée  en 
un  seul  langage...  Quoique  l'auditoire  (des  apôtres)  fût  ra- 
massé d'une  infinité  de  nations  diverses,  chacun  y  entendait 
son  propre  idiome  et  la  langue  de  son  pays.  Par  où  le 
Saint-Esprit  nous  enseigne  que,  si  à  la  tour  de  Babel  l'or- 
gueil avait  autrefois  divisé  les  langues,  l'humble  doctrine 
de  l'Évangile  les  allait  aujourd'hui  rassembler...  Imitons 
les  saints  apôtres,  mes  frères,  et  publions  la  loi  de  notre 
Sauveur  avec  une  ferveur  céleste  et  divine...  La  lettre, 
c'est  la  loi  ancienne;  et  l'esprit,  comme  vous  le  verrez,  c'est 
la  loi  de  grâce  :  et  ainsi  en  suivant  l'apôtre  saint  Paul,  fai- 
sons voir,  avec  l'assistance  divine ,  que  la  loi  nous  tue  par 
la  lettre  et  que  la  grâce  nous  vivifie  par  l'esprit  (1)  ». 

C'est  là  assurément  de  la  haute  théologie  :  mais  n'est-elle 
pas  trop  savante  et  trop  abstraite,  même  pour  un  auditoire 
du  dix-septième  siècle?  L'orateur  lui-même  le  reconnaît, 
lorsque,  au  début  de  son  premier  point ,  il  dit  :  «  Et,  j'Jow 
pénétrer  le  fond  de  notre  passage ,  il  faut  examiner  avant 
toutes  choses  quelle  est  cette  lettre  qui  tue ,  dont  parle  l'A- 
pôtre. »  Comme  il  est  évident  que  c'est  «  la  Loi  donnée 
à  Moïse,  cette  Loi  si  sainte  du  Décalogue ,  que  l'Apôtre  ap- 
pelle ministère  de  mort,  et  par  conséquent  la  lettre  qui 
tue  »  :  «  Quoi!  s'écrie  Bossuet,  ces  paroles  si  vénérables  : 
«  Israël,  je  suis  le  Seigneur  ton  Dieu;  tu  n'auras  point 
d'autres  dieux  devant  moi  !  (2)  »  sont-elles  donc  une  lettre 
qui  tue?  et  une  Loi  si  sainte  méritait-elle  un  pareil  éloge 
de  la  bouche  d'un  apôtre  de  Jésus-Christ?  Tâchons  de  dé- 
mêler ces  obscurités  avec  l'assistance  de  cet  Esprit-Saint 
qui  a  rempli  aujourd'hui  les  cœurs  des  apôtres.  Cette  qaes- 
tion  est  haute,  elle  est  difficile;  mais  comme  elle  est  impor- 

(1)  La  première  rédaction  de  cet  exorde,  citée  par  M.  l'abbé  Lebarq.  t.  I.  p.  545- 
"JW,  en  note,  était  beaucoup  plus  longue  :  Bossuet  l'a  concentrée. 
(-2)  Deutéronome ,  c.  v,  t>,7. 


138  BOSSUET  Eï  LES  SAINTS  PERES. 

tante  à  la  piétés  Dieu  nous  fera  la  (/race  d'en  venir  à  bout. 
Pour  moi,  de  crainte  de  m'égarer,  je  suivrai  pas  à  pas  le 
plus  éminentde  tous  les  docteurs,  le  plus  profond  interprète 
du  grand  apôtre ,  je  veux  dire  V incomparable  saint  Au- 
gustin, qui  explique  divinement  cette  vérité  dans  le  premier 
livre  ad  Simplirianum  et  dans  le  lixreDe  Spiritu  et  littera. 
Rendez- vous  attentifs,  chrétiens,  à  une  instruction  que  j'ose 
appeler  la  base  de  la  piété  chrétienne.  » 

Bossuet  explique  alors  que  saint  Paul  ne  songe  pas  à 
blâmer  la  Loi,  «  quand  il  l'appelle  une  lettre  qui  tue  »,  mais 
qu'il  «  déplore  la  faiblesse  de  la  nature  »,  «  les  langueurs 
mortelles  qui  nous  accablent,  depuis  la  chute  du  premier 
père  »,  «  la  corruption  universelle  de  la  nature,  prouvée  par 
l'idolâtrie  (1)  »,  «  la  guerre  éternelle  que  nous  fait  la  con- 
cupiscence »  et  que  les  méchants  ne  sentent  pas,  mais  qu'un 
saint  Paul  sentira  mieux ,  parce  qu'il  aime  la  loi  du  Sei- 
gneur. «  Saint  Augustin  a  bien  compris  sa  pensée.  Il  a 
voulu,  dit-il,  faire  voir  à  l'homme  combien  était  grande  son 
impuissance,  et  combien  déplorable  son  infirmité,  puis- 
qu'une loi  si  juste  et  si  sainte  lui  devenait  un  poison  mor- 
tel, afin  que,  par  ce  moyen,  nous  reconnaissions  humble- 
ment qu'il  ne  suffît  pas  que  Dieu  nous  enseigne,  mais  qu'il 
est  nécessaire  qu'il  nous  soulage  :  non  tant  uni  doctorem 
sibi  esse  necessariiim,  verum  etiam  adjutorem  Deum  (2).  » 
C'est  pourquoi  le  grand  docteur  des  gentils,  après  avoir  dit 
de  la  Loi  toutes  les  choses  que  je  vous  ai  rapportées,  com- 
mence à  se  plaindre  de  sa  servitude...  La  Loi  ne  fait  autre 
chose  que  nous  montrer  ce  que  nous  devons  demander  à 
Dievi  et  de  quoi  nous  avons  à  lui  rendre  grâces;  et  c'est  ce 
qui  a  fait  dire  à  saint  Augustin  :  «  Faites  ainsi ,  Seigneur, 
faites  ainsi.  Seigneur  miséricordieux  :  commandez  ce  qui 
ne  peut  être  accompli  ;  ou  plutôt  commandez  ce  qui  ne 
peut  être  accompli  que  par  votre  gr<\ce;  afin  que  tout  flé- 
chisse devant  vous,  et  que  celui  qui  se  glorifie  se  glorifie 


(I)  Ces  dertiiers  mois  sont  tirés  du  Sommaire  écrit  par  Bossuet. 
{•2)  De  Spiritu  cl  liUera,  n.  y. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  ORATEUR.  139 

seulement  en  Notre-Seigneur  (1)...  C'est  là  la  vraiç  justice 
du  christianisme,  qui  ne  vient  pas  en  nous  par  nous- 
mêmes,  mais  qui  nous  est  donnée  par  le  Saint-Esprit  :  c'est 
là  cette  justice  qui  est  par  la  foi ,  que  l'apôtre  saint  Paul 
élève  si  fort ,  non  pas  comme  l'entendent  nos  adversaires, 
qui  disent  qne  toute  la  vertu  de  justifier  consiste  en  la 
foi...  F^a  foi  ne  justifie  pas  sans  la  charité.  Et  toutefois  il  est 
véritable  que  c'est  la  foi  de  Jésus-Christ  qui  nous  justifie, 
parce  qu'elle  n'est  pas  seulement  la  base,  mais  la  source 
qui  fait  découler  sur  nous  la  justice  qui  est  par  la  grâce. 
Car,  comme  dit  le  grand  Augustin,  «  ce  que  la  loi  com- 
mande, la  foi  l'impètre  :  Fides  impefrat  quod  Irx  im- 
povat  (2).  »  La  Loi  dit  :  «  Tu  ne  convoiteras  pas  »;  «  la  foi 
dit  avec  le  Sage  :  «  Je  sais,  ô  grand  Dieu,  et  je  le  con- 
fesse, que  personne  ne  peut  être  continent,  si  vous  ne  le 
faites.  »  Dieu  dit  par  la  Loi  :  «  Fais  ce  que  j'ordonne;  »  la 
foi  répond  à  Dieu  :  «  Donnez,  Seigneur,  ce  que  vous  or- 
donnez (3).  »  La  foi  fait  naître  l'humilité;  et  fhumilité 
attire  la  grâce,  «  et  c'est  la  grâce  qui  justifie  (i)  ».  Ainsi 
notre  justification  se  fait  par  la  foi;  la  foi  en  est  la  pre- 
mière cause;  et  en  cela,  nous  différons  du  peuple  charnel, 
qui  ne  considérait  que  l'action  commandée ,  sans  regarder 
le  principe  qui  la  produit.  Quand  ils  lisaient  la  Loi,  ils 
ne  songeaient  à  autre  chose  qu'à  faire  ;  et  ils  ne  pensaient 
point  qu'il  fallait  auparavant  demander.  Pour  nous,  nous 
écoutons,  à  la  vérité,  ce  que  Dieu  ordonne;  mais  la  foi  en 
Jésus-Christ  nous  enseigne  que  c'est  de  Dieu  même  qu'il 
le  faut  attendre.  Ainsi  notre  justice  ne  vient  pas  des  œu- 
vres, en  tant  qu'elles  se  font  par  nos  propres  forces;  elle 
naît  de  la  foi,  «  qui  opérant  par  la  charité,  fructifie  en 
bonnes  œuvres  (5)  »,  comme  dit  l'Apôtre...  C'est  là  cette  foi 
qui  nous  justifie,  si  nous  croyons,  si  nous  confessons  que 
nous  sommes  morts  et  que  c'est  Jésus-Christ  qui  nous  rend 

(I)  Sermon  XVII,  n"  3,  sur  le  Psaume  CXVIII. 
(•2)  Sermon  XVI,  n"  2,  sur  le  Psaume  CXVIII. 

(3)  Saint  Augustin  ,  Confessions  ,  liv.  X. 

(4)  Épitre  de  saint  Paul  à  Tite ,  lU,  7. 

(."))  Épilre  aux  Galates,  V,  (» ,  et  Épitre  aux  Colossiens,  I,  10. 


140  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

la  vie.. Chrétien,  le  crois-tu  de  la  sorte?...  Que  ma  peine 
serait  heareiisement  employée,  si  l'humilité  chrétienne,  si 
le  renoncement  à  nous-mêmes,  si  l'espérance  au  Libérateur, 
si  la  nécessité  de  persévérer  dans  une  oraison  soumise  et 
respectueuse,  demeuraient  aujourd'hui  gravés  dans  vos 
âmes  par  des  caractères  ineffaçables.  Prions,  fidèles,  prions 
ardemment  :  apprenons  de  la  Loi  combien  nous  avons  be- 
soin de  la  grâce...  C'est  ce  que  prétend  l'apôtre  saint  Paul, 
dans  cet  humble  raisonnement  que  'f  ai  taché  de  vous  expli- 
quer ;i\  nous  montre  notre  servitude  et  notre  impuissance, 
afin  que  les  fidèles,  étant  effrayés  par  les  menaces  de  la 
lettre  qui  tue,  ils  recourent  par  la  prière  à  l'Esprit  qui  nous 
vivifie.  C'est  la  dernière  partie  de  mon  texte,  par  laquelle 
je  m'en  vais  conclure  en  peu  de  paroles.  » 

Ce  «  peu  de  paroles  »  n'a  pas  moins  de  neuf  pages  de  l'é- 
dition Lebarq,  t.  I,  561-570.  Bossuet  y  explique  ce  texte  de 
saint  Paul  «  que  maintenant  nous  ne  sommes  plus  sous  la 
Loi  (1)  ». 

«  Or,  dit-il ,  pour  entendre  plus  clairement  ce  qu'il  nous 
veut  dire,  considérons  une  belle  distinction  de  saint  Au- 
gustin (IIP  Traité  sur  saint  Jean).  «  C'est  autre  chose,  dit-il, 
d'être  sous  la  Loi,  et  autre  chose  d'être  avec  la  Loi.  Car  la 
Loi,  par  son  équité,  a  deux  grands  effets;  ou  elle  dirige 
ceux  qui  obéissent ,  ou  elle  rend  punissables  ceux  qui  se  ré- 
voltent. Ceux  qui  rejettent  la  Loi,  ils  sont  sous  la  Loi  :  parce 
que  encore  qu'ils  fassent  de  vains  efforts  pour  se  soustraire 
de  son  domaine,  elle  les  maudit,  elle  les  condamne,  elle  les 
tient  pressés  sous  la  rigueur  de  ses  ordonnances;  et  par 
conséquent,  ils  sont  sous  la  Loi  et  la  Loi  les  tue.  Au  con- 
traire, ceux  qui  accomplissent  la  Loi,  «  ils  sont  ses  amis,  dit 
saint  Augustin;  ils  vont  avec  elle,  parce  qu'ils  l'embras- 
sent, qu'ils  la  suivent,  qu'ils  l'aiment  (2)  ».  Ces  choses  étant 
ainsi  supposées,  il  s'ensuit  que  les  observateurs  de  la  loi 
ne  sont  plus  sous  la  Loi  comme  esclaves,  mais  sont  avec  la  Loi 
comme  amis.  Et  comme  dans  le  Nouveau  Testament  l'esprit 

(I)  l'.pUre  aux  Romains,  VII,  l'i. 

{•i}  Troisième  traitr  sur  saint  Jean,  n"  '2. 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  ORATEUR.  141 

de  la  gTàce  nous  est  élargi,  par  lequel  la  justice  de  la  Loi 
peut  être  accomplie,  il  est  très  vrai,  ce  que  dit  l'Apôtre, 
((  que  nous  ne  sommes  plus  sous  la  Loi  »  :  parce  que  si 
nous  suivons  cet  esprit  de  grâce ,  la  Loi  ne  nous  châtie  plus 
comme  notre  juge  ;  mais  elle  nous  conduit  comme  notre 
règle  :  de  sorte  que ,  si  nous  obéissons  à  la  grâce ,  à  laquelle 
nous  avons  été  appelés ,  la  Loi  ne  nous  tue  plus  ;  mais  plu- 
tôt elle  nous  donne  la  vie  dont  elle  contient  les  promesses. 

«  La  première  loi  frappant  au  dehors  émouvait  les  âmes 
par  la  terreur;  la  seconde  les  changera  par  l'amour.  Et 
j)OHr  pénétrer  au  fond  du  mystère,  dites-moi,  qu'opère  la 
crainte  dans  nos  cœurs?...  Elle  les  étonne,  elle  les  ébranle, 
elle  les  secoue;...  mais  je  soutiens  qu'il  est  impossible 
qu'elle  les  chang-e...  La  crainte  étoufTe  les  atfections;  elle 
semble  les  réprimer  pour  un  temps  ;  mais  elle  n'en  coupe 
pas  la  racine  ;  ôtez  cet  obstacle ,  levez  cette  digue  :  l'incli- 
nation, qui  était  forcée,  se  rejettera  aussitôt  en  son  pre- 
mier cours... 

«  C'est  pourquoi  le  grand  Augustin,  parlant  de  ceux  qui 
gardaient  la  Loi  par  la  seule  terreur  de  la  peine,  non  par 
l'amour  de  la  véritable  justice,  il  prononce  cette  terrible, 
mais  très  véritable  sentence  :  «  Ils  ne  laissaient  pas ,  dit-il, 
d'être  très  criminels,  parce  que  ce  qui  paraissait  aux  hom- 
mes dans  l'œuvre,  devant  Dieu,  à  qui  nos  profondeurs  sont 
ouvertes,  n'était  nullement  dans  la  volonté  :  au  contraire, 
cet  œil  pénétrant  de  la  connaissance  divine  voyait  qu'ils 
aimeraient  beaucoup  mieux  commettre  le  crime ,  s'ils  osaient 
en  attendre  l'impunité  :  Corcun  Deo  non  erat  in  vohmtate 
quod  coram  hoyninibus  apparebat  in  opère  ;  potiusque  ex 
illo  rei  tenehantur  quod  eos  noverat  Deus  malle,  d  fieri 
posset  im,pune ,  committere  (1).  »  Donc,  selon  la  doctrine  de 
ce  grand  homme,  la  crainte  n'est  pas  capable  de  changer 
le  cœur.  Considérez,  je  vous  prie,  cette  pierre  sur  laquelle 
Dieu  écrit  sa  loi;  en  est-elle  changée  pour  contenir  des 
paroles  si  vénérables?  En  a-t-elle  perdu  quelque  chose  de 
sa  dureté?  » 

(I)  De  Spiritu  et  liUera,  n.  13. 


142  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PÈRES. 

Bossuet  montre  ensuite  «  qu'il  n'y  a  que  la  charité  qui 
amollisse  »  les  âmes;  qu'il  «  n'y  a  proprement  que  l'amour 
qui  ait.  pour  ainsi  dire,  la  clef  du  cœur  »,  et  que,  par 
conséquent  «  la  charité  est  l'esprit  de  la  loi  nouvelle,  et 
l'àme,  pour  ainsi  dire,  du  christianisme.  »  «  Et  selon  la  con- 
séquence de  ces  principes,  ajoute-t-ii,  où  je  n'ai  fait  que 
suivre  saint  Augustin,  qui  s'est  attaché  à  saint  Paul ,  je  ne 
craindrai  pas  de  vous  assurer  que  quiconque  ne  se  soumet 
à  la  loi  que  par  la  seule  appréhension  de  la  peine ,  il  s'ex- 
communie lui-même  du  christianisme ,  et  retourne  à  la  let- 
tre qui  tue  et  à  la  captivité  de  la  Synagogue.  » 

Certes,  voilà  de  la  tliéologie  éloquente;  mais  c'est  de  la 
théologie ,  dont  Bossuet  lui-même  sent  le  besoin  d'adoucir 
le  langage  «  abstrait  »  par  une  péroraison  toute  pleine 
d'une  onction  aussi  pieuse  que  pathétique  et  pénétrante  : 
«  Oui,  certes,  il  doit  être  anathème  celui  qui  n'aime  pas 
Jésus-Christ  :  la  terre  se  devrait  ouvrir  sous  ses  pas  et  l'en- 
sevelir \out  vivant  dans  le  plus  profond  cachot  de  l'enfer; 
le  ciel  devrait  être  de  fer  pour  lui;  toutes  les  créatures  lui 
devraient  ouvertement  déclarer  la  guerre ,  à  ce  perfide, 
à  ce  déloyal,  qui  n'aime  point  Notre-Seignem'  Jésus-Christ. 
Mais,  ô  malheur!  ù  ingratitude!  c'est  nous  qui  sommes  ces 
déloyaux.  Oserons-nous  bien  dire  que  nous  aimons  Notre- 
Seigneur  Jésus-Christ?. ..  Quand  vous  aimez  quelqu'un  sur  la 
terre,  rompez-vous  toujours  avec  lui  pour  des  sujets  de  très 
peu  d'importance?  foulez-vous  aux  pieds  tout  ce  qu'il  vous 
donne?  manquez-vous  aux  paroles  que  vous  lui  donnez?  Il 
n'y  a  aucun  homme  vivant  que  vous  voulussiez  traiter  de 
la  sorte  :  c'est  ainsi  pourtant  que  vous  en  usez  envers  Jé- 
sus-Christ. Il  a  lié  amitié  avec  vous;  tous  les  jours  vous  y 
renoncez.  Il  vous  donne  son  corps;  vous  le  profanez.  Vous 
lui  avez  engagé  votre  foi;  vous  la  violez.  Il  vous  prie  pour 
vos  ennemis;  vous  le  refusez.  Il  vous  recommande  ses  pau- 
vres; vous  les  méprisez...  Et  comment  donc  pouvez- vous 
éviter  cette  horrible,  mais  très  équitable  excommunication 
de  l'Apôtre  :  «  Si  quelqu'un  n'aime  pas  Notre-Seigneur 
Jésus-Christ,  qu'il  soit  anathème!  »  Et  comment  le  puis-je 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  ORATEUR.  143 

éviter  moi-même,  ingrat  et  impudent  pécheur  que  je  suis?.. . 
Aimons,  aimons,  mes  frères,  aimons  Dieu  de  tout  notre 
cœur.  Nous  ne  sommes  pas  chrétiens,  si  du  moins  nous  ne 
nous  efforçons  de  l'aimer,  etc.  (1).  » 

Bossuet  a  bien  repris  en  1G55  le  Sf^rmon  si/r  la  lettre  qui 
tue  et  t esprit  qui  vivifie;  mais  dès  1G58,  il  abandonnait  ces 
théories  trop  élevées ,  trop  savantes ,  «  trop  abstraites  » ,  et 
il  composait  un  admirable  Sermon  sur  «  l'esprit  de  force  » 
et  «  l'esprit  d'amour  » ,  qui  sont  «  le  véritable  esprit  du 
christianisme  (-2)  ». 

Il  n'en  est  pas  moins  vrai  de  conclure,  en  résumé ,  que,  si 
les  Pères  de  l'Église  latine,  saint  Augustin,  saint  Cyprien, 
Tertullien,  ont  été  pour  Bossuet  des  inspirateurs  puissants, 
ils  sont  cause  en  partie  des  défauts  de  ses  Sermo/is  de  Na- 
varre et  de  Metz  :  comme  l'a  si  bien  dit  Gandar,  «  le  pré- 
dicateur écrit  sous  l'impression  de  la  lecture  de  la  veille  ;  il 
en  est  tellement  rempli  qu'elle  déborde ,  sans  qu'il  essaie  de 
la  contenir  ;  il  faut  qu'il  répète  ce  qu'il  vient  de  lire ,  pour 
la  première  fois,  avec  une  émotion  singulière;  l'enthou- 
siasme ne  lui  a  pas  sur  l'heure  laissé  l'esprit  assez  libre  pour 
faire  un  choix;  il  invoque  la  parole  de  ses  maîtres  quelque- 
fois hors  de  propos  et  très  souvent  hors  de  mesure;  il  a  l'in- 
tempérance de  la  jeunesse  et  l'emphase  qui  convient  aux 
premiers  élans  d'une  admiration  juvénile  (3)  »,  ce  qui  ne 
rempêchepas  de  composer  des  chefs-d'œuvre,  où  son  génie 
éclate  déjà  dans  toute  la  fraîche  beauté  de  son  incompara- 
ble essor. 

ARTICLE  II 

Influence  des  saints  Pères  sur  Bossuet  orateur 
pendant  l'époque  de  Paris  (1659-1682). 

Quand  Bossuet  quitta  Metz  pour  se  rendre  à  Paris  au 
commencement  de  1659  (V) ,   il  emportait  avec  lui  «  les 

(1)  Lel)ar(|.  t.  l ,  p.  riOS-.jfig. 

(2)  Lebarq.  t.  Il,  p.  't8:;-ri08. 

(3)  Do.isuel  ovateur,  p.  82. 

\'t)  L'aljl)c  I.e  Dieu  dit  torniellenient  que   «  l'instruction  des  Nouveaux  Catlioli- 
ques  fut  le  principal  objet  qui  le  rappela  de  Metz  à  Paris  «. 


144  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

maximes  de  sa  PoUliqur ,  le  dessein  de  Y  Histoire  des  varia- 
tions, quelques-unes  de  ses  idées  les  plus  neuves...  du  Dis- 
cours sur  l'Histoire  universelle.  Il  emportait  le  fond  de 
doctrine  qui  en  a  fait  l'arbitre  et  l'oracle  de  l'Église  galli- 
cane (1)  »,  et  l'accent  d'autorité  sereine  qu'il  avait  puisé 
dans  l'étude  assidue  de  l'Écriture  et  des  Pères ,  exagéré  peut- 
être  dans  les  Sermons  prêches  contre  les  Juifs,  mais  tempéré 
par  des  effusions  d'une  tendresse  mystique  dans  les  Pané- 
gyriques de  saint  François  d'Assise  (1652),  de  saint  Ber- 
nard (1653)  et  de  sainte  Thérèse  (1657).  Enfin,  il  empor- 
tait les  ressources  d'une  éloquence  qui  s'était  perfectionnée 
pendant  un  séjour  à  Paris  (1656-1657),  sous  l'influence 
<(  de  la  beauté  sans  tache  du  style  de  Pascal  »  (2) ,  et  qui, 
si  elle  avait  encore  de  la  sulîtilité,  de  la  rudesse  et  de  l'exu- 
bérance, était  déjà  puissante,  originale,  relevée  par  l'éclat 
des  images  et  la  véhémence  de  la  passion,  emportée  sou- 
vent à  des  hauteurs  où  nul  encore  n'avait  pu  atteindre  et 
que  pouvait  seul  dépasser  le  génie  de  Bossuet.  Le  gazetier 
Loret  écrivait  le  10  mars  1657  que 

Cet  orateur  évangélique 

Discourait  divinement,.. 

Qu'il  possédait  un  esprit  d'ange , 

Qu'il  prêchait  plus  qu'humainement... 

11  presse,  il  enllamme.  il  inspire (3). 

On  voit  donc  ce  qu'il  faut  penser  de  cette  affirmation  de 
Sainte-Beuve  que  le  seul  fait  de  quitter  Metz  pour  s'établir 
à  Paris  avait 'suffi  à  transformer  l'éloquence  de  Bossuet. 
«  A  le  lire  dans  ses  productions  d'alors,  dit-il,  on  éprouve 
comme  le  passage  d'un  climat  à  un  autre  ».  (V)  L'expression 
est  plus  heureuse  que  juste  :  il  n'y  a  pas  eu  de  révolution 
subite  dans  la  manière  de  l'orateur.  Ses  progrès  avaient 
commencé  depuis  longtemps,  et  s'ils  s'accentuèrent  pen- 

(I)  liossuet  oroleur,  p.  -24-2. 
•2)  Ihidrin ,  p.  -i'il. 

!:i)  Compte  rendu  cité  plus   haut,  page  33  d'un  Panéçiyrique  de  saint  Thomas 
d'Aquin ,  aujourd'hui  perdu. 
['>)  Causeries  du  Lundi,  X,  i'M. 


LES  SALNTS  PERES  ET  BOSSUET  ORATEUR.  145 

dant  l'époque  de  Paris,  ce  fut  moins  par  suite  de  l'influence 
du  milieu  que  grâce  à  l'étude  et  à  Tiraitation  des  saints 
Pères. 

Gandar,  il  est  vrai ,  parle  de  certaines  hésitations  et  d'un 
temps  d'arrêt  dans  le  développement  oratoire  du  jeune 
«  prédicateur  ordinaire  du  roi  »  (1  j;  il  les  attribue  aux  «  rap- 
ports de  Bossuet  avec  saint  Vincent  de  Paul  »  ,  qui  lui 
apprit  la  «  simplicité,  la  charité  »  (2),  et  dont  «  l'exemple 
et  les  conseils  lentrainèrent  un  instant  vers  des  maximes 
plus  austères  que  ne  semblaient  le  permettre  ni  les  condi- 
tions véritables  de  l'éloquence,  ni  le  penchant  de  sa  propre 
nature.  »  —  Mais  on  ne  voit  pas  que  Bossuet  en  1659  et  en 
1660,  aitfait  des  emprunts  à  une  rhétorique  «  emphatique  » 
et  qu'en  1661 ,  dans  le  Carême  des  Carmélites,  il  ait  «  mor- 
tifié sa  parole  »,  déclaré  la  guerre  aux  artifices  qui  relèvent 
la  beauté  de  l'éloquence  et  répudié  de  parti  pris  la  verve  et 
le  mouvement  oratoires.  «  Partout  où  la  rédaction  ne  pré- 
sente qu'une  esquisse  incomplète,  dit  M.  l'abbé  Lebarq,  il 
est  bien  évident  que  [Bossuet]  ne  songea  jamais  à  la  repro- 
duire de  mot  à  mot,  fût-elle,  comme  il  arrive  souvent  aux 
Carmélites,  de  celles  où  il  semble  manquer  peu  de  chose 
pour  pouvoir  être  lues  à  haute  voix  devant  un  auditoire  de 
lettrés  (3).  »  C'est  «  le  besoin  de  contrastes  »,  peut-être  même 
«  une  rhétorique  raffinée,  inconsciente  »  sans  doute,  qui  a 
entraîné  «  un  admirateur  de  Bossuet  à  le  trouver  rhéteur  », 
à  imaginer  «  des  oscillations  dans  sa  manière,  avant  et  après 
1660,  pour  faire  trouver  enfin  à  son  génie  l'équilibre  de 
ses  forces  dans  le  Carême  du  Louvre  :  hypothèses  plus  in- 
génieuses que  solides...  On  recule,  s'il  le  faut,  pour  leur 
donner  vraisemblance,  jusqu'en  1659,  à  la  veille  [du]  Carême 
des  Minimes,  le  Panégyrique  de  saint  Paul  (4),  où  l'orateur 

(I  Bossuet  avait  ce  titre  depuis  l(i.")8  ou  la  lin  de  Kw",  comme  l'atteste  un  écrit 
de  l'évèque  Bédacier  du  '28  février  ltx>8.  La  reine  Anne  d'Autriche  avait  du  lui  ob- 
tenir cet  lionneur  après  le  Panégyrique  de  sainte  Thérène.  1.'»  octobre  1037.  —  Voir 
Floquet,  t.  II,  p.  •ayi,  et  Lebarq,  Histoire  crit.,  p.  ^!M. 

(-2)  Bossurt  orateur,  p.  -2()0--2"<i. 

(3)  Histoire  critique  de  la  Prédication  de  Bossuet.  t.  III,  p.  V.  Introduction. 

(i)  M.  l'abbé  Lebart),  malgré  la  double  autorité  de  Gandar  et  de  (iazier,  en  revient 
à  l'opinion  de  Floquet,  qui  le  place  en  ltw7,  à  l'Hôpital  sé'iéral.  dont  «  l'ouverture 
récente  »  était  du  mois  de  mai. 

BOSSUET   ET   LES  SAINTS  PÈRES.  tO 


l.',6  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PÈRES. 

était  amené  par  son  sujet  même  à  faire  si  éloquemment  le 
procès  à  l'éloquence.  Mais  autre  chose  est,  sans  doute,  d'é- 
lever au-dessus  de  la  rhétorique  classique  la  prédication 
toute  miraculeuse  du  Docteur  des  Gentils,  autre  chose  de 
condamner  tout  discours  qui  ne  serait  pas  calqué  sur  les 
Épitres  de  saint  Paul.  Bossuet  n'a  garde  de  se  jeter  dans  ces 
excès.  »  (1)  D'ailleurs,  «  si,  dans  ce  discours,  l'orateur  parle 
de  la  simplicité  avec  l'accent  d'une  conviction  passion- 
née »  (2),  il  ne  faudrait  pas  croire  que  ce  fût  un  changement 
survenu  dans  ses  sentiments.  Le  plus  ancien  Sermon  de  vê- 
ture  qu'il  ait  prononcé ,  au  dire  de  Gandar  lui-même  (3) , 
et  qui  remonte  non  pas  à  1655,  comme  Floquet  l'a  cru. 
mais  très  probablement  à  165i,  comme  l'établit  M.  l'abbé 
Lebarq  [ï) ,  contient  un  passage  où  l'orateur  presse  son  au- 
ditoire de  demander  pour  lui  au  ciel  «  ces  deux  beaux  or- 
nements de  l'éloquence  chrétienne,  la  simplicité  et  la  vé- 
rité ».  (5)  Enfin,  s'il  «  entle  »  un  peu  plus  sa  voix  dans  le 
Panégyrique  de  saint  Victor  (6) ,  au  lieu  que  dans  celui  de 
saint  Paul  il  mêle  «  comme  par  surprise  aux  élans  presque 
involontaires  de  la  plus  haute  éloquence  l'esprit  d'humi- 
lité de  saint  Lazare  »,  Gandar  ne  nous  donne-t-il  pas  lui- 
même  le  secret  de  cette  différence,  quand  il  nous  dit  :  «  Com- 
ment parler  des  nations  converties  à  l'Évangile  par  les 
prédications  de  saint  Paul,  sans  faire  tourner  à  la  honte  de 
l'éloquence  profane  les  victoires  prodigieuses  remportées 
par  une  parole  si  éloignée  des  habitudes  de  l'école  (7)?  » 
La  vérité  est  que  les  Sermons  de  1659  à  Paris  ressemblent 
beaucoup  à  ceux  de  Metz,  que  les  Sermons  du  Carême  des 
Minimes  en  1660  «  sont  facilement  reconnaissables  à  leur 
longueur  »    8) ,  que  «  la  fécondité  y  va  jusqu'à  l'exubé- 

(1)  Histoire  criliqw,  p.  VI. 

(2)  Bossuet  orateur,  p.  -2<i(>. 

(3)  Ihidcm .  p.  .Vt. 

(4)  Il  se  base  sur  réniotiou  avec  laquelle  Bossuet  y  parle  du  «  ministre  dini- 
i|uité  »,  Paul  Ferry,  et  du  sermon  qu'il  avait  prononcé  en  mai  1<m4  et  public  bien- 
tôt aprcs  sous  le  titre  de  Catéchisme  rjcnéral  de  la  Réformalion  de  la  Religion. 

{'.,)  Lebarq,  t.  I.p.   'i8-2. 

(ti)  Il  a  été  proniimc,  non  pas  en  Kw'J,  comme  le  dit  I.acliat,  mais  en  1W>7,  à 
Paris,  <l;insl'al)bayc  des  Victorins. 

(7)  liossuet  orateur,  p.  i(>7. 

(8)  Ibidem  .  p.  ;»0.%. 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  ORATEUR.  147 

rance  »  (1),  et  que  Bossiiet  a  écrit  lui-même  en  plusieurs 
endroits  ce  mot  significatif  :  abrégez  (2).  Quant  au  Carême 
(les  Carmélites,  les  Sermons  qui  nous  en  restent  sont  «  tou- 
jours très  fortement  pensés,  souvent  incomplètement  rédi- 
gés; mais  Bossuet  s'y  préoccupe  sans  cesse  des  intérêts  spiri- 
tuels des  deux  parties  de  son  auditoire  ,  les  religieuses  et  les 
gens  du  monde  et  de  la  cour  qui  l'écoutaient. 

Gandar  a  jugé  trop  sévèrement  les  deux  Carêmes  des 
Minimes  et  des  Carmélites  pour  faire  éclater  la  supériorité 
de  celui  du  Louvre,  qui  «  marque  pour  Hossuet  et,  d'une 
façon  plus  générale ,  pour  Téloquence  religieuse  en  France, 
au  dix-septième  siècle,  ce  point  si  difficile  à  saisir  qui  est 
celui  de  la  maturité  et  de  la  perfection...  Pour  Bossuet,  elle 
devait  durer  plus  de  trente  ans.  »  (3)  En  parlant  ainsi, 
Gandar  a  oublié  que  les  Sermons  de  1660,  pensés  un  peu 
à  la  hâte ,  «  sont  des  improvisations  sur  le  papier  »,  et  que 
ceux  de  1661 ,  «  plus  médités,  étaient  moins  écrits  »,  tandis 
que  ceux  du  Louvre  furent  médités  à  loisir  et  écrits  avec 
beaucoup  de  soin  (4). 

Ce  qui  semble  incontestable,  c'est  que  Bossuet  s'efforça 
de  plus  en  plus  de  réaliser  cette  devise  qu'il  se  donnait  un 
jour  à  lui-même  devant  la  cour  :  «  Vutililj'  des  fidèles  est  la 
loi  suprême  de  la  chaire  (5)  ».  Son  àme  sacerdotale  et  apos- 
tolique n'avait  jamais  eu  d'autre  but;  mais  l'ardeur  et 
Texubérance  de  la  jeunesse  l'avaient  entraîné  à  des  hors- 
d'œuvre  inutiles,  abstraits,  savants,  qui  passaient  par- 
dessus la  tête  de  son  auditoire.  A  partir  de  1659  et  surtout 
de  1662,  il  renonce  à  l'étalage  d'une  vaine  érudition,  à 
l'appareil  scolastique  du  raisonnement,  aux  expressions 
réalistes  et  crues.  «  Le  développement  gagne  en  netteté , 
en  simplicité;  la  phrase  s'allège  et  prend  de  l'ampleur  tout 
à  la  fois.  Le  yocaljulaire  s'épure  :  les  termes  surannés,  sco- 


(I)  Bosquet  orateur,  p.  312. 
(-2)  Lebarq,  Histoire  crit..  p.  .'n'J. 
(3)  Bossuet  orateur,  p.  408. 

(i)  Lebani .  Œuv.  orat.  de  B.  t.  IV,  Introduction ,  p.  VI. 

(."i)  Troisième  Sermon  pour  la  Fête  de  la  Conception,  1(i(><>.  Avent  de  Saint-Gc 
main  en  1-ave. 


148  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

lastiques,  triviaux,  se  font  plus  rares.  L'orateur  est  maître 
de  sa  matière  et  de  lui-même;  il  a  digéré  ses  études,  et  de 
sa  vaste  érudition  il  ne  laisse  rien  passer  dans  sa  parole  qui 
ne  soit  nécessaire  à  la  suite  de  sa  pensée  et  à  l'efficacité  de 
son  discours  (1)  »,  c'est-à-dire  «  à  l'utilité  des  fidèles,  des 
enfants  de  Dieu  »,  comme  on  lit  dans  une  variante. 


çv  1.  —  progrès  de  Bossuet  orateur  sous  l'intluence  des  Pères  grecs. 

Ces  progrès  étonnants  sont  dus,  sans  doute,  au  goût,  au 
génie  de  l'orateur,  et  aux  dernières  exhortations  de  saint 
Vincent  de  Paul.  Mais  comment  ne  pas  y  voir  le  résultat  de 
l'étude  des  Pères  et  surtout  des  Pères  grecs,  qui  «  l'aidèrent 
à  toucher  plus  sûrement  la  perfection?  ».  Bossuet.  qui  écri- 
vait en  lG()9-7()  au  cardinal  de  Bouillon  que  «  le  style  du 
monde  le  plus  vicieux,  c'est  le  plus  affecté  et  le  plus  con- 
traint »,  ne  comprenait-il  pas  dès  16G'2  ce  qu'il  y  a  de  mau- 
vais goût  dans  les  antithèses  heurtées  du  «  dur  Africain  » 
et  même  dans  les  subtilités  du  grand  évêque  d'Hippone?  Ne 
disait-il  pas.  d'ailleurs,  au  cardinal  de  Bouillon  que  «  saint 
Çlirymslomc  ramène  et  mesure  [l'esprit]  à  la  capacité  du 
peuple  »,•  qu'on  trouve  dans  ce  Père  «  l'exhortation,  l'in- 
crépation,  la  vigueur,  la  manière  de  traiter  les  exemples 
de  l'Écriture  et  d'en  faire  valoir  tous  les  mots  et  toutes  les 
circonstances  »  ;  qu'en  lisant  «  son  ouvrage  sur  saint  Ma- 
thieu,... bien  traduit  en  français,  on  pourrait  tout  ensemble 
appjrendre  les  choses  et  former  le  style  »  ;  que  «  les  Homé- 
lies de  saint  Jean  Chrysostome  sur  la  Genèse  sont  excellen- 
tes, —  sur  saint  Paul  admirabl^îs,  —  au  peuple  d'Antioche 
très  éloquentes?  » 

La  foule  se  pressait  à  Antioche  sur  les  [»as  du  jeune  et 
éloquent  (îhrysostome  (2).  Le  sanctuaire  retentissait  des  ap- 


(1)  I.anson,  Bossuet,  p.  78. 

('1)  SainlJean  Chrysostome ,  :{'t7-V07,  na(|uil  à  Aiitioclic,  fut  cicvc  de  làbaiiius. 
I)iiis  oidoniu';  prrtrc  parrévêque  Flavien  et  nommé  patriarclic  de  Constantinoplc 
en  ;»!>8.  l.'impcralrice  Eudoxie  l'exila  en  W.i,  le  rappela  hientùt,  mais  pour  le  faire 
cncoïc  partir  pour  l'exil  et  l'envoyer  mourir  à  Coniana.  —  Il  a  laissé  de  nomhrcux 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  ORATEUR.  149 

plaudissements  qu'excitaient  ses  discours.  On  le  suivait 
dans  les  campagnes ,  aux  portes  de  la  ville  ;  de  vastes  toiles 
étaient  tendues  dans  les  airs  pour  défendre  de  l'ardeur  du 
soleil  une  foule  enivrée  du  charme  de  ses  paroles.  «  C'est  la 
réunion  de  tous  les  attributs  oratoires ,  dit  Villemain ,  le 
naturel,  le  pathétique  et  la  grandeur,  qui  ont  fait  de  saint 
Jean  Chrysostome  le  plus  grand  orateur  de  l'Église  primi- 
tive, le  plus  éclatant  interprète  de  cette  mémorable  époque. 
La  pensée  reste  confondue  devant  les  prodigieux  travaux 
de  cet  homme,  devant  l'ardeur  et  la  facilité  de  son  génie  ». 
(i'est  une  suite  de  discours  sans  exemple  dans  l'antiquité, 
«  un  monument  d'histoire  et  d'éloquence  »,  que  les  haran- 
gues prononcées  à  Antioche  devant  la  foule,  menacée  de  la 
colère  de  Théodose,  dont  elle  avait  renversé  les  statues,  et 
dont  l'évêque  Flavien  avait  été  implorer  la  clémence.  «  Les 
ouvrages  de  saint  Chrysostome ,  dit  Villemain ,  sont  le  cours 
le  plus  complet  de  prédication  morale  que  nous  ait  transmis 
l'antiquité...  On  y  voit  partout  un  beau  génie,  une  grande 
connaissance  du  cœur  de  l'homme,  une  charité  vraiment 
évangélique...  La  civilisation  chrétienne  de  l'Orient  revit 
tout  entière  dans  les  pages  éloquentes  de  l'orateur  d'Autio- 
che,...  de  cette  Babylone  chrétienne,  enchantée  plutôt  que 
corrigée  par  ses  paroles.  »  A  Constantinople  «  Chrysostome 
retrouva  les  vices  de  l'Asie,  augmentés  encore  par  la  pré- 
sence d'une  cour  efféminée,  dont  on  retrouve  la  descrip- 
tion dans  les  Ho?nélies  de  l'éloquent  archevêque,  pour 
lequel  le  peuple  avait  une  sorte  d'idolâtrie.  On  sait  qu'au 
retour  de  son  premier  exil ,  il  vit  le  Bosphore  se  couvrir 
de  vaisseaux  qui  venaient  à  sa  rencontre  et  il  entendit  les 
chants  populaires  qui  célél^raicnt  sa  rentrée  triomphale. 
«  Son  éloquence  balançait  tout  le  pouvoir  de  ses  en- 
nemis »,  qui  l'emportèrent  enfin,  grâce  à  la  faiblesse 
d'Arcadius.  Les  Lettres  de  Chrysostome,  pleines  du  récit 
de  ses  maux,  sont  éloquentes  comme  ses  discours  et  sans 

ouvrages  :  sur  la  Virginité,  sur  le  Sacerdoce,  sur  la  Providence,  sur  la  Diinnilr  de 
J.-C. ,  des  Homélies,  des  Discours. des  Panér/i/ri(/ues.  des  L^<<res,  etc.  Voirie  livre  de 
Paul  Alberl  :  sninl  Chrysostome  considéré  comme  orateur  populaire.  1858.  in-8". 


150  BOSSUET  ET  LES  SAIMS  PERES. 

aucune  âpreté  :  car  l'àine  de  Chrysostome  était  aussi  douce 
que  grande. 

«  Chrysostome  est  un  Grec  asiatique ,  formé  par  l'in- 
fluence d'Atliènes,  dit  Villemain  (1)  »...  Par  son  vif  et  af- 
fectueux langage,  par  l'analyse  approfondie  des  faiblesses 
humaines,  comme  par  l'éclat  de  l'expression,  Chrysostome 
semblerait  avoir  plus  d'une  ressemblance  avec  Massillon. 
Ce  parallèle  tromperait  encore  cependant...  Chrysostome  a 
moins  de  pureté  de  goût,  peut-être  moins  de  naturel,  ou 
plutôt  lin  autre  naturel  pompeux  et  candide.  Son  al^ondancc 
ne  se  renferme  pas  dans  un  développement  toujours  heu- 
reux et  varié...  3Iais  son  âme  est  émue...  Avec  cette  source 
de  pathétique  et  cette  abondance  de  cœur,...  par  la  forme 
éclatante  et  simple  du  discours,  et  la  grâce  soudaine  qu'on 
y  remarque  souvent,...  c'est  k  Bossuet  dans  ses  Sermons, 
qu'il  pourrait  être  comparé,  si  Bossuet  souffrait  des  égaux, 
et  s'il  n'avait  eu  ce  don  du  sublime,  que  l'éloquence  chré- 
tienne atteignit  rarehient  avant  lui,  même  dans  un  siècle 
plus  poétiquement  chrétien.  )> 

Ce  n'est  pas  seidement  saint  Jean  Chrysostome  qui  apprit 
à  Bossuet  à  devenir  «  simple  et  populaire  »  :  ce  sont  en- 
core saint  Grrgoirc  de  Nazianze  (2)  et  saint  Basile  (3)  qui 
lui  enseignèrent  le  charme  de  la  douceur  familière  et  de 
l'onction  pénétrante  d'une  simple  homélie,  qui  s'insinue 
dans  les  âmes  beaucoup  plus  que  l'éloquence  vigoureuse 


(1)  Tableau  de  Vèloquencc  chrétienne  nu  quatrième  xiècle.  p.  '2;{.S.  et  180. 

(2)  Ce  Père,  ne  en  :V28,  en  Cappadoce,  mort  vers  38fi.  fut  l'ami  de  saint  Basile, 
êvêque  do  Sasime,  puis  de  Nazianze,  cnlin  patriarciie  de  Constantinople,  où  il  fut 
violemment  attaqué  par  les  ariens  et  abandonné  par  l'empereur  Tiiéodose.  Il  se 
démit  de  ses  fonctions  et  alla  mourir  en  Cappadoce  dans  la  retraite.  —  Il  a  laissé  :>:> 
Discours  ou  Ilonirties,  •2S:i  Lettres.,  et  en  vers,  158  pièces  diverses,  4-28  petits  sujets 
sous  le  nom  (l'épii,'ramnies. 

(H)  Saint  liasile  (.{-2!»-;{-<») ,  né  à  Césarée.  élève  de  Libanius  à  Constantinople, 
ami  de  Crcgoire  de  Nazianze  à  Athènes,  professa  l'clotiuence  dans  sa  ville  natale, 
dont  il  devint  archevêque  en  370.  —  «  Saint  Basile,  dit  villemain,  fut  le  véritable 
évéque  de  l'Évangile,  le  père  du  peuple,  l'ami  des  malheureux,  inllexible  dans  sa 
foi.  infatigable  dans  sa  charité.  »  Il  a  une  imasinalion  vive  et  tendre,  une  sensi- 
bilité délicate  et  exquise,  l^es  habitants  de  Césarcc  répondaient  à  ses  discours 
par  (les  applaudissements  et  des  larmes.  Quand  il  mourut,  tout  le  peuple  de  la 
province  accourut  à  ses  funérailles.  I,es  païens,  les  juifs  le  disputaient  aux  clin- 
liens  par  l'abondance  de  leurs  larmes  :  car  il  avait  été  le  bienfaiteur  de  tous. 
Plusieurs  jiersonnes  ayant  péri  à  ces  funérailles,  on  les  estima  heureuses  d'être 
mortes  un  tel  jour:  on  les  appela  des  •  victimes  funéraires  ». 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  ORATEUR.  151 

et  toujours  tendue.  Il  se  souvenait  des  services  que  lui 
avaient  rendus  les  Pères  Grecs,  quand  il  recommandait  au 
cardinal  de  Bouillon  «  Clément  Alexandrin  »  et  «  son  Pr- 
dagogiie  » ,  c(  comme  aussi  quelques  discours  choisis  de 
saint  Grégoire  de  Nazianze  (1) ,  auteur  très  propre  à  relever 
le  style.  » 

Grâce  à  l'imitation  de  ces  modèles  d'un  goût  plus  pur 
que  les  Africains,  Bossuet,  «  avec  plus  de  clarté,  dit  M.  Lan- 
son  (2),  avait  plus  de  profondeur,  plus  de  force  avec  plus  de 
simplicité  :  quelque  chose  encore  de  fougueux  et  d'ardent, 
un  bouillonnement  de  jeunesse,  qui  se  faisait  d'autant  plus 
sentir  qu'il  était  plus  contenu.  »  Il  unissait  dans  une  heu- 
reuse harmonie  et  sans  aucune  contrainte  apparente,  des 
qualités  qui  semblaient  s'exclure  :  le  naturel  et  l'élég-ance , 
la  force  et  la  grâce,  la  sobriété  et  la  plénitude,  la  simplicité 
et  la  sublimité. 

C'est  alors  qu'il  prêchait  le  Sermon  sur  rHonneur  du 
monde  devant  le  prince  de  Condé,  21  mars  1660,  et  que, 
pour  prouver  que  cet  honneur  se  rend  coupable  de  trois 
crimes  capitaux  :  le  crime  «  de  flatter  la  vertu  et  de  la  cor- 
rompre » ,  le  crime  «  de  déguiser  le  vice  et  de  lui  donner 
du  crédit  »  ;  enfin  le  crime  «  d'attribuer  aux  hommes  ce  qui 
appartient  à  Dieu  » ,  il  s'appuyait  sur  saint  Jean  Chrysos- 
tome,  «  ce  grand  prédicateur,  si  véhément  accusateur  »  de 
l'honneur  du  monde  «  dans  l'homélie  xvif  sur  la  divine 
Épifre  aux  Romains.  » 

C'est  alors  qu'il  prononçait  le  second  Sermon  sur  la 
Providence  (3),  que  Gandar  met  en  parallèle  avec  le  pre- 
mier (4),  celui  de  1656,  prononcé  devant  le  duc  d'Épernon, 


(1)  ^aint  Grégoire  de.  Nazianze,  «  bien  supérieur,  dit  Villemain  à  l'cvèque  de 
Nysse,  n'égale  pas  le  génie  de  saint  Basile:  mais  il  a  dans  rimagination  quelque 
chose  de  plus  brillant  et  de  plus  gracieux.  »  Ses  adicu\  au  peuple  de  Duistanli- 
nople  dans  Sainte-So|)liie  sont  de  toute  beauté.  «  Ses  éloges  funèbres  sont  des 
hymnes;  ses  invectives  contre  Julien  ont  quelque  chose  de  la  malédiction  des 
prophètes.  On  l'a  appelé  le  théologien  de  l'Orient-,  il  faudrait  l'appeler  surtout  Je 
poète  du  christianisme  oriental.  » 

(-2)  lioasuet,  p.  80. 

(3)  Vendredi,  10  mars  lOii-i. 

(4)  En  Ki-'iti,  le  plan  du  discours  et  la  façon  même  dont  le  sujet  est  conçu  man-= 
quent  de  netteté;  il  y  a  des  phrases  inachevées  dans  le  premier  point;  le  seconçl 


152  150SSUET  ET  LES  SAINTS  PÈRES. 

et  OÙ.  dès  le  second  exorde,  Bossuet  nous  dit  :  «  Le  théo- 
logien d'Orient,  saint  (îrég-oire  de  Nazianze,  contemplant 
la  beauté  du  monde,  dans  la  structure  duquel  Dieu  s'est 
montré  si  sage  et  si  magnifique,  l'appelle  élég-amment  eu 
sa  langue  le  plaisir  et  les  délices  de  son  Créateur.  Sizu 
~p-jor,v  (1).  Il  avait  appris  de  Moïse  que  ce  divin  architecte, 
à  mesure  qu'il  bâtissait  ce  grand  édifice ,  en  admirait  lui- 
même  toutes  les  parties  :  Vidit  Deus  hœem  quod  csset 
bona ,  etc.,  (2).  »  Au  lieu  des  discussions  dirigées  en  1656 
contre  les  Épicuriens  et  les  Stoïciens,  le  Sermon  de  1662  ne 
renferme  qu'une  dialectique  pressante  contre  les  libertins , 
ces  ennemis  de  la  foi  chrétienne,  que  Bossuet  attaquera  sans 
cesse  jusque  dans  V Oraison  funrbrc  de  la  Princesse  Pala- 
tine, 1685. 

C'est  encore  en  1662.  19  mars,  qu'il  donnait  le  Sermon 
sur  l'ambition^  retouché,  refondu,  mais  toujours  inspiré  de 
saint  Augustin  (3),  «  dans  cet  admirable  second  point,  cette 
description  des  inconstances  de  la  fortune  d'une  si  pressante 
logique  et  d'un  mouvement  si  dramatique  i\)  »;  le  Sermon 
sur  r Impénitence  finale ,  ou  du  mauvais  riche,  5  mars  1662, 
peinture  si  vive  de  la  vie  mondaine,  terminée  par  la  ter- 
rible scène  d'une  mort  impénitente;  le  Sermon  sur  la  Mort 
enfin,  22  mars  1662,  aussi  saisissant  dans  son  raisonne- 
ment général  que  Y  Oraison  funcbre  de  Madame ,  qui  en 
reprend  l'idée  et  quelquefois  les  termes. 

D'après  M.  Lanson  (5),  il  y  aurait  eu,  après  1662,  un 

cl  le  Iroisième  ne  sont  qu'une  esquisse  rapide.  —  En  l(i():2,  «  ce  grand  et  admirable 
sujet,  digne  de  l'attention  de  la  cour  la  plus  auguste  du  monde  » .  est  traité  supé- 
rieurement. Bossuet  entre  tout  d'abord  en  matière,  et  c'est  pour  n'en  iilus  sortir; 
la  division  n'a  rien  de  scolastiquc;  deux  points  seulement  :  le  premier  pour 
montrer  qu'un  conseil  éternel  et  immuable  se  cache  parmi  les  événements  hu- 
mains, le  second  pour  faire  l'application  de  celte  sublime  politique  (pii  régit  le 
monde.  Le  changement  n'est  pas  moins  marqué  dans  l'ordre  et  les  formes  de  la 
discussion  :  Bossuet  a  renversé  son  argumentation  de  Dijon.  -  On  s'étonne  qu'en 
faisant  celte  comparaison,  un  critique  comme  (îandar  ne  voie  (|u'un  |)oslulat 
dans  l'énoncé  oratoire  de  la  questif)n,  et  prétende  que  Bossuet.  sans  daigner  al- 
léguer de  bonnes  preuves,  se  contente  d'aflirmer  «  du  ton  superbe  et  conliant 
d'un  victorieux  ». 

(1)  Oralio  XXXIV  (Nunc  XXVIII.) 

(-2)  Lebarq,  t.  IV,  p.  118. 

(.'!)  Voir  ce  qui  en  a  clé  dit  plus  haut. 

('«)  Lanson.  Hossurt,  \).  8». 

(.S)  Page  80. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  ORATEUR.  153 

nouveau  progrès  dans  Tart  oratoire  de  Bossuet,  qui  se  serait 
«  élevé  au-dessus  de  ce  qu'on  croit  être  la  perfection.  Une 
plus  entière  possession  de  soi ,  une  sérénité  supérieure  que 
troublent  seulement  les  saints  emportements  de  la  charité, 
une  large  philosophie  qui  élève  tous  les  sujets,  une  netteté 
parfaite,  qui  fait  descendre  toutes  les  questions  au  niveau 
des  auditeurs,  une  force  égale  sans  défaillance  et  sans 
fougue ,  plus  de  lumière  et  de  relief  que  de  couleur  rap- 
prochent les  sermons  des  dernières  stations  prêchées  par 
Bossuet  de  la  pure  beauté  des  meilleures  oraisons  funèbres. 
Tels  sont  le  Sermon  sitr  la  justice  (1666)  et  le  Sermon  pour 
la  fête  de  Tous  les  Saints,  sur  les  conditions  nécessaires 
pour  être  heureux  (1669)  :  œuvres  profondes  et  lumineuses, 
d'une  force  si  délicate  et  si  irrésistiblement  insinuante. 
Tels  aussi  les  Sermons  prononcés  pendant  que  Bossuet  rem- 
plissait les  fonctions  de  précepteur  du  Dauphin  :  en  1675, 
pour  laprofession  de  Mademoiselle  de  la  Vallière,  analyse 
impersonnelle  et  profonde  des  états  d'une  âme  pécheresse, 
que  la  grâce  rappelle  à  Dieu;  en  1681,  Sur  V unité  de  VÈ- 
(jlise ,  vaste  tableau  d'histoire  sacrée,  effort  puissant  et  me- 
suré pour  réconcilier  le  Pape  et  le  Roi,  où  l'on  sent  avec 
le  cœur  d'un  chrétien  et  d'un  Français  l'esprit  d'un  homme 
dÉtat  (1).  » 

Mais  on  peut  faire  remarquer  à  M.  Lanson  que  ni  «  la  net- 
teté parfaite  »,  ni  «  la  large  philosophie  » ,  ni  «  la  sérénité 
supérieure  »  ,  ni  «  l'entière  possession  de  soi  »  ,  ni  la  «  pro- 
fondeur lumineuse,  »  ni  «  la  force  délicate  »  ne  manquent 
aux  douze  chefs-d'œuvre  qui  nous  restent  de  la  grande  sta- 
tion du  Louvre  »,  aux  Sermons  sur  le  mauvais  riche,  sur 
l'ambition ,  sur  la  mort,  sur  les  devoirs  des  rois,  etc.  Sans 
doute,  Bossuet  fera  encore  des  progrès,  particulièrement 
pour  le  style  (2),  et  on  est  tenté,  comme  M.  l'abbé  Lebarq  (3), 
d'appliquer  à  la  perfection  d'un  si  riche  génie  ce  que  lui- 
même  aimait  à  dire  de  la  perfection  chrétienne  :  elle  «  n'est 

(1)  Bossuet,  p.  80-81. 

(2)  Panégyrique  de  saint  Benoit.  \(Hu>. 
(:»)  Œuvres  oratoires,  t.  IV,  p.  XY. 


15  i  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

pas  dans  un  degré  déterminé;  elle  consiste  à  croître  tou- 
jours (1)  ».  Il  est  vrai  toutefois  qu'à  partir  de  1662,  «  l'édu- 
cation de  l'orateur  est  terminée.  S'il  se  surpasse  désormais, 
ce  sera  en  vertu  de  la  force  nouvelle  qu'il  vient  d'acqué- 
rir (2)  et  qui  éclate  jusque  dans  ces  esquisses  rapides  d'une 
hardiesse  singulière  qu'il  trace ,  bientôt  après  le  Carême  de 
1662. 

Tout  à  l'opposé  de  M.  Lanson,  M.  Rébelliau  estime,  p.  x 
de  Vfu/ror/ftctio))  'h's  Sernio/is  choisis  de  Bossuet,  que  «  dans 
les  derniers  sermons  qu'il  prêche  à  la  cour,  cet  équilibre 
harmonieux  de  qualités  diverses  commence  à  se  rompre  un 
peu;  la  majesté  va  en  grandissant,  la  familiarité  s'atténue 
chaque  jour  davantage.  L'accent  personnel ,  si  sensible  dans 
les  sermons  de  la  jeunesse,  disparait  pour  faire  place  à  cette 
manière  impersonnelle  et  abstraite,  plus  sublime  sans 
doute,  mais  où  l'homme  même,  ;\  notre  gré,  s'efface  un  peu 
trop.  Dès  les  sermons  de  1666,  Bossuet  est  déjà  le  Bossuet 
des  grandes  oraisons  funèbres.  » 

Sans  doute,  dès  1666,  le  style  du  grand  orateur  a  la  ma- 
jesté, la  force,  l'harmonie,  la  souplesse  qu'on  admire  à  si 
juste  titre  dans  les  Oraisons  funèbres.  Mais  est-ce  que 
«  l'homme  s'efface  trop  »  dans  ce  discours  où  il  pleure  la 
duchesse  d'Orléans,  où  il  se  plaint  «  d'être  encore  destiné  à 
rendre  ce  devoir  funèbre  à  celle  qu'il  avait  vue  si  attentive, 
pendant  qu'il  rendait  le  même  devoir  à  la  reine  sa  mère  »  ? 
où  il  gémit  de  voir  «  sa  triste  voix  réservée  à  ce  déplorable 
ministère  »,  et  où  il  rappelle  que  «  l'art  de  donner  agréa- 
blement »,  que  la  duchesse  d'Orléans  «  avait  si  bien  pratiqué 
dans  sa  vie ,  l'a  suivie,  il  le  sait  (3),  jusqu'entre  les  bras  de  la 
mort?  »  —  Est-ce  que  «  l'homme  s'efface  trop  »  dans  cette 
magnifique  et  sublime  péroraison  de  VOraison  funèbre  du 


(I)  Ainsi.  i'Avent  du  I-oiivro  de  Kiii."),  le  Sermon  sur  la  Dùnnilè  de  Jésua-ChrUt 
en  i)arti(uilicr,  I'Avent  de  Saint-Thomas  du  Louvre  .  en  l()(>8,  celui  de  Saint-Germain 
en  Lave,  en  Kiii!»,  prcsentcnit  "  une  |ilirasc  plus  souple,  sans  être  moins  ferme,  un 
instinct  plus  sur  de  l'Iiarmonie  de  la  i)6riode  et  des  proportions  du  discours  ». 

("2)  I.ebarq  ,  t.  IV  ,  p.  xv. 

(:»)  Allusion  à  l'anneau  pastoral  que  la  duchesse  d'Orléans  voulait  offrir  à  Bos- 
suet, nommé  à  l'évècliiV  de  Condom ,  et  (|u'elle  chargea,  en  mourant,  sa  prcmiùrc 
fiîininc  (l(ï  chainhrr  de  lemetlrc  au  prélat. 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  ORATEUR.  155 

grand  Coudé ,  lorsque  l'orateur,  après  avoir  mis  au  cercueil 
son  héros ,  après  avoir  appelé  les  peuples ,  les  princes ,  les 
prélats,  les  guerriers  autour  du  catafalque  de  ce  grand 
mort  s'avance  lui-même  pour  venir,  <(  après  tous  les  autres, 
rendre  les  derniers  devoirs  à  ce  tombeau  »,  à  ce  prince, 
auquel  il  dit  :  «  Vous  vivrez  éternellement  dans  ma  mé- 
moire :  votre  image  y  sera  tracée,  non  point  avec  cette 
audace  qui  promettait  la  victoire;  non,  je  ne  veux  rien 
voir  en  vous  de  ce  que  la  mort  y  efface.  Vous  aurez  dans 
cette  image  des  traits  immortels...  C'est  là  que  je  vous  ver- 
rai plus  triomphant  qu'à  Fribourg  et  à  Rocroy...  Heureux 
si,  averti  par  ces  cheveux  blancs  du  compte  que  je  dois  ren- 
dre de  mon  administration,  je  réserve  au  troupeau  que  je 
dois  nourrir  de  la  parole  de  vie  les  restes  d'une  voix  qui 
tombe  et  d'une  ardeur  qui  s'éteint  I  »  Jamais  <(  l'accent  per- 
sonnel »,  jamais  le  moi  fut-il  plus  noble  et  plus  touchant 
dans  la  chaire  ?  Jamais  adieu  de  prêtre  et  d'ami  eut-il  plus 
d'éloquence  et  de  dignité  ? 

Quanta  «  la  familiarité,  qui  s'atténue  chaque  jour  davan- 
tage dans  les  derniers  sermons  prêches  à  la  cour  »,  ne  re- 
parait-elle  pas  devant  d'autres  auditoires,  à  Saint-Thomas 
du  Louvre,  par  exemple,  dans  l'Avent  de  1668,  dont  le  ca- 
ractère dominant  est  la  simplicité  véhémente  :  témoin  cette 
apostrophe  aux  dames  qui  l'écoutent  :  «  Faites-vous  des 
fruits  dignes  de  pénitence?  Ces  g-org-es  et  ces  épaules  décou- 
vertes étalent  à  l'impudicité  la  proie  à  laquelle  elle  as- 
pire (1)  ».  Ce  trait  n'est-il  pas  d'une  familiarité  effrayante? 
comme  le  dit  l'abbé  Lebarq  (2) . 

On  voit  par  là  ce  qu'il  faut  penser  des  appréciations  de 
Paul  Albert  sur  les  orateurs  de  la  chaire  au  dix-septième 
siècle  :  «  Le  vague,  l'abstrait,  toujours  substitués  à  la  vérité 
vivante  ;  aucun  détail  familier,  tjui  fasse  tressaillir,  comme 
une  divulgation  publique,  le  malade  qui  se  reconnaît;  rien 
que  des  contours ,  des  formes  flottantes ,  une  image  cou- 
venue,  dans  laquelle  on  reconnaît  les  traits  g-énéraux  de  la 

(I)  Esquisse  pour  le  quatrième  Dimanche .-^i  docembre  KiiiS.  I.ebarii.  t.  V.  p.  WH. 
(i)  Histoire  critique  de  la  Prédication  de  Dossuel.   p.  .'481. 


156  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PÈRES. 

nature  humaine;  rien  de  Thomme  dont  on  veut  faire  le 
portrait.  Voilà  les  caractères  généraux  de  l'éloquence  reli- 
gieuse au  dix-septième  siècle  (1).  »  —  On  ne  saurait  mieux 
prendre  le  contre-pied  de  la  vérité,  et  Paul  Albert  est  aussi 
injuste  que  passionné,  quand  il  dit  de  Bossuet  :  «  Ne  lui  de- 
mandez pas  de  s'abaisser  jusqu'à  nous  :  il  ne  le  peut.  Ce 
n'est  pas  le  médecin  attentif,  charitable,  qui  s'enquiert  dou- 
cement des  souffrances  d'une  àme  malade  ou  dévoyée.  Il 
frappe,  il  blesse,  il  écrase.  » 

Bossuet  écrasait  si  peu  qu'il  gagnait  tous  les  cœurs  par 
son  aménité,  sa  bénignité,  sa  douceur,  sa  bonté,  à  laquelle 
rendent  hommage  tous  ses  contemporains. 

Il  faut  donc  s'en  tenir  à  l'appréciation  de  Gandar  lors- 
qu'il dit  (2)  :  «  Dans  le  Carême  de  Saint-Germain  (1606), 
dans  les  Oraisons  funèbres  (1669-1687),  Bossuet  déploiera 
plus  d'abondance,  un  art  plus  divers  et  plus  achevé.  Je  ne 
voudrais  rien  ôter  à  la  popularité  de  ces  chefs-d'œuvre,  que 
deux  siècles  ont  consacrés ,  et  serai  le  premier  à  prendre 
ma  part  de  ces  fêtes  incomparables  que  Bossuet  donnera, 
comme  on  l'a  dit ,  à  l'imagination  et  au  cœur.  Mais  le  Carême 
du  Louvre  ne  pâlira  pas  à  côté  de  ces  merveilles  :  dans  sa 
forme  plus  sobre  et  plus  simple ,  il  aurait  partagé  les  suf- 
frages à  Saint-Lazare ,  à  Port-Royal ,  aux  Carmélites  ;  il  au- 
rait tenu  en  suspens  les  préférences  de  La  Bruyère',...  celles 
deFénelon,...  et  pour  dire  plus,  celles  de  Bossuet  lui-même,  » 

§  II.  —  Fusion  harmonieuse  du  f^'énie  de  Bossuet  cl  de  celui  des  Pères, 
Tertullien,  saint  Augustin. 

Dès  1662,  Bossuet  était  arrivé  à  ce  qu'il  considère  comme 
essentiel  pour  l'orateur  de  la  chaire  :  ajtjn-endre  les  c/tosrs 
et  former  le  style. 

C'est  que,  l'égal  des  Pères  par  le  génie,  il  s'était  si  bien 
nourri  de  leur  pensée  et  de  leur  doctrine,  si  bien  pénétré  de 
la  substance  de  leurs  écrits  que  sa  mémqire  lui  rappelait 

(1)  /,'(  l' rose .  seizième  ùçon,  p.  X>f). 
(-2)  Bossue I  orateur,  fi.  'i()9. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  ORATEUR.  157 

sans  effort  les  endroits  de  leurs  ouvrages  qui  se  rapportaient 
à  son  sujet  :  il  s'en  appropriait  l'esprit  ou  la  lettre  dans  la 
mesure  où  le  comportaient  son  auditoire ,  la  suite  de  ses 
idées,  la  logique  de  son  raisonnement.  Au  lieu  de  faire, 
comme  par  le  passé ,  de  longues  citations ,  voire  même  des 
hors-d'œuvre ,  pour  insérer  dans  son  texte  des  passages  des 
Pères  qui  l'avaient  frappé,  il  fondait  admirablement  leurs 
idées  avec  les  siennes ,  «  et  il  nous  faut  les  indications  de 
l'orateur  lui-même  pour  distinguer  dans  la  trame  unie  et 
serrée  de  son  discours  ce  qu'il  emprunte  de  ce  qu'il  a  tiré 
de  son  propre  fonds  :  tant  la  liberté  d'inspiration  s'accorde 
heureusement  chez  lui  avec  la  fidélité  des  souvenirs!  tant 
Bossuet  est  dans  son  naturel  lorsqu'il  reprend  la  pensée  des 
Pères,  et  renoue,  à  travers  les  siècles,  la  chaîne  de  la  tra- 
dition (1  )  !  » 

Voici  un  exemple  de  cette  fusion  harmonieuse  des  idées  de 
Bossuet  avec  celles  des  saints  Pères  :  il  est  emprunté  au  Ca- 
rême des  iMinimes  (1660),  bien  qu'une  certaine  exubérance 
soit  la  caractéristique  de  ces  discours,  rapidement  jetés 
sur  le  papier.  Dans  le  troisième  point  du  Sermon  sur  les 
déi/totis^  Bossuet  prouve  que  <(  ce  lion  rugissant  qui  se 
nie  sur  nous  »  est  bien  facile  à  vaincre  :  (2)  «  Que  si  vous 
Aoulez,  dit- il,  savoir  sa  faiblesse ,  non  plus,  messieurs,  par 

(I)  Gandar,  Bossuet  orateur,  p.  81-82. 

(-2)  On  peut  comparer  ce  passage  avec  ce  qu'avait  dit  Bossuet  en  1(m3.  Sermon 
sur  les  dénions,  troisième  point:  «  Cet  ennemi  redoutable,  il  redoute  lui-même 
les  chrétiens.  Il  tremble  au  seul  nom  de  Jésus:  et,  malgré  son  orgueil  et  son  ar- 
rogance, il  est  forcé  par  une  secrète  vertu  de  respecter  ceux  qui  portent  sa  mar- 
que :  c'est  ce  que  vous  allez  voir  par  un  beau  passage  du  grand  TertuUien ,  d'où  je 
tirerai  une  instruction  importante  qui  sera  le  fruit  de  tout  ce  discours. 

«  Le  grave  TertuUien,  dans  ce  merveilleux  Apologétique  qu'il  a  fait  pour  la  reli- 
gion chrétienne,  avance  une  proposition  bien  hardie  aux  juges  de  l'empire  ro- 
main, qui  procédaient  contre  les  chrétiens  avec  une  telle  inhumanité.  Après  leur 
avoir  reproché  que  tous  leurs  dieux,  c'étaient  des  démons,  il  leur  donne  le 
moyen  de  s'en  éclaircir  par  une  expérience  bien  convaincante.  Que  l'on  produise 
dit-il.  devant  vos  tribunaux  ,  je  ne  veux  pas  que  ce  soit  une  chose  cachée,  devant 
vos  tribunaux,  à  la  face  de  tout  le  monde;  que  l'on  produise  un  homme  notoire- 
ment possédé  du  diable  (il  dit  notoirement  et  que  ce  soit  une  chose  constante), 
après,  que  l'on  fasse  venir  quelque  fidèle;  qu'il  commande  à  cet  esprit  de  parler 
s'il  ne  vous  dit  tout  ouvertement  ce  qu'il  est,  s'il  n'avoue  publiquement  que  lui  et 
ses  compagnons  sont  les  dieux  que  vous  adorez  ;  si,  dis-je .  il  n'avoue  ces  choses  , 
n'osant  mentir  à  un  chrétien  ,  là  même  ,  sans  différer,  sans  aucune  nouvelle  procé- 
dure, faites  mourir  ce  chrétien  impudent  qui  n'aura  pu  soutenir  par  l'effet  une 
promesse  si  extraordinaire.  Ahl  mes  frères,  quelle  joie  à  des  chrétiens  d'enten- 
dre une  telle  propsoition  faite  si  hautement,  etc. 


158  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

raisonnement,  mais  par  une  expérience  certaine,  écoutez 
parler  TertuUien  dans  son  admirable  Apologétique.  Voici 
une  proposition  bien  hardie  et  dont  vous  serez  étonnés.  Il 
reproche  aux  (ientils  que  toutes  leurs  divinités  sont  des 
esprits  malfaisants,  et  pour  leur  faire  entendre  cette  vérité, 
il  leur  donne  le  moyen  de  s'en  éclaircir  par  une  expérience 
bien  convaincante.  Edatur  hic  aliquis  suh  tribunalibus  ves- 
ti'is  quem  daemone  ag i  constet .  0 ^uges  !  qui  nous  tourmentez 
avec  une  telle  inhumanité,  c'est  à  vous  que  j'adresse  ma  pa- 
role :  «  Qu'on  produise  devant  vos  tribunaux  »;  je  ne  veux 
pas  que  ce  soit  en  un  lieu  caché,  mais  à  la  face  de  tout  le 
monde;  qu'on  y  produise  «  un  homme,  qui  soit  notoire- 
ment possédé  du  démon;  »  je  dis  notoirement  possédé,  et 
que  la  chose  soit  très  constante  :  g  item  daemone  agi  constet; 
alors,  que  l'on  fasse  venir  quelque  fidèle ,  je  ne  demande  pas 
qu'on  fasse  un  grand  choix;  que  l'on  prenne  le  premier 
venu,  «  pourvu  seulement  qu'il  soit  chrétien  :  nisi  jussiis 
(i  quolibet  c/u'istinfw  :  si  en  présence  de  ce  chrétien,  il  n'est 
contraint,  non  seulement  de  parler,  mais  encore  de  vous 
confesser  ce  qu'il  est  et  d'avouer  sa  tromperie,  n'osant  mentir 
à  un  chrétien,  christiano  mentiri  non  aiidentes  (messieurs, 
remarquez  ces  paroles)  ;  là  même ,  là  même ,  sans  plus  dif- 
férer, sans  aucune  nouvelle  procédure,  faites  mourir  ce 
chrétien  impudent  qui  n'aura  pu  soutenir  par  l'effet  une 
promesse  si  extraordinaire  :  ibidem  illius  christiani  pro- 
cacissimi  sanf/uinem  fundite. 

<(  0  joie,  ô  ravissement  des  fidèles,  d'entendre  une  telle 
proposition,  faite  si  hautement  et  avec  une  telle  énergie 
sur  un  homme  si  posé  et  si  sérieux,  et  vraisemblablement 
de  l'avis  de  toute  l'Église,  dont  il  soutenait  l'innocence! 
Quoi  donc!  cet  esprit  trompeur,  ce  père  du  mensonge, 
oublie  ce  qu'il  est,  et  n'ose  mentir  à  un  chrétien  :  chris- 
tiano mentiri  non  aiidentes!  Devant  un  chrétien,  ce  front 
de  fer  s'amollit;  forcé  par  la  parole  d'un  fidèle,  il  dépose 
son  impudence;  et  les  chrétiens  sont  si  assurés  de  le  faire 
parler  à  leur  gré  qu'ils  s'y  engagent  au  péril  do  leur  vie, 
en  présence  de  leurs  propres  juges!  Qui  ne  se  rirait  donc  de 


LES  SAINTS  PKRES  ET  BOSSUET  ORATEUR.  159 

cet  impuissant  ennemi ,  qui  cache  tant  de  faiblesse  sous 
une  apparence  si  fière?  Non,  non,  mes  frères,  ne  le  crai- 
gnons pas  :  Jésus,  notre  capitaine  (1),  Fa  mis  en  déroute; 
il  ne  peut  plus  rien  contre  nous,  si  nous  ne  nous  rendons 
lâchement  à  lui  (2).  » 

Bossuet,  d'ailleurs,  en  viendra  bientôt  à  n'emprunter  à 
Tertullien  que  <<■  f/urlques  sentences,  c'est-à-dire  accuralAiis 
mit  ele<jantnis  dictata  »  (3).  —  «  Il  se  forme  une  volupté 
toute  céleste  du  mépris  des  voluptés  sensuelles  :  quae  ma- 
jor voluptas ,  qiiam  fastnliiini  ipsius  rolujj/atis?  »  (4)  (Ca- 
rême du  Louvre,  Purification  de  la  sainte  Vierge).  —  «  Si 
vous  demandez  à  Tertullien  ce  qu'il  craint  pour  vous  dans 
cette  école  (du  monde)  :  «  Tout,  vous  répondra  ce  grand 
homme,  jusqu'à  l'air  qui  est  infecté  par  tant  de  mauvais 
discours,  par  tant  de  maximes  corrompues  :  Ipsumque  aerem 
scelestis  vocibus  consfujjratani  »  (5).  —  «  Jésus-Christ  est 
tout  sagesse,  dit  Tertullien,  tout  lumière,  tout  vérité;  pour- 
cjiioi  le  partagez-vous  par  votre  mensonge?  Comme  si  son 
saint  Évangile  n'était  qu'un  assemblage  monstrueux  de  vrai 
et  de  faux ,  comme  si  la  justice  même  avait  laissé  quelque 
crime  qui  eût  échappé  à  sa  censure  :  Quid  dirnidias  men- 
dacio  Christum?  Totus  veritas  fait.  »  (6)  (Carême  du  Lou- 
vre ,  Sur  la  Prédication  écangélique) —  «  (Les  rois)  pourront 
faire  leur  salut,  pourvu  qu'ils  connaissent  bien  leurs  périls; 
ils  pourront  arriver  en  sûreté,  pourvu  qu'ils  marchent  tou- 
jours en  crainte  et  qu'ils  égalent  leur  vigilance  à  leurs  be- 
soins, leurs  précautions  à  leurs  dangers,  leur  ferveur  aux 
obstacles  qui  les  environnent  :  Tuta  si  cauta,  secura  si  at- 
tenta (7).  (Carême  du  Louvre,  Sur  r efficacité  de  la  péni- 
tence.) —  «  Non  seulement,  dit  Tertullien  (à  propos  des 
tromperies  par  lesquelles  le  pécheur  s'abuse) ,  non  seule- 

(1)  Voilà  une  de  ces  expressions  de  la  jeunesse  de  Eossucf,  qui  ne  reparaîtra  plus 
après  le  Carême  des  Carmélites  (ItiCl).  Il  ne  l'emploiera  pas  devant  la  cour. 
(-2)  Lebarq,  t.  lU,  p.  -230--231. 

(3)  Écrit  composé  par  le  cardinal  de  Bouillon. 

(4)  De  Spectaculif; ,  n.  29. 

(5)  Ibidem  .  n.  -27. 

(<j)  De  Carne  Christi ,  n»  :>. 
(7)  De  Idolatria,  n"  i't. 


160  BOSSUET  1£T  LES  SAINTS  PERES. 

ment  nous  imposons  à  la  vue  des  autres ,  mais  même  nous 
jouons  notre  conscience  :  Nosti'cim  quoqiif  conscientiam  lu- 
dimus.  '>  (Carême  du  Louvre,  Sur  r intégrité  de  la  Péni- 
tence). —  «  Ne  tremble-t-on  pas  de  porter  sur  soi  la  subsis- 
tance, la  vie,  le  patrimoine  des  pauvres?  «  0  force  de 
l'ambition,  dit  Tertullien,  de  pouvoir  porter  sur  soi  seule 
ce  qui  pourrait  faire  subsister  tant  d'hommes  mourants! 
Hac  sunt  vires  ambitionfs  ^  tant  arum  usurarum  substan- 
tiam  uno  et  muliebri  rorpusculo  bajularel  »  (1)  (Carême 
du  Louvre,  Sur  l' intégrité  de  la  pénitence.)  —  «  La  cha- 
rité à  laquelle  tout  se  termine,  et  «  qui  est  l'unique  tré- 
sor du  christianisme  :  christiani  /tominis  thésaurus  (-2)  », 
comme  parle  Tertullien.  »  [Oraison  funèbre  du  R.  P.  Bour- 
going.  )  —  Et  encore  :  «  Ainsi  le  père  Bourgoing  ne  peut  être 
surpris  de  la  mort  :  ses  jeûnes  et  ses  pénitences  l'ont  sou- 
vent avancé  dans  son  voisinage,  comme  pour  la  lui  faire 
observer  de  près  :  Saepe  jejunans  mortem  de  proxiuw  no- 
vit;  pour  sortir  du  inonde  plus  légèrement ,  «  il  s'est  déjà 
déchargé  lui-même  d'une  partie  de  son  corps  comme  d'un 
empêchement  importun  à  l'âme  :  Praemisso  jam  sang  ui  ni  s 
succo,  tanqnani  animae  impedimento.  »  (3)  —  «  Jamais 
nous  ne  rendrons  à  la  vérité  l'hommage  qui  lui  est  dû,  jus- 
qu'à ce  que  nous  soyons  résolus  à  souffrir  pour  elle,  et  c'est 
ce  qui  a  fait  dire  à  Tertullien  que  «  la  foi  est  obligée  au 
martyre  :  «  Debitriceni  martyrii  fidem  (4).  [Sermon  de 
charité  aux  Nouvelles  catholiques,  1663.)  —  Même  Sermon. 
«  Modérez  vos  passions  et  faites  un  fonds  aux  pauvres  sur 
la  modération  de  vos  vanités  :  Manum  inferre  rei  suae  m 
causa  eleemosynae  (5)  ».  —  Ne  nous  laissons  jamais  empor- 
ter à  ces  invectives  cruelles,  à  ces  dérisions  outrageuses  qui 
détournent  malicieusement  contre  la  personne  l'horreur 
qui  est  due  au  service.  C'est  un  jeu  cruel  et  sanglant  qui 
renverse  tous  les  fondements  de  l'humanité.  Un  innocent, 


(I)  De  Cullu  muliebri.  lil).  I,  ii.  ><. 
{■2}  De  Palienlia,  n.  -2. 

(3)  De  Jejitn...  ii.  12. 

(4)  Scorp.,  II.  8. 

(N)  Tcrlullien,  De  Patienlia,  ii.  7. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  ORATEUR.  161 

dit  Tertullien,  parlant  contre  les  jeux  des  gladiateurs  (c'en 
est  ici  une  image) ,  ne  fait  jamais  son  plaisir  du  supplice 
d'un  coupable  :  hmorciis  de  siipplicio  allerixs  lac/ari  non 
potest  (1),  Que  si  c'est  une  cruauté  de  se  réjouir  du  sup- 
plice de  son  frère ,  quelle  horreur,  quel  meurtre ,  quel  par- 
ricide de  se  faire  un  jeu ,  de  se  faire  un  spectacle ,  de  se 
faire  un  divertissement  de  son  crime  même  !  »  [Sermon  sw^ 
la  femme  adultère,  1663). —  «  Il  n'y  a  qu'une  chose  im- 
portante, qui  est  notre  salut  :  In  me  unir  ion  nerjotium  mihi 
f'st,  dit  Tertullien  (2).  c  Je  n'ai  qu'une  affaire  »,  et  cette  af- 
faire est  bien  secrète  ;  elle  est  dans  le  fond  de  mon  cœur  : 
c'est  une  affaire  qui  se  doit  passer  entre  Dieu  et  moi;  et 
comme  elle  est  de  si  grande  importance,  elle  doit  toute  ma 
vie,  tous  les  jours,  toutes  les  heures,  à  tout  moment  occuper 
mes  soins  et  mes  pensées.  »  [Oraison  funèbre  de  Nicolas 
Cornet,  27  juin  1663).  —  «  Le  Sauveur  Jésus,  Ilhnninator 
antiquitatum ,  »  (3)  [Panégfjrique  de  saint  Sulpice,  19  jan- 
vier 166i). —  «  Cette  persécution  (la  privation  des  plaisirs, 
l'exil)  aliénait  autant  les  esprits  que  l'autre.  Encore  plus, 
dit  Tertullien  :  Plures  invenias  quos  magis periculum  volupj- 
tatis  quam  ritaf  avocet  ab  hac  secta  (4).  On  craignait  les 
rigueurs  des  empereurs  contre  l'Eglise  ;  mais  on  craignait 
bien  plus  la  sévérité  de  sa  discipline  contre  elle-même;  et 
ils  se  fussent  plus  facilement  exposés  à  perdre  la  vie  qu'à 
se  voir  arracher  les  plaisirs ,  sans  lesquels  la  vie  semble 
être  à  charge.  [Esquisse  sur  le  danger  des  plaisirs  des 
sens,  166i).  —  «  Le  docte  Tertullien  avait  bien  compris  la 
dignité  [de  notre  nature],  lorsqu'il  a  prononcé  ce/te  sentence 
au  second  livre  contre  Marcion  ,  qui  est  un  véritable  chef- 
d'œuvre  de  doctrine  et  d'éloquence  :  ((  Il  a  fallu,  nous 
dit-il,  que  Dieu  donnât  des  lois  à  l'homme,  non  pour  le 
priver  de  sa  liberté ,  mais  pour  lui  témoigner  de  l'estime  : 
Legem...  boni  tas  erogavit  consulens  homini  quo  Deo  adhae- 


(1)  I)e  Spectaculis,  n.  19. 
(>2)  De  PaUio,  n.  7. 

(3)  Tertullien,  Adversus  Marcionem,  lib.  IV.  n.  iO. 

(4)  De  Spectaculis ,  n.  i. 

BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PÈRES. 


162  BOSSUE!  ET  LES  SALMS  PERES. 

reret ,  ne  non  tam  liber  (/iiam  abjectus  videretur  (1).  Et 
certes,  cette  liberté  de  vivre  sans  lois  eût  été  injurieuse  à 
notre  nature,  Dieu  eût  témoigné  qu'il  méprisait  Fliomme, 
s'il  n'eût  pas  daigné  le  conduire  et  lui  prescrire  Tordre 
de  sa  vie;  il  l'eût  traité  comme  les  animaux,  auxquels  il 
ne  permet  de  vivre  sans  lois  que  par  le  peu  d'état  qu'il  en 
fait,  «  et  qu'il  ne  laisse  libres  de  cette  manière,  dit  le  même 
Tertullien,  que  par  mépris  :  «  Aequandus  famitlis  suis 
céleris  aninialibus  solutis  a  Deo  et  ex  fastidio  liberis  (2). 
(Carême  de  Saint-Germain,  1666,  pour  la  Fête  de  la  Purifi- 
cation). —  «  Tenez  donc  pour  véritable  que,  comme  l'E- 
glise catholique  est  le  seul  véritable  temple  de  Dieu ,  ca~ 
tholicuni  Dei  templum,  ainsi  que  Tertullien  l'appelle  (3), 
elle  est  aussi  le  seul  où  Dieu  est  adoré  en  vérité.  »  (Carême 
de  Saint-Germain.  Sur  Ip  culte  dû  à  Dieu). 

Voici  un  passage  qui  montre  que ,  si  Bossuet  admirait 
toujours  Tertullien,  il  reconnaissail;  ses  défauts  :  «  Il  faut 
vous  dire,  Messieurs,  l'opinion  qu'on  avait  en  ce  temps-là 
des  empereurs,  sur  le  sujet  de  la  religion.  On  ne  considérait 
pas  seulement  qu'ils  étaient  ennemis  de  l'Église  ;  mais  Ter- 
tullien a  bien  osé  dire  qu'ils  n'étaient  pas  capables  d'y  être 
reçus.  Vous  allez  être  étonnés  de  la  liberté  de  cette  parole  : 
«  Les  Césars,  dit-il,  seraient  chrétiens,  si  le  siècle  qui  nous 
persécute  se  pouvait  passer  des  Césars,  ou  s'ils  pouvaient 
être  Césars  et  chrétiens  tout  ensemble  :  Caesares  credidis- 
sent  super  Chrisio,  si  aut  Caesares  non  essent  seculo  neces- 
sarii ;  aut  si  et  christiani  potuissent  esse  et  Caesares  (4). 
Voilà,  direz-vous,  de  ces  excès  de  Tertullien.  Eh  quoi  donc! 
n'avons-nous  pas  vu  les  Césars  obéir  enfin  à  l'Évangile  et 
abaisser  leur  majesté  au  pied  de  la  croix?  11  est  vrai;  mais 
il  faut  savoir  distinguer  les  temps.  Durant  les  temps  des 
combats,  qui  devaient  engendrer  les  martyrs,  les  Césars 
étaient  nécessaires  au  siècle;  le  parti  contraire  à  l'Église  les 


(1)  Adttcrsus  Marcionem .  lib.  H.  c.  iv. 
(-2)  Ibidem. 

(3)  Ibidem,  lib.  UI,  n.  21. 

(4)  Apologétique ,  n.  21. 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  ORATEUR.  163 

devait  avoir  à  sa  tête;  et  TertuUieii  a  raison  de  dire  que  le 
nom  d'empereur  et  de  César,  qui,  selon  les  occultes  dis- 
positions de  la  Providence,  était  un  nom  de  majesté,  était 
incompatible  avec  le  nom  de  chrétien,  qui  devait  être  alors 
un  nom  d'opprobre.  Les  fidèles  de  ce  temps-là,  regardant 
les  empereurs  de  la  sorte ,  n'avaient  garde  de  corrompre 
leur  simplicité  à  la  cour.  »  (Avent  de  Saint-Thomas  du 
Louvre,  Panégyrique  de  saint  Thomas  de  Cantorhéry). 

La  conscience  «  de  ces  excès  de  Tertullien  »  n'empêchera 
pas  Bossuet  de  citer  en  1669  cette  sentence  de  ce  Père  à 
propos  de  Dieu  :  «  Tertullien  a  raison  de  dire  que  le  néant 
est  à  lui  aussi  bien  que  tout  :  Ejus  est  nihilu)n  ipsuni,  cujus 
est  totnm  (1)  »  ;  sans  parler  du  fameux  passage  sur  le  «  je  ne 
sais  quoi  qui  n'a  plus  de  nom  dans  aucune  langue  » ,  qui 
revient  en  1669  dans  le  Sermon  sur  la  Résurrection ,  d'où 
est  tirée  la  citation  précédente,  et  dans  Y  Oraison  funèbre 
d'Henriette  d'Angleterre,  en  1670. 

Il  faut  reconnaître  ,  d'ailleurs,  avec  M^""  Freppel  dans  son 
Cours  d'éloquence  sacrée,  Tertullien  ,  II,  p.  94-lOi,  que 
rien  ne  s'explique  mieux  que  la  prédilection  de  Bossuet  pour 
l'école  d'Afrique  «  et  en  particulier  pour  Tertullien.  Le  trait 
commun  à  ces  deux  natures,  c'est  la  force  :  d'une  part,  la 
hardiesse  de  l'imagination;  de  l'autre,  l'énergie  du  senti- 
ment. Comparez  leurs  écrits:  vous  trouverez  des  deux  côtés 
la  même  véhémence  oratoire,  une  égale  vigueur  dans  le 
mouvement  de  la  pensée  et  dans  son  expression.  C'est  avec 
le  pinceau  de  Tertullien  que  Bossuet  se  plait  à  dépeindre 
les  temps  apostoliques  :  il  sait  lui  emprunter  à  propos  quel- 
ques-uns de  ces  traits  rapides,  de  ces  locutions  énergiques, 
de  ces  images  pittoresques  qu'il  sème  dans  ses  discours. 
On  voit  qu'une  gravité  si  austère  avait  vivement  frappé  son 
sens  chrétien;  seulement ,  il  dépouillait  cette  sévérité  évan- 
gélique  de  toute  exagération ,  et  c'est  ici  qu'éclate  la  su- 
périorité de  l'évêque  français  sur  le  prêtre  de  Carthage. 
Tertullien  se  jette  dans  les  extrêmes  :  ce  qui  lui  manque  trop 

(I)  Apologétique ,  n.  i8. 


164  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

souvent,  c'est  la  modération  dans  la  force.  Delà  vient  que 
son  style  est  outré  comme  sa  doctrine;  son  éloquence  s'enfle 
avec  ses  opinions,  et  du  moment  qu'elle  dépasse  les  limites 
de  la  vérité,  elle  dégénère  en  violence  et  tombe  dans  la 
déclamation.  Bossuet,  au  contraire,  est  l'homme  des  tem- 
péraments (1)  :  ses  riches  facultés  se  maintiennent  dans  un 
état  d'équilibre  rarement  troublé  ;  à  une  imagination ,  qui 
ne  le  cède  à  celle  de  Tertullien  ni  en  vivacité  ni  en  force ,  il 
allie  un  jugement  plus  droit  et  un  imperturbable  bon  sens. 
L'imagination  sert  sa  pensée  sans  la  dominer;  la  passion 
oratoire  l'élève,  mais  ne  l'emporte  pas.  Cette  domination 
intime,  qu'on  ne  se  lasse  pas  d'admirer  en  lui,  se  révèle 
dans  la  plupart  de  ses  écrits  :  c'est  une  logique  ardente, 
mais  qui  renferme  la  conséquence  dans  la  mesure  du  prin- 
cipe, un  style  qui  sait  se  contenir  au  milieu  de  ses  hardies- 
ses, une  éloquence  qui,  après  s'être  abandonnée  librement, 
se  replie  sur  elle-même  dans  la  conscience  de  sa  force.  Par 
là,  le  génie  de  Bossuet  se  sépare  profondément  du  génie 
de  Tertullien  (2).  » 

11  y  a  une  autre  raison  de  la  supériorité  du  goût  dans 
Bossuet  :  c'est  qu'il  vivait  «  dans  le  siècle  le  plus  éclairé  qui 
fut  jamais  et  (pii  approche  peut-être  le  plus  de  la  perfec- 
tion (.'i)  »;  c'est  qu'il  subissait  l'influence  de  Louis  XIV 
et  «  de  la  cour  la  plus  auguste  et  la  plus  polie  de  l'uni- 
vers (i)  »,  tandis  que  Tertullien  vivait  à  une  époque  de 
décadence,  dans  un  pays  qui  mêlait  à  la  belle  langue  de 
(^icéron  bien  des  provincialismes  suspects  et  beaucoup  de 
rudesse. 

Toutefois,  «  ce  dur  Africain  »,  aux  «  excès  (5)  »  regret- 
tables, avait  parfois  une  onction  toute  évangélique,  une 
délicatesse  et  une  grâce  aussi  charmantes  que  sa  véhémence 
était  passionnée ,  terrible,  foudroyante.  Quelle  souplesse  et 

(1)  Du  moins,  à  partir  de  l(>(j()  ou   l(i(>'2,  dans  la  [x-riode  de  Paris;  car  à  Metz,  il 
avail  une  fougue  toute  juvénile  et  sujette  à  des  écarts. 

(2)  Tcrlullirn,  t.  Il,  p.  100-101. 

(3)  Voltaire,  Siècle  de  Louis  XIV,  Inlroduclion. 

(t)  Ce  sont  les  expressions  même  de  Bossuet  dans  plusieurs  de  ses  Sermons  à  la 
cour. 
(:.)  c'est  TUtssucl  qui  le  caractérise  ainsi. 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  ORATEUR.  165 

quelle  suavité  de  pinceau  dans  ce  portrait  de  la  virginité  (1), 
traduit  par  M^  Freppel!  «  Certes,  la  virginité,  quand  elle 
est  véritable,  pure,  entière,  ne  redoute  rien  de  plus  qu'elle- 
même.  Elle  va  jusqu'à  craindre  le  regard  des  femmes;  car 
ses  regards  à  elle  sont  bien  différents.  Elle  a  recours  à  un 
voile  comme  à  un  casque,  à  un  bouclier  qui  protège  son 
bien  contre  les  attaques  de  la  tentation ,  les  traits  du  scan- 
dale, les  soupçons,  les  secrètes  médisances,  la  jalousie, 
contre  l'envie  elle-même.  Il  est  chez  les  païens  une  opé- 
ration formidable,  la  fascination,  qui  tue  par  la  louange 
ou  par  la  vaine  gloire  (2).  Nous  en  attribuons  quelquefois 
les  effets  au  démon ,  dont  le  propre  est  de  haïr  le  bien  ; 
quelquefois  à  Dieu,  à  qui  il  appartient  de  juger  l'orgueil 
en  élevant  les  humbles  et  en  abaissant  les  superbes.  La 
vierge  sainte  craindra  donc,  ne  fût-ce  qu'à  titre  de  fasci- 
nation, d'un  côté,  l'ennemi,  de  l'autre,  Dieu;  ici,  une  ma- 
lice qui  porte  envie;  là,  une  lumière  qui  juge  ;  elle  se  ré- 
jouira de  n'être  connue  que  d'elle  et  de  Dieu.  Tant  qu'elle 
ne  sera  connue  que  de  lui,  elle  aura  sagement  fermé  la 
porte  à  toutes  les  tentations.  Qui  osera,  en  effet,  fatiguer 
de  ses  regards  un  visage  qui,  pour  ainsi  parler,  n'a  rien 
que  de  triste?  Toutes  les  mauvaises  pensées  viennent  se 
briser  contre  cette  sévérité.  Elle  s'élève  au-dessus  de  son 
sexe,  celle  qui  voile  sa  virginité...  Ah!  revêtez-vous  des  ar- 
mes de  la  pudeur;  élevez  autour  de  vous  le  rempart  de  la 
modestie;  environnez  votre  personne  d'une  muraille  qui 
arrête  vos  propres  regards  en  éloignant  ceux  d'autrui.  Com- 
plétez le  vêtement  de  la  femme,  pour  garder  l'état  de  la 
vierge.  Dérobez  à  l'œil  des  hommes  quelques-uns  de  vos 
avantages  naturels  pour  ne  montrer  la  vérité  qu'à  Dieu 
seul  :  ou,  pour  mieux  dire,  vous  ne  mentez  point,  en  vous 
regardant  comme  mariée;  car  vous  êtes  l'épouse  du  Christ. 
C'est  à  lui  que  vous  avez  livré  votre  chair,  à  lui  que  vous 
avez  fiancé  la  maturité  de  votre  àse.  Marchez  donc  telle 


{\)  De  Velandis  Virginibus ,  XV,  xvi. 

(-2)  Pline  l'Ancien  nous  parle  de  fascinaleurs  qui ,  en  Afrique,  font  périr  par  leurs 
louanges,  les  troupeaux,  les  arbres  et  les  enfants.  {Hist.  nat..  Vil). 


166  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

que  le  désire  votre  époux.  C'est  le  Christ  qui  veut  que  les 
épouses  et  les  fiancées  des  hommes  soient  voilées  :  exi- 
gera-t-il  moins  des  siennes  ?  » 

Bossuelse  souvenait  certainement  de  ce  passage  lorsque, 
en  1664,  prêchant  la  Vêture  de  M"""  d'Alhert,  il  atteignait  au 
véritable  lyrisme  dans  cet  hymne  à  la  virginité,  où  l'élo- 
quence se  revêt  de  tous  les  charmes  de  la  poésie  :  «  Quelle 
éloquence  pourrait  exprimer  quel  est  Famour  du  Sauveur 
Jésus  pour  la  sainte  virginité?  C'est  lui  qui  a  été  engendré 
dans  l'éternité  par  une  génération  virginale  ;  c'est  lui  qui, 
naissant  dans  le  temps ,  ne  veut  point  de  mère  qui  ne  soit 
vierge  ;  c'est  lui  qui ,  célébrant  la  dernière  pâque ,  met  sur 
sa  poitrine  un  disciple  vierge  et  l'enivre  de  plaisirs  céles- 
tes; c'est  lui  qui,  mourant  à  la  croix,  n'honore  de  ses  der- 
niers discours  que  les  vierges  ;  c'est  lui  qui ,  régnant  en  sa 
gloire,  veut  avoir  les  vierges  en  sa  compagnie.  «  Ce  sont 
les  vierges,  dit  saint  Jean  dansV Apocalf/pse  (1),  qui  suivent 
l'Agneau  partout  où  il  va ,  accompagnant  ses  pas  de  pieux 
cantiques.  Jésus  n'a  point  de  temples  plus  beaux  que  ceux 
que  la  virginité  lui  consacre  ;  c'est  là  qu'il  se  plait  à  reposer, 
11  y  avait  dans  le  tabernacle,  dont  Dieu  prescrivit  la  forme  à 
Moïse,  un  lieu  dont  l'accès  était  libre  au  peuple,  un  autre 
où  les  sacrificateurs  exerçaient  les  fonctions  de  leur  sacer- 
doce; mais  il  y  avait  outre  cela,  chrétiens,  la  partie  secrète 
et  inaccessible ,  que  l'on  appelait  le  Sanctuaire  et  le  Saint 
des  saints.  L'entrée  de  ce  lieu  était  interdite  ;  nul  n'en  ap- 
prochait que  le  grand  pontife  ;  et  c'était  là  que  Dieu  reposait 
assis  sur  les  Chérubins,  selon  la  phrase  des  Lettres  sacrées. 
C'est  la  sainte  virginité  qui  nous  est  représentée  par  cette 
figure;  c'est  elle  qui  se  démêle  de  la  multitude  des  objets 
sensibles  qui  nous  environnent ,  et  ne  donne  d'accès  qu'au 
seul  grand  pontife. 

((  Mais,  mes  sœurs,  voulez-vous  entendre  les  ravissements 
des  vierges  sacrées  dans  les  chastes  embrassements  du  Sei- 
gneur Jésus?  Ecoutez  parler  la  pudique  Epouse  dès  le  coin- 


(l)XIV 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  ORATEUR.  167 

mencemeiit  du  divin  Cantique...  Aii!  ne  soupçonnons  rien 
ici  de  mortel;  tout  est  divin  et  spirituel.  Elle  court  après  le 
Sauveur  Jésus;  elle  veut  aller  recueillir  toutes  ses  paroles... 
Elle  veut  l'embrasser  par  la  charité... 

«  Quelle  doit  être  votre  joie,  ù  vierges  sacrées,  dans 
cette  mystérieuse  union?  C'est  là,  dit  le  pieux  saint  Ber- 
nard,  que  les  amertumes  contentent,  parce  que  la  charité 
les  change  en  douceur.  Le  monde  ne  comprend  pas  ces  dé- 
lices ;  la  sainte  pureté  les  entend ,  parce  qu'elle  les  goûte 
dans  la  source  même.  Expliquez-les-nous,  ô  disciple  vierge  : 
disciple  bien-aimé  du  Sauveur,  dites-nous  les  chastes  déli- 
ces des  vierges  en  compagnie  du  Sauveur.  Ecoutez  comme  il 
parle  dans  V Apocalypse...  Si  les  vierges  suivent  l'Agneau, 
je  ne  m'étonne  plus  de  leur  chant,  parce  que  je  vois  le  prin- 
cipe de  leur  joie.  » 

«  Courage  donc,  mes  très  chères  sœurs;  joignez-vous  à 
cette  troupe  innocente;  apprenez  ce  nouveau  cantique. 
Voyez  cette  sainte  compagnie  qui  vous  tend  les  bras  :  Venez, 
disent-elles;  venez  avec  nous  pour  chanter  les  louanges  de 
l'Agneau  sans  tache  qui  a  purgé  par  son  sang  les  péchés  du 
monde  :  là  les  Agnès ,  les  Agathe ,  les  Cécile ,  les  Ursule ,  les 
Luce,  vous  montrent  déjà  la  place  qui  vous  est  marquée,  si 
vous  gardez  la  foi  à  l'époux  céleste,  auquel  l'Apôtre  vous  a 
promises.  Ah!  souvenez-vous,  chères  sœurs,  que  vous  êtes 
fiancées  à  ce  seul  Époux... 

«  Chères  sœurs,  votre  bien-aimé  est  jaloux  de  la  jalousie 
la  plus  délicate  :  s'il  voit  que  votre  cœur  se  partage,  il  se 
pique  et  il  se  retire  ;  il  vous  veut  posséder  tout  seul.  C'est 
pourquoi  en  le  choisissant  pour  époux,  vous  vous  êtes  en- 
tièrement dépouillées;  vous  avez  joint  à  la  sainte  virginité 
une  pauvreté  désintéressée,  qui  ne  laisse  rien  sur  la  terre 
que  vous  puissiez  justement  estimer  à  vous.  Vous  abandon- 
nez même  votre  volonté,  et  quittant  ce  qui  est  le  plus  en 
votre  pouvoir,  ne  déclarez-vous  pas  devant  Dieu  que  vous 
ne  vous  retenez  aucun  bien  au  monde?  Vous  confirmez  par 
la  religion  de  vos  vœux  ces  généreuses  résolutions... 

«  Vivez  donc,  mes  très  chères  sœurs,  comme  des  victi- 


163  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

mes  volontairement  consacrées.  Humiliez- vous  sous  la  maiii 
de  Dieu,  et  ne  souffrez  pas  que  l'orgueil  prostitue  votre  vir- 
ginité à  Satan  qui  est  le  prince  des  esprits  superbes.  Ah! 
sans  doute  ,  vous  n'ignorez  pas  jusqu'à  quel  point  l'orgueil 
est  à  craindre  et  que  c'est  le  plus  dangereux  de  nos  en- 
nemis... 

«  Munissez-vous ,  mes  sœurs ,  contre  ce  poison ,  qui  a  gâté 
les  plus  grandes  âmes  et  ruiné  les  vertus  les  plus  éminen- 
tes.  Étudiez  la  science  de  l'humilité ,  qui  est  la  vraie  science 
des  enfants  de  Dieu.  C'est  elle  qui  vous  ouvrira  les  secrets 
célestes  (1).  » 

Nous  sommes  loin  de  Tertullifn,  et  Bossuet  le  dépasse, 
en  l'imitant ,  non  seulement  par  le  goût  exquis  de  son  élo- 
quence lyrique,  mais  encore  par  l'onction  pénétrante  de 
son  mysticisme,  simple  et  sublime  en  même  temps. 

^  ni.  —  Ouvrages  de  saint  Auj-aistin  dont  s'inspire  Bossuet  orateur  :  —  De 
la  Doctrine  chrétienne;  ~r  De  Calechizandis  rudibus; —  Des  Mœurs  de 
VÉglise  catholique;  —  Enchiridion;  —  De  V Esprit  et  de  la  lettre;  — 
Ci(é  de  Dieu:  —  Lettres;  —  Confessions  ; —  Rétractations;  —  Commen- 
taires sur  la  Bible;  —  Traités  de  théologie  dogmatique,  de  controverse; 
—  Livres  ascétiques,  etc. 

Saint  Augustin  demeurait  toujours  le  principal  inspira- 
teur de  Bossuet,  qui  lui  empruntait  «  toute  la  doctrine  (2),  » 
mais  en  évitant  désormais  «  les  subtiles  considérations  (3)  » 
et  la  «  manière  de  dire  un  peu  trop  abstraite  (i)  »  que  l'on 
peut  prendre  à  l'école  de  ce  Père  et  dont  le  jeune  archidia- 
cre de  Metz  ne  s'était  pas  toujours  défendu. 

11  signalait  lui-même  au  cardinal  de  Bouillon  les  Traités 
de  saint  Augustin  qui  lui  semblaient  le  plus  utiles  pour 
«  former  le  style  et  apprendre  les  choses.  » 

Il  mettait  en  premier  lieu  «  les  livres  de  la  Doctrine  chré- 
tienne; le  premier,  théologie  admirable  (5)  ».  —  Ces  quatre 
livres,  en  effet,  dont  les  trois  premiers  remontent  au  début 

(1)  Lebarq,  t.  IV,  p.  /«8V-48!). 

(2)  Écrit  composé  pour  le  cardinal  de  Bouillon. 

(3)  Ihidem. 
(i)  Jbiflrm. 
(S)  Ibidem. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  ORATEUR.  160 

de  Fépiscopat  de  saint  Augustin  (395-400)  et  dont  le  qua- 
trième a  été  composé  en  426,  comptent  parmi  les  meil- 
leurs de  l'évêque  d'Hippone  et  «  seraient  dignes  de  de- 
venir le  manuel  du  prêtre  (1)  »  —  Bossuet  s'en  inspire 
dans  son  beau  Sermon  sur  la  parole  de  Dieu.,  Carême  des 
Carmélites,  13  mars  1661  :  «  Que  si  vous  voulez  savoir 
maintenant  quelle  part  peut  avoir  l'éloquence  dans  les  dis- 
cours chrétiens,  saint  Augustin  vous  dira  qu'il  ne  lui  est 
pas  permis  d'y  paraître  qu'à  la  suite  de  la  sagesse.  Sa- 
pient'mm  de  domo  sua,  id  est ,  pectore  sapientis ,  procedere 
inlelligas ,  et  tanquam  inseperabilem  famulam,  etiatn  non 
nocatam,  sequi  eloquentiam  (2).  Il  y  a  ici  un  ordre  à  gar- 
der :  la  sagesse  marche  devant  comme  la  maîtresse;  l'élo- 
quence s'avance  après  comme  la  suivante.  Mais  ne  remar- 
quez-vous pas ,  chrétiens ,  la  circonspection  de  saint  Augus- 
tin, qui  dit  qu'elle  doit  suivre  sans  être  appelée?  Il  veut 
dire  que  l'éloquence,  pour  être  digne  d'avoir  quelque  place 
dans  les  discours  chrétiens,  ne  doit  pas  être  recherchée 
avec  trop  d'étude.  Il  faut  qu'elle  semble  venir  comme  d'elle- 
même,  attirée  par  la  grandeur  des  choses,  et  pour  servir 
d'interprète  à  la  sagesse  qui  parle...  Dans  le  désir  qu'a  [le 
prédicateur  évangélique]  de  gagner  les  âmes,  il  ne  cher- 
che que  les  choses  et  les  sentiments.  Ce  n'est  pas,  dit  saint 
Augustin  (3),  qu'il  néglige  les  ornements  de  l'élocution, 
quand  il  les  rencontre  en  passant  el;  qu'il  les  voit  fleurir 
devant  lui  par  la  force  des  bonnes  pensées  qui  les  poussent  ; 
mais  aussi  n'atfecte-t-il  pas  de  s'en  trop  parer,  et  tout  appa- 
reil lui  est  bon,  pourvu  qu'il  soit  un  miroir  où  Jésus-Christ 
paraisse  en  sa  vérité ,  un  canal  d'où  sortent  en  leur  pureté 
les  eaux  vives  de  son  Évangile,  ou  s'il  faut  quelque  chose 
de  plus  animé ,  un  interprète  fidèle  qui  n'altère ,  ni  ne  dé- 
tourne, ni  ne  mêle,  ni  ne  diminue  sa  sainte  parole.  »  — 
-Bossuet  cite  le  même  passage  dans  ï Oraison  funèbre  du 
R.  P.  Bourgoing,  4  décembre  1662,  pour  caractériser  l'élo- 


(1)  Poujoulat,  Histoire  de  saiht  Augustin,  185-2,  t.  II,  p.  iOO. 
(•2)  De  Boctrina  christ.,  IV,  10. 
(3)  Ibidem ,  IV,  42. 


170  BOSSUET  Eï  LES  SAINTS  PERES. 

quence  du  Supérieur  général  de  l'Oratoire  :  «  Son  discours 
se  répandait  à  la  manière  d'un  torrent;  et  s'il  trouvait  en 
son  chemin  les  fleurs  de  l'élocution ,  il  les  entrainait  plutôt 
après  lui  j)ar  sa  propre  impétuosité  qu'il  ne  les  cueillait 
avec  choix  pour  se  parer  d'un  tel  ornement  :  Fertur  qu'ippe 
impptu  suo  :  et  eloc/tlionis  palchritudinem,  si  occiirrerit, 
vi  rerum  rajnt,  non  cura  decoris  assumit.  C'est  l'idée  de  l'é- 
loquence que  donne  saint  Aug-ustin  aux  prédicateurs ,  et  ce 
qu'a  pratiqué  celui  dont  nous  honorons  ici  la  mémoire.  » 
—  Fénelon,  dans  ses  Dialogues  sur  l^ éloquence ,  citera  plus 
d'une  fois  le  traité  de  la  Doctrine  chrétienne  de  saint  Au- 
gustin. 

Après  cet  ouvrage,  Bossuet  signale  le  livre  de  Catechi- 
zandis  rudibus,  Sur  la  manière  de  catéchiser  les  ignorants 
(400).  —  C'est  un  précieux  traité  de  l'art  d'enseigner  la  re- 
ligion :  pour  faire  aimer  leur  tâche  aux  catéchistes,  Augustin 
la  relève,  l'environne  d'intérêt  et  de  charme.  Nulle  part  il 
n'a  mieux  montré  l'étendue  et  l'énergie  de  son  amour  pour 
la  pauvre  humanité,  amour  grâce  auquel  il  s'abaisse  jus- 
qu'aux dernières  misères  de  l'ignorance.  «  Je  l'ai  appris  de 
saint  Augustin ,  dit  Bossuet  dans  le  Sermon  pour  la  fête  de 
r Annonciatio7i,  Carême  du  Louvre  1662,  que  l'amour  pur, 
l'amour  libéral,  c'est-à-dire  l'amour  véritable,  a  je  ne  sais 
quoi  de  grand  et  de  noble ,  qui  ne  veut  naître  que  dans  l'a- 
bondance et  dans  un  cœur  souverain.  Pourquoi  est  fait  un 
C(f'ur  souverain?  Pour  prévenir  tous  les  cœurs  par  une  bonté 
souveraine.  Voulez-vous  savoir,  dit  ce  grand  homme  ,  quelle 
est  l'aifection  véritable?  «  C'est,  dit-il,  celle  qui  descend, 
et  non  celle  qui  remonte  ;  celle  qui  vient  de  miséricorde ,  et 
non  celle  qui  vient  de  misère;  celle  qui  coule  de  source  et 
de  plénitude,  et  non  celle  qui  sort  d'elle-même,  pressée 
par  son  indigence  :  Ibi  gratior  amor  est ,  ubi  non  aestuat 
indigentiae  siccitate ,  sed  uberlate  beiic/iccnti<u'  profluil. 
Ainsi  la  place  naturelle  de  l'aifection,  de  la  tendresse  et  de 
la  pitié,  c'est  le  cœur  d'un  souverain.  Et  comme  Dieu  est 
le  souverain  véritable,  de  là  vient  que  le  ca-ur  d'un  Dieu, 
c'est  un  cu'ur  d'une  étendue  infinie.  » 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  ORATEUR.  171 

Bossuet  cite  encore  :  le  De  Moribus  Eccleslac  ca/hoUcaCt 
Des  Mœurs  de  l'Église  catholique ,  composé  en  388  contre 
les  Manichéens,  qui  calomniaient  la  cité  de  Dieu  et  auxquels 
Augustin  oppose  l'admirable  peinture  de  la  doctrine  et  des 
mœurs  chrétiennes,  si  supérieures  à  celles  des  partisans  de 
Manès;  —  VEnchiridion,  ad  Laiirentium ,  le  Manuel  à  Lau- 
renfjus  (321),  qui  est  un  catéchisme  fait  par  un  homme  de 
génie,  expliquant  aux  fidèles  ce  qu'il  faut  croire,  ce  qu'il  faut 
espérer,  ce  qu'il  faut  aimer;  —  le  De  Spiritu  et  littera,  De 
V Esprit  et  de  la  lettre  (4.12),  commentaire  éloquent  de  cette 
parole  de  saint  Paul  :  ((  La  lettre  tue  et  l'esprit  vivifie  (1)  »  ; 
—  le  De  Vera  religione,  De  la  véritable  Religion,  composé 
en  390  et  qui  est  un  vaste  coup  d'œil  du  génie  sur  la  ré- 
vélation chrétienne  (2)  :  —  le  De  Civitate  Dei,  la  Cité  de 
Dieu,  composée  de  413  à  426  pour  répondre  aux  païens  qui 
s'en  allaient  répétant  partout  que,  si  les  dieux  étaient  restés 
debout,  Rome  ne  serait  pas  tombée  aux  mains  d'Alaric. 
C'est  l'encyclopédie  du  cinquième  siècle ,  un  monument  sur- 
prenant par  la  nouveauté,  la  hauteur  et  l'étendue  de  la 
conception.  Bossuet  veut  qu'on  lise  la  Cité  de  Dieu  «  pour 
prendre,  comme  en  abrégé,  toute  la  substance  de  la  doc- 
trine »  de  saint  Augustin.  «  Mêlez,  ajoute-t-il,  quelques-unes 
de  ses  Épitres  :  celle  à  Volusien  ;  ad  Honorât  uni  de  Grutia 
Nori  Testamentl ,  ainsi  que  quelques  autres.  —  Les  livres 
De  Sermone  Domini  in  monte ,  et  De  Consensu  Evangeli- 
starwn  (3).  »  Ce  dernier  ouvrage,  composé  en  400,  offre 
encore  aujourd'hui  un  grand  intérêt;  car  les  adversaires  de 
l'Évangile  renouvellent  les  arguments  des  païens,  auxquels 
saint  Augustin  répondait  avec  une  force  invincible. 

Bossuet  a  pratiqué  admirablement  ce  qu'il  conseillait  au 
cardinal  de  Bouillon  :  on  trouve  dans  ses  œuvres  oratoires  de 
l'époque  de  Paris  de  nombreuses  réminiscences  des  grands 
ouvrages  qu'il  aimait  à  étudier,  ou  plutôt  de  presque  toutes 
les  fpuvres  de  saint  Augustin,  qu'il  connaissait  à  fond. 


(I)  Voir  ce  qui  en  a  été  dit  plus  haut. 

("2)  Poujoulat,  Histoire  de  saint  Auguslin.  t.  I,  p.  I.Mi. 

(3)  Écrit  composé  pour  le  cardinal  de  Bouillon. 


172  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

Villemain,  clans  son  Tablrtin  de  riHoqm'nte  chrétienur 
au  quatrième  sirclc  appelle  saint  Augustin  (1)  «  l'homme 
le  plus  étonnant  de  rÉglise  latine,  celui  qui  porta  le  plus 
d'imagination  dans  la  théologie,  le  plus  d'éloquence  et 
même  de  sensibilité  dans  la  scolastique  ».  Sauf  ce  dernier 
mot  qui  est  un  anachronisme,  puisque  la  scolastique  devait 
naître  longtemps  après  saint  Augustin ,  l'éminent  critique 
a  raison ,  surtout  quand  il  ajoute  :  «  Donnez-lui  un  autre 
siècle,  placez-le  dans  une  meilleure  civilisation,  et  jamais 
homme  n'aura  paru  doué  d'un  génie  plus  vaste  et  plus  fa- 
cile. Métaphysique,  histoire,  antiquités,  science  des  mœurs, 
connaissance  des  arts,  Augustin  avait  tout  embrassé.  Il 
écrit  sur  la  musique,  comme  sur  le  libre  arbitre;  il  expli- 
que le  phénomène  intellectuel  de  la  mémoire,  comme  il  rai- 
sonne sur  la  décadence  de  l'empire  romain.  Son  esprit  subtil 
et  vigoureux  a  souvent  consumé  dans  des  problèmes  mys- 
tiques une  force  de  sagacité  que  suffirait  aux  plus  sublimes 
conceptions.  Son  éloquence,  entachée  d'affectation  et  de 
barbarie,  est  souvent  neuve  et  simple...  Moins  élevé,  moins 
brillant  que  les  Basile  et  les  Chrysostome ,  il  a  quelque  choso 
de  plus  profond.  Il  est  moins  éloquent,  mais  plus  évangé- 
lique  ». 

Voilà  peut-être  pourquoi,  parmi  les  Pères  de  l'Église, 
aucun  K  n'a  autant  parlé  qu'Augustin  à  l'âme  de  Bossuet  ». 

C'est  la  Cité  de  Dieu  dont  Bossuet  s'est  inspiré  le  plus, 
parmi  les  ouvrages  de  saint  Augustin  qu'il  a  signalés.  Dans 
le  Carême  des  Minimes,  dans  celui  des  Carmélites,  dans 
celui  du  Louvre  et  celui  de  Saint-Germain ,  comme  dans  les 
divers  Avents  qu'il  a  prêches,  il  aime  à  s'appuyer  sur  cette 
œuvre  magistrale ,  d'où  il  tirera  plus  tard  en  partie  le  Dis- 
cours sur  l'histoire  universelle .  —  Tantôt  il  établit  sur  un 
fondement  solide  «  une  belle  doctrine  de  saint  Augustin,  qui 
nous  explique  admirablement  (2)  en  quoi  la  malignité  du 
péché  consiste.  Il  dit  donc  qu'elle  est  renfermée  en  une 

(1)  De  Civitale  Dei,  lib.  XII,  cliap.  in. 

(2)  Il  est  ni!  en  3."i't  et  mort  en  4:t0.  après  avoir  ctc  professeur  de  rliétoriquc  ;'i 
Tagaste.  à  Carlhage.  à  Home,  à  Milan,  converti  par  saint  Anil)n>isc  et  les  larmes 
«le  sainte  .Monique,  ordonné  prêtre  en  '.V>1,  et  nommé  évoque  d"lli|)pone  en  :vx> 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  ORATEUR.  173 

double  contrariété,  parce  que  le  péché  est  contraire  à  Dieu  et 
qu'il  est  aussi  contraire  à  Thomme  :  contraire  à  Dieu ,  il  est 
manifeste,  parce  qu'il  combat  ses  saintes  lois;  contraire  à 
l'homme,  c'est  une  suite,  à  cause  que  l'attachant  à  ses  pro- 
pres inclinations,  comme  à  des  lois  particulières  qu'il  se 
fait  lui-même,  il  le  sépare  des  lois  primitives  et  de  la  pre- 
mière raison  à  laquelle  il  est  lié  par  son  origine.  »  (Avent  du 
Louvre  1665,  Se7'mon  sur  la  nécessité  de  la  pénitence).  — 
Tantôt  il  débute  par  une  maxime  de  la  Cité  de  Dieu ,  comme 
dans  le  Sermon  sur  la  charité  fraternelle ,  Carême  de  Saint- 
(iermain  1666  :  <>  Ce  que  dit  saint  Augustin  est  très  véri- 
table :  qu'il  n'y  a  rien  de  si  paisible  ni  de  si  farouche  que 
l'homme;  rien  de  plus  sociable  par  sa  nature,  ni  rien  de 
plus  discordant  et  de  plus  contredisant  par  son  \dce.  Nihil 
est  enini  qiiam  hoc  gênas  tam  discordiosum  ritio ,  tant  so- 
ciale natura  (1).  L'homme  était  fait  pour  la  paix  et  il  ne 
respire  que  la  guerre.  Il  s'est  mêlé  dans  le  genre  humain 
un  esprit  de  dissension  et  d'hostilité  qui  bannit  pour  tou- 
jours le  repos  du  monde.  Ni  les  lois ,  ni  la  raison ,  ni  l'au- 
torité ne  sont  pas  capables  d'empêcher  que  l'on  ne  voie 
toujours  parmi  nous  la  confiance  tremblante  et  les  amitiés 
incertaines ,  pendant  que  les  soupçons  sont  extrêmes ,  les 
jalousies  furieuses,  les  médisances  cruelles,  les  flatteries 
malignes,  les  inimitiés  implacables.  » 

Ce  ne  sont  pas  seulement  les  Lettres  à  Vohisien  (2)  et  à 
Hotioratus ,  sur  la  Grâce  du  Nouveau  Testament ,  que  Bos- 
suet  cite  dans  ses  Sermons  :  ce  sont  encore  la  Lettre  à  Pau- 
line sur  la  vision  de  Dieu  (il3),  la  Lettre  à  saint  Paulin  de 
Noie  (414),  la  Lettre  à  Probus  (3),  la  Lettre  au  comte  Boni- 


(I)  Ibidem,  lib.  XII,  cliap.  xxvii. 

(-2  Volusien  était  un  païen  qui,  dans  un  entretien  avec  ses  amis,  après  avoir 
causé  de  rhétorique  et  de  philosophie  ,  avait  entendu  élever  les  plus  graves  dil- 
lic-ultés  rentre  le  mystère  de  l'Incarnation.  Saint  Augustin,  interrogé  sur  ces 
difficultés,  y  répondit  par  une  Letlre  qui  fut  un  événement  et  où  il  rend  compte 
du  mystère  d'un  Dieu  fait  homme  avec  autant  de  clarté  que  de  profondeur  (41-2). 

(3)  isossuet  cite  à  plusieurs  reprises,  entre  autres  dans  le  Sermon  sur  la  Charité 
fralerneUe,  Carême  de  Saint-Germain,  un  passage  de  cette  letlre  CXXX,  n.  4  : 
.  Tant  il  est  vrai  que  rien  n'est  plaisant  à  l'homme,  s'il  ne  le  goûte  avec  quelque 
autre  homme,  dont  la  société  lui  plaise  :  Nihil  est  liomini  amicv.m  sine  homine 
amico.  » 


174  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

face  sur  les  devoirs  des  hommes  de  guerre  (  1  ) ,  la  Lettre 
c\x\ksahitr  Proba  (2) ,  les  Lettres  xxii,  xxiv,  xxxviii,  xlii, 

CXXXVII,   CXXXVIIl,    CXXXIX,  CLIll,    CLXXVIl,    CLXXXV,   CCXX , 

et  beaucoup  d'autres  des  270  Lctirrs  de  saint  Augustin. 

Bossuet  s'inspire  aussi  des  autres  ouvrages  de  ce  Père,  et 
d'abord  de  ses  ouvrages  de  philosophie,  de  critique  et  d'é- 
rudition, comme  les  trois  \\\ve,^  contre  les  Académiciens  (3), 
le  traité  de  la  Musique  (4),  le  traité  du  Libre  arbitre  (5),  les 
Confessions  et  \es  Rétractations.  —  Les  Confessions ,  dont 
les  13  livres  ont  été  écrits  par  saint  Augustin  en  iOO  et  dont 
les  deux  premiers  tiers  sont  l'histoire  d'une  g-rande  âme 
cherchant  la  vérité  et  le  bonheur  et  ne  les  trouvant  qu'en 
Dieu ,  tandis  que  le  dernier  tiers  égale ,  s'il  ne  le  surpasse , 
tout  ce  que  la  philosophie  a  produit  de  plus  élevé,  de  plus 
profond,  les  Confessions  fournissent  à  Bossuet  d'admirables 
citations  et  en  particulier  tout  un  passage  d'un  beau  Ser- 
nwn  pour  la  Véture  d'une  postulante  Bernardine ,  prononcé 
le  28  août  1659.  Il  veut  montrer  que  la  vie  religieuse  nous 
affranchit  d'une  triple  servitude ,  servitude  du  péché ,  ser- 

(1)  Cette  lettre,  écrite  en  418,  est  i-itée  assez  souvent  par  Bossuet,  surtout  de 
m\-l  a  1ti70. 

(2)  •  Saint  Augustin,  mes  frères,  lisons-nous  dans  le  Sermon  sur  les  nécessités 
de  la  vie.  Carême  des  Minimes,  KMK).  dans  son  Epilre  CXXXI,  (nunc  CXXX),  instrui- 
sant la  veuve  sainte  Prolie,  cette  illustre  dame  romaine,  de  quelle  sorte  les  chré- 
tiens pouvaient  désirer  pour  eux  ou  pour  leurs  enfants  les  charges  et  les  digni- 
tés du  siècle,  le  décide  par  cette  belle  distinction.  Si  on  les  désire,  non  pour 
elles-mêmes,  mais  ]>our  faire  du  bien  aux  autres  (|u[  sont  soumis  à  notre  pou- 
voir, Si  lU  per  hoc  coasulatit  vis  qui  vivunt  sub  cis,  ce  désir  peut  être  permis, 
Que  si  c'est  pour  contenter  leur  ambition  par  une  vaine  ostentation  de  grandeur, 
cela  n'est  pas  bienséant  à  des  chrétiens.  » 

(3)  C'est  un  ouvrage  de  la  jeunesse  de  saint  Augustin.  Dédié  à  Romanien,  il 
roule  sur  celte  question  :  Sommes-nous  obligés  de  connaître  la  vérité?  à  laquelle 
on  répond  dans  trois  entretiens  au  pied  d'un  arbre  de  Cassiciacuni .  dans  une 
prairie,  près  de  Milan.  «  Saint  Augustin,  dit  Bossuet  (Carême  du  Louvre.  Fêle  de 
l'Anno/icialion) ,  esl  ndmivaMe ,  et  il  avait  bien  pénétré  toute  la  sainteté  de  ce 
mystère,  quand  il  a  dit  qu'un  Dieu  s'est  lait  homme  par  une  bonté  populaire: 
Pojmlari  r/undam  rlcmculia  {Contra  Academicos,  lib.  Hl,  42).  Qu'est-ce  qu'une 
bonté  populaire?  etc. 

(4)  Les  six  livres  de  la  Musique,  commencés  en  38"  et  terminés  en  38i).  ont  pour 
but  de  mènera  Dieu,  à  l'harmonie  ('ternelle,  ceux  qui  aiment  les  lettres  et  la 
poésie  :  ils  sont  un  curieux  monumont  de  l'art  dans  ci't  âge  reculé.  —  Bossuet 
s'en  inspire  dans  le  Carême  dos  Carmélites.  Sermon  sur  lu  pénitence.  «  Le  temps, 
dit  saint  Augustin,  est  une  imitati(in  de  l'éternité.  Faible  imitation,  je  l'avoue.  — 
Ce  (|uc  le  temps  ne  |)eut  égaler  jiar  la  i)erinanencc,  il  tache  de  l'imiter  par  la 
succession.  » 

Vi)  Ce  traité  en  trois  livres,  fut  composé  eu  3!i.';.  —  Bossuet  le  cite  en  UKJîi,  en 
KK)".  Il  en  sera  question  à  propos  du  livre  de  notre  orateur,  <|ui  porte  le  même 
titre  que  celui  de  saint  Augustin,  le  Traité  dû  libre  arbitre,  composé  pour  l'édu- 
(;alion  pliilosophicjuc  du  tirand  Dau|iliin.  lils  de  Louis  XIV. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  ORATEUR.  175 

vitude  des  passions,  servitude  de  l'empressement.  «  Pour- 
quoi, dit-il,  interroger  [les enfants  du  siècle],  puisque  nous 
avons  devant  nous  un  homme  qui,  ayant  passé  par  les  deux 
épreuves  de  la  liberté  des  pécheurs  et  de  la  liberté  des  en- 
fants de   Dieu,  peut    nous    en  instruire    par   son  propre 
exemple?  C'est  vous  que  j'entends,  ô  grand  Augustin.  Car 
peut-on  se  taire  de  vous  aujourd'hui  que  toute  l'Église  ne 
retentit  que  de  vos  louanges,  et  que  tous  les  prédicateurs 
de  lÉvangile,  dont  vous  êtes  le  père  et  le  maitre,  tâchent 
de  vous  témoigner  leur  reconnaissance?  Que  j'ai  de  dou- 
leur, ô  très  saint  évoque,  ô  docteur  de  tous  les  docteurs, 
de  ne  pouvoir  m'acquitter  d'un  si  juste  hommage?  Mais  un 
autre  sujet  me  tient   attaché,  et  néanmoins  je  dirai,  ma 
sœur,  ce  qui  servira  pour  vouséclaircir  de  cette  liberté  que 
je  vous  prêche.  Augustin  a  été  pécheur,  Augustin  a  goûté 
cette  liberté  dont  se  vantent  les  enfants  du  monde;  il  a  con- 
tenté ses   désirs,  il  a  donné  à  ses  sens  ce  qu'ils  deman- 
daient. C'est  ainsi  que  les  pécheurs  veulent  être  libres.  Au- 
gustin aimait  cette  liberté;  mais  depuis  il  a  bien  conçu 
que  c'était  un  misérable  esclavage.  —  Quel  était  cet  escla- 
vage, mes  sœurs?  Il  faut  qu'il  vous  l'explique  lui-même 
par  une  pensée  délicate ,  mais  pleine  de  vérité  et  de  sens. 
J'étais  dans  la  plus  dure  des  captivités.  Et  comment  cela? 
Il  va  vous  le  dire  en  un  petit  mot  :  «  Parce  que  faisant  ce 
que  je  voulais,  j'arrivais  où  je  ne  voulais  pas  :   Quoniam 
volens ,  qiio  nollem  perveneram  (1).  Quelle  étrange  contra- 
diction! Se  peut-il  faire,  âmes  chrétiennes,  qu'en  allant  où 
l'on  veut,  l'on  arrive  où  l'on  ne  veut  pas?  Il  se  peut,  et 
n'en  doutez  pas;  c'est  saint  Augustin  qui  le  dit;  et  c'est 
où  tombent  tous  les  pécheurs;  ils  vont  où  ils  veulent  aller; 
ils  vont  à  leurs  plaisirs,  ils  font  ce  qu'ils  veulent  :  voilà  l'i- 
mage de  la  liberté  qui  les  trompe;  mais  ils  arrivent  où  ils 
ne  veulent  pas  arriver,  à  la  peine  et  à  la  damnation  qui 
leur  est  due  :  et  voilà  la  servitude  véritable  que  leur  aveu- 
glement leur  cache.  Ainsi,  dit  le  grand  Augustin,  étrange 
misère!  en  allant  par  le  sentier  que  je  choisissais,  j'arri- 

(1)  Confessions,  liv.  Mil,  cap.  v. 


176  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

vais  au  lieu  que  je  fuyais  le  plus;  en  faisant  ce  que  je  vou- 
lais, j'attirais  ce  que  je  ne  voulais  pas,  la  vengeance,  la 
damnation,  une  dure  nécessité  de  pécher  que  je  me  fai- 
sais à  moi-même  par  la  tyrannie  de  l'habitude  :  Dum  cou- 
sue tudi  ni  710 fi  résistif ur,  facta  est  nécessitas  (1).  Je  croyais 
être  libre,  et  je  ne  voyais  pas,  malheureux,  que  je  forgeais 
mes  chaînes  par  l'usage  de  ma  liberté  prétendue;  je  met- 
tais un  poids  de  fer  sur  ma  tète,  que  je  ne  pouvais  plus  se- 
couer; et  je  me  garrottais  tous  les  jours  de  plus  en  plus  par 
les  liens  redoublés  de  ma  volonté  endurcie.  Telle  était  la 
servitude  du  grand  Augustin,  lorsqu'il  jouissait  dans  le 
siècle  de  la  liberté  des  rebelles.  Mais  voyez  maintenant,  ma 
sœur,  comme  il  goûte  dans  la  retraite  la  sainte  liberté  des 
enfants. 

«  Quand  il  eut  pris  la  résolution  que  vous  avez  prise ,  de 
renoncer  tout  à  fait  au  siècle,  d'en  quitter  tous  les  hon- 
neurs et  tous  les  emplois,  de  rompre  d'un  même  coup  tous 
les  liens  qui  l'y  attachaient,  pour  se  retirer  avec  Dieu,  ne 
croyez  pas  qu'il  s'imaginât  qu'une  telle  vie  fût  contrainte. 
Au  contraire,  ma  chère  sœur,  combien  se  trouva-t-il  allégé? 
quelles  chaînes  crut-il  voir  tomber  de  ses  mains?  quel  poids 
de  dessus  ses  épaules?  avec  quel  ravissement  s'écria-t-il  : 
«  0  Seigneur,  vous  avez  rompu  mes  liens  !  »  Quelle  dou- 
ceur inopinée  se  répandit  tout  à  coup  dans  son  âme ,  de  ce 
qu'il  ne  goûtait  plus  ces  vaines  douceurs  qui  l'avaient 
charmé  si  longtemps!  Qucun  suave  subito  mihi factum  est 
carere  siiavitatibus  nucjarum  (2).  iMais  avec  quel  épan- 
chement  de  joie  vit-il  naître  sa  liberté,  qu'il  n'avait  pas 
encore  connue;  liberté  paisible  et  modeste,  qui  lui  fit 
baisser  humblement  la  tête  sous  le  fardeau  léger  de  Jésus- 
Christ  et  sous  son  joug  agréable  :  De  quo  nno  altoque  se- 
creto  erocatum  est  in  momento  Uberum  arbitrium  meum, 
quo  siibdereni  cerricem  levi  jn'/o  ttio.  C'est  lui-même  qui 
nous  raconte  ses  joies,  au  IX'  livre  de  ses  Confessions ,  avec 
un  transport  incroyable. 

(I)  Confessions .  liv.  Vin,c.  "J. 
(-2)  Ibidem,  IX,  c.  i. 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  ROSSUET  ORATEUR.  177 

«  Croyez-moi,  ma  très  chère  sœur,  ou  plutôt  croyez  le 
grand  Aug'ustin ,  croyez  une  personne  expérimentée  :  vous 
éprouverez  les  mêmes  douceurs  et  la  même  liberté  d'esprit, 
dans  la  vie  dont  vous  commencez  aujourd'hui  l'épreuve, 
si  vous  y  êtes  bien  appelée.  » 

Bossuet  invoque  encore  le  témoignage  de  saint  Augustin 
pour  faire  voir  (second  point)  comment  Dieu  «  n'a  pas  de 
moyen  plus  efficace  de  nous  dégoûter  des  plaisirs  où  nos 
passions  nous  attirent  que  de  les  mêler  de  mille  douleurs 
qui  nous  empêchent  de  les  trouver  doux.  C'est  ce  qu'il  nous 
a  montré  par  plusieurs  exemples;  mais  le  plus  illustre  de 
tous,  c'est  celui  de  saint  Augustin.  Il  faut  qu'il  vous  raconte 
lui-même  la  conduite  de  Dieu  dans  sa  conversion,  qu'il 
vous  dise  par  quel  moyen  il  a  modéré  l'ardeur  de  ses  con- 
voitises et  abattu  leur  tyrannie.  Écoutez,  il  va  vous  le  dire; 
nous  nous  sommes  trop  bien  trouvés  de  l'entendre  pour  lui 
refuser  notre  audience. 

«  Voici  qu'il  élève  à  Dieu  la  voix  de  son  cœur  pour  lui 
rendre  ses  actions  de  grâces.  Mais  de  quoi  pensez-vous  qu'il 
le  remercie?  Est-ce  de  lui  avoir  donné  tant  de  bons  succès, 
de  lui  avoir  fait  trouver  des  amis  fidèles  et  tant  d'autres 
choses  que  le  monde  estime?  Non,  ma  sœur,  ne  le  croyez 
pas.  Autrefois,  ces  biens  le  touchaient;  il  témoignait  de  la 
joie  en  la  possession  de  ces  biens;  il  parle  maintenant  un 
autre  langage.  Je  vous  remercie,  dit-il,  ù  Seigneur,  non  des 
biens  temporels  que  vous  m'accordiez,  mais  des  peines  et 
des  amertumes  que  vous  mêliez  dans  mes  voluptés  illicites. 
J'adore  votre  rigueur  miséricordieuse,  qui  par  le  mélange 
de  cette  amertume  travaillait  à  m'ôter  le  goût  de  ces  dou- 
ceurs empoisonnées.  Je  reconnais,  ô  divin  Sauveur,  que 
vous  m'étiez  d'autant  plus  propice  que  vous  me  troubliez 
dans  la  fausse  paix  que  mes  sens  cherchaient  hors  de  vous 
et  que  vous  ne  me  permettiez  pas  de  m'y  reposer  :  Te  pvo- 
jjitio  tanto  magU,  quanta  minus  sinebas  niihi  didcescere 
quod  non  eras  tu  (1)  ». 


Il)  Confessions,  liv.  VI,  c.  vi. 

BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PÈRES. 


178  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

Bossuet  a  rappelé  ces  beaux  enseignements  des  Confes- 
sions dans  le  Carême  de  Saint-Germain,  1G66,  Sermon  pour 
la  Fête  de  la  Purificalion  (1),  premier  point. 

Un  autre  souvenir  heureux  du  même  ouvrage  de  saint 
Augustin,  c'est  le  suivant  dans  le  Sermon  sur  la  Fetnme 
adullvre,  16G3  :  «  Les  deux  vices  les  plus  ordinaires  et 
les  plus  universellement  étendus  que  je  vois  dans  le  genre 
humain ,  c'est  un  excès  de  sévérité  et  un  excès  d'indul- 
gence :  sévérité  pour  les  autres ,  et  indulgence  pour  nous- 
mêmes.  Saint  Augustin  l'a  bien  remarqué  et  l'a  exprimé 
élégamment  en  ce  petit  mot  :  Curiosum  genus  est  ad  co- 
fjnoseendam  mtam  alienam,  desidiosum  ad  eorrigendam 
suatn  ('2).  Ah!  dit-il,  que  les  hommes  sont  diligents  à  re- 
chercher la  vie  des  autres ,  mais  qu'ils  sont  lâches  et  pa- 
resseux à  corriger  leurs  propres  défauts  !  Voilà  donc  deux 
mortelles  maladies  qui  affligent  le  genre  humain  :  juger 
les  autres  en  toute  rigueur,  se  pardonner  tout  à  soi-même  ; 
voir  le  fétu  dans  l'œil  d'autrui ,  ne  voir  pas  la  poutre  dans 
le  sien .  etc.  » 

Les  Rétractation^!,  de  saint  Augustin,  ou  mieux  la  Révision 
de  ses  ouvrages,  De  recensione  librorum,  composée  en  428 
comme  un  grand  examen  de  conscience  philosophique , 
théologique  et  historique ,  ne  pouvait  pas  fournir  à  Bossuet 
Jjeaucoup  de  détails  oratoires  :  il  la  cite  cependant  à  pro- 
pos de  l'étymologie  du  mot  religion  (3). 

Il  s'inspire  plus  souvent  des  ouvrages  ou  commentaires  de 
saint  Augustin  sur  l'Ancien  et  le  Nouveau  Testament.  — 
Ainsi,  il  a  recours  plusieurs  fois  aux  douze  livres  Sur  le  sens 
littéral  de  la  Genèse,  De  Genesi  ad  lit  ter  am,  composés  en 
4.01  et  publiés  en  415  (4),  et  aux  livres  De  la  Genèse  contre 
les  Manichéens  (5).  —  Ainsi  encore,  les  Explications  sur  les 
Psaumes ,  Enarrationes  in  Psalmos ,  faites  presque  toujours 
par  saint  Augustin  devant  le  peuple  d'Ilippone,  415-41(),  et 

(I)  Voir  Lebarq,  l.  V,  p.  10. 

(-2)  Confessions,  liv.  X,  c.  m. 

(;»)  l.cbarq,  t.  V,  p.  i">.'t.  Sermon  sur  V Assomption  de  la  sainte  Vierge.  15  aoûlKHi". 

(4)  Voir  ce  (|ui  en  sera  dil  à  propos  du  Discours  sur  l'Histoire  universelle. 

{;,)  Voir  I.ehani,  l.  III,  p.  1"i:t,  ïî.'iO,  (;-;{. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  ORATEUR.  179 

remarquables  par  leur  éloquence  autant  que  par  la  solidité 
de  leur  morale,  sont  invoquées  à  maintes  reprises  .par  Bos- 
suet  (1),  qui  ne  se  lasse  pas  de  leur  emprunter  des  sentences 
profondes ,  des  aperçus  originaux  et  des  considérations  éle- 
vées. —  Il  cite  aussi  les  quatre  livres  De  raccord  des  Evangé- 
listes,  particulièrement  dirigés  contre  les  païens  en  399  ;  les 
deux  livres  Des  Questirjns  des  Évangiles  (^399  )  ;  les  livres  sur 
le  Sermon  sur  la  montagne.  De  Sermone  Domini  in  monte  (2), 
les  cent  vingt-quatre  Traités  sur  l'Évangile  de  saint  Jean 
et  les  dix  Traites  sur  la  première  Epftre  de  saint  Jean ,  qui 
ne  sont  que  des  homélies  prononcées  par  saint  Augustin 
en  416  (3).  Il  cite  enfin  le  livre  De  Verbis  Apostoli,  Des 
paroles  de  C Apôtre. 

Les  ouvrages  de  théologie  dogmatique  (i)  de  saint  Augus- 
tin sont  encore  mis  à  contribution  par  Bossuet  :  il  s'inspire 
du  De  Agone  Christiani ,  Du  Combat  du  Chrétien  (5),  aussi 
bien  que  du  De  Vera  Religione ,  De  la  Véritable  Religion , 
dont  il  a  été  question  plus  haut. 

Bossuet  connaissait  à  fond  tous  les  ouvrages  de  contro- 
verse de  Tévèque  d'Hippone,  et  dans  les  Sermon^:  de  Paris 
1659-1670,  on  trouve  souvent  cités  les  écrits  contre  les  Ma- 
nichéens, surtout  les  trente-trois  livres  Contre  Fauste  (iOO) , 
les  écrits  contre  les  Donatistes,  le  Traité  du  Baptême,  De 
r  Unité  de  F  Église  (404);  les  écrits  contre  les  Pélagiens,  le 
livre  De  la  Nature  et  de  la  Grâce  (415),  les  livres  De  la 
Grâce  et  du  Libre  arbitre  (426) ,  De  la  Correction  et  de  la 
Grâce  (427),  De  la  Prédestination  des  Saints  (429),  et  les 
six  livres  Contre  Julien  (421),  amsi  que  ï Ouvrage  imparfait 


(I)  voir  Lebarq.  t.  lU,  p.  Vi,  103,  181,  -20-2,  -205,  -la-l.  -2-2s.  ;430,  ;!8l.  etc. 
(•2)  Lebarq.  t.  Ill,  p.  Hi-2.  341,  etc. 

(3)  Bossuet  dit  dans  le  Sermon  sur  les  Aii(j<'S  gardiens.  Ki'iO,  à  propos  de  l'amour 
que  tes  esprits  l)ienheiireux  ont  pour  les  hommes  :  «  C'est  ce  que  le  grand  Au- 
gustin nous  explique  admirablement  ])ar  cette  excellente  doctrine,  sur  laquelle 
j'établirai  ce  discours  :  c'est  qu'encore  ((ue  les  saints  anges  soient  si  Tort  au- 
dessus  de  nous  par  leur  dignité  naturelle,  il  ne  laisse  pas  d'être  véritable  que 
nous  sommes  égaux  en  ce  point  que  ce  qui  rend  les  anges  heureux,  (ait  aussi  le 
bonheur  des  hommes.  »  {In  Joannem  Trac.  XXIll.  .">.) 

(4)  On  suit  ici  la  division  des  Œuvres  de  saint  Augustin,  donnée  par  de  Oaus- 
sade,  dans  son  Histoire  de  la  littérature  latine,  p.  i'ii. 

(o)  Voir  Lebarq,  t.  III,  p.  -20r;,  etc. 


180  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

contre  cet  h('>réti(|ac  :  enfin  les  écrits  de  révc(|Lie  d'Hippone 
contre  les  Ariens,  contre  Maximin,  etc. 

Les  iraités  particuliers  et  les  lirrrs  ascétiques  du  grand 
docteur,  De  la  Continence  (1),  Des  Noces  et  de  la  Concu- 
piscence (2),  Du  Bien  du  mariage,  De  Boîio  conjugali 
(401),  De  la  Sainte  Virginité,  De  Sancta  Virginitate 
(401)  (3),  Du  symbole  aux  Catéchumènes,  De  la  Ciruce  du 
Christianisme ,  sont  maintes  l'ois  invoqués  par  Bossuet. 

Mais  où  il  puise  le  plus  fréquemment,  c'est  dans  les  363 
Sermons  et  Homélies  de  saint  Augustin  (4)  :  les  183  Ser- 
mo;i5  sur  l'Écriture  Sainte,  les  88  Sermons  sur  les  principa- 
les fêtes  de  l'année,  les  69  Sermons  sur  les  fêtes  des  Saints, 
les  '23  Sermons  sur  divers  sujets,  et  les  31  Sermons  dont 
l'authenticité  est  douteuse  (5) . 

Saint  Augustin  est  donc  toujours  pour  Bossuet  «  le  doc- 
teur de  tous  les  docteurs  ». 

§  IV. —  Ce  que  Bossuet,  orateur  à  Paris,  doit  à  saint  Chrysostome, 
à  saint  Grégoire  de  Xazianze,  à  saint  Grégoire  le  Grand,  à  saint  Bernard. 

«  A  l'égard  de  saint  Chrysostome,  écrivait-il  au  cardinal 
de  Bouillon,  son  ouvrage  sur  saint  Mattliieu  l'emporte,  à 
mon  jugement.  11  est  bien  traduit  en  français,  et,  en  le 
lisant,  on  pourrait,  tout  ensemble,  apprendre  les  choses  et 
former  le  style.  Au  reste ,  quand  il  s'agit  de  dogmatiser, 
jamais  il  ne  faut  se  fier  aux  traductions.  Les  Homélies  [de 
saint  Jean  Chrysostome  sur  la  Genèse,  excellentes]  —  sur 
saint  Paul,  admirables;  au  peuple  d'Antioche,  très  éloquen- 
tes. —  Quelques  homélies,  détachées,  sur  divers  textes  et 
histoires.  » 

Ce  que  Bossuet  ne  dit  pas  dans  cette  confidence,  c'est  que 
l'étude  du  grand  orateur  grec  a  donné  à  son  éloquence ,  pen- 


(1)  Leharq,  t.  V.  p.  307. 

(i)  Lebarci .  t.  III.  p.  (>().(.  l'a/trfu/rùjue  de  saint  Joseph. 

(:<)  i,ol).in|.  t.  III.  )>.  Mi7.  47:t,  :;.-;;{,  eic. 

(V)  Voir  cil  iiailiculiur  Leltanj ,  t.  111 ,  p.  l!)i,  -2'M,  .'i"2-2,  rJS". 

(.■>)  C'est  là  la  division  donnée  par  les  Bénédictins,  t.  V  dos  Œuvres  de  saint  Aii- 
gusUn.  —  11  y  a,  en  outre  317  Sermons  faussement  attrihués  à  l'évéque  d'Hip- 
pone. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  ORATEUR.  181 

dant  la  période  de  Paris,  une  onction  pénétrante,  un  pathé- 
tique profond  et  un  goût  exquis,  qu'elle  n'avait  pas  toujours 
eus  jusque-là.  Les  Se?'/iio/is  .sur  rHonneur  (1),  sur  la  Cha- 
rité fraternelle  (2  ),  sur  rÉminente  dignité  des  pauvres  dans 
l'Église  (3) ,  et  bien  d'autres  qu'on  pourrait  citer  sont  une 
preuve  admirable  de  l'influence  pratique  exercée  par  saint 
Jean  Ghrysostome  sur  notre  grand  orateur  français. 

Un  autre  Père  grec  auquel  il  doit  Ijeaucoup,  c'est,  au  dire 
de  l'abbc  Le  Dieu  dans  ses  Mémoires  (i),  saint  Grégoire 
de  Nazianze ,  dont  on  a  vu  qu'il  se  servait  particulièrement 
«  pour  donner  au  roi  et  aux  princes  des  instructions  con- 
venables à  leur  état  et  à  leur  cour.  » 

Il  ne  faudrait  pourtant  pas  prendre  ces  paroles  au  pied  de 
la  lettre.  —  Dans  le  Carême  du  Louvre  de  1662  (5) ,  il  n'y  a 
que  quatre  citations  de  saint  Grégoire  de  Nazianze.  La  pre- 
mière se  trouve  dans  l'exorde  du  Sermon  sur  la  Providence , 
10  mars  :  «  Le  grand  théologien  d'Orient,  saint  Grégoire  de 
Nazianze ,  contemplant  la  beauté  du  monde ,  dans  la  struc- 
ture duquel  Dieu  s'est  montré  si  sage  et  si  magnifique ,  l'ap- 
pelle élégamment  en  sa  langue  le  plaisir  et  les  délices  de  son 
Créateur,  etc.  :  »  voir  plus  haut,  page  152.  —  La  seconde 
citation  se  trouve  dans  le  troisième  point  du  Sermon  pour 
la  Fête  de  V Annonciation ,  25  mars  :  «  L'homme  est  établi 
le  médiateur  de  la  nature  visible.  Toute  la  nature  veut  hono- 
rer Dieu  et  adorer  son  principe,  autant  qu'elle  en  est  capa- 
ble. La  créature  insensible,  la  créature  privée  de  raison, 
n'a  point  de  cœur  pour  l'aimer,  ni  d'intelligence  pour  le  con- 
naître... C'est  pourquoi  [l'homme]  est  mis  au  milieu  du 
monde,  industrieux  abrégé  du  monde,  petit  monde  dans  le 
grand  monde,  ou  plutôt,  dit  saint  Grégoire  de  Nazianze  !  6), 
c(  grand  monde  dans  le  petit  monde  »,  parce  qu'encore  que 


(1)  Carême  des  Minimes.  lœo,  et  Carême  de  Saint-Germain.  î(i(iO. 

(-2)  Le  13  février  U\m  et  Carême  du  Louvre,  ir>(i-2. 

(.3)  ir«o!».  Voir  surtout  le  premier  point  de  ce  magnifique  discours. 

(i)T.  M). -iS. 

(.■;)  On  a  vu  (|u'il  nous  en  restait  douze  chefs-d'ieuvre  sur  dix-iiuit. 

(t>)  Oralio  XLU.  (nunc  XLV;.  n.  L'i. 


18'2  BOSSUËT  ET  LES  SAINTS  PERES. 

selon  le  corps,  il  soit  renfermé  dans  le  monde,  il  a  un  es- 
prit et  un  cœur  (pii  sont  plus  grands  que  le  monde  :  afin  que 
contemplant  r  uni  vers  entier  et  le  ramassant  en  lui-même, 
il  l'offre,  il  le  sanctifie,  il  le  consacre  au  Dieu  vivant;  si 
bien  qu'il  iiest  le  contemplateur  et  le  mystérieux  abrégé 
de  la  nature  visible  qu'afîn  d'être  pour  elle,  par  un  saint 
amour,  le  prêtre  et  l'adorateur  de  la  nature  visible  et  intel- 
lectuelle. »  —  La  troisième  citation  de  saint  Grégoire  de 
Xazianze  se  lit  dans  le  Sermon  sur  l'efficacité  de  la  péni- 
leuce ,  26  mars:  «  [Jésus-Christj  se  plait  d'assister  les  hom- 
mes, et  autant  que  sa  grâce  leur  est  nécessaire,  autant  coule- 
t-elle  volontiers  sur  eux.  «  Il  a  soif,  dit  saint  Grégoire  de 
Nazianze  (1),  mais  il  a  soif  qu'on  ait  soif  de  lui.  Recevoir 
de  sa  bonté,  c'est  lui  bien  faire;  exiger  de  lui,  c'est  l'obli- 
ger, et  il  aime  si  fort  à  donner  que  la  demande  même  à  son 
égard  tient  lieu  d'un  présent.  »  —  La  quatrième  citation 
«  du  grand  théologien  d'Orient  »  est  dans  le  Sermon  sur  les 
devoirs  des  rois,  2  avril  :  «  Il  est  aisé  de  comprendre  que  de 
tous  les  hommes  vivants,  aucuns  ne  doivent  avoir  dans 
l'esprit  la  majesté  de  Dieu  plus  imprimée  que  les  rois  :  car 
comment  pourraient-ils  oublier  Celui  dont  ils  portent  tou- 
jours en  eux-mêmes  une  image  si  vive,  si  expresse,  si  pré- 
sente?... C'est  pourquoi  saint  Grégoire  de  Nazianze,  prê- 
chant à  Constantinople  en  présence  des  empereurs,  les 
invite  pai  ces  beaux  mots  à  réfléchir  sur  eux-mêmes,  pour 
contempler  la  grandeur  de  la  Majesté  divine  :  «  0  monar- 
ques, respectez  votre  pourpre;  révérez  votre  propre  autorité, 
qui  est  un  rayon  de  celle  de  Dieu  ;  connaissez  le  grand 
mystère  de  Dieu  en  vos  personnes;  les  choses  célestes  sont  à 
lui  seul  ;  il  partage  avec  vous  les  inférieures  :  soyez  donc 
les  sujets  de  Dieu,  comme  vous  en  êtes  les  images  (2).  » 

Voilà,  certes,  une  grande  et  belle  leçon ^  «  donnée  au  roi 
et  aux  princes  »  au  nom  de  saint  Grégoire  de  Nazianze  ;  mais 
c'est  la  seule  dans  toute  la  station. 

Dans  l'Avent  du  Louvre,  1665,  dont  il  nous  reste  cinq 

(1)  Orniio  XL. 

t-2)  (Jratio  WVll  (mille  \\\VI). 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  ORATEUR.  183 

Sermons ,  saint  Grégoire  de  Nazianze  n'est  cité  qu'une  seule 
fois  à  propos  du  Jugement  dentier  :  «  Prévenons,  Mes- 
sieurs, [une]  honte  qui  ne  s'effacera  jamais.  Car  ne  nous 
persuadons  pas  que  nous  recevrons  seulement  à  ce  tribunal 
une  confusion  passagère.  Au  contraire,  nous  devons  enten- 
dre ,  dit  saint  Grégoire  de  Nazianze ,  que  par  la  vérité  im- 
muable de  ce  dernier  jugement,  Dieu  imprimera  sur  nos 
fronts  une  marque  éternelle  d'ignominie  :  Notam  ignomi- 
niae  sempiterncnn  (1).  «  Cette  instruction  ne  s'adresse-t-elle 
pas  à  tout  le  monde  aussi  bien  qu'aux  rois? 

Dans  le  Carême  de  Saint-Germain,  1666,  dont  il  nous 
reste  douze  discours  ou  fragments  de  discours,  on  ne  re- 
lève que  trois  passages  inspirés  par  saint  Grégoire  de  Na- 
zianze. —  Le  premier  est  dans  le  Sermon  sur  le  culte  dû 
à  Dieu ,  2  avril  :  «  Montez  donc  au  temple,  ù  adorateur 
spirituel;  mais  écoutez  dans  quel  temple  il  vous  faut  mon- 
ter. Dieu  est  esprit  et  n'habite  pas  dans  les  temples  maté- 
riels; Dieu  est  esprit,  et  c'est  dans  les  esprits  qu'il  établit 
sa  demeure.  Ainsi  rappelez  en  vous-même  toutes  vos  pen- 
sées... Saint  Grégoire  de  Nazianze  (2)  dit  que  l'oraison 
est  une  espèce  de  mort,  parce  que  premièrement  elle  sé- 
pare les  sens  d'avec  les  objets  externes;  et  ensuite,  pour 
consommer  cette  mort  mystique ,  elle  sépare  encore  l'esprit 
d'avec  les  sens,  pour  le  réunir  à  Dieu  qui  est  son  principe. 
C'est  sacrifier  saintement  et  adorer  Dieu  en  esprit  que  de 
s'y  unir  de  la  sorte  et  selon  la  partie  divine  et  spirituelle  ; 
et  le  véritable  adorateur  est  distingué  par  ce  caractère  de 
celui  qui  n'adore  Dieu  que  de  la  posture  de  son  corps  ou  du 
mouvement  de  ses  lèvres.  »  —  Le  second  passage  inspiré 
par  saint  Grégoire  de  Nazianze  est  dans  le  second  point  du 
Sermon  sur  r Ambitio7i ,  4  avril  :  «  Il  faut  finir  et  vous  dire 
que  la  puissance ,  après  avoir  fait  son  devoir  en  soutenant 
la  justice,  a  encore  une  dernière  obligation,  qui  est  celle 
de  soulager  la  misère.  En  effet,  ce  n'est  pas  en  vain  que 
Dieu  fait  luire  sur  les  grands  du  monde  un  rayon  de  sa 

(1)  Oralio  XV  (mine  XVI). 
{■i.)  Oralio  XI  (uunc  VHl). 


184  BOSSUEÏ  KT  LES  SAINTS  PÉRÈS. 

puissance  toujours  bienfaisante.  Ce  grand  Dieu,  en  les  re- 
vêtant de  l'image  de  sa  gloire,  les  a  aussi  obligés  à  imiter 
sa  ])onté  :  et  ainsi,  dit  excellemment  saint  Grégoire  de  Na- 
zianze  (1),  prêchant  à  Constantinople  en  présence  de  l'em- 
pereur, ils  doivent  se  montrer  des  dieux  en  secourant  les 
affligés  et  les  misérables.  »  C'est  la  leçon  déjà  donnée  en 
1602,  mais  à  un  point  de  vue  différent.  —  En  voici  une  au- 
tre dans  la  Passion,  23  avril  :  «  Les  Scribes  et  les  Phari- 
siens ne  pouvaient  souffrir  Jésus-Christ ,  ni  la  pureté  de  sa 
doctrine,  ni  l'innocente  simplicité  de  sa  vie  et  de  sa  con- 
duite, qui  confondait  leur  hypocrisie,  leur  orgueil  et  leur 
avarice.  «  0  envie,  dit  excellemment  saint  Grégoire  de 
Nazianze  (2),  lu  es  la  plus  juste  et  la  plus  injuste  de  toutes 
les  passions  :  injuste  certainement,  puisque  tu  affliges  les 
innocents;  mais  juste  aussi  tout  ensemble,  parce  que  tu  pu- 
nis les  coupables;  injuste  encore  une  fois,  parce  que  tu  in- 
commodes tout  le  genre  humain;  mais  juste  en  cela  sou- 
verainement que  tu  commences  ta  maligne  opération  par 
le  cœur  où  tu  es  conçue.  »  Les  pontifes  des  Juifs  et  les  Phari- 
siens, tourmentés  nuit  et  jour  de  cette  lâche  passion,  s'em- 
portent aux  derniers  excès  contre  le  Sauveur,  et  joignent 
ensemble ,  pour  l'accabler,  tout  ce  qu'a  la  dérision  de  plus 
outrageuxet  la  cruauté  de  plus  sanguinaire.  »  —  Sont-ce  là 
des  instructions  «  données  au  roi  et  aux  princes  »  seuls? 

Durant  l'Avent  de  Saint-Germain  en  Laye,  166!),  dont  il 
nous  reste  sept  Sermons,  saint  Grégoire  de  Nazianze  n'est 
cité  qu'une  fois,  dans  le  Sermon  siir  la  Toussaint  :  «  Je  ne 
m'étonne  pas,  chrétiens,  si  saint  Grégoire  de  Nazianze  (3) 
les  appelle  dieux  (les  élus) ,  puisque  ce  titre  leur  est  bien 
mieux  dû  qu'aux  princes  et  aux  rois  du  monde  à  qui  David 
l'attribua.  » 

Il  est  vrai  que  M.  l'abbé  Lebarq  signale  avec  raison  (4), 
dans  les  Notrs  écrites  par  Bossuet ,  en  1666,  tout  un  para- 


ci)  o>-a/(o  XXVI[. 

(-2)  Ibidem. 

(.'<)  Ornlio  XI.. 

(4)  Histoire  critique  de  la  Prédication  de  Bossuet,  ]).  1,'i. 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  ORATEUR.  185 

graphe  sur  la  clémence,  tiré  du  17^  discours  de  saint  Gré- 
goire de  Nazianze.  Bossuet  s'en  est  souvenu  en  écrivant  son 
beau  Semnon  sur  la  Justice,  18  avril  :  Tobjet  du  troisième 
point,  c'est  de  «  faire  voir  que  la  justice  doit  être  exercée 
avec  quelque  tempérament,  qu'elle  devient  inique  et  insup- 
portable, quand  elle  use  de  tous  ses  droits,  siimuiiini  Jus, 
siimma  injuria,  et  que  la  bonté  qui  modère  sa  rigueur 
extrême ,  est  une  de  ses  parties  principales  » . 

Il  est  vrai  encore  que  Bossuet  s'est  inspiré  de  saint  Gré- 
goire de  Nazianze  pour  ces  magnifiques  Oraisons  funrbrcs , 
dans  lesquelles  il  sait  si  bien,  à  l'occasion  des  morts ,  donner 
aux  vivants  de  grandes  et  hautes  leçons.  —  Il  le  cite  à  trois 
reprises  dans  V Oraison  funèbre  du  P.  Bourgoing,  1662  (1), 
Mais  c'est  plutôt  pour  l'ensemble  de  sa  doctrine  que  pour 
tel  ou  tel  passage  particulier  que  «  le  grand  théologien 
d'Orient  »  est  mis  à  contribution.  —  Saint  Ambroise ,  saint 
Augustin ,  Tertullien  et  saint  Chrysostome  sont  cités  dans 
Y  Oraison  funèbre  d'Henriette  d'Angleterre,  1670  :  saint 
Grégoire  de  Nazianze  ne  l'est  pas.  —  Il  le  sera  dans  V  Oraison 
funèbre  de  Marie-Thérèse  d'Autriche  (1683),  où  Bossuet  rap- 
pelle le  mot  de  ce  Père  sur  les  estropiés,  «  restes  d'hom- 
mes (2)  »,  et  dit  dans  la  péroraison  :  «  Prêtez  l'oreille  aux 
graves  discours  que  saint  Grégoire  de  Nazianze  adressait 
aux  princes  et  à  la  maison  régnante  :  «  Respectez ,  leur 
disait-il  (3),  votre  pourpre  »;  respectez  votre  puissance  qui 
vient  de  Dieu  et  ne  l'employez  que  pour  le  bien.  Connais- 
sez ce  qui  vous  a  été  confié,  et  le  grand  mystère  que  Dieu 
accomplit  en  vous.  Il  se  réserve  à  lui  seul  les  choses  d'en 
haut  ;  il  partage  avec  vous  celles  d'en  bas  :  montrez-vous 
dieux  aux  peuples  soumis,  en  imitant  la  bonté  et  la  muni- 
ficence divine  ».  —  Saint  Grégoire  de  Nazianze  n'est  cité  ni 
pour  la  Princesse  Palatine,  1685,  ni  pour  Michel  le  Tellier, 
1686,  ni  pour  le  Prince  de  Condé,  1687. 

Il  faut  pourtant  en  croire  Bossuet,  qui  conseillait  au  jeune 


(I)  Exorde  et  premier  j^oint, 
(-2)  Oralio  XVI.- 
(;5)  Oratio  xxvn. 


186  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

cardinal  de  Bouillon  de  lire,  en  même  temps  que  le  Péda- 
gogue de  Clément  Alexandrin,  «  quelques  discours,  choisis, 
de  saint  Grégoire  de  Nazianze,  [auteur]  très  propre  à  rele- 
ver le  style  ».  —  Ne  serait-ce  donc  pas  à  lui  que  Bossuet 
devrait,  sinon  le  style,  du  moins  le  ton  si  soutenu  et  si  élevé 
de  ses  Oraisons  funèbres,  où  il  n'y  a  pas  l'abandon  et  la 
simplicité  familière  qui  sont  un  des  plus  grands  charmes  des 
Sermons  de. Metz,  de  Paris  et  de  Meaux? 

Bossuet  «  conseille  encore  beaucoup  le  Pastoral  de  saint 
Grégoire,  surtout  la  troisième  partie;  c'est  celle,  ajoute-t- 
il,  si  je  ne  me  trompe,  qui  est  distinguée  en  avertissements 
à  toutes  les  conditions,  —  qui  contiennent  une  morale  admi- 
rable et  tout  le  fond  de  la  doctrine  de  ce  grand  pape  » .  — 
On  lit  dans  le  Sermon  sur  l'intégrité  de  la  pénitence, 
Carême  du  Louvre,  31  mars  1662  :  «  Il  y  a  deux  hommes 
dans  l'homme;...  il  y  a  deux  cœurs  dans  le  cœur  humain; 
l'un  ne  sait  pas  les  pensées  de  l'autre  ;  et  souvent ,  pendant 
que  l'un  se  plaît  au  péché ,  l'autre  contrefait  si  bien  le  pé- 
nitent que  l'homme  lui-même  ne  se  connaît  pas,  qu'il  ment, 
dit  saint  Grégoire ,  à  son  propre  esprit  et  à  sa  propre  cons- 
cience (1).  Mais  il  faut  expliquer  ceci  et  expliquer  à  vos  yeux 
ce  mystère  d'iniquité.  Le  grand  pape  saint  Grégoire  nous 
en  donnera  l'ouverture  par  une  excellente  doctrine,  dans  la 
troisième  partie  de  son  Pastoral,  il  remarque  judicieuse- 
ment, à  son  ordinaire,  que,  comme  Dieu,  dans  la  profon- 
deur de  ses  miséricordes ,  laisse  quelquefois  dans  ses  servi- 
teurs des  désirs  imparfaits  du  mal,  pour  les  enraciner  dans 
l'humilité,  aussi  l'ennemi  de  notre  salut,  dans  la  profon- 
deur de  ses  malices,  laisse  naître  souvent  dans  les  pécheurs 
un  amour  imparfait  de  la  justice,  qui  ne  sert  qu'à  nourrir 
leur  présomption.  Voici  quelque  chose  de  bien  étrange  et 
qui  nous  doit  faire  admirer  les  terribles  jugements  de  Dieu. 
Ce  grand  Dieu,  par  une  conduite  impénétrable,  permet 
que  ses  élus  soient  tentés,  qu'ils  soient  attirés  au  mal,  qu'ils 

(I)  Pastoral,  \\.  I,  c.  ix. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  ORATEUR.  187 

chancellent  même  dans  la  droite  voie ,  et  il  les  affermit  par 
leur  faiblesse;  et  quelquefois  il  permet  aussi  que  les  pé- 
cheurs se  sentent  attirés  au  bien ,  qu'ils  semblent  même  y 
donner  les  mains,  qu'ils  vivent  tranquilles  et  assurés;  et, 
par  un  juste  jugement,  c'est  leur  propre  assurance  qui  les 
précipite.  Qui  ne  tremblerait  devant  Dieu?  qui  ne  redou- 
terait ses  conseils?  Par  un  conseil  de  sa  miséricorde,  le 
juste  se  croit  pécheur,  et  il  s'humilie;  et  par  un  conseil  de 
sa  justice,  le  pécheur  se  croit  juste,  et  il  s'enfle  et  il  mar- 
che sans  crainte  et  il  périt  sans  ressource...  Tremblez  donc, 
tremblez ,  ô  pécheurs  ;  prenez  garde  qu'une  douleur  impar- 
faite n'impose  à  vos  consciences,  et  que,  «  comme  il  ar- 
rive souvent  que  les  bons  ressentent  innocemment  l'attrait 
du  péché ,  auquel  ils  craignent  d'avoir  consenti ,  ainsi  vous 
ne  ressentiez  en  vous-mêmes  un  amour  infructueux  de  la 
pénitence,  auquel  vous  croyiez  faussement  vous  être  ren- 
dus :  Ita plerinnque  mali  inutilifer  compunguntur  ad iu^ti- 
ticmi,  sicut  plf'nirnquf  boni  innoxir  tmtantiir  ad  culpam  », 
dit  excellemment  saint  Grégoire  (1). 

«  Que  veut  dire  ceci,  chrétiens?  Quelle  est  la  cause  pro- 
fonde d'une  séduction  si  subtile?  Il  faut  tâcher  de  la  péné- 
trer pour  appliquer  le  remède  et  attaquer  le  mal  dans  sa 
source.  Pour  l'entendre,  il  faut  remarquer  que  les  saintes 
vérités  de  Dieu  et  la  crainte  de  ses  jugements  font  deux 
effets  dans  les  âmes  :  elles  les  chargent  d'un  poids  acca- 
blant; elles  les  remplissent  de  pensées  importunes.  Voici, 
messieurs,  la  pierre  de  touche  :  ceux  qui  veulent  se  déchar- 
ger de  ce  fardeau  ont  la  douleur  véritable;  ceux  qui  ne 
songent  qu'à  se  défaire  de  ces  pensées,  ont  une  douleur 
trompeuse.  Ah!  je  commence  à  voir  clair  dans  Fabime  du 
cœur  humain  :  ne  craignons  pas  d'entrer  jusqu'au  fond,  à 
la  faveur  de  cette  lumière.  » 

Voilà,  certes,  une  heureuse  inspiration  de  saint  Grégoire 
le  Grand  (2i,  et  un  commentaire  plus  heureux  encore  de 


(I)  Pastoral,  part,  m,  c.  xxx. 

{i)  On  sait  que,  né  à  Konie  d'une  faniille  célélire  par  ses  vertus,  il  abdiqua  à  trente 
ans,  la  dignité  de  préteur  pour  entrer  dans  les  ordres.  Il  fut  nonce  à  Constantino- 


188  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PÈRES. 

notre  grand  orateur.  On  pourrait  en  citer  d'autres  de  1665, 
1666,  1669. 

Mais  il  est  juste  de  faire  remarquer  avec  l'abbé  Le  Dieu 
que  saint  Bernard  fut  pour  Bossuet  un  inspirateur  plus  fé- 
cond que  saint  Grégoire  le  Grand.  «  C'était,  à  son  avis  (1), 
un  des  plus  grands  docteurs  de  l'Église  après  saint  Augustin, 
son  vrai  disciple  et  très  attaché  à  ses  principes.  Ce  fut  aussi 
celui  auquel  il  s'appliqua  davantage  par  la  conformité  de 
la  doctrine,  et  il  le  possédait  parfaitement  ».  —  On  s'en 
aperçoit  à  la  lecture  des  Sermons  sur  la  sainte  Vierge ,  du 
Sermon  pour  la  Nativité,  1659  (2),  du  Sermon  pour  l' An- 
nonciation,  Carême  des  Carmélites,  1661  (3),  du  Sermon 
jiour  r Assomption ,  1663  (i),  et  d'autres  Sermons  assez  nom- 
breux où  Bossuet  s'inspire  largement  de  saint  Bernard,  son 
compatriote  et  le  plus  éloquent  orateur  du  moyen  âge. 

C'est  ainsi  que,  pendant  la  période  si  féconde  de  sa  pré- 
dication à  Paris  ,  1659-1682,  il  prend  aux  Pères  de  l'Eglise 
la  fine  fleur  de  leur  doctrine  et  de  leurs  sentiments  pour 
en  faire  la  substance  même  de  ses  immortels  discours. 

Lorsque  le  temps  lui  manque  pour  composer  ses  ser- 
mons, il  se  contente  de  jeter  sur  le  papier  les  textes  de 
l'Écriture  et  des  Pères ,  dont  il  veut  se  servir  et  qui  sont 
comme  la  trame  de  ses  discours.  —  {^'Esquisse  du  Panégy- 


ple  et  proclamé  pape  d'une  voix  uaanime,  à  la  mort  de  Pelage  II.  il  accepta  avec 
peine  une  dignité  qu'il  exerça  de  "iiiO  à  (iOi,  avec  un  zèle  et  une  gloire  admirables, 
il  sauva  Home  de  la  famine,  comt)altit  les  hérésies,  abolit  l'esclavage,  convertit  la 
Grande-Bretagne.  —  C'est  le  pape  dont  il  nous  reste  le  plus  d'écrits,  4  vol.  in- 
folio, no-i. 

(1)  Mémoires,  t.  I,  p.  57. 

(2)  '  Prions-la  avec  saint  Bernard  (|u'ellc  parle  jiour  nous  au  cœur  de  son 
Fils  :  Lof/ualur  ad  cor  Domini  nostri  Jcsu  Chrisli.  «  (Troisième  point.  Lobarq,  III. 
p.  70). 

(3)  «  Puisqu'il  est  le  Sauveur,  faisons  de  lui  notre  salut  :  l'tamur  noslro  in  nos- 
tram  utililatcm:  de  salvatore  salutcin  operemur.  »  Homélies  sur  l'Évangile  Mis- 
sus  est.  (I.ebarq,  lll,  p.  (;;«>). 

(4)  Bossuet  y  cite  à  plusieurs  reprises  les  Sermons  de  saint  Bernard  sur  le  Can- 
tique  des  Cantif/ues  :  «  Vox  lurluris  audila  est  in  terra  nostra  :  Reverlere . 
revertere.  C'est  le  gémissement  de  l'Église,  (jui  rapjx'lle  son  clier  i:()0ux.  qu'elle 
n'a  possédé  qu'un  moment,  l.a  nouvelle  Épouse,  dit  saint  Bernard  ,  se  voyant  aban- 
donnée et  privée  de  son  uni(|ui' espérance,  autant  elle  était  allligée  de  l'absence  do 
son  lipoux,  autant  devait-elle  avoir  d'empressement  pour  solliciter  son  retour... 
Siilj  xunijra  iliinx  i/nnn  drsidrravvram  sedi...  Son  ombre,  dit  saint  Bernard,  c'est 
sa  croix:  son  ombre,  c'est  la  loi.  etc. 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  ORATEUR.  181) 

nquc  de  saint  Sti/pice,  19  janvier  1664,  en  est  une  preuve 
authentique  (1),  ainsi  que  V Esquisse  sur  le  danger  des 
jj/aisirs  des  sens ^  prêché  en  166'i'  (2),  le  second  point  du 
Sermon  sur  la  véritable  conversion ,  Avent  de  saint  Thomas 
du  Louvre,  1668  (3),  et  l'abrégé  d'un  Sermon  pour  le  troi- 
sième dimanche  après  l'Epiphanie,  1669,  où  Bossuet  com- 
mente l'Ecriture  par  saint  J/^y^^v^///  :  «  Celui  qui  a  été  une 
fois  purifié ,  s'il  devient  lépreux ,  est  condamné  comme 
immonde.  Secunda  praecepta  aeger  accepit  {%).  Quicumque 
maculatus  fuerit  lepra^  et  separatus  est  ad  arbitrium  sacer- 
dotis ,  habebit  vestimenta  dissuta,  capmt  nudum  ac  veste 
I ontectum^  etc.  (5)  ». 

Voilà  comment  Bossuet  prélude  à  ce  qui  sera  son  habi- 
tude constante  dans  la  dernière  période  de  sa  carrière  ora- 
toire. 

Que  si  maintenant,  on  voulait  établir,  une  comparaison 
entre  Bossuet,  Bourdaloue  et  Massillon,  au  point  de  vue  de 
l'imitation  des  saints  Pères,  on  reconnaîtrait  aisément  que 
Massillon  (6)  cite  à  peine  l'Écriture  et  les  Docteurs  de  l'É- 
glise; que  sa  prédication  est  toute  morale ,  toute  philosophi- 
que, «  presque  laïque,  et  que  c'est  ce  défaut,  le  pire  de  tous, 
qui  l'a  fait  préférer  de  Voltaire ,  de  La  Harpe  et  des  Encyclo- 
pédistes, entre  tous  les  prédicateurs,  autant  et  plus  que  sa 
foi  profonde,  son  émotion  sincère  et  ses  analyses  du  cœur 
humain,  dont  l'abondance  cicéronienne  se  développe  en 
belles  périodes,  éclate  parfois  en  mouvements  pathétiques 
et  d'une  forte  éloquence  (7)  ».  On  ne  s'étonnera  donc  pas  de 
voir  Bossuet,  qui  l'entendit  en  décembre  1699,  le  premier 
dimanche  de  l'Avent  et  le  jour  de  la  Conception  de  la  sainte 

(1)  Dans  deux  pages  du  second  et  du  troisième  point,  il  n'y  a  pas  moins  de 
dix-neuf  ou  vingt  textes,  presque  tous  des  Pères.  —  Voir  Lebarq,  IV,  p.  4(iO-4GI. 

(-2)  Le  premier  et  le  troisième  point  sont  uniquement  composés  d'une  série  de 
textes  des  Pères.  —  Voir  Lebarq,  IV,  p,  mi-nri  et  471. 

(.'<)  Toute  une  page,  413,  est  remplie  de  textes  de  saint  Ambroise. 

(i)  Sermons  de  saint  Aurjuslin,  I-XXXVIII,  8,  et  CCLXXVII,  i. 

(.">)  Noir  Lebarq,  V,  p.  WiiJ.  —  Le  même  volume  contient  plusieurs  autres  Esqui- 
scs  de  Sermons  du  môme  genre. 

(())  Voir  Ingold;  VOratoire  et  le  Jansénisme  au  temps  de  Massillon ,  in-8,  1880; 
—  l'ablté  Blampignon ,  la  Jeunesse  de  Massillon,  l'Episcopat  de  Massillon,  in-8, 
1884. 

(7)  Lanson,  Histoire  de  la  Littérature  Française,  in-1-2.  18!>i,  p.  ."iSl. 


190  BOSSUEÏ  ET  LES  SAINTS  PERES. 

Vierge,  louer  «  sa  piété  et  sa  modestie,  sa  voix  douce,  son 
geste  réglé,  la  grâce  de  l'élocution,  des  termes  choisis  et  de 
l'onction  »  dans  ses  discours,  mais  déclarer  que  cet  orateur, 
«  bien  éloigné  du  sublime,  n'y  parviendrait  jamais  (1)  ». 
—  Il  n'en  est  pas  de  même  de  Bourdalotit' ,  et  le  P.  Bre- 
tonneau  qui  publia  ses  OEuvrrs  (1705-173'i-,  16  vol.  in-8), 
Anatole  Feugère  qui  lui  a  consacré  une  étude  charmante , 
Bourdaloue ,  sa  prédication  et  son  temps,  in-8,  1874,  le 
Père  Lauras,  qui  a  écrit  aussi  deux  volumes  sur  Bourda- 
loiic ,  sa  vie  et  sex  œuvres  (Paris,  Bruxelles,  Genève,  2  vol. 
in-8.  1884),  ont  très  bien  montré  que  le  grand  orateur  jé- 
suite connaît  l'Ecriture  et  les  Pères  et  <(  les  cite  en  maître, 
jusqu'à  faire  le  précis  de  tout  un  traité  pour  l'appliquer  à 
la  vérité  qu'il  prêche.  Du  reste,  ce  ne  sont  point  tant  les 
paroles  des  Pères  qu'il  rapporte  que  leur  doctrine  et  leurs 
raisons.  Il  les  développe  et  surtout  il  les  place  si  à  propos 
et  les  fait  tellement  entrer  dans  son  sujet  qu'où  dirait  que 
les  Pères  n'ont  parlé  que  pour  lui.  Des  auteurs  sacrés,  il 
eut  à  ce  qu'il  parait,  plus  assiduement  devant  les  yeux 
Isaïe  et  saint  Paul;  et  des  Pères,  Tertullîen ,  saint  Augus- 
tin et  saint  Jean  Chrysostome ,  parce  qu'il  y  trouvait  plus 
d'énergie  et  de  grandeur   2).  » 

Ce  sont  là  les  Pères  favoris  de  Bossuet  ;  mais  quelle  dis- 
tance entre  les  traductions  et  les  développements  graves  et 
sérieux  que  donne  Bourdaloue  des  textes  des  Docteurs,  bien 
amenés,  scrupuleusement  adaptés  au  sujet,  et  les  com- 
mentaires originaux,  les  trouvailles  de  g'énie,  les  créations 
superbes  que  Bossuet  répand  à  pleines  mains!  Anatole  Feu- 
gère lui-même,  dans  le  chapitre  ii  de  son  Bourdaloue, 
page  112-121,  où  il  examine  l'usage  que  fait  Bourdaloue  de 
l'Écriture  et  des  Pères,  le  compare  à  Bossuet  et  à  Fénelon, 
et  il  conclut  que  ((  Bourdaloue  ne  s'est  pas  autant  que 
Bossuet  et  Fénelon  abreuvé  à  ces  eaux  vives  de  l'Ecriture 
Sainte...  Il  a  retenu  de  l'étude  des  Pères  les  interprétations 


(1)  I.e  Dieu.  Journal,  t.   1 ,  p.  "2  et  ;t.  —  Ku  1700,  Bossuet  liu  «  très  content 
•lu  Sermon  île  Massillon  sur  la  Samnrilaine ,  p.  I"(>. 
{'2)  Préface  des  Œurrcs  de  Rourdaloue  par  le  P.  Bretonneau. 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  ORATEUR.  lîtl 

lumineuses  et  profondes,  mais  aussi  les  commentaires  sulj- 
tils  et  les  applications  de  mauvais  g-oiit  :  il  ne  leur  a  pas 
dérobé  le  sentiment  de  la  grandeur  biblique ,  si  vif  chez 
les  Chrysostome  et  les  Augustin  et  qui  perce  à  travers  tou- 
tes les  subtilités  de  l'exégèse.  Chez  Fiourdaloue,  comme 
chez  tant  d'autres,  Férudition  et  le  commentaire  ont  étoufTé 
le  sentiment.  On  le  regrette  pour  son  éloquence.  » 

Quelle  distance  d'ailleurs,  entre  l'éloquence  morale,  pra- 
tique, substantielle,  sévère  de  Bourdaloue,  elles  audaces 
sublimes,  les  envolées  lyriques  de  Bossuet,  s'élevant  vers 
l'infini  à  la  suite  de  saint  Augustin ,  tantôt  s'arrêtant  ébloui 
devant  des  mystères  insondables,  tantôt  se  sentant  à  l'aise 
dans  ces  libres  espaces  où  se  déploie  le  vol  de  sa  pensée 
et  où  l'on  dirait  qu'il  tient  la  lyre  de  David  et  d'Isaïe.  pour 
chanter  les  inénarrables  grandeurs  de  la  nature  divine  ! 

Comment  donc  le  P.  de  la  Broise,  après  avoir  très  bien 
décrit  l'éloquence  biblique  de  Bossuet,  peut-il  affirmer 
que  Bossuet  «  nous  jette  au  milieu  d'une  forêt  de  citations 
et  d'exemples  »,  tandis  que  Bourdaloue  isole  un  verset  de  la 
Bible,  un  texte  des  Pères,  et  l'approfondit,  le  médite,  en 
tire  tous  les  sens  et  toutes  les  applications  qui  lui  convien- 
nent, et  que,  si  de  nos  jours  on  incline  en  général  à  trou- 
ver Bossuet  supérieur,  il  faut  reconnaître  que  «  la  marche 
régulière  et  les  développements  méthodiques  de  Bourda- 
loue le  mettent  mieux  à  la  portée  de  tous  les  auditeurs,  que 
les  traits  sublimes,  mais  courts  et  rapides,  de  Bossuet  (1)  »? 
—  Certes,  on  aurait  mauvaise  grâce  à  blâmer  un  Jésuite 
de  ses  sympathies,  voire  même  de  ses  préférences  pour 
Bourdaloue.  Mais  la  vérité  nous  oblige  à  dire  que  Bossuet 
avait  une  plénitude  de  génie  oratoire,  dont  n'approcha  ja- 
mais Bourdaloue.  Si  Bourdaloue  était  un  dialecticien  grave 
et  pénétrant,  s'il  frappait  «  comme  un  sourd  »  sur  les  vices 
assis  au  pied  de  sa  chaire,  s'il  faisait  trembler  les  courti- 
sans et  dire  à  M™''  de  Sévigné  :  «  Il  m'a  souvent  ôté  la  res- 
piration par  l'extrême  attention  avec  laquelle  on  est  pendu 

(1)  Bossuet  et  la  Bible,  p.  106. 


192  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

à  la  force  et  à  la  justesse  de  son  discours,  et  je  ne  respirais 
que  quand  il  lui  plaisait  de  finir  »,  s'il  arrachait  ce  cri  au 
prince  de  Condé  :  «  Alerte,  voici  l'ennemi!  «  et  cette  in- 
terruption au  maréchal  de  Grammont  :  «  Morbleu!  il  a 
raison!  »  Bossuet,  lui,  n'était-il  pas  un  logicien  aussi  vi- 
goureux, aussi  hardi,  et  n'avait-il  pas  en  outre  l'ardeur, 
l'élan,  le  feu  sacré,  la  main  pleine  d'éclairs?  N'a-t-il  pas 
dit  la  vérité  aux  grands ,  à  la  cour,  au  roi ,  avec  autant  de 
franchise  et  de  courage  apostolique  que  son  illustre  rival? 
Quel  autre  orateur  censura  jamais  plus  énergiquement  les 
habiles,  les  superbes,  les  ambitieux,  les  égoïstes,  les  pha- 
risiens, les  hypocrites,  les  joueurs,  Louis  XIV  et  ses  adul- 
tères royaux?  Bourdaloue  prêche  admirablement  la  mo- 
rale ;  mais  Bossuet,  sans  la  négliger  jamais,  n"est-il  pas 
l'interprète  enthousiaste  du  dogme  catholique? 

Et  qu'on  ne  dise  pas  qu'il  était  moins  «  à  la  portée  des 
auditeurs  »  que  Bourdaloue.  —  Personne  au  dix-septième 
siècle,  n'a  converti  autant  d'âmes  que  Bossuet.  L'onction 
pénétrante  de  ses  paroles  agissait  plus  que  «  ses  traits  subli- 
mes, mais  courts  et  rapides  »,  sur  les  Turenne,  les  Duras, 
les  Dangeau,  les  lord  Perth,  les  La  Vallière,  les  Montespan, 
les  duchesse  d'Orléans,  les  Princesse  Palatine  et  tant  d'autres. 

ABTICLE  III 

Influence  des  saints  Pères  sur  Bossuet  orateur,  pendant 
l'époque  de  Meaux  (8  février  1682  —  18  juin  1702)  (1). 

On  sait  qu'à  cette  époque  le  genre  oratoire  de  Bossuet 
se  transforma  —  non  pas  dans  les  circonstances  solennel- 
les où  il  eut  à  parler  devant  la  cour  de  la  Beine,  1683,  de 
la  princesse  Palatine,  1685,  de  Michel  Le  Tellier,  1686,  et 
du  grand  Condé,  1687  —  mais  dans  les  occasions  très 
nombreuses  où,  pendant  vingt  années  d'épiscopat,  il  s'a- 
dressa aux  fidèles  de  son  diocèse ,  dont  il  disait  si  éloquem- 

(1)  On  met  i~0-2  au  lieu  de  170'»,  parce  (jue  Bossuet   n'a  i)lus  piêrliê  à  partir  de 
no-J. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  ORATEUR.  193 

ment  :  «  Heureux  si ,  averti  par  ces  cheveux  blancs  du 
compte  que  je  dois  rendre  de  mon  administration,  je  ré- 
serve au  troupeau  que  je  dois  nourrir  de  la  parole  de  vie 
les  restes  d'une  voix  qui  tombe  et  d'une  ardeur  qui  s'é- 
teint (1).  » 

Les  «  restes  de  cette  voix  et  de  cette  ardeur  »  ont  été 
vraiment  magnifiques,  puisque  M.  l'abbé  Lebarq  a  relevé 
plus  de  300  discours,  sermons  ou  allocutions  (2),  dont  le 
souvenir  avait  été  recueilli  par  les  contemporains ,  Le  Dieu , 
Raveneau,  Rochard,  les  Procès-verbaux  des  visites  pasto- 
rales, l'Année  Sainte  de  la  Visitation,  etc.  Nous  n'avons,  il 
est  vrai,  que  trente  pièces  oratoires  de  cette  époque,  et  elles 
ne  suffisent  pas  pour  nous  donner  une  idée  complète  de 
l'éloquence  de  Bossuet  à  Meaux.  Qu'il  est  fâcheux  qu'on 
ait  laissé  périr  en  si  g-rand  nombre  les  esquisses  autogra- 
phes du  grand  évêque!  Les  quelques  divisions,  les  quelques 
analyses  souvent  médiocres  (3)  qui  nous  demeurent  de 
ses  Sermons  ne  remplacent  pas  le  style  incomparable  de 
Bossuet. 

Nous  savons,  du  moins,  par  l'abbé  Le  Dieu  comment  Bos- 
suet prêchait  dans  son  diocèse.  Si  le  secrétaire  de  l'évêque 
de  Meaux  s'est  trompé  en  affirmant  que  Bossuet  «  n'a  jamais 
prêché  à  la  cour  de  sermons  étudiés  et  préparés  (4)  »  ,  il  est 
digne  de  foi,  quand  il  parle  de  ce  qu'il  a  vu  à  Meaux.  «  Il 
prêchait  donc  de  génie ,  dit-il ,  et  sa  vivacité  et  son  abon- 
dance lui  donnaient  une  facilité  inconnue  aux  autres  (5). 
La  considération  actuelle  des  personnes,  du  lieu  et  du 
temps  le  déterminaient  sur  le  choix  du  sujet  (6).  Comme 

(1)  Péroraison  de  l'Oratson  funèbre  du  prince  de  Condé. 

(2)  Histoire  critique  de  la  Prédication  de  Bossuet.  p.  270. 

(3)  11  faut  l'aire  exception  pour  les  analyses  des  discours  des  années,  1701.  l'oû, 
que  Le  Dieu  donne  dans  son  Journal  et  qui  sont  particulièrement  précieuses  et 
Intéressantes.  A  cette  date,  d'ailleurs,  Bossuet  «  n'écrivait  rien  de  ses  sermons  ». 
(Lettre  à  la  sœur  Cornuau,  l(i!»8). 

(4)  Mémoires,  p.  iW.  —  Le  Dieu  ajoute  une  chose  très  vraie  :  c'est  que  Bossuet  se 
laissait  trop  presser  par  le  travail,  et  que  sa  l'aniille  et  ses  amis  «  n'ont  cessé  de 
lui  répéter  la  même  chose  toute  sa  vie  ». 

(,'>)  Fénelon  avait,  dit-on,  quelque  chose  de  cette  facilité  étonnante  :  il  parlait 
presque  toujours  d'abondance. 

(6)  Cela  n'est  pas  nouveau  chez  Bossuet,  qui  disait,  en  Kicii).  troisième  Sermon 
pour  ht  fêle  de  la  Conception  :  «  L'utilité  des  lidéles,  ou  des  enfants  de  Dieu,  est  la 
loi  sui)rême  de  la  chaire.  » 

noSSUET   ET   LES   SAINTS   PÈRES.  la 


194  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

les  saints  Prres ,  il  accommodait  ses  instructions  ou  ses  rô- 
préhensions  à  des  besoins  présents;  c'est  pourquoi  pendant 
le  cours  dim  Avent  ou  d'un  Carême,  il  ne  pouvait  se  pré- 
parer que  dans  l'intervalle  d'un  sermon  à  l'autre.  Aussi  ne 
s'est-il  point  chargé  de  ces  grands  Carêmes  où  l'on  prêche 
tous  les  jours  (1);  il  aurait  succombé  au  travail  et  se  se- 
rait épuisé,  tant  son  application  était  grande  et  sa  pronon- 
ciation vive.  Au  travail ,  il  jetait  sur  le  papier  son  dessein , 
son  texte,  ses  preuves,  m  français  ou  en  latin ^  indiffé- 
remment, sans  s'astreindre  ni  aux  paroles,  ni  au  tour  de 
l'expression,  ni  aux  figures  :  autrement,  lui  a-t-on  ouï  dire 
cent  fois,  son  action  aurait  langui  et  son  discours  se  serait 
énervé  (2).  » 

M.  l'abbé  Lebarq,  qui  rapporte  ce  passage  des  Mémoi)'es 
de  l'abbé  Le  Dieu ,  à  la  page  305  de  son  Histoire  critique 
de  la  Prédication  de  Bossiiet ,  supprime  les  mots  «  en  fran- 
çais ou  en  latin,  indifféremment  »,  et  les  met  en  note  en  si- 
gnalant «  la  confusion  que  Le  Dieu  a  pu  faire  entre  les  ca- 
nevas de  sermons  et  les  Remarques  morales.  Pour  mieux 
établir  cette  confusion,  M.  l'abbé  Lebarq  argue,  p.  22, 
d'un  autre  passage  des  Mémoires  de  Le  Dieu  (3)  :  «  Hors  les 
grands  panégyriques  et  peu  d'actions  d'éclat ,  aucun  de  ses 
sermons  n'a  la  forme  d'un  discours  achevé ,  et  plusieurs 
sont  en  latin.  »  —  Cette  assertion  de  l'abbé  Le  Dieu  est  évi- 
demment fausse  pour  l'ensemble  de  la  prédication  de  Bos- 
suet  et  surtout  pour  l'époque  de  Paris.  Mais  le  secrétaire 
de  l'évêque  de  iMeaux  ne  dit-il  pas  l'exacte  vérité  pour  ces 
Esquisses  de  Sermons,  dont  quelques-unes  dataient  de 
1666-1 6G9  et  dont  la  plupart  avaient  été  écrites  à  Meaux? 
Quelques  textes  de  l'Écriture  et  des  Pères,  voilà  ce  que  Bos- 
suet  jetait  sur  le  papier  dès  l'époque  de  Paris,  à  plus  forte 
raison  pendant  qu'il  était  évêque  de  Meaux. 

((  Sur  cette  matière  informe,  continue  l'abbé  Le  Dieu,  il 


(I)  Ces  Carrmcs  étaient  rares,  même  au  (lix-sei)tième  siècle  :  les  grands  Carê- 
mes comportaient  trois  sermons  par  semaine. 
(-2)  Mrmoires,  p.  lOit,  lli». 
(.■<)  I».  118. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  ORATEUR.  195 

faisait  une  méditation  profonde  dans  la  matinée  du  jour  où 
il  avait  à  parler,  et  le  plus  souvent,  sans  rien  écrire  davan- 
tag"e,  pour  ne  se  pas  distraire,  parce  que  son  imagination 
allait  bien  plus  vite  que  n'aurait  fait  sa  main.  » 

Tous  ces  détails  montrent  clairement  que  Le  l)ieu  parle 
de  ce  qu'il  a  vu  faire  par  BoSsuet,  à  Meaux,  et  qu'il  a  seule- 
ment le  tort  de  généraliser,  d'appliquer  à  toute  la  carrière 
oratoire  de  Bossuet  ce  qui  n'est  vrai  que  d'une  partie  de 
cette  carrière. 

«  Maitre,  ajoute-t-il,  de  toutes  les  pensées  présentes  à  son 
esprit,  il  fixait  dans  sa  mémoire  jusqu'aux  expressions  dont 
il  voulait  se  servir;  puis,  se  recueillant  Taprès  dînée,  il  re- 
passait son  discours  dans  sa  tête ,  le  lisant  des  yeux  de  l'es- 
prit comme  s'il  eût  été  sur  le  papier,  y  changeant,  ajoutant 
et  retranchant  comme  l'on  fait  la  plume  à  la  main.  Enfin, 
monté  en  chaire  et  dans  la  prononciation ,  il  suivait  l'im- 
pression de  sa  parole  sur  son  auditoire,  et  soudain,  effaçant 
volontairement  de  son  esprit  ce  qu'il  avait  médité,  attaché 
à  sa  pensée  présente ,  il  poussait  le  mouvement  par  lequel 
il  voyait  sur  le  visage  les  cœurs   ébranlés   ou  attendris. 

((  On  remarque  dans  les  sermons  de  saint  Augustin  que 
souvent,  s'abandonnant  ainsi  à  son  zèle,  il  adressait  tout 
à  coup  la  parole  tantôt  aux  Ariens  et  aux  Manichéens ,  tan- 
tôt aux  Pélagiens  et  aux  Donatistes.  Il  raconte  aussi  lui-même 
dans  sa  Vie  écrite  par  Possidius  (1),  qu'il  croyait  une  fois 
avoir  été  tiré,  par  un  mouvement  d'en  haut,  du  sujet  qu'il 
traitait  et  déterminé  à  réfuter  les  Manichéens  pour  l'ins- 
truction de  quelque  Ame  séduite,  que  Dieu,  qui,  dit-il, 
tient  en  sa  main  nous  et  nos  paroles,  voulait  rappeler  à  lui- 
Et  il  ajoute  qu'un  ou  deux  jours  après,  un  marchand, 
nommé  Firmus  ,  vint  se  jeter  à  ses  pieds,  fondant  en  larmes, 
confessant  qu  'il  avait  été  plusieurs  années  Manichéen ,  mais 
que  son  dernier  discours  l'avait  converti  et  fait  catholique, 
et  qu'il  demandait  à  rentrer  dans  l'Église.  » 

Cette  anecdote,  racontée  sans  doute  à  Le  Dieu  par  Bos- 

(I)  Aug.  Vit.  }XT  Possid.,  c.  xv. 


1%  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

suet,  montre  qu'à  Meaux,  comme  à  Paris,  lidéal  de  notre 
grand  orateur  était  toujours  saint  Augustin. 

Là  où  le  secrétaire  de  l'évèque  de  Meau.v  se  trompe,  c'est 
quand  il  ajoute  :  «  Telle  fut  la  manière  de  prêcher  de  Bos- 
suet  dans  sa  jeunesse  et  à  la  cour,  qui  lui  acquit  cette  fa- 
cilité, cette  abondance  et  cette  variété  de  tant  de  sermons 
qu'il  a  faits  sans  nombre  sur  toute  sorte  de  sujets;  car  ja- 
mais il  n'a  répété  ni  le  même  carême,  ni  le  même  avent. 
C'était  toujours  des  matières  nouvelles,  des  plus  nécessaires 
au  salut  et  propres  à  l'état  et  à  la  condition  de  ses  audi- 
teurs. »  —  Il  est  certain  que  si  Bossuet  a  pu  parler  d'abon- 
dance dans  sa  vieillesse,  c'est  parce  que,  dans  sa  jeunesse 
et  à  la  cour  surtout ,  il  s'était  prépare  à  ses  sermons  avec  un 
soin  dont  témoignent  éloquemment  les  manuscrits  qui  nous 
restent.  Il  est  certain  encore  que  Bossuet  s'est  répété ,  si- 
non pour  des  stations  entières,  du  moins  pour  bien  des 
sermons,  dans  lesquels  on  peut  suivre  les  progrès  de  son 
heureux  génie.  Quant  à  l'art  d'adapter  ses  discours  «  à  la 
condition  de  ses  auditeurs  »,  il  fut  toujours  le  propre  du 
prêtre  zélé,  de  l'évèque  admirable  qu'était  Bossuet. 

«  Ainsi ,  il  parlait  au  roi  et  aux  grands  de  leurs  devoirs 
aussi  librement  qu'aux  particuliers;  mais  de  quels  devoirs? 
Des  devoirs  de  la  royauté  pour  la  défense  de  l'Église,  pour 
le  maintien  de  la  Beligion  ,  pour  le  gouvernement  de  l'Etat, 
pour  la  propre  personne  du  roi ,  sans  sortir  de  son  carac- 
tère, sans  faire  le  ministre,  ni  l'homme  d'État,  mais  avec 
une  sagesse  et  une  prudence  qui  l'ont  rendu  aussi  irrépré- 
hensible en  ce  point  que  dans  toutes  les  autres  circonstan- 
ces de  sa  vie... 

«  Il  se  plaignait  depuis  quelques  années  que  l'on  ne  prê- 
chait plus  les  mystères  en  un  temps  où  il  en  croyait  le  besoin 
plus  pressant  que  jamais,  le  nombre  des  libertins  (1)  allant 

(I)  Au  dix-scptiéine  siècle,  'on  appelait  Uhcrlins  les  incrédules,  les  libres- 
pcnsuurs ,  les  impies.  —  Pascal  les  avait  i)ris  à  jiartie  dans  ses  Pensées.  Nicole  dô- 
nonrail  Pallicisme  comme  la  «  grande  iicrésie  »  du  moment.  Molière,  dans  Don 
Juan.  ])cii,'iiait  le  scepticisme  aristocraliciue  des  de  Guiclie,  des  de  Vardes,  des 
Vivoiiiie.  dfis  Mancini,  des  Manicamp,  des  Uetz,  des  de  Lionne,  des  La  Rociie- 
foucanid,  d(^  la  |)rincesse  l'alatine,  de  la  société  du  ïemi)le  et  de  Ninon  de  Lenclos. 
de  tout  ce  monde  d'élégants  impics  et  dèi)aucliés,  dont  Salnle-lieuve  a  dit  (ju'ils 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  ORATEUR.  197 

toujours  croissant  et  les  hommes  devenant  plus  hardis  à 
débiter  leurs  imaginations  pour  affaiblir  la  foi.  Il  lui  sem- 
blait qu'on  avait  honte  de  prêcher  Jésus-Christ  :  «  Et  com- 
ment, disait-il,  veut-on  qu'il  soit  aimé,  si  on  ne  le  rend 
aimable  et  si  on  ne  le  fait  connaître?  »  et,  en  particulier,  le 
mystère  de  Jésus-Christ,  pour  en  inspirer  l'amour,  si  re- 
commandé dans  l'Évang'ile  et  dont  il  s'est  lui-même  tout 
pénétré ,  comme  nous  le  verrons  ailleurs  par  des  faits  sin- 
guliers (1),  aussi  remarquables  que  les  preuves  éclatantes 
qu'il  en  a  données  dans  ses  livres  et  dans  la  chaire  ;  car, 
suivant  cette  parole  du  Sauveur  même  [Jean,  xvii,  3)  : 
«  La  vie  éternelle  consiste  à  vous  connaître ,  vous  qui  êtes 
le  seul  Dieu  véritable,  et  Jésus-Christ  que  vous  avez  en- 
voyé »  ;  et  celles-ci  de  saint  Paul  [Rom.  x,  li)  :  «  Comment 
croiront-ils  en  lui,  s'ils  n'en  entendent  point  parler?  et 
comment  en  entendront-ils  parler,  si  personne  ne  le  leur 
prêche?  »  il  voulait  donc  qu'on  expliquât  au  peuple  tous 
les  attributs  divins.  En  son  temps,  il  en  annonça  haute- 
ment les  mystères  dans  ses  sermons;  et  depuis  qu'il  fut 
fait  évêque  de  Meaux ,  il  fit  revivre  l'ancienne  discipline  et 
rétablit  la  prédication  du  pasteur  jointe  à  l'office  pontifi- 
cal, comme  en  étant  la  partie  la  plus  importante.  Dès 
son  entrée  en  cette  église,  il  le  promit  ainsi  et  il  le  pra- 
tiqua fidèlement  jusqu'à  la  mort.  Aussi,  pourquoi  chante- 
t-on  l'Évangile  dans  l'assemblée  des  fidèles,  si  ce  n'est  afin, 
suivant  les  institutions  canoniques  et  les  exemples  des 
'saints  Pères,  qu'il  leur  soit  expliqué  dans  une  instruction 
pastorale?  » 

C'était  donc  toujours  sur  les  Pères  de  l'Église  que  Bos- 
suet  prenait  modèle  soit  pour  ses  prédications,  soit  pour 
celles  des  prêtres  dont  il  avait  la  direction. 

«  Ce  long"  exercice  et  cette  grande  habitude  de  la  parole 
faisait  qu'à  Meaux  il  n'avait  pas  besoin  de  beaucoup  de  pré- 

l'orniaient  «  comme  un  dix-huitième  siècle  souterrain  sous  le  grand  siècle  ».  Bos- 
suet  les  avait  attaqués,  en  KMm,  en  KiM,  dans  ses  Sermons  sur  la  Divinité  de  Jésus- 
^'hrist  ou  de  la  religion.  \.'Oraison  funèbre  de  la  princesse  Palatine  sera  dirigée 
presque  entièrement  contre  eux  :  fin  de  l'exorde,  du  premier  point,  péroraison. 
(I)  I.'abbé  Le  Dieu  fait  sans  doute  allusion  à  la  mort  si  édifiante  de  Bossuet. 


198  BOSSUliT  ET  LES  SAINTS  PERES. 

paration.  Après  avoir  rappelé  ses  idées  dans  TÉvangile, 
dans  saint  Aii(/ustiit ,  ailleurs,  ce  n'était  plus  qu'une  douce 
méditation  et  une  prière  continuelle,  dans  un  grand  recueil- 
lement ,  même  pendant  l'office  divin.  Il  s'enfermait  ensuite 
quelques  moments  avant  de  monter  en  chaire  et  quand  il 
avait  une  fois  ouvert  la  bouche ,  il  était  écouté  avec  une  at- 
tf'ntion  ri  un  respect  qu'un  ne  peut  e.iprimer.  On  voyait 
un  père  et  non  pas  un  prélat  parler  à  ses  enfants,  et  des 
enfants  se  rendre  dociles  et  obéissants  à  la  voix  du  père 
commun.  Il  les  traitait  comme  saint  Jean  avec  ces  termes 
de  tendresse  :  «  Mes  enfants ^  mes  petits  enfants^  mes  bien- 
ai)7iés  »;  aussi,  à  l'exemple  de  ce  saint  apùtre,  dont  l'his- 
toire ecclésiastique  raconte  que  par  sa  bonté  et  par  ses 
larmes  il  ramena  à  la  pénitence  un  jeune  homme  qui  s'é- 
tait perdu  après  son  baptême ,  il  a  eu  la  consolation ,  avec 
l'aide  de  Dieu,  de  faire  cesser  par  sa  charité  et  par  sa  lon- 
gue patience,  entre  plusieurs  désordres  parmi  ce  peuple, 
celui  des  rendez-voils  de  Bemcelle  ,  qui  étaient  la  ruine  des 
familles  et  la  source  de  leurs  divisions.  Par  un  seul  dis- 
cours animé  de  cette  charité  angélique ,  il  pacifia  les  es- 
prits divisés  d'un  monastère  célèbre,  à  leur  grand  étonne- 
ment.  » 

Encore  un  trait  de  ressemblance  entre  Bossuet  et  le  grand 
saint  Augustin.  —  Celui-ci  était  simple  prêtre,  lorsque  le 
saint  évoque  Yalère  le  fit  parler  pour  corriger  le  peuple 
d'Hippone  de  l'abus  des  festins  trop  libres  dans  les  solen- 
nités. Il  conjura  ses  auditeurs  par  les  opprobres,  par  les* 
douleurs  de  Jésus-Christ ,  par  sa  croix ,  par  son  sang,  de  ne 
pas  se  perdre  eux-mêmes,  d'avoir  pitié  de  celui  qui  leur 
parlait  avec  tant  d'affection,  et  de  se  souvenir  du  vénérable 
vieillard  Valère,  qui  lavait  chargé,  par  tendresse  pour  eux. 
de  leur  annoncer  la  vérité.  «  Après  que  nous  eûmes  pleuré 
ensemble,  dit  saint  Augustin,  je  commençai  à  espérer  for- 
tement leur  correction  (1)  ».  Il  eut  la  consolation  de  voir  le 
peuple  corrigé  dès  ce  jour-là.  —  Une  autre  fois,  saint  Au- 

(I)  L':ttre  -is-  à  Alipe,  cvéqne  de  Tagaslc. 


LES  SAINTS  PÈRKS  ET  BOSSUEï  ORATEUR.  199 

gustin  tâchait  de  persuader  au  peuple  de  Césarée,  en  Mau- 
ritanie, qu'il  devait  abolir  un  combat  de  citoyens,  où  les 
parents,  les  frères,  les  pères  et  les  enfants,  divisés  en  deux 
partis^  luttaient  en  public  pendant  plusieurs  jours  de  suite, 
et  où  chacun  s'efforçait  de  tuer  celui  qu'il  attaquait.  Il 
excita  les  acclamations,  puis  les  larmes  de  ses  auditeurs, 
et  une  coutume  barbare  fut  abolie  (1). 

En  imitant  un  tel  modèle,  Bossuet  ne  pouvait  que  faire 
des  merveilles.  «  Son  grand  talent  était  de  se  proportionner 
à  son  auditoire  et  de  se  rendre  intelligible  en  prêchant.  De 
là,  la  facilité  de  traiter  toute  sorte  de  matières  et  devant 
des  personnes  de  différents  états  avec  le  même  succès  et 
dans  le  même  temps.  Un  matin,  après  avoir  tonné  contre  les 
péchés  capitaux,  les  inimitiés  et  les  injustices,  en  une  pa- 
roisse de  campagne  (Quincy),  car  il  était  très  véhément 
orateur,  le  soir,  donnant  la  confirmation  à  des  religieuses 
dans  une  sainte  abbaye  (le  Pont-aux-Dames) ,  il  les  éleva 
jusqu'au  sein  de  la  Divinité  et  leur  découvrit  le  Saint-Es- 
prit procédant  du  Père  et  du  Fils  par  cette  voie  d'amour, 
qui  est  la  source  de  la  sanctification  des  âmes  et  de  toutes 
les  grâces.  On  crut  voir  les  cieux  ouverts  et  les  dons  célestes 
descendre  par  ses  mains  sur  ces  âmes  chastes  et  trem- 
blantes, comme  autrefois  les  langues  de  feu  sur  les  Apôtres. 
Toujours  semblable  à  lui-même,  il  y  aurait  cent  exemples 
à  citer  de  ce  caractère  dont  j'ai  été  témoin  (2),  le  trouvant 
à  tout  propos  familier,  simple,  naturel,  élevé,  quand  il  le 
fallait,  pressant,  persuasif,  se  conciliant  d'une  manière 
admirable,  commp  un  autre  saint  Augnslin,  l'attention  des 
esprits  les  plus  tardifs ,  et  toujours  plein  d'onction.  Avec  ses 
vives  lumières  et  ses  tendres  sentiments,  il  renvoyait  son 
auditeur  instruit,  consolé,  et  prêt  à  faire  tout  le  bien  avec 
la  grâce  de  Dieu.  C'était  aussi  sa  méthode  d'accompagner 
les  sacrements  et  même  l'ordination  d'une  parole  d'exhor- 
tation courte  et  vive,  avec  une  gravité  et  un  sérieux  qui 


(1)  De  Doctrina   christiana ,  liv.  IV,  '>,i.  —  Voir  Fénclon ,  Lettre   à  l'Académie , 
Projet  de  rhétorique. 
(-2)  Le  Dieu,  Mr moires,  p.  -iWt. 


200  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

inspiraient  l'altention  et  le  respect,  le  recueillement  et  la 
ferveur,  et  tiraient  souvent  les  larmes  des  yeux.  » 

L'abbé  Le  Dieu  .  qu'on  ne  se  lasserait  pas  de  citer,  en  son- 
geant au  bonheur  qu'il  a  eu  d'entendre  pendant  vingt  ans 
la  voix  la  plus  éloquente  qui  fut  jamais,  nous  affirme  encore 
que  la  plupart  des  Sermons  de  Bossuet,  «  hors  ses  actions 
d'éclat,  ses  oraisons  funèbres,  ses  discours  dogmatiques  (1  i , . . . 
et  les  grands  panégyriques  (2)  » ,  n'étaient  «  qu'une  ou 
deux  feuilles  volantes,  où  est  un  texte  en  tète,  un  raison- 
nement avec  ce  mot  en  marge  :  pour  l'exorde ,  une  division 
en  deux  ou  trois  membres,  toujours  marquée  distinctement 
à  la  suite  du  texte  et  du  dessein  de  l'exorde  ;  et  pour  le 
corps  du  discours,  l'on  n'y  trouve  que  quelques  passages 
des  saints  Pères,  beaucoup  des  Grecs,  à'Origène  surtout, 
mais  aussi  de  saint  Athanase,  de  saint  Basile,  de  saint 
Grégoire  de  Nazianze  et  de  saint  CJirysostome ,  de  Tertiil- 
lien,  parmi  les  Latins,  de  saint  Augustin  et  des  autres  ». 

Cette  assertion,  fausse  pour  la  plupart  des  Sermons  de 
Paris,  est  vraie  pour  les  Sermons  de  Meaux,  du  moins  pour 
le  peu  qui  nous  en  reste  et  que  M.  l'abbé  Lebarq  a  dû  retirer 
parfois  des  Pensées  Chrétiennes  et  Morales,  où  les  éditeurs 
avaient  noyé  les  canevas  de  Bossuet  (3). 

Il  suffit  de  parcourir  Y  Esquisse  du  Sermon  pour  le  jour 
de  Pâques,  1685,  dont  le  premier  point  est  à  moitié  com- 
posé de  textes  de  saint  Paul ,  des  Psaumes  et  d'Isaïe ,  et  dont 
le  second  point  contient  la  fameuse  allégorie  faut  de  fois 
citée  :  c(  La  vie  humaine  semblable  à  un  chemin  dont  l'issue 
est  un  précipice  affreux  »  ;  ou  bien  V Esquisse  du  Sermon  sur 
la  femme  adulti-re,  prêché  à  Clayc,  le  23  mars  1686;  ou  sur- 
tout le  Plan  d\in  Sermon  sur  V aveugle-né ,  prêché  à  Meaux, 
le  27  mars  1686,  celui  d'un  Sermon  pour  Noël,  le  25  dé- 
cembre 1686  :  «  Parvulus  natus  est  »,  celui  d'un  autre  Ser- 
mon pour  la  même  fête  :  «  Apparuit  gratia  »,  celui  d'un 
Sermon  pour  le  jour  de  Pâques,  prêché  vers  1692,  enfin  ce- 

(I)  Mihnoires ,  p.  IKî. 

(-2)  Ibidem.  1).  118. 

(3)  llisloirn  critique  de  la  Prédication  de  Bossuet,  j).  -271. 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  ORATEUR.  201 

lui  d'un  Sn^mon  pour  la  Pentecôte  :  «  Cor  miindum  créa  in 
nie  l)eits  w^qui  l'ut  «  une  prière  au  peuple  de  la  part  de 
Dieu ,  et  une  prière  à  Dieu  de  la  part  du  peuple  (1)  ».  L'on 
est  convaincu  que  Bossuet  n'écrivait  plus  à  Meaux  que  des 
canevas  de  moins  en  moins  développés,  jusqu'à  ce  qu'il 
en  vint  à  ne  plus  rien  écrire  de  ses  sermons. 

Dans  les  Fragments  qui  nous  restent,  c'est  l'Écriture, 
beaucoup  plus  que  les  saints  Pères,  que  l'on  trouve  citée.  On 
peut  croire  pourtant  que  l'abbé  Le  Dieu  avait  vu  de  nom- 
breux manuscrits,  aujourd'hui  perdus,  qui  lui  permettaient 
d'affirmer  cette  part  si  large  faite  aux  Pères  de  l'Église  et 
surtout  à  Or/gène.  Il  n'y  a  pas  n/ic  seule  citation  de  ce  Père 
dans  tout  ce  que  nous  avons  des  Fragments  oratoires  de 
l'époque  de  Meaux. 

L'abbé  Le  Dieu  est  très  bien  inspiré,  lorsqu'il  nous  fait  con- 
naître les  sentiments  intimes  et  profondément  édiliants  de 
Bossuet.  <(  Avec  cette  merveilleuse  facilité,  dit-il,  il  ne  met- 
tait pas  sa  confiance  en  lui-même ,  mais  uniquement  dans 
la  prière,  d'où  il  tirailla  force  de  ses  puissantes  paroles,  et 
dans  la  Sainte  Écriture  et  l'Évangile,  qui  étaient  le  fonde- 
ment solide  de  ses  discours ,  où  par  ce  moyen  il  répandait 
l'esprit  de  piété  et  d'onction.  Dans  le  cours  de  vingt  années, 
je  ne  l'ai  jamais  vu  monter  en  chaire  qu'après  s'être  pros- 
terné en  secret  aux  pieds  de  son  crucifix,  dans  une  humilia- 
tion profonde,  pour  demander  les  lumières  du  Saint-Esprit. 
Aussi,  l'avons-nous  tant  de  fois  ouï  répéter,  et  dans  un  même 


(1)  Ce  sont  les  propres  paroles  de  liossuet  au  début  de  ce  sermon.  «  Le  Saint- 
Esprit  en  ce  jour  appelé  Creator  Spiritus,  par  rapport  à  cette  nouvelle  création  ; 
non  qu'il  soit  créateur,  etc.,  mais  la  création  nouvelle  par  une  attribution  parti- 
culière. Pour  en  fonder  la  demande  et  nous  faire  dire  :  0  Dieu,  créez  en  moi  ce 
cœur  nouveau,  il  faut  considérer  avant  toutes  choses  quel  cœur  nous  avons.  Pesez 
toutes  les  paroles  de  Notre-Seigncur  au  chapitre  vu  de  saint  Marc  :  De  corde  lio- 
miitum  malae  cogitationes  procedunt,  aduUeria,  fornicaliones,  homicidia,  farta, 
avaritiae ,  neqiiitiae ,  dolus,  impudicitiae .  oculits  malus,  blasphemia  .  xuperfna, 
stnltitia.  Appuyez  beaucoup  sur  celui-là  :  Bonus  homo  de  boiio  thesauro  cordis  sui 
profcrt  bonuni  et  rnalus  homo  de  malo  thesauro  profert  malum;  ex  abundantia 
enim  cordis  os  loqititur.  —  Non  potest  arbor  bona  malos  fructus  facere,  neque 
arbor  mala  bonos  fructus  facere.  Jugez  du  fond  de  votre  cœur  par  vos   pensées. 

—  Pesez  beaucoup  sur  chaque  crime  :  AduUeria  :  on  ne  le  conçoit  pas.   David. 

—  Filius  mortis  est  vir  qui  fecit  hoc.  —  Ovem  reddet  in  quadruplum.  Vous  ne 
sauriez  la  rendre  :  son  innocence,  sa  foi ,  etc.  Appuyez  sur  les  autres  :  Homicidia  : 
Qui  liait  son  frère ,  c'est  un  meurtrier,  etc. 


202  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

discours,  cette  huml)lc  parole  de  saint  Augustin  :  Voilà, 
mes  frères,  ce  que  Diru  m'a  donné  pour  roiis ,  et  priez-le 
pour  qu'il  me  donne  la  force  de  vous  prêcher.  Jusqu'à  Ici  fin, 
les  vérités  du  salut,  comme  faisaient  les  Apôtres  dans  leur 
ferveur  :  Donnez,  Seigneur,  à  vos  serviteurs  la  force  d'an- 
noncer votre  parole  avec  une  entière  liberté;  et  saint  Paul  : 
«  Priez .  mes  frères ,  que  Dieu ,  m'ouvrant  la  bouche ,  me 
donne  des  paroles  pour  annoncer  librement  le  mystère  de 
l'Évangile,  afin  que  je  le  publie  avec  la  hardiesse  et  la 
liberté  que  je  dois.  »  C'était  là  sa  dévotion,  parce  que  c'é- 
tait aussi  sa  vocation .  à  laquelle  il  craignait  de  manquer. 
C'est  pourquoi,  quittant  un  jour  la  supérieure  d'une  sainte 
communauté  de  Aleaux  OP'  de  Noëfort)  avec  ce  mot:  «  Priez 
Dieu  pour  moi  ;  »  et  cette  fille,  pleine  de  mérite  et  de  ver- 
tus, lui  ayant  dit  à  son  tour  :  «  Que  lui  demanderai-je?  » 
il  répliqua  :  «  Que  je  n'aie  point  de  complaisance  pour 
le  monde  »  ,  tant  il  craignait  la  tentation  d'altérer  la  parole 
de  Dieu,  qu'il  se  sentait  chargé,  comme  saint  Paul,  de  prê- 
cher avec  une  entière  sincérité.  Il  invoquait  donc  avec  fer- 
veur et  en  grande  humilité  l'esprit  du  Seigneur  pour  se  pré- 
parer aux  discours  les  plus  familiers  qu'il  faisait  partout  en 
visitant  son  diocèse.  Je  l'admirais,  allant  d'une  paroisse  à 
l'autre,  l'Évangile  à  la  main,  le  méditant  pour  se  pénétrer 
des  vérités  qu'il  voulait  annoncer  aux  plus  simples ,  avec 
une  attention  respectueuse  et  en  esprit  de  prière ,  plutôt 
qu'avec  ses  grandes  lumières  et  cette  érudition  profonde  qui 
le  faisaient  admirer  des  savants,  quand  il  traitait  au  milieu 
d'eux  les  plus  hauts  mystères  et  la  théologie  la  plus  su- 
blime. 

«  Dans  le  Carême  do  1687,  à  Meaux,  prêt  à  aller  à  l'église 
de  Saint-Saintin  expliquer  le  décalogue,  je  le  vis,  M.  l'abbé 
de  Fleury  présent,  prendre  sa  Bible  pour  s'y  préparer  et  lire 
à  genoux,  tète  nue,  les  chapitres  xix  et  xx  de  Y  Exode, 
s'imprimer  dans  la  mémoire  les  éclairs  et  les  tonnerres, 
le  son  redoublé  de  la  trompette,  la  montagne  fumante  et 
toute  la  terreur  qui  l'environnait  en  présence  de  la  Majesté 
divine,  humilié  profondément,  commençant  par  trembler 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  ORATEUR.  203 

lui-même  afin  de  mieux  imprimer  la  terreur  dans  les  cœurs 
et  enfin  y  ouvrir  les  voies  à  l'amour.  Car  c'était  encore  ici 
sa  méthode ,  après  avoir  ébranlé  son  auditeur  par  les  mou- 
vements les  plus  forts  de  frayeur  et  de  crainte ,  de  le  ren- 
voyer consolé  par  la  joie  de  l'espérance  et  par  Fonction  de 
la  charité. 

«  De  saintes  religieuses  de  grand  mérite  (M™"'  de  Luynes 
et  d'Albert) ,  sensibles  à  cette  impression  ordinaire  de  ses 
discours,  lui  disaient  dans  leur  transport  :  «  Comment  fai- 
tes-vous donc,  Monseigneur,  pour  vous  rendre  si  touchant? 
Vous  nous  tournez  comme  il  vous  plait,  et  nous  ne  pou- 
vons résister  aux  charmes  de  vos  paroles.  »  «  Remerciez-en 
Dieu,  mes  filles,  répondait-il  en  simplicité;  c'est  l'onction 
que  vous  avez  reçue  du  Fils  de  Dieu  qui  vous  enseigne  toutes 
choses  (1)  et  qui  vous  parle  au  cœur  par  ma  bouche.  iMais 
je  veux  bien  aussi  vous  avouer  qu'ayant  à  vous  entretenir, 
je  commence  par  me  pénétrer  moi-même  des  considé- 
rations dont  je  dois  exciter  en  vous  le  sentiment.  »  Et  c'est 
ainsi  que  ce  grand  orateur  savait  joindre  à  sa  tendre  piété 
ce    précepte   commun    de    l'éloquence    humaine  : 

...  Si  vis  me  tlere.  doleadum  est 
Prinuim  ipsi  tibi;  tuiic  tua  me  infortunia  laedent  (2). 

Tout  cela  nous  fait  comprendre  pourquoi  et  comment  le 
génie  oratoire  de  Bossuet  s'est  transformé  à  Meaux;  pour- 
quoi et  comment  son  éloquence,  didactique  et  théologique 
à  Metz,  philosophique  et  morale  à  Paris,  est  devenue  à 
Meaux  «  homilétique  et  comme  attendrie  par  l'indulgence 
de  la  vieillesse  (3)  ». 

C'est  bien  moins  «  l'indulgence  de  la  vieillesse  »,  —  puis- 
(jue  Bossuet  a  toujours  été  la  douceur  et  la  bénignité  même , 
—  que  le  désir  et  le  besoin  d'imiter  les  Pères  de  l'Eglise , 

(1)  Joan.,  II,  ii7.  (Note  de  l'abbé  Le  Dieu.) 

(-2)  Horace,  Art  poétique.  .  Si  tu  veux  que  je  pleure,  il  l'aut  que  tu  paraisses 
pénétré  de  douleur:  alors  je  serai  sensible  à  tes  malheurs.  »  (Traduction  et  note 
de  l'abbé  Le  Dieu.)  —  Raveneau  nous  parle  d'un  Sermon  de  Bossuet,  en  KiSi,  «  ca- 
pable d'altendrir  les  pierres  ». 

(3)  Brunetiére,  Sermons  choisis  de  Bossuel.  Introduction,  p.  ùd. 


204  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

dont  l'àme  était,  pour  ainsi  dire,  passée  dans  la  sienne,  qui 
faisaient  que  Tévèque  de  Meauv ,  comme  un  nouveau  Chry- 
sostonie,  supérieur  au  premier,  n'adressait  à  son  peuple  que 
de  simples  et  touchantes  Aome7/>.s-  (1),  ou  conversations  fa- 
milières sur  la  religion  et  principalement  sur  l'Évangile  du 
jour  :  homélie  pour  le  premier  dimanche  de  Carême. 
7  mars  1683,  ou  20  février  168i  (2)  ;  homf'lif  pour  l'ouver- 
ture de  la  Mission  donnée  avec  le  concours  de  Fénelon. 
Fleury,  etc.,  20  mars  1684,  lundi  de  la  Passion  (3);  Romélu' 
pour  le  jour  de  Pâques,  1685  ^i);  homèUo  ('squ'isséc  pour 
le  troisième  dimanche  de  l'Avent,  1685(5);  homélie  sur  la 
Femme  adultère,  à  Claye,  23  mars  1686  (6);  homélie  sur 
l'Âveugle-né  à  Meaux,  le  27  mars  1686  (7);  homélies  dont  le 
Journal  des  visites  pastorales  nous  a  conservé  les  souvenirs, 
ou  du  moins  les  dates,  et  que  M.  l'abbé  Lebarq  a  pieusement 
relevées  dans  le  Tableau  de  tous  les  sermons  ou  exhorta- 
tions dont  on  troure  la  mention  pour  l'époque  de  Meaux  : 
ce^ableau  ne  comprend  pas  moins  de  22  pages  (337-359) 
de  l'excellente  Histoire  critique  de  la  Prédication  de  Bos- 
suet. 

Il  faut  reconnaître  qu'à  Meaux  il  ne  cite  presque  plus  les 
Pères  de  l'Église.  Us  l'inspirent;  ils  lui  servent  de  modèle 
et  d'idéal;  mais  il  n'invoque  plus  en  chaire  leur  autorité, 


(I)  Du  grec  6[ji'.),îa,  conversation. 

{i)  On  reconnaît  la  voix  tlu  Pasteur  dans  ce  passage  de  la  dernière  partie. 
•  L'homme  ne  vit  pas  seulement  de  pain....  J'ai  une  autre  vie  dans  la  parole  de 
Dieu,  dans  la  vérité,  dans  l'acconiplissernent  de  la  volonlé  divine.  Non  (|ue  je  ne 
vous  plaigne  dans  les  misères  que  vous  éprouvez  et  je  voudrais  pourvoir  aux  be- 
soins de  chacun.  Mais  dans  l'impuissance  où  je  nie  trouve  de  le  faire,  je  dois 
donner  du  moins  à  tous  renseignement  nécessaire  et  les  consolations  qui  peu- 
vent les  soutenir  dans  leurs  détresses  •. 

(3)  C'est  une  esquisse  sublime,  le  commentaire  de  l'Évangile  du  jour  appliqué 
aux  circonstances.  —  M.  l'abbé  Lebarq  a  le  mérite  d'avoir  liiè  des  Pensées  chré- 
tiennes et  morales  et  publié  à  part  le  texte  de  cette  homélie.  {Histoire  criti- 
que, etc.,  p.  '21-'2\).) 

(4)  C'est  un  des  rares  autographes  oratoires  de  cette  époiiue. 

(5)  L'analyse  en  a  été  donnée  par  un  auditeur.  Rochard ,  et  le  canevas  en  est 
conserve  parmi  les  manuscrits  de  la  IJibliolliè(|ui'  nationale. 

(<>)  .  J'ai  un  second ,  le  roi,  dit  liossuel  :  humble  sujet  iiartout  ailleurs,  dans 
la  religion,  j'ose  dire  que  le  prince  ne  va  que  le  sec()nd  ».  Louis  XIV  avait  révo- 
qué l'édit  de  Nantes  le  -20  octobre  l(>85. 

(7)  •  Le  péché  des  chrétiens,  plus  grand,  dit  l'orateur;  des  catholiques,  des 
prêtres,  et  puisqu'il  faut  prononcer  ma  condamnation  de  ma  propre  bouche,  des 
évèques!  ■ 


LES  SAINTS  PÈRIiS  ET  BOSSUET  ORATEUR.  205 

parce  que,  sans  doute,  cette  autorité,  décisive  devant  un 
auditoire  d'élite  comme  celui  de  la  cour  et  de  la  capitale, 
ne  lui  semble  pas  devoir  impressionner  beaucoup  les  fidèles 
du  diocèse  de  Meaux. 

La  vraisemblance  de  cette  assertion  ressort  de  ce  fait  que 
Bossuet,  à  la  même  époque,  cite  les  Pères  dans  V Oraison 
fiincbre  de  la  Reine  fl683)  (1),  dans  celle  de  la  Princesse 
Palatine  (1685)  (2),  dans  celle  de  Michel  Le  Tellier  (1686)  (3), 
et  dans  celle  du  grand  Condé  (1687)  (i). 

L'évèque  de  Meaux  s'inspirait  de  plus  en  plus  de  l'Écriture 
sainte.  Quant  aux  Pères,  il  s'en  nourrissait  aussi  conti- 
nuellement, comme  en  fait  foi  le  récit  de  Le  Dieu  dans  ses 
Mé)iioi)'f's  et  son  Journal;  mais  s'il  imitait  en  chaire  la 
familiarité  des  Augustin  et  des  Chrysostome ,  auxquels  vou- 
lait ressembler  sa  grande  âme  de  saint  évêque,  il  ne  se 
servait  pas  autant  de  leur  doctrine  et  de  leur  autorité  pour 
les  homélies  qui  jaillissaient  de  son  cœur;  pénétré  de  la 
méditation  de  l'Évangile,  que  pour  les  œuvres  de  théologie, 
de  controverse,  de  polémique  et  d'ascétisme,  qui  se  multi- 
plièrent dans  les  22  années  du  plus  fécond  et  du  plus  glo- 
rieux épiscopat  qui  ait  jamais  honoré  l'Église  de  France. 


(1)  Il  y  a  des  textes  de  saint  Paulin,  de  saint  Augustin,  de  saint  Grégoire  de 
Xazianze. 

(-2)  On  y  remarque  un  grand  nombre  de  textes  de  l'Écriture  et  un  seul  de  saint 
Augustin. 

(3)  Il  y  a  une  citation  de  saint  Augustin ,  Cité  de  Dieu ,  t.  I ,  c.  x. 

(4)  On  y  relève  deux  textes  de  saint  Augustin. 


CHAPITRE  IV 

LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  EXÉGÈTE. 

Il  serait  téméraire  de  vouloir  traiter  à  nouveau  l'a  qiues^ 
tion  que  le  P.  de  la  Broise  a  si  bien  élucidée  dans  le  cha- 
pitre X  de  sa  belle  thèse  :  Bossupt  ft  la  Bible. 

Ce  chapitre ,  intitulé  Bo^supt.  commpntntpur  dp  la  Biblp. 
p.  -27V-305,  contient  tout  ce  qu'il  va  d'essentiel  à  savoir 
sur  les  ouvrages  exégétiques  de  Bossuet  :  XEjpUcation  dp 
r Apocalypsp ,  les  Commentairps  sur  Ips  Psaiwips  et  sar  Ips 
Livrps  sap  ien  t  ia  ux . 

Mais  l'excellent  auteur  de  cette  savante  étude  n'avait  pas 
à  s'occuper  de  la  part  qui  revient  aux  saints  Phres  dans  les 
Commentaires  bibliques  de  Bossuet,  et  il  n'en  dit  qu'un 
mot,  p.  278,  pour  constater  avec  le  g-rand  évêque  que  \'A- 
pocah/psp  est  un  sujet  où  les  Pères  «  n'ont  pas  tout  vu  »,  où 
l'on  peut  «  aller  à  la  découverte  »  et  pénétrer  plus  avant 
qu'ils  n'ont  fait. 

Quoi  qu'il  en  soit,  nous  savons  par  l'abbé  Le  Dieu  (1) 
que,  pendant  le  Carême  de  1668,  l'abbé  Bossuet  avait  ex- 
posé les  Épilrps  du  temps  au  parloir  des  Carmélites,  dans 
des  Explications  particulières,  auxquelles  assistaient  la  du- 
chesse de  Longueville  et  la  princesse  de  Conti,  avec  d'autres 
personnes  approchant  de  ce  rang.  «  Ces  explications,  di- 

(1)  Mémoires,  t.  I,  p.  8(». 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  EXEGETE.  207 

sent  encore  ces  saintes  filles  (1) ,  étaient  d'une  beauté  en- 
chantée et  de  plus  grande  utilité  du  monde  (2).  » 

Comme  saint  Paul ,  commenté  par  saint  Augustin ,  était 
pour  Bossuet  l'idéal,  tout  nous  autorise  à  croire  que  les 
Explications  de  1668  devaient  être  nourries  d'idées  et  de 
citations  de  saint  Amjustin  et  de  saint  Jean  Chri/so!<tomf', 
dont  Bossuet,  à  peu  près  à  la  même  époque,  trouvait  «  les 
Homélies  sur  saint  Paul  admirables  (3)  ». 

«.  En  plusieurs  autres  temps,  continuent  [les  Carmélites 
d'après  Le  DieuJ  (4),  Bossuet  a  expliqué  divers  prophètes, 
V  Apocalijpsc  et  le  Cantique  ries  cantiques ,  et  ces  explica- 
tions étaient  de  la  même  beauté  que  nous  venons  de  dire... 
J'étais  présent  à  l'explication  de  \ Apoeahjpse  et  du  Canti- 
que, qui  se  fit  en  divers  temps,  en  1686,  en  1687,  en  huit  ou 
dix  Conférences;  et  je  croyais  entendre  saint  Jérôme  inter- 
prétant les  Livres  saints  aux  veuves  et  aux  vierges  chré- 
tiennes... 

«  Avant  son  épiscopat ,  notre  abbé  fit  souvent  de  sembla- 
bles conférences  dans  la  chambre  même  de  la  duchesse  de 
Longueville,  qui  y  assemblait  des  dames  de  charité.  » 

Ainsi,  Bossuet,  commentateur  de  la  Bible,  éveille  natu- 
rellement dans  l'esprit  de  ceux  qui  l'entendent  l'idée  d'un 
Père  de  l'Église,  non  pas  seulement  parce  cju'il  en  a  le  gé- 
nie, mais  encore  et  surtout  parce  qu'il  s'inspire  des  idées  de 
nos  saints  Docteurs. 

On  le  sait  par  la  Bible  du  Concile,  où  «  une  foule  de 
Pères  sont  cités,  spécialement  saint  Jérôme  et  Théo- 
do  r  et  (5)  ». 

On  le  sait  encore  par  le  texte  même  de  XExpUcation  de 
rApocalf/pse,  qui  doit  être  en  grande  partie  la  reproduction 
des  Conférences  faites  aux  Carmélites^  puiscjue  Le  Dieu  (6) 

(I)  I,'al)l)é  Le  Dieu  parle  du  Mémoire  ou  Registre  des  Carmélites. 

{•X)  Le  P.  de  la  Broise  ne  dit  qu'un  mot  dans  une  note,  p.  -l'o,  de  ces  Conféren- 
res  sur  saint  Paul.  Elles  ne  sont  pas  parvenues  jusqu'à  nous,  il  est  vrai;  mais 
le  souvenir  qui  nous  en  reste  est  trop  précieux  pour  qu'on  ne  le  recueille  pas. 

(3)  Ecril  composé  pour  le  cardinal  de  Bouillon. 

(4)  Mémoires,  p.  86,  87. 

(5)  Lettre  du  P.  de  la  Broise  à  l'auteur  de  ce  livre.  —  Voir  plus  haut,  p.  50. 
(G)  Mémoires,  t.  1,  p.  109. 


208  KOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

nous  dit  :  «  En  deux  séances,  chacune  de  trois  heures,  j'ai 
écrit  sous  lui,  à  (îerminy  en  1088,  au  miheu  de  l'été,  l'abbé 
Fleury  présent,  le  plan  et  le  canevas  de  son  Explication 
de  l'Apocalypse ,  avec  les  citations  du  texte  et  les  caractères 
des  empereurs  par  les  historiens,  tant  il  possédait  sa  ma- 
tière, quoique  d'une  si  longue  discussion  et  d'une  si  grande 
variété  (1).  » 

ARTICLE  Y' 

Les  Saints  Pères  et  l'Explication  de  l'Apocalypse. 

Quoique  Bossuet  fasse  remarquer  au  §  XVI  de  sa  Préface 
que,  pour  «  les  prophéties  qui  ne  regardent  pas  le  dogme, 
mais  l'éditication  (2i  »,  il  est  permis  de  «  dire  que  les  Pères 
ou  ne  s'y  sont  pas  appliqués,  ou  n'ont  pas  tout  vu,  ou  qu'on 
peut  même  aller  plus  loin  qu'ils  n'ont  fait  »,  il  ajoute  aus- 
sitôt que  même  «  en  cela  on  manquera  d'autant  moins  au 
respect  qui  leur  est  dû  qu'il  faudra  encore  avouer  de  bonne 
foi  que  ce  petit  progrès  que  nous  pouvons  faire  dans  ces 
pieuses  éruditions  est  dû  aux  lumières  qu'ils  nous  ont 
données  ». 

En  effet ,  l'évèque  de  Meaux  marche  toujours  guidé  par  ces 
lumières  qui  éclairent  son  génie.  —  Ainsi,  des  deux  rai- 
sons pour  lesquelles  «  Dieu  ,  qui  a  inspiré  tous  les  prophè- 
tes, en  a  fait  revivre  l'esprit  dans  saint  Jean,  pour  consacrer 
de  nouveau  à  Jésus-Christ  et  à  son  Église  tout  ce  qui  avait 
été  jamais  inspiré  aux  prophètes ,  la  première  est  prise  de 
saint  Irrnée  :  «  Il  devait,  dit-il  (3\  venir  de  faux  docteurs 
qui  enseigneraient  que  le  Dieu  qui  avait  envoyé  Jésus-Christ 
n'est  pas  le  même  que  celui  qui  avait  envoyé  les  anciens 

(l)Le  travail,  achevé  en  I(i88  (.'),  parut  en  I(i8!i.  lue  lettre  de  l'abbé  de  Langc- 
ron  du  lt>  avril  1<>88  rend  compte  de  la  lecture  du  Commentaire,  sinon  sous  sa 
fornK!  délinitivc,  du  moins  dans  une  rédaction  déjà  assez  complète.  —  «  Il  faut , 
dit  le  P.  de  la  Broise ,  p.  -27(>,  note  1,  que  Le  Dieu  ait  écrit  par  erreur  l(>8S  au  lieu 
<le  n>8",  ou  bien  qu'il  parle,  non  du  plan  et  du  canevas  du  Commentaire  lui- 
même,  mais  de  la  Prrfacr  ou  des  Disscrlalations  qui  suivent  le  Commentaire.  » 

Ci,  Telle  est  évidemment  celle  de  l'Apocalypsr. 

(3)  Adi'crsus  Hacrcscs,  lib.  V,  cap.  xxvi,  -2. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  EXÉGETE.  209 

prophètes.  »  C'est  pour  confondre  leur  audace  que  la  pro- 
phétie du  Nouveau  Testament,  c  esi-k-dire  Y Aj)oca/f/j)se ,  est 
pleine  de  toutes  les  anciennes  prophéties,  et  que  saint  Jean, 
le  nouveau  prophète,  expressément  envoyé  par  Jésus-Christ, 
est  plein  de  l'esprit  de  tous  les  prophètes  (1).  »  —  Ainsi  en- 
core, Bossuet  nous  dit  «  qu'il  y  a  deux  manières  d'expliquer 
l'Apocalypse  :  l'une  générale  et  plus  facile  ;  c'est  celle  dont 
saint  Augustin  a  posé  les  fondements  et  comme  tracé  le  plan 
en  divers  endroits  (21,  mais  principalement  dans  le  livre  de 
la  Cité  de  Dieu.  Cette  explication  consiste  à  considérer  deux 
cités,  deux  villes,  deux  empires  mêlés  selon  le  corps  et  sé- 
parés selon  l'esprit.  L'un  est  l'empire  de  Babylone,  qui  si- 
gnifie la  confusion  et  le  troublé  ;  l'autre  est  celui  de  Jérusa- 
lem, qui  signifie  la  paix;  l'un  est  le  monde,  et  l'autre 
l'Ég-lise  considérée  dans  sa  partie  la  plus  haute,  c'est-à-dire 
dans  les  saints,  dans  les  élus...  Autant  que  cette  explica- 
tion de  V Apocalypse  est  utile,  autant  est-elle  facile.  Par- 
tout où  l'on  trouvera  le  monde  vaincu  ou  Jésus-Christ  vic- 
torieux, on  trouvera  un  bon  sens  dans  cette  divine  prophétie, 
et  on  pourra  même  s'assurer,  selon  la  règle  de  saint  Augus- 
tin, d'avoir  trouvé  en  quelque  façon  l'intention  du  Saint- 
Esprit,  puisque  cet  Esprit  qui  a  prévu  dès  l'éternité  tous  les 
sens  qu'on  pourrait  donner  à  son  Écriture,  a  aussi  toujours 
approuvé  ceux  qui  seraient  bous  et  qui  devaient  édifier  les 
enfants  de  Dieu...  Mais  si  notre  Apôtre  n'avait  regardé  que 
ce  sens  dans  son  Apocalypse ,  ce  n'en  serait  pas  assez  pour 
lui  donner  rang  parmi  les  prophètes.  Il  a  mérité  ce  titre 
parla  connaissance  qui  lui  a  été  donnée  des  événements  fu- 
turs, et  en  particulier  de  ce  qui  s'allait  commencer  dans 
l'Eglise  et  dans  l'Empire.  »  Et  Bossuet  prouve  que  saint 
Jean  a  prédit  les  souffrances  de  l'Église  par  deux  lettres  de 
&QAiii  Denys  d'Alexandrie,  rapportées  dans  V Histoire  ecclé- 
siastique d'Eusèbe,  VII,  25  ,  10  ,  22,  23. 

Il  montre  ensuite  que  d'après  «  une  tradition  constante 

(1)  Préface  de  l'Apocalypse  avec  une  explication ,  §  II. 

(-2)  Bossuet  cite  les  Explications  sur  les  Psaumes,  LXIV,  n.  I  cl  -l;  CXXXYI,  15 
et  Ifi. 

BOSSUET  ET   LES  SAINTS   PÈRES.  14 


210  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

de  tous  les  siècles,  la  Rabylone  de  saint  Jean,  c'est  l'an- 
cienne Rome.  »  Il  cite  à  l'appui  un  passage  de  Tertullicn 
et  ajoute  que  «  tous  les  Pères  oui  tenu  le  même  langage  »  : 
saint  I ré  née,  saint  Augustin,  Or  ose ,  surtout  saint  Jérôme, 
«  qui  a  été  le  mieux  instruit  des  sentiments  [des  anciens  doc- 
teurs! et  qui  ne  cesse  de  répéter  que  Rome  est  la  ville  que 
Dieu  a  maudite  dans  V Apocalypse,  sous  la  figure  de  Ba- 
bylone  »,  saint  Ambroise  enfin,  ou  plutôt  «  le  savant  inter- 
prète de  V Apocalypse ,  imprimé  très  mal  à  propos  sous  le 
nom  de  saint  Ambroise ,  parmi  les  œuvres  de  ce  Père  »  . 

Jurieu,  il  est  vrai,  prétendait  que  la  Babylone  de  V Apo- 
calypse n'était  pas  la  Rome  païenne,  mais  la  Rome  chré- 
tienne, l'Église  corrompue.  C'est  Wiclef  et  Jean  Huss  qui 
avaient  émis  cette  idée  au  quatorzième  et  au  quinzième 
siècle;  Luther  l'avait  popularisée,  en  appelant  le  Pape  l'An- 
téchrist; les  protestants  d'Allemagne,  de  Suisse,  d'Angle- 
terre et  de  France  l'avaient  propagée,  en  imaginant  divers 
systèmes  pour  prédire  la  ruine  prochaine  de  la  Babylone 
papale,  qui  en  1689  (1),  qui  en  1700  (2),  qui  en  1710- 
1715  (3).  —  Bossuet  écrivit  son  Explication  à  l'occasion 
de  ces  dires  mensongers  des  protestants.  Toutefois ,  son  li- 
vre n'est  pas  un  écrit  polémique  :  la  question  du  Pape  Anté- 
christ sera  traitée  d'une  façon  polémique  dans  le  XIIF  livre 
de  V  Histoire  des  Variations ,  âans  Y  A  rcrtisse?7îent  aux  pro- 
testants placé  à  la  suite  de  l'Explication  et  dans  la  disser- 
tation De  excidio  Babylonis.  L'évêque  de  Meaux  ne  voulait 
dans  son  Explication  que  donner  aux  fidèles  un  bon  com- 
mentaire sur  un  livre  difficile. 

Il  répond  à  Jurieu  que  Babylone  n'est  pas  une  adultère, 
mais  une  prostituée,  Trbpvr^v,  d'après  saint  Jean,  et  que  la 
plus  grande  partie  de  \ Apocalypse  (chap.  iv-xix)  a  reçu 
son  entier  et  manifeste  accomplissement,  d'après  le  «  docte 


(I)  l'icirc  Dumoulin  dans  son  Accomplissement  des  Prophéties,  public  à  Pecinn 
en  10-24. 

(•2)  Jurieu  dans  son  livre  les  Préjugés  légitimes. 

Vi)  C'est  Joseph  Méde  dans  sa  Clavis  Apocalyptica,  Cambridge,  l(i-2";  Jurieu, 
qui,  après  la  révocation  de  l'Édit  de  Nantes,  Kia"),  remania  ses  calculs,  fit  com- 
mencer le  rc'sne  de  la  Bête  en  «0,  au  lieu  de  500,  pour  le  faire  (inir  en  l-IO-ni.-;. 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  EXÉGÊTE.  211 

Génébrard  (1),  une  des  lumières  de  la  Faculté  de  Paris  et  de 
toute  l'Église  de  France  » ,  d'après  le  savant  Jésuite  Possi- 
nes,  Grotius,  Hamond,  Grégoire  Lopez  et  Louis  de  Grenade. 

Les  saints  Pères  ont  bien  cru  voir  dans  la  Bête  de  YAjjo- 
ralt/psfi  ce  grand  Antéchrist  dont  les  autres  antechrists  ne 
devaient  être  qu'une  faible  image.  —  Mais  le  savant  Jésuite 
Louis  d'Alcasar,  qui  a  écrit  un  commentaire  sur  YApo- 
cabjpse,  la  montre  parfaitement  accomplie  jusqu'au  xx°  cha- 
pitre, et  quand  on  lui  objecte  les  Pères  et  l'autorité  de 
quelques  docteurs,  qui  trop  hardiment  donnent  pour  des 
traditions  constantes  et  des  articles  de  foi  les  conjectures  de 
quelques  Pères,  il  répond  que  les  autres  docteurs  n'y  consen- 
tent pas  ;  que  les  Pères  ont  varié  sur  tous  ces  sujets  ou  sur  la 
plupart;  qu'il  n'y  a  point  de  tradition  constante  et  uniforme 
en  beaucoup  de  points ,  où  des  docteurs ,  même  catholiques , 
ont  prétendu  en  trouver  ;  en  un  mot,  que  c'est  ici  une  affaire, 
non  de  dogme  ni  d'autorité,  mais  de  conjecture,  et  tout 
cela  est  fondé  sur  la  règle  du  Concile  de  Trente,  qui  n'é- 
tablit la  tradition  constante ,  l'inviolable  autorité  des  saints 
Pères  pour  l'intelligence  de  l'Écriture  que  dans  e  leur 
consentement  unanime  et  dans  les  matières  de  la  foi  et  des 
mœurs  ». 

Bossuet,  après  avoir  cité  saint  Hippolytc,  pose  les  princi- 
pes qui  vont  désormais  le  guider  :  «  C'est,  premièrement, 
qu'il  faut  distinguer  les  conjectures  des  Pères  et  leurs  sen- 
timents particuliers  d'avec  leur  consentement  unanime; 
c'est  qu'après  qu'on  aura  trouvé  dans  leur  consentement 
universel  ce  qui  doit  passer  pour  constant  et  ce  qu'ils  au- 
ront donné  pour  dogme  certain ,  on  pourra  le  tenir  pour 
tel  par  la  seule  autorité  de  la  tradition ,  sans  qu'il  soit  tou- 
jours nécessaire  de  le  trouver  dans  saint  Jean  ;  c'est  qu'en- 
fin ce  qu'on  verra  clairement  qu'il  y  faudra  trouver  ne 
laissera  pas  d'y  être  caché  en  figure  sous  un  sens  déjà  ac- 
compli et  sous  des  événements  déjà  passés.  Qui  ne  sait  que 
la  fécondité  infinie  de  l'Écriture  n'est  pas  toujours  épuisée 
par  un  seul  sens  ?  » 

(I)  C'est  l'auteur  de  la  Chronologie  gèni'rale. 


212  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

Voilà ,  certes ,  d'admirables  principes  d'exégèse ,  qui  con- 
sacrent l'autorité  de  la  tradition  et  sauvegardent  tous  les 
droits  de  lavenir.  On  peut  les  rapprocher  des  définitions 
du  concile  du  Vatican,  de  ce  qu'écrivait  naguère  Léon  XIII, 
dans  son  Encyclique  sur  V Étude  de  la  sainte  Écriture ,  et 
l'on  verra  que  Bossuet  est  en  parfaite  harmonie  avec  les 
enseignements  les  plus  récents  de  l'Église  catholique. 

Voici  les  principaux  passages  de  l'Encyclique  de  novem- 
bre 1893  : 

«  Il  faut  reconnaître  que  les  saints  Livres  sont  enveloppés 
dune  certaine  obscurité  religieuse ,  et  qu'on  ne  peut  s'y 
engager  sans  guide  (1  .  Dieu  a  voulu  ainsi  (c'est  une  pensée 
fréquente  des  saints  Pères)  nous  les  faire  approfondir  avec 
plus  de  goût  et  d'ardeur  et,  grâce  à  ces  efforts,  en  graver 
plus  profondément  les  enseignements  dans  nos  esprits  et 
dans  nos  cœurs.  Il  a  voulu  surtout  nous  faire  comprendre 
qu'il  a  remis  les  Écritures  aux  mains  de  l'Église,  et  que 
nous  recevrons  d'elle,  pour  la  lecture  et  l'interprétation  de 
la  parole  divine,  une  direction  et  un  enseignement  infail- 
libles. Où  sont  les  dons  et  les  promesses  de  Dieu,  là  est  la 
source  où  il  faut  puiser  la  vérité;  si  l'on  veut  une  exposi- 
tion sûre  des  Écritures,  il  faut  la  demander  à  ceux  en  qui 
se  perpétue  la  succession  apostolique;  tel  était  déjà  l'avis 
de  saint  Irénée  (2i ,  tel  est  celui  de  tous  les  autres  Pères.  Le 
Concile  du  Vatican  l'a  adopté,  quand,  renouvelant  le  dé- 
cret du  concile  de  Trente  sur  l'interprétation  de  la  parole 
divine  écrite,  il  déclara  que  «  sa  rolontr  était  que  dans 
les  choses  de  la  foi  et  des  mœurs,  se  rapportant  à  l'édifica- 
tion de  la  doctrine  chrétienne,  on  tint  pour  le  vrai  sens  de 
la  sainte  Écriture  celui  qu'a  tenu  et  que  tient  notre  sainte 
Mère  r Église,  à  qui  il  appartient  déjuger  du  vrai  sens  et  de 
r interprétation  des  Écritures;  et  que  par  conséquent  il  n'est 
permis  à  personne  d'interpréter  r  Ecriture  sainte  contraire- 
ment à  ce  sens  ou  au  sentiment  unanime  des  Pères  (3)  ». 


(1)  s.  Hier,  ad  Paulin,  de  Studio  Scripl..  ep.  i.iii,  '«. 

(2)  C.  hecr.,  iv,  ■>(!,  :,. 

(a)  Srss.  i\i. cap.  ii.  de  revcl.  :  cf.  Conc.  Triil.  scss.  iv,  decr.  de  cdil.  cl  usu  sacr.  libror. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  EXEGETE.  213 

«  Cette  loi  pleine  de  sagesse ,  loin  de  retarder  ou  d'em- 
pêcher les  recherches  de  la  science  biblique,  la  préserve 
plutôt  de  l'erreur,  et  l'aide  beaucoup  à  faire  de  vrais  pro- 
grès. Car  tout  docteur  privé  a  devant  lui  un  vaste  champ 
où,  s'avançant  en  toute  sûreté,  il  peut  se  distinguer  et  ser- 
vir l'Église  par  son  talent  d'interprète.  Le  sens  de  plusieurs 
passages  des  divines  Écritures  n'est  pas  encore  certain  et 
défini  :  il  se  peut  que,  par  un  dessein  miséricordieux  de  la 
Providence,  les  recherches  des  savants  fassent  mûrir  les 
questions  que  tranchera  plus  tard  le  jugement  de  l'Église. 
Quant  aux  passages  déjà  définis,  le  docteur  privé  peut  en- 
core se  rendre  utile,  en  rendant  plus  claire  l'exposition  qui 
s'en  fait  au  vulgaire,  plus  profonde  celle  que  réclament  les 
érudits,  plus  décisive  l'apologie  qui  doit  les  venger  des  at- 
taques de  l'impiété.  Que  l'interprète  catholique  regarde 
donc  comme  un  devoir  sacré  et  qu'il  ait  à  cœur  de  se  con- 
former à  l'interprétation  traditionnelle  des  textes ,  dont  le 
sens  authentique  a  été  défini  par  les  écrivains  sacrés,  sous 
l'inspiration  de  l'Esprit-Saint ,  comme  on  le  voit  en  plu- 
sieurs endroits  du  Nouveau  Testament,  ou  par  l'Église  avec 
l'assistance  du  même  Esprit,  tantôt  sous  la  forme  d'un  ju- 
gement solennel,  tantôt  par  son  enseignement  ordinaire 
et  universel  (l),  et  qu'il  se  serve  des  ressources  de  son 
érudition  pour  montrer  que  cette  interprétation  tradition- 
nelle est  la  seule  qu'autorisent  les  lois  d'une  saine  hermé- 
neutique... 

«  C'est  pourquoi  celui  qui  enseigne  cette  science  doit 
avoir  aussi  le  mérite  de  posséder  à  fond  l'ensemble  de  la 
théologie;  et  les  comniputairfs  des  saints  Pèrps^  des  doc- 
teurs et  des  meilleurs  interprètes  doivent  lui  être  familiers. 
C'est  ce  que  nous  répète  souvent  saint  J('r<jmc  (2  ,  ce  sur 
quoi  insiste  particulièrement  saint  ÀHf/usiin,  qui  se  plaint, 
à  juste  titre,  dans  les  termes  suivants  :  «  Si  toutes  les 
sciences,  et  jusqu'à  celles  qui  ont  le  moins  de  valeur  et  of- 
frent le  moins  de  difficultés ,  ont  besoin ,  pour  être  bien  sai- 

(1)  Conc.  Vat..  sess.  m,  cap.  m,  de  fide. 
(-2)  Ibid.,  (1,7. 


214  BOSSUET  ET  LES  SALNTS  PERES. 

sies,  d'un  professeur  ou  d'un  maître,  peut-on  imaginer 
une  condui|,e  plus  téméraire  et  plus  orgueilleuse,  que  de 
vouloir  comprendre,  en  dehors  de  leurs  interprètes,  les 
livres  qui  traitent  des  divins  mystères  (1)?  »  Tels  furent 
aussi  le  sentiment  et  la  pratique  des  r/iifrfs  Pères,  qui, 
pour  arriver  à  rintelligence  des  divines  Écritures ,  s'en  rap- 
portèrent, non  à  leur  propre  manière  de  voir,  mais  aux 
écrits  et  à  l'autorité  de  leurs  prédécesseurs  dans  la  foi ,  qui 
eux-mêmes  tenaient  très  certainement  de  la  tradition  apos- 
tolique leur  règle  d'interprétation  (2). 

«  Et  maintenant,  fous  le.s  saints  Pères  qui,  «  après  les 
Apôtres,  ont  planté,  arrosé,  bâti  conduit  et  nourri  le  trou- 
peau de  Dieu ,  procurant  ainsi  l'accroissement  de  la  Sainte 
Église  (3)  »,  jouissent  d'une  autorité  souveraine ^  chaque 
fois  qu'ils  s'accordent  tous  à  expliquer  de  la  même  ma- 
nière quelque  passage  biblique ,  comme  se  rapportant  à  la 
doctrine  sur  la  foi  ou  les  mœurs  :  en  effet ,  de  leur  consen- 
tement unanime,  il  résulte  clairement  que  ce  point  a  été 
enseigné  par  les  Apôtres  selon  la  foi  catholique.  Mais  il 
faut  encore  faire  grand  cas  de  l'opinion  des  Pères,  alors 
même  que,  sur  ces  matières,  ils  parlent  comme  des  doc- 
teurs privés.  Et  en  effet,  non  seulement  ils  se  recommandent 
hautement  par  leur  science  de  la  doctrine  révélée  et  par  la 
connaissance  d'une  foule  de  choses  très  utiles  à  l'intelli- 
gence des  livres  apostoliques;  mais  encore  Dieu  a  donné 
abondamment  l'assistance  de  sa  lumière  à  ces  hommes  non 
moins  remarquables  par  la  sainteté  de  leur  vie  que  par  leur 
amour  de  hi  vérité.  Que  l'interprète  sache  donc  qu'il  est 
de  son  devoir  de  marcher  respectueusement  sur  leurs  tra- 
ces et  de  profiter  de  leurs  travaux  avec  un  choix  intelli- 
gent. 

«  Qu'il  ne  pense  point  pour  cela  qu'il  lui  est  interdit  de 
pousser  plus  loin,  quand  il  y  en  aura  un  juste  motif,  les 
recherches  et  l'exposition,  pourvu  qu'il  se  conforme  reli- 

(I)  Ad  Honorât,  de   Utilit.  cred.  xvii,  .Ti. 

(i)  Kufin.  Ilisl.  eccl.  ii,  9. 

('■i)  S.  Aug.  C.  Julinn.  Il,  10,  ;iT. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  EXEGETE.  215 

gieusement  à  cette  règle  si  sage  de  saint  Augustin,  à  sa- 
voir :  qu'on  ne  doit  s'éloigner  du  sens  littéral ,  et  pour  ainsi 
dire  obvie,  qu'autant  que  la  raison  empêche  de  le  conser- 
ver, ou  que  la  nécessité  oblig-e  de  l'abandonner  (1).  » 

Bossuet  a  pratiqué  deux  siècles  avant  Léon  XIII  ces  admi- 
rables principes  d'exégèse. 

Après  avoir  répondu  à  une  objection  tirée  de  la  venue 
d'Enoch  et  d'ÉUe  à  la  lin  des  temps  et  non  pas  à  la  chute  de 
Rome  païenne  (2),  après  avoir  fermé  la  bouche  d'un  mot 
aux  protestants ,  qui  disent  que  l'Antéchrist  naquit  en  saint 
Léon  et  continua  à  se  former  dans  saint  Gélase  et  dans  saint 
Grégoire,  l'auteur  de  V Explication  de  V Apocalypse  «  avance 
trois  vérités  : 

«  La  première ,  qu'il  y  a  des  prophéties  qui  regardent  le 
fondement  de  la  religion,  comme  celles  de  la  venue  du 
Messie,  de  la  dispersion  des  Juifs  et  de  la  conversion  des 
gentils.  Le  sens  de  ces  prophéties  ne  peut  pas  avoir  été  in- 
connu aux  Pères,  puisque  ce  serait  avoir  ignoré  un  dogme 
delà  religion,  et  encore  un  dogme  essentiel  et  fondamen- 
tal... Le  fond  s'en  doit  trouver  dans  les  écrits  des  saints 
Pères  : 

«  Une  seconde  vérité  n'est  pas  moins  constante  :  c'est 
qu'il  y  a  des  prophéties  qui  ne  regardent  pas  le  dogme, 
mais  l'édification  ;  ni  la  substance  de  la  religion ,  mais  ses 
accessoires...  L'explication  de  ces  prophéties  dépend  de 
l'histoire,  et  autant  de  la  lecture  des  auteurs  profanes  que 
de  celle  des  saints  Livres.  Sur  ces  sujets,  il  est  permis  d'al- 
ler, pour  ainsi  dire,  à  la  découverte  .-personne  n'en  doute... 

«  De  là  résulte  une  troisième  vérité  :  que  s'il  arrive  aux 
orthodoxes,  en  interprétant  les  prophéties  de  ce  dernier 
genre,  de  dire  des  choses  nouvelles,  il  ne  faut  pas  s'ima- 
giner pour  cela  qu'on  puisse  se  donner  la  même  liberté 
dans  les  dogmes;  car  c'est  à  l'égard  des  dogmes  que  l'Église 


(1)  De  Gen.  ad  lilt..  1.  VUI,  c.  7,  1:3. 

(2)  ■  Ce  sens,  dit  Bossuet,  ne  préjudicie  en  aucune  sorte  à  celui  que  je  propose 
louchant  Rome  :  il  est  certain  qu'il  faut  reconnaître  un  dernier  et  un  grand  An- 
téchrist. » 


216  BOSSUET  ET  LES  SA.INTS  PERES. 

a  toujours  suivi  cette  règle  invariable ,  de  ne  rien  dire  de 
nouveau  et  de  ne  s'écarter  jamais  du  chemin  battu.  » 

On  voit  par  là  ce  qu'il  faut  penser  des  déclamations  de 
Paul  Albert  et  de  quelques  autres  critiques  qui  nous  repré- 
sentent un  Bossuet  esclave  de  la  tradition  et  figé  dans  l'im- 
mobilité d'une  doctrine  étroite  et  sans  ampleur.  Le  véri- 
table Bossuet  respecte  souverainement  les  dogmes  sacrés , 
immuables  comme  les  paroles  de  Dieu  «  qui  ne  passent 
pas  »  ;  mais  dans  tout  le  reste ,  il  est  beau  de  le  voir  «  aller 
à  la  découverte  »  avec  la  sainte  liberté  des  enfants  de 
Dieu. 

Pour  expliquer  cette  liberté,  Bossuet  «  ose  avancer  que, 
loin  qu'il  soit  du  dessein  de  Dieu  qu'elles  (ces  prophéties) 
soient  toujours  parfaitement  entendues  dans  le  temps  qu'elles 
s'accomplissent ,  au  contraire ,  il  est  quelquefois  de  son  des- 
sein qu'elles  ne  le  soient  pas  alors  ».  Des  exemples  nom- 
breux le  prouvent  dans  l'Ancien  et  le  Nouveau  Testament. 
Quant  au  sens  prophétique  de  V Apocalypse ,  «  les  saints 
Pèt'es  tournaient  rarement  leur  application  de  ce  côté-là. 
Dans  l'explication  de  l'Écriture,  ils  ne  poussaient  guère  à 
bout  le  sens  littéral,  si  ce  n'est  lorsqu'il  s'agissait  d'établir 
les  dogmes  et  de  convaincre  les  hérésies.  Partout  ailleurs  ils 
s'abandonnaient  ordinairement  au  sens  moral...  Une  rai- 
son particulière  obligeait  les  Pères  à  de  plus  grandes  réser- 
ves sur  le  sujet  de  V Apocalypse ,  à  cause  qu'elle  contenait 
les  destinées  de  l'Empire ,  dont  il  leur  fallait  parler  avec 
beaucoup  de  ménagement  et  de  respect,  pour  ne  point  ex- 
poser l'Église  à  la  calomnie  de  ses  ennemis.  On  peut  dire 
pour  ces  raisons,  que  ces  saints  docteurs  (que  rien  ne  pres- 
sait d'enfoncer  dans  le  sens  caché  de  Y  Apocalypse)  premiè- 
rement n'y  pensaient  pas  toujours  et  ensuite  qu'ils  se  gar- 
daient bien  d'écrire  tout  ce  qu'ils  pensaient  sur  une  matière 
si  délicate...  Il  y  avait  encore  un  autre  obstacle  qui  les  em- 
pêchait de  voir  l'accomplissement  de  Y  Apocalypse  dans  la 
chute  de  Rome  :  c'est  qu'ils  ne  voulaient  pas  que  l'empire 
romain  eût  une  autre  fin  que  celle  du  monde ,  à  quoi  ils 
étaient  portés  par  deux  motifs  :  premièrement,  parce  que 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  EXÉGETE.  217 

l'iin  et  Tautre  événement  leur  paraissaient  liés  en  plusieurs 
endroits  de  V Apocalypse ,  comme  on  le  verra  en  son  lieu; 
secondement ,  parce  qu'ayant  à  parler  de  la  ruine  de  l'em- 
pire où  ils  vivaient,  ils  trouvaient  moins  odieux  et  plus  res- 
pectueux, s'il  fallait  que  leur  patrie  périt,  d'espérer  que  ce 
ne  serait  qu'avec  toute  la  nature  (1)...  Il  ne  s'est  conservé 
dans  l'Eglise  aucune  évidente  tradition  du  secret  dont  saint 
Paul  écrit  à  ceux  de  Thessalonique  (  2)  ;  car  encore  que  les 
saints  Prrfs  nous  aient  dit  d'un  commun  accord  que  ce 
passage  s'entend  du  dernier  Antéchrist,  comme  l'appelle 
saint  Augustin  (3  ,  c'est-à-dire  dans  son  langage  et  dans 
celui  de  tous  les  Pères,  de  l'Antéchrist  qui  viendra  à  la  fin 
du  monde,...  ils  ne  marchent  qu'à  tâtons  dans  Fexphcation 
du  détail  de  la  prophétie .  marque  assurée  que  la  tradition 
n'en  avait  rien  laissé  de  certain...  Il  en  est  de  même  de 
V Apocalypse ,  et  pour  en  être  convaincu,  il  ne  faut  qu'en- 
tendre saint  Irénée  sur  ce  nom  mystérieux  dont  les  lettres 
devaient  composer  le  nombre  de  six  cent  soixante-six.  Car 
dans  la  recherche  qu'il  fait  de  ce  nom,  loin  de  proposer 
une  tradition  qui  soit  venue  jusqu'à  lui  de  main  en  main , 
il  ne  propose  que  des  conjectures  particulières  (i) . . .  Saint 
Hippobjte  suit  les  conjectures  de  saint  Irénée  (5...  D'où  il 
faut  conclure  qu'on  se  tourmenterait  en  vain  de  chercher 
ici  une  tradition  constante  ;  c'est  une  affaire  de  recherche 
et  de  conjecture;  c'est  par  les  histoires...  qu'on  peut  s'as- 
surer d'avoir  expliqué  et  déchiffré,  pour  ainsi  parler,  ce 
divin  livre.  » 

Ainsi  dégagé  vis-à-vis  de  la  doctrine  des  saints  Pères, 
qu'il  aime  tant,  Bossuet  avoue  ses  espérances  d'éclaircir 
VApocalijpsf' ,  à  cause  de  la  raison  particulière  qu'il  a  de  s'y 
appliquer.  «  \J Apocalypse  est  profanée  par  d'indignes  in- 
terprétations, qui  font  trouver  l'Antéchrist  dans  les  saints, 


(I)  In-uée.  V,  30,  â;  —  Tertullien,  Apolocj.,  3-2;  —  Lactance .  De  Institut.  Divin., 
VII,  l.';,l(i;  —  Saint  Jérôme;  —  Oiose. 
(•2)  H  ad  Thess.,  II. 
(3)  De  Civilale  Dei,  XX,  19. 
(i)  Contre  les  hérésies .  V,  30. 
(3)  S.  Hipp.,  Gud.,  1G60,  p.  7i.  7:i.  édit.  Fabric,  De  Antich.,  liv.  XIV,  p.  •>•;. 


218  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

l'erreur  dans  leur  doctrine,  l'idolâtrie  dans  leur  culte...  11 
faut  s^enger  les  outrages  de  la  chaire  de  saint  Pierre ,  dont 
on  veut  faire  le  siège  du  royaume  antichrétien ,  mais  les 
venger  d'une  manière  digne  de  Dieu,  en  répandant  des  lu- 
mières capables  de  convertir  ses  ennemis  ou  de  les  con- 
fondre   Notre  siècle  est  plein  de  lumière  :  les  histoires 

sont  déterrées  plus  que  jamais,  les  sources  de  la  vérité  sont 
découvertes.  Quoi  qu'il  en  soit,  il  est  toujours  bon  de  pro- 
poser ses  pensées...  Ainsi,  après  avoir  vu  le  travail  des 
autres  et  leurs  fautes,  aussi  bien  que  les  endroits  où  ils  ont 
heureusement  rencontré,  je  tâche  de  proposer,  avec  une 
meilleure  date,  des  événements  plus  particuliers,  des  carac- 
tères plus  marqués,  une  suite  plus  manifeste  et  de  plus 
soigneuses  observations  sur  les  liaisons  que  saint  Jean  lui- 
même  ,  pour  diriger  les  es-prits ,  a  voulu  donner  à  sa  pro- 
phétie. Si  je  réussis,  du  moins  en  partie,  à  la  bonne  heure, 
Dieu  en  soit  loué  à  jamais I  Sinon,  j'aurai  du  moins  gagné 
sur  les  protestants,  qui  nous  débitent  leurs  songes  si  mal 
suivis  avec  une  assurance  si  étonnante,  j'aurai,  dis-je, 
gagné  sur  eux  qu'avec  un  enchaînement  plus  clair  dans  les 
choses,  des  convenances  plus  justes,  des  principes  plus  assu- 
rés, et  des  preuves  plus  concluantes,  on  peut  encore  avouer 
qu'on  est  demeuré  fort  au-dessous  du  secret  divin  et  encore 
attendre  humblement  une  plus  claire  manifestation  de  la 
lumière.  » 

Voilà  une  des  pages  les  moins  connues  de  Bossuet  et  où  se 
révèle  le  mieux  la  grande  âme  apostolique  de  cet  évêque, 
si  ardent  et  si  doux,  si  humble  et  si  jaloux  des  droits  de 
la  vérité. 

Une  Réflexion  importanU'  sur  la  doctrine  de  ce  livre  ter- 
mine la  Préface  de  Y  Explication  de  V  Apocalypse  et  met  en 
relief  ce  qui  ressort  de  l'étude  de  cette  prophétie  :  le  minis- 
tère des  Anges,  dont  les  anciens  et  Orir/ène  étaient  si  tou- 
chés, la  grande  puissance  des  saints,  constatée  par  le  même 
Origène  et  saint  Deni/s  d'Alexandrie ,  a  qui  fut  une  des 
lumières  du  troisième  siècle  »,  et  la  connaissance  qu'ont  les 
élus  des  souffrances  de  l'Église,  des  vengeances  de  Dieu  et  de 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  EXÉGÈTE.  219 

leur  délai.  «  Ils  voient  tout,  parce  qu'ils  sont  à  louer  Dieu 
de  tout.  »  —  Saint  Jean  a-t-il  eu  des  apparitions  ou  des 
songes?  Le  plus  sûr  en  ces  matières  est  de  répondre  hum- 
blement qu'on  ne  le  sait  pas  et  qu'il  est  peu  important  de  le 
savoir;  car  pourvu  qu'on  sache  que  c'est  Dieu  qui  parle, 
qu'importe  de  savoir  comment  et  par  quel  moyen?  » 

Ainsi  donc,  Bossuet,  dans  cette  Préface,  a  posé  les  règles 
(rp.régèse  qu'il  tenait  de  ses  anciens  maîtres  du  collège  de 
Navarre  et  qu'il  devait  pratiquer  toute  sa  vie  avec  autant 
de  fermeté  que  de  lumineux  bon  sens  :  interpréter  la  Bible 
d'après  les  saints  Prfcs,  quand  leur  consentement  est  una- 
nime; quand  il  ne  l'est  pas,  ((  aller  à  la  découverte  »  en 
s'inspirant  de  l'histoire,  et  avouer  humblement  que  l'on  ne 
sait  pas  tout,  que  l'on  ne  peut  pas  tout  savoir,  à  cause  «  de 
la  fécondité  infinie  de  l'Éc'riture  »,  qui  n'est  jamais  épuisée. 

Nous  n'avons  pas  à  suivre  Bossuet  dans  les  développe- 
ments de  son  «  œuvre  magistrale  (1)  »  et  des  trois  parties 
qu'il  distingue  dans  la  Prophélie  de  saint  Jean  :  les  avertisse- 
ments, les  pre'dictions ,  les  consolations  et  les  promesses. 

Il  faut  remarquer  pourtant  l'érudition  patrologique  de 
Bossuet,  qui,  dans  l'explication  d'un  seul  chapitre,  le  pre- 
mier, cite  (2)  saint  Irénée  à  trois  ou  quatre  reprises,  Tertul- 
lien,  saint  Epi  plume  ^  saint  Clément  d'Alexandrie ,  Eiisèhe, 
saint  Jérôme,  saint  Augustin. 

Ce  sont  ces  mêmes  Pères  et  bien  d'autres  encore,  comme 
Lactance ,  dont  l'Église  venait  de  recouvrer  le  traité  Des 
morts  des  pjersécuteursi^),  le  prêtre  Orose^  saint  Grégoire  de 
Nazianze,  Théodoret ,  Sidpnce  Sévère,  saint  Ambroise,  Ori- 
gène,  saint  Eu  cher,  saint  Cf/prien ,  saint  Méthode,  Baro- 
nius,  etc.,  qu'il  met  sans  cesse  à  contribution  dans  une  cou- 
vre pour  laquelle  il  a  dit  qu'il  se  passerait  du  témoignage 
des  Pères,  qui  «  n'ont  pas  tout  vu  ». 

Détail  remarquable  et  qui  montre  le  cas  que  faisait  l'évê- 
que  de  Meaux  de  l'autorité  de  la  tradition  et  des  docteurs 

(1)  C'est  ainsi  que  l'ajjpelle  le  P.  de  la  Brolsc  :  Bossuet  et  la  Bible,  p.  -^Sl. 
{-2)  Il  s'agit  de  déterminer  la  date  du  martyre  de  saint  Jean. 
(3)  C'est  ce  que  Bossuet  dit  dans  la  Préface  de  V Explication, 


220  BOSSUEÏ  ET  LES  SAINTS  PERES. 

de  l'Église  là  même  où  elle  avait  le   moins  à  intervenir. 

Au  chapitre  ix  de  VApocab/pse,  1-12.  il  est  dit  qu'au  son 
de  la  cinquième  trompette,  une  étoile  tombe  du  ciel;  la  clef 
du  puits  de  l'abîme  lui  est  donnée;  quand  elle  Fa  ouvert,  il 
s'en  échappe  comme  une  fumée  épaisse  et  des  sauterelles 
sorties  de  cette  fumée  se  répandent  sur  la  terre.  «  C'est 
peut-être,  dit  Bossuet,  l'endroit  le  plus  difficile  de  la  pro- 
phétie. »  Aussi  le  soumit-il  modestement  au  petit  Concile, 
où  l'on  n'avait  étudié  en  détail  ni  la  révélation  de  Patmos, 
ni  aucun  des  livres  du  Nouveau  Testament.  Labbé  de  Lan- 
g-eron  affirme  seulement,  dans  une  lettre  du  16  avril  1688, 
qu'on  s'était  entretenu  (1)  au  Concile  de  l'Apocah/pse  pour 
y  discuter  en  conversation,  sinon  en  séance,  quelques 
questions  qui  s'y  rapportaient  (2).  Le  chapitre  ix  fut  cer- 
tainement une  de  ces  questions,  puisque  Fénelon  et  l'abbé 
de  Lang-eron  conjurèrent  Bossuet  de  voir  dans  les  sauterelles 
dévastatrices  des  armées  en  marche  contre  Rome  (3).  Mais 
Bossuet,  s'inspirant  des  anciens  interprètes,  croyait  que  les 
sauterelles  étaient  les  hérétiques,  qui,  comme  les  juifs  et 
les  idolâtres,  devaient  affliger  l'Église.  Il  tint  fermement 
à  cette  explication  et  se  contenta,  en  parlant  de  l'étoile  tom- 
bée, de  remplacer  Paul  de  Samosate,  qu'il  avait  mis  d'abord, 
par  ïhéodote  de  Byzance,  qui  lui  parut  mieux  convenir. 
Bossuet  rendait  ainsi  hommage  à  l'autorité  de  la  tradition 
et  il  maintenait  l'interprétation  donnée  par  lui  vingt  ans 
auparavant  dans  V Oraison  funèbre  de  la  reine  d'Angleterre  : 
■<  Quand  Dieu  laisse  sortir  du  puits  de  l'abime  la  fumée  qui 
obscurcit  le  soleil,  selon  lexpression  de  VApocali/pse,  c'est- 
à-dire  l'erreur  et  l'hérésie...  » 

Ce  qu'on  n"a  pas  peut-être  suffisamment  remarqué  dans 


(1)  «Je  me  suis  répondu,  dil-il,  à  une  raison  (|ue  je  vous  ai  entendu  dire  à 
l'abbé  de  Fénelon  et  (|ui  me  frappait.  » 

(-2)  D'après  Kloquct.  lUissuct  aurait  soumis  au  Concile,  aux  Pères  qui  restaient 
à  Versailles,  son  explication  de  l'Apocalypse,  avant  de  la  faire  imprimer.  —  Cela 
peut  être,  étant  données  la  modestie  de  Bossuet  et  son  lial)itude  de  consulter 
beauroup.  Mais  aucun  Commciilaire  n'avait  été  arrêté  en  commun  ,  et  l'Explica- 
tion est  ime  œuvre  orii;inalc  cl  personnelle  de  l'cvéque  de  Meaux. 

(;s)  Voir  la  lettre  du  l(i  a\ril  l<is8  de  l'abbé  de  Langeron  et  le  Mémoire  de  Féne- 
lon qui  l'accompagne. 


LES  SAINTS  Pi.RES  ET  BOSSUET  EXÉGÈTE.  221 

V Explication  de  l'Apocdli/pse  (1),  c'est  qu'elle  contient  un 
véritable  Appendice  du  Discours  sur  Vinstoire  universelle 
dans  Téloquent  résumé  qu'a  fait  Bossuet  de  tout  son  travail, 
sous  ce  titre  :  Dessein  de  la  prédiction  de  saint  Jean,  et 
Histoire  abréyée  des  événements  depuis  la  mort  de  saint 
Jean  sous  Trajait ,  en  l'an  iOi ,  Jusqu'à  Pan  410,  où  Rome 
fut  prise  par  Alaric .  Ainsi,  les  lignes  suivantes  ne  sont  pas 
indignes  de  figurer  à  côté  des  plus  belles  pages  écrites 
par  Bossuet  sur  les  Empires  :  «  Tous  les  chrétiens  recon- 
nurent le  doigt  de  Dieu  dans  ce  mémorable  événement  (la 
prise  de  Bome);  et  saint  Augustin,  qui  en  fait  souvent  la 
réflexion,  nous  fait  adorer  en  tremblant  les  moyens  dont  ce 
juste  Juge  sait  faire  connaître  aux  hommes  ses  secrets  des- 
seins. Au  reste,  il  arriva  au  vainqueur  choisi  de  Dieu  pour 
exécuter  ces  décrets  ce  qui  a  coutume  d'arriver  à  ceux  dont 
la  puissance  divine  se  veut  servir  :  c'est  que  Dieu  leur  fait 
sentir  par  un  secret  instinct  qu'ils  ne  sont  que  les  instru- 
ments de  sa  justice.  Ainsi  Tite  répondit  à  ceux  qui  lui  van- 
taient ses  victoires  sur  les  Juifs  qu'il  n'avait  fait  que  prêter 
la  main  à  Dieu  irrité  contre  ce  peuple  (2).  Alaric  eut  un 
semblable  sentiment,  et  un  saint  moine  d'Italie  le  priant 
d'épargner  une  si  grande  ville  :  «  Non,  dit-il,  cela  ne  se 
peut  ;  je  n'agis  pas  de  moi-même  :  quelqu'un  me  pousse  au 
dedans,  sans  me  donner  de  repos  ni  jour  ni  nuit;  et  il  faut 
que  Bome  soit  prise  (3).  »  Elle  le  fut  bientôt  après.  Alaric 
ne  survécut  guère,  et  il  semblait  qu'il  ne  fût  au  monde  que 
pour  accomplir  cet  ouvrage. 

«  Depuis  ce  temps,  la  majesté  du  nom  romain  fut  anéan- 
tie :  l'empire  fut  mis  en  pièces ,  et  chaque  peuple  barbare 
enleva  quelque  partie  de  son  débris;  Bome  même,  dont  le 
nom  seul  imprimait  autrefois  la  terreur,  quand  on  la  vit 
une  fois  vaincue  ,  devint  le  jouet  et  la  proie  de  tous  les  Bar- 
bares. Quarante-cinq  ans  après  (V),  le  Vandale  Genséric  la 

(1)  Le  P.  de  la  Broise  est  le  seul  qui  l'ait  dit  en  passant  :  Bossuet  et  la  Bible, 
p.  -iS-i-'iSS. 
(-1)  Phil.,  Vif.  Ap.  VI. 
(3)  Zozime,  IX,  <>. 
('()  En  «iJ. 


222  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

pilla  encore.  Odoacre,  roi  des  Hérules,  s'en  rendit  le  maître, 
comme  de  toute  l'Italie  (1),  presque  sans  combat  :  et  la  gloire 
de  l'empire  romain,  s'il  lui  en  restait  encore  après  cette 
perte ,  fut  transportée  à  Constantinople.  Rome,  autrefois  la 
maîtresse  du  monde,  fut  regardée  avec  l'Italie  comme  une 
province ,  et  encore  en  quelque  façon  comme  une  province 
étrangère  que  l'empereur  Anastase  fut  contraint  d'aban- 
donner à  Théodoric,  roi  des  Goths  (2).  Vingt  ou  trente  ans, 
on  vit  Rome  comme  ballottée  entre  les  Goths  et  les  capi- 
taines romains,  qui  la  prenaient  tour  à  tour.  Dieu  ne  cessa 
de  poursuivre  jusqu'à  l'entière  destruction  les  restes  de 
l'idolâtrie  dans  cette  ville.  La  vénération  des  dieux  ro- 
mains avait  laissé  des  impressions  si  profondes  dans  l'esprit 
du  vulgaire  ignorant  qu'on  voit,  sous  Justinien  et  sous  les 
derniers  rois  Goths  qui  régnèrent  en  Italie  (3) ,  de  secrets 
adorateurs  de  Janus;  et  on  crut  encore  trouver  dans  sa 
chapelle  et  dans  ses  portes  d'airain ,  quoique  abandonnées 
depuis  tant  de  siècles,  une  secrète  vertu  pour  faire  la  guerre 
en  les  ouvrant.  C'étaient  les  derniers  efforts  de  l'idolâtrie, 
qui  tombait  tous  les  jours  de  plus  en  plus  avec  l'empire 
de  Rome.  Mais  le  grand  coup  fut  frappé  par  Alaric;  ni 
l'empire  ni  l'idolâtrie  ne  s'en  sont  jamais  relevés  et  Dieu 
voulait  que  l'un  et  l'autre  périt  par  un  même  coup.  » 

Nous  voilà  bien  loin  des  saints  Ph'cs,  semble-t-il.  —  Eh 
bien,  non;  la  Cité  de  Diou  de  saint  Augustin,  le  Gouver- 
nrmrnt  de  Dieu  de  Salricn  avaient  rendu  toutes  ces  idées 
familières  à  Bossuet. 

C'est  encore  de  saint  Denys  d'Alexandrie  qu'il  s'inspire, 
lorsque ,  dans  l'explication  du  chapitre  xvi" ,  il  montre  les 
maux  de  l'empire  au  temps  de  Valérien,  énumère  la  peste, 
la  guerre  extérieure,  la  tyrannie  dans  les  provinces,  la  fa- 
mine, la  majesté  impériale  abaissée,  la  victoire  des  Perses, 
la  première  invasion  des  Goths  (4),  et  trouve  dans  ces  sept 
lléaux  les  sept  coupes  pleines  de  la  colère  de  Dieu.  «  Ce  fut 

(I)  En  476. 
(-2)  En  493. 
(.'{)  Kn  :i38. 
('.)  Procop.,  De  Bello  Golh.,  liv.  I. 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  EXEGETE.  223 

donc  alors  que  fut  frappé  ce  grand  coup  dont  le  contre- 
coup porta  si  loin,  et  à  la  fin  fit  tomlîer  Rome.  » 

C'est  à  Laclance  que  Bossuet  emprunte  les  traits  caracté- 
ristiques des  sept  empereurs  idolâtres  (1)  sous  lesquels  a 
été  exercée  la  dernière  persécution  :  Dioclétien ,  Maximien 
Herculius,  Constantin  Chlorus,  père  de  Constantin  le  Grand, 
Galère  x>Iaximien,  Maxence,  fils  du  premier  Maximien,  Maxi- 
mien et  Licinius.  «  Trois  bêtes  très  cruelles  tourmentaient 
le  monde  depuis  VOrient  jusquà  l'Occident  »  et  y  exer- 
çaient une  impitoyable  persécution.  Voilà  donc  trois  bètes 
de  saint  Jean  ;  voilà  son  lion  ,  son  ours  et  son  léopard , 
trois  animaux  cruels,  mais  qui,  avec  le  caractère  commun 
de  la  cruauté ,  en  ont  aussi  de  particuliers  que  nous  al- 
lons voir. 

«  La  bête...  était  semblable  à  un  léopard.  »  La  figure  du 
léopard  faisait  le  corps  de  la  bête.  Cet  animal  est  le  symbole 
de  rinconstance  par  la  variété  des  couleurs  de  sa  peau  ;  et 
c'est  pourquoi  les  interprètes  l'attribuent,  dans  Daniel,  aux 
mœurs  inconstantes  d'Alexandre  ;  mais  ce  caractère  ne  con- 
vient pas  moins  à  Maximien ,  surnommé  Herculius ,  qui 
quitte  l'empire  et  le  reprend  ;  qui,  dans  ce  retour,  s'accorde 
premièrement  avec  son  fils,  et  incontinent  après  devient 
jaloux  de  sa  gloire  et  le  veut  perdre  ;  qui  se  fait  ami  de 
Galère  Maximien,  dont  il  machine  la  perte;  qui,  en  dernier 
lieu,  se  rallie  avec  son  gendre  Constantin,  qu'à  la  fin  il  veut 
encore  faire  périr  (2).  Voilà  donc  le  léopard,  et  il  faut 
remarquer  que  saint  Jean  en  a  voulu  faire  le  corps  de  la 
bête,  parce  que,  malgré  son  humeur  changeante,  il  sem- 
blait être  le  plus  opiniâtre  oppresseur  de  l'Église... 

«  Ses  pieds  ressemblaient  aux  pieds  d'un  ours.  »  C'est 
Galère  Maximien,  animal  venu  du  Nord,  que  son  humeur 
sauvage  et  brutale  et  même  sa  figure  informe  dans  son 
énorme  grosseur,  avec  sa  mine  féroce ,  rendait  semblable 
H  un  ours.  Ce  que  le  même  Lactance  remarque  en  un  au- 

(1)  o  Elle  devait  commencer  seulement  par  trois,  c'est-à-dire  par  Dioclctlen  et 
par  les  deux  Maxjmiens.  »  (Lactance.  De  morte  persecutorum ,  cité  par  Bossuet.) 
(-2)  De  morte  persecutorum ,  c.  xxvi,  -28,  20,  30. 


224  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

tre  endroit  par  ces  paroles  :  «  Il  avait,  dit-il,  coutume 
de  nourrir  des  ours,  qui  lui  ressemblaient  par  leur  gran- 
deur et  leur  férocité.  Habebat  in\sos  ferociae  ac  magnitu- 
dinis  suae  simi/limos  (1).  Voilà  donc  l'ours  de  saint  Jean 
bien  marqué  ;  mais  il  ressemblait  à  Tours  principalement 
par  les  pieds ,  à  cause  de  son  excessive  et  insatiable  rapa- 
cité, ce  prince  ne  songeant  à  autre  chose  qu'à  tout  en- 
vahir (2  . 

«  Et  sa  gueule  à  la  gueule  d'un  lion  ».  C'est  Dioclétien 
qui  était,  dans  ce  corps  monstrueux,  comme  la  première 
tête  qui  se  présentait  d'abord;  car  c'était  le  premier  empe- 
reur qui  avait  adopté  les  autres,  comme  on  a  vu.  On  le 
nomme  pourtant  le  dernier,  parce  qu'en  effet  il  n'était  pas 
le  plus  animé  contre  les  Chrétiens.  Ce  fut  Galère  Maximien 
qui  le  contraignit  à  donner  le  sanglant  édit,  aussi  bien  qu'à 
quitter  l'empire  (3). 

«  On  lui  attribue  la  gueule  et  la  gueule  du  lion,  à  cause 
de  ledit  sanguinaire  qui  sortit  de  sa  bouche ,  où  son  nom 
était  à  la  tête ,  comme  celui  du  premier  et  principal  em- 
pereur. Il  ne  faut  pas  regarder  ici  son  humeur  particulière, 
mais  le  personnage  qu'il  faisait  dans  la  persécution,  qui 
était  sans  difficulté  le  premier  :  d'où  vient  aussi  que  cette 
persécution  est  intitulée  de  son  nom,  comme  on  a  dit.  » 

Bossuet,  dont  la  science  historique  s'étend  à  tous  les 
auteurs  profanes  qu'il  cite  sans  cesse,  Ammien  Marcellin, 
Jornandès,  Suidas,  Sozomène,  Zozime,  Procope,  etc.,  s'ins- 
pire encore  de  Lactance  pour  expliquer  quelle  est  la  seconde 
bête  qui  parait  àsiXi^  T Apocalypse  (chap.  xiii),  la  première 
personnifiant  Rome  idolâtre.  «  Cette  bête,  c'est  la  philoso- 
phie et  en  partie  la  philosophie  pythagoricienne,  qui  venait 
au  secours  de  l'idolâtrie  romaine  avec  des  paroles  et  des 
raisonnements  pompeux,  avec  des  prestiges  et  de  faux  mi- 
racles ,  avec  toutes  les  sortes  de  divinations  qui  étaient  en 
usage  dans  le  paganisme.  Ce  qui  fait  aussi  que  saint  Jean  , 

(I)  De  morte pers.,  r.  vu. 
(ij  Jlj idem. -î\. 
Ci)  Ihidem  ,  c.  xx,  -23,  -20. 
{'>)  Ihidem,  c.  XI. 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  ROSSUET  EXEGETE.  2*25 

parlant  ailleurs  de  cette  bête,  l'appelle  le  faux  prophète  (Ij. 
Vers  les  temps  de  Dioclétien ,  cette  espèce  de  philosophie , 
dont  la  magie  faisait  une  partie ,  se  mit  en  vogue  par  les 
écrits  de  Plotin  et  de  son  disciple  Porphyre ,  qui  fit  alors 
ces  livres  contre  la  religion  chrétienne  que  saint  Méthode 
a  réfutés.  Quelques-uns  ont  conjecturé  qu'il  fut  un  des  doc- 
teurs dont  parle  Lactance  (2),  qui  animaient  tout  le  monde 
contre  les  Chrétiens  par  leur  séditieuse  philosophie  et  leur 
trompeuse  abstinence.  Pour  l'autre,  il  est  bien  constant  que 
c'était  Hiéroclès ,  quoique  Lactance  ne  le  nomme  non  plus 
que  Porphyre...  Hiéroclès  fit  deux  livres  pour  opposer  la 
sainteté  prétendue  et  les  faux  miracles  de  cet  imposteur 
(Apollonius  de  Tyane)  à  la  sainteté  et  aux  miracles  de  Jésus- 
Christ,  comme  le  remarquent  Lac^ft^ir/^  et  £'?rsè6«?  (3).  On  peut 
voir  aussi  ce  que  dit  saint  Augustin  de  ces  faux  sages  {k)... 
«  C'était  ces  philosophes  qui  animaient  Dioclétien  et  les 
autres  princes  contre  les  Chrétiens.  Un  d'eux  est  marqué 
par  Lactance  (5),  comme  un  des  principaux  instigateurs  de 
la  persécution  ;  l'autre  n'animait  pas  moins  le  peuple  par 
ses  discours  et  les  princes  persécuteurs  par  ses  flatteries ,  en 
les  louant  comme  défenseurs  de  la  religion  des  dieux  (6).  » 
La  bête  qui  s'élève  de  la  terre  et  qui  a  deux  cornes  sembla- 
bles à  celles  de  l'agneau,  la  doctrine  et  les  miracles,  c'est 
donc  la  philosophie,  «  qui  imitait  ces  deux  choses  :  la  su- 
blimité et  la  sainteté  de  la  doctrine  de  Jésus-Christ,  par  ses 
contemplations  et  ses  abstinences...  On  sait  que  Julien  l'A- 
postat, attaché  à  ce  genre  de  philosophie,  tâcha  d'imiter 
l'Agneau  et  d'introduire  dans  le  paganisme  une  discipline 
semblable  à  la  chrétienne,  dans  l'érection  des  hôpitaux, 
dans  la  distribution  des  aumônes  et  dans  la  subordination 
et  la  régularité  des  pontifes  (7)... 


(I)  Joann.,  XVI,  13;  XIX,  -20;  XX,  10. 
l'ï)  Divin.  Insl.,  lib.  V,  c.  ii,  m. 
(;{)  Divin.  Inst.,  V,  3;  Eus.  Conl.  Hieroc. 
(i)  De  Civitate  Dei,  c.  vin  et  ix. 
(5)  Divin.  Jnst.,  V,  c.  m. 
((i)  Ibidem,  V,  c.  ii. 

(7)  Julien,  Lettre  KLIX;  Sozomène,  c.  \.  xv;  Saint  Grégoire  de  Nazianze;  Discours 
contre  Julien. 

BOSSl'ET  ET  LES  SAINTS  PÈRES.  15 


226  BOSSUEÏ  ET  LES  SAINTS  PÈRES. 

«  11  lui  fut  donné  2)ouvoir  d'animer  rimage  de  la  bête 
et  de  la  faire  parler.  )>  Maxime  (1),  qui  se  vantait...  de  faire 
rire  la  statue  d'une  déesse,  pouvait  bien  la  faire  parler. 
D'ailleurs,  Julien  envoyait  sans  cesse  consulter  les  oracles 
d'Apollon  et  des  autres  dieux  (2).  C'était  à  leurs  statues  que 
se  faisaient  ces  consultations.  Personne  n'ignore  celle  que 
fit  Julien  à  la  statue  d'Apollon  en  ce  lieu  célèbre  auprès 
d'Antioche,  appelé  Daphné  (3)... 

((  On  lit  aussi  dans  Ammien  Marcellin  un  songe  de  Julien 
étant  à  Vienne ,  où  une  image  resplendissante  qui  lui  appa- 
rut lui  expliqua  en  quatre  vers  grecs  la  mort  prochaine  de 
l'empereur  Constance  :  ce  qui  suppose  qu'on  croyait  que 
les  images  des  dieux  parlaient  aux  hommes  et  que  Julien 
voulait  qu'on  crût  qu'il  était  accoutumé  à  ces  célestes  en- 
tretiens (ï)...  C'est  ce  que  saint  Jean  appelle  faire  parler 
les  images  de  la  bete...  Mais  encore  que  cela  soit  vrai  dans 
le  littéral,  le  langage  mystique  de  saint  Jean  nous  doit  faire 
porter  la  vue  plus  loin.  C'était  rendre  en  quelque  sorte  les 
statues  vivantes  que  de  croire,  avec  les  philosophes,  celles 
des  dieux  animées  par  leur  présence.  C'était  les  faire  par- 
ler que  de  prononcer  tous  les  beaux  discours  qui  en  ani- 
maient le  culte  :  et  comme  on  a  vu  que  l'idolâtrie  se  trou- 
vait enfermée  tout  entière  dans  les  images  des  empereurs, 
où  l'on  voyait  ordinairement  les  autres  dieux  ramassés, 
c'est,  dans  la  sublimité  de  ce  style  allégorique  et  figuré  des 
prophètes,  donner  la  parole  à  ces  images  que  de  faire  voir 
les  raisons  spécieuses  pour  lesquelles  les  peuples  se  devaient 
porter  à  rendre  les  honneurs  divins  aux  dieux  qu'elles 
avaient  autour  d'elles  et  à  elles-mêmes.  » 

Comment  s'étonner  après  cela  que  l'abbé  de  Langeron 
écrivit  à  Bossuet  :  «  J'ai  lu.  Monseigneur,  toutes  les  notes 
sur  V Apocalypse ,  et  je  vous  assure  que  j'ai  été  frappé 
comme  un  homme  qui  verrait  naître  tout  à  coup  une  grande 

(I)  Bossuet  l'appelle   «  <"c  grand   iiiii)osleur  Maxime,  le  principal  séducteur  de 
Julien,  son  ^Tand  conducteur.  » 
{•})  Sozonicne. 

(3)  Théodoret. 

(4)  Suidas. 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  EXÉGETE.  227 

lumière  dans  un  lieu  fort  obscur?  »  L'ami  de  Fénelon,  il 
est  vrai,  estimait  qu'on  sentait  trop  l'éloquence  dans  le 
Commentaire  de  Bossuet  :  «  Je  trouve,  Monseigneur,  dans 
le  récit  et  les  notes,  un  style  un  peu  trop  magnifique  :  ces 
deux  genres  demandent  une  grande  simplicité ,  et  vous  êtes 
plein  de  fentes  par  où  le  sublime  échappe  de  tous  côtés.  » 
L'application  à  Bossuet  de  ce  souvenir  de  Térence  (1)  est 
heureuse  et  spirituelle;  mais  peut-on  blâmer  l'évéque  de 
Meaux  de  s'être  abandonné  à  quelques  mouvements  ora- 
toires et  d'avoir  par  moments  imité  dans  son  style  la  gran- 
deur de  langage  du  prophète  qu'il  interprétait?  —  Bossuet, 
d'ailleurs,  est  d'autant  plus  admirable  dans  cette  Explica- 
tion de  VApocab/psp  qu'il  commente  sans  cesse  la  Bible  par 
la  Bible ,  qu'il  rapproche  les  passages  semblables  pour 
trouver  dans  l'un  l'explication  de  l'autre,  dans  les  endroits 
clairs  la  solution  des  endroits  difficiles  :  c'est  la  méthode 
analogique .  —  Enfin,  Bossuet  fait  preuve  d'une  grande 
sagesse  en  voyant  une  prophétie  dont  l'accomplissement 
est  encore  à  venir  dans  ce  passage  mystérieux,  chap.  xx, 
où  Satan,  enchamé  pendant  mille  ans,  est  délié,  séduit  les 
nations  qui  sont  aux  quatre  coins  du  monde,  Gog  et  Magog, 
et  les  conduit  au  combat  contre  le  camp  des  saints  et  la 
ville  bien-aimée,  jusqu'à  ce  que  le  feu  descende  et  consume 
les  ennemis  du  Christ.  Ne  sont-ce  pas  là  les  luttes  suprê- 
mes de  l'Église  aux  derniers  jours  du  monde  et  «  le  déchaî- 
nement de  Satan  à  la  iîn  des  siècles?  »  «  Bossuet  se  refuse 
absolument  à  la  moindre  hypothèse.  L'exemple  des  com- 
mentateurs protestants,  qui  cherchaient  à  lire  dans  l'avenir, 
l'exemple  même  des  catholiques,  qui  ont  fait  tant  de  calculs 
et  de  suppositions  sur  l'antechrist  et  sur  la  fin  du  monde,  ne 
peuvent  l'ébranler.  Les  rares  passages  où  il  fait  allusion  au 
sens  éloigné  de  V Aipocalypse  mettent  en  pleine  lumière  la 
réserve  de  son  jugement  (2).  » 

(I)  L'abbé  de  Lan^eron  fait  évidemment  allusion  au  vers  ('omm   de  Térence, 
Eunuque,  I,  2,  v.  (iO  .• 

Plenus  riinarum  sum.  hac  atque  illac  periluo. 
(-2]  P.  de  la  Broise,  Bossuet  et  la  Bible,  p.  :28i. 


228  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 


ARTICLE  II 

Les  saints  Pères 
et  les  Commentaires  sur  les  Psaumes  et  sur  les  Cantiques  de 
l'Ancien  et   du   Nouveau    Testament,  et  le    Supplément   aux 
Psaumes. 

Les  Commentaires  sur  les  Psaumes ,  sur  les  Cantiques  de 
la  Bible,  parus  en  1691,  et  le  Suppbhneni  au  livre  des 
Psaumes,  publié  en  1683,  sont  moins  exclusivement  l'œu- 
vre personnelle  de  Bossuet  que  rExplication  de  V Apoca- 
lypse. —  Il  faut  y  voir  le  fruit  des  travaux  à\x petit  Concile , 
comme  Bossuet  lui-même  le  reconnaît  dans  sa  Lettre  au 
clergé  de  Meaux,  Epistola  ad  Clencm  Meldensem,  où  il 
dit  qu'il  a  «  eu  pour  collaborateurs  des  hommes-  d'élite, 
très  savants  en  hébren,  en  grec  et  en  latin,  et  dont  quel- 
ques-uns l'ont  précédé  dans  une  vie  meilleure,  dont  les 
autres  vivent  encore  avec  une  éminente  réputation  de  piété 
et  de  science,  même  sur  lé  siège  épiscopal  et  dans  d'au- 
tres dignités  très  importantes  :  Quod  in  eo  (opère)  ac- 
curando  adjutores  nacti  siimus  riros  egregios ,  hebraice , 
graece,  latine  doctissimos,  quorum  puir s  ad  meliorem  prae- 
cessere  ritam,  pjars  adhuc  supersiites,  summa  cum  pietatis 
ac  doctrinae  opinione,  etiam  in  episcopali  sede  aliisque 
a?npli6simis  munerihus  coUocuti  degunt.  C'est  de  là  que 
viennent  nos  Psaumes.  Hinc  Psalmi  nostri  prodeunt.  »  Ce 
qui  prouve ,  d'ailleurs ,  la  collaboration  du  petit  Concile 
au  travail  exégétique  de  Bossuet,  c'est  la  comparaison  des 
notes  écrites  par  Fleury  en  marge  de  la  Bible  du  Concile 
avec  le  Commentaire  imprimé  en  1691.  «  Les  deux  rédac- 
tions, dit  le  I*.  de  la  Broise  (1),  sont  al^solument  semblables 
pour  le  fond  et  pour  l'ensemble  :  les  explications  écrites 
aux  marges  do  la  Bible  sont  transportées,  souvent  mot  pour 
mot,  dans  l'édition,  avec  les  mômes  variantes  d'après  l'hé- 
breu, les  Septante,  les  versions  chaldaïques  et  syriaques,  et 

'  I  :  Ilosanet  et  la  tiiblv.  \t.  •287,  nolC  W. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  EXÉGETE.  229 

avec  la  même  manière  d'interpréter  le  texte;  toutefois,  le 
Commentaire  imprimé  est  plus  long-  et  plus  développé  ;  il 
contient  en  grand  nombre  des  pensées  nouvelles,  de  nou- 
veaux renvois  aux  différents  livres  de  l'Écriture  et  surtout 
à  saint  Paul.  Bossuet  a  donc  repris  le  travail  à  Meaux  :  il  en 
a  fait  ou  fait  faire  de  nouvelles  copies,  le  remaniant  chaque 
fois,  jusqu'à  ce  qu'il  en  regardât  la  rédaction  comme  dé- 
finitive. » 

Il  s'est  proposé  avant  tout,  ainsi  qu'il  l'écrivait  au  clergé 
de  Meaux,  d'apprendre  à  ses  prêtres  à  «  chanter  les  Psaumos 
sagement,  c'est-à-dire  avec  science  et  intelligence  :  j)sal- 
lere  sapieiiter,  erudite  scilicet  atque  intelligcntcr  ».  Pour 
cela,  pas  de  gloses  prolixes  et  inutiles;  pas  de  discussions 
savantes,  ardues  et  vaines  la  plupart  du  temps  :  haec ,  in- 
quam,  non  abstnisa  et  recondita,  hoc  est  plerumque  vana; 
mais  un  commentaire  sobre,  court  et  précis,  plus  utile 
qu'orné  et  prétentieux,  iitiliora  quam  omatiora  atque  am- 
bitiosiora.  Bossuet  a  beaucoup  lu;  mais  son  choix  porte  sur 
un  petit  nombre  de  choses,  claires  et  lumineuses  :  multa 
perleginms,  paiica  selegimus  (1).  Il  imitera  donc,  non  pas 
le  Commentaire  de  Saci  continué  par  du  Fossé ,  qui  est  trop 
long  (2) ,  mais  ceux  de  Valable ,  de  Ménochius ,  de  Jan- 
sénius  d'Ypres  (3),  dont  «  la  juste  et  suffisante  brièveté  » 
plaisait  à  Bossuet  (4),  et  de  Siméon  de  Muis,  qui,  d'après 
M.  de  Meaux  encore,  «  emporte  le  prix,  sans  comparai- 
son »,  parmi  les  interprètes  catholiques  des  Psaumes  (5). 

La  Dissertation  préliminaire  sur  les  Psaumes ,  Disse rta- 
tio  de  Psalmis,  avec  ses  huit  chapitres  :  —  De  la  nature  et 
de  la  composition  des  Psaumes,  De  Psalmorum  ratione  et 
instituto;  De  la  sublimité  et  du  charme  des  Psaumes, 
De  grandiloquentia  et  suavitate  Psalmorum  ;  Des  divers 
genres  de  Psaumes,  De  Variis  Psalmorum  generibus;  De  la 


(I)  Epislola  Illustrissimi  Meldensis  Episcopi,  en  tête  des  Psaumes. 
(-2)  Les  Psaumes  seuls  édités,  en  l(i8;i,  par  Du  Fossé,  forment  trois  vol.,  tandis 
(|ue  le  Commentaire  de  Bossuet  n'en  a  qu'un,  l(>!il. 
(;!)  Il  avait  commenté  les  Évangiles. 
(i)  Lelt7-e  à  Nicole,  l'août  KiiCl. 
(.'))  Lettre  au  P.  Mauduit,  de  l'Oratoire,  7  mars  I(>!)1. 


230  BOSSUE!  ET  LES  SAINTS  PERES. 

profondeur  et  de  Foliscurité  des  Psaumes ,  De  profunditatc 
et  obscuritate  Psalmorum ;  Du  texte  et  des  versions,  De 
textu  ac  re7:sio}iibf(s;  Des  titres  et  autres  marques,  des  ar- 
guments, des  auteurs  et  de  l'ordre  des  Psaumes,  De  titulis 
aliisqiie  not/'s,  ac  de  argu7nentls,  auctoi'ibus  et  ordine  Psal- 
morum,  deqiie  choreis  et  pia  saltatione  ac  metrorum  ra- 
tione;  De  la  manière  de  lire  et  de  comprendre  les  Pasumes, 
De  ratione  legendi  et  intelligend'i  Psalmos ;De  l'usage  des 
Psaumes  dans  n'importe  quel  état  de  vie.  De  usu  Psalnio- 
non  in  quocumque  vitae  statu  —  cette  Dissertation  est  un 
vrai  chef-d'œuvre,  «  que  les  commentateurs  modernes  ne 
peuvent  s'empêcher  de  citer  (1)  ». 

C'est  là  qu'on  voit  ce  que  l'évêque  de  xMeaux  emprunte 
aux  saints  Pères  dont  il  s'est  nourri,  comme  Achille  se 
nourrissait  de  la  moelle  des  lions. 

Il  invoque  d'abord  l'autorité  de  saint  Chrysostome  et  de 
saint  Augustin  (2)  pour  expliquer  que  les  imprécations  de 
David  viennent,  non  pas  d'un  sentiment  de  haine  et  de  co- 
lère, mais  du  zèle  pour  la  justice  et  de  l'intuition  prophéti- 
que de  l'avenir  :  Justitiae  zelo  ac  prophetandi  auctorilate 
(chap.  1.  XIV.) 

C'est  aux  Pères  que  Bossuet  demande  les  deux  règles 
qu'il  pose  pour  le  texte  et  les  versions  des  Psaumes  [3). 
«  La  première,  c'est  que  ceux  qui  recherchent  le  sens  lit- 
téral doivent  recourir  aux  sources  hébraïques,  comme  tous 
les  Pères,  comme  Théodoret ,  comme  saint  Chrysostome  le 
font  partout  :  prirnain  ,  qui  litteralem  sensum  sectentur,  eis 
ad  fontes  hebraicos  recurrendum;  id  enim  Patres  omnes , 
id  Tlieodoretus ,  id  Chrysostomus  uhiqiie  faciunt.  Saint  Jé- 
rôme était  tellement  pénétré  de  respect  pour  le  texte  hé- 
breu qu'il  ne  craignit  pas  de  faire ,  après  les  Septante ,  une 
nouvelle  version  d'après  les  sources  hébraïques,  et  c'est 
cette  version  que  l'Eglise  a  adoptée.  Saint  Augustin  lui- 
même,  si  grand  partisan  des  Septante  qu'il  semble  les  éga- 


(I)  liossurt  et  la  lUblv.  p.  -2!KI. 

{i)  Il  cite*  un  sermon  de  ce  Père. 

(.'{)  Dissrrialio  itr  l'xnhnis,  c.  v,  xvv.  \\\i. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  EXEGETE.  2:51 

ler  aux  Prophètes,  avouait  que  le  texte  hébraïque,  alors 
même  qu'il  était  en  désaccord  avec  les  Septante ,  n'en  était 
pas  moins  le  texte  prophétique  dans  son  intégrité  (1).  En- 
fin ,  le  même  docteur,  peu  équitable  tout  d'abord  pour  la 
version  de  saint  Jérôme ,  à  cause  de  l'autorité  des  Septante , 
ne  craignit  pas,  dans  ses  livres  sur  la  Doctrine  citrétienne  (2), 
de  dire  qu'il  fallait  recourir  aux  sources  hébraïques  et  cita 
un  texte  d'Amos  tel  que  saint  Jérôme  l'avait  traduit  de  l'hé- 
breu :  prout  Weronymus  ex  Hrbraeo  verterat.  «  Tout  cela 
prouve  que ,  d'après  le  sentiment  des  Pères ,  il  y  a  dans  le 
texte  hébreu  je  ne  sais  quoi  de  plus  vrai  et  de  plus  certain  ; 
or,  dans  ce  texte ,  aucun  changement  grave  ne  s'est  produit 
depuis  le  temps  de  saint  Jérùm.f  et  de  saint  Augustin  ;  c'est 
le  sentiment  de  presque  tous  les  érudits  (3)...  C'est  pour- 
quoi il  nous  faut  avoir  recours  au  texte  auquel  les  Pères 
avaient  recours,  et  il  nous  sera  permis  de  dire  à  l'exemple 
de  saint  Jérôme  :  «  Il  faut  chanter  les  Psaumes,  comme 
l'Église  les  chante,  et  savoir  cependant  ce  que  contient  le 
vrai  texte  hébraïque  :  autre  chose  est  ce  qu'il  faut  chanter, 
à  cause  de  l'antiquité  de  l'usage,  autre  chose  ce  qu'il  faut 
savoir  pour  la  connaissance  érudite  des  Écritures  (i).  »  — 
La  seconde  règle,  c'est  qu'on  doit  nécessairement  recourir 
aux  anciennes  versions  ;  car  il  s'est  glissé  des  mots  douteux 
et  même  des  fautes  dans  le  texte  hébreu,  qui,  d'ailleurs, 
est  obscur  et  dont  les  versions  les  plus  antiques  reprodui- 
sent mieux  l'esprit  et  le  sens.  Voilà  pourquoi  les  saints  Pères 
et  ceux  d'entre  eux  qui  ont  le  jugement  le  plus  droit  et  le 
génie  le  plus  fécond,  saint  Chnjsostome ^  Théodoret ,  rap- 
pellent sans  cesse  les  versions  différentes  et  le  texte  origi- 
nal, non  pas  pour  embarrasser,  mais  plutôt  pour  aider  l'in- 

(1)  D3  Civitate  Dei,  lib.  XVIII,  c.  xliii. 
<'2)  Liv.  II,  c,  ix-xiii,  et  liv.  IV,  c.  vu. 

(3)  Bossuet  fait  ici  une  exception  pour  le  Psame  XXI ,  v.  17. 

(4)  «  His  efficitur,  juxta  Patrum  sententiam,  liebraico  textui  inesse  aliquid  verius 
ac  certius:  porro  in  eo  textii  niliil  grave  commutatum  ah  Hieronymi  Augustinique 
temporibus  apud  eruditos  fere  constat...  Quarc  quo  jure  Patres  eo  recurrebant, 
eodem  quoque  jure  uti  nos  oportet;  licebitque  nobis  excmplo  Hironymi  dicere  : 
•  Sicomnino  psalleudum  ut  fit  in  Ecclesia,  et  tamen  sciendum  quid  liebraica  Ve- 
ritas habeat;  atque  aliud  esse,  propter  vetustatem,  in  Ecclesia  decantandum,  aliud 
sciendum,  propter  eruditionem  Scripturarum.  »  (Dissertatio  df  Psalmis,  c.  v,  xxv.) 


232  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

telligence  du  lecteur.  Et  c'est  avec  la  plus  grande  sagacité 
et  selon  son  habitude  que  saint  Augustin  nous  dit  :  «  Cette 
variété  aide  les  lecteurs  :  Adjurât  legentes  ipsa  varie- 
tas  (1).  »  Saint  Jérôme,  cependant,  demeure  aux  yeux  de  lÉ- 
glise  «  le  plus  grand  docteur  pour  l'interprétation  de  l'É- 
criture :  Quippe  quae  (Ecclesia)  et  in  interpve tandis  Scri- 
pturis  doctorem  maiiinum  (2)  Hieronymum  praedicet  {Z).  » 
Bossuet  suivra  donc  à  la  fois  la  version  de  saint  Jérôme , 
qui  est  plus  limpide  et  plus  lumineuse  (4),  et  laVulgate, 
qui  est  plus  antique  et  a  pour  elle  l'autorité  des  plus  an- 
ciennes Églises. 

Quant  aux  titres  des  Psaumes  (chap.  vi  de  la  Disserta- 
tion préliminaire) ,  l'évêque  de  Meaux  voit  en  eux ,  avec 
saint  Jérôme,  saint  Augustin,  saint  Jean  Clirysostomr  et 
Théodoret ,  «  la  clef  »  même  de  ces  hymnes  sacrés  :  quam 
Psabnorum  clavitn  Hieronymus  merito  pronuntiat. 

Pour  les  auteurs  des  Psaumes  (6) ,  saint  Jérôme  a  donné 
une  règle  dans  sa  Lettre  CXXIX  à  saint  Cyprien  ;  mais  comme 
les  autres  Pères  ne  l'ont  pas  suivie  et  que  les  choses  elles- 
mêmes  ont  montré  à  Bossuet  qu'elle  n'est  pas  suffisamment 
sûre  :  Verum  hanc  regulam  nec  Patres  reliqui  secuti  sunt , 
et  nos  ex  rébus  ipsis  non  salis  certam  esse  coiJiperitnus ,  il 
fait  des  conjectures,  à  l'exemple  de  saint  Chrysostome,  de 
Théodoret  et  des  autres  Pères  et  interprètes  :  Chrysostomi , 
Theodoreti ,  aliorumque  Patrum  et  interpretum  exemplo 
conjecturas  adhihemus. 

Il  suit  encore  Théodoret  (7)  pour  l'interprétation  du  mot 
sel  a  et  y  voit  un  diapsalma. 

Il  invoque  le  témoignage  de  saint  Grégoire  de  Nazianze  (5) 
à  propos  du  caractère  modeste  des  danses  des  Hébreux; 
celui   de  Clément  d^ Alexandrie  (8)  à  propos  de  la  mesure 

(1)  De  Doclrin.  christ.;  lib.  Il,  XII. 
(•2)  CoUecte  de  la  fête  de  saint  Jcr(ime. 
(.{)  Diss.  de  Psalmis,  c.  v,  xxvi. 

(i)  •  Cxtcrum  ni(!r()iiymianam ,  (|uam  rommemoravimus,  versiouem  planiorem 
ai)tioreni()ue  esse  ac  lini[)i(lius  lliiere  lector  dilisens  facile  aiiimadvertcrel.  » 
Ci)  S  XXXI. 
«i)  S  XXXII. 

(7)  XXXIII. 

(8)  Ibidem. 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  EXEGÉTE.  233 

des  Psaumes  de  David,  qu'il  dit  avoir  la  gravité  du  mode 
dorien  :  fos  potissimwn  ad  gravitatem  Dorici  cantas  fuisse 
compositos ;  enfin  celui  de  saint  Jean  Ch)-i/sosto)n('  ii)  pour 
l'ordre  des  Psaamcs,  les  plus  tristes  en  premier  lieu  et  les 
plus  joyeux  à  la  fin. 

Au  chapitre  vu' ,  Df  la  manière  de  lire  et  de  compreii- 
drc  h's  Psaumes ^  Bossuet  pense  que  saint  Augustin  a  dit  ex- 
cellemment que  «  les  passages  clairs  satisfont  la  faim  et  les 
passages  obscurs  préviennent  le  dégoût  (2)  »  ;  que,  «  si  le 
peuple  chrétien  ne  comprend  pas  Jjien  les  Psaumes  qu'il 
chante,  il  croit  que  ce  qu'il  chante  est  bien  (3)  »,  et  que 
«  c'est  par  la  foi  qu'on  arrive  à  l'intelligence,  qui  est  le  fruit 
la  foi  (V)  )).  «  Il  faut  donc  chercher  par  un  pieux  travail  les 
sens  cachés  et  les  goûter  plus  délicieusement,  comme  la 
moelle  après  avoir  brisé  l'os  :  hinc  reconditos  sensus  pio 
labore  quaerat,  et  quasi  medullam  fracto  nucleo  suavius 
gustet  (5).  » 

Bossuet  suit  les  meilleurs  et  les  plus  saints  interprètes  : 
parmi  les  Grecs,  Chrf/sostome  ,  Théodoret ;  parmi  les  Latins 
Ambroise,  Augustin,  d'autres  du  même  caractère,  Jérôme, 
dont  l'autorité  est  la  plus  éminente  dans  la  matière  et  qui 
n'est  pas  seulement  un  continuel  interprète ,  mais  encore  un 
guide  dans  toutes  les  difficultés  de  la  route,  grâce  aux 
Commentaires  sur  les  Psaumes  qu'il  faut  lui  attribuer  en 
grande  partie  :  Optimos  quosque  ac  sanctissimos  interprètes 
sequimur ; e  Graecis  Chrtjsostomum,  Theodoretum;  e  Latinis 
Ainbrosiiim,  Augustiimm,  alios  ejusdem  notae ;  certe  Hie- 
roni/mum  hacinre  eminentissimae  auctoritatis  virum,  non 
modo  perpetuum  interpretem ,  ac  per  aspera  quaeque 
viae  ducem  damiis ,  verum  etiam  ex  doctissimis  ejus  lucu- 
brationibus  atque  ex  ipsis  Commentariis  in  Psalmos ,  selec- 
ttssima  quaeque  proferimus . 

(I)  g  XXXV. 

(-2)  .  Quam  in  rem  egregie  Augustinus  :  Locis  apertis  fami.  obscuris  faslidio 
occuvritur.  » 

{:<)  ■'  Si  panim  intelligit  populus  Christianus  Psalmos  quos  cantat.  crédit  bonum 
esse  quod  caillât  ». 

(4)  (iradus  inlellectus  Odes,  fidei  fruclus  iiiteileitus. 

(.-i)  §  XXXYI. 


234  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

C'est  de  rautorité  de  saint  Aiigusi'ui  que  se  couvre  Bos-. 
suet  pour  excuser  les  solécisraes  que  l'on  rencontre  dans  la 
traduction  du  texte  sacré  :  «  Quem  in  locum  praeclare  Au- 
gustinus  :  Qui  sunt  in  stylo  dplicatioris  faslidii ,  oo  simt 
infirmiores  quo  doctiorcs  vidr^ri  volunt.  Bonorumqufi  inge- 
niorum  insignis  pst  indolrs^  in  r^rbis  verum  amaro ,  non 
rerha  (1).  A  ce  sujet,  saint  Augustin  a  très  bien  dit  que 
ceux  qui  sont  trop  délicats  et  dédaigneux  pour  le  style  des 
Psaumes  sont  d'autant  plus  faibles  qii'ils  veulent  paraître 
plus  savants.  C'est  le  caractère  remarquable  des  bons  esprits 
d'aimer  dans  les  paroles  le  vrai  et  non  pas  les  paroles.  » 

Bossuet  invoque  «  Athanaso  U'  Grand  »  et  sa  Lettre  à 
Marcrllin  afin  de  montrer  «  que  les  Psaumes  sont  en  har- 
monie avec  tous  les  usages  de  la  piété  pour  trois  raisons  : 
la  première,  c'est  que  les  autres  livres  n'ont  qu'un  seul 
sujet,  tandis  que  les  Psaumes  embrassent  tout,  l'histoire,  la 
morale,  la  loi  universelle,  le  Christ,  ses  gestes  et  ses  mys- 
tères;... la  seconde,  c'est  que  l'on  voit  dans  les  Psaumes  la 
vie  humaine  tout  entière,  avec  toutes  ses  vicissitudes  d'ad- 
versité et  de  prospérité;  la  troisième,  presque  semblable 
à  la  seconde ,  c'est  qu'il  y  a  dans  le  seul  David  tous  les  sen- 
timents de  lame,  adaptés  à  n'importe  quelle  fortune.  Eum 
in  locum  extat  magni  Athanasii  Epistola  ad  Marcell. ,  cujus 
liaec  summa  est  :  Psalmos  ad  omnem  pietatis  usum  esse 
accommodatos ,  tribus  maxime  causis  :  primum,  (juod  re- 
liqui  libri  singulare  quoddam  argumentum  habeant ,  cum 
Psalmi  omnia  complectantur ,  historiam,  mores,  legem 
nniversam,  Christ um,  ejusque  gesta  ac  mgsteria;...  alte- 
rum,  quod  in  Psalmis  omnem  humantmi  rifam,  omnes  casas 
adversos  prosperosque  rideres.  Ilucacredit  terliam,  lus  f ère 
conseetaneum  :  in  uno  Daride,  animi  affectas  omnes^ 
ruicu/nque scilicet  for/am/e  nccommodati.  »  Saint  Athanase 
enseigne  encore  d'après  un  vénérable  vieillard,  son  maître, 
qu'il  y  a  dans  les  Psaumes  la  formule  de  la  prière,  du  repen- 
tir, des  transports  d'allégresse  dans  le  Seigneur,  de  la  grâce 

(I;  Dr  Doclrin.  cln-isl..  Il,  13.  -iO. 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  EXEGETE  2:55 

reçue,  perdue,  recouvrée  dans  tous  les  états,  et  de  la  volonté 
d'accomplir  ce  qui  plaît  à  Dieu.  Haec  suadet  Athanasius  ... 
in  Psabnis  formula  orandi ,  poenitfindi ,  exultandi  in  Do- 
mino, f'tin  quocumqup.  statu  acceptae,  amissae,  rpcitperatar' 
(jratiac ,  ca  cxequendi  quae  Deo plaœant...  Hacc  fn-p  At/ia- 
7iasius  illc  magnus^  quae  a  spnequodnmriro  rpurrabili  ac- 
cppissc  sp  vpfprt  (1). 

Bossuet  s'inspire  de  saint  Augustin  soit  pour  indiquer  la 
véritable  manière  de  chanter  les  Psaunips,  vera  psalmodia 
px  sancto  Augustino  (2),  qui  consiste  «  à  bien  faire  et  à  se 
réjouir  avec  David  dans  le  Seigneur  :  Is  igitur  est  tiberrimus 
sanctap  psalm,odiap  fructus  ut  bene  facientes  cum  beato  Da- 
vidp  UiPtpmur  in  Domino  »,  soit  pour  montrer  quel  est  le 
meilleur  usage  à  faire  de  la  psalmodie  :  Optimus psalmodiup 
usas,  expodem  Augustino.  Les  Psaunips  ne  nous  paraissent 
jamais  plus  suaves  et  plus  rayonnants  d'une  lumière  divine 
que  lorsque  nous  voyons  en  eux  la  tête  et  les  membres,  le 
Christ  et  l'Église,  soit  clairement  nommés,  soit  désignés  se- 
crètement :  tune  Psalmos  videri  suavissimos  ae  divinissima 
lucp  perfusos ,  cum  in  his  eaput  et  mpmbra,  Christum  et 
Ecclesiam,sivp  apprtp  propalatos^  sirp  latpntpr  dpsignatos 
intplligimus. 

Bossuet  reproduit  encore,  avant  son  commentaire,  la 
Préface  de  saint  Jérônw  à  Sophronius  sur  les  Psaumes  d'a- 
près le  vrai  texte  hébreu  :  Sancti  Hieronymi  presbyteri  in 
Psalmos  juxt a  hebraicam  vpritatpm  ad  Sophronium  Prap- 
fatio. 

On  voit  donc  que  la  célèbre  Dissertation  sur  Ips  Psau/nps 
de  Bossuet  est  toute  pleine  de  la  substance  et,  pour  ainsi 
dire,  de  la  moelle  des  saints  Pères. 

Le  Commentaire  lui-même  avec  ses  cinq  livres  —  liv.  P' 
jusqu'au  Psaume  XLI  ;  liv.  IP  jusqu'au  Psaume  LXXII  ;  liv.  IIP 
jusqu'au  Psaume  LXXXIX;  liv.  IV°  jusqu'au  Psaume  CVI; 
liv.  V  jusqu'au  Psaume  CL  —  contient  une  foule  de  notes 
inspirées  par  saint  Jérôme,  saint  Augustin,  saint  Chrysos- 

(I)  Caput  Vni,  s  XL. 
(-2)  S  XLI. 


236  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

tome,  Théodoret ,  Théodotion^  Aquila  :  Bossuet  fait  remar- 
quer qu'il  cite  leurs  noms  en  abrégé  {Notae  abbreviantes)^ 
tant  il  les  cite  souvent. 

Aux  Psatoncs  l'évèque  de  Meaux  a  joint  les  Cantiques 
de  l'Ancirn  et  du  Nouveau  Testament,  V^teris  et  Novi  Tes- 
tament i  Cantica,  qui  font  partie  de  la  psalmodie  sacrée 
selon  l'usage  même  de  l'Église  (1).  Il  commente  donc  sa- 
vamment et  toujours  d'après  les  saints  Pères  :  le  Cantique 
de  Moijse  et  des  enfants  d'Israël  après  le  passage  de  la  mer 
Rouge  (2);  le  second  Cantique  de  Moyse,  au  moment  de  sa 
mort  (3);  le  Cantique  de  Debbora,  la  propliétesse ,  l'un  des 
Juges  d'Israël;  le  Cantique  d'Anne,  mère  de  Samuel  (4);  le 
Cantique  d'Isaïe  en  mémoire  de  la  délivrance  de  la  capti- 
vité de  Babylone  (5)  ;  le  second  Cantique  d'haïe ,  cantique 
de  consolation  et  d'espérance;  le  Cantique  d^Ézéchias, 
après  la  prolongation  de  sa  vie  (6);  le  Cantique  des  trois 
Hébreux,  A7ianias,  Azarias,  Misael,  dans  la  fournaise  (7);  le 
Cantique  de  Jonas  dans  le  ventre  de  la  baleine;  le  Cantique 
d'Habacuc\,  prédisant  les  victoires  du  Christ  et  les  triomphes 
du  peuple  de  Dieu  (8);  le  Cantique  triomphal  de  Judith, 
après  le  meurtre  d'Holoferne;  enfin  les  trois  Cantiques  du 
Nouveau  Testament,  le  Cantique  de  Marie,  ou  le  Magni- 
ficat (9)^  le  Cantique  de  Zacharie,  ou  le  Benedictus  (10),  et 
le  Cantique  de  Siméon,  ou  le  Nunc  dimittis  (11). 

Le  Suppléme?it  aux  Psaumes,  Supplenda  in  Psalmos, 
parut  en  1693.  —  Le  célèbre  Grotius  (12  ,  dont  les  savants 
écrits  jouissaient  d'une  grande  réputation,  prétendait  qu'il 
n'y  a  rien  ou  presque  rien  dans  les  Psaumes  qui  se  rapporte 

(1)  «  Ciim  Cantica  divinam  speclent  psalmodiam ,  etiam  ex  instituto  Ecclesiae. 
ideo  ciini  Psalmis  ea  edcre.  notisque  simul  illustrare  visum  est  ».  Préface. 
(-2)  On  le  clianle  aux  l.au<les  de  la  cinquième  Férié. 
(.■J)  On  le  dit  aux  Laudes  du  saniedi. 
(4)  On  le  récite  aux  I.audes  de  la(|ualricme  Férié. 
(.">)  On  le  trouve  aux  Laudes  de  la  deuxième  Fcrie. 
(<>)  Il  fait  partie  des  Laudes  de  la  troisième  Férié. 

(7)  Il  est  chanté  aux  Laudes  du  dintanclie  et  des  fêles. 

(8)  Il  est  aux  Laudes  du  vendredi. 

(y)  On  le  chante  tous  les  Jours  à  Vêpres. 
(10)  On  le  dit  tous  les  jours  à  Laudes, 
f  1 1  )  On  le  récite  tous  les  jours  à  Compiles. 

(1-2)  IIuKues  ou  Hugo  de  Groot,  eu  latin  Grotius.  érudil  et  p()liti(|ue  hollandais 
n:iH;{-i(;',!i). 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  EXEGETE.  237 

au  Christ  et  que  telle  est  la  raison  pour  laquelle  les  Apôtres 
ne  les  ont  jamais  ou  presque  jamais  cités.  —  Une  si  dan- 
gereuse erreur  réveilla  le  zèle  du  grand  évêque  de  Meaux  et 
il  la  réfuta  en  quelques  pages  fortes  et  substantielles, 
qui  sont  un  modèle  achevé  de  controverse  exégétique  sur 
les  passages  des  Psaumes  relatifs  à  la  divinité  de  Notre- 
Seigneur  Jésus-Christ. 

C'est  d'abord  le  Psaume  II,  v.  7  (1),  que  Bossuet  donne 
comme  «  un  passage  remarquable,  presque  unique  dans 
les  Psaumes ,  et  où  le  Christ  est  vraiment,  naturellement, 
proprement  appelé  Fils  de  Dieu  :  les  mystères  que  contient 
ce  passage  forcent  l'évêque  de  Meaux  à  l'exposer  avec  plus 
de  soin  et  d'ampleur,  d'après  l'interprétation  de  saint  Paul 
et  des  saints  Pères  après  lui.  Locus  eximius  ac  prope  singu- 
laris  in  Psalmis,  quo  Christus  vere ,  naturaliler,  ptroprie , 
Dei  filius  asseratur  :  quem  locum  diligentius  et  fusius  expo- 
nere  cogimur,  propter  mgsteria  quae  continet,  interprétante 
Paulo  ac  post  eum  sanctis  Patribus.  »  Bossuet  cite  tour  à 
tour  saint  Basile,  saint  Grégoire  de  Ngsse,  saint  Cyrille 
d' Alexandrie ,  saint  Athanase ,  saint  Jean  Chrysostome , 
Théophylacte ,  saint  Augusti/t,  Primasiiis ,  siaint  Ambroise, 
saint  Èpihpane ,  saint  Isidore  de  Péluse ,  saint  H  i  la  ire,  qui 
tous  entendent  le  texte  en  question  de  la  génération  éter- 
nelle du  Verbe  incarné.  Le  grand  évêque  catholique  ne  craint 
même  pas  de  recourir  à  l'autorité  des  anciens  Juifs,  signa- 
lés par  Daniel  Huet  dans  sa  Démonstration  évangéUque  et 
par  Edouard  Poccock  (2)  dans  ses  Miscellana,  et  de  citer 
les  paroles  du  Rabbin  Salomon  Jarchi  :  Nec  piget  referre 
verba  Rabbi  Salomonis  Jarchi  (3). 

C'est  ensuite  le  verset  8  du  Psau7ne  XV  (4-)  que  Bossuet 
explique  comme  se  rapportant  au  Christ  :  il  oppose  à  Théo- 
dore de  Mopsueste  tous  les  Pères  et  surtout  saint  Athanase, 
qui  a  excellemment  parlé  de  ce  passage  dans  ses  Discours 

(I)  Dominus  dixil  ad  me  :  Filius  meus  es  tu;  ego  hodie  (jenui  te. 
(-1)  Tliéologien  anglais  du  dix-septième  siècle  (lOOi-KiOi). 
(•■i)  lia  vécu  de  lOiO  à  liori. 

(4)  Providebam  Dominum   in  conspcctu  mco    semper,  quoniam  a  dextris  est 
mihi  ne  commovear. 


238  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

contre  les  x\riens  :  Huic  autan  opponinius  Patres  iinirrr- 
sos y  iinpriniis  vero  Athanasium,  a  quo  hic  locus  egregie 
jjei'traclafiis,  Contra  Arian.,  orat.  3,  nitnc  ora.  l,  7i.  61, 
fit  orat.  2,  n.  16.  » 

C'est  encore  le  verset  7"  du  Psaume  XLIV,  Sedes  luu, 
Deus,  In  saecuhun  saeculi ,  que  Bossuet  applique  au  Christ 
d'après  Aquila,  Eusèbe  [Déinonstration  évangèlique,  liv.  V). 
saint  Athanase,  Orighie,  et  le  consentement  unanime  de 
tous  les  Pères  :  Consentiunt  Patres  una  voce  onines. 

C'est  aussi  le  verset  7"  du  Psaume  L,  Ecce  enim  in  i?ii- 
quitatibus  conceptus  sum,  et  in  peccatis  concepit  me  mater 
mea  (ou  bien  et  in  peccato  peperit  me  mater  mea,  comme 
traduit  saint  Jérôme,  in  utero  aluit  me  mater  mea,  comme 
dit  saint  Augustin) ,  que  Bossuet  interprète  admirablement, 
à  propos  du  péché  originel,  d'après  Origène,  ou  plutôt  d'a- 
près ce  que  saint  Augiistiu  appelle  la  C haine  des  Pères, 
qu'il  est  défendu  de  briser  :  Hinc  sequitur  de  nostro  i:er- 
siculo  auctore  Angustino  Catexa  patrdm,  quam  perrum- 
pere  nef  as.  Cette  Chaîne  est  formée  par  saint  Hilaire,  saint 
Grégoire  de  Nazianze,  saint  Ambroise,  saint  Chrgsostome, 
saint  Jérôme,  saint  Augustin,  Clément  d'Alexandrie  [Stro- 
mates) ,  pour  ne  citer  que  les  plus  illustres.  Toutes  les  ob- 
jections, toutes  les  raisonnettes,  alléguées  par  Grotius  et 
les  contemporains,  l'avaient  été  jadis  par  .lulien  le  Pélagien, 
que  réfuta  saint  Augustin  :  En  nostrorum  ratiunculae  a 
Juliano  Pelagiano  pridem  allât ae  et  a  S.  Augustino  con- 
futatae.  Bossuet  renvoie  surtout  à  Y  Ouvrage  achevé  contre 
iulien  ^  passi)n ,  et  aux  livres  I  et  II  de  Y  Ouvrage  inachevé 
(chap.  Lxxi). 

A  propos  du  Psaume  CIX,  Diji t Dominus Domino  meo,  etc., 
Bossuet  invo(|ue  d'abord  le  témoignage  de  saint  Jean  Chrg- 
sostome  pour  le  verset  1(1),  puis  celui  de  «  tous  les  Pères  » 
et  en  particulier  de  saint  Justin ,  de  saint  Athanase,  «  de 
ces  théologiens  éminents  ».,  saint  Basile,  saint  Cyrille  d'A- 


(1)  l'racclarc  du  ysoslomus  adversus  Judaens  :  «  Non  dicit  lioc  Isaias,  non  Jere- 
inias.  nc.c  (luisquani  alius  jjiivalae  conditioais,  sed  ipsc  rex  (addidcrim  ii)se  parens 
David,  etc.). 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  EXEGETE.  239 

lexandrie,  saint  Jérôme  et  saint  Augustin ,  pour  établir  que 
le  verset  3,  Tccumprincipiwn  in  die  rirtutis  tuae  in  splendo- 
ribus  sanclonini  :  ex  utero  anle  luciferum  ijenui  te,  se  rap- 
porte à  la  génération  divine  et  éternelle  du  Verbe ,  comme 
le  verset  4,  Tu  es  saccrdos  i/i  arternum  secundum  ordinem 
Melchisedech,  a  trait  au  Pontificat  suprême  du  seul  et  véri- 
table Rédempteur  :  quod  ergo  Patres  omnes,  nullo  penitus 
e.Tcepto ,  de  Christo  ejusque  divino  atque  immortali  ortu 
[traedicant ,...  idnovitii  interprètes  sir  exponunt ,  etc. 

Viennent  enfin  «  divers  passages  des  Psaumes  :  Foderunt 
manus  meas  et  pedes  meos;  dinumeraverunt  omnia  ossa 
mea  :  xxi,  17;  — Diviserunt  sihi  vesfinienta  niea,  et  super 
vestem  mearn  miserunt  sortem  ;xxi,  19;  — Bederunt  incs- 
cani  meani  fel  et  in  siti  mea  potaverunt  me  aceto  :  lxviii, 
22;  —  Fiant  dies  ejus  pauci  et  ppiscopatum  ejus  acci- 
piat  alter,  cviii.  —  Bossuet  prouve  contre  Théodore  de  Mo- 
psueste  (1)  que  les  trois  premiers  versets  se  rapportent, 
non  pas  à  David,  mais  au  Christ  seul,  et  que  le  dernier  vise 
Judas ,  d'après  saint  Pierre  lui-même. 

ARTICLE   ill 

Les  saints  Pères 

et  les  commentaii'es  sur  les  Livres  de  Salomon  :  Les  Proverbes,  l'Ec- 

(•l(''siaste,le  Cantique  des  Cantiques,  la  Sagesse,  rEcclésiasti(iue,  1693. 

Les  Notes  de  Bossuet  sur  les  Livres  sapientiaux ,  comme 
on  les  appelle  ordinairement ,  parurent  la  même  année  que 
le  Supplément  aux  Psaumes. 

Ces  Notes  sont  un  travail  moins  original  que  le  Commen- 
taire sur  les  Psaumes,  et  il  n'y  a  pas  d'introduction  magistrale 
comme  la  Dissertation  sur  les  Psaumes,  analysée  plus  haut. 

La  Préface  des  Proverbes  en  indique  l'origine,  la  mé- 
thode, la  force,  l'élégance  et  la  portée  morale.  —  La  Pré- 
face de  V Ecclésiaste  montre  que  ce  livre  se  ramène  à  une 

(I)  Prêtre  et  tliéologien  du  cinquième  siècle,  accusé  de  pélagiaaisnie. 


•240  BOSSULT  ET  LES  SAI?*TS  PERES. 

seule  pensée  :  puisque  tout  n'est  que  vanité  sous  le  soleil . 
craindre  Dieu  est  tout  riiomme  (1) ,  ou  «  la  piété  est  le  tout 
deriiomme  »  (2i.  —  La  Préface  de  la  Sagesse  contient  des 
indications  qui  ne  sont  pas  nouvelles  sur  l'auteur  de  ce  li- 
vre, sur  Tépoque  à  laquelle  il  a  été  composé,  sur  les  deux 
parties  qu'il  faut  y  distinguer,  et  sur  sa  canonicité,  ou  son 
autorité  divine,  établie  par  les  Conciles,  par  Origène,  par 
saint  Jérôme,  saint  Cyprien  et  saint  Augustin.  —  La  Préface 
de  VEcclésiastique  parle  du  titre ,  de  l'auteur,  de  l'époque 
de  la  traduction  des  trois  parties  de  ce  livre  et  de  son  au- 
thenticité ,  en  faveur  de  laquelle  il  y  a  des  témoignages  pré- 
cis de  saint  Épiphane,  (ï Or i gène,  de  saint  Jean  Damascène, 
de  sa\n\  Je r(hne^  de  saint  Cyprien,  de  s^àwi  Augustiii.  — Bos- 
suet  donne  les  Préfaces  de  saint  Jérôme  et  de  saint  Isidore 
fie  Péluse  pour  les  Proverbes ,  celle  de  saint  Jérôme  pour 
YEcclésiaste,  et  il  cite  souvent  ces  Pères  de  l'Église  dans  des 
Notes,  qu'on  a  trouvées  trop  courtes  de  nos  jours  comme  de 
son  temps.  Il  s'en  excusait  {Préface  des  Prcjvei'bes,  X,  No- 
taruni  nostrarum  exciisatur  in  plerisque  brevitas)  en  disant 
qu'il  ne  voulait  entrer  dans  aucune  recherche  curieuse  ou 
subtile  et  se  bornait  au  nécessaire  ;  qu'il  demandait  un  lec- 
teur qui  trouvât  quelque  chose  par  lui-même ,  et  qu'il  vou- 
lait moins  rassasier  l'esprit  qu'exciter  sa  faim.  Ces  raisons 
n'ont  pas  convaincu  le  P.  de  la  Broise  :  «  A  prendre  pour 
règle,  dit-il,  que  tout  commentaire  est  trop  court  qui  ne 
dit  pas  tout  ce  qu'il  faut,  on  trouvera  en  plusieurs  endroits 
les  notes  sur  les  Livres  sapientiaux  plus  courtes  que  celles 
des  Psaumes.  »  Dans  les  passages  difficiles,  «  l'œil  du  lec- 
teur se  porte  d'instinct  vers  le  bas  de  la  page ,  et  c'est  avec 
un  vrai  désappointement  qu'il  n'y  rencontre  rien.  On  re- 
marque dans  l'édition  de  Bossuet ,  un  certain  nombre  d'en- 
droits aussi  obscurs  où  les  notes  manquent,  d'autres  où 
les  notes  trop  concises  ne  suffisent  pas  à  lever  l'obscurité. 
S'il  est  permis  d'insister  sur  les  légers  défauts  de  ce  Com- 
mentaire, on  peut  reprocher  encore  à  l'annotateur  de  ne 

(1)  Dcuni  tinif  el  mandiila  ejus  observa  :  hoc  est  eiiim  oiiiiiis  liomo.  Xll,  \',\. 
(-)  Oraison  fioièhrc  dv  prince  de  Condc,  Exortie. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  EXEGETE.  241 

pas  faire  efTort  pour  approfondir  les  questions  et  pour  ré- 
soudre les  difficultés,  de  proposer  souvent  deux  ou  trois  ex- 
plications, en  les  joignant  par  la  conjonction  vel,  ou  par 
alii  vpvtunt,  sans  prendre  parti  pour  aucune,  sans  indi- 
quer une  préférence  et  sans  en  donner  la  raison.  Il  est  vrai 
que  des  discussions  de  ce  genre  auraient  souvent  entraîné 
l'auteur  hors  des  bornes  de  son  travail,  et  auraient  nui  à  la 
brièveté  qu'il  s'était  prescrite  (1).  » 

Cette  appréciation  serait  trop  sévère,  si  l'on  n'ajoutait 
qu'en  somme  le  Commentaire  sur  les  Livres  sapientiaux  est 
excellent  pour  le  clergé  auquel  il  est  dédié  et  qui  n'a  pas 
besoin  d'indications  minutieuses  comme  le  vulgaire,  peu 
familiarisé  avec  l'Écriture, 

D'ailleurs,  c'est  une  œuvre  tout  à  fait  remarquable  que  le 
Commentaire  sur  le  Cantique  des  Cantiques. 

La  Préface  indique  comment  Bossuet  comprend  ce  livre  : 
il  y  voit  ((  l'union  de  Jésus-Christ  avec  l'Église  et  avec  les 
saintes  âmes  représentée  sous  la  figure  et  le  mystère  de 
l'amour  conjugal  ». 

La  plupart  des  commentateurs,  depuis  Orighie  jusqu'à 
saint  Bernard,  pensaient  que  le  Cantique  des  Cantiques 
n'est  qu'une  pure  allégorie  :  pour  eux  l'Époux  et  l'Épouse 
n'avaient  aucune  réalité  historique;  c'étaient  de  purs  sym- 
boles, comme  l'époux  et  l'épouse  qu'accompagnent  les  vier- 
ges sages  et  les  vierges  folles  de  l'Évangile  ;  le  sens  littéral 
du  livre  de  Salomon  se  rapportait  à  Jésus-Christ.  —  D'après 
Bossuet ,  au  contraire ,  le  sens  littéral  se  rapporte  d'abord  à 
Salomon  et  à  la  fille  de  Pharaon  (2);  le  Christ  et  l'Église, 
le  Christ  et  l'âme  fidèle  sont  l'objet  du  sens  figuratif  (3). 
«  Salomon,  dit-il,  se  propose  lui-même  comme  un  modèle 
avec  ses  chastes  amours  pour  la  tille  de  Pharaon ,  son  épouse  ; 

(1)  Bossuet  et  la  Bible,  p.  :!94-o. 

(2)  Bossuet  montre  que  «  l'auteur  du  Psaume  LXIV  a  tracé  par  avance  le  des- 
sein (le  cet  aimable  Cantique,  lorsqu'étant  inspire  de  Dieu,  il  a  poussé  de  son 
cœur  cette  excellente  parole,  où,  à  l'occasion  du  mariage  de  Salomon,  dont  il  fait 
l'épitlialame,  il  chante  sous  la  même  figure  les  noces  de  Jésus-Christ  et  de 
l'Eglise  » 

(3)  Le  P.  de  la  Broise  fait  remarquer  que  «  cette  manière  de  voir,  sans  être  re- 
gardée comme  contraire  à  l'orthodoxie,  est  moins  commune  parmi  les  interprèles 
catholiques.  » 

BOSSUET    ET   LES  SAINTS  PÈRES.  1(J 


242  BOSSUET  KT  LES  SAINTS  PERES. 

et,  dans  une  histoire  véritable,  faisant  entrer  les  mouve- 
ments qui  conviennent  à  un  amour  très  ardent,  il  se  sert 
de  cette  agréalile  fiction  pour  mieux  exprimer  des  amours 
même  célestes  et  l'union  de  Jésus-Christ  avec  l'Église.  Ce 
qui  fait  dire  à  saint  Bernard,  dans  son  Sermon  sur  le  Can- 
tique :  «  Le  roi  Salomon  sage,  pacifique,  comblé  d'hon- 
neurs et  de  biens,  inspiré  de  Dieu,  a  chanté  la  gloire  de 
Jésus- Christ  et  de  l'Église  et  le  mystère  de  leur  alliance 
éternelle.  L'esprit  enivré  dune  sainte  joie,  il  a  composé  leur 
épithalame  d'un  style  délicieux  et  toutefois  figuré,  se  cou- 
vrant la  tête  d'un  voile  comme  Moyse,  parce  qu'alors  peu 
d'âmes  étaient  capables  de  contempler  cette  gloire  à  décou- 
vert. »  Paroles  où  ce  saint  peint  Salomon  dans  sa  majesté, 
représentant  Jésus-Christ,  et  où  il  nous  explique  toute  la 
conduite  de  ce  poème.  » 

Bossuet  ne  le  comprend  pas,  ne  l'interprète  pas  comme 
venait  de  le  faire  l'abbé  Cotin ,  qui .  dans  sa  Pastorale  sacrée, 
voulait  de  vive  force  qu'on  regardât  le  Cantique  des  Can- 
tiques comme  «  un  Poème  dramatique,  ou  une  Poésie  repré- 
sentative ».  ou  même  une  pièce  en  cinq  actes,  sans  prendre 
garde  que,  d'après  Cotin  lui-même,  l'intrigue  se  noue  au 
troisième  acte  et  commence  à  se  dénouer  au  quatrième ,  ce 
qui  n'est  peut-être  pas  selon  toutes  les  règles  d'Aristote  et 
de  d'Aubignac  (1).  Bossuet  parle  en  théologien,  qui  connaît 
les  ouvrages  des  Pères  et  la  science  sacrée,  en  humaniste 
intelligent  et  délicat,  qui  cite,  avec  discrétion  et  bon  goût, 
Théocrite  (2),  Homère  et  Virgile  (3),  ou  plutôt  en  artiste, 
qui,  s'appuyant  sur  la  coutume  hébraïque  de  célébrer  pen- 
dant sept  jours  les  fêtes  du  mariage,  partage  «  cette  églo- 


(1)  Saint  Marc  Giranliii  dans  son  Cours  de  littcrnture  dramatique,  t.  HI,  p.  \i% 
dix  il  étudie  le  Commentaire  de  Rossuet,  celui  de  Cotin  et  celui  de  Godeau  [Idyl- 
les spirituelles),  se  montre  trop  indulgent  pour  les  fadaises  de  la  Pastorale 
sacrée. 

(•>>  I,a  WHI"  idylle  de  ce  poète  est  mentionnée  jusqu'à  six  fois  dans  les  notes 
et  signalée  dans  la  Préface  {l\\).  —  On  sait  que  c'est  l'opithalame  d'Hélène  et  de 
Mém-las. 

(:»)  iJossuet  remarque  que  les  vierges  de  la  Palestine  étaient  chasseresses,  comme 
celles  de  T>r,  que  Virgile  dépeint  portant  le  carquois  : 

Virginibus  Tyriismos  estgestare  pharetram. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  EXEGÈTE.  243 

g'ue  pastorale  »  en  sept  journées  (1),  dont  il  donne  Tordre 
et  les  détails  dans  quelques  pages  délicieuses  :  Abrégé  et 
conclusion  de  cet  ouvrage. 

Mais  en  Bossuet  l'artiste  et  le  poète  n'étoufTent  jamais 
le  savant  nourri  des  saints  Pères.  Aussi  est-on  charmé  de 
l'entendre  réfuter  à  l'avance  les  polissonneries  de  Voltaire 
et  indiquer  les  commentateurs  dont  il  a  suivi  les  traces. 
«  Quiconque  veut  entrer  dans  l'intelligence  de  ce  Cantique, 
dit-il,  doit,  en  suivant  le  dessein  de  Salomon,  rapporter  au 
saint  amour  les  chastes  transports  de  l'Époux  et  de  TÉpouse, 
et  comprendre  à  la  fois  toute  la  nature  de  l'amour  céleste 
et  de  l'amour  humain;  car  la  comparaison  de  ces  deux 
amours  en  est  le  dénouement  :  où  il  y  a  sujet  de  craindre 
que  les  sens,  se  laissant  aller  aux  attraits,  quoique  passa- 
gers ,  de  l'amour  terrestre ,  ne  détournent  l'esprit  de  la  con- 
templation divine.  C'est  pourquoi,  selon  la  remarque  à'Ori- 
gène  et  de  saint  Jérôme,  la  lecture  du  Cantique  était 
interdite  aux  jeunes  gens  trop  enclins  aux  plaisirs.  Loin 
d'ici  donc  ceux  qui  n'ont  de  goût  que  pour  les  choses  de  la 
terre,  et  ces  hommes  charnels  qui  n'ont  point  l'esprit  de 
Dieu!  Approchez-vous,  âmes  pudiques,  puisque,  enflam- 
mées du  saint  amour,  vous  ne  vivez  plus  qu'en  union  avec 
Dieu ,  qui  est  l'amour  même.  Que  ceux  aussi  qui  l'expliquent 
soient  eux-mêmes  de  saints  et  de  chastes  interprètes ,  éloi- 
gnés de  toute  pensée  terrestre  ,  passant  légèrement  sur  les 
sentiments  de  l'amour  humain,  pour  exciter  dans  les  cœurs 
le  goût  de  l'amour  céleste.  Semblables  aux  chevreuils  et 
aux  cerfs  du  Cantique^  ils  doivent  à  peine  toucher  la  terre, 
afin  de  s'élever  à  l'instant  au-dessus  des  sens  pour  se  perdre 
dans  le  sein  de  Dieu. 

«  Tels  ont  été  les  interprètes  de  ce  livre  que  Jésus-Christ 
a  donnés  à  l'Église  :  Origène  en  est  le  chef,  et  saint  Jérôme, 
qui  a  fidèlement  traduit  son  Commentaire  .sur  le  Cantique, 
dit  de  lui  avec  raison  :  «  Origène  ayant  surpassé  tous  les 
interprètes  dans  tous  les  livres  de  l'Écriture,  s'est  surpassé 

(1)  Au  point  de  vue  purement  exégétique,  ces  divisions  sont  fort  contestables, 
comme  l'a  remarqué  le  P.  de  la  Broise.  Bossuet  et  la  Bible,  p.  :2'J8,  note  I. 


244  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

lui-même  dans  l'interprétation  du  Cantique.  »  Philon  de 
Carpathe,  évêque  du  quatrième  siècle,  vient  après;  et 
saint  Bernard  a  suivi  principalement  leurs  interprétations, 
ayant  lui-même  l'onction  céleste  qui  lui  enseignait  toutes 
choses.  Ce  sont  aussi  ceux  auxquels  nous  nous  sommes  le 
plus  attachés,  quoique  nous  n'ayons  pas  négligé  Théodoret, 
ni  saint  Grégoire  le  Grand,  Aponius,  le  vénérable  Bède, 
saint  Thomas  d'Aquin,  qui  s'accorde  en  tout  avec  eux;  ni 
entre  les  modernes  Gaspard  Sanctiifs  (1),  théologien  delà 
Compagnie  de  Jésus;  Libert  Fromont,  docteur  de  Louvain; 
ni  le  Père  Louis  de  Léon,  augustin,  professeur  d'Écriture 
sainte  dans  l'Université  de  Salamanque,  qui  en  notre  siècle 
a  expliqué  le  Ca)ilique  avec  autant  de  piété  et  d'élégance 
que  d'érudition.  Entin  nous  n'avons  pas  oublié  les  remar- 
ques de  saint  Ambroise ,  où,  sur  des  endroits  choisis  de  ce 
livre,  il  inspire  la  tendresse  et  l'onction  de  la  piété.  Après 
avoir  une  fois  nommé  ces  auteurs,  il  serait  inutile  de  les 
nommer  partout  (2).  » 

Nous  savons,  d'ailleurs,  par  l'abbé  Le  Dieu,  Mémoires, 
p.  49,  que  M.  de  Meaux  a  «  pris  à'Origène  une  infinité  d'en- 
droits aussi  doux  et  aussi  tendres  (qu'un  passage  sur  les 
tourterelles  offertes  pour  Notre  Seigneur),  que  l'on  peut  voir 
semés  à  toutes  les  pages  du  Commentaire  de  ce  prélat  sur 
le  Cantique  des  Cantiques  ». 

Fort  d'un  si  beau  cortège  de  Pères  et  de  docteurs,  Bossuet 
s'avance  à  travers  «  cet  ouvrage  vraiment  délicieux,  jonché 
de  fleurs,  abondant  en  fruits,  orné  de  toutes  sortes  de 
très  belles  plantes;  où  règne  un  beau  printemps  avec  des 
campagnes  fertiles,  des  jardins  verts,  arrosés  d'eaux,  de 
sources  et  de  fontaines  ».  Les  Notes  sont  plus  abondantes 
que  de  coutume  :  il  veut  faire  lire  avec  édification  par  des 
religieuses  le  sublime  poème  où  l'homme  sensuel  peut  ne 
voir  et  n'entendre  qu'un  vulgaire  chant  d'amour,  mais  où 
FEsprit-Saint  a  célébré  l'ineffable  mystère  de  l'union  du 
Christ  et  de  son  Eglise,  de  Dieu  et  de  l'Ame  humaine  rache- 

(1)  On  «Jil  ordinairement  Sanchez. 

(2)  Préface  sur  le  Cantique  des  Cantiques,  IV. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  EXEGETE.  245 

tée  par  le  Christ.  C'est  dans  ce  Commentaire  surtout  qu'on 
trouve  «  des  clefs  ou  des  observations  générales,  comme  dit 
l'abbé  Le  Dieu  (i),  qui  répandent  une  lumière  admirable 
dans  les  esprits  et  une  onction  ineffable  dans  les  cœurs  pour 
leur  donner  l'intellig-ence  et  le  goût  des  saintes  Écritures  ». 


ARTICLE  IV 

Les  saints  Pères 
et  les  Élévations  sur  les   Mystères  (1696) ,  —  les  .Méditations  sur  FÉ- 
vangile  (1695),  —  le  De  Excidio  Babylonis  (1701-1702),  —  l'Expli- 
cation de  la  prophétie  d'Isaïe  sur  l'enfantement  de  la  sainte  Vierge  et 
du  Psaume  XXI  (1704). 

Le  dessein  de  Bossuet ,  au  dire  de  l'abbé  Le  Dieu ,  était 
de  donner  au  public  les  Notes  rédigées  au  Concile,  «  et  non 
seulement  sur  les  livres  qu'on  vient  de  dire  (les  Psaumes , 
les  Livres  sapientiaux  et  le  Cantique  des  Cantiques) ,  mais 
encore  sur  tout  le  corps  de  la  Bible  et  aussi  bien  sur  le 
Nouveau  Testament  que  sur  l'Ancien  (2)  ».  On  voit  par  la 
Lettre  au  clergé  de  Meaux ,  qui  est  en  tête  des  Psaumes  et 
par  la  Préface  sur  l'Ecclésiastique ,  qu'après  les  Psaumes 
et  les  Livres  sapientiaux ,  il  aurait  édité  les  Prophètes,  qui 
suivent  dans  la  Vulgatc ,  cum  jam  ad  Prophetas  promissa 
nostra  nos  vocent  (3)  ;  il  serait  ensuite  revenu  aux  autres 
parties  de  l'Ancien  Testament,  et  aurait  fini  par  le  Nouveau. 
Seqiientur  autem  postea,  nusquam  interruptis  operis,  nos- 
train  Prophetas  ac  totum  Testamentum  Vêtus  :  per  haec , 
si  vita,  si  mens  bona  adfuerit,  Deo  auctore  ac  duce  deve- 
niem,us  ad  Novum  (4). 

Le  privilège  placé  à  la  fin  des  Psaumes  et  daté  du 
1"  septembre  1689,  porte  :  Notas  in  universam  sacram 
Scripturam,  a  Jacobo  Benigno  Bossuet.  Une  Lettre  à  Nicole, 
du  17  aoi!it  1693,  oi'i  est  discutée  la  question  des  Notes  lon- 

(I)  Mi'inoires,  t.  1,  p.  I(i8. 

(û)  Ibidem. 

('^)  Préface  de  V Ecclésiastique . 

(t)  Epist.  ad  Clerum  Meldensem. 


246  BOSSUET  KT  LES  SAINTS  PERES. 

giies  OU  courtes  et  où  Bossuet  prend  parti  pour  les  Notes 
courtes,  déclare  «  qu'il  ira  son  train  »  dans  cette  voie  : 
comme  cette  lettre  est  postérieure  aux  Commentaires  sur 
les  Livres  de  Salomon,  c'est  évidemment  dans  l'explication 
des  Prophètes  qu'il  voulait  «  aller  son  train  ». 

«  C'était  donc  là  ce  qu'il  avait  le  plus  à  cœur,  dit  Le 
Dieu  (IV  Mais  d'autres  occupations  et  surtout  la  réfutation 
du  Quiétisme  l'ont  détourné  de  ce  travail.  Il  était  prêt  de 
le  reprendre,  s'il  avait  plu  à  J)ieu  de  lui  prolonger  ses  jours, 
parce  que  plus  il  s'est  appliqué  à  la  réfutation  des  erreurs 
de  M.  Simon  et  des  autres  judaïsans,  plus  il  a  vu  la  néces- 
sité de  venir  au  détail  de  chaque  livre  de  la  sainte  Écriture, 
pour  arrêter,  s'il  est  possible ,  le  cours  des  fausses  interpré- 
tations. » 

Bossuet  avait  certainement  rédigé  des  Notes  ou  Coi)i))ien- 
t aires  bibliques,  aujourd'hui  perdus.  Le  P.  de  la  Broise 
établit  très  bien  contre  M.  Lâchât,  d'après  lequel  tous  les 
Commentaires  rédigés  par  Bossuet  seraient  imprimés  (2), 
qu'il  existait,  dans  la  première  moitié  du  dix-huitième 
siècle,  au  moins  deux  exemplaires  manuscrits  de  Notes 
sur  la  Genèse  et  sur  les  Prophètes  :  l'un  de  ces  manuscrits 
contenait  aussi  le  livre  de  Job.  Le  privilège  accordé,  en 
1727,  au  neveu  de  Bossuet  pour  la  publication  des  œu- 
vres encore  inédites  de  son  oncle  porte  :  Notac  in  libros 
Genesis  et  Prophetarum  (3).  Ces  manuscrits  ont  malheu- 
reusement disparu.  Des  recherches  faites  à  Rome  et  à  Bo- 
logne (V)  n'ont  eu  aucun  résultat.  «  Peut-être,  dit  le  P.  de 
la  Broise  (5),  les  Commentaires  inédits  ont-ils  péri  main- 
tenant. Peut-être ,  s'ils  n'ont  pas  de  titre  et  s'ils  sont  écrits 
de  la  main  de  Fleury  ou  Le  Dieu,  ou  de  quelcpic  secrétaire 
inconnu,  dorment-ils,  dans  quelque  bibliothèque  d'Italie 

(1)  Mémoires,  t.  I,  p.  Hi. 

(•2)  Édition  Lâchât,  1. 1;  Remarques  hislori(jnfs,  p.  vri. 

(:i)  Le  libraire  Albrizzi  de  Venise  en  parle  dans  une  lettre  du  i'J  avril  na*;  à 
révcque  de  Troyes.  —  T,e  P.  Desmolels.  dans  la  Itihliollii't/ue  sacrée  du  P.  Le  Lons?, 
signale  une  copie  des  Notes  sur  Job,  Isaie  et  Daniel,  existant  chez  Le  Hoi,  n-27. 

d:  Lu  manuscrit  de  Lei>elletier  des  Forts,  vendu  à  Barrois,  puis  à  M.  de  Mazau- 
Kues,  passa  dans  la  l)ibliothc(|ue de  l'évùque  de  Carpentras,  qui,  dit-on,  le  donna 
à  Bcnoii  \iv.  itenoil  XIV  laissa  tous  ses  livres  à  l'Oratoire  de  Bologne. 

(.'i)  liijHSuet  cl  la  Bible,  p.  3(I3. 


LES  SAINTS  PÈRKS  ET  BOSSUET  EXEÇETE.  247 

sans  que  rien  révèle  qu'ils  sont  l'œuvre  de  Bossuet  (1),  » 

Heureusement  pour  la  postérité  ,  les  religieuses  de  la  Vi- 
sitation de  Meaux  ont  été  des  dépositaires  plus  fidèles  que 
Févêque  de  Troyes  des  trésors  qu'elles  devaient  à  Bossuet. 

((  Je  vous  adresse,  mes  Filles,  ces  Rcfle.riom  sur  VÈran- 
(jilc  i^),  leur  écrivait-il  le  6  juillet  1695,  comme  à  celles  en 
qui  j'espère  qu'elles  porteront  les  fruits  les  plus  abondants.  » 
C'est  le  Commentaire  du  Sermon  de  Notre-Seigneur  sur  la 
montagne ,  des  Sermons  ou  discours  de  Notre-Seigneur  de- 
puis le  dimanche  des  Rameaux  jusqu'à  la  Cène  et  de  la 
Cène  elle-même  avec  ce  qui  s'est  passé  aans  le  Cénacle  et  ce 
qui  a  eu  lieu  depuis  la  sortie  du  Cénacle  jusqu'à  l'arrivée 
au  jardin  des  Oliviers. 

Les  Élévations  sur  les  Mystères  furent  composées  en 
grande  partie  dans  le  courant  de  l'année  1696,  comme  l'in- 
diquent les  Lettres  de  Bossuet  à  la  sœur  Cornu.au ,  20  mai 
et  3  octobre.  Elles  n'ont  été  publiées  qu'en  1727  par  Le 
Dieu  et  Févêque  de  Troyes  (3).  Quoique  postérieures  aux 
Méditations,  elles  en  sont  logiquement  le  préambule,  puis- 
qu'elles font  passer  sous  nos  yeux  la  très  Sainte  Trinité,  la 
Création,  le  péché  originel,  la  loi  et  les  prophéties,  l'An- 
nonciation et  l'Incarnation,  la  Nativité  de  Notre-Seigneur, 
les  mystères  de  son  enfance,  sa  vie  cachée  jusqu'au  baptême, 
la  prédication  et  le  témoignage  de  Jean-Baptiste. 

«  Jésus-Christ  attendu  et  Jésus-Christ  donné ,  c'est  la  di- 

(1)  Inutile  de  signaler  les  Notes  apocryphes  publiées  ,  en  1748,  sur  saint  Luc  et 
saint  Jean,  et  les  Fragments  inédits  attribués  à  Bossuet  en  1880  {Revue  des  scien- 
ces ecclésiastiques ,  mai,  juin  et  août)  :  ce  ne  sont  que  des  notes  prises  par  des 
religieuses  du  dix-huitième  siècle  copiées  sur  les  ouvrages  de  Bossuet.  —  Mais  en 
1895,  M.  l'abhé  0.  Rey,  du  clergé  de  Paris  a  publié  dans  l'Université  catholique 
de  Lyon,  mars,  avril,  juin,  août,  etc.,  des  Remarques  inédites  de  Bossuet  sur  la 
Genèse,  l'Exode,  le  Lévitique  et  les  Nombres.  Les  Pères  y  tiennent  comme  tou- 
jours une  grande  place. 

i-î)  C'est  l'évêque  de  Troyes  qui.  éditant,  en  1731 ,  l'ouvrage  de  Bossuet,  jugea  à 
propos  de  substituer  le  titre  de  Méditations  à  celui  de  réllexions.  —  Plût  à  Dieu 
que  les  méfaits  du  neveu  réviseur  se  fussent  bornés  là!  Mais  la  confrontation  de 
son  édition  avec  ce  qui  nous  reste  de  l'œuvre  manuscrite  accuse  des  audaces  et 
une  ini((uité  littéraire,  qu'on  ne  dénoncera  jamais  assez  haut  à  quiconque  vénère 
la  mémoire  et  le  génie  de  Bossuet.  Heureusement,  la  deuxième  partie  du  manus- 
crit a  pu  échapper  aux  profanations. 

(3)  Ils  osèrent  les  «  corriger  »,  c'est-à-dire  les  profaner.  Deforis,  en  177-2,  put. 
d'après  les  manuscrits  retrouvés,  ajouter  à  Tœuvre  imprimée  une  série  d'errata  , 
qui  remplit  dix-sept  pages  in-'/"  sur  deux  colonnes  en  caractères  serrés.  Et  en- 
core n'appelait-il  pas  errata  les  impertinences  de  Le  Dieu. 


2i8  BOSSUET  KT  LES  SAINTS  PERES. 

vision  même  de  la  Bible  en  Ancien  et  Nouveau  Testament; 
c'est  aussi  la  division  de  l'œuvre  historique  (1)  et  de  l'œuvre 
ascétique  ou  exégétique  de  Bossuet.  Les  éditeurs  ont  donc 
raison  de  placer  les  Élévations  et  les  Méditations,  non  dans 
leur  ordre  de  composition,  mais  dans  leur  ordre  logique  (2). 
Ainsi  disposées,  elles  forment  véritablement  un  tout.  «  C'est 
toute  la  religion,  dogme  et  morale,  que  Bossuet  nous  re- 
présente là,  dit  M.  Lanson  (3).  Mais  il  ne  fait  point  œuvre 
de  science.  » 

il  cite  bien ,  sans,doute ,  «  les  saints  interprètes  et  entre 
autres  saint  Augustin  (4)  »  ,  «  ce  grand  et  saint  docteur  (5)  », 
dont  l'autorité  lui  est  si  chère,  dont  l'enseignement  et  les 
ouvrages  lui  sont  si  familiers,  saint  Bernard  (6),  saint  Ba- 
sile (7),  saint  Athanase  (8),  saint  Ambroise  (9),  Tertullien 
(10),  Orighie  (11),  saint  Jean  Chrysostome  (12),  saint  Cy- 
pricn  (13),  saint  Grégoire  le  Grand  [ik],  Josèp/ie  [ib],  Am- 
micn  Marcellin  (16)  et  le  Concile  de  Trente  (17).  —  Mais  ces 
citations  sont  très  rares,  puisque  saint  Augustin  ne  parait 
que  six  fois  dans  les  Méditations  (18)  et  saint  Chrysostome 
qu'une  seule  fois  (19).  D'ailleurs,  Bossuet  reproduit  plutôt 
«  la  doctrine  des  saints,  la  tradition  constante  de  l'Église 


(I)  Il  dit  dans  le  Discours  sur  l'Histoire  unii^erselle ,  deuxième  parlie,  cliap.  i: 
•  Jésus-Clirist  attendu  ou  donné  a  été  dans  tous  les  temps  la  consolation  et  l'es- 
pérance des  enfants  de  Dieu  ». 

{■2)  On  ne  sait  vraiment  pas  pourquoi  l'édition  de  Bar-le-Duc  les  a  séparées  et 
mis  les  Méditations  au  tome  II,  parmi  les  œuvres  sur  l'Écriture  sainte,  les  Eléva- 
tions au  tome  VIII,  parmi  les  œuvres  de  piété. 

(3)  liossiœl,  p.  488. 

(4)  6'-  semaine,  F"  Elévation. 

(.))  Même  semaine,  XV^  Élévation,  et  ailleurs,  passim. 

(0)  4""  semaine,  ///"  Élévation. 

(7)  12'""  semaine.  A' F'"  Élévation. 

(8}  Même  Elévation. 

{*.))  li™»  semaine,  ///"  et  VIII"  Élévations;  IC.'"'  semaine,  //"  Élévation. 

(10)  IC™»  semaine,  F///«  Élévation. 

(H)  18"'"  semaine,  IV'^  Elévation. 

(12)  21""  semaine,  III"  et  F/P  Élévations. 

(13)  La  Cène,  deuxième  partie,  Wll'^  Jour. 

(14)  2-'»""'  semaine,  F/"  Élévation. 

(i:i)  Méditations  :  Sermon  sur  la  montagne,  Mil'  jour,  et  du  dimanche  des  Ra- 
meaux à  la  Cène,  I.XVII'  jour. 
()(i)  Même  jour. 

(17)  La  Cène,  première  partie,  L.\IV"=  jour. 

(18)  Kdiiion  de  Iiar-le-Duc,  t.  Il,  p.  'i!)",  ."ios,!;;!;;,  (;r,(;.  (i-'(.(i!M!. 
(lii)  l'a^c  tion. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  EXEGETE.  249 

catholique  (1)  »  que  la  lettre  même  des  Pères,  dont  les 
excellentes  religieuses  de  la  Visitation  se  préoccupaient  beau- 
coup moins  que  des  élans  mystiques  de  l'admirable  piété  de 
leur  grand  évêque. 

Il  ne  faut  pas  dire  avec  M.  Lanson  que  «  cette  fois  seu- 
lement, en  faveur  de  ses  chères  religieuses,  le  sévère  théo- 
logien a  épanché  toutes  les  tendresses  de  son  âme  et  laissé 
déborder  la  vive  source  de  lyrisme  que  recèlent  les  grands 
lieux  de  la  philosophie  morale  et  la  méditation  de  la  des- 
tinée humaine  ».  —  Bien  des  fois  déjà,  nous  avons  surpris 
ces  épanchements  d'une  àme  aussi  pieuse  que  sublime  et 
qui ,  au  dire  de  l'abbé  Le  Dieu,  reproduisait  dans  ses  Com- 
mentaires sur  l'Ecriture  «  la  tendresse  d'Origène  »).  Bien 
des  fois  nous  avons  admiré  les  élans  lyriques  de  ce  pro- 
phète au  verbe  inspiré,  comme  David  ou  Isaïe.  Mais  dans 
lesElérations  sur  les  Mystères  et  les  Méditations  sur  l'Evan- 
gile, plus  encore  que  dans  les  Sermons,  les  Oraisons  funè- 
bres et  ses  autres  ouvrages,  Bossuet  a  devancé  la  poésie 
lyrique  du  dix-neuvième  siècle  pour  l'expression  person- 
nelle, puissante  et  magnifique  des  misères,  des  désirs  et  des 
espoirs  de  l'homme,  en  face  du  néant  de  la  vie  et  de  l'infi- 
nité de  Dieu  (2). 

C'est  dans  les  Elévations  sur  les  Mystères  qu'on  peut  voir, 
au  dire  de  M.  Brimetière  —  V Évolution  de  la  poésie  lyrique, 
I,  p.  117,  note  1,  —  ((  trois  choses  avec  une  entière  clarté  : 
1°  ce  qu'il  y  a  de  lyrisme  dans  l'éloquence  de  Bossuet; 
2"  quelles  sont  exactement  les  limites,  quelle  est  la  ligne  de 
partage  ou  de  séparation  de  l'éloquence  et  du  lyrisme; 
3°  ce  qu'il  y  ade  l'orateur,  et  même  de  l'orateur  de  la  chaire, 
dans  tous  les  grands  lyriques  ».  —  Il  y  a  là,  sans  doute,  quel- 
que exagération ,  inspirée  par  l'esprit  de  système  à  M.  Bru- 
netière;  mais  Bossuet  n'en  est  pas  moins  un  grand  lyrique. 

«  Il  a  fait,  avec  tout  son  cœur,  le  poème  de  la  religion  : 
métaphysique ,  morale ,  récits  touchants  et  tableaux  pitto- 
resques, tout  l'incompréhensible  et  tout  le  sensible  de  la 

(1)  Méditations,  p.  (iTiS-G,-;!). 

(2)  Voir  Deschancl,  le  Romantisme  des  classiques,  tome  I. 


250  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

religion  s'y  trouvent  réunis;  et  si  Bossuet  a  donné  dans 
d'autres  ouvrages  la  mesure  de  sa  vaste  intelligence,  nulle 
part  il  n"a  mieux  révélé  cette  intensité  de  sensation  et  cette 
profondeur  d'amour,  qui  se  dérobaient  d'ordinaire  en  lui 
sous  les  formes  austères  du  raisonnement  (1).  »  Vlmifatioti 
de  Ji'sKs-Christ ,  «  le  plus  beau  livre  qui  soit  sorti  de  la  main 
des  hommes  » ,  n'a  rien  de  comparable  aux  coups  d'aile 
superbes,  aux  envolées  vers  l'infini  que  l'on  admire  dans 
les  deux  premières  Semaines  des  Elévations,  où  Bossuet  s'é- 
lance, avec  toute  l'ardeur  d'un  génie  inspiré  par  la  foi,  jus- 
que sur  le  seuil  des  impénétrables  mystères  de  l'adorable 
Trinité  (2).  Où  trouver  une  tendresse  mystique  plus  saine  et 
d'un  effet  plus  puissant  que  celle  qui  respire  dans  la  partie 
des  Méditations  consacrée  à  la  Cène  et  à  l'Eucharistie  ? 
Après  avoir  signalé  les  miracles  et  les  merveilles  réalisés 
parle  Verbe  pour  nourrir  les  hommes  de  sa  chair  sacrée  et 
les  abreuver  de  son  sang  adorable ,  Bossuet  se  demande  : 
«  Et  comment  tout  cela  s'est-il  fait?  «  Dieu  a  tant  aimé  le 
monde!  »  Il  ne  nous  reste  qu'à  croire  et  à  dire  avec  le  disci- 
ple bien-aimé  :  «  Nous  avons  cru  à  l'amour  que  Dieu  a  eu 
pour  nous  (3).  »  La  belle  profession  de  foi!  Le  beau  sym- 
bole! Que  croyez-vous,  Chrétien?  Je  crois  à  l'amour  que 
Dieu  a  pour  moi.  Je  crois  qu'il  m'a  donné  son  Fils;  je  crois 
qu'il  s'est  fait  homme  ;  je  crois  qu'il  s'est  fait  ma  victime;  je 
crois  qu'il  s'est  fait  ma  nourriture  et  qu'il  m'a  donné  son 
corps  à  manger,  son  sang  à  boire,  aussi  substantiellement 
qu'il  apris  et  immolé  l'un  et  l'autre.  Mais  comment  le  croyez- 
vous?  C'est  que  je  croisa  son  amour,  qui  peut  pour  moi  l'im- 
possible, qui  le  veut,  qui  le  f;iit.  Lui  demander  un  autre 
comment,  c'est  ne  pas  croire  à  son  amour  et  à  sa  puissance.  » 
On  pourrait  multiplier  les  exemples  de  ce  que  M.  Lanson 
appelle  «  un  mysticisme  d'une  tendresse  qui  n'énerve  pas, 
qui  ne  fond  pas  les  énergies  du  cœur,  mais  qui,  au  con- 

n)  l.anson,  lio.ssuet,  p.  48fi. 

(-2)  Le  P.  de  la  Broise,  Bossuet  et  la  Bible,  p.  -Xii-i'ir;,  signale  ces  passages  on 
•  lîossuet,  par  moments,  semble  entrer  dans  la  nuée  et  de  là  répéter  à  la  terre 
les  paroles  qu'il  entend.  » 

(.'i)  Saint  Jean.,  iv,  l(i. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  EXEGETE.  251 

traire,  le  trempe  pour  le  combat  de  la  vie,  et  qui  parla 
contemplation  enivrante  de  la  perfection  de  Dieu,  par  la 
réflexion  amère  sur  le  néant  de  la  créature,  met  en  nous 
un  principe  fécond  et  fort  d'activité  morale  et  de  volonté 
tendue  au  bien?  Voilà  par  où  ces  deux  ouvrag-es  de  Bossuet 
(les  Élévations  et  les  Môflilafions)  sont  parmi  les  plus  excel- 
lents livres  d'édification  qu'on  ait  jamais  écrits,  par  où  ils 
participent  au  mérite  singulier  de  ses  Lettres  de  direction  ; 
voilà  comment,  à  les  lire ,  on  oublie  presque  la  merveilleuse 
poésie  de  la  forme  pour  y  cueillir  tant  de  vérités  fortifian- 
tes ,  capables  de  soutenir  encore  aujourd'hui  les  âmes  que 
n'enchante  plus  la  consolante  espérance  dont  l'Église  ca- 
tholique récompense  ceux  qui  croient  à  ses  mystères.  » 

Ce  que  M.  Lanson  ne  dit  pas ,  ce  qu'aucun  critique  n'a 
fait  remarquer  en  dehors  du  P.  de  la  Broise,  c'est  que  Bos- 
suet s'inspire,  dans  les  pages  admirables  des  Elévations  et 
des  Méditations,  des  ouvrages  de  saint  Aiir/iisfin.  Il  a  pris 
l'élan  et  le  ton  inspiré  de  ces  Réflexions ,  de  ces  Colloques , 
de  ces  entretiens  entre  son  âme  et  Dieu,  non  pas  tant  dans 
les  Confessions  et  les  Traités  sur  rÉvangile  de  saint  Jean, 
dont  parle  le  P.  de  la  Broise  (1) ,  que  dans  les  Soliloques  de 
saint  Augustin ,  que  Bossuet  ne  cite  pas,  mais  dont  il  repro- 
duit l'onction  et  la  piété,  avec  une  grâce  et  un  essor  lyrique 
que  n'a  pas  eus  l'évèque  d'Hippone.  L'évèque  de  Meaux, 
d'ailleurs ,  est  plus  constamment  biblique  que  son  modèle  : 
il  explique  les  Livres  saints  par  les  Livres  saints ,  et  les 
pages  des  Élévations  et  des  Méditations  sont  surchargées  de 
notes  qui  renvoient  continuellement  aux  textes  de  l'Ancien 
et  du  Nouveau  Testament ,  si  familiers  à  celui  qu'on  pour- 
rait appeler  «  l'homme  par  excellence  de  la  Bible  ». 

«  Il  me  redemanda  cet  ouvrage  I  les  Méditations]  avant  sa 
mort,  dit  l'abbé  Le  Dieu  (2).  11  se  l'est  fait  lire  et  relire  plu- 
sieurs fois.  Ce  fut  sa  consolation  et  sa  joie  dans  ses  dou- 
leurs :  il  y  trouva  un  avant-goùt  des  joies  éternelles.  » 

Le  De  Excidio  Babylonis  fut  composé  par  Bossuet  du 

(1)  Bossuet  et  la  Bible,  p.  250. 
[•2)  Mémoires,  p.  iCJ. 


252  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

6  novembre  1701  ou  2  février  1702  par  manière  de  délas- 
sement, à  Germigiiy,  à  Versailles  et  à  Paris  (1). 

Cette  année-là,  Jacques-Christophe  Iselin,  en  latin  Ise- 
lius,  avait  soutenu  à  Bàle  une  thèse  latine  (2)  pour  com- 
battre VExplication  de  F  Apocalypse  publiée  par  Bossuet 
en  1689  et  appliquant  la  prophétie  de  saint  Jean  à  Patmos 
à  la  chute  de  Rome  et  de  l'empire  d'Occident.  Un  profes- 
seur de  l'Académie  de  Bàle,  Samuel  Verensfels,  inspirateur 
de  cette  thèse,  à  la  soutenance  de  laquelle  il  avait  présidé  , 
la  fit  parvenir  à  Bossuet,  L'évéque  de  Meaux  reprit,  à  douze 
ans  d'intervalle,  les  idées  qu'il  avait  émises  sur  VApoca- 
lypsf ,  et  il  les  renouvela  avec  une  fécondité  de  génie  ad- 
mirable. «  S'il  y  a  quelque  surabondance  dans  les  exphca- 
tions  de  l'auteur,  c'est  un  heureux  défaut,  surtout  en  un 
sujet  obscur  comme  l'Apocalypse,  que  l'excès  de  la  mé- 
thode et  de  la  clarté  (3).  » 

Il  faut  donc  remercier  et  féliciter  Dom  Deforis ,  qui ,  plus 
soucieux  que  l'évêque  de  Troyes  (i)  de  la  vraie  gloire  de 
Bossuet,  a  publié  en  1772  le  De  Excidio  Baby/o/u's. 

Dans  cet  ouvrage,  comme  dans  VExplication  de  t Apo- 
calypse,  l'évêque  de  Meaux  ne  marche  qu'à  la  lumière  des 
doctrines  exposées  par  les  P/V<«.s  et  les  docteurs  de  l'Eglise.  — 
Dans  sa  Préface ,  il  s'élève  contre  «  les  auteurs  de  la  nou- 
velle réforme  qui,  après  les  explications  et  les  décrets  de 
tant  de  saints  Pères  et  de  l'Église  tout  entière ,  n'attribuent 
que  bien  peu  d'autorité  à  la  révélation  de  saint  Jean  et  ne 
reconnaissent  pas  sa  divinité.  Ecce ,  post  lot  sancfonan  Pa- 
trurn  fotius(/ue  adeo  Ecclesiae  elucidationes  ac  décréta, 
novae  reformât ioiiis  aactores...  qaam  parinii  tribuant  re- 

(1)  Le  Dieu,  Journal,  t.  IV,  j).  i">. 

(2)  Disserlatio  philolotjica-theolor/ica  in  sententiam  Jacohi  Benigni  Bossuet i 
Condomotsis  olim,  nunc  Meldensis  episcopi,  viri  clarissimi ,  de  Babylone.  hestiù 
lie  merilrice  Apocalijpsis,  quam,  fnvente  Dec,  praoside  viro  venerando  atque  eru- 
dilionis  et  ingenii  gloria  rrlc/ierrimo  D.  Samuelc  Verras felsio,  sacrae  theologiae 
doclore  locoruni  commiiniiiin  cl  ((iiitroversiaruin  inofcssore ,  in  die  -l't  junii  anni 
1701,  doctorum  disriuisitioni  siilijicit  Jacolnis  Cliristoplionis   Isclius. 

f't)  P.  de  la  Broise,  Dussucl  et  la  Uihlc.  p.  -iSC. 

{'•)  Il  avait  bien  vu  le  nianiiserit  paiini  les  papiers  laissés  enlre  ses  mains  :  mais 
l'écriture  lui  en  avait  paru  ilillicile  à  lire  et  il  n'avait  pas  voulu  se  donner  la  peine 
de  déchiffrer  une  dissertation  latine,  intéressante  seulement,  pensait-il,  pour  les 
érudits. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  EXEGETE.  253 

velationi  Joa/inis ^'  nrr  rj/zs  <livinitatem  agnoscant  ».  — 
Dans  ]a  Première  (létnonstralion ,  qui  a  pour  objet  d'éta- 
blir «  que  la  Babylone  de  saint  Jean  ne  porte  aucun  caractère 
de  l'Église  Romaine  ou  de  n'importe  quelle  Église  chré- 
tienne »,  Bossuet  cite  V Apologie  de  TertulUen  et  la  Prépa- 
ration Évangêlique  à'Eusèbe.  —  Dans  le  premier  des  quatre 
Appendices  qui  suivent  cette  Démons/ rai  ion  (1),  il  invoque, 
à  propos  du  culte  des  saints  dans  l'Église ,  le  témoignage 
de  saint  Ambroise,  de  Théodoret,  «  le  plus  éminent  peut- 
être  de  tous  les  théologiens  de  son  temps,  unus  omnium 
sut  aevi  theologus  vel  praestantissiinns  » ,  de  saint  Jérôme 
dans  son  écrit  contre  Vigilance  et  il  ajoute  :  «  Qiiis  autem 
hos  Patres ,  quis  eis  assentientes  Gregorin/n  Nazianzennm, 
Basiliiwi  Magnum,  Augusfinum ,  alios  Ecclesiarum  in 
Oriente  juxta  ac  Occidente  praesides ,  idololatras  appel- 
lavit? Nempe  Julianus  im/)iu.s,  Eunapius  sophista  Graecus, 
Eunomius  haereticus ,  de  nique  Manichaeus.  Qui  donc  a 
appelé  idolâtres  ces  Pères  et  ceux  qui  sont  du  même 
avis,  Grégoire  de  Nazianze,  Basile  le  Grand,  Augustin, 
les  autres  évêques  des  Églises  d'Orient  et  d'Occident?  C'est 
Julien,  un  impie,  Eunape,  un  sophiste  grec,  Eunome,  un 
hérétique,  enfin  Manès.  »  Dans  les  premiers  siècles  de 
l'Église,  ce  mot  de  saint  Athanase  était  en  honneur  :  «  Nous, 
fidèles,  nous  n'adorons  pas  du  tout  les  images  des  saints, 
comme  les  païens  leurs  dieux  :  loin  de  nous  une  telle  pen- 
sée! Nous  manifestons  seulement  les  sentiments  et  l'amour 
de  notre  àme  envers  une  image.  »  —  Dans  le  second 
Appendice ,  saint  Prosper,  saint  Cyprien,  un  grand  nom- 
bre de  Papes  et  de  Conciles  sont  cités  pour  établir  que 
«  saint  Jean  chante  seulement  les  martyrs  qui  ont  souffert 
avec  lui-même  sous  l'empire  romain  et  combattu  les  idoles 
anciennes  et  connues  (2)  ».  — Le  troisième  (3)  et  le  qua- 

(1)  Quod  idololatria  Uomanae  urbi  a  Joanne  imputata  non  sit,  aut  esse  possit  aliud 
quam  idololatria  niere  et  proprie  dicta  antiquae  urbis  Romae,  ((uae  ejusdem  apos- 
toli  tempore  vigebat,  ac  deorum  eo  tenipore  notissiinorum  cultus;  non  auteni 
cultus  sanctorum,  aut  aliud  quodquam  quod  Christianismum  sapiat. 

(2)  Quod  sanctus  Joaunes  eos  tiintum  canat  martyres,  (jui  sub  iniperio  Romano 
cum  ipso  Joanne  passi  sint,  et  adversus  vetera  ac  nota  idola  decertarint. 

(3)  De  Ronia  idolis  inhaerente  sub  piis  quoquc  principibus. 


•234  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

ti'ième  (1)  Arcrtissrments,  qui  précèdent  la  seconde  et  la 
troisième  l>('))i()ns/ration  ,  sont  remplis  de  textes  de  Zozime, 
de  Sozomène,  du  prêtre  Orosc,  de  saint  Augustin  et  de  Sal- 
rif'tt.  Pour  prouver  que  la  Babylone  de  saint  Jean,  la  Rome 
païeune,  a  été  vraiment  brûlée  et  détruite  par  Alaric,  Bos- 
suet  cite,  «  comme  premier  témoin  »,  saint  Augustin  et 
ses  Sermons:  «  comme  second  témoin  »,  saint  Jérôme,  ses 
Lettres  à  Démétriade,  à  Agéruchia,  à  Gaudentius,  etc.; 
comme  «  troisième  et  quatrième  témoins  » ,  Socrate  et 
3Iarcellin;  «  comme  cinquième  témoin  »,  le  prêtre  Orose, 
dont  il  donne  de  larges  extraits.  —  Ce  sont  les  mêmes  au- 
teurs qu'il  invoque  à  l'appui  de  sa  seconde  Démonstra- 
tion, où  il  établit  «  que  la  Babylone  de  saint  Jean  porte 
le  caractère  de  la  ville  de  Rome,  mais  de  la  Rome  antique, 
qu'on  voyait  au  temps  de  saint  Jean ,  qui  commandait  aux 
nations,  persécutait  les  saints,  tenait  aux  fausses  divinités, 
et  avait  été  pour  cela  même  détruite  avec  son  empire  si 
cruel  et  si  superbe  ».  La  Cité  de  Dieu  de  saint  Augustin  et 
V Histoire  unircrselle  du  prêtre  Orose  fournissent  à  Bos- 
suet  les  éléments  nécessaires  pour  établir  les  quatre  ca- 
ractères des  dix  rois  signalés  dans  Y Apocabjpse  et  qui  ne 
seraient  autres  que  les  chefs  des  Barbares ,  (t  Visigoths ,  Os- 
trogoths ,  Vandales,  Huns,  Hérules,  Lombards,  Burgondes, 
Francs,  Suèves  et  Alains  ».  Saint  Jérôme  nommait  «  les 
Quades,  les  Vandales,  les  Sarmates,  les  Alains,  les  Gépi- 
des,  les  Hérules,  les  Saxons,  les  Burgondes,  les  Alamans, 
les  Pannoniens  ».  On  peut  appliquer  aux  uns  et  autres 
ces  caractères  :  1°  ils  «  n'auront  pas  de  royaume  » ,  puis- 
qu'ils ont  parcouru  l'Empire  entier  dans  leurs  courses  va- 
gabondes; 2"  ils  «  livreront  à  la  bête  leur  force  et  leur 
puissance  » ,  puisqu'ils  ont  tous  servi  Rome  comme  alliés , 
avant  d'être  ses  vainqueurs;  3**  «  ils  combattront  contre  l'A- 
gneau, mais  l'Agneau  les  vaincra  »,  puisque  de  païens  ils 
sont  devenus  enfants  du  Christ  et  de  l'Église;  V  «  ils  rece- 
vi'ont  de  la  bote  la  puissance  comme  rois,  pendant  une 

(1J  Uualo  luluruiu  csset  oxcidiuin  uibis  et  quaiulo  coinbusta  sit. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  EXEGÉTE.  255 

heure  » ,  puisque  Rome  leur  avait  accordé  à  tous  des  pro- 
vinces à  ses  frontières.  —  Dans  la  troisième  Démonstration , 
où  Bossuet  prouve  que  «  son  interprétation  s'adapte  et  s'har- 
monise avec  le  texte  et  les  événements  historiques,  de  ma- 
nière à  être  à  l'abri  de  toutes  les  objections  de  l'auteur  » 
en    question,    Verensfels,  on    voit   d'abord  saint   Irénéc , 
«  disciple  de  saint  Polycarpe,  disciple  lui-même  de  saint 
.(ean  »,  Clément  d' Alexandrie,  Tertidlien,  Eus<)be,  saint  .A^- 
rome,  saint  Épiphane,  cités  à  propos  de  l'époque  à  laquelle 
a  été  écrite  V Apocalypse  :  la  fm  du  règne  de  Domitien. 
C'est  ensuite  saint  Epiphane ,  Théodoret,  saint  Athanase , 
Clément  d'Alexandrie  surtout,  que  Bossuet  invoque  pour 
expliquer  dans  Y Apocalijpse  les  sept  sons  de  la  trompette , 
les  étoiles  tombant  du  ciel,  les  sauterelles  et  la  fumée  du 
puits  de  l'abime.  Le  traité  de  Lactance,  De  la  mort  des  per- 
sécuteurs, sert  à  l'évêque  de  Meaux  pour  rendre  compte  des 
six  visions  qui  concernent  la  vengeance  des  nations  et  la 
persécution  de  Dioclétien.  «  Écoutons,  dit-il,  Lactance,  qui 
connaît  ces  choses  intimement,  en  homme  nourri  dans  le 
palais  de  Grispus  César,  et  compagnon  de  jeunesse  de  ce 
fils  de  Constantin  le  Grand  :  Andiamus  Lactantium ,  qui 
haec  intime  novit y  nutritus  in  palatio  et  admotus  Jiwentuti 
Crispi  Caesaris,  Constantini  Magni  filii.  »  Bossuet  ne  né- 
glige pas  les  autres  Pères  et,  à  propos  de  la  persécution  de 
Julien,  il  dit  :  «  Tous  les  historiens  sont  d'accord  pour  af- 
firmer avec  les  Pères^  Grégoire  de  Nazianze,  Sozomène, 
Théodore/ ,  Orose ,  que  cet  empereur  avait  voué  aux  dieux 
le  sang  des  Chrétiens,  s'il  était  revenu  vainqueur  de  sa 
guerre  contre  les  Perses  (1)  ».  Enfin,  à  propos  du  règne  de 
Jésus-Christ  avec  les  âmes  bienheureuses  (2),  Bossuet  s'é- 
crie :  «  En  faveur  de  cet  événement  si  beau ,  nous  avons  in- 
voqué des  témoins  qui  ne  sont  pas  des  hommes  vulgaires  et 
obscurs,  mais  tout  ce  qiiil  y  a  de  très  saints  Pères,  Basile, 


(1)  «  Itaque  consentiunt  omnes  historici  et  Patres.  Gregorius  Nazia.  orat.  3  et  4 
Sozomenus,  Tlieodoretus,  Orosius,  devotum  al)  ipso  Cliristianorum  sanguinem,  si 
voti  compos  ex  Persico  bello  rediisset  ».  Demonstratio  IIl',  art.  W. 

(2)  Même  Démonstration,  art.  XXXV. 


256  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

les  (leur  Grégoire,  A7nbroise,  Chrysostome ,  Jérôme,  Au- 
gustin f't  les  autres,  sans  aucune  exception,  qui  ont  été  les 
plus  célèbres  au  quatrième,  au  cinquième  siècle  et  dans 
les  siècles  suivants,  et  qui  sont  les  plus  recommandables 
par  leur  piété  et  leur  doctrine.  Hujus  auteni  pulcherrimi 
éventas  testes  adhihai?nas,  )ion  vulgares ,  non  obscaros  ho- 
mmes, sed  quotquot  exstiterunt  sanctissimos  Patres ,  Basi- 
lium,  Gregorios,  Ambrosiu)n ,  Chrysostomum ,  Hierony- 
7num,  Augustinum ,  et  reliquos,  exceptione  nulla,  quarto, 
quinto  et  secutis  saeculis  memoratissimos ,  pietateque  et 
doctrina  commendatissimos.  »  Fort  de  l'autorité  de  ces 
grands  hommes,  dans  le  commerce  desquels  il  fait  ses  dé- 
lices ,  Bossuet  confond  les  protestants ,  Grotius ,  Iselius ,  Ve- 
rensfels,  et  il  termine  sa  dissertation  De  excidio  Babylonis 
par  le  cri  que  saint  Augustin  rapporte  comme  s'échappant 
de  la  bouche  des  chrétiens  de  son  temps,  en  présence  des 
merveilles  dont  ils  étaient  les  témoins  :  «  Gloire  au  Christ! 
Louanges  au  Christ!  Gloria  Christoî  Christo  laudesl  » 

La  dernière  œuvre  exégétique  de  Bossuet,  c'est  V Expli- 
cation de  la  prophétie  d'Isaïc  sur  F  enfantement  de  la  sainte 
Vierge  et  du  Psaume  XXI  :  «  dictée  de  son  lit  (1)  »,  (dé- 
cembre 1703-janvier  1704),  dans  l'intervalle  des  souffrances 
que  lui  causait  la  maladie  de  la  pierre,  dont  il  devait  mou- 
rir (2),  elle  fut  publiée  le  25  mars  ITOi. 

Il  faut  laisser  à  Bossuet  lui-même  le  soin  de  nous  dire 
avec  une  admirable  simplicité  comment  sortit  de  son  cœur, 
autant  que  de  son  génie ,  cette  œuvre  qui  est  comme  le  tes- 
tament de  sa  science  et  de  sa  piété  :  «  Pendant  que  je 
m'occupais  à  découvrir  les  erreurs  des  critiques  judaïsants, 
dit-il  (3),  je  sentais  mon  esprit  ému  en  soi-même,  en  voyant 
des  Chrétiens,  et  des  Chrétiens  savants,  qui  semblaient 
même  zélés  pour  la  religion,  au  lieu  de  travailler,  comme 
ils  le  devaient,  à  l'édification  de  la  foi ,  employer  toute  leur 
subtilité  à  éluder  les  prophéties  sur  lesquelles  elle  est  ap- 


(1)  Le  Dieu,  Mémoires,  t.  I.  p.  -213. 

(-2)  Les  premiers  symptômes  du  mal  apparurenl  vers  la  fin  de  1701. 

(3)  Averlisscmenl  de  VExpUcation  de  la  prophétie  d'Isaie. 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  EXEGETE.  257 

puyée;  et,  plus  dangereux  que  les  rabbins,  leur  fournir 
des  armes  pour  combattre  les  apôtres  et  Jésus-Christ  même. 
Les  Sociniens  avaient  ouvert  cette  dispute,  et  la  licence 
augmentait  tous  les  jours.  Il  me  paraissait  qu'une  courte 
interprétation  de  quelques  anciennes  prophéties  pouvait 
être  un  remède  aussi  abrégé  qu'efficace  contre  un  si  grand 
mal;  et  alors  il  arriva  qu'un  de  mes  amis  m'ayant  proposé 
ses  difficultés  sur  la  prédiction  d'Isaïe,  où  l'enfantement 
d'une  vierge  était  expliqué,  j'avais  tâché  d'y  répondre  avec 
toute  la  netteté  et  toute  la  précision  possible,  et  néanmoins 
en  faisant  sentir  la  force  des  preuves  de  la  mission  de  Jésus- 
Christ  et  un  caractère  certain  de  sa  divinité. 

«  En  même  temps ,  je  me  souvenais  d'avoir  prêché ,  il  y  a 
deux  ans,  une  Explication  (Jti  Psaume  XXI,  où  j'avais  dé- 
montré d'une  manière  sensible  à  toute  àme  fidèle,  la  pas- 
sion, le  crucifiement,  la  résurrection  de  notre  Sauveur  et 
sa  gloire ,  qui  devait  paraître  dans  la  conversion  des  gen- 
tils. 

((  Je  me  sentais  aussi  sollicité,  durant  une  convalescence 
qui  ne  me  permettait  pas  tout  à  fait  l'usage  de  mes  ré- 
ilexions,  d'entretenir  mon  esprit  de  saintes  pensées,  capa- 
bles de  le  soutenir,  et  c'est  ce  qui  a  produit  ces  petits 
écrits . 

<(  Dieu  ayant  mis  dans  le  cœur  de  plusieurs  personnes 
pieuses  d'en  demander  des  copies,  on  a  eu  plus  tôt  fait  de 
les  imprimer,  et  les  voilà  tels  qu'ils  sont  sortis  d'une  étude 
qui  n'a  rien  eu  de  pénible.  Qui  sait  si  Dieu  ne  voudra  pas 
se  servir  de  cet  exemple  pour  exciter  des  mains  plus  habiles 
à  donner  de  pareils  ouvrages  à  l'édification  publicjue,  et 
apprendre  aux  Chrétiens,  non  pas  à  disputer  contre  les 
Juifs,  ce  qui  ne  produit  que  de  sèches  altercations,  mais  à 
poser  solidement  les  principes  de  la  foi?  » 

Il  faut  toute  l'édifiante  modestie  d'un  Bossuet  pour  faire 
ainsi  appel  à  «  des  mains  plus  habiles  »  que  les  siennes  : 
la  postérité  les  attend  encore,  et  quoique  «  la  tentation  », 
que  l'évêque  de  Meaux  avec  son  coup  d'œil  d'aigle  prévoyait 
comme  «  venant  peut-être  dans  la  suite  à  s'élever  par  le 

DO^SUET   ET   I.F.S   SUNTS  PÈnES.  17 


•258  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

discours  des  libertins,  aussi  remplis  d'ignorance  que  d'in- 
considération  (1)  »,  n'ait  pas  manqué  de  se  produire,  il  n'y 
a  pas  eu  d'autre  Bossuet  pour  la  «  prévenir  heureusement 
par  une  doctrine  établie  sur  la  pierre,  qui  empêche  non  seu- 
lement les  orages  et  les  tempêtes ,  mais  encore  qui  déracine 
jusqu'aux  moindres  doutes  »,  de  telle  sorte  «  que  nous 
marchions,  d'un  pas  ferme,  comme  ont  fait  nos  pères,  sur 
le  fondement  des  apôtres  et  des  prophètes  (2)  ». 

C'est  par  trois  lettres  que  Bossuet  répond  aux  difficultés 
élevées  par  Grotius  à  propos  de  la  prophétie  d'Isaïe  :  Eccc 
Virgo  concipiet  et  pariet  Filiuin ,  et  vocabitur  )uji)irn  rjits 
Emmanuel  (3).  Ces  difficultés  se  ramènent  à  ceci  :  «  Selon 
la  prophétie,  le  Messie  doit  naître  d'une  Vierge.  Les  Juifs 
voient  Jésus-Christ,  fils  d'une  femme  mariée,  sans  avoir  au- 
cun moyen  de  juger  quelle  est  vierge.  Le  Messie  doit  s'ap- 
peler Emmanuel  :  Jésus-Christ  a  un  autre  nom.  Donc,  les 
autres  Juifs  ont  eu  raison  de  croire,  aux  termes  de  cette 
prophétie,  que  Jésus-'Christ,  fils  de  Marie,  femme  de  Joseph, 
n'était  pas  le  Messie  ».  —  Bossuet  répond  que  la  prophétie 
d'Isaïe  n'avait  aucun  besoin  d'être  connue  par  les  Juifs 
comme  réalisée  :  «  Les  preuves  indicatives  de  la  venue  du 
Messie  devaient  être  distribuées  de  manière  qu'elles  fussent 
connues  chacune  en  leur  temps.  Celle-ci  a  été  révélée  quand 
et  à  qui  il  a  fallu  :  la  sainte  Vierge  l'a  sue  d'abord;  quelque 
temps  après  saint  Joseph,  son  mari,  Fa  apprise  du  ciel,  et 
l'a  crue,  lui  qui  y  avait  le  plus  d'intérêt;  saint  Matthieu  la 
rapporte  comme  une  vérité  déjà  révélée  à  toute  l'Église  (4).  » 
Bossuet  montre  par  analogie  que  «  c'était  une  marque  pour 
connaître  le  Christ  qu'il  devait  convertir  les  gentils  »,  et 
cependant  il  défendait  à  ses  apôtres  «  d'entrer  dans  la  voie 
des  gentils  »  ;  la  plupart  des  prophéties  n'étaient  pas  con- 
nues durant  sa  vie;  celle  de  l'enfantement  virginal  est  de 
ce  nombre;  plusieurs  de  ses  disciples  l'ont  ignorée  et  il  ne 


(i)  Averlissement  de  VExplicntion  de  la  p7-ophvtic  d'Isaïe,  clc. 

(2)  yU'me  Avertissement. 

(3)  VII,  \'t. 

(4)  Première  Lettre. 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  EXEGETE.  259 

s'est  pas  pressé  de  les  instruire  sur  ce  point  non  plus  que 
sur  beaucoup  d'autres;  il  était  du  conseil  de  Dieu  que  le 
mystère  de  l'Incarnation  s'accomplit  sous  le  voile  du  ma- 
riage (1).  '.(  Il  me  resterait  à  vous  avertir,  conclut  Bossuet, 
qu'il  serait  facile  de  rous  jwourfr  jtar  les  Pères,  et  surtout 
par  saint  Clu'ijsostonfe,  principalement  dans  ses  Homt-lies 
<Jf'  l'obscurité  des  prophéties ,  et  par  saint  Jérôme  en  divers 
endroits,  la  doctrine  avancée  dans  cette  lettre  :  mais  je  ne 
crois  pas  ce  travail  nécessaire ,  puisque  la  chose  est  si  cons- 
tante par  les  Écritures.  » 

Voilà  bien,  pris  sur  le  fait,  les  sentiments  intimes  de 
Bossuet  :  l'Écriture,  d'abord,  la  Tradition  et  les  Pères  en- 
suite pour  expliquer  l'Écriture,  dans  les  cas  où  elle  ne  peut 
pas  s'éclairer  par  elle-même ,  comme  le  Psaume  XXI  sur  la 
Passion  et  le  délaissement  de  Notre-Seigneur  (2)  s'éclaire  par 
les  Évangiles.  «  Dieu  a  voulu  composer  exprès  d'obscurité 
et  de  lumière  (le  tissu  des  Écritures) ,  afin ,  comme  dit  saint 
Augustin,  de  rassasier  notre  intelligence  par  la  lumière 
manifeste  et  de  mettre  notre  foi  à  l'épreuve  par  les  endroits 
obscurs.  En  un  mot,  il  a  voulu  qu'on  ait  pu  faire  à  l'ÉgHse 
de  mauvais  procès;  mais  il  a  voulu  aussi  que  les  humbles 
enfants  de  l'Église  y  pussent  assez  aisément  trouver  les 
principes  pour  les  décider;  et  s'il  reste,  comme  il  en  reste 
beaucoup,  des  endroits  impénétrables,  ou  à  quelques- 
uns  de  nous,  ou  à  nous  tous  dans  cette  vie,  le  même  saint 
Augustin  nous  console,  en  nous  disant  que,  soit  dans  les 
lieux  obscurs ,  soit  dans  les  lieux  clairs ,  l'Écriture  contient 
toujours  les  mêmes  vérités,  qu'on  est  bien  aise  d'avoir  à 
chercher,  pour  les  mieux  goûter  quand  on  les  trouve;  et 
où ,  si  l'on  ne  trouve  rien ,  on  demeure  aussi  content  de 
son  ignorance  que  de  son  savoir,  puisqu'après  tout  il  est 
aussi  beau  de  vouloir  bien  ignorer  ce  que  Dieu  nous 
cache  que  d'entendre  et  de  contempler  ce  qu'il  nous  dé- 
couvre (3)  ». 

(1)  Sommaire  de  la  Deuxième  Lettre. 

(-2)  Bossuet  n'y  cite  qu'en  passant  les  saints  Pures,  §11. 

(3)  Fin  de  la  Troisième  Lettre. 


260  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PÈRES. 

Quel  admirable  exégète,  et  comme  on  est  ravi  de  voir 
tant  d'humilité  s'allier  à  tant  de  génie  dans  le  grand  évê- 
que ,  que  La  Bruyère ,  «  parlant  d'avance  le  langage  de  la 
postérité  »,  appelait  «  un  Père  de  l'Église  (1)!  « 

(1)  Discours  de  réception  à  l'Académie,  1603, 


CHAPITRE  V 

LES    SAINTS    PÈRES    ET    BOSSUET    AUTEUR    ASCÉTIQUE. 

L'ascétisme  de  Bossuet!  ce  mot  peut  faire  sourire  les 
esprits  superficiels,  les  critiques  à  courte  vue,  qui,  sur  la  foi 
de  Voltaire,  ne  voient  dans  l'évêque  de  iMeaux  que  «  le  plus 
éloquent  des  Français  »,  et  ne  parlent  de  lui  que  comme  de 
l'adversaire  impitoyable  de  l'ascétisme  et  du  mysticisme, 
qu'il  a  poursuivis  avec  acharnement  dans  la  personne  et  les 
écrits  de  Fénelon. 

Et  pourtant,  rien  de  plus  faux  qu'une  pareille  idée.  Ceux 
qui  ont  lu  Bossuet,  tout  Bossuet,  savent  «  qu'il  connut  et 
qu'il  aima  en  docteur  et  en  directeur  éclairé  Fascétisme  et 
môme  la  mystique  (1)  ». 

Il  était  tout  jeune  encore ,  lorsqu'il  écrivait  très  proba- 
blement à  Langres,  où  il  fut  ordonné  sous- diacre,  le  21  sep- 
tembre 1648,  cette  méditation  sftr  la  brirveté  de  la  vie  y 
dont  Gandar  a  dit  (2)  :  «  Il  paraîtra  remarquable  que  le 
jeune  écrivain  se  soit  tout  d'abord  surpassé  lui-même  en 
agitant  au  fond  de  sa  conscience ,  dans  le  recueillement  et 
l'effusion  de  la  prière,  cette  grande  pensée  de  la  mort  et  de 
l'éternité  qui  devait  remplir  les  Oraisons  funèbres.  » 

Il  n'avait  que  trente  ans,  lorsque,  le  15  octobre  1G5T,  à  la 
demande  de  la  reine  mère,  Anne  d'Autriche,  il  prêcha  à 
Metz  le  Panégyrique  de  sainte  Thérèse ,  dont  la  Muse  histo- 
rique disait  : 


(I)  p.  de  la  Broise,  Bossuet  et  la  Bible,  p.  i't'2. 

(-2)  Choix  de  Sermons  de  la  jeunesse  de  Bossuet.  p.  3. 


262  BOSSL'liT  ET  LES  SAINTS  PERES. 

Rliiltitudo  de  personnages, 
Savants,  (lualifiés  et  sages, 
En  l'oj'ant  attentivement, 
Firent  de  lui  ce  jugement 
Qu'un  jour  son  éloquence  exquise 
Ferait  un  grand  bruit  dans  l'Église... 

Le  cardinal  Mazarin , 

Qui  goûte  fort  les  belles  choses 
Que  l'on  prêche,  écrit,  dit  ou  fait 
Demeura  plus  (|ue  satisfait, 

quand  il  entendit  le  soir,  seigneurs  et  princesses  porter  jus- 
qu'aux nues  l'incomparable  prédicateur.  Il  est  certain  que 
ce  Panégyrique  est  un  chef-d'œuvre  et  que  Bossuet  y  com- 
mente admirablement  ces  paroles  :  «  Nostra  autem  conver- 
satio  in  cœlis  est  ;  noive  société  est  dans  les  cieux  (1)  »,  en 
montrant  «  le  vol  de  cette  âme  (celle  de  sainte  Thérèse), 

que  l'amour  de  Dieu  a  blessée Enflammée  de  l'amour  de 

Dieu,  elle  le  cherche  par  son  espérance  :  c'est  le  premier 
pas  qu'elle  fait;  que  si  l'espérance  est  trop  lente,  elle  y 
court,  elle  s'y  élance  par  des  désirs  ardents  et  impétueux  : 
tel  est  son  second  mouvement;  et  enfin  son  dernier  effort, 
c'est  que  les  désirs  ne  suffisant  pas  pour  briser  les  liens  de 
sa  chair  mortelle,  elle  lui  livre  une  sainte  guerre;  elle  tâ- 
che, ce  semble  de  s'en  décharger  par  de  longues  mortifica- 
tions et  par  de  continuelles  souffrances,  afin  qu'étant  libre 
et  dégagée  et  ne  tenant  presque  plus  au  corps,  elle  puisse 
dire  avec  vérité  ces  paroles  du  saint  Apôtre  :  Nostra  autent 
conversalio  in  cœlis  est.  Notre  conversation  est  dans  les  cieux. 
Ce  sont,  Messieurs,  ces  trois  actions  de  la  charité  de  Thé- 
rèse qui  partageront  ce  discours.  «  Bossuet  expose  avec  une 
vivacité,  touchante  les  sentiments  les  pkis  délicats  et  les 
plus  élevés  de  la  grande  mystique  espagnole,  et  il  cite  sou- 
vent des  paroles  (2)  ou  des  traits  de  sa  vie ,  qu'il  connaît  à 
fond. 


(1)  Epilre  aux  Philippiens,  III.  -20. 

(-2)  Voir  en  particulier  la  lin  du  premier  point. 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  AUTEUR  ASCÉTIQUE.  263 

Peu  d'années  après,  il  faisait  aux  Carmélites  de  Paris  des 
Conférences  qu'elles  trouvaient  admirables  et  «  d'une 
beauté  enchantée  » ,  comme  on  l'a  vu  plus  haut  (1). 

Les  treize  Sr'rf)ions  de  Vétures  ou  de  Professions  qui  nous 
restent  de  Bossuet  témoignent  éloquemment  de  la  science 
et  de  la  pratique  qu'il  avait  des  secrets  du  mysticisme,  de 
ces  ascensions  de  Tàme  vers  la  perfection ,  qui  est  l'idéal 
de  la  vie  religieuse  :  sortir  du  monde,  sortir  de  soi-même, 
de  son  corps  et  de  ses  sens,  de  son  âme  et  de  sa  volonté, 
vivre  en  Dieu  et  pour  Dieu ,  voilà  ce  que  Bossuet  appelle  la 
«  vraie  liberté  (2)  »  des  âmes  qui  se  donnent  entièrement 
au  Christ  Jésus,  ou  bien  la  renaissance  spirituelle  :  Opor- 
tet  vos  nasci  denuo  (3).  Aux  «  trois  désordres  »  de  notre 
nature  corrompue  ,  «  une  liberté  indocile,  une  molle  délica- 
tesse, un  vain  désir  de  paraître  » ,  il  oppose  «  des  remèdes 
forts  et  infaillibles  »  :  la  règ'le  et  la  contrainte,  la  mortifi- 
cation, et  la  vie  cachée.  —  Avec  quelle  onction  ne  recom- 
mande-t-il  pas  à  M'"  de  Beauvais,  en  1667,  de  «  choisir 
l'abaissement  et  l'abjection  et  de  se  rendre  petite ,  selon  le 
précepte  de  l'Évangile  :  petite  aux  yeux  des  autres  hommes, 
très  petite  à  ses  propres  yeux  '  »  —  Avec  quelle  pathétique 
éloquence  ne  dit-il  pas,  en  1669,  à  M"'  de  la  Vieuville  :  «  Ma 
chère  Sœur,  abandonnez-vous  à  ce  Médecin  tout-puissant 
(le  Fils  de  Dieu)  ;  apprenez  de  lui  ces  trois  choses,  que  vous 
devez  avant  toutes  choses,  vous  démêler  de  la  multitude; 
après,  rassemblez  tous  vos  désirs  en  l'unité  seule;  et  enfin, 
vous  y  trouverez  le  repos  et  la  consistance.  »  —  Quel  art 
profond  et  quelle  délicatesse  infinie  dans  le  Sermon  pour  la 
Profession  de  M™°  de  la  Vallière,  4  juin  1675,  où  sont  décrits 
les  «  deux  amours  qui  font  ici  toutes  choses.  Saint  Augus- 
tin les  définit  par  ces  paroles  :  Antor  sut  usque  ad  contem- 
ptam  Dei ;  amor  Dei  usqiif^  ad  contemptu)n  sut  (4)  :  l'un  est 
<(  l'amour  de  soi-même  poussé  jusqu'au  mépris  de  Dieu  »  : 

(1)  Page  207. 

(2)  Voir  en  particulier  les  Sermons  pour  la  Vcture  de  postulantes  Bernardines. 
prêches  à  Metz  le  28  août  KwSeten  l()(>l  (r; 

(3)  Sermon  pour  la  Vèture  de  M"*:  de  Bouillon,  S  septembre  IGGO. 

(4)  De  Civitate  Dei,  lib.  XIV,  c.  xxvni. 


264  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

c'est  ce  qui  fait  la  vie  ancienne  et  la  vie  du  monde;  l'autre 
est  «  l'amour  de  Dieu  poussé  jusqu'au  mépris  de  soi-même  »  : 
c'est  ce  qui  fait  la  vie  nouvelle  du  christianisme  et  ce  qui 
étant  porté  à  sa  perfection  fait  la  vie  religieuse.  Ces  deux 
amours  opposés  feront  tout  le  sujet  de  ce  discours  (1). 
Mais  prenez  bien  garde ,  Messieurs ,  qu'il  faut  ici  observer 
plus  que  jamais  le  précepte  que  nous  donne  V Ecclésiasti- 
que :  «  Le  sage  qui  entend ,  dit-il ,  une  parole  sensée ,  la 
loue  et  se  l'applique  à  lui-même  (2)  »  ;  il  ne  regarde  pas  à 
droite  et  à  gauche  à  qui  elle  peut  convenir;  il  se  l'appli- 
que à  lui-même  et  il  en  fait  son  profit.  Ma  Sœur,  parmi  les 
choses  que  j'ai  à  dire,  vous  saurez  bien  démêler  ce  qui  vous 
est  propre.  Faites-en  de  même,  chrétiens  (3)  ».  — Bossuet 
pénètre  peut-être  encore  plus  avant  dans  les  secrets  de  la 
vie  religieuse,  lorsque,  à  propos  de  la  Vêture  de  Marie- 
Anne  de  Bailly,  le  5  décembre  1081 ,  il  dit  :  «  Je  vous  ferai 
voir...  premièrement,  jusqu'à  quel  point  votre  condition 
vous  oblige  à  renoncer  au  monde;  en  second  lieu,  comment 
il  vous  faut  persévérer  dans  cette  sainte  résolution  ;  et  enfin, 
comment  non  contente  de  persévérer,  vous  devez  toujours 
croître  et  toujours  enchérir  par-dessus  les  actions  passées.  » 
Ce  n'étaient  pas  seulement  les  personnes  de  la  cour  et  du 
grand  monde,  les  Henriette  d'Angleterre,  les  Tureune,  les 
Condé,  les  de  Bellefonds,  les  de  Bouillon,  les  la  Vallière, 
les  Dangeau,  les  de  Luynes,  les  La  Bochefoucauld,  les 
lords  Perth  et  Lovât,  qui  recherchaient  la  direction  et  l'élo- 
quence de  Bossuet.  «  Sa  réputation,  dit  Le  Dieu  (4),  se  ré- 
pandait de  toutes  parts  et  on  voulait  l'entendre  dans  tous  les 
couvents.  W^  de  Montpensier,  qui  honorait  de  son  amitié 

(I)  Bossuet  avait  pris  pour  texte  :  El  dixil  qui  scdvhal  in  throno  :  Ecce  nova 
facio  omnia. 
(-2)  Ecclè.,\\l,i». 

(3)  On  sait  que  tous  ne  le  firent  pas.  Beaucoup  de  courtisans  et  de  curieux  étaient 
allés  à  la  cérémonie  dans  l'espoir  d'entendre  quel(|ue  récit  émouvant  des  scanda- 
les passés.  Bossuet  déçut  cet  es])oir  |)ar  ces  siniiiles  mois  :  «  Qu'avons-nous  vu,  et 
que  voyons-nous?  Quel  état!  et  (|uel  état!  »  Les  mondains  dépités  se  vengèrent 
en  calomniant  le  grand  orateur,  si  hien  que  M'"'=  de  Sévigné,  absente  .i  son  très 
grand  déplaisir,  écrivait  à  sa  fille,  le  5  juin  l(i".'i,  (pie  «  le  discours  de  M.  de  Con- 
dom  n'avait  [joint  élé  aussi  divin  ([u'on  l'espérail  ». 

(4)  Mémoires,  |).  !i(i,  in,  !»8, 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  AUTEUR  ASCETIQUE.  265 

lyjmo  Henriette  de  Lorraine,  sa  parente,  abbesse  de  Jouarre, 
où  même  elle  Fallait  voir  assez  souvent .  y  avait  amené 
notre  abbé,  en  1G62,  pour  prêcher  la  Toussaint.  Il  fit  son 
sermon  sur  ce  texte  de  l'Apocalypse  :  Amm,  AUcluia, 
c'est-à-dire  louange,  action  de  grâces,  en  quoi  consiste 
toute  la  vie  des  bienheureux  :  ce  que  saint  Aurjustin  a  traité 
plusieurs  fois  dans  la  Cité  de  Dieu,  dans  ses  Sermoi^s  et 
ailleurs  comme  une  matière  des  plus  belles  et  des  plus  im- 
posantes. Elle  réussit  à  merveille  à  Jouarre,  où  il  fut  beau- 
coup parlé  àWIlehiid. 

u  En  166i,  le  duc  de  Luynes.  ami  de  tous  les  gens  habi- 
les ,  qui  connaissait  fort  notre  abbé  et  faimait  avec  la  dis- 
tinction qu'il  méritait,  le  mena  encore  à  Jouarre.  dans  la 
compagnie  de  l'évêque  de  Périgueux,  pour  la  profession  de 
ses  deux  filles...  F^'abbé  Bossuet  (prêcha)  pour  Henriette- 
Thérèse-Angélique  d'Albert  de  Luynes... 

«  Il  alla  aussi  à  Meaux,  en  1669,  avec  le  duc  de  la  Vieu- 
ville  pour  la  vêture  de  sa  fille  Marie-Thérèse-Henriette  de 
Vienne,  qu'il  prêcha  le  8  septembre... 

«  Quand  il  y  avait  quelque  raison,  surtout  de  charité,  il 
ne  refusa  jamais  sa  parole  aux  couvents.  Entre  une  infinité 
d'exemples,  j'en  dirai  seulement  deux  de  cette  sorte.  L'un 
est  celui  de  M'"''  de  la  Mare,  religieuse  des  Filles-Dieu  de 
Paris,  qui  lui  était  recommandée  par  M"'  le  Dauphin  et 
par  le  duc  de  Montausier,  et  qu'il  ne  put  faire  recevoir  avec 
une  si  grande  recommandation  qu'à  la  condition  expresse 
de  prêcher  à  sa  vêture  et  à  sa  profession,  ce  qu'il  fit  en 
1686,  avec  cette  circonstance  qu'il  fut  obligé  de  partir  de 
Meaux  le  jour  même  de  la  Pentecôte,  au  soir,  après  avoir 
fait  le  sermon  et  tout  l'office  dans  sa  cathédrale,  afin  d'être 
à  Paris  le  lundi  suivant  au  matin,  pour  recevoir  les  vœux 
de  cette  fille  et  faire  la  prédication. 

«  L'autre  est  celui  d'une  sainte  veuve,  qui  n'avait  d'au- 
tre recommandation  que  sa  vertu  et  son  zèle  pour  la  reli- 
gion. Les  sermons  qu'il  fit  à  sa  vêture,  le  jour  de  l'Ascen- 
sion 1697,  et  à  sa  profession,  le  2-2  mai  1698.  furent  les 
conditions  de  son  engagement  à  Torcy. 


266  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

«  Depuis  qu'il  fut  attaché  à  son  église,  il  donna  souvent 
de  pareils  exemples,  mais  sans  se  livrer  trop  aux  monas- 
tères, suivant  la  pratique  de  saint  Atigustin ,  qui  n'y  allait 
que  pour  des  besoins  pressants ,  dit  l'ancien  auteur  de  sa 
vie  (1).  Il  les  visitait  donc  à  propos,  et  consolait  par  sa  pa- 
role les  saintes  vierges  qu'il  estimait,  comme  un  ancien 
Père ,  la  plus  noble  portion  du  troupeau  de  Jésus-Christ  et 
la  plus  digne  du  soin  des  pasteurs.  Il  leur  parlait  familière- 
ment, comme  il  avait  fait  aux  Carmélites,  dans  des  Confé- 
rences, sur  un  point  de  la  règle ,  sur  un  psaume  ou  quelque 
endroit  important  de  l'Évangile,  pour  leur  en  faciliter  la 
méditation  et  leur  en  donner  le  goût  et  le  désir,  cette  nour- 
riture des  âmes.  Les  filles  de  la  Visitation  de  Meaux,  les 
Ursulines,  Notre-Dame,  Jouarre,  Faremoutiers  et  les  autres 
maisons  religieuses  de  la  ville  de  Meaux,  ont  été  souvent 
favorisées  de  ces  pieuses  et  ferventes  élévations,  comme  il 
les  appelait.  » 

Nous  savons  qu'il  Se  félicitait  de  trouver  dans  son  diocèse 
des  chrétiennes  d'élite,  comme  M""'  d'Albert  et  la  sœur 
Cornuau  de  Saint -Bénigne,  à  laquelle  il  disait  avec  un 
air  de  joie  et  de  confiance  :  «  Qu'on  est  heureux,  ma  Fille, 
quand  on  peut  parler  de  Dieu,  de  ses  bontés  et  de  son 
amour  à  des  âmes  qui  en  sont  touchées  (2)  !  » 

Il  y  avait  donc  en  Bossuet  autre  chose  que  la  connaissance 
théorique  de  l'ascétisme  :  il  y  avait  la  pratique  de  ces  voies 
spirituelles  où  il  dirigeait  les  autres.  Sans  doute,  il  cachait 
au  monde  ces  dévotions;  mais  quelquefois  des  confidences 
lui  échappaient.  Il  écrivait  au  maréchal  de  Bellefonds  :  «  Il 
faudrait  être  comme  un  saint  Amhroise,  un  vrai  homme  de 
Dieu ,  un  homme  de  l'autre  vie ,  où  tout  parlât ,  dont  tous 
les  mots  fussent  des  oracles  du  Saint-Esprit,  dont  toute  la 
conduite  fût  céleste  (3)...  En  vérité,  c'est  un  état  désirable, 
de  vouloir  s'oublier  soi-même  à  force  de  se  remplir  de  Dieu. 
Je  trouve  qu'on  se  sent   trop,  et  de  beaucoup  trop,  lors 

fl)  Awi.  Vit.  per  Possidoniuin,  cap.  XXVII.  (Note  de  l'ahln;  Le  Dieu). 
{■!)  Second  Avertissement  de  la  sœur  Cornuau,  en  tète  des  Lettres  qui  lui  sont 
adressées,  t.  XI,  p.  2îK). 
{'■^)  Lettre  sans  date. 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  AUTEUR  ASCETIQUE.  267 

même  qu'on  tâche  le  plus  de  s'appliquer  à  Dieu.  Dévouons- 
nous  à  lui  en  simplicité,  soyons  pleins  de  lui;  ainsi  nos 
pensées  seront  des  pensées  de  Dieu ,  nos  discours  des  dis- 
cours de  Dieu;  toute  notre  action  sortira  d'une  vertu  divine. 
Il  me  semble  qu'on  prend  cet  esprit  dans  l'Écriture  il).  « 

Il  le  prenait  aussi  dans  les  œuvres  des  Pfres. 

Voici,  d'ailleurs,  des  actes  qui  sont  encore  plus  significa- 
tifs que  les  plus  belles  paroles.  «  Ce  saint  prélat ,  dit  la  sœur 
Cornuau  (2) ,  avait  un  amour  si  grand  pour  tout  ce  qui  at- 
tachait à  Dieu,  et  particulièrement  pour  les  vœux  de  la  re- 
ligion, qu'il  ravissait  quand  il  en  parlait  à  cette  personne. 
11  lui  a  dit  plusieurs  fois  qu'il  tâchait  de  vivre  comme  s'il 
les  avait  faits,  qu'il  se  regardait  dans  sa  dignité  comme  ne 
possédant  rien,  que  Dieu  lui  faisait  la  grâce  de  ne  s'appro- 
prier aucune  chose  et  de  ne  se  servir  de  ce  qu'il  avait  que 
pour  sa  gloire ,  pour  l'Église  et  pour  les  pauvres.  C'était  par 
cet  amour  de  la  pauvreté  qu'il  avait  laissé  à  son  ancien  in- 
tendant tout  le  soin  de  ses  affaires  et  de  son  revenu  et  qu'il 
n'avait  cïarrjent  que  pour  les  charités  qu'il  faisait,'  quel- 
quefois même  son  intendant  ne  lui  en  donnait  pas  facile- 
ment, ce  qui  lui  donnait  en  un  sens  de  la  joie,  le  faisant 
entrer  dans  l'esprit  de  la  sainte  pauvreté.  C'est  ce  qu'il  a  dit 
à  cette  personne  en  confidence... 

«  L'humilité  de  ce  prélat,  quoique  si  connue,  était  encore 
bien  au-delà  de  ce  qu'on  peut  en  penser.  Il  a  fait  l'hon- 
neur de  dire  quelquefois  à  cette  personne  qu'il  souffrait 
d'être  obligé  par  sa  dignité  de  garder  une  manière  de  su- 
périorité pour  le  bien  même  des  personnes,  afin  de  les  tenir 
plus  dans  la  soumission  et  dans  l'ordre,  mais  que  c'était 
un  pesant  fardeau  pour  lui...  S'il  était  permis  à  cette  j)er- 
sonnc  de  parler  de  l'affaire  du  Quiétisme ,  elle  dirait  des 
choses  admirables  sur  son  humilité  dans  tout  ce  qu'on  a  dit 
de  lui  et  dans  tout  ce  qu'on  lui  a  reproché  si  vivement ,  sur 
son  zèle  pour  la  gloire  de  Dieu  et  la  saine  doctrine...  Il  n'a- 
vait pas  un  moindre  amour  pour  tout  ce  qui  tendait  à  ou- 

(I)  Lettre  du  f>  juillet  1077. 

(•2)  Second  Avertissement,  passim. 


268  BOSSUEÏ  ET  LES  SAINTS  PERES. 

blier  son  corps,  pour  ne  songer  qu'à  son  âme;  c'était  pour 
ce  motif  qu'il  prêtait  si  peu  d'attention  à  tout  ce  qui  pou- 
vait incommoder...  «  Hé  quoi!  Monseigneur,  ne  voyez-vous 
pas  cette  horrible  fumée?  »  (lui  disait  un  jour  cette  per- 
sonne") :  «  Ali!  lui  dit-il,  il  est  vrai,  il  en  fait  beaucoup  : 
mais  je  vous  avoue,  ma  Fille ,  que  je  ne  la  voyais  pas  et  que 
je  la  sentais  encore  moins  dans  un  sens.  Dieu  me  fait  la 
grâce  que  rien  ne  m'incommode  :  le  soleil,  le  vent,  la 
pluie,  tout  est  bon,  »...  Cette  personne  ne  saurait  aussi  pas- 
ser sous  silence  son  amour  pour  les  prières  de  la  nuit  :  il 
aurait  souhaité  que  tout  le  monde  eût  eu  du  goût  pour  ces 
saintes  veilles.  Il  disait  quelquefois  à  cette  personne  qu'il 
était  obligé  à  ses  ouvrages,  qui  souvent  dans  la  nuit  le  ré- 
veillaient plusieurs  fois;  et  que,  comme  il  se  levait  aussitôt 
qu'il  lui  venait  quelque  pensée,  cela  lui  donnait  occasion 
de  parler  un  peu  au  saint  Époux.  Ce  saint  prélat  disait  que 
l'âme  était  bien  disposée  à  écouter  Dieu  et  à  obtenir  ses 
grâces  dans  le  silence  de  la  nuit.  Il  en  avait  donné  un  grand 
goût  à  cette  personne  et  lui  avait  prescrit  les  mêmes  pra- 
tiques, mais  entre  Dieu  et  elle;  car  c'étaient  des  choses  où 
il  voulait  du  secret. . .  Enfin  cette  personne  ne  finirait  jamais, 
si  elle  voulait  rapporter  toutes  les  héroïques  vertus  qu'elle 
a  eu  l'honneur  de  voir  en  lui.  » 

Il  y  a  là  tout  un  côté  inconnu  de  la  grande  et  belle  vie  de 
Bossuet  :  ni  Levesque  de  Burigny,  ni  le  cardinal  de  Baus- 
set,  ni  M.  Lanson  ne  l'ont  mis  en  lumière;  seul,  le  Père  de 
la  Broise  en  a  parlé  en  excellents  termes,  mais  un  peu  briè- 
vement [Bossuet  cl  la  Bible,  p.  242-2'i.6). 

Il  nous  reste  quelques  œuvres  ascétiques  de  Bossuet,  en 
dehors  des  É  lé  rat  ions  .sur  les  Mystères  et  des  Méditations 
sur  r Évangile.  Ce  sont  les  Instructions  aux  Ursulines  de 
Meaiix  et  aux  Visitandines  de  la  même  ville,  les  Opuscules 
de  piété ,  les  Poésies  sacrées ,  le  Traité  de  la  Concupiscence 
et  les  Lettres  de  direction. 

Dans  quelle  mesure  l'influence  des  Pères  de  l'Église  se 
fait-elle  sentir  dans  cette  partie  trop  peu  étudiée  jusqu'ici 
de  l'œuvre  de  Bossuet? 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  AUTEUR  ASCÉTIQUE.  2G9 

Les  Pcres  étaient  ses  modèles,  ainsi  qu'on  l'a  vu  :  il  vou- 
lait être  ((  un  vrai  homme  de  Dieu,  comme  saint  Am- 
broisc  (1)  »  ;  il  imitait  saint  Auyiistin  dans  ses  rapports  avec 
les  monastères  (2).  «  Quand  vous  et  les  saintes  âmes  pour 
qui  je  travaille  goûtent  ce  que  je  fais,  disait-il  à  la  sœur 
Cornuau,  je  reconnais  la  vérité  de  ce  que  dit  un  grand 
saint  du  cinquième  siècle  :  le  docteur  reçoit  ce  que  mérite 
l'auditeur  (3)...  Mes  paroles,  ma  Fille,  n'en  sont  pas  meil- 
leures pour  avoir  en  vous  l'effet  que  vous  dites...  C'est  une 
marque  que  ce  que  je  vous  ai  écrit  m'avait  été  donné  par 
l'Esprit-Saint;  car  ce  qui  vient  de  l'homme  ne  touche  point 
l'homme  et  n'entre  point  dans  son  cœur  :  ainsi  regardez-le 
comme  venant  de  Dieu  et  non  de  moi.  » 

Il  écrivait  à  M""=  d'Albert,  le  28  février  1097  :  «  Pour  la 
spiritualité,  celle  dont  vous  me  parlez  est  en  effet  fort  sè- 
che, et  ce  qui  m'y  fait  de  la  peine,  c'est  le  peu  de  confor- 
mité que  j'y  trouve  avec  l'esprit  de  sainf  Augusiin,  qui  me 
parait  être  celui  de  Jésus-Christ  et  de  l'Évangile.  » 

Les  auteurs  dont  Bossuet  s'est  le  plus  inspiré  sont  :  saint 
Bernard ,  dont  on  a  vu  déjà  ce  qu'en  pensait  l'évêque  de 
Meaux,  qui  le  possédait  parfaitement,  d'après  Le  Dieu  (4), 
sainte  Thérèse,  à  propos  de  laquelle  il  écrivait  à  M"'  d'Al- 
bert de  Luynes,  le  12  septembre  1693  :  «  Je  suis  en  tout 
et  pour  tout  du  sentiment  de  sainte  Thérèse  :  je  croirais 
le  contraire  fort  périlleux  »  ;  —  et  saint  François  de  Sales, 
dont  il  disait  à  la  sœur  Cornuau  avec  humilité  (5)  :  «  Que 
nous  sommes  redevables  à  saint  François  de  Sales  de  nous 
avoir  appris  les  règles  de  la  conduite  des  âmes!  Que  la 
doctrine  de  ce  grand  saint  est  à  révérer!  Je  veux  toute  ma 
vie  me  la  proposer  pour  exemple ,  puisque  c'est  celle  que 
le  Seigneur  a  enseignée  lui-même.  »  Il  n'était  point  du  tout 


(I)  Lettre  au  maréchal  de  Bellefonds,  sans  date. 

(-2)  Le  Dieu,  Mémoires,  p.  98. 

(:i)  Premier  Avertissement  de  la  sœur  Cornuau  sur  les  Lettres  que  Bossuet  lui 
a  adressées. 

(i)  Le  Dieu,  Mémoires,  p. .'»". 

(5)  Second  Avertissement  des  Lettres  à  la  sœur  Cornuau  :  «  Quand  ce  saint  pré- 
lat, dit-elle,  connaissait  la  bénédiction  que  Dieu  avait  donnée  à  ses  |)aroles  et  les 
bons  effets  que  sa  douceur  avait  produits,  il  disait,  etc.  » 


270  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PÈRES. 

du  goût  de  ce  prélat  que  l'on  usât  de  sévérité  ni  de  répré- 
hension trop  vive;  il  disait  que,  quand  il  pensait  à  l'entre- 
tien du  Sauveur  avec  la  Samaritaine  et  aux  saintes  adresses 
dont  il  se  servit  pour  faire  connaître  à  cette  femme  péche- 
resse ses  égarements,  il  se  confirmait  de  plus  en  plus  que 
la  douceur  ramenait  plus  d'àmes  à  Dieu  et  les  retirait  plus 
véritablement  de  leurs  dérèglements  que  la  sévérité,  qui 
ne  servait  ordinairement  qu'à  les  aigrir  et  à  les  soulever 
contre  les  avis  qu'on  leur  donnait.  Cette  charité  immense, 
que  ce  saint  prélat  avait  pour  les  âmes,  ne  se  bornait  pas 
seulement  à  celles  que  Dieu  avait  mises  sous  sa  conduite 
par  des  voies  particulières;  car,  quoiqu'il  ne  voulût  pas  se 
charger  de  trop  de  conduites,  il  ne  refusait  pas  ses  avis, 
quand  il  croyait  que  cela  était  utile.  » 

Saint  François  de  Sales,  sainte  Thérèse,  saint  Bernard, 
voilà  donc  les  guides  de  Bossuet  dans  l'ascétisme  et  la  spi- 
ritualité. Quant  aux  mystiques  modernes,  leur  nom  se  ren- 
contre rarement  sous  sa  plume;  de  temps  en  temps,  il  en 
fait  l'éloge  ou  échange  à  leur  sujet  quelques  pensées  avec 
ses  correspondants,  quand  ceux-ci  lisent  ces  auteurs;  mais 
il  ne  les  cite  guère  de  lui-même. 

On  peut  faire  la  même  remarque  à  propos  des  anciens 
docteurs  de  l'Église  :  Clément  d' Alexandrie ,  Origène,  saint 
Ambroise ,  Cassien ,  saint  Jean  Climaque,  Gerson.  Bossuet 
s'inspire  de  leur  doctrine  générale  plutôt  que  de  leurs  ou- 
vrages, auxquels  il  a  bien  moins  recours  dans  ses  œuvres 
ascétiques  que  dans  ses  autres  travaux.  Il  passe  par-des- 
sus les  grandes  écoles  mystiques  du  moyen  âge;  il  touche  <X 
peine  à  la  spiritualité  des  Pères;  «  il  puise.le  plus  souvent 
dans  la  Bible  elle-même  ses  principes  et  ses  conseils.  Appli- 
quer la  doctrine  biblique  aux  besoins  des  âmes,  c'était  en 
résnmé  tout  son  art  comme  directeur  (1)  ».  «  Les  paroles  de 
l'Écriture,  écrivait-il  à  M™''  d'Albert,  le  34  janvier  1691,  et 
surtout  celles  de  l'Évangile,  où  Jésus-Christ  parle  lui-même, 
sont  le  vrai  remède  de  l'âme  ;  et  une  partie  de  la  cure  des 

(1)  Bossuet  et  la  Bible,  p.  i"i7. 


LES  SAIMS  PÈRES  ET  BOSSUET  AUTEUR  ASCÉTIQUE.  271 

âmes  consiste  à  les  savoir  appliquer  à  chaque  mal  et  à  cha- 
que état.  C'est  là  du  moins  tout  ce  que  je  sais  en  matière 
de  direction,  et  il  me  semble  qu'on  s'en  trouve  bien.  « 
«  J'ai  reçu  et  vu  le  passage  de  sainte  Thérèse,  disait-il  à  la 
même  religieuse,  le  V  décembre  169i  :  je  le  connaissais;  il 
est  plein  de  vérité  et  de  lumière  ;  mais  mon  fondement  n'est 
pas  sur  ces  discours,  quoique  j'y  défère  beaucoup.  J'ai 
ma  règle  dans  l'Écriture,  et  c'est  selon  celle-là,  qui  ne  peut 
faillir,  que  je  tâche  de  vous  conduire.  » 

Il  faut  voir  néanmoins  de  plus  près  ce  que  Bossuet  ascète 
emprunte  aux  saints  Pères. 

ARTICLE  P' 

Les  saints  Pères  et  les  Instnictious  (1)  aux  Ursulines 
et  aux  Visitandines  de  Meaux  (1685-1686). 

Les  Ursulines  de  Meaux  nous  ont  pieusement  conservé  le 
sens,  sinon  la  lettre,  de  six  Instructions  que  Bossuet  leur 
adressa  et  dont  les  deux  premières  sont  antérieures  à  la  fête 
de  Pâques  1685  (2),  la  troisième  (3)  est  du  27  avril,  la  qua- 
trième du  k  mai,  la  cinquième  du  5  août  de  la  même 
année  (V),  et  la  sixième  de  février  1686.  «  Il  semble  que 
ces  Beligieuses,  dit  l'abbé  Lebarq,  habituées  à  l'étude  et  à 
l'enseignement,  aient  réussi  à  se  procurer  une  sorte  de  sté- 
nographie de  ces  discours,  en  faisant  plusieurs  copies  qu'on 
aura  ensuite  fondues  en  une  seule.  Quelques  pléonasmes  en 
sont  résultés.  Peut-être  s'est-on  permis  de  combler  par  des 
additions  faibles  quelques  lacunes.  Tout  examiné,  ces  textes 
ne  me  paraissent  pas  mériter  le  dédain  dont  on  les  accable 
Lâchât,  X,  i93,  cf.  481.  » 


(l)La  plupart  ries  éditions  portent:  Exhortations.  Nous  suivons   le  texte   de 
l'al)l)é  Lebarq. 
(-2)  Lebarq,  Histoire  critique  de  la  Prédication  de  Bossuet,  p.  272. 

(3)  C'est  la  seconde  dans  les  éditions.  (Lebarq.) 

(4)  Après  l'Oraiso)i  funèbre  de  la  ()rincesse  Palatine,  qui  eut  lieu  le  ;•  août  lOS,';, 
Bossuet  écrivit,  le  20  août,  à  la  Supérieure  et  aux  Ueligieuses  de  Sainte-Ursule 
pour  exprimer  sa  satisfaction  de  ce  qu'on  avait  tenu  compte  de  ses  recommanda- 
tions faites  dans  la  Conférence  du  CJ  août. 


272  BOSSUET  Eï  LES  SAINTS  PERES. 

Une  relig-ieuse  de  la  même  communauté  nous  a  laissé 
les  «  Paroles  saintes  de  mon  illustre  Pasteur  Monseigneur 
Jacques-Bénigne  Bossuet ,  évêqiie  de  Meaux^  la  veille  et  le 
jour  de  maprofession,  vers  1686. 

Les  Mémoires  de  la  Visitation  de  Meaux  nous  ont  aussi 
fourni  le  Précis  d'un  discours  fait  à  cette  communauté, 
le  30  juin  1685. 

Il  y  a  dans  ces  Instructions  maintes  citations  de  TÉcriture 
et  probablement  aussi  maintes  réminiscences  des  Pères; 
mais  on  n'y  trouve  qu'un  texte  d'un  «  grave  auteur  » ,  que 
Bossuet  ne  nomme  pas  :  Si  tacueritis,  scdvi  eritis  (1), 
mais  qui  doit  être  un  Père  de  l'Église,  ou  l'un  de  «  ces  fon- 
dateurs de  religions  »  dont  il  parle  (2',  et  qu'un  passage 
inspiré  par  les  Confessions  de  saÀni  Augustin ,  «  le  fds  de 
tant  de  larmes  ».  «  Je  trouve  heureusement,  dit  Bossuet. 
qu'aujourd'hui  se  rencontre  la  fête  de  sainte  Monique ,  qui 
est  votre  modèle,  mes  Filles,  en  l'exercice  de  votre  institut, 
dans  son  zèle,  dans  sa  charité,  dans  le  soin  et  la  sollicitude 
qu'elle  a  eus  et  par  les  travaux  qu'elle  a  soutenus,  n'épar- 
gnant rien  pour  obtenir  et  pour  procurer  la  conversion  de 
son  fils.  Hé  !  ne  savez-vous  pas  que  ce  sont  ses  soupirs  et  ses 
gémissements,  ses  larmes  et  ses  continuelles  prières  qui 
ont  enfanté  saint  Augustin  à  la  grâce  ?  Que  voilà  une  belle 
idée  pour  vous  conduire  dans  vos  emplois  et  dans  tout  ce 
que  vous  avez  à  faire  dans  l'instruction  des  enfants!  11  est 
vrai  que  vous  ne  trouverez  pas  dans  cette  jeunesse,  qui  vous 
est  confiée,  les  grands  crimes  qu'avait  sainte  Monique  à 
combattre  et  à  détruire  dans  son  fils  ;  quoique  cela  ne  soit 
pas,  elles  ont  néanmoins  le  principe  de  tous  les  vices,  par 
cet  héritage  funeste  que  nous  tenons  d'origine.  » 

(I)  Bossuet  recommande  le  silence  de  règle ,  le  silence  de  prudence  et  le  silence 
de  patience. 
1-2}  Instruction  sur  le  silence,  (i". 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  AUTEUR  ASCÉTIQUE.  273 

ARTICLE  II 

Les  saints  Pères  et  les  Opusculos  de  piété  de  Eossuet. 

Le  premier  de  ces  Opuscules,  composé  en  1692  pour 
M"^  d'x\lbert  de  Luynes  et  publié  en  1731  à  la  suite  des 
Médilations,  est  le  maguilique  Discours  sur  la  rie  cachée  en 
Dieu,  ou  V Exposition  de  ces  paroles  de  saint  Paul  :  «  Vous 
êtes  morts,  et  votre  vie  est  cachée  en  Dieu  avec  Jésus-Christ. 
Quand  Jésus-Christ,  qui  est  votre  vie,  apparaîtra,  alors  vous 
apparaîtrez  en  gloire  avec  lui  (1).  »  Il  y  a  là,  sur  la  vanité  de 
la  louang-e  des  hommes,  des  pages  ravissantes  :  «  0  homme! 
qui  me  louez,  que  voulez-vous  faire?  Je  ne  parle  pas  de 
vous,  homme  malin,  qui  me  louez  artificieusement  par  un 
côté,  pour  montrer  mon  faible  de  l'autre...  Vous  voulez  que 
je  fasse  du  bruit  dans  le  monde...  Vous  voulez  que  je 
montre  mes  talents.  Quels  talents?  la  véritable  et  solide 
vertu,  qui  n'est  autre  que  la  piété?  Irai-je,  avec  l'hypo- 
crite, sonner  de  la  trompette  devant  moi?...  Laissez-moi 
donc  être  terre  et  cendre  à  mes  yeux,  terre  et  cendre  dans 
le  corps,  quelque  beau,  quelque  sain  qu'il  soit,  encore  plus 
terre  et  cendre  au  dedans  de  l'âme,  c'est-à-dire  un  pur 
néant.  » 

Un  seul  passag-e  de  cet  éloquent  et  dramatique  (2i  Com- 
mentaire est  inspiré  par  saint  Augustin  :  «  Que  me  pro- 
fitent ces  louanges  qu'on  me  donne?  Elles  achèvent  de 
m'enivrer  et  de  me  séduire.  Si  le  monde  loue  le  bien,  tant 
mieux  pour  lui.  «  Mes  frères,  disait  un  saint,  ce  serait  vous 
porter  envie  de  ne  vouloir  pas  que  vous  louassiez  les  dis- 

(1)  Dans  rorii;iiial ,  au  commenLement,  Ms.Fr.  \-2»'20,  on  lit  cet  avis,  mis  par  Le 
Dieu  en  tête  de  Tautograpiie  de  Bossuet  :  «  Discours  sur  l'Ejntre  du  samedi  saint, 
V'ous  êtes  morts,  etc.,  fait  par  feu  M^''  l'évèque  de  Meaux,  en  lOiiîJ,  au  temps  de 
Pâques,  pour  M""*  de  Luynes  de  Jouarre.  Original  de  la  main  de  l'auteur.  » 

{■■2)  Dramatique,  en  effet,  puisciue  Bossuet  s'y  fait  dire  par  un  ami  du  monde  : 
«  il  est  heau  de  i-a\oir  forcer  l'estime  des  hommes,  de  se  faire  une  place,  où 
Ton  se  fasse  regarder:  ou  si  l'on  y  est  par  son  mérite,  par  sa  naissance,  par  son 
adresse,  en  quelque  sorte  que  ce  soit,  y  étaler  toutes  les  richesses  d'un  heau 
naturel,  d'un  grand  esprit,  d'un  génie  heureux,  et  vaincre  enfin  l'envie,  ou  la 
faire  taire.  C'est  une  fumée,  disait  quel(|u'un.  mais  elle  est  douce;  c'est  le  par- 
fum, c'est  l'encens  des  dieux  de  la  terre.  —  Est-ce  aussi  celui  du  Dieu  du  ciel?  » 
répond  Bossuet. 

BOSSUET   ET  LES  SAINTS  PÈnES.  18 


274  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

cours  OÙ  je  vous  annonce  la  vérité  (1).  »  Louez-les  donc, 
car  il  faut  bien  que  vous  les  estimiez  et  les  louiez,  afin  qu'ils 
vous  profitent;  je  veux  donc  bien  vos  louanges,  parce  que 
sans  elles  je  ne  puis  vous  être  utile.  Mais  pour  moi,  qu'en 
ai-je  affaire?  Ma  vie  et  ma  conscience  me  suffisent.  L'appro- 
bation que  vous  me  donnez  vous  est  utile;  mais  elle  m'est 
dangereuse.  Je  la  crains,  je  vous  la  renvoie,  je  ne  la  veux 
que  pour  vous.  » 

Gomment  résister  à  la  tentation  de  citer  la  fin  de  ce  dé- 
licieux opuscule?  «  Allez  ,  ma  Fille,  aussitôt  que  vous  aurez 
achevé  de  lire  ce  petit  et  humble  écrit;  et  vous,  qui  que 
vous  soyez,  à  qui  la  divine  Providence  le  fera  tomber  entre 
les  mains,  g^rand  ou  petit,  pauvre  ou  riche,  savant  ou  igno- 
rant, prêtre  ou  laïque,  religieux  et  religieuse  ou  vivant 
dans  la  vie  commune,  allez  à  l'instant  au  pied  de  l'autel. 
Contemplez-y  Jésus-Christ  dans  ce  sacrement  où  il  se  cache. 
Demeurez-y  en  silence;  ne  lui  dites  rien;  regardez-le,  et 
attendez  qu'il  vous  parle  et  jusqu'à  tant  qu'il  vous  dise 
dans  le  fond  du  cœur  :  Tu  le  vois,  je  suis  mort  ici  et  ma  vie 
est  cachée  en  Dieu ,  jusqu'à  ce  que  je  paraisse  en  ma  gloire 
pour  juger  le  monde.  Cache-toi  donc  en  Dieu  avec  moi,  et 
ne  songe  point  à  paraître  que  je  ne  paraisse  (2).  » 

Le  deuxième  Opuscule ,  Réflexions  sur  quelques  paroles 
ile  Jésus-Christ  :  «  Et  moi  je  vous  dis  :  Ne  résistez  point  à 
celui  qui  vous  traite  mal  (3).  Bienheureux  sont  les  doux, 
parce  qu'ils  posséderont  la  terre  (4).  Apprenez  de  moi 
que  je  suis  doux  et  humble  de  cœur  (5)  »,  contient  un  pas- 
sage sur  l'auteur  ascétique  préféré  de  Bossuet  :  «  Saint 
François  de  Sales  s'est  adonné  à  un  continuel  exercice  de 
la  douceur  pour  l'intérêt  de  la  foi,  et  nous  devons  nous  y 
attacher  pour  l'intérêt  de  la  charité  :  car  la  charité  ne  nous 
doit  pas  être  moins  précieuse  que  la  foi,  et  nous  ne  devons 
pas  faire  moins  pour  l'une  que  pour  l'autre.  » 

(I)  Serm.  eccl. 

(•2)  Édition  de  Bar-le-Duc.  l.  Vlll.  i>.  (il.5. 

(3)  Saint  Mall/iicu  .  V,  :t!). 

(4)  Ibidem  .  V,  't. 
(.*i)  Ibidem  .  \l,  '2!t. 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  AUTEUR  ASCÉTIQUE.  275 

Les  Opuscules  suirau/s  —  le  3%  sftr  la  Prière,  le  4'',  sur 
la  Prière  au  nom  de  Jésus-Christ,  le  5%  De  la  meilleure  ma- 
nière de  faire  r Oraison  (1),  le  6%  Pensées  détachées  sur  les 
i^isites  du  Seigneur,  V attention  éi  lui  plaire ,  l'efficace  de  la 
parole  de  Dieu,  le  7%  Manière  courte  et  facile  pour  faire 
r  Oraison  en  foi  et  de  simple  présence  de  Dieu,  le  8%  Exer- 
cice journalier,  pour  faire  en  espjrit  et  foi  toutes  ses  ac- 
tions pendant  le  noviciat,  le  9%  Exercice  de  la  sainte 
Messe  (2),  le  10%  Prières  j^our  se  préparer  à  la  sainte  Com- 
munion (3),  le  11",  Préparation  à  la  retraite  pour  le  renou- 
vellement des  vœux,  le  12%  Sur  le  parfait  abandon,  le 
13%  S eîitiments  et  dispositions  dans  lesquels  on  doit  célébrer 
son  entrée  dans  la  sainte  religion,  le  14®,  Élévation  pour  le 
renouvellement  des  vœux,  le  jour  de  la  Toussaint,  le  15®,  Re- 
traite de  dix  jours  sur  la  pénitence,  le  16%  Retraite  de  dix 
jours  sur  les  jugements  téméraires  et  autres  sujets ,  le 
17%  Préparation  à  la  mort  (4),  le  18®,  Exercice ptour  se  dis- 
poser à  bien  mourir,  le  19%  Réflexions  sur  V agonie  de  Jésus- 
Christ,  le  20%  Prière  pour  unir  nos  souffrances  à  celles  de 
Jésus-Christ,  le  21*^,  Discours  aux  Filles  de  la  Visitation 
surlamort,  le  jour  du  décès  de  M.  Mutelle,  leur  confesseur, 
—  ne  renferment  qu'une  seule  citation  des  Pères;  elle  est 
de  saint  Augustin  :  a  II  se  faut  faire  violence,  afin  que  la 
coutume  de  pécher  cède  à  la  violence  du  repentir,  comme 
dit  saint  Augustin  (5).  Méditez  et  goûtez  cette  parole  (6).  » 

Dans  le  22°  Optiscule,  Sentiments  du  chrétien ,  touchait! 
la  vie  et  la  mort,  tirés  du  chapitre  cinquième  de  la  seconde 

(\)  «  La  meilleure  oraison,  dit  Bossuet,  est  celle  où  l'on  s'étudie,  avec  plus  de 
simplicité  et  d'humilité,  à  se  conformer  à  la  volonté  de  Dieu  et  aux  exemples  de 
Jésus-Clirist,  et  où  l'on  s'abandonne  le  plus  aux  dispositions  et  aux  mouvements 
que  Dieu  met  dans  l'àme  par  sa  grâce  et  par  son  esprit.  » 

('i)  Ces  Exercices  (8  et  9),  disaient  les  éditeurs  de  1808.  «  nous  ont  été  remis  par 
un  curé  du  diocèse  de  Meaux,  qui  les  tenait  de  M.  de  Saint-André,  curé  do  Va- 
rèdes,  lecpiel  était  très  lié  avec  M.  Bossuet,  et  avait  eu  soin  ,  après  sa  mort,  de 
recueillir  dans  les  différentes  communautés  les  écrits  (|ue  ce  prélat  avait  faits 
pour  leur  instruction.  » 

(3)  Imprimées  en  1731.  après  les  Méditations. 

(4)  Elle  comprend  huit  grandes  prières  et  quelques  «  courtes  ]}ricres ,  que  l'on 
peut  réitérer  à  un  malade,  aux  approches  de  la  mort  contre  les  terreurs  de  la 
mort  » . 

(■j)  In  Joanncm,  Tract.  XLIX. 
(6)  Quinzième  Opuscule. 


276  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PÈRES. 

Épître  aux  Corin//iir/is  (1),  il  y  a  plusieurs  passages  de 
saint  Augustin.  «  Que  si  nous  vivons  comme  voyageurs, 
nous  devons  considérer  tout  ce  que  nous  possédons  sur  la 
terre,  non  pas  comme  un  bien  véritable,  mais  comme  un 
rafraîchissement  durant  le  voyage  :  Instrumpntum  peregri- 
natioiiis,  non  irritamentinn  cupidilatis ,  dit  saint  Augus- 
tin (2i;  comme  un  bâton  pour  nous  soutenir  dans  le  tra- 
vail, et  non  comme  un  lit  pour  nous  reposer;  comme  une 
maison  de  passage  où  l'on  se  délasse ,  et  non  comme  une  de- 
meure où  Ton  s'arrête.  C'est  pourquoi  l'apôtre  saint  Paul 
appelle  notre  corps  un  tabernacle,  c'est-à-dire  une  tente, 
un  pavillon,  une  cabane,  en  un  mot,  un  lieu  de  passage  et 
non  une  demeure  fixe.  »  Après  avoir  cité  tout  un  passage  de 
saint  Paul  sur  <(  cet  esprit  de  pèlerinage ,  qui  est  l'esprit  de 
la  foi  »,  Bossuet  le  commente  ainsi  :  «  C'est-à-dire,  selon 
saint  Augustin,  que  ceux  qui  ont  des  femmes  ne  doivent 
point  y  être  liés  par  aucun  attachement  corporel;  que  ceux 
qui  s'affligent  par  le  sentiment  du  mal  présent  doivent  se 
réjouir  par  l'espérance  du  bien  futur;  que  la  joie  de  ceux 
qui  s'emportent  parmi  les  commodités  temporelles  doit  être 
tempérée  par  la  crainte  des  jugements  éternels;  que  ceux 
qui  achètent  doivent  posséder  ce  qu'ils  ont ,  sans  que  leur 
cœur  y  soit  engagé  ;  enfin  que  ceux  qui  usent  de  ce  monde 
doivent  considérer  qu'ils  passent  avec  lui,  parce  que  la  figure 
de  ce  monde  passe  :  Qui  habent  uxores,  non  carnali  con- 
cupificentiae  subjugentur;  et  qui  fient  tristitia  praesentis 
mali ,  gaudeant  spe  futuri  boni;  et  qui gaudent proptei'  tem- 
jjorale  aliquod  commodum ,  timeant  aeternum  suppliciuni ; 
et  qui  e/itnnt ,  sic  habendo  possideanl  ut  aniando  non  luu-- 
reant;  et  qui  ulunlur  hoc  mundo ^  Iransrre  se  cogitent ,  non 
/nanere  {3)  ».  liossuet  ajoute  que,  quelque  regret  qui  accom- 
pagne la  mort  de  ceux  qui  nous  sont  chers,  il  faut  nous  con- 
soler par  l'espérance  de  nous  revoir  :  «  C'est  ainsi ,  dit  saint 

(1)  Scimus  eiiini  (|uoniani,  si  torrestris  domus  nostia  hujus  lial)ilalionis  dissolva- 
tur,  <juo(l  aedilicationem  ex  Deo  liabcmus,  domum  non  manufaclam,  acternam  in 
coelis. 

(i)  In  Joannem,  Tract.  XL,  10. 

{'■ij  De  Niipt.  ri  Concup.,  lib.  I,  c.  xiii. 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  ROSSUET  AUTEUR  ASCÉTIQUE.  277 

Angusiin,  qu'on  permet  à  la  tendresse  des  fidèles  de  s'at- 
trister sur  la  mort  de  leurs  amis,  par  le  mouvement  d'une 
douleur  passagère.  Que  les  sentiments  de  l'humanité  leur 
fassent  répandre  des  larmes  momentanées,  qui  soient  aus- 
sitôt réprimées  par  les  consolations  de  la  foi;  laquelle  nous 
persuade  que  les  chrétiens  qui  meurent  s'éloignent  un  peu 
de  nous  pour  passer  à  une  meilleure  vie.  Pciimlhiniur  ita- 
que  pia  corda  charoruni  de  sifonnn  mortibus  contristari 
dolore  sanabili,  et  consolabiles  lacrymal  f  undant  condilione 
mortali,  qua.s  cito  réprimai  fidei  gaadium,  qua  credantur 
fidèles ,  quando  inoriuntur,  paulidum  a  nobis  abire  et  ad 
meliora  transir e  (1).  » 

Si  le  23°  Opuscule ,  Réflexions  sur  le  triste  état  des  pé- 
cheurs et  les  ressources  qu'ils  ont  dans  la  miséricorde  de 
Dieu,  ne  contient  que  des  citations  de  l'Écriture,  le  24%  Dis- 
cours sur  l  union  de  Jésus-Christ  avec  son  épouse ^  en  deux 
parties  :  Comment  Jésus-Christ  est-il  l'Epoux  des  âmes  dans 
l'Oraison,  et  Les  devoirs  de  rame  qui  est  épouse  de  Jésus- 
Christ ,  est  presque  entièrement  rempli  des  commentaires 
des  saints  Pitres  sur  le  Cantique  des  Cantiques  et  sur  ce 
verset  en  particulier  :  «  Veni  in  hortum  meum,  soror  mea, 
sponsa.  Je  suis  venu  dans  mon  jardin,  ma  sœur,  mon 
épouse  (2).  Saint  Bernard  dit  que  c'est  dans  l'Oraison,  qui 
est  un  admirable  commerce  entre  Dieu  et  l'àme,  qu'on  ne 
connaît  jamais  bien  qu'après  en  avoir  fait  l'expérience,... 
que  l'Époux  visite  l'Épouse;  c'est  là  que  l'Épouse  soupire 
après  son  Epoux;  c'est  là  que  se  fait  cette  union  déifîque 
entre  l'Époux  et  l'Épouse,  qui  fait  le  souverain  bien  de  cette 
vie...  Les  visites  que  l'Époux  céleste  rend  à  l'Épouse  se  font 
dans  le  cœur...  ,Ie  confesse,  dit  saint  Bernard  (3),  que  cet 
amoureux  Époux  m'a  quelquefois  honoré  de  ses  visites;  et, 
si  je  l'ose  dire  dans  la  simplicité  de  mon  cœur,  il  est  vrai 
qu'il  m'a  souvent  fait  cette  faveur.  Dans  ces  fréquentes  vi- 
sites, il  est  arrivé  parfois  que  je  ne  m'en  suis  pas  aperçu. 

(1)  De  Verb.  Aposlol.  Scrm.  CLXXII. 

(-2)  Cantique  des  Cantiques,  V.  C'est  le  texte  du  Discours  de  Bossuel. 

(H)  //(  Cant.  Cant.  Scrm.  LXXIV,  5. 


278  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

J'ai  bien  senti  sa  présence;  je  me  souviens  encore  de  sa 
demeure;  j'ai  même  pressenti  sa  venue;  mais  je  n'ai  jamais 
su  comprendre  comment  il  entrait  ni  de  quelle  manière  il 
sortait,  si  bien  que  je  ne  puis  dire  ni  d'où  il  vient,  ni  où  il 
va ,  ni  l'endroit  où  il  entre ,  ni  celui  par  où  il  sort.  Certai- 
nement, il  n'est  pas  entré  par  les  yeux,  car  il  n'est  point 
revêtu  de  couleur;  il  n'est  pas  aussi  entré  par  l'oreille,  car 
il  ne  fait  point  de  bruit;  ni  par  l'odorat,  car  il  ne  se  mêle 
point  avec  l'air  comme  les  odeurs ,  mais  seulement  avec 
l'esprit...  Peut-être  qu'il  n'était  pas  besoin  qu'il  entrât, 
parce  qu'il  n'était  pas  dehors. 

«  Dieu  m'est  témoin,  dit  Orighie  (1),  que  j'ai  souvent 
reçu  la  visite  de  l'Époux,  et  qu'après  l'avoir  entretenu  avec 
de  grandes  privautés ,  il  se  retire  tout  d'un  coup  et  me  laisse 
dans  le  désir  de  le  chercher  et  dans  l'impuissance  de  le 
trouver.  Dans  cette  absence,  je  soupire  après  son  retour;  je 
le  rappelle  par  des  désirs  ardents ,  et  il  est  si  bon  qu'il  re- 
vient. Mais  aussitôt  qu'il  s'est  montré  et  que  je  pense  l'em- 
brasser, il  s'échappe  de  nouveau;  et  moi  je  renouvelle  mes 
larmes  et  mes  soupirs... 

«  Qui  est-ce  qui  me  pourra  développer  le  secret  de  ces 
mystérieuses  vicissitudes,  dit  saint  Bernard  (2)?  Qui  m'expli- 
quera les  allées  et  les  venues,  les  approches  et  les  éloigne- 
ments  du  Verbe?  L'Epoux  n'est-il  point  un  peu  léger  et 
volage?  D'où  peut  venir  et  où  peut  aller  ou  retourner  celui 
qui  remplit  toutes  choses  de  son  immense  grandeur?  Sans 
doute,  le  changement  n'est  pas  dans  l'Époux,  mais  dans 
le  cœur  de  l'Épouse,  qui  reconnaît  la  présence  du  Verbe, 
lorsqu'elle  sent  l'effet  de  la  grâce  ;  et  quand  elle  ne  le  sent 
plus,  elle  se  plaint  de  son  absence  et  renouvelle  ses  sou- 
pirs. Elle  s'écrie  avec  le  Prophète  :  «  Seigneur!  mon  cœur 
vous  a  dit  :  les  yeux  de  mon  âme  vous  ont  cherché  (3).  » 
Et  peut-être,  dit  saint  Bernard  (V),  que  c'est  pour  cela  que 


M)  //(  Canl.  llomil.  I.  n.  7. 
\-l)  In  Cant.  Serm.  LXXIV,  n.  I. 
(:*)  Ps.  XXVI.  H. 
(i)  In  Canl.  Serm.  LXXIV,  î>!>. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  AUTEUR  ASCÉTIQUE.         279 

l'Epoux  se  retire ,  afin  qu'elle  le  rappelle  avec  plus  de  fer- 
veur :  comme  autrefois  s'étant  joint  aux  deux  disciples  qui 
allaient  à  Emmaiis,  il  feignit  de  passer  outre,  afin  d'entendre 
ces  paroles  de  leur  bouche  même  :  Maiw  nobiscum.  Do- 
mine (1)  :  Demeurez  avec  nous,  Seigneur;  car  il  se  plait 
à  se  faire  chercher,  alin  de  réveiller  nos  soins  et  d'embraser 
notre  cœur. 

«  Il  ne  fait  que  toucher  en  passant  la  cime  de  notre  en- 
tendement :  comme  un  éclair,  dit  saint  Grégoire  de  Na- 
ziauze,  qui  passe  devant  nos  yeux,  partageant  ainsi  notre 
esprit  entre  les  ténèbres  et  la  lumière,  afin  que  ce  peu  que 
nous  connaissons  soit  un  charme  qui  nous  attire,  et  que  ce 
que  nous  ne  connaissons  pas  soit  un  secret  qui  nous  ravisse 
d'étonnement... 

«  Il  semble  que  [le  Fils  de  Dieu]  se  joue  avec  les  hommes, 
dit  Richard  de  sai/if  Victor  (2j,  comme  un  père  avec  ses  en- 
fants :  ils  se  figurent  tantôt  qu'ils  le  tiennent,  et  puis  tout  à 
coup  il  leur  échappe;  tantôt  il  se  montre  comme  un  soleil 
avec  beaucoup  de  lumière;  et  puis  en  un  moment  il  se 
cache  dans  les  nuages.  Il  s'en  va,  il  revient,  il  fuit,  il  s'ar- 
rête; il  les  surprend,  il  se  laisse  surprendre,  et  tout  aus- 
sitôt il  se  dérobe... 

«  ToKS  les  saints  Pères  qui  parlent  de  l'union  qui  se  fait 
entre  l'àme  et  l'Époux  céleste,  dans  l'exercice  de  l'oraison, 
disent  qu'elle  est  inexplicable.  Saint  Thomas  l'appelle  un 
baiser  ineffable ,  parce  qu'on  peut  bien  goûter  l'excellence 
des  affections  et  des  impressions  divines,  mais  on  ne  la 
peut  pas  exprimer.  Saint  Bernard  dit  que  c'est  un  lien  inef- 
fable d'amour,  parce  que  la  manière  dont  on  le  voit  est 
ineffable  et  demande  une  pureté  de  cœur  tout  extraordi- 
naire. Saint  Augustin  dit  que  cette  union  se  fait  d'une 
manière  qui  ne  peut  tomber  dans  la  pensée  d'un  homme, 
s'il  n'en  a  fait  l'expérience L'àme  qui  aime  parfaite- 
ment Jésus-Christ,  après  avoir  pratiqué  toutes  les  actions 
de  vertu  et  de  mortification  les  plus  héroïques,  après  avoir 

(I)  Saint  Luc,  XXIV,  -ii). 

(-2)  De  Grad.  Charit.  cap.  ii. 


280  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

reçu  toutes  les  faveurs  les  plus  signalées  de  l'Époux ,  les 
visions,  les  révélations,  les  extases,  les  transports  cFamour, 
les  vues,  les  lumières,  croit  n'avoir  rien  fait  et  n'avoir  rien 
reçu;  à  cause,  dit  saifit  Macait'e,  du  désir  insatiable  qu'elle 
a  de  posséder  le  Seigneur;  à  cause  de  l'amour  immense  et 
ineffable  qu'elle  lui  porte,  qui  fait  qu'elle  se  consume  de 
désirs  ardents  et  qu'elle  aspire  sans  cesse  au  baiser  de  l'É- 
poux... 

«  Cette  union  parfaite,...  c'est  le  plus  haut  degré  de  la 
contemplation,  le  plus  sublime  don  de  l'Époux,  qui  se 
donne  lui-même ,  qui  s'écoule  intimement  dans  l'àme ,  qui 
la  touche,  qui  se  jette  entre  ses  bras  et  se  fait  sentir  et 
goûter  par  une  connaissance  expérimentale,  où  la  volonté 
a  plus  de  part  que  l'entendement  et  l'amour  que  la  vue. 
D'où  vient  que  Richard  de  Saint-Victor  (1)  dit  «  que  l'a- 
mour est  un  œil  et  qu'aimer  c'est  voir  »,  et  saint  Augustin  : 
«  Qui  connaît  la  vérité,  la  connaît;  et  qui  la  connaît,  con- 
naît l'éternité;  c'est  la  charité  qui  la  connaît  (2).  » 

«  On  peut  bien  dire  avec  saint  Bernard  que  cet  embras- 
sement,  ce  baiser,  cette  touche,  cette  union,  n'est  point  dans 
l'imagination  ni  dans  les  sens,  mais  dans  la  partie  la  plus 
spirituelle  de  notre  être ,  dans  le  plus  intime  de  notre  cœur, 
où  l'àme,  par  une  singulière  prérogative,  reçoit  son  bien- 
aimé,  non  par  figure,  mais  par  infusion,  non  par  image, 
mais  par  impression.  On  peut  dire  avec  Denis  le  Chartreux 
que  le  divin  Époux,  voyant  l'âme  tout  éprise  de  son  amour, 
se  communique  à  elle,  se  présente  à  elle,  l'embrasse,  l'at- 
tire au  dedans  de  lui-même,  la  serre  étroitement  avec  une 
complaisance  merveilleuse,  et  que  l'épouse,  étant  tout  à 
coup,  on  un  moment,  en  un  clin  d'œil,  investie  des  rayons 
de  la  Divinité,  éblouie  de  sa  clarté,  liée  des  bras  de  son 
amour,  pénétrée  de  sa  présence,  opprimée  du  poids  de  sa 
grandeur  et  de  l'efficace  excellente  de  ses  perfections,  de 
sa  majesté,  de  ses  lumières  intenses,  est  tellement  surprise, 
étonnée,  épouvantée,  ravie  en  admiration  de  son  infinie 

(1)  De  Grad.  char.,  cap.  m. 
(-2)  Confes.,  lib.  Vil,  c.  x. 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  AUTEUR  ASCÉTIQUE.  281 

grandeur,  de  sa  brillante  clarté,  de  la  délicieuse  sérénité 
de  son  visage,  qu'elle  est  comme  noyée  dans  cet  abime  de 
lumière,  perdue  dans  cet  océan  de  bonté,  brûlée  et  con- 
sumée dans  cette  fournaise  d'amour... 

«  Jésus-Christ  prend  quelquefois  le  nom  de  Seigneur, 
quelquefois  celui  de  Père,  et  quelquefois  celui  d'Epoux. 
Quand  il  veut  nous  donner  de  la  crainte,  dit  sa'uil  Gré- 
goire (l),  il  prend  la  qualité  de  Seigneur;  lorsqu'il  veut 
être  honoré,  il  prend  celle  de  Père;  mais  quand  il  veut  être 
aimé,  il  se  fait  appeler  Epoux... 

«  En  cet  amour  consiste,  comme  dit  excellemment  saint 
Bernard  (2),  la  ressemblance  de  Fàme  avec  le  Verbe,  selon 
cette  parole  de  l'Apôtre  :  «  Soyez  les  imitateurs  de  Dieu 
comme  étant  ses  enfants  bien-aimés,  et  marchez  dans  l'a- 
mour et  la  charité,  comme  Jésus-Christ  nous  a  aimés.  » 

«  L'âme  qui  est  assez  heureuse  pour  y  être  parvenue  brûle 
d'un  si  ardent  désir  de  voir  son  Époux  dans  la  gloire  que  la 
vie  lui  est  un  supplice,  la  terre  un  exil,  le  corps  une  prison 
et  l'éloignement  de  Dieu  une  espèce  d'enfer  qui  la  fait  sans 
cesse  soupirer  après  la  mort.  Dans  cet  état,  dit  saint  Gré- 
goire (3j,  elle  ne  reçoit  aucune  consolation  des  choses  de  la 
terre  :  elle  n'en  a  aucun  goût,  ni  sentiment,  ni  désir;  au 
contraire,  c'est  pour  elle  un  sujet  de  peine,  qui  la  fait  sou- 
pirer jour  et  nuit  et  languir  dans  l'absence  de  son  Époux... 

«  Tel  était  saint  Ignace ,  martyr,  qui  soupirait  après  les 
tourments  et  la  mort,  par  l'extrême  désir  qu'il  avait  de 
voir  Jésus-Christ.  «  Quand  sera-ce,  disait-il,  que  je  jouirai 
de  ce  bonheur  d'être  déchiré  des  bêtes  farouches  dont  on 
me  menace?  Ah!  qu'elles  se  hâtent  de  me  faire  mourir  et 
de  me  tourmenter;  et,  de  grâce,  qu'elles  ne  m'épargnent 
point  comme  elles  font  les  autres  martyrs;  car  je  suis  ré- 
solu, si  elles  ne  viennent  à  moi,  de  les  aller  attaquer  et  de 
les  obliger  à  me  dévorer.  Pardonnez-moi  ce  transport,  mes 
petits  enfants;  je  sais  ce  qui  m'est  bon  :  je  commence  main- 


(I)  In  Canf.  Prooem.,  n.  8. 

(-1)  In  cant.  Serm.  LXXXHI,  n.  3. 

(3)  In  Cant.,  c.  m. 


282  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

tenant  à  être  disciple  de  Jésus-Christ,  ne  désirant  plus  rien 
de  toutes  les  choses  visibles,  et  n'ayant  qu'un  seul  désir, 
qui  est  de  trouver  Jésus-Christ.  Qu'on  me  fasse  souffrir  les 
feux,  les  croix  et  les  dents  des  bêtes  farouches;  que  tous  les 
tourments  que  les  démons  peuvent  inspirer  aux  bourreaux 
viennent  fondre  sur  moi;  je  suis  prêt  à  tout,  pourvu  que  je 
puisse  jouir  de  Jésus- Christ.  »  Quel  amouri  quels  trans- 
ports! quelle  ardeur  pour  Jésus-Christ!  Puissions-nous  en- 
trer dans  ces  sentiments,  et  comme  le  saint  martyr,  n'avoir 
plus  de  vie ,  d'être ,  de  mouvement ,  que  pour  consommer 
notre  union  avec  le  divin  Epoux  !  » 

Voilà  comment  le  mysticisme  de  Bossuet  parle  de  l'a- 
bondance du  cœur,  e.r  abundantia  cordis.  Sans  doute,  il 
s'inspire  de  'Asâwi I (j ut ice,  de  saint  Grégoire  de  Nazianzc ,  de 
saint  Bernard ,  de  Denis  le  Chartreux ,  de  saint  Macaire ,  de 
saint  Augustin,  de  Richard  de  Saint-Victor,  dOrigène  ,  et 
on  voit  par  là  combien  se  trompent  ceux  qui  disent  que 
Bossuet  ne  fit  du  ndysticisme  et  ne  s'occupa  des  auteurs 
ascétiques  que  pour  répondre  à  Fénelon  dans  la  querelle 
du  Quiétisme;  mais  au  fond,  c'est  son  âme  qui  s'épanche, 
son  âme  qui  était  «  tout  amour  et  toute  charité  (1  )  ».  11 
avait  affirmé  un  jour,  en  faisant  le  Panégyrique  de  saint 
François  de  Paule,  que  cet  admirable  saint  avait  toujours 
un  air  riant,  parce  qu'il  aimait,  «  parce  que,  dit  saint  .4;/- 
gustin ,  celui  qui  aime  ne  travaille  pas  :  qui  amat  non  lo- 
borat  ...  Celui  qui  aime,  il  aime  :  qui  amat,  amat,  [dit 
le  tendre  et  affectueux  saint  Bernard].  Ce  n'est  pas,  ce 
semble,  une  grande  merveille.  Il  aime,  c'est-à-dire  il  ne 
sait  autre  chose  qu'aimer;  il  aime  et  c'est  tout!  »  Il  en  est 
de  Bossuet  comme  de  saint  Bernard,  de  saint  François  de 
Paule  :  il  a  aimé  ;  «  il  a  chanté  le  cantique  de  l'amour  divin, 
avec  quelle  tendresse,  avec  quelle  effusion,  quel  ravisse- 
ment de  toute  l'âme!  Avec  quels  cris  parfois  où  sa  passion 
débordait!  «  Vive  Dieu!  Vive  l'Éternel!  »  Nul  cœur  mys- 
ti<|ue ,  depuis  Ylniitation  [1],  n'a  été  plus  profondément 

(1)  I.unson,  liossuel,  p.   11. 

{-2)  Il  y  a  là  une  exagération  :  sainte  Thérèse,  saint  Jean  de  la  Croix,  saint  Fran- 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  AUTEUR  ASCÉTIQUE.  283 

épris.  Et  voilà  le  principe  de  cette  sérénité,  de  cette  joie 
grave  et  pleine  qu'il  a  portées  toute  sa  vie  sur  son  visag-e  : 
il  aimait  ». 


ARTICLE  III 

Les  Saints  Pères  et  les  Poésies  sacrées  de  Bossuet. 

C'est  parce  «  qu'il  aimait  »  que  Bossuet  faisait  des  vers  à 
Meaux,  sur  la  fin  de  sa  vie.  Dans  sa  jeunesse,  le  26  mai  1652, 
il  avait  traduit  la  prose  V^'iii  sanctf',  Spiriti/s  (1  )  ;  à  soixante- 
neuf  ans,  il  ne  cultiva  la  Muse  que  pour  s'édifier  lui-même 
et  édifier,  non  pas  le  public,  mais  quelques  âmes  d'élite. 

((  Il  a  laissé,  dit  Le  Dieu  [Mémoirf's,  t.  I,  p.  170)  des  tra- 
ductions en  vers  français  d'un  grand  nombre  de  Psaumes  et 
de  plusieurs  Cantiques ,  qui  ont  été  admirées  par  de  grands 
maîtres  en  l'art  poétique;  c'est  encore  une  preuve  qu'il  a 
voulu  donner,  comme  ont  fait  les  saints  Pères,  de  son  affec- 
tion à  la  sainte  Écriture.  » 

«  Ne  parlons  point,  écrivait-il  à  M"*"  d'Albert  de  Luy- 
nes  (2),  de  me  divulguer  comme  faisant  des  vers,  quoi  qu'en 
dise  le  P.  Toquet,  à  qui  je  défère  beaucoup...  Je  ne  fais  des 
vers  que  par  hasard,  pour  m^ amuser  saintement  d'un  sujet 
pieux,  par  un  certain  mouvement  dont  je  ne  suis  pas  le 
maître.  Je  veux  bien  que  vous  les  voyiez,  vous  et  ceux  qui 
peuvent  en  être  touchés.  A  tout  hasard,  voilà  l'hymne  (3), 
sauf  à  ajouter  et  entrelacer  un  sixain.  Vous  aurez  bientôt 
les  mystères  jusqu'à  l'Incarnation  (4).  »  «  Laissez  voir  les 
vers,  lui  disait-il  encore  (5),  avec  le  même  secret,  à  M''*  du 
N..,  de  Lusancy  et  de  Rodon,  si  elle  en  a  entendu  parler, 

çois  (le  Sales,  saint  Vincent  de  Paul,  la  bienheureuse-JIarguerilc  Marie  Alaco- 
que.  etc.,  sont  postérieurs  à  l'Imilation,  et  il  faut  hien  croire  (|uc  leur  charité 
était  plus  liéroïque  encore  que  celle  de  Bossuet. 

(I)  Edition  Lâchât,  t.  X,  p.  Wi. 

(-2)  Le  7  juin  Ki'.Mi. 

(3)  Quel  est  cet  hymne?  On  n'en  trouve  pas  dans  le  Recueil  de  Poésies  sacrées 
qui  nous  restent. 

(i)  Si  Bossuet  a  fait  sur  les  Mystères  les  poèmes  qu'il  annonçait  dans  celte  lettre, 
il  faut  avouer  qu'ils  sont  perdus. 

(.•>)  Lettre  du  14  mai  1696. 


î8i  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

même  à  W"'  la  Guillaumie;  permettez-en  la  lecture  à  ma 
sœur  Cornuau,  tant  qu'elle  voudra.  »  Un  autre  jour  il), 
Bossuet  écrivait  à  M""  d'Albert  :  «  Il  y  a  bien  d'autres  can- 
tiques sur  le  métier.  «  Prenez  les  petits  renards  (2)  »; 
taillez  dans  le  vif  :  q/ir  ce  soit  le  fruit  de  cette  poésie.  » 
((  V'ous  me  renverrez  les  vers,  quand  vous  les  aurez  fait 
écrire,  comme  à  l'ordinaire  »,  lui  mandait-il,  le  15  août  169T. 
et  le  10  octobre  de  la  même  année  :  «  Le  vers  que  vous 
désirez  est  ainsi  : 

...  Tout  et;  qu'on  a  pensé 
Sans  que  d'un  Dieu  jaloux  l'honneur  soit  offensé  (3). 

On  dit  indifféremment  arec  ou  avecque;  ce  dernier  rend  la 
mesure  complète.  » 

C'est ,  sans  doute ,  encore  à  des  vers  que  Bossuet  fait  al- 
lusion, quand  il  écrit  (i)  :  «  Voilà  des  conso/cifions  que  je 
vous  euvoie  ;  faites-en  part  à  M"""  de  Luynes,  sans  oublier 
ma  sœur  Bénigne.  Je  vous  en  permets  des  copies ,  à  con- 
dition, aussitôt  qu'il  y  en  aura  une,  de  me  renvoyer  le  tout.  » 

La  discrétion  de  Bossuet  à  propos  des  essais  poétiques 
d'une  Muse  tardive  éclate  encore  plus  dans  la  Corres- 
pondance  avec  sœur  Cornuau  de  Saint-Bénigne  :  «  Lisez 
les  vers  tant  que  vous  voudrez ,  lui  écrit-il  le  29  mai  1696; 
j  ai  des  raisons  pour  ne  couloir  pas  qu'on  en  donne  des 
copies  à  qui  que  ce  soit.  Je  veux  bien  que  vous  les  fassiez 
voir  à  celles  que  vous  me  marquez  »...  «  Vous  avez  fait  l'ap- 
plication que  je  souhaitais  de  l'endroit  du  Cantique  des 
Cantiques,  où  il  est  parlé  de  la  taille  de  la  vigne  et  des 
petits  renards  (5).  Poursuivez  et  extirpez  tout...  Je  vous 
envoie  le  reste  des  vers  sur  le  Cantique  aux  conditions  que 
vous  me  proposez,  pour  ces  dames  et  pour  vous  (6)  »...  «  Il 

(I)  Lettre  (lu  10  août  U><M>. 

(-2)  Le  Cantique  où  ces  mots  sont  commentés  existe  encore  :  c'est  le  III'  sur  le 
Saint  Amour  : 

Prenez  ces  renanlcauv  ravageurs  de  la  vigne,  etc. 

(.i)  Encore  une  pièce  de  vers  (|ui  nous  manque. 

(4)  LeUre  du  !•  août  Kiit". 

(■'»)  On  a  vu  plus  haut  une  allusion  à  la  nicnio  pièce  de  vers. 

«i)  Li-ttre  du  II  août  lii!Mi. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  AUTEUR  ASCETIQUE.  285 

se  trouvera  du  temps  pour  s'occuper  de  l'effet  des  vers  du 
saint  Cantique  (1)»...  «  Tenez-vous  en,  ma  Fille,  dnixorr/res 
que  je  vous  ai  donnés  sur  la  communication  de  mes  vers, 
persistcuit  à  ne  vouloir  pas  qu'on  les  eoie  (2),  » 

La  sœur  Cornuau  écrivait  au  cardinal  de  Noailles  en  lui 

envoyant  une  copie   des  Le/frrs  de   Bossuet   :    «  J'ai  cru 

aussi,  Monseigneur,  que  vous  seriez  très  aise  de  voir  les  vers 

que  ce  saint  prélat  faisait  comme  en  se  jouant,  pour  ainsi 

dire,  quand  nous  lui  en  demandions,  feu  M""^  d'Albert  et 

moi.  Je  m'assure  que  Votre  Éminence  sera  consolée  de  voir 

le.s  grands  et.  intimes  sentiments  de  ce  prélat,  rt  combion 

son  canir   était  pris  et  épris  du  saint  amour.  Ce  sont  ces 

véritables  sentiments  qu'il  nous  donnait ,  comme  il  nous  le 

disait,  sans  art  et  sans  étude,  en  nous  assurant  qu'il  ne 

voulait  pas  retirer  nos  esprits  du  véritable  sens  de  l'Écriture  ; 

qu'il  aimait  mieux  que  ses  vers  fussent  moins  élégants  et 

ne  s'en  pas  détourner  poursuivre  déplus  belles  expressions. 

//  nous  demandait  comme  If  secret  sur  ses  vers ^  ne  voulant 

pas  qu'on  sût  qu'il  en  faisait;  et  il  n'en  faisait,  à  ce  qu'il 

nous  disait  avec  confiance,  que  parce  qu'il  semblait  que 

Dieu  voulait  qu'il  contentât  nos  désirs  là-dessus.  Il  nous 

avouait  que  les  sentiments  que  Dieu  lui  donnait  pour  nous 

lui  étaient  utiles  à  lui-même;  qu'il  se  sentait  pénétré  des 

effets  de  l'amour  divin,  que  Dieu  lui  mettait  au  cœur  de 

nous  expliquer  dans  ses  vers.  Il  est  vrai  que,  quand  il  nous 

les  donnait  ou  qu'il  les  lisait,  il  était  quelquefois  tout  perdu 

en  Dieu,  et  parlait  du  céleste  Époux  d'une  manière  qui  nous 

ravissait,  qui  nous  faisait  voir,  sans  qu'il  le  voulût,  qu'il  se 

passait  de  g'randes  et  intimes  choses  en  lui;  mais  comme 

j'ai  déjà  eu  l'honneur  de  vous  le  dire,  Monseigneur,  il  na 

jamais  permis  que  nous  ayons  ptarlé  de  cela,  ni  que  nous 

ayons  communiqué  ces  vers,  particulièrement  ceux  sur  le 

Cantique  des  Cantiques,  où  l'amour  divin  est  plus  exprimé; 

non  qu'il  en  fit  mystère ,  mais  parce  qu'il  ne  croyait  pas  ce 

langage  propre  à  tout  le  monde  et  que,  d'ailleurs,  ses  au- 

(1)  Lettre  sans  date  de  KifJO. 
(iî)  Lettre  du  7  juin  um. 


286  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

très  ouvrages  ne  lui  permettaient  pas  de  donner  autant 
d'attention  qu'il  eût  fallu  pour  mettre  ses  vers  dans  leur 
dernière  perfection;  d'autant  plus  qu'à  peine  étaient-ils 
sortis  de  son  cœur  et  de  sa  plume  que  nous  les  lui  arra- 
chions des  mains,  tant  notre  empressement  était  grand  sur 
cela.  Il  est  vrai  qu'il  en  a  retouché  quelques-uns;  mais  je 
ne  crois  pas  qu'il  y  ait  mis  tout  à  fait  la  dernière  main,  ni 
à  tous  ceux  qu'il  a  faits.  » 

Qu'aurait  donc  dit  le  grand  évêque  de  la  publication 
qu'on  a  faite  de  ses  poésies  de  vieillesse?  Il  aurait  protesté 
avec  énergie,  d'autant  phis  qu'il  n'avait  aucune  illusion 
sur  ses  talents  poétiques  (1),  ni  même  sur  son  goût  en  ma- 
tière de  poésie,  puisqu'il  écrivait,  le  7  mars  1691,  au  P.  Mau- 
duit,  de  l'Oratoire  :  «  Les  deux  Psatf/itfs  que  vous  m'avez 
envoyés  m'ont  transporté  en  esprit  dans  les  temps  où  ils 
ont  été  composés,  et  si  je  n'ose  encore  me  prononcer  sur 
l'impression,  c'est  à  cause  que  Je  n'ose  aussi  me  fwr  à  mon 
jugement  ni  à  mon  goût  su/-  la  poésie,  dans  l'extrême  dé- 
licatesse ,  pour  ne  pas  dire  dans  la  mauvaise  humeur,  de 
notre  siècle.  « 

Quoi  qu'il  en  soit  de  la  pensée  intime  de  Bossuet  sur  la 
valeur  de  ses  essais  poétiques ,  il  faut  avouer  qu'il  n'était 
poète  et  grand  poète  qu'en  prose.  Ses  vers  sont  médiocres, 
parfois  même  mauvais  r2j  ;  seule,  l'intention  est  louable  : 
c'est  une  pieuse  pensée  qui  l'a  poussé  à  rendre  «  un  su- 
prême hommage  d'admiration  impuissante  (3)  »  à  cette 
poésie  des  Livres  saints,  dont  il  s'enivrait. 

La  première  partie  des  poèmes  de  Bossuet  est  intitulée 

(I)  Poiiniuoi  le  P.  ilc  la  Broise  (Bossuet  et  la  Bible,  p.  ;«(.  noie  3),  écrit-il  que 
Bossuet  se  Taisait  queUiuc  «  illusion  sur  ses  talents  poétiques?  »  —  Il  n'y  parait 
certes  pas. 

(■2)  Comme  quand  il  fait  rimer  «  reciicrché  »  et  «  écrasé  »:  ou  quand  il  dit  (Le 
Soint  Amour,  I  et  lll)  : 

Ton  nom,  venu  du  ciel,  est  une  douce  étreinte 

Des  plus  vives  odeurs. 
Allons  (c'en  est  le  temps)  des  brandies  renaissantes 

Trancher  raccrolsscment; 
Et  faisons  endurer  à  nos  fertiles  plantes 

Cet  utile  toiu-nient. 

(3)  I,e  mot  est  du  P.  de  la  liroisc,  p.  ;{7. 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  AUTEUR  ASCÉTIQUE.  287 

le  Saint  Amour  ou  endroits  choisis  du  Cantique  des  Can- 
tiques, avec  des  réflexions  morales.  Dans  le  préambule, 
Salo7non  au  lecteur, 

Mortels,  purifiez  vos  heures,  vos  pensées, 
Et  laissez  loin  de  vous  les  ardeurs  insensées 

D'un  amour  furieux. 
Si  vous  voulez,  épris  d'une  flamme  pudique. 
Entonner  ces  beaux  airs,  et  du  Roi  pacifique 

Les  chants  mystérieux, 

Bossuet  s'inspire  évidemment  d'Origène  et  de  saint  Jé- 
rôme (1),  et,  de  même  que,  dans  son  Commentaire  du  Can- 
tique en  prose  latine  et  française ,  il  suit  «  les  interprètes  de 
ce  livre  que  Jésus-Christ  a  donnés  à  l'Église  »,  depuis  Ori- 
gène,  saint  Jérôme,  Théodoret,  saint  A/nbroisr,  jusqu'à 
saint  Thomas  d'Aquin  et  le  Père  Louis  de  Léon,  de  même, 
dans  les  quatorze  pièces  de  vers  qu'il  a  consacrées  aux  pas- 
sages les  plus  beaux  des  chapitres  i,  ii,  v,  m,  vi,  iv,  vu,  viii, 
du  même  Cantique ,  il  prend  pour  guides  ces  mêmes  Pères, 
ces  mêmes  docteurs  de  l'Église,  surtout  dans  les  Réflexions 
morales  qui  terminent  ses  petits  poèmes ,  comme  elles  ter- 
minent les  différents  chapitres  de  son  Commentaire. 

Ainsi,  le  passage  :  Adjuro  vos,  filiae  Jérusalem,  per 
capreas,  cervosque  camporum,  ne  suscitetis,  neque  evigilare 
faciatis  dilectam,  quoadusque  ipsa  relit  (2),  s'applique, 
d'après  saint  Bernard  et  saint  Grégoire .,  «  aux  âmes  fidèles 
qui  travaillent  au  salut  des  autres  »  ,  et  auxquelles  le  Christ 
«  défend  de  remettre  dans  la  vie  active  quelque  grande 
âme,  enflammée  de  l'amour  divin  et  élevée  à  une  haute 
contemplation  ».  «  Car  l'Époux  (saLint  Bernard ,  Serm.  52, 
n.  6)  sait  que  l'Église ,  cette  bonne  mère ,  est  toujours  atten- 
tive aux  progrès  de  ses  enfants  par  le  zèle  de  son  amour  : 
c'est  pourquoi  il  n'a  pas  craint  de  lui  confier  ce  secret  de  la 
conduite  des  âmes.  »  «  Les  hommes  charnels  qui  sont  dans 
l'Église,  dit  saint  Grégoire ^  ne  cessent  de  troubler  le  repos 


(1)  Voir  la  Préface  sur  le  Cantique  des  Cantiques,  doiil  il  a  été  parlé  plus  haut. 

(2)  Cliap.  H,  V.  7. 


288  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

des  saintes  âmes  dans  la  contemplation  :  il  faut  les  écarter. 
—  Bossuet  traduit  : 

Ah!  ne  la  troublez  pas.  vous,  ses  chères  compagnes, 

Jusques  à  son  réveil; 
Par  les  faons,  par  les  cerfs  sautant  par  les  campagnes. 

Ménagez  son  sommeil. 

Rcfle.r'mn. 
Ainsi  l'Époux,  soigneux  du  repos  de  l'Amante, 
Établit  des  pasteurs  la  garde  vigilante 

Pour  veiller  à  l'entour. 
Vous  seule ,  ô  sainte  Église ,  ô  mère  charitable , 
Gardez  à  vos  enfants  leur  Amant  véritable 

Par  vos  soins  maternels  (1). 

Ainsi  encore,  «  selon  Orujl'nc,  les  malins  esprits  sont 
figurés  par  les  petits  renards  (2),  qui  vont  aux  vignes,  par 
leurs  terriers,  en  ronger  les  premiers  bourgeons,  et  em- 
portent ainsi  toute  l'espérance  des  fleurs.  On  y  doit  aussi 
entendre  les  mauvais  désirs,  qu'il  est  aisé  d'étouffer  dès 
leur  naissance,  de  même  qu'il  est  aisé  de  prendre  les  re- 
nards, lorsqu'ils  sont  encore  petits.  Il  faut  donc  écraser 
contre  la  pierre  les  petits  de  Babylone,  de  peur  que  les 
cupidités  dangereuses  ne  prennent  racine  en  nous;  saint 
Bernard  suit  cette  interprétation  d'Origène  et  des  autres 
Pères  (3).  »  —  Bossuet  fait  comme  saint  Bernard  : 

Prenez  ces  renardeaux  ravageurs  de  la  vigne. 

Et,  d'un  commun  effort. 
Toutes,  venez  donner  à  leur  i"ace  malign(> 

Une  soudaine  mort. 

lié  lier  ion . 
Vous  (pii  (le  la  vei'tu  commencez  la  carrière, 
Gardez-vous  de  passer  cette  saison  prc^miéi'e 

En  de  molles  douceurs. 
Taillez  jusques  au  vif,  exterminez  le  vice, 
Étouffez  en  naissant  un  défaut  qui  se  glisse 

Au  seci'ct  de  vos  cœurs  (4). 


(I)  Le  Saint  Amour,  1  et  IV. 

(-1)  Capile  nobis  vulpes  parindas.  t/uac  demoliuntur  vineas.  (Chap.  n,  v.  l'i.) 

(.'{)  Commentaire  en  prose  de  Itossuet,  chap.  u. 

(4)  Le  Saint  Amour,  iv.  .     . 


LES  SAINTS  PERliS  ET  BOSSUET  AUTEUR  ASCÉTIQUE.  289 

Autre  exemple,  le  verset  8  du  chap.  ii  :  Eccr  is/e  venit 
salions  in  montibus ,  Iransilions  collcf^  (1),  s'applique,  d'a- 
près Oi'ighiP ,  à  Jésus-Christ  passant  par-dessus  les  anges 
pour  s'incarner  dans  la  nature  humaine  (2).  —  Bossuet 
traduit  en  vers  : 

Il  vient  comme  par  sauts  à  notre  humble  nature , 
Au  supplice,  aux  enfers  :  après  la  sépulture 

Au  trône  remonté, 
Lui-même  tour  à  tour  à  nos  yeux  veut  paraître. 
En  victime,  en  pontife,  en  serviteur,  en  maître. 

Dans  toute  sa  clarté. 

Quelle  saillie!  Il  quitte,  il  reprend  son  tonnerre,  etc. 

D'après  saint  Ambroise  et  saint  Augustin,  les  deux  jar- 
dins de  l'Époux,  celui  des  fleurs  et  celui  des  fruits,  au  cha- 
pitre VI,  1,  10,  celui  des  aromates,  areolam  aromatunt , 
hortum  nucum,  semblent  signifier  dans  l'Ecriture  ce  qui 
fait  la  joie  et  la  nourriture  de  l'àme  :  «  Saint  Ambroise  en- 
tend par  le  jardin  des  noyers  celui  où  est  le  fruit  de  la 
lecture  des  prophéties  et  de  la  grâce  sacerdotale,  qui  est 
amère  dans  ses  tentations,  pénible  dans  ses  travaux  et  abon- 
dante dans  les  vertus  intérieures;  et  saint  Augustin,  sous  la 
figure  des  noix ,  les  sens  cachés  de  l'Écriture  qui  ne  se  dé- 
veloppent qu'avec  beaucoup  d'application  (3).  »  —  Bos- 
suet dit  dans  le  chant  V^  du  Saint  Amour  : 

Les  noj'ers  du  jardin  sont,  dans  le  saint  Cantique, 
Des  livres  inspirés  le  langage  mystique, 

Où  l'on  est  empêché 
Par  l'amère  enveloppe  et  par  la  dure  enceinte  ("?) 
De  recueillir  d'abord  dans  la  parole  sainte 

Le  fi'uit  du  sens  cachi'-. 

Il  est  ainsi  :  souvent  la  divine  Écriture 
.Jette  aux  yeux  éclairés  une  lumière  pure  : 

Souvent  la  vérité 
Sous  la  lettre  grossière  est  la  manne  cachée 
Qui  par  un  soin  pieux  veut  être  recherchée 

Dans  son  obscurité. 

(1)  «  Voilà  le  Inen-ainic  qui  vient  sautant  sur  les  montagnes,  hondissant  sur  les 
collines.  • 
(5)  Commentaire  sur  le  Cantique,  chap.  ii;  Réflexion. 
(3)  Commentaire  du  Cantique;  Réflexion  sur  le  chap.  vu. 

BOSSUET   ET  LES  SAINTS  PÈRES.  1!» 


290  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

D'après  saint  Thomas,  la  jeune  sœur  dont  parle  le  verset 
8  du  chapitre  vin,  Soror  noatra  pan^a,  et  uhora  non  ha- 
het,  c'est  TÉgiise  naissante  composée  des  Gentils  nouvel- 
lement convertis  par  les  apôtres.  —  Bossuet,  dans  les 
chants  VIT  et  XiV®  du  Saint  Antour,  nous  dit  : 

L'Église  a  ses  parfums,  sa  foi,  sa  patience, 
Son  amour,  ses  désirs ,  les  vents ,  la  violence  ; 

La  fureur  des  tjrans 
Dans  son  sein  glorieux  tous  les  peuples  attire  : 
Ils  croissent  sous  le  fer,  ces  saints  dont  le  martyre 

A  fait  des  conquérants... 

Belle  en  tes  vérités ,  en  tes  chants  merveilleuse , 
Dans  tes  solennités  gi'ande  et  majestueuse 

Autour  de  tes  autels, 
Sainte  Église,  le  ciel  répond  à  ta  musique. 
Et  l'accompagnement  du  concert  angélique 

Ravit  les  immortels. 

Bossuet  poète  est  si  bien  le  disciple  et  l'écho  des  saints 
Pères  qu'il  consacre  toute  une  strophe  à  saint  Bernard  (1)  : 

Rejeté  dans  les  flots,  Bernard,  à  la  tempête. 
Hors  du  port  désiré ,  sait  exposer  sa  tête , 

Et  vient,  loin  de  Clairvaux , 
Où  de  chastes  plaisirs  son  àme  est  transportée. 
Zélé  prédicateur  de  l'Église  agitée 

Partager  les  travaux. 

Il  n'y  a  rien  à  dire  des  deux  pièces  intitulées  L'amour  in- 
satiable; —  rien  des  Trois  amantes ,  Première  amante  :  La 
fjécheressc  ;  Seconde  amante  :  I,  Marie,  sœur  de  Lazare,  aux 
pieds  de  Jésus  à  Béthanie  écoutant  sa  parole;  II,  La  même 
amante  se  plaint  au  Sauveur  de  la  mort  de  Lazare,  son 
frère;  lll,  La  môme  amante  répand  ses  parfums  sur  la  tète 
et  sur  les  pieds  de  Jésus;  IV,  Le  jour  que  Jésus  monta  aux 
cicux,  il  vint  à  Béthanie  avec  ses  disciples  ;  Troisiètne  amante, 
Marie-Madeleine ,  de  qui  Jésus  avait  chassé  sept  démons , 
accompagne  la  Sainte  Vierge  jusqu'à  la  croix,  avec  Marie, 
sœAU'  de  sa  mère  et  femme  de  Cléophas  ;  la  môme  amante 

(I;  Le  Saint  Amour,  v.  Réflexion. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  AUTEUR  ASCÉTIQUE.  291 

cherche  Jésus  dans  son  tombeau ,  voit  deux  anges  et  le  voit 
hii-même  ;  —  rien  non  plus  de  la  parfaite  amante ,  Marie , 
Mère  dp  Dieu.  Ce  ne  sont  guère  que  des  paraphrases  de 
l'Evangile. 

C'est  de  la  Bible  encore  beaucoup  plus  que  des  saints 
Pères  que  Bossuet  s'inspire  dans  la  Traduction  poétique  de 
quelques'  Psaumes  :  I,  Domine,  Dominus  nosler,  quam 
admirabile  est  nonwn  tuum,'  II,  Cœli  enarrant  gloriam 
Dei,'  III,  Exaudiat  te  Dominas  in  die  tribulationis;  IV,  Eruc- 
tavit  cor  meum  verbum  bonmn;  V,  Deus  noster  refugium  et 
virtiis;  VI,  Tibi  silentium  laus;  Vil,  Fundamenta  ejus  in 
montibus  sanctis;^^\l\ ,  Super  flumina  Babylonis ,  illic  se- 
dimus  ;  l\,  Credidi,  propter  quod  locutus  sum.  —  L'Ode 
sur  la  liberté  créée ,  perdue ,  réparée ,  couronnée ^  l'Hijmiw 
pour  If  jour  de  l'Ascension ,  Qui  ascendit  super  coelum  ad 
Orient  cm, 

Lève-toi ,  Père  du  jour. 
Et  dans  ton  plus  bel  atour, 
Viens  commencer  ta  carrière; 
Aujourd'hui,  vers  les  hauts  lieux 
D'où  s'élève  ta  lumière 
■Montera  le  roi  des  cieux; 

la  Prière  d' un  péclwur  pénitent  et  Ceci  est  mon  corps,  ceci 
est  mon  sang,  sont  moins  des  œuvres  poétiques  que  des  ef- 
forts faits  par  Bossuet  pour  traduire  en  une  langue  dont  il 
n'a  pas  le  secret  les  sentiments  qui  débordent  de  son  ànie 
sacerdotale  :  sentiments  d'admiration  pour  la  poésie  sacrée 
et  d'amour  ardent  pour  le  Verbe  divin. 

ARTICLE  IV 

Les  saints  Pères  et  le  Traité  de  la  Concupiscence  (1). 

On  ne  connaît  pas  la  date  de  cet  ouvrage;  mais  ce  qu'il 
contient  contre  Boileau  et  sa  X"  satire,  les  Femmes ,  indique 

(I)  Il  a  pour  sous-titre  :  Ou  EccposUion  de  ces  paroles  de  sainl  Jean  :  N'aimez 
pas  le  monde  ni  ce  qui  est  dans  le  monde. 


292  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

clairement  qu'il  est  postérieur  à  1G92.  L'esprit  général  en 
est  le  même  que  celui  de  la  Lettre  au  P.  Ca/faro ,  169i  (1 1. 

Dans  le  manuscrit  autographe ,  cet  ouvrage  ne  porte  au- 
cun titre  écrit  de  la  main  de  Bossuet  :  le  titre  actuel,  qui 
vient  des  éditeurs  de  1731,  ne  semble  pas  correspondre  à  la 
pensée  de  l'auteur,  qui  n'a  point  voulu  faire  un  traité, 
une  exposition  méthodique  d'une  thèse  de  philosophie  ou 
de  théologie,  mais  écrire  pour  une  religieuse,  W"  d'Albert 
ou  la  sœur  Cornuau,  une  explication  ascétique  de  ces  trois 
versets  de  saint  Jean,  première  Epitrr  :  chap.  ii,  15,  16,  17  : 
«  JN" aimez  pas  le  monde  ni  ce  qui  est  dans  le  monde.  Celui 
(|ui  aime  le  monde ,  lamour  du  Père  n'est  pas  en  lui  :  parce 
(jue  tout  ce  qui  est  dans  le  monde  est  concupiscence  de  la 
chair,  et  concupiscence  des  yeux  et  orgueil  de  la  vie  :  la- 
quelle concupiscence  n'est  pas  du  Père,  mais  elle  est  du 
monde,  etc.  » 

Quel  admirable  commentaire  Bossuet  ne  donne-t-il  pas 
de  ces  mots!  Comme  il  explique  avec  une  éloquence  et  une 
onction  pénétrantes  «  ce  que  c'est  que  le  monde  »  ;  «  ce 
que  c'est  que  la  concupiscence  de  la  chair  »  ;  «  ce  que  c'est 
que  la  chair  de  péché  dont  parle  saint  Paul  »  ;  ce  que  c'est 
que  «  la  concupiscence  des  yeux  »,  le  désir  de  connaître,  ou 
la  curiosité  et  le  plaisir  de  la  vue  ;  ce  que  c'est  que  «  l'or- 
gueil de  la  vie  »,  l'amour- propre ,  qui  veut  u  en  tout  ex- 
celler au-dessus  des  autres,...  et  qui  s'attribue  à  soi-même 
sa  propre  excellence  »  ;  ce  que  c'est  que  «  la  gloire  »  et  la 
«  merveilleuse  manière  dont  Dieu  punit  l'orgueil,  en  lui 
donnant  ce  qu'il  demande  »  ;  ce  que  c'est  enfin  que  la  «  sé- 
duction du  démon  »,  cause  de  <(  la  chute  de  nos  premiers 
parents  »  et  de  la  «  naissance  des  trois  concupiscences,  dont 
la  dominante  est  l'orgueil  I  » 

Bossuet  est  là  tout  entier  :  il  y  est  avec  le  style  le  plus 
vif,  le  plus  coloré  dont  il  se  soit  jamais  servi ,  puisqu'on  y 
trouve  de  merveilleuses  pages,  entre  autres  celle  où  il  décrit 
le  lever  du  soleil  et  devance  Rousseau  et  Lamartine  dans 

(I;  Il  est  étonnant  i|iraiiciin  des  (■dilcurs  ilc  Itossnct  n'ait  fait  ressortir  ces  deux, 
choses  pour  essayer  de  déterminer  la  date  du  Trnilv  de  la  roncupiscem-e. 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  AUTEUR  ASCÉTIQUE.  ^93 

l'expression  du  sentiment  de  la  nature  (1);  il  y  est  avec  sa 
connaissance  profonde  du  cœur  humain  et  sa  science  de 
moraliste,  qui  dépasse  en  profondeur  celle  de  Pascal  (2),  en 
vérité  celle  de  La  Rochefoucauld  (3)  et  de  La  Bruyère  (4)  ; 
il  y  est  avec  cet  art  où  il  excelle  d'interpréter  l'Écriture  par 
l'Écriture  elle-même,  d'expliquer  saint  Jean  par  la  Genèse 
(la  chute  du  premier  homme),  par  les  Livrfs  sapientiaux, 
par  l'Évangile  et  par  saint  Paul;  il  y  est  enfin  avec  cette 
science  patrologique  incomparable,  grâce  à  laquelle  il  peut 
corroborer  tous  ses  développements  par  des  textes  des  saints 
Pères.  «  Dans  son  Traité  de  la  concupiscence ,  dit  M.  Nourris- 
son (5) ,  il  n'a  fait  autre  chose  que  traduire ,  avec  la  magie 
du  lang-ag'e  qui  lui  est  propre ,  le  dixième  livre  des  Confes- 
sions. »  —  C'est  là  une  exag-ération  évidente;  mais  Bossuet 

(1)  «  Je  me  suis  levé  pendant  la  nuit  avec  David  pour  voir  vos  cieiis  etc.  — 
Voir  plus  haut,  pages  31,  .'Ja.  —  Voir  aussi  le  passage  :  «  Mou  Dieu,  lumière  éter- 
nelle »,  où  Dieu,  soleil  de  l'âme,  est  comparé  au  soleil  qui  éclaire  les  corps. 
Chapitre  xxxii. 

(i)  Pascal  avait  écrit,  sur  le  passage  de  saint  Jean  commente  par  Bossuet,  de  cour- 
tes réflexions  ,  dont  quelques-unes  sont  l'indication  rapide  des  grands  développe- 
ments de  l'évêque  de  Meaux.  On  lit  dans  les  Pensées,  édit.  Havet,  art.  XXV  :  «  Con- 
cupiscence de  la  chair,  concupiscence  des  yeux,  orgueil,  etc.  Il  y  a  trois  ordres  de 
choses  :  la  chair,  l'esprit,  la  volonté.  Les  charnels  sont  les  riches,  les  rois  :  ils 
ont  pour  objet  le  corps.  Les  curieux  et  savants  :  ils  ont  pour  olijet  l'esprit.  Les 
sages  :  ils  ont  pour  ohjet  la  justice.  Dieu  doit  régner  sur  tout,  et  tout  se  rapporte 
à  lui.  Dans  les  choses  de  la  chair  règne  proprement  la  concupiscence:  dans  les 
spirituelles,  la  curiosité  proprement;  dans  la  sagesse,  l'orgueil  proprement...  Le 
lieu  propre  à  la  superhe  est  la  sagesse;  car  on  ne  peut  accorder  à  un  homme  qu'il 
s'est  rendu  sage  et  qu'il  a  tort  d'être  glorieux;  car  cela  est  de  justice.  Aussi  Dieu 
seul  donne  la  sagesse,  et  c'est  pourquoi  :  Qui  glorialur  in  Domino  glorietur.  » 

(3)  On  i)eut  comparer  la  fameuse  délinition  de  l'amour-propre  dans  La  Roche- 
foucauld :  «  L'amour-propre  est  l'amour  de  soi-même  et  de  toutes  choses  pour  soi  ; 
il  rend  les  hommes  idolâtres  d'eux-mêmes  et  les  rendrait  les  tyrans  des  autres, 
si  la  fortune  leur  en  donnait  les  moyens;  il  ne  se  repose  jamais  îiors  de  soi...  que 
comme  les  abeilles  sur  les  fleurs,  pour  en  tirer  ce  qui  lui  est  propre  »,  avec  les 
deux  ou  trois  chapitres  où  Bossuet  décrit  à  son  tour  «  l'amour-propre.  (|ui  est  la  ra- 
cine de  l'orgueil  »,  et  montre  que  «  l'homme  étant  devenu  pécheur  en  se  cher- 
chant soi-même,  il  ne  lui  est  plus  demeuré  que  ce  qu'il  est  sans  Dieu,  c'est-à-dire 
l'erreur,  le  mensonge,  l'illusion,  le  péché,  le  désordre  de  ses  passions,  sa  propre 
révolte  contre  la  raison,  la  tromperie  de  son  espérance,  les  horreurs  de  son  dé- 
sespoir alïreux,  des  colères,  des  jalousies,  des  aigreurs  envenimées  contre  ceux 
qui  le  troublent  dans  le  bien  particulier  qu'il  a  préféré  au  bien  général  ».  (Cliap.  xi). 
—  La  Rochefoucauld  ne  remonte  pas,  comme  Bossuet,  à  la  cause  première  des 
désordres  de  l'amour-propre  :  la  chute  originelle. 

(4)  Jamais  La  Bruyère  n'a  trouvé  pour  peindre  l'humanité  des  traits  comme  ceux 
par  lesquels  Bossuet  représente  la  «  curiosité  »  et  surtout  la  «  curiosité  historique  » 
(chap.  vni);  les  parents  qui  «  étalent  leurs  filles  pour  être  un  spectacle  de  vanité 
et  les  parent  comme  on  fait  un  temple  »  (cha]).  ix);  les  «  emportements  des  pay- 
sans pour  des  bancs  dans  leurs  paroisses  »  (chap.  xvn);  la  vanité  de  la  femme  qui 
«  fait  peindre  dans  un  tableau  trompeur  ce  qu'elle  n'est  plus  et  s'imagine  repren- 
dre ce  que  les  ans  lui  ont  ôté  »  (chap.  xxi),  etc.,  etc. 

(.'>)  La  Philosophie  de  saint  Augustin,  t.  II,  p.  33<i. 


294  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

dans  son  onvrage  fait  à  saint  Augustin  plus  d'emprunts  que 
jamais. 

S'ag'it-il .  à  propos  de  la  concupiscence  de  la  chair,  de 
peindre  les  hommes  adonnés  aux  plaisirs  des  sens?  «  Le 
plaisir  de  la  nourriture  les  captive ,  dit  Bossuet  :  au  lieu  de 
manger  pour  vivre,  ils  semblent,  comme  disait  un  ancien, 
et  après  lui  saint  Augustin,  ne  vivre  que  pour  manger... 
Ainsi,  dit  saint  Augustin,  la  convoitise  ne  sait  jamais  où 
finit  la  nécessité  :  Nescit  cjipiditas  ubi  finintur  nécessi- 
tas (1)...  ^B.ini  Augustin  distingue  trois  états  de  la  vie  hu- 
maine par  rapport  à  la  concupiscence  de  la  chair.  Les  chas- 
tes mariés  usent  bien  de  ce  mal;  les  intempérants  en  usent 
mal;  les  continents  perpétuels  n'en  usent  point  du  tout  et 
ne  donnent  rien  à  l'amour  du  plaisir  des  sens.  ...  Hélas!  je 
ne  m'étonne  pas  si  un  saint  Bernard  (2)  craignait  la  santé 
parfaite  dans  ses  religieux  ;  il  savait  où  elle  nous  mène , 
si  on  ne  sait  châtier  son  corps  avec  l'Apôtre  et  le  réduire 

en    servitude     par    les    mortifications,    par   le   jeûne 

L'homme  a  été  plongé  dans  le  plaisir  des  sens  (3),  «  et  au 
lieu,  dit  saint  Augustin  il  que  par  son  immortalité  et  la 
parfaite  soumission  du  corps  à  l'esprit,  il  devait  être  spi- 
rituel, même  dans  la  chair,  il  est  devenu  charnel,  même 
dans  l'esprit  :  Qui  futur  us  erat  etiam  carne  spiritalis,  fac- 
tu^  est  mente  carnalis.  » 

S'agit-il  de  décrire  la  concupiscence  des  yeux?  Bossuet 
affirme  (5)  avec  saint  Augustin  (6)  «  que  toute  curiosité  se 

rapporte  à  la  concupiscence  des  yeux  Cette  vie  est  le 

temps  de  croire,  comme  la  vie  future  est  le  temps  de  voir. 
C'est  tout  savoir,  dit  un  Père,  que  de  ne  rien  savoir  da- 
vantage :  Nihil  ultra  scirc  omnia  se  ire  est.  » 

A  propos  de  l'orgueil  de  la  vie ,  voici  encore  des  passa- 
ges (7)  du  «  docteur  des  docteurs  »  :  «  Être  superbe,  dit  saint 

(I)  Confe.ss.,  liv.  X,  c.  xxxi. 

(-2)  Chap.  V. 

(:<)  Chap.  VII. 

(4)  De  Civitate  Dei,  lih.  XIV,  c.  xv,  ii.  I. 

(.'i;  Cliap.  VIII. 

(ti)  Confcss.,  lit).  X.  c.  XXXV. 

(7)  Cliap.  X,  XII,  XIV. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  AUTEUR  ASCETIQUE.  295 

Aiff///sf/n{i),  c'est,  en  laissant  le  bien  et  le  principe  commun 
auquel  nous  devrions  tous  être  attachés,  qui  n'est  autre 
chose  que  Dieu,  se  faire  soi-même  son  bien  et  son  principe, 
ou  son  auteur  » ,  c'est-à-dire  se  faire  son  Dieu  :  Rclictu 
communiy  cul  omnes  dehent  haererp ,  pi^incipio,  sibi  ipsifieri 
alque  esse  principium...  Les  contraires  se  connaissent  l'un 
par  l'autre  :  l'injustice  de  l'amour-propre  se  connaît  par  la 
justice  de  la  charité  ,  dont  l'amour-propre  est  l'éloiiînement 
et  la  privation.  Saint  Augustin  les  définit  toutes  deux  en 
cette  sorte  :  «  La  charité,  dit  ce  saint,  c'est  l'amour  de 
Dieu  jusqu'au  mépris  de  soi-même;  et,  au  contraire,  la 
cupidité  est  l'amour  de  soi-même  jusqu'au  mépris  de 
Dieu  »  (2)...  L'àme^  indocile  et  lière,...  trouve  un  certain 
plaisir  particulier  à  désobéir...  C'est  cette  funeste  disposi- 
tion que  saint  Paul  explique  par  ces  mots  :  «  Le  péché  m'a 
trompé  par  la  loi  et  par  elle  m'a  donné  la  mort  (3)  »  ;  c'est- 
à-dire,  comme  l'explique  saint  Augustin  (4),  le  péché  m'a 
trompé  par  une  fausse  douceur,  faha  dulcedine  ^  qu'il  m'a 
fait  trouver  à  transgresser  la  défense  ;  et  par  là  il  m'a 
donné  la  mort,  parce  que,  par  une  étrange  maladie  de  ma 
volonté,  je  me  suis  d'autant  plus  volontiers  porté  au  plaisir 
qu'il  me  devenait  plus  doux  par  la  défense  :  Quia  quanto 
minus  licet ,  tanto  magis  lihet.  Ainsi  la  loi  m'a  doublement 
donné  la  mort,  parce  qu'elle  a  mis  le  comble  au  péché  par 
la  transgression  expresse  du  commandement  et  qu'elle  a 
irrité  le  désir  par  le  trop  puissant  attrait  de  la  défense  : 
Incentivo prohihitionis,  et  cumula  praeraricationis.  » 

Pour  peindre  «  la  chute  de  l'homme ,  qui  consiste  princi- 
palement dans  son  orgueil  »  ,  Bossuet  cite  encore  et  com- 
mente admirablement  'À^vcvi  Augustin,  qui  «  a  dit  très  vérita- 
blement que  l'homme,  en  tombant  d'en  haut  et  en  déchéant 
de  Dieu,  tombe  premièrement  sur  lui-même  (5)  ».  C'est 
donc  là  que ,  perdant  sa  force ,  il  tombe  de  nécessité  encore 

(1)  De  Civil.  Dci,  lib.  X.  c.  xiii,  n.  1. 

(2)  De  Civil.  Dei.  lib.  XIV,  c.  xxviii. 

(3)  Rom.,  vu,  11. 

(4)  De  div.  quaest  ad  Simplic,  lib.  I,  n.  3. 
(.•i)  De  Civil.  Dei,  lib.  XIV.  c.  xiii. 


296  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

plus  bas;  et  de  lui-même,  où  il  ne  lui  est  pas  possible  de 
s'arrêter,  ses  désirs  se  dispersent  parmi  les  objets  sensibles 
et  inférieurs  dout  il  devient  le  captif. . .  Voilà  donc  la  chute  de 
riiomnie  tout  entière  :  semblable  à  une  eau  qui  d'une  haute 
montagne  coule  premièrement  sur  un  haut  rocher  où  elle 
se  disperse,  pour  ainsi  parler,  jusqu'à  l'infini,  et  se  préci- 
pite jusqu'au  plus  profond  des  abîmes,  l'àme  raisonnable 
tombe  de  Dieu  sur  elle-même  et  se  trouve  précipitée  à  ce 
qu'il  y  a  de  plus  bas  (1).  » 

Et  quand  Bossuet  a  comparé  (2)  «  la  faiblesse  orgueil- 
leuse d'un  homme  qui  aime  les  louanges  »  avec  celle  d'une 
femme,  «  amoureuse  de  sa  fragile  beauté  ,  qui  se  fait  à  elle- 
même  un  miroir  trompeur  » ,  quand  il  s'est  demandé 
«  qu'est-ce  que  la  gloire  d'un  César  ou  d'un  Alexandre,  de 
ces  deux  idoles  du  monde,.,  si  ce  n'est  un  amas  confus  de 
fausses  vertus  et  de  vices  éclatants  » ,  il  ajoute  :  <(  Et  toute- 
fois je  vois  un  saint  Augustin  (3) ,  un  si  grand  homme,  un 
homme  si  humble,  un  homme  si  persuadé  qu'on  ne  doit 
aimer  la  louange  que  comme  un  bien  de  celui  qui  loue, 
dont  le  bonheur  est  de  connaître  la  vérité  et  de  faire  justice 
à  la  vertu  :  je  vois ,  dis-je ,  un  si  saint  homme ,  qui  s'exami- 
nant  lui-même  sous  les  yeux  de  Dieu  se  tourmente,  pour 
ainsi  dire,  à  rechercher  s'il  n'aime  point  les  louanges 
pour  lui-même  plutôt  que  pour  ceux  qui  les  lui  donnent; 
s'il  ne  veut  point  être  aimé  des  hommes  pour  d'autre  motif 
que  celui  de  leur  profiter;  et  en  un  mot,  s'il  n'est  point 
plutôt  un  superbe  qu'un  vertueux;  tant  l'orgueil  est  un  mal 
caché,  tant  il  est  inhérent  à  nos  entrailles,  tant  l'appât  en 
est  subtil  et  imperceptible,  et  tant  il  est  vrai  que  les  hum- 
bles.ont  à  craindre  jusqu'à  la  mort  quelque  mélange  d'or- 
gueil, quelque  contagion  d'un  vice  qu'on  respire  avec  l'air 
du  monde  et  dont  on  porte  en  soi-même  la  racine.  » 

Sans  doute ,  Bossuet  ne  doit  qu'à  son  génie  l'admirable 
peinture ,  ou  plutôt  la  satire  amère  de  l'orgueil  «  d'un  bel 


(\)  Cliap.  XV.  —  Bossuet  prolonge  encore  celle  i)iasiiili(|ue  comparaison. 

(2)  Cliap.  xvri. 

(3)  ConfcHs.,  liv.  V,  G.  xxxvn. 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  AUTEUR  ASCÉTIQUE.  297 

esprit,  crun  philosophe  (1)  »,  d'un  Homère  ,  d'un  Virgile  (2), 
où  l'on  voit  «  le  vrai  et  le  faux  également  étalés  » ,  des  poètes 
et  des  beaux  esprits  chrétiens,  «  qui  prennent  le  même  es- 
prit »,  d'un  Boileau ,  qui  «  ne  se  met  point  en  peine  s'il  con- 
damne le  mariage  et  qui  sacrifie  la  pudeur  des  femmes  à 
son  humeur  satirique  (3)  » ,  d'un  Montaigne ,  qui  «  plaide 
contre  l'homme  la  cause  des  bêtes  et  attaque  en  forme 
jusqu'à  la  raison  (i),  sans  songer  qu'il  déprise  l'image  de 
Dieu,  dont  les  restes  sont  encore  si  vivement  empreints  dans 
notre  chute  et  sont  si  heureusement  renouvelés  par  notre 
régénération  ».  Mais  c'est  avec  saint  Augustin  qu'il  les  con- 
damne :  «  Autant  qu'ils  sembleront  s'approcher  de  Dieu 
par  l'intelligence,  autant  s'en  éloigneront-ils  parleur  or- 
gueil :  Quantum  propinquaverunt  intelligentia,  tantum 
suijfrbia  recessemint ,  dit  saint  Augustin...  Ainsi,  dit  saint 
Augustin.,  ces  conquérants ,  ces  héros,  ces  idoles  du  monde 
trompé,  en  un  mot,  ces  grands  hommes  de  toutes  les  sortes, 
tant  renommés  dans  le  genre  humain,  sont  élevés  au  plus 
haut  degré  de  réputation  où  Ton  puisse  parvenir  parmi  les 
hommes  ;  et  vains  ils  ont  reçu  une  récompense  aussi  vaine 
que  leurs  desseins  :  Pei'cepjerunt  mercedeni  suani,  vani 
ranam  (5).  » 

A  cet  orgueil  des  beaux  esprits  et  des  faux  grands  hommes 
Bossuet  oppose  (6)  «  les  véritables  chrétiens,  tels  qu'était 


(1)  Chap.  XVIII. 

(2)  C'est  contre  ce  poète,  qu'il  aimait  pourtant  et  dont  il  vantait  la  douceur,  au 
dire  de  Le  Dieu,  Mémoires ,  t.  I.  p.  1">,  (jue  Bossuet  se  montre  sévère  jusqu'à  l'in- 
justice. «  Il  trouve  à  propos  de  décrire  dans  son  Enéide  l'opinion  de  Platon  sur  la 
pensée  et  l'intelligence  qui  anime  le  monde  :  il  le  fera  en  vers  magnifiques.  S'il 
plaît  à  sa  verve  poétique  et  au  feu  qui  en  anime  les  mouvements  de  décrire  le 
concours  d'atomes  qui  assemble  fortuitement  les  premiers  principes  des  terres, 
des  mers,  des  airs  et  du  feu.  et  d'en  faire  sortir  l'univers,  sans  ((u'on  ait  besoin, 
pour  les  arranger,  du  secours  d'une  main  divine,  il  sera  aussi  bon  épicurien  dans 
une  de  ses  églogues  que  bon  platonicien  dans  son  poème  héroïque.  Il  a  contenté 
l'oreille;  il  a  étalé  le  l)eau  tour  de  son  esprit,  le  beau  son  de  ses  vers  et  la  viva- 
cité de  ses  expressions  :  c'est  assez  à  la  poésie;  il  ne  croit  pas  que  la  vérité  lui 
soit  nécessaire...  Étonné  lui-même  du  long  et  furieux  travail  de  son  Enéide,  dont 
le  but  après  tout  était  de  llalter  le  peuple  régnant  et  la  famille  régnante .  (il)  avoue 
dans  une  lettre  qu'il  s'est  engagé  dans  cet  ouvrage  par  une  espèce  de  manie,  j;;eMe 
vitio  mentis.  ■>  (Chap.  xix.) 

(3)  Il  s'agit  de  la  Satire  X ,  Les  femmes  (169:2). 

(4)  Voir  les  mêmes  idées  dans  le  Traité  de  la  connaissance  de  Dieu,  chap.  V,  §  l. 
(.■;)  In  Psnlm.  CXVIII,  Serm.  1-2,  n.  3. 

(G)  Chap.  XXII. 


298  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

un  saint  Cf/prien,  tant  loué  par  saint  Augustin  pour  cette 
sentence  qu'il  «  fallait  donner,  non  une  partie  du  salut, 
mais  le  tout  à  Dieu,  et  ne  nous  glorifier  jamais  de  rien, 
parce  que  rien  n'était  à  nous  (1)  ».  Telle  était  aussi  la 
pensée  de  saint  Fiilgencc  (2\  dans  sa  Lettre  à  Théodore  : 
a  C'est  à  l'homme  un  orgueil  détestable,  quand  il  fait  ce 
que  Dieu  condamne  dans  les  hommes;  mais  c'est  encore  un 
orgueil  plus  détestable ,  lorsque  les  hommes  s'attribuent  ce 
que  Dieu  leur  donne,  c'est-à-dire  la  vertu  et  la  grâce.  Car 
plus  ce  don  est  excellent ,  plus  est  grande  la  perversité  de 
l'ùter  à  Dieu ,  pour  se  le  donner  à  soi-même ,  et  plus  injuste 
est  l'ingratitude  de  méconnaître  l'auteur  d'un  si  grand 
bien  (3).  » 

Bossuet  emprunte  encore,  chapitre  xxix,  une  magnifique 
image  àl'évêque  d'Hippone  :  «  Saint  Augustin,  dit-il,  com- 
pare un  homme  qui  aime  le  monde,  qui  est  guidé  par  les 
sens,  à  un  arbre  qui,  s'élevant  au  milieu  des  airs,  est 
poussé  tantôt  d'un  côté ,  tantôt  d'un  autre ,  selon  que  le  vent 
qui  souffle  le  mène  :  «  Tels,  dit-il,  sont  les  hommes  sen- 
suels et  voluptueux  :  ils  semblent  se  jouer  avec  les  vents 
et  jouir  d'un  certain  air  de  liberté ,  en  promenant  deçà  et 
delà  leurs  vagues  désirs...  0  homme!,.,  tu  étais  fait  pour 
être  avec  Dieu  un  même  esprit  et  participer  par  ce  moyen 
à  son  immutabilité.  Si  tu  t'attaches  à  ce  qui  passe,  une  au- 
tre immutabilité,  une  autre  éternité  t'attend  :  au  lieu  d'une 
éternité  pleine  de  lumière,  une  éternité  ténébreuse  et  mal- 
heureuse te  sera  donnée  ;  et  l'homme  se  rendra  digne  d'un 
malheur  éternel  pour  avoir  fait  mourir  en  soi  un  bien  qui 
le  devait  être  :  Et  factiis  est  malo  dignus  aeterno ,  qui  hoc 
in  se pcremit  bonum,  quod  esse posset  aeternum  (4).  » 

Tel  est  cet  admira])le  Traité  de  la  concupiscence ,  où  Bos- 
suet donne  un  libre  essor  à  toutes  les  qualités  de  son  génie , 
formé  à  l'école  des  suints  Prres. 


(1)  Cypr.  Test,  adver.ius  Jwlaeos,  lih.  III.  c.  iv:  .S.  Anf/.  fonlva  diias Epis.  Pelag. 
lib.  IV.  c.  X. 
(-2)  Episl.  »i,  c.  vm,  II.  II. 
(:j)  Cliap.  XXIII. 
C»)  De  Civil.  Dei,  lib.  X\.  c.  xii. 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  AUTEUR  ASCETIQUE.        299 

ARTICLE  V 

Les  saints  Pères  et  les  Lettres  de  direction  de  Bossuet. 

On  lit  dans  le  chapitre ,  excellent  en  grande  partie ,  que 
M.  Lanson  a  consacré  à  Bosmef,  directeur  de  conscience  (1)  : 
«  L'archidiacre  de  Metz,  le  prédicateur  de  la  capitale,  le 
précepteur  du  Dauphin,  l'évêque  de  Mcaux  ,  occupé  des  in- 
térêts généraux  de  la  religion ,  dévoué  aux  besoins  communs 
des  fidèles,  n'avait  guère  le  temps  de  regarder  les  individus. 
Il  entreprend  quelquefois  de  convertir  les  hérétiques...  Mais 
quant  à  diriger  les  catholiques,  à  se  faire  le  témoin  assidu 
de  leur  conscience ,  le  guide  toujours  présent  de  leur  con- 
duite, je  ne  vois  pas  qu'il  s'en  soit  souvent  chargé  :  il  avait 
bien  autre  cliose  à  faire.  Dans  ses  dernières  années  seule- 
ment, à  Meaux,  il  consentit  à  répondre  à  quelques  religieu- 
ses qui  mettaient  leur  salut  entre  ses  mains ,  et  voulut  bien 
assurer  leurs  pas  dans  la  rude  voie  de  la  perfection  où  elles 
marchaient.  Quelque  soit  l'intérêt  des  lettres  qu'il  leur  écri- 
vit, ne  doit-on  pas  regretter  qu'il  nait  pas  eu  plutôt  à 
diriger  quelques-uns  de  ces  hommes  que  leur  goût  et  leur 
fortune  attachaient  au  monde?  Quel  spectacle  pour  lui  que 
l'àme  d'un  ministre  et  d'un  courtisan!  Quelles  découvertes 
n'y  eùt-il  pas  faites ,  dont  il  nous  eût  fait  profiter!  Mais  qu'il 
eût  été  intéressant  aussi  de  voir  Bossuet  engagé  à  leur  suite 
dans  toutes  les  affaires  du  siècle ,  mêlé  par  leur  moyen  à  la 
vie  du  monde ,  à  la  politique  ,  et  jugeant  l'activité  humaine 
dans  son  train  journalier  I  N'est-ce  pas  là  qu'on  aurait  pu 
juger  dans  quelle  mesure  son  christianisme  pouvait  s'ac- 
commoder à  l'esprit  de  la  société  civile,  aux  besoins  de  la 
civilisation  moderne  (2)?  » 

Il  y  a  là  plusieurs  inexactitudes. 

Quoique  Bossuet  «  eût  bien  autre  chose  à  faire  »,  il  trou- 
vait du  temps  pour  la  direction  des  âmes ,  qui  est  la  grande 


(I)  Chapitre  \.  p.  KiG-WM. 
(-2)  Bossuet.  p.  K>(>-i(i7. 


300  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

affaire  d'une  vie  sacerdotale  comme  la  sienne.  —  A  Metz 
(1G52-59),  il  était  supérieur  de  \?i.  Maison  de  la  Propaga- 
tion (le  la  foi ,  qui  servait  de  refuge  aux  jeunes  filles  protes- 
tantes et  juives,  converties  au  christianisme,  et  il  voulut 
rédiger  lui-même  en  1058  leur  règlement  (1),  en  même 
temps  qu'il  dirigeait  leurs  âmes  dans  les  voies  nouvelles 
où  elles  entraient  (2).  A  l'époque  de  la  mission  donnée  à 
Metz  en  1658  par  les  fils  de  saint  Vincent  de  Paul,  Bossuet 
prêcha,  fit  de  grands  catéchismes  et  confessa  beaucoup, 
puisque  le  neveu  du  cardinal  de  la  Rochefoucauld,  M.  l'abbé 
de  Chandenier,  demandait  à  saint  Vincent  de  Paul  d'écrire 
une  lettre  a  de  congratulation  à  M.  Bossuet,  du  secours  qu'il 
nous  a  donné  parles  prédications  et  instructions  qu'il  fait, 
auxquelles  Dieu  a  donné  aussi  beaucoup  de  bénédictions  ». 
Ces  c(  bénédictions  »  ne  sont  que  les  conversions  opérées 
par  le  prédicateur  et  qui  lui  valaient  la  joie  de  voir  «  toute 
la  ville  de  Metz  abattue  aux  pieds  des  confesseurs,  devant 
les  tribunaux  de  la  pénitence,  qui  étaient  érigés  de  toutes 
parts  »  (3).  N'est-ce  pas  aussi  à  cette  époque  de  la  jeunesse 
de  Bossuet  que  remontent  les  quatre  Lettres  de  pi r lé  et  de 
direction  à  une  demoiselle  de  Metz,  où  il  y  a  des  passages 
superbes  comme  celui-ci  à  propos  du  Christ  :  «  Il  est  beau 
dans  le  sein  du  Père  ;  il  est  beau  sortant  du  sein  de  sa  mère; 
il  est  beau  égal  à  Dieu;  il  est  beau  égal  aux  hommes;  il  est 
beau  dans  ses  miracles  ;  il  est  beau  dans  ses  souffrances  ;  il  est 
beau  méprisant  la  mort;  il  est  beau  promettant  la  vie;  il  est 
beau  descendant  aux  enfers  ;  il  est  beau  montant  aux  cieux  : 
partout  il  est  digne  d'admiration.  0  Jésus-Christ!  ô  Jésus- 
Christ!  ô  mon  amour!  »  —  A  l'époque  de  Paris  (11)59-1682), 
Bossuet  était  aussi  g-oùté  comme  directeur  que  comme  prédi- 
cateur. Il  faisait  des  Conférences  dans  le  monastère  des  Car- 


(I)  Rcf/lemenl  du  svminaire  des  Filles  de  la  Proprir/ntinn  de  la  Foi,  ('talilins  on 
la  ville  (le  Melz,  par  M.  Tahbé  Hossuct.  docteur  en  tliéolosie  et  supérieur  de;  la 
maison;  Paris,  Muguet,  l(>"-2,  in-18  de  7-2  p.  -  Il  a  élé  imprimé  dans  li!s  (Euvres  de 
Uossuet,  éd.  de  Versailles,  t.  XXV,  ()S-!i!i.  il  contient  les  détails  les  plus  précis  et 
les  plus  étonnants  sur  la  direction  inlelle(;tuelie  et  morale  des  religieuses  de  la 
maison  et  des  jeunes  (illes  qui  leur  étaient  confiées. 

(-2)  Klo(|uel,  Études  sur  la  oie  de  liossuel,  t.  I,  j).  ï!iH-'2!»"  vX  VM-Ui'é, 

Ci)  Uossuet,  Sermon  sur  la  satisfaction ,  Quasimodo,  Ki.'iS. 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  AUTEUR  ASCÉTIQUE.  301 

mcliles  du  faubourg  Saint-Jacquos,  où  il  y  avait  pour  l'écou- 
ter la  mère  Agnès  de  Bellefonds ,  sœur  du  maréchal  de  ce 
nom ,  la  mère  Marie  de  Gourgues,  la  mère  Christine  de  Foix 
d'Épernon ,  la  mère  Éléonore  de  Bouillon,  sa  sœur  Hippolyte 
de  La  Tour  d'Auvergne ,  Madeleine  de  Bussy,  Marguerite  de 
Crussol  d'Uzès,  M""  la  duchesse  de  Longueville,  la  prin- 
cesse de  Conti,  sa  belle -sœur  (1) ,  «  les  deux  mères  de  l'É- 
glise »,  comme  les  appelle  M°^"  de  Sévigné  (2),  la  duchesse 
de  Guise,  fille  de  Gaston  d'Orléans,  la  duchesse  de  Riche- 
lieu, la  duchesse  de  Montausier,  peut-être  aussi  M'"°  de 
Vertus  (Catherine  Françoise  de  Bretagne).  On  a  vu  que  ces 
Conférences,  d'après  le  Registre  ou  Journal  des  Carmé- 
lites, étaient  d'une  beauté  enchantée,  si  bien  que  la  du- 
chesse de  Longueville  et  la  princesse  de  Conti  demandèrent 
à  Bossuet  de  continuer  ces  entretiens  à  l'hôtel  de  Longue- 
ville,  où  il  eut  pour  auditeurs  Condé  et  Turenne.  Qui  ne  sait 
qu'il  ramena  à  la  foi  catholique  Turenne,  le  comte  de  Lorge, 
le  comte  de  Rozan,  M'"^  de  Duras?  La  sœur  Cornuau  trouvait 
que  Bossuet  était  «  bon  et  charitable  pasteur  de  l'Évangile, 
tempérant  l'amertume  des  remèdes  par  la  douceur  de  son 
langage,  par  ses  insinuantes  manières  (3)  »  :  tel  l'avaient 
connu  avant  elle  M™"  la  duchesse  d'Orléans  (i) ,  M™'  de  La 
Vallière  (5),  W^"  de  La  Vieuville,  M'"''  de  Montespan  (G),  le 

(I)  «  La  princesse  de  Conti,  dit  Gui  Patin,  lettre  du  8  septembre  KiGit,  est  la 
fleur  des  dames  de  la  cour,  en  sagesse,  en  piété,  en  probité;  c'est  une  autre  Ca- 
therine de  Sienne.  »  On  sait  qu'elle  était  nièce  de  Mazarin. 

(-2)  Lettre  de  M"""  de  Sévigné  à  sa  fdle,  13  mars  KHI. 

(3)  Deuxième  Avertissement  en  tête  des  Lettres  à  sœur  Cornuau. 

(4)  «  Monsieur  de  Condom!  Monsieur  de  Coiidom!  »  s'écriait-elle  sur  son  lit  de 
douleurs,  et  elle  tit  envoyer  trois  courriers  à  Paris  pour  ramener  Bossuet. 

(.'i)  On  peut  voir  dans  la  Correspondance  de  Bossuet  avec  le  maréchal  de  Belle- 
fonds  les  progrés  spirituels  de  cette  nouvelle  Madeleine,  devenue  bientôt  sœur 
Louise  de  la  Miséricorde  :  «  M.  de  Condom ,  écrivait-elle  elle-même  au  maréchal 
de  Bellefonds,  est  un  homme  admirable  par  son  esprit,  sa  bonté ,  son  amour  de 
Dieu.  »  Lettre  du  Ht  mai  l(«"i.  «  Mon  cœur  reniante  »,  écrivait  Bossuet  à  la  mère 
<le  Bellefonds.  I<;"."i. 

(G)  Voici  ce  qu'en  dit  Saint-Simon,  dans  ses  Mémoires,  liv.  IV  :  «  Témoin  de 
tous  les  combats  qui  avaient,  en  divers  temps,  séparé  le  roi  et  la  favorite,  (Bos- 
suet) était  entré  en  cela  en  évéque  des  premiers  temps;  il  parla  souvent  là-des- 
sus au  monarque  avec  une  liberté  digne  des  premiers  siècles  et  des  premiers 
évéïiues  de  l'Église  ».  Il  écrivait  à  Louis  XIV.  en  KiT.'i  :  «  Je  vois,  autant  que  je 
puis,  M"'«  de  Montespan .  comme  Votre  Majesté  me  l'a  commandé.  Je  la  trouve 
assez  tranquille  :  elle  s'occupe  beaucoup  aux  bonnes  (cuvres;  et  je  la  vois  fort 
touchée  des  vérités  que  je  lui  propose,  qui  sont  les  mêmes  que  je  dis  aussi  à 
Votre  Majesté.  Dieu  veuille  vous  les  mettre  à  tous  deu\  au  fond  du  cœuri  » 


302  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

duc  de  La  Rochefoucauld  (1),  le  maréchal  de  Bellefonds  (2), 
le  grand  Condé  et  Louis  XIV  lui-même  (3). 

Ce  n'est  donc  pas  «  dans  ses  dernières  années  seule- 
ment, à  Meaux,  que  Bossuet  consentit  à  diriger  les  catho- 
liques, à  se  faire  le  témoin  assidu  de  leur  conscience  ». 
Il  aimait  les  âmes  en  Dieu  et  pour  Dieu,  et  comme  le  dit 
M,  Lanson  lui-même  (i),  après  la  sœur  Cornuau,  «  il  fut 
une  fois  trois  heures  suite  à  faire  faire  une  confession  g'é- 
nérale  à  une  âme  pénible  à  entendre  et  encore  plus  à  s'ex- 
pliquer ». 

Il  n'y  a  pas  lieu  non  plus  de  «  regretter  que  Bossuet 
n'ait  pas  eu  à  diriger  quelques-uns  de  ces  hommes  que 
leur  goût  et  leur  fortune  attachait  au  monde,...  un  minis- 
tre, un  courtisan  ».  —  C'étaient  bien  des  courtisans  ou  des 
hommes  et  des  femmes  «  attachés  au  monde  »  que  Louis  XIV, 
M'"''  de  la  Vallière ,  M"'  de  Montespan ,  M"^*^  la  duchesse  d'Or- 
léans, le  grand  Condé,  la  duchesse  de  Longueville ,  Tu- 
renne,  le  comte  de  Lorge,  le  comte  de  Kozan,  31""  de 
Duras ,  le  maréchal  de  Bellefonds  et  le  duc  de  La  Rochefou- 
cauld ,  à  la  vie  desquels  Bossuet  a  été  si  intimement  et  si 
heureusement  mêlé. 

M.  Lanson  n'est  pas  mieux  inspiré,  quand  il  affirme  (5) 
qu'après  tout  «  nous  avons  moins  à  regretter  qu'on  ne  pour- 
rait croire...  ce  que  Bossuet,  directeur  de  conscience,  eût 
dit  aux  personnes  qui  se  seraient  abandonnées  à  sa  con- 
duite. Il  leur  eût  dit,  en  particulier,  ce  qu'il  disait  à  tous  les 
fidèles  du  haut  de  la  chaire  :  il  eût  offert  à  chacun  le  ser- 


(1)  «  Il  reiidil  l'àmo  entre  les  mains  de  M.  de  Coiidom  »,  écrivait  M""^  de  Sévigné 
à  sa  lille,  le  n  mars  l(i80. 

(2)  Bernard  Gigault,  marquis  de  nelleConds.  l'ut  un  des  meilleurs  généraux  de 
son  siècle.  Uovêtu  de  toutes  les  dignités  (|iii  ijcuvent  illustrer  un  grand  j)crson- 
nage,  il  était  encore  plus  remarquahle  par  sa  religion  et  sa  haute  pieté  que  par 
les  charges  et  les  emplois  qu'il  remplit.  Malgré  son  mérite,  il  fut  disgracié  deux 
fois,  la  première  pour  avoir  refusé,  avec  le  maréchal  d'Humiércs,  d'obéir  à  Tu- 
renne  ;  la  seconde  pour  avoir  attaque  l'ennemi  sans  l'ordre  du  maréchal  de  Cré- 
qui  ,  son  supérieur. 

Il  y  a  des  lettres  assez  nombreuses  de  Bossuet  à  ce  maréchal.  Elles  sont  d'une 
élévation  remaniuahle. 

(3)  Voir  les  deux  admirables  Lettres  qu'il  lui  écrivit,  en  1075,  el  ï'Inst7'UCtion 
qui  suit. 

(i)  Bossuet,  p.  I.'i. 
(■i)  l'ages  W'-Kifi. 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  AUTEUR  ASCÉTIQUE.  303 

mon  qui  lui  convenait.  Son  génie ,  en  effet ,  se  portait  à  T uni- 
versel... Il  ne  voyait  pas  ou  l^ienil  écartait  les  formes  singu- 
lières ,  irréductibles ,  indéfinissables. . .  On  ne  trouve  pas  une 
phrase  (dans  les  deux  Lettres  à  Louis  XIV) ,  pas  un  mot  qui 
découvre  quelque  particularité  de  la  personne  royale,  qui 
réponde  à  une  certaine  constitution  de  la  sensibilité  ou  de 
l'imagination  de  Louis  XIV.  »  —  Comment  donc  M.  Lanson 
a-t-il  lu  ces  Lettres  et  que  dit-il  de  passages  absolument 
personnels  comme  ceux-ci,  qui  «  sont  seulement  pour  ce  roi- 
là  et  non  pour  un  autre  »  :  «  Jamais  votre  cœur  ne  sera  pai- 
siblement à  Dieu,  tant  que  cet  amour  violent ,  qui  vous  a  si 
longtemps  séparé  de  lui,  y  régnera...  On  ne  parle  que  de 
la  beauté  de  vos  troupes  et  de  ce  qu'elles  sont  capables 
d'exécuter  sous  un  aussi  grand  conducteur  :  et  moi,  Sire, 
pendant  ce  temps,  je  songe  secrètement  en  moi-même  à 
une  guerre  bien  plus  importante  et  à  une  victoire  bien  plus 
difficile  que  Dieu  vous  propose  'l)...  Vous  êtes  né.  Sire, 
avec  un  amour  extrême  pour  la  justice,  avec  une  bonté  et 
une  douceur  qui  ne  peuvent  être  assez  estimées. . .  La  guerre , 
qui  oblige  Votre  Majesté  à  de  si  grandes  dépenses ,  l'oblige 
en  même  temps  à  ne  laisser  pas  accabler  le  peuple ,  par  qui 
seul  elle  les  peut  soutenir.  Ainsi  leur  soulagement  est  aussi 
nécessaire  pour  votre  service  que  pour  leur  repos...  Ce 
n'est  point  flatter  Votre  Majesté  que  de  lui  dire  qu'elle  est 
née  avec  de  plus  grandes  qualités  que  lui  (Henri  IV).  Oui, 
Sire ,  vous  êtes  né  pour  attirer  de  loin  et  de  près  l'amour  et 
le  respect  de  tous  vos  peuples.  Vous  devez  vous  proposer  ce 
digne  objet  de  n'être  redouté  que  des  ennemis  de  l'État  et 
de  ceux  qui  font  le  mal  (2).  » 

Bossue t  entre  «  dans  la  nature  intime  »  de  Louis  XIV  et 
u  nous  y  introduit  (3)  ».  M.  l'abbé  Bellon  dans  sa  thèse, 
Bossuet  directeur  de  conscience,  Paris,  1896,  vient  de  mon- 
trer avec  quel  art  le  grand  évècjue  a  su  comprendre  a  la 
nature  intime  »  de  M"""  de  La  Vallière  pour  en  faire  sœur 

(1)  Première  Lt-llrc  à  Louis  XIV. 

(-2)  Laire  (lu  10  juillet  itn;;. 

(3)  Ce  sout  les  termes  de  M.  Lanson.  p.  470.  retournes  contre  lui. 


304  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

Louise  de  la  iMiséricorde ,  radmiral)le  pénitente  du  Gar- 
mel,  lG7i-1710. 

Quoi  qu'il  en  soit,  les  Lettres  de  direclion  de  Bossuet  com- 
prennent :  1"  les  deux  Lettres  à  Louis  XIV  et  V Instruction 
sur  la  dévotion  du  roi  (1);  2°  les  quatre  Lettres  à  une  de- 
moiselle de  Metz;  3°  les  164  Lettres  à  sœur  Corniiau  (2), 
dite  en  religion  de  Saint-Bénigne ,  avec  une  Lettre  au  car- 
dinal de  Noailles  et  deux  Avertissements  sur  les  Lettres  de 
Bossuet  et  sur  un  grand  nomjjre  de  faits  fort  intéressants , 
relatifs  à  la  manière  dont  il  conduisait  les  âmes  (3)  ;  4°  les 
284  Lettres  à  M"^  d'AlJDert  de  Luynes ,  religieuse  de  l'abbaye 
de  Jouarre  (4)  ;  5°  les  123  Lettres  à  l'abbesse  et  aux  reli- 
gieuses de  l'abbaye  de  Jouarre ,  M™''  de  Lorraine  de  Soubise , 
i\r^  de  la  Croix,  M*^"  de  Luynes,  M"''  de  Lusancy,  M"""  du 
Mons  (5),  iVP^  de  Baradat,  M'"''  de  la  Guillaumie;  Q"  les  101 
Lettres  à  des  religieuses  de  différents  monastères,  de  Cou- 
lommiers,  de  Faremoutiers  (6),  de  la  Ferté  (7),  de  Meaux 
(Ursulines  et  Visitandines),  de  Paris  (Carmélites  du  Fau- 
bourg Saint-Jacques);  7°  les  24  Lettres  à  M"""  de  La  Maison- 
for.  —  On  peut  y  joindre  les  Lettres  de  Bossuet  à  la  mère 
de  Bellefonds,  carmélite,  ses  Lettres  au  maréchal  de  Belle- 
fonds,  la  plupart  de  ses  Lettres  à  l'abbé  de  Bancé,  ses 
Lettres  à  milord  Perth,  chancelier  d'Ecosse,  converti  à  la  foi 
catholique. 

«  En  lisant  ces  lettres,  peut-on  dire  après  la  sœur  Cor- 

(1)  Le  Dieu  raronte  qu'au  mois  d'aoûl  l'Ol.  liossuct  dit  devant  les  ahl)és  Fleury  et 
Cattclan  :  «  Je  donnais  autrefois  au  roi  une  instruition  par  écrit,  où  le  précepte  de 
l'amour  de  Dieu  était  expliqué  comme  étant  le  fondement  de  la  vie  chrétienne.  I,e 
roi  rayant  lue.  me  dit:  •  Je  n'ai  point  oui  parler  de  cela:  on  ne  m'en  a  rien  dit.  » 

(2)  C'était  une  do  ces  veuves  chrétiennes  aussi  saintes  (\uc  les  vi(;ri;es,  f|ui  s'a- 
cheminait péniblement  vers  la  perfection.  lîossuet  la  dirigea  i)endaiit  vingt-quatre 
ans.  Elle  (it  ses  vœu\  à  Torcy  (KJîiS),  la  communauté  de  Jouarre  ayant  refusé  de 
l'admettre  à  y  faire  profession.  —  Le  cardinal  de  Noailles  lui  demanda  une  copie 
des  Lrtlrrs  que  Bossuet  lui  avait  adressées. 

(Il)  Il  y  a  aussi  quelques  E.vlrailx  de  diffi-rentes  Lellres. 

('()  Elle  était  sonir  du  duc  de  Chevreuse  et  de  M'""  de  l.uyncs.  (|ui  devint,  en  IfiiW. 
prieure  de  Torcy  et  y  emmena  M'""  d'Albert.  Celle-ci .  (|ui  lisait  et  écrivait  le  latiu. 
avait  un  esprit  capable  de  tout  comprendre  :  elle  lut  vraiment  la  confidente  de 
Bossuet. 

(.".)  C'était  une  intelligence  médiocre,  mais  une  des  i)lus  l)elles  âmes  (|u'on  pùl 
voir,  infiniment  bonne  et  toujours  joyeuse. 

(lij  L'abbesse  était  M™"  de  Beringhcm. 

(")  M"'"  de  Tantiueux  était  supérieure  des  Filles  charitables  de  la  Ferlé.  Sœur 
André  appartenait  à  cette  communauté. 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  AUTEUR  ASCÉTIQUE.  305 

nuau  (1),  on  doit  tourner  toute  son  attention  vers  celui  qui 
les  a  écrites  et  dire  que  ceux  qui  lui  ont  reproché  qu'il  ne 
connaissait  pas  les  voies  spirituelles  ne  le  connaissaient 
guère...  Peut-être  même  que  ceux  de  ses  amis  qui  croient 
connaître  sa  vertu ,  son  amour  pour  Dieu ,  son  humilité , 
sa  sublimité  dans  la  vie  intérieure ,  enfin  tous  ses  grands  et 
rares  talents,  avoueraient,  s'ils  voyaient  ses  lettres  et  ses 
autres  écrits,  qu'il  s'en  fallait  bien  qu'ils  le  connussent  tel 
qu'il  paraît  si  naturellement  dans  des  lettres  qu'il  n'a  eu 
nul  dessein  de  rendre  publiques,  qu'il  n'a  écrites  que  selon 
les  besoins  de  cette  âme  et  par  le  mouvement  de  l'Esprit- 
Saint.  » 

Sœur  Cornuau  répondait  ainsi  à  l'avance  à  M.  Lanson , 
qui  affirme  que  Bossuet  s'en  tenait  aux  <(  règles  générales  «  , 
aux  «  genres  »,  aux  «  espèces  »,  sans  descendre  aux  parti- 
cularités individuelles,  qui  sont  le  tout  de  la  direction. 

«  On  trouverait  peu  de  directeurs,  écrivait  encore  cette 
sainte  religieuse,  avec  des  sentiments  si  humbles,  avec  sa 
douce  fermeté,  son  zèle,  sa  vigilance,  son  attention,  sa  cha- 
rité, et  qui  pnti^e  dans  tout  ce  qui  lient  contribuer  à  l'ius- 
tnictiou ,  au  repos  et  à  la  consolation  d'une  Ame ,  comme 
Ton  verra  que  ce  prélat  est  entré  particulièrement  d(u\s  les 
états  de  peines.  Cette  àme,  qui  en  avait  beaucoup,  lui  disait 
quelquefois,  dans  un  vif  sentiment  de  reconnaissance,  qu'elle 
s'étonnait  qu'il  donnât  tant  d'attention  aux  siennes.  Il  lui 
répondait  que,...  soit  qu'elles  fussentvraies  ou  imaginaires, 
il  fallait  y  soutenir  cette  âme,  la  consoler  et  la  fortifier; 
qu'il  n'était  pas  de  son  goût  que  l'on  méprisât  les  peines  et 
que  l'on  en  raillât. 

«  S'il  était  permis  à  cette  personne  de  rapporter  tout  ce 
qu'elle  a  entendu  de  ce  prélat  sur  tout  ce  qviil  y  a  de  plus 
intime  et  de  plus  intérieur  dans  la  rie  spirituelle  et  dans 
l'amour  de  Dieu,  qu'il  lui  a  laissé  voir,  sans  le  vouloir,  dans 
les  entretiens  qu'elle  a  eu  l'honneur  d'avoir  avec  lui,  quand 
elle  lui  parlait  de  ses  dispositions ,  on  verrait  des  choses  ad- 
mirables. » 

(1)  Premier  Avertissement  sur  les  Lettres  à  la  sœur  Cornuau. 

BOSSUET  ET  LES  SAINTS   PÈRES.  ^0 


306  BOSSIET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

On  on  voit  beaucoup  dans  lesLfffr/'s  spiritueUps  deBossuet. 

Elles  sont  empruntées  pour  la  plupart  à  l'Écriture  sainte, 
dont  Févèque  de  Meaux  ordonne  sans  cesse  la  méditation  à 
ses  correspondantes:  «  Employez  quinze  jours  durant,  dit- 
il  (11,  un  des  quarts  d'heure  de  votre  oraison  sur  ces  paroles 
de  David  :  Dcus  ))ieus,  mispricordia  mpa...  Cette  quinzaine 
achevée,  pareille  pratique  sur  ces  paroles  du  Cantique  de 
la  sainte  Vierge  :  Rpspp.rit  Jiumilitatpm  ancillae  suae  (2).  » 

Mais  si  Bossuet  cite  beaucoup  moins  Ips  Pères  dans  ses 
Lptires  que  dans  ses  Sermons,  il  ne  perd  jamais  de  vue  leur 
doctrine,  qui  lui  sert  de  guide  en  matière  de  spiritualité,  où 
il  s'en  tient  à  «  ce  que  saint  Frpinçois  de  Sales ,  sainte  Thé- 
rèse et  tous  les  spirituels  enseignent  expressément  et  unani- 
mement (3)  ». 

Ainsi,  il  avoue  sa  défiance  à  l'égard  des  mystiques  mo- 
dernes, qui  introduisent  «  des  spiritualités  inconnues  aux 
Pères  et  inconnues  aux  Apôtres  (4)  ».  «  Je  ne  vois  point 
dans  l'Écriture  ni  dans  les  anciens  Pères  ces  sortes  de  priè- 
res; quand  le  P.  Toquet  les  conseille,  un  si  saint  homme  a 
ses  raisons...  Ceux  qui  ramassent  avec  tant  de  soin  les  sen- 
tences rigoureuses  des  Pères  seraient  étonnés  en  voyant  cel- 
les où  ils  disent  que  la  multiplicité  des  péchés  (ce  qui  s'en- 
tend des  véniels) ,  loin  d'être  un  obstacle  à  la  communion , 
est  une  raison  pour  s'en  approcher  (5).  »  «  Je  ne  comprends 
plus  rien  aux  directeurs;  et  à  force  de  raffiner  sur  les  goûts, 
sur  les  sensibilités,  sur  les  larmes,  on  met  les  âmes  telle- 
ment à  l'étroit  qu'elles  n'osent  recevoir  aucun  don  de  Dieu. 
Celui  des  larmes  est  à  chaque  page  dans  saint  Augustin  (6).  » 

Ainsi  encore  ,  Bossuet  cite  souvent  dans  ses  Lpttrps  dp  di- 
rpclion  des  paroles  des  sain/s  Pèrps.  —  Ici ,  des  mots  de  saint 
Antoùip  :  «  Prier  beaucoup  sans  songer  qu'on  prie  (")... 


(I)  Lettre  à  sœur  Coinuau.  ilu  -2  juin  HiS". 

(-2)  On  pourrait  multiplier  les  exemples  à  l'infini  :  les  Lettres  ahondenl  où  Bos- 
suet donne  à  méditer  des  textes  sacrés. 
(3)  Lettre  à  M'"»  de  la  Maisonfort.  du  -21  mars  lO'JU. 
('»)  Lettre  il  M"""  d'AlItert.  du  I"  dccemlire  l(>9:{. 
(.■>)  Consultations  failrs  pur  M'"''  du  Mans  arec  réponses  de  Bossuet. 
(li)  Lettre  à  M""'  d'Alhert.  du  I.'t  octobre  IGiW. 
(")  Lettre  à  sœur  Cornuau,  du  19  septembre  KiSii. 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  AUTEUR  ASCÉTIQUE.  :i07 

L'Oraison  n'est  point  parfaite  ,  où  le  moine  se  connaît  lui- 
même  ou  sa  prière  :  Non  est jtcrfecta  orat'io  in  qua  se mona- 
chus,  v(d  hoc  fjjsu/n  qi/ofl  orat,  intcU'uj'it.  Cela  dit  beau- 
coup (1).  »  «  Trois  raisons  font,  comme  dit  saint  Antoine, 
qu'on  ne  connaît  pas  ce  qu'on  fait  dans  la  prière  :  l'une  est 
le  transport;  l'autre,  la  simplicité;  la  troisième,  la  direc- 
tion des  mouvements  du  cœur  toujours  en  action,  sans  beau- 
coup réfléchir  sur  soi.  »  Là,  des  sentences  de  saint  ^^^- 
yustin  :  «  Dieu  a  promis  de  pardonner  à  quiconque  fera 
pénitence  ;  mais  il  n'a  pas  promis  d'en  donner  le  temps  à 
tout  le  monde  (2).  »  —  «  Saint  Augustin  a  dit  que  c'est  de 
Dieu  dont  il  faut  jouir;  mais  enfin  il  ajoute  aussi  que  c'est 
par  ses  dons  qu'on  l'aime,  qu'on  s'y  unit,  qu'on  jouit  de 
lui  (3).  »  — r  «  Tout  est  amour;  tout  aime  Dieu  à  sa  manière, 
même  les  choses  insensibles;  elles  font  sa  volonté ,  et  parce 
qu'elles  ne  peuvent  pas  connaître  ni  aimer,  il  semble 
qu'elles  s'efforcent,  dit  saint  Augustin,  à  le  faire  connaître, 
afin  de  nous  provoquer  à  aimer  leur  auteur;  c'est  ainsi  que 
tout  est  amour  (4)  ».  —  «  Personne  n'a  rien  du  sien  que 
le  mensong-e  et  le  péché  (5).  Qu'est-ce  que  posséder  une 
chose,  dit  saint  xVug'ustin,  sinon  l'avoir  à  soi,  comme  un 
bien  auquel  les  autres  n'ont  point  de  part?  et  si  cela  est,  on 
n'est  point  pauvre  (6).  »  —  «  Ce  mot  de  saint  Aug-ustin 
décide  de  tout  :  «  Qu'est-ce,  dit-il,  que  la  béatitude?  une 
joie  qui  naît  de  la  jouissance  de  la  vérité  :  Gaudium  de  ve- 
ritate  (7).  »  —  «  Le  Père  qui  dit  :  Totiis  Deus,  c'est  saint 
Augustin  sur  YÈpitre  aux  Galettes,  et  il  l'applique  à  Jésus- 
Christ  ressuscité  (8).  »  —  «  Le  fruit  de  la  foi,  c'est  l'intel- 
ligence, comme  dit  saint  Augustin  (9).  »  —  «  (Le  Verbe)  se 

(1)  Bossuet  dit  (ral)ord  «  qu'il  pense  et  repense  aux  paroles  de  saint  Antoine  : 
les  voici  de  mot  à  mot,  telles  qu'elles  sont  rapportées  par  Cassien  dans  sa  neuvième 
Conférence,  cliap.  xxxi  ».  Lettre  à  M'"«  d'Albert,  1«' janvier  1094. 

('2)  Lettre  à  sceur  Cornuau,  du  \28  septembre  1089. 

(3)  Lettre  à  la  même,  du  17  janvier  100'2. 

(4)  Lettre  à  la  même,  du  i  août  1()9-2. 

(.">)  Lettre  à  la  même,  du  7  novembre  1095. 
({>}  Lettre  à  la  même,  1()98. 

(7)  Lettre  à  M"""  d'Albert,  du  2.S  septembre  109-2. 

(8)  Lettre  à  la  même,  du  li  décembre  1093.  —  Voir  encore  celle  du  -23  décembre 
1093. 

(9)  Lettre  à  la  même,  du  2(i  octobre  109i. 


308  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

donne  ;  mais  c'est  qu'il  veut  se  donner  encore  davantage  : 
Sf'ij)s(u}i  dabi/ ,  (jiiia  se  ipsum  dédit .  disait  saint  Augustin.  » 
Saint  Augustin  a  dit  que  «  c'est  de  Dieu  et  non  pas  de  ses 
dons,  dont  il  faut  jouir  (1).  »  —  «  La  règle  de  saint  Au- 
gustin, sur  le  désir  qu'on  soit  content  de  nous,  est  bonne 
et  très  suflisante  (2).  »  —  «  Que  les  chrétiens  dans  ces 
occasions  (les  deuils)  répandent  des  larmes ,  que  les  conso- 
lations de  la  foi  répriment  aussitôt  :  Fundant  ergo  Chris- 
tian} consolabiles  lacri/mas.  quas  cito  reprimat  fidei  gau- 
diuni  (3).  » 

Ailleurs,  c'est  saint  Bernard,  sainte  Théri'se,  saint  Fran- 
çois de  Sales,  dont  Bossuet  invoque  l'autorité.  —  «  La  parole 
de  saint  Bernard  est  fort  belle  et  j'en  profiterai,  s'il  plait  à 
Dieu  (V).  »  —  »  Nous  avons,  dit  saint  Bernard,  des  mé- 
rites pour  mériter  de  Dieu,  et  non  pour  nous  applaudir 
nous-mêmes  (5).  »  —  «  Qui  est-ce  qui  ne  dirait  pas  avec 
saint  Augustin  et  saint  Bernard  :  0  mon  âme  !  qui  as  la 
gloire  de  porter  l'image  de  Dieu  ;  ù  mon  àme  !  qui  as  reçu 
ce  très  grand  honneur  d'être  un  esprit  de  son  esprit,  d'être 
sortie  comme  de  sa  poitrine,  d'être  un  soupir  de  son  cœur 
amoureux  et  tout  plein  de  bonté  pour  toi!  Aime  donc  ce  Dieu 
de  bonté  qui  t'a  tant  aimée;  aime  uniquement,  aime  ar- 
demment et  te  consume  dans  les  flammes  de  son  divin 
amour.  Amen ,  ainsi-soit-il  (6)  !  »  —  «  Ce  que  dit  sainte 
Thérèse  est  très  véritable,  que  (l'Époux)  doit  suivre  un 
changement  dans  la  vie,...  sans  que  l'àme  songe  seulement 
à  se  changer  elle-même  (7).  »  —  «  Vous  trouverez  de  la 
consolation  dans  la  lecture  de  sainte  Thérèse,  au  livre  du 
Château  dr  tànœ.  sixième  demeure,  chap.  m  et  vi  (8).  » 
—  ((  La  doctrine  de  sainte  Thérèse  convient  très  bien  avec 


(11  Lettre  à  la  même,  du  l-i  «cIoIjic  !(«!•;>. 
(-2)  Lettre  à  la  même,  du  2  janvier  l(i!Mi. 
(.{)  Lettre  à  M"'"  de  l.uyncs.  du  n  oclobic  Kifiii. 
(i)  Lettre  à  M'""  d'Albeil.  du  i;t  mars  Ki'Ji. 
("i)  Lettre  à  la  même,  du  12  dclohrc  K»!»."». 

((i)  Questions  faites  à  liossuet  par  les  religieuses  de  la  Visitation  avec  les  ré- 
ponses. —  Sur  l'excellence  de  l'âme. 
(")  Lettre  à  sœur  Cornuau,  du  .'to  mai  KifMi. 
(K)  Lettre  à  la  mémo,  du  7  janvier  liiîW. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  AUTEUR  ASCETIQUE.  309 

cette  disposition  (1).  »  —  «■  Saint  François  de  Sales  dit  : 
Active,  passive  ou  patiente,  tout  est  égal,  pourvu  que  la  vo- 
lonté de  Dieu  soit  suivie  (*2).  »  —  «  Saint  François  de  Sales 
dit  que  Tamour-propre  ne  meurt  jamais  qu'avec  nous,  c'est- 
à-dire  avec  nos  corps;  il  faut  toujours  que  nous  sentions 
ses  attaques  sensibles  et  ses  pratiques  secrètes  (3) .  »  —  «  Oui, 
j'entre  de  tout  mon  cœur  dans  les  sentiments  de  ce  digne 
évêquc  (saint  François  de  Sales).  Il  faudrait  écouter  jusqu'à 
des  inutilités  pour  disposer  ceux  qui  les  disent  à  recevoir  la 
consolation  qu'on  leur  doit  (i).  »  —  «  Cet  endroit  de  saint 
François  de  Sales  (où  il  dit  que  Dieu  met  souvent  dans  Fo- 
raison  simple  des  âmes  parfaites)  est,  en  effet,  consolant 
pour  les  âmes  attirées  à  une  oraison  fort  simple  effort  pure... 
La  réponse  du  saint  (à  IVP"  de  Chantai ,  que  la  contrition  est 
fort  bonne  sèche  et  aride)  est  admirable,  et  montre  qu'il  sup- 
posait dans  sa  fille  un  vrai  acte  de  contrition,  quoique 
sec  (5).  » 

Bossuet  parle  encore  de  saint  Hilafio/i,  disant  au  jour  de 
sa  mort  :  «  Pars,  mon  âme,  pars;  eh!  que  crains-tu?  Tu  as 
servi  Jésus-Christ  (6)  »  ;  —  de  sainte  Catherine  de  Gênes ^  à 
qui  «  il  a  été  donné  de  faire  une  espèce  de  séparation  entre 
les  dons  de  Dieu  et  Dieu  même ,  pour  faire  entendre  avec  plus 
de  précision  que  le  don  intérieur  à  l'âme  n'étant  pas  Dieu, 
il  n'est  pas  permis  de  s'y  attacher  comme  à  sa  fin  (7)  »  ;  — 
de  saint  Martin  de  Tours,  «  ce  saint  évêque  qui  disait,  à  la 
mort,  au  démon  qu'il  voyait  s'approcher  de  lui  :  «  Que  fais- 
tu  ici,  bête  cruelle?  Il  n'y  a  rien  qui  t'y  donne  droit  (8)  »; 
—  de  sainte  Gerfrude,  dont  il  signale  à  M"''  d'Albert  «  un 
passage  fort  beau  et  fort  â  propos  pour  elle  (9)  »  ;  —  de 


(1)  Lettre  à  M™«  d'Albert,  du  !27  septembre  1C93. 

(-2)  Lettre  à  M™"  d'Alljert,  du  I(i  août  l(i94.  —  Voir  également  la  Lettre  du  30  dé- 
cembre l(i93. 

(3)  Questions  faites  à  Bossuet....  avec  les  réponses. 

(4)  Lettre  à  M""'  de  la  Maisonfort,  du  :21  mars  169(i. 

(o)  Même  Lettre.  —  Il  faut  la  lire  tout  entière  pour  voir  combien  saint  François 
de  Sales  est  cher  à  Bossuet. 
(())  Lettre  à  sœur  Cornuau,  du  \2  décembre  1700. 

(7)  Lettre  à  la  même,  du  30  mai  I<i0(i. 

(8)  Lettre  à  la  même,  de  Kiîts. 

(9)  Lettre  du  30  décembre  169'*. 


3(0  BOSSUET  ET  LES  SALNTS  PERES. 

sainte  Catherine  de  Sienne  (1),  du  Veve  Saint-Jure  (2),  du 
bienheureux  Jt-an  de  la  Croix,  etc. 

Il  recommande  à  ses  correspondantes  de  lire  «  les  Vies 
des  Pères  du  désert,  livre  également  saint  et  délicieux  (3)  »  ; 
«  la  Vie  de  la  Mère  Marie  de  l'Incarnation .  où  tout  est  ad- 
mirable (4)  »  ;  la  Vie  de  Saint  François  de  Sales,  son  Traite' 
de  l'amour  de  Dieu,  la  Vie  de  il/"*  de  Chantai  par  M.  de 
Maupas;  la  Vie  de  Sainte  Thérèse,  la  Vie  du  bienheureux 
Grégoire  Lopez  (5),  etc.,  en  un  mot  tout  ce  que  comporte 
la  plus  haute  mysticité. 

On  comprend  donc  que  le  cardinal  de  Noailles  écrivît  à 
la  sœur  Cornuau  mille  choses  flatteuses  pour  «  la  gloire  de 
son  saint  Père  »  sur  la  beauté,  sur  la  haute  et  intime  spiri- 
tualité de  ses  lettres,  sur  toutes  les  saintes  maximes  dont 
elles  sont  remplies ,  sur  la  sainte  et  pure  doctrine  quelles 
renferment  (6)  ».  On  comprend  aussi  que  cette  excellente 
religieuse,  «  peinée  de  ce  que  le  monde  ne  connaissait,  pour 
ainsi  dire,  de  ce  saint  prélat  que  ses  grandes  qualités,  qui 
attiraient  à  la  vérité  l'admiration,  mais  qui  ôtaient  comme 
l'attention  à  ce  haut  degré  de  spiritualité  où  il  était  par- 
venu et  qu'il  ne  laissait  remarquer  qu'aux  âmes  qu'il  con- 
duisait, fût  ravie  que  (Son  Éminence  le  cardinal  de  Noail- 
les) rendit  à  ce  grand  homme  toute  la  justice  qui  lui  est 
due,  en  lui  donnant  le  titre  de  grand  niait re  de  la  vie  inté- 
rieure, qui  est  seul  capable  de  le  faire  connaître  ». 


(1)  Premit-re  LeUre  à  M'""  de  la  Maisonfort. 
(i)  Même  LeUrc. 

(3)  Lettre  i\  sœur  Cornuau.  du  II  mai  l(>9o. 

(4)  Lettre  À  la  même,  du  l"  juin  Ki!».'». 
(.">)  Lettre  à  M'"''  de  la  Maisonfort. 

(6)  Lettre  de  sœur  Cornuau  au  cardinal  de  Noailles. 


CHAPITRE  VI 

LES    SAINTS    PÈRES  ET    BOSSUET  HISTORIEN,    PHILOSOPHE 
ET    POLITIQUE 

C'est  aux  dix  années  (5  septembre  1670-8  mars  1G80  (1), 
que  Bossuet  consacra  à  l'éducation  de  son  royal  élève ,  le 
Dauphin ,  que  nous  devons  la  plupart  des  œuvres  histori- 
ques, philosophiques  et  politiques  de  Bossuet. 

«  Nous  rendons  à  la  bonté  de  Dieu  les  erâces  qu'elle 
mérite,  écrivait  à  l'évêque  de  Condom  le  pape  Innocent  XI , 
le  19  avril  1679,  pour  le  bonheur  qu'a  eu  un  jeune  homme 
d'une  si  grande  espérance  de  rencontrer  un  tel  éducateur 
et  précepteur  (2).  )> 

La  postérité  doit  autant  de  reconnaissance  que  le  Dauphin 
au  grand  évéque  qui  sut  si  bien  tenir  le  serment  qu'il  avait 
prêté  à  Saint-Germain  en  Laye ,  dans  la  splendide  chapelle 
de  la  résidence  royale,  où,  le  23  septembre  1670.  «  les 
mains  entre  les  mains  de  Louis  XIV  »,  il  jurait  de  «  s'em- 
ployer, de  tout  son  pouvoir,  à  élever  en  l'amour  et  en  la 
crainte  de  Dieu  ce  fils  que  le  monarque  daignait  lui  confier, 
à  régler  ses  mœurs  selon  les  maximes  chrétiennes ,  à  former 
son  esprit  par  la  connaissance  des  lettres  et  des  sciences  pro- 
pres à  un  très  grand  prince  (3)  ».  Cette  éducation  royale, 
«  à  laquelle  toute  la  chrétienté  avait  intérêt  (i)  » ,  ne  fut 

(1)  C'est  la  date  du  mariage  du  Dauphin,  dont  Bossuet  cessa,  ce  jour-là,  dï-tre  le 
précepteur  pour  devenir  le  premier  aumônier  de  la  Dauphine. 

(-2)  «  Nos  intérim  Dei  hcnignilali  débitas  liabemus  f/ratias,  quod  tantae  spei  ado- 
lescenti  par  educator  institulorque  contigeril.  >■ 

(3)  Floquet,  Études  sur  la  vie  de  Bossuet.  t.  TU.  p.  187,  .'>l."i. 

(4)  Lettre  du  marquis  de  Pomponne,  ministre  de  Louis  XIY,  au  duc  d'Estroes, 
ambassadeur  à  Rome,  19  mars  1(>"3. 


312  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

pas,  comme  on  l'a  dit  trop  souvent  sur  la  foi  du  duc  de 
Saint-Simon,  de  M"""  de  Sévig-né  et  de  M"""  de  Gaylus  (1), 
la  tentative  infructueuse  et  avortée  d'un  vaste  ,^énie,  «  qui, 
toujours,  semblait  parler  au  nom  du  ciel,  dont  il  emprun- 
tait la  magnificence,  l'éclat  et  la  foudre  »,  sans  descendre 
de  ces  hauteurs  et  s'abaisser  jusqu'à  la  faiblesse  d'un  enfant 
maladif,  irréfléchi  et  incapable.  —  Bossuet  se  félicitait  en 
pleine  Académie  française,  dans  son  Discours  de  réception, 
8  juin  1671 ,  «  d'avoir  à  cultiver  l'esprit  le  plus  vif  et  le  plus 
beau  naturel  du  monde  ».  —  «  Monseigneur  a  beaucoup 
d'esprit,  écrivait  au  roi.  le  duc  de  Montausier  (2)...  Il  raille 
agréablement.  Quand  il  veut,  il  entend,  il  comprend,  il 
retient  avec  une  merveilleuse  facilité.  »  —  Pellisson,  Mosant 
de  Brieux,  le  poète  Jean  Maury,  le  docte  Doujat,  RoUin, 
Gerbais,  Le  Gouz  de  Saint-Seine,  d'Ormesson  ,  rendaient 
hommage  à  <(  l'esprit  »  du  Dauphin.  —  La  campagne 
de  1688  et  la  prise  de  Phihsbourg  mirent  en  lumière  les 
qualités  d'un  prince  «  affriandé  à  la  tranchée  »,  comme 
disait  Vauban ,  et  salué  par  les  soldats  du  nom  de  Louis  le 
Hardi.  —  La  Bruyère  pouvait  exalter  «  le  jeune  prince , 
l'amour,  l'espérance  des  peuples,  donné  du  ciel  pour  pro- 
longer le  bonheur  de  la  terre  (3)  » ,  et  Racine  remercier 
Dieu,  dans  le  Prolof/ue  d'Esther  r26  janvier  1689),  des 
grâces  accordées  à  Louis  XIV  : 

Tu  lui  donnes  un  fils,  prompt  à  le  seconder, 
Qui  sait  combattre,  plaire,  obéir,  commander: 
Un  fils,  qui,  comme  lui,  suivi  de  la  victoire. 
Semble  à  gagner  son  cœur  borner  toute  sa  gloire; 
Un  fils  à  tous  ses  vœux  avec  amour  soumis, 
L'éternel  désespoir  de  tous  ses  ennemis  : 
Pareil  à  ces  esprits  que  ta  justice  envoie, 
Quand  son  roi  lui  dit  :  Pars,  il  s'élance  avec  joie, 
Du  tonnerre  vengeur  s'en  va  tout  embraser 
Et  tranquille  à  ses  pieds  revient  le  déposer. 


(1)  Voir  Y  Avant-Propos  de  Kloquel  i\  son  livre  liossuel,  précepteur  du  Dauphin. 

(-1)  Mémoire  adressé  à  Louis  \IV.  l(>7t.  UîV  du  duc  de  Montausier  par  le  P.  le 
Petit.  l"-2!t. 

(.'«)  l-es  Caractères ,  cliap.  xii,  l)fs  Jur/cinents.  1(Ki  :  passage  paru  pour  la  première 
lois  dans  i:i  (|ii;itriénie  éditiou,  l'éviior  l<i«!). 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  HISTORIEN.  313 

La  campagne  de  1(594,  celles  de  1709  et  de  1710  lui  va- 
lurent les  éloges  de  Saint-Simon  lui-même;  sa  mort  pré- 
maturée en  1711  fit  éclater  «  tout  le  monde  en  pleurs  et 
en  gémissements  » ,  tant  on  l'aimait  pour  «  sa  bonté  in- 
finie »,  disait  la  marquise  d'Uxelles  (1). 

Quoi  qu'il  en  soit,  d'ailleurs,  des  résultats  de  cette  éduca- 
tion à  la  fois  paternelle  et  élevée  (2) ,  elle  donna  à  Bossuet 
bien  de  la  peine,  mêlée  de  quelques  espérances,  puisqu'il 
écrivait  en  1677  au  maréchal  de  Bellefonds  :  «  il  y  a  bien 
à  souffrir  avec  un  esprit  si  inappliqué  ;  on  n'a  nulle  con- 
solation sensible,  et  on  marche,  comme  dit  saint  Paul, 
en  espérance  contre  l'espérance...  Il  se  commence  d'assez 
bonnes  choses.  »  —  Une  chose  reste  acquise  pour  nous, 
c'est  le  fruit  du  travail  fécond  de  ce  merveilleux  génie. 

Sans  parler  des  Sentences  pour  il/^''  le  Dauphin  choisies 
par  M^''  Févêque  de  Condom  (1672j,  ni  des  Observations 
sur  la  Grammaire  latine  (3),  ni  des  Maximes  de  César,  ni  de 
la  Fable  latine  contre  les  bavards,  In  locutuleios,  ni  de 
Y  Instruction  à  M^"  le  Dauphin  pour  sa  première  commu- 
nion, ni  des  dissertations  De  Incogitantia ,  De  Existentia 
Dei  serenissimo  Delphino ,  il  faut  signaler  :  —  les  œuvres 
historiques  de  Bossuet,  le  Discours  sur  f  Histoire  universelle 
(1681),  la  Suite  de  r Histoire  Universelle  depuis  Fan  800 
jusqu'à  la  naissance  du  Dauphin  (4) ,  Y  Abrégé  de  l'Histoire 
de  France  (5),  auxquels  il  faut  joindre  Y  Histoire  des   Va- 


(1)  Journal  de  Dangeau,  t.  XIII,  p.  381  en  note. 

(2)  M.  Lanson  (BossMe^  p.  KiO-iGI)  défend  bien  1*1.  de  Condom  contre  ses  détrac- 
teurs; mais  il  semble  trop  sévèi'e  pour  le  Dauphin  «  indolent  et  têtu,  enclin  à 
la  colère,  à  une  fureur  brutale...  Oublier,  c'était  sa  revanche  de  mauvais  élève 
contre  le  maître  qui  lui  avait  inculqué  de  force  ([uelque  science.  Apprendre  avait 
été  son  supplice;  désapprendre  fut  sa  vengeance  ». 

(3)  Verba  contrariae  significaUoais. 

(4)  Elle  a  été  publiée  en  180<i  par  Renouard  (2  vol.  in-8°).  Bossuet  n'y  a  pas  mis 
la  dernière  main;  c'est  le  canevas  de  ce  qu'il  aurait  voulu  faire;  ce  sont  des 
notes,  des  indications  clironologitiues.  Il  n'y  a  hi  qu'une  toile  préparée,  sur  la- 
quelle son  pinceau  ferme,  large  et  vigoureux,  aurait  appliqué  ses  couleurs. 

(.■>)  On  l'a  publié  en  1747  sous  le  nom  du  fils  de  Louis  XIV.  Bossuet  parle  de  cet 
Abrégé  écrit  par  le  prince  à  la  fin  du  Discours  sur  l'Histoire  universeUe.  Le  Dau- 
phin l'a  écrit  de  mémoire  en  français  et  en  latin  sous  la  dictée  de  Bossuet,  qui 
•  disait  à  propos  de  Fénelon  :  «  On  m'objecte  les  thèmes  ijue  je  donnais  à  M^''  le 
Dauphin  ».  —  Il  a  paru  en  17:2-2  avec  «  des  corrections  de  style  et  des  correc- 
tions anatomitiues  ».  L'abbé  Caron,  de  Saint-Sulpice,  en  a  donné  en  184(j  une 
édition  conforme  au  manuscrit  original. 


314  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

riafions  (1088);  —  les  œuvres  philosophiques,  Vlntrodiic- 
fion  à  la  philosophie ,  ou  De  la  connaissance  de  Dieu  et  de 
soi-même  (1),  la  Logiqtie  (2),  le  Traitr  du  libre  arbitre  (3~), 
le  petit  Traité  des  causes^  découvert  par  Floquet  et  imprimé 
par  M.  Nourrisson  (4),  \ Abrégé  de  la  morale  cV Aristote  à 
Nicomaqiie  et  les  Extraits  des  anciens  philosopjhes  (5);  — 
enfin  les  œuvres  politiques,  la  Politique  tirée  des  jjropres 
paroles  de  l'Ecriture  sainte,  dont  les  six  premiers  livres 
avaient  été  donnés  en  manuscrit  au  Dauphin  dès  1678, 
dont  les  quatre  derniers  furent  écrits  de  1700  à  1703, 
mais  ne  purent  paraître  avec  les  premiers  qu'en  septem- 
bre 1709  (fi). 

ARTICLE  I" 

Les  saints  Pères 
et  le  Discours  sur  l'Histoire  universelle,  mars  1681  (12). 

«  Il  n'y  a  rien  de  plus  beau  que  ce  Discours  » ,  écrivait 
dom  Mabillon,  le  31  mars  1681,  et  l'oratorien  Houtteville 
déclarait  en  1740  (7)  que  «  le  dix-septième  siècle  (et,  en 
matière  d'éloquence ,  c'est  dire  tous  les  siècles)  le  dix-sep- 
tième siècle  n'a  rien  produit  de  plus  noble,  de  plus  vif,  de 
plus  énergique  que  le  Discours  sur  PHistoire  universelle  • 
rien  où  le  caractère  d'une  raison  supérieure  soit  imprimé 
plus  avant;  rien  d'une  plus  grande  continuité  de  sublime... 


(I)  Floquet  l'a  l'ditée  en  IS28. 

rî)  Il  a  ét('  publié  en  1731  par  l'évêque  de  Troyes  :  son  authenticité  est  con- 
testée. 

(H)  Ce  Trait/-  l'ut  cuniniuniqué  des  le  printemps  de  l"03  aux  Pères  du  petit  Con- 
cile. La  maladie  et  la  mort  ne  permirent  pas  à  Bossuet  d'ajouter,  comme  il  en 
avait  le  dessein,  une  Conclusion  générale. 

(i)  Les  Exlrails  de  la  morale  d' Aristote.  que  M.  Lâchât  rapporte  aussi  à  l'épo- 
que du  prei-e[)lorat.  sont  d'une  écriture  certainement  plus  ancienne,  comme  on 
peut  le  voir  par  le  manuscrit  du  i,'rand  séminaire  do  :\leau\,  Carton  (>,  n"  li  his. 

(.'>)  Cotte  pulilicalion  souffrit  des  dillicultés,  qui  furent  enfin  levées  par  le  ne- 
veu de  Bossuet. 

(<■)  C'est  la  date  <le  la  i)rcniiére  édition.  Il  y  en  eut  une  seconde  en  1682,  une 
troisième  en  l"00  avec  dos  additions,  pour  confondre  les  faux  critiques.  En  1704, 
iîossuet  se  lit  relire  la  ilouxicnio  parlio  cl  la   compléta.   Ces  suprêmes  additions 
n'ont  été  puhliéos  qu'en  I«I8  jiar  labbo  Caron. 
{')  La  lieliijion  c/inHicnne  jjrouvée  par  les  faits. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  HISTORIEN.  315 

On  dirait  que  c'est  la  Religion  qui  s'explique  ici  elle- 
même.  » 

Voltaire  (1),  il  est  vrai,  a  raillé  Bossuet  d'avoir  tout  fait 
graviter  autour  de  ce  misérable  peuple  juif,  rebut  du  monde 
et  s'en  croyant  le  centre;  et  Sainte-Beuve  (2)  ne  comprend 
pas  cette  idée  «  de  se  cantonner  dans  la  terre  de  Chanaan 
et  de  prendre  pour  belvédère  la  terrasse  et  la  plate-forme 
étroite  d'un  petit  peuple  ».  —  Mais  Renan  lui-même  dit 
dans  son  Histoire  du  peuple  tVhraël  qu'il  n'y  a  au  monde 
que  trois  histoires  d'un  grand  intérêt  :  celle  des  Grecs, 
celle  des  Romains  et  celle  des  Juifs.  «  Ce  peuple,  deux  mille 
cinq  cents  ans  avant  Bossuet,  a  écrit  l'Histoire  universelle.  » 

On  a  encore  reproché  à  Bossuet  d'avoir  oublié  Mahomet 
et  l'Amérique.  —  Mais  deux  fois  il  renvoie  à  plus  tard  ce 
qu'il  doit  en  dire  :  la  Suite  de  fHistoù'e  universelle  en 
aurait  longuement  parlé. 

On  a  aussi  blâmé  Bossuet  de  n'avoir  parlé  ni  de  l'Iade  ni 
de  la  Chine.  —  Mais  ne  faut-il  pas  tenir  compte  de  ce  qui 
manquait  aux  historiens  de  l'époque  de  Bossuet?  «  L'O- 
rient, dit  M.  Lanson,  était  encore  inconnu  et  impénétrable; 
ni  les  hiéroglyphes  ni  les  inscriptions  cunéiformes  n'a- 
vaient dit  leur  secret  ;  à  peine  un  voyageur  avait-il  entrevu 
Thèbes  et  Memphis;  on  ignorait  où  gisaient  les  ruines  de 
Babylone  et  de  Ninive  (3).  »  a  D'ailleurs,  dit  à  son  tour 
M.  Brunetière  [ï) ,  le  premier  caractère  d'une  histoire  uni- 
verselle, c'est  de  ne  l'être  pas.  S'il  n'y  avait  pas  de  lacunes 
dans  Bossuet,  ce  serait  à  désespérer  de  l'érudition  et  de 
l'histoire.  » 

En  tout  cas,  Bossuet  s'est  fait  dans  son  œuvre  l'apologiste 
de  la  Providence  contre  les  libertins  (5)  et  contre  Spinosa, 
qui  ne  croyait  pas  à  la  vocation  des  Juifs  (6).  Il  a  jeté  au- 

(I)  Avant-propos  de  l'Essai  sut-  les  mœurs;  —  Siècle  de  Louis  XIV.  XXXII;  — 
Dictionnaire  philosophique,  art.  Gloire;  —  Entretien  avec  un  Chinois;  —  Défense 
de  mon  oncle,  —  de  Thébes,  de  Bossuet  et  de  Rollin. 

(-2)  Nouveaux  Lundis,  t.  IX,  p.  280  et  suiv.  à  propos  de  l'ouvrage  de  M.  Zeller, 
Entretiens  sur  l'histoire.  —  Voir  aussi  Paul  Albert,  la  Prose,  p.  141  et  suiv. 

(3)  Bossuet .  p.  -293. 

(4)  La  Philosophie  de  Bossuet,  Revue  des  Deux  Mondes,  i"^  août  1891. 
(•'»)  C'est  l'abbé  Le  Dieu  qui  nous  l'affirme. 

(<i)  Voir  le  Tractatus-theologico-politicuset  l'Ethica  more (jeometrico  de monst rata. 


316  BOSSUEÏ  ET  LES  SAINTS  PERES. 

tant  d'idées  que  de  mots  :  il  a  parlé  en  «  conseiller  d'État 
du  Très-Haut  ». 

Il  racontait  à  Fabbé  Le  Dieu  que,  (c  dès  sa  jeunesse  et  dès 
le  moment  où  il  commença  à  étudier  la  religion  dans  l'Écri- 
ture et  dans  les  Prres,  il  avait  conçu  l'idée  de  ce  grand  tra- 
vail ». 

Comment  se  fait-il  donc  qu'un  esprit  péuétrant  comme 
Saint-Beuve  (1)  ait  cru  trouver  le  germe  de  la  seconde  par- 
tie du  Discours  sf(/'  l Histoire  universelle  et  même  le  cadre 
de  tout  l'ouvrage  dans  cette  phrase  des  Pensées  de  Pascal  : 
((  Qu'il  est  beau  de  voir  par  les  yeux  de  la  foi  Darius  et 
Cyrus,  Alexandre,  les  Romains,  Pompée  et  Hérode  agir, 
sans  le  savoir,  pour  la  gloire  de  l'Évangile!  »  et  dans  un 
entretien  de  Bossuet  avec  Du  Guet,  où  celui-ci  développa 
ses  idées  sur  la  future  conversion  des  Juifs  au  christia- 
nisme, d'après  le  chapitre  xi  de  VEpitre  aux  Romains? 
«  Bossuet,  usant  des  ouvertures  de  Du  Guet,  et  y  entrant  à 
son  tour  avec  génie,  avec  discrétion,  les  mit  en  œuvre  au 
cœur  même  de  son  Discours  sur  l' Histoire  universelle.  »  — 
Quand  on  s'appelle  Bossuet,  on  n'a  aucun  besoin  d'emprun- 
ter des  idées  ni  à  un  obscur  janséniste  comme  Du  Guet,  ni 
même  à  l'immortel  auteur  des  Pensées.  «  A  qui  fera-t-on 
croire  que  Bossuet  ait  attendu  la  publication  des  Pensées 
et  l'année  1G70  pour  se  mettre  en  possession  de  ses  idées 
sur  la  suite  de  la  religion?...  Mais  alors  comment  eùt-il  prê- 
ché en  1G08  le  Panégi/rique  de  saint  André  [1) .,  en  1665  le 
Sermon  sur  la  Divinité  de  Jésus-Christ  (3),  et  surtout,  dès 
165i,  le  second  Sermon  pour  la  vêture  cVune  nauvelle  ca- 
tholique, et  dès  1652  (4)  le  Sermon  sur  la  bonté  et  la  rigueur 
de  Dieu  (5)?  »  M.  Lanson  aurait  pu  ajouter  le  Sermon  sur 
le  caractère  des  deux  alliances,  prêché  en  1653  et  où  se 
trouve  ce  passage  :  «  Lisez  les  Écritures  divines  :  vous  verrez 

(I)  Port-Royal,  t.  HI,  p.  4i7-«. 

(•2)  Il  a  pour  sujet  la  Vocation  à  la  foi  en  Jrsus-Clirisl. 

(.'*)  Ce  Sermon,  où  les  caraclércs  de  l'Évangile  sonl  si  profondément  compris  et 
si  éloquemmciU  e\pos('s  annonce  et  prépare  le  beau  chapitre  sur  «  .lésus-Cnrist  et 
sa  doctrine  :  cliap.  xxx  de  la  deuxième  partie  du  Discours  sur  l'Histoire  universelle. 

(V)  M.  I.anson  se  trompe  en  assignant  à  ce  Sermon  la  date  de  1051. 

(.•;)  I.anson,  Bossuet,  p.  -«(l-ao-i. 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  HISTORIEN.  317 

partout  le  Sauveur  Jésus...  Il  est  dans  le  Paradis  terrestre, 
il  est  dans  le  déluge ,  il  est  sur  la  montagne ,  il  est  au  pas- 
sage de  la  mer  Rouge,  il  est  dans  le  désert;  il  est  dans  la 
terre  promise,  dans  les  cérémonies,  dans  les  sacrifices,  dans 
l'arche,  dans  le  tabernacle;  il  est  partout,  mais  il  n'y  est 
qu'en  figure.  I^a  Loi  est  un  Évangile  caché  ;  l'Evangile  est 
la  Loi  expliquée.  »  Le  passage  de  l'Ancien  Testament  au 
Nouveau  est  dépeint  comme  le  changement  «  de  la  figure 
en  vérité,  de  la  lettre  en  esprit ,  de  la  terreur  en  amour.  » 
D'ailleurs,  «  quatre  chapitres  importants  de  la  seconde  par- 
tie (du  Discours  sur  r Histoire  universelle)  ont  été  faits  avec 
les  mêmes  textes  que  le  Sermon  de  1652,  dont  ils  repro- 
duisent parfois  jusqu'aux  expressions;  tellement,  au  sortir 
de  Navarre,  Bossuet  était  armé  de  toute  sa  théologie  (1  )  ». 
Que  Pascal  et  Du  Guet  lui  aient  été  utiles ,  c'est  possible  ; 
mais  il  ne  faut  pas  leur  faire  honneur  d'une  inspiration  que 
Bossuet  ne  doit  qu'à  lui-même  et  à  son  génie. 

Il  ne  faut  pas  non  plus  tomber  dans  l'exagération  du 
P.  de  la  Broise,  qui  dit  «  qu'en  réalité  le  dessein  et  l'exécu- 
tion du  Discours  sur  l'Histoire  unirerselle  sont  facilement 
explicables,  même  sans  saint  Augustin  ni  Pascal.  C'est  une 
inspiration  purement  biblique,  voilà  le  point  sur  lequel 
il  convient  d'insister  ici;  c'est  une  œuvre  dont  V influence 
biblique  suffit  à  rendre  pleinement  raison  «.  —  Non,  puis- 
que Bossuet  lui-même  disait  à  l'abbé  Le  Dieu  qu'il  avait 
conçu  l'idée  de  ce  grand  travail  en  étudiant  «  la  religion 
dans  l'Ecriture  et  clans  les  Pères  ». 

Le  prêtre  espagnol  Orose  (2)  avait  composé,  sur  la  de- 
mande de  saint  Augustin,  un  Abrégé  de  V  Histoire  du 
monde,  ^\\  7  livres  qui  embrassent  le  temps  écoulé  depuis 
Adam  jusqu'à  l'année  410  après  Jésus-Christ;  ils  ont  pour 
objet  de  répondre  aux  païens,  qui  faisaient  de  la  prise  de 
Rome  par  Alaric  le  châtiment  de  l'abandon  des  dieux  et  de 
la  croyance  de  l'Empire  au  Christ  et  à  l'Évangile  (3.) 

(1)  Même  ouvrage,  p.  :29'2. 

(2)  El  non  pas  Paul  Orose,  qui  \ient  de  ce  qu'on  a  traduit  l'abréviation  P.,  Pres- 
byter,  par  Paul. 

(3)  "  Pracceptis  tuis  parui ,  dit  Orose  dans  la  Préface,  beatissime  pater  Augus- 


318  BOSSLET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

Salvien,  prêtre  gaulois  de  Marseille,  écrivit  peu  de  temps 
après  (première  moitié  du  cinquième  siècle)  le  Dr  Gubcr- 
nationc  Dci  ou  Do  Providoitia  en  trois  livres,  qui  justifient 
les  voies  de  la  Providence,  en  montrant  que  les  calamités  du 
temps  sont  un  juste  châtiment  infligé  par  Dieu  à  la  grande 
ville  païenne,  depuis  longtemps  la  maîtresse  du  monde  (1). 

A  côté  d'eux  et  au-dessus  d'eux,  il  faut  nommer  «  l'in- 
comparable Augustin  »,  l'auteur  de  la  Cité  de  Dieu,  dont 
les  2i  livres  contiennent  sur  la  Providence,  sur  la  destinée 
des  peuples,  sur  le  mélange  des  justes  et  des  méchants, 
sur  l'organisation  du  monde  en  faveur  des  élus,  des  vues 
qui  ont  dû  aider  Bossuet  à  mûrir  et  à  préciser  ses  propres 
idées  ;^-2). 

Villemain  avait  donc  raison  de  dire  que  Bossuet  a  «  en- 
trevu dans  saint  Augustin  et  dans  Paul  Orose  le  plan,  la 
suite,  la  vaste  ordonnance  de  son  Histoire  nniverselle  et 
que,  maître  d'une  idée  indiquée  par  un  siècle  barbare,  il  la 
déploie  à  tous  les  yeux  avec  la  majesté  d'une  éloquence 
pure  et  sublime  ».  «  La  Citô de  Dieu,  dit-il  encore  (3),  était 
le  premier  essai  du  Discours  sur  V Histoire  universelle.  Mais 
ce  qui  semblait  un  amas  de  ruines  inégales,  ou  de  marbres 
encore  informes,  est  devenu  le  monument  d'un  art  su- 
blime. »   Frédéric  Ozanam,  dans  la  Civilisation  au  cin- 

tine;...  praeceperas  milii  ut  scriberein  adversus  vaniloquam  pravitalem  eorum 
qui...  pagani  vocantur,..  qui...  praesentia  tantum  tempora  veluti  nialis  extra  soli- 
tum  infestissima  ob  hoc  solum  quod  credilur  Christus  et  colitur  deus,  idola  au- 
teni  minus  coluntur,  infamant.  » 

(1)  Ta/jlrau  (le  l'rlor/urnce  chrétienne  au  quatrième  siècle,  p.  .'jOi. 

{■■2)  Voir  Tcuffel,  Histoire  de  la  littérature  romaine,  t.  IH,  p.  -2(il.  Il  tnnive  (|ue 
Salvien  t  tombe  souvent  dans  la  déclamation  et  la  prolixité    ». 

(3)  Comme  les  humiliations  imposées  à  la  ville  éternelle  avaient  décliainé  les 
colères  des  païens  et  (|uc  ceux  même  qui  avaient  trouvé  leur  salut  au  tombeau 
de  saint  Pierre  et  de  saint  Paul  reprochaient  au  christianisme  la  ruine  de  Rome 
et  demandaient  aux  chrétiens  oii  donc  était  leur  Dieu  et  pourquoi  il  ne  les  avait 
pas  protégés,  pourquoi  il  avait  laissé  conlbndrc  les  bous  avec  les  méchants  dans 
la  même  ruine,  et  abandonne  leurs  vierges  mêmes  au  déshonneur  entre  les 
mains  des  Barbares,  saint  Augustin  répond  en  montrant  aux  païens,  dans  les 
malheurs  de  Rome,  les  conséquences  accoutumées  de  la  guerre,  mais  en  leur 
taisant  voir  aussi  riulervcntion  du  christianisme  dans  cette  puissance  i|ui  avait 
iloriipté  les  Barbares  au  jour  même  de  leur  victoire.  Si  les  mêmes  malheurs  ont 
atteint  les  justes  et  les  pécheurs,  •■  c'est,  dit-il,  comme  la  boue  et  le  baume 
qu'une  même  main  agite,  et  dont  l'une  exhale  une  odeur  fétide,  l'autre  un 
parfum  excellent  -.Augustin  console  aussi  les  vierges  déshonorées.  —  .\prés  celte 
introduction,  il  prouve  que  les  dieux  de  Rome  ne  lui  ont  épargné  ni  les  crimes 
ni  les  niallirurs:  que  cette  ville  n'a  jamais  connu  la  républiijuc  véritable,  et  que 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  HISTORIEN.  319 

quièmc  siècle,  t.  II,  p.  231,  donne  aussi  comme  «  précur- 
seurs de  Bossuet  »  saint  Aiig'ustin,  Orose,  Salvien  et  leurs 
traducteurs  au  moyen  âge. 

La  preuve  la  meilleure  de  la  vérité  de  ces  affirmations , 
c'est  le  grand  nombre  de  citations  d'Orose,  de  Salvien  et 
surtout  de  saint  Augustin  que  Ton  compte  dans  le  Discours 
sur  r Histoire  universelle ,  sinon  dans  la  Premiè?'e partie ,  les 
Époques,  où  Josèphe,  Bérose ,  Polybe ,  Plutarque,  César, 
Platon ,  Aristote ,  Tertullien  ,  Origène ,  saint  Jérôme ,  Eu- 
sèbe,  sont  plus  souvent  invoqués  en  témoignage  par  Bos- 
suet, du  moins  dans  la  Seconde  partie,  la  Suite  de  la  Reli- 
gion,  où  la  Cité  de  Dieu  fournit  à  notre  grand  évèque 
jusqu'à  trois  citations  dans  la  même  page  (1),  sans  parler 
du  Traité  de  la  Trinité  et  des  Lettres  à  Volusien  auxquelles 
il  renvoie.  N'est-ce  pas  à  la  Cité  de  Dieu  qu'est  emprunté 
ce  fameux  passage  du  chapitre  xx  (2)  :  «  Que  pouvait  avoir 
vu  le  monde  pour  se  rendre  si  promptement  à  Jésus-Christ? 
S'il  a  vu  des  miracles.  Dieu  s'est  mêlé  visiblement  dans  cet 
ouvrage,  et  s'il  se  pouvait  faire  qu'il  n'en  eût  pas  vu,  ne 
serait-ce  pas  un  nouveau  miracle,  plus  grand  et  plus  in- 
croyable que  ceux  qu'on  ne  veut  pas  croire,  d'avoir  con- 
verti le  monde  sans  miracle ,  d'avoir  fait  entrer  tant  d'igno- 
rants dans  des  mystères  si  hauts ,  d'avoir  inspiré  à  tant  de 
savants  une  humble  soumission,  et  d'avoir  persuadé  tant 
de  choses  incroyables  à  des  incrédules  (3)?  Mais  le  miracle 
des  miracles,  si  je  puis  parler  de  la  sorte,  c'est  qu'avec  la 

la  grandeur  des  destinées  du  peuple  romain  s'explique,  sans  doute,  par  ses  ver- 
tus, mais  surtout  par  la  Providence,  qui  a  voulu  fonder  en  Occident  un  grand 
empire,  afin  que  toutes  les  nations  soumises  à  une  même  loi  fmissent  par  ne 
former  qu'une  seule  cité.  —  Les  dieux  du  paganisme,  qui  n'ont  rien  pu  pour  la 
vie  présente,  ne  peuvent  rien  non  plus  pour  l'éternité  :  Augustin  le  prouve  en 
suivant  Varron  dans  ses  trois  théologies,  poétique,  civile  et  physique,  et  en  con- 
fondant toute  tentative  pour  sauver  les  dieux  par  l'allégorie.  —  Il  oppose  ensuite 
à  l'impuissance  du  paganisme  la  fécondité  de  la  doctrine  de  l'Évangile  «  avec  les 
deux  cités  bâties  par  deux  amours  :  la  cité  de  la  terre,  par  l'amour  de  sol  jus- 
qu'au mépris  de  Dieu ,  et  la  cité  du  ciel  par  l'amour  de  Dieu  jusqu'au  mépris  de 
soi.  »  Ces  deux  cités  vivent  confondues  ici-bas  jusqu'au  jugement  de  Dieu  qui  les 
séparera  dans  l'éternité. 

(1)  Voir  page  «!."i,  édit.  de  Bar-le-Duc.  chap.  xix,  J('sus-Ch)ist  et  sa  doctrine.  — 
Voir  encore  les  chap.  xxii,  xxvi,  où  la  Cité  de  Dieu  intervient  souvent. 

(•2)  La  Descente  du  Saint-Esprit  ;  rétablissement  de  l'Eglise:  les  Jvj/emcnts  de 
Dieu  sur  les  Juifs  et  sur  les  Gentils. 

(3)  De  Civil.  Dei .  lib.  XXI,  c.  vu. 


320  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

foi  des  mystères,  les  vertus  les  plus  éminentes  et  les  prati- 
ques les  plus  pénibles  se  sont  répandues  par  toute  la  terre.  » 

Il  serait  trop  long  d'énumérer  ici  tous  les  passages  ins- 
pirés par  les  Pères  dans  la  Suite  (Je  la  Religion  ,  où  parais- 
sent tour  à  tour  saint  Justin  et  saint  Irénée ,  Clément  (VA- 
lexandrie  et  Origène,  Tertullien  et  saint  Cyprien,  Arnobe  et 
Lactance,  saint  Jérôme  et  saint  Ambi^oise ,  saint  Chnjsos- 
tome  et  saint  Grégoire  de  Nazianze,  saint  Athanase  et  saint 
Basile,  saint  Hilaire  et  saint  Grégoire  le  Grand. 

Bossuet  les  a  tous  mis  à  contribution,  avec  une  érudition 
qui  n'a  d'égale  que  sa  connaissance  profonde  de  tous  les 
historiens  profanes  depuis  Josèphe ,  Bérose  et  Hérodote , 
jusqu'à  Ammien  Marcellin  ,  Zozime  et  Procope. 

«  Mêlant  ainsi,  dit  Villemain  (1),  (surtout  dans  la  troi- 
sième partie,  les  Empires]  les  lacunes  hardies  d'une  civili- 
sation irrégulière  et  la  pompe  d'une  société  polie,  il  était  à 
la  fois  Démosthène ,  Chrgsostome ,  Tertullien ,  ou  plutôt  il 
était  lui-même;  et  des  sources  fécondes  où  puisait  son  génie, 
rassemblant  les  eaux  du  ciel  et  les  torrents  des  montagnes, 
il  faisait  jaillir  un  fleuve  qui  ne  portait  que  son  nom.  » 

«  Bossuet,  dit  Chateaubriand  est  plus  qu'un  historien; 
c'est  un  Père  de  l'Eglise,  c'est  un  prêtre  inspiré  qui  a  sou- 
vent le  rayon  de  feu  sur  le  front,  comme  le  législateur  des 
Hébreux.  Quelle  revue  il  fait  de  la  terre!  » 

Nul  n'a  mieux  exprimé  que  Saint-Marc  Girardin  l'émotion 
que  produit  dans  les  âmes  ce  défdé  des  nations  sur  la  scène 
de  monde  :  «  Bossuet  pousse  les  uns  sur  les  autres  les  siè- 
cles et  les  peuples.  Marche!  marche!  dit-il  à  l'Egypte... 
Marche!  marche!  dit-il  à  la  Grèce...  Marche  !  marche!  dit-il 
à  Rome  elle-même,  et  ce  peuple  invincible,  (jui  sert  d'ins- 
trument aux  desseins  de  Dieu ,  sera  à  son  tour  effficé  de  la 
terre  qu'il  n'aura  conquise  que  pour  Jésus-Christ.  » 

(1)  Discours  et  mélanges  litlcraircs.  \k  •2\~. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  HISTORIEN.  321 


ARTICLE  II 

Les  saints  Pères 
et  L'Histoire  des  Vaiiatious  (1688;  (1). 

Dans  le  Discours  sur  r Histoire  universelle ,  Bossuet  fait 
preuve  des  plus  rares  qualités  de  riiistorien  :  il  est  maitre 
de  sa  matière,  il  l'embrasse  et  il  la  pénètre,  il  Tordonne, 
il  lui  donne  une  forme  précise;  il  regarde  en  philosophe  la 
masse  innombrable  des  faits;  il  la  dispose  en  séries  conti- 
nues de  causes  et  d'effets;  il  saisit  partout  dans  la  réalité 
vivante  le  trait  caractéristique,  où  l'idée  se  révèle;  il  entre 
dans  l'intelligence  par  l'imagination.  Nul  n'a  peint  plus  vi- 
goureusement, avec  plus  de  relief  et  de  couleur,  les  mœurs 
des  peuples  ("2),  le  g-énie  des  civilisations;  nul  n'a  mieux  dit 
que  «  le  fond  d'un  romain ,  pour  ainsi  parler,  était  l'amour 
de  sa  liberté  et  de  sa  patrie  (3)  ». 

3Iais  le  sujet  ne  permettait  à  Bossuet  que  des  considéra- 
tions générales  et  des  tableaux  d'ensemble.  11  n'avait  pas 
le  temps  de  s'arrêter  aux  individus  et  de  faire  des  portraits; 
Il  faut  donc  chercher  ailleurs  de  quoi  compléter  l'idée  que 
nous  devons  avoir  de  Bossuet  historien. 

Cette  idée  nous  est  admirablement  donnée  par  l'étude  de 
V Histoire  des  Variations  des  Églises  protestantes,  trop  long- 
temps négiig-ée  et  méconnue,  mais  aujourd'hui  fort  en 
honneur  auprès  de  la  critique  contemporaine,  de  M.  Lan- 
son  (4),  de  M.  Rébelliau  (5)  et  de  M.  Brunetière  (6). 

Œuvre  de  polémique  par  son  origine  (7i,  Y  Histoire  des 


(1)  11  n'y  a  rien  à  dire,  au  point  de  vue  des  saints  Pères ,  sur  la  Suite  de  l'Histoire 
UniverseUe ,  qai  n'est  qu'une  ébauche,  qu'un  canevas,  ni  sur  l'Abrégé  de  l'His- 
toire de  France,  où  Bossuet.  eùt-il  toujours  tenu  la  plume,  ne  pouvait  guère  faire 
intervenir  son  érudition  patrologique.  —  L'abbé  Le  Dieu  exagère  en  déclarant 
ces  ouvrages  «  parfaits  »  {Méh/oires.  1. 1,  p.  151.) 

(-2)  Lanson.  Bossuet.  ji.  ;}04-;i0.'),  passiin. 

(3)  Discours  sur  l'Hisl.  C/nù-..  Troisième  partie,  cliap.  vi  :  L'cmiufc  romain,  elc. 

(4)  Voir  son  Bossuet.  p.  307-319. 

(5)  Voir  sa  belle  thèse  :  Bos.mct  historien  du  protestantisme.  IS9I. 

(6)  Voir  la  Philosophie  de  Bossuet. 

(')  Voici  ce  qu'en  dit  l'abbé  Le  Dieu  dans  ses  Mémoires,  1. 1,  p.  193  :  «  L'Histoire 

BOSSl'ET  ET  LES  SAINTS  PÈRES.  -1 


322  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

Variations  est  devenue  sous  la  plume  de  Bossuet  un  tableau 
animé  et  vivant,  simple  et  majestueux,  de  la  Réforme  et  des 
Réformés,  depuis  Luther  et  Calvin  jusqu'à  Mélancthon  et 
Cromwell.  «  Nulle  part,  dit  M.  Brunetière,  on  ne  saurait 
mieux  saisir,  ni  trouver  une  plus  belle  et  plus  ample  occa- 
sion d'admirer  la  complexité,  la  richesse,  la  fécondité  de 
la  pensée  de  Bossuet.  Ce  que  la  discussion  du  dogme  a  de 
plus  métaphysi(iue,  ce  que  la  dialectique  a  de  plus  pressant 
et  parfois  de  plus  audacieux,  ce  que  la  narration  historique 
a  de  plus  vivant  et  de  plus  coloré,  ce  que  la  critique  des 
textes  et  leur  interprétation  ont  de  plus  épineux,  de  plus 
délicat,  de  plus  subtil  aussi,  ce  que  l'éloquence  enfin  du 
pasteur  qui  veut  conquérir  ou  ramener  des  âmes  ont  de 
plus  persuasif  et  de  plus  convaincant,  de  plus  impérieux  et 
de  plus  insinuant  tour  à  tour,  la  promesse  et  la  menace, 
rindignation  et  l'ironie,  le  conseil  et  la  prière,  l'adjuration 
et  l'anathème  ,  tout  est  réuni  dans  ce  livre,  qu'à  peine  quel- 
ques curieux  lisent  encore  de  nos  jours...  et  qui  n'en  de- 
meure pas  moins  le  plus  beau  livre  de  la  langue  française, 
comme  joignant  à  ses  autres  mérites  celui  d'en  èlre  à  la 
fois  le  plus  sincère  et  le  plus  passionné.  » 

Une  chose  que  iM.  Brunetière  ne  dit  pas  plus  que  M.  Ré- 
belliau  ou  M.  Lanson,  c'est  que,  si  Bossuet  ne  doit  qu'à  lui 
seul  la  science  et  l'art  historiques  qu'il  a  déployés  dans 
les  narrations  lumineuses  et  les  portraits  saisissants  (1)  de 
cette  œuvre  admirable,  il  a  emprunté  aux  saints  Pires  «  le 
dessein  de  l'ouvrage  » ,  comme  il  l'avoue  lui-même  dans  la 
Préface  :  a  Tout  ce  qui  varie ,  tout  ce  qui  se  charg-e  de  ter- 
mes douteux  et  enveloppés  a  toujours  paru  suspect  et  non 

des  Variations  est  do  1088.  L'occasion  fut  la  prétendue  variation  qu'on  avait 
reprochée  [à  Bossuet]  dans  la  composition  de  son  Exposition.  Il  lisait  alors  le 
Si/nlaf/ina  coufessioaum .  où  sont  la  conlcssioii  d'Aussbourg  cl  toutes  les  autres 
confessions  des  prétendus  réfornH'S  de  l'Kurope.  Leurs  variations  s'y  firent  bien- 
t(H  remarquer  à  un  esprit  si  clairvoyant  et  d'une  dialectique  aussi  line  et  aussi 
précise.  De  là  donc  le  dessein  des  Variations.  Il  avait  commencé  ce  travail  en  fi- 
nissant celui  de  l'Histoire  l'niverselle.  et  le  bruit  s'en  était  répandu  de  sorte  qu'il 
alla  juscpj'aux  protestants.  Depuis  .  ils  en  ]>rircnt  occasion  de  dire  que  cet  ouvrage 
lardait  bien  à  venir.  Ils  ne  savaient  pas  que  Bossuet  travaillait  à  la  Défense  de  la 
déclaration  de  1(>82.  » 

(1)  Voir  entre  autres  ceux  de  Luther  (1,  (>),  de  Calvin  (IX,  80,  81),  de  Zwiugle,  de 
Bucer,  de  Carlosladt,  d'oiicolampade,  de  Mélanchton,  de  Cranmer,  de  Cromvvell,  etc. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  HISTORIEN.  323 

seulement  frauduleux,  mais  encore  absolument  faux,  parce 
qu'il  marque  un  embarras  que  la  vérité  ne  connaît  point. 
C'a  été  un  des  fondements  sur  lesquels  les  anciens  docteurs 
ont  tant  condamné  les  ariens,  qui  faisaient  tous  les  jours  pa- 
raître des  Confessions  de  foi  de  nouvelle  date ,  sans  pouvoir 
jamais  se  fixer.  Depuis  leur  première  Confession  de  foi,  qui 
fut  faite  par  Arius  et  présentée  par  cet  hérésiarque  à  son 
évêque  Alexandre,  ils  n'ont  jamais  cessé  de  varier.  C'est  ce 
que  saitti  Rïlaivc  reproche  à  Constance,  protecteur  de  ces 
hérétiques;  et  pendant  que  cet  empereur  assemblait  tous  les 
jours  de  nouveaux  conciles  pour  réformer  les  symboles  et 
dresser  de  nouvelles  Confessions  de  foi,  ce  saint  évêque  lui 
adresse  ces  fortes  paroles  (1)  :  «  La  même  chose  vous  est 
arrivée  qu'aux. ignorants  architectes ,  à  qui  leurs  propres 
ouvrages  déplaisent  toujours.  Vous  ne  faites  que  bâtir  et 
détruire;  au  lieu  que  l'Église  catholique,  dès  la  première 
fois  qu'elle  s'assembla ,  fit  un  édifice  immortel  et  donna  dans 
le  symbole  de  Nicée  une  si  pleine  déclaration  de  la  vérité 
que,  pour  condamner  éternellement  l'arianisme,  il  n'a  ja- 
mais fallu  que  la  répéter.  » 

Le  nouvel  Hilaire  ne  se  contente  pas  d'un  exemple  :  il 
montre  que  «  toutes  les  hérésies  » ,  dès  l'origine  du  chris- 
tianisme ,  ont  varié  comme  les  ariens  et  que  «  longtemps 
avant  Arius,  Terlidlifn  avait  déjà  dit  (2)  »  :  ((  Les  hérétiques 
varient  dans  leurs  règles,  c  est-à-dire  dans  Ipurs  Confessions 
de  foi;  chacun  parmi  eux  se  croit  en  droit  de  changer  et 
de  modifier  par  son  esprit  ce  qu'il  a  reçu,  comme  c'est 
par  son  propre  esprit  que  l'auteur  de  la  secte  a  composé  : 
l'hérésie  retient  toujours  sa  propre  nature  en  ne  cessant 
d'innover,  et  le  progrès  de  la  chose  est  semblable  à  son 
origine.  Ce  qui  a  été  permis  à  Valentin  l'est  aussi  aux  Va- 
lentiniens;  les  marcionites  ont  le  même  pouvoir  que  Mar- 
cion;  et  les  auteurs  d'une  hérésie  n'ont  pas  plus  le  droit 
d'innover  que  leurs  sectateurs;  tout  change  dans  les  héré- 
sies, et  quand  on  les  pénètre  à  fond,  on  les  trouve  dans 

(1)  Lib.  cont.  Const.,  n"  '23. 
(-2)  De  Praescrip.,  cap.  xlii. 


324  BOSSUËT  ET  LES  SAINTS  PERES. 

leurs  suites  difiérentes  en  beaucoup  de  points  de  ce  qu'elles 
ont  été  dès  leur  naissance.  » 

L'autorité  de  ïertullien  et  celle  de  saint  Hilaire  ne  suffi- 
sent pas  à  Bossuet  :  il  invoque  encore  celle  de  «  deux  saints 
auteurs  du  huitième  siècle  (1)  »,  qui  ont  écrit  que  «  l'hérésie 
en  elle-même  est  toujours  une  nouveauté,  quelque  vieille 
qu'elle  soit;  mais  que,  pour  se  conserver  encore  mieux  le 
titre  de  nouvelle,  elle  innove  tous  les  jours  et  tous  les  jours 
elle  change  sa  doctrine.  » 

A  cette  variabilité  infinie  des  sectes  hérétiques  Bossuet 
oppose,  avec  Tertullien  (2),  l'uniformité  des  dogmes  de 
l'Eglise,  dont  «  la  règle  de  foi  est  immuable  et  ne  se  réforme 
point.  C'est  que  l'Église,  qui  fait  profession  de  ne  dire  et  de 
n'enseigner  que  ce  qu'elle  a  reçu  ne  varie  jamais;  et  au 
contraire  l'hérésie,  qui  a  commencé  par  innover,  innove 
toujours  et  ne  change  point  de  nature. 

«  De  là  vient  que  saint  Chnjsostome,  traitant  ce  précepte 
de  l'Apôtre  :  Evitez  les  nouveautés  profanes  dans  vos  dis- 
cours, a  fait  cette  réflexion  \X\  :  Évitez  les  nouveautés  dans 
vos  discours;  car  les  choses  n'eu  demeurent  pas  là;  une 
nouveauté  en  produit  une  autre,  et  on  s'égare  sans  fin 
quand  on  a  une  fois  commencé  à  s'égarer.  » 

Bossuet  indique  ensuite  les  deux  causes  de  ce  désordre 
dans  les  hérétiques  et  il  montre  que  Fesprit  humain,  une 
fois  qu'il  a  goûté  de  la  nouveauté,  ne  cesse  de  rechercher 
cette  trompeuse  douceur  et  que  «  la  vérité  catholique,  ve- 
nue de  Dieu  a  d'abord  sa  perfection  »,  tandis  que  l'hérésie, 
faible  production  de  l'esprit  humain,  ne  se  peut  faire  que 
par  pièces  mal  assorties.  Pendant  que  l'on  veut  renverser, 
contre  le  précepte  du  Sage  ('i.),  les  anciennes  bornes  posées 
par  nos  pères,  et  réformer  la  doctrine  une  fois  reçue  parmi 
les  fidèles,  on  s'engage  sans  bien  pénétrer  toutes  les  suites 
de  ce  qu'on  avance.  Ce  qu'une  fausse  lueur  avait  fait  ha- 
sarder au  commencement  se  trouve  avoir  des  inconvénients 

(t)  Elheriux  et  Dealus,  lil).  I,  conl.  Elipand. 

(-2)  De  Virg.  val.,  n.  I. 

(.■J)  llomil.  V  in  II  ad  Timol. 

(4j  Prov.  XXII,  '28. 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  HISTORIEN.  325 

qui  obligent  les  réformateurs  à  se  réformer  tous  les  joui-s  : 
de  sorte  qu'ils  ne  peuvent  dire  quand  finiront  les  innova- 
tions ni  jamais  se  contenter  eux-mêmes.  » 

C'est  donc  aux  saints  Prres  que  Bossuet  emprunte  «  les 
principes  solides  et  inébranlables  par  lesquels  il  prétend 
démontrer  aux  protestants  la  fausseté  de  leur  doctrine  dans 
leurs  continuelles  variations  et  dans  la  manière  changeante 
dont  ils  expliquent  leurs  dogmes,...  non  pas  seulement  en 
particulier,  mais  en  corps  d'ég-lise,  dans  les  livres  qu'ils 
appellent  symboliques,  c'est-à-dire  dans  ceux  qu'on  a  faits 
pour  exprimer  le  consentement  des  églises ,  en  un  mot  dans 
leurs  propres  Confessions  de  foi,  arrêtées,  signées,  publiées, 
dont  on  a  donné  la  doctrine  comme  une  doctrine  qui  ne 
contenait  que  la  pure  parole  de  Dieu,  et  qu'on  a  changées 
néanmoins  en  tant  de  manières  dans  les  articles  princi- 
paux ». 

Et  qu'on  ne  dise  pas,  «  pour  établir  la  nécessité  de  mul- 
tiplier ces  Confessions,  que  plusieurs  articles  de  foi  ayant 
été  attaqués,  il  a  fallu  opposer  plusieurs  Confessions  à  ce 
grand  nombre  d'erreurs  »  ;  car  toutes  ces  Confessions, 
«  comme  il  parait  par  la  seule  lecture  des  titres ,  regardent 
précisément  les  mêmes  articles,  de  sorte  que  c'était  le  cas 
de  dire  avec  saint  Athanase  (1)  :  «  Pourquoi  un  nouveau 
concile,  de  nouvelles  confessions,  un  nouveau  symbole? 
Quelle  nouvelle  question  s'était  élevée?  » 

Dans  le  cours  des  quinze  livres  de  V Histoire  des  Varia- 
tions, Bossuet  cite  souvent  les  saints  P^'r^.v ,  dont  l'autorité 
est  pour  lui  la  plus  décisive  après  celle  de  l'Ecriture  et  des 
Conciles. 

Ainsi,  au  livre  P%  il  montre  que  bien  longtemps  avant 
Luther,  saint  Bernard  duns  la  lettre  257"  au  Pape  Eugène  IV, 
Guillaume  Durand,  «  un  grand  évèque  »,  Gerson  (2),  Pierre 
d'Ailly,  les  autres  grands  hommes  de  ce  temps-là  deman- 
daient la  réformation,  non  pas  des  doctrines,  puisqu'ils 
«  représentent  l'Eglise  comme  à  couvert  de   ce  cùté-là  », 

(1)  Alhan.  de  Syn.  et  Hpist.  ad  Afr. 

(2)  Serm.  de  Ascens.  Domi.  ad  Alex.  V. 


326  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

mais  de  la  discipline  ecclésiastique  et  des  maux  qui  ve- 
naient de  son  relâchement  «  dans  le  chef  et  dans  les 
membres  (1)  »  de  TÉglise.  «  Au  milieu  des  abus,  ils  ad- 
miraient la  divine  Providence,  qui  savait  selon  ses  pro- 
messes conserver  la  foi  de  l'Église... .  Mais  il  y  avait  outre 
cela  des  esprits  superbes ,  pleins  de  chagrin  et  d'aigreur, 
qui,  frappés  des  désordres  qu'ils  voyaient  régner  dans 
l'Église  et  principalement  parmi  ses  ministres,  ne  croyaient 
pas  que  les  promesses  de  son  éternelle  durée  pussent  sub- 
sister parmi  ses  abus...  Tels  étaient  les  Albigeois  et  les 
Vaudois;  tels  étaient  Jean  Wiclef  et  Jean  Hus;...  et  il  ne 
faut  pas  s'étonner  si  dans  le  temps  de  Luther,  où  les  invec- 
tives et  l'aigreur  contre  le  clergé  furent  portées  à  la  der- 
nière extrémité ,  on  vit  aussi  la  rupture  la  plus  violente  et 
la  plus  grande  apostasie  qu'on  eût  peut-être  jamais  vue 
jusques  alors  dans  la  chrétienté.  » 

Au  livre  111%  à  propos  des  discussions  entre  protestants 
sur  la  justification.  Bossuet  dit  :  «  Si  le  mérite  est  fondé  sur 
la  promesse  de  la  récompense ,  comme  l'assure  Mélanchton 
et  comme  il  est  vrai,  il  n'y  a  rien  de  plus  mérité  que  la  vie 
éternelle,  quoiqu'il  n'y  ait  rien  d'ailleurs  de  plus  gratuit, 
selon  cette  belle  doctrine  de  saint  Augustin,  que  «  la  vie 
éternelle  est  due  aux  mérites  des  bonnes  œuvres;  mais  que 
les  mérites  auxquels  elle  est  due  nous  sont  donnés  gratui- 
tement par  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  (2)  ».  Bossuet  rap- 
porte aussi  les  propos  de  Bucer,  «  disputant  pour  l'Église  ca- 
tholique en  1546,  dans  la  conférence  de  Ratisbonne  »,  et 
disant  que  «  saint  Augustin  même,  tout  ennemi  qu'il  était 
du  mérite  présomptueux,  ne  laissait  pas  de  reconnaître 
que  le  mérite  des  saints  nous  était  utile,  et  qu'une  des  rai- 
sons de  célébrer  dans  l'Eglise  la  mémoire  des  martyrs  était 
j)()ur  t'trc  associrs  à  leurs  mérites  fit  aidés  par  leurs  priè- 
res (3).  » 

Au  commencement  du  livre  V ,  lié fl fixions  géneralfis  sur 

(l)Le  mot  est  de  Gerson. 

(2)  Episi.  CV,  nunc  CXCIV,  n.  It);  De  Corrcpt.et  Grat.,  cap.xiii,  n.  il. 

(.'*)  Lilj.  XX.  contra  Faust.  Manich..  c.  xxi. 


LliS  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  HISTORIEN.  327 

les  agitations  dr  Mélanchton  et  sur  tétat  de  la  Réforme, 
Bossuet  invoque  l'autorité  de  saint  Grégoire  de  Nazianze 
pour  étniilir  que  «  les  hérésies  n'ont  pas  toujours  pour 
auteurs  des  impies  et  des  liljertins,  qui  de  propos  déli- 
béré fassent  servir  la  religion  à  leurs  passions.  Saint  Gré- 
goire de  Nazianze  ne  nous  représente  pas  les  hérésiarques 
comme  des  hommes  sans  religion,  mais  comme  des  hom- 
mes qui  prennent  la  religion  de  travers.  «  Ce  sont,  dit-il  (1), 
de  grands  esprits;  car  les  âmes  faibles  sont  également 
inutiles  pour  le  bien  et  pour  le  mal.  Mais  ces  grands  esprits, 
poursuit-il,  sont  en  même  temps  des  esprits  ardents  et  im- 
pétueux ,  qui  prennent  la  religion  avec  une  ardeur  déme- 
surée »  ,  c'est-à-dire  qui  ont  un  faux  zèle ,  et  qui,  mêlant  à 
la  religion  un  chagrin  superbe,  une  hardiesse  indomptée 
et  leur  propre  esprit,  poussent  tout  à  l'extrémité  :  il  y  faut 
même  trouver  une  régularité  apparente,  sans  quoi  où  serait 
la  séduction  tant  prédite  dans  l'Écriture?  Luther  avait 
goûté  la  dévotion.  »  —  Bossuet,  dans  une  autre  page  de  ce 
V  livre,  où  éclate  toute  son  admiration  pour  les  Pères 
et  surtout  pour  saint  Augustin,  explique  admirablement 
pourquoi  Mélanchton ,  «  si  désireux  de  la  paix ,  ne  la  cher- 
cha pas  dans  l'Eglise  »,  parce  qu'il  ne  put  «  jamais  revenir 
de  sa  justice  imputée.  Dieu  lui  avait  fait  pourtant  de  gran- 
des grâces,  puisqu'il  avait  connu  deux  vérités  capables  de 
le  ramener  :  l'une  qu'il  ne  fallait  pas  suivre. une  doctrine 
qu'on  ne  trouvait  pas  dans  l'antiquité.  «  Délibérez,  disait-il 
à  Brentuis,  avec  l'ancienne  Eglise.  »  Et  encore  :  «  Les  opi- 
nions inconnues  à  l'ancienne  Église  ne  sont  pas  rece- 
vables.  »  L'autre  vérité,  c'est  que  sa  doctrine  de  la  justice 
imputée  ne  se  trouvait  point  dans  les  Pères.  Dès  qu'il  a 
commencé  à  la  vouloir  expliquer,  nous  lui  avons  ouï  dire 
qu'//  )ie  trouvait  rien  de  semblable  dans  leurs  écrits.  On  ne 
laissa  pas  de  trouver  beau  de  dire  dans  la  Confession 
d'Augsbourg  et  dans  l'Apologie  qu'on  n'y  avançait  rien  qui 
ne  fût  conforme  à  leur  doctrine.  On  citait  surtout  saint 

(I)  Orat.  XXVI. 


328  BOSSLET  lîT  LES  SAINTS  PERES. 

Augitstin ,  et  il  eût  été  trop  honteux  à  des  réformateurs 
d'avouer  qu'un  si  grand  docteur,  h'  défcnsnir  de  la  grâce 
chrétienne ,  n'en  eût  pas  connu  le  fondement.  Mais  ce  que 
Mélanchton  écrit  confidentiellement  à  un  ami  nous  fait 
bien  voir  (jiie  ce  n'était  que  pour  la  forme  et  par  manière 
d'acquit  qu'on  nommait  saint  Augustin  dans  le  parti;  car 
il  répète  trois  ou  quatre  fois,  avec  une  espèce  de  chagrin, 
que  ce  qui  empêche  cet  ami  de  bien  entendre  cette  ma- 
tière, c'est  qu'il  est  encore  attaché  à  V imagination  de  saint 
Augustin,  et  qu'//  faut  entièrement  détourner  les  yeux  de 
V imagination  de  ce  Père.  Mais  encore  quelle  est  cette  ima- 
gination dont  il  faut  détourner  les  yeux?  «  C'est,  dit-il, 
l'imagination  d'être  tenus  pour  justes  par  l'accomplisse- 
ment de  la  loi  que  le  Saint-Esprit  fait  en  nous.  »  Cet  accom- 
plissement ,  selon  Mélanchton ,  ne  sert  de  rien  pour  ren- 
dre l'homme  agréable  à  Dieu;  et  c'est  à  saint  Augustin 
une  fausse  imagination  d'avoir  pensé  le  contraire  :  voilà 
comme  il  traite  un  si  grand  homme.  Et  néanmoins  il  le 
cite,  à  cause,  dit-il,  de  V  opinion  publicjue  qu'on  a  de  lui  : 
mais  au  fond,  continue-t-il,  //  n'explique  pas  assez  la  jus- 
tice de  la  foi  ;  comme  s'il  disait  :  En  cette  matière  il  faut 
bien  citer  un  Père  que  tout  le  monde  regarde  comme  le 
plus  digne  interprète  de  cet  article,  quoiqu'à  vrai  dire  il  ne 
le  soit  pas  pour  nous.  11  ne  trouvait  rien  de  plus  favorable 
dans  les  autres  Pères.  «  Quelles  épaisses  ténèbres,  disait-il, 
trouve-t-on  sur  cette  matière  dans  la  doctrine  commune 
des  Pères  et  de  nos  adversaires!  »  Que  devenaient  ces  belles 
paroles  qu'il  fallait  délibérer  avec  l'ancienne  Église?  Que 
ne  pratiquait-il  ce  qu'il  conseillait  aux  autres?  Et  puisqu'il 
ne  connaissait  point  de  piété,  comme,  en  effet,  il  n'y  en  a 
point,  que  celle  qui  est  fondée  sur  la  véritable  doctrine  de 
l;i  justification,  comment  crut-il  que  tant  de  .sr///y^.s  l'eussent 
ignorée?  Comment  s'imagina-t-il  voir  si  clairement  dans  l'É- 
criture ce  qu'on  ne  voyait  point  dans  les  Pères ^  pas  même 
ds-ns  saint  Augustin  ,  le  dtxleur  et  le  défenseur  de  la  grâce 
justifiante  contre  les  Pélagiens,  dont  aussi  toute  l'Église 
avait  toujours  on  ce  point  constamment  suivi  la  doctrine?  » 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  HISTORIEN.  329 

Au  livre  VIT,  Variations  de  la  rr forme  d'AnylrU'nf  dc- 
jjuis  1529  jiisfiii'à  1553;  Hisfoirr  de  Cranmer,  1556,  Bos- 
siiet  cite  le  témoignage  de  saint  Ci/jn-ien  (1)  pour  la  con- 
damnation des  Novatiens,  et  celui  des  Pi-i'cs  dWfriqaf  pour  la 
condamnation  de  l'hérésie  naissante  de  Célestius  et  de  Pe- 
lage :  «  Ils  posèrent  pour  fondement  la  défense  d'entendre 
l'Ecriture  sainte  «  autrement  que  toute  l'Eglise  catholique 
répandue  par  toute  la  terre  ne  l'avait  toujours  entendue  ». 
...  Alexandre  d' Alexandrie  posa  le  même  fondement  contre 
Arius.  »  La  conclusion  du  VIP  livre  est  une  éloquente  pro- 
testation en  faveur  des  saints  docteurs  de  l'Angleterre  et  une 
intuition  prophétique,  semble-t-il,  du  grand  mouvement  ca- 
tholique que  notre  siècle  voit  se  produire  dans  l'ancienne 
ile  des  Saints  :  «  Je  ne  m'étonne  plus,  dit  Bossuet,  après 
avoir  raconté  la  vie  de  Granmer,  que  sous  un  tel  archevêque 
on  ait  méprisé  la  doctrine  de  ses  saints  prédécesseurs ,  d'un 
saint  Dunstan ,  d'un  Lanfranc,  d'un  saint  Anselme,  dont 
les  vertus  admirables,  et  en  particulier  la  continence,  ont 
été  l'honneur  de  l'Église.  Je  ne  m'étonne  pas  qu'on  ait  effacé 
du  nombre  des  saints  un  saittt  Thoinas  de  Cantorhénj,  dont 
la  vie  était  la  condamnation  de  Thomas  Granmer.  Saint  Tho- 
mas de  Gantorbéry  résista  aux  rois  iniques;  Thomas  Gran- 
mer leur  prostitua  sa  conscience  et  flatta  leurs  passions. 
{Suit  un  magnifique  parallèle  entre  V apostat  et  le  saint, 
trop  long  pour  être  cité  ici).  Gependant  la  réformation  an- 
glicane a  rayé  un  si  grand  homme  du  nombre  des  saints. 
Mais  elle  a  porté  bien  plus  haut  ses  attentats  :  il  faut  qu'elle 
dégrade  tous  les  saints  qu'elle  a  eus  depuis  qu'elle  a  été 
chrétienne.  Bède,  son  vénérable  historien,  ne  lui  a  conté 
que  des  fables,  ou  en  tout  cas  des  histoires  peu  prisées, 
quand  il  lui  a  raconté  les  merveilles  de  sa  conversion  et  la 
sainteté  de  ses  pasteurs,  de  ses  rois  et  de  ses  religieux.  Le 
moine  saint  Augustin,  qui  lui  a  porté  l'Évangile,  et  le  pape 
saint  Grégoire,  qui  l'a  envoyé,  ne  se  sauve  pas  des  mains 
de  la  réforme;  elle  les  attaque  par  ses  écrits.  Si  nous  l'en 

(I)  Page  UTi,  t.  ni,  éd.  Bar-le-Diic. 


330  «OSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

croyons,...  en  convertissant  les  Ang-lais,  saint  Grégoire,  un 
Pape  si  humble  et  si  saint,  a  prétendu  les  assujettir  à  son 
siège  plutôt  qu'à  Jésus-Christ.  Voilà  ce  qu'on  publie  en  An- 
gleterre, et  sa  réformation  s'établit  en  foulant  aux  pieds, 
jusque  dans  la  source,  tout  le  christianisme  de  la  nation. 
Mais  une  nation  si  savante  ne  demeurera  pas  longtemps  dans 
cet  éblouissement  :  le  respect  quelle  conserve  pour  les  Pères 
et  ses  curieuses  et  continuelles  recherches  sur  l'antiquité 
la  ramèneront  à  la  doctrine  des  premiers  siècles.  »  Ce  dé- 
sir ardent  de  Bossuet  ne  s'est  pas  réalisé  aussitôt  qu'il  le 
souhaitait  et  sous  «  le  roi  incomparable  en  courage  comme 
en  piété  »,  Jacques  II,  qu'allait  renverser  la  révolution  de 
1688  ;  mais  les  docteurs  Pusey  et  Newman  ont  fait  en  notre 
siècle  ce  que  prévoyait  le  génie  du  grand  évéque  de  Meaux. 
Au  livre  IX%  à  propos  de  Calvin  et  de  l'Eucharistie,  Bos- 
suet déclare  qu'il  n'y  a  rien  de  plus  véritable  que  ce  mot 
de  saint  Augustin,  que  «  l'Eucharistie  n'est  pas  moins  le 
corpjs  de  Notre-Seigneur  [jour  Judas  que  pour  les  autres 
Apâtres  (1)  ».  Bossuet  dit  encore  (2)  :  «  La  merveille  parti- 
culière que  les  saints  Pères  et,  après  eux,  tous  les  chrétiens 
ont.  crue  dans  l'Eucharistie  ne  regarde  pas  précisément  la 
vertu  que  l'Incarnation  met  dans  la  chair  du  Fils  de  Dieu. 
Cette  merveille  consiste  à  savoir  comment  se  vérifie  cette 
parole  :  Ceci  est  mon  corps,  lorsqu'il  ne  parait  à  nos  yeux 
que  de  simple  pain,  et  comment  un  même  corps  est  donné 
en  même  temps  à  tant  de  personnes.  C'est  pour  expliquer 
ces  merveilles  incompréhensibles  que  les  Pères  nous  ont 
rapporté  toutes  les  autres  merveilles  de  puissance  divine ,  et 
le  même  changement  d'eau  en  vin ,  et  tous  les  autres  chan- 
gements, et  ce  grand  changement  qui  de  rien  a  fait  toutes 
choses.  »  Cette  doctrine  des  Pères  est  tellement  sacrée  pour 
l'évêque  de  Meaux  ([u'il  reproche  (3)  vivement  à  Luther 
et  à  Calvin  «  d'avoir  tourné  leur  bouche  contre  le  Ciel , 
(/aand  ils  ont  si  ourertenwnt  méprisé  l'autorité  des  saints 

(1)  Serm.  XI  de  Verh.  Doni.,  nunc  Serm.  lAXI,  n.  17.  —  Bossuet,  III ,  p.  MO. 

(-2)Pagc;ni. 

(••{)  Page  :»17. 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  HISTORIEN.  331 

Pères.  Chacun  sait  combien  de  fois  Calvin  a  passé  par- 
dessus leurs  décisions,  quel  plaisir  il  a  pris  à  les  traiter 
d'écoliers,  à  leur  faire  la  leçon  et  la  manière  outrageuse 
dont  il  a  cru  pouvoir  éluder  leur  témoignage  unanime,  en 
disant,  par  exemple,  que  «  ces  bonnes  gens  ont  suivi  sans 
discrétion  une  coutume  qui  dominait  sans  raison  et  qui 
avait  gagné  la  vogue  en  peu  de  temps  (1)  ».  Il  s'agissait, 
dans  ce  lieu,  de  la  prière  pour  les  morts.  Tous  ses  écrits 
sont  pleins  de  pareils  discours.  Mais  malgré  l'orgueil  des 
hérésiarques,  Vautorilé  des  Pères  et  de  l'antiquité  ecclésias- 
tique ne  laisse  pas  de  subsister  dans  leur  esprit.  Calvin ,  qui 
méprise  les  saints  Pères ,  ne  laisse  pas  de  les  alléguer  comme 
des  témoins  dont  il  n'est  pas  permis  de  rejeter  l'autorité, 
lorsqu'il  écrit  ces  paroles,  après  les  avoir  cités  :  «  Que  di- 
ront-ils à  l'ancienne  Église  ?  Veulent-ils  damner  l'ancienne 
Eglise?  ou  bien  veulent-ils  chasser  de  l'Eglise  saint  Augus- 
tin ?  On  pourrait  lui  en  dire  autant  dans  le  point   de  la 
prière  pour  les  morts  et  dans  les  autres ,  où  il  est  certain , 
et  souvent  de  son  propre  aveu,  qu'il  a  les  Pères  contre  lui. 
Mais,  sans  entrer  dans  cette  dispute  particulière ,  il  me  suffit 
d'avoir  remarqué  que  nos  réformés  sont  contraints  par  la 
force  de  la   vérité  à  respecter  le  sentiment  des  Pères  plus 
qu'il  ne  semble  que  leur  doctrine  et  leur  esprit  ne  porte.  » 
Au  livre  XI%  Histoire  abrégée  des  Albigeois,  des  Vau- 
dois,  des  Vicié fîstes  et  des  Hussites,  Bossuet  oppose  à  Vigi- 
lance, considéré  par  les  protestants  comme  celui  qui  a  con- 
servé le  dépôt,  la  succession  de  la  doctrine  apostolique  sur 
le  culte  des  saints,  «  saint  Jérôme,  qui  a  pour  lui  toute  l'É- 
glise (2)  ».  Les  Vaudois  se  flattent  que  leur  doctrine   est 
enseignée  de  père  en  fils,  depuis  l'an   120  de  l'ère  chré- 
tienne, ou,  du   moins,  depuis   Sylvestre  I".  Bossuet   leur 
répond  «  qu'il  faudrait  être  insensé   pour  se  mettre  dans 
l'esprit  que ,  dès  le  temps  de  saint  Sylvestre ,  c'est-à-dire 
environ  l'an  320,  il  y  avait  eu  une  secte  parmi  les  chrétiens 
dont  les  Pègres  n'aient  jamais  eu  connaissance...  Nous  avons 

(1)  Tr.  de  réf.  Ecc. 
(-2)  P.  347. 


332  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

des  catalogues  des  hérésies  dressés  i^ar  saint  Épiphane,  par 
saint  Augustin  et  par  plusieurs  autres  auteurs  ecclésiasti- 
ques. Les  sectes  les  plus  obscures  et  les  moins  suivies...  ne 
leur  ont  pas  été  inconnues.  Le  zèle  des  pasteurs. . .  découvrait 
tout  pour  tout  sauver.  Il  n'y  a  que  ces  séparés  pour  les 
biens  ecclésiastiques  que  personne  n'a  jamais  connus.  Plus 
modérés  que  les  Athanase,  que  les  Basile ,  que  les  Am- 
bi'oisc  et  que  tous  les  autres  docteurs,...  ils  ont  encore  si 
bien  fait  qu'ils  ont  échappé  à  leur  connaissance...  C'est 
une  impudence  extrême  »  de  loser  dire.  —  A  propos  des 
Manichéens,  Bossuet  remarque  que  «  les  saints  /Vv^^  leur 
répondaient  qu'il  y  avait  grande  différence  entre  ceux  qui 
condamnaient  la  génération  des  enfants,  comme  faisaient 
formellement  les  Manichéens  (1),  et  ceux  qui  lui  préféraient 
la  continence  avec  l'Apôtre  et  avec  Jésus-Christ  même  (2)... 
Les  Pères  remarquaient  que  lApôtre  attaquait  expressé- 
ment le  sens  »  que  les  Manichéens  attachaient  aux  textes  de 
l'Écriture  par  lesquels  ils  condamnaient  l'usage  des  viandes 
comme  impures,  comme  mauvaises,  comme  œuvres  du 
mauvais  et  non  de  Dieu  :  «  Toute  créature  de  Dieu  est 
bonne  »,  dit  saint  Paul.  Pourtant,  «  saint  Augustin,  un  si 
beau  génie,  fut  pris  (par  les  Manichéens)  et  demeura  parmi 
eux  neuf  ans  durant,  très  zélé  pour  celte  secte  (3)...  Ses 
livres  sont  bons  témoins  de  leurs  observances  supersti- 
tieuses (4)...  Nous  apprenons  de  saint  Augustin  que  leur 
Eucharistie  n'était  pas  la  nôtre ,  mais  quelque  chose  de  si 
exécrable  qu'on  n'ose  même  y  penser,  loin  qu'on  puisse 
l'écrire...  Dès  le  temps  de  saint  Augustin,  Fauste  le  mani- 
chéen reprochait  aux  catholi(pu^.s  leur  idolâtrie  dans  le  culte 
qu'ils  rendaient  aux  saints  martyrs  et  dans  les  sacrifices 
qu'ils  offraient  sur  leurs  reliques.  Mais  saint  Augustin  leur 
faisait  voir  que  ce  culte  n'avait  rien  de  commun  avec  celui 
des  païens,  parce  que  ce  n'était  pas  le  culte  de  latrie  ou  de 

(1)  Aug.  Contra  Faust.  Manich.,  lib.  \X\,  cap.  m.  iv.  v. 

(2)  I  Corint.,  VI,  -2fi;  MatI,  XIX,  M. 

(3)  Lib.  I  Contra  F aM,s-<.,  cap.  x.  et  Conf.,  lih.  IV;  cap.  i  et  se<|. 

(4)  J)c  Moribu.i  Eccl.  catli..  c.  xxxiv.  n.  71  ;  De  Moribus  Manich  ..  c.  xviii  ;  Contra 
Ep.  Fundam.,  c.  xv. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  HISTORIEN.  333 

sujétion  et  de  servitude  parfaite  (1)...  Pour  le  baptême, 
saint  Aug-ustin  dit  expressément  que  les  Manichéens  no  le 
donnaient  pas  et  le  croyaient  inutile  ('2)...  Pour  le  sacer- 
doce et  tous  les  ordres  ecclésiastiques,  on  peut  voir  dans 
saint  Augustin  et  dans  les  autres  auteurs  le  renversement 
qu'introduisaient  les  Manichéens  dans  toute  la  hiérarchie 
et  le  mépris  qu'ils  faisaient  de  tout  l'ordre  ecclésiastique. 
...  Les  Manichéens,  enorgueillis  de  leur  continence  et  de 
Pahstinence  de  la  viande  qu'ils  croyaient  immonde ,  se  re- 
gardaient non  seulement  comme  cathares  ou  purs,  mais 
encore,  au  rapport  de  saint  Augustin ,  comme  Catharistes, 
c'est-à-dire  purificateurs  (3  ...  Les  Albigeois  avaient  appris 
des  anciens  Prisciilanistes,  autre  secte  de  Manichéens  en  Es- 
pagne, ce  vers  rapporté  par.s«m/  Augustin  :  «  Jurez,  par- 
jurez-vous tant  que  vous  voudrez,  et  gardez-vous  seulement 
de  trahir  le  secret  de  la  secte. 

Jura,  perjura,  seeretuin  prodere  iioli  (4). 

«  Saint  Bernard ,  qui  connaissait  bien  ces  hérétiques,... 
y  remarque  ce  caractère  particulier  :  qu'au  lieu  que  les  au- 
tres hérétiques,  poussés  par  l'esprit  d'orgueil,  ne  cher- 
chaient qu'à  se  faire  connaître,  ceux-ci,  au  contraire,  ne 
cherchaient  qu'à  se  cacher  :  les  autres  voulaient  vaincre; 
ceux-ci,  plus  malins,  ne  voulaient  que  nuire  (5).  »  Bossuet 
raconte  alors  comment  lillustre  abbé  de  Clairvaux,  sollicité 
par  le  pieux  Énervin ,  «  fit  les  deux  beaux  Sermons  sur  les 
Cantiques ,  où  il  attaque  si  vivement  les  hérétiques  de  son 
temps  » ,  et  alla  en  Provence  et  en  Languedoc  pour  y  déra- 
ciner le  mauvais  germe  de  Phérésie,  «  C'était  encore  une 
des  erreurs  (des  Albigeois),  notée  par  saint  Bernard ,  qu'un 
pécheur  n'était  plus  évêque  et  que  «  les  Papes,  les  arche- 
vêques ,  les  évêques  et  les  prêtres  n'étaient  capables  ni  de 


(I)  Lib.  XX,  Contre  Faut.,  cap  iv,  et  cap.  xxi. 
{•2)  De Haer.  in  haeres.  Munich. 
(3)  De  Haer.  in  haeres.  Manieh. 
(i)  De  Haeres.  in  Haer.  Priscill. 
(.-;)  Page  .'l.Vi. 


334  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

donner  ni  de  recevoir  les  sacrements,  à  cause  qu'ils  étaient 
pécheurs  >1)...  Saint  Bernard  fait  voir  que  leur  piété  n'était 
que  dissimulation.  En  apparence,  ils  blâmaient  le  commerce 
avec  les  femmes,  et  cependant  on  les  voyait  tous  passer  avec 
une  femme  les  jours  et  les  nuits...  Saint  Bernard  concluait 
que  c'était  là  ce  mystère  d'iniquité  prédit  par  saint  Paul  (2), 
d'autant  plus  à  craindre  qu'il  était  plus  caché.  »  Bossuet  cite 
encore  (3)  le  témoignage  de  saint  Augustin  pour  établir  que 
les  Manichéens  professaient  la  Trinité  en  paroles,  la  niaient 
dans  leur  cœur  et  tournaient  le  mystère  en  allégories  im- 
pertinentes Cl.).  «  Selon  saint  Bernard,  il  n'y  avait  rien  en 
apparence  de  plus  chrétien  que  les  discours  (des  Albigeois), 
rien  de  plus  irréprochable  que  leurs  mœurs.  Aussi  s'ap- 
pelaient-ils les  Apostoliques ,  et  ils  se  vantaient  de  mener  la 
vie  des  Apôtres.  Il  me  semble  que  j'entends  encore  un  F'auste 
le  manichéen,  qui  disait  aux  catholiques  chez  saint  Augus- 
tin :  «  Vous  me  demandez  si  je  reçois  l'Évangile  :  vous  le 
voyez  en  ce  que  j'observe  ce  que  l'Évangile  prescrit...  Mais 
saint  Augustin  et  saint  Bernard  leur  font  voir  que  leur  vertu 
n'était  qu'une  vaine  ostentation.  Pousser  l'abstinence  des 
viandes  jusqu'à  dire  qu'elles  sont  immondes  et  mauvaises 
de  leur  nature,  et  la  continence  jusqu'à  la  condamnation 
du  mariage,  c'est  d'un  côté  s'attaquer  au  Créateur,  et  de 
l'autre  lâcher  la  bride  aux  mauvais  désirs ,  en  les  laissant 
absolument  sans  remède...  Saint  Augustin  nous  apprend 
que  ces  gens,  qui  ne  se  permettaient  pas  le  mariage,  se 
permettaient  toute  autre  chose.  C'est  que,  selon  leurs  prin- 
cipes, j'ai  honte  d'être  contraint  de  le  répéter,  c'était  pro- 
prement la  conception  qu'il  fallait  avoir  en  horreur...  Saint 
Bernard ,  dans  un  de  ses  Sermons  (5),  adjure  les  Albigeois 
de  chasser  les  femmes  d'auprès  d'eux,  «  s'ils  ne  veulent  pas 
scandaliser  l'Église  »,  et  les  montre  se  confessant,  assistant 
à  la  Messe  et  communiant,  tout  autant  de  choses  qu'ils  ab- 

(1)  Serm.  LXVI,  n.  II. 

(2)  Il  r/ies.  11.7. 
(.■{)  Pa^'o  .'«7. 

('»)  Lih.  XX  Cont.  Faust.,  cap.  ii. 
Ci)  Voir  page  303,  édit.  Bar-le-Duc. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  HISTORIEN,  335 

horraient.  «  Sont-ce  là  les  enfants  de  lumière?  conclut 
Bossuet.  Est-ce  là  les  prédécesseurs  que  se  donne  la  Ré- 
forme (1)?  » 

Pour  l'histoire  des  Vaudois,  des  Vicléfîstes  et  des  Hussites, 
Bossuet  ne  peut  alléguer  ni  le  témoignage  de  saint  Auyus- 
lin,  ni  même  celui  de  saint  Bf-rnard ,•  ma.is  quand  il  en  vient 
à  se  demander  pourquoi,  c<  parmi  tant  d'hérésies,  le  Saint- 
Esprit  n'a  voulu  marquer  expressément  que  celle  »  des 
Manichéens  et  de  leurs  héritiers,  ce  dont  «  les  saints  Pères 
ont  été  étonnés  (2)  »,  il  répond  qu'elle  est  «  le  mensonge, 
l'hypocrisie,  l'erreur  des  derniers  temps  »,  comme  l'appelle 
saint  Paul  (3).  «  Marcion  et  Manès  ont  mis  dans  une  plus 
grande  évidence  ce  mystère  d'iniquité...  Mais  lorsque,  par 
l'éminente  doctrine  de  saint  Augustin  et  par  les  soins  de 
saint  Léon  et  de  saint  Gélase,  elle  fut  éteinte  dans  tout  l'Oc- 
cident et  dans  Rome  même,  où  elle  avait  tâché  de  s'établir, 
on  voit  enfin  arriver  le  terme  fatal  du  décliainement  de 
Satan.  Mille  ans  après  que  ce  fort  armé  eut  été  lié  par  Jésus- 
Christ  venu  au  monde,  l'esprit  d'erreur  revient  plus  que 
jamais  :  les  restes  du  Manichéisme,  trop  bien  conservés  en 
Orient,  se  débordent  sur  l'Église  latine.  » 

Dans  le  livre  XIIF,  Doctrine  sur  F  Antéchrist  et  variations 
sur  cette  matière  depuis  Luther  jusqu'à  nous ,  Bossuet  ré- 
pond à  Joseph  Mède ,  à  Jurieu  et  aux  autres  protestants,  qui 
prétendent  que  saint  Léon  est  le  premier  Antéchrist ,  parce 
que  les  trois  caractères  de  l'antichristianisme ,  \ idolâtrie ,  la 
tyrannie  et  la  corruption  des  mœurs ,  conviennent  au  temps 
de  saint  Léon  et  à  lui-même ,  et  parce  que  saint  Basile,  saint 
Ghrysostome,  saint  Grégoire  de  Nysse,  saint  Eucher,  Théo- 
doret,  saint  Anibroise,  ont  appelé  les  saints  «  des  forte- 
resses ,  des  remparts  et  des  rochers  où  on  a  une  retraite 
assurée  ».  «  Ces  messieurs,  dit  l'auteur  àeV Histoire  des  Va- 
riations, savent  bien  en  leur  conscience  que  les  Pères  dont 
ils  produisent  les  passages,  ne  l'entendent  pas  ainsi  (ne  font 

(I)  Page  ;$(H. 
(■2)  Pase  305. 
(3)  I  Timot.,  IV. 


336  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

pas  des  dieux  de  nos  saints),  mais  qu'ils  veulent  dire  seule- 
ment que  Dieu  nous  donne  dans  les  saints ,  comme  il  a  fait 
autrefois  dans  Moïse,  dans  David  et  dans  Jérémie,  d'invin- 
cibles protecteurs,  dont  les  prières  agréajjles  nous  sont  une 
défense  plus  assurée  que  mille  remparts  ;  car  il  sait  faire  de 
ses  saints,  quand  il  lui  plaît  et  à  la  manière  qu'il  lui  plait, 
des  forteresses  imprenables  et  des  colonnes  de  frr  et  des 
murailles  d'airain.  Nos  docteurs,  encore  un  coup,  savent 
bien  en  leur  conscience  que  c'est  là  le  sens  de  saint  Chri/- 
sostome  et  de  saint  Basile ,  quand  ils  appellent  les  saints  des 
tours  et  des  forteresses.  «  Bossuet  s'adresse  ensuite  directe- 
ment à  ses  adversaires  :  «  Montrez  donc,  leur  dit-il  éloc|uem- 
ment,  que  du  temps  de  saint  Léon  on  eût  confondu...  le  ser- 
vice de  Dieu  avec  l'honneur  qu'on  rend,  pour  l'amour  de 
lui,  à  ses  serviteurs.  Vous  ne  l'entreprendrez  jamais...  Com- 
mencez par  saint  Basile  et  saint  Grégoire  de  Nazianze  le 
règne  de  l'idolâtrie  chrétienne  et  les  blasphèmes  de  la  bête 
contre  l'Éternel...  Saint  Basile  n"est  pas  meilleur  que  saint 
Léon ,  ni  FÉgiise  plus  privilégiée  à  la  fin  du  quatrième  siècle 
que  cinquante  ans  après,  dans  le  milieu  du  cinquième.  Mais 
je  vois  la  réponse  que  vous  me  faites  dans  votre  cœur  :  c'est 
qu'à  commencer  par  saint  Basile  tout  serait  fini  depuis 
longtemps.  »  En  effet,  pour  faire  terminer  la  persécution 
antichrétienne  en  1710  (1).  il  faut  la  faire  commencer  en 
450  ou  454-,  sous  saint  Léon,  et  non  pas  à  l'époque  anté- 
rieure de  saint  Basile  et  de  saint  Grégoire  de  Nazianze. 

Dans  le  livre  XIV%  Depuis  1601  et  dans  tout  le  reste  du 
siècle  où  nous  sommes,  à  propos  du  fameux  bill  du  Test, 
qui  condamne,  comme  des  actes  de  superstition  et  d'idolâ- 
trie, V invocation  ou,  comme  ils  l'appellent,  Vadoration  de 
la  Sainte  Vierge  et  des  saints,  Bossuet  déclare  (2)  (]uc  «  les 
Anglais  sont  trop  savants  dans  l'antiquité  pour  ignorer  que 
les  Pères  du  quatrième  siècle ,  sans  maintenant  remonter 
plus  haut ,  ont  invoqué  la  Sainte  Vierge  et  les  saints.  Ils  sa- 
vent que  saint  Grêfjoirc  de  Nazianze  approuve  expressé- 

(I)  c'est  la  date  assignée  par  Jiuicu  dons  ses  PrrjiKjrs  lc(/ilimcs. 
{-!)  l'âge  44.-;. 


LES  SAINTS  PERES  ET  HOSSUBT  HISTORIEN.  337 

ment  dans  la  bouche  d'un  martyre  la  piété  qui  lui  fit  deman- 
der à  la  Sainte  Vierge  qu'elle  aidât  une  vierge  qui  éldit  en. 
'péril  (1).  Ils  savent  que  tous  les  Pères  ont  fait  et  approuvé 
solennellement,  dans  leurs  homélies,  de  semblables  invo- 
cations adressées  aux  saints...  Pour  le  terme  d'adoration,  ils 
savent  aussi  qu'il  est  équivoque,  aussi  bien  parmi  les  saints 
Pères  que  dans  l'Écriture,  et  qu'il  ne  signifie  pas  toujours 
rendre  à  quelqu'un  les  honneurs  divins;  que  c'est  aussi 
pour  cette  raison  que  saint  Grégoire  de  Nazianze  n'a  pas 
fait  difficulté  en  plusieurs  endroits  de  dire  qu'on  adorait 
les  reliques  des  martyrs  et  que  Dieu  ne  dédaignait  pas  de 
confirmer  une  telle  adoration  par  des  miracles  (2).  » 

Au  livre  XV%  Variations  sur  r article  du  st/mbole  :  .Je  crois 
l'Église  catholique.  Fermeté  inébrardable  de  [ Eglise  Eo- 
inaine.  Bossuet  affirme  (.3)  que,  pour  la  question  de  l'Eu- 
charistie et  celle  de  la  justification,  l'Église  romaine  «  ne 
fait  que  répéter  dans  le  Concile  de  Trente  ce  que  les  Pères 
et  saint  Augustin  avaient  autrefois  décidé  ».  Il  invoque 
ensuite  les  décrets  du  Concile  de  Carthage,  qui  ((  ont  paru 
d'autant  plus  inviolables  aux  Pères  de  Trente  que  les  Pères 
de  Carthage  ont  senti  en  les  proposant  qu'ils  ne  proposaient 
autre  chose  sur  cette  matière  que  ce  qu'en  avait  toujours 
entendu  l'Eglise  catholique  répandue  par  toute  la  terre.  » 
«  Personne,  ajoute-t-il  (4),  n'a  contredit  saint  Augustin ,  qui 
enseigne  que  la  certitude  fdu  salut'  n'est  pas  utile  en  ce  lieu 
de  tentation,  où  l'assurance  pourrait  produire  l'orgueil  (5).  » 
C'est  ainsi  que  Bossuet,  fort  de  l'autorité  des  saints  Pères 
et  de  la  Tradition  immuable  de  l'Église  catholique,  oppose 
«  au  royaume  de  Satan ,  divisé  contre  lui-même  et  con- 
damné à  tomber  maison  sur  maison  jusqu'à  la  dernière 
ruine  (6)    »,   l'unité  inébranlable  du  royaume  de  Jésus- 


(I)  Orat.  XVIH.  in  Cyp. 

(-2)  Bossuet  cite  en  noie  smnl  basile.  saint  Grégoire  de  Nazianze.  sa'\nl  A  tnbi'oise. 
et  plusieurs  passages  de  chacun  d'eux. 

(3)  Page  480. 

(4)  Page  488. 

(:;)  De  Correp.  et  Grat..  c.  xiii.  xl  ;  De  Civit.  Dei,  lib.  XI.  c.  xii. 
(6)  Page  493  :  Luc,  XI. 

BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PÈRES.  22 


338  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PÈRES. 

Christ,  «  bâti  sur  la  pierre,  sur  la  même  confession  de  foi 
et  le  même  gouvernement  ecclésiastique  » ,  sans  qu'on  y 
puisse  montrer  la  moindre  variation  depuis  l'origine  du 
christianisme. 

Quoi  quen  dise  M.  Lanson  (1),  Bossuet  a  fort  bien  démêlé 
«  les  causes  historiques  qui  ont  soustrait  en  peu  d'années  la 
moitié  de  l'Europe  à  l'obéissance  du  pape  :  l'esprit  au- 
dacieux des  novateurs,  l'humeur  indocile  de  la  multitude, 
les  desseins  politiques  des  princes,  les  décrets  mysté- 
rieux de  la  Providence  ».  C'en  est  assez,  certes,  pour  rendre 
raison  de  ce  qui  s'est  passé  en  Allemagne,  en  Bohême,  en 
Suisse,  au  Pays-Bas,  en  Angleterre  et  dans  tant  d'autres 
parties  de  la  chrétienté. 

Pourquoi  nous  parler  de  la  Réforme,  «  conséquence  fatale 
de  l'impossibilité  que  les  peuples  ont  sentie  à  un  moment 
d'aller  plus  loin ,  en  restant  soumis  à  Rome ,  dans  le  déve- 
loppement de  leurs  aspirations  et  de  leur  génie?  »  Pour- 
quoi nous  dire  que  «  la  constitution  de  l'Église  faisait  obs- 
tacle à  la  vie  nationale  et  que  la  nation  qui  voulait  vivre 
a  rompu  l'obstacle  (2)?  » 

Avant  Luther  et  la  Réforme,  l'Europe  chrétienne  avait 
vécu  pendant  près  de  dix  siècles  de  la  vie  catholique  la 
plus  intense,  et  certes  ces  dix  siècles  (du  cinquième  au  sei- 
zième) n'avaient  pas  été  sans  gloire  pour  les  peuples  de  la 
chrétienté  :  leur  vie  nationale,  au  lieu  de  trouver  «  un 
obstacle  »  dans  l'Église ,  lui  avait  dû  son  plus  bel  épanouis- 
sement littéraire,  scientifique  et  moral.  C'est  ce  que  Guizot 
et  Frédéric  Ozanam  ont  éloquemment  montré,  l'un  dans 
Y  Histoire  géïK'talp  de  la  Ci  ri  Usai  ion  rit  Europr ,  1828-30, 
l'autre  dans  CiriUsation  au  rin(/i(iriiir  sii-c/r.  1855.  et  les 
Etudes  (jrrmaniqurs,  18  V7. 

Le  docteur  Jean  Janssen.  dans  sa  lumineuse  et  savante 
Histoire  du  peuple  allemand,  1876-78,  traduite  en  français 
sur  la  quatorzième  édition  avec  une  Préface  de  M.  Heinrich, 


(1)  Uossuet,  |).  ;tl7. 

(2)  Lanson,  Bosswi.  p.  ,jis. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  HISTORIEN.  339 

doyen  honoraire  de  la  Faculté  des  Lettres  de  Lyon  (5  vol. 
in-8".  parus  depuis  1887,  chez  Pion,  Paris)  a  fait  un  tableau 
merveilleux:  de  la  civilisation  catholique  de  l'Allemag-ne  à  la 
fin  du  quinzième  siècle ,  au  commencement  du  seizième ,  et 
montré  dans  la  Réforme  «  non  seulement  une  immense  per- 
turbation de  toutes  les  relations  religieuses  et  sociales,  mais 
encore  un  abaissement  du  niveau  intellectuel  aussi  bien  que 
des  mœurs,  une  diminution  du  bien  être  général,  un  ap- 
pauvrissement de  tous  (1  i  ».  Cette  thèse  a  soulevé  des  orages 
en  Allemagne,  où  depuis  trois  siècles  on  regardait  la  ré- 
volution religieuse  accomplie  par  Luther  comme  une  réno- 
vation intellectuelle  et  morale.  Mais  rien  n'est  venu  ébranler 
les  conclusions  générales  de  l'illustre  docteur  de  Francfort, 
qui  a  été  la  hache  de  la  Réforme ,  comme  Taine  a  été  la 
hache  de  la  Révolution. 

D'ailleurs ,  depuis  la  Réforme,  l'Espagne  catholique  a  eu 
son  grand  siècle  historique,  artistique  et  littéraire.  L'Italie 
catholique  n'a  pas  trop  laissé  décroître  le  patrimoine  glo- 
rieux que  lui  avait  légué  Léon  X.  La  France  catholique  a 
vu  briller  au  ciel  de  son  histoire  les  gloires  immortelles  de 
son  dix-septième  siècle ,  celui  des  quatre  grands  siècles  de 
l'humanité  qui,  au  dire  de  Voltaire,  «  approche  le  plus  de 
la  perfection  ». 

«  Le  besoin  de  remplir  ses  destinées  »  rapproche  notre 
pays  de  cette  Église  dont  «  les  évéques  ont  fait  la  France , 
comme  les  abeilles  leur  ruche  » ,  ainsi  que  parle  l'historien 
protestant  Gibbons  :  le  Père  Lacordaire  l'a  prouvé  élo- 
quemment  dans  son  célèbre  Discours  sur  la  Vocation  de  la 
nation  française,  et  ce  n'est  pas  sous  un  Pape  au  génie 
large  et  libéral  comme  Léon  XIII,  qu'on  peut  reprocher 
au  catholicisme  de  ne  pas  s'adapter  aux  formes  politiques  et 
sociales  de  la  vie  moderne  :  rien  n'égale  la  souplesse  des 
doctrines  évangéliques,  si  ce  n'est  leur  fécondité  admirable 
chez  les  peuples  qui  les  professent  sincèrement  (2). 


(I)  Heinrich ,  Préface. 

[i]  Voir  à  ce  sujet  les  Œuvres  économiques  de  M.  Le  Play. 


340  liOSSUET  ET  LES  SAINTS  PÈRES. 

QiiaDt  au  protestantisme,  il  s'altère  et  s'émiette  de  plUs 
en  plus  :  orthodoxes  et  libéraux,  après  s'être  fait  la  guerre, 
vont  se  perdre  dans  le  gouffre  du  rationalisme,  qui  menace 
de  les  engloutir  tous  indistinctement.  Si  Bossuet  revenait  en 
ce  monde ,  il  aurait  bien  des  livres  et  bien  des  chapitres  à 
ajouter  à  son  Histoire  des  Variations  des  églises  protes- 
tantes, pour  raconter  les  divisions  profondes,  les  change- 
ments multiples,  infinis,  aux(]uels  ont  été  en  proie  pendant 
deux  siècles  le  Luthéranisme,  le  Calvinisme  et  l'Anglica- 
nisme, en  Suède,  en  Danemark,  en  Allemagne,  en  Hol- 
lande, en  Suisse,  en  France,  en  Angleterre,  aux  États-Unis, 
où  l'on  ne  distingue  pas  moins  de  cent  quarante  sectes  (1), 
Communions  ou  Confessions  différentes,  que  M.  le  vicomte 
de  Meaux  décrivait  naguère  dans  un  chapitre,  aussi  inté- 
ressant qu'instructif  (2) ,  de  son  beau  livre  l'Eglise  ca- 
tholique et  la  liberté  aux  États-Unis,  et  qu'il  montrait 
vivant  ensemble  sur  cette  terre  classique  de  la  liberté  reli- 
gieuse (3). 

Augustin  Thierry ,  le  plus  grand  historien  de  ce  siècle, 
donnait  raison  à  Bossuet,  lorsque,  sur  la  fin  de  sa  vie,  il  di- 
sait au  P.  Gratry.  qui  le  rapporte  dans  sa  Lettre  èi  M^'  l'ar- 
chevéque  de  Paris  sur  les  derniers  moments  de  M.  A  ii  g  us- 
tin  Thierrg  (4)  :  «  Toute  la  vraie  philosophie  de  tous  les 
temps  et  de  tous  les  lieux  se  trouve  dans  la  doctrine  catho- 
lique. Toute  la  vérité  s'y  concentre,  et  l'on  est  dfins  le  faux 
à  mesure  qu'on  s'en  éloigne.  C'est  poui'quoi  le  Luthéranisme 
vaut  moins  que  l'Anglicanisme,  le  Calvinisme  moins  que  le 
Luthéranisme,  rUnitarisme  moins  que  le  Calvinisme,  et 
ainsi  de  suite  (5)...  Lorsque  j'eus  jeté  les  yeux  sur  l'histoire 


(1)  On  compto.il  est  vrai,  clans  ce  nomlne  les  sectes  chinoises,  japonaises  et 
autres  non  chrétiennes. 

(•2)  Ln  dirertsito  des  cultes. 

(3)  I. es  catholiques  ont  fait  en  un  siècle  des  progrès  inouïs  :  ils  sont  actuellement 
lie  !ià  10  millions  et  comptent  sv  cvê(|ues.  —  En  Angleterie,  sur  une  po|)ulalion 
(le  .'{()  millions  d'haltitanls.  il  \  a  aussi  près  île  fi  millions  «le  calholif|ues,  et  leur 
nombre  s'accroît  tous  les  jours,  sans  (|ue  «  la  vie  nationale  »  du  pays  soit  même 
menacée. 

i\)  Elle  se  lit  dans  la  Cnnnaixsonce  de  Die» .  H"  èdit.:  t.  I,  p.  'iH7-i<)V. 

(■>)  Il  faut  reconnaître  cependant  (|ue  toutc('(|ui  reste  de  Christianisme  profond 
dans  le  schisme  grec  et    le  i)roteslanlisme   suflit  à  expliquer  la  vitalité  i)uissante 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  HISTORIEN.  341 

de  l'Église,  je  vis  clairement  que  le  protestantisme  ne  pou- 
vait être  la  religion  fondée  par  Jésus-Christ.  Le  protestan- 
tisme et  riiistoire  so)it  entièrement  ineompatil)les.  Le  pro- 
testantisme a  été  forcé  de  construire  à  son  usage  une  histoire 
fictive.  Je  m'étonne  qu'on  puisse  se  maintenir  sur  ce  terrain.  » 
«  Mais,  dit  M.  Rébelliau,  le  tort  de  Bossuet  c'est  de  n'avoir 
rien  prévu  de  cet  avenir  rationaliste  du  protestantisme.  » 
—  Pardon,  le  génie  du  grand  évoque  entrevoyait  toutes  les 
conséquences  de  la  Réforme,  et  il  y  a  dans  V Histoire  des 
Variations,  au  livre  V®,  une  page  admirable,  qui  nous 
dépeint  le  cœur  de  Mélanchton  hésitant  et  déchiré  entre  les 
séductions  de  l'erreur,  d'un  càté,  et  l'autorité  légitime,  de 
l'autre,  u  II  connaissait  Luther  et  ne  craignait  p:is  moins  la 
tyrannie  de  son  parti  que  celle  qu'il  attribuait  au  parti 
contraire.  Les  fureurs  des  théologiens  le  font  trembler.  Il 
voit  que  l'autorité  étant  une  fois  ébranlée,  tous  les  dogmes, 
et  même  les  plus  importants ,  viendraient  en  question  l'un 
après  l'autre,  sans  quon  sût  comment  finir .  Les  disputes  et 
les  discordes  de  la  cène  lui  faisant  voir  ce  qui  devait  ar- 
river des  autres  articles  :  «  Bon  Dieu,  dit-il,  quelles  tragé- 
dies verra  la  postérité,  si  on  vient  un  jour  à  remuer  ces 
questions,  si  le  Verbe,  si  le  Saint-Esprit  est  une  personne!  » 
On  commença  de  son  temps  à  remuer  ces  matières;  mais  il 
jugea  bien  que  ce  n'était  encore  qu'un  faible  commence- 
ment; car  il  voyait  les  esprits  s'enhardir  insensiblement 
contre  les  doctrines  établies  et  contre  l'autorité  des  déci- 
sions ecclésiastiques.  Que  serait-ce,  s'il  avait  vu  les  autres 
suites  pernicieuses  des  doutes  que  la  Réforme  avait  excités? 
Tout  l'ordre  de  la  discipline  renversé  publiquement  par  les 
uns,  et  l'indépendance  établie,  c'est-à-dire  sous  un  nom 
spécieux  et  qui  tlatte  la  liberté,  l'anarchie  avec  tous  ses 
maux  :  la  puissance  spirituelle  mise  par  les  autres  entre 
les  mains  des  princes  ;  la  doctrine  chrétienne  combattue  en 
tous  ses  points  ;  des  chrétiens  nier  l'ouvrage  de  la  création 

elles  siandeurs  nationales  de  la  Russie,  de  l'Allemagne,  de  l'Angleterre  et  de 
rAmérique.  La  Grèce  et  Rome  avaient  eu  une  religion  bien  moins  pure ,  et  n'en 
étaient  pas  moins  devenues  les  maîtresses  du  monde  civilisé. 


342  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

et  celui  de  la  rédemption  du  genre  humain,  anéantir  l'en- 
fer, abolir  l'immortalité  de  l'àme,  dépouiller  le  christia- 
nisme (le  fous  ses  /jii/stères  et  le  changer  en  une  secte  de 
philosophie  tout  accommodée  aux  sens  :  de  là  naître  Yin- 
différence  des  religions,  et  ce  qui  suit  naturellement,  le 
fond  même  de  la  religion  attaqué  ;  l'Écriture  directement 
combattue;  la  voie  ouverte  au  déisme,  c'est-à-dire  à  un 
afhéisjjfc  déguisé,  et  les  livres  où  seraient  écrites  ces  doc- 
trines prodigieuses  sortir  du  sein  de  la  Réforme  et  des  lieux 
où  elle  domine.  Qu'aurait  dit  Mélanchton,  s'il  avait  prévu 
tous  ces  maux?  et  quelles  auraient  été  ses  lamentations?  Il 
en  avait  assez  vu  pour  être  troublé  toute  sa  vie.  Les  disputes 
de  son  temps  et  de  son  parti  suffisaient  pour  lui  faire  dire 
qu'à  moins  d'un  miracle  visible,  toute  la  religion  allait 
être  dissipée .  »  — N'y  a-t-il  pas  là  comme  l'histoire  anticipée 
de  tout  le  philosopliisme  du  dix-huitième  siècle ,  qui  me- 
naçait déjà,  sous  le  nom  de  libertinage,  les  principes  sa- 
crés qu'avait  tant  à  cœur  de  défendre  l'illustre  auteur  de 
X Histoire  des  Variations? 


ARTICLE  III 

Les  saints  Pères 
et  l'Introduction  à  la  philosophie  ou  de  la  Connaissance  de  Dieu  et  de 
soi-même  (I), —  la  Logique,  —  le  Traité  du  Libre  arbitre,  —  l'Abrégé 
de  la  Jlorale  d'Aristote  à  Nicomaque,  —  les  Extraits  des  ant^iens  phi- 
losophes, —  et  le  Traité  des  causes. 

La  pbilosophie  de  Bossuet  a  été  étudiée  dans  notre  siècle 
d'abord  par  l'abbé  iManier,  de  Saint-Sulpice,  dans  un  re- 
marquable Essai  sur  la  philosophie  de  Bossuet,  de  47  pages, 
qui  se  trouve  en  tète  de  l'édition  conforme  au  manuscrit 
original  de  la  Connaissance  de  Dieu  et  de  soi-même ,  qu'a 


(1)  C'est  là  le  titre  donne  par  Bossuet  à  son  ouvrage.  La  plupart  des  éditeurs 
ont  sup])rimé  Introduclion  à  la  pUilosophie  et  ajoute  Traité  (de  la  connaissance 
de  Dieu  et  de  soi-même).  —  M.  Brunefièie  (La  j)lnl(>so}jhie  de  Bossuet)  regarde 
comme  (aux  le  titre  Introduction  :  il  se  trompe.  {Voir  la  Logique,  deuxième  partie, 
chap.  XIV.) 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  PHILOSOPHE.  343 

publiée  l'abbé  Caron  en  18V6;  puis  par  Nourrisson  dans 
une  étude  plus  savante  et  plus  complète,  Essai  sur  la  Ph't- 
losophir  (If  Bossiirt  art'c  cb'S  frafjmaiits  inédits,  1859  et 
1862,  deuxième  édition  revue  et  augmentée  (li;  par  De- 
londre,  l'auteur  de  la  Doc/riiif  philosophique  de  Bossuet 
sur  la  conuaissa/ice  de  Dieu,  1855  2);  par  M.  Lanson  dans 
le  onzième  et  dernier  chapitre  de  son  Bossuet,  La  philoso- 
phie de  Bossuet  (3)  ;  et  enfin  par  M.  Brunetière  dans  un  tra- 
vail plus  large  et  moins  technique,  qui  fait  partie  de  la 
cinquième  série  des  Études  critiques  sur  l'histoire  de  la  lit- 
térature frauçaise  (1893),  et  où  Bossuet  nous  est  représenté 
comme  «  le  théologien  de  la  Providence  [k).  » 

Dans  quelle  mesure  la  philosophie  de  Bossuet  est-elle  ins- 
pirée par  les  Pères  et  les  Docteurs  de  F  Église? 

La  fameuse  Lett?'e  au  Pape  Innocent  XI  sur  F  éducation  du 
Dauphin  n'y  fait  pas  même  allusion,  et  cependant  Bossuet 
expose  admirablement  comment  «  il  a  distribué  les  ques- 
tions philosophiques  de  manière  à  démontrer  sérieusement 
et  dans  toute  la  certitude  de  leurs  principes  les  choses  incon- 
testables et  utiles  à  la  vie  humaine,  et  à  rapporter  histori- 
quement celles  qui  ne  sont  que  d'opinion  et  dont  on  dis- 
pute »  ;  comment  il  s'est  souvenu  du  précepte  du  Seigneur  : 
Attendite  vobis  (5),  et  de  la  parole  de  David  :  Mirabilis  fac ta 
est  scientia  tua  ex  me;  j'ai  tiré  de  moi  une  merveilleuse 
connaissance  de  ce  que  vous  êtes,  ô  Seigneur  (G)  »,  pour 
composer  son  traité  de  la.  Connaissance  de  Dieu  et  de  soi- 
mêtne;  comment  il  est  passé  de  là  à  la  logique  et  à  la  mo- 
rale :  à  la  logique,  qu'il  a  tirée  de  Platon  et  d'Aristote;  à 
la  morale ,  qu'il  a  puisée  à  la  source  même  de  l'Écriture  et 
de  l'Évangile  ;  comment  enfin  il  a  mêlé  la  métaphysique  à 
tout  ce  qui  précède. 

Dans  ces  diverses  œuvres  philosophiques,  on  ne  relève 


(1)  Un  vol.  in-S"  de  XXXV,  -2So  pages,  chez  Ladrange. 

(2)  Un  vol.  in-8". 

(3)  Page  t02-:;|-. 

(4)  Page  l(i(!. 

(.'>)  Saint  Luc.  XXI,  'M. 
((i)  Psalm.  CXXXVHl,  (i. 


344  EOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

que  quelques  rares  citations  d'Orif/ène,  de  saint  Augustin 
et  de  saint  Thomas  d'Aquin,  une  douzaine  au  plus. 

Et  pourtant,  Bossuet  philosophe  est  l'écho  des  Prres  de 
rÉglise. 

Nicolas  Cornet  son  maître  de  philosophie  au  collège  de 
Navarre,  l'avait  nourri  de  leur  plus  pure  doctrine.  «  Il  con- 
naissait très  parfaitement,  dit  Bossuet  lui-même  dans  l'O- 
raison funèbre  du  grand  maître  de  Navarre,  1663,  et  les 
contins  et  les  bornes  de  toutes  les  opinions  de  l'École,  jus- 
(pi'où  elles  couraient,  et  où  elles  commençaient  à  se  sé- 
parer; surtout  il  avait  grande  connaissance  de  la  doctrine 
de  saint  Augustin  et  de  l'École  de  saint  Thomas...  C'était 
donc  véritablement  un  grand  et  riche  trésor;  et  tous  ceux 
qui  le  consultaient...  voyaient  paraître  avec  abondance, 
dans  ce  trésor  évangélique,  les  choses  vieilles  et  nouvelles, 
les  avantages  naturels  et  surnaturels,  les  richesses  des  deux 
Testaments,  l'érudition  ancienne  et  moderne,  la  connais- 
sance profonde  dea  saints  Pères  et  des  scolastiques.  » 

Formé  à  une  telle  école,  Bossuet  était  thomiste  et  aristoté- 
licien, augustinien  et  par  là  même  platonicien  pour  le  fond 
des  idées  philosophiques. 

Cela  ne  l'empêchait  pas  d'être  cartésien  par  la  mé- 
thode (1),  et  Le  Dieu  nous  affirme  (2)  que  Descartes  «  avait 
mérité  l'estime  et  l'approbation  de  notre  prélat,  qui  même 
a  fait  exprès  un  écrit  particulier  pour  prouver  son  ortho- 
doxie sur  le  mystère  de  l'Eucharistie,  et  pour  réfuter  la 
nouvelle  manière  d'exphquer  la  présence  réelle  du  corps  et 
du  sang  de  Notre-Seigneur  en  ce  sacrement,  proposée  par 
les  disciples  de  ce  philosophe  comme  conforme  à  ses  princi- 
pes. Au  reste,  il  mettait  son  Traite  de  la  méthode  au-des- 
sus de  tous  ses  ouvrages  et  de  toîis  ceux  de  son  siècle  (3).  » 


(1)  «  Il  ne  s'agira  pas  ici,  dit-il  au  début  de  la  Connaissance  de  Dieu  et  de  soi- 
même.  Dessein  et  division  de  ce  traité,  de  faire  un  long  raisonnement  sur  ces  cho- 
ses, ni  d'en  rechercher  les  causes  prolbndes,  mais  plutôt  d'obseriwr  et  de  conce- 
voir ce  que  chacun  de  nous  en  peut  reconnaître,  en  taisant  réflexion  sur  (;e  qui 
arrive  tous  les  jours  ou  à  lui-même,  ou  aux  autres  hommes  semblables  à  lui.  ■> 
—  N'est-ce  pas  là  la  méthode  psychologique,  pré(;oniséc  par  Descartes? 

(2)  Mi'-moires,  t.  I ,  p.  l.">0. 

(.'<)  Uossuet  écrivait  pourtant  en   KW"  :  «  .le  vois  un  grand  combat  se  préparer 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  PHILOSOPHE.  345 

Si  donc  Bossuet  s'est  souvenu  du  «  Je  pense,  donc  je 
suis  »  de  Descartes,  quand  il  a  donné  «  la  connaissance  de 
nous-mêmes  comme  devant  nous  élever  à  la  connaissance 
de  Dieu  (1)  »,  la  psychologie  comme  étant  le  préambule 
obligé  de  la  logique ,  de  la  morale  et  de  la  métaphysique , 
il  a  aussi  pensé,  sans  doute,  à  cette  parole  célèbre  des  Soli- 
loques (liv.  II ,  chap.  i)  de  saint  Augustin,  son  docteur  fa- 
vori :  «  Noverim  me ,  spd  noverim  te.  Que  je  vous  con- 
naisse, ù  mon  Dieu,  et  que  je  me  connaisse  moi-même!  » 
C'est  le  titre  même  de  son  Introduction  à  la  philosopliie  ou 
de  la  Connaissance  de  Dieu  et  de  soi-même. 

De  plus,  quand  Bossuet  définit  «  l'àme  raisonnable  :  subs- 
tance intelligente  ,  née  pour  vivre  dans  un  corps  et  lui  être 
intimement  unie  »,  il  parle  comme  saint  Augustin.  Nour- 
risson [Philosophie  de  saint  Augustin,  t.  Il,  p.  235)  affirme 
u  qu'il  ne  lait  que  répéter  littéralement  saint  Augustin  , 
qui  disait  :  «  Anima  mihi  videtur  esse  substantia  quaedam 
rationis  particeps ,  regendo  corpori  accommodât  a.  » 

Saint  Thomas  cVAquin  avait  défini  l'homme  «  un  com- 
posé d'une  âme  et  d'un  corps,  aliquid  compositum  anima 
et;  cor  pore  »  :  Bossuet  s'en  souvenait,  quand  il  écrivait  : 
((  L'âme  et  le  corps  ne  font  ensemble  qu'un  tout  naturel  » 
et  qu'il  montrait  que ,  si  l'on  peut  dire  avec  Platon  que 
«  l'homme  est  une  âme  se  servant  d'un  corps  (2),  il  y  a 
«  une  extrême  difTérence  entre  les  instruments  ordinaires 
«  et  le  corps  humain  (3).  » 

Saint  Thomas,  dans  la  Somme  Théologique,  première 
Partie,  question  78%  art.  1"',  nous  dit  «  qu'il  y  a  cinq  sortes 
de  puissances  distinctes  dans  l'âme  :  la  puissance  végéta- 
contre  l'Église  sous  le  nom  de  philosophie  cartésienne.  Je  vois  naître  de  son 
sein  et  de  ses  principes,  à  mon  avis  mal  entendus,  plus  d'une  hérésie,  et  je 
prévois  que  les  conséquences  qu'on  <'n  tire  contre  les  dogmes  que  nos  pères  ont 
tenus  la  vont  rendre  odieuse,  et  feront  perdre  à  l'Église  tout  le  fruit  qu'elle  en 
pouvait  espérer  pour  établir  dans  l'esprit  des  philosophes  la  divinité  et  l'im- 
mortalité de  l'àme.  » 

(1)  M.  lirunetière  (Étud.  crit..  cinquième  série,  p.  4(i).  dit  que  Bossuet  n'a  été 
cartésien  (|ue  «  par  accident  ou  par  occasion,  dans  celui  de  ses  ouvrages  dont  les 
destinées  l'ont  le  moins  occupé,  et  qu'il  ne  l'est  pas  dans  les  autres.  »  —  Cela  sem- 
ble exagéré,  surtout  après  les  témoignages  formels  qu'on  vient  de  lire. 

{'D  Premier  Alcihiade.  c.  lu. 

(3)  De  la  Connaissance  de  Dieu,  etc.,  chap.  ni,  §  -20. 


346  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

tive,  la  puissance  sensitive,  la  puissance  appétitive  (1),  la 
puissance  locomotrice  et  la  puissance  intellective  ».  Bossuet 
ne  fait  que  simplitier  cette  classification  dans  le  premier 
chapitre  de  la  Connaissance  de  Dimi  et  dp  soi-même,  De 
Vàme.  Il  laisse  de  côté  les  facultés  végétative  et  locomotrice 
et  distingue  deux  sortes  d'opérations  dans  Tàme  :  les  opé- 
rations spnsifives,  opérations  des  sens  extérieurs,  opérations 
des  sens  intérieurs  (2),  et  passions  ou  appétit  sensitif  ;  et  les 
opérations  intidlectuelles ,  qui  embrassent  les  opérations  de 
Y  entendement,  conception,  souvenir,  réflexion  (3),  idée, 
jugement  et  raisonnement  4),  et  les  opérations  de  la  vo- 
lonté ou  appétit  intellectuel.  «  Toutes  ces  facultés,  lisons- 
nous  dans  la  Uécapitiilaliou ,  ^  XX,  chap.  P"",  ne  sont  au 
fond  que  la  môme  àme,  qui  reçoit  divers  noms  à  cause  de 
ses  différentes  opérations,  » 

La  théorie  des  passions,  telle  que  Bossuet  la  donne  au 
§  VI  du  premier  chapitre  de  la  Connaissance  de  Dieu  et  de 
soi-même,  est  la  reproduction  éloquente  de  ce  que  dit  saint 
Thomas  dans  la  Somme  Théologicjae ,  première  Partie, 
question  LXXXI,  à  propos  deTappétit  concupiscible,  auquel 
se  rapportent  six  passions,  Tamour  et  la  haine,  le  désir  et 
l'aversion,  la  joie  et  la  tristesse,  et  de  Tappétit  irascible, 
auquel  se  ramènent  l'espérance  et  la  crainte ,  le  courage  et 
le  désespoir,  la  colère  enfin. 

Bossuet  marche  sur  les  traces  de  saint  Thomas ,  ou  plutôt 
de  saint  Auf/ustin ,  inspiré  par  Platon,  lorsqu'il  établit  le 
rôle  distinct  de  lentendement  et  des  sens  :  «  de  l'entende- 
ment, C£ui  est  la  lumière  que  Dieu  nous  a  donnée  (5)  pour 
nous  conduire,...  pour  nous  élever  au-dessus  des  sens  et 
de  l'imagination  »  ;  et  des  sens,  «  qui  donnent  lieu  à  la  con- 
naissance de  la  vérité,  mais  par  lesquels  nous  ne  la  connais- 

(I;  Il  y  a  l'appctit  sensitif,  ou  les  passions,  et  l'appctil  intellectuel,  ou  la  volonté. 
(■X)  Saint  Thomas  en  reconnaît  nuatre  :  sens  commun,  imagination,  mémoire, 
opinion.  Bossuet  ne  parle  que  du  sens  commun  et  do  l'imagination. 

(3)  Ce  sont  là,  «  les  actes  particuliers  de  l'intellisence  ». 

(4)  Bossuet  les  appelle,  avec  les  anciens  logiciens,  «  les  trois  opérations  de  l'es- 
prit >. 

(•>)  Saint  Thomas  définit  la  raison  :  ri'fiUgentia  divinae  claritalis  in  nobis;  — 
iiuaedam  parlicipatio  divinilnminis.  (S.  T/icoi.,  I»  part.,  qu.  XII,  art.  II). 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  PHILOSOPHE.  347 

sons  pas  précisément  »,  et  qui  ne  nous  apprennent  ni  ce  qui 
se  fait  dans  leurs  organes  ni  quelle  est  la  vraie  nature  des 
choses  (1).  —  «  L'entendement,  dit  Bossuet,  a  pour  objet 
des  vérités  éternelles  :...  les  règles  des  proportions,...  tout 
ce  qui  se  démontre  en  mathématique,...  ces  principes  de 
vérité  éternelle  que...  le  devoir  essentiel  de  l'homme...  est 
de  vivre  selon  la  raison  et  de  chercher  son  Auteur...  Toutes 
ces  vérités  et  toutes  celles  que  j'en  déduis  par  un  raison- 
nement certain ,  subsistent  indépendamment  de  tous  les 
temps...  Si  je  cherche  maintenant  où  et  en  quel  sujet  elles 
subsistent  éternelles  et  immuables  comme  elles  sont,  je  suis 
obligé  d'avouer  un  être  où  la  vérité  est  éternellement 
subsistante...  Cet  objet  éternel,  c'est  Dieu  éternellement 
subsistant,  éternellement  véritable,  éternellement  la  vérité 
même  (2).  » 

Cette  magnifique  preuve  platonicienne  et  augustinienne 
de  l'existence  de  Dieu  est  rapportée  par  Bossuet  à  ses  vrais 
auteurs,  quand  il  dit  dans  sa, Logique,  liv.  1'%  chap.  xxxvii, 
ce  que  c'est  que  les  essences  et  comment  elles  sont  éternelles  : 
«  Il  y  en  a  qui,  pour  vérifier  ces  vérités  éternelles  que  nous 
avons  proposées  et  les  autres  de  même  nature ,  se  sont  fi- 
guré, hors  de  Dieu,  des  essences  éternelles  :  pure  illusion 
qui  vient  de  n'entendre  pas  qu'en  Dieu,  comme  dans  la 
source  de  l'être ,  et  dans  son  entendement ,  où  est  l'art  de 
faire  et  d'ordonner  tous  les  êtres ,  se  trouvent  les  idées  pri- 
mitives, ou,  comme  parle  saint  Augnstin  (3),  les  raisons 
des  choses  éternellement  subsistantes...  Ces  vérités  éter- 
nelles que  nos  idées  représentent  sont  le  vrai  objet  des 
sciences;  et  c'est  pourquoi  pour  nous  rendre  véritablement 
savants,  Platon  nous  rappelle  sans  cesse  à  ces  idées,  où  se 
voit,  non  ce  qui  se  forme,  mais  ce  qui  est,  non  ce  qui  s'en- 
gendre et  se  corrompt,  ce  qui  se  montre  et  passe  aussitôt, 
qui  se  fait  et  se  défait,  mais  ce  qui  subsiste  éternellement. 
C'est  là  ce  monde  intellectuel  que  ce  divin  philosophe  a  mis 

(1)  De  la  Connais,  de  Lieu.  etc. ,  cliap.  i,  g  VII. 

(-2)  Ibidem,  cliap.  iv,  g  V. 

(3)  De  div.  quaest. ,  LXXXIII,  quaest.  'iii. 


348  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

dans  l'esprit  de  Dieu  avant  que  le  monde  fût  construit,  et 
qui  est  le  modèle  immuable  de  ce  grand  ouvrage  (1)...  Saint 
Augustin  nous  a  enseigné  à  retenir  ces  principes  sans  tom- 
ber dans  des  excès  insupportables  (2),  sans  nous  égarer  avec 
Platon  dans  ces  siècles  infinis,  où  il  met  les  âmes  en  des 
états  si  bizarres  que  nous  réfuterons  ailleurs.  Il  suffirait  de 
concevoir  que  Dieu  en  nous  créant  a  mis  en  nous  certaines 
idées  (3)  primitives,  où  luit  la  lumière  de  son  éternelle  vé- 
rité, et  que  ces  idées  se  réveillent  ik)  par  les  sens,  par  l'ex- 
périence et  par  l'instruction  que  nous  recevons  les  uns  des 
autres.  De  là  nous  pourrions  conclure,  avec  le  même  saint 
Augustin  (5),  qu'apprendre  c'est  se  retourner  à  ces  idées 
primitives  et  à  l'éternelle  vérité  qu'elles  contiennent  et  y 
faire  attention;  d'où  l'on  peut  encore  inférer  avec  le  même 
saint  Augustin  qu'à  proprement  parler  un  homme  ne  peut 
rien  apprendre  à  un  autre  homme,  mais  qu'il  peut  seule- 
ment lui  faire  trouver  la  vérité  qu'il  a  déjà  en  lui-même, 
en  le  rendant  attentif  aux  idées  qui  la  lui  découvrent  inté- 
rieurement :  à  peu  près  comme  on  indique  un  objet  sensible 
à  un  homme  qui  ne  le  voit  pas,  en  le  lui  montrant  du  doigt 
et  en  lui  faisant  tourner  ses  regards  de  ce  côté-là.  »  —  Ces 
théories  platoniciennes  et  augustiniennes  sur  les  idées  et  les 
vérités  éternelles  sont  si  chères  à  Bossuet  qu'il  y  revient  jus- 
que dans  le  Trait r  des  causes ,  qui  semble  être  toute  «  sa 
Métaphysique  »,  comme  dit  Le  Dieu  (6~)  :  «  Le  premier 
exemplaire  (7)  sur  lequel  ont  été  faites  toutes  choses,  est. 
si  l'on  peut  ainsi  parler,  la  pensée  de  Dieu  et  son  idée  éter- 
nelle. Le  monde  a  été  dressé  sur  ce  premier  original.  Les 
animaux,  les  arbres,  les  plantes  et  les  autres  choses  de 
même  nature  étant  semblables  entre  elles,  il  parait  qu'elles 

(I)  Voy.  la  Rrjmblii/ue  de  l'iaton,  liv.  X,  et  le  l'hcdon. 
(-2)  Dp  Trinil.,  lih.  XII,  c.  xxiv;  lietrnct. 

(3)  Ce  ne  sont  pas  des  idées  (jne  Dieu  a  mises  en  nous,  en  nous  créant;  c'est 
seulement  la  faculté  de  concevoir  ces  idées,  la  raison. 

(4)  Ces  idées  ne  se  réveillent  pas,  elles  s'éveillent  eu  nous. 
(.■>)  De  Magistr.,  n.  3. 

(<>)  Mémoires,  1. 1,  p.  i'H. 

H)  Kn  dehors  des  f|uafre  causes,  admises  par  Aristote  elles  scolasliques,  cause 
matérielle ,  formelle ,  efficiente  et  finale.  Bossuet  parle  avec  Platon  de  la  cause 
exemplaire. 


LKS  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  PHILOSOPHE.  349 

ont  toutes  le  même  modèle,  et  qu'il  y  a  un  exemplaire  com- 
mun sur  lequel  elles  sont  formées,  qui  est  la  pensée  de  Dieu.  » 
—  Bossuet  tire  même  des  vérités  éternelles,  «  qui  sont 
l'objet  naturel  de  l'entendement  humain  »,  comme  de  l'In- 
telligence infinie  à  l'image  de  laquelle  il  est  créé,  une 
preuve  de  l'immortalité  de  l'àme  toute  platonicienne  et  au- 
gustinienne  il)  :  «  Nous  savons  que  (ces  vérités)  sont  tou- 
jours les  mêmes,  et  nous  sommes  toujours  les  mêmes  à  leur 
égard ,  toujours  également  ravis  de  leur  beauté  et  con- 
vaincus de  leur  certitude  :  marque  que  notre  àme  est  faite 
pour  les  choses  qui  ne  changent  pas ,  et  qu'elle  a  en  elle  un 
fond  qui  aussi  ne  doit  pas  changer...  On  voit  quelle  est  la 
nature  (de  l'entendement  humain)  et  qu'étant  né  conforme 
à  des  choses  qui  ne  changent  point,  il  a  en  lui  un  principe 
de  vie  immortelle.  » 

C'est  encore  sous  la  dictée  àWiif/iistin ,  au  dire  de  Nour- 
risson (2) ,  mais  non  pas  précisément  d'Augustin  dans  la 
dernière  période  de  sa  philosophie,  que  Bossuet  délimite  la 
foi  et  la  raison,  la  croyance  et  la  science,  l'autorité  et  l'exa- 
men ,  dans  les  §  xiv'  (3)  et  xvi'  du  premier  chapitre  de  la 
Connaissance  de  Dieu  et  de  soi-?nême  et  dans  le  chapitre 
xviii'  du  livre  lïl  de  la  Logique. 

Lisez  le  chapitre  consacré  à  établir  «  la  différence  entre 
l'homme  et  la  bête  (ï)  »,  où  Bossuet  répond  au  premier 
argument  que  Ton  allègue  en  faveur  des  animaux,  à  savoir 
«  qu'ils  font  toutes  choses  convenablement  aussi  bien  que 
l'homme;  donc  ils  raisonnent  comme  l'homme  ».  Il  y  est 
dit  :  «  Quand  les  animaux  montrent  dans  leurs  actions  tant 
d'industrie ,  saint  Thotnas  a  raison  de  les  comparer  à  des 
horloges  et  aux  autres  machines  ingénieuses ,  où  toutefois 
l'industrie  réside,  non  dans  l'ouvrage,  mais  dans  l'artisan.  » 
Ce  n'est  pas  que  Bossuet  soit  partisan  de  l'automatisme  des 
bêtes,  de  la  théorie  cartésienne  des  animaux  machines  : 
«  Cette  opinion  jusqu'ici,  dit-il,  entre  peu  dans  l'esprit  des 

(1)  De  la  Connais,  de  Dieu,  V,  s  XIV,  Conclusion  de  tout  ce  Traité. 

(-2)  La  Philosophie  de  saint  Augustin,  t.  Il ,  p.  i'i't-ijj. 

(3)  Diverses  dispositions  de  l'entendement. 

(i)  C'est  le  V  de  la  Connaissance  de  Dieu.  etc. 


350  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PÈRES. 

hommes  »,  quoique  u  M.  Descartes  lui  ait  donné  un  peu 
plus  de  vogue  et  qu'il  lait  aussi  expliquée  par  de  meilleurs 
principes  que  tous  les  autres  (1)  ».  Il  aime  mieux  se  ranger 
à  l'opinion  sur  laquelle  «  toute  l'École  est  d'accord  »  et  qui 
«  donne  aux  animaux  une  âme  sensitive  distincte  du  corps. 
Cette  âme  est  indivisible,  ^elotisai/U  Thomas  [^),  toute  dans 
le  tout  et  toute  dans  chaque  partie.  Toute  l'École  le  suit  en 
cela»...  Mais  «  saint  Thomas  et  les  autres  docteurs  de  l'É- 
cole ne  croient  pas  que  l'àme  (des  animaux)  soit  spirituelle, 
précisément  pour  être  distincte  du  corps,  ou  pour  être  in- 
divisible... Spirituel,  c'est  immatériel,  et  saint  Thomas 
appelle  immatériel  ce  qui  non  seulement  n'est  pas  matière, 
mais  qui  de  soi  est  indépendant  de  la  matière.  Cela  même, 
selon  lui,  est  intellectuel  (3)...  De  cette  sorte,  ceux  qui  don- 
nent aux  bêtes  des  sensations  et  une  âme  qui  en  soit  capa- 
ble, interrogés  si  cette  àme  est  un  esprit  ou  un  corps,  ré- 
pondront qu'elle  n'est  ni  l'un  ni  l'autre.  C'est  une  nature 
mitoyenne,  qui  n'est  pas  un  corps,  parce  qu'elle  n'est  pas 
étendue  en  longueur,  largeur  et  profondeur;  qui  n'est  pas 
un  esprit,  parce  qu'elle  est  sans  intelligence,  incapable  de 
posséder  Dieu  et  d'être  heureuse.  »  «  Les  bêtes  ,  disait  saint 
Augustin,  ont  la  faculté  de  sentir;  elles  sont  étrangères  à 
la  science.  » 

Quant  à  la  liberté ,  Bossuet  en  prouve  l'existence ,  comme 
saint  Au (/ustin,  par  «  le  sentiment  clair  »  qu'en  ont  tous 
les  hommes ,  «  par  une  expérience  certaine  et  par  un  rai- 
sonnement invincible  (4)  ».  De  plus,  il  emploie  des  argu- 
ments tout  augustiniens  pour  répondre  aux  difficultés  qu'on 
élève  à  propos  de  la  conciliation  de  la  lil)erté  humaine  avec 
la  prescience  divine.  «  Si  on  reconnaît  que  Dieu,  dit-il, 
ayant  des  moyens  certains  de  s'assurer  des  volontés  libres, 
résout  à  quoi  il  veut  les  porter,  on  n'a  point  de  peine  à  en- 


(I)  De  la  Con.  de  Dieu,  etc.,  cli.  V,  g  Xlll. 

(-2)  Sum.  ThcoL,  i"  |)ar.,  Qiiaesl.  LXXV,  art.  8. 

(.'J)  Ibidem, 

f»)  Aujourd'hui  on  distingue  l'immatériel  du  spirituel  :  Via  s/m'  con.scia,  voilà  la 
rornmle  de  la  spirilualili'- ;  Vis  sut  molri.c.  \o\\ii  celle  de  l'inimatérialité.  On  dit 
que  l'ànic  des  animaux  est  immatérielle,  mais  non  pas  s|)iriluelle  et  pensante. 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  PHILOSOPHE.  351 

tendre  sa  prescience  éternelle,  puisqu'on  ne  peut  douter 
qu'il  ne  connaisse  et  ce  qu'il  veut  dans  l'éternité  et  ce  qu'il 
doit  faire  dans  le  temps.  C'est  la  raison  que  rend  saint  Ak- 
gustin  de  la  prescience  divine  :  Novif  prociil  dubio  quac 
fuerat  ipse  facfio'us  (li.  Mais  si  on  suppose,  au  contraire. 
que  Dieu  attend  simplement  quel  sera  l'événement  des  cho- 
ses humaines,  sans  s'en  mêler,  on  ne  sait  plus  où  il  les 
peut  voir  dans  l'éternité ,  puisqu'elles  ne  sont  encore  ni  en 
elles-mêmes,  ni  dans  la  volonté  des  hommes,  ni  encore 
moins  dans  la  volonté  divine.  »  Saint  Augustin  disait  :  «  Non 
sunt  neganda  dura  propter  quaedam  obscura.  Bossuet 
écrit  :  »  La  première  règle  de  notre  logique,  c'est  qu'il  ne 
faut  jamais  abandonner  les  vérités  une  fois  connues,  quel- 
que difficulté  qui  survienne ,  quand  on  veut  les  concilier  ; 
mais  qu'il  faut ,  au  contraire ,  pour  ainsi  parler,  tenir  tou- 
jours fortement  comme  les  deux  bouts  de  la  chaîne,  quoi- 
qu'on ne  voie  pas  toujours  le  milieu,  par  où  l'enchaînement 
se  continue...  Qu'on  n'abandonne  pas  le  bien  qu'on  tient, 
pour  n'avoir  pas  réussi  à  trouver  celui  qu'on  poursuit. 
Disputart'  vis^  îiecoôest,  sicprtissima prcipcedat  fides,  disait 
saint  Augustin  (2).  »  —  Toutefois,  quand  Bossuet  en  vient 
à  exposer  les  divers  moyens  pour  concilier  notre  liberté 
avec  les  décrets  de  la  Providence  :  mettre  dans  le  volon- 
taire l'essence  de  la  liberté,  soutenir  la  science  moyenne 
ou  conditionnée ,  parler  de  la  contempération  et  de  la  sua- 
vité ,  ou  de  la  délectation  qu'on  appelle  victorieuse  ,  il  se 
prononce  résolument  pour  l'opinion  de  saint  Thomas  :  la 
prémotion  et  la  prédétermination  physique  :  «  Elle  sauve 
parfaitement,  dit-il,  notre  liberté  et  notre  dépendance  de 
Dieu (3).  »  —  Notre  dépendance  de  Dieu,  oui;  mais  notre  li- 
berté ?  D'aucuns  prétendent  qu'elle  est  sacrifiée  à  la  toute- 
puissance  divine,  et  les  éditeurs  de  Bar-le-Duc  vont  jus- 
qu'à révoquer  en  doute  l'authenticité  du  Traité  du  libre 
arbitrf' ,  publié  en  1731  par  le  neveu  janséniste  de  Bossuet, 

(1)  Traité  du  libre  arbitre,  chap.  ii. 

(-2)  I)f  liber,  arbit.  lib.  III,  u.  (i.  ;  De  Div.  qunesL.  lib.  I,  quast.  -2. 

(3)  Traité  du  libre  arbitre,  chap.  iv. 


352  BOSSUET  Eï  LES  SAINTS  PERES. 

sans  que  le  manuscrit  se  soit  retrouvé.  «  L'ouvrage,  il  est 
vrai,  ne  soutient  pas  précisément  la  thèse  janséniste;  mais 
le  système  qu'il  met  en  avant  ne  déplaisait  pas,  il  s'en  faut, 
au  jansénisme  et  ne  gâtait  nullement  ses  aflfaires.  A  quelle 
occasion,  d'ailleurs,  et  dans  quel  but  Bossuet  aurait-il  traité 
spécialement,  à  la  façon  d'un  professeur,  la  question  du 
Libre  Arbitre?  On  ne  le  dit  pas  (1).  »  —  Non,  sans  doute; 
mais  l'ouvrage  porte  l'inimitable  empreinte  de  l'auteur  et 
comme  la  grifl'e  du  lion.  De  plus,  le  jansénisme  n'a  rien  à 
voir  ici;  saint  Thomas:  rVAquin,  dont  Bossuet  soutient  la 
doctrine ,  est  à  l'abri  de  tout  soupçon  et  jamais  l'Église  n'a 
condamné  son  système  de  la  promotion  pJiysiqîie ,  pas  plus 
que  celui  du  concotrrs  simultané  des  Molinistes. 

Pour  les  preuves  de  Ve/isfence  de  Dieu,  Bossuet  en  donne 
cinq,  qui  sont  inspirées  par  saint  Thomas,  ou  plutôt  par 
saint  Augustin.  —  La  première,  celle  des  causes  finales,  que 
Bossuet  ne  développe  guère  qu'au  point  de  vue  de  l'homme, 
«  ouvrage  d'un  grand  dessein  et  d'une  sagesse  profonde  », 
est  certainement  due  en  partie  (2)  à  Févèque  d'Hippone, 
puisque  u  nul  n'a  surpassé  la  délicatesse,  l'émotion,  la  grâce 
qui  se  rencontrent  dans  les  pages  qu'il  consacre  à  inter- 
préter le  spectacle  de  l'univers.  Partout,  dans  les  choses  les 
plus  viles  comme  dans  les  êtres  les  plus  nobles,  il  lit  tracé 
en  caractères  ineffaçables  le  nom  de  la  Divinité.  La  beauté 
de  la  nature  lui  est  une  voix  qui  proclame  le  Créateur  (3).  » 

—  La  seconde  preuve  de  Bossuet,  qui  se  tire  des  vérités 
éternelles,  est  évidemment  augustinienne,  comme  on  l'a  vu. 

—  Elle  en  contient  une  troisième,  celle  de  la  contingence 
des  éircs ,  qui  se  ramène  à  ceci  :  «  Qu'il  y  ait  un  moment  où 
rien  ne  soit,  éternellement  rien  ne  sera.  Il  y  a  donc  néces- 
sairement quelque  chose  qui  est  avant  tous  les  temps.  » 
Cette  formule  d'une  admirable  concision  n'est  que  la  tra- 
duction faite  par  un  homme  de  génie  de  ce  passage  de  saint 


(\)  Avertissement  des  éditeurs,  t.  IX. 

(2)  Mais  non  pas  pour  la  niayniliiiue  description  du  corps  laimain,  <lonncc 
Bossuet. 
(.'J)  Nourrisson,  La  Philosophie  de  saint  Augustin .  i.  Il,  p.  xa. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  PHILOSOPHE.  353 

Thomas ,  Somme  Théologique,  première  Partie,  question  II, 
art.  8,  :  «  Si  omnia  sunt  jjossibilia  non  esse,  aliquaudo  nihil 
fuit  in  rébus.  Sed  si  hoc  est  verum ,  etiam  nunc  nihil  esset; 
quia  quodnon  est  non  incipit  esse  nisi per  aliquid.  quod  est. 
Si  igitur  nihil  fuit  ens,.  impossibile  fuit  quod  aliquid  inci- 
peret  esse,  et  sic  modo  nihil  esset;...  oportet  aliquid  esse 
necessarium  in  rébus.  »  —  La  quatrième  preuve  donnée 
par  Bossuet  :  «  L'âme  connaît  par  V imperfection  de  son  in- 
telligence qu'il  y  a  ailleurs  une  intellig-ence  parfaite;.,, 
parce  que  le  parfait  est  plutôt  que  l'imparfait  et  que  l'im- 
parfait le  suppose ,  comme  le  moins  suppose  le  plus ,  dont  il 
est  la  diminution ,  et  comme  le  mal  suppose  le  bien ,  dont  il 
est  la  privation  (1)  »,  est  moins  empruntée  à  Descartes  qu'à 
saint  Augustin,  dans  les  œuvres  duquel  on  trouve  «  la  dé- 
monstration de  ce  qui  est  immuable ,  de  ce  qui  est  éternel , 
de  ce  qui  est  parfait ,  antérieur  à  ce  qui  n'est  pas ,  à  ce  qui 
n'est  pas  toujours  le  même  ,  à  ce  qui  n'est  pas  parfait  (2)  ». 
—  Bossuet  indique  une  dernière  preuve  de  l'existence  de 
Dieu  (3)  :  «  Vidée  même  du  bonheur  nous  mène  à  Dieu;... 
puisque  nous  n'en  pouvons  voir  la  vérité  en  nous-mêmes, 
il  faut  qu'elle  nous  vienne  d'ailleurs;  il  faut,  dis-je,  qu'il 
y  ait  ailleurs  une  nature  vraiment  bienheureuse...  L'àme 
qui  connaît  Dieu  et  se  sent  capable  de  l'aimer,  sent  dès  là 
qu'elle  est  faite  pour  lui  et  quelle  tient  tout  de  lui.  »  C'est 
la  parole  célèbre  de  saint  Augustin  :  «  Fecisti  nos  ad  te , 
Domine,  et  inquietum  est  cor  nostrum  donec  requiescat  in 
te  » .  «  Malheur,  dit  encore  Bossuet ,  à  la  connaissance  stérile 
qui  ne  se  tourne  point  à  aimer  (4)!  »  Et  il  montre  que  tous 
les  malheurs  qui  nous  accablent  ne  viennent  que  de  la 
prévarication  de  notre  premier  père  :  «  Il  était  juste  que 
l'homme ,  qui  n'avait  pas  voulu  se  soumettre  à  son  auteur, 
ne  fut  plus  maître  de  soi-même,  et  que  ses  passions  ré- 
voltées contre  sa  raison  lui  fissent  sentir  le  tort  qu'il  avait 

(I)  De  la  Connais,  de  Dieu.  chap.  IV,  g  vr. 

(•2)  Voir  les  Élévalionssia-  les  Mystères, prcmiv.rc  semaine,  première  et  deuxième 
Elévations. 

(3)  De  la  Conn.  de  Dieu.  chap.  IV,  g  vi  et  vu. 

(4)  Ibidem,  §  x. 

BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PÈRES.  23 


354  .BOSSUET  KT  LES  SAliNTS  PERES. 

de  s'être  révolté  contre  Dieu.  »  C'est  encore  là  une  idée  de 
saint  Aiiyiistin,  Cité  <h'  Dieu,  liv.  XIX,  chap.  xv,  de  cet 
«  aig-le  des  Pères,  de  ce  docteur  des  docteurs  » ,  dont  Bos- 
suet  s'était  si  bien  assimilé  la  doctrine  philosophique  et  les 
idées  platoniciennes. 

ARTICLE  IV 

Les  saints  Pères 

et  la  Politique  tiiue  des  propres  paroles  de  l'Écriture  Sainte. 

Ce  titre  a  paru  choquant ,  ridicule ,  scandaleux ,  à  Vol- 
taire et  à  tous  les  libres  penseurs,  qui  n'y  voient  que  la 
sottise  d'un  prêtre  assez  fanatique  pour  faire  dépendre 
l'organisation  des  États  modernes  de  celle  d'un  des  plus  pe- 
tits peuples  de  l'Asie,  constitué  par  un  David,  «  chef  de 
brigands  »  (1). 

Il  a  même  déplu  à  Léopold  Monty  qui,  dans  sa  thèse  De 
politica  Bossuetii  doctrina  (Paris,  18i4),  laisse  de  côté, 
et  à  dessein ,  toute  étude  sur  le  rôle  de  l'Écriture  dans  cet 
ouvrage  (2),  et  à  Nourrisson  qui ,  dans  la  Politique  de 
Bossuet  (Paris,  1867),  pense  que  c'est  abuser  de  l'Écriture 
que  de  recourir  ainsi  sans  cesse  à  l'autorité  divine ,  blâme 
le  passage  oùBossuet  rappelle  la  vaisselle  d'or,  les  vases  pré- 
cieux de  Salomon,  détails  «  auxquels  le  Saint-Esprit  ne  dé- 
daigne pas  de  descendre  (3)  »,  et  trouve  qu'on  a  mauvaise 
grâce  à  chercher  constamment  dans  une  nation  aussi  dif- 
férente des  autres  que  la  nation  juive  des  leçons  et  des 
exemples  pour  la  France  du  dix-septième  siècle. 

Si  Bossuet  avait  besoin  d'excuse  ou  de  justification,  on 
lui  en  trouverait  dans  l'exemple  du  P.  Ménochius,  qui  avait 
publié  à  Lyon,  en  H)25,  une  PoHti<ji(r  tirée  de  l'Écriture 
Sainte,  HieropoUticoii ,  sirr  f/istiti/tio/ies  politicae  e  sacris 
Scripturis  depromptae  libri  1res  (in-8°  de  956  pages);  du 

fl)  Le  mot  est  de  Kenaii  dans  Vllisloire  du  peuple  d'Isracl. 
{•2)  «  Keniovebimus  verecuiide  vcneranda  illa  exempla,  quibus  praesiil  doclri- 
nae  siiae  rutioiiein  conlirmat.  »  Pages  8-!». 
(3)  Bossuet  était  convaincu  (|ue  les  Livres  inspirés  ne  contiennent  rien  d'inutile. 


LES   SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  POLITIQUE.  355 

duc  de  Montausier,  auteur  des  Maximes  chrétiennes  et  politi- 
ques; de  Nicole  et  de  son  Ywve  Éducation  (V un  prince,  1G70  ; 
enfin  du  P.  Le  Moyne  et  de  son  Art  de  régner.  Mais  citer  de 
pareils  noms  serait  faire  injure  à  celui  que  Sainte-Beuve, 
dans  son  Port-Rot/fd  (1)  appelle  <(  le  grand  politique  chré- 
tien ». 

Grand,  en  effet,  Bossuet  a  su  l'être  par  ses  vues  larges  et 
profondes,  par  ses  conseils  donnés  avec  sagesse  et  autorité, 
par  ses  hautes  pensées  sur  le  gouvernement  des  hommes, 
par  ses  mouvements  pleins  d'éloquence  sur  la  g'randeur  et 
la  faiblesse  des  rois,  sur  la  folie  des  conquérants  et  la  né- 
cessité de  la  religion  dans  les  Etats.  «  On  a  loué  souvent,  dit 
M.  Brunetière  2),  de  nos  jours  même.  —  avec  autant  de 
courage  que  de  raison  —  le  bon  sens,  la  sagesse ,  l'esprit  de 
modération  et  de  paix  que ,  sous  sa  forme  un  peu  scolasti- 
que,  ce  beau  livre  respire.  Qui  a  mieux  parlé  que  Bossuet  de 
l'amour  de  la  patrie,  avec  plus  d'éloquence,  et  je  dirais  vo- 
lontiers avec  plus  de  tendresse?  «  La  France  n'a  pas  eu  de 
cœur  plus  français  que  le  sien  (3).  » 

Ne  craignons  donc  pas  de  dire  avec  M.  Lanson  que  la 
Polit ifjue  tirée  des  propres  paroles  de  V  Écriture  Sainte  est 
«  un  des  chefs-d'œuvre  de  l'écrivain  {k)  »,  qu'elle  fut  «  à  son 
heure  une  œuvre  généreuse,...  une  œuvre  libérale  (5),.. 
L'idée  la  plus  noble ,  la  plus  utile  et  la  plus  pratique  à  la 
io\^Ti  éid\i-elle pas  d'enfoncer  au  cœur  de  l'héritier  du  trône 
les  principes  d'une  politique  ennemie  du  despotisme  et  des 
voies  arbitraires,  volontairement  asservie  aux  traditions 
anciennes  et  aux  formes  légales,  et  qui  tendait  exclusive- 
ment au  salut  de  la  patrie  et  à  la  prospérité  des  citoyens. 
N'étant  pas  législateur,  n'ayant  pas  l'État  et  la  nation  à  re- 
fondre, n'ayant  reçu  qu'une  âme  de  roi  à  pétrir,  que  pou- 
vait faire  de  mieux  Bossuet  que  de  la  façonner  au  respect 
des  lois  et  à  l'amour  du  peuple?  »  (6) 

(1)  T.  III,  p.     448. 

(•2)  Éludes  Critiques,  cinquième  série,  p.  99. 

(3)  Bossuet  dit  cela  de  Nicolas  Cornet  et  JI.  Brunetière  le  lui  applique. 

(t)  Bossuet.  p.  18". 

(3)  Ibidem  .  p.  280. 

(6)  Pase  -281. 


356  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PÈRES. 

Nos  contemporains  seraient  moins  sévères  pour  la  Poli- 
tique (lu  précepteur  du  Dauphin,  s'ils  voulaient  considérer 
ces  deux  choses  :  l'une,  c'est  que  Bossuet  n'a  pas  voulu 
faire  la  théorie  du  meilleur  g-ouvernement  possible,  mais 
celle  du  gouvernement  de  son  temps,  qu'il  ne  fallait  pas 
changer;  l'autre,  qu'il  parle  aux  rois  avec  une  fermeté  ad- 
mirable et  leur  donne ,  lui  aussi ,  «  de  grandes  et  terribles 
leçons  »  :  «  J'ai  un  second,  le  roi.  Humble  sujet  partout  ail- 
leurs, dans  la  rehgion  j'ose  dire  que  le  prince  ne  va  que  le 
second  (1).  »  «  Vous  êtes  des  dieux,  c'est-à-dire  vous  avez 
dans  votre  autorité,  vous  portez  sur  votre  front  un  caractère 
divin;  vous  êtes  les  enfants  du  Très-Haut  :  c'est  lui  qui  a 
établi  votre  puissance  pour  le  bien  du  genre  humain.  Mais, 
ô  dieux  de  chair  et  de  sang,  ô  dieux  de  boue  et  de  pous- 
sière, vous  mourrez  comme  des  hommes,  vous  tomberez 
comme  les  grands!  La  grandeur  sépare  les  hommes  pour 
un  peu  de  temps;  une  chute  commune  à  la  fm  les  égale 
tous  (2).  » 

11  ne  faut  pas,  d'ailleurs,  se  faire  illusion  sur  le  titre  de 
la  Polit i(pir  tirée  des  propres  paroles  de  l'Ecriture  Sainte. 
La  Bible  est  pour  Bossuet  un  critérium  de  vérité;  elle  lui 
fournit  des  préceptes  et  des  exemples.  Mais  la  conception  de 
son  ouvrage  n'est  pas  exclusivement  biblique ,  et  le  P.  de  la 
Broise  lui-même  (3)  reconnaît  que  «  le  plan,  les  thèses 
principales,  en  un  mot  tout  le  cadre  de  l'ouvrage  est  ar- 
rangé par  l'auteur  et  ne  lui  est  pas  imposé  par  les  écrivains 
sacrés  ». 

Aussi  M.  Lanson  a-t-il  pu  établir,  dans  une  étude  originale 
et  savante  sur  les  sources  des  idées  politiques  de  Bossuet  (4), 
qu'il  «  s'inspire  d'Aristote  et  de  Hobbes  »  :  d'Aristote,  dont 
il  avait  traduit  en  partie  la  Morale,  du  temps  qu'il  était  à 
Navarre,  et  qu'il  cite  souvent  :  liv.  I,  4,  'i-;  —  4,8;  —  ii, 
1,3,7;  —  x,l,  10,  etc.  ;  de  Hobbes,  dont  il  connaît  le  Ih- 

(1)  Ci;s  pai'olcs  se  trouvont  dans  l'Hsfjuissi'  d'ime  homclie  sur  la  femme  adultère 
(i(f8(i). 
(-2)  Politif/ue  tirée,  etc.;  liv.  V,  art.  IV,  ))remic!re  proposition. 
(:<)  liossuet  et  la  liihle  .  p.  i,'<:i. 
('»)  liossuet,  cliap.  V.  Les  idées  politiques  de  Bossuet.  t.  I.  p.  l88--2l-i. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  POLITIQUE.  357 

Cive,  le  Leviathan,  et  reproduit  la  fameuse  formule  :  Homo 
homiiii  lupus  (1),  ainsi  qu'un  g-rand  nombre  de  théories, 
qu'il  adapte  à  sa  propre  raison,  à  ses  croyances,  à  son  ex- 
périence. «  Il  fait,  en  effet,  pénétrer  la  moralité,  la  charité, 
l'optimisme,  dans  la  sombre  et  impitoyable  doctrine  du  phi- 
losophe anglais,  dont  toute  la  théorie  de  gouvernement  se 
ramène  à  ces  mots  :  «  Il  faut  museler  la  bête  humaine  (2)  ». 

On  peut,  avec  bien  plus  de  raison,  établir  que  Bossuet, 
dans  sa  Polilique,  s'inspire  des  saints  Pères  et  en  particulier 
de  saint  Augustin. 

Nourrisson  trouve  même,  qu'après  lui  avoir  «  emprunté 
de  toutes  pièces  sa  philosophie  de  l'histoire  (3)  »,  —  ce 
qui  est  fort  exagéré  —  «  le  précepteur  du  Dauphin,  le  con- 
seiller d'État  de  Louis  XIV  suit  pas  à  pas  les  errements  (?) 
de  saint  Aug^ustin...  Il  tire,  comme  lui,  de  l'Écriture  pres- 
que toutes  ses  maximes.  »  Il  a  des  doctrines  pleines  d'é- 
quivoques ou  même  profondément  regrettables  i?),  quoique 
tout  augustiniennes ,  «  sur  l'assujettissement  de  l'autorité 
royale  au  pouvoir  ecclésiastique  Ci.),  sur  l'esclavage  (5), 
sur  le  droit  qu'a  le  prince  d'employer  son  autorité  pour 
détruire  dans  son  État  les  fausses  religions  (6).  » 

Alors  même  qu'il  faudrait  regretter  ces  «  déplorables 
traits  de  l'influence  d'Augustin  sur  l'intelligence  pourtant 
si  ferme  et  si  saine  de  Bossuet  »,  n'y  a-t-il  pas  dans  la 
Politique  tirée  des  propres  pjaroles  de  VEcriture  Sainte 
maintes  choses  excellentes  que  Bossuet  doit  à  saint  Aii- 


(1)  •  C'est  ainsi,  dit-il  {PoUliqi'.r.  VIII.  i.-2},  que  sont  les  hommes,  naturellement 
loups  les  uns  aux  autres.  » 
(-2)  Lanson.  Bossuet,  p.  21-2. 

(3)  La  Philosophie  de  saint  Aiigustiii .  t.  II,  p.  ■a.'iO. 

(4)  Bossuet  soutient,  au  contraire, l'indépendance  de  la  puissance  temporelle  des 
rois  vis-à-vis  de  la  puissance  spirituelle  des  Papes.  C'est  un  des  articles  de  la 
fameuse  Déclaration  de  H!8-2. 

(5)  Bossuet  n'en  parle  que  dans  le  Cinquième  Avertissement  aux  Protestants,  où 
il  dit  que  saint  Paul  n'oblige  pas  les  maîtres  à  les  affranchir. 

(6)  M.  Lanson,  Bossuet.  p.  -l'-l,  fait  remarquer  que.  si  l'évêque  de  Meaux  nie  la 
liberté  de  conscience.  «  ce  n'est  pas  pour  la  raison  qu'on  attendait  ;  ce  n'est  pas  en 
vertu  de  la  vérito;  de  la  foi  catholique  qu'il  refuse  aux:  Protestants  le  libre  exer- 
cice de  leur  religion  et  donne  au  roi  le  droit  de  les  contraindre  à  la  quitter.  Son 
principe  est  plus  général  :  UÉtat  est  souverain;  son  devoir  est  de  bien  faire  à 
tous  les  sujets.  Son  droit,  c'est  de  tout  faire  pour  leur  bien,  non  seulement  ma- 
tériel ,  mais  encore  moral.  • 


358  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

gusfin  et  aux  autres  P/vw  de  l'Église,  aussi  bien  qu'à  l'É- 
criture? 

Dans  le  livre  P",  Pes  principes  de  la  société  pjartiii  les 
hommes,  il  montre  que  «  la  société  humaine,  établie  par 
tant  de  sacrés  liens,  est  violée  parles  passions  (1),  et  comme 
dit  saint  Aiiguslin  :  «  Il  n'y  a  rien  de  plus  sociable  que 
l'homme  par  sa  nature,  ni  rien  de  plus  intraitable  ou  de 
plus  insociable  par  la  corruption  (2).  »  Outre  cette  division 
qui  nait  entre  les  hommes  de  leurs  passions,  il  y  a  celle 
qui  vient  de  la  variété  des  langues  (3).  «  Et  saint  .4^^- 
gustiit  remarque  que  cette  diversité  de  langage  fait  qu'un 
homme  se  plait  plus  avec  son  chien  qu'avec  un  homme  son 
semblable  (4).  »  —  «  Voici,  dit  encore  Bossuet  (5),  une 
belle  règle  de  saint  Auf/ustin  pour  l'application  de  la 
charité  :  «  Où  la  raison  est  égale,  il  faut  que  le  sort  décide. 
L'obligation  de  s'entr'aimer  est  égale  dans  tous  les  hommes 
et  pour  tous  les  hommes.  Mais  comme  on  ne  peut  pas  éga- 
lement les  servir  tous,  on  doit  s'attacher  principalement  à 
servir  ceux  que  les  lieux,  les  temps  et  les  autres  rencontres 
semblables  nous  unissent  d'une  façon  particulière,  comme 
par  une  espèce  de  sort  (6).  "  —  A  propos  de  l'amour  de 
la  patrie  [1],  Bossuet  prouve  par  le  témoignage  de  Tcr- 
tuUifn  (8)  que  «  les  Apôtres  et  les  premiers  fidèles  ont 
toujours  été  de  bons  citoyens  ».  u  Vous  dites  que  les  chré- 
tiens sont  inutiles  :  nous  naviguons  avec  vous,  nous  portons 
les  armes  avec  vous,  nous  cultivons  la  terre ,  nous  exerçons 
la  marchandise  »,  c'est-à-dire  nous  vivons  comme  les  autres 
dans  tout  ce  qui  regarde  la  société.  L'empire  n'avait  pas  de 
meilleurs  soldats...  Combien  soumis  et  paisibles  étaient  les 
chrétiens  persécutés,  ces  paroles  de  Tertullien  l'expliquent 
admirablement  :    «   Outre  les  ordres  publics  par  lesquels 

{i)  Article  il,  première  jiropos. 

(i)  De  Civil.  Dei .  lib.  XII,  cap.  xxvii. 

(3)  Article  II,  onzième  pro]]OS. 

(4)  De  Civit.  Dei .  lili.  MX,  c.  vu. 
(.'>)  Article  V;  Un ii/u<'  propos. 

{(>}  De  Civil.  Dei,  lib.  I,  caj).  xxviii. 

(7)  Article  VI. 

(8)  Apologie,  n.  .(7.  V2,  4.!. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  POLITIQUE.  350 

nous  sommes  poursuivis,  combien  de  fois  le  peuple  nous 
attaque-t-il  à  coups  de  pierre  et  met-il  le  feu  dans  nos 
maisons,  dans  la  fureur  des  bacchanales!  On  n'épargne 
pas  les  chrétiens  même  après  leur  mort  :  on  les  arrache  du 
repos  de  la  sépulture  et  comme  de  Fasile  de  la  mort.  Et 
cependant,  quelle  vengeance  recevez-vous  de  gens  si  cruelle- 
ment traités?  ne  pourrions-nous  pas  avec  peu  de  flambeaux 
mettre  le  feu  dans  la  ville,  si  parmi  nous  il  était  permis  de 
faire  le  mal  pour  le  mal?  Et  quand  nous  voudrions  agir  en 
ennemis  déclarés,  manquerions-nous  de  troupes  et  d'ar- 
mées? Les  Maures  ou  les  Marcomans ,  et  les  Parthes  mêmes, 
qui  sont  enfermés  dans  leurs  limites,  se  trouveront-ils  en 
plus  grand  nombre  que  nous,  qui  remplissons  toute  la 
terre?  Il  n'y  a  que  peu  de  temps  que  nous  paraissons  dans 
le  monde,  et  déjà  nous  remplissons  vos  villes,  vos  iles,  vos 
châteaux,  vos  assemblées,  vos  camps,  les  tribus,  les  dé- 
curies, les  palais,  le  sénat,  le  barreau,  la  place  publique. 
Nous  ne  vous  laissons  que  les  temples  seuls.  A  quelle  guerre 
ne  serions-nous  pas  disposés,  quand  nous  serions  en  nombre 
inégal  au  vôtre,  nous  qui  endurons  résolument  la  mort, 
n'était  que  notre  doctrine  nous  prescrit  plutôt  d'être  tués 
que  de  tuer?  Nous  pourrions  même,  sans  prendre  les  armes 
et  sans  rébellion,  vous  punir  en  vous  abandonnant;  votre 
solitude  et  le  silence  du  monde  vous  feraient  horreur;  les 
villes  vous  paraîtraient  mortes;  et  vous  seriez  réduits,  au 
milieu  de  votre  empire,  à  chercher  à  qui  commander.  Il 
vous  demeurerait  plus  d'ennemis  que  de  citoyens;  car  vous 
avez  maintenant  moins  d'ennemis,  à  cause  de  la  multitude 
prodigieuse  des  chrétiens.  »  «  Vous  perdez,  dit-il  encore, 
en  nous  perdant;  vous  avez  par  notre  moyen  un  nombre 
infini  de  gens,  je  ne  dis  pas  qui  prient  pour  vous,  car  vous 
ne  le  croyez  pas,  mais  dont  vous  n'avez  rien  à  craindre.  » 
Il  se  glorifie  avec  raison  que  parmi  tant  d'attentats  contre 
la  personne  sacrée  des  empereurs ,  il  ne  s'est  jamais  trouvé 
un  seul  chrétien,  malgré  l'inhumanité  dont  on  usait  sur  eux 
tous.  ((  Et  en  vérité,  dit-il,  nous  n'avons  garde  de  rien  en- 
treprendre contre  eux.  Ceux  dont  Dieu  a  réglé  les  mœurs 


360  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

ne  doivent  pas  seulement  épargner  les  empereurs,  mais 
encore  tous  les  hommes.  Nous  sommes  pour  les  empereurs 
tels  que  nous  sommes  pour  nos  voisins.  Car  il  nous  est  éga- 
lement défendu  de  dire,  ou  de  faire,  ou  de  vouloir  du  mal 
à  personne.  Ce  qui  n'est  point  permis  contre  l'empereur 
n'est  permis  contre  personne;  ce  qui  n'est  permis  contre 
personne  l'est  encore  moins  sans  doute  contre  celui  que 
Dieu  a  fait  si  grand.  »  Voilà  quels  étaient  les  chrétiens  si 
indignement  traités.  » 

Dans  le  livre  11%  De  V autorité  :  que  la  roijalc  et  f  héré- 
ditaire est  la  plus  propre  au  youveriientent,  il  n'y  a  aucune 
citation  des  saints  Pères. 

Au  livre  IIP,  Où  l'on  commence  à  expliquer  la  nature  et 
les  propmétés  de  V autorité  royale,  pour  établir  que  «  les 
rois  doivent  respecter  leur  propre  puissance  et  ne  l'em- 
ployer qu'au  bien  public  1)  ».  Bossuet  invoque  le  témoi- 
gnage de  saint  Grégoire  de  Nazia/ize,  qui  parle  ainsi  aux 
empereurs  :  «  Respectez  votre  pourpre;  reconnaissez  le 
grand  mystère  de  Dieu  dans  vos  personnes  ;  il  gouverne  par 
lui-même  les  choses  célestes;  il  partage  celles  de  la  terre 
avec  vous.  Soyez  donc  des  dieux  à  vos  sujets  (2)  ».  C'est-à- 
dire,  ajoute  Bossuet,  gouvernez-les  comme  Dieu  gouverne, 
d'une  manière  noble,  désintéressée,  bienfaisante,  en  un 
mot,  divine.  »  —  Pour  montrer  <(  qu'un  bon  prince  épar- 
gne le  sang  humain  (3)  »,  l'évêque  de  Meaux  cite  saint 
Ambroise  (V),  qui  dit  à  propos  de  David  refusant  de  boire 
«  le  sang  de  ses  hommes  et  le  péril  de  leurs  âmes  (5)  : 
Il  sent  sa  conscience  blessée  par  le  péril  où  ces  vaillants 
hommes  s'étaient  mis  pour  le  satisfaire  ;  et  cette  eau  qu'il 
avait  achetée  au  prix  du  sang  ne  lui  cause  plus  que  de 
l'horreur.  » 

Au  livre  IV',  Suite  des  caractères  de  fa  royauté ,  article 

(1)  Article  11,  iv«  propos. 

Cî]  Voir  ce  inme  texte  cité  plus  haut,  page  18î>. 

(.'{}  Article  III  :  L'autorité  royale  est  palcrneUc .  cl  son  propre  caractère,  c'est  la 
honte .  I  \''  propos. 

('»)  Apol.  David,  cap.  vu,  n.  'A't. 

(.">}  Il  lieij.,  XXII ,  I."),  l(i,  17.  Il  s'agit  de  soldais  qui  avaient  passé  par  le  camp  des 
Pliilistins  pour  aller  chercher  de  l'eau  à  la  citerne  de  Bethléem. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSLET  POLITIQUE.  301 

premier,  V auf or iU-  royale  est  absolue,  Bossuet  nous  dit  (1) 
que  «  c'est  pour  cela  que  saint  (iri'fjo'iri',  évêque  de  Tours, 
disait  au  roi  Chilpcric,  dans  un  concile  :  «  Nous  vous  par- 
lons; mais  vous  nous  écoutez,  si  vous  voulez.  Si  vous  ne 
voulez  pas,  qui  vous  condamnera,  sinon  celui  qui  a  dit 
qu'il  était  la  justice  même  (2)?  '>  —  «  J'ai  péché  contre  vous 
seul,  disait  David;  ù  Seigneur,  ayez  pitié  de  moi  (3).  » 
Parce  qu'il  était  roi,  dit  saint  Jérôme  sur  ce  passage  (4),  et 
n'avait  que  Dieu  seul  à.  craindre.  »  Et  saint  Ambroise  dit  sur 
ces  mêmes  paroles  ,5),  J'ai  péché  contre  vous  seul  :  «  Il 
était  roi;  il  n'était  assujetti  à  aucunes  lois,  parce  que  les 
rois  sont  affranchis  des  peines  qui  lient  les  criminels.  Car 
l'autorité  du  commandement  ne  permet  pas  que  les  lois 
les  condamnent  au  supplice.  David  n'a  donc  point  péché 
contre  celui  qui  n'avait  point  d'action  pour  le  faire  châ- 
tier. »  —  «  Les  princes  ne  sont  pas  pour  cela  affranchis  des 
lois  (6)...  C'est  ce  que  les  princes  ont  peine  à  entendre. 
«  Quel  prince  me  trouvez- vous ,  dit  saint  Ambroise  (7),  qui 
croie  que  ce  qui  n'est  pas  bien  ne  soit  pas  permis  ;  qui  se 
tienne  obligé  à  ses  propres  lois;  qui  croie  que  la  puissance 
ne  doive  pas  se  permettre  ce  qui  est  défendu  par  la  justice? 
Car  la  puissance  ne  détruit  pas  les  obligations  de  la  jus- 
tice ;  mais,  au  contraire,  c'est  en  observant  ce  que  pres- 
crit la  justice,  que  la  puissance  s'exempte  de  crime;  et 
le  roi  n'est  pas  affranchi  des  lois;  mais  s'il  pèche,  il  dé- 
truit les  lois  par  son  exemple.  »  Il  ajoute  :  «  Celui  qui 
juge  tous  les^ autres  peut-il  éviter  son  propre  jugement, 
et  doit-il  faire  ce  qu'il  condamne?  »  —  Ainsi,  «  la  crainte 
de  Dieu  est  le  vrai  contrepoids  de  la  puissance  :  le  prince  le 
craint  d'autant  plus  qu'il  ne  doit  craindre  que  lui  ».  «  Il 
faut  souhaiter,  dit  saint  Aiigustiji  (8),  d'avoir  une  volonté 

(1)  ni"  propos. 

(•2)  Grey.  Turo..  lib.  M.Hisl. 

(3)  Psaume  i.  S. 

(4)  Hier,  in  Psalm.  i. 

(■i)  Amb.  in  Psal.  i,  et  Apolog.  David.,  cap.  x,  n.  :>l. 

(6)  IV'  propos. 

(7)  Apolog.  David.  Altéra,  cap.  iii.  xiit. 

(8)  De  Trinit.,  liv.  Mil.  cap.  x,  3. 


362  BOSSUEÏ  ET  LES  SAINTS  PÈRES. 

droite,  avant  de  souhaiter  d'avoir  une  grande  puissance.  y> 
On  comprend  donc  que  M.  Lanson  (1)  s'élève  contre  ceux 
qui,  sans  avoir  lu  Bossuet,  en  font  le  flatteur  servile  du 
despotisme  de  Louis  XIV,  alors  qu'au  contraire,  il  distin- 
gue soigneusement  le  despotisme  de  la  monarchie  absolue, 
et  oppose  aux  quatre  caractères  propres  du  premier  :  —  les 
peuples  sujets  sont  nés  esclaves;  on  n'y  possède  rien  en  pro- 
priété et  tout  le  fonds  appartient  au  prince;  il  a  le  droit 
de  disposer  à  son  gré  non  seulement  des  biens,  mais  encore 
de  la  vie  de  ses  sujets;  et  enfin  il  n'y  a  de  loi  que  sa  vo- 
lonté (2),  —  les  quatre  caractères  de  l'autorité  légitime, 
qui  est  sacrée,  paternelle ,  absolue  et  soumise  à  la  raison. 
«  Absolu,  dans  son  sens  étymologique,  veut  dire  indépen- 
dant et  non  pas  infini  (3).  » 

Dans  le  livre  V%  Quatriènw  et  dernier  caractère  de  Vau- 
torité  roj/ale ,  «  que  l'autorité  royale  est  soumise  à  la  rai- 
son ik)  » ,  Bossuet  apprend  au  Dauphin  et  à  ses  successeurs 
que  «  le  prince  doit  éviter  les  consultations  curieuses  et 
superstitieuses  (5),  que  Salil  trouva  dans  sa  curiosité  la  sen- 
tence de  sa  mort,  et  que  la  crédulité  (des  hommes  curieux) 
mérite  d'être  punie  non  seulement  par  le  mensonge,  mais 
encore  par  la  vérité,  afin  que  leur  téméraire  curiosité  leur 
tourne  à  mal  en  toutes  façons.  C'est  ce  qu'enseigne  saint 
Augustin,  fondé  sur  les  Écritures,  dans  le  deuxième  hvre 
de  la  Doctrine  chrétienne ,  c.  xx  et  suivants.  »  —  Voulez- 
vous  voir  ce  que  c'est  que  la  majesté  (6)?  «  Quel  mouve- 
ment se  fait,  dit  saint  Augustin  (7),  au  seijj  commande- 
ment de  l'empereur!  Il  ne  fait  que  remuer  les  lèvres,  il  n'y 
a  point  de  plus  léger  mouvement ,  et  tout  l'empire  se  re- 
mue. C'est,  dit-il,  l'image  de  Dieu,  qui  fait  tout  par  sa 
parole  ;  il  a  dit,  et  les  choses  ont  été  faites  ;  il  a  commandé, 
et  elles  ont  été  créées.  » 

(I)  Bossuet.  p.  '2:$S--2V8. 
{•2)  l.a  Politirjue,  VMI.  -2,  I. 

(3)  Bossuet ,  p.  !2'*8. 

(4)  Article  premier. 

(•'>)  Arlicle  MI,  I"  propos. 
(t>)  Arlicle  IV,  l'"  propos. 
(7)  In  Psnlm.  CXLVIII,  n.  -2. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  POLITIQUE.  363 

Au  livre  VI%  Les  devoirs  des  sujets  c/irers  le princp ,  éta- 
blis par  la  doctrine  prrcédcu  te,  Bossuet  parle,  à  propos  «  du 
respect,  de  la  fidélité  et  de  l'obéissance  qu'on  doit  aux  rois 
et  qui  ne  doivent  être  altérés  par  aucun  prétexte  (Ij  ».  de 
l'exemple  de  David  qu'on  vit  non  seulement  refuser  d'at- 
tenter sur  la  vie  de  Saûl,  mais  trembler  pour  avoir  osé  lui 
couper  le  bord  de  sa  robe ,  quoique  ce  fût  à  bon  dessein. 
«  Les  paroles  de  saint  Augustin  sur  ce  passage ,  ajoute-t-il, 
sont  remarquables  :   «  Vous  m'objectez,  dit-il  à  Pétilien, 
évêque  donatiste ,  que  celui  qui  n'est  pas  innocent ,  ne  peut 
avoir  la  sainteté.  Je  vous  demande,  si  Saûl  n'avait  pas  la 
sainteté  de  son  sacrement  et  de  l'onction  royale,  qu'est-ce 
qui  causait  en  lui  de  la  vénération  à  David?  Car  c'est  à  cause 
de  cette  onction  sainte  et  sacrée  qu'il  l'a  honoré  durant  sa 
vie  et  qu'il  a  vengé  sa  mort.  Et  son  cœur  frappé  trembla, 
quand  il  coupa  le  bord  de  la  robe  de  ce  roi  injuste.  Vous 
voyez  donc  que  Saiil,  qui  n'avait  point  l'innocence,  ne  lais- 
sait point  d'avoir  la  sainteté,  non  la  sainteté  de  vie,  mais 
la  sainteté  du  sacrement  divin,  qui  est  saint,  même  dans 
les  hommes  mauvais.  »  Il  appelle  sacrement  l'onction  royale, 
ou  parce  qu'avec  tous  les  Prres  il  donne  ce  nom  à  toutes 
les  cérémonies  sacrées,  ou  parce  qu'en  particulier  Fonction 
royale  des  rois  dans  l'ancien  peuple  était  un  signe  sacré 
institué  de  Dieu  pour  les  rendre  capables  de  leur  charge  et 
pour  figurer  l'onction  de  Jésus-Christ  même.  Mais  ce  qu'il 
y  a  de  plus  important,  c'est  que  saint  Augustin  reconnaît, 
après  l'Écriture,  une  sainteté  inhérente  au  caractère  royal, 
qui  ne  peut  être  efTacée  par  aucun  crime L'impiété  dé- 
clarée et  même  la  persécution   n'exemptent  pas  les  sujets 
de  l'obéissance  qu'ils  doivent  aux  princes  (2  ...  Les  premiers 
chrétiens,  quoique  persécutés  durant  trois  cents  ans,  n'ont 
jamais  causé  le  moindre  mouvement  dans  l'empire.  Nous 
avons  appris  leurs  sentiments  par  TertuUien ,  et  nous  les 
voyons  dans  toute  la  suite  de  l'histoire  ecclésiastique.  Ils 
continuaient  à  prier  pour  les  empereurs,  même  au  milieu 

(1)  Article  II  ,  W'  propos. 
{•2}  X"  Propos. 


364  BOSSLET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

des  supplices  auxquels  ils  les  condamnaient  injustement  : 
((  Courag-e,  dit  Tertallien  1),  arrachez,  ù  bons  juges,  ar- 
rachez aux  chrétiens  une  ànie  qui  répand  des  vœux  pour 
l'empereur.  »  «  Les  sujets  n'ont  à  opposer  à  la  violence  des 
princes  que  des  remontrances  respectueuses,  sans  mutinerie 
et  sans  murmure  et  des  prières  pour  leur  conversion  i^'2|.  » 
L'impératrice  Justine,  mère  et  tutrice  de  Valentinien  II, 
voulut  obliger  saint  Ambroise  à  donner  une  église  aux  ariens, 
qu'elle  protégeait  dans  la  ville  de  Milan,  résidence  de  l'em- 
pereur. Tout  le  peuple  se  réunit  avec  son  évêque  et,  assem- 
blé à  l'église,  il  attendait  l'événement  de  cette  affaire.  Saint 
Ambroise  ne  sortit  jamais  de  la  modestie  d'un  sujet  et  d'un 
évêque.  Il  lit  ces  remontrances  à  l'empereur.  «  Ne  croyez 
pas,  lui  disait-il  (3),  que  vous  ayez  pouvoir  d'ôter  à  Dieu 
ce  qui  est  à  lui.  Je  ne  puis  pas  vous  donner  l'Ég-lise  que  vous 
demandez;  mais  si  vous  la  prenez,  je  ne  dois  pas  résister.  » 
Et  encore  :  «  Si  l'empereur  veut  avoir  les  biens  de  l'Église , 
il  peut  les  prendre  ;  personne  de  nous  ne  s'y  oppose  :  qu'il 
nous  les  ôte,  s'il  veut;  je  ne  les  donne  pas,  mais  je  ne  les 
refuse  pas.  »  «  L'empereur,  ajoutait-il,  est  dans  l'Eglise, 
mais  non  au-dessus  de  l'Église.  Un  bon  empereur,  loin  de 
rejeter  le  secours  de  l'Église,  le  recherche.  Nous  disons 
ces  choses  avec  respect  :  mais  nous  nous  sentons  obligé 
de  les  exposer  avec  liberté.  »  Il  contenait  le  peuple  assem- 
blé tellement  dans  le  respect  qu'il  n'échappa  jamais  une 
parole  insolente.  On  priait ,  on  chantait  les  louanges  de 
Dieu,  on  attendait  son  secours.  Voilà  une  résistance  digne 
d'un  chrétien  et  d'un  évêque.  Cependant,  parce  que  le 
peuple  était  assemblé  avec  son  pasteur,  on  disait  au  palais 
que  ce  saint  pasteur  aspirait  à  la  tyrannie.  Il  répondit  : 
«  J'ai  une  défense ,  mais  dans  les  prières  des  pauvres.  Ces 
aveugles  et  ces  boiteux,  ces  estropiés  et  ces  vieillards, 
sont  plus  forls  que  les  soldats  les  plus  courageux.  »  Voilà 
les  forces  d'un  évêque;  voilà  son  armée.  Il  avait  encore 

(I)  Apolor/..  n.  .'{0. 

(-2)  VI"  propos. 

C-i)  Ei,i»t.  XXI,  al.  XIII. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  POLITIQUE.  365 

d'autres  armes,  la  patience  et  les  prières  qu'il  faisait  à 
Dieu.  «  Puisqu'on  appelle  cela  une  tyrannie,  j'ai  des  armes, 
disait-il,  j'ai  le  pouvoir  d'ofi'rir  mon  corps  en  sacrifice. 
Nous  avons  notre  tyrannie  et  notre  puissance.  La  puissance 
d'un  évoque  est  sa  faiblesse.  «  Je  suis  fort  quand  je  suis 
faible,  "disait  saint  Paul,  »  En  attendant  la  violence  dont 
FÉglise  était  menacée,  le  saint  évêque  était  à  l'autel,  de- 
mandant à  Dieu ,  avec  larmes ,  qu'il  n'y  eût  point  de  sang 
répandu.  Dieu  écouta  ses  prières  si  ardentes  :  l'Ég-lise  fut 
victorieuse  ;  il  n'en  coûta  le  sang  à  personne.  Peu  de  temps 
après,  Justine  et  son  fils,  presque  abandonnés  de  tout  le 
monde,  eurent  recours  à  saint  Ambroise  et  ne  trouvèrent 
de  ûdélité  ni  de  zèle  pour  leur  service  qu'en  cet  évêque . 
qui  s'était  opposé  à  leurs  desseins  dans  la  cause  de  Dieu  et 
de  l'Église.  » 

Voilà  un  exemple  qui  prouve  que  Bossuet  s'inspire  plus 
que  de  l'Écriture  Sainte  et  trouve  dans  les  Phes  d'admira- 
bles leçons  dont  il  fait  bénéficier  son  royal  élève. 

Dans  le  livre  VIP ,  Des  devoirs  particuliers  de  la  royauté 
et  d'abord  de  la  religion,  dont  il  s'est  toujours  conservé 
quelque  chose  » ,  Bossuet  montre  que  «  les  principes  reli- 
gieux, quoique  appliqués  à  l'idolâtrie  et  à  l'erreur,  ont  suffi 
pour  établir  une  constitution  stable  d'État  et  de  gouverne- 
ment (1)...  Comme  le  remarque  saint  August/ji  (2),  on  af- 
fermissait les  traités  avec  les  Barbares  par  les  serments  en 
leurs  dieux  :  Juratione  barbarica.  Ce  que  ce  Père  prouve 
par  le  serment  qui  affermit  le  traité  de  paix  entre  Jacob  et 
Laban,  chacun  d'eux  jurant  par  son  Dieu,  Jacob  par  le  vrai 
Dieu,...  et  Laban  idolâtre  par  ses  dieux  ».  —  A  propos  «  des 
erreurs  des  hommes  du  monde  et  des  politiques  sur  les  af- 
faires et  les  exercices  de  la  religion  (3),  Bossuet  cite  Lac- 
tauce  et  son  Ue  morte  persecutorum ,  n.  33  et  49,  pour 
montrer  comment  (4)  «  Galère  Maximien  et  Maximin,  les 


(1)  Article  II,  lie  propos. 
(-2)  Episl.  XLVII,  ad  Public,  -2. 
(:\)  Article  IV. 
(•'()  X"  propos. 


366  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

deux  plus  cruels  persécuteurs  de  l'Église  des  chrétiens, 
moururent  avec  un  aveu  forcé  de  leur  faute  :  avant  que  de 
les  livrer  au  dernier  supplice,  Dieu  leur  fit  faire  amende 
honorable  à  son  peuple,  qu'ils  avaient  si  long-temps  tyran- 
nisé ».  —  Pour  étal)lir  que  «  le  prince  doit  être  religieux 
observateur  de  son  serment  (1)  »,  l'auteur  de  la  Politique 
tirée  des  propres  paroles  fie  rÊcriture  sainte  expose  l'ad- 
mira])le  serment  du  sacre  des  rois  de  France  et  le  cérémo- 
nial de  l'onction  du  prince,  de  la  remise  du  sceptre,  de  la 
bénédiction  de  Tépée.  Il  insiste  ensuite  sur  «  les  motifs 
de  religion  particuliers  aux  rois  (2)  »  et  sur  l'obligation  spé- 
ciale qui  incombe  aux  rois  de  France  d'aimer  l'Église  et  de 
s'attacher  au  Saint-Siège  (3).  «  La  sainte  Église  romaine,  la 
mère ,  la  nourrice  et  la  maîtresse  de  toutes  les  Eglises ,  doit 
être  consultée  dans  tous  les  doutes  qui  regardent  la  foi  et 
les  mœurs,  principalement  par  ceux  qui,  comme  nous,  ont 
été  engendrés  en  Jésus-Christ  par  son  ministère  et  nourris 
par  elle  du  lait  de  la  doctrine  catholique.  Ce  sont  les 
paroles  à'Hincinar,  célèbre  archevêque  de  Reims...  Dès 
le  second  siècle,  saint  Iréne'e,  évêque  de  Lyon,  célébrait 
hautement  la  nécessité  de  s'unir  à  l'Église  romaine,  «  comme 
à  la  principale  Église  de  l'univers,  fondée  par  les  deux 
prnicpaux  apôtres,  saint  Pierre  et  saint  Paul.  »  Bossuet 
passe  alors  en  revue  les  saints  de  l'Église  gallicane  ,  saint  Po- 
thin,  saint  Irénée,  saint  Denis  et  ses  compagnons,  saint  Hi- 
laire,  saint  Martin,  saint  Rémi,  saint  Louis,  «  le  plus  saint 
roi  qu'on  ait  vu  parmi  les  chrétiens.  Il  ne  me  reste  qu'à 
dire  à  nos  princes  :  si  vous  êtes  les  enfants  de  saint  Louis, 
faites  les  œuvres  de  saint  Louis.  > 

Dans  le  livre  VIII'-,  La  justice,  autre  ileroir  de  la  roi/aulé, 
à  propos  «  des  vertus  qui  doivent  accompagner  la  jus- 
tice {h)  »  et  en  particulier  de  la  prudence  (5),  le  grand  éve- 


il) Article  \,prop.  XVll''  et  XVIIt" 

(2)  Article  VI. 

(3)  XIV  propos. 
('»)  Article  IV. 
(.%)  IV"  propos. 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  POLITIQUE.  367 

que  emprunte  ce  texte  à  saint  Aitibroisf  :  «  Quand  Dieu  dit 
qu'il  descendra,  il  a  parlé  ainsi  pour  votre  instruction,  atin 
que  vous  appreniez  à  rechercher  les  choses  avec  soin.  «  Je 
descendrai  pour  voir;  c'est-à-dire  :  Prenez  soin  de  des- 
cendre, vous  qui  «Hes  dans  les  hantes  places.  Descendez 
par  le  soin  de  vous  informer,  de  peur  qu'étant  éloignés, 
vous  ne  voyiez  pas  toujours  ce  qui  se  passe.  Approchez- 
vous  pour  voir  les  choses  de  près.  Ceux  qui  sont  placés  si 
haut  ignorent  toujours  beaucoup  de  choses  (1).  »  —  Parmi 
les  obstacles  à  la  justice  (2  ,  il  y  a  la  colère,  que  l'em- 
pereur Théodose  le  Grand  parvint  à  dompter  si  bien  sur 
les  conseils  de  saint  A/)//)/'oisr  «  qu'à  la  fin,  comme  dit  ce 
Père  (3),  il  se  tenait  obligé  quand  on  le  priait  de  pardon- 
ner; et  quand  il  était  ému  par  un  sentiment  plus  vif  de  la 
colère,  c'était  alors  qu'il  se  portait  plus  facilement  à  la 
clémence  (4).   » 

Au  livre  IX'',  Les  armes,  premier  secoars  r/e  la  royauté , 
Bossuet  rappelle  «  la  sanglante  dérision  des  conquérants 
par  le  prophète  Isaïe  (5)  ».  et  il  «  foudroie  d'un  seul  mot 
la  fausse  g"loire  :  «  Ils  ont  reçu  leur  récompense,...  et  vains 
qu'ils  étaient,  ils  ont  reçu  une  récompense  aussi  vaine  que 
leurs  projets  :  Receperunt  mercedem.  siiam,  vani  vanam , 
comme  àxisai}it  Aur/ustin  (6).  » 

Dans  le  livre  X^  et  dernier,  Suite  des  secours  de  la  royauté, 
les  l'ichesses  ou  les  finances ,  les  conseils,  les  inconvénients  et 
tentations  qui  accompagnent  la  royauté,  et  les  remèdes 
fjuon  y  doit  apporter,  Bossuet  déclare  (7)  que  «  saint 
Auyusiin  se  fondait  sur  les  exemples  (des  rois  de  l'Écri- 
ture) ,  lorsqu'il  a  dit  qu'il  n'y  a  point  de  plus  grande  tenta- 
tion, même  pour  les  bons  rois,  que  celle  de  la  puissance  : 
Quanto  altior  tanto periculosior  (8  .  Un  roi  pieux  doit  donc 

(1)  Amhr..  de  Abrah..  lib.  I,  cap.  vu. 
(i)  Article  V. 

(3)  De  ohilu  Theod.  oratio.  n.  13. 

(4)  Art.  V,  V''  propos. 

(.'i)  Article  \\,  \W  propox.  «  Comment  ctes-vous  tombe,  bel  astre  qui  luisiez  au 
ciel  comme  l'étoile  du  matin?  » 
((i)  In  Psahn.  CXVIII  .  Serm.  XII,  ù. 

(7)  Article  VI  et  dernier,  première  propos. 

(8)  Enar.  in  Psal.  CXVIII,  n.  9. 


368  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PÈRES. 

supprimer  tous  les  sentiments  qu'inspire  la  grandeur  (1) , 
être  vraiment  pauvre  d'esprit  et  de  cœur,  et,  comme  disait 
saint  Augustin,  préférer  au  royaume  d'ici- bas  celui  de 
l'éternité  (2). 

La  Conclusion  nous  montre  en  quoi  consiste  le  rrai  bon- 
heur des  rois.  «  Apprenons-le,  dit  Bossuet,  de  saint  .4?/- 
gustin  parlant  aux  empereurs  chrétiens,  et  en  leurs  per- 
sonnes à  tous  les  princes  et  à  tous  les  rois  de  la  terre  (3). 
C'est  le  fruit  et  l'abrégé  de  ce  discours. 

«  Les  empereurs  chrétiens  ne  nous  paraissent  pas  heu- 
reux pour  avoir  régné  longtemps;  ni  pour  avoir  laissé  l'em- 
pire à  leurs  enfants  après  une  mort  paisible  ;  ni  pour  avoir 
dompté  ouïes  ennemis  de  l'Église  ou  les  rebelles.  Ces  choses 
que  Dieu  donne  aux  hommes  dans  cette  vie  malheureuse 
(ou  pour  leur  faire  sentir  sa  libéralité ,  ou  pour  leur  servir 
de  consolation  dans  leurs  misères)  ont  été  accordées  même 
aux  idolâtres,  qui  n'ont  aucune  part  au  royaume  céleste, 
où  les  empereurs  chi^étiens  sont  appelés.  Ainsi,  nous  ne  les 
estimons  pas  heureux  pour  avoir  ces  choses  qui  leur  sont 
communes  avec  les  ennemis  de  Dieu ,  et  il  leur  a  fait  beau- 
coup de  grâces,  lorsque,  leur  inspirant  de  croire  en  lui,  il 
les  a  empêchés  de  mettre  leur  félicité  dans  les  biens  de  cette 
nature.  Ils  sont  donc  véritablement  heureux,  s'ils  gouver- 
nent avec  justice  les  peuples  qui  leur  sont  soumis;  s'ils  ne 
s'enorgueillissent  point  parmi  les  discours  de  leurs  flat- 
teurs, et  au  milieu  des  bassesses  de  leurs  courtisans;  si  leur 
élévation  ne  les  empêche  pas  de  se  souvenir  qu'ils  sont  des 
hommes  mortels;  s'ils  font  servir  leur  puissance  à  étendre 
le  culte  de  Dieu,  et  à  faire  révérer  celte  majesté  infinie; 
s'ils  craignent  Dieu,  s'ils  l'aiment,  s'ils  l'adorent;  s'ils  pré- 
fèrent au  royaume  où  ils  sont  les  seuls  maîtres,  celui  où  ils 
ne  craignent  point  d'avoir  des  égaux;  s'ils  sont  lents  à  punir 
et,  au  conti'aire ,  prompts  à  pardonner;  s'ils  exercent  la 
vengeance  publique;  non  pour  se  satisfaire   eux-mêmes, 

(1)  XIII'  propos. 

(2)  De  Civil.  Dei,  I.  V,  cap.  xxiv. 
(.3)  Ihidem. 


LES  SAINTS  PERES  ET  150SSUEÏ  POLITIQUE.  36£) 

mais  pour  le  bien  de  l'État,  qui  a  besoin  nécessairement  de 
cette  sévérité;  si  le  pardon  qu'ils  accordent  tend  à  l'amen- 
dement de  ceux  qui  font  mal ,  et  non  à  l'impunité  des  mau- 
vaises actions;  si,  lorsqu'ils  sont  obligés  d'user  de  quelque 
rigueur,  ils  prennent  soin  de  l'adoucir  autant  qu'ils  peu- 
vent par  des  bienfaits  et  par  des  marques  de  bonté;  si  leurs 
passions  sont  d'autant  plus  réprimées  quelles  peuvent  être 
plus  libres;  s'ils  aiment  mieux  se  commander  à  eux-mêmes 
et  à  leurs  mauvais  désirs  qu'aux  nations  les  plus  indomp- 
tables et  les  plus  fières  ;  et  s'ils  sont  portés  à  faire  ces  choses 
non  par  le  sentiment  d'une  vaine  gloire,  mais  par  l'amour 
de  la  félicité  éternelle;  offrant  tous  les  jours  à  Dieu  pour 
leurs  péchés  un  sacrifice  agréable  de  sainte  prière,  de 
compassion  sincère  des  maux  que  souffrent  les  hommes  et 
d'humilité  profonde  devant  la  majesté  du  Roi  des  rois.  Les 
empereurs  qui  vivent  ainsi  sont  heureux  en  cette  vie  par 
espérance,  et  ils  le  seront  un  jour  en  effet,  quand  la  gloire 
que  nous  attendons  sera  arrivée  »  ili. 

Voilà  comment  parle  «  le  grand  politique  chrétien  », 
qu'éclairent  la  Bible  et  les  saints  Pères  et  à  qui  M'"'  de 
Maintenon  faisait  le  plus  honorable  reproche  en  écrivant 
à  la  comtesse  de  Saint-Géran  (1675)  que  «  M.  de  Condom 
avait  beaucoup  d'esprit,  mais  qu'il  était  regrettable  qu'il 
n'eût  pas  i^esprit  de  la  cour  ». 

Il  n'est  ni  théocrate ,  puisqu'il  affranchit  le  trône  de 
l'autel,  ni  légitimiste ,  puisqu'il  ne  croit  pas  que  le  droit  au 
pouvoir  subsiste  indéfiniment,  sans  la  possession  effective 
du  pouvoir,  ni  même  monarchiste ,  puisqu'il  ne  l'est  que 
comme  Français  du  dix-septième  siècle  et  qu'il  serait  répu- 
lîlicain  en  Hollande  ou  en  Suisse  ;  //  est  conservateur,  comme 
le  dit  M.  Lanson  (2),  et  essentiellement  religieux  et  catho- 
lique. Ce  ne  sont  donc  pas  seulement  «  quelques  bonnes 
maximes  et  quelques  enseignements  salutaires  (3)  »,  que 

(U  C'est  la  plus  longue  citation  de  saint  Augustin  fju'on  trouve  dans  Hossuel.  11 
commenté  plus  qu'il  ne  traduit. 

(-2)  Bossuct,  p.  2-21., —  «  U  faut,  dit  Uossuet,  demeurer  dans  l'état  autpiel  un  long 
tt^mps  a  accoutume  le  peuple  ».  Politii/uc,  liv.  II. 

(3;  Ibidem,  p.  -2"."i. 

IJOSSIET    F/r    LES    SAINTS   PÈIIES.  24 


370  BOSSLET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

notre  démocratie  contemporaine  peut  puiser  dans  la  Poli- 
tique tirée  dcsjjroprcs  paroles  de  l'Écriture  Sainte.  «  Jamais 
le  temps  n'a  été  plus  favorable  à  l'idée  maîtresse  de  cette 
politique  (1)  »,  et  on  s'honore  en  la  proclamant  avec 
M.  Brunetière  «  pleine  de  leçons  »  (2). 


(1)  Bossuet,  p.  276. 

(■2)  Élud.  crit. ,  S"  Série,  p.  100. 


CHAPITRE  VII 

LES  SAINTS  PÈRES  ET  HOSSUET  POLÉMISTE 

L'un  des  plus  grands  et  des  plus  beaux  spectacles  que 
puisse  contempler  ici-bas  la  conscience  humaine,  c'est 
celui  d'un  homme  supérieur,  aussi  probe  que  savant,  aussi 
éloquent  que  sincère,  consacrant  sa  vie  entière  à  la  réfuta- 
tion de  l'erreur  et  à  la  défense  de  la  vérité. 

Ce  spectacle  a  été  donné  <i  la  France,  à  l'Ég'lise  et  au 
monde  par  Bossuet,  que  l'on  a  vu  pendant  cinquante  ans, 
depuis  la  Réfutation  du  Catéchisme  de  Paul  Ferrij ,  1655, 
jusqu'aux  Instruction^^  contre  la  Version  du  Nouveau  Testa- 
ment de  Trévoux,  1702-1703,  et  à  V Explication  cVlsa'le^ 
1704,  demeurer  constamment  sur  la  brèche,  ou  plutùl  se 
porter  avec  ardeur  sur  tous  les  points  entamés  ou  menacés , 
faire  face  aux  adversaires  les  plus  divers  et  leur  opposer 
l'autorité  décisive  et  victorieuse  de  son  érudition,  de  son 
caractère  et  de  son  éloquence. 

Jamais  homme,  depuis  saint  Augustin,  ne  réalisa  mieux 
cette  noble  divise  :  Vitarn  inipcndere  vero.  Jamais  prêtre 
ne  tint  plus  fidèlement  le  serment  de  son  doctorat  :  «  () 
summa  paterno  in  sinu  concepta  Veritas,  quae  elapsa  in 
terras  te  ipsarn  nobis  in  scripturis  tradidisti,  tibi  nos  totos 
obstringimus ,  tibi dedicatuin  inius  quidquidin  nobis  spirat, 
intellecturi  posthac  quani  nihil  debeant  sudoribus  parcrre, 
qiios  etiam  sanguinis  prodigos  esse  oportrat.  0  souveraine 
Vérité,  conçue  dans  le  sein  du  Père,  vous  qui,  échappée  du 
ciel,  vous  êtes  donnée  à  nous  dans  les  Écritures,  nous  nous 
enchahions  tout  entiers  à  vous,  nous  vous  consacrons  tout 


372  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

ce  qui  respire  en  nous;  ceux-là  ne  peuvent  épargner  leurs 
sueurs  à  son  service  qui  doivent  être,  pour  elle,  prodigues 
de  leur  sang  (1)!  » 

Il  faudrait  plusieurs  volumes  pour  suivre  Bossuet  dans 
toutes  les  controverses  et  les  polémiques  auxquelles  il  fut 
mêlé  dans  sa  jeunesse ,  dans  son  âge  mûr  et  dans  sa  vieil- 
lesse. Sa  théologie  l'avait  préparé  à  tout  et  sa  connaissance 
profonde  des  saints  Phpslm  fournissait  une  méthode  excel- 
lente et  des  arguments  décisifs. 

Nous  savons  par  l'abbé  Le  Dieu  (2)  que  lorsqu'il  «  avait 
une  erreur  à  combattre  un  point  de  foi  à  établir,  il  lisait 
saint  Augustin  ».  Il  ne  cherchait  pas  seulement  dans  les 
ouvrages  de  ce  Père  «  les  principes  qu'il  y  avait  appris  toute 
sa  vie  et  qu'il  y  retrouvait  d'un  coup  d'œil  marqués  d'un 
trait  sur  les  marges  ;  mais  il  y  cherchait  encore  la  conduite 
qu'il  devait  garder  avec  les  errants  en  combattant  leurs 
erreurs  ».  Le  grand  évèque  étudiait  aussi  dans  ce  Père  la 
manière  et  les  moyens  de  ramener  les  esprits  à  la  paix  et  à 
la  soumission  :  conférences  amiables,  tant  de  fois  prati- 
quées far  saint  Augustin,  et  qui  avaient  amené  la  soumis- 
sion et  la  rétractation  de  Leporius;  paroles  et  procédés 
pleins  de  douceur  à  l'égard  des  protestants,  comme  en  font 
foi  ces  Instructions  sur  les  Promesses  de  V Eglise ,  inspirées 
par  les  paroles  mêmes  du  saint  docteur,  et  imitées  de  sa 
conduite  envers  les  Pélagiens  et  les  Donatistes.  «  Il  possédait 
saint  Augustin  de  telle  façon  qu'en  f[uelque  difficulté  que 
ce  fût,  il  ne  manquait  jamais  d'y  trouver  \e  point  de  déci- 
sion, et  souvent  en  un  mot.  » 

A  ce  témoignage  «  d'un  homme  tout  à  (Bossuet),  pas- 
sionné pour  sa  gloire,  et  très  curieux  de  recueillir  les  moin- 
dres circonstances  qui])Ouvaient  orner  une  si  belle  vie  (3)  », 


(1)  Bossuet  répétait  ces  paroles  à  l'ahhé  Le  Dieu  au  mois  d'août  i"0.'},  à  Versail- 
les. Mémoires,  t.  I,  p.  W-'t'j. 

(-2)  Mémoires,  t.  I,  p.  ."il-.Vi.  —  Voir  ]»lus  iiaul,  page  <;!t. 

(:i)  I.e  Dieu  ,  Mémoires .  t.  I.  p.  'f2-4.t.  Le  secrétaire  de  Bossuet  peut  parler  ainsi 
au  lendemain  de  la  mort  du  prélat;  «  comme  certaine  pierre  dont  on  i)arle  en 
pliysi(|ue,  il  garde  queUiue  temps  le  rayon  même  après  (jue  le  soleil  est  couché». 
Mais,  dans  son  Journal,  il  a  raconté  mille  choses  triviales,  mesquines,  où  se 
révèlent  «    de    manière   à  soulever    le    cœur  » .  dit  Sainte-Beuve    {Causeries  du 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  POLEMISTE.  373 

on  peut  ajouter  celui  de  Bossuet  lui-même,  nous  indiquant 
à  diverses  reprises  ses  principes  et  sb.  méthode  de  discussion  : 
On  a  vu  plus  haut,  p.  26,  que,  dans  la  Rcfutatioii  du  Caté- 
chisme (lu  sieur  Paul  Ferri/,  ministre  tir  la  religion  préfen- 
due réformée,  Bossuet  conjurait  les  «  frères  errants,  »  de 
lire  cet  ouvrage  en  esprit  de  paix  et  espérait  que  la  lecture 
leur  ferait  connaître  qu'il  parlait  contre  leur  doctrine,  sans 
aucune  aigreur  contre  leurs  personnes  ».  «  Le  théologien 
sincère,  ajoutait-il,  ne  cherche  point,  dans  les  écrits  qu'il 
combat,  des  paroles  qu'il  puisse  détourner  à  un  mauvais 
sens.  Où  il  y  va  du  salut  des  âmes,  le  moindre  artifice  lui 
parait  un  crime...  Il  adoucit  les  choses  autant  qu'il  peut, 
il  aime  mieux  être  indulgent  qu'injuste;  il  estime  une  pa- 
reille infidélité  de  dissimuler  sa  propre  créance  et  de  dé- 
guiser celle  de  son  adversaire  ;  parce  que,  si  par  la  première 
on  trahit  sa  religion  et  sa  conscience,  par  l'autre  on  se 
déclare  ennemi  juré  de  la  charité  fraternelle  ;  on  aliène  et 
on  aigrit  les  esprits;  on  rend  les  dissensions  irréconcilia- 
bles. » 

Nous  savons  par  une  lettre  de  Leibniz,  1679,  que  Bos- 
suet pensa  toujours  «  qu'il  fallait  employer  les  voies  dou- 
ces». Au  plus  fort  delà  querelle  du  Quiétisme,  le  6  sep- 
tembre 1697,  il  écrivait  à  M"""  d'Albert  à  propos  de  son 
frère,  le  duc  de  Chevreuse,  ami  intime  de  Féneion  :  «  Je 
veux  que  vous  lui  disiez  avec  une  pleine  liberté  tout  ce  que 
vous  savez  de  mes  sentiments.  Qu'il  vous  rende,  s'il  se  peut, 
une  bonne  raison  pourquoi  M.  de  Cambrai  a  refusé  si  obs- 
tinément de  conférer  avec  moi.  S'il  vous  parle  de  mes 
prétendus  emportements,  qui  lui  ont  servi  de  prétexte, 
niez-lui  hardiment  que  j'en  sois  capable,  et  assurez-le  sans 
hésiter  que,  par  la  grâce  de  Dieu,  je  sais  garder  toutes  les 
mesures  de  respect  et  de  bienséance  dans  des  conférences 
sérieuses.  Après  tout,  je  suis  toujours  ce  que  j'étais  :  aussi 


Lundi,  t.  Xlir,  p.  287-204) ,  un  esprit  de  petitesse,  un  esprit  bas,  un  caractère  dénué 
de  toute  élévation,  un  cœur  qui  n'y  supplée  pas,...  une  nature  sujjalterne  et  sor- 
dide... De  tels  témoins  dégradent,  en  s'y  installant  et  s'y  vautrant,  (comme  dirait 
Saint-Simon),  les  grands  sujets  »). 


374  BOSSUET  ET  LES  SALMS  PERES. 

ti'iiih'p  pour  les  /jr-rson/irs  qii inflexible  eontre  lu  docirine. 
Priez  Dieu  qu'il  les  convertisse.  »  —  En  1703,  dans  la  Pré- 
face de  la  Secuitile  Iiislruction  sur  la  Version  de  Trévoux, 
l'évèquc  de  Meaux  exposait  ainsi  la  méthode  de  contro- 
verse qu'il  avait  pratiquée  toute  sa  vie  :  «  Il  ne  faut  rien 
prendre  dans  son  propre  esprit,  mais  prendre  celui  des 
Pères  et  suivre  le  sens  que  l'Église  dès  son  origine  et  de 
tout  temps  a  reçu  par  la  tradition.  C'est  de  là  qu'on  pui- 
sera des  principes  inébranlables  dont  il  n'y  aura  qu'à 
suivre  le  fd  par  une  théologie  qui  ne  soit  ni  curieuse,  ni 
contentieuse  ;  mais  so/^yv,  droite,  modeste,  plutôt  précise 
et  exacte  que  subtile  et  raffinée,  et  qui,  sans  perdre  jamais 
de  vue  la  convenance  de  la  foi,  la  suite  des  Écritures  et  le 
langage  des  Pères,  en  quoi  elle  fait  consister  la  véritable 
critique,  craigne  autant  de  laisser  tomber  la  moindre  partie 
de  la  lumière  céleste  que  de  pénétrer  plus  avant  qu'il  n'ap- 
partient à  des  mortels.  » 

Ainsi  donc ,  «  charité  fraternelle  » ,  «  esprit  de  paix  » , 
«  indulgence  »  ,  «  tendresse  pour  les  personnes  » ,  «  con- 
férences amiables  »  à  l'imitation  des  Pères,  loyauté  et 
bonne  foi  parfaites,  voilà,  pour  la  forme,  la  polémique  de 
Bossuet  ;  et  pour  le  fond ,  u  inflexibilité  »  contre  Terreur, 
«  suite  des  Écritures ,  »  «  esprit  et  lançfage  des  Pères  »  et  de 
«  la  Tradition  ». 

Il  faut  voir  à  l'œuvre  le  grand  évèque,  coupant  court  à 
toutes  les  chicanes,  allant  droit  au  co'ur  des  questions  et 
des  difficultés,  se  fixant  autour  des  idées  centrales  sur  les- 
quelles tout  roule,  y  ramenant,  y  enfermant  ses  adversaires, 
sans  leur  permettre  de  s'égarer  et  de  battre  la  campagne. 
«  De  là  la  sobriété  et  la  vigueur  de  son  argumentation.  De 
là  vient  que  les  œuvres  de  controverse  de  Bossuet  donnent 
à  ceux  qui  les  lisent  l'impression  d'une  force  contenue,  iné- 
puisable, capable  de  se  proportionner  aux  obstacles  et  de 
se  rendj'e  toujours  su[)érieure  à  tous  (1).  » 

Tel  nous  apparaît  l>ossuet  dans  sa  polémique  contre  tous 

(I)  I.anson,  Unssm-l.  p.  ;{-24-3i';. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  POLEMISTE.  375 

ses  adversaires,  qui,  sauf  les  Ulfmmonl((in>!  qui  avaient 
raison  contre  lui,  sont  aussi  les  adversaires  du  dogme  et  de 
la  morale  catholique  :  Protestants,  Jansénistes ,  Castristes, 
Apologistes  itu  théâtre,  Quiétistes,  Critiques  et  philologues. 


ARTICLE  1^ 

Les  saints  Pères 
et  la  Polémique  de  Bossuet  contre  les  Protestants. 

La  polémique  de  Bossuet  contre  les  Protestants  fut,  pour 
ainsi  dire ,  incessante ,  et  il  publia  successivement  la  Réfu- 
tation du  Catéchisme  du  sieur  Paul  Ferrp,  1655;  r Expo- 
sition de  la  doctrine  de  l'Eglise  catholicjue  sur  les  matières 
de  controverse,  1671 ,  avec  les  Lettres  ^  les  Remarques  et  les 
Fragments  sur  diverses  matières  de  controverse,  pour  servir 
de  réponse  aux  écrits  faits  par  plusieurs  ministres  contre 
le  livre  De  l'Exposition  de  la  Doctrine  catholique ,  1675- 
1691;  la  Relation  de  la  Conférence  de  M.  Claude  avec  les 
Réflexions  sur  un  écrit  de  M.  Claude ,  1682;  le  Traité  de  la 
communion  sous  les  deux  espèces^  1682;  la  Tradition  dé- 
fendue sur  la  malière  de  la  communion  sous  une  espèce, 
contre  les  réponses  de  deux  auteurs  protestants,  1683- 
168'*  (1);  la  Lettre  pastorale  aux  nouveaux  catholiques  du 
diocèse,  1686;  V Histoire  des  Variations  des  églises  protes- 
tantes, 1688,  avec  les  Six  Avertissements  aux  Protestants 
sur  les  Lettres  du  ministre  Jurieu ,  dont  les  trois  premiers 
sont  de  1689,  le  quatrième  et  le  cinquième  de  1690  et  le 
sixième  de  1691,  ainsi  que  la  Défense  de  l'Histoire  des 
Variations;  YEclaircissemoit  sur  le  repjroche  cF idolâtrie, 
1 689  ;  V Explication  de  quelques  difficultés  sur  les  prières 
de  la  messe  à  un  nouveau  catholique,  1689-1691  ;  la  Lettre 
sur  l'adoration  de  la  Croix,  17  mars  1691  ;  le  Projet  de  réu- 
nion ou  Recueil  de  Dissertations  et  de  Lettres  relatives  (t 
la  réunion  des  protestants  <r Allemagne  à  l'Église  catho- 

(I)  Cet  ouvrage  n'a  étr  i>iil)liê  (|u'cn  174;î. 


376  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

lique  (1666-1701)  (1);  les  Instructions  pastorales  sur  les 
Promesses  de  l'Église  (1700-1701),  et  enfin  VExp/ication 
(/'haïe  (170i)  (2). 

Dans  tous  ces  ouvrages,  Bossuet  se  conforme  à  ce  qu'il 
disait  à  l'abbé  Le  Dieu  :  «  Traitons  les  errants  avec  paix, 
avec  douceur;  c'est  déjà  faire  une  grande  peine  aux  gens 
que  de  leur  faire  voir  qu'ils  ont  tort  et  en  matière  de  re- 
ligion. Re'ndons-leur  douce  et  aimable  cette  religion  contre 
laquelle  nous  les  voyons  révoltés  (3).. ,  Attirons  les  réformés, 
disait-il  encore ,  par  la  douceur,  par  l'insinuation ,  par  les 
solides  instructions,  comme  faisaient  les  saints  Pères  (4).  » 

§  I.  —  Réfutation  du  Catéchisme  du  sieur  Paul  Ferry, 
ministre  de  la  religion  prétendue  réformée ,  1655  (5). 

Les  saints  Pères  fournissent  à  Bossuet  les  principaux  ar- 
guments contre  «  le  plus  docte,  le  plus  ancien,  le  plus 
célèbre  des  ministres  »  protestants  de  Metz. 

Sans  doute,  le  jeune  archidiacre  ne  peut  pas  citer  beau- 
coup ses  auteurs  préférés  dans  la  Section  premiè're  de  la 
première  partie  (6),  «  où  cette  vérité,  que  l'on  peut  se  sau- 
ver en  la  communion  de  l'Église  romaine,  est  prouvée  par 
les  principes  du  ministre  (7)  ».  Il  n'invoque  qu'une  fois  le 
témoignage  de  Tertullien  pour  établir  «  qu'il  n'y  a  que 
Jésus-Christ  qui  prie,  parce  que  nous  sommes  ses  membres 
et  qu'il  fait  tout  en  nous.  C'est  pourquoi  le  grave  Tertul- 
lien dit  si  bien  dans  son  Traité  de  la  pénitence  :  u  Si  l'Église, 

(1)  Ce  Recueil  n'a  paru  qu'en  1"'*3,  édite  par  l'ahbé  Le  Roi. 

(2)  lia  été  déjà  (jueslion  de  VExpUcation  de  l'Apocalypse,  KlSi),  (jui  est  aussi 
un  ouvrage  de  controverse  contre  les  protestants. 

Ci)  Voir  encore  le  l'nnéijijrique  de  saint  François  d)  Sales  (-28  déceml)re  \(Hiù)  : 
'  Rappelons-les,  non  par  dos  contentions  écliauffécs,  mais  par  des  témoignases 
de  charité,  etc.  » 

('*)  Jou7'nal deVabbé  Le  Dieu,  1"  avril  l'Oiî. 

(:>)  Voir  Tiiirion,  Étude  sur  l'histoire  du  protestantisme  à  Metz  et  dans  le 
pays  Messin,  l'n  vol.  in-S"  de  'dO  p.;  Coiliii,  Nancy  I88.">.  —  Le  chapitre  2  de  la 
.'{•  partie  contient  l'iiistoire  du  Catéchisme  de  Paul  Ferry  et  de  la  Réfutation 
(|u'en  lit  Rossuel. 

«>)  Le  salut  possible  dans  l'Eglise  Romaine. 

{' I  II  soutenait  :  «  1"  que  la  rclormation  a  été  nécessaire;  -2°  qu'encore  qu'avani 
la  réformation  on  se  put  sauver  en  la  communion  de  l'Église  romaine,  mainte- 
nant. ai>rés  la  réformalion,  on  ne  le  peut  plus.  » 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  POLEMISTE.  377 

c'est  Jésus-Christ,  lorsque  tu  te  prosternes  devant  les  genoux 
de  tes  frères,  tu  touches  Jésus-Christ,  tu  pries  Jésus-Christ. 
Quand  ils  versent  des  larmes  sur  toi,  c'est  Jésus  qui  souffre, 
c'est  Jésus  qui  prie  Dieu  son  Père.  On  obtient  toujours  ai- 
sément ce  qu'un  fils  demande  (1).  » 

Mais  dans  la  Section  deuxième ,  «  où  il  est  prouvé,  contre 
les  suppositions  du  ministre ,  que  la  foi  du  Concile  de  Trente 
touchant  la  justification  et  le  mérite  des  bonnes  œuvres, 
nous  a  été  enseignée  par  l'ancienne  Église,  et  qu'elle  établit 
très  solidement  la  confiance  du  fidèle  en  Jésus-Christ  seul  », 
sai)if  Augustin  et  les  autres.  Prrcs  interviennent  à  chaque 
page.  —  Ainsi ,  pour  expliquer  la  justification  du  pécheur 
selon  la  doctrine  de  l'Église,  Bossuet  dit  :  «  Saint  A  ugustin , 
répondant  aux  Pélagiens  qui  lui  objectaient  que  le  baptême, 
selon  sa  doctrine,  ne  donnait  pas  la  rémission  de  tous  les 
péchés,  et  qu'il  ne  les  ôtait  pas,  mais  qiiil  les  rasait,  comme 
on  rase  les  elwrt^ux ,  disaient-ils,  dont  la  racine  df meure  en 
la  tête  (2),  soutient  qu'il  n'y  a  que  les  infidèles  qui  osent 
assurer  une  telle  chose  et  nier  que  le  baptême  ôte  les  pé- 
chés. »  Et  encore  qu'il  soit  celui  de  tous  les  docteurs  qui  a 
sans  doute  le  mieux  entendu  les  langueurs  et  les  maladies 
de  notre  nature,  ensuite  du  principe  qu'il  a  posé  que  la 
grâce  du  baptême  ôte  les  péchés,  il  parle  ainsi  de  la  convoi- 
tise, combattant  d'une  même  force  les  hérétiques  pélagiens 
et  calvinistes  :  «  Bien  qu'elle  soit  nommée  péché ,  ce  n'est 
pas,  dit-il,  qu'elle  soit  péché;  mais  elle  est  ainsi  appelée, 
parce  qu'elle  est  faite  par  le  péché  ;  comme  en  voyant  l'é- 
criture d'un  homme ,  on  l'appelle  souvent  sa  main ,  parce 
que  c'est  la  main  qui  l'a  faite.  »  Et  ce  grand  homme  passe 
si  avant  qu'il  ne  veut  pas  même  que  la  convoitise  soit  au 
nombre  de  ces  péchés,  pour  lesquels  nous  disons  tous  les 
jours  :  «  Remettez-nous  nos  dettes.  »  Ce  qui  montre  com- 
bien il  est  convaincu  que  la  grâce  justifiante  ôte  les  pé- 
chés... lime  serait  aisé  de  produire  beaucoup  d'autres  pas- 

(I)  Cliapitre  dernier  :  Conclusion  et  sommaire  de  ce  Discours. 
(■■1)  Les  protestants  disaient  de  même  que  la  justification  n'ôfe  pas  les  péchés, 
mais  qu'elle  les  couvre;  Dieu  déclare  juste  le  pécheur,  et  voilà  tout. 


378  B0SSU1:T  et  les  saints  PERES. 

sages  (le  saint  Augustin  non  moins  formels  ni  moins  décisifs; 
mais  celui-ci  doit  suffire  aux  pieux  lecteurs.  »  —  Bossuet 
montre  ensuite  (1)  que  s'il  y  a  des  péchés  même  chez  les 
justes,  il  y  a  aussi  le  sang*  du  Sauveur,  les  Sacrements  de 
l'Église .  le  Saint-Esprit  pour  les  laver.  «  C'est  ce  qu'enseigne 
admirablement  le  grand  saint  Augustin  ,  dans  cette  savante 
Epit/'f  à  Hilaire  :  «  Celui,  dit-il,  qui  étant  aidé  par  la  divine 
miséricorde,  s'abstiendra  de  ces  péchés  qu'on  appelle  cri- 
mes ,  et  qui  ne  nég-lig-era  pas  de  purger  les  autres ,  sans  les- 
quels on  ne  vit  pas  en  ce  monde ,  par  des  œuvres  de  misé- 
ricorde et  par  de  saintes  prières,  encore  qu'il  ne  vive  pas 
ici  sans  péché,  il  méritera  d'en  sortir  sans  aucun  péché, 
parce  que  ,  ajoute  ce  grand  docteur,  comme  sa  vie  n'est  pas 
sans  péché,  aussi  les  remèdes  pour  les  nettoyer  ne  lui  man- 
quent pas.  ))  —  «  Nous  sommes  faits  justes  en  Notre-Sei- 
gneur  (2),  non  seulement  parce  que  sa  justice  nous  est  im- 
putée, mais  parce  que.  par  le  Saint-Esprit  qui  nous  est 
donné,  nous  recevons  une  véritable  justice  inhérente  réel- 
lement en  nos  âmes.  De  là  vient  que  saint  Augustin ,  qui  a 
si  bien  pénétré  le  sens  de  l'Apôtre ,  enseigne  constamment 
la  même  doctrine  que  nous  avons  ici*  expliquée,  «  La  pre- 
mière nativité,  nous  dit-il,  tient  l'homme  dans  la  damna- 
tion, et  il  n'y  a  que  la  seconde  qui  l'en  exempte.  »  Et  ail- 
leurs :  «  Par  la  régénération ,  tous  les  péchés  sont  remis  »... 
C'est  pourquoi,  en  son  Epitrr  2.},  il  décrit  la  régénération 
par  ces  belles  paroles  :  k  L'Esprit,  opérant  intérieurement 
le  bienfait  de  la  grâce,  déliant  le  lien  de  la  coulpe,  récon- 
ciliant le  bien  de  la  nature,  régénère  l'homme  en  .lésus- 
Christ.  »  Vous  voyez  que  le  môme  bienfait  de  la  régénération 
comprend  tout  ensemble  la  rémission  des  péchés,  l'opération 
de  l'Esprit  de  Dieu,  avec  l'infusion  de  la  grAce  :  c'est  aussi 
cette  infusion  de  la  grâce  que  saint  Augustin  appelle  justi- 
fication. Car  au  livre  T'"  Des  nirritt-s  rt  dr  la  rrniission  des 
j)écJu'S,  après  qu'il  a  enseigné  au  chapitre  ix  que  «  Dieu 
donne  aux  fidèles  une  grâce  très  occulte  de  son  Esprit,  qu'il 

(I)  Chapitre  v. 
(•J)  (;lia|)ilrc  VI. 


LES  SAINTS  PERES  ET  HOSSUET  POLÉMISTE.  379 

communique  même  aux  petits  enfants  par  une  infusion  se- 
crète »  ,  il  dit  au  chapitre  suivant  que  <(  ceux  qui  croient 
en  Jésus-Christ  sont  justifiés  en  lui  à  cause  de  la  coinmuni- 
cntion  et  inspiration  secrète  de  la  vie  spïrltiudlc  »,  C'est  ce 
que  Bossuet  appelle  «  une  belle  doctrine  de  l'Apôtre  très 
bien  entendue  par  saint  Augustin  »...  ((  Cette  justice  est 
nôtre,  dit  encore  saint  Auf/ustin  :  mais  elle  est  appelée  dans 
les  Écritures  justice  de  Dieu  et  de  Jésus-Christ,  parce  qu'elle 
nous  est  donnée  par  sa  largesse  (1).  »  —  Pour  que  les  héré- 
tiques voient  manifestement  que  Bossuet  établit  par  les  vrais 
principes  la  justification  par  la  foi,  il  leur  représente  (2) 
la  doctrine  du  sacré  Concile  de  Trente  ;  puis  il  explique 
celle  de  saint  Paul,  sous  la  conduite  de  saint  Augustijt, 
«  qui  a  si  bien  pénétré  le  sens  de  l'Apôtre,  particulièrement 
en  ce  docte  livre  Df'  l'esprit  et  de  la  lettre,  où  il  traite  excel- 
lemment cette  question...  Toute  notre  créance  est  comprise 
en  cette  seule  proposition  qui  est  tirée  àesaint  Augustin,  que 
nous  sommes  dits  justifiés  par  la  foi,  parce  que  plusieurs  cho- 
ses étant  nécessaires  pour  la  justification  du  pécheur,  la  foi 
est  posée  la  première  afin  de  nous  impétrer  tout  le  reste... 
Saint  Augustin  expliquant  par  les  principes  du  saint  Apôtre 
quelle  est  cette  justice  qui  est  parla  foi  :  «  Il  faut  entendre 
une  foi,  dit-il,  par  laquelle  nous  croyons  fermement  que 
la  justice  nous  est  donnée  par  la  grâce,  et  non  point  faite 
en  nous  par  nous-mêmes  »...  C'est  donc  la  foi  qui  nous  jus- 
tifie ,  si  nous  croyons^  si  nous  confessons  que  nous  sommes 
morts  en  nous-mêmes  et  que  Jésus-Christ  seul  nous  fait 
vivre.  C'est,  dis-je,  cette  foi  qui  nous  justifie,  parce  qu'elle 
fait  naître  l'humilité,  et  par  l'humilité  la  prière,  et  dans 
la  prière  la  confiance...  C'est  la  doctrine  constante  de  saint 
Augustin:  c'est  tout  le  but  de  ce  docte  livre  qu'il  a  composé 
De  l'esprit  et  de  la  lettre.  «  La  justification,  y  dit-il,  est 
impétrée  par  la  fol  »,  et  :  <(  La  foi  nous  rend  propice  Celui 
qui  justifie  »  ,  et  encore  :  «  Par  la  foi  nous  impétrons  le 
salut,  tant  celui  qui  commence  en  nous  elfectivement  que 

(1)  Cliapitre  vu. 
{■2)  Chapitre  vin. 


S80  ROSSUET  ET  LES  SAINTS  l'ERES. 

celui  que  nous  attendons  par  une  fidèle  espérance  »  ;  et  en- 
fin :  «  Par  la  loi  la  connaissance  du  péché  ;  par  la  foi  l'ini- 
pétration  de  la  i^râce  contre  le  péché;  par  la  grâce  Tàme 
est  guérie  du  vice  du  péché.  »  Ce  grand  homme  parle  tou- 
jours de  la  même  sorte.  Ainsi,  dans  la  pensée  de  saint  Au- 
gustin,  la  vertu  de  la  foi  consiste  en  la  force  qu'elle  a  d'im- 
pétrer  la  grâce...  Il  raisonne  très  bien  selon  les  maximes 
apostoliques,  quand  il  dit  que  la  foi  justifie,  parce  qu'elle 
attire  les  grâces  par  lesquelles  nous  sommes  justifiés.  » 
Voilà  les  «  vrais  principes  que  l'antiquité  chrétienne  nous  a 
enseignés  par  la  bouche  de  saint  Augustin  ».  —  Quant  à  la 
justification  par  les  œuvres  (1),  le  Saint-Esprit  qui  nous  est 
donné  ouvre  en  nous  une  source  toujours  féconde,  qui,  ne 
cessant  jamais  de  couler,  s'enrichit  continuellement  elle- 
même,  ce  qui  fait  àiv^k saint  Aiif/ustin  :  «  Il  faut  que  nous 
entendions  que  celui  qui  aime  a  le  Saint-Esprit,  et  qu'en 
l'ayant  il  mérite  de  l'avoir  davantage,  et  conséquemment 
d'aimer  davantage...  Mais  c'est  la  grâce  elle-même  qui  mé- 
rite d'être  augmentée ,  afin  qu'étant  augmentée  elle  mérite 
aussi  d'être  consommée.  »  —  Bossuet  explique  encore  (2), 
((  selon  la  doctrine  de  saint  Augustin ,  qui  vient  de  la  source 
des  Écritures,  pour  quelles  causes  la  concupiscence,  bien 
qu'elle  ne  soit  pas  éteinte  dans  les  baptisés,  ne  les  empêche 
pas  d'être  vraiment  justes ,  ni  de  pouvoir  accomplir  la  loi ,  se- 
lon la  mesure  de  cette  vie  ».  S^aint  Augustin  parle  ainsi  de 
la  charité  :  «  C'est  elle  qui  est  la  très  véritable ,  la  très  en- 
tière, la  très  parfaite  justice  »  ;  d'où  il  s'ensuit,  par  con- 
trariété de  raison,  que  toute  l'injustice  a  son  origine  dans 
la  convoitise  »...  Saint  Augustin  a  bien  entendu  (l'énergie 
des  promesses  de  la  nouvelle  alliance),  quand  il  assure  en 
une  infinité  de  lieux  que  «  la  volonté  guérie  accomplit  la 
loi  »,  que  «  la  grâce  nous  est  donnée  afin  que  nous  la 
puissions  accomplir  »,  et  c'est  par  là  que  ce  grand  docteur 
a  révélé  l'efficace  du  secours  divin.  »  iMais  l'imperfection  de 


(1)  Chapitre  ix. 
(i)  (;iia|)itre  xi. 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  POLEMISTE.  381 

notre  justice  vient  du  combat  de  la  convoitise  (1),  et  saint 
August'ni  remarque ,  «  en  profitant  tous  les  jours,  comljien  il 
est  éloigné  de  la  perfection  de  la  justice  »...  Nous  pouvons, 
dit  saint  Augustin,  commentant  le  mot  de  l'Apôtre  :  «  Qui 
me  délivrera  de  ce  corps  de  mort?  nous  déplaire  dans  les 
ténèbres ,  encore  que  nous  ne  puissions  pas  arrêter  nos  vues 
sur  une  lumière  très  éclatante  »...  Toutefois,  nous  ne  crain- 
drons pas  d'assurer,  avec  l'admirable  saint  Augustin,  que 
la  grâce  du  Saint-Esprit  abonde  tellement  en  l'Ame  des  jus- 
tes que  leur  charité ,  quoique  combattue ,  a  quelque  chose 
de  plus  vigoureux  qu'elle  n'avait  en  Adam ,  notre  premier 
père,  lorsqu'elle  y  jouissait  d'une  pleine  paix.  Car  Adam 
n'avait  rien  à  combattre  dans  une  si  grande  félicité,  dans 
une  telle  facilité  de  ne  pécher  pas.  «  Maintenant,  dit  saint 
Augustin,  il  faut  une  liberté  plus  grande  contre  tant  de 
tentations  qui  n'étaient  pas  dans  le  paradis,  afin  que  ce 
monde  soit  surmonté  avec  toutes  ses  erreurs,  et  les  attraits 
des  fausses  amours  »...  Aussi  saint  Augustin  no\i^  enseigne 
que  Dieu  mettant  Adam  dans  le  paradis,  voyait  bien  qu'il 
devait  tomber;  mais  en  même  temps  il  voyait,  dit-il,  que 
par  sa  postérité  aidée  de  la  grâce,  le  diable  serait  sur- 
monté avec  une  plus  grande  gloire  des  saints...  Ainsi, 
quoi  que  la  convoitise  entreprenne  pour  détruire  la  jus- 
tice des  enfants  de  Dieu,  elle  demeure  victorieuse  par  la 
charité,  qui  est  la  véritable  justice,  comme  l'appelle  saint 
Augustin.  » 

Pour  la  grave  question  «  du  mérite  des  bonnes  œuvres 
et  des  sentiments  de  l'ancienne  Église  (2)  »  à  cet  égard, 
Bossuet  déclare  que  «  le  seul  témoignage  de  saint  Augus- 
tin est  capable  de  convaincre  les  plus  obstinés  »  (3) ,  parce 
que  ce  grand  évêque  est  celui  de  tous  les  saints  Pères  qui 
a  disputé  le  plus  fortement  contre  le  mérite  pélagien,  pour 
faire  éclater  la  nécessité,  la  vertu  de  la  grâce.  «  Écoutons 


(!)  Cliaiiitre  \.  Do  Vaccoinplissement  de  la  loi  cl  de  la  vérité  de  notre  justice ,  à 
cause  du  régne  de  la  c/tarilr. 
(-2)  Chapitre  xir. 
(3)  Voir  plus  haut.  p.  -iti. 


:}82  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

parler  ce  grand  personnage  dans  cette  Epilrr  si  forte  qu'il 
écrit  à  Sixte  contre  l'hérésie  des  Pélagiens  :  «  De  quels  mé- 
rites se  vantera  celui  qui  a  été  délivré,  auquel  si  l'on  ren- 
dait selon  ses  mérites,  il  n'éviterait  jamais  la  damnation?.  » 
Il  ajoute  aussitôt  après  ces  beaux  mots  :  «  Les  justes  n'ont- 
ils  donc  aucuns  mérites?  Ils  en  ont  certainement,  parce 
qu'ils  sont  justes;  mais  ils  n'avaient  pas  mérité  que  Dieu  les 
fit  justes.  »  Qui  ne  voit  ici  que  saint  Augustin  ruine  le  mé- 
rite qui  prévient  la  grâce  par  le  mérite  qui  est  un  fruit  de 
la  grâce,  et  qu'autant  qu'il  déteste  ce  premier  mérite,  au- 
tant approuve-t-il  le  second?  Mais  celui  qui  voudra  con- 
naître sans  obscurité  les  sentiments  de  saint  Augustin  tou- 
chant le  mérite  des  bonnes  œuvres,  il  n'a  qu'à  considérer 
attentivement  de  quelle  sorte  ce  grand  homme  emploie 
contre  les  ennemis  de  la  grâce  ce  passage  de  YÉpt'tre  au.r 
Romains  :  «  Le  payement  du  péché ,  c'est  la  mort;  la  grâce 
et  le  don  de  Dieu  c'est  la  vie  éternelle  ».  ((  La  vie  éter- 
nelle ,  dit-il,  est  rendue  aux  mérites  précédents;  toutefois, 
à  cause  que  ces  mérites  ne  sont  point  en  nous  par  nos  pro- 
pres forces ,  mais  y  ont  été  faits  par  la  grâce ,  de  là  vient 
que  la  vie  éternelle  est  appelée  grâce,  sans  doute  parce 
qu'elle  est  donnée  gratuitement  ;  et  de  ce  qu'elle  est  don- 
née gratuitement,  ce  n'est  pas  qu'elle  ne  soi!  donnée  aux 
nu'ritcs;  mais  c'est  à  cause  que  les  mérites  auxquels  la  vie 
éternelle  est  donnée  sont  eux-mêmes  des  dons  de  la  grâce.  » 
Tous  les  écrits  de  saint  Augustin  enseignent  constamment 
la  même  doctrine;  et  pour  faire  voir  à  nos  adversaires  qu'il 
l'a  défendue  jusqu'à  la  mort,  produisons  un  des  derniers 
livres  qu'il  a  composés  et  dans  lequel  il  a  ramassé  tout  ce 
qu'il  y  a  de  fort  et  de  concluant  pour  faire  plier  l'arro- 
gance humaine  sous  le  joug  de  la  grâce.  C'est  de  là  que  je 
veux  tirer  un  témoignage  authentique  pour  notre  créance, 
afin  qu'il  demeure  certain  que  jamais  cet  admirable  doc- 
teur n'a  prêché  plus  hautement  le  mérite  que  lorsqu'il  en- 
treprend d'établir  la  sainte  humilité  du  christianisme. 
«  IHiisque  la  vie  éternelle,  dit  saint  Aur/tislin  dans  le  Dr 
Con'f'jitionc  rt  f/ralia),  laquelle  certainement  est  rendue 


LES  SAOÏS  PERES  ET  150SSUET  POLÉMISTE.  383 

aux  boitiiPS  œuv/'Ps ,  comnip  chose  qui  hnir  est  due ,  est  ap- 
pelée grâce  par  le  grand  Apôtre,  quoique  la  grâce  soit 
donnée  gratuitement  et  non  point  rendue  à  nos  bonnes  œu- 
vres, il  faut  confesser  sans  aucun  doute  que  la  vie  éternelle 
est  appelée  grâce,  parce  qu'elle  est  rendue  aux  utcrites  qui 
nous  sont  donnés  par  la  grâce.  »  Donc,  selon  la  doctrine  de 
saint  Augustin ,  Dieu  ne  donne  pas  seulement,  mais  il  rend 
la  vie  éternelle  aux  mérites  de  cette  vie  ;  et  il  ne  la  rend  pas 
seulement,  mais  il  la  rend  comme  chose  due.  » 

Reste  la  grande  objection  des  Pélagiens  (1)  et  des  Protes- 
tants aussi ,  puisque  Luther  a  composé  un  traité  De  Serro 
Arbitrio,  à  savoir  que  la  doctrine  catholique  détruit  le 
libre  arbitre  de  l'homme.  —  Saint  Augusti/i  défend  l'É- 
glise contre  ce  reproche  et  déclare  hautement  à  ces  héré- 
tiques que  «  Dieu  a  révélé  par  les  écritures  qu'il  y  a  dans 
l'homme  le  libre  arbitre  de  sa  volonté  ».  Et,  voulant  expli- 
quer ailleurs  quelle  est  la  fonction  de  ce  libre  arbitre  : 
«  C'est  à  la  propre  volonté,  dit-il,  de  consentir  ou  de  résis- 
ter à  la  vocation  divine.  »  Il  a  fait  des  livres  entiers  sur 
cette  matière.  Saint  Paul  parle  ainsi  de  lui-même  :  «  Non 
pas  moi,  mais  la  grâce  de  Dieu  avec  moi  »,  c'est-à-dire, 
selon  l'interprétation  de  saint  Augustin  :  «  Ce  n'est  pas  la 
grâce  de  Dieu  toute  seule;  ce  n'est  pas  aussi  lui  tout  seul, 
mais  la  grâce  de  Dieu  avec  lui.  » 

Bossuet  conclut  en  disant  que  «  cette  doctrine  fait  bien 
entendre  ce  que  saint  Augustin  nous  a  enseigné  par  l'au- 
torité des  lettres  sacrées,  que  la  vie  éternelle  est  donnée 
aux  œuvres,  et  néanmoins  qu'elle  ne  laisse  pas  d'être  grâce. 
Elle  est  donnée  aux  œuvres,  parce  que  Dieu  rendra  â  cha- 
cun selon  ses  œuvres  (2).  Et  cependant  il  est  certain  que 
c'est  une  grâce,  parce  qu'elle  nous  est  promise  par  grâce  ... 

«  Ainsi,  comme  remarque  saint  Augustij\ ,  qui  finira 
cette  question  après  l'avoir  si  bien  commencée,  tous  les 
desseins  de  la  Providence  se  rapportent  â  ces  trois  choses. 
Car  ou  Dieu  rend  le  mal  pour  le  mal,  ou  il  rend  le  bien 

(I)  Chapitre  xiii. 
(-2)  Ai^oc.  XXII.  1-2. 


384  ROSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

pour  le  mal  ou  il  rend  le  bien  pour  le  bien.  Il  rend  le  mal 
pour  le  mal,  le  supplice  pour  le  péché,  parce  qu'il  est  juste  ; 
il  rend  le  bien  pour  le  mal,  la  grâce  pour  l'injustice,  parce 
qu'il  est  bon;  enfin  ,  il  rend  le  bien  pour  le  bien,  la  gloire 
éternelle  pour  la  bonne  vie,  parce  qu'il  est  juste  et  bon 
tout  ensemble  (1).  » 

Pour  montrer  «  l'injustice  du  ministre  (Ferry),  qui  nie 
que  nous  ayons  notre  confiance  en  Jésus-Christ  (2)  »,  le  jeune 
archidiacre  de  Metz  cite  encore  deux  textes  de  saint  B('r- 
nard  :  «  L'Église  a  des  mérites,  mais  pour  mériter,  non 
pour  présumer.  Qui  est  celui  qui  peut  dire  :  Je  suis  des 
élus,  je  suis  des  prédestinés  à  la  vie?  Nous  n'en  avons  pas 
la  certitude  ;  mais  la  confiance  nous  console  »;  et  deux  textes 
de  saint  Augustin  :  «  Quoique  (les  enfants  de  Dieu)  soient 
infailliblement  assurés  du  prix  de  leur  persévérance  »;  — 
«  En  ce  lieu  de  tentation,  l'infirmité  est  si  grande  que  la 
certitude  infaillible  peut  facilement  engendrer  l'orgueil.  » 
«  Je  produis  ces  deux  grands  hommes  à  notre  adversaire, 
dit  Bossuet,  parce  qu'il  les  appelle  saints  dans  son  Caté- 
chisme, afin  qu'il  connaisse,  par  leur  témoignage,  que  nous 
avons  l'assurance  d'être  sauvés,  telle  que  l'ont  eue  les 
hommes  de  Dieu  et  les  saints  docteurs  de  l'Église...  Mais 
finissons  enfin  ce  discours  par  ce  raisonnement  invincible, 
(jui  découvrira  manifestement  deux  insignes  faussetés  du 
ministre.  Il  accuse  le  Concile  de  Trente  d'avoir  établi  une 
nouvelle  doctrine  touchant  la  justification  et  les  bonnes 
œuvres.  Cependant  il  parait  sans  difficulté  qu'elle  a  été  de 
point  en  point  enseignée  il  y  a  plus  de  douze  cents  ans  par 
le  plus  crlrbrc  de  tous  les  docteurs ,  avec  l'applaudissement 
de  toute  l'Église.  Il  ajoute  que  cette  doctrine  détruit  le  fon- 
dement de  la  foi,  c'est-à-dire  la  confiance  en  Jésus-Christ 
seul.  Toutefois  il  n'est  pas  assez  téméraire  pour  accuser  saint 
Augustin  d'un  crime  si  énorme  ;  au  contraire,  il  déclare  en 
termes  formels  qu'il  ne  trouve  rien  en  sa  foi  qui  puisse 
donner  une  juste  cause  de  séparation.  Ainsi,  Vautorité  de 

(t)  De  Grntia  et  lihero  arbih'io,  cap.  xxiii.  ii.  V>. 
(•1)  Cliaj)ilic  dernier. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  POLÉMISTE.  385 

saint  Augustin  nous  est  un  rempart  assuré.  Car  si  notre  foi 
est  la  sienne,  il  est  clair  qu'on  ne  se  doit  pas  séparer  de 
nous,  puisqu'on  n'ose  pas  se  séparer  de  saint  Augustin.  » 

Dans  la  seconde  partie  de  sa  Réfutation ,  L<'  salut  impos- 
sible dans  la  Réforme,  Bossuet  établit  d'abord  l'apostoli- 
cité  et  la  durée  perpétuelle  de  TÉgiise  visible ,  ou  plutôt  de 
toutes  les  véritables  églises  1)  par  ce  texte  de  TertuUien  i2)  : 
«  Une  race  se  doit  rapporter  à  son  origine;  c'est  pourquoi 
toutes  les  Églises  ne  sont  que  cette  Église  unique  et  pre- 
mière que  les  apôtres  de  Jésus-Christ  ont  fondée.  Elles  sont 
toutes  premières  et   apostoliques,   parce  qu'elles  se   sont 
associées   à  la  même  unité  et  qu'elles  ont  le  même  prin- 
cipe. ')  —  Puis,  pour  montrer  que  nos  adversaires  ne  peuvent 
apporter  aucune  cause  de  séparation  (3)  :  «  Disons  main- 
tenant à  nos  adversaires,  écrit  Bossuet,  avec  cette  ardente 
charité  de  saint  Augustin  (4)  :  Pourquoi  vous  êtes-vous  sé- 
parés? Quel  a  été  votre  aveuglement  lorsque^  pour  éviter, 
à  ce  que  vous  dites,  les  abus  qui  étaient  dans  l'Église,  vous 
n'avez  pas  craint  de  tomber  dans  le  plus  horrible  de  tous 
les  abus,  qui  est  le  sacrilège  du  schisme?  Certes,  rien  ne 
doit  être  plus  nécessaire  que  les  causes  de  séparation  et  il 
n'y  a  rien  de  plus  mal  fondé  que  celles  que  vous  prenez 
pour  prétexte.  » 

Et  alors,  le  jeune  archidiacre  détruit  une  à  une  toutes 
les  raisons  apportées  par  la  Réforme  pour  se  séparer  de 
l'Église  Romaine.  —  «  Elle  ne  permet  pas  aux  fidèles  de 
se  confier  à  Jésus-Christ  seul  ^>,  dit  Ferry.  «  Mais  que  ré- 
pondra-t-il  à  saint  Augustin,  qui  a  soutenu  (les  mérites) 
avec  tant  de  force?  Osera-t-il  dire  que  ce  docteur  a  enflé 
farrogance  humaine,  lui  qui  est  le  prédicateur  de  la  grâce 
et  qui,  dans  le  sentiment  de  Calvin  (5),  «  n'a  pas  son  pareil 
entre  les  anciens  en  modestie  et  profondeur  de  science?  » 
—   Rome    honore    et  prie    les  saints.    «    Mais   que    Ferry 

(1)  Chapitre  ii. 

(i)  De  Praescrip.  c.  xx. 

(3)  chapitre  m. 

(4)  De  Bapt.,  lib.  H,  n.  -24. 

(5)  Défais,  coiit-  Vestph. 

BOSSLET  ET  LES  SAINTS  PÈRES.  wi>: 


386  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PÈRES. 

«  écoute  le  grand  saint  Basile  (1)  ;...  qu'il  écoute  saint  Grr- 
f/oi/'f\  évèque  de  Nysse ,  frère  de  cet  admirable  docteur, 
qui  représente  les  chrétiens  embrassant  le  corps  d'un  mar- 
tyr, «  le  priant  d'intercéder  pour  eux  »  ;  qu'il  écoute  saint 
Augustin,  qui  dit  que  «  les  fidèles  recommandaient  aux 
martyrs  les  âmes  de  ceux  qu'ils  aimaient,  comme  à  leurs 
défenseurs  et  à  leurs  avocats...  Ces  grands  hommes  désho- 
noraient-ils Jésus-Christ?  Et  quelle  est  la  témérité  de  nos 
adversaires  qui,  sous  le  nom  de  l'Église  Romaine,  déchirent 
la  mémoire  de  ces  grands  docteurs?  »  —  «  Pour  ce  qui  re- 
garde le  purgatoire  et  la  prière  pour  les  morts,  se  peut-il 
rien  dire  de  plus  formel  que  ces  belles  paroles  de  saint 
Aurjustiu  :  «  Il  ne  faut  point  douter,  dit  ce  grand  évêque  (2), 
que  les  prières  de  la  sainte  Eglise  et  le  sacrifice  salutaire  et 
les  aumônes  que  font  les  fidèles  pour  les  âmes  de  nos  frères 
défunts ,  ne  les  aident  à  être  traités  plus  doucement  que 
leurs  péchés  ne  le  méritent.  Car  uoits  aro/ts  appris  de  nos 
pères,  cf  que  V Eglise  universelle  observe,  de  faire  mémoire, 
dans  le  sacrifice ,  de  ceux  qui  sont  morts  en  la  communion 
du  corps  et  du  sang  de  Jésus-Christ ,  et  en  môme  temps  de 
prier  et  d'offrir  ce  sacrifice  pour  eux.  A  l'égard  des  œuvres 
de  miséricorde  par  lesquelles  on  les  recommande,  qui  doute 
qu'elles  ne  leur  soient  profitables?  //  ne  faut  nallnnent  dou- 
ter que  ces  choses  ne  servent  aux  morts  ».  —  «  Mais  Rome 
est  destinée ,  nous  dit  le  ministre ,  à  être  le  siège  de  l'Anté- 
christ; c'est  la  Rabylone  de  VApocalgpse ,  de  laquelle  Dieu 
ordonne  de  se  retirer.  Saint  Jérôme  l'a  entendu  de  la  sorte.  » 
11  faut  «  faire  grande  différence  ,  répond  Bossuet,  entre  l'É- 
glise de  Rome  et  la  ville;  et  saint  Jérôme  l'observe  très 
exactement,  dans  celte  célèbre  Epître  éi  Marcelle,  où,  vou- 
lant exhorter  cette  sainte  femme  à  quitter  Rome  pour 
Bethléem,  il  lui  dépeint  la  ville  de  Rome  comme  la  Rabylone 
dont  il  faut  sortir.  «  Là,  dit-il.  il  y  a  une  sainte  Église;  on 


(1)  -  Souvenez-vous,  dit-il,  du  inarlyr.  vous  auv(iuels  il  a  paru  dans  les  songes; 
vous  aux(|uels,  étant  appelé  par  son  nom,  il  s'est  montre  présent  par  ses  a'u- 
vres.  » 

(3)  Herm.  3-2.  Dr  Verhis  Apost.,  nuni-  l"-2  ,  n.  II. 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  POLEMISTE.  387 

y  voit  les  trophées  des  apôtres  et  des  martyrs  ;  Jésus-Christ 
y  est  reconnu,  etc..  »  Qui  ne  voit  que  ces  premières  paroles 
honorent  la  sainteté  de  l'Église  et  qu'il  représente  dans  les 
dernières  la  confusion  de  la  ville?...  Il  estime  Antechrists 
ceux  qui  ne  s'unissent  point  avec  (l'Église  Komaiue).  Et  cer- 
tes ,  si  nous  (la)  considérons  selon  les  maximes  des  anciens 
docteurs,  bien  loin  de  croire,  comme  les  ministres,  qu'elle 
est  la  Babylone  dont  il  faut  sortir,  nous  dirons  avec  les  saints 
Pères  qu'elle  est  le  centre  où  il  faut  se  rassembler.  C'est  ce 
que  nous  voyons  clairement  dans  ce  beau  passage  de  saint 
Optât,  qui  vivait  au  quatrième  siècle.  Ce  grand  évêque , 
écrivant  contre  Parménian ,  donatiste ,  lui  explique  l'unité 
de  l'Église  par  l'unité  de  la  chaire  principale  à  laquelle 
toutes  les  autres  doivent  être  unies.  «  Vous  ne  pouvez  nier 
que  vous  ne  sachiez  que  la  chaire  épiscopale  a  été  donnée 
à  Rome ,  premièrement  à  Pierre ,  en  laquelle  a  été  assis 
Pierre,  le  chef  de  tous  les  Apôtres,  qui  a  été  pour  cela 
appelé  Céphas  :  en  laquelle  chaire,  poursuit  ce  saint  homme, 
l'unité  dirait  être  gardée  par  tous  les  fidèles ,  afin  que  les 
autres  Apôtres  ne  pussent  pas  s'attribuer  la  chaire  ;  et  que 
celui-là   fût  tenu  pour  pécheur  et  pour  schismatique  qui 
élèverait  une  autre  chaire  contre  cette  chaire  singulière... 
La  chaire  donc  est  unique;  Pierre  s'y  est  assis  le  premier; 
Lin  a  succédé  »  ;  il  les  nomme  tous  jusqu'à  Sirice,  et  nous 
pouvons  aisément  remplir  cette  liste  jusqu'à  Innocent  X 
d'heureuse  mémoire  et  à  celui  que  le  Saint-Esprit  lui  des- 
tine pour  successeur;  après  quoi  nous  dirons  à  nos  adver- 
saires avec  saint  Optât  :  «  Montrez-nous  l'origine  de  votre 
chaire,  vous  qui  vous  attribuez  le  titre  d'Église  »  ;  n'ètes- 
vons  pas  schismatiques  et  pécheurs,  vous  qui  vous  élevez 
contre  la  chaire  unique,  contre  la  chaire  de  l'Apôtre  saint 
Pierre  et  l'Église  principale ,  dit  saint  Cyprieii ,  plus  ancien 
qu'Optât,  d'oii  l'unité  sacerdotale  a  pris  sa  naissance?  Que 
pouvez- vous  répondre  à  des  autorités  si  précises?  » 

A  propos  de  l'infaillibilité  de  l'Église  (1),  Bossuet  affirme 

(1)  Chapitre  IV. 


388  BOSSLET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

«  qu'il  appartiendra  àTEg-lise,  tant  qu'elle  demeurera  sur 
la  terre,  de  dire,  à  rimitation  des  apôtres  :  «  Il  a  plu  au 
Saint-Esprit  et  à  nous.  »  En  efTet,  les  anciens  docteurs  ont 
attribué  constamment  à  l'Esprit  de  Dieu  ce  qu'ils  voyaient 
reçu  par  toute  l'Église;  et  c'est  pour  cette  raison  que  saint 
Augustin,  parlant  de  la  coutume  de  communier  avant  que 
d'avoir  pris  aucun  aliment  :  «  Il  a  plu,  dit-il,  au  Saint-Es- 
prit que  le  corps  de  Notre-Seigneur  fût  la  première  nourri- 
ture qui  entrât  en  la  bouche  du  Chrétien  »...  Le  même 
saint  Augustin,  disputant  du  baptême  des  petits  enfants  : 
«  Il  faut ,  dit-il ,  souffrir  ceux  qui  errent  dans  les  questions 
cj[ui  ne  sont  pas  encore  bien  examinées,  qui  ne  sont  pas 
pleinement  décidées  par  l'autorité  de  l'Église  ;  c'est  là  que 
l'erreur  se  doit  tolérer;  mais  ils  ne  doivent  pas  entrepren- 
dre d'ébranler  le  fondement  de  l'Eglise.  »  Ainsi,  cet  incom- 
parable docteur,  non  seulement  ne  permet  pas  qu'on  dis- 
pute après  que  l'Églisç  a  déterminé;  mais  il  estime  qu'on 
sape  le  fondement,  quand  on  révoque  en  doute  ce  qu'elle 
décide.  »  Bossuet  cite  alors  comme  preuve  «  de  la  déférence 
de  saint  Augustin  pour  les  déterminations  de  l'Église  »  ce 
qu'il  écrivait  à  propos  du  baptême  donné  par  les  héréti- 
ques :  saint  Cyprien  lui  refusait  le  nom  de  baptême  et 
l'évèque  d'Hippone  le  reconnaissait  comme  valable  «  sur 
l'autorité  de  l'Église  universelle,  à  laquelle  saint  Cyprien 
aurait  cédé  très  certainement...  Et  certes,  le  grand  Cfj- 
j)rien  a  bien  témoigné  quelle  était  sa  vénération  pour  l'É- 
glise, lorsque,  interrogé  par  un  de  ses  collègues  sur  les 
erreurs  de  Novatien,  il  lui  fait  cette  belle  réponse  :  «  Nous 
ne  devons  pas  être  curieux  de  ce  qu'il  enseigne ,  puisqu'il 
n'enseigne  pas  dans  l'Église.  Quel  qu'il  soit,  il  n'est  pas 
chrétien,  n'étant  pas  on  l'Église  de  Jésus-Christ.  » 

Le  jeune  archidiacre  de  Metz  défend  ensuite  (1)  saint 
Bernard,  qui  demandait  la  réforme  des  abus,  contre  les 
altérations  de  sens  que  le  ministre  Ferry  se  permet  à  trois 
reprises  «  avec  une  extrême  impudence  ».  «  Je  m'étonne, 

(1)  Cliapiti'c  dernier. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  POLEMISTE.  389 

ajoute-t-il,  que  les  ministres  osent  bien  citer  saint  Brrnnrd 
pour  autoriser  leur  réformation,  puisqu'il  est  clair  que  ce 
saint  docteur  l'aurait  infiniment  détestée,  lui  qui  prie  si  dé- 
votement la  très  sainte  Vierge ,  qui  honore  avec  tant  de  res- 
pect la  primauté  du  Souverain  Pontife  ;  qui.  voyant  que  le 
diable  tâchait  d'introduire  quelques  articles  de  la  réforma- 
tion prétendue ,  en  suscitant  certains  hérétiques  qui  niaient 
qu'il  fallait  prier  pour  les  morts  et  implorer  le  secours  des 
saints,  rejette  leur  doctrine  comme  pernicieuse;  qui  relève 
si  fort  l'état  monastique ,  et  duquel  non  seulement  les  écrits, 
mais  encore  la  profession  et  la  vie  condamnent  la  doctrine 
de  nos  adversaires.  »  —  Gerson  ,  Pierre  (VAiHf/ ,  saint  Bona- 
renture,  Sdiint  François  (rAs.si.se,  invoqués  par  le  ministre 
Ferry  en  faveur  delà  nécessité  d'une  réformation ,  n'ont 
jamais  voulu  corriger  la  foi  «  à  la  mode  des  luthériens  et 
des  calvinistes  »  :  les  uns  ont  condamné ,  au  concile  de 
Constance ,  les  Viclefistes  et  les  Hussites ,  précurseurs  des 
Protestants;  les  autres  ont  voulu  «  travailler  de  toutes  leurs 
forces  à  rallumer  la  charité  refroidie  et  à  faire  revivre  en 
l'Église  l'esprit  de  mortification  et  de  pénitence  que  l'amour 
du  monde  avait  presque  éteint  ». 

La  Conclusion  de  Bossuet  est  une  «  exhortation  à  nos  ad- 
versaires de  retourner  à  l'unité  de  l'Église  ».  «  Et  ne  vous 
persuadez  pas,  dit-il,  ce  sont  les  paroles  de  saint  Ci/prien, 
que  vous  défendiez  l'Évangile  de  Jésus-Christ,  lorsque  vous 
vous  séparez  de  son  troupeau  et  de  sa  paix  et  de  sa  con- 
corde, étant  plus  convenable  à  de  bons  soldats  de  demeu- 
rer dans  le  camp  de  leur  capitaine,  et  là  de  pourvoir  d'un 
commun  avis  aux  choses  qui  seront  nécessaires.  Car  puisque 
l'unité  chrétienne  ne  doit  pas  être  déchirée,  et  que,  d'ail- 
leurs ,  il  n'est  pas  possible  que  nous  quittions  l'Église  pour 
aller  à  vous,  nous  vous  prions  de  tout  notre  cœur  que  vous 
reveniez  à  l'Église  qui  est  votre  Mère  et  à  notre  fraternité, 
afin  que  les  nations  infidèles,  que  nos  divisions  ont  scanda- 
lisées ,  soient  édifiées  par  notre  concorde.  » 

Telle  est  la  première  œuvre  de  polémique  publiée  par 
Bossuet. 


390  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

Il  fallait  l'analyser  fidèlement  pour  la  faire  connaître  et 
la  tirer  d'un  injuste  ot  trop  long  oubli.  —  D'abord,  elle 
contient  en  germe  toutes  les  réponses  théologiques  et  dog- 
matiques que  le  grand  controversiste  opposera  aux  Réfor- 
més :  dès  Fàge  de  vingt-huit  ans,  il  a  tout  vai,  tout  embrassé, 
tout  réluté  avec  une  sûreté  admirable;  désormais,  il  ne  fera 
plus  que  développer,  selon  les  circonstances ,  tel  ou  tel  point 
de  sa  réponse  au  ministre  Ferry  :  la  justification,  le  mérite 
des  bonnes  œuvres,  la  culte  des  saints,  les  indulgences, 
l'Eucharistie  ,  la  suprématie  de  l'Église  Romaine,  etc.  —  Si 
Bossuet  s'élève  si  haut  du  premier  coup ,  s'il  atteint  à  une 
précision,  à  une  exactitude,  à  une  clarté  éloquente,  que 
l'on  ne  trouve  pas  dans  les  écrits  de  cette  époque  et  que  seul 
Pascal  saura  mettre  un  an  plus  tard  dans  ses  Provinciales , 
il  le  doit  sans  doute  à  son  génie  et  à  ses  fortes  études  théo- 
logiques; mais,  après  les  longues  citations  qui  précèdent, 
comment  ne  pas  reconnaître  que  tout  le  fond  de  ses-  argu- 
ments et  de  sa  doctrine  est  emprunté  aux  saints  Prres  et 
en  particulier,  à  l'incomparable  saint  AïKjustin,  le  défen- 
seur de  la  grâce,  «  qui  huit  »  si  bien  les  questions  qu'il  a  si 
bien  commencées?  Bossuet  le  cite  à  chaque  page;  il  l'op- 
pose à  ses  adversaires  comme  (<  un  rempart  assuré  »  derrière 
lequel  il  est  à  l'abri  de  l'erreur;  et,  chose  remarquable, 
qu'on  ne  retrouvera  plus  dans  les  œuvres  de  controverse 
du  grand  orateur,  il  ne  se  contente  pas  d'indiquer  les  réfé- 
rences des  passages  qu'il  traduit  :  il  les  rapporte  en  notes 
intégralement  (1).  C'est,  sans  doute,  pour  montrer  au  mi- 
nistre Ferry  et  aux  religion  n aires  de  Metz  sa  parfaite  sin- 
cérité. Mais  n'est-ce  pas  aussi  pour  répondre  indirectement  à 
l'abus  qu'avait  fait  Jansénius  dans  son  Aitgustinits  et  que 
faisaient  tous  les  jours  les  Jansénistes  et  les  Protestants  du 
texte  de  Févèque  d'ilippone? 

Quoi  qu'il  en  soit,  la  Hrful'ilion  du  ('(iléchisnir  de 
l'ait I  Fcrri/,  dédiée  au  maréchal  de  Schomberg,  eut  les 
plus  heureux  résultats.  «  Le  succès  du  livre  fut  tel,  dit  Le 

{\)  Il  cite  aussi  en  entier  ceux  des  autres  Pères  «luil  invociue. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  POLÉMISTE.  391 

Dieu  (l) ,  que  tout  le  parti  huguenot  s'en  trouva  fort  ébran- 
lé (2)...  l^e  ministre  même  i  Ferry)  en  fut  si  touché  qu'a- 
près plusieurs  conférences  (3)  avec  notre  al)l)é  sur  le  fond 
de  la  religion,  il  se  résolut  à  rentrer  dans  TEglise,  d'où 
malheureusement  il  était  sorti  \ï).  Retenu  par  un  faux 
honneur,  ajoute  le  secrétaire  de  Bossuet,  il  n'eut  pas  la 
force  d'effectuer  ce  bon  dessein  pendant  sa  vie.  3Iais  sa  ré- 
solution était  connue ,  et  à  la  mort,  il  la  déclara  hautement 
aux  anciens  du  consistoire  et  à  toute  sa  famille ,  demandant 
avec  instance  M.  l'abbé  Bossuet  pour  faire  entre  ses  mains 
sa  réunion.  Un  écrit  publié  alors,  qu'on  voit  encore  à  Metz 
dans  les  cabinets  des  curieux,  contient  les  circonstances  de 
ces  faits,  avec  de  grandes  plaintes  des  catholiques  contre 
les  protestants  de  cette  ville,  qui  violentaient  les  conscien- 
ces, parce  qu'il  était  notoire  que  leurs  anciens  et  les  parents 
du  ministre  Ferry  avaient  mis  obstacle  à  sa  conversion,  en 
empêchant  qu'il  ne  vit  notre  abbé.  »  —  Il  est  regrettable 
que  toute  cette  dernière  partie  du  récit  de  Le  Dieu  soit 
((  imaginaire  »,  au  dire  de  Floquet  :  imaginaire,  «  l'écrit 
publié  alors  »  ;  imaginaire,  l'histoire  de  la  violence  faite 
aux  consciences;  imaginaire,  le  récit  des  désirs  de  réunion 
et  de  l'appel  à  Bossuet  formulés  par  Ferry  au  moment  de 


(1)  Mémoires.  I.  p.  <>l-(>-2. 

(-2)  Les  abjurations  de  ministres  se  niullipliérent  et  grand  nombre  de  dissidents 
quittèrent  le  prêciie  pour  l'Église.  {Mémoires  de  Xicrron,  t.  II.  p.  ^oO-ijl.  analysés 
par  Floquet,  Études,  t.  i,  p.  341). 

(3)  Ces  conférences  «  à  l'imitation  des  Pi-res  "  eurent  lieu  en  lCtC>c>.  Ferry  était 
doux,  pacifique,  honoré  de  tous;  comme  les  membres  du  clergé  et  les  religieux 
le  recherchaient,  il  devint  suspect  aux  religioniiaires  et  fui  en  butte  à  leur  malveil- 
lance :  ils  voulaient  le  faire  démettre.  Mais  il  triompha  d'eux,  grâce  à  l'appui  de 
Bossuet,  alors  à  Paris.  Le  P.  de  Rhodes  ménagea  des  entrevues  à  Metz  entre  l'ora- 
rateur  et  le  ministre  seuls  (mai,  juin,  juillet,  MHHi).  Des  Explications  écrites  fu- 
rent données  à  Ferry  par  Bossuet.  Il  y  a  même  un  Récit  de  ce  qui  s'est  passé  entre 
M.  Ferry  et  moi.  corrigé  et  signé  par  Bossuet.  Son  père  le  suppléa  auprès  de 
Ferry  et  Théodore  Maimhourg  pressa  le  ministre  de  concourir  à  la  réunion  des 
dissidents. 

(4)  Cela  est  fort  contestable  et  Floquet  contredit  ici  l'abbé  Le  Dieu. 

.\près  juillet  KUHi.  Ferry  désirait  aussi  vivement  que  Bossuet  reprendre  les  confé- 
rences interrompues;  mais  il  était  timide  et  dominé  par  les  autres  ministres.  Une 
satire  en  latin,  des  lettres  anonymes  très  dures,  les  calomnies  des  ardents  de 
sa  communion,  ébranlèrent  les  résolutions  de  Paul  Ferry.  Le  consistoire  refusa  la 
proposition  de  deux  catholiques  de  Metz  en  vue  d'une  réunion,  et  Ferry  s'expli- 
qua «  sur  ses  entretiens  avec  Bossuet,  sur  ses  relations  avec  les  .lésuites.  de  ma- 
nière à  reconquérir  les  sympathies  de  ses  coreligionnaires  ».  {Récit  autographe  de 
Ferry,  rapporté  par  Floquet,  Études,  t.  lU,  p.  80-100). 


392  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PÈRES. 

sa  mort,  28  décembre  1669.  Cette  mort  fut  celle  d'un  cal- 
viniste, comme  l'atteste  le  ministre   David  Ancillon,  qui 
en    avait  été  témoin   (1);  d'ailleurs,  par   son   testament, 
Ferry  léguait  à  ses  héritiers  une  Réponse  à  la  Réfutation 
de  Bossuet.  «  pour  faire,  même  après  sa  mort,  quelque 
profit  encore  à  ceux  de  sa  communion  (2)  ».  Toujours  est-il 
que,  si  Bossuet  échoua  auprès  de  Ferry,  il  avait  dans  son 
Sermon  sur  les  deroirs  «les  rois,  1662,  demandé  à  Dieu  pour 
Louis  XIV  «  la   gloire  d'étouffer    l'hérésie  elle-même,  de 
l'étouffer  tout  entière  par  un  sage  tempérament  de  sévé- 
rité et  de  patience  ».  En  attendant,  il  faisait  partie,  avec 
le  secrétaire  d'État  Le  Tellier,  le  Père  Annat ,  confesseur  du 
roi,  le  maréchal  de  Turenne,  et  quelques  docteurs  signa- 
lés de  la  Sorbonne,  d'un  Conseil  secret  et  intime  qui  avait 
pour  but  de  rechercher  les  meilleurs  moyens  pour  opérer 
la  réunion  des  Protestants  avec  l'Église  catholique  et  ro- 
maine (3).  Il  avait  aussi  le  bonheur,  en   1665  et  1666,  de 
préparer  par  des  conférences  privées .  «  où  la  douceur  nour- 
rissait la  charité  (k)  »  ,  l'abjuration  de  l'illustre  Danois  Ste- 
non  (5)  (décembre  1667). 

§  II.  —  Exposition  de  la  doctrine  catholique  sur  les  ma- 
tières  de  controverse,  1671.  — Lettres  relatives  à  l' Exposi- 
tion, 1686.  —  Fragments  sur  diverses  matières  de  contro- 
verse pour  servir  de  réponse  aux  écrits  faits  par  plusieurs 
ministres  contre  le  livre  de  l'Exposition  de  la  doctrine 
catholique ,  1675-1691. 

«  Ce  sont  les  expositions  les  plus  simples,  les  moins  em- 
barrassées, qui  sont  aussi  ordinairement  les  plus  vérita- 
bles »  ,  écrivait  Bossuet  à  Paul  Ferry  le  28  octobre  1666,  et 
en  même  temps  il  lui  adressait  des  Explications  écrites,  qui 
ont  été  comme  l'ébauche,  l'esquisse  de  VExposilio/i. 

(I)  Voir  son  Mrlangr  rrilù/ne  de  lillcraluri'.  public  par  son  fils,  en  KiiiH.  à  Bàle. 

l'î}  \U»\ucl,  Études,  ni,  p.  UKi. 

(:J)  MiMue  ouvrage,  p.  Wl. 

(4)  Histoire  des  Variations.  \l. 

(.•i)  Floquct,  Études.  III.  \^.  IW). 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  POLÉMISTE.  393 

On  peut  en  dire  autant  de  semblables  Explications ,  en- 
voyées deu\  ans  plas  tard  au  frère  du  marquis  de  Dan- 
geau,  Louis  de  Gourcillou,  qui  abjura  entre  les  mains  de 
Bossuet,  le  10  octobre  1668,  et  devint  l'abbé  de  Dang-eau  : 
«  Je  reçus  de  M.  l'abbé  Bossuet,  disait-il  en  1707  à  Le  Dieu, 
des  instructions  par  écrit  qui  ont  été,  depuis,  la  matière 
du  livre  de  VE.rposition.  » 

Ces  mêmes  «  instructions  »  furent  communiquées  à  Tu- 
renne,  au  comte  de  Lorge,  au  comte  de  Rozan,  ses  neveux, 
qu'elles  ramenèrent  à  la  foi  catholique ,  si  bien  que  le  vain- 
queur des  Dunes  abjura  le  23  octobre  1668  et  ses  neveux 
le  6  février  1669. 

«  Il  ne  s'agit  pas  tant  de  disputer  que  de  dire  nettement 
ce  qu'on  croit,  devait  écrire  Bossuet  dans  ï Avertissement 
qui, est  en  tète  de  l'édition  de  V Exposition  de  1679.  C'est  un 
ouvrage  de  charité.  »  C'était  aussi  un  ouvrage  d'une  science 
et  d'une  précision  admirables.  Il  circula  en  manuscrit  de 
1668  à  1671,  et  les  religionnaires,  les  ministres,  étaient 
étonnés  de  trouver  «  dans  ce  livre  si  court,  si  simple,  si 
exact,  si  sincère  et  si  doux  »,  l'Église  Romaine  tout  autre 
qu'ils  ne  se  la  figuraient.  «  J'entends  dire  qu'il  n'y  a  rien 
de  plus  beau  »  ,  écrivait  M""^  de  Se  vigne  à  sa  fille ,  le  13  sep- 
tembre 1671.  C'est  que  le  vicomte  de  Turenne,  qui  «  faisait 
grand  cas  de  cet  ouvrage  »,  en  répandait  partout  des  copies, 
«  jugeant,  dit  Le  Dieu  (1),  que  les  esprits  sans  prévention 
en  seraient  touchés,  comme  il  l'avait  été  lui-même  :  et  il  ne 
cessait  de  solliciter  l'évêque  de  Gondom   de  donner  son 
livre  au  public,  qu'il  regardait  comme  un  moyen  sûr  d'at- 
tirer à  l'Eglise   tous  les  réformés  de   France.  On  voyait 
croître  chaque  jour  le  nombre  des  protestants  qui  deman- 
daient instruction,  et  l'on  ne  pouvait  leur  en  mettre  entre 
les  mains  une  plus  précise  ni  plus  nette,  où  ce  prélat,  en 
écartant  tout  ce   que  l'on  impute   de  faux  et  d'odieux  à 
l'Eglise  catholique  dans  les  controverses  et  en  s'arrêtant 
uniquement  à  ce  que  cette  Église  a   détini  touchant  ces 

(1)  Mémoires,  t.  [.  |).  I.';-2-t:>4. 


394  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

matières  dans  le  concile  de  Trente,  avait  fait  paraître  sa 
sagesse  et  sa  modération  »  et  en  même  temps  la  sublimité 
et  la  force  de  son  génie ,  en  posant  pour  fondement  de  son 
livre  les  fondements  mêmes  et  les  articles  principaux  de  la 
foi,  crus  et  professés  dans  sa  communion  aussi  bien  que  dans 
la  religion  prétendue  réformée.  Par  ce  moyen  plusieurs 
disputes  s'évanouissaient  tout  à  fait,  et  celles  qui  restaient 
ne  paraissaient  plus  si  capitales  que  les  ministres  l'avaient 
d'abord  voulu  faire  croire.  Avec  ces  avantages,  l'auteur 
avait  encore  de  la  peine  à  publier  son  écrit.  Jamais  homme 
ne  fut  plus  éloigné  de  la  démangeaison  de  se  faire  impri- 
mer. Il  nous  a  dit  cent  fois  :  «  Je  ne  comprends  pas  com- 
ment un  homme  d'esprit  a  la  patience  de  faire  un  livre 
pour  le  seul  plaisir  d'écrire  ».  Il  n'y  avait  de  grand  dans 
son  esprit  que  la  défense  de  l'Église  et  de  la  religion.  Et 
quand  de  pareils  ouvrages  étaient  prêts,  quelle  sagesse  et 
quelle  prudence  n'apportait-il  pas  pour  les  publier!  tant  il 
voulait  être  certain  qu'ils  tourneraient  à  l'éditication  pu- 
blique et  seraient  jugés  dignes  de  l'approbation  de  l'Eglise, 
bien  éloigné  de  s'exposer  au  risque  d'y  causer  du  scandale 
ou  de  la  division.  C'est  ce  qui  le  retenait  svwV Exposition  ; 
il  en  savait  l'importance  et  la  nécessité  ;  il  était  Inen  assuré 
de  sa  doctrine;  mais  qui  pouvait  lui  répondre  que  tous  les 
esprits  fussent  également  disposés  à  la  recevoir?  » 

Celui  «  qui  pouvait  lui  en  répondre  »,  c'était  le  pieux  ar- 
chevêque de  Paris,  Hardouin  de  Péréfixe;  mais  il  mourut  le 
.'il  décembre  1670,  avant  d'avoir  vu  paraître  l'ouvrcge  qu'il 
avait  demandé  à  Bossuet. 

Cependant,  «  il  s'en  fit  à  Toulouse  une  édition  à  l'insu  de 
1  auteur,  et  quoiqu'elle  n'ait  presque  pas  été  connue,  il  n'y 
eut  plus  moyen  de  différer  davantage  celle  qui  se  préparait 
à  Paris  (1)  »,  d'autant  plus  que  deux  ministres  célèbres, 
Jean  Daillé  et  Philippe  du  Bosc,  attaquaient  V Exposition- 
nidniiHcriti'  et  disaient  que  la  croyance  romaine  était  tout 
autre  que  M.  de  Gondom  ne  la  représentait  et  qu'il  n'échap- 

(1)  I.c  Dieu  ,  Mvmoirex,  t.  I ,  p.  I.">.">. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  POLEMISTE.  395 

perait  pas  à  un  désaveu  formel  de  l'autorité  pontificale. 

Pour  couper  court  à  ces  critiques  intéressées,  comme 
aussi  aux  altérations  de  texte  qui  fourmillaient  dans  les 
copies  courantes,  Bossuet  fît  paraître  VExposifion  (Je  la  doc- 
trine catholique ,  le  l^'  décembre  1671. 

«  Le  dessein  del'ouvrag'e  (1),  Timportance  de  la  matière 
et  le  mérite  de  l'auteur  rendirent  bientôt  ce  petit  livre  très 
célèbre.  Le  succès  fut  tel  parmi  les  catholiques  que  les 
treize  prélats,  archevêques  ou  évèques  approbateurs  (2), 
l'avaient  promis  ».  Le  P.  Bouhours,  Mabillon,  le  P.  Bordes, 
le  grand  Arnauld,  n'eurent  qu'une  voix  pour  louer  «  un  ou- 
vrag-e  qui  ne  laissait  rien  à  désirer  » ,  «  le  livre  le  plus 
avantageux  à  l'Église  >>  qui  eût  paru  depuis  longtemps. 
Dans  tout  le  parti  de  la  Réforme,  à  l'étranger  comme  en 
France,  on  fut  ému  de  V Exposition.  L'évêque  de  Pader- 
born,  Ferdinand  de  Furstenberg  i3i,  et  Leibniz  (k)  l'appe- 
lèrent «  un  livre  d'or  ».  «  Nous  sommes  de  la  religion  du 
livre  de  M.  de  Condom ,  s'écriaient  les  calvinistes,  les  lu- 
thériens ébranlés.  Qu'on  nous  admette  à  la  profession  de  la 
religion  catholique,  telle  qu'elle  est  exposée  dans  son  ou- 
vrage i5i.  »  ('  Le  monde,  s'écriait  dans  son  dépit  le  ministre 
Jurieu,  le  monde  s'entête  Ae  ï Exposition  ;  l'on  ne  voit  de 
toutes  parts  que  des  chutes  scandaleuses.  Beaucoup  déjà 
sont  tombés;  d'autres,  en  grand  nombre,  chancellent.  La 
maison  brûle  (6).  » 

Cet  hommage  involontaire  et  forcé  en  dit  bien  long  sur 
le  retentissement  qu'eut  en  Europe  l'œuvre  de  Bossuet. 

Le  caractère  de  l'Exposition  et  le  but  qu'elle  poursuivait 
interdisaient  à  l'évêque  de  Condom  les  citations  savantes  et 

(1)  Le  Dieu.  Mi-m..  j).  i:)(i. 

(•2)  Rossuet  avait  demandé  l'approljatinn  de  douze  prélats,  les  arclievc(|iies  et 
évéques  de  Paris, de  Ileinis,  de  Tours,  de  Cliâlons,  d'Uzos,  de  Meaux.  d'Auxerre , 
(l'Autan  ,  de  Tarbes,  de  Béziers.  de  Grenoble  et  de  Tulle.  Ils  l'accordèrent  tous  de 
grand  cœur  sauf  M.  de  Paris,  de  Harlay.  qui  la  refusa  par  Jalousie.  Aux  onze  pré- 
lats français,  il  faut  joindre  le  cardinal  do  Bona  et  le  cardinal  Cliigi,  qui,  dés  le 
commencement  de  l(i7-2.  envoyèrent  des  lettres  très  flatteuses  pour  Bossuet. 

(3)  Dans  une  lettre  à  Bossuet  du  -2!)  mai  l()73. 

(4)  «  Aurca  fidei  E.rposilio.  »  G. G.  Lcibnitii  syslema  Iheologicum ,  publié  par 
l'abbé  La  Croix,  traduit  par  M.  Albert  de  Broglie,  l8Wi. 

(.'>)  Floquet,  Bossue l  p7-écc pie uv  du  Dauphin,  p.  308. 
(6)  La.  Politique  du  clergé  de  France,  par  Jurieu,  IG82. 


396  BOSSUET  Eï  LES  SAINTS  PERES. 

les  discussions  de  textes,  qui  faisaient  le  fond  de  la  Réfuta- 
tion du  Catikhisme  de  Paul  Fcrri/.  Pour  établir  ce  qui  est 
de  foi  et  ce  qui  ne  lest  pas,  il  ne  fallait  pas  encombrer  les 
XXII  paragraphes  du  livre  d'une  érudition  fatigante  et 
inutile  pour  le  vulgaire  des  Réformés  (1).  Aussi  ne  trouve- 
t-on  pas  souvent  dans  VExposition  les  noms  des  saints 
Pères  auxquels  Bossuet  nous  a  habitués. 

Il  défend  pourtant,  au  §  IIP,  les  Pères  du  quatrième  siècle 
à  propos  du  culte  des  saints  et  des  reliques. 

((  M.  Daillé ,  dit-il ,  accuse  saint  Basile ,  soiïnt  Ambroise, 
saint  Jérôme,  saint  Jean  Chrqsostonw,  saint  Augustin  et  plu- 
sieurs autres  grandes  lumières  de  l'antiquité,  qui  ont  paru 
dans  ce  siècle,  et  surtout  saint  Grégoire  de  Xazianze,  qui 
est  appelé  le  Théologien  par  excellence,  d'avoir  changé  en 
ce  point  la  doctrine  des  trois  siècles  précédents.  Mais  il 
paraîtra  peu  vraisemblable  que  M.  Daillé  ait  mieux  entendu 
les  sentiments  des  Pères  des  trois  pre?niers  siècles  que  ceux 
qui  ont  recueilli,  pour  ainsi  dire,  la  succession  de  leur  doc- 
trine immédiatement  après  leur  mort;  et  on  le  croira  d'au- 
tant moins  que,  bien  loin  que  les  Pères  du  quatrième  siècle 
se  soient  aperças  qu'il  s'introduisit  aucune  nouveauté  dans 
leur  culte,  ce  ministre,  au  contraire,  nous  a  rapporté  des 
textes  exprès,  par  lesquels  ils  font  voir  clairement  qu'ils 
prétendaient,  en  priant  les  saints,  suivre  les  exemples  de 
ceux  qui  les  avaient  précédés.  Mais  sans  examiner  davan- 
tage le  sentiment  des  Pères  des  trois  premiers  siècles,  je 
me  contente  de  l'aveu  de  M.  Daillé,  qui  nous  abandonne 
tant  de  grands  personnages  qui  ont  enseigné  dans  le  qua- 
trième. Car,  encore  qu'il  se  soit  avisé,  douze  cents  ans  après 
leur  mort,  de  leur  donner  par  mépris  une  manière  de  nom 
de  secte,  en  les  appelant  Reliquaires,  c'est-à-dire  gens  qui 
honorent  les  reliques,  j'espère  que  ceux  de  sa  communion 
seront  plus  respectueux  envers  ces  grands  hommes.  Ils  n'o- 
seront du  moins  leur  objecter  qu'en  priant  les  saints  et  en 

(I)  «  J'ai  eu  dessein,  dit  Bossuet,  §  Wll.  dt;  i)roposer  seulement  la  doctrine  sans  en 
fairo  la  preuve,  et  si,  en  certains  endroits,  j'ai  touciié  (|U(>lques-unes  des  raisons 
qui  l'clahlissent,  c'est  à  cause  (jue  la  connaissance  des  raisons  principales  d'une 
doctrine  l'ait  souvent  une  (tarlic  nécessaire  de  son  exjiosition.  • 


LES  SAINTS  PERES  ET  I50SSUET  POLÉMISTE.  397 

honorant  leurs  reliques,  ils  soient  tombés  dans  l'idolâtrie, 
ou  qu'ils  aient  renversé  la  confiance  que  les  chrétiens  doi- 
vent avoir  en  Jésus-Christ;  et  il  faut  espérer  que  doréna- 
vant ils  ne  nous  feront  plus  ces  reproches,  quand  ils  con- 
sidéreront qu'ils  ne  peuvent  nous  les  faire,  sans  les  faire 
en  même  temps  à  tant  d'excellents  hommes,  dont  ils  font 
profession  aussi  bien  que  nous  d'honorer  la  sainteté  et  la 
doctrine...  Saint  Aufpistin  avait  dit,  il  y  a  déjà  douze  cents 
ans,  qu'il  ne  fallait  pas  croire  qu'on  offrit  le  sacrifice  aux 
saints  martyrs  (li,  encore  que,  selon  l'usage  pratiqué  dès 
ce  temps-là  par  FÉg-lise  universelle,  on  offrit  ce  sacrifice 
sur  leurs  saints  corps  et  à  leurs  mémoires,  c'est-à-dire  de- 
vant les  lieux  où  se  conservaient  leurs  précieuses  reliques. 
Ce  même  Père  avait  ajouté  qu'on  faisait  mémoire  des  mar- 
tyrs à  la  sainte  table  dans  la  célébration  du  sacrifice,  non 
afin  de  prier  pour  eujc,  conime  on  fait  pour  les  autres  morts, 
?nais  plutôt  afin  qu'ils  priassent  pour  nous  ["2).  Je  rap- 
porte le  sentiment  de  ce  saint  évêque,  parce  que  le  Concile 
de  Trente  se  sert  presque  de  ses  mêmes  paroles.  » 

A  propos  de  la  justification,  non  seulement  imputée, 
comme  le  disent  les  Protestants,  mais  actuellement  conmiu- 
niquée  aux  fidèles  par  l'opération  du  Saint-Esprit,  §  VP, 
Bossuet  reconnaît  que  notre  justice  n'est  pas  parfaite  à  cause 
de  la  convoitise,  «  si  bien  que  le  continuel  gémissement 
d'une  âme  repentante  de  ses  fautes  fait  le  devoir  le  plus 
nécessaire  de  la  justice  chrétienne.  Ce  qui  nous  oblige  de 
confesser  avec  saint  Augustin  que  notre  justice  en  cette  vie 
consiste  plutôt  dans  la  rémission  des  j)échés  que  dans  la 
perfection  des  vertus  ». 

Quand  il  établit  le  mérite  des  œuvres,  §  YIP,  Bossuet  re- 
marque que  nous  ne  sommes  jamais  certains  que  nous  ne 
le  perdrons  pas  par  notre  faute.  «  Il  a  plu  à  Dieu,  dit-il,  de 
tempérer  par  cette  crainte  salutaire,  la  confiance  qu'il  ins- 
pire à  ses  enfants;  parce  que,  comme  dit  saint  Augustin, 
«  telle  est  notre  infirmité  dans  ce  lieu  de  tentations  et  de 

(1)  De  Cimlatr  Dei.  lib.  VIU,  c,  xxvii. 

(-2.)  Tract.  LXXXIV  in  Joan.;  Scnn  xvn,  nunc  CLIX,  De  verbis  Apost. 


398  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

périls  qu'une  pleine  sécurité  produirait  en  nous  le  relâche- 
ment et  Torgueil  ». 

Pour  tout  ce  qui  regarde  les  satisfactions,  le  Purgatoire  et 
les  indulgences,  §  VIII,  les  sacrements,  §  IX,  la  présence 
réelle  du  corps  et  du  sang  de  Jésus-Christ  dans  l'Eucharistie, 
vî  X,  XI ,  XII,  la  transsubstantiation,  v^  XIII,  le  sacrifice  de  la 
Messe,  ^  XIV,  Bossuet  n'invoque  pas  le  témoignage  de  la 
Tradition  et  des  Pn-rs,  que  n'admettent  ni  les  Luthériens  ni 
les  Calvinistes  :  il  se  contente  d'alléguer  les  textes  multiples 
de  l'Écriture,  dont  l'autorité  est  reconnue  par  ses  adver- 
saires et  qu'il  discute  avec  une  admirable  précision  et  une 
lumineuse  clarté. 

Au  ijXVlIP,  il  s'appuie  sur  un  passage  de  saint  Paul,  dans 
sa  seconde  Ejxifre  aux  Thessaloniciens  :  Tmete  tradUio- 
ncs,  quas  dirlicis/is^  sire  per  sennomnii  ^  sivc  pcr-cpistohnK 
nostrrun  (1),  pour  établir  qu'à  la  parole  écrite  il  faut  a- 
jouter  la  «  parole  non  écrite  »  et  que  nos  advei-saires 
«  ne  doivent  pas  s'étonner  si,  étant  soigneux  de  recueillir 
tout  ce  que  nos  Pères  nous  ont  laissé,  nous  conservons  le 
dépôt  de  la  Tradition  aussi  bien  que  celui  des  Écritures  ». 

La  question  de  «  l'autorité  de  l'Église  »  ,  §  XIX%  amène 
Bossuet  à  dire  que ,  «  loin  de  vouloir  se  rendre  maîtresse 
de  la  foi  »  ,  comme  on  l'en  a  accusée ,  «  l'Église  a  fait  tout 
ce  qu'elle  a  pu  pour  se  lier  elle-même  et  pour  s'ôter  tous 
les  moyens  d'innover,  puisque  non  seulement  elle  se  soumet 
à  l'Écriture  Sainte,  mais  que,  pour  bannir  à  tout  jamais  les 
interprétations  arbitraires  qui  font  passer  les  pensées  des 
hommes  pour  l'Écriture,  elle  s'est  obligée  de  l'entendre,  en 
ce  qui  regarde  la  foi  et  les  mœurs,  suivant  le  sens  dr>; 
saillis  Pi'/rs  (2)^  dont  elle  professe  de  ne  se  départir  jamais, 
déclarant  par  tous  ses  conciles  et  par  toutes  les  professions 
de  foi  qu'elle  a  publiées  qu'elle  ne  reçoit  aucun  dogme 
qui  ne  soit  conforme  à  la  tradition  de  tous  les  siècles  pré- 
cédents ». 

Tant  de  sérénité  dans  \ Exposition  dr  la  doctrine  ratho- 

(1)  Chap.  Il,  V.  14. 

{•!)  Conc.  Trid.,  Ses.  V. 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  POLEMISTE.  399 

iUjuc  exaspéra  d'autant  plus  les  religionnaires  passionnés 
qu'ils  y  virent  une  mai^pie  infaillible  de  certitude  et  de 
vérité.  «  Jamais,  écrivait  Arnauld  (1),  les  ministres  ne  furent 
plus  alarmés.  VE.ipositioii  leur  fait  tourner  la  tête.  »  Rr- 
lionscs  et  Réfutations  se  succédèrent  à  l'envi  :  La  Bastide, 
l'un  des  anciens  du  prêche  de  Gharenton,  en  1672  (2)  et 
en  1G80,  David  Noguier,  ministre  à  Orange,  en  1(>73 ,  l'a- 
vocat Bruëys,  de  Montpellier,  en  1()81,  Théodore  Maimbourg- 
en  1682,  ainsi  que  Jurieu  dans  son  Préservatif  routrc  h- 
clKdit/i'tiieiit  de  religion,  «  antidote  opposé,  disait-il,  au 
venin  dont  V Exposition  est  infectée,  et  remède  efficace  à  la 
contagion  » ,  dans  la  Politique  du  clergé  de  France  pour 
détruire  la  religion  protestante.  Dialogue  entre  un  Parisien 
et  un  Provincial,  enfin  dans  la  Suite  du  Préservatif  (1683), 
Guillaume  Penn,  Guillaume  Sherloch,  Guillaume  Wake, 
Frédéric  Spanheim  et  dix  autres  en  Hollande,  en  Alle- 
magne, signalés  par  Bayle  dans  les  Nouvelles  de  la  répu- 
blique des  lettres ,  essayèrent  de  détruire  l'effet  produit  par 
la  calme  et  puissante  Exposition  de  Bossuet. 

Le  grand  évèque  n'ignorait  aucune  des  attaques  dirigées 
contre  lui,  et,  dès  1672,  il  projetait  une  réponse  décisive  à 
ses  adversaires.  «  Je  répondrai  quelque  chose,  écrivait-il  au 
maréchal  de  Bellefonds  le  9  septembre  de  cette  année,  non 
pour  faire  des  contredits,  mais  pour  aider  nos  frères  à  ouvrir 
les  yeux  ».  '<  Je  travaille  sans  relâche,  écrivait-il  au  même 
personnage  le  16  mars  1676,  dans  les  heures  de  loisir  que 
j'ai,  à  faire  quelque  chose  pour  le  salut  des  hérétiques.  Ce 
n'est  que  le  peu  de  temps  qui  me  reste  qui  empêche  le 
progrès  de  cet  ouvrage.  Priez  Dieu  qu'il  me  fasse  la  grâce 
de  le  continuer  ».  Hélas!  de  Y  Apologie  projetée  et  com- 
mencée par  Bossuet  (3),  il  ne  nous  reste  que  quelques 
Lettres,  quelques  Fragnwnts ,  dont  un  au  moins  est  an- 
térieur au  23  septembre  1675  (i),  V Avertissement  placé  en 

(1)  Réflexions  sur  un  livre  de  Jurieu'.  168-2. 
("2)  Il  avait  signé  un  Anonyme. 

(3)  Turenne,  confident  de  ce  grand  dessein,  l'avait  annoncé  avant  sa  mort  comme 
devant  être  bientôt  exécuté. 
('*)  Voir  Kloquet.  Bossuet  précepteur,  e\.c..\\.'Aii. 


400  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

tète  de  l'édition  de  V Exposition  de  1679  et  une  Renuc-çtir 
tirée  de  la  fin  du  W  A/v^rlisse/rtenf  au/:  Protestants,  1691. 
Ce  n'est  pas  ici  le  lieu  de  parler  de  la  réponse  que  lit 
Bossuet  en  1679  à  YAnoni/mp  iLa  Bastide)  et  à  Nogiiier,  qui 
avaient  prétendu  que  le  livre  de  V  Exposition  était  contraire 
à  la  doctrine  commune  des  docteurs  de  l'Église  Romaine,  et 
auxquels  M.  de  Gondom  montrait  qu'il  était  «  approuvé 
dans  toute  l'Église  et  par  le  Pape  même,  de  la  manière  la 
plus  authentique  et  la  plus  expresse  qu'on  pût  attendre  ». 
Il  n'y  a  rien  à  dire,  non  plus,  des  Lettres  échangées  eu 
1686  entre  Bossuet  et  les  Pères  Johnston  et  Shisburne,  béné- 
dictins anglais  (li,  lettres  où  l'on  voit  comment  l'évêque 
de  Meaux  répond  victorieusement  aux  calomnies  des  Pro- 
testants, qui  disaient  que  la  Sorbonne  n'avait  pas  voulu  ap- 
prouver le  livre  (2)  et  que  Bossuet  en  avait  supprimé  une 
première  édition   :  la  vérité,  c'est  qu'il  en  avait  fait  tirer 
d'abord  12  exemplaires  pour   les  prélats  approbateurs  et 
qu'un  de  ces  exemplaires  avait   été  envoyé  par  Turenne 
en  Angleterre.  Il  n'y  avait  entre  cet  exemplaire  et  l'édition 
courante  que  des  différences  insignifiantes  :  (»  On  verra,  dit 
Bossuet,  qu'il  ne  s'agit  de  rien  d'important,  ni  qui  mérite 
le  moins  du  monde  d'être  relevé  (3).  » 

C'est  dans  les  Fragments  sur  diverses  /natières  de  con- 
troverse, pour  servir  de  réponse  aux  écrits  faits  par  plu- 
sieurs fninistres  contre  le  livre  De  l'Exposition  de  la  doc- 
trine catholique,  que  Bossuet  invoque  le  témoignage  des 
saints  Pères  pour  faire  la  preuve  de  la  doctrine,  énoncée 
seulement  dans  YExjjosition. 

Ainsi,  le  premier  Fruf/nwnt  [k),  Du  culte  qui  est  dû  à 
Dieu,  après  avoir  résumé  la  doctrine  catholique  «  sur  la 
majesté  de  Dieu  et  la  condition  de  la  créature  » ,  parle  des 
erreurs  des  idolâtres  et  des  philosophes  païens,  puis  des 


(1)  Elles  nous  appiL-nncnt  (|u'on  trois  mois  on  avail  dcljilc  en  Angleterre  plus 
de  îi,00()  tra(1u<tions  de  VE.rposiUou. 

(2)  «  Elle  n'av;iit  |)as  coutume  (!'ai)prouver  les  livres  en  corps.  •  Un  de  ses  doc- 
leurs  avail  pourtant  écrit  à  lîossuet  une  letlro  très  llatteuse. 

(3)  Lettre  au  I'.  .lolinstoii,  du  -it;  mai  IHS»». 

('»)  l.e  manuscrit  de  Bossuet  porte  :  Premier  Article. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  POLEMISTE.  401 

autres  idolâtres  (1),  auxquels  les  Réformés  comparaient  les 
catholiques;  des  manichéens  et  des  ariens,  accusés  d'ido- 
lâtrie par  les  mi  ni  s  Pèi-es,  parce  que,  ne  croyant  pas  Jésus 
Dieu  éternel,  ils  ne  laissaient  pas  de  l'invoquer  :  «  Saint 
Augustin,  dit  Bossuet,  en  parlant  des  manichéens,  saint 
Augustin,  qui  avait  été  de  leur  sentiment,  dit  que  ces  mal- 
heureux adoraient  le  soleil  et  la  lune  comme  des  vaisseaux 
qui  portaient  la  lumière,  et  que  la  lumière,  selon  eux  (je 
dis  cette  lumière  corporelle  qui  nous  éclaire),  n'était  pas 
l'ouvrage  de  Dieu,  mais  un  membre  et  une  partie  de  la 
divinité  même...  Que  sert  donc  à  l'Anonyme  (La  Bastide)  de 
dire  qu'ils  adoraient  le  Père,  le  Fils  et  le  Saint-Esprit, 
puisqu'ils  ne  prononçaient  ces  divins  noms  qu'en  les  pro- 
fanant, et  qu'ils  y  attachaient  des  idées  si  éloignées  de  la 
foi  chrétienne  que  saint  Epiphane  et  saint  Auf/ustin  les 
rangent  parmi  les  gentils?...  «  Les  ariens,  dit  T/irodoret^ 
qui  appellent  le  Fils  unique  de  Dieu  créature  et  qui  l'ado- 
rent néanmoins  comme  un  Dieu ,  tombent  dans  le  même 
inconvénient  que  les  gentils.  Car  s'ils  le  nomment  Dieu, 
ils  ne  devaient  pas  le  ranger  avec  les  créatures,  mais  avec 
le  Père  qui  l'a  engendré;  en  l'appelant  une  créature, 
ils  ne  devaient  point  l'honorer  comme  un  Dieu  ».  —  A 
propos  du  faux  culte  des  anges  (2i,  Bossuet  nous  dit  qu'il 
est  certain  par  saint  Epiphane  et  Théodoret  que  Simon  le 
Magicien,  que  Ménandre  et  tant  d'autres,  qui,  à  leur  exem- 
ple, mêlaient  les  rêveries  des  philosophes  avec  la  vérité  de 
l'Évangile,  ont  attribué  aux  anges  la  création  de  l'univers. 
Nous  voyons  même  dans  saint  Epiphane  une  secte  qu'on 
appelait  la  secte  des  Angéliques,  ou  «  parce  que,  dit  ce 
Père,  quelques  hérétiques  ayant  dit  que  le  monde  a  été  fait 
par  les  anges,  ceux-ci  l'ont  cru  avec  eux  ;  ou  parce  qu'ils  se 
mettaient  eux-mêmes  au  rang  des  anges  »  ;  et  Théodoret, 
au  livre  V  contre  les  fables  des  hérétiques,  exposant  la  doc- 
trine de  l'Église  contre  les  hérésies  qu'il  a  rapportées,  parle 
ainsi  dans  le  chapitre  Des  Anges  :  «  Nous  ne  les  faisons 

(1)  Paragraphe  III. 
(-2)  Paragraphe  IV. 

DOSSCET  ET   LES  SAINTS  PÈRES.  2fi 


402  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

point  auteurs  de  la  création .  ni  coéternels  à  Dieu ,  comme 
font  les  hérétiques  » ,  et  un  peu  après  :  «  Nous  croyons  que 
les  anges  ont  été  créés  par  le  Dieu  de  tout  l'univers  ».  Il 
le  prouve  par  le  Psalmiste,  qui,  ayant  exhorté  les  anges  à 
louer  Dieu,  ajoute  qu'il  a  parlé  et  que  par  cette  parole  ils 
ont  été  faits  (1).  Il  produit  encore,  pour  l'établir,  un  texte 
de  VÉpitre  aux  Colossiens[^).  «  Tout  le  monde  sait  le  pas- 
sage de  Théodoret ,  où  il  explique  celui  de  saint  Paul  et,  à 
l'occasion  de  celui-là,  le  canon  de  Laodicée.  «  Ceux  qui 
soutenaient  la  loi,  dit-il,  persuadaient  aussi  d'honorer  les 
anges,  disant  que  la  loi  avait  été  donnée  par  leur  entre- 
mise. Cette  maladie  a  duré  longtemps  en  Phrygie  et  en 
Pisidie.  C'est  pourquoi  le  concile  de  Laodicée  en  Phrygie 
défendit  par  une  loi  de  prier  les  anges;  et  encore  à  présent 
on  voit  parmi  eux  dans  leur  voisinage  des  oratoires  de 
saint  Michel.  Ils  conseillaient  ces  choses  par  humilité,  disant 
que  le  Dieu  de  l'univers  était  invisible,  inaccessible,  in- 
compréhensible, et  qu'il  fallait  ménager  la  bienveillance 
divine  par  le  moyen  des  anges  »,  Quand  on  verra  dans  la 
suite  les  passages  de  Théodoret,  où,  de  l'aveu  des  ministres, 
il  soutient  avec  tant  de  force  l'invocation  des  saints  telle 
qu'elle  se  pratique  parmi  nous,  on  ne  croira  pas  qu'il  veuille 
défendre  d'invoquer  les  anges  dans  le  même  sens.  On  voit 
assez,  par  ces  paroles,  quelle  est  l'invocation  qu'il  rejette. 
C'était  d'invoquer  les  anges  comme  les  seuls  qui  nous  pou- 
vaient approcher  de  la  nature  divine,  inaccessible  par  elle- 
même  à  tous  les  mortels.  Cette  vision  est  connue  de  ceux 
qui  ont  lu  les  platoniciens  et  ce  que  saint  Autjiislin  a  écrit 
dans  le  livre  de  la  Citr  de  Dieu  contre  la  médiation  qu'ils 
attribuaient  aux  démons.  C'est  une  erreur  insu[)porlable 
de  faire  la  divinité  naturellement  inaccessible  aux  hommes 
plutôt  qu'aux  anges.  »  —  Bossuet  cite  encore  (§  XII)  les  saints 
Pères  et  saint  Ci/rille  de  Jérusalem  en  particulier  à  propos  de 
l'adoration  de  l'Eucharistie.  Pour  le  culte  des  saints  s^  XIII), 
il  y  a,  d'après  le  protestant  Daillé  lui-môme,  deux  lettres 

(I)  Psaume  CXLVMl,  2,5, 
(-2)  Col.,  I,  1(>. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  POLEMISTE.  403 

de  saint  Ciiprien,  qui  vivait  au  milieu  du  troisième  siècle, 
dans  l'une  desquelles  il  ordonne  qu'on  lui  envoie  les  noms 
des  saints  confesseurs  qui  étaient  morts  dans  les  prisons, 
«  afin,  dit-il,  que  nous  célébrions  leur  mémoire  entre  les 
mémoires  des  martyrs  »;  et  dans  l'autre  il  parle  ainsi  : 
«  Vous  vous  souvenez,  dit-il,  que  nous  offrons  des  sacrifices 
pour  Laurentin  et  Ignace,  toutes  les  fois  que  nous  célébrons 
la  passion  et  le  jour  des  martyrs  par  une  commémoration 
annuelle  »...  Offrir  pour  un  martyr,  comme  parle  ailleurs  le 
même  saint  Cyprien,  (c'était)  offrir  pour  su  ménioire...  Il 
y  avait  (donc)  tous  les  ans  des  jours  dédiés  à  célébrer 
la  mémoire  des  martyrs,  dès  le  temps  de  saint  Çiijnicn. 
Même  en  remontant  cent  ans  plus  haut,  nous  trouverons 
cette  sainte  cérémonie  en  usage,  et  le  même  ministre 
(Daillé)  en  convient  par  ces  paroles  :  «  Personne  ne  doute^ 
dit-il,  que  cela  n'ait  été  ordinaire  parmi  les  chrétiens  de 
ces  temps-là  et  même  près  de  cent  ans  auparavant,  comme 
il  parait  par  les  Actes  du  martyre  de  saint  Polyr^rpe  »... 
Les  fidèles  de  Smyrne,  ayant  raconté  le  martyre  de  leur 
saint  évoque,  ajoutent  ces  belles  paroles  (1)  :  «  Nous  avons 
ramassé  ses  os  plus  précieux  que  les  pierreries  et  plus  purs 
que  l'or,  et  nous  les  avons  renfermés  dans  un  lieu  conve- 
nable. C'est  là  que  nous  nous  assemblerons  avec  joie,  s'il 
nous  est  permis,  et  Dieu  nous  fera  la  grâce  d'y  célébrer  le 
jour  natal  de  son  martyre  )>...  Saint  Polycarpe  vivait  dans 
le  deuxième  siècle  de  l'Église;  il  avait  vu  les  Apôtres;  il 
était  disciple  de  saint  Jean.  —  Daillé  ne  veut  pas  voir  ces 
solennités  des  martyrs  dans  un  passage  de  TerluUien  que 
Bellarmin  avait  cité  :  «  Nous  faisons,  dit  cet  auteur  (2), 
des  oblations  annuelles  pour  les  morts  et  les  naissances.  » 
Or,  ces  naissances  ne  sont  que  le  jour  natal  des  martyrs  : 
«  Il  n'y  a  que  les  infidèles,  dit  Orup'ne,  qui  célèbrent  le 
jour  de  leur  naissance  (sur  la'terre).  Les  saints  le  détestent 
plutôt,  et  Jérémie,  quoique  sanctifié  dans  le  ventre  de  sa 


H)  Eusèbe.  liv.  IV.  c.  xv. 
(-2)  De  Coron.,  n.  3. 


404  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

mère,  le  maudit.  »  Tertullien  n'a  pas  ignoré  ce  malheur 
de  notre  naissance,  lui  qui  a  si  bien  connu  «  ce  premier 
péché  ,  qui,  dit-il,  ayant  été  commis  dès  Torigine  du  genre 
humain,  et  par  celui  qui  en  était  le  principe^  a  passé  en 
nature  à  ses  descendants  ».  Ce  n'était  donc  pas  un  tel  jour 
que  l'Église  appelait  par  excellence  le  jour  natal.  C'était  le 
jour  où  les  saints  martyrs  naissaient  dans  les  cieux  par  une 
mort  glorieuse.  C'était  un  langage  établi  dès  le  temps  de 
saint  Polycarpe,  et  quoi  que  puisse  dire  M.  Daillé,  personne 
ne  doutera  que  Tertullien  n'ait  parlé  dans  le  même  sens.  » 

Le  Deuxième  Fragment^  Du  Culte  des  images^  ne  con- 
tient quime  parole  remarquable  de  saint  Anastase,  pa- 
triarche d'Antioche  :  «  Nous  adorons  les  anges,  mais  nous 
ne  les  servons  pas  »  ;  et  une  autre  de  (jerrnmn ,  patriarche 
de  Constantinoplc ,  dans  l'Épitre  qu'il  a  écrite  pour  la  dé- 
fense des  images  contre  les  iconoclastes,  où  il  enseigne  for- 
mellement qu'en  ce  qui  regarde  le  culte  extérieur,  «  il  ne 
faut  pas  s'arrêter  à  ce  qui  se  fait  au  dehors ,  mais  qu'il  faut 
toujours  examiner  l'esprit  et  l'intention  de  ceux  qui  le 
font  »...  Il  est  constant  que  du  temps  de  saint  Épiphane  ii] 
il  y  avait  des  images  autorisées  par  des  Pères  aussi  illus- 
tres... Sixte  de  Sienne  a  rapporté  un  passage  de  saint  Jean 
Ihimaschw y  où  ce  grand  défenseur  des  images  ,  en  expli- 
quant un  passage  de  saint  Épiphane ,  ne  fait  point  de  dif- 
ficulté de  répondre  que  peut-être  ce  grand  évêque  avait 
défendu  les  images  pour  réprimer  quelques  abus  qu'on  en 
faisait.  » 

Dans  le  Troisihiu'  Frugiiirnl,  De  In  Satisfaction  de  Jésus- 
Christ ,  Bossuet  se  demande  sur  quoi  est  appuyée  l'ancienne 
rigueur  de  la  pénitence  :  «  Saint  Cgprieu ,  répond-il,  nous 
le  dira  presque  dans  toutes  les  pages  de  ses  écrits ,  et  l'on 
doit  croire  qu'en  écoutant  saint  Cyprien  ,  on  entend  parler 
tous  les  autres  Pères,  qui  tiennent  unanimement  le  même 
langage.  Ce  saint  évêque,  illustre  par  sa  piété,  par  sa  doc 
trine  et  par  son  martyre,  ne  cesse  de  s'élever  contre  ceux 

(Ij  il  (Ic'cliira  un  voile  (ju'il  trouva  dans  une  église  et  où  était  peinte  une  image 
de  Jésus-Clirisl  ou  <\v  (|mcI(|uc  saint. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  POLÉMISTE.  405 

«  qui  négligent  de  satisfaire  à  Dieu,  qui  est  irrité,  et  de  ra- 
cheter leurs  péchés  par  des  satisfactions  et  des  lamentations 
convenables  1)  ».  Il  condamne  la  témérité  de  ceux  qui  se 
vantent,  dit-il,  faussement  d'avoir  la  paix,  devant  que  d'a- 
voir expié  leurs  péchés ,  devant  que  d'avoir  fait  leur  confes- 
sion, devant  que  d'avoir  purifié  leur  conscience  par  le  sa- 
crifice de  l'évêque  et  par  l'imposition  des  mains,  devant  que 
d'avoir  apaisé  la  juste  indignation  d'un  Dieu  irrité  qui  nous 
menace.  »  Il  se  met  ensuite  à  expliquer  que  cette  satisfac- 
tion, sans  laquelle  on  ne  peut  apaiser  Dieu,  s'accomplit  par 
des  jeûnes,  par  des  veilles  accompagnées  de  saintes  prières 
et  par  des  aumônes  abondantes,  déclarant  qu'il  ne  peut 
croire  qu'on  songe  sérieusement  à  fléchir  un  Dieu  irrité, 
quand  on  ne  veut  rien  retrancher  des  plaisirs ,  de  la  com- 
modité, ni  de  la  parure.  Il  veut  qu'on  augmente  ces  saintes 
rigueurs  à  mesure  que  le  péché  est  plus  énorme,  «  par  cela 
qu'il  ne  faut  pas ,  dit-il ,  que  la  pénitence  soit  moindre  que 
la  faute.  » 

«  Que  si  les  prétendus  réformés  pensent  que  cette  satis- 
faction ,  tant  louée  par  saint  Cijpricn  et  par  tous  les,  Pères ^ 
regarde  seulement  l'Église  ou  l'édification  publique,  comme 
l'anonyme  semble  le  vouloir  insinuer,  ils  n'ont  qu'à  consi- 
dérer de  quelle  sorte  s'est  expliqué  ce  saint  martyr  dans 
les  lieux  que  nous  venons  de  produire...  Le  même  saint 
Cyprien  veut  que  ceux  qui  n'ont  péché  que  dans  leur  cœur 
ne  laissent  pas  d'être  soumis  aux  rigueurs  de  la  pénitence. 
Il  loue  la  foi  de  ceux  qui  n'ayant  pas  consommé  le  crime, 
mais  ayant  seulement  songé  à  le  faire,  «  s'en  confessent  aux 
prêtres  de  Dieu  simplement  et  avec  douleur,  leur  exposent 
le  fardeau  dont  leur  conscience  est  charg'ée ,  et  recherchent 
un  remède  salutaire,  même  pour  des  blessures  légères  «... 
Il  les  presse  «  de  confesser  leurs  péchés  pendant  qu'ils  sont 
encore  en  vie,  pendant  que  leur  confession  peut  être  reçue, 
que  leur  satisfaction  peut  plaire  à  Dieu ,  et  que  la  rémission 
des   péchés  donnée  par  les  prêtres  peut  être  agréée  de 

0)  Epist.  LIV.  ad  Corn. 


406  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

lui  »...  Dieu  étant  offensé  par  les  péchés  de  volonté  aussi 
bien  que  par  les  péchés  d'action,  il  faut  l'apaiser  par  les 
moyens  qui  sont  prescrits  généralement  à  tous  les  pé- 
cheurs, c'est-à-dire  en  prenant  contre  nous-mêmes  le  parti 
de  la  justice  divine,  comme  parlent  les  saints  Prrrs^  et 
punissant  en  nous  ce  qui  lui  déplaît. 

«  Si  quelqu'un  avait  dit  à  saint  Cijprien.  que  Jésus-Christ 
est  mort  pour  nous  afin  de  nous  décharg-er  d'une  obliga- 
tion si  pressante  et  d'éteindre  un  sentiment  si  pieux ,  quel 
étonnement  lui  aurait  causé  une  pareille  proposition!  » 

Le  Quatrième  Fragment ,  plus  long  que  les  autres  et  di- 
visé par  Deforis  en  quatre  parties  correspondant  aux  quatre 
cahiers  de  l'auteur,  roule  sur  PEucharistie  :  c'est  une  dis- 
cussion en  règle  du  dogme  de  la  présence  réelle  de  Notre- 
Seigneur  dans  le  sacrement  de  l'autel  et  des  textes  de  l'Écri- 
ture sur  lesquels  il  s'appuie. 

«  Il  n'y  a  rien  qu'il  ne  faille  croire,  quand  Dieu  a  parlé  ». 
Voilà,  d'après  Bossuet  (I),  le  premier  principe  pour  enten- 
dre l'Écriture.  D'ailleurs  (11),  la  doctrine  catholique  sur 
l'Eucharistie  est  plus  intelligible,  plus  simple,  mieux  fondée 
que  celle  des  réformés,  qui,  pour  concilier  avec  leur  ma- 
nière de  voir  certaines  vérités  qu'ils  n'osent  nier,  se  jet- 
tent dans  des  embarras  inextricables.  Après  avoir  résolûtes 
difficultés  tirées  de  VEpitre  aux  Hébreu/-  et  celles  qu'on 
élève  à  propos  du  sacrifice,  Bossuet  répond  à  l'exemple  des 
Manichéens  et  des  idolâtres  allégué  par  La  Bastide  :  il  repro- 
duit le  texte  de  saint  Augustin,  qu'il  a  déjà  donné  sur 
l'erreur  de  ces  hérétiques,  «  les  plus  insensés  et  les  plus 
pervers  qui  aient  jamais  paru  dans  l'Église  ».  Il  montre  en- 
suite iIII)  le  peu  que  vaut  ((  une  des  raisons  »  alléguées  par 
l'Anonyme  et  qui  lui  parait  d'autant  plus  puissante  qu'il  la 
tire  de  saint  Aur/uslin  :  c'est  que  ce  qui  semble  choquer 
l'honnêteté  des  mœurs,  ou  la  vérité  de  la  foi,  doit  être  pris 
au  sens  iiguré;  or,  ce  que  Jésus-Christ  dit  qu'il  faut  man- 
ger son  corps  et  boire  son  sang,  paraissant  une  chose 
mauvaise,  c'est  donc  une  figure.  —  Il  y  a  ici  deux  choses  à 
considérer  :  l'une  est  l'autorité  de  saint  Augustin  ;  l'autre 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  POLEMISTE.  407 

est  la  raison  qu'on  en  veut  tirer,  considérée  en  elle-même 
et  en  sa  propre  valeur.  Notre  auteur  nous  avouera  qu'il  n'est 
pas  de  notre  dessein,  de  lui  et  de  moi,  de  traiter  les  passa- 
ges des  Pères,  qu'on  allègue  de  part  et  d'autre.  11  y  a  des 
traités  exprès ,  où  les  catholiques  font  voir  invinciblement 
que  ce  passage  de  saint  Augustin  ne  leur  nuit  pas...  Mais 
pour  la  raison  qu'il  allègue  en  faveur  du  sens  ligure ,  je  lui 
avoue  la  règle  qu'il  donne,  et  je  lui  réponds  en  même 
temps  que  l'application  qu'il  en  fait  est  insoutenable  selon 
ses  propres  principes.  «  Il  n'y  a  aucun  crime  »  dans  la  man- 
ducation  miraculeuse  et  surnaturelle  que  nous  reconnais- 
sons dans  l'Eucliaristie...  La  présence  réelle  (IV)  est  un  gage 
de  l'amour  de  Jésus-Christ  envers  nous,  et  la  perfection  et  le 
salut  du  chrétien  consistent  dans  l'union  avec  Jésus-Christ, 
qui  agit  par  la  charité  » . 

Le  Cinquième  Fragment ,  De  la  Tradition  ou  de  la  pa- 
role non  (krite ,  développe  le  XVIIP  article  de  V Exposition ^ 
et  montre  l'autorité  de  la  Tradition  par  un  texte  de  saint 
Paul  à  Timothée  (1)  :  «  Ce  que  vous  avez  ouï  de  moi  en 
présence  de  plusieurs  témoins,  confiez-le  à  des  hommes 
fidèles,  qui  puissent  l'enseigjier  à  d'autres  »,  et  par  cette 
règle  de  saint  Augustin  «  qu'on  doit  croire  que  ce  qui  est 
reçu  unanimement  et  qui  n'a  point  été  établi  par  les  Con- 
ciles,  mais  qui  a  toujours  été  retenu,  vient  des  Apôtres, 
encore  qu'il  ne  soit  pas  écrit.  »  «  Quelle  faiblesse,  ajoute 
Bossuet  répondant  aux  arguties  de  La  Bastide,  de  sortir 
toujours  de  la  question  pour  ne  combattre  qu'une  ombre!.. 
Ceux  qui  sans  cesse  se  glorifient  de  ne  recevoir  que  ce  que 
l'Écriture  a  dit  clairement,  déçus  par  la  fausse  idée  que 
leurs  ministres  attachent  à  des  paroles  obscures,  écoutent 
avec  défiance  l'Église  des  premiers  siècles  et  les  Prres  les 
plus  approuvés.  Qui  pourrait  ne  pas  déplorer  un  aveugle- 
ment si  étrange  ?  » 

Qu'eût  été  Y  Apologie  de  la  doctrine  catholique  commen- 
cée par  Bossuet?  Nul  ne  le  sait.  Mais  on  peut  dire  à  coup 

(i)n,c.  1,2. 


408  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

sûr,  d'après  ce  qui  eu  reste,  que  les  saints  Pères  en  auraient 
fourni  les  matériaux  essentiels. 

^  III.  — Conférence  avec  M.  Claude,  ministre  de  Charen- 
ton ,  sur  la  matière  de  r Église,  avec  les  Réflexions  sur  un 
écrit  de  M.  Claude ,  1682.  —  Traité  de  la  communion  sous 
les  deux  espèces,  1682.  —  La  Tradition  défendue  sur  la 
matière  de  la  communion  sous  une  espèce ,  1683-1743.  — 
Lettre  pastorale  aux  nouveaux  convertis,  24  mars  1686. 

La  Relation  de  la  Conférence  avec  M.  Claude,  n'avait  été 
écrite  que  pour  M""  de  Duras,  qui  l'avait  provoquée  en  1678  ; 
mais  plusieurs  copies  plus  ou  moins  fidèles  circulèrent,  et 
M.  Claude,  en  ayant  eu  une  entre  les  mains,  raconta  à  son 
tour  et  à  sa  guise  la  fameuse  entrevue  :  Réponse  à  l'Ins- 
truction donnée  à  il/"^  de  Duras.  Bossuet  crut  devoir  faire 
connaître  au  public  en  1682  la  vraie  Relation  de  la  Confé- 
rence, écrite  le  lendemain  même  du  jour  où  elle  avait  eu 
lieu  ,  alors  qu'il  «  était  plein  de  la  chose  »  et  qu'il  «  en 
avait  la  mémoire  fraîche  »,  si  bien  que  M""  de  Duras  y  «  re- 
connut la  vérité  toute  pure  (1)  ».  Il  la  fit  suivre  des  Ré- 
flexions sur  un  écrit  de  M.  Claude. 

Ce  livre  «  parfaitement  beau  »,  au  dire  du  grand  Ar- 
nauld  (2) ,  «  l'ouvrage  le  plus  célèbre  que  Bossuet  ait  com- 
posé dans  sa  vie  tout  entière  »,  au  dire  de  Fénelon  (3),  éta- 
blit ces  deux  grandes  vérités  «  qu'il  y  a  une  vraie  Église, 
à  laquelle  on  se  doit  soumettre  »,  et  que  «  l'Eglise  calviniste 
ne  peut  être  cette  vraie  Église  »,  puisqu'elle  souffre  que, 
lorsqu'elle  a  prononcé  une  décision,  il  soit  permis  d'exa- 
miner encore,.,  d'où,  manifestement,  il  doit  suivre  qu'au- 
tant il  y  a  de  têtes,  autant  y  aura-t-il  d'Eglises...  «  Je  ne 
croirais  pas  l'Évangile,  dit  ^-Ami  Aiigustin  (4),  si  je  n'étais 
touché  de  l'autorité  de  l'Église  catholique.  »  Et  un  peu 
après  :  «  Ceux  à  qui  j'ai  cru,  quand  ils  mont  dit  :  Croyez  à 

(1)  Arerlisaement. 

(2)  Lettre,  à  du  Vauccl,  i"  janvier  1083. 

(3)  Instruction  sur  le  Cas  de  conscience ,  iQ  avril  170."). 

(4)  Conl.  Episl.  fundam.  Ma/iich.,  n.  G. 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  POLEMISTE.  409 

l'Évangile,  je  les  crois  encore,  quand  ils  me  disent  :  Ne 
croyez  pas  à  Manichée.  »  Cette  société  de  pasteurs  établie 
par  Jésus-Christ,  et  continuée  jusqu'à  nous,  en  me  donnant 
l'Évangile,  m'a  dit  aussi  qu'il  fallait  détester  les  hérétiques 
et  les  mauvaises  doctrines;  je  crois  Fun  et  l'autre  ensemble 
et  par  la  même  autorité.  C'est  la  manière  dont  les  Chrétiens 
ont  été  instruits  dès  les  premiers  temps,  dans  lesquels  on  a 
soutenu  aux  hérétiques  qu'ils  n'étaient  pas  recevables  à  dis- 
puter de  l'Écriture  ,  «  parce  que  sans  l'Écriture  on  leur  peut 
montrer  que  l'Écriture  n'est  point  à  eux  >>,  comme  parle 
Tertullien  (1). 

Dans  la  Première  Réflexion  sur  un  écrit  de  M.  Claude, 
Bossuet  remarque  que  '(  saint  Basile  a  dit  très  sagement  et 
très  véritablement  que  la  tradition  faisait  dire  aux  hommes 
plus  qu'ils  ne  voulaient  et  leur  inspirait  des  choses  con- 
traires à  leurs  sentiments  ».  Cette  inviolable  tradition  a  fait 
son  effet  dans  nos  Réformés,  malgré  leurs  principes. 

La  Sixième  Réflexion  nous  montre  le  même  «  saint  Basile, 
un  si  grand  théologien,  qui  se  justifie  et  tout  ensemble 
confond  les  hérétiques ,  en  leur  alléguant  la  foi  de  sa  mère 
et  de  son  aïeule  sainte  Macrine  (2i.  «  Ta  foi  t'a  sauvé  »,  dit 
Jésus-Christ.  «  Ta  foi,  remarque  Tertullien  dans  ce  divin 
ouvrag-e  des  Prf^scrijjfions,  et  non  pas  d'être  exercé  dans  les 
Écritures.  »  Il  n'est  pas  besoin  de  passer  par  des  opinions, 
par  des  doutes,  par  les  incertitudes  d'une  foi  humaine. 
«  Je  n'ai  jamais  changé,  dit  saint  Basile;  ce  que  j'ai  cru 
dès  l'enfance  n'a  fait  que  se  fortifier  dans  la  suite  de 
l'âge...  Comme  un  grain  qu'on  sème,  de  petit  qu'il  était  de- 
vient grand,  mais  demeure  toujours  le  même  en  soi,  et  sans 
changer  de  nature,  il  ne  fait  que  prendre  de  l'accroissement, 
de  même  ma  foi  s'est  accrue  (3j...  C'est  ainsi,  comme  dit 
saint  Augustin,  que  croient  ceux  qui,  ne  pouvant  parvenir 
à  l'intelligence ,  mettent  leur  salut  en  sûreté  par  la  simpli- 
cité de  leur  foi  (4).  » 

(1)  De  Praescrip.  Adv.  haeret.,  n.  18,  37. 

(2)  Epist.  79,  nunc  223. 

(3)  Epist.  79. 

(4)  Cont.  Epist.  Manich..  n.  y>. 


ilO  BOSSUEÏ  ET  LES  SAINTS  PERES. 

Bossuet  termine  sou  ouvrage  par  cet  appel  pressant  adressé 
aux  Réformés  :  «  C'est  mal  remédier  aux  maux  de  TÉglise 
que  d'y  ajouter  celui  du  schisme...  Que  n'écoutent-ils  plu- 
tôt la  charité  même,  Tunité  même,  et  l'Eglise  catholique 
qui  leur  dit  par  la  bouche  de  saint  Ci/pricn  :  «  Ne  vous 
persuadez  pas,  nos  chers  Frères  et  nos  chers  Enfants,  que 
vous  puissiez  jamais  défendre  l'Évangile  de  Jésus-Christ  en 
vous  séparant  de  son  troupeau,  de  son  unité  et  de  sa  paix. 
De  bons  soldats  qui  se  plaignent  des  désordres  qu'ils  voient 
dans  l'armée  doivent  demeurer  dans  le  camp,  pour  y  re- 
médier d'un  commun  avis  sous  l'autorité  du  capitaine ,  et 
non  pas  en  sortir  pour  exposer  l'armée  ainsi  désunie  aux 
invasions  de  l'ennemi...  Puis  donc  que  l'unité  ecclésiasti- 
que ne  doit  point  être  déchirée  et  que,  d'ailleurs,  nous  ne 
pouvons  pas  quitter  l'Église  pour  aller  à  vous,  revenez,  re- 
venez plutôt  à  l'Église  votre  mère  et  à  notre  fraternité  ; 
c'est  à  quoi  nous  vous  exhortons  avec  tout  l'effort  dun 
amour  vraiment  fraternel.  Ajueit,  amen.  » 

Le  Traité  de  la  communion  sous  les  deux  espèces,  168*2, 
est  une  réponse  aux  diatribes  de  Jurieu  dans  un  écrit  sur 
Y  Eucharistie ,  où ,  renouvelant  les  plaintes  des  Hussites  et 
de  Calvin,  il  tonnait  contre  les  impiétés  et  les  cruautés  de 
l'Église  Romaine,  qui  privait  tyranniquement  de  la  coupe 
la  masse  des  fidèles. 

Dans  la  Première  Partie  de  ce  Traité ,  La  pratique  et  le 
sentiment  de  FEf/lise  dès  les  premiers  siècles^  l'évèque  de 
Meaux  fait  preuve  d'une  immense  érudition  et  d'une  con- 
naissance admirable  des  Pères  de  l'Église.  Il  établit  invin- 
ciblement <c  quatre  coutumes  authentiques  »  :  la  réception 
d'une  seule  espèce  dans  la  communion  des  malades,  dans  la 
communion  des  enfants,  dans  la  communion  domestique 
qui  se  faisait  autrefois,  lorsque  les  fidèles  emportaient  l'Eu- 
charistie dans  leur  maison  pour  communier,  et  enfin  dans 
la  communion  publique  et  solennelle  de  l'Église.  —  Pour 
les  malades ,  il  cite  l'exemple  de  la  communion  de  Séra- 
pion,  racontée  par  saint  henis  d' Alexandrie  au  troisième 
siècle,  dans  une  lettre  rapportée  par  Eusèbe  de  Césarée  '  les 


LES  SAINTS  PERES  ET  I50SSUEÏ  POLEMISTE.  411 

paroles  du  IV"  concile  de  Garthag'e  ,  auquel  a  souscrit  saint 
Augustin;  la  dernière  communion  de  saint  Amhroisr , 
recevant  des  mains  de  saint  Honorât  «  le  corps  de  Notre- 
Seigneur  (1)  »  ;  un  décret  du  IP  concile  de  Tours  en  567, 
ordonnant  qu'on  place  le  corps  de  Notre-Seigneur  sous  la 
figure  de  la  croix;  le  témoignage  de  Grégoire  de  Tours, 
celui  d'Hincmar,  célèbre  archevêque  de  Reims,  au  neu- 
vième siècle;  celui  de  Léon  IV,  celui  de  Rathier,  évêque  de 
Vérone;  celui  du  concile  d'Orléans  sous  le  roi  Robert; 
«  l'autorité  de  VOr<Ire  romain,  qui  n'est  pas  petite,  puisque 
c'est  l'ancien  cérémonial;  celle  de  la  Vie  dp  saint  Basile, 
celle  des  anciennes  coutumes  de  Cluny,  et  celle  des  Eucolo- 
ges  grecs,  contre  lesquelles  ne  prouve  rien  le  témoignage 
exprès  de  saint  Justin  et  de  saint  Jérônte  bien  compris.  — 
Pour  la  communion  des  enfants,  Bossuet  rappelbi  un  fait 
raconté  par  saint  Cyprien  dans  son  traité  de  Lajjsis,  des 
textes  de  saint  Augustin  et  de  TertuUien ,  qui  disent  que 
«  les  fidèles  prenaient  en  secret  le  pain  sacré  avant  toute 
autre  nourriture  »,  comme  plus  tard  on  trouve  la  commu- 
nion des  petits  enfants  sous  la  seule  espèce  du  vin,  dans 
l'Eglise  grecque  et  l'Église  latine,  aux  onzième  et  douzième 
siècles,  à  l'époque  àe  Hugues  de  Saint-Victor  et  de  saint 
Bernard.  Bossuet  proteste  alors  contre  «  la  grande  et  dan- 
gereuse erreur  »  de  la  nécessité  absolue  de  recevoir  l'Eu- 
charistie à  tous  les  âges,  que  les  ministres  imputent  à  saint 
Cyprien,  à  saint  Augustin,  au  pape  saint  Innocent,  à  saint 
Cyrille^  à  saint  Chrysostonw ,  à  saint  Césaire  et  à  plusieurs 
siècles  :  «  0  sainte  antiquité,  s"écrie-t-il,  ô  Eglise  des  premiers 
siècles,  trop  hardiment  condamnée  par  les  ministres,  sans 
qu'il  en  revienne  autre  chose  que  le  plaisir  d'avoir  fait 
croire  à  leurs  peuples  que  l'Église  pouvait  tomber  dans 
l'erreur,  même  dans  ses  plus  beaux  temps!  »  —  Pour  la 
communion  dans  les  ?naisons,  c'est  TertuUien  dans  son  livre 
De  la  prière,  c'est  saint  Cyprien  dans  son  de  La  psi  s,  c'est 
^m.ni  Basile  dans  ses  Lettres,  c'est  saint  Jrénée  dans  un  pas- 

(1)  Bossuet  combat  à  ce  propos  les  objections  «  du  fameux  Georges  Calixte,  le 
plus  habile  des  Luthériens  du  temps  »,  et  de  du  Bourdieu .  «  son  grand  sectateur  >•• 


412  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

sage  rapporté  par  Eusèbe,  c'est  Satyre,  frère  de  saint  Ani- 
broise,  ce  sont  les  Actes  des  martyrs  de  Nicomédie  et  de 
saint  Tharsice  qui  établissent  que  dans  l'ancienne  Église  on 
communiait  sous  une  seule  espèce,  quoiqu'en  disent  Calixte 
et  du  Bourdieu,  d'après  des  textes  mal  interprétés  de  saint 
Justin,  de  saint  Grégoire  le  Grand,  d'Amphilochius  et  de 
saint  (irégoire  de  Nazianze.  —  Pour  la  communion  publi- 
que, aux  jours  solennels ,  où  l'on  ne  distribuait  que  le  corps 
sacré  de  Notre-Seigneur,  Bossuet  cite  Y  Ordre  romain^ 
Alcuin,  Amalarius,  l'abbé  Rupert,  Hugues  de  Saint-Victor, 
le  concile  in  TruUo  et  le  concile  de  Laodicée  au  quatrième 
siècle,  les  Eucologes  grecs,  Isaac,  évêque  de  Langres,  Rémi, 
évêque  d'Auxerre  au  neuvième  siècle ,  Hildebert,  évêque  du 
Mans,  puis  de  Tours,  l'auteur  du  livre  des Sacre?nents,  saint 
Ambrai  se ,  ou  un  autre  contemporain,  tous  les  Pères  de  l'é- 
poque et  saint  Justin. 

La  Deuxième  Partie  du  Traité,  Les  principes  sur  lesquels 
sont  appuyés  les  sentiments  et  la  pratique  de  V Eglise; 
que  les  prétendus  réformés  se  serrent  de  ces  pri)uipes  aussi 
bien  que  nous,  fait  surtout  appel  à  l'Écriture  Sainte;  pour- 
tant, Bossuet  invoque  le  témoignage  de  Tertullien  dans  son 
tvdiité  De  Baptismo  (1)  et  dans  le  livre  DeCorona  militis,  où 
il  nous  apprend  que  c'est  la  tradition  non  écrite  qui  a 
établi  l'usage  de  ne  recevoir  l'Eucharistie  que  de  la  main 
des  supérieurs  ecclésiastiques  i2);  celui  du  concile  de 
Brague  au  quatrième  siècle  et  de  Clermont  au  onzième  ; 
celui  des  anciens  Pitres,  par  exemple  de  saint  Cifprien ,  «  un 
si  grand  martyr,  évêque  de  Carthage  et  primat  d'Afrique  », 
qui  ne  donnait  très  certainement  aux  petits  enfants  que  le 
sang  tout  seul  [de  Lapsis)  et  qui  ne  laisse  pas  de  dire,  au 
même  traité ,  que  leurs  parents  qui  les  mènent  aux  sacrifi- 
ces des  idoles  les  privent  «  du  corps  et  du  sang  de  Notre-Sei- 
gncur  (3)  »;  celui  de  saint  Augustin,  qui  «  dit  souvent  la 
môme  chose  (4)  »  ;  et  celui  de  saint  liasilr,  qui  nous  avertit 

(I)  É'til.  Uar-le-Duc,  l.  IV.  p.  -278. 
(-2)  Page  HHo. 

(3)  l'a^'e  '200-J9I . 

(4)  Pages  i'M,  '2'.n. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  POLEMISTE.  413 

que  ceux  qui  méprisent  les  traditions  non  écrites  méprisent 
en  même   temps  jusqu'à  l'Écriture,  qu'ils  se   vantent  de 
suivre  en  tout  (1).  Il  renvoie  les  calvinistes  à  Aubertin,  «  le 
plus  docte  défenseur  de  leur  doctrine  »  :  «  Vous  y  trouve- 
rez, dit-il,  à  toutes  les  pages,  des  passages  de  saint  A/)i- 
hroise,  de  saint  CJn'ii^oxIonw,  des  deux  Ci/rillf  et  de  tous  les 
autres,  où  vous  lirez  qu'en  recevant  le  corps  sacré  de  Notre- 
Seigneur,  on  reçoit  la  personne  même,  puisqu'on  reçoit, 
disent-ils,  le  roi  dans  sa  main...  Pour  ce  qui  est  des  pré- 
cautions dont  on  usait  pour  s'empêcher  de  laisser  tomber  à 
terre  l'Eucharistie,  il  ne  faut  qu'un  peu  de  bonne  foi  pour 
avouer  qu'elles  sont  aussi  anciennes  que  l'Église.  Aubertin 
vous  les  fera  lire  dans  Origène  ;  il  vous  les  fera  lire  dans 
saint  Ctjrillf  de  Jérusaleni  et  dans  saint  Augustin,  pour  ne 
rien  dire  des  autres.  Vous  verrez  dans  ces  saints  docteurs 
que  laisser  tomber  de  l'or  et  des  pierreries ,  c'est  comme 
s'arracher  un  de  ses  membres,  etc.  (2).  Pour  ce  qui  est  de 
l'adoration,  qu'est-il  besoin  que  j'en  parle,  après  tant  de 
passages  des  Pères,  encore  rapportés  par  Aubertin,  et  de- 
puis par  M.  de  la  Roque,  dans  son  Histoire  <1p  V Eucharis- 
tie? Ne  voyons-nous  pas   dans  ces  passages   l'Eucharistie 
adorée,  ou  plutôt  Jésus-Christ  adoré  dans  l'Eucharistie  (3)  ?  » 
La  matière  semblait  épuisée  et  la  lumière  faite  admira- 
blement sur  la  question  delà  communion.  Mais  deux  minis- 
tres, Mathieu  de  La  Roque  et  Aubert  de  Versé,  essayèrent 
de  réfuter  Bossuet,  le  premier  dans  sa  Réponse  canonique 
au  livre  de  M.  de  Meau.r ,  1683,  in-12  de  319  pages;  et 
le  second  dans  sa  Réponse  (^ anonyme)  au  Traité  de  M.  Vé- 
vêque  de  Meaux,  1683  ,  in-12 ,  de  296  pages. 

Bossuet  répliqua  par  la  Tradition  défendue  sur  la  matière 
(le  la  communion  sous  une  espjèce  contre  les  réponses  de 
deux  auteurs  protestants.  Cet  ouvrage  ne  parut  pas  de  son 
vivant  et  ne  fut  publié  qu'en  17i3  avec  deux  seulement  des 
trois  parties  qu'annonce  V Avertissement.  La  troisième  n'a 
pas  été  composée  par  le  prélat,  ou  bien  son  neveu  l'a  égarée. 

(1)  Page  -29-2.  -  (-2)  Page  -29G.  —  (;$)  Page  -297. 


414  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

h?i  Première  Partir ,  Que  la  Tradition  est  nécessaire  pour 
entendre  le  précejitf  do  la  communion  sous  une  on  sous 
deux  espèces,  est  toute  pleine  des  textes  des  saints  Pères, 
que  personne  au  monde,  ni  Huet,  ni  Mabillon,  ne  connais- 
sait comme  Bossuet.  —  Il  tire    «   un  premier  argument 
du   lîaptème  par  infusion  ou  par  aspersion  (1)  »,  attesté 
par  le  Livre  des  Sacrements ,  digne  du  nom  et  du  siècle 
de  saint  Ambroise ,  par  VOrdre  romain,  par  saint  Cyrille 
de  Jérusalem    et   par    Huç/ues   de   Saint-Victor   au   dou- 
zième siècle.  A  propos  du  baptême  donné  par  les  héréti- 
ques (2),  «  les  ministres,  dit-il,  n'empêcheront  pas  qu'il  ne 
soit  vrai  que  nos  Pères ^  dans  cette  célèbre  difficulté,  se  sont 
résolus  par  la  tradition.  C'est  la  tradition  que  le  pape  saint 
Etienne  soutenait,  comme  il  paraît  par  son  décret.  Saint 
Cijprien  convenait  de  la  tradition...  Saint  Augustin  nous 
assure,  en  plusieurs  endroits,  que  la  coutume  que  saint 
Etienne  opposait  à  saint  Cyprien  ne  pouvait  venir  que  de 
la  tradition  apostolique...  Et  cette  tradition  était  si   solide 
que  ceux  qui  l'avaient  comi^attuc  y  revinrent  d'eux-mê- 
mes, en  disant,  au  rapport  de  saint  Jérôme  :  «  Que  tardons- 
nous  davantage  à  suivre  ce   que    nos  ancêtres  nous  ont 
enseigné  et  ce  qu'ils  ont  appris  des  leurs?  »  Ainsi,  comme 
dit  Vincent  de  Lérins,  il  arriva  dans  cette  occasion  comme 
il  arrive  dans  toutes  les  autres  :  l'antiquité  fut  reconnue  et 
la  nouveauté  rejetée.  »  —  Pour  le  second  argument  tiré  de 
l'Eucharistie  (3) ,  Bossuet  parle  de  l'obligation  de  commu- 
nier à  jeun,  qu'on  trouve  comme  ancienne  et  universelle 
dès  le  temps  de  Tertullien  et  de  saint  Cyprien  et  que  saint 
Augustin  met  parmi  les  lois  que  le  Saint-Esprit  a  inspirées  à 
l'Église.  —  Quant  à  la  prière  pour  les  morts  (i),  «  M.  Blon- 
del,  après  l'avoir  trouvée  dans  tous  les  Pères,  à  commencer 
depuis  Tertullien  ,  auteur  d'une  si  vénérable  antiquité,  dans 
tontes  les  églises  chrétiennes,  dans  toutes  les  liturgies,  je 
dis  môme  les  plus  anciennes,  a-t-il  trouvé  un  seul  auteur 
chrétien  ,  (jui  ait  marqué  cette  coutume  comme  nouvelle?  » 

(Ij  Chapitre  i.  —  (-2)  Chapitre  ii.  —  {.'()  Chajjitrc  m.  —  (i)  Chapitre  vu. 


LliS  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  POLÉMISTE.  415 

La  Beuxihitc  Partie ,  Qu'il  y  a  toujours  eu  dans  l'Église 
chrétienne  et  catholique  des  exemples  approuvés  pjar  une 
tradition  constante  de  la  co)nnninion  sous  une  espace,  mon- 
tre d\ibord  que  la  communion  sous  une  seule  espèce  s'est 
établie  sans  contradiction  au  onzième  et  au  douzième  siè- 
cle, où  Guillaume  de  Champeaux  et  Hugues  de  Saint-Vic- 
tor, «  le  plus  fameux  théologien  de  ce  temps-là  »,  l'approu- 
vent en  termes  exprès  (1).  «  Par  là  se  justifie  clairement  le 
décret  du  Concile  de  Constance ,  qui  la  donne  comme  rai- 
sonnablement introduite  par  l'Ég-lise  et  par  les  saints  Pitres. 
La  crainte  de  l'effusion  du  précieux  sang  de  Notre-Seigneur 
se  manifeste  dans  Origène  au  troisième  siècle,  dans  saint 
Cyrille  df  Jérusalem  et  saint  Augustin  au  quatrième,  pour 
ne  point  ici  parler  des  autres.  On  voit  dans  ces  saints  doc- 
teurs que  laisser  tomber  les  moindres  parcelles  de  l'Eu- 
charistie, c'est  comme  laisser  tomber  de  l'or  et  des  pier- 
reries :  «  de  là  la  suppression  de  la  coupe  i2!  ».  D'ailleurs, 
la  communion  sous  une  ou  deux  espèces  était  jugée  égale 
dès  la  première  antiquité,  du  consentement  unanime  de 
tous  les  chrétiens  (3i.  Quand  on  réservait  l'Eucharistie  en 
temps  de  persécution,  on  ne  gardait  que  l'espèce  du  pain, 
comme  le  prouvent  des  textes  de  Tertullien  dans  son  Apo- 
logie,  de  saint  Cgprien,  de  saint  Jérôme,  de  saint  Am- 
broise  (i) ,  de  saint  Optât,  évêque  de  Milève,  de  Jean  iMoschus, 
historien  du  septième  siècle  (5),  du  très  ancien  Sacramen- 
taire  de  Reims  et  de  l'histoire  de  la  dispute  du  cardinal 
Humbert  avec  les  (irecs  en  105i  (6),  des  Actes  de  saint 
Tharsice  et  des  martyrs  de  Nicomédie  (7),  de  la  Vieàe.  sainte 
Eudoxe,  dont  le  manuscrit  remonte  à  mille  ans  environ  (8), 
de  saint  Ambroise,  de  saint  Justin,  d'Uranius,  racontant  la 
mort  de  saint  Paulin ,  du  vénérable  Bède ,  de  Surius  et  de 
ses  Vies  de  saint  Valentin  au  cinquième  siècle,  de  saint 
Ansbert,  évêque  de  Rouen,  en  695,  de  sainte  Gertrude,  de 
sainte  Opportune,  de  saint  Anselme  (9),  à  propos  de  la 


(1)  Chapitre  i.  —  (-2)  Chapitre  ii.  —  (3)  Chapitre  vi.  —  (i)  Ciiapitrc  ix  —  (5)  Chapi- 
tre X.  —  (6)  Cha|)itre  xi.  —  (")  Chapitre  xii.  —  (8)  Chapitre  xiii.  —  (!i)  Chapitre  xiv. 


416  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

communion  des  malades;  —  (VEusèbe  ou  plutôt  de  saint 
Denis  fV Alexandrie,  de  saint  Prosper  et  de  saint  Anibroise, 
de  saint  Honorât ,  des  Pères  de  Tolède,  de  Léon  IV,  de  Ra- 
thier  de  Vérone,  d'Hincmar  de  Reims,  de  V Ordre  romain 
de  saint  Grégoire,  d'Amalarius,  du  Micrologue,  de  l'auteur 
de  la  VicAe  saint  Rasile,  des  anciennes  coutumes  de  Cluny, 
du  deuxième  concile  de  Tours  en  567,  de  saint  Grégoire 
de  Tours,  et  des  Vies  de  saint  Carilèfe  au  sixième  siècle,  de 
saint  Swibert,  de  saint  Rertulphe,de  saint  Serenède,  de 
saint  Claude,  archevêque  de  Resançon,  au  septième  siècle, 
de  sainte  Austreberte  au  huitième,  de  saint  Géraud,  comte 
d'Aurillac,  de  saint  Wolfangue,  évêque  de  Ratisbonne,  de 
saint  Oswalde,  archevêque  d'York,  de  sainte  Adélaïde,  im- 
pératrice (1),  de  saint  Thibaud,  au  dixième  siècle,  de  saint 
Othon,  de  saint  Hugues,  au  douzième,  de  saint  Edmond  de 
Cantorbéry,  de  saint  Louis,  roi  de  France,  de  saint  Louis, 
son  neveu,  archevêque  de  Toulouse,  de  saint  Thomas  d'A- 
quin,  au  treizième  siècle,  à  propos  de  la  réserve  de  FEu- 
charistic  et  de  la  communion  en  viatique  faite  sous  une 
seule  espèce  (2). 

Après  avoir  accumulé  tant  de  témoignages  décisifs  pour 
tout  esprit  impartial  (3) ,  Rossuet  discute  les  objections  al- 
léguées par  ses  adversaires  contre  la  réserve  de  l'Eucha- 
ristie (textes  à'Origène ,  de  saint  Optât  Milévitain,  de  saint 
Augustin  (i).  Il  répond  ensuite  aux  preuves  que  les  mi- 
nistres prétendent  tirer  de  saint  Justin ,  des  Dialogues  de 
saint  Grégoire  le  Grand,  du  Discours  W  de  saint  Grégoire 
de  Nazianze  et  d'A?n/jhilochius,  auteur  de  la  Vie  de  saint 
Basile  (5)  ;  puis  aux  arguments  que  de  La  Roque  et  Aubert 
de  Versé  veulent  trouver  dans  les  modernes,  le  cardinal 
Baronius ,  racontant  la  vie  de  saint  (lirgsostonie  et  citant 
saint  Grégoire,  le  savant  F Aubespine ,  évêque  d'Orléans,  et 


(I)  Sa  vie  a  éU;  (■crile  par  sainl  Otliloii,  al)l)ù  de  Cluny. 
(-2)  Chapitre  xv,  xvi,  xvii,  xviii,  xix,  xx. 

(3)  lii'/lexions  sur  la  prodir/icitsc  opposition  qui  se  trouve  entre  les  premiers 
Chrétiens  et  les  Protestants,  diap.  xxi. 

(4)  Chapitre  xxii. 
{:'>)  Cliai)itre  xxm. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  POLEMISTE.  417 

Cassander,  a  savant  auteur  du  siècle  passé  (1)  ».  —  L'é- 
vêque  de  Meaux  examine  alors  les  quelques  autres  endroits 
de  saint  Augustin,  ou  plutôt  de  saint  Cémire  dWrlps,  de 
la  Vie  de  saint  Éloi,  d'un  concile  de  Reiras  tenu  sous  Hinc- 
mar  en  879,  d'un  concile  du  palais  de  Pavie  en  850,  du 
chapitre  Officium  dans  les  Décrétales,  des  Sacnimoilai- 
res  du  P.  Menard  —  Sacrcuuentaire  de  Saint-Remi  de  Reims, 
et  Sacramentaire  de  saint  Gélase,  grand  Pape  qui  gou- 
vernait l'Église  plus  de  cent  ans  avant  saint  Grégoire  — 
enfin  d'un  canon  du  concile  de  Tours  de  la  fm  du  ouzième 
siècle  (?),  où  M.  de  La  Roque  a  cru  bien  à  tort  trouver  la 
réserve  de  l'Eucharistie  sous  les  deux  espèces  pour  la  com- 
munion des  malades  (2). 

Les  ministres  objectaient  qu'avant  saint  Ambroise  les 
Vies  de  sainte  Hélène,  de  saint  Antoine,  de  saint  Athanase, 
de  saint  Grégoire  de  Nazianze,  de  saint  Basile,  ne  parlaient 
point  de  communion  reçue.  — Mais,  répond  Bossuet  (3),  nous 
avons  des  Vies  de  saint  Bastien  et  de  saint  Gaudence ,  com- 
provinciaux  et  contemporains  de  saint  Ambroise;  nous  avons 
celles  de  sami  Augustin ,  de  saint  Fulgence,  de  saint  Ger- 
main de  Paris  et  de  saint  Germain  d'Auxerre,  de  sainte 
Geneviève,  de  saint  Grégoire;  de  Gontran,  de  Sigebert,  rois 
de  France;  de  Sigismond,  roi  de  Bourgogne,  de  saint  Per- 
petuus,  évèque  de  Tours,  de  saint  Faron,  évèque  de  Meaux, 
de  sainte  Fare,  sa  sœur;  de  saint  Eustase,  abbé  de  Luxeuil, 
Mais  pourquoi  perdre  le  temps  à  en  nommer  d'autres? 
Nous  en  avons  une  infinité  où  il  n'est  point  parlé  qu'ils 
aient  reçu  la  communion  à  la  mort...  En  conclura-t-on 
qu'on  ne  communiait  pas  de  leur  temps?  Selon  M.  de  La 
Roque,  saint  Augustin  aura  négligé  cet  acte  de  piété,  lui 
dont  le  même  M.  de  La  Roque  nous  a  produit  un  sermon 
où  il  y  exhorte  tous  les  fidèles...  Ne  savait-il  pas  la  com- 
munion de  saint  Autijroise ,  qui  l'avait  régénéré  en  .lésus- 
Ghrist?  »  Bossuet  cite  encore  saint  Puulin,  le  pape  saint 
Grégroire,  saint  Ouen ,  l'auteur  de  la  Vie  de  saint  Éloi,  les 

(I)  Cliapitres  xxiv  et  xxv.  —  (-2)  Chapitres  xxvi-xxviii.  —  (3)  Chapitre  xxix. 

BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PÈRES.  i" 


418  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PKUES. 

auteurs  de  la  vie  du  vénérable  Brdr,  le  saint  homme  Pierre 
hfiniieti,  ([ui  a  écrit  celles  de  saint  Komuald  et  de  Domini- 
que Loricat,  saint  iiouavenUivc  et  sa  Xie  de  sciint  François, 
celles  de  saint  Bernard,  de  sainte  Hildegarde,  de  sainte 
Brigitte  et  des  saints  de  l'Eglise  orientale  :  à  peine  y  en  a- 
t-il  une  ou  deux  où  l'on  remarque  le  saint  viatique,  tant 
c'était  chose  commune  et  bien  établie  (11! 

Pour  faire  voir  que  l'Église  d'Afrique  ne  donnait  pas  la 
communion  aux  enfants  sous  la  seule  espèce  du  vin,  M.  de 
La  Roque  alléguait  des  passages  de  saint  Ci/prien  ,  de  saint 
Augustin.,  de  saint  Paulin,  de  Gennade.  — Bossuet  réduit 
à  néant  ces  «  chicanes  »  et  montre  que  dans  TEglise  occi- 
dentale la  communion  sous  une  seule  espèce  était  établie  du 
temps  de  saint  Ct/jjrieji  et  confirmée  par  un  miracle  que  ra- 
conte ce  Père  (2).  Jobius,  un  savant  homme,  fort  apprécié 
par  Photius,  atteste  que  la  pratique  de  l'Église  orientale 
était  la  même  :  «  Nous  sommes  jugés  dignes  du  sang  pré- 
cieux. »  Dans  l'Église  latine,  «  aux  huitième  et  neuvième  siè- 
cles, on  donnait  aux  petits  enfants  ou  les  deux  espèces,  ou 
quelquefois  même  le  corps  seul,  ce  qui  n'est  pas  moins 
pour  nous  que  si  on  eût  donné  le  sang  sans  le  corps.  Té- 
moin le  livre  Des  Divins  offices,  n'importe  qu'il  soit  d'Al- 
cuin  ou  d'un  autre  auteur  du  même  àg"e  (3)  ». 

Bossuet  justifie  «  presque  tous  les  Pères,  à  commencer  par 
saint  Ci/prien  et  saint  Aur/ustin  »,  de  la  grande  et  dang"e- 
reuse  erreur  qu'on  leur  attribue  sur  la  nécessité  de  l'Eu- 
charistie pour  les  petits  enfants.  11  cite  saint  Fulgeiue, 
«  ce  savant  disciple  de  saint  Augustin  »,  et  saint  Augustin 
lui-même  en  «  cent  passages  »  de  ses  œuvres  (4). 

La  communion  était  donnée  sous  la  seule  espèce  du  pain 
aux  enfants  plus  avancés  en  Age,  comme  le  prouvent  une 
histoire  racontée  par  Evagrius  et  Grégoire  de  Tours  et  des 
canons  du  concile  de  MAcon  et  de  celui  de  Tours  (5). 

Un  passage  de  saint  Léon  et  un  autre  de  saint  Gélase , 
«  son  disciple  et  son  successeur  »,  montrent  qu'on  commu- 

(1)  Cliapitre  xxix.  —  (■»)  Chapitre  xxx.  —  (.{)  Chapitre  xxxi.  —  ('»)  Chapitre  xxxir. 
—  {'■>)  Chapitre  xxxiii. 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  POLÉMISTE.  419 

niait  sous  une  seule  espèce  dans  l'office  public  de  l'Église, 
et  cela  dès  le  temps  de  saint  C/wf/soslomo  (1  ). 

L'office  des  présanctifiés,  ciiez  les  Grecs,  où  pendant  tout 
le  carême  on  consacrait  le  samedi  et  le  dimanche  seule- 
ment et  on  faisait  la  communion  avec  des  espèces  consa- 
crées, sanctifiées  auparavant,  montre  que  «  tout  le  clergé  et 
le  peuple  communiaient  cinq  fois  sous  la  seule  espèce  du 
pain ,  il  y  a  pour  le  moins  mille  ans  » ,  au  temps  de  saint 
Grégoire  de  Nazianzr  et  du  concile  de  Laodicée,  tenu  au 
quatrième  siècle  (2). 

On  ne  célèbre  chez  les  Latins  l'office  des  présanctifiés 
que  le  seul  jour  du  Vendredi  Saint,  et  cette  coutume,  qui 
remonte  au  septième  siècle  dans  l'Eglise  gallicane,  d'après 
Alcuhi  et  Anialdrius ,  et  qui  s'est  établie  plus  tard  à  Rome, 
comme  on  le  voit  par  l'Ordre  romain  et  les  Sacramentaires, 
prouve  que  «  le  vin  n'était  point  consacré  dans  le  mélange 
du  corps  »  et  que  les  deux  espèces  n'étaient  pas  données 
pour  la  communion. 

Après  avoir  longuement  répondu  aux  objections  des  mi- 
nistres tirées  du  premier  concile  d'Orange  (3)  et  montré 
cya  Ainalariiis  au  neuvième  siècle  et  Ruperl  au  douzième 
n'autorisent  pas  la  consécration  par  le  mélange,  que  cette 
consécration  n'a  jamais  été  approuvée  et  que  l'Anonyme 
soutient  des  absurdités  pour  prouver  la  consécration  du  vin 
par  le  Pater  dans  l'office  du  Vendredi  Saint  (i),  Bossuet  éta- 
blit que  «  la  doctrine  constante  des  Grecs  et  des  Latins  est 
que  la  consécration  du  calice,  comme  celle  du  pain,  se 
fait  par  les  paroles  de  Jésus-Christ  (5)  »  :  cela  ressort  de 
textes  nombreux  de  ^Bimi  Augustin ,  de  saint  Grégoire  de 
Nazianze,  de  saint  Basile,  de  saint  Chrysostome ,  de  saint 
Ambroise ,  de  saint  Justin ,  de  saint /;Y';^f>,  et  «  des  Pères 
de  tous  les  siècles  »,  en  dépit  des  chicanes  des  ministres. 

«  .l'ai  honte,  conclut  Bossuet ,  qu'il  faille  descendre  à  ces 
arguties  ;  mais  la  charité  le  veut ,  puisque  des  esprits  pré- 
venus s'y  laissent  quelquefois  embarrasser.  La  suite  sera 

(1)  Chapitre  xxxiv.  —  (-2)  Chapitres  xxxv  et  xxxvr.  —  (3)  Cliapitres  xxxviii  et  xxxix. 
—  ('i)  Chapitres  xi.-xi,xiri.  —  (:i)  Ciiapitre  xi.iv. 


420  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

plus  claire,  et  après  que  nous  serons  sortis  des  chicanes  et 
des  incidents  qu'on  nous  faisait  sur  les  faits,  la  vérité  de 
notre  doctrine  va  paraître  avec  toute  sa  lumière ,  comme  la 
clarté  d'un  beau  jour,  quand  le  soleil  a  percé  les  nuages.  » 

Hélasl  ((  cette  clarté  d'un  beau  jour  »,  que  devait  illumi- 
ner de  ses  rayons  le  génie  de  Bossuet  établissant  [a.D(h)ions- 
tration  de  la  vérité  catholique  [i),  ne  brille  pas  pour  la 
postérité ,  à  laquelle  manque  la  troisième  partie  de  cet  ex- 
cellent ouvrage. 

La  Lettre  pastorale  aux  nouveaux  catholiques  du  diocèse 
pour  les  exhorter  à  fairr  Irurs  Pâques  et  leur  donner  les 
avertissements  nécessaires  contre  les  fausses  lettres  pasto- 
rales des  ministres ,  2i  mai  1686,  est  le  digne  couronne- 
ment de  tout  ce  que  Bossuet  fit  à  l'époque  de  la  révocation 
de  l'Édit  de  Nantes,  octobre  1685,  pour  ramener  à  l'Église  les 
trois  mille  calvinistes  de  son  diocèse  :  conférences  publiques 
et  privées,  missions  prêchées  par  lui-même  et  par  d'autres, 
nominations  de  maîtres  et  de  maîtresses  d'écoles,  toutes 
choses  qui  obtinrent  le  plus  grand  succès  ("2).  Mais  les  Let- 
tres pastorales  des  ministres  réfugiés  en  Hollande  aux 
protestants  de  France  qui  sont  tombés  par  la  force  des  tour- 
ments, ànos  frères  qui  gémissent  sous  la  captivité  de  Babi/- 
lone,  ébranlaient  la  foi,  chancelante  encore,  des  nouveaux 
convertis.  Bossuet  voulut  donc  les  tenir  en  garde  contre  des 
erreurs  habilement  entretenues,  et  après  leur  avoir  dit  : 
«  Loin  d'avoir  souffert  des  tourments,  vous  jt'm  avez  seule- 
ment jKis  entendu  parler  (3)  ;  aucun  de  vous  n'a  souffert  de 
violence  ni  dans  ses  biens  ni  dans  sa  personne;  je  ne  dis 
rien  que  vous  ne  disiez  aussi  bien  que  moi  ;  vous  êtes  revenus 
paisiblement  k  nous,  vous  le  savez  »,  il  établissait  l'un  des 
caractères  les  plus  contestés  de  TÉglisc  romaine,  son  apos- 


(1)  C'est  le  litre  de  la  troisième  partie  de  Touvrage,  d'après  le  manuscrit  de 
Bossuet. 

(2)  Le  Dieu  nous  raconte  (|ue,  le  l.'>  décembre  liiH;;,  les  Cafels.  les  vignerons  du 
lauhourg  Saint-Nicolas  à  Meaux,  vinrent  trouver  Bossuet  pour  faire  abjuration 
entre  ses  mains.  «  Mais,  ajoutaient-ils,  MonsiMgnenr,  je  ne  voulons  pas  obéir  an 
l'apf.  —  I,e  Uni  lui  obéit  bien  et  moi  je  lui  obéis  »,  répondit  l'évêque.  Il  n'en 
fallut  i)as  davantage;  pour  achever  de  les  convaincre. 

(•'{)  Bossuet  avait  interdit  toute  dragonnade  dans  son  diocèse. 


LES  SAINTS  PERES  ET  HOSSUET  POLEMlSlt:.  421 

tolicité.  Comme  les  ministres  abusaient  de  certains  textes 
de  saint  Cijprien  et  qu'une  de  leurs  lettres  était  «  pleine  des 
paroles  que  ce  grand  évêque  et  ce  grand  martyr  adresssait 
aux  fidèles  de  Carthage  pour  les  exhorter  à  la  pénitence  et 
au  martyre  »,  Bossuet  ajoute  :  «  Que  ceux  qui  osent  imiter 
les  vrais  pasteurs  et  qui  tiennent  le  langage  de  saint  C//- 
jyrien  consultent  ce  saint  martyr;  il  leur  apprendra  que 
VEgli.se  est  ime,  que  Vépiscopal  est  t/n ,  que,  pour  le  pos- 
séder légitimement,  il  faut  remonter  par  une  succession 
continuelle  Jusqu'à  la  source  de  V unité ^  c'est-à-dire  jus- 
qu'aux apôtres,  et  jusqu'à  celui  à  qui  Jésus-Clirist  a  dit 
uniquement  pour  fonder  son  Eglise  sur  l'unité  :  «  Tu  es 
Pierre,  etc..  »  Le  même  saint  Gyprien  leur  apprendra  que 
de  cette  source  des  apôtres,  consommés  dans  une  parfaite 
unité,  sont  sortis  tous  les  pasteurs;  que  c'est  par  là  que 
l'épiscopat  est  un,  non  seulement  dans  tous  les  lieux,  mais 
encore  dans  tous  les  temps;  que  l'Église  comme  un  soleil 
porte  ses  rayons  par  tout  l'univers,  mais  que  c'est  la  même 
lumière  qui  se  répand  de  tous  côtés;  qu'elle  étend  ses  bran- 
ches et  fait  couler  ses  ruisseaux  par  toute  la  terre  ;  que  l'E- 
pouse de  Jésus-Christ  ne  peut  être  adultère  ;  que  celui  qui  se 
sépare  de  l'Église  pour  se  joindre  à  une  adultère  —  c'est 
ainsi  qu'il  traite  les  sectes  séparées  de  l'unité  de  l'Église 
—  n'a  point  de  part  aux  promesses  de  Jésus-Christ;  c'est  un 
étranger,  un  profane,  un  ennemi.  11  ne  peut  avoir  Dieu 
pour  père,  puisqu'il  n'a  pas  l'Église  pour  mère. 

«  Saint  Cf/j)rien,  poursuit  Bossuet,  prend  une  autre  mé- 
thode (que  les  ministres).  Pour  confondre  les  hérésies  et  les 
schismes,  il  allègue  l'autorité  de  l'Église. . .  Ce  grand  homme 
fit  cette  réponse  à  Antonien,  qui  hésitait  à  condamner  No- 
vatien  :  «  Puisqu'il  enseigne  hors  de  l'Église,  quel  qu'il  soit, 
il  n'est  pas  chrétien,  puisqu'il  n'est  pas  dans  TÉglise  de 
Jésus-Christ.  » 

Et  alors,  s'adressant  «  à  ces  faux  pasteurs  qui  se  sont 
vantés  d'être  extraordinairement  envoyés  pour  dresser  de 
nouveau  l'Église  tombée  en  ruine  et  en  désolation,  à  ces  fai- 
seurs de  lettres  pastorales ,  qui  se  parent  des  lambeaux  de 


422  BOSSUET  ET  LKS  SAINTS  PÈRES. 

saint  Vf/i )/•}(' Il  »,  il  les  adjure  de  l'écouter,  de  prendre  sa 
doctrine  tout  entière,  de  reconnaître  sur  quelles  maximes 
il  fondait  son  épiscopat,  et,  puisqu'ils  ne  peuvent  pas  nous 
montrer  une  mission  semblable  à  la  sienne,  de  cesser 
d'imiter  le  langage  d'un  si  grand  évêque  et  de  s'en  attri- 
buer l'autorité.  «  Ce  n'es/ pas  nous  qui  nous  sournws  séparés 
(Varec  eux ^  dit-il  à  propos  des  hérétiques;  mais  cest  eux 
qui  se  sont  séparés  (F arec  nous  ^  et  puisque  les  hérésies  et  les 
schismes  sont  toujours  postérieurs  à  l'Égiise,  pendant  qu'ils 
se  sont  formé  des  conventicules  différents  et  de  diverses 
assemblées,  ils  ont  quitté  le  chef  et  l'origine  de  la  vérité.  » 
Prêtez  l'oreille ,  mes  Frères,  à  cette  décision  de  saint  Cy- 
prien  :  ils  sont  séparés  de  Jésus-Christ  et  de  l'Évangile,  dès 
qu'ils  se  séparent  de  l'Église.  Et  afm  qu'on  entende  mieux 
de  quelle  Ég"lise  ce  saint  martyr  a  voulu  parler,  c'est  de 
l'Église  qui  reconnaît  à  Rome  le  chef  de  sa  comnumion, 
et  dans  la  place  de  Pierre  l'éminent  degré  de  la  chaire 
sacerdotale...  Puisque  les  ministres  se  servent  des  paroles 
de  ce  saint  martyr  pour  vous  exhorter  au  martyre  ,  que  ne 
vous  disent-ils  avec  lui  :  «  Qu'il  ne  peut  y  avoir  de  martyr 
que  dans  l'Église;  que  lorsqu'on  est  séparé  de  son  unité, 
c'est  en  vain  qu'on  répand  son  sang  pour  la  confession  du 
nom  de  Jésus-Christ;  que  la  tache  du  schisme  ne  peut  être 
lavée  par  le  sang,  ni  ce  crime  expié  par  le  martyre.  » 

A  ces  textes  du  traité  De  l'Unité  de  rÉglise  et  des  Lettres 
de  saint  Cyprien,  Bossuet  en  ajoute  de  saint  Augustin,  cons- 
tatant ([ue  l'Église,  «  au  milieu  de  la  paille  et  de  l'ivraie 
où  elle  se  trouve,  tolère  beaucoup  de  choses,  mais  que  ni 
elle  n'approuve  ,  ni  elle  ne  fait  ce  qui  est  contre  la  foi  et  les 
bonnes  mo'urs  (1)  ». 

«  Si  c'est  une  idolâtrie,  dit-il  encore,  de  demander  les 
prières  des  saints  et  d'en  honorer  les  reliques,  cet  illustre 
quatrième  siècle,  oui,  ce  siècle  où  les  prophéties  du  règne 
de  Jésus-Christ  se  sont  accomplies  plus  manifestement  que 
jamais,  où  les  rois  de  la  terre,  persécuteurs  jusqu'alors  du 

{\j  l^/'isl.  '..•;,  alias  lin  <id  Jun.  cap.  xix. 


LES  SAINTS  PÈIŒS  ET  BOSSUEï  POLEMISTE.  423 

nom  de  Jésus,  selon  les  anciens  oracles,  en  sont  devenus  les 
adorateurs;  ce  siècle,  dis-je,  servait  la  créature;  les  .4/y/- 
broisc,  les  Augustin,  les  Jérôme ,  les  Grrf/oire  <1e  Nazianzc, 
les  Basile  et  les  Chrf/sosfonw ,  que  tous  les  chrétiens  ont 
respectés  jusqu'ici  comme  les  docteurs  de  la  vérité,  ne  sont 
pas  seulement  les  sectateurs ,  mais  encore  les  docteurs  et 
les  maîtres  d'un  culte  impie ,  dont  le  seul  Vigilance  s'est 
conservé  pur...  0  prodige  inouï  parmi  les  chrétiens!  Les 
saints  Pères  ont  reproché  aux  hérétiques  qu'ils  apostasiaient 
en  se  séparant  de  TÉglise  ;  mais  que  l'Église  elle-même  ait 
apostasie ,  qui  l'entend  sans  horreur  n'est  pas  chrétien ,  et 
vous  ne  pouvez  regarder  comme  des  pasteurs  ceux  qui  ont 
proféré  un  tel  blasphème.  » 

§  IV.  Les  Si.r  Arerfisseinetifs  (lux  Protestants  sur  les 
Lettres  du  ministre  Jurieu  contre  l'Histoire  des  Variations 
(1689-1691).  —  Défense  de  P Histoire  des  Variations 
(1691). 

V Histoire  des  Variations^  publiée  en  1688,  était,  par  la 
masse  des  documents  authentiques  qu'on  y  voyait  rassem- 
blés et  par  la  puissance  de  dialectique  qui  les  mettait  en 
œuvre,  le  plus  redoutable  effort  que  la  théologie  catholique 
eût  fait  jusqu'à  ce  jour  contre  la  Réforme.  Aussi  les  répon- 
ses, les  objections,  les  réfutations  ne  se  firent-elles  pas  at- 
tendre. Jurieu.  professeur  à  Rotterdam,  partit  en  campagne 
avec  l'ardeur  intempérante  et  désordonnée  qui  lui  était 
habituelle  :  pour  relever  ses  coreligionnaires  abattus  et  dé- 
concertés, il  publia  des  Lettres  pastorales  ^  qui  étaient  de 
vraies  diatribes  et  où  les  injures  se  mêlaient  aux  argu- 
ments d'une  manière  compromettante  pour  le  parti  qu'il 
défendait.  L'évêque  de  Meaux  lui  riposta  avec  une  promp- 
titude qui  n'avait  d'égale  que  la  dignité,  la  parfaite  con- 
venance du  ton.  «  Il  est  véhément,  passionné,  parce  qu'il 
est  convaincu  :  il  sait  pourtant  respecter  la  conviction  de 
ses  adversaires;  jamais  homme  n'a  disputé  plus  chaude- 
ment avec  moins  d'injures;  son  raisonnement  est  impitoya- 


424  .  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

ble;  mais  son  cœur  est  sans  haine,  sans  aigreur,  et  sa  pa- 
role sait  unir  la  courtoisie  avec  la  force.  Si  parfois  le  mot 
à\//)s!irf/i/(',  <r extravagance  ou  de  calomnie  lui  vient  sous 
la  plume  (et  cela  est  rare),  il  faut  songer  que  Jurieu,  par  ses 
emportements  et  ses  témérités,  révolta  même  les  ministres 
réformés  (1)  ».  «  Que  je  vais  recevoir  d'injures  après  ce 
dernier  Avertissement,  écrivait  Bossuet  au  début  du  Sixième 
et  que  le  nom  de  M.  de  Meaux  va  être  flétri  dans  les  écrits 
du  ministre  !  Déjà  on  ne  trouve  dans  sa  sixième  lettre  que 
les  ignorances  de  ce  prélat,  ses  vaines  déclamations,  avec 
les  comédies  qu'il  donne  au  public  ;  et  quand  le  style  s'é- 
lève, ses  fourberies,  ses  friponneries,  son  mauvais  cœur, 
son  esprit  mal  fait,  baissé  et  affaibli  par  son  grand  âge 
qui  passe  soixante-dix  ans,  ses  violences,  qui  lui  font  me- 
ner les  gens  à  la  Messe  à  coups  de  barres,  sa  vie  qu'il  passe 
à  la  cour  dans  la  mollesse  et  dans  le  crime  (2)  ;  car  on  pousse 
la  calomnie  à  tous  les  excès  (3),  et  tout  cela  est  couronné 
par  son  hypocrisie ,  c'est-à-dire ,  comme  on  l'explique ,  par 
un  faux  semblant  de  révérer  des  mystères  qu'il  ne  croit  pas 
dans  son  cœur.  On  me  donne  ces  éloges  sans  aucune  preuve  ; 
car  aussi  où  les  prendrait-on?  »  A  cette  sérénité  inaltérable 
Bossuet  joint,  dans  ses  Avertissf^ment.s  aux  Protestants,  un 
style  vif,  naturel,  net^  court,  haché,  qui  fait  penser  à  la 
concision  saisissante  de  Montesquieu,  à  la  rapidité  de  l'allure 
de  Voltaire,  et  que  devraient  lire  tous  ceux  qui  parlent  du 
ton  toujours  solennel  et  majestueux  de  Bossuet,  sans  se  dou- 
ter qu'il  y  a  dans  ses  œuvres  de  polémique  des  pages  au 
moins  égales  aux  meilleures  des  Provinciales. 

Le  Premier  Arerlisst'mcnt ,  le  christianisme  flétri  et  le 
socinianisnic  antorisé par  ce  ministre  (Jurieu),  septembre 
1689,  avait  pour  objet  de  répondre  à  cette  audacieuse  af- 
firmation du  ministre  de  Botterdam  que  rien  n'était  plus 


(I)  Lanson.  liossuet.  p.  ;{'*". 

(-2)  Jurieu,  p.  '287. 

(3)  l)(;s  l<>«!t,  Jurieu  avait  dit  :  «  J'avertis  l'évêciue  de  Meaux  (|u'nii  rrêquc  rfc 
cour  romme  lui  elles  autres  dont  le  mviier  n'est  pas  d'étudier,  devraient  un  peu 
ménager  ceux  (|ui  n'ont  |>oinl  d'autre  i)rofession  !  »  —  Bossuet  évêijue  de  cour! 
Bossuet  luisant  son  métier  de  ne  jyns  l'-tudier!  Quelle  impertinence! 


LES  SAINTS  PERES  ET  P.OSSUET  POLEMISTE.  425 

commun  dans  le  christianisme  que  de  varier;  que  «  la  vérité 
de  Dieu  n'a  été  connue  que  par  parcelles;  que  jusqu'au 
concile  de  Nicée  et  même  jusqu'à  celui  de  Constantinople , 
le  dogme  sur  la  Trinité  avait  été  informe,  mal  connu,  mal 
expliqué;  que  les  premiers  chrétiens  croyaient  les  trois 
personnes  de  la  Trinité  inégales  ;  que  la  doctrine  de  la  grâce, 
qu'on  regarde  aujourd'hui  avec  raison  comme  Fun  des 
plus  importants  articles  de  la  religion  chrétienne,  était 
entièrement  informe  jusqu'au  temps  de  saint  Augustin; 
qu'avant  lui  la  plupart  des  anciens  docteurs  de  l'Eglise 
étaient  stoïciens  et  manichéens;  que  d'autres  étaient  purs 
pélagiens  et  les  plus  orthodoxes  semi-pélagiens  ». 

C'était  provoquer  Bossuet  sur  le  terrain  qui  lui  était  le 
plus  familier  et  le  mieux  connu  :  le  terrain  de  la  doctrine 
drs  Pères.  Il  répondit  à  .lurieu  par  une  apologie  des 
saints  docteurs  de  la  primitive  Église,  dont  les  ouvrages 
n'avaient  aucun  secret  pour  l'évèque  de  Meaux,  —  Ainsi, 
s'il  a  pris  pour  fondement  de  Y Histoife  des  Variations ,  que 
«  varier  dans  l'exposition  de  la  foi  était  une  marque  de 
fausseté  et  d'inconséquence  dans  la  doctrine  exposée,  et 
que  la  vérité  venue  de  Dieu  a  d'ahord  sa  perfection,  c'est 
pour  répéter  fidèlement  ce  qu'ont  dit  nos  Père>; ,  que  la  doc- 
trine catholique  est  celle  qui  est  toujours  et  partout  :  Qfiod 
ubique ,  quod  semper  »;  c'est  ce  que  disait  le  docte  Vincent 
de  Lérins ,  une  des  lumières  du  quatrième  siècle;  c'est  ce 
qu'il  avait  posé  pour  fondement  de  ce  célèbre  Avertisse- 
ment,  où  il  donne  le  vrai  caractère  de  l'hérésie  et  un  moyen 
général  pour  distinguer  la  saine  doctrine  d'avec  la  mau- 
vaise (1),  «  L'Église  de  Jésus-Christ,  dit-il,  soigneuse  gar- 
dienne des  dogmes  qui  lui  ont  été  donnés  en  dépôt,  n'y 
change  jamais  rien;  elle  ne  diminue  point,  elle  n'ajoute 
point,  elle  ne  retranche  point  les  choses  nécessaires;  elle 
n'ajoute  point  les  superflues.  Tout  son  travail,  continue  ce 
Père,  est  de  polir  les  choses  qui  lui  ont  été  anciennement 
données,  de  confirmer  celles  qui  ont  été  insuffisamment 

(I)  Commonitorium ,  I. 


426  lîOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

expliquées,  de  garder  celles  qui  ont  été  confirmées  et  défi- 
nies, de  consigner  à  la  postérité  par  l'Écriture  ce  qu'elle 
avait  reçu  de  ses  ancêtres  par  la  seule  tradition.  »  Mais  ce 
n'est  pas  assez  à  ce  Père  d'établir  la  même  vérité  que  j'ai 
posée  pour  fondement;  il  l'établit  par  le  même  principe 
qui  est  que  la  vérité  venue  de  Dieu  a  d'abord  sa  perfection, 
comme  un  ouvrage  divin  :  «  Je  ne  puis  assez  m'étonner, 
dit-il,  comment  il  y  a  des  hommes  si  emportés,  si  aveugles, 
si  impies  et  si  portés  à  l'erreur  que ,  non  contents  de  la  règle 
de  la  foi,  une  fois  donnée  aux  fidèles  et  reçue  de  toute 
antiquité,  ils  cherchent  tous  les  jours  des  nouveautés  et 
veulent  toujours  ajouter,  changer,  ùter  quelque  chose  à  la 
religion,  comme  si  ce  n'était  pas  un  <lo<ini('  céleste ,  qui  ré- 
vélé Kue  fois  nous  suffit .  mais  une  institution  Inonuine  qui 
ne  puisse  être  amenée  à  la  perfection  qu'en  la  réformant, 
ou,  à  dire  le  vrai,  en  y  remarquant  tous  les  jours  quelque 
défaut  (1).  »  —  Bossuet  montre  ensuite  que  Jurieu  fait  en- 
seigner aux  Pi'i'cs  des  trois  premiers  siècles,  At/tenar/oras, 
contemporain  de  Justin,  et  Tatien,  son  disciple,  des  absur- 
dités comme  celles-ci  <(  que  le  Verbe  n'est  pas  éternel  en 
tant  que  Fils,  qu'il  devint  une  personne  distincte  du  Père 
peu  devant  la  Création ,  et  qu'ainsi  la  trinité  des  personnes 

ne  commença  qu'un  peu  avant  le  monde  (2) Triomphez 

donc,  ariens  et  sociniens  :  on  peut  sans  blesser  l'essence 
de  la  piété,  dire  (jue  la  personne  du  Fils  n'est  pas  éter- 
nelle (3)  !  »  —  Jurieu  fait  aussi  dire  à  Trj-tuUicn  que  «  Dieu 
a  fait  son  fils  ».  Que  disaient  de  pis  les  ariens?  »  —  D'après 
le  ministre,  les  anciens  docteurs,  et  «  surtout  ceux  du  troi- 
sième siècle  et  même  ceux  du  quatrième  »  ont  méconnu 
l'unité  de  Dieu ,  «  ont  cru  Dieu  corporel  et  étendu ,  comme 
Tet'tullien ,  et  que  l'idée  de  l'Ftre  parfait  est  une  idée  d'au- 
jourd'hui »,  alors  que  «  Tertullien  a  dit  que  Dieu  était  le 
souverain  grand,  et  par  là  unique,  sans  pouvoir  avoir  son 
égal,  autrement  (ju'il  ne  seiait  point  Dieu  (4)  »;  alors  que 

(1  )  Commonil.,  I. 

{■!)  \-'  Averlis.,  IV  cl  VI. 

CJ)  f'  Avertis.,  XI. 

(4)  Li/i.  I.  Adr.  Marci.,  c.  m. 


LES  SALNTS  PÈRES  ET  150SSUET  POLEMISTE.  427 

tous  les  Pères  des  premiers  siècles,  aussi  bien  que  tous  les 
autres,  ont  soutenu  aux  païens  la  même  chose;  alors  (|u'ils 
leur  ont  prouvé  mille  et  mille  fois  l'unité  de  Dieu  par  la 
souveraineté  et  la  singularité  de  sa  perfection  ;  alors  qu'ils 
ont  dit  que  jamais  nul  n'avait  prononcé  le  nom  de  Dieu 
qu'en  y  attachant  l'idée  de  la  perfection.  —  A  propos  de 
l'affirmation  de  .Jurieu  c[ue  «  la  grâce  était  entièrement  in- 
forme jusqu'au  temps  de  saint  Augustin,  et  qu'avant  ce 
temps,  les  uns  étaient  stoïciens  et  manichéens,  d'autres  purs 
pélagiens  et  les  plus  orthodoxes  semi-pélagiens  :  «  Quoi! 
s'écrie  Bossuet,  môme  sans  en  excepter  saint  Ciipi-tcn ,  tant 
cité  par  saint  Augustin  contre  ces  hérétiques,  quoiqu'il  ait 
dit  en  trois  mots  tout  ce  qu'il  fallait  pour  les  confondre , 
en  disant  si  précisément  et  en  prouvant  avec  tant  de  force 
«  qu'il  ne  faut  se  glorifier  de  rien,  parce  que  nul  bien  ne 
vient  de  nous?  »  Les  autres  Pères  n'en  ont  pas  moins 
dit  (1)...  On  trouve  la  théorie  de  la  justification  dans  un 
concile  tenu  par  saint  Ci/prien  aussi  clairement  posée  que 
dans  saint  Augustin  même...  0  Dieu,  encore  un  coup, 
est-il  bien  possible  que  ces  saints  docteurs,  un  saint  Justin , 
un  saint  Iréttée ,  un  saint  Clénwut  <V Alexandrie ,  un  saint 
fi/prien ,  tant  d'autres  qui  passaient  les  jours  et  les  nuits  à 
méditer  l'Écriture  sainte,  dont  leurs  écrits  ne  sont  qu'un 
tissu,  qui  en  faisaient  toutes  leurs  délices  et  y  trouvaient 
leur  consolation  durant  tant  de  persécutions ,  ne  s'y  soient 
point  attachés,  ou  qu'ils  n'y  aient  point  vu  le  mystère  de 
la  piété  qu'on  prétend  y  être  si  clair  qu'il  ne  faut  à  présent 
aux  plus  ignorants ,  aux  artisans  les  plus  grossiers ,  aux  plus 
simples  femmes,  qu'ouvrir  les  yeux  pour  l'y  trouver I  (Quel 
coup  droit  porté  à  la  théorie  du  libre  examen!)  C'est  aiusi 
qu'on  parle  de  ceux  qui  ont  fondé  après  les  apôtres  l'Eglise 
chrétienne,  non  seulement  par  leurs  prédications  et  par 
leurs  travaux ,  mais  encore  par  leur  rang.  Le  savoir  n'était 
pas  rare  parmi  eux , . . .  puisqu'il  y  avait  alors  tant  de  phi- 
losophes, tant  d'excellents  orateurs,  tant  de  doctes  juris- 

(1)  i"-'  AveH..  XV. 


428  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PÈRES. 

consultes ,  en  un  mot  tant  de  grands  hommes  de  toutes  les 
sortes,  qui  embrassaient  le  christianisme  avec  connaissance 
de  cause  (1).  »  —  «  N'importe  que  les  sociniens  gagnent 
leur  cause,  semble  dire  Jurieu;  ils  nous  sont  moins  odieux 
que  les  papistes  ;  et  puisqu'il  nous  faut  périr,  périssent  avec 
nous  les  plus  sain/s  de  tous  /rs  Prres^  et  périsse,  s'il  le  faut 
aussi,  toute  la  gloire  du  christianisme  (2).  »  Ce  ministre 
téméraire  dit  des  Pères  des  trois  premiers  siècles  «  que  c'é- 
taient de  pauvres  théologiens  qui  ne  marchaient  que  rez- 
pied  rez-terre;  il  n'excepte  que  le  seul  Origène ,  c'est-à-dire 
de  tous  ces  docteurs  celui  dont  les  égarements  sont  les  plus 
fréquents;  et  il  laisse  dans  l'ordure  et  le  mépris  «  saint 
Justin  ,  saint  Irénéc ,  saint  CUhnent  (V Alexandrie ,  un  si  su- 
blime théologien;  saint  Ci/pricn ,  un  si  grand  évêque  et  un 
martyr  si  illustre;  Tertullien,  un  prêtre  si  docte  et  si  véné- 
rable, tant  qu'il  demeura  dans  le  sein  de  l'Église;  saint 
Ignace  même  et  saint  Pob/carpe ,  disciples  de  saint  Pierre 
et  saint  Jean,  et  toutes  les  autres  lumières  de  ces  temps-là... 
Mais  ce  n'est  pas  là  tout  le  mal...  Ces  grandes  lumières 
du  quatrième  siècle,  ces  grands  hommes,  saint  Basile, 
saint  A/nb/'oise^  saint  Grégoire  de  Nazianze  et  saint  Augus- 
tin,  qui  seul,  dit-on,  «  renferme  plus  de  théologie  dans 
ses  écrits  que  tous  les  Pères  des  premiers  siècles  »  fondus 
ensemble ,  sont  les  auteurs  de  ce  culte  impie  et  de  cette  ido- 
lâtrie antichrétienne,  le  culte  des  saints!...  Les  derniers 
siècles,  depuis  mille  ans,  sont  le  règne  de  l'Antéchrist!.. 
Où  est  donc,  répond  Bossuet,  cette  Église  de  Jésus-Christ 
contre  laquelle  «  l'Enfer  ne  devait  pas  prévaloir  »?  Où  est 
cet  ouvrage  des  Apôtres  dont  Jésus-Christ  avait  dit  :  «  Je 
vous  ai  choisis  et  je  vous  ai  établis  atin  que  vous  alliez  et 
<[ue  vous  portiez  du  fruit  et  que  votre  fruit  demeure?  »  Ce- 
pendant tout  tombe,  tout  est  renversé  aussitôt  après  les 
apôtres  (3)  !  »  —  Après  avoir  cité  saint  Grégoire  de  Na- 
zianze, racontant  qu'une  martyre  du  troisième  siècle  «  avait 


(1)  !■•'  Avrrl.,  XVI. 

(-2)  XVII. 

(.«)  I"  ylccr/.,  XVlir 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  POLÉMISTE.  429 

prié  la  sainte-Vierge  Marie  d'aider  une  vierge  qui  était  en 
péril  (1)  »,  Bossuet  défend  les  Pères  du  concile  d'Éphèse, 
les  Pères  du  concile  de  Nicée,  Athrnaç/oras;,  qui  affirme 
«  que  Dieu  est  un  Etre  immense,  éternel,  incorporel  (2)  »  , 
les  Pères  qui  ont  précédé  le  concile  de  Nicée ,  pour  lesquels 
il  renvoie  Jurieu  au  P.  Thomassin,  au  P.  Petau,  au  protes- 
tant anglais  BuUus,  enfin  saint  Çf/prii'n,  «  dont  la  doctrine 
est  la  nôtre  «  sur  la  justification,  et  saint  Auf/ustin,  cité 
à  contre  sens  par  Jurieu,  si  bien,  ajoute  Bossuet,  que  «  si 
j'avais  eu  à  choisir  dans  tous  ses  ouvrages  un  passage  exprès 
contre  ce  ministre,  j'aurais  préféré  celui  (qu'allègue  Ju- 
rieu) à  tout  autre...  Après  cela,  fiez-vous  à  votre  ministre, 
quand  il  cite  des  passages  (3).  » 

Il  cite  aussi  à  faux  le  P.  Petau,  «  quand  pour  nous  faire 
accroire  »  que  la  théologie  des  Pères  était  imparfaite  sur 
le  mystère  de  la  Trinité  »  ,  il  lui  fait  dire  en  propres  termes 
((  qu'ils  ne  nous  en  ont  donné  que  les  premiers  linéaments  ». 
Mais  ce  savant  auteur  dit  le  contraire  à  l'endroit  que  le 
ministre  produit ,  qui  est  la  Préface  du  tome  II  des  Dogmes 
catholiques  :  car  il  entreprend  d'y  prouver  que  la  doctrine 
catholique  a  toujours  été  constante  sur  ce  sujet  ;  et  dès  le 
premier  chapitre  de  cette  Préface,  il  démontre  que  «  le 
principal  et  la  substance  du  mystère  »  a  toujours  été  bien 
connu  par  la  tradition;  que  les  Pères  des  premiers  siècles 
conviennent  avec  nous  dans  le  fond ,  dans  la  substance , 
dans  la  chose  même ,  «  quoique  non  toujours  dans  la  ma- 
nière de  parler  »  :  ce  qu'il  continue  à  prouver  au  second 
chapitre,  par  le  témoignage  de  saint  hjnace ,  de  saint  Polij- 
carpe  et  de  tous  les  anciens  docteurs;  enfin,  dans  le  troi- 
sième chapitre,  qui  est  celui  que  le  ministre  nous  objecte 
en  parlant  de  saint  Justin ,  celui  de  tous  les  anciens  qu'on 
veut  rendre  le  plus  suspect,  ce  savant  Jésuite  décide  que 
ce  saint  martyr  «  a  excellemment  et  clairement  proposé  ce 
qu'il  y  a  de  principal  et  de  substantiel  dans  ce  mystère  »  ; 

(1)  XIX. 

(2)  XXV. 

(3)  XXVII. 


430  BOSSUEÏ  ET  LES  SAINTS  PERES. 

ce  qu'il  prouve  aussi  à'Athénaf/oms ,  de  Th(''ophile  dWn- 
ttochc,  des  autres,  qui  tous  ont  tenu,  dit-il,  le  principal  et 
la  substance  du  dogme  sans  aucune  tache  (  1  )  ». 

Dans  rÉgiise ,  «  on  n'a  fait  les  décisions  qu'en  proposant 
la  foi  des  siècles  passés  )>,  comme  au  concile  de  Chalcédoine, 
où  l'on  commença  par  faire  voir  que  les  saints  (Jocteio-s 
avaient  toujours  entendu  l'Incarnation  ainsi  qu'on  le  faisait 
alors  et  qu'Eutychès  avait  rejeté  la  doctrine  et  les  exposi- 
tions des  Pères.  Le  concile  n'approuva  la  lettre  de  saint 
Léon  «  qu'à  cause  qu'elle  est  conforme  à  saint  Athcutase ,  à 
saint  Hilaire ,  à  saint  Basilp,  à  saint  Grégoire  de  Nazianze, 
à  saint  Amhroisp ,  à  saint  Chri/sostome ,  à  saint  Aur/Kstin ,  à 
saint  Ci/rille  et  aux  autres  que  saint  Léon  avait  cités  ».  La 
foi  était  donc  parfaite  «  dès  les  conciles  de  Nicée,  de  Cons- 
tantinople,  d'Éphèse;  et  si  l'on  se  fût  avisé  de  dire  aux 
Pères  ide  Chalcédoine,  comme  fait  aujourd'hui  votre  mi- 
nistre, qu'avant  leur  décision  elle  était  informe,  ils  se  se- 
raient récriés  contre  cette  parole  téméraire ,  comme  contre 
un  blasphème.  C'est  pourquoi  ils  commencent  ainsi  leur 
délinition  de  foi  :  «  Nous  renouvelons  la  foi  infaillible  de 
nos  Pères,  qui  se  sont  assemblés  à  Nicée,  à  Constantinople, 
à  Éphèse  (2).  »  —  Ce  qu'on  fit  alors  à  Chalcédoine,  on  l'a- 
vait fait  à  Éphèse.  On  commença  par  y  faire  voir  contre 
Nestorius  que  saint  Pierre  d'Alexandrie ,  saint  At/umase, 
le  Pape  saint  Jules,  le  Pape  saint  Félix  et  les  autres  Pères 
avaient  reconnu  .lésus-Christ  comme  Dieu  et  homme  tout 
ensemble,  et  par  conséquent  sa  sainte  Mère  comme  étant 
vraiment  Mère  de  Dieu;  en  sorte  que  saint  Grégoire  de 
Nazianze  n'hésitait  pas  à  anathématiser  ceux  qui  le  niaient  ; 
on  renouvela  la  foi  du  concile  de  Nicée,  comme  pleinement 
suffisante  pour  expliquer  le  mystère  et  on  montra  que  les 
saints  Pères  l'avaient  entendu  comme  on  faisait  à  Éphèse; 
on  décida  sur  ce  fondement  que  saint  Ci/rille  était  défen- 
seur de  l'ancienne  foi  (3).  —  Il  est  bien  certain  que  saint 


(1)  Article  XXVIll. 

(-2)  X\l\. 

(3)  I  '  AvcrI..  XXX. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  POLEMISTE.  431 

Athanasr ,  qui  était  l'oracle  de  l'Église,  avait  parlé  aussi 
pleinement  de  la  divinité  du  Saint-Esprit  qu'on  fit  depuis  à 
Gonstantinoplc ;  et  il  fait  voir  clairement  dans  sa  lettre,  où 
il  expose  la  foi  à  l'empereur  Jovien,  que  les  Pères  de  Nicée 
en  avaient  parlé  de  même.  Ainsi  les  Pères  de  Gonstanti- 
noplc firent  profession  de  n'exposer  que  la  foi  ancienne. 
Par  ce  moyen  on  n'innovait  rien  ;  mais  on  n'avait  pas  plus 
innové  à  Nicée.  Saint  Athanase  a  fait  voir  aux  ariens  que 
la  foi  de  ce  saint  concile  était  celle  dans  laquelle  les  martyrs 
avaient  versé  leur  sang...  Il  prouve  LyaOrigène  même,  que 
les  ariens  vantent  le  plus  comme  un  des  leurs,  avait  très 
bien  expliqué  la  saine  doctrine  sur  l'éternité  et  la  consubs- 
tantialité  du  Fils  de  Dieu.  «  C'est  cette  foi,  dit-il,  qui  a  été 
de  tout  temps,  et  c'est  pourquoi,  continue-t-il,  toutes  les 
Églises  la  suivent...  Tout  l'univers  embrasse  la  foi  catho- 
lique et  il  n'y  a  qu'un  très  petit  nombre  qui  la  combattent... 
Pour  vous,  ô  ariens,  quels  Pères  nommerez- vous?  »  Ce 
fait  de  la  nouveauté  des  ariens  étant  avéré,  le  même  saint 
Athanase  en  conclut  dans  un  autre  endroit  «  que  leur  doc- 
trine n'étant  point  venue  des  Pères,  et  au  contraire,  qu'ayant 
été  inventée  depuis  peu ,  on  ne  pouvait  les  ranger  qu'au 
nombre  de  ceux  dont  saint  Paul  prédit  «  qu'il  viendrait 
dans  les  derniers  temps  quelques  gens  qui  abandonneraient 
la  foi  en  s'attachant  à  des  esprits  d'erreur  ».  Dès  qu'Arius 
parut,  Alexandre  (V Alexandrie ,  son  évêque,  lui  reprocha 
la  nouveauté  de  sa  doctrine  et  le  chassa  de  l'Église  comme 
un  inventeur  de  fables  intpertinenles ,  reconnaissant  hau- 
tement «  qu'il  n'y  avait  qu'une  seule  Église  catholique  et 
apostolique ,  que  tout  le  monde  ensemble  n'était  pas  capable 
de  vaincre,  quand  il  se  réunirait  pour  la  combattre  »...  On 
disait  aux  Eutychiens  :  (1)  «  Le  Pape  Léon  croit  ainsi;  Cyrille 
croyait  de  même  :  c'est  la  foi  qui  ne  clianfje  pas ,  qui  de- 
meure toujours  ».  Il  n'y  a  donc  point  de  variations...  On 
en  disait  autant  à  Éphèse  aux  Nestoriens...  On  en  dit  autant 
à  Nicée  contre  Arius  et  les  siens...  Lorsque  les  hérésies  se 

(I)  {"Avertis..  XXXI. 


432  BOSSUËT  ET  LES  SALMS  PERES. 

sont  élevées  (1).  il  n'a  jamais  pu  être  douteux  quel  parti 
l'Église  avait  à  prendre,  personne  ne  pouvant  douter  rai- 
sonnablement, comme  dit  Vincent  do  Lé  tins  qu'on  ne  dût 
préférer  u  l'antiquité  à  la  nouveauté  et  l'universalité  aux 
opinions  particulières  ». 

Pour  renverser  «  ce  fondement  inébranlable  de  l'antiquité 
de  la  foi  et  de  l'innovation  des  hérétiques  (2)  »,  Jurieu  ap- 
porte comme  un  exemple  de  variations  la  doctrine  du  péché 
originel  et  de  la  g-ràce;  mais,  répond  Bossuet  (3),  c'est  pré- 
cisément sur  cet  article  que  saint  Augustin,  qu'il  a  cité 
comme  favorable  à  sa  prétention ,  lui  dira  que  la  foi  chré- 
tienne et  l'Église  catholique  n'ont  jamais  varié  :  «  En  effet, 
on  ne  peut  nier  que ,  lorsque  Pelage  et  Célestius  sont  venus 
troubler  l'Église  sur  cette  matière  » ,  leurs  profanes  nou- 
veautés n'aient  fait  horreur  par  toute  la  terre,  comme  parle 
saint  Augustin  i4),  à  toutes  les  oreilles  catholiques  »,  et 
cela  «  autant  en  Orient  qu'en  Occident,  comme  dit  le  même 
Père  (5)  ».  Les  hérétiques  étaient  contraints  d'avouer, 
comme  le  rapporte  saint  Augustin  ,  premièrement  qu'  «  un 
dogme  populaire  prévalait,  que  l'Eglise  avait  perdu  la  rai- 
son et  que  la  folie  y  avait  pris  le  dessus,  ce  qui  était,  ajou- 
taient-ils, la  marque  de  la  lîn  du  monde  i6)  ».  Aussi  n'eut- 
on  pas  de  peine  à  les  convaincre  de  s'être  opposés  à  la 
doctrine  des  Pères.  Saint  Augustin  leur  en  a  produit  des 
passages ,  où  la  foi  de  l'Église  se  trouve  aussi  claire  avant 
la  dispute  des  pélagiens  qu'elle  l'a  été  depuis;  d'où  ce  grand 
homme  concluait  très  bien  qu'il  n'y  avait  jamais  eu  de 
variations  sur  ces  articles,  puisqu'il  était  bien  constant  que 
ces  saints  docteurs  n'avaient  fait  rien  autre  chose  que  «  de 
conserver  dans  l'Eglise  ce  qu'ils  y  avaient  trouvé ,  d'ensei- 
gner ce  qu'ils  y  avaient  appris  et  de  laisser  à  leurs  enfants 
ce  qu'ils  avaient  reçu  de  leurs  pères  (7).  » 

(I)  XXXIII. 
(-2)   XXXll. 

(3)  XXXIV. 

(4)  Dr   fjCSi.  Pelai/..  11.  i-2. 
(:i)  Lib.  IV  ad  lionif.,  c.  viii. 

(0)  Oy>.  impvr.  conl.  JuL.  lit).  I,  cap.  xii. 
(")  Lib.  II  conl.  JuL,  c.  X,  n.  3't. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  POLÉMISTE.  433 

Si  Ton  demande  maintenant  (1)  «  comment  donc  il  sera 
vrai  de  dire  que  l'Église  a  profité  par  les  hérésies  » ,  saint 
Aiff/iis/in  répondra  pour  nous  «  que  chaque  hérésie  intro- 
duit dans  FÉgiise  de  nouveaux  doutes,  contre  lesquels  on 
défend  l'Écriture  sainte  avec  plus  de  soin  et  d'exactitude 
que  si  on  n'y  était  pas  forcé  par  une  telle  nécessité  (2)  ». 
Le  célèbre  Vincent  de  Lérins  prendra  aussi  en  main  notre 
cause,  en  disant  (3)  que  «  le  profit  de  la  religion  consiste  à 
profiter  dans  la  foi  et  non  pas  à  la  changer,  qu'on  peut  y 
ajouter  i'intellig'ence ,   la  science,  la  sag'csse  »,  et  ce  qui 
tranche  en  un  mot  toute  cette  question,  «  que  les  dogmes 
peuvent  recevoir  avec  le  temps  la  lumière,  l'évidence,  la 
distinction,  mais  qu'ils  conservent  toujours  la  plénitude, 
l'intégrité,  la  propriété  ».  —  Que  si  l'on  nous  demande  en 
quoi  donc  ont  profité  à  l'Eglise  les  nouvelles  décisions,  le 
même  docteur  répondra  que   «  les  décisions  des  conciles 
n'ont  fait  autre  chose  que  de  donner  par  écrit  à  la  postérité 
ce  que  les  anciens  avaient  cru  par  la  seule  tradition  ;  que 
de  renfermer  en  peu  de  mots  le  principe  et  la  substance  de 
la  foi,  et  souvent,  pour  faciliter  l'intelligence ,  d'exprimer 
par  quelque  terme  nouveau,  mais  propre  et  précis,  la  doc- 
trine qui  n'avait  jamais  été  nouvelle,  en  sorte  qu'en  disant 
quelquefois  des  choses  d'une  manière  nouvelle,  on  ne  dit 
néanmoinsjamais  de  nouvelles  choses  :  Ut  cum  d/cas  novr, 
non  dicas  tiova...  L'Église  n'enseigne  jamais  des  choses 
nouvelles  (4),  et,  au  contraire,  elle  confond  tous  leshéréti- 
cjues  en  leur  faisant  voir  que  leur  doctrine   est  nouvelle. 
C'est  la  méthode  de  tous  les  Pères,  et   Vincent  de  Lérins , 
qui  l'a  si  bien  expliquée ,  n'a  fait  au  fond  que  répéter  ce  que 
TertiUlien,  saint  Athanase ,  saint  Augustin   et  les  autres 
avaient  dit  aux  hérétiques  de  leur  temps  et  par  des  volu- 
mes entiers.  Je  ne  veux  ici  rapporter  que  ce  peu  de  mots 
de  SRint  Athanase  :  «  La  foi  de  l'Église  catholique  est  celle 


(1)  i"  Avertis.,  XXXV. 

{i}  Lettres  6  et  7;  de  Dono  per.,  c.  xx. 

(3)  Corn.  I. 

(4)  1"  Avert.,  XXXvn. 

BOSSUET   ET  LES  SAINTS  PÈRES. 


434  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

que  Jésus-Christ  a  donnée,  que  les  Apôtres  ont  publiée,  que 
les  PfTPs  ont  conservée  :  l'Eglise  est  fondée  sur  cette  foi, 
et  celui  qui  s'en  éloiene  n'est  pas  chrétien  »...  Quand  nous 
parlons  des  sain/ s  Pores  ^  nous  parlons  de  leur  consente- 
ment et  de  leur  vinanimité.  Si  quelques-uns  ont  eu  quelque 
chose  de  particulier  dans  leurs  sentiments,  ou  dans  leurs 
expressions,  tout  cela  s'est  évanoui  et  n"a  pas  fait  tige  dans 
l'Église  :  ce  n'était  pas  là  ce  qu'ils  y  avaient  appris ,  ni  ce 
qu'ils  avaient  tiré  de  la  racine...  On  fera  donc  toujours  à 
une  secte  nouvelle,  avec  Viiueuf  de  Lrrins ,  ce  reproche  de 
saint  Paul  :  «  Est-ce  de  vous  qu'est  venue  la  parole  de  Dieu? 
ou  bien  n'est-elle  venue  qu'à  vous  seuls  (1)?  »  Ou,  pour 
parler  avec  saint  A/hanasr,  on  dira  aux  jfidèles  :  «  Distin- 
guez la  multitude  qui  défend  l'héritage  de  ses  Pères  d'avec 
la  multitude  qui  est  éprise  de  la  nouveauté.  » 

Après  cette  savante  et  triomphante  réplique  aux  accusa- 
tions téméraires  de  Jurieu  contre  les  Pères  des  trois  pre- 
miers siècles  de  l'Église,  au  sujet  de  la  prétendue  variabilité 
de  leur  doctrine,  Bossuet  fait  voir  (2i  que,  d'après  Jurieu, 
les  sociniens  sont,  non  seulement  chrétiens,  mais  encore 
catholiques,  et  que  ce  nom,  autrefois  si  précieux  et  si  cher 
aux  orthodoxes,  est  prodigué  jusqu'aux  ennemis  de  la  di- 
vinité du  Fils  de  Dieu.  «  Je  ne  m'étonne  donc  pas.  ajoute- 
t-il  (3),  si  ces  hérétiques  triomphent,  ni  s'ils  inondent  de 
leurs  écrits  artificieux  toute  la  face  de  la  terre...  Défiez- 
vous,  mes  chers  Frères  (i),  de  ces  dangereux  esprits,  de 
ces  hardis  novateurs,  en  un  mot  des  sociniens,  qui  bientôt, 
si  on  les  écoutait,  ne  laisseraient  rien  d'entier  dans  la  reli- 
gion chrétienne.  » 

Le  Deuxième  Avertissement ,  la  Ré  fur  me  convaincue  cV  er- 
reur et  (V impiété  par  ce  ministre,  et  le  Troisième  Avertis- 
sement,  Le  salut  dans  V Eglise  romaine  selon  ce  ministre. 
Le  fanalisme   élalfli   dans  la   l{éforn}('  par  les   ministres 


II)  I  Cor.  XIV.,  :«;. 
(i)  \"  Albert.,  \LI. 

(3)  XI.VII. 

(4)  1"'  Anert..  XI.VIII. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  POLEMISTE.  435 

Claude  et  Jurieii,  selon  la  doctrine  des  Quakers.  Tout  le 
parti  protestant  exclu  du  titre  d'Eglise  par  Jurieu ,  paru- 
rent en  novembre  et  décembre  1680.  Ils  ne  sont  que  le  dé- 
veloppement de  ces  paroles  de  Bossuet  :  «  Vous  avez  vu, 
mes  chers  Frères,  selon  ma  promesse,  dans  un  premier 
Avertissement ,  le  christianisme  flétri  et  le  socinianisme  au- 
torisé par  votre  ministre.  Vous  avez  été  étonnés  de  ce  qu'il 
a  dit  en  faveur  d'une  secte  qui  se  vante  d'avoir  porté  la  Ré- 
forme à  perfection ,  en  niant  la  divinité  du  Fils  de  Dieu  et 
en  affaiblissant  tout  le  christianisme.  Mais  cessez  de  vous 
arrêter  à  tant  de  choses  étrang^ess,  que  vous  avez  vu  qu'il  a 
avancées  sur  le  sujet  des  sociniens  :  il  en  a  dit  de  plus  essen- 
tielles contre  lui-même  et  contre  toute  la  Réforme,  puisqu'il 
l'a  chargée  d'erreurs  capitales ,  et  dans  son  commencement 
et  dans  son  progrès.  »  —  Voilà  l'objet  du  Deuxième  Aver- 
tissement —  ((  Il  en  a  dit  encore  Aq  plus  importantes  en  fa- 
veur de  VEglise  catholique ,  puisqu'il  a  dit  qu'on  peut  se 
sauver  dans  sa  communion.  »  —  C'est  le  sujet  principal 
du  Troisième  Avertissetuent. 

Il  est  évident  que  les  Pères  n'étaient  plus  en  cause  ,  quand 
il  s'agissait  d'établir,  d'après  Luther  dans  son  livre  De 
Servo  Arbitrio  et  d'après  Mélanchton  dans  ses  ouvrages,  que 
«  Dieu  fait  les  hommes  damnables  nécessairement  par  sa 
volonté,  et  que  l'adultère  de  David  et  la  trahison  de  Judas 
ne  sont  pas  moins  l'œuvre  de  Dieu  que  la  conversion  de  saint 
Paul  ».  Jurieu  a  beau  se  récrier,  dire  qu'il  n'est  jamais 
convenu  que  Luther  et  Mélanchton  eussent  professé  une 
pareille  doctrine,  et  citer  Bossuet  au  tribunal  de  Dieu  comme 
un  insigne  calomniateur.  Bossuet  montre  au  ministre  (1) 
qu'il  avait  entièrement  oublié  un  écrit  adressé  par  lui- 
même,  quelques  années  auparavant,  au  ministre  luthérien 
Sculter  et  où  il  avoue  tout  ce  dont  il  se  défend  maintenant, 
«  que,  d'après  Luther  et  Mélanchton,  Dieu  préordonne 
aux  péchés,  que  Dieu  pousse  aux  péchés,  qu'il  est  en  quel- 
que sorte  cause  du  péché  ». 

(1)  '!<'  Avert.,  II-VHI. 


436  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

«  M.  de  Meaux,  disait  Jurieu  (1  ),  devrait  bien  nous  appren- 
dre comment  la  prédétermination  physique  des  thomistes 
subsiste  avec  l'indifférence  de  la  volonté.  Il  devrait  nous 
faire  comprendre  comment  la  grâce  efficace  par  elle-même, 
que  lui-même  défend,  n'apporte  à  la  volonté  aucune  né- 
cessité. »  — L'objection  était  spécieuse;  mais  Bossuet  n'a 
garde  de  confondre  avec  les  vérités  de  foi  une  opinion  Ji- 
bre  comme  celle  de  mint  TJiomas  sur  la  conciliation  du  li- 
bre arbitre  et  du  concours  divin.  «  Il  voudrait,  répond-il  à 
Jurieu  (2),  que  je  lui  apprisse  comment  s'accorde  le  libre  ar- 
bitre, ou  le  pouvoir  de  faire  ou  de  ne  pas  faire,  avec  la 
grâce  efficace  et  les  décrets  éternels.  Faible  théolog-ien, 
qui  fait  semblant  de  ne  pas  savoir  combien  de  vérités  il 
nous  faut  croire,  quoique  nous  ne  sachions  pas  toujours  le 
moyen  de  les  concilier  ensemble.  Que  dirait-il  à  un  socinien 
qui  lui...  demanderait  (ï expliqiun-  comment  l'unité  de  Dieu 
s'accorde  avec  la  Trinité?. . .  Que  sert  d'alléguer  ici  la  grâce 
efficace  et  les  thomistes?  Ces  docteurs,  comme  les  autres 
catholicjues,  sont  d'accord  à  ne  point  mettre  dans  le  choix 
de  l'homme  une  inévitable  nécessité,  mais  une  liberté 
entière  de  faire  et  ne  faire  pas.  » 

Gomment  ne  pas  admirer  la  charité  sereine  avec  laquelle 
Bossuet  conclut  :  «  Souvenez-vous  maintenant,  mes  Frères, 
des  outrageantes  paroles  dont  a  usé  M.  Jurieu,  en  m'appe- 
lant  déclamateur,  calomniateur,  homme  sans  honneur  et 
sans  foi,  devant  Dieu  et  devant  son  juste  jugement.  Vous 
voyez  qu'il  avait  tort ,  et  il  employait  cependant  pour  vous 
tromper,  non  seulement  les  expressions  et  les  injures  les 
plus  atroces,  mais  encore  ce  qu'il  y  a  de  plus  saint  et  de 
plus  terrible  parmi  les  hommes.  Pour  toute  réparation  de 
tous  ces  excès,  je  vous  demande  seulement,  mes  Frères,  de 
le  bien  connaître  et  de  ne  plus  vous  laisser  émouvoir  à  ses 
clameurs,  lorsqu'il  se  plaint  qu'on  le  calomnie  (3).  » 

Jurieu  objectait   encore  que   les    molinistes  étaient  des 

(1)  IX. 

(2)  X. 

(.3)  2'  Averl.,  xn. 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  POLEMISTE.  437 

demi-pélagiens,  et  que  l'Ég-lise  romaine  «  tolère  un  péla- 
gianisme  tout  pur  et  tout  cru  ».  — Bossuet,  sans  partager 
l'opinion  des  molinistes,  les  défend  contre  Jurieu.  «  S'il 
avait  seulement  ouvert  leurs  livres,  dit-il,  il  aurait  appris 
qu'ils  reconnaissent  pour  tous  les  élus  une  préférence  gra- 
tuite de  la  divine  miséricorde,  une  grâce  toujours  préve- 
nante, toujours  nécessaire  pour  toutes  les  œuvres  de  piété; 
et  dans  tous  ceux  qui  les  pratiquent  une  conduite  spéciale 
qui  les  y  conduit.  C'est  ce  qu'on  ne  trouvera  jamais  dans  les 
semi-pélagiens...  Saint  Augustiti  est  aussi  du  nombre  des 
pélagiens,  ajoute  Bossuet  ironiquement,  puisqu'il  répète  si 
souvent,  même  contre  ces  hérétiques,  que  la  grâce  vient  de 
Dieu,  mais  qu'il  appartient  à  la  volonté  d'y  consentir  ou 
de  n'y  consentir  pas  [i],  » 

«  Personne,  je  l'oserai  dire,  lit-on  au  début  du  Troisième 
Avertissement,  n'a  jamais  plus  indignement  calomnié  l'E- 
glise romaine  que  le  ministre  Jurieu  ;  et  néanmoins  on  va 
le  voir  forcé  à  la  reconnaître  pour  la  cité  de  Dieu,  puisqu'il 
l'avoue  pour  vraie  Église  qui  porte  ses  élus  dans  son  sein 
et  dans  laquelle  on  se  sauve.  Il  nie  de  l'avoir  dit  et  peut- 
être  voudrait-il  bien  ne  l'avoir  pas  fait.  Mais  nous  allons 
vous  montrer,  et  cela  ne  nous  sera  point  fort  difficile ,  pre- 
mièrement, qu'il  l'a  dit;  secondement,  qu'il  faut  qu'il  le 
dise  encore  une  fois,  et  qu'il  justifie  l'Eglise  romaine  de 
toutes  les  calomnies  qu'il  lui  fait  lui-même ,  à  moins  de  ren- 
verser en  même  temps  tous  les  principes  qu'il  pose  et,  en 
un  mot ,  tout  son  système  de  l'Église.  » 

Voilà  ce  que  Tévêque  de  Meaux  établit  avec  une  lumineuse 
éloquence.  Il  venge  l'Église  romaine  de  l'accusation  d'ido- 
lâtrie,  formulée  par  Jurieu,  qui  prétendait  que,  par  le  culte 
des  saints,  inconnu  cent  ans  avant  saint  Léon,  l'idolâtrie 
régnait  dans  le  siècle  de  saint  Basile,  de  saint  Ambroise , 
de  saint  Chrysostome,  de  saint  Jérôme ,  de  saint  Grégoire  de 
Nazianze ,  de  saint  Augustin,  qui  honoraient  les  saints  et 
leurs  reliques.  «  Cette  superstition,  dit  Bossuet,  était-ce  une 

(1)  De  Spiritu  et  litl.,  c.  xxxiii,  n.  57  et  ."i8. 


438  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

idolâtrie,  ou  n'en  était-ce  pas  une?  Si  c'en  était  une,  ils 
sont  damnés;  et  si  ce  n'en  était  pas  une,  nous  sommes  ab- 
sous   Quelle  erreur  de  vouloir  excuser  les  Pères  et  les 

chrétiens  des  quatrième  et  cinquième  siècles ,  sous  prétexte 
qu'ils  n'idolâtraient  qu'en  particulier,  que  l'idolâtrie  n'é- 
tait pas  publique,  pendant  qu'on  nous  avoue  quelle  était 
i'rgiuml'',  pendant  qu'on  la  reconnaît  dans  les  sermons  de 
ces  Pères,  qui  sans  doute  étaient  publics?...  «  Qu'on  mette, 
disait  ^dimi  Ambroi.'ie ,  ces  triomphantes  victimes  (les  mar- 
tyrs et  leurs  reliques)  dans  le  lieu  où  Jésus-Christ  est  l'hos- 
tie. »  —  «  Les  fidèles,  dit  saint  Jérôme ,  regardent  les  tom- 
beaux des  saints  martyrs  comme  les  autels  de  Jésus-Christ.  » 
—  «  Nous  honorons  leurs  reliques,  dit  saint  Angtfstin ,  ^us- 
qu'à  les  placer  sur  la  sublimité  du  divin  autel.  »  —  «  Qu'on 
ne  dise  pas  que  ces  Pères  n'employaient  point  envers  Dieu 
les  mérites  des  saints;  car,  au  contraire,  on  convient  que 
c'est  par  là  qu'on  commença...  Qu'on  ne  dise  pas  que  du 
moins  F  Église  n'avait  pas  été  avertie  de  la  prétendue  erreur 
de  ce  culte;  car  elle  l'avait  été  par  Vigilance,  que  saint 
Jérôme  mit  en  poudre  dès  sa  naissance  (1).  » 

L'Église  romaine  n'est  pas  plus  antichrétienne  qu'elle 
n'est  idolâtre ,  et  il  ne  faut  point  voir  en  elle  la  Babylone  de 
V Apocab/pse  ;  car  d'abord  Luthériens  et  Zwingliens  met- 
taient au  nombre  des  saints  les  plus  zélés  défenseurs  de 
l'Église  et  de  la  croyance  romaine  :  xxnsdiini  Bernard ,  un 
saint  Bonaventure ,  un  saint  Franrois;  et  puis  Luther  re- 
connaissait en  termes  magnifiques  le  salut  et  la  sainteté  dans 
cette  Église  (2i;  enfin,  tous  ceux  qui  cherchent  la  vérité 
reconnaîtront  les  avantages  plus  éclatants  que  le  soleil  de 
l'Église  catholique  romaine  au-dessus  de  toutes  les  autres 
sociétés  qui  s'attribuent  le  titre  d'Église  (3).  «  Il  faudrait  y 
revenir  pour  assurer  son  salut,  comme  à  celle  à  qui  ses 
ennemis  mêmes  rendent  témoignage,  puisque  les  ministres, 
qui  l'attaquent  avec  tant  de  haine,  qui  osent  même  donner 


(1)  :r  Avcrt.,  IX. 
(3)  ;»'■  Ai'i;rt.,  XVI. 

(3)  xvn. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  POLÉMISTE.  439 

la  préférence  sur  elle  à  une  Eglise  arienne ,  sont  forcés  par 
la  vérité  à  la  reconnaître  ;  qu'ils  sont  encore  obligés  à  recon- 
naître dans  certains  points  l'autorité  infaillible  de  l'Église 
universelle  et  les  promesses  sur  lesquelles  elle  est  fondée  (1).  » 
Le  Quatrirmc  ArertisseuiPitt ,  La  Saint  été  rf  la  concorda 
(lu  mariage  (lirétien  violées; ,  parut  en  1690.  C'est  le  plus 
court  de  tous,  et  on  y  trouve  condensée  en  quelques  pages 
admirables  la  doctrine  de  l'Église  sur  l'unité  et  l'indissolubi- 
lité (2)  du  mariage  chrétien,  en  réponse  à  Jurieu  qui  avait 
osé  entreprendre  l'apologie  de  Luther  et  de  Mélanchton, 
autorisant ,  dans  une  consultation  célèbre ,  le  landgrave 
de  Hesse  à  garder  deux  femmes  à  la  fois  comme  épouses 
légitimes  :  Bossuet  avait  rapporté  le  fait  dans  le  VP  li- 
vre de  Y  Histoire  des  Variations ,  et  les  preuves  authenti- 
ques étaient  connues  de  toute  l'Europe. 

Le  Cinquième  Avprtissemfint ,  \q  Fondement  des  empires 
renversé  par  ce  ministre,  1C90,  est  un  magnifique  traité  de 
politique  toute  moderne,  où  sont  proposées  aux  médita- 
tions des  philosophes  et  des  hommes  d'État  les  questions  de 
l'autorité  des  rois,  de  la  souveraineté  du  peuple,  et  les 
maximes  éternelles  que  l'expérience  des  siècles  a  consacrées 
pour  le  repos  du  corps  social. 

Aux  maximes  séditieuses  qu'a  établies  Jurieu  et  qui  «  ten- 
dent à  la  subversion  de  tous  les  empires  et  à  la  dégra- 
dation de  toutes  les  puissances  établies  de  Dieu  »,  Bossuet 
oppose  l'esprit  de  l'Église,  tourmentée  et  persécutée  jus- 
qu'aux dernières  extrémités  durant  trois  cents  ans  :  «  C'est 
un  miracle  visible  qu'on  ne  voie,  durant  tous  ces  temps, 
ni  sédition,  ni  révolte,  ni  aigreur,  ni  murmure  parmi  les 
Chrétiens.  »  «  Plus  il  y  aura  de  chrétiens,  disaient-ils  (avec 
Tertullien)  (3)  à  leurs  persécuteurs,  plus  il  y  aura  de  gens 

(1)  xxxni. 

(!2)  Bossuet  ne  traite  pas  ex  professa  la  question  du  divorce.  Il  dit  seulement 
que  c'est  une  règle  inviolable  de  ne  point  permettre  les  secondes  noces  à  l'une 
des  parties  qu'après  que  les  preuves  de  la  mort  de  l'autre  sont  constantes.  On 
n'a  point  ègnrd  auv  captivités  ni  aux  absences  les  plus  longues  :  «  L'Église  parle 
toujours  pour  l'absent  et  ne  permet  pas  qu'on  l'oublie  ni  qu'on  mette  au  rang 
des  morts  celui  pour  qui  le  soleil  se  lève  encore  ». 

(3)  ApoL,  c.  xxxvi  et  seq. 


4iO  liOSSUET  ET  LES  SAINTS  PÈRES. 

de  qui  jamais  vous  n'aurez  rien  à  craindre.  »  Il  n'y  a  donc 
rien  de  plus  opposé  à  l'ancien  christianisme  que  ce  christia- 
nisme réformé  qui  fait  un  point  de  religion  de  la  révolte , 
tandis  que  l'autre  en  a  fait  un  de  l'ohéissance  et  de  la  fidé- 
lité (1).  )> 

«  La  Réforme  n'est  pas  chrétienne ,  parce  qu'elle  n'a  pas 
été  fidèle  à  ses  princes  et  à  sa  patrie  »  ,  voilà  la  thèse  que 
Bossuet  veut  établir. 

11  montre  d'abord  que  la  «  maxime  de  M.  Jurieu,  qu'on 
peut  faire  la  guerre  à  son  prince  et  à  sa  patrie  pour  dé- 
fendre sa  religion  »,  est  née  dans  l'hérésie,  comme  on  le  voit 
par  l'histoire  (2)  des  manichéens,  des  donatistes.  des  fu- 
reurs de  leurs  circoucellions  rapportées  en  tant  de  passages 
de  saint  Augustin,  des  albigeois,  des  vicléfites,  des  hussites, 
des  taborites,  des  luthériens  et  des  calvinistes.  La  Réforme 
est  convaincue  par  des  preuves  authentiques,  irrécusa- 
bles (3).  puisées  dans  les  registres  des  villes,  «  d'avoir  en- 
trepris par  maximes  et  comme  par  précepte  divin  les  guerres 
qu'elle  semblait  détester  au  commencement  ». 

Bossuet  discute  ensuite  la  réponse  qu'oppose  M.  Jurieu  à 
l'exemple  de  l'ancienne  Église,  où  «  la  soumission  des 
premiers  chrétiens,  dit-il,  n'était  que  de  conseil,  et  en  tout 
cas  un  précepte  accommodé  à  un  certain  temps  (i)  ».  «  Il  n'y 
a  personne  qui  ne  soit  touché ,  quand  on  voit  les  martyrs 
dans  leur  passion,  entre  les  mains  et  sous  les  coups  des 
persécuteurs,  les  conjurer  «  par  le  salut  et  la  vie  de  l'Em- 
pereur »,  comme  par  une  chose  sainte,  de  contenter  le  désir 
qu'ils  avaient  de  souffrir  pour  Jésus-Christ.  »  Saint  Jules  se 
fait  gloire  d'avoir  bien  servi  les  empereurs  à  la  guerre; 
cent  autres  en  ont  fait  autant.  Terliillieu,  dont  on  aurait  le 
plus  à  craindre  des  maximes  outrées,  n'hésite  point  à  dire 
au  sénat  et  aux  magistrats  de  Rome,  au  nom  de  tous  les 
chrétiens  :  «  Nous  sommes  comme  tous  les  autres  citoyens 


(1)  :;»  A)'erl..  I. 

(2)  m. 

(3)  Kpiiil.  III  ail  Virlorian. 
('»)  V.  VI,  VII. 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  POLÉMISTE.  441 

dans  les  exercices  ordinaires  :  nous  labourons ,  nous  navi- 
guons, nous  faisons  la  guerre  avec  vous,  etc.  (1).  »  Athéna- 
goras,  saint  Justin,  TertuUien,  «  commencent  par  déclarer 
qu'ils  ne  manquent  à  rien  ni  envers  Dieu ,  ni  envers  l'Em- 
pereur et  sa  famille;  qu'ils  paient  fidèlement  les  charg-es 
publiques  selon  le  commandement  de  Jésus- Christ  :  «  Ren- 
dez à  César  ce  qui  est  à  César  (2)  »  ;  qu'ils  font  des  vœux 
continuels  pour  la  prospérité  de  l'empire,  des  empereurs, 
des  officiers,  du  sénat,  des  armées;  qu'à  la  réserve  de  la 
religion,  dans  laquelle  leur  conscience  ne  leur  permet  pas  de 
s'unir  avec  eux,  ils  les  servent  avec  joie  dans  tout  le  reste, 
priant  Dieu  de  leur  donner  avec  la  souveraine  puissance  de 
saintes  intentions  (3)  ».  Ils  appellent  leur  fidélité  envers 
leurs  princes,  «  la  piété,  la  foi,  la  religion  envers  la  seconde 
majesté ,  envers  l'empereur  que  Dieu  a  établi  et  qui  exerce 
la  puissance  sur  la  terre  (4)  ».  Ils  disent  aux  persécuteurs 
par  la  bouche  de  TertuUien,  dans  la  plus  sainte  et  la  plus 
docte  Apologie  qu'ils  leur  aient  jamais  présentée  :  On  ne 
nous  a  pas  conseillé  de  nous  soulever;  mais  cela  nous  est 
défendu,  vetamur  (5);  ni  :  C'est  une  chose  de  perfection, 
mais  C'est  une  chose  de  précepte  ,  praeceptuni  est  nobis  • 
ni  que  c'est  bien  fait  de  servir  l'empereur,  mais  que  c'est 
une  chose  due,  débita  imperatoribus ,  et  due  encore,  comme 
on  a  vu ,  à  titre  de  religion  et  de  piété  :  Pietas  et  religio 
imperatoribus  débita;  ni  qu'il  est  bon  d'aimer  le  prince, 
mais  que  c'est  une  obligation  et  qu'on  ne  peut  s'en  empê- 
cher à  moins  de  cesser  en  même  temps  d'aimer  Dieu  qui  l'a 
établi:  Necesse  est  ut  et  ipsuw  flilif/at  (6).  C'est  pourquoi 
on  n'a  rien  fait  et  on  n'a  rien  dit,  durant  trois  cents  ans,  qui 
fit  craindre  la  moindre  chose  ou  à  l'empire  et  à  la  per- 
sonne des  empereurs  ou  à  leur  famille,  et  TertuUien  disait, 
comme  on  a  vu,  non  seulement  que  l'État  n'avait  rien  à 


(!)  Apolog.,  cap.  xxxvii,  xi.,  xl\  . 

(2)  Légat,  pro  Christ. 

(3)  Apolog.,  I,  1. 

('*)  Apolog..  ."i,  30,  3-2,  34,  3,-;,  30. 
(.■>)  Apolog.,  cap.  xxxii,  xxxvi. 
(0)  Ad  Scap.,  cap.  II. 


442  BOSSUEÏ  ET  LES  SAINTS  PERES, 

craindre  des  chrétiens,  mais  que,  parla  constitution  du 
christianisme,  il  ne  pouvait  arriver  de  ce  côté-là  aucun 
sujet  de  crainte  :  A  quibus  iu/iil  timpi-o  possitis,  parce 
qu'ils  sont  dune  religion  qui  ne  leur  permet  pas  de  se 
venger  des  particuhers  et  à  plus  forte  raison  de  se  soulever 
contre  la  puissance  publique...  Et  on  ne  peut  pas  ici  nous 
alléguer  le  caractère  excessif  de  TrrfuUifn,  ni  ces  maximes 
outrées,  qui  défendaient  de  prendre  les  armes  pour  quelque 
cause  que  ce  fût;  car  l'Église  ne  se  fondait  pas  sur  ces 
maximes,  qu'elle  réprouvait  (1  )  ». 

Jurieu  traitait  Tpi-tiilUon  de  déclamateur  et  d'esprit  ou- 
tré, lorsqu'il  dit  que  «  les  chrétiens  remplissaient  les  vil- 
les, les  citadelles,  les  armées,  les  palais,  etc.  ».  —  Bossuet 
lui  répond  que  «  si  l'Église,  si  étendue  du  temps  des  Apôtres 
saint  Jacques  et  saint  Paul ,  qui  disaient  que  «  la  foi  était 
annoncée  par  tout  l'univers  (*2)  »,  ne  cessait  de  s'augmenter 
tous  les  jours  sous  le  fer  et  le  feu ,  comme  il  avait  été  pré- 
dit, ce  n'était  pas  un  excès  à  TertuUien  de  dire,  deux 
cents  ans  après  la  prédication  apostolique,  que  tout  était 
plein  de  chrétiens.  «  Les  gentils  eux-mêmes  en  convenaient. 
C'étaient  eux,  dit  TertuUien,  qui  se  plaignaient  qu'on  trou- 
vait partout  des  chrétiens;  que  la  campagne,  les  lies,  les 
châteaux,  la  ville  même  en  était  obsédée  (3).  »  Quelque 
outré  qu'on  s'imagine  TertuUien,  l'Église  pour  qui  il  parlait 
lui  aurait-elle  permis  ces  prodigieuses  exagérations,  afin 
qu'on  pût  la  convaincre  de  faux  et  qu'on  se  moquât  de  ses 
vanteries?  Quand  donc  TertuUien  dit  aux  gentils  que  les 
chrétiens  pouvaient  se  faire  craindre  à  l'empire,  autant  du 
moins  que  les  Parthes  et  les  Marcomans,  si  leur  religion 
leur  permettait  de  se  faire  craindre  à  leurs  souverains  et  à 
leur  patrie  '  'n  ,  si  c'était  une  expression  forte  et  vigoureuse, 
ce  n'était  pas  une  vaine  ostentation.  «  Nous  faisons,  disait 
TertuUien  (5),  presque  l;i  plus  grande  partie  de  toutes  les 

(1)  ."i"  Averl.,  XIII. 

(2)  Rom.,  1,.{;  Col..  I,  (i. 

(3)  Ad  .lui.  Jusl.  Adv.  Tri/p/i. 
('.)  Apolofj..  c.  .■}". 

(•'»)  Ad  Srap.,  c.  ii. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  POLEMISTE.  443 

villes.  »  Et  encore  :  «  Que  n'y  aurait-il  pas  à  craindre  de 
gens  si  unis,  si  courageux,  ou  plutôt  si  intrépides,  et  en 
même  temps  si  maltraités  (1)?  »  «  Mais,  ajoute-t-il,  non 
seulement  il  ne  s'est  point  trouvé  parmi  nous  de  Niger,  ni 
d'Albin,  ni  de  Gassius;  mais  il  ne  s'y  est  point  trouvé  de 
Négrieus,  ni  de  Cassiens,  ni  d'Âlbiniens.  »  Si  TertuUien  est 
outré  quand  il  raconte  la  multitude  des  fidèles,  saint  O/- 
jirien  ne  l'est  pas  moins,  lorsqu'il  écrit  à  Démentrien,  un 
des  plus  grands  ennemis  des  chrétiens  :  «  Admirez  notre 
patience  de  ce  qu'un  peuple  si  prodigieux  ne  songe  pas 
seulement  à  se  venger  de  votre  injuste  violence.  >>  Eusi-he 
raconte  que,  sous  Dioclétien,  les  tyrans  étaient  obligés  «  par 
une  feinte  pitié  à  modérer  la  persécution,  pour  flatter  le 
peuple  romain,  dont  les  Chrétiens  faisaient  dès  lors  une 
partie  si  considérable  ».  On  trouve  dans  Eusèhp  et  Lactance 
les  derniers  ordres  que  saint  Maurice  et  la  légion  thébaine 
donnèrent  aux  députés  de  leur  corps  pour  porter  leurs 
sentiments  à  Maximien  :  «  On  y  voit  les  saintes  maximes 
des  chrétiens  fidèles  à  Dieu  et  au  prince ,  non  par  faiblesse 
mais  par  devoir.  »  A  la  fin,  on  eut  la  paix,  mais  sans  force, 
et  seulement,  dit  ^Kuii  Augustin,  «  à  cause  que  les  chrétiens 
firent  honte,  pour  ainsi  dire,  aux  lois  qui  les  condamnaient 
et  contraignirent  les  persécuteurs  à  les  changer  ».  «  Julien, 
dit  saint  Grégoire  de  Nazianzp  (2  > ,  ne  songea  pas  que  les 
persécutions  précédentes  ne  pouvaient  pas  exciter  de  grands 
troubles,  parce  que  notre  doctrine  n'avait  pas  encore  toute 
son  étendue  et  que  peu  de  gens  connaissaient  la  vérité  (3 )  ; 
mais  maintenant  que  la  doctrine  salutaire  s'était  étendue 
de  tous  côtés  et  qu'elle  dominait  principalement  parmi 
nous,  vouloir  changer  la  religion  chrétienne,  ce  n'était  rien 
moins  entreprendre  que  d'ébranler  l'empire  romain  et 
mettre  tout  au  hasard.  »  Saint  (rrégoii'f^  dp  Nazianzc  ra- 
conte encore   que  des  soldats    chrétiens  ayant    brûlé  de 


(1)  Apol.,  c.  XXXVII. 

(2)  Oral.  3  in  Jul. 

(3)  «  Ce  qu'il  faut  faire  toujours  enteiulre.  dit  Bossuet,  en  comparaison  du  pro- 
digieux accroissement  arrivé  durant  la  paiv  sous  Constantin  et  sous  Constance.  » 


444  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

l'encens  devant  les  idoles  et  la  statue  de  Julien,  lui  rap- 
portèrent le  don  quils  venaient  d'en  recevoir  pour  prix  de 
ce  culte  ambigu  :  «  Nous  sommes,  nous  sommes  chrétiens, 
dirent-ils,  et  le  don  que  nous  avons  reçu  de  vous  n'est  pas 
un  don,  mais  la  mort  !li.  »  «  Quand  Julien  leur  disait  : 
Offrez  de  l'encens  aux  idoles,  ils  le  refusaient  ;  quand  il  leur 
disait  :  iMarchez,  combattez,  ils  obéissaient  sans  hésiter, 
comme  dit  saint  Augustin  ;  ils  distinguaient  le  Roi  éternel, 
parce  que,  dit  le  même  Père,  lorsque  les  impies  deviennent 
rois,  c'est  Dieu  qui  le  fait  ainsi  pour  exercer  son  peuple,  de 
sorte  qu'on  ne  peut  pas  ne  pas  rendre  à  cette  puissance 
l'honneur  qui  lui  est  dû,  ce  qui  détruit  en  un  mot  toutes 
les  gloses  de  M.  Jurieu  (2).   » 

Cependant  Bossuet  insiste  et  prouve  que  l'empereur  Julien 
lui-même  n'entra  jamais  dans  aucune  défiance  de  ses  sol- 
dats qu'il  persécutait  (3),  et  que  Juventin  et  Maximin,  deux 
hommes  de  guerre  de  grande  distinction  parmi  les  trou- 
pes, «  moururent,  aii  rapport  de  Théodoret,  en  lui  repro- 
chant ses  idolâtries  et  lui  disant  en  même  temps  qu'il  n'y 
avait  que  cela  qui  leur  déplût  dans  son  empire  (4)  »;  ils 
montraient  bien  en  cela  qu'ils  distinguaient  ce  que  Dieu 
avait  mis  dans  l'empereur  de  ce  que  l'empereur  faisait 
contre  Dieu. 

Les  chrétiens,  obéissants  sous  les  princes  infidèles  le 
furent  aussi  sous  les  princes  hérétiques,  «  parce  que  le 
règne  et  l'autorité  de  régner  viennent  de  Dieu  et  qu'il  faut 
rendre  à  César  ce  qui  est  à  César  ».  C'est  ce  qu'enseignait 
saint  Hilaire ;  c'est  ce  qu'enseignait  Osius,  écrivant  à  l'em- 
pereur au  nom  de  tous  les  évêques  :  l>ieu  vous  a  commis 
l'empire  et  à  nous  l'I^^glise;  et  comme  celui  qui  aftaiblit 
votre  empire  par  des  discours  pleins  de  haine  et  de  mali- 
gnité, s'oppose  à  l'ordre  de  Dieu  ,  ainsi  vous  devez  prendre 
garde  que,  tâchant  de  vous  attirer  ce  qui  appartient  à 


(I)  Orutio  3. 

(-2)  5«  Averl.,  XYI  et  XVII. 

(M)  XVII. 

('»)  T/icof/.,  III.  Ki. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  POLEMISTE.  445 

l'Église,  VOUS  ne  vous  rendiez  coupable  d'un  grand  crime. 
Rendez  à  César  ce  qui  est  à  César,  et  à  Dieu  ce  qui  est  à 
Dieu  ;  ainsi  ni  Tempire  ne  nous  appartient,  ni  l'encensoir,  ni 
les  choses  sacrées  ne  sont  à  vous  (  1  j.  »  Saint  Athanase  n'avait 
point  d'autre  sentiment,  lorsqu'il  protestait  au  même  em- 
pereur de  lui  être  toujours  obéissant  et  lui  déclarait  que  lui 
et  les  catholiques  dans  toutes  leurs  assemblées  lui  souhai- 
taient une  longue  vie  et  un  règne  heureux.  Tous  les  évèques 
lui  faisaient  de  pareilles  déclarations  et  même  dans  les  con- 
seils. Ce  courageux  confesseur  de  Jésus-Christ,  saint  Lucifrr 
de  Cagliari ,  adressa  à  cet  empereur  un  livre  dont  le  titre 
était  :  Quil  ne  faut  point  épargne)'  ceux  qui  offensent 
Dieu  en  reniant  son  fils;  toutefois,  il  y  établit  comme  un 
principe  constant  «  qu'on  demeure  toujours  débiteur  envers 
les  puissances  souveraines,  selon  le  précepte  de  l'Apôtre  »; 
de  sorte  qu'il  n'y  a  rien  à  faire  contre  l'empereur  que  «  de 
mépriser  les  ordres  impies  qu'il  donne  contre  Jésus-Christ, 
et  tout  au  plus  lui  dénoncer  librement  qu'il  est  ana- 
thème  (2)  ».  Saint  Athanase ,  accusé  d'avoir  aigri  contre 
Constance  l'esprit  de  ses  frères,  s'en  défend  comme  d'un 
crime ,  en  faisant  voir  à  Constance ,  dont  il  était  sujet,  qu'il 
ne  lui  avait  jamais  manqué  de  fidélité.  Saint  Basile  rendit 
à  Modeste,  que  l'empereur  lui  envoyait,  toutes  sortes  de 
devoirs  (3).  Eusèbe  de  Samosale ,  craignant  quelque  émo- 
tion populaire  contre  celui  qui  lui  portait  l'ordre  de  se  re- 
tirer, l'avertit  de  prendre  garde  à  lui  et  lui  récita  ce 
précepte  apostolique  «  qu'il  faut  obéir  aux  rois  et  aux  ma- 
gistrats (4)  ».  Saint  Ambroise  était  le  plus  fort  dans  Milan, 
lorsque  l'impératrice  Justine,  arienne,  y  fit  faire  tant  de 
violences  en  faveur  des  hérétiques;  mais  il  n'en  fut  pas 
moins  soumis,  ni  n'en  retint  pas  moins  tout  le  peuple  dans 
le  respect,  disant  toujours  :  «  Je  ne  puis  pas  obéir  à  des 
ordres  impies,  mais  je  ne  dois  point  combattre;  toute  ma 


(1)  Apiid  Athanas..  Histor.  Arian..  n.  4't. 
(•2)  Athan.  Epis  t.  de  Syn. 

(3)  Greg.  Naz.  Oral.  -20. 

(4)  Ibidem. 


446  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

force  est  dans  mes  prières,  etc  (1).  »  Et  quand  le  peuple 
disait  :  «  0  César,  nous  ne  combattons  pas ,  mais  nous  vous 
prions  »,  saint  Ambroise  s'écriait  :  «  Voilà  parler,  voilà  agir 
comme  il  convient  à  des  chrétiens.  »  Sous  l'impitoyable 
persécution  des  Genséric  et  des  Hunéric ,  ariens ,  les  catho- 
liques résistèrent,  dit  saint  Gélasp,  mais  ce  fut  «  en  endu- 
rant avec  patience  les  dernières  extrémités  (2)  »,  Saint 
Fulqence ,  l'honneur  de  l'Afrique  comme  de  toute  l'ÉgHse 
d'alors,  écrivait  à  un  de  ces  rois  hérétiques  (3)  :  «  Quand 
nous  vous  parlons  librement  de  notre  foi,  nous  ne  devons 
pas  pour  cela  vous  être  suspects  ou  de  rébellion  ou  d'irré- 
vérence ,  puisque  nous  nous  souvenons  toujours  de  la  di- 
gnité royale  et  des  préceptes  des  Apôtres  qui  nous  ordon- 
nent d'obéir  au  roi.  » 

«  Ainsi,  conclut  Bossuet.  fort  de  l'autorité  des  Pères  des 
cinq  premiers  siècles  de  l'Eglise,  ainsi  l'opposition  entre  les 
premiers  chrétiens  et  nos  chrétiens  réformés  est  infinie.  » 

Mais  Jurieu  a  produit  des  exemples  «  en  faveur  des  guer- 
res civiles  de  religion  »,  et  d'abord  celui  de  Jésus-Christ 
même  disant  à  ses  Apôtres ,  le  soir  de  la  Cène  :  «  Prenez 
vos  épées.  »  —  Bossuet  répond  que  le  Sauveur,  en  déclarant 
aux  Juifs  «  qu'il  était  tous  les  jours  au  milieu  d'eux  et  qu'ils 
ne  l'avaient  pas  arrêté  » ,  leur  en  reconnaissait  le  droit  et 
qu'il  avait  repris  saint  Pierre  d'avoir  frappé  des  soldats.  Il 
faut  donc  conclure  de  ce  passage,  comme  fait  saint  Chrijsos- 
lonie,  «  qu'on  doit  souffrir  les  persécutions  avec  patience  et 
douceur,  et  que  c'est  là  ce  que  le  Sauveur  a  voulu  mon- 
trer (4)  ». 

Les  autres  exemples  apportés  par  Jurieu  et  tirés  des  Ma- 
chabécs  et  de  David  ne  sont  pas  plus  concluants  que  le  pre- 
mier. Il  en  est  de  même  des  raisonnements  du  ministre  en 
faveur  des  guerres  de  religion  :  «  Le  droit  de  la  propre 
conservation  est  un  droit  inaliénable  »,  dit-il.  Mais  les  chré- 


(I)  Oralio  de  Basil.,  episl.  3-2.  nunc  -21. 

(-2)  J£j/i.s/.  i-i. 

{'.i)  Ad  Trasim.  lib.  I,  c.  ii. 

('*)  lloviil.  83  in  Joan. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  POLEMISTE,  447 

tiens  persécutés  n'ont  jamais  songé  à  ce  prétendu  droit  à 
l'insurrection.  Antioche  n'y  pensait  pas,  lorsqu'elle  fut  me- 
nacée d'être  ruinée  par  ïhéodose  le  Grand,  dont  elle  avait 
renversé  les  statues.  Saint  Chrijsostome  met  cette  raison 
dans  la  bouche  de  Flavien,  qu'il  n'était  pas  juste  de  punir 
toute  une  ville  de  l'attentat  de  quelques  particuliers;  mais 
il  ne  venait  à  la  pensée  de  personne  qu'il  fût  permis  de  dé- 
fendre sa  vie  contre  le  prince;  au  contraire,  on  ne  parlait 
à  ce  peuple  que  de  révérer  le  magistrat.  «  C'est  ce  que  saint 
Chri/sosto)ii('  inculquait  sans  cesse,  et  ce  Démosthène  chré- 
tien fit  sur  ce  sujet  des  homélies,  dignes,  par  leur  élo- 
quence, de  l'ancienne  Grèce ,  et  dignes,  par  leur  piété,  des 
temps  apostoliques  (1  ). 

«  J'ai  achevé  ma  démonstration,  dit  Bossuet  (2i,  et  la 
Réforme  est  convaincue  d'avoir  eu,  dès  son  origine  un  es- 
prit contraire  à  l'esprit  du  christianisme  et  à  celui  du  mar- 
tyre ;  à  quoi  on  peut  ajouter  les  assassinats  concertés  visi- 
blement par  le  parti ,  tel  qu'a  été  celui  de  François ,  duc  de 
Guise...  Les  Protestants  ne  peuvent  se  réclamer  que  des 
donatistes,  dont  la  fureur,  dit  saint  Aiir/ustin,  longtemps 
déchargée  contre  les  catholiques,  se  tourna  enfin  contre 
eux-mêmes.  » 

Bossuet  traite  alors  (c  de  la  souveraineté  du  peuple ,  prin- 
cipe de  la  politique  de  Jurieu  »;  il  montre  à  «  quelle  pro- 
fanation de  l'Ecriture  »  le  ministre  s'est  livré  «  pour  l'éta- 
blir ».  Telle  est  pourtant  la  hauteur  et  la  largeur  de  vues  de 
l'évêque  de  Meaux  que  M.  Lanson  lui  rend  hommage  en 
termes  éloquents  et  montre  qu'il  n'y  a  pas  «  tant  de  quoi  se 
scandaliser,  quand  on  voit  Bossuet  nier  la  souveraineté 
absolue  du  peuple ,  c'est-à-dire  le  prétendu  droit  à  l'insur- 
rection, qui  n'est  qu'une  pernicieuse  utopie  (3  )  »  et  la  cause 
infaillible  de  la  révolution  en  permanence,  ou  plutôt  de 
l'anarchie.  Il  ne  censure  ni  ne  blâme  aucune  forme  de  gou- 
vernement (Vj,  et  il  est  bien  éloigné  de  croire  que  tous  les 

(1)  5'=  Avert..  XXXI. 
(-2)  XXXIV. 

(3)  Bossuet,  p.  '230. 

(4)  «  Je  ne  prétends  pas  disputer,  dit-il.  qu'il  ne  puisse  y  avoir  d'autre  forme  de 


448  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

peuples  doivent  être  gouvernés  par  des  monarques  plus  ou 
moins  absolus.  Mais  il  ne  veut  à  aucim  prix  du  principe  gé- 
néral de  Jurieu  :  la  souveraineté  réside  dans  le  peuple 
comme  dans  sa  source ,  et  il  est  le  maître  d'en  conférer  ou 
d'en  ôter  l'exercice  au  gré  de  sa  volonté. 

Le  Sixième  et  derijiei'  Avertissejiient ,  V Antiquité  éclair- 
ci  e  su/'  r  immutabilité  (le  Vêtre  divin  et  sur  V  égalité  des  trois 
jjersonnes.  Vétat  présent  des  controverses  et  de  la  religion 
protestante  [i] ,  parut  en  1691.  C'est  le  plus  important  de 
tous  à  cause  des  questions  qui  y  sont  traitées,  à  cause  de 
l'étendue  que  Bossuet  a  donnée  à  leur  développement,  à 
cause  surtout  de  la  force  et  de  la  vigueur  de  ses  raisons. 

Des  trois  parties  de  ce  magnifique  ouvrage  de  contro- 
verse, les  deux  dernières  :  Que  h'  ministre  ne  peut  se  défen- 
dre d'apjprouver  la  tolérance  universelle  et  Etat  présent 
des  controverses  et  de  la  religion  protestante ^  n'ont  qu'un 
rapport  fort  éloigné  avec  les  saints  Pères,  Aussi  bien  Bossuet 
n'en  parle-t-il  presque  pas.  «  S'il  lisait  les  anciens  doc- 
teurs, dit-il  à  propos  de  .lurieu  (2),  avec  un  autre  esprit 
que  celui  de  contention  et  de  dispute,  il  aurait  vu  dans 
saint  Athanase ,  dans  saint  Augustin ,  dans  tous  les  Pères , 
et  dès  le  commencement  de  l'arianisme,  dans  saint  yl/(?j:aw- 
dre  d'Ale.randrie ,  les  relations,  les  propriétés,  les  notions 
et  les  caractères  particuliers  des  personnes  divines.  »  Athé- 
nagore  et  saint  Irénée  (3)  ont  avec  raison  «  opposé  les 
hommes  qui  ont  été  faits  au  Verbe  dont  la  coexistence  est 
éternelle  ».  «  Pour  ce  qui  regarde  Tertullien ,  quand  il  lui 
serait  échappé  d'employer  une  fois  ou  deux  le  mot  de  faire , 
au  lieu  de  celui  <ï engendrer  {k),  il  faudrait  mettre  cette 
négligence  parmi  celles  que  saint  Athanase  a  remarquées 
dans  les  écrits  de  quelques  anciens  (5) ,  «  où  une  bonne 
intention  supplée  à  une  expression  trop  simple  »  et  trop 

gouvernement,  ni  même  examiner  si  le  gouvernement  monarchique  est  le  meil- 
leur... » 

H)  Contre  la  sixième,  sc|)lième  et  liuitième  lettres  du  Tableau  de  M.  Jurieu. 

(2)f;xiii. 

(3)  Iren.  lib.  II,  c.  lxmi. 

(4)  Il  s'agit  du  Père  engendranl  le  Verbe,  mais  ne  le  créant  pas. 
(.';)  Oral.  :\  et  4. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  POLEMISTE.  449 

peu  précautionnée.  Car  au  reste,  TertuUien,  dans  le  livre 
le  plus   suspect,  qui  est  celui  Contre  Hermogène,  a  bien 
montré  qu'à  Texemple  des  (uilrcs  Pitres ,  il  exceptait  le  Fils 
de  Dieu  du  nombre  des  choses  faites ,  comme  celui  par  qui 
tout  était  fait;  et  il  ne  dit  pas  absolument  dans  son  livre 
contre  Praxéas  ce  que  le  ministre  lui  a  fait  dire ,  que  Dieu 
a  fait  son  Fils  et  son  Verbe  » .  —  Bossuet  défend  encore 
[Troisième parlie ,  LXX)  les  Peines  «  des  quatrième  et  cin- 
quième siècles,    les  derniers  de  la  pureté  de  l'Église   », 
d'après  Jurieu ,  qui  néanmoins  prétend  nous  faire  trouver 
en  eux  le  règne  de  l'idolâtrie  antichrétienne  et  même  l'An- 
téchrist dans  la  personne  de  saint  Léon,  Il  défend  aussi  les 
Pères  des  conciles    de  Nicée,   d'Éphèse,    de  Chalcédoine, 
contre  les  attaques  de  Jurieu.  Il  montre  (li  que  saint  .1^/- 
(/ustin  a  «  très  bien  répondu,  en  plusieurs  de  ses  ouvra- 
ges »,  à  ce  principe  des  sociniens  ((  qu'on  ne  peut  nous 
obliger  à  croire  ce  que  nous  ne  connaissons  pas  clairement, 
et  qu'il  a  persuadé  tout  le  monde,  excepté  les  sociniens 
et  M.  Basnage  ».  Ce  dernier  prétend  que  «  saint  Augustin 
réfute  ce  principe  de  la  manière  la  plus  pitoyable  ».  C'était 
peu  de  dire  la  plus  faible,  ou  s'il  voulait  la  plus  fausse  ;  pour 
insulter  plus  hautement  à  saint  Augustin,  il  fallait  dire  la 
plus  pitoyable;  et' cela  sans  alléguer  la  moindre  preuve, 
sans  se  mettre  du  moins  en  peine  de  dire  mieux  que  saint 
Augustin,  ni  de  détruire  un  principe  dont  il  sait  que  les 
sociniens  aussi  bien  que  les  manichéens  font  leur  appui.  Il 
leur  a  voulu  faire  le  plaisir  de  leur  donner  gain  de  cause 
contre  saint  Augustin,  et  persuader  à  tout  le  monde  qu'un 
docteur  si  éclairé  est  demeuré  court  en  attaquant  le  principe 
qui  fait  tout  le  principe  de  leur  hérésie  ».  —  «  M.  Claude, 
dit  encore  Bossuet  f2) ,  toujours  prêt  à  défendre  la  mémoire 
«  du  docteur  des  docteurs  »,  M.  Claude  ne  craint  pas  d'as- 
surer que   «   saint  Augustin  flétrit  sa  mémoire,  lorsqu'il 
soutint  qu'il  fallait  persécuter  les  hérétiques  et  les  contrain- 
dre à  la  foi  orthodoxe,  ou  bien  les  exterminer  »,  ce  qui  est, 

(1)  •;■=  Averl.,  LXXII. 
(-2)  6"  Averl.,  LXX XIX. 

BOSSUET   ET  LES  SAINTS  PÈRES.  2<| 


450  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

poursuit  ce  ministre ,  un  sentiment  fort  terrible  et  fort  in- 
humain )).  Saint  Augustin  ne  proposait  pas  les  derniers 
supplices,  et  s'il  voulait  qu'on  exterminât  les  donatistes, 
ce  n'était  que  par  les  moyens  que  M.  Jurieu  approuve  à 
présent.  Si  donc  c'est  le  sentiment  des  principaux  docteurs 
de  la  Réforme  que  saint  Augustin  a  flétri  sa  mémoire  par 
cette  doctrine,  les  tolérants  concluent  de  même  que  M.  Ju- 
rieu se  déshonore  en  conseillant  des  rigueurs  qu'il  avait 
autrefois  condamnées.  »  —  Bossuet  défend  aussi  (1)  saint 
Jn'ômf%  accusé  par  Luther  d'avoir  voulu  abolir  le  terme 
consubstantiel.  «  C'est  imposer  à  saint  Jérôme;  c'est  mentir 
à  la  face  du  soleil  que  de  parler  de  cette  sorte,  à  moins  de 
vouloir  compter  parmi  les  plus  excellents  hommes  de  l'Église 
les  ariens  et  les  demi-ariens,  qui  seuls  se  sont  opposés  au 
consubstantiel  de  iSicée.  » 

Mais  c'est  surtout  dans  la  PrcinU'rf'  partie  du  Sixième 
Avertissement,  que  Bossuet  se  montre  encore  une  fois  le 
champion  invincible  des  Pères  du  deuxième,  du  troisième 
et  même  du  quatrième  siècle ,  accusés  par  Jurieu  de  grandes 
et  notables  variations  dans  la  foi,  à  propos  de  l'immutabi- 
lité de  Dieu,  de  la  Trinité  et  de  l'Incarnation,  «  ce  qui  est 
un  coup  de  foudre,  qui  réduit  à  néant  l'argument  tiré  » 
contre  les  protestants  de  leurs  variations.  Il  établit  «  que  le 
ministre  renverse  ses  propres  principes  et  le  fondement  de 
la  foi  par  les  variations  qu'il  introduit  dans  l'ancienne 
Église  {•2)  ». 

«  Que  de  redites  importunes!  dira  M.  Jurieu.  Il  est  vrai, 
ce  sont  des  redites.  J'ai  relevé  toutes  les  erreurs  de  M.  Ju- 
rieu dans  mon  premier  Avertissement;  mais  je  ne  vois  pas 
qu'on  puisse,  sans  les  répéter,  lui  faire  voir  qu'il  songe 
seulement  à  y  faire  la  moindre  réponse  dans  l'ouvrage  qu'il 
vient  de  donner  pour  sa  défense...  Pourquoi  donc  se  tait-il 
sur  tous  ces  points,  si  ce  n'est  qu'il  évite  encore  autant 
qu'il  peut  iM.  de  Meaux?...  Il  ne  s'attache  qu'à  la  Trinité,  et 
il  espère  se  sauver  mieux  parmi  les  ténèbres  d'un  mystère 

(1)  CVIII. 

(-2)  C'est  le  titre  même  de  celle  Prciniéir  parlic. 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  lîOSSUET  POLEMISTE.  451 

si  impénétrable.  Il  reste  donc  à  lui  faire  voir  qu'il  s'y  abîme 
plus  visiblement  que  dans  les  autres  articles  et  que  ses  ex- 
cuses sont  de  nouveaux  crimes,  » 

Bossuet  fait  voir  qu'il  se  justifie  d'un  blasphème  par  un 
autre  blasphème,  à  propos  de  TcrhiUunt ,  avec  qui  il  veut 
que  les  autres  anciens  soient  d'accord ,  et  à  qui  il  fait  dire 
d'abord  «  que  le  Fils  de  Dieu  n'a  été  personne  distincte 
de  celle  du  Père  qu'un  peu  avant  la  création  » ,  puis  que 
«  le  Verbe,  caché  dans  le  sein  du  Père  comme  sapience, 
était  seulement  son  Fils  et  son  Verbe  en  germe  et  en  se- 
mence (1)  ». 

«  Il  en  est  de  même  des  autres  pensées  que  le  ministre 
attribue  ou.t  Pères.  Par  exemple,  il  leur  fait  nier  l'éter- 
nité de  la  génération  du  Fils;  il  s'explique  :  l'éternité  de 
la  seconde  génération,  il  l'avoue;  de  la  première,  il  le 
nie.  Il  fallait  donc  deviner  ces  deux  générations  dont  il  ne 
disait  pas  un  seul  mot...  Les  autres  opinions  que  le  mi- 
nistre avait  imputées  aux  saints  docteurs  ne  sont  pas  mieux 
excusées;  et  il  n'y  a  personne  qui  ne  voie  que  ce  qu'il  dit 
aujourd'hui  dans  son  Tableau  esi  une  réformation,  et  non 
une  explication  de  son  système.  Pitoyable  réformation, 
puisque ,  loin  de  le  relever  du  blasphème  dont  il  a  été  con- 
vaincu, elle  l'y  enfonce  de  nouveau  (2  .  »  —  Bossuet  si- 
gnale encore  (3)  «  des  extravagances,  qu'on  nous  débite 
comme  des  oracles  »  et  qui  consistent  à  faire  dire  par  les 
Pères  des  trois  premiers  siècles  «  que  les  deux  personnes, 
le  Fils  et  le  Saint-Esprit,  étaient  renfermées  dans  le  sein  de 
la  première,  comme  un  enfant  est  enfermé  dans  le  sein  de 
sa  mère  ».  Voulez-vous  ouïr  un  autre  argument  également 
clair?  Écoutez  ce  qu'on  attribue  à  Tertullien  et  aux  aiilres 
Pères  :  «  Dieu  dit  :  Que  la.  lumière  soit.  Voilà  la  seconde 
génération  du  Fils,  ce  que  Tertullien  appelle  la  parfaite 
naissance  du  Verbe,  et  qui  fait  voir  qu'il  en  reconnaissait 
une  autre  imparfaite  en  comparaison  de  celle-ci. . .  Si  ce  n'est 


(l)(i«  Avcrt..  IV,  V  et  VI. 

(-2)  VII. 

(3)  VIII  et  IX. 


452  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

pas  là  blasphémer  en  termes  formels  contre  le  Père  et  le 
Fils,  je  ne  sais  plus  ce  que  c'est.  » 

Bossuet  met  ensuite  en  lumière  «  l'erreur  du  ministre, 
qui  ne  veut  voir  la  parfaite  immutabilité  de  Dieu  ni  dans  les 
Pèi'ps  ni  dans  FÉcriture  même...  S'il  avait  lu  posément  le 
seul  livre  de  Tcrtullicn  contre  Praxéas,  il  y  aurait  trouvé  ces 
paroles  sur  la  personne  du  Fils  de  Dieu  :  «  Étant  Dieu ,  il 
faut  le  croire  immuable  et  incapable  de  recevoir  une  nou- 
velle forme ,  parce  qu'il  est  éternel.  » 

L'auteur  du  LiiTe  de  la  Trinité ,  qu'on  croit  être  Nura- 
tien ,  suit  les  idées  de  Tertullien  et  déclare  comme  lui  que 
«  tout  ce  qui  change  est  mortel  par  cet  endroit-là.  »  «  Ce 
qui  fait  Dieu,  dit  encore  Tertullien ,  c'est  qu'il  est  toujours 
ce  qu'il  est.  »  Théophile  (VAntioche  procède  de  même  : 
«  Parce  que  Dieu  est  ingénérable,  c'est-à-dire  éternel,  il  est 
aussi  inaltérable.  »  Athénagore  dit  aussi  que  «  la  Divinité 
est  immortelle,  incapable  de  mouvement  et  d'altération.  » 
Les  autres  anciens  ne  parlent  pas  moins  clairement;  et  si, 
occupé  de  toute  autre  chose  que  de  l'amour  de  la  vérité ,  le 
ministre  ne  veut  pas  se  donner  la  peine  de  la  chercher  où 
elle  est  à  toutes  les  pages,  «  BuUus  (1)  et  son  Sculter  lui  au- 
raient montré  dans  tous  les  auteurs  qu'il  allègue,  dans  saint 
Hij)poh/te ,  dans  saint  Justin ,  dans  Athénagore ,  dans  saint 
Théophile  d'Antioche  et  dans  saint  Clément  (V  Aie. r  and  rie , 
que  non  seulement  le  Père .  mais  encore  nommément  le  Fils 
est  inaltérable ,  immuable ,  impassible ,  incapable  de  nou- 
veauté,  sans  commencenu'nt .  <>  Il  ne  veut  pas  que  Tertul- 
lien,  lorsqu'il  dit  avec  tant  de  force  que  «  Dieu  ne  change 
jamais,  ni  ne  peut  être  autre  chose  que  ce  qu'il  était,  à  cause 
qu'il  est  éternel  »,  ait  puisé  cette  belle  idée  de  l'endroit 
où  Dieu  se  nomme  lui-même  :  Celui  qui  est .  Il  ne  veut 
pas  (2)  que  les  anciens  aient  entendu  la  belle  interprétation 
que  le  prophète  Malachie  a  donnée  de  cette  parole  :  Celui 
qui  est ,  lorsqu'il  fait  encore  dire  à  Dieu  :  .le  suis  le  Sei- 

(1)  Uossuel  l'appelle   •  le  plus  savant  des  prolestants   »  en  matière  de  patrolo- 
Kie  (VII). 

(-2)  Article  II,  XIV. 


LES  SAINTS  PEUES  ET  BOSSUET  POLEiVIISTE.  453 

(jnpiir,  le  Jéhovah ,  celui  qui  est  et  ne  change  point.  » 
Bossuet  établit  aussi  (article  m)  «  que  le  ministre  détruit 
non  seulement  l'immutabilité ,  mais  encore  la  spiritualité  de 
Dieu  ».  Car  il  s'agit  de  savoir,  non  pas  si  nous  tirons  bien  les 
conséquences  de  la  doctrine  des  Pèrps ,  mais  «  si  les  Pères 
ont  pu  dire  au  sens  littéral,  comme  veut  M.  Jurieu,  que 
Dieu  se  dérelopput  ei  descendit  sans  en  faire  un  corps  (1). 
Ce  n'est  pas  moi  qui  harcèle  la  théologie  des  anciens  ;  c'est 
lui  qui  la  fait  absurde  et  impie.  »  —  Jurieu  fait  aussi  «  la  Tri- 
nité véritablement  informe  en  toutes  façons  »  par  un  blas- 
phème et  une  erreur,  qu'il  attribue  aux  Pères  (article  iv). 
L'inégalité  que  quelques  Pères  ont  semblé  mettre  dans  la 
faconde  parler  entre  les  personnes  divines,  à  cause  de  leur 
origine  et  de  leur  ordre,  est  supportable  en  un  sens,  puis- 
que le  Père  est  et  sera  toujours  le  premier,  le  Fils  toujours 
le  second,  et  le  Saint-Esprit  toujours  le  troisième.  Mais  cet 
ordre  immuable  n'emporte  point  d'inégalité  de  perfection 
ni  de  culte,  «  comme  le  reconnaissent  saint  Clément  dW- 
lexandrie ,  saint  Athanase  et  saint  Augustin  (2),  parlant  de 
l'autorité  de  principe,  qui  semble  attribuer  au  Père  quel- 
que chose  de  plus  grand ,  quoique  le  Père  ne  soit  pas  plus 
grand  que  sa  sagesse,  que  sa  raison,  que  son  Verbe  et  son 
éternelle  pensée.  «  Vous  paraissez  étonné  de  ce  que  saint 
Justin  a  dit  que  le  Fils  de  Dieu  est  engendré  par  le  conseil 
et  la  volonté  de  son  Père  :  ne  parlez  point  de  Dieu ,  ou 
avant  que  de  lui  appliquer  les  termes  vulgaires,  dépouil- 
lez-le auparavant  de  toute  imperfection  »  ,  comme  les  Pères 
ont  eu  soin  d'entendre  ces  paroles  :  «  Faisons  Ihomme  » , 
comme  Tertullien,  comme  les  anciens  docteurs  ont  épuré  le 
mot  de  ministre  appliqué  au  Fils  qui  est  par  rapport  auPère, 
ainsi  que  parle  saint  Clément  d'Alexandrie,  «  sa  volonté 
toute-puissante  »,  son  commandement,  au  même  titre  qu'il 
est  sa  parole.  »  Selon  la  remarque  de  saint  Athanase,  non 
seulement  Dieu  est  un  par  l'unité  de  son  essence,  mais  en- 


(I)  XXII. 

(i)  Tract.  -21  in  Joan.,  n.  I  et  scq. 


454  ROSSUET  ET  I.ES  SAINTS  PERES. 

core  la  distinction  qui  se  trouve  entre  les  personnes  se  rap- 
porte à  un  seul  principe  qui  est  le  Père,  et  même  de  ce  côté- 
là  se  résout  finalement  à  l'unité  pure  (xxxiv-xli).  —  Si 
M.  Jurieu  n'était  point  entêté  des  erreurs  qu'il  clierche  dans 
les  Ph-es,  il  verrait  que  ni  Tertullien ,  ni  saint  Justin  ne  se 
sont  égarés  en  comparant  le  Père  et  le  Fils  à  deux  flam- 
beaux, au  soleil  et  à  ses  rayons.  «  Tous  Ips  Pères  sont  uni- 
formes sur  la  parfaite  simplicité  de  l'Être  divin,  et  Tertul- 
lien lui-même,  qui,  à  parler  franchement,  corporalise  trop 
les  choses  divines,  ne  laisse  pas,  en  écrivant  contre  Her- 
mogène,  de  convenir  d'abord  avec  lui  «  que  Dieu  n'a  point 
de  parties  et  qu'il  est  indivisible.  Il  ne  fallait  donc  pas 
imaginer  dans  la  doctrine  des  Ph-es  ce  monstre  d'iné- 
galité, sous  prétexte  de  ces  expressions  qu'ils  ont  bien  su 
épurer  et  bien  su  dire  avec  tout  cela  que  le  Fils  de  Dieu 
était  sorti  parfait  du  parfait,  éternel  de  l'élernel,  Dieu  de 
Dieu.  C'est  ce  que  disait  saint  Grégoire .  appelé  par  excel- 
lence le  faiseur  de  miracles;  et  saint  Clément  iV Alexandrie 
disait  aussi  qu'il  était  le  Verbe ,  né  parfait  d'un  Père  par- 
fait.   »    (XLV,  XLVl.) 

Bossuet  parle  ensuite  il;  des  «  prodiges  d'égarement  du 
ministre ,  qui  veut  trouver  l'inégalité  des  personnes  divines 
jusque  dans  le  concile  de  Nicée  » ,  sous  prétexte  qu'il  y  a 
dans  ce  concile  des  expressions  tirées  de  Tertullien  :  «  Le 
Fils  est  une  lumière  allumée  à  une  lumière  »,  ce  qui  veut  dire 
inégalité.  — S'il  est  vrai  que  le  concile,  en  disant  lumière 
de  lumière ,  ait  eu  Tertullien  en  vue ,  bien  éloigné  d'avoir 
établi  l'inégalité,  il  aura  plutôt  établi  l'unité  et  l'égalité 
parfaite;  car  Tertullien  ne  prenait  pas  ces  mots  «  dans  leur 
dernière  et  plus  basse  grossièreté  ».  Donc,  ou  les  Pères  de 
Nicée  ne  songeaient  point  à  Tertullien  ;  ou  Tertullien  ne  pre- 
nait pas  le  terme  de  portion  à  la  rigueur;  ou  saint  Atha- 
nase  (2),  qui  a  tant  aidé  à  composer  le  symbole  de  Nicée, 
ne  savait  pas  qu'on  y  avait  mis  cette  pensée  de  Tertullien 

(I)  li"-  Avcrl..  Article  M. 

(-2)  Hossuet  cite  son  traité  composé  ex])r(!s  pour  expliquer  le  syinl)ole  de  Nicée, 
ol  <iii  le  Porc  est  appelé  t6  à[ji.£oè;,  sans  partie. 


LKS  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  POLEMISTE.  455 

dans  le  dessein  d'en  faire  un  asile  à  l'erreur  de  l'inégalité. 
Saint  Hilnire ,  son  contemporain  et  un  si  docte  interprète 
du  symbole  de  Nicée,  rejette  aussi  en  termes  formels  avec 
horreur  ce  que  les  ariens  imputaient  au  concile  de  Nicée, 
que  «  le  Fils  était  une  portion  détachée  du  tout  ».  Eiisèbe 
de  Crsaréf,  qui  était  présent  au  concile,  dans  la  lettre  qu'il 
écrivit  à  son  Ég-lise  sur  le  mot  de  consubstantiel ,  raconte 
qu'en  proposant  les  difficultés  qu'il  trouvait  dans  cette  ex- 
pression et  dans  celle  de  substance,  on  lui  avait  répondu 
que  «  sortir  de  la  substance  du  Père  ne  signifiait  autre 
chose  que  sortir  de  lui  en  telle  sorte  qu'on  n'en  soit  pas 
une  portion  »,  si  bien  qu'en  tout  et  partout  ce  fondement 
d'inégalité  qu'on  tire  de  Tortullien  était  banni  du  sym- 
bole ».  D'ailleurs,  «  il  ne  parait  pas  que  le  concile  ait  songé 
(à  Tertullien)  plutôt  qu'à  saint  Hippolijte,  où  Ton  trouve  la 
même  expression,  ou  aux  autres  anciens  docteurs  et  à  la 
commune  tradition  »,  inspirée  par  le  passage  où  saint  Paul 
appelle  le  Fils  «  la  splendeur  et  l'éclat  de  la  gloire  de  son 
Père  »  :  c'est  à  ce  passage  que  ssini  Athanase  et  les  autres  ont 
perpétuellement  recours  pour  expliquer  cette  comparaison. 
Jurieu  s'égarait  encore  en  voulant  trouver  dans  le  con- 
cile de  Nicée  les  deux  prétendues  nativités  du  Verbe  (ar- 
ticle VII).  —  C'est  une  découverte  que  personne  jusqu'au 
ministre  n'avait  jamais  faite,  comme  on  peut  le  voir  par  ce 
que  disent  saint  Athanase  et  saint  Hilaire,  répondant  aux 
ariens  :  «  Vouloir  trouver  un  autre  sens  (que  ces  auteurs) 
dans  les  anathématismes  du  concile ,  c'est  y  vouloir  trouver 
un  sens  que  les  Pères  de  ce  temps-là  et  ceux  mêmes  qui  y 
ont  été  présents,  pour  ne  pas  parler  de  la  postérité,  n'ont 
pas  connu  ».  Les  Pères  de  Nicée,  disaient  que  le  Verbe,  étant 
tiré  de  la  substance  de  son  Père,  était  en  tout  et  partout 
immuable  et  inaltérable  comme  lui.  On  trouve  à  toutes  les 
pages  de  saint  Athanasf  la  parfaite  immutabilité  de  Dieu; 
il  demandait  aux  ariens  «  quelles  bornes  ils  voulaient  don- 
ner à  ses  changements  ».  «  C'est,  continue  ce  Père,  une 
impiété  et  un  blasphème  d'admettre  dans  le  Fils  de  Dieu 
la  moindre  mutation,  puisque  la  moindre,  qui  serait  déjà 


^5(j  BOSSUET  ET  LES  SAliMS  PERES. 

en  elle-même  im  grand  mal,  aurait  encore  celui  de  lui  en 
attirer  d'infinies...  Telle  est  la  doctrine  que  ces  grands  per- 
sonnages, saint  Ah'.iandrf'  (V Alexandrie  et  saint  Athanasr, 
alors  son  diacre  et  depuis  son  successeur,  portèrent  au  con- 
cile de  Nicée.  Saint  Hilnire  n'en  dit  pas  moins  qu'eux  »,  et 
les  Pères  de  ce  saint  concile  ont  eu,  comme  les  autres,  une 
idée  parfaite  de  l'immutabilité,  (LVIII). 

Jurieu ,  convaincu  d'avoir  calomnié  et  fait  arianiser,  non 
seulement  des  docteurs  particuliers,  les  saints  Pères  et  l'É- 
glise des  trois  premiers  siècles,  mais  encore  un  concile  œcu- 
ménique, celui  que  les  chrétiens  ont  toujours  le  plus  révéré, 
le  concile  de  Nicée,  auquel  «  il  fait  établir  trois  naissances 
du  Fils  de  Dieu,  au  lieu  de  deux  qu'il  confesse,  l'une  du 
Fils  comme  Dieu  et  l'autre  comme  homme  »  (article  viii), 
.lurieu  est  encore  pris  en  flagrant  délit  de  «  mauvaise 
foi  dans  les  passages  qu'il  produit  des  docteurs  des  pre- 
miers siècles  »  (article  x).  —  Il  y  a  là  une  discussion  aussi 
savante  que  claire  et  précise,  où  Bossuet  reprend  un  à  un 
les  textes  allégués  par  son  adversaire,  textes  àWt/iénagorc, 
«  philosophe  athénien  et  l'auteur  d'une  des  plus  belles  et 
des  plus  anciennes  apologies  de  la  religion  chrétienne  » 
(LXIX),  textes  de  SRint  Hippo/f/fe,  textes  de  saint  Ci/prien, 
de  saint  Clémenl  d" Ale.vandrie,  où  il  n'y  a  pas  un  seul  trait 
de  l'erreur  que  lui  prête  Jurieu;  il  «  conclut  sans  crainte 
que  le  ministre  n'entend  pas  les  Pères  qu'il  a  cités,  et  que 
c'est  par  un  aveugle  entêtement  de  trouver  des  variations 
qu'il  les  implique  dans  l'erreur.  »  (  LXIV-LXXVIII.  i 

Bossuet  montre  aussi  (article  xi^  que  Jurieu  «  tombe 
manifestement  dans  l'extravagance  »,  en  abusant  de  compa- 
raisons et  de  métaphores  employées  par  les  Pères  pour  expli- 
quer la  génération  du  Verbe,  et  dans  lesquelles  il  ne  faut 
pas  voir  «  des  expressions  précises  et  littérales  ».  Ainsi, 
«  tous  les  Pères  ont  entendu,  après  l'Écriture,  que  le  Fils 
de  Dieu  était  son  Verbe,  sa  parole  intérieure,  son  éternelle 
pensée,  et  sa  raison  subsistante,  parce  que  verbe,  parole  et 
raison,  c'est  la  même  chose...  TerhilUen  dit  (jue  cette  pro- 
nonciation extérieure  où  Dieu  profère  ce  qu'il  pensait,  en 


LES  SAINTS  PERES  ET  lîOSSUET  POLEMISTE.  457 

disant  :  Que  la  lumièrp  soit  faitp,  et  le  reste,  est  la  par- 
faite nativité  du  Verbe  :  le  ministre  conclut  de  là  que  le 
Verbe  en  toute  rigueur  est  vraiment  enfanté ,  que  le  Verbe 
change  et  acquiert  sa  perfection  par  cette  seconde  nais- 
sance;... qu'avant  que  Dieu  eût  parlé  le  Verbe  était  dans 
son  sein ,  mais  seulement  comme  conçu ,  au  lieu  que  par  sa 
parole,  il  a  été  vraiment  engendré  et  mis  au  monde  ».  Voilà 
dans  Tertullien  tout  le  fondement  de  ces  enveloppements 
tant  vantés. . .  Et  parce  que  cet  auteur  a  entassé  comparaison 
sur  comparaison,  et  métaphore  sur  métaphore,  pour  trouver 
parmi  les  anciens  des  variations  plus  que  dans  les  termes, 
il  faudra  leur  faire  tout  dire  à  la  lettre  et  embrouiller  toute 
leur  théologie.  »  —  Bossuet  force  Jurieu  à  convenir  que 
le  Verbe .  ayant  créé  le  ciel  et  la  terre ,  d'après  saint  Jean , 
ne  les  a  pas  faits  avant  d'être  lui-même,  et  que  par  consé- 
quent il  existait  avant  le  Fiat  lux.  «  Mais  pourquoi,  me  dira- 
t-on,  ne  voulez-vous  pas  que  Tertullien  ait  pu  penser  des 
extravagances?  Si  c'était  Tertullien  tout  seul,  quoiqu'il  n'y 
ait  aucune  apparence  qu'il  en  ait  pensé  de  si  énormes,  ce 
ne  serait  pas  la  peine  de  disputer  pour  ce  seul  auteur.  Mais 
puisque  vous  ne  voulez  excepter  de  ces  folles  imaginations 
aucun  auteur  des  trois  premiers  siècles,  vous  mettez  en 
vérité  trop  d'insensés  à  la  tête  de  l'Église  chrétienne.  »  Ju- 
rieu, en  effet,  croit  trouver  les  erreurs  de  Tertullien  dans 
Lactance ,  saÀni  H ipjjolty te ,  Théophile  d'Antioche.  «  Mais  a- 
t-il  pris  au  pied  de  la  lettre  les  expressions  de  ces  Pères? 
Point  du  tout;...  on  le  voit  bien  par  l'absurdité  excessive 
d'un  sentiment  qui  ne  peut  jamais  être  tombé  dans  une 
tête  sensée.  Pourquoi  donc  ne  pas  ouvrir  les  yeux  à  de  sem- 
blables absurdités  qu'il  attribue  lui-même  à  ces  Pères?  » 
Pourquoi  ne  pas  reconnaître,  comme  le  fait  Bullus,  qu'ils 
ont  parlé  par  figure?  Pourquoi  prêter  une  «  folie  consom- 
mée »,  non  à  trois  ou  quatre  inconnus,  mais  à  tous  les 
Pères  des  trois  premiers  siècles?  Pourquoi  prendre  toujours 
à  la  lettre  Tt^rtallien ,  «  le  plus  figuré,  pour  ne  pas  dire  le 
plus  outré  de  tous  les  auteurs?  »  Jurieu  lui-même  l'appelle 
«  un  esprit  de  feu .  qui  ne  savait  garder  de  mesure  en  rien 


458  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PÈRES. 

et  qui  outrait  tout.  »  Il  ne  faut  donc  pas  «  vouloir  trouver 
de  la  justesse  dans  une  imagination  qu'on  suppose  si  échauf- 
fée... Tertullien  se  sera  contredit,  oublié  :  il  n'y  aurait 
pour  cette  fois  qu'à  «  laisser  là  ce  dur  Africain ,  sans  faire 
un  crime  à  toute  l'Eglise  des  obscurités  de  son  style  et  des 
irrégularités  de  ses  pensées  ». 

Comme  ce  serait  là  presque  une  exécution  d'un  Père  au- 
quel il  doit  tant,  Bossuet  ajoute  aussitôt  (1)  :  «  Je  ne  parle 
pas  en  cette  sorte  de  Tertullien  ,  dans  l'opinion  de  ceux  qui 
s'imaginent  avoir  droit  de  le  mépriser,,  à  cause  que  son  style 
est  forcé  et  qu'il  s'abandonne  souvent  à  sa  vive  et  trop  ar- 
dente imagination  ;  car  il  faut  avoir  perdu  tout  le  goût  de  la 
vérité  pour  ne  pas  sentir  dans  la  plus  grande  partie  de  ses 
ouvrages ,  au  milieu  de  tous  ses  défauts ,  une  force  de  rai- 
sonnement qui  nous  enlève,  et  sans  sa  triste  sévérité,  qui 
à  la  fin  lui  fit  préférer  les  rêveries  du  faux  prophète  Montan 
à  l'Église  catholique,  le  christianisme  n'aurait  guère  eu  de 
lumière  plus  éclatante.  Je  ne  l'abandonne  donc  pas  en  cet 
endroit,  et  je  croirais,  au  contraire,  pouvoir  faire  voir,  s'il 
en  était  question,  que  tout  ce  qu'il  a  de  dur  dans  son  livre 
contre  Hermogène,  il  ne  le  dit  pas  selon  sa  croyance,  mais 
en  poussant  son  adversaire  selon  ses  propres  principes.  Main- 
tenant il  me  suffit  de  démontrer  l'injustice  de  notre  mi- 
nistre, qui  ne  cite  de  bonne  foi  aucun  (h^s  Ph-ps  qu'il  pro- 
duit, et  qui  renverse  lui-même  le  témoignage  qu'il  tire  de 
Tertullien,  en  voulant  le  prendre  à  la  lettre  dans  un  endroit 
où  il  avoue  qu'il  est  outré  au-delà  de  toute  mesure.  »  Ij's 
Pères  ont  très  bien  compris  et  exposé  la  génération  éter- 
nelle du  Verbe  (XCVlj. 

Mais  voici  «  les  fourberies,  la  friponnerie  de  l'évêque  de 
Meaux  » ,  au  dire  du  bouillant  Jurieu.  Bossuet  le  renvoie 
au  P.  Petau  et  à  Bullus  tout  ensemble,  pour  apprendre  les 
vrais  sentiments  des  Pères  des  trois  premiers  siècles  :  or, 
Bullus  est  le  grand  ennemi  du  P.  Petau.  Quelle  épouvan- 
table audace  que  de  faire  aller  ensemble  des  auteurs  si  op- 

(I   (i'  Avorl.,  \(;v. 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  POLEMISTE.  459 

posés!  —  Mais,  répond  Bossiiet,  BuUus  réfute  le  second 
tome  des  Do(jtnes  théologiques  du  P.  Petau,  et  je  ne  cite 
qu'une  Préface  postérieure,  dont  BuUus  ne  parle  qu'une 
fois  et  en  passant ,  et  où  le  savant  Jésuite  «  enseigne  la  vérité 
à  pleine  bouche  »,  (G,  CI,  II)  en  montrant  même  dans  Ori- 
gène  a  la  divinité  de  la  Trinité  adorable  »,  dans  saint  Dmis 
d'Alexandrie  «  la  coéternité  et  la  consubstantialité  du  Fils  », 
dans  saint  Grégoire  Thaumaturge  «  un  Père  parfait  d'un 
Fils  parfait,  un  Saint-Esprit  parfait,  etc.,  tout  le  substantiel 
de  la  foi  bien  avant  la  dispute,  avec  moins  de  précaution 
dans  le  discours,  comme  disait  saint  Jérôme ,  mais  demeu- 
rant le  même  jusque  dans  Tertullieii ,  dans  Novatien, 
dans  Arnobe,  dans  Lactance  même  et  dans  les  auteurs  les 
plus  durs.  » 

Jurieu  croyait  avoir  écrasé  Bossuet  en  le  mettant  aux 
prises  avec  deux  savants  auteurs  catholiques,  le  P.  Petau 
et  le  célèbre  Huet,  et  en  lui  disant  que,  «  s'il  avait  traversé 
comme  eux  le  pays  de  l'antiquité ,  il  n'aurait  pas  fait  des 
avances  si  téméraires,  mais  qu'il  ne  savait  rien  d'original 
dans  l'histoire  de  l'ÉgUse,  etc.  »  —  L'évêque  de  Meaux  ré- 
pond avec  une  noblesse  admirable  à  cette  attaque  du  mi- 
nistre :  «  Quelle  preuve  nous  donne-t-il  de  leur  grand  savoir 
dans  les  ouvrages  des  Pères?  J'en  rougis  pour  lui;  c'est 
qu'ils  les  ont  faits  ce  qu'ils  ne  sont  pas,  de  son  aveu  propre  ; 
c'est-à-dire  le  P.  Petau  formellement  arien,  et  M.  Huet 
guère  moins...  Pour  moi,  je  ne  veux  disputer  du  savoir  ni 
avec  les  vivants  ni  avec  les  morts  ;  mais  aussi  c'est  trop  se 
moquer  de  ne  les  faire  savants  que  par  les  fautes  dont  on  les 
accuse  et  de  ne  prouver  leurs  voyages  dans  ces  vastes  pays 
de  l'antiquité  que  parce  qu'ils  s'y  sont  souvent  déroutés. 
Je  lui  ai  montré  le  contraire  du  P.  Petau  par  sa  savante 
Préface  (1).  Pour  ce  qui  regarde  M.  Huet,  avec  lequel  il 
veut  me  commettre ,  il  se  trompe.  Je  l'ai  vu  dès  sa  première 
jeunesse  prendre  rang  parmi  les  savants  hommes  de  son 
siècle,  et  depuis,  j'ai  eu  les  moyens  de  me  confirmer  dans 

(I)  l,e  P.  Petau  y  dit  que  «  les  anciens  Pères  conviennent  avec  nous,  dans  le 
fond  ,  de  la  substance  du  mystère  de  la  Trinité.  " 


460  liOSSUEï  ET  LES  SAINTS  PERES. 

l'opinion  que  j'avais  de  son  savoir,  durant  douze  ans  que 
nous  avons  vécu  ensemble.  Je  suis  instruit  de  ses  sentiments, 
et  je  sais  quil  ne  prétend  pas  avoir  fait  arianiser  ces  saints 
docteurs,  comme  le  ministre  l'en  accuse...  Il  entreprend  de 
faire  voir  «  dans  les  locutions  les  plus  dures  de  son  Oi'iyciir 
même,  comme  sont  celles  de  créature,  et  dans  les  autres 
qu'on  le  peut  aisément  justifier  ».  (CIII.) 

Voilà  donc  les  Ph-rs  des  premiers  siècles  admirablement 
vengés,  et  Bossuet  peut  conclure  :  <(  Je  n'ai  plus  rien  à 
dire.  Que  M.  Jurieu  réplique  ou  se  taise,  je  garderai  éga- 
lement le  silence.  Assez  de  gens  le  réfuteront  dans  son 
parti,  si  on  y  laisse  la  liberté  de  le  faire;  et  il  ne  sera  pas 
longtemps  sans  se  réfuter  lui-même.  Que  dirais-je  donc  à 
un  homme  à  qui  la  faiblesse  de  sa  cause ,  autant  que  son 
ardente  imagination,  ne  fournit  que  des  idées  qui  s'effacent 
les  unes  les  autres?  Qu'il  dogmatise  donc ,  à  la  bonne  heure, 
et  qu'il  prophétise  tant  qu'il  lui  plaira;  je  laisserai  réfuter 
ses  prophéties  au  temps  et  sa  doctrine  à  lui-même;  et  il  ne 
me  restera  qu'à  prier  Dieu  qu'il  ouvre  les  yeux  aux  pro- 
testants pour  voir  ce  signe  d'erreur  qu'il  élève  au  milieu 
d'eux  dans  l'instabilité  de  leur  doctrine.  »  (CXVI). 

Avant  de  publier  ses  trois  derniers  Avertissements  aux 
Protestants ,  Bossuet  avait  fait  paraître  son  Explication  de 
rApocabjpse  en  1689,  pour  répondre  à  Y  Accomplissement 
(les  prophéties  (1686)  du  fougueux  Jurieu,  qui  ne  se  vantait 
de  rien  moins  que  d'y  avoir  prédit  la  Révolution  de  1688 
en  Angleterre. 

Deux  autres  adversaires  s'élevèrent  bientôt  contre  V His- 
toire (les  Variations.  —  Ce  fut  d'abord  Burnet,  esprit  souple 
et  sceptique ,  devenu ,  grâce  à  d'indignes  intrigues,  évêque 
anglican  de  Salisbury,  et  auteur  d'une  Histoire  de  la  Héfor- 
m.ation  dWnglclfirr  :  Bossuet  n'avait  pas  voulu  puiser  à 
d'autres  sources  les  témoignages  sous  lesquels  il  accable  la 
Uéforme  anglicane.  Blessé  au  vif  de  l'usage  que  l'évèque 
de  Meaux  avait  fait  de  son  Histoire  .  Burnet  l'attaqua  dans 
un  petit  écrit  de  trente-six  pages.  Critique  des  Variations, 
où  il  annonçait  au  public  «  qu'on  préparait  une  dure  ré- 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  I50SSUET  POLEMISTE.  4G1 

ponse  à  M.  de  Meaux  » ,  —  Cette  réponse  fut  celle  de  Basnage, 
Français  réfugié  en  Hollande,  homme  érudit,  modéré,  qui 
essaya  de  démontrer  la  perpétuité  et  l'unité  de  la  doctrine 
des  réformés ,  en  même  temps  que  les  erreurs  et  les  préten- 
dus changements  de  l'Église  romaine,  par  les  deux  volumes 
in-8  de  son  Histoire  de  la  religion  des  églises  réformées , 
dans  laquelle  on  voit  la  succession  de  leur  Église,  la  perpé- 
tuité de  leur  foi  depuis  le  huitième  siècle ,  rétablissement 
de  la  Ré  formation,  et  la  persévérance  dans  les  mêmes  dog- 
mes jusqu'à  présent ,  avec  une  histoire  de  l'origine  et  des 
principales  erreurs  de  l'Eglise  Romaine ,  pour  servir  de  Ré- 
ponse à  l'Histoire  des  Variations  des  Eglises  protestantes  dr 
M.  de  Meaux  (Rotterdam,  1()90!. 

Cette  réponse  contenait  ((  toutes  les  duretés  que  Burnet 
avait  promises.  Mais  les  injures  et  les  calomnies  sont  des 
couronnes  à  un  chrétien  et  à  un  évêque  » ,  dit  Bossuet,  dans 
sa  Défense  de  l'Histoire  des  Variations ,  contre  la  réponse 
de  M.  Basnage,  ministre  de  Rotterdam  (1),  qui  parut  en 
1691  avec  le  Sixième  et  fleruier  Avertissement. 

La  Défense  fait  justice  des  mensonges  et  de  l'audace  des 
plaignants.  Elle  démontre  comment  Burnet  a  vainement  et 
gauchement  essayé  de  voiler  aux  yeux  du  public  les  crimes 
de  la  Réforme,  et  comment  Basnage  a  fait  d'inutiles  efforts 
pour  les  excuser  et  les  justifier  [Les  Révoltes  de  la  Réforme 
mal  excusées.  Vaines  récriminations  sur  le  mariage  du 
Landgrave.  M.  Burnet  réfuté). 

Dans  cette  discussion  historique ,  il  n'y  avait  guère  place 
pour  des  citations  des  saints  Pèves.  Pourtant,  Bossuet  in- 
voque leur  autorité  pour  établir  que  l'Eglise  protestait 
solennellement  qu'elle  regardait  dans  les  princes  une  se- 
conde majesté.  ((  Que  si  M.  Basnage  a  voulu  penser  que  l'E- 
glise du  IV  siècle,  et  sous  Julien  l'Apostat,  eût  dégénéré  de 
cette  sainte  doctrine  ,  il  eût  fallu  nous  alléguer  un  saint  Ba- 
sile, un  saint  Grégoire  de  A'azianze,  un  saint  Amhroise , 
un  saint  Chrgsostome ,  un  saint  Augustin  et  les  autres  saints 

(I)  Elle  porte  le  titre  de  Premier  discours;  l'intention  de  l'auteur  était  donc 
d'en  faire  un  second;  mais  il  n'a  jamais  paru. 


462  BOSSUBT  ET  LES  SAINTS  PERES. 

évêques  quelle  reconnaissait  pour  ses  docteurs ,  dont  aussi 
le  sentiment  unanime  réglait  celui  de  tous  les  fidèles.  » 
L'évèque  de  Meaux  cite  alors  des  témoignages  de  saint  Au- 
gustin, quelques-uns  nouveaux,  d'autres  déjà  allégués  dans 
le  Cinquième  Avertissement  :  «  Non  poteraf  non  redtli  /lo/ios 
ei  debitus potestati.  —  Un  homme  de  bien  qui,  en  combat- 
tant, suit  les  ordres  d'un  prince  impie  et  ne  voit  pas  ma- 
nifestement l'injustice  de  ses  desseins,.,  peut  innocemment 
faire  la  guerre  en  gardant  l'ordre  public.  — Jésus-Christ  ne 
permet  pas  à  saint  Pierre  de  tirer  l'épée  pour  le  défendre, 
et  répare  par  un  miracle  la  blessure  qu'il  avait  faite  à  un 
des  exécuteurs  des  ordres  injustes  qu'on  avait  donnés  contre 
lui  ;  il  montrait  en  toutes  manières  à  ses  disciples...  qu'il  ne 
leur  laissait  aucun  pouvoir  ni  aucune  force  contre  la  puis- 
sance publique,  quand  ils  en  seraient  opprimés  avec  autant 
d'injustice  et  de  violence  qu'il  l'avait  été  lui-même.  —  Il 
avait  bien  ordonné  d'acheter  des  épées  ;  mais  il  n'avait  pas 
ordonné  qu'on  en  frappât,  et  même  il  reprit  saint  Pierre 
d'avoir  frappé  de  lui-même  et  sans  ordre.  —  Quoique  le 
nombre  de  ses  martyrs  fût  si  g-rand  que ,  «  s'il  avait  voulu 
en  faire  des  armées,  et  les  protéger  dans  les  combats,  nulle 
nation  et  nul  royaume  n'eût  été  capable  de  leur  résister  », 
il  a  voulu  qu'ils  souffrissent,  pour  ne  pas  renverser  avec 
l'autorité  des  princes  le  fondement  des  empires.  Et  saint 
Augustin ,  qui  a  établi  cette  vérité  (que  les  g-uerres  civiles , 
sous  prétexte  de  résister  à  l'oppression,  sont  des  attentats) 
par  de  si  beaux  principes,  n'a  été  que  l'interprète  de 
saint  Paul.  » 

§  V.  —  Èclaiixissement  sur  le  reprocJie  d'idolâtrie,  1689- 
90.  —  Explication  de  quelques  difficultés  sur  les  prières 
de  la  messe,  1689.  —  Lettre  sur  Vadoration  de  la  Croix, 
1691-1692. 

VEclaircisseuwnt  su/-  le  reproche  d'idolâtrie  et  sur  V er- 
reur des  païens,  publié  seulement  par  Le  Roi  en  1743,  fut 
composé  à  la  même  époque  que  les  premiers  Avertisse- 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  HOSSUET  POLÉMISTE.  463 

mf'iits  aux  Proteslanis,  en  1089  et  1690,  puisqu'il  a  pour 
sous-titre  où  la  calomnie  des  ministres  est  réfutée  j^ar  eux- 
ntériu's,  Avertissement  aux  Protestants ,  e\  que  Bossuet  dit 
dès  le  début  :  «  Quoique  j'aie  fait  voir  dans  le  dernier  Aver- 
tissement (le  IIPi  qu'assurément  il  n'y  eut  jamais  d'ido- 
lâtrie plus  innocente  que  la  nôtre  ,  je  démontrerai,  par  des 
principes  avoués  des  ministres  mêmes,  que  Faccusation 
d'idolâtrie  formée  contre  nous  ne  peut  subsister...  Dieu 
donne;  les  saints  demandent...  C'est  dans  cette  confiance 
que  saint  Augusiin,  un  si  sublime  docteur,  un  théologien  si 
exact,  loue  la  prière  d'une  mère  qui  disait  à  saint  Etienne  : 
«  Saint  martyr,  rendez-moi  mon  flls.  Vous  savez  pourquoi 
je  le  pleure ,  et  vous  voyez  qu'il  ne  me  reste  aucune  conso- 
lation. »  (Il  était  mort  sans  baptême.  )  Saint  Basile ^  demande 
les  prières  des  saints  quarante  martyrs  et  les  appelle  «  notre 
défense  et  notre  refuge ,  les  protecteurs  et  les  gardiens  de 
tout  le  genre  humain  ».  Saint  Grégoire ^  évèque  de  Nysse, 
son  frère ,  prie  saint  Théodore  «  de  regarder  d'en  haut  la 
fête  qui  se  célébrait  en  son  honneur...  Saint  Astrre ,  évèque 
d'Amase ,  contemporain  et  digne  disciple  de  saint  Chrysos- 
tome,  introduit  dans  son  discours  un  fidèle  qui  prie  ainsi 
saint  Phocas  :  «  Vous  qui  avez  souffert  pour  Jésus-Christ, 
priez  pour  nos  souffrances  et  nos  maladies;...  maintenant 
(jue  vous  possédez,  donnez-nous.  »  Saint  Grégoire  de  Xa- 
lianze  a  prié  saint  Cgprien  et  saint  Athanase  «  de  le  re- 
garder d'en  haut,  de  gouverner  ses  discours  et  sa  vie,  de 
paitre  avec  lui  son  troupeau,  etc..  Les  autres  Pères  ont 
parlé  de  même.  Si  ces  grands  saints  ignoraient  que  Dieu 
donnait  toutes  choses  et  croyaient  les  recevoir  des  saintes 
âmes  autrement  que  par  leurs  prières,  ils  ne  sont  pas  seu- 
lement, comme  le  veut  le  ministre,  des  antechrists  com- 
mencés ,  mais  des  antechrists  consommés  ou  quelque  chose 
de  pire.  »  (V). 

c<  Les  prières  qu'on  adresse  aux  saints,  loin  de  nous  dé- 
tourner de  Dieu,  nous  y  unissent  (\II)...  Saint  Basile  ne 
croyait  pas  détourner  les  peuples  de  prier  Dieu ,  en  les  invi-- 
tant  à  prier  les  saints  :  «  Que  vos  prières,  disait-il,  se  ré- 


464  liOSSUET  ET  LES  SAINTS  PEKES. 

pandent  devant  Dieu  avec  celles  des  martyrs.  »  Le  dessein 
de  glorifier. Jésus-Christ  est  toujours  le  principal  et  le  plus 
intime  motif  qui  anime  ces  prières;  c'est  aussi  ce  qui  faisait 
dire  à  saint  Chn/sostome  :  «  Où  est  le  sépulcre  d'Alexandre 
le  Grand?  Mais  les  tombeaux  des  serviteurs  de  Jésus-Christ 
sont  illustres  dans  la  ville  maîtresse,  etc.  Le  même  saint 
Chri/sostome  dit  encore  ailleurs  :  «  Allons  souvent  visiter 
ces  saints  martyrs;  touchons  leurs  châsses,  embrassons  avec 
foi  leurs  saintes  reliques,  etc.  »  Ce  passage  touchait  profon- 
dément Œcolampade.  Bossuet  prouve  ensuite  (XV)  «  que  les 
saints  docteurs  n'ont  point  hésité  à  attribuer  la  connais- 
sance de  nos  prières  aux  âmes  saintes  »  .  par  l'autorité  de 
saint  Grégoirf  de  Xijssc ,  de  saint  Augustin ,  de  saint  Pau- 
lin, disant  à  saint  Félix  :  «  Vous  savez  tout  ;  vous  voyez  dans 
la  lumière  de  Jésus-Christ  les  choses  les  plus  secrètes  et  les 
plus  éloignées,  et  vous  comprenez  tout  en  Dieu,  où  tout 
est  renfermé.  » 

La  médiation  de  Jésus-Christ  est  admirablement  expliquée 
(XIX)  par  tous  les  anciens  Ph'cs  et  surtout  par  saint  Gré- 
(foire  (le  Xazianzr  et  par  saint  Augustin  :  «  Les  Chrétiens, 
dit-il,  se  recommandent  aux  prières  les  uns  des  autres; 
mais  celui  qui  intercède  pour  tous,  sans  avoir  besoin  que 
personne  intercède  pour  lui,  est  le  seul  et  véritable  média- 
teur. » 

VExplication  de  quelques  difficultés  sur  les  prières  de 
lu  messe,  à  un  nouieuu  catholique ,  éditée  pour  la  pre- 
mière fois  en  1689,  est  un  admirable  traité  dogmatique 
sur  le  saint  sacrifice  de  nos  autels,  et  en  même  temps  un 
livre  rempli  d'une  suave  onction.  Bossuet  y  invoque  pres- 
que à  chaque  page  le  témoignage  des  saints  Pères  :  celui 
de  saint  Isidore,  «  disciple  de  saint  Chrysostome ,  et  une 
des  lumières  du  quatrième  siècle  (1)  »  ;  celui  de  saint  C grille 
de  Jéruscdem  (2),  celui  de  saint  Ambroise  et  du  rite  am- 
brosien  (3),  celui  du  Sacramentaire  de  saint  (irégoire  (4), 

il)  Kdit.  Bar-le-Diic,  t.  IV.  p.  'éi«. 
(-2)  Mrme  page  ei  pages  i.">.},  Wi",  '»"!•. 
(:t)  Pages  '.r»  et  «ii,  Wii.  —  ('»)  l'âge  Vm. 


LES  SAINTS  PEKES  ET  BOSSUET  POLEMISTE,  465 

celai  de  la  messe  qui  porte  le  nom  de  saint  Chn/sos- 
tome  (1),  celui  de  l'ancien  missel  de  saint  Gélase  (2),  celui 
du  Sacramentaire  de  saint  Léou,  et  des  auteurs  renommés  (3) 
qui  ont  travaillé  aux  Sacramentaires  de  l'Eglise  gallicane , 
saint  Hilaire ,  Mus(his ,  Salvieii ,  Sidonius ,  auteurs  dont  le 
plus  moderne  passe  de  plusieurs  siècles  Paschase  Radbert, 
du  neuvième  siècle,  auquel  les  protestants  font  remonter 
le  dogme  de  la  présence  réelle  ;  celui  des  Pères ,  dans  les 
œuvres  desquels  on  trouve  toutes  les  parties  de  la  messe  et 
mot  à  mot  tout  ce  qu'on  en  a  produit  (4)  ;  celui  de  saint 
Chrfjsostome ,  disant  «  que  les  anges  étaient  autour  de  l'Eu- 
charistie comme  les  gardes  autour  de  l'empereur  (5)  »  ; 
celui  de  saint  Aiu/ustin  affirmant  à  propos  de  la  chair  de 
Jésus-Christ  «  que  personne  ne  la  mange  qu'il  ne  l'ait  pre- 
mièrement adorée  (6)  »  ;  celui  de  saint  Jrràiur,  «  un  si 
grand  docteur,  louant  Théophih'  (V Alexandrie  de  ce  qu'il 
avait  soutenu  contre  Orir/ène  que  les  choses  inanimées 
étaient  capables  de  sanctification,  afin,  dit-il,  que  les 
ignorants  apprennent  avec  quelle  vénération  il  faut  rece- 
voir les  choses  saintes  et  servir  au  ministère  de  l'autel  de 
Jésus-Christ,  et  qu'ils  sachent  que  les  calices  sacrés,  les 
saints  voiles  et  les  autres  choses  qui  appartiennent  au  culte 
de  la  passion  de  Notre-Seigneur  ne  sont  pas  sans  sainteté, 
comme  choses  vides  et  sans  sentiment,  mais  que  par  leur 
union  avec  le  corps  et  le  sang  de  Jésus-Christ  elles  doivent 
être  adorées  avec  une  pareille  majesté  que  le  Seigneur 
même  (7)  »;  celui  des  Pères  les  plus  anciens,  Tertullirn  et 
Origène ,  qui  reconnaissaient  qu'un  ange  présidait  à  l'orai- 
son et  à  l'oblation  sacrée  (8j  ;  celui  de  toutes  les  Églises  en 
Orient  comme  en  Occident,  qui  sont  convenues  de  commen- 
cer le  sacrifice  par  ces  paroles  :  Sursum  corda,  le  cœur  en 

(I)  Pages  WO,  47Î). 
(-2)  Page  4.V2. 
CM  Page  «.-;. 
(4)  Page  «(i. 

(.■>)  Do  Sacerdof.,  lib.  VI,  n.  i. 

(())  Pages  Wiri.  ««i,  'n»,  wo.  il  dit  aussi  que.  «  lorscju'on  récite  à  l'autel  le  nom 
des  martyrs,  on  ne  prie  pas  pour  eux.  mais  on  prie  pour  les  autres  morts.  » 

(7)  Page  Vil. 

(8)  Page  'Kii». 

BOSSUET   ET  LES  SAINTS  PÈRES.  30 


/,66  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

haut,  à  cause  qu'il  faut  s'élever  au-dessus  des  sens  et  de 
toute  la  nature  pour  concevoir  Jésus-Christ  présent  sous 
des  apparences  si  vulgaires  (1  )  ;  celui  de  saint  Basile ,  à  qui 
les  Grecs  attribuent  encore  aujourd'hui  leur  liturgie  la  plus 
ordinaire  et  qui  affirme  que  les  paroles  de  la  consécration 
se  composent  «"  de  paroles  rapportées  par  l'Apôtre  et  les 
Évangiles,  auxquelles  nous  en  ajoutons  d'autres  devant  et 
après,  comme  ayant  beaucoup  de  force  pour  les  mystères, 
lesquelles  nous  n'avons  apprises  que  de  cette  doctrine  non 
écrite  »  ,  la  Tradition  (  -2)  ;  celui  enfin  de  tant  de  Pin-cs  grecs 
et  latins,  qui  ont  cru  au  dogme  divin  de  la  présence  réelle 
de  Notre-Seigneur  au  sacrement  de  nos  autels. 

La  Lettre  sur  radoration  de  la  Croix,  à  Frère  (Ar- 
mand), moine  de  rahhaije  de  (La  Trappe),  converti  de  la 
religion  protestante  à  la  religion  catholique ,  datée  de  Ver- 
sailles, le  17  mars  1691.  n'était  pas  destinée  à  la  publicité; 
mais  comme  elle  pouvait  servir  à  bien  des  nouveaux  con- 
vertis, qui  ne  s'accoutumaient  point  à  l'adoration  de  la 
croix,  qu'e.xpliquait  d'une  manière  admirable  «  un  prélat 
religieux  el  savant  »,  des  éditeurs  la  publièrent  en  1692. 
Grâce  à  eux  —  si  elle  n'a  pas  servi  au  destinataire,  gentil- 
homme français  à  l'imagination  et  au  cœur  ardents,  qui 
avait  quitté  les  camps  du  prince  d'Orange  pour  la  Trappe 
et  qui  quitta  bientôt  la  Trappe  pour  Genève  où  il  prit 
femme  —  elle  sert  du  moins  à  la  postérité  qui  y  trouve 
un  monument  du  zèle  et  de  la  doctrine  de  Bossuet.  Il 
montre  que  les  Pères,  en  suivant  les  expressions  de  l'Écri- 
ture, ont  dit  qu'on  adore  la  crèche,  le  sépulcre,  la  croix  du 
Sauveur,  les  clous  qui  l'ont  percé,  etc.  Dieu  seul  est  adora- 
ble, et  ce  n'est  qu'en  lui ,  ce  n'est  que  par  lui,  ce  n'est  que 
par  rapport  à  lui  que  les  créatures  sont  adorables.  Saint 
Ainhroisr,  ce  grand  docteur,  dit  que  sainte  Hélène,  ayant 
trouvé  la  vraie  croix  où  Jésus-Christ  avait  été  attaché, 
adora  le  Hoi,  et  non  pas  le  bois  (3j.  «  Saint  Thomas  attri- 
bue à  la  croix  le  culte  de  latrie,  qui  est  le  culte  suprême; 

(I)  l'ago  'i-\.  —  (■>}  Page  '.-•;.  -  Ci)  l'age  '.s:!. 


LES  SAINTS  PKllES  ET  HOSSUET  POLÉMISTE.  467 

mais  il  s'explique  en  disant  que  c'est  une  latrie  respective, 
qui  dès  là  en  elle-même  n'est  plus  suprême  et  ne  le  devient 
que  par  rapport  à  Jésus-Christ.  Le  fondement  de  ce  saint 
docteur,  c'est  que  le  mouvement  qui  porte  à  l'image,  est  le 
même  que  celui  qui  porte  à  l'original,  et  qu'on  unit  ensem- 
ble l'un  et  l'autre  [1).  » 

sj  VI.  —  Projrl  de  rétinJoii  ou  Rccup'tl  de  Dissertations 
rt  de  Lettres  relatives  à  la  réunion  des  protestants  d'Al- 
lemagne à  l'Eglise  catholique ,  1666-1701. 

Ce  n'est  pas  ici  le  lieu  de  refaire  l'histoire  des  tentatives 
généreuses  de  Bossuet  pour  ramener  dans  le  g'iron  de  l'É- 
glise catholique  «  des  frères  errants  »  :  le  cardinal  de  Baus- 
set,  dans  le  livre  XIP  de  son  Histoire  de  Bossuet,  a  donné 
tous  les  détails  nécessaires  pour  l'intelligence  de  négocia- 
tions, inspirées  par  le  zèle  le  plus  pur,  la  charité  la  plus 
active,  et  dans  lesquelles  il  ne  faut  pas  voir  avec  M.  Lan- 
son  «  la  seule  chimère  peut-être  qui  soit  entrée  dans  cet 
esprit  si  net  et  si  sensé  (Bossuet),  l'espérance  de  faire  rentrer 
les  peuples  indociles  dans  l'unité  hors  de  laquelle  on  ne 
sera  point  sauvé  »  (2).  —  Cette  prétendue  «  chimère  » 
serait  devenue  une  réalité,  si  la  politique,  qui  devait  en 
faciliter  le  succès ,  n'avait  été  l'écueil  où  vinrent  se  briser 
les  plus  belles  espérances. 

Il  n'y  a  rien  à  dire  de  la  Première  Section  du  Recueil , 
qui  contient  les  Lettres  échangées  en  1666-1667,  entre  Bos- 
suet et  Ferry,  Maimbourg,  etc.,  et  les  Récits  faits  par  le 
doyen  de  Metz  et  le  ministre  protestant  de  la  même  ville , 
«  concernant  un  projet  de  réunion  des  protestants  de  France 
et  r Eglise  catholique  »,  projet  qui  n'aboutit  pas;  car  quand 
on  s'était  mis  d'accord  sur  un  point,  on  ne  s'entendait  pas 
sur  cet  accord  même,  et  rien  ne  pouvait  se  faire. 

h?i  Seconde  Section,  avec  ses  deux  Parties,  contient  des 
pièces  plus  intéressantes  sur  le  i<  projet  de  réunion  des  pro- 
testants d'Allemagne  à  l'Église  catholique  ». 

(I)  Page  iS3.  —  (i)  Bossuet,  p.  3:iO. 


468  ROSSLET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

Dans  la  Prpmièrr  Partie,  il  y  a  \e?,  Dissertations  faites  par 
Bossuet ,  Molanus  ou  Van  der  Muelen ,  abbé  luthérien  de 
Lokkum,  et  Leibniz  (164G-1716 1,  le  célèbre  théologien, 
géomètre,  mathématicien,  métaphysicien,  jurisconsulte, 
politi(iue,  conseiller  intime  et  historiographe  du  duc  de 
Bruns^vick-Hanovre. 

Lorsque,  le  20  mars  1G91 ,  l'empereur  Léopold  eut  donné 
plein  pouvoir  à  l'évêque  de  Neustadt,  en  Autriche,  pour 
travailler  à  la  réunion  des  protestants  d'Allemagne,  plu- 
sieurs théologiens  de  la  Confession  d'Aug-sbourg  arrêtèrent 
avec  ce  prélat  ([uelques  articles  qui  pouvaient  faciliter  rac- 
commodement. Ces  Règlrs  touchant  la  réunion  générale  des 
chrétiens  et  dont  l'abbé  de  Lokkum  parait  avoir  été  le  ré- 
dacteur, furent  communiquées  à  Bossuet  par  Févèque  de 
Neustadt;  en  même  temps  la  duchesse  de  Hanovre,  dont  la 
sœur  était  abbesse  de  Maubuisson,  où  s'était  retirée  M'""  de 
Brinon,  ancienne  directrice  de  Saint-Cyr,  sollicitait  l'inter- 
vention du  prélat,  dont  le  génie  était  reconnu  du  monde 
entier,  depuis  surtout  le  succès  éclatant  de  son  Histoire  des 
Variations.  Bossuet  répondit  à  la  duchesse  de  Hanovre 
«  qu'on  pourrait  accorder  aux  luthériens  certaines  choses 
qu'ils  désiraient  beaucoup,  comme  la  communion  sous  les 
deux  espèces,...  et  convenir  de  certaines  explications  sur  la 
doctrine.  Mais  de  croire  qu'on  fit  jamais  aucune  capitula- 
tion sur  le  fond  des  dogmes  définis,  la  constitution  de  l'É- 
glise ne  le  souffrait  pas,  et  il  était  aisé  de  voir  que  d'en  agir 
autrement ,  c'était  renverser  les  fondements  et  mettre  toute 
la  religion  en  dispute  ».  Cette  franchise  absolue  plut  à  la 
duchesse  de  Hanovre  et  à  l'abbé  de  Lokkum,  qui  envoya  à 
Bossuet,  «  révè(|ue  de  beaucoup  le  plus  digne,  le  prélat 
non  moins  illustre  par  son  érudition  (|ue  par  sa  renommée 
de  modération,  episcopo  longe  dignissinio ,  praelato  non 
niimis  eriiditionis  qaam  nwderalionis  laude  conspicao  », 
un  nouvel  écrit  latin  :  Cogitationes  privatae  de  niethodo 
réuni onis  Erclesiae  protestantium  cum  Ecc lesta  Romana 
catholica.  Bossuet  le  traduisit  en  français,  <(  en  l'abrégeant 
tant  soit  peu  en*  <|uel(iuos  endroits  sous  ce  titre  :   Pensées 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  POLÉMISTE.  469 

particulières  sur  le  nioi/en  de  réunir  VEglise protestante  avec 
l'Eglise  romaine  »,  etc.  Il  composa  en  même  temps,  d'avril 
à  juillet  1692,  un  écrit  en  latin,  Episcopi  Meldensis  sen- 
tentia  sur  les  Cogitationes  privatae  de  Tabbé  de  Lokkum , 
et  une  Dissertation  latine  et  française  plus  simple  et  plus 
agréable  pour  les  princes  et  les  princesses  de  la  maison  de 
Hanovre,  Hé  flexions  sur  V  écrit  d^'  M.  rabbé  Molanus. 

Dans  le  Sentiment  de  Vécèque  de  Meaux ,  saint  Augustin 
est  cité  à  propos  du  mariage,  qu'il  compare  au  baptême 
dans  le  livre  II  de  son  de  Auptiis  et  concupiscentia;  à  pro- 
pos du  purgatoire  et  des  prières  pour  les  morts,  qu'il  dé- 
clare sans  aucun  doute  utiles  à  leur  âme  [Serni.  32,  de  Verb. 
Ajjost.,  nunc  Serr/i.  172)  ;  à  propos  des  conditions  dans  les- 
quelles doit  se  réunir  le  futur  concile,  où,  d'après  saint 
Augustin,  «  il  faut  de  part  et  d'autre  déposer  toute  arro- 
gance et  ne  jamais  dire  qu'on  a  déjà  trouvé  la  vérité  ». 
[Serm.  14,  de  Verbis  Apost.).  Bossuet  invoque  encore  l'auto- 
rité de  saint  Cyrille  cV Alexandrie ,  du  pape  saint  Léon  et 
de  saint  Grégoire  le  Grand,  pour  que  les  demandes  à  faire 
ne  puissent  pas  empêcher  la  conciliation. 

Les  Méfierions  sur  Fécrit  de  }[.  l'abbé  Molanus  contien- 
nent aussi  de  nombreuses  citations  des  Pères  et  surtout  de 
?,dimi  Augustin.  Comme  la  Confession  d'Augsbourq  le  loue 
beaucoup,  Bossuet  se  sert  de  son  autorité  auprès  de  ses  ad- 
versaires pour  la  justification ,  qui  n'est  pas  imputée,  mais 
qui  consiste  à  faire  un  juste  d'un  injuste  —  c'est  toute  la 
doctrine  de  l'évêque  d'Hippone  (il  —  pour  le  mérite  des 
bonnes  œuvres,  après  que  nous  sommes  justifiés,  «  ce  que 
saint  Augustin  a  expliqué  dans  ces  termes  :  Les  justes  n'ont- 
ils  donc  aucuns  mérites?  Ils  en  ont  certainement,  parce 
qu'ils  sont  justes;  mais  ils  n'en  ont  eu  aucun  pour  être  faits 
justes.  L'augmentation  de  la  charité  méritée  par  la  charité 
est  enseignée  par  ce  saint  docteur  en  ces  termes  :  Celui  qui 
aime  a  le  Saint-Esprit,  et,  en  le  possédant,  il  mérite  de  le 
posséder  davantage    et    conséquemment   d'aimer   davan- 

(1)  «  Sane  Aiigustiniis  in  ea  l'e  totus  est.  » 


470  BOSSUKT  ET  LES  SAINTS  PÈRES. 

tage  (1)...  Saint  Augustin,  si  souvent  loué  dans  la  Confes- 
sion frAïKjshoiirç/  et  dans  ÏAjjoiof/ir ,  dit  sans  hésiter  «  que 
la  vie  éternelle  est  due  aux  bonnes  œuvres  des  saints,  et 
qu'elle  ne  laisse  pas  d'être  appelée  grâce,  parce  qu'encore 
qu'elle  soit  donnée  à  nos  mérites,  ces  mérites  auxquels  on 
la  donne  sont  eux-mêmes  donnés  (2)  ».  Voilà  pour  la  vie 
éternelle.  Pour  l'augmentation  de  la  grâce,  le  même  saint 
enseigne  «  qu'on  mérite  par  la  grâce  l'accroissement  de  la 
grâce ,  afin  que ,  par  cet  accroissement  de  la  grâce  en  cette 
vie,  on  mérite  aussi  la  perfection  dans  la  vie  future  (3)  ». 
C'est  encore  avec  des  textes  de  saint  Aiu/ustin  que  Bossuet 
établit  la  vraie  doctrine  de  l'Église  sur  «  l'accomplissement 
de  la  loi  »  (4),  sur  «  les  mérites  qu'on  appelle  ex  cundi- 
gno  (5),  sur  la  foi  justifiante,  que  V Apologie  explique  par 
les  paroles  de  saint  Augustin ,  qui  dit  clairement  que  c'est 
«  la  foi  qui  nous  concilie  Celui  par  qui  nous  sommes  justi- 
fiés »,  et  que  «  par  la  foi  nous  impétrons  la  grâce  contre  le 
péché  (6)  »;  sur  la  g'râce  et  la  coopération  du  libre  arbi- 
tre (7),  sur  le  mariage  (8),  sur  la  prière,  l'oblation  pour  les 
morts  et  le  purgatoire,  à  propos  desquels,  au  témoignage  de 
l'évêque  d'Hippone  s'ajoutent  ceux  de  saint  Epip/t(ute ,  de 
saint  C grille  de  Jêrusuleui,  «  le  plus  savant  et  le  plus  ancien 
interprète  de  la  liturgie  (9)  ».  Molanus  et  Y  Apologie  ap- 
prouvent les  vœux  monasti([ues  ,  puisqu'ils  ont  mis  au  nom- 
bre des  saints  saint  Antoine,  saint  Bernard,  saint  Domini- 
([ue,  saint  François.  «  La  Vulgate,  à  (jui  le  nom  de  saint 
Jérôme  et  l'usage  de  tant  de  siècles  attire  la  vénération 
des  fidèles,  est  reconnue  pour  authenii({ue  par  le  concile  de 


(1)  Tracl.  "4.  in  Joann..  n.  i. 

(•î)  Kpixt.  l!tl:  al.  I()."».  et  dr  l'orrcp.  cl  si'ît'ia,  c  xxii,  n.  H. 

(:i)  Episl.  I8(i,  al.  lOfi.  n.  10. 

(4)  De  Im.pletio)ic  lof/is,  Arliculiis  IV. 

Ci)  Bossuet  dit  à  ce  sujet,  article  V,  (|ue  le  concile  de  Trente  a  piis  sa  doctrine 
«le  saint  Augustin  pour  conclure  avec  lui  (|ue  «  le  chrétien  n'a  rien  du  tout  |)ar 
où  il  puisse  ou  se  conlier,  ou  se  glorifier  en  lui-même,  mais  que  toute  sa  gloire 
est  en  Jésus-Clirist  ». 

(<«)  Article  \  I.  Il  est  presque  cnlicrcment  compost-  de  textes  tirés  du  de  Spirilti 
i:l  littcra. 

(7)  Article  VIII. 

(N)  Chapitre  ii,  article  X. 

(!»)  Cliafiitre  im.  article  III. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  POLEMISTE.  471 

Trente  d'une  manière  qui  ne  blesse  point  l'illustre  auteur, 
Molanus.  »  L'infaillibilité  de  l'Église  et  des  conciles  est  en- 
core établie  par  l'autorité  de  saint  Au  g  us  lin  (1).  —  U  y 
avait  là  de  quoi  ébranler  et  convaincre  un  homme  éminent 
comme  Leibniz,  auquel  Bossuet  consacre  toute  la  fin  de 
ses  RrfJf'.rions,  et  un  homme  animé  d'un  vrai  désir  de  con- 
ciliation, comme  l'abbé  de  Lokkum.  Bossuet  concluait  avec 
raison  que,  d'après  les  théologiens  même  de  Hanovre,  rien 
ne  serait  plus  facile  que  de  s'entendre  sur  les  points  de  doc- 
trine, puisqu'il  ne  restait  aucune  difficulté  importante  à 
propos  de  l'autorité  du  texte  original  de  l'Écriture,  de  la 
Vulgate,  de  la  tradition ,  de  linfaillibilité  de  l'Église  et  des 
conciles  œcuméniques,  et  même  de  la  primauté  du  Pape. 

C'est  ce  qui  ressort  encore  d'un  Mémoirf  en  latin  com- 
posé par  Bossuet  en  1701  à  la  prière  du  pape  Clément  XI, 
et  où  il  y  a  le  même  plan ,  les  mêmes  textes  des  Prres  que 
dans  les  hrfh'xlons  \^]. 

Par  quelle  fatalité  une  négociation  entamée  sous  de  si 
favorables  auspices  n'eut-elle  pas  tout  le  succès  que  méri- 
taient la  méthode  excellente  et  l'esprit  de  charité  du  grand 
évêque  de  Meaux  ? 

La  Dfux'u'inr  Partie  du  Recueil,  la  Correspondance ,  les 
quarante-quatre  Lettres  de  Bossuet,  de  Leibniz  et  de  M""  de 
Brinon,  concernant  la  réunion,  nous  montrent  que  le  grand 
philosophe  allemand,  après  avoir  entretenu  avec  Bossuet, 
dont  il  faisait  le  plus  grand  cas,  des  relations  assez  actives, 
que  la  guerre  de  la  Ligue  d'Augsbourg  finit  par  interrompre 
vers  1695,  et  qui  se  renouèrent  après  la  paix  de  Ryswick 
en  1699,  pour  se  continuer  pendant  deux  ans  encore, 
«  devint  tout  à  coup  politique  et  courtisan  (3 )  et  se  montra 
plus  subtil,  plus  sophiste,  plus  difticultueux  que  les  théolo- 
giens de  la  Confession  qu'il  professait  »,  lui  qui  jusque-là 


(1)  Chapitre  iv,  article  ni. 

(2)  Ce  Mrmoire  est  intitulé  :  De  profcssoHbus  Confcssionis  Auguntanae  ad  rc- 
petendam  unilulem  cathoUcam  disponendis. 

(3)  On  sait  (|ue  Leibniz  était  entièrement  dévoué  à  la  maison  protestante  de 
Hanovre,  et  que  la  révolution  de  !(>88  avait  tout  à  coup  ouvert  devant  celte  mai- 
son la  perspective  du  trône  protestant  d'Angleterre. 


472  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

avait  été  le  plus  tolérant,  le  plus  conciliant  des  luthériens. 
Il  fit  disparaître  inopinément  Molanus  du  théâtre  de  la  con- 
troverse, au  grand  déplaisir  de  Bossuet,  qui  «  avait  tou- 
jours placé  au  premier  rang-  des  théologiens  de  la  confes- 
sion d'Augsbourg,  M.  l'abbé  de  Lokkum,  comme  un  homme 
dont  le  savoir,  la  candeur  et  la  modération  le  rendaient  un 
des  plus  capables  pour  avancer  ce  beau  dessein  (de  la  réu- 
nion) (1)  ».  Lorsqu'eut  éclaté  la  Guerre  de  la  Succession 
d'Espagne,  il  ne  resta  plus  aucun  espoir  de  conciliation, 
et  la  crainte  de  nuire  aux  intérêts  politiques  de  la  maison 
protestante  de  Hanovre,  qui  aspirait  au  trône  d'Angleterre, 
détermina  Leibniz  à  se  servir  de  tous  les  moyens  pour  faire 
échouer  le  projet  de  réunion.  Voici  ce  qu'il  écrivait  à  Fa- 
bricius  en  1707  :  «  Omno  Jus  nosirum  in  Bi'itamiiam  in 
religionis  ronmnae  pxciusione  odioque  fundatiun  est.  Ita- 
que  merito  fugienda  sunt  quibiis  in  Ronianensps  tepidi 
videremnr.  » 

«  On  finit  par  être  affligé ,  dit  le  cardinal  de  Bausset  (2), 
de  voir  un  si  grand  génie,  un  philosophe  aussi  raison- 
nable ,  s'agiter  et  se  tourmenter  pour  créer  des  doutes  et 
s'attacher  à  des  difficultés  minutieuses  sans  objet  et  sans 
résultat  (3);  tandis  que  Bossuet,  par  la  seule  impression  de 
la  raison,  satisfait  toujours  l'esprit  et  le  place  dans  cette 
espèce  de  calme  et  de  repos,  où  il  ne  lui  reste  plus  qu'à 
jouir  de  la  conviction  qu'il  a  obtenue.  » 

Ce  qui  lui  donne,  avec  tant  de  franchise,  tant  de  sereine 
majesté,  c'est  d'abord  la  sécurité  inaltérable  de  sa  foi, 
c'est  ensuite  l'autorité  des  sainis  Ph-cs ,  derrière  la(|uelle 
il  se  retranche  comme  derrière  un  rempart  invincible.  — 
Ainsi,  dans  sa  Lettre  à  Leibniz  du  0  janvier  1700,  à  propos 
de  la  canonicité  des  livres  saints,  il  cite  vingt-quatre  faits 


(I)  Leitrc  de  Bossuel  ;i  Leibniz,  1-2  août  1701. 

(i)  Histoire  de  Bossuet.  liv.  Xll,  I». 

(H)  Cela  est  si  vrai  que  l'abbé  Le  Dieu  nous  anirine  qu'en  noi,  lorsqu'on  eut 
•  quelques  nouvelles  espérances  <lo  traiter  avec  succès  de  la  réunion  des  protes- 
tants d'Allemagne,  ce  ne  fut  pas  à  la  vérité  avec  les  théologiens  de  Hanovre 
qui,  dcj/uis  que  l.eiliniz  s'en  était  nu-lé,  ne  roulaient  plus  rien  conclure  et  ne  clter- 
eliairiit  t/n'à  mulliplier  les  difficultés,  pour  laisser  évaporer  le  premier  désir 
qu'on  a\ait  montré  ». 


LES  SALNÏS  PERES  ET  BOSSUET  POLEMISTE.  4/3 

qui  l'établissent  clairement  et  qui  pour  la  plupart  sont  em- 
pruntés aux  Pères  :  à  saint  ÀKgusfin  (le  6%  le  T,  le  9%  le  10% 
le  20") ,  à  saint  E.iuprre  et  au  pape  saint  Gélase  (le  5") ,  aux 
Témoignages  de  saint  Cyprien  (le  10") ,  à  saint  Clément 
<V Alexandrie ,  à  Origène,  «  pour  ne  point  parler  des  autres 
Pères  plus  nouveaux  »  (le  11*"  et  le  12") ,  à  saint  Jérôme  (le 
\y  et  le  17").  —  Dans  \a.Le//re  à  Leibniz  du  30  janvier  1700, 
sur  les  articles  fondamentaux  et  non  fondamentaux,  on 
trouve  évoqués  des  souvenirs  de  saint  Ci/prien,  «un  si  grand 
docteur  »,  du  «  docte  Vincent  de  Lérins,  dans  ce  livre  tout 
d'or,  qu'il  a  intitulé  Commonitorium  ou  Mémoire  sur  l'an- 
tiquité de  la  foi  »,  de  saint  Augustin  [\),  et  «  des  plus  célè- 
bres docteurs  du  quatrième  siècle ,  qui  parlaient  et  pensaient 
comme  nous  ».  —  Dans  la  Lettre  du  17  août  1701,  où 
Bossuet  revient  sur  le  décret  du  concile  de  Trente,  à  propos 
de  la  canonicité  des  Livres  saints,  que  Leibniz  croyait 
avoir  détruit  absolument  et  sans  réplique  par  ses  Lettres  du 
14  et  du  24  mai  1700  et  du  21  juin  1701 ,  le  grand  évêque 
cite  tour  à  tour  saint  Jérôme  (2) ,  les  Lettres  pascales  de 
saint  Athanase,  V Abrégé  ou  Si/nopse  de  V Ecriture,  «  ouvrage 
excellent  attribué  au  même  Père  (3)  » ,  saint  Grégoire  de 
Nazianze  (4),  saint  Epiphane  (5),  Origène  (6),  saint  Clé- 
ment Alexandrin  (7) ,  saint  Cyprien  (8),  saint  Augustin  (9), 
les  papes  saint  Innocent  et  saint  Gélase  (10)  ,  saint  A)n~ 
broise  (11),  saint  Optât  et  Tertullien  (12).  u  C'est  ici,  dit-il, 
qu'il  faut  appliquer  cette  règle  tant  répétée  et  tant  célébrée 
par  saint  Augustin  :  «  Ce  qu'on  ne  trouve  pas  institué  par 
les  conciles,  mais  reçu  et  établi  de  tout  temps,  ne  peut  ve- 


(I)  Bossuet  le  cite  quatre  ou  cinq  fois  dans  cette  lettre. 
(-2)  §  I,  XXXI,  L,LI. 

(3)  VII,  VIII,  IX,  XIII,  XXX,  XXXIV. 
(i)  XI,  XIII,  XXX. 

Ci)  XV. 

((i)  XIX.  LUI,  LIV. 

(7)  XIX,  LUI,  LIV. 

(8)  XIX,  XXVIII,  LUI,  LIV. 

(!))  XXX,  XXXVII,  XXXVIII.  XL.  XLIV,  XLVII.  XLVIII.  L,  LX. 
(10)  XXXI. 

(II)  LU. 
(1-2)  LX. 


47i  B0SSUI":T  et  LKS  saints  PERES. 

nir  que  des  apôtres  (1)  ».  Je  ne  veux  pas  soupçonner  que 
ce  soient  vos  dispositions  peu  favorables  envers  les  canons 
de  Rome  et  d'Afrique,  qui  vous  aient  porté  à  rayer  ces 
Églises  du  nombre  de  celles  (jue  saint  Augustin  appelle 
«  les  plus  savantes,  les  plus  exactes  et  les  plus  graves  : 
doc  li  ores,  diUgcntioi'cs ,  g  ravi  ores  •>^]  mais  je  ne  puis  assez 
m'étonner  que  vous  ayez  pu  entrer  dans  ce  sentiment.  Où 
y  a-t-il  une  Église  mieux  instruite  en  toutes  matières  de 
dogmes  et  de  discipline  que  celle  dont  les  conciles  et  les 
conférences  sont  le  plus  riche  trésor  de  la  science  ecclé- 
siastique, qui  en  a  donné  à  l'Église  les  plus  beaux  mo- 
numents, qui  a  eu  pour  maitres  un  TerluUit'n ,  un  saint 
ÇgpricH ,  un  saint  Optai ,  tant  d'autres  grands  hommes,  et 
qui  avait  alors  dans  son  sein  la  plus  grande  lumière  de 
l'Église,  c'est-à-dire  saint  Augustin  lui-même?  Il  n'y  a  qu'à 
lire  ses  livres  <U'  la  Doctrine  chrétienne  pour  voir  qu'il  ex- 
cellait dans  la  matière  des  Écritures  comme  dans  toutes  les 
autres...  Et  pour  Rome,  quand  il  n'y  aurait  autre  chose  que 
le  recours  qu'on  a  eu  dès  l'origine  du  christianisme  à  la  foi 
romaine ,  et  dans  les  temps  dont  il  s'agit  à  la  foi  de  saint 
Anasiasf,  de  saint  Innocent,  de  saint  Célestin  et  des  autres, 
c'en  est  assez  pour  lui  mériter  le  titre  que  vous  lui  ôtez.  » 

Bossuet  peut  donc  conclure  cette  dernière  Lettre  à  Leibniz 
en  disant  :  «  Voilà,  Monsieur,  les  preuves  constantes  de  la 
tradition  de  ce  concile  (de  Trente),  .l'aime  mieux  attendre 
de  votre  équité  que  vous  les  jugiez  sans  réplique  que  de 
vous  le  dire;  et  je  me  tiens  très  assuré  que  M.  l'abbé  de 
Lokkum  ne  croira  jamais  que  ce  soit  là  une  matière  de  rup- 
ture, ni  une  raison  de  vous  élever  avec  tant  de  force  con- 
tre le  concile  de  Trente.  Je  suis  avec  Testime  (jue  vous  sa- 
vez, Monsieur,  votre  très  humble  serviteur.  » 

Hélas  !  à  ré(|uité  de  Leibniz  avaient  succédé  d'aveugles 
passions  politi([ues,  et  c'en  était  fait  du  rêve  généreux  long- 
temps caressé  par  le  plus  loyal  et  le  plus  sincère  des  évô- 
(jues  catholiques. 

(I)  Ml).  IV,  De  Ilaplismo.  •!',. 


LES  SAINTS  PKRES  KT  ROSSUET  POLÉMISTE.  475 

§  Vil.  —  Instritclion  adrcssrc  aux  inlciidniils ,  1098.  — 
Lettre  de  M.  de  Tony  aux  intendants ,  V  novembre 
1700.  —  Les  deux  List ructionx  pastorales  sur  les  promes- 
ses de  rÈglise,  1700-1701. 

Bossuet  était  plus  heureux  en  France  qu'en  Allemagne 
dans  ses  rapports  avec  les  protestants.  11  obtenait  de 
Louis  XIV  une  Dfklaration  édictée  en  décembre  1698  et 
modifiant  les  lois  et  les  arrêts  qui  avaient  suivi  la  révoca- 
tion de  lÉdit  de  Nantes  (22  octobre  1685 1.  Une  Listruction 
très  étendue,  adressée  aux  intendants,  révoquait  la  plus 
grande  partie  des  pouvoirs  qu'ils  avaient  eus  jusqu'alors  (1  ). 
La  copie  de  cette  Ltstruction  fut  envoyée  aux  évoques,  et 
le  Roi  leur  écrivit  une  longue  lettre,  «  dans  laquelle,  dit  le 
cardinal  de  Bausset,  il  est  facile  de  reconnaître,  comme 
dans  V Listruction^  le  langage  et  les  principes  de  Bossuet  », 
qui  ne  sont  que  les  principes  de  tolérance  et  de  charité 
des  Pères  et  de  saint  Augustin.  Un  Mémoire ,  joint  à  la 
lettre,  montre  combien  les  moyens  par  lesquels  on  devait 
travailler  désormais  à  la  réunion  des  protestants  étaient 
différents  de  ceux  qu'on  avait  suivis  jusqu'alors. 

Mais  M.  de  Lamoignon  de  Basville,  intendant  du  Langue- 
doc, écrivit  pour  Bossuet  un  Mémoire  où  il  demandait  qu'on 
obligeât  les  nouveaux  convertis  à  assister  aux  exercices  de 
religion,  les  jours  de  fêtes  et  de  dimanches,  «  sans  qu'ils 
pussent  s'en  dispenser  sous  quelque  prétexte  que  ce  fût  ». 
Bossuet  répondit  à  ce  Mémoire  qu'il  ne  fallait  pas  plus  con- 
traindre les  nouveaux  convertis  à  aller  à  la  messe  qu'à  se 
confesser.  M.  de  Basville  communiqua  la  lettre  et  l'opinion 
de  Bossuet  à  l'évêque  de  Mirepoix,  à  celui  de  Nimes,  Flé- 
chier,  à  celui  de  Montauban,  de  Nesmond,  et  à  celui  de 
Rieux.  Ils  écrivirent  des  Mémoires  que  M.  de  Basville  trans- 
mit cà   Bossuet  :  il  n'y  répondit  pas,  ce   qui  prouve  en- 


ci)  Une  assemblée  de  religionnaires  ayant  eu  lieu  à  Nanteuil  en  l(>88.  quelques- 
uns  avaient  été  condamnés  à  mort.  —Bossuet  avait  obtenu  leur  grâce  et  fait  ré- 
duire la  peine  à  une  amende  pécuniaire. 

(-2)  Histoire  de  Bossuet.  liv.  \r,  is. 


476  BOSSUE!  Eï  LES  SAINTS  PERES. 

core  plus  qu'il  était  l'auteur  des  Itistnictions  récemment 
envoyées  aux  intendants;  il  ne  ci'ut  pas  devoir  déroger  à 
ses  principes.  Seulement,  comme  l'état  du  Languedoc  était 
toujours  grave,  on  n'étendit  pas  à  cette  province  les  dispo- 
sitions annoncées  dans  une  Lettre  que  M.  de  Torcy  écrivit 
le  l*"  novembre  1700  et  que  Bossuet  paraît  avoir  dictée, 
puisqu'on  y  retrouve  les  propres  expressions  de  ses  réponses 
à  M.  de  Bas  ville  :  «  Il  faut  sur  toutes  choses  éviter  que  per- 
sonne soit  forcé  d'aller  à  la  messe.  »  31.  de  la  Vrillière  ex- 
prima cependant  à  M.  de  Basville  le  désir  qu'avait  le  Roi 
de  voir  apporter  des  adoucissements  aux  anciennes  lois  : 
dès  lors,  celle  contre  les  relaps  cessa  d'être  exécutée  (1). 

Henri  Martin,  —  qui,  dans  son  Histoire  ch'  France,  se 
trompe  souvent  à  propos  de  Bossuet,  par  exemple  en  lui  fai- 
sant «  faire  un  début  décisif,  durant  le  Carême  de  1659  (?)  » 
(t.  XII,  p.  537,  i®  édition),  en  disant  qu'il  i<  a  débuté 
dans  la  carrière  ecclésiastique  par  un  appel  comme  d'a- 
bus, présage  de  ses  luttes  contre  la  cour  de  Rome  »  (t.  XIII, 
p.  217),  en  lui  prêtant  «  une  nature  sévère  et  impé- 
rieuse (2)  »  [ibid.,  p.  218),  en  prétendant  qu'il  prêcha  le 
Carême  au  Louvre  en  1661  {ibid.,  p.  218)  ;  qu'il  en  est  «  venu 
â  flatter  »  (p.  221)  ;  qu'il  «  tient  aux  jansénistes  par  l'esprit 
de  rigueur  et  d'exclusion  »  (p.  223);  qu'«  il  condamne  sans 
entendre  »  les  fausses  religions  venues  du  diable  (p.  249- 
50)  ;  que  «  le  prince  de  Bossuet  anéantira  cette  politique 
nationale  (3)  et  rationnelle  qui  a  fait  la  grandeur  et  la  pros- 
périté de  la  France ,  pour  y  substituer  une  politique  con- 
traire à  toutes  les  tendances  et  à  toutes  les  conquêtes  de 
l'esprit  moderne  (4)  (p.  258);  que  «  cet  enfant  dont  2/ veut 


(1)  Uist.  de  Itos..    1.  M.  -iO-i';. 

(:2)  Tous  les  contemporains  de  Bossuet  témoignent  qu'il  était  «  le  plus  doux  des 
hommes  »:Hardouin  do  l'érélixc.  M"'" de  laValliére,  M"""  de  La  Fayette,  Le  Dieu,  le 
cliapitre  de  Meaux.  Uocliard,  Kavcneau,  le  I'.  de  la  Rue,  le  P.  Campioni,  les  pro- 
testants eux-mêmes,  Saint-Simon  enfin,  qui  parle  avec  insistance  «  de  sa  douceur 
charmante  », 

(.{)  Bossuet  dit  formellement,  liv.  Il  do  la  Politique,  a  qu'il  faut  demeurer  dans 
l'étal  auquel  un  lomj  temps  a  accoutumé  le  peuple.  Qui  entreprend  do  renverser 
les  K<^»uvernements  légitimes,  n'est  pas  seulement  ennemi  publie,  mais  encore 
ennemi  de  Dieu.  » 

('«)  M.  Laiison  a  éloquemmcnt  prouvé  le  contraire  dans  son  Bossuet. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  TOLÉMISTE.  477 

faire  un  Dieu  (?),  il  ne  réussit  pas  même  à  en  faire  un 
homme  »;  (p.  260)  «  qu'il  n'avait  de  sa  vie  lu  un  mystique  » 
(p.  317),  —  Henri  Martin  calomnie  encore  plus  l'évèque  de 
Meaux,  lorsqu'il  affirme  que  ce  prélat  «  excitait  le  roi  contre 
lesprotestants  »  (XIII,  p.  611)  ;  qn'en  1698  il  tint  un  langage 
équivoque,  «  peu  digne  d'un  logicien  tel  que  lui  »,  dans  les 
délibérations  sur  des  mesures  à  prendre  à  l'égard  des  cal- 
vinistes (p.  3V7-8).  —  La  vérité  vraie ,  on  vient  de  le  voir, 
c'est  que  Bossuet,  «  le  plus  doux  du  monde  »,  comme  disait 
Hardouin  de  Péréfixe,  protesta  énergiquement  contre  les 
violences  réclamées  par  Lamoignon  de  Basville  et  les  évo- 
ques du  Midi. 

«  A  Meaux,  dit  M.  Gaillardin,  Histoire  dit  ri'cjne  de 
Louis  XIV,  V,  p.  116,  Bossuet  se  comporta  avec  une  dou- 
ceur qui  lui  attira  les  reproches  de  l'intendant...  Il  n'y  eut 
point  de  troupes  dans  le  diocèse  de  Meaux,  sauf  dnns  un 
château  dont  le  propriétaire  avait  personnellement  irrité  le 
roi ,  et  encore  l'évèque  les  en  fit  partir  en  transportant  le 
persécuté  dans  la  demeure  épiscopale...  On  raconte  qu'il  se 
présentait  inopinément  dans  les  lieux  où  il  savait  les  pro- 
testants réunis,  et  se  déclarant  à  eux  :  «  Mes  enfants,  leur 
disait-il,  là  où  sont  les  brebis,  le  pasteur  doit  y  être.  Mon 
devoir  est  de  chercher  les  brebis  égarées  et  de  les  ramener 
au  bercail  »  ;  et  aussitôt  il  entamait  une  question  de  contro- 
verse avec  cette  facilité  de  génie  qui  donne  aux  matières  les 
plus  hautes  une  forme  et  un  langage  accessible  à  tous  les 
esprits.  —  Ses  bienfaits  allaient  même  chercher  à  l'étranger 
des  fugitifs  qui  demandaient  à  rentrer  en  France  et  à  qui 
tout  manquait...  Il  ramena  ainsi  à  la  foi  catholique  les  mi- 
nistres Saurin  et  Papin.  Saurin  lui  dut  le  retour  à  la  vérité, 
la  permission  de  rentrer  en  France  et  un  asile  pour  lui  et 
sa  femme  dans  le  palais  de  Meaux,  jusqu'à  ce  que  le  gou- 
vernement lui  eut  accordé  une  pension.  » 

Au  moment  même  où  il  discutait  avec  M.  de  Basville  et 
quelques  évèques  du  Languedoc  la  conduite  à  tenir  vis-à- 
vis  des  protestants,  Bossuet  faisait  paraître,  le  30  avril  1700, 
X Instruction  pastorale  sur  les  promesses  de  l'Église ,  pour 


478  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

montrer  aux  Réunis,  par  l'expresse  parole  de  Dieu,  que  le 
mrme  principe  qui  nous  fait  chrétiens  nous  doit  aussi  faire 
catholiques. 

Après  avoir  exposé  les  deux  sortes  de  promesses  que  Jé- 
sus-Christ a  faites  à  l'Eglise ,  dont  les  unes  s'accomplissent 
sur  la  terre  et  les  autres  dans  la  vie  future,  et  dont  les  pre- 
mières servent  d'assurance  aux  secondes,  d'après  saint  .4^/- 
gustin  «  en  plusieurs  endroits  »  ,  Bossuet  établit  que  les 
trois  caractères  de  la  véritable  Église  consistent  dans  l'au- 
torité des  mêmes  pasteurs,  la  prédication  et  la  profession 
de  la  même  foi  et  l'administration  des  mêmes  sacrements. 
Pour  cela,  l'éloquent  évêque  invoque  à  chaque  pas  le  témoi- 
gnage des  saints  Pères  :  —  témoignage  de  saint  Alexandre 
d'Alexandrie  s'écriant  :  «  Nous  ne  reconnaissons  qu'une 
seule  Eglise  catholique  et  apostolique,  qui  ne  peut  être 
abattue  par  nul  effort  de  l'univers  conjuré  contre  elle,  et 
devant  qui  doivent  tomber  toutes  les  hérésies.  »  Ce  que 
disait  Alexandre,  évêque  rV Alexandrie ,  dans  ces  premiers 
temps  du  christianisme,  se  dira  éternellement  et  tant  que 
l'Église  sera  Église  à  toutes  les  sectes  qui  se  sépareront 
d'elle  »;  —  témoignage  de  TcrtuUicu,  appelant  l'Église  «  la 
source  de  la  religion  et  des  sacrements,  nudriceni  religionis 
ri  fontem  salutis  »,  et  disant  que  «  les  marcionites  ont  des 
Églises,  mais  fausses  et  dégénérantes,  comme  les  guêpes 
ont  des  ruches  »  (1);  —  témoignage  des  Pères  de  F  Église 
grecque,  qui  «  ont  mis  les  premiers  de  tous  au  rang  des  hé- 
rétiques un  Aérius,  pour  avoir  cru  inutiles  les  prières  et  les 
oblations  pour  l'expiation  des  péchés  des  morts  »  ;  —  témoi- 
gnage de  saint  C;/prien,  montrant  dans  tous  les  hérétiques 
ce  malheureux  caractère  de  se  séparer  eux-mêmes  et  d'é- 
tablir une  église  humaine  (2);  —  témoignage  de  saint  Clé- 
nwnt  d'Alexandrie  [3),  «  maître  d'Origène,  qui  touchait  au 
temps  des  apôtres  et  ([ui  était  le  théologien  de  l'Église 
d'Alexandrie,  la  plus  savante  (|ui  peut-être  fût  au  monde  »  ; 

'.\j  LU).  IV.  contra  Mure,  c.  xxw. 
(i)  EjÀsl.  ad  Anton. 

{'•i)  liossuel  dit  :  «  Je  pourrais  citer  saint  Irrm'-e,  je  pourrais  citer  Origène;  pour 
éviter  la  lonsucur.  .jo  citerai  seulement,  etc. 


LES  SAINTS  PERES  ET  ROSSUET  POLÉMISTE.  479 

—  témoignage  de  Vincenl  dp  D'rins ,  expliquant  après  saint 
Chri/sostom''  que  dans  l'Église  «  pour  éviter  la  surprise,  on 
ne  dit  rien  en  secret  ;  mais  ce  qui  est  dit  devant  tout  le  monde 
passe  à  tout  le  monde ,  de  main  en  main ,  comme  le  trésor 
royal  qui  doit  être  déposé  en  lieu  public  »  ;  —  témoignage 
de  Lanfranc,  <(  ce  saint  religieux,  ce  savant  archevêque  de 
Cantorbéry  » ,  disant  à  Bérenger  que ,  si  sa  doctrine  était 
véritable ,  l'héritage  promis  à  Jésus-Christ  était  péri  et  ses 
promesses  anéanties,  enfin  que  l'Eglise  catholique  n'était 
plus,  et  que,  si  elle  n'était  plus,  elle  n'avait  jamais  été  »  ;  — 
témoignage  de  saint  Bernard,  opposant  aux  novateurs  de 
son  temps  V autorité  de  l'Eglise  catholique  a  et  les  Pères  qui 
ont  toujours  enseigné  la  vérité  ,  et  les  papes  et  les  conciles 
toujours  attachés  à  la  suivre  »  (1);  —  témoignage  de  saint 
Basile,  de  saint  Chrysostome ,  des  autres  anciens  Pères, 
dont  l'Orient  a  le  goût  et  retient  le  langage  dans  le  service 
public;  —  témoignage  de  saint  Irénée  et  de  tous  les  Pères 
qui  ont  remarqué  que  le  Saint-Esprit  a  donné  la  foi  comme 
à  nous  à  des  peuples  qui  n'avaient  pas  l'Écriture  sainte  ;  — 
témoignage  surtout  de  saint  Auffustin ,  ((  que  j'aime  à  citer, 
dit  Bossuet,  comme  celui  dont  le  zèle  pour  le  salut  des  er- 
rants a  égalé  les  lumières  qu'il  avait  reçues  pour  les  com- 
battre ».   Tantôt,  en   effet,   saint    Augustin    est    invoqué 
contre  «  ces  murmurateurs chagrins  qui  se  rendront,  dit-il, 
plus  insupportables  que  ceux  qu'ils  ne  voudront  pas  sup- 
porter »  ;  tantôt  ce  Père  nous  montre   «  en  combien  de 
morceaux  se   sont  divisés  ceux  qui  avaient   rompu  avec 
l'Église  :  c^ui  se  ab  nnitate  praeciderunt ,  in  quot  f  rusta  di- 
visi  sunt.   »  Tantôt  nous  le   voyons  répondre  aux  Dona- 
tistes  :  «  L'Église  a  péri,  dites- vous;  elle  n'est  plus  sur  la 
terre.  Voilà  ce  que  disent  ceux  qui  n'y  sont  point  :  parole 
impudente.  Elle  n'est  pas,  parce  que  vous  n'êtes  pas  en  elle? 
C'est  une  parole  abominable,  détestable,  pleine  de  pré- 
somption et  de  fausseté,  destituée  de  toute  raison,  de  toute 
sagesse,  vaine,  téméraire,  insolente,  pernicieuse.  »  Tantôt 

(1)  Serm.  89  in  Canl.,  n.  .";,  T,  8. 


480  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

il  fait  ainsi  parler  l'Église  avec  le  Psalmiste  :  «  Annoncez- 
moi  la  brièveté  de  mes  jours,  Paiicitcttfm  (Jierum  mponon 
annuntia  tni/ti.  Mais  pourquoi,  continue-t-elle,  ceux  qui  se 
séparent  de  mon  unité  murmurent- ils  contre  moi?  Pour- 
quoi ces  hommes  perdus  disent-ils  que  je  suis  perdue?  Ils 
osent  dire  que  j'ai  été  et  que  je  ne  suis  plus.  Parlez-moi 
donc ,  ù  Seigneur,  de  la  brièveté  de  mes  jours  ».  Et  encore  : 
«  Où  sont  ceux  qui  disent  que  l'Église  est  périe  dans  le 
monde,  elle  qui,  loin  de  tomber,  ne  peut  pas  même  pencher 
pour  peu  que  ce  soit,  ni  jamais  être  ébranlée?  Elle  est 
prédestinée  pour  être  la  colonne  et  le  soutien  de  la  vérité.  » 
Ce  même  Père  enseigne  aussi  qu'on  ne  se  trompe  jamais 
en  suivant  l'Église  :  «  C'est  là,  dit-il,  qu'on  écoute  et  qu'on 
voit;  celui  qui  est  hors  de  l'Église  n'entend  ni  ne  voit  :  celui 
qui  est  dans  l'Église  n'est  ni  sourd  ni  aveugle...  Si  Dieu 
l'a  fondée  éternellement,  craignez-vous  que  le  firmament 
ne  tombe  ou  (]ue  la  fermeté  même  ne  soit  ébranlée?  Dans 
un  admirable  sermon  prononcé  à  Carthage,  il  pose  pour 
fondement  que,  par  la  coutume  de  l'Église,  «  très  an- 
cienne, très  canonique,  très  bien  fondée  »,  comme  les 
enfants  ont  péché  par  autrui,  c'est  aussi  par  autrui  qu'ils 
croient.  «  L'Église,  disait-il  à  Julien  le  Pélagien,  doit  tou- 
jours subsister,  et  il  ne  faut  pas  s'étonner  si  la  vérité  y  pré- 
vaut dans  la  multitude_,  puisque  c'est  cette  multitude  qui  a 
été  promise  à  Abraham...  Loin  que  les  erreurs  aient  nui 
à  l'Église,  dit -il  encore,  les  hérétiques  l'ont  atfermie,  et 
ceux  qui  pensaient  mal  ont  fait  connaître  ceux  {|ui  pensaient 
bien...  Le  commencement  de  l'intelligence,  c'est  la  foi;  le 
fruit  de  la  foi,  c'est  l'intelhgence,  »  etc. 

«  Je  jxivlo  après  saint  Au(/i(stin,  S  écvio  Bossuet,  cl  saint 
Augustin  a parh'  aprrs  .Irsus-Christ  mhne...  Uevenons  aux 
anciens  docteurs ,  dit-il  encore ,  et  après  avoir  reproduit 
saint  Augustin,  remontons  jusiju'à  l'origine  du  christia- 
nisme... En  remontant  plus  haut,  nous  trouverons  Tntul- 
lif'n ,  (jue  saint  Cypricn  appelait  son  maître,  et  Tertullien 
donc,  tant  qu'il  a  été  catholi([ue,  a  reconnu  cette  chaîne  de 
la  succession  (jui  ne  doit  jamais  être  rompue.  » 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  POLÉMISTE.  481 

Bossiiet  emprunte  donc  aux  Prrrs  rargument  princi- 
pal qu'il  oppose  aux  protestants  :  ils  sont  sortis  de  la  ligne, 
hors  de  la  chaîne  de  succession,  hors  de  la  tige  d'unité;  ils 
ont  innové.  «  C'est  l'argument  que  saimi  Ale.iandre,  évèque 
d'Alexandrie,  faisait  aux  ariens;  c'est  celui  que  ^mid  Augus- 
tin faisait  auxpélagiens;  c'est  celui  que  TertuUien  fait  à  Va- 
Icntin  et  à  Marcion...  Après  Bérenger,  saint  Bernard  allé- 
guait toujours  la  même  preuve,  et  toujours,  s'il  se  pouvait, 
avec  une  nouvelle  assurance.  >^ 

Les  protestants  sentirent  la  vigueur  du  coup  qui  les  frap- 
pait, et  Basnage  y  répondit  par  un  ouvrage  en  trois  vo- 
lumes, «  d'une  impression  fort  serrée  »  :  Traité  des  jiré jugés 
faux  et  légitimes,  ou  Réponses  aux  Lettres  et  Instructions 
jmstorales  de  quatre  prélats  :  MM.  de  Noailles ,  cardinal , 
archevêque  de  Paris;  Colbert,  archevêque  de  Rouen;  Bos- 
suet,  évêque  de  Meaux ;  et  Nesnto/id,  évêque  de  Montauban, 
1701.  —  Bossuet  répliqua  par  sa  Deuxième  Instruction ,  ou 
Réponse  aux  objections  (Fun  ministre  contre  la  pjremière 
Instruction ,  1702. 

Les  citations  des  Pères  devaient  être  et  étaient,  en  effet, 
moins  nombreuses  dans  cette  Lettre  pmstorale  que  dans  la 
précédente.  Pourtant,  Bossuet  a  souvent  recours  à  leur  au- 
torité contre  le  ministre  qui  prétendait  que  Jésus-Christ  n'a 
pu,  en  six  lignes,  faire  à  l'Eglise  toutes  les  promesses  dont 
parlaient  les  catholiques.  —  «  Si  saint  Augustin,  dit-il,  a 
enseigné  que  l'Écriture  ne  commande  que  la  charité  et  ne 
défend  que  la  convoitise,  pourquoi  mettre  tant  de  grands 
volumes  entre  les  mains  des  fidèles?  Comme  donc  Dieu  a 
donné  un  abrégé  de  toute  la  doctrine  des  mœurs  qu'il  a 
comprise  en  six  lignes,  ainsi  Jésus-Christ  en  a  donné  un 
pour  ce  qui  regarde  la  foi,  en  comprenant  dans  six  ligues 
toutes  les  voies  qui  mènent  à  la  vérité,  et  ne  demandant 
autre  chose  sinon  que  l'on  reçoive  les  enseignements  qui  se 
trouveront  perpétués  dans  la  succession  des  pasteurs ,  avec 
qui  il  sera  tous  les  jours,  depuis  les  Apùtres  jusqu'à  nous 
et  jusqu'à  la  fin  du  monde.  »  —  «  On  n'a  pas  besoin  d'allé- 
guer saint  Hilaire  ni  saint  Chrysostome  (pour  prouver  que 

BOSSUET    ET   LES   SAINTS    PÈRES.  31 


482  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

les  promesses  de  Notre-Seigneur  sont  faites  pour  les  fidèles 
comme  pour  les  pasteurs)  ;  la  chose  parle  d'elle-même,  et 
le  profit  des  fidèles  sous  le  ministère  marque  clairement  la 
part  qu'ils  ont  à  la  promesse,  encore  qu'elle  se  trouve  direc- 
tement adressée  aux  pasteurs.  »  —  Bossuet  invoque  les 
sain  f  s  Ph-es,  et  en  particulier  saint  Auf/ustin  et  saint  J  ('ruine, 
pour  répondre  à  la  fausse  interprétation  donnée  par  Bas- 
nage  à  ce  texte  de  l'Écriture  :  «  Quand  le  Fils  de  l'homme 
viendra,  il  ne  trouvera  plus  de  foi  sur  la  terre.  » 

Des  Remarques  accompagnaient  cette  Deuxième  In.struc- 
liun.  —  Les  premières  portent  sur  le  traité  du  ministre  et 
sur  ce  f/u' il  autorise  le  schisme,  mal  déplorable  dans  l'Eglise 
comme  autrefois  dans  le  royaume  de  David,  à  l'époque  de 
Jéroboam.  Voilà  pour(juoi  .lésus-Ghrist  renvoie  aux  succes- 
seurs d'Aaron  avec  les  autres  lépreux  celui  qui  était  Samari- 
tain. ((  Le  ministre  y  devait  répondre,  ou  convenir,  après 
tertullien,  que  Jésus-Christ  apprenait  parla  aux  Samaritains 
à  reconnaître  le  peuple    et  les  prêtres  enfants    d'Aaron, 
comme  la  tige  du  sacerdoce  et  la  source  de  la  religion  et 
des  sacrements.  »   —  Les  secondes  Remarques  roulent  sur 
le  fait  (le  Paschase  Radbert ,  où  le  ministre  tâche  rie  marquer 
une  iîinovafion  positire,  le  dogme  de  la  transsubstantiation. 
Mais  Pr/.srArt.sv%  au  neuvième  siècle,  «  avançait  positivement 
à  la  face  de  toute  l'Église ,  sans  être  repris  par  qui  que  ce 
soit,  qu'encore  que  quelques-uns  (remarquez  ce  mot)  erras- 
sent par  ignorance  sur  cette  matière  de  la  présence  réelle, 
néanmoins  il  ne  s'était  encore  trouvé  personne  ([iii  osât 
ouvertement  contredire  ce  qui  était  cru  et  confessé  par  tout 
l'univers  ».  —  Les  troisièmes  l\emnr(jues  sur  le  fuit  des 
Grecs   rappellent  leurs   paroles    aux  conciles   généraux  : 
«  Pierre  a  parlé  par  L('on ,  Pierre  a  parlé  par  A(j((tli()ii ;... 
les  saints  canons  et  les  lettres  de  Notre  Saint  Père  C (des tin 
nous  ont  forcé  à  prononcer  cette  sentence.   »  —  Dans  les 
(jiiatrièmes  Remarques  sur  l'histoire  de  l'arianisme,  on  voit 
citée  une  lettre  de  saint  Athanase,  où  il  affirme  que  «   tout 
l'univers  embrasse  la  foi  catholicjue,  et  qu'il  n'y  en  a  qu'un 
très  petit  nombre  <|ui  la  combatte  ».  Le  pape  Libérius  cstre- 


LES  SALNTS  PERES  ET  150SSUET  POLEMISTE.  483 

présenté  comme  «  lié  de  communion  avec  les  plus  saints 
évêques  de  l'Église,  un  saint  Aflianasf^,  un  saint  Basih^  », 
et  comme  «  loué  par  saint  Epiphanc  et  saint  Ambroise  ». 
«  Le  monde  avait  gémi  d'être  arien  »,  disait  saint  J(''i'(h)ie. 
«  Qui  ne  sait,  dit  aussi  saint  Aufjustin,  qu'en  ce  temps 
plusieurs  hommes  de  petit  sens  furent  trompés  par  des  pa- 
roles obscures,  en  sorte  qu'ils  croyaient  que  les  ariens  qui 
afTectaient  de  parler  comme  eux  étaient  aussi  de  la  même 
créance...  Saint  Hilairc  explique  plus  amplement  ce  mystère 
d'iniquité...  »  <(  Saint  Augustin,  ajoute  Bossuet,  dit  que 
si  la  visibilité  et  l'étendue  de  l'Eglise  étaient  éteintes  par 
toute  la  terre  avant  saint  Cyprien  et  Donat_,  il  n'y  aurait 
plus  eu  d'Église  qui  eût  pu  enfanter  saint  Cyprien  et  de  qui 
Donat  eût  pu  naître.  »  Saint  Jérôme,  tous  les  Prres  grecs  ft 
latins  ont  raisonné  de  la  même  sorte.  Saint  Alhanasc ,  saint 
Grégoire  de  Nazianze ,  saint  Hilaire  n'ont  rien  de  contraire 
à  la  doctrine  de  saint  Augustin  sur  la  perpétuité  et  l'éten- 
due de  l'Eglise.  —  Les  Réponses  aux  calomnies  cjuon  nous 
fait  sur  VEcriture  et  sur  (Vautres  points  mettent  en  relief 
des  passag-es  de  saint  Irénée ,  de  saint  Chrysostome  et  de 
saint  Justi/i  sur  l'étendue  de  l'Église  catholique,  dont  la  foi 
avait  pénétré,  dès  le  second  siècle,  «  jusqu'à  ces  Scythes  va- 
gabonds et  presque  sauvages,  qui  traînaient  sur  des  chariots 
leurs  familles  toujours  ambulantes  ».  —  Bossuet  conclut  en 
«  conjurant  »  ses  diocésains  de  lire  ses  Instructions,  où  ils 
trouveront  la  voie  du  salut  et  le  repos  de  leurs  âmes  dans 
les  promesses  de  Jésus-Christ  et  de  l'Évangile  ». 

Il  songeait  encore  aux  protestants  et  à  Grotius  lorsqu'en 
170i  il  publia  sa  Lettre  à  M.  de  Valincourt,  son  E.rplication 
de  la  prophétie  (Vlsaïe  sur  Venfantt'nu'nt  cVune  Viercje. 

On  peut  donc  dire  ({ue ,  pendant  cin(juante  années ,  Bos- 
suet fut  l'apùtre ,  le  véritable  apôtre  de  «  ses  frères  errants  » 
de  la  Réforme  :  il  ne  voulut  jamais  (jue  les  convertir  en  les 
instruisant  et  en  les  traitant  avec  la  plus  grande  douceur. 
Ce  sont  les  protestants  eux-mêmes  qui  lui  rendent  ce  té- 
moignage. Le  ministre  du  Bourdieu,  l'un  des  plus  distin- 
gués, écrivait  à  un  magistrat  de  Montpellier,  dans  une  lettre 


484  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

confidcniielle  :  <(  Je  vous  dirai  franchement  <{iie  les  ma- 
nih'cs  lw)mêl('s  et  c/wr/ieniifs,  par  lesquelles  M.  de  Meauxse 
distingue  de  ses  confrères,  ont  beaucoup  contribué  à  vain- 
cre la  rrpugnance  que  j'ai  pour  tout  ce  qui  s'appelle  dis- 
pute. Car,  si  vous  y  prenez  garde,  ce  prélat  tùnuploie  que 
(les  voies  ércDifjéliqnes  pour  nous  persuader  sa  religion.  Il 
prêche,  il  compose  des  livres,  il  fait  des  lettres  et  travaille 
à  nous  faire  quitter  notre  croyance  par  des  moyens  convena- 
bles à  son  caractère  et  à  F  esprit  du  christianisme.  Nous 
devons  donc  avoir  de  la  reconnaissance  pour  les  soins  cha- 
ritables de  ce  grand  prélat ,  et  examiner  ses  ouvrages  sans 
préoccupation,  comme  venant  d'un  co'ar  qui  nous  aime  et 
soultaite  notre  salut.  Ainsi,  les  intentions  droites  et  pures, 
de  ce  grand  homme,  etc.  »  A  cet  hommage  éclatant  rendu 
par  un  adversaire  à  Bossuet ,  il  faut  ajouter  celui  qu'on 
trouve  dans  la  Séduction  éludée,  ouvrage  publié  à  Berne  en 
1680  par  les  Protestants  et  qui  ne  parle  de  révè({ue  de  Meaux 
que  comme  «  d'un  prélat  illustre,  que  Dieu,  dont  l'immense 
libéralité  n'a  non  plus  d'égards  à  l'apparence  des  rehgions 
qu'à  celle  des  personnes,  a  orné  et  enrichi  d'une  infinité  de 
merveilleux  (/o;i.s ;  pour  lequel  aussi  (les  Réformés)  ont  une 
vénération  particulière ,  ayant  toujours  eu  parmi  eux  une 
grande  considération  jmur  son  mérite  ».  On  est  heureux  de 
rencontrer  cet  autre  éloge  digne  d'un  pareil  évêque  dans 
une  lettre  qu'un  converti  adressait  à  Bossuet  :  «  Vous  êtes 
un  autre  saint  Paul  dont  les  travaux  ne  se  bornent  pas  à 
une  seule  nation  ou  à  une  seule  province.  Vos  ouvrages  par- 
lent présentement  en  la  plupart  des  langues  de  l'Europe  et 
vos  prosélytes  publient  vos  triomphes  en  des  langues  que 
vous  n'entendez  pas  (1).  « 

ARTICLE  II 

Les  saints  Pères 
et  la  Polémique  de  Bossuet  contre  les  Jansénistes. 

«  Quel  motif,  écrivait  Joseph  de  Maistre  dans  son  livre  /te 

(1)  De  liaiisset,  Ilisl.  dr  lios.iurf ,  liv.  \III. 


LES  SAINTS  PEKES  ET  BOSSUET  POLEMISTE.  485 

r Église  (jalUcane  (1),  quel  secret  ressort  ag-issait  sur  l'es- 
prit du  grand  évêque  de  Meaux  et  semblait  le  priver  de  ses 
forces  en  face  du  jansénisme  ?  C'est  ce  qu'il  est  bien  difficile 
de  deviner;  mais  le  fait  est  incontestable.  » 

Il  Test  si  peu  que  Floquet  dans  ses  savantes  Études  sur 
la  vie  de  Bossue/,  t.  II,  livre  VIII.  pages  2V6--201,  et  livre  X, 
pages  3il-i22,  a  établi,  par  des  faits  péremptoires  et  des 
preuves  irrécusables,  que,  non  seulement  Bossuet  «  n'a  ja- 
mais appartenu  aux  jansénistes  et  que  l'on  ne  pourrait, 
sans  manquer  de  respect  et  même  de  justice  envers  la  mé- 
moire de  l'un  des  plus  grands  hommes  du  grand  siècle,  éle- 
ver le  moindre  soupçon  sur  la  sincérité  de  ses  sentiments  et 
de  ses  déclarations  (2)  »,  mais  qu'il  reproche  aux  jansénis- 
tes tout  autre  chose  que  <(  les  cinq  propositions,  »  qui  ne 
sont  que  «  leur  peccadille  »  ;  et  que  le  blâmer  «  de  n'a- 
voir pas  bien  connu  le  jansénisme  »,  c'est  un  ridicule  para- 
doxe qu'explique,  mais  ne  justifie  pas,  la  passion  antigal- 
licane du  comte  de  Maistre. 

L'abbé  Rohrbacher,  dans  son  Histoire  de  l'Eglise  catho- 
lique, 12  vol.  in-i-°,  Briday,  Lyon,  et  le  chanoine  Réaume, 
dans  son  Histoire  de  Bossuet  (3  vol.  in-8°,  Paris,  Vives, 
1869-70),  n'ont  tenu  aucun  compte  des  faits  précis  mis  en 
lumière  par  Floquet  et  ils  persistent  avec  acharnement  à 
faire  de  Bossuet  un  Janséniste ,  sous  prétexte  que  le  grand 
prélat  était  courtisan ,  comme  si  tout  le  monde  ne  savait  pas 
que  le  jansénisme  déplaisait  souverainement  à  la  cour  et  à 
Louis  XIV,  qui  exila  le  grand  Ârnauld  et  fit  raser  Port- 
Hoyal  ! 

M.  Lanson  n'est  guère  plus  excusable  d'avoir  dit  que 
Bossuet  «  n'a  point  jugé  l'erreur  des  jansénistes  dange- 
reuse (3)  ». 

Il  avait  été  l'élève  préféré,  le  confident,  l'ami  de  Nicolas 
Cornet,  de  celui-là  même  qui,  en  sa  qualité  de  syndic  en 
exercice  de  la  Faculté  de  théologie  et  de  promoteur  de  la 


(1)  I.iv.  n.  cliap.  XI,  p.  '2""-'278. 
(-2)  Même  ouvrage,  même  page. 
(;<)  Bossuet,  p.  :W6. 


486  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

censure,  avait  eu  IfiiO  extrait  de  VAuyiisiimis  de  Jansénius 
les  (inrj projiosirionsoix  se  trouve  toute  la  siil:)staiice  du  livre 
et  que  TÉglise  condamna  (1).  Bossaet  adhérait  sans  réserve 
à  cette  condamnation  et  à  toutes  les  censures  portées  par 
le  pape  et  les  évêques.  Dans  V Oraison,  futù-bvc  du  P.  de 
Bour(/oin(j,  le  i  décembre  16J)2,  il  n'avait  pas  craint  de 
faire  allusion  aux  questions  si  vivement  débattues  alors  en 
France  et  dans  le  sein  même  de  l'Oratoire,  et  de  se  prononcer 
énerg-iquement  pour  l'amour  de  l'Église  et  de  l'unité  : 
«  Quiconque  aime  l'unité ,  dit-il ,  doit  avoir  une  adhérence 
immuable  à  tout  l'ordre  épiscopal,  dans  lequel  et  par  lequel 
le  mystère  de  l'unité  se  consomme,  pour  détruire  le  mys- 
tère d'iniquité  qui  est  Yœi/rrr  de  ri'beUioii  et  de  schistuc. 
Je  dis  :  à  tout  Tordre  épiscopal  ;  au  Pape ,  chef  de  cet  ordre 
et  de  l'Église  universelle  (2)  ;  aux  évêques,  chefs  et  pasteurs 
des  Églises  particulières.  Tel  est  l'esprit  de  l'Église,  tel  est 
principalement  le  devoir  des  prêtres,  qui  sont  établis  de 
Dieu  pour  être  les  coopérateurs  de  l'épiscopat...  Soyez  bénie 
de  Dieu,  sainte  compagnie  (de  l'Oratoire);  entrez  de  plus 
en  plus  dans  ces  sentiments;  ('tcii/ncz  cfs  feux  de  division  : 
ensevelissez  sans  retour  ces  no/ns  de  [Mirti.  Laissez  se  débat- 
tre, laissez  disputer  et  languir  dans  des  questions  ceux  qui 
n'ont  pas  le  zèle  de  servir  l'Eglise.  » 

L'année  suivante,  dans  Y  Oraison  funrhrc  de  Nicolas 
Cornet,  que  Bossuet  prononça,  non  pas  le  27  avril,  comme 
l'ont  dit  dom  Deforis  et  le  cardinal  de  Bausset,  mais  le 
27  juin  1GG3,  soixante-dix  jours  après  la  mort  du  grand 
maître  de  Navarre  (3),  en  présence  de  vingt  prélats  et  de 
tous  les  docteurs  de  la  Sorbonne  (il,  le  jeune  orateur  par- 
lait avec  autant  de  franchise  que  de  délicatesse  et  de  cha- 

(1)  Voir  Boraiill-Bereastel.  Hw^oîVe  de.  l'Éf/lisa.  liv.  lAXIir.  —  Ellies  du  Pin,  His- 
toire eccl('-siasli(/ii.e  du  dix  -septième  aiècle  (I7-27);  —  Vie  de  M.  Olier  (I8.'>3);  — 
Ilisloire  de  saint  Vincent  de  Paul,  par  Collet,  1818. 

(-2)  Ces  d('Clarations  atteignaient  en  |)lein  les  Jansénistes,  qui  en  ai)i)claiont  du 
l*ape  au  Concile  général. 

(.3)  Klle  datait  du   18  avril. 

(i)  Le  neveu  de  Nicolas  Cornet  nous  dit,  dans  VKInge  de  son  oncle,  i|ue  les  doc- 
leurs  (le  la  Faculté  de  Paris  étaient  venus,  les  uns  pour  rendre  leurs  derniers 
dev(jirs  au  grand  maître,  les  autres  pour  écouter  ce  i/ui  se  j^oueait  dire  du  com- 
bat qu'il  avait  eu  avec  les  .Ians(Miistes. 


LES  SAINTS  PEUES  ET  BOSSUET  POLEMISTE.  487 

rite  des  ditierends  qui  troublaient  alors  l'Église.  11  mettait 
sur  le  même  pied  les  jansénistes  et  les  easuistes,  «  la  pitié 
meurtrière  (des  docteurs  qui  leur  a  fait  porter  des  coussins 
sous  les  coudes  des  pécheurs  » ,  et  l'erreur  de  «  quelques 
autres,  non  moins  extrêmes,  qui  ont  tenu  les  consciences 
captives  sous  des  rigueurs  très  injustes ,  qui  traînent  tou- 
jours l'enfer  après  eux  et  ne  fulminent  que  des  anathèmes.  » 
«  L'ennemi  de  notre  salut,  ajoutait-il,  se  sert  également 
des  uns  et  des  autres,  employant  la  facilité  de  ceux-là  pour 
rendre  le  vice  aimable,  et  la  sévérité  de  ceux-ci  pour  rendre 
la  vertu  odieuse.  Quels  excès  terribles  et  quelles  armes  op- 
posées! » 

Etait-ce  là,  «  méconnaître  le  jansénisme  »  ou  «  ne  pas 
juger  cette  erreur  dangereuse?  » 

Mais  ce  n'est  pas  tout  :  Bossuet  pqursuivait  et  après 
avoir  tonné  contre  ceux  «  qui  réduisent  l'Évangile  en  pro- 
blèmes »  :  «  Que  dirai-je,  s'écriait-il,  de  ceux  qui  détrui- 
sent par  un  autre  excès  l'esprit  de  la  piété,  qui  trouvent 
partout  des  crimes  nouveaux  et  accablent  la  faiblesse  hu- 
maine en  ajoutant  au  joug  que  Dieu  nous  impose?  Qui  ne 
voit  que  cette  rigueur  enfle  la  présomption,  nourrit  le  dé- 
dain, entretient  un  chagrin  superbe  et  un  esprit  de  fas- 
tueuse singularité,  fait  paraître  la  vertu  trop  pesante,  l'É- 
vangile excessif,  le  christianisme  impossible?...  Vous  donc, 
docteurs  trop  austères,  puisque  l'Évangile  doit  être  léger, 
n'entreprenez  pas  d'accroître  son  poids;  n'y  ajoutez  rien 
de  vous-mêmes,  ou  par  faste,  ou  par  caprice,  ou  par  igno- 
rance... Quelle  effroyable  tempête  s'est  excitée  en  nos  jours 
touchant  la  grâce  et  le  libre  arbitre  !  Je  crois  que  tout  le 
monde  ne  le  sait  que  trop,  et  il  n'y  a  aucun  endroit  si  reculé 
de  la  terre,  où  le  bruit  n'en  ait  été  répandu.  » 

Et  alors  l'archidiacre  de  Metz  plaidait  à  la  fois  la  cause 
de  Nicolas  Cornet,  dont  il  faisait  l'éloge  le  plus  complet, 
pour  répondre  aux  attaques  dont  il  avait  été  l'objet  de  la 
part  des  jansénistes,  cVArnauld  lui-même  (1),  et  la  cause  des 

(I)  Il  avait  publié  des  Considri-alions  sur  l'entreprise  faite  par  M.  Nicolas  Cor- 
net, Kiii». 


i88  ROSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

Pères  de  l'Église,  de  saint  Augustin,  de  saint  Grégoire  de 
Ndzieone,  de  saint  Thomas  et  de  toute  FÉcole.  dont  la  doc- 
trine était  attaquée  ou  plutôt  défigurée  par  les  nouveaux 
docteurs. 

K  Comme  presque  le  plus  grand  effort  de  cette  nouvelle 
tempête  tomba  dans  le  temps  qu'il  était  syndic  de  la  Fa- 
culté de  Théologie ,  voyant  les  vents  s'élever,  les  nues  s'é- 
paisisr,  les  flots  s'enfler  de  plus  en  plus;  sage,  tranquille  et 
posé  qu'il  était,  il  se  mit  à  considérer  attentivement  quelle 
était  cette  nouvelle  doctrine  et  quelles  étaient  les  person- 
nes qui  la  soutenaient.  Il  vit  donc  que  saint  Augusiin ,  qu'il 
tenait  le  plus  éclairé  et  le  plus  profond  de  tous  les  doc- 
teurs, avait  exposé  à  l'Église  une  doctrine  toute  sainte  et 
apostolique  touchant  la  grâce  chrétienne  ;  mais  que ,  ou  par 
faiblesse  naturelle  de  l'esprit  humain,  ou  à  cause  de  la  pro- 
fondeur et  de  la  délicatesse  des  questions,  ou  plutôt  par. 
la  condition  nécessaire  et  inséparable  de  notre  foi  durant 
cette  nuit  d'énigmes  et  d'obscurités,  cette  doctrine  céleste 
s'est  trouvée  nécessairement  enveloppée  parmi  des  difficul- 
tés impénétrables;  si  bien  qu'il  y  avait  à  craindre  qu'on  se 
fût  jeté  insensiblement  dans  des  conséquences  ruineuses  à 
la  liberté  de  l'homme;  ensuite  il  considéra  avec  combien 
de  raisons  toute  FEcole  et  toute  l'Église  s'étaient  appli- 
quées à  défendre  les  conséquences,  et  vit  que  la  Faculté 
des  nouveaux  docteurs  en  était  si  prévenue  qu'au  lieu  de 
les  rejeter,  ils  en  avaient  fait  une  doctrine  propre  :  si  bien 
que  la  plupart  de  ces  conséquences,  que  tous  les  théolo- 
giens avaient  toujours  regardées  jusqu'alors  comme  des  in- 
convénients fâcheux,  au-devant  desquels  il  fallait  aller  pour 
bien  entendre  la  doctrine  de  saint  Augustin  et  de  l'Eglise, 
ceux-ci  les  regardaient ,  au  contraire ,  comme  des  fruits  né- 
cessaires, qu'il  en  fallait  recueillir,  et  que  ce  qui  avait 
paru  à  tous  les  autres  comme  des  écueils  contre  lesquels  il 
fallait  craindre  d'échouer  le  vaisseau,  ceux-ci  ne  craignaient 
point  de  nous  le  montrer  comme  le  port  salutaire  auquel 
devait  aboutir  la  navigation.  Après  avoir  ainsi  regardé  la 
face  et  l'état  de  cette  doctrine,  que  les  docteurs  sans  doute 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  POLÉMISTE.  489 

reconnaîtront  bien  sur  cette  idée  générale,  il  s'appliqua  à 
connaître  le  génie  de  ses  défenseurs.  Saint  Grnjoire  de  Na- 
zianzr,  qui  lui  était  fort  familier,  lui  avait  appris  que  les 
troubles  ne  naissent  pas  dans  l'Église  par  des  âmes  com- 
munes et  faibles  :  «  Ce  sont,  dit-il,  de  grands  esprits,  mais 
ardents  et  chauds,  qui  causent  ces  mouvements  et  ces  tu- 
multes »  ;  mais  ensuite  les  décrivant  par  leurs  caractères 
propres,  il  les  appelle  excessifs,  insatiables  et  portés  plus 
ardemment  qu'il  ne  faut  aux  choses  de  la  religion  :  paroles 
vraiment  sensées,  et  qui  nous  représentent  au  vif  le  naturel 
de  tels  esprits. 

«  Vous  êtes  étonnés,  peut-être,  d'entendre  parler  de  la 
sorte  un  si  saint  évèque.  Car,  Messieurs,  nous  devons  enten- 
dre que,  si  l'on  peut  avoir  trop  d'ardeur,  non  point  pour 
aimer  la  sainte  doctrine,  mais  pour  l'éplucher  de  trop  près 
et  pour  la  rechercher  trop  subtilement,  la  première  partie 
d'un  homme  qui  étudie  les  vérités  saintes,  c'est  de  savoir 
discerner  les  endroits  où  il  est  permis  de  s'étendre  et  où  il 
faut  s'arrêter  tout  court  et  se  souvenir  des  bornes  étroites 
dans  lesquelles  s'est  resserrée  notre  intelligence  :  de  sorte 
que  la  plus  prochaine  disposition  à  l'erreur  est  de  vouloir 
réduire  les  choses  à  la  dernière  évidence  de  la  convic- 
tion (1).  Mais  il  faut  modérer  le  feu  d'une  mobilité  inquiète , 
qui  cause  en  nous  cette  intempérance  et  cette  maladie  de 
savoir,  et  être  sages  sobrement  et  avec  mesure ,  selon  le 
principe  de  l'apôtre,  et  se  contenter  simplement  des  lu- 
mières qui  nous  sont  données  plutôt  pour  réprimer  notre 
curiosité,  que  pour  éclaircir  tout  à  fait  le  fond  des  choses. 
C'est  pourquoi  ces  esprits  extrêmes,  qui  ne  se  lassent  ja- 
mais de  chercher,  ni  de  discourir,  ni  de  disputer,  ni  d'é- 
crire, saint  Grégoire  de  Nazianzc  les  a  appelés  excessifs 
et  insatiables. 

«  Notre  sage  et  avisé  Syndic  jugea  que  ceux  desquels  nous 
parlons  étaient  à  peu  près  de  ce  caractère,  grands  hom- 
mes, éloquents,  hardis,  décisifs,  esprits  forts  et  lumineux, 

(I)  Il  y  a  là  une  réponse  au  cartésianisme,  qui  donnait  la  main  au  jansénisme. 


490  lîOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

mais  plus  capables  de  pousser  les  choses  à  rextrérnité  que 
de  tenir  le  raisonnement  sur  le  penchant,  et  plus  propres  ii 
commettre  ensemble  les  vérités  chrétiennes  qu'cà  les  réduire 
à  leur  unité  naturelle;  tels  enlin,  pour  dire  en  un  mot, 
qu'ils  donnent  beaucoup  à  Dieu ,  et  c'est  pour  eux  une  grande 
grâce  de  céder  entièrement  à  s'abaisser  sous  l'autorité  su- 
prême de  l'Église  et  du  Saint-Siège.  Ce  parti  zélé  et  puis- 
sant charmait  du  moins  agréaljlement,  s'il  n'emportait  tout 
fi  fait  la  fleur  de  l'École  et  de  la  jeunesse.  Enfin,  il  n'ou- 
bliait rien  pour  entraîner  après  soi  toute  la  Faculté  de 
théologie. 

«  C'est  ici  qu'il  n'est  pas  croyable  combien  notre  sage 
Grand  Maître  a  travaillé  utilement  parmi  ces  tumultes,  con- 
vainquant les  uns  par  sa  doctrine ,  retenant  les  autres  par 
son  autorité,  animant  et  soutenant  tout  le  monde  par  sa 
constance...  Et  certes,  il  est  véritable  qu'aucun  n'était  mieux 
instruit  du  point  décisif  de  la  question.  Il  connaissait  très 
parfaitement  et  les  confins  et  les  bornes  de  toutes  les  opi- 
nions de  Y  Ecole ,  jusqu'où  elles  couraient  et  où  elles  com- 
mençaient à  se  séparer;  surtout  il  avait  grande  connais- 
sance de  la  doctrine  de  saint  Aiiç/ustin  et  de  l'École  de  saint 
Thomas.  Il  connaissait  les  endroits  par  où  ces  nouveaux 
docteurs  semblaient  tenir  les  limites  certaines,  par  lesquels 
ils  s'en  étaient  divisés.  C'est  de  cette  expérience,  de  cette  ex- 
quise connaissance  et  du  concert  des  meilleurs  cerveaux  de 
la  Sorbonne ,  que  nous  est  né  cet  extrait  des  cinq  proposi- 
tions, qui  sont  comme  les  justes  limites  par  les(iuelles  la 
vérité  est  séparée  de  l'erreur,  et  qui  étant,  pour  ainsi  parler, 
le  caractère  propre  et  singulier  des  nouvelles  ojDÎnions,  ont 
donné  le  moyen  à  tous  les  autres  de  courir  unanimement 
contre  leurs  nouveautés  inouïes.  » 

Pouvait -on  être  plus  explicite  et  plus  formel  dans  la 
condamnation  du  jansénisme?  Pourtant  Bossuet  ajoutait 
encore  : 

«  C'est  donc  ce  consentement  (jui  a  préparé  les  voies  à  ces 
grandes  décisions  que  Rome  a  données,  à  quoi  notre  très 
sage  docteur,  par  la  créance  qu'avait  même  le  Souverain 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  POLÉMISTE.  491 

Pontife  à  sa  parfaite  intégrité  ,  ayant  si  utilement  travaillé, 
il  en  a  aussi  avancé  l'exécution  avec  une  pareille  vigueur, 
sans  s'abattre ,  sans  se  détourner,  sans  se  ralentir  :  si  bien 
que  par  son  travail ,  sa  conduite,  et  par  celle  de  ses  fidèles 
coopérateurs,  ils  ont  été  contraints  de  céder.  On  ne  fait  plus 
aucune  sortie;  on  ne  parle  plus  que  de  paix.  0  qu'elle  soit 
véritable  1  ù  qu'elle  soit  effective  1  ù  qu'elle  soit  éternelle  ! 
Que  nous  puissions  avoir  appris  par  expérience  combien  il 
est  dangereux  de  troubler  l'Église ,  et  combien  on  outrage 
la  sainte  doctrine ,  quand  on  l'applique  malbeureusement 
parmi  des  extrêmes  conséquences  !  Puissent  naître  de  ces 
conflits  des  connaissances  plus  nettes,  des  lumières  plus 
distinctes,  des  flammes  de  charité  plus  tendres  et  plus  ar- 
dentes, qui  rassemblent  bientôt  en  un  par  cette  véritable 
concorde  les  membres  dispersés  de  l'Église!  » 

La  charité  du  prêtre  parlait  ici  avec  autant  d'onction  que 
l'inébranlable  fermeté  du  docteur  avait  parlé  avec  énergie. 
Un  tel  discours  dans  un  tel  milieu,  dans  de  telles  circonstan- 
ces, était  plus  qu'un  discours  :  c'était  un  acte,  c'était  la  con- 
damnation formelle  du  jansénisme  et  de  tous  les  échappa- 
toires imaginés  par  ses  partisans. 

Aussi  n'est-on  pas  étonné  de  voir  en  166i  et  en  1665  le 
nouvel  archevêque  de  Paris,  Hardouin  de  Beaumont  Péré- 
fixe,  qui  avait  assisté  à  l'oraison  funèbre  de  Nicolas  Cor- 
net (1),  recourir  aux  lumières  et  au  zèle  de  Bossuet  pour 
triompher  de  l'opiniâtre  résistance  des  religieuses  de  Port- 
Royal,  qui  ne  voulaient  pas  signer  le  célèbre  fonnuhdrp  (2). 
Le  jeune  doyen  de  3ietz  s'empresse  de  répondre  aux  désirs 
de  l'archevêque ,  et  il  nous  reste  une  Lettre  aux  Religieuses 
de  Port-Roijal  sur  la  signature  du  f annulaire  contre  le 
livre  de  Jansénius.  C'est  la  seconde  rédaction  de  cette  lettre 
(1665)  où  Bossuet  répond  à  V Apologie  des  Religieuses  de 
Port-Rogal,  composée  en  1664-1665  par  Arnauld  et  Nicole, 

(I)  Il  y  a  même,  dans  Texorde  du  discours,  quek|ues  mots  à  son  adresse  et  à 
celle  de  M«''  La  Motlic  Houdancourt.  archevêque  nommé  d'Aucli. 

(i)  H  y  eut  à  ce  sujet  deux  mandements  de  l'archevêque  de  Paris,  l'un  du  7  juin 
1(i(W,  l'autre  du  13  mai  It»;:;,  après  la  bulle  d'Alexandre  VII,  Rcj/iuiinis  apostolicl 
18  février  itHi';. 


492  nOSSUET  ET  LES  SAINTS  PÈRES. 

qui  est  seule  authentique,  d'après  une  copie  de  Le  Dieu, 
conservée  au  grand  séminaire  de  Meaux  (1).  Bossuet  en  en- 
voyait une  copie  à  )r^  d'Albert,  le  13  juin  1G91  (2). 

Les  raisons  données  dans  cette  Letlrc  afin  de  convaincre 
les  récalcitrantes  qu'il  n'y  avait  pas  lieu  de  distinguer  le 
fait  et  le  droit ,  sont,  pour  la  plupart ,  empruntées  à  l'his- 
toire et  aux  PèiTs  de  l'Eglise.  — Ainsi,  les  Pi'rrs  de  Chalcé- 
doine  «  ne  voulurent  pas  même  écouter  la  profession  de  foi 
de  Théodoret  que  l'anatlirme  à  Nestorius  ne  fût  à  la  tête  », 
joignant  «  le  fait  et  le  dogme  »  dans  la  même  déclaration. 
—  Ainsi  encore,  «  la  profession  de  foi  de  saint  Grégoire, 
vraiment  grand,  parce  qu'il  a  été  vraiment  humble,  euvoyée 
par  ce  saint  pape  aux  Églises  d'Orient  après  son  exaltation 
au  Saint-Siège  » ,  fait  tomber  le  même  anathème  tant  sur 
les  faits  que  sur  les  dogmes.  «  Les  professions  de  foi  du 
même  style  et  du  même  esprit  (jue  celle  de  saint  Grégoire... 
sont  très  ordinaires  dans  l'antiquité...  Comment  donc  oser 
soutenir  qu'on  ne  peut  dire  sans  péché ,  en  imitant  saint 
Grégoire  :  J'approuve  les  })crsonnes  et  les  écrits  que  l'Église 
approuve  et  je  condamne  ceux  qu'elle  condamne?  —  L'A- 
pôtre saint  Paul  ordonne  de  noter  tout  frère  qui  marche 
contre  la  tradition ,  et  il  désigne  expressément  dans  une  de 
ses  Ejjttres  un  Hyménée,  un  Phrygelle,  un  Hermogène,... 
ainsi  qu'il  fut  pratiqué  à  l'égard  d'un  hérétique  de  la  secte 
des  monoth élites,  que  saint  Èloi  découvrit  à  Autuo,  et  qu'il 
se  pratiquait  constamment  dans  les  autres  rencontres  sem- 
blables. »  —  «  Le  grand  pape  saint  Léon  ordonne  à  ceux 
qui  étaient  suspects  de  l'hérésie  pélagienne  de  condamner 
par  écrit  dans  leur  profession  de  foi  »  les  auteurs  de  leur 
superbe  doctrine...  Je  n'achèverais  jamais  ce  discours  si 
j'entreprenais  de  vous  raconter  tous  les  exemples  pareils,  qui 
sont  infinis  dans  l'histoire  et  dans  les  actes  particuliers  de 
l'Église.  J'ajouterai  seulement  que  le  pape  saint  llorntisdus 

(I)  La  première /v-da(7îo«.  lut  imprimée  en  l"0!i  par  TabUc  Bossuet.  sur  la  tle- 
inandc  de  M"'"  de  Maintenon  et  du  canlinal  de  Noailles,  malgré  Le  Dieu,  qui  avait 
déclari-  •  que  la  copie  qui  courait  ne  valait  rien  et  (|u'il  possédait  seul  •  le  texte 
de  l'illustre  prélat. 

(i)  Voir  ses  Lettres  à  M'""  d'Albert. 


Li:S  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  POLEMISTE.  493 

exigea  et  reçut  par  écrit  la  confession  de  foi  de  tout  l'Orient, 
en  laquelle  était  énoncée  la  condamnation  expresse  de  tous 
ceux  que  l'Église  avait  jugés,  et  nommément  celle  d'Acace, 
patriarche  de  Constantinople ,  ce  pape  très  saint  et  très 
docte,  défenseur  très  zélé  de  la  doctrine  de  saint  Ant/iisfin, 
ayant  gravement  averti  les  évéques  «  qu'il  ne  suffisait  pas 
d'enfermer  les  errants -dans  une  condamnation  générale  », 
mais  qu'il  fallait  condamner  nommément  tous  ceux  que 
l'Église  jugeait  condamnables.  —  Saint  Ci/rilh-  (V Alexan- 
drie déclara  (au  concile  d'Éphèse )  que  lui  et  les  orthodoxes 
ne  recevaient  à  leur  communion  les  évêques  d'Orient  ni 
Jean  (d'Antioche i ,  leur  chef  et  leur  patriarche,  que  sous  la 
condition  nécessaire  d'anathématiser  par  écrit  Nestorius  et 
ses  dogmes...  Le  pape  saint  Horntisdas  en  usa  de  la  même 
sorte  avec  Jean ,  patriarche  de  Constantinople ,  et  les  autres 
évêques  grecs...  «  Recevoir,  disait  saint  Hormisdas,  le  con- 
cile de  Chalcédoine  et  les  lettres  de  saint  Léon ,  et  cependant 
défendre  le  nom  d'Acace,  c'est  entreprendre  de  soutenir 
des  choses  contraires.  »  Et  quoique  nous  voyions  par  une 
lettre  du  pape  saint  (réUisc  que  l'on  objectait  alors  ce  que 
quelques-uns  objectent  encore  à  présent ,  (pie  (c  Acace  n'a- 
vait pas  été  jugé  par  un  concile,  lui  qui  était  évêque  d'une 
Église  si  considérable  »,  néanmoins  le  pape  saint  Hormisdas 
pressa  toujours  les  Orientaux  par  la  force  des  choses  ju- 
gées. —  Le  pape  Félix  III  avait-il  attendu  l'aveu  d'Acace 
pour  prononcer  sa  sentence?  —  Au  concile  de  Constanti- 
nople ,  sous  saint  FUirun) ,  les  archimandrites  souscrivirent 
la  déposition  d'Eutychès.  Les  légats  du  pape  saint  Hormis- 
das obligèrent  pareillement  les  archimandrites,  c'est-à-dire 
les  Pères  des  monastères  ,  à  souscrire  expressément  la  con- 
damnation d'Acace.  » 

Après  avoir  répondu  à  l'argument  tiré  de  ce  que  «  les 
sentences  de  l'Église  en  ce  qui  touche  les  faits  ne  sont  pas 
tenues  infaillibles  »,  Bossuet  conjure  les  religieuses  de  Port- 
Royal  de  ne  pas  se  laisser  «  émouvoir  aux  histoires  qu'on 
leur  fait  pour  leur  décrier  la  conduite  du  Saint-Père  et  des 
évêques.  Si  vous  voulez  des  exemples  de  l'antiquité,  que  ne 


494  BOSSLEÏ  ET  LES  SAINTS  PERES. 

disait  pas  un  Nestorius  de  saint  Cf/rillc,  archevêque  d'A- 
lexandrie, le  principal  auteur  de  ses  maux?...  Mes  sœurs, 
ne  vous  jetez  pas  dans  ce  labyrinthe;  car  ne  vous  aper- 
cevez-vous pas  quelle  illusion  ce  serait,  si  vous  étiez  dé- 
tournées de  vous  soumettre  dans  un  fait  si  authentiquement 
jugé,  par  une  attache  à  des  faits  particuliers?...  Laissez 
donc  à  part  ces  narrés  d'intrigues  et  de  cabales  que  les 
hommes  ne  cesseront  jamais  de  se  reprocher  mutuel- 
lement. » 

Cette  Lettre  éloquente  devait  rester  infructueuse,  comme 
les  visites  que  fit  Bossuet  soit  à  Sainte-Marie  du  Faubourg- 
Saint-Jacques ,  en  septembre  1664,  où  il  vit  la  mère  Agnès 
et  sa  nièce,  sœur  Sainte-Thérèse  Arnauld  d'Andilly,  qui 
signa  «  de  la  main  et  non  du  cœur  » ,  pour  se  rétracter, 
secrètement  en  février  1665,  soit  à  Port-Royal  de  Paris,  où 
il  se  rendit  aussi  inutilement  le  28  juin  1665  avec  M^'"  Har- 
douin  de  Péréfixe,  qui  l'avait  annoncé  aux  religieuses  en 
ces  termes  :  «  C'est  un  homme  savant,  le  plus,  doux  du 
monde,  et  entièrement  comme  il  vous  faut.  Il  n'est  d'aucun 
parti  ». 

Que  M.  Lanson  nous  dise  après  cela  que  Bossuet  «  admi- 
rait, aimait  Arnauld  et  Nicole,  qui  ne  demeuraient  pas  en 
reste  avec  lui  (1^,  qu'il  voyait  en  eux  d'illustres  vaillants 
défenseurs  de  l'Église.  »  —  Il  pourrait  ajouter  que  Du 
Guet,  La  Lanne,  Launoi,  Sainte-Beuve,  Sainte-Marthe,  Le 
Roi,  les  plus  célèbres  jansénistes  l'honoraient  à  l'envi,  mais 
qu'en  même  temps  les  PP.  Bourdaloue,  la  Chaise,  la  Rue, 
Bouhours.  Rapin,  Ferrier,  Annat,  le  recherchaient  aussi  et 
l'appelaient  à  prêcher  le  P(uié(/>jil</ue  de  Saint  Ignace  (2). 


(I)  Arnauld  ne  trouve  rien  de  plus  exlniordiiiaiie  entre  "  tant  de  grandes  i)ua- 
litcs,  >>  qu'il  admire  en  Bossuet,  (/.e/^/r  à  Lenoir  iv  mars  l(>!»4)  «  qu'un  certain 
fond  do  dignité  et  de  sincérité  qui  lait  reconnaître  (à  M.  de  Meaux)  la  vérité,  qui 
([ue  ce  soit  qui  la  lui  propose.  » 

f-2)  Lettre  de  (Jrosley  au  Journal  Encyclopvdic/ue,  17(i8,  —  M.  l'abhé  Lehanj  avoue 
I)Ourtant  (pi'il  n'a  rien  pu  d(H'ouvrir  sur  ce  Puiu'Çiyriquc. 

Il  aurait  pu  citer  du  moins  la  péroraison  du  Sermon  pour  la  Fêle  de  la  Cir- 
concision, prêché  le  l"''  janvier  l(iS7  dans  l'église  saint  Louis. à  la  maison  professe 
des  !•)>.  .lésuites.  «  Et  vous,  célèbre  compagnie,  ipii  ne  portez  pas  en  vain  le  nom 
de  Jésus,  à  qui  la  grâce  a  inspiré  ce  grand  dessein  de  conduire  les  enlants  di; 
Dieu  des  leur  bas  ;"ige  jusqu'à  la  maturité  de  l'homme  i)arrait  en  .Icsus-Christ:  à 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  POLEMISTE.  405 

Bossuet  méritait  cette  confiance  et  cet  honneiu',  lui  (jui 
écrivait  au  maréchal  de  Bellefonds,  le  30  septembre  1667  (?): 
«  Je  suis  bien  aise  de  vous  dire  en  peu  de  mots  mes  sen- 
timents sur  le  fonds  du  Jansénisme).  Je  crois  donc  que  les 
propositions  sont  véritablement  dans  Jansénius  et  qu'elles 
sont  l'àme  de  son  livre.  Tout  ce  qu'on  dit  au  contraire  me 
parait  une  pure  chicane  et  une  chose  inventée  pour  éluder 
le  jugement  de  l'Église.  Quand  on  a  dit  qu'on  ne  devait  ni 
on  ne  pouvait  avoir  à  ses  jugements ,  sur  les  points  de  fait, 
une  croyance  pieuse,  on  a  avancé  une  proposition  d'une 
dangereuse  conséquence  et  contraire  à  la  tradition  et  à  la 
pratique.  Comme  pourtant  la  chose  était  à  un  point  ([u'on 
ne  pouvait  pas  pousser  à  toute  rigueur  la  signature  du  For- 
mulaire, sans  causer  de  grands  désordres  et  sans  faire  un 
schisme ,  l'Église  a  fait  selon  sa  prudence  d'accommoder 
cette  affaire  (1)  et  de  supporter  par  charité  et  condescen- 
dance les  scrupules  ({ue  de  saints  évèques  et  des  prêtres , 
d'ailleurs  attachés  à  l'Église,  ont  eu  sur  le  fait.  Voilà  ce 
que  je  crois  pouvoir  étabhr  par  des  raisons  invincibles  ; 
mais  cette  discussion  vous  est,  à  mon  avis,  fort  peu  néces- 
saire. Vous  pouvez,  sans  difficulté,  dire  ma  pensée  à  ceux  à 
<|ui  vous  le  trouverez  à  propos,  toutefois  avec  quelque  ré- 
serve. J'ai  appris  de  l'Apôtre  à  ne  point  trahir  la  vérité ,  et 
aussi  à  ne  point  donner  d'occasions  de  troubles  à  ceux  qui 
en  cherchent.  » 

En  1681,  prêchant  à  Versailles,  le  jour  de  Pâques,  devant 
Louis  XIV,  Bossuet  se  montrait  <(  autant  éloig-né  d'une  ex- 
cessive rigueur  qui  se  détourne  à  la  droite ,  que  d'une  ex- 
trême condescendance  qui  se  détourne  vers  la  gauche.  Que 
dire  de  ceux  qui  fuient  les  sacrements,  s'écriait-il,  en 
crainte  du  péril  où  les  précipiterait  le  mépris  qu'on  en  fait, 
en  sorte  qu'il  n'y  a  plus  de  sacrements  pour  eux?  Combien 

(jui  Dieu  a  donne  vers  la  fin  des  temps  des  docteurs,  des  apùtres,  des  évangé- 
lislcs,  aûn  de  faire  cclaler  par  tout  l'univers  et  jusque  dans  les  terres  les  plus 
inconnues  la  gloire  de  l'Évangile,  ne  cessez  d'y  faire  servir,  selon  votre  sainte 
institution,  tous  les  talents  de  l'esprit,  de  l'éloquence,  la  politesse,  la  littérature; 
et  alin  de  mieux  accomplir  un  si  grand  ouvrage,  recevez  avec  toute  cette  assem. 
blée.  un  témoignage  d'une  éternelle  cliarité,  etc. 
(1)  Allusion  à  la  pax.r  de  Clément  IX. 


496  BOSSl'ET  ET  LES  SAÎNTS  PEPxES. 

en  connaissons-nous  qui  n'ont  plus  rien  de  chrétien  que  ce 
faux  respect  des  sacrements  qui  fait  qu'ils  les  abandonnent 
de  peur,  disent-ils.  de  les  profaner?  Le  beau  reste  de  chris- 
tianisme! Comme  si  on  pouvait  faire,  pour  ainsi  parler, 
un  plus  grand  outrasre  aux  remèdes  tpie  d'en  être  en\ironné. 
sans  daiener  les  prendre .  douter  de  leur  vertu  et  les  laisser 
inutiles  1  ^^ 

Après  cette  éloquente  protestation  contre  les  théories 
dArnauld  et  des  jansénistes  sur  l'infirquente  communion. 
il  faut  signaler  les  paroles  sis-iiiiîcative*  de  Y  Histoire  dps 
Variations,  1688,  livre  XI.  :;  LV  :  >e  croyez  jamais  rien 
de  bon  de  ceux  qui  outrent  la  vertu.  ■ 

En  1689.  dans  le  Dfuj:irm/^  Aifi'tissement  aux  Protes- 
tant-:. Bossuet  défendait  les  molinistes  contre  le  reproche  de 
semi-pélasrianisme.  formulé  par  Jurieu.  —  En  1695,  dans 
les  M» 'lit 'liions  sur  l'Erangih  Dernii-re  sprnninp  du  Sa  ti- 
reur. LVIIP  jour  il  disait  :  «  Et  ceux-là  ferment  la  porte 
du  ciel  qui  la  font  trop  lars^e,  et  ceux-là  aussi  qui  augmen- 
tent les  difficultés  et  les  fardeaux,  et  dont  la  dureté  rend  la 
piété  sèche  et  odieuse.  >^ 

«  Il  est  certain .  dit  M.  Lanson  1  .  que  Bossuet  estimait 
Jansénius  et  Saint-Cyran .  qu'il  en  permettait  même  la  lec- 
ture à  des  relisrieuses  ».  —  Oui.  mais  pas  à  toutes  indiÛe- 
remment.  puisque,  s'il  écrit  à  M^*  d'Albert  le  IT  mai  1695  : 
«  Je  ne  change  rien  à  la  permission  que  je  vous  ai  donnée 
de  continuer  la  lecture  des  Lfttrfs  de  M.  de  Saint-Cyran  - . 
il  ajoute  :  «  Je  ne  le  permettrais  pas  si  aisément  à  quel- 
qu'un cjui  ne  l'aurait  pas  lu.  ou  que  je  ne  croirais  pas  ca- 
pable d'en  profiter.  La  concession  ou  refus  de  telles  permis- 
sions sont  relatives  aux  dispositions  des  pei*sonnes.  -  Le 
li  mai  1695.  il  écrivait  à  sœur  Cornuau  :  «  J'oubHerais  tou- 
jours, ma  Fille,  à  vous  répondre  sur  les  Lettres  de  M.  df 
Saint-Cyran,  si  je  ne  commençais  par  là.  Elles  sont  d'unf 
spiritua/if*'  sf'chf  ftalamhi'juf'e.  Jo  n'/'U  attends  aucun  pro- 
fit   pour  la  personne  que  vous   savez;  je  ne  les  défends 

«r  Bonutt,  p.  331. 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  POLEMISTE.  497 

pas;  mais  je  ne  les  ai  Jfimais  conseillées  ni  permisps  », 
Est-ce  là  beaucoup  estimer  «  saint  Gyran  et  ses  œuvres?  » 
Il  n'y  parait  pas.  Si  M™*"  d'Albert  de  Luynes  a  obtenu  la  per- 
mission de  "  continuer  »  la  lecture  de  Saint-Cyran,  c'est 
apparemment  qu'elle  avait  commencé  sans  permission  et 
que,  d'ailleurs,  elle  «  avait  déjà  lu  »  ces  Lettres. 

En  1696,  le  cardinal  de  Noailles  voulant  condamner  le 
livre  de  l'abbé  de  Barcos ,  neveu  de  Saint-Cyran ,  Exposition 
de  la  foi  ccitholiqur  touchant  la  grâce,  Bossuct  composa, 
pour  le  fond  au  moins ,  Y  Instruction  pastorale  de  M^''  Far- 
cherêque    de  Paris  poitant  cette  condamnation    (20    août 
1696).  —  Il  y  relevait  «  l'abus  fait  (par  l'abbé  de  Barcos) 
du  nom  de  saint  Awjastin  et  de  quelques  autres  docteurs  ». 
«  Il  y  a  plus  de  mille  ans ,  disait-il ,  que  les  défenseurs  de 
la  grâce  ont  rapporté  cette  prière  de  la  Liturgie  attribuée 
à  saint  Basile  :  Faites  bons  les   méchants,  conservez  les 
bons  dans  la  piété;  car  vous  pouvez  tout  et  rien  ne  vous 
contredit;  vous  sauvez  quand  vous  voulez,  et  il  n'y  a  per- 
sonne qui  résiste  à  votre  volonté.  »  Bossuet  allègue  ensuite 
l'autorité  de  saint  Bernard ,  qui  nous  dit  dans  son  de  Gratia 
et  Libero  Arbitrio  :  «  La  grâce  excite  la  volonté ,  en  lui  ins- 
pirant de  bonnes  pensées;  elle  la  guérit  en  changeant  ses 
affections,  elle  la  fortifie  en  la  portant  aux  bonnes  actions; 
et  la  volonté  consent  et  coopère  à  la  grâce  en  suivant  ces 
mouvements.  Ainsi ,  ce  qui  d'abord  a  été  commencé  dans  la 
volonté  par  la  grâce  seule,  se  continue  et  s'accomplit  con- 
jointement par  la  grâce  et  par  la  volonté,  mais  en  telle 
sorte  que,  tout  se  faisant  dans  la  volonté  et  par  la  volonté, 
tout  vient  cependant  de  la  grâce  :  Totuni  quideni  hoc  et 
totuni  illa;  sed  ut  totum  in  illo,  sic  totum  ex  illa.  A  saint 
Bernard  s'ajoutent  saint  Auç/ustin  et  saint  Ci/prien,  les  saints 
Pères,  qui  interprètent  ce  texte  de  saint  Paul  :  «  Le  Saint- 
Esprit  prie  en  nous  »,  en  disant  qu'il  nous  fait  prier  en  nous 
donnant  tout  ensemble ,  avec  le  désir  de  prier,  l'effet  d'un 
si  pieux  désir  :   impart ito  oratiouis  affecta  et  effecJu  (1), 

il)  Sanct.  Auf/usl.  ad  Sixtum.  n,  Ki. 

liOSSUKT   ET   LES  SAINTS   l'Él'.ES.  33 


498  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

et  qui  affirment  que  «  Dieu  couronne  ses  dons  dans  les 
élus  en  couronnant  leurs  mérites  (1),  et  que  nous  devons 
attribuer  à  Dieu  tout  Touvrage  de  notre  salut,  ul  totum 
detur  Dca,  et  nous  abandonner  à  sa  bonté  avec  une  en- 
tière confiance;  persuadés  avec  le  même  saint  Augustin, 
que  nous  serons  dans  une  plus  grande  sûreté ,  si  nous  don- 
nons tout  à  Dieu  que  si  nous  nous  confions  en  partie  à  lui  et 
en  partie  à  nous  :  Tut  i  or  es  igitur  vivimus,  si  tôt  uni  Dco 
dauius;  non  autcm  nos  illi  ox  partf ,  et  nohis  ex  parte 
comnàttimus  (2).  » 

La  condamnation  du  livre  de  l'abbé  de  Barcos  avait  été 
précédée  en  1685  de  l'approbation  donnée  par  le  même 
cardinal  de  Noailles,  alors  évêque  de  Châlons,  aux  Ré- 
flexions morales  du  P.  Quesnel,  qui  contenaient  la  même 
doctrine.  De  là  le  fameux  Problème  ecclésiastique  publié 
en  1699  :  Qui  faut-il  croire,  M.  de  Noailles,  évêque  de  Châ- 
lons, ou  M.  de  Noailles,  archevêque  de  Paris?  M.  de  Noail- 
les louant  les  doctrines  jansénistes  dans  le  P.  Quesnel,  ou 
M.  de  Noailles  les  condamnant  dans  l'abbé  de  Barcos?  La 
situation  de  l'archevêque  de  Paris  était  fâcheuse  ;  elle  devint 
encore  plus  embarrassante,  lorsque  la  secte  se  mit  en  ins- 
tances pour  obtenir  à  Paris  la  réimpression  des  Réflexions 
n/orales.  Comment  s'y  refuser,  après  les  avoir  qualifiées 
«  de  pain  des  forts  et  de  lait  des  faibles?  »  Comment  y  con- 
sentir sans  doubler  le  scandale  du  Problhne  ea lésiastique? 
M.  de  Noailles  essaya  d'une  commission  de  théologiens 
pour  sortir  honorablement  du  labyrinthe.  Bossuet,  qui 
était  de  la  commission,  déclara  net,  après  un  examen  at- 
tentif de  l'ouvrage  du  P.  Quesnel,  qu'il  n'était pm  possi- 
ble (le  le  corriqer,  mais  qu'il  fallait  Ir  refondre,  h  Ce  sont 
ses  propres  expressions;  nous  le  savons  par  le  témoignage 
de  personnes  exemptes  de  soupçons  et  dignes  de  vénéra- 
tion » ,  disait  M^""  de  Bissy,  le  successeur  de  Bossuet  sur  le 
siège  de  Meaux,  dans  son  Mandement  du  25  avril  171V.  En 
tout   cas,  Bossuet   demandait  instamment   des  corrections 

(I)  Snnclus  Augusl. .  Dr  Gralia  cl  lih.  arbit.,  c  vi,  n.  I"i. 
(■2)  Sanclus  Augus..  De  Dono  perscveranliaa  ,  c.  vi.  ii.  \'l- 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  POLEMISTE.  499 

considérables,  propres  à  ôter  tout  le  venin  des  Réflexions 
moralfs.  Et  afin  d'aider  le  cardinal  approbateur  à  rester 
dans  les  termes  de  la  doctrine  catholique,  il  composa  un 
Arertissenicnt  destiné  à  servir  de  Préface,  où  l'enseigne- 
ment orthodoxe  était  nettement  défini  :  «  Il  y  prit  occasion, 
dit  Le  Dieu  dans  une  béclaratlon  du  27  mars  1712,  de  coni- 
baltre  le  Jansénisme  et  d'établir  les  principes  qui  y  sont  le 
plus  opposés  :  la  grâce  générale  offerte  à  tous,  les  grâces 
suffisantes  avec  leurs  véritables  pouvoirs,  le  secours  divin 
toujours  présent  aux  fidèles  dans  les  plus  grandes  tenta- 
tions. »  L' Arertissentent ,veiivé  en  1699,  fut  prêté  en  1709 
par  l'abbé  Le  Dieu  à  M^"^  de  Bissy  à  condition  qu'il  n  en  tire- 
rait pas  un  double.  Mais  un  abbé  Lebrun,  doyen  de  Tour- 
nay,  janséniste  zélé,  se  trouvant  à  iMeaux,  en  expédia  une 
copie  au  P.  Quesnel,  qui  l'édita  en  1710,  en  Flandre  d'a- 
bord, puis  à  Paris,  et  n'hésita  pas  à  intituler  Justification 
des  Ré  fierions  sur  le  Noareau  Testament  i\)  une  œuvre 
dénaturée ,  falsifiée ,  que  Bossuet  avait  écrite  précisément 
pour  corrif/er  les  Réflexions  morales,  et  non  pour  les  j asti- 
fier.  Le  coryphée  du  jansénisme  raconte,  d'ailleurs,  ingé- 
nuement  «.  qu'il  a  pris  soin  d'y  rectifier  quelques  passages 
fautifs,  d'y  en  ajouter  quelques  autres  hors  du  texte,  pour 
fortifier  les  pensées  de  l'auteur  » . 

C'est  donc  là  une  œuvre  apocryphe,  dont  auraient  tort 
de  s'autoriser  les  adversaires  de  l'évêque  de  Meaux  pour 
l'accuser  de  jansénisme  :  «  Jamais  auteur  célèbre,  disait  de 
Maistre,  ne  fut,  à  l'égard  de  ses  œuvres  posthumes,  plus 
malheureux  que  Bossuet.  » 

Quoi  qu'il  en  soit,  dans  son  Avertissement  comme  dans 
tousses  autres  ouvrages,  l'évêque  de  Meaux  avait  multiplié 
les  citations  des  saints  Pères  et  surtout  de  saint  Aaças- 
tin  (2),  dont  «  la  doctrine  sur  la  grâce  a  été  tant  de  fois 
consacrée  par  l'Église  romaine  et  adoptée  par  tant  d'actes 

(1)  C'était  tout  au  plus  la.  justification  du  cardinal  de  Noailles ,  [)Our  lequel  Bos- 
suet eut  une  complaisance  excessive,  puisque  le  livre  du  P.  Quesnel  lut  con- 
damne par  Clément  XI  d'abord,  puis  en  1713  par  la  huile  Unifjcnilus. 

(-2)  Edition  de  Bar-le-Duc,  t.  V,  pages  36-2,  3i;:{.  3iii,  :!ii.-.,  3ti6.  3(n.  -.im.  3ii».  37(j, 
371,  37-2,  373,  374.  37:.,  37<i,  ?.77,  379,  381,  38-2. 


r.OO  BOSSUET  ET  LES  SAIMTS  PERES. 

solennels  des  souverains  Pontifes,  depuis  saint  Innocent  1" 
jusqu'à  Innocent  XII.  «  Le  livre  De  la  Correction  et  de  la 
grâce,  Y  Ouvrage  inachevé  contre  Julien,  le  traité  De  la  Na- 
ture et  de  la  grâce,  les  Co?ifessions ,  le  de  Peccatorum  me- 
ritis ,  le  de  Do  no  perseverantiae,  le  de  Spiritu  et  littera,  le 
de  Gratia  Chrisfianisnii ,  les  Lettres,  les  Sermons  sur  les 
Paroles  de  V apôtre ,  sur  les  Psaumes,  les  Traités  sur  saint 
Jean,  le  de  Doctrina  christ ia?ia,  le  de  Gratia  et  Libero  Arbi- 
trio,  le  de  Praedestinatione  Sancforum,  sont  largement  et 
continuellement  mis  à  contribution ,  avec  une  érudition  trop 
abondante  et  trop  sûre  pour  venir  du  P.  Quesnel.  —  C'est 
ensuite  saint  Basile  (1),  sa  Liturgie  et  ses  Sermons ,  saint 
Thomas  et  sa  Somme  théologique  (2),  Origène  (3),  saint 
Chrysostome  (/i-),  saint  Léon  (5),  saint  Jean  de  Damas  (6), 
saint  Bernard  (7),  saint  Jérôme  (8) ,  saint  Prosper  (9),  saint 
Ambroisc  (10),  saint  Grégoire  (11),  saint  Cgprien  (12), 
qui  viennent  tour  à  tour  déposer  en  faveur  de  la  doctrine 
de  l'Église,  bien  dénaturée  hélas!  par  l'auteur  des  Ré- 
flexions morales. 

Cependant,  aux  débats  soulevés  par  le  Problème  ecclé- 
siastiçue  avaient  succédé  ceux  de  l'Assemblée  de  1700,  où 
Bossuet,  disent  ses  adversaires,  Fénelon  entre  autres,  dans 
un  Mémoire  secret  adressé  au  pape,  en  1705,  fit  le  jeu  des 
Jansénistes  en  condamnant  la  morale  relâchée  des  Casuistes 
et  des  probabilistes ,  alors  que  le  grand  évêque  de  Meaux, 
l'âme  et  l'oracle  de  cette  assemblée,  demandait  et  obtenait, 
dans  son  impartiale  équité,  la  condamnation  des  proposi- 
tions «  contre  le  jansénisme,  surtout  de  celle  où  l'on  traitait 
le  jansénisme  de  fantôme  (13)  ». 


(I)  Pages  ;«ii:i,  .'ni,  37-2.  —  {i)  Pages  ac»,  ao:;,  ;no,  3-',).  —  (3)  Page  371.  —  (4)  Pages 
371,  37-2.  —  ^i)  Page  371.  —  (G)  Page  371.  —  (7)  Page  371.  —  («)  Page  37ï!.  —  (9)  Page 
.373.  —  (10)  Page  .379.  —  (11)  Page  38->.  —  (1'>)  l'âge  381. 

(13)  Voir  les  Mrmoiras  du  Cliancelicr  d'Aguosseau.  —  Voici,  d'ailleurs,  d'après 
l'ahlté  Le  Dieu,  Jourmil.  I ,  p.  !»ii,  ce  (|ue  Bossuet  pensait  et  disait  du  jansénisme 
en  pleine  Assemhléc  du  clergé  à  Saint-Germain,  en  1700.  «  I\l.  de  Meaux.  prié  de 
prendre  le  liureau  avec;  les  prélats  et  les  ahbés  de  la  commission,  a  ouvert  son 
discours  c;n  donnant  une  idée  générale  des  deux  points  proposés  :  la  foi  et  la 
morale,  le  jansénisme  renouvelé  par  une  inlinité  de  libelles  répandus  dans  le 
public,  et  le  relàcliement,  même  la  corruption  introduite  dans  la  morale  par 
toutes  les  subtilités  des  Casuistes.  Il  a  (ensuite  entainc'   la  matière  du  jansénisme, 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUEï  POLEMISTE.  501 

Les  Jansénistes ,  irrités  (1),  préparèrent  une  nouvelle  ma- 
chine de  guerre  :  le  Cas  de  conscience ,  décembre  1702,  où 
l'on  supposait  un  confesseur,  embarrassé  par  des  questions 
que  lui  avait  adressées  un  ecclésiastique  de  province  et 
obligé  de  s'adresser  à  des  docteurs  de  Sorbonne  pour  guérir 
des  scrupules  vrais  ou  imaginaires  :  l'avis  des  docteurs  por- 
tait que  sur  la  question  de  fc/f,  le  silence  respectueux  suf- 
fisait pour  rendre  aux  constitutions  des  Papes  sur  le  Jansé- 
nisme toute  l'obéissance  qui  leur  était  due.  Lorsque  ce  Cas, 
«  signé  des  40  docteurs,  fit  tant  de  bruit  à  Paris,  dit  l'abbé 
Le  Dieu  (2),  après  avoir  relu  exprès  rAugiistiniis  d'un  bout 
à  l'autre  avec  une  nouvelle  attention  et  toutes  ses  lumières  , 
Bossuet  dit  :  «  J'y  trouve  aujourd'hui  la  même  chose  que 
j'y  trouvai  il  y  a  cinquante  ans,  dans  le  fort  des  disputes.  » 
Jamais  il  ne  douta  que  l'on  ne  fût  obligé  en  conscience  de 
signer  le  formulaire  purement  et  simplement  et  sans  au- 


par  les  jugements  de  condamnation  prononcés  à  rencontre,  des  Hi.'ii,  par  une 
Assemblée  comme  celle-ci,  ensuite  par  les  constitutions  d'Innocent  X  et  d'Alexan- 
dre Vil,  et  par  le  jugement  exprès  de  rAssemtjlée  de  l(r>9,  acceptant  les  consti- 
tutions et  jugeant  que  le  sens  des  cinq  propositions  condamnées  était  celui  de 
.lansénius,  dont  il  a  fait  l'éloge  de  sa  piété,  de  son  savoir  et  de  sa  soumission  à 
l'Église  pour  tous  ses  ouvrages.  Il  a  explique  la  nécessité  de  condamner  les  er- 
reurs et  nommément  leurs  auteurs,  afin  que  les  fidèles  ne  puissent  être  séduits 
par  eux.  Il  a  lait  voir  comment  d'anciens  conciles,  celui  de  Clialcédoine,  celui 
d'Épliése,  ont  fait  des  formulaires  de  leur  foi,  et  marqué  les  erreurs  dans  de  longs 
extraits  des  auteurs  condamnés  ;  (l'autorité  des  évéques  n'a  point  été  oubliée  dans 
l'acceptation  des  définitions  de  l'Église);  que  sur  tant  d'exemples  a  été  fondé  le 
jugement  de  l'Eglise  de  France  prononcé  dans  ses  assemblées  contre  les  cinq 
fameuses  propositions  et  leur  sens  qui  a  été  déterminé  être  celui  de  Jansénius. 
De  là,  il  est  venu  à  l'importance  de  soutenir  un  jugement  si  solennel  et  de  ré- 
primer tout  ce  qui  a  osé  s'élever  à  l'encontre,  non  par  la  seule  gloire  de  l'Église 
de  France,  mais  bien  plus  par  la  gloire  de  Jésus-Christ  même  et  de  la  vérité  at- 
taquée en  toute  manière  par  des  livres  latins  et  français,  avec  une  hardiesse  qui 
ne  lespecte  aucune  autorité,  puisque  le  Saint-Siège  et  les  Papes,  même  Inno- 
cent XII,  y  sont  traités  avec  un  mépris  formel;  que  dans  la  délibération  sur  le 
quiétisme  l'assemblée  présente  s'est  proposé  pour  modèle  ce  qu'elle  avait  jugé 
dans  le  jansénisme  ;  qu'elle  est  donc  engagée  par  toutes  ces  raisons  à  le  soutenir 
et  par  conséquent  à  condamner  les  propositions  contraires  •  ;  alors  il  a  demandé 
que  ces  propositions,  qui  sont  les  premières  de  VIndiculus  imprimé,  fussent  lues  : 
c'est  le  titre  I.  De  observandis  Innocenta  X...  constitutionibiis ,  etc.  M.  l'cvêque 
de  Cliàlons  en  ayant  fait  lecture  et  des  qualifications  y  jointes,  M.  de  Meaux  a  re- 
pris son  discours  et  prouvé  que  chaiiue  qualllication  convenait  aux  propositions  : 
fausse,  téméraire ,  scandaleuse .  schismatique  et  injurieuse  à  l'Eglise;  dont  la 
vérité,  sans  autre  preuve,  se  voit  clairement  par  la  simple  lecture  ». 

(I)  En  février  1701,  l'évêque  de  Lnçon,  de  Valderie  de  l'Escure ,  avait  consulté 
Bossuet  sur  quatre  propositions  jansénistes  avancées  par  un  de  ses  clianoines. 
L'évêque  de  Meaux  lui  répondit  qu'il  avait  eu  raison  de  les  condamner,  et  il  lui 
allégua  l'autorité  de  sa.mi  Awiusdn. 

(-2)  Mémoires,  \\.  7.%,  70,  77,  81,  -210,  -211. 


502  BOSSUEÏ  ET  LES  SAINTS  PÈRES. 

cuiie  restriction.  Aussi,  xM.  de  Meaux  vit-il  d'abord  l'im- 
portance du  Cm,  et  dès  qu'il  eut  présenté  à  Versailles,  au 
mois  de  janvier  1703,  son  Instruction  contre  M.  Simon,  il 
revint  à  Paris  pour  travailler  à  cette  afTaire. 

((  On  sait  le  succès  de  ses  soins  pour  porter  les  docteurs 
à  une  rétractation,  Jwrs  trois  ou  quatre,  et  la  part  qu'il  eut 
à  l'ordonnance  et  censure  de  ce  Cas,  faite  par  le  M,  le  car- 
dinal de  Noailles.  » 

Et  voilà  l'homme  qu'on  ose  présenter  comme  «  privé  de 
ses  forces  en  face  du  Jansénisme  (  1  )  »  ! 

Ce  n'est  pas  tout  :  Bossuet,  dit  encore  Le  Dieu,  «  voulait 
faire  une  plus  ample  instruction  pour  prouver  que  l'on 
doit  une  soumission  parfaite  de  jugement  aux  décisions  de 
l'Église,  même  dans  les  faits  dogmatiques.  Dans  le  mois  de 
février  et  pendant  tout  le  carême  de  1703,  il  dicta  un  long 
Mémoire  avec  un  grand  recueil  de  toutes  les  preuves  de  la 
tradition  sur  cette  affaire.  Ses  douleurs  de  la  pierre  s'é- 
taient fait  sentir  dès  le  commencement  de  février;  elles 
devinrent  encore  plus  vives  en  carême... 

«  Cependant  survint  la  signature  de  M.  Couet,  grand 
vicaire  de  Rouen,...  au  mois  de  juin  1703.  Ce  prélat  lui  fit 
reconnaître  «  que  l'Église  est  en  droit  d'obliger  tous  les  fi- 
dèles de  souscrire  avec  une  approbation  et  une  soumission 
entière  de  jugement  à  la  condamnation  non  seulement  des 
erreurs,  mais  encore  des  auteurs  et  de  leurs  écrits;...  et 
qu'ainsi  se  réduire  à  une  simple  soumission  de  respect  et 
de  silence  à  l'égard  des  constitutions  apostoliques  et  du  for- 
mulaire, sur  le  sens  du  livre  de  Jansénius,  sans  aller  jus- 
qu'à une  entière  et  absolue  persuasion  ([ue  le  sens  de  Jan- 
sénius est  justement  condamné,  c'est  mériter  la  censure  et 
les  condamnations  portées  par  l'ordonnance  de  W  le  car- 
dinal de  Noailles,  du  22  février  dernier.  » 

Pouvait-il  parler  avec  plus  de  précision  et  de  netteté  et 
d'une  manière  plus  convenable  à  toute  sa  vie? 

"  H  ne  cessait  aussi  de  louer  l'ordonnance  du  grand  car- 

(I)  De  Maislic. 


LES  SAINTS  PKRES  ET  BOSSUET  POLÉMISTE.  503 

dinal  archevêque  de  Paris  contre  le  Cas,  et  il  eut  cette  atten- 
tion de  l'insérer  dans  la  déclaration  qu'on  vient  de  voir 
pour  lui  donner  plus  d'autorité  et,  par  ce  moyen,  assurer 
son  sentiment  conforme  sur  la  soumission  à  l'Église.  Cette 
affaire  finie,  il  en  eut  une  telle  joie  qu'il  ne  put  s'empêcher 
d'en  écrire  à  une  dame  du  premier  rang-,  qui  y  prenait  in- 
térêt (1).  )' 

Le  bref  du  Pape  contre  le  Cas  ne  lui  donna  pas  moins 
de  joie  (12  février  1703). 

Au  mois  d'août,  il  travaillait  encore  à  Versailles  à.  son 
ouvrage  «  pour  prouver  par  la  pratique  de  tous  les  siècles, 
en  suivant  les  principes  de  sa  Lettre  aux  religieuses  de 
Port-Rof/al ,  la  nécessité  de  la  soumission  entière  de  juge- 
ment et  de  la  persuasion  absolue  dans  les  décisions  de  l'É- 
glise contre  les  erreurs  aussi  bien  que  contre  les  auteurs 
et  les  livres  qui  les  enseignent  ». 

En  même  temps,  il  disait  à  l'abbé  Le  Dieu  :  «  M.  Arnauld 
et  MM.  de  Port-Royal  sont  au  moins  fauteurs  d'hérétiques  et 
schismatiques  :  deux  qualifications  que  j'ai,  exprès,  don- 
nées à  leur  secte,  dans  la  dernière  Assemblée  de  1700  (2)  ». 
Il  répondait  vivement  à  l'abbé  Bossuet,  qui  exagérait  la  dif- 
ficulté de  marquer  le  point  capital  de  l'hérésie  des  Jansé- 
nistes :  «  Ce  point  est  clair  et  certain,  dans  l'impossibilité 
que  les  Jansénistes  supposent,  en  quelques  justes,  d'obser- 
ver les  commandements  de  Dieu.  Ce  sont  des  chicaneurs  de 
ne  vouloir  pas  avouer  leurs  erreurs  (3i.  » 

Le  18  décembre  1703,  Le  Dieu  nous  dit  :  «  M.  de  Meaux 
parle  encore  d'achever  son  écrit  contre  le  Jansénisme,  et 
il  se  sent  entièrement  excité  à  l'achever,  voyant  qu'aucun 
évêque  n'a  touché  le  principe  de  décision  sur  cette  matière, 
qui  est  que  l'Écriture  ordonne  de  noter  l'homme  hérétique 
et  de  le  dénoncer  à  l'Église,  ce  qui  s'est  toujours  fait  par 
voie  d'information  et  des  jugements  ecclésiastiques  aux- 


(1)  Il  s'agit  (le  >l""^  de  Maintenon.  Il  lui  disait  que  «  cet  acte  serait  utile  A  con- 
fondre ceux  dont  la  disobéissance  a  scandalisé  l'Église  ». 
(■2)  Journal  de  Le  Dieu,  -21  février  ITO;i. 
(3)  Ibidem.  -27  février  170.$. 


504  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

quels  on  s'est  toujours  soumis...  L'esprit  du  prélat  s'excite 
par  toutes  ces  pensées,  et  s'il  n'en  est  pas  distrait  par  des 
lettres  et  des  conversations,  elles  l'agitent  tellement  qu'il 
en  devient  inquiet  et  fatigué.  Au  milieu  de  tout  cela,  me 
disait-il,  je  sens  que  je  puis  encore  porter  ce  travail.  Que 
la  volonté  de  Dieu  soit  faite;  je  suis  tout  résolu  à  la  mort; 
il  saura  bien  donner  des  défenseurs  à  son  Église.  S'il  me 
rend  mes  forces,  je  les  emploierai  à  ce  travail  ». 

Eh  bien ,  de  ce  travail  auquel  tenait  tant  le  vaillant  pré- 
lat et  que  la  mort  ne  lui  a  pas  laissé  finir,  il  ne  nous  reste 
(jue  quelques  pages,  De  r Autorité  des  jugements  ecclé- 
siastiques, que  l'abbé  Lequeux  a  publiées,  après  avoir 
avoué  à  M.  Riballier,  qui  n'en  revenait  pas,  «  qu'il  avait  jeté 
le  reste  au  feu  !  ».  —  Bossuet  «  lève  d'abord ,  par  deux  faits 
constants,  deux  préjugés  considérables  qu'il  trouve  dans 
les  esprits  de  quelques  savants  ».  Signer  le  Formulaire,  ce 
serait,  leur  semble-t-il,  porter  préjudice  à  la  doctrine  de 
saint  Augustin  et  à  la  grâce  efficace.  31ais,  leur  répond  lé- 
vèque  de  Meaux,  Alexandre  AH  a  recommandé  par  un  dé- 
cret exprès  la  doctrine  de  saint  Augustin  et  de  saint  Tho- 
nias.  Innocent  XII,  consulté  par  l'Université  de  Louvain,  si 
elle  devait  changer  quelque  chose  dans  son  ancienne  doc- 
trine sur  la  grâce  et  le  libre  arbitre ,  qui  est  celle  de  saint 
Augustin  et  de  saint  Thomas,  a  répété  les  anciens  décrets 
de  FÉgUse  Romaine  pour  adopter  la  doctrine  de  saint  Au- 
gustin, dans  les  mêmes  termes  dont  s'est  servi  le  pape 
saint  Hormisdas.  Le  clergé  de  France  a  expressément  inséré 
dans  le  Formulaire  (de  1654.)  que  la  doctrine  de  saint  .4/^- 
gustin  subsiste  dans  toute  sa  force  et  que  Jansénius  l'a  mal 
entendu.  C'est  donc  une  illusion  manifeste  de  faire  craindre 
dans  les  Formulaires  la  moindre  altération  de  la  doctrine 
de  ce  Père.  L'école  de  saint  Thomas  s'élève  en  témoignage 
contre  de  si  vaines  appréhensions...  L'Assemblée  de  1700 
s'est  expliquée  plus  vivement  que  jamais  pour  la  doctrine 
de  saint  Augustin.  »  —  Après  avoir  répondu  au  second 
prét(^\le,  tiré  de  ce  que  la  souscription  au  Formulaire 
donne  trop  d'avantage  à  ceux  qu'on  appelle  les  auteurs  de 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSLKT  POLÉMISTE.  505 

la  morale  rclâchrc,  Bossuet  établit  des  maximes  qui  mettent 
en  relief  l'autorité  des  jugements  de  l'Église  sur  les  hom- 
mes et  sur  les  faits  aux  Conciles  de  Constantinople ,  d'É- 
phèse,  de  Garthage  et  d'Aquilée,  sous  saint  Ambroisc.  — 
Il  citait  ensuite  un  grand  nombre  d'exemples  (2i)  à  l'appui 
de  sa  thèse.  Mais  Lequeux  nous  avertit  qu'après  avoir  trans- 
crit exactement  les  17  premières  pages  du  manuscrit,  il 
abrège  le  reste  jusqu'à  la  107*"  qui  est  la  dernière.  Quatre- 
vingt-dix  pages  de  Bossuet  réduites  à  quelques  lignes  par 
un  Le  Queux!  Est-ce  assez  d'audace  impudente?  Toutefois, 
les  indications  qui  restent  nous  montrent  que  Bossuet, 
fidèle  à  sa  méthode,  avait  demandé  aux  Pères  tous  ses 
exemples  :  le  premier  à  saint  Augustin,  défendu  par  les 
papes  saint  Célestin  et  Hormisdas  contre  Prosper  et  Hilaire 
d'abord,  puis  Fauste  de  Biez;  le  second  à  saint  Cijprjpn.  et 
à  Eusèbe  de  Césaréc ;  le  sixième  et  le  septième  à  saint 
Cyrille,  le  dixième  à  saint  Athanase ;  le  treizième  à  une 
parole  de  saint  Augustin  sur  Cécilien;  le  quatorzième  à 
saint  Léon;  le  quinzième,  le  seizième  et  le  dix-septième 
au  formulaire  du  pape  Hormisdas  contre  Acace  ;  le  vingt  et 
unième  à  la  confession  de  foi  du  pape  saint  Grégoire. 

Pourquoi  faut-il  que  nous  soyons  privés  du  texte  même 
du  grand  évêque,  consacrant  à  réfuter  le  jansénisme  (1) 
«  les  restes  d'une  ardeur  qui  tombait  «^  mais  savait  être 
encore  si  puissante  contre  les  ennemis  de  l'Église  et  les  Jan- 
sénistes en  particulier? 

ABTICLE  ni 

Les  saints  Pères 
et  la  Polémique  de  Bossuet  contre  les  Casuistes. 

Bossuet,  ennemi  du  Jansénisme,  ne  l'était  pas  moins  de 
la  Casuistique ,  que  Pascal  avait  flagellée ,  mais  (]ui  conti- 

(I)  Les  sentiments  de  Bossuet  étaient  bien  connus  des  Jansénistes,  et  l'un  d'eux 
(lisait  :  «  M.  de  Meau\  est  dans  les  sentiments  de  M.  Cornet,  et  je  n'aime  pas  les 
Cornets.  »  (Histoire  du  Cas  de  conscience ,  8  vol.  in-l-2,  170."i-1"08).  —  En  l'.n,  trois 
Lettres  anonymes  imprimées  furent  envoyées  à  l'évéque  de  Troyes.  L'opposition 


506  BOSSUET  Eï  LES  SAINTS  PERES. 

nuait  quand  même  à  soutenir  uue  «  morale  relâchée  ». 
«  Sévère,  mais  non  outré  »  (11,  le  grand  évêque  de  Meaux 
s'était  prononcé  dès  1659,  dans  son  premier  St^rmon  pour 
la  Visiidiion ,  en  faveur  «  de  cette  médiocrité  tempérée  en 
laquelle  la  vertu  consiste  ».  En  1663 .  dans  V Oraison  funo- 
bre  de  Nicolas  Cornet,  on  l'avait  vu  prendre  énergiquement 
parti  contre  les  Casuistes,  «  qui  réduisent  tout  l'Évangile  en 
problèmes,  qui  forment  des  incidents  sur  l'exécution  des 
préceptes  »  et  qui  «  ne  travaillent  eu  vérité  qu'à  nous  enve- 
lopper la  règle  des  mœurs  ».  Ou  l'avait  vu  condamner  cette 
«  malheureuse  complaisance  »,  cette  «  pitié  meurtrière, 
ces  questions  de  néant,  qui  ne  servent  qu'à  faire  perdre, 
parmi  des  détours  infinis,  la  trace  toute  droite  de  la  vérité  »  ; 
«  ces  chicanes  raffinées,  ces  subtilités  en  vaines  distinctions , 
qui  sont  véritablement  de  la  poussière  soufflée,  de  la  terre 
dans  les  yeux,  qui  ne  font  que  troubler  la  vue  ».  D'après 
lui,  il  ne  pouvait  y  avoir  «  aucun  expédient  pour  accorder 
l'esprit  et  la  chair,  entre  lesquels  nous  avons  appris  que  la 
guerre  doit  être  immortelle.  »  —  En  1679,  il  écrivait  au 
Pape  Innocent  XI  une  Lettre  en  latin,  «  si  belle,  dit  Le  Dieu, 
quelle  méritait  d'être  rendue  publique  »  (2) ,  pour  le  prier 
de  suivre  l'exemple  d'Alexandre  VII,  qui  avait  déjà  frappé 
d'anathème  les  propositions  les  plus  condamnables  de  ces 
indéfinissables  Casuistes.  Innocent  XI  en  condamna  en  effet 
()5.  —  En  1681,  le  jour  de  Pâques,  il  protestait  contre  ceux 
M  qui  font  de  Jésus-Christ  même,  chose  abominable,  le  dé- 
fenseur des  mauvaises  habitudes  »,  et  ({ui  sont  «  aujour- 
d'hui à  la  sainte  table,  avec  Jésus-Christ,  demain  avec  Bélial 
et  dans  toute  la  corruption  passée  :  peut-on  déshonorer  da- 
vantage le  christianisme?  »  —  A  l'Assemblée  de  1682,  Bos- 
suet  fit  nommer  une  commission  chargée  spécialement  de 
la  morale,  et  M.  de  Harlay  lui-même  plaça  Bossuet  à  la 
tête  de  cette  commission.  Après  avoir  recueilli  soigneuse- 


(Ic  llossuet  au  jaiiscnisine  y  olait  prouvée  :  I"  par  sa  conduite:  -1"  itar  ses  princi- 
pes sur  l'Eglise  ;  3"  par  sa  doctrine  sur  les  questions  controversées. 

(I)  XXr  Srnii.,  KU-vnlinn  i«. 

(•2)  Ou  ne  l'a  pas  retrouvée. 


LES  SAINTS  PKUES  ET  BOSSUET  POLEMISTE.  507 

ment  les  propositions  condamnables  et  censuré  chacune 
d'elles  comme  elle  le  méritait ,  il  composa  son  Traité  <lr 
l'usure  (1).  Comme  l'assemblée  reçut  brus<|uement  Fordrc 
de  se  séparer,  le  29  juin,  Bossuet  ne  put  faire  son  rapport 
ni  obtenir  la  censure  des  propositions  condamnables. 

Il  s'en  explique  dans  deux  Lctlrcs  à  iM.  Dirois,  docteur  de 
Sorbonne,  le  12  juillet  et  le  28  octo])re  1682.  Il  y  dit  qu'on 
«  l'avait  chargé,  dans  la  commission,  de  faire  un  projet  do 
censure  et  un  de  doctrine  pour  l'opposer  aux  propositions 
censurées  ».  Il  fait  remarquer  soigneusement  qu'on  «  met- 
tait à  couvert  la  doctrine  de  saint  Antunin  dont  on  abuse, 
et  qu'on  établissait  le  vrai  sens  de  la  règle  [Indubm  tutius) 
selon  la  doctrine  des  Papes  et  des  docteurs  approuvés , 
même  celle  de  saint  Antonin,  dont  les  auteurs  de  la  proba- 
bilité ont,  non  seulement  détourné  le  sens,  mais  encore 
falsifié  et  tronqué  le  texte  ».  Il  signale  en  particulier  la 
proposition  118.  «  la  plus  nécessaire  de  toutes,  parce  que 
le  fondement  le  plus  clair  et  le  plus  essentiel  contre  la 
nouvelle  morale ,  c'est  qu'elle  est  nouvelle,  n'y  ayant  rien  de 
plus  contraire  à  la  doctrine  chrétienne  que  ce  qui  est  nou- 
veau et  inouï...  C'est  le  principal  fondement  sur  lequel  tous 
les  saints  Pères,  et  les  Papes  plus  que  les  autres,  ont  con- 
damné les  fausses  doctrines,  n'y  ayant  jamais  eu  rien  de 
plus  odieux  à  l'Église  romaine  (jue  les  nouveautés.  S'il  fal- 
lait toujours  trouver  dans  l'Écriture  et  dans  les  Pères  des 
passages  contraires  aux  doctrines  qu'on  voudrait  condam- 
ner, ce  serait  donner  trop  d'avantage  à  ceux  qui  inventent 
des  choses  dont  on  ne  s'est  jamais  avisé.  » 

Le  Traité  de  T usure,  publié  dans  l'édition  posthume  de 
1753,  est  une  réponse  à  Fouvrag^e  d'un  publiciste  hollandais, 
le  célèbre  Grotius.  Bossuet  s'y  prononce  catégoriquement 
contre  la  légitimité  de  tout  gain  provenant  d'un  prêt;  cette 
doctrine  est  déclarée  par  lui  appartenir  à  la  foi.  Comme  il  y 
a  des  décisions  contraires  du  Saint-Siège ,  l'affirmation  de 

(I)  Le  cardinal  de  Bausset,  Histoire  de  Bossuet.  livre  VI,  s  xxiv,  rapporte  à 
cette  époque  les  Quatre  Dissertations  sur  la  proljuliilité.  —  C'est  une  erreur  : 
l'al)l)é  Le  Dieu  {Mémoires ,  p.  ûOl)  les  donne  comme  puhliécs  en  1700. 


508  BOSSUET  ET  LES  SAIINTS  PERES. 

Bossuet  est  trop  absolue,  et  aujourd'hui  les  théolog-iens  et 
les  économistes  (  1  )  ont  une  opinion  différente  de  celle  de 
Tévêque  de  iMeaux ,  (jui  croit  à  «  l'improductivité  de  l'ar- 
gent ».  Mais  il  expose  l'enseignement  commun  alors  dans 
les  écoles  catholiques,  et  sa  thèse  est  appuyée  ,  comme  tou- 
jours, par  l'autorité  des  Prrcs  et  des  docteurs  de  l'Ég-lise. 
—  Ainsi,  après  avoir  montré  que  c<  dans  l'ancienne  loi,  l'u- 
sure était  défendue  de  frère  à  frère,  d'Israélite  à  Israé- 
lite »  (2),  et  que  «  l'esprit  de  la  loi  est  de  défendre  l'usure 
comme  ayant  en  elle-même  quelque  chose  d'inique  (3)»  , 
il  établit  par  de  nombreux  passages  des  Pères  que  «  les 
Chrétiens  onl  toujours  cru  que  la  loi  contre  l'usure  était 
obli-gatoire  sous  la  loi  évangélique  (i)  »  :  ce  qui  le  prouve, 
c'est  d'abord  Tertullicn,  dans  son  livre  IV®  contre  Marcioji, 
ch.  24,  25;  c'est  ensuite  saint  Cijprien,  dans  le  livre  des 
Témoignages,  Apollonius,  «  qui  vivait  du  temps  de  Tertul- 
lien  »,  Clément  Alexandrin  dans  ses  Stromates,  Lactance, 
«  qui  parle  très  précisément  de  cette  matière  »,  saint  Basile, 
«   qui  en   traite   amplement   »   dans  son   Homélie  sur  le 
Psaume  XIV.  saint  Epiphane  dans  YEpilogue  au  livre  des 
Hérésies,  saint  Jérôme  «  sur  le  chapitre  XVIII  d'Ézéchiel  »  , 
saint  Jean   Chrgsostome ,  «  Hom.  57  sur  saint  Matthieu  », 
s?émiAmbroise  qui  «  a  fait  un  traité  entier  contre  l'usure  »  , 
son  Commentaire  sur  le  livre  de  Tobie  i5)  »,  saint  Augustin 
dans  ses  Sermons  sur  les  Psaumes  XXXVI  et  LIV  et  dans 
VEp/fre  à  Macédoniits,  Théodoret  sur  le  Psaume  XXIV,  «  le 
grand  pape  saint  Léfjn,  dans  son  Épftre  décrétale  aux  évê- 
(jues  de  Campanie ,  les  Pères  du  premier  concile  de  Car- 
thage,  et  les  Décrétales,  titre  XIX  du  livre  V,  etc.  —  «  Non 
seulement  la  défense  de  l'usure  portée  dans  l'ancienne  loi 
subsiste  encore,  mais  elle  a  dû  être  perfectionnée  dans  la 
loi  nouvelle ,  selon  l'esprit  perpétuel  des  préceptes  évangé- 

(d)  Voir  en  particulier  la  thèse  si  savante  de  M.  J.  Kainhaïul.  professeur  à  la 
Faculté  falholi(|ue  de  droit  de  liVon  ,  dans  ses  Éli'-mrnts  d'Economie  politique,  uu 
vol.  in-H"  de  7!M>  pages,  l'aris,  Lurose;  lAon,  Cote,  ■t8!):>. 

(-2)  Première  Projjosilion. 

(3)  Deuxième  ProposiUon. 

('»)  Troisième  Proposition. 

(.'0  IJossuel  en  cite  les  chapitres  -2,  :t,  ;,  !i,  12,  i:!,  14,  l'i.  Ki. 


LES  SAINTS  PERES  Eï  liOSSUET  POLEMISTE.  509 

liques  (1  ).  La  doctrine  qui  dit  (|ue  l'usure,  d'après  la  notion 
qui  en  a  été  donnée,  est  défendue  dans  la  loi  nouvelle  à 
tous  les  hommes  envers  tous  les  hommes,  est  de  foi  (2).  L'o- 
pinion contraire  est  sans  fondement  (3).  Aucun  Père  ni  au- 
cun théologien  catholique  n'a  jamais  écrit  ni  pensé  que  les 
chrétiens  eussent  en  ce  point  moins  d'obligation  que  les 
Juifs.  «  La  loi  de  Dieu  défendant  l'usure,  défend  en  même 
temps  ce  qui  y  est  équivalent  (4).  » 

Ce  que  Bossuet  n'avait  pu  obtenir  de  L'Assemblée  de  1682, 
trop  tùt  dissoute,  il  l'obtint  sans  peine  de  celle  de  1700, 
dont  Le  Dieu  nous  dit  (5)  :  «  On  sait  le  travail  de  M.  de 
Meaux  dans  cette  Assemblée,  et  comment  il  en  a  été  le  doc- 
teur, l'esprit  et  le  conseil  ;  avec  quel  esprit  il  y  était  regardé 
même  des  évêques  qui  voulaient  éluder  la  condamnation 
des  Casuistes  (6).  Les  actes  de  cette  assemblée  font  foi  de 
tout  et  que  ce  prélat  est  l'auteur...  de  la  censure  sur  la  mo- 
rale, des  qualifications  et  des  décrets  qu'elle  contient  et  de 
la  lettre  qui  l'accompagne.  Il  publia  alors  quatre  petits 
écrits  latins  sur  la  probabilité,  qu'il  estimait  décisifs  en 
cette  matière.  » 

Ils  ne  sont  pas  aussi  décisifs  que  voulait  bien  le  croire 
l'illustre  prélat.  Le  probabilisme  n'a  jamais  été  condamné 
par  l'Église  (7)  ;  au  contraire,  saint  Alphonse  de  Liguori,  qui 
soutient  réquiprobabilisme ,  a  été  proclamé  par  Pie  IX  doc- 
teur de  l'Église,  et  \e  probabiliorismc ,  cher  à  Bossuet,  est 
plus  fait  pour  exciter  le  trouble  dans  les  consciences  que 
pour  porter  à  une  plus  haute  perfection.  —  Quoi  qu'il  en 
soit,  dans  la  première  de  ces  Dissertatiuiiculae  IV  advcrsus 
probabilitatem,  De  diibio  in  negotio  salutis,  Bossuet  cite  ce 


(1)  IV*  Proposition. 

(o)  v^  Proposition.  —  C'est  là  une  erreur  de  Bossuet. 

(3)  VI°  Proposition. 

('()  Vll«  Proposition.  —  Il  y  en  a  une  VlIT'  sur  la  police  ecclésiasti(|ue  et  civile. 

{:'■>)  M  ('■moires,  p.  207. 

((>)  M.  de  Noailles  demanda  (|u'on  retrancliàt  du  projet  de  censure  deux  propo- 
sitions soutenues  à  Paris  au  collège  de  Clcrmont,  en  l(!8."».  Toute  l'Assemblée  et 
r.ossuet  lui-même  se  conformèrent  à  l'avis  du  cardinal  de  Noailles. 

(")  Bossuet  convient  bien  que  Rome  n'a  pas  condamné  cette  doctrine;  mais 
il  ajoute  que,  d'après  le  Pape  lui-même,  son  silence  ne  devait  pas  tirer  à  consé- 
iiuence. 


510  BOSSUEÏ  ET  LES  SAINTS  PERES. 

passage  «  remarquable  et  très  connu  de  saint  Augiisfùi  (1)  : 
«  On  pécherait  gravement  dans  les  choses  cjui  concernent 
le  salut  de  Tâme,  par  cela  seul  qu'on  préférerait  l'incertain 
au  certain...  Préférez  donc  le  vrai  au  faux,  le  certain  à  l'in- 
certain. »  —  Dans  la  seconde  petite  Dissertation,  de  Opinionc 
minus  probabi/i  ac  minus  tutn,  après  avoir  rapporté  les 
textes  par  lesquels  le  P.  Gonzalez  (2)  reconnaît  que  tous  les 
anciens  Pères,  tous  les  théologiens  scolastiques ,  saint  Tho- 
mas, saint  Bonaventare ,  ^xx^cin  k  l'année  1577,  ont  enseigné 
une  opinion  contraire  auprobabilisme,  Bossuet  ajoute  :  «  Qui 
croira  que  Dieu  aurait  caché  à  son  Église  cette  méthode 
bénigne  de  diriger  les  consciences,  si  elle  était  vraie?  Qui 
se  persuadera  qu'aucun  des  anciens  Pères  et  des  saints  Doc- 
teurs, dont  Dieu  a  voulu  faire  la  lumière  de  son  Église,  n'au- 
rait eu  l'idée  de  cette  solution  des  doutes  de  la  conscience, 
si  cette  solution  était  vraie  et  sûre?...  Saint  Thomas,  saint 
Bonarenture  et  les  autres  scolastiques  ont  constamment 
enseigné  qu'il  est  nécessaire  que  celui  qui  agit  se  persuade 
que  l'opinion  qu'il  suit  est  vraie  et  conforme  à  la  loi  éter- 
nelle. »  —  Dans  la  troisième  petite  Dissertation,  de  Cons- 
cient ia,  Bossuet  cite  les  Décréta  les  commentant  ce  texte  de 
saint  Paul  :  «  Finis  praecepti  est  charitas  de  corde  puro  et 
conscientiabona  »,  certo  utique  bona,  «  bifide  non  ficta  » , 
et  il  ajoute  :  «  Cette  simplicité  des  Pères ,  cette  interpréta- 
tion de  la  parole  de  l'Apôtre  était  la  règle  des  mœurs.  — 
Quant  à  agir  d'après  ce  qui  paraît  le  moins  probable,  on  ne 
trouve  aucune  trace  dans  l'Écriture,  aucune  trace  dans  les 
Pères,  aucune  trace  dans  le  droit  d'une  semblable  doc- 
trine... C'est,  comme  le  dit  TertuUien  ,  se  jouer  de  sa  cons- 
cience. »  — Lacpiati'ième  petite  Dissertation,  de  Prudentia, 
finit  par  une  citation  de  saint  Thomas,  du  Docteur  angé- 
lique,  disant  dans  son  (Juodlibet ,  VIII,  13,  «  qu'on  pèche 
quand  on  doute  si  l'on  peut  posséder  plusieurs  prébendes  et 
qu'on  les  accepte  (juand  même  ;  car  alors  on  aime  mieux  un 
intérêt  temporel  que  le  salut  de  son  àme  »>. 

0)  Un  BaptisDt'),  lil).  I,  c.  m. 

(-J)  C'est  k-  plus  ccléljre  ;»<lv('rs;iire  du  probahilisnie  :  il  clail  fjéiioral  des  Jésuites. 


LES  SAINTS  PEIIES  ET  BOSSUET  POLÉMISTE.  511 

Le  Procès-verbal  de  l'Assemblée  1700,  le  Préambule ,  la 
Censure  de  i  27  propositions ,  les  àens.  Déclarations ,  la  Con- 
clusion et  la  Lettre  circulaire  à  tous  les  évêques  de  France , 
sont  l'œuvre  de  Bossuet,  et  contiennent  plusieurs  passages 
de  saint  Augustin,  de  son  Traité  de  la  Trinité  (1)  et  de  son 
Traité  contre  les  Donatistes  (2),  et  des  textes  de  Vincent  de 
Lérins  (3)  et  de  saint  Jérôme  (4).  Bossuet  fait  aussi  usage 
des  raisonnements  de  saint  A^igustin  pour  donner  une  in- 
terprétation favorable  aux  équivoques  que  quelques  au- 
teurs reprochent  à  Abraham,  à  l'occasion  de  Sara ,  sa  femme, 
et  à  Jacob,  au  sujet  du  droit  d'aînesse,  dont  Ésaii  fut  dé- 
pouillé contre  l'intention  présumée  d'Isaac  son  père.  Mais 
il  ne  dissimule  pas  que  plusieurs  Pères  grecs  avaient  trouvé 
le  mensonge  officieux ,  ou  du  moins  l'équivoque ,  dans  le 
langage  et  les  expressions  de  ces  deux  patriarches.  «  Au  reste, 
dit-il,  on  n'est  pas  obligé  de  garantir  toutes  les  paroles, 
des  saints  hommes,  à  qui  il  peut  avoir  échappé  quelque 
mensonge  (5)  ».  Quant  au  probabiHsme,  Bossuet  ne  dissi- 
mule pas  que.  depuis  Barthélemi  de  Médina  en  1577  et  Do- 
minique Barmez,  confesseur  de  sainte  Thérèse,  le  probabi- 
lisme  a  été  soutenu  par  un  grand  nombre  de  théologiens, 
principalement  dans  l'école  de  saint  Thomas.  C'est  que  les 
premiers  probabilistes  avaient  établi  en  principe  qu'une 
opinion  ne  pouvait  jamais  être  regardée  comme  probable, 
«  dès  qu'elle  était  contraire  aux  paroles  de  l'Écriture,  aux 
décisions  de  l'Eglise  et  au  sentiment  le  plus  commun  des 
saints  Pères  ».  Voilà  pourquoi  les  cardinaux  Bellarmin, 
Pallavicini,  d'Aguirre  et  un  grand  nombre  d'autres  théolo- 
giens depuis  saint  Alphonse  deLiguori,  ont  adopté  une  opi- 
nion qui,  malgré  Bossuet,  est  très  commune  aujourd'hui. 

C'est  à  la  polémique  de  Bossuet  contre  les  Casuites,  qu'il 
faut  rapporter  une  Dissertation  écrite  en  latin  et  intitulée 
de  Doctrina  Coucilii  Tridentini  circa  dilectionem  in  sacra- 
mento  Poenitentiae  requisitam. 


(I)  Édit.  Bar-ie-Duc,  XM,  page  <ilO.  -  (-2)  Page  611.  -  (3)  Page  «1-2.  —  (i)  Ibidem. 
-  (.■>)  Proc(''s- verbal. 


512  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

Elle  fut  rédigée  en  avril  1700  [l),  «  à  la  prière  des 
prêtres  du  diocèse  de  Meaux,  auxquels  leur  évêque  avait 
promis  de  mettre  par  écrit,  pour  en  perpétuer  la  mémoire, 
ce  quïl  leur  avait  répondu  de  vive  voix  ["2)  »,  dans  les  con- 
férences ecclésiastiques  des  dernières  années,  où  il  avait 
été  souvent  question  de  Tamour  de  Dieu ,  surtout  de  celui 
qui  est  requis  pour  le  sacrement  de  Pénitence. 

Le  grand  évêque,  pour  traiter  ce  sujet  si  important, 
veut ,  selon  son  habitude  ,  «  remonter  aux  sources  les  plus 
hautes  de  la  tradition  :  Sane  quaestionem  totam,  si  opus 
fuerit,  ex  altissimis  traditionis  fontibus  repetemus.  » 

Après  avoir  établi  quelques  principes  préliminaires ,  né- 
cessaires pour  lintelligence  de  la  question ,  il  la  divise  en 
trois  parties  :  la  première ,  qui  traite  de  refficacité  des  sa- 
crements par  lesquels  nous  sommes  justifiés  (3);  la  se- 
conde, qui  est  consacrée  à  l'amour  commençant,  nécessaire 
pour  obtenir  la  grâce  de  la  justification  dans  les  sacre- 
ments [k]  ;  la  troisième  qui  a  pour  objet  de  résoudre  les 
objections  et  les  difficultés  (5). 

C'est  dans  la  seconde  partie  que  Bossuet  cite  saint  .4^^- 
gustin,  «  après  lequel,  dit-il,  tous  les  théologiens  ont  fait 
consister  l'essence  du  péché  dans  des  actes  ou  des  désirs 
contraires  à  la  loi  éternelle  (6)  »,  et  saint  Thomas,  le  doc- 
teur angélique,  qui,  avant  le  concile  de  Trente,  a  soutenu 
dans  le  Supplément  de  la  Somme,  où  il  répète  son  Commen- 
taire sur  les  Sentences,  et  dans  la.  Somme  elle-même,  (1*  Se- 
cundae  et  tertia  parte)  (7)  tout  ce  qu'enseigne  l'Église  sur 
la  justification. 

Ce  sont  encore  ces  deux  grands  docteurs  dont  Bossuet 
invoque  l'autorité  pour  résoudre  les  objections  élevées  par 
les  protestants  et  les  quiétistes  (8).  Saint  Chrysostome  et 

(1)  Voir  Le  Dieu,  Journal,  I.  I,  p.  "ri. 

(2)  Voir  le  début  de  la  IHsscflalion. 

(3)  Elle  ne  comprend  (|ue  ^'>  articles  (isi-vni). 
(i)  Elle  s'étend  de  l'article  ix  à  l'article  xxxix. 

(■>)  Elle  est  courte  et  n'a  que  4  ou  .">  articles  ou  paragraphes. 
((>)  §  XI.  —  Voir  aussi  J  xxiii  sur  le  principe  du  péché,  et  §  xxxviu,  sur  le  mut 
peccavi. 
(7)§  xxxiv-xxxvni. 

{H)  §   XXXIV-XI.IV. 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  POLEMISTE.  513 

saint  Grégoire  le  Grand  sont  aussi  appelés  en  témoignage 
par  notre  grand  évêque  (1),  qui,  après  avoir  ramené  à 
15  propositions  la  doctrine  enseignée  par  lui,  peut  bien 
conclure  «  qu'elle  est  vraie,  sûre,  certaine,  enseignée  par 
les  évêques,  disciples  des  saints  Pères  ». 


ARTICLE  IV 

Les  saints  Pères 

et  la  Polémique  de  Bossuet  contre  les  apologistes 

du  théâtre. 

En  même  temps  qu'il  luttait  contre  «  les  relâchements 
honteux  et  les  ordures  des  Casuistes  »,  le  grand  évêque  de 
Meaux  tonnait  contre  le  théâtre,  Tune  des  grandes  passions 
de  tout  son  siècle. 

On  sait  qu'il  parut  en  IGOi  une  édition  des  Comédies  de 
Boursault ,  précédée  d'une  Dissertation ,  sous  forme  de  Let- 
tre d'un  théologien ,  où  l'on  soutenait  que  les  Pères  de  l'É- 
glise, qui  avaient  condamné  les  spectacles ,  n'avaient  songé 
qu'aux  spectacles  indécents  de  leur  temps;  mais  que,  dans 
un  siècle  où  l'immoralité  et  les  discours  déshonnêtes  étaient 
bannis  de  la  scène ,  la  fréquentation  du  théâtre  n'avait  rien 
de  contraire  à  la  pureté  de  la  vie  chrétienne.  Cette  Lettre 
était  publiée  sous  le  nom  du  P.  Caffaro,  professeur  de  phi- 
losophie et  de  théologie  depuis  dix-sept  ou  dix-huit  ans  au 
collège  des  Théatins.  On  s'émut  de  cette  apologie  du  théâ- 
tre, et  aussitôt  Bossuet  écrivit  au  P.  Caffaro  une  lettre  «  en 
secret,  entre  vous  et  moi  »,  lui  disait-il,  selon  le  précepte 
de  l'Évangile. 

«  Je  ne  perdrai  point  le  temps  à  répondre  aux  autorités 
de  saint  Thomas  et  des  autres  saints ,  qui ,  en  général ,  sem- 
blent approuver  ou  tolérer  les  comédies.  Puisque  vous  de- 
meurez d'accord...  que  celles  qu'ils  ont  permises  doivent 
exclure  toutes  celles  qui  sont  opposées  à  l'honnêteté  des 

(I)  §  XXXIV. 

lîOSSlET  ET   LES   SAINTS   PÈP.ES.  î^îi 


514  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

mœurs,  c'est  à  ce  point  qu'il  faut  s'attaclier,  et  c'est  par  là 
que  j'attaque  votre  lettre,  si  vlU'  est  de  vous.  » 

Et  alors  Bossuet  s'indigne  qu'on  ait  «  pu  dire  et  répéter 
que  la  comédie,  telle  qu'elle  r'/ai/  alors,  n'a  rien  de  con- 
traire aux  bonnes  mœurs  ».  Il  parle  des  «  impiétés  et  des 
infamies  dont  sont  pleines  les  comédies  de  Molière  »,  et 
il  demande  pourquoi  la  jeunesse  aime  le  théâtre,  «  si  ce 
n'est,  dit  saint  Auç/usiui  (livre  III  des  Confessions  et  chapi- 
tre XVIII  du  de  Calechizandis  rudibus),  qu'on  y  voit,  qu'on 
y  sent  l'image ,  l'attrait,  la  pâture  de  ses  passions?  Et  cela, 
dit  le  même  saint,  qu'est-ce  autre  chose  qu'une  déplorable 
maladie  de  notre  cœur?  «  Après  avoir  démontré  éloquem- 
ment  «  que  la  représentation  des  passions  agréables  porte 
naturellement  au  péché,  puisqu'elle  flatte  et  nourrit,  de 
dessein  prémédité,  la  concupiscence  qui  en  est  le  prin- 
cipe » ,  l'évêque  de  Meaux  réfute  toutes  les  raisons ,  ou  plu- 
tôt tous  les  prétextes  allégués  en  faveur  de  la  comédie. 
«  Vous  appelez  les  lois  à  votre  secours,  dit-il  au  P.  Caffaro, 
et  vous  dites  que,  si  la  comédie  était  si  mauvaise,  on  ne  la 
tolérerait  pas,  on  ne  la  fréquenterait  pas,  sans  songer  que 
saint  Thomas  (1),  dont  vous  abusez,  a  décidé  que  les  lois 
huniaines  ne  sont  pas  tenues  à  réprimer  tous  les  maux, 
mais  seulement  ceux  qui  attaquent  directement  la  société.  » 
«  L'Église  même,  dit  saint  Augustin  (2),  n'exerce  la  sévé- 
rité de  sa  censure  que  sur  les  pécheurs,  dont  le  nombre 
n'est  pas  grand  »...  Et  de  qui  recherchera-t-on  la  loi  de 
Dieu ,  si  ceux  qui  en  sont  les  prédicateurs ,  donnent  de  l'au- 
torité aux  \ices,  comme  parle  saint  Cijprien  (3)?  »  Bossuet 
finissait  en  disant  :  «  Saint  Augustin  met  en  doute  s'il  faut 
laisser  dans  les  églises  un  chant  harmonieux ,  ou  s'il  vaut 
mieux  s'attachera  la  sévère  discipline  de  saint  Aihunase  et 
de  l'Église  d'Alexandrie,  dont  la  gravité  soutirait  ;\  peine 
le  chant...  Maintenant  on  a  oublié  ces  saintes  délicatesses 
des  Pères,  et  on  pousse  si  loin  les  délices  de  la  musique 

(1)  Homme  théoloQifjue,  I"  n«",  Quacsl.  OU,  art.  i. 

(2)  Episl.  22. 

(3)  De  Spcctaculis. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  POLEMISTE.  516 

que,  loin  de  les  craindre,  dans  les  cantiques  de  Sion,  on 
cherche  à  se  délecter  de  celle  dont  Babylone  anime  les 
siens.  Le  môme  saint  AiiyHsfin  reprenait  un  homme  qui 
étalait  beaucoup  d'esprit  à  tourner  agréablement  des  inuti- 
lités dans  ses  écrits  :  «  Eh!  lui  disait-il  (1),  je  vous  prie, 
ne  rendez  point  agréable  ce  qui  est  inutile  »  ;  et  vous,  mon 
Père ,  vous  voulez  qu'on  rende  agréable  ce  qui  est  nuisible.  » 

Le  P.  Caffaro  répondit  à  Bossuet,  le  11  mai  169Y,  qu'il 
«  n'était  pas  l'auteur  de  la  lettre  »  qui  favorisait  les  comé- 
diens; qu'il  était  désolé  quelle  fit  scandale;  qu'il  avait  en- 
voyé une  lettre  de  rétractation  en  latin  à  l'archevêque  de 
Paris;  qu'il  n'avait  jamais  lu  aucune  comédie  ni  de  Molière, 
ni  de  Racine,  ni  de  Corneille;  qu'il  n'en  connaissait  que 
quelques-unes  de  Boursault;  qu'il  s'était  fait  une  idée  mé- 
taphysique d'une  bonne  comédie,  et  qu'il  avait  raisonné 
là-dessus,  «  sans  pourtant  jamais  croire,  depuis  si  long- 
temps qu'il  avait  écrit  cela,  et  qu'il  l'avait  presque  oublié, 
il  dût  être  su,  lu  et  publié,...  altéré  et  corrompu  (2)  ». 

Bossuet,  satisfait,  de  ce  «  désaveu  aussi  humble  que  so- 
lennel »,  crut  devoir  développer  sa  Lettre  au  P.  Caffaro  et 
combattre  l'erreur  des  gens,  même  dévots,  qui  ne  se  fai- 
saient aucun  scrupule  d'aller  à  la  comédie.  Ce  furent  les 
Maximes  et  lié  flexions  sur  la  Comédie,  qui,  malgré  leur 
impitoyable  sévérité  et  le  fameux  anathème  lancé  contre 
Molière,  que  Bossuet  semble  vouer  aux  pleurs  éternels  (3), 
demeurent  un  des  chefs-d'œuvre  du  grand  évêque  de 
Meaux.  La  philosophie  de  l'art  dramatique  n'a  jamais  été 
mieux  comprise  ni  surtout  mieux  rendue. 

Les  textes  des  saints  Pères  brillent  à  chaque  page.  «  On  a 
tâché,  dit-il,  d'éluder  l'autorité  des  saints  Pères,  à  qui  on 
a  opposé  les  scolastiques,  et  on  a  cherché  entre  les  uns  et  les 
autres  je  ne  sais  quelles  conciliations;  comme  si  la  comédie 
était  enfin   devenue  meilleure  ou   plus  favorable  avec  le 


(1)  On  soupçonne  D.  Clirysoslome  Coursault,  llu'atiii,  lils  du  poète,  de  s'être  pro- 
curé cet  écrit  et  de  l'avoir  traduit  et  modifié. 

(2)  De  Anima  et  rjus  oriçiine,  lilj.  I,  c.  ii. 

(3)  «  Mallieur  à  vous  qui  riez;  car  vous  pleurerez I  »  §  "►. 


516  BOSSUEÏ  ET  LES  SAINTS  PERES. 

temps.  Les  grands  noms  de  saint    Thomas  et  des  autres 
saints  ont  été  employés  en  sa  faveur.  »  C'est  contre  «  cette 
mauvaise  cause  »  que  Bossuet  veut  protester  :  il  discutera 
plus  tard  les  passages  tirés  de  saint  Thomas  en  faveur  des 
comédies;  il  commence  par  critiquer  celles  qui  sont  op- 
posées aux  bonnes  mœurs.  —  Il    reproduit  d'abord  (1)  le 
passage  des  Confessions  et  du  de  Catechisandis  rudibus  de 
saint  Augustin ,  déjà  cité;  il  y  en  ajoute  d'autres  tirés  du  de 
A'up/iis  et  concupiscentia  et  des  livres  Contre  Julien  sur  la 
concupiscence,  ce  mal  «  dont  l'impureté  use  mal,  dont  le 
mariage  use  bien,  et  dont  la  virginité  et  la  continence  font 
mieux  de  n'user  point  du  tout  1 2j  ».  «  Au  commencement 
de  sa  jeunesse  emportée,  saint  Augustin  disait  :  Je  n'ai- 
mais  pas   encore,  mais  j'aimais   à  aimer  :  il  cherchait, 
continue-t-il ,  quelque  piège  où  il  prit  et  où  il  fût  pris;  et 
il  trouvait  ennuyeuse  et  insupportable  une  vie  où  il  n'y 
eût  point  de  lacets   :   Vitani  sine  ?nuscipulis.  Tout  en  est 
semé  dans  le  monde  :  il  y  fut  pris ,  selon  son  souhait  ;  et 
c'est  alors  qu'il  fut  enivré  du  plaisir  de  la  comédie ,  où  il 
trouvait  «   l'image  de  ses  misères,   l'amorce  et  la  nour- 
riture de  son  feu  ».   [Confessions,  livre  III)  (3).  «  Selon  la 
doctrine  de  saint  Augustin,  dit  encore  Bossuet  s'inspirant 
du  livre  IV"  Contre  Julien  et  du  livre  X"  des  Confessions , 
la  malignité  de  la  concupiscence  se  répand  dans  l'homme 
tout  entier.  Elle  court,  pour  ainsi  parler,  dans  toutes  les 
veines,  et  pénètre  jusqu'à  la  moelle  des  os.  C'est  une  racine 
envenimée   qui  étend  ses  branches   par  tous  les  sens...  Il 
faut,  dit  saint  Augustin,  distinguer  dans  l'opération  de  nos 
sens  la  nécessité,  l'utilité,  la  vivacité  du  sentiment,  et  en- 
fin l'attachement  au  plaisir  :  Libido  senliendi.  De  ces  quatre 
qualités  des  sens,  les  trois  premières   sont  l'ouvrage  du 
Oéateur  :  la  nécessité  du  sentiment  se  fait  remarquer  dans 
les  objets   qui  frappent  nos   sons  à  chaque   moment  ;  on 
éprouve  l'utilité,  dit  saint  Augustin ,  particulièrement  dans 
le  goût  qui  facilite  le  choix  des  aliments  et  en  prépare  la 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  POLEMISTE.  517 

digestion  ;  la  vivacité  des  sens  est  la  même  chose  que  la 
promptitude  de  leur  action  et  la  subtilité  de  leurs  organes. 
Ces  trois  qualités  ont  Dieu  pour  auteur;  mais  c'est  au  mi- 
lieu de  cet  ouvrage  de  Dieu  que  l'attache  forcée  au  plaisir 
sensible  et  son  attrait  indomptable,  c'est-à-dire  la  concu- 
piscence introduite  par  le  péché ,  établit  son  siège.  C'est 
celle-là,  dit  saint  Augustin ,  qui  est  l'ennemie  de  la  sagesse, 
la  source  de  la  corruption,  la  mort  des  vertus...  Ce  Père 
a  démontré  qu'elle  est  la  même  partout,  parce  que  c'est 
partout  le  môme  attrait  du  plaisir...  Le  spectacle  saisit  les 
yeux;  les  tendres  discours,  les  chants  passionnés  pénètrent 
le  cœur  par  les  oreilles.  Quelquefois  la  corruption  vient  à 
grands  flots;  quelquefois  elle  s'insinue  goutte  à  goutte;   à 
la  fin  on  n'en  est  pas  moins  submergé.  On  a  le  mal  dans 
le   sang  et  les  entrailles,  avant  qu'il  éclate  dans  la  fiè- 
vre. »  — A  propos  des  lois  alléguées  par  le  P.  CafTaro,  Bos- 
suet  cite  les  textes  de  saint  Thomas  et  de  saint  Augustin, 
(ju'il  avait  donnés  dans  sa  Lettre  du  9  mai,  et  il  ajoute  : 
«  Dès  le  temps  de  saint  Chrysostome ,  les  défenseurs  des 
spectacles  «  criaient   que  les  renverser  c'est  détruire   les 
lois  ))  ;  mais  ce  Père,  sans  s'en  émouvoir,  disait,  au  con- 
traire, que  l'esprit  des  lois  était  contraire  aux  théâtres... 
Tout  ce  que  nous  sommes  de  prêtres ,  nous  devrions  imiter 
l'exemple  des  Chrysostome  et  des  Augustin  :  pendant  que 
les  lois  du  siècle,  qui  ne  peuvent  pas  déraciner  tous  les 
maux,  permettaient  l'usure  et  le  divorce,  ces  grands  hom- 
mes disaient  hautement  que,  si  le  monde  permettait  ces 
crimes,  ils  n'en  étaient  pas  moins  réprouvés  par  la  loi  de 
l'Évangile  (1).  »  —  Bossuet  ne  veut  pas  se  jeter  sur  les  textes 
des  Pères;  il  dit  seulement  que  c'est  les  lire  trop  négli- 
gemment que  de  dire  qu'ils  ne  blâment  dans  les  spectacles 
de  leur  temps  que  l'idolâtrie  et  les  scandaleuses  et  ma- 
nifestes impudicités.  «   Ils  blâment,  dans  les  jeux   et  les 
théâtres,  l'inutilité,  la  prodigieuse  dissipation,  le  trouble... 
ils  y  blâment  les  passions  excitées,...  le  désir  de  voir  et  d'ê- 

(1)  §  ;t.  —  Saint  Chrijsost.  Nom.  t'Sin  Malih.;  Aug.,  Epist.  .Vi. 


.,18  ROSSUtT  ET  LliS  SAINTS  PERES. 

ire  vu,  la  malheureuse  rencontre  des  yeux  qui  se  cherchent 
les  uns  les  autres...  Dites  que  les  Pères  ne  blâment  pas 
toutes  ces  choses;...  dites  que  saint  Augustin  n'a  pas  dé- 
ploré, dans  les  comédies,  ce  jeu  des  pî^ssions  et  Te.vpres- 
sion  contagieuse  de  nos  maladies,  et  ces  larmes  que  nous 
arrache  Timage  de  nos  passions  si  vivement  réveillées ,  et 
toute  cette  illusion  qu'il  appelle  une  misérable  folie  (1).  » 
A  ceux  qui  prétendent  «  (ju'il  faut  bien  trouver  un  relâche- 
ment à  l'esprit  humain  »,  saint  Chnjsostouw  répond  que, 
sans  courir  au  théâtre,  nous  trouverons  la  nature  si  riche 
en  spectacles  divertissants,  et  que  d'ailleurs  la  religion  et 
même  notre  domestique  sont  capables  de  nous  fournir  tant 
d'occupations  où  l'esprit  peut  se  relâcher,  qu'il  ne  faut  pas 
se  tourmenter  pour  en  chercher  davantage  (2)...  On  rejette 
en  partie  sur  les  libertés  et  les  indécences  de  l'ancien  théâ- 
tre les  invectives  des  Ph-ps  contre  les  représentations  et  les 
jeux  scéni(jues.  On  se  trompe ,  si  on  veut  parler  de  la  tra- 
gédie :  car  ce  qui  noiis  reste  des  anciens  païens  de  ce  genre- 
là  est  si  fort  au-dessus  de  nous  en  gravité  et  en  sagesse  que 
notre  théâtre  n'a  pu  en  souffrir  la  simplicité  (3)  >^.  Bossuet 
cite  alors  Platon,  Aristote,  Cicéron. 

«  Il  est  temps ,  dit-il  ensuite  (4) ,  de  dépouiller  (la  Dis- 
sertation du  P.  Caffaro^  de  l'autorité  qu'elle  a  prétendu  se 
donner  par  le  grand  nom  de  saint  T/ioinas  et  des  aiitres 
saints.  »  Les  deux  articles  de  la  question  de  la  modestie  ex- 
térieure [So/)it)ie  Tliéologique,  IT  II'"',  quaest.  168,  art.  2  et  3) 
ne  prouvent  rien  en  faveur  de  la  comédie  :  car  il  faudrait  en 
premier  lieu  que  par  histrions  saint  Thomas  eût  entendu 
les  comédiens,  et  cela  n'est  pas;  secondement,  il  ne  parle 
que  de  discours  facétieux  accompagnés  de  gestes  plaisants , 
ce  qui  est  encore  bien  éloigné  de  la  comédie;  en  troisième 
lieu  ,  il  n'eût  pas  été  capable  d'approuver  les  bouffonneries 
dans  la  bouche  des  Chrétiens  et  il  les  blâme  dans  son  Com- 
mentaire sur  CEpître  uu.r  Ej)hésiens;  en  quatrième  lieu, 

(1)  7,  12.  —  Aus.,  Confrssion.s,  liv.  MI,  C.  il. 

(2)  •.;  1'».  —  Homil.  37,  in  Mal  th. 

(3)  '.;  Ui.  —  (4)  i-î-2. 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  IJOSSUET  POLEMISTE.  519 

quand  il  serait  vrai  que  saint  Thomas  ait  voulu  parler  de  la 
comédie ,  le  divertissement  qu'il  approuve  de\^rait  être  re- 
vêtu de  trois  qualités  qu'il  exige  et  que  n'ont  pas  les  pièces 
de  théâtre  ;  en  cinquième  lieu ,  saint  Thomas  reconnaît  que, 
«  si  les  histrions  poussaient  le  jeu  et  le  divertissement  jus- 
qu'à l'excès,  ils  seraient  tous  en  état  de  péché  »  ;  en  sixième 
lieu,  il  compte  ailleurs,  II''  1P\  quest.  87,  art.  2,  ad  2,  l'art 
des  histrions  parmi  les  arts  infâmes,  et  le  gain  qui  en  re- 
vient parmi  les  gains  illicites  et  honteux.  «  Voilà  donc  com- 
ment saint  Thomas  favorise  la  comédie  :  les  deux  passages 
de  la  Som))ir  dont  les  défenseurs  de  cet  infâme  métier  se 
font  un  rempart,  sont  renversés  sur  leur  tête  [\)  ». 

Après  saint  Thomas,  le  docteur  qu'on  oppose  le  plus, 
c'est  saint  Antonin  ;  mais  d'abord  on  le  falsifie  en  lui  faisant 
dire  «  ce  qu'il  ne  dit  pas.  Et  puis,  on  peut  voir  l'esprit  de 
saint  Antonin  sur  ces  dangereuses  tendresses  de  nos  théâtres, 
lorsqu'il  réduit  la  musique  à  chanter  ou  les  louanges  de 
Dieu,  ou  les  histoires  dos  baladins,  ou  d'autres  choses  hon- 
nêtes en  temps  et  lieu  convenable  (2)  ». 

Pour  permettre  les  comédies  en  carême ,  le  P.  Caffaro 
citait  encore  une  fois  un  article  de  saiut  Thomas  sur  les 
Sentences  comme  garant  de  ses  erreurs.  Bossuet  montre 
«  qu'il  ne  s'y  agit  point  du  carême ,  dont  il  n'y  a  pas  un 
mot  en  tout  cet  endroit  ».  Il  rappelle  la  sévérité  de  l'an- 
cienne discipline,  d'après  un  Sermon  de  saint  Césaire, 
archevêque  d'Arles,  qu'on  trouve  parmi  ceux  de  saint  .4/>?- 
ôrowe,  d'après  le  Maître  des  Sentences  (3),  d'après  saint 
Thomas  Ini-mëmQ ,  d'après  saint  Augustin  et  d'après  saint 
Charles  (4). 

«  Après  avoir  purgé  la  doctrine  de  saint  Thomas  des  excès 
dont  on  la  chargeait  »,  Bossuet  avoue,  «  avec  le  respect  qui 
est  dû  à  un  aussi  grand  homme,  qu'il  semble  s'être  un  peu 
éloigné,  non  pas  des  sentiments  dans  le  fond,  mais  plutôt 
des  expressions  des  saints  Pères  sur  le  sujet  des  divertisse- 
ments ».  Saint  Thomas,  qui  n'était  pas  attentif  au  grec,  n'a 

(1)  §  -2-i.   -  m)  §  2(i.  -  {^^)  §  -2±  -  (i)  §  30. 


520  BOSSUET  ET  LUS  SAINTS  PERES. 

pu  faire  sur  le  terme  (\'r'/t//v//jf'hs  (un  homme  qui  se  tourne 
iiisément  de  tous  côtés)  une  remarque  ([ui  n'a  pas  échappé 
à  saint  Chri/sustome  (1).  Les  Latins  ne  sont  pas  moins  sévè- 
res (que  saint  Chrysostome ,  T/i  t^op/u/ lac  te  et  OEcaménms). 
Saint  Tiiomas  cite  un  passage  de  saint  Ambroise,  qu'il  a 
peine  à  concilier  avec  Aristote.  «  Si  on  trouve  ces  discours 
des  saints  Pèrrs  excessifs  et  trop  rigoureux,  saint  Jérôme  y 
apporte  un  tempérament  sur  ÏEp/i/'e  aux  Ephésiens  en  ex- 
pliquant les  deux  vices  marqués  par  saint  Paul  :  Sialti- 
loquiuin ,  scin^i'ilitas...  Encore  que  les  saints  Pères  n'ap- 
prouvassent pas  qu'on  fit  rire ,  ils  reçoivent  pourtant  dans 
le  discours  la  douceur,  les  agréments,  les  grâces  et  un 
certain  sel  de  sagesse,  que  saint  Thoma>i  semble  pousser 
un  peu  loin.  Il  était  ordinaire  aux  Pères  de  prendre  à  la 
lettre  la  parole  de  Notre-Seigneur  :  «  Malheur  à  vous  qui 
riez,  car  vous  pleurerez!  »  Saint  Basile  en  a  conclu  qu'il 
n'est  permis  de  rire  en  aucune  sorte;  mais  il  tempère  cette 
sentence  par  celle-ci,  de  VEcclésiasliqae  :  «  Le  sage  rit  à 
peine  à  petit  bruit.  » 

Bossuet  a  donc  le  droit  de  conclure  (2)  :  «  Par  tous  les 
principes  des  saints  Pères,  sans  examiner  le  degré  de  mal 
qu'il  y  a  dans  la  comédie,  ce  qui  dépend  des  circonstances 
particulières,  on  voit  qu'il  la  faut  ranger  parmi  les  choses 
les  plus  dangereuses;  et,  en  particulier,  on  peut  juger  si  les 
Pères,  ou  les  saints  docteurs  qui  les  ont  suivis,  et  saint  Tho- 
uias ,  comme  les  autres,  avec  les  règles  sévères  qu'on  vient 
d'entendre  de  leur  bouche,  auraient  pu  souffrir  les  bouf- 
fonneries de  nos  théâtres,  ni  qu'un  chrétien  y  fit  le  ridicule 
personnage  de  plaisant...  (Test  pour  vous  qu'un  chrétien 
se  fait  ])ouffon ,  vous  dira  saint  Chri/sostome,  avec  une 
étrange  force;  c'est  pour  vous  qu'il  renonce  à  la  dignité  du 
nom  qu'il  porte.  «  Otez  les  auditeurs,  vous  ôterez  les  acteurs  ; 
s'il  est  si  beau  «  d'être  plaisant  au  théâtre,  que  n'ouvrez- 
vous  celte  porte  aux  gens  libres  (3)?  »  ...  Saint  Thomas, 


(1)  5  'M.  -  (2)  s  34. 

(.'{)  Ilomil,  G  in  Malt.;  llomil.  M  in  Epist.  ad  Eplies. 


LES  SAINTS  PKRES  ET  BOSSUET  POLÉMISTE.  521 

comme  on  a  va,  marche  sui"  ses  pas;  et  s'il  a  un  peu  suivi 
les  idées,  ou,  si  vous  voulez,  les  locutions  d'Aristote,  dans 
le  fond,  il  ne  s'est  éloigné  en  rien  de  la  régularité  des  saints 
Pf'/'Ps...  La  comédie  ne  pourrait  se  soutenir,  si  elle  ne  mê- 
lait le  bien  et  le  mal,  plus  portée  encore  au  dernier,  qui  est 
plus  du  goût  de  la  multitude.  C'est  aussi  pour  cette  raison 
que  parmi  tant  de  graves  invectives  des  sai/if  Ph('s  contre 
le  théâtre,  on  ne  trouve  pas  que  jamais  ils  soient  entrés 
dans  l'expédient  de  le  réformer...  Le  charme  des  sens  est 
un  mauvais  introducteur  des  sentiments  vertueux  (1  ).  » 

On  peut  trouver  Bossuet  sévère  et  dire  que  l'àme  a  droit 
à  l'exercice  légitime  de  ses  facultés  esthétiques,  comme 
de  ses  autres  puissances  moins  nobles.  Mais  il  faudrait  nier 
le  dogme  du  péché  originel  et  la  corruption  native  du  cœur 
humain  ;  il  faudrait  n'être  ni  chrétien,  ni  surtout  théologien, 
pour  ne  pas  comprendre  que  le  théâtre  est  ordinairement 
une  «  des  choses  les  plus  dangereuses  »  pour  l'innocence 
des  mœurs.  Bossuet  qui  «  savait  les  règles  de  l'Evangile  » , 
comme  le  lui  écrivait  le  P.  Caffaro,  et  qui  n'ignorait  rien 
du  monde,  de  la  cour,  de  la  ville  et  de  leurs  passions,  ne 
pouvait  parler  guère  autrement  qu'il  ne  l'a  fait,  avec  une 
rigueur  qu'expliquent  et  justifient  en  grande  partie  les  abus 
et  les  dangers  presque  toujours  inséparables  du  théâtre. 


ARTICLE  V 


Les  saints  Pères 
et  la  Polémique  Gallicane  de  Bossuet. 


Le  Gallicanisme  (2)  est  l'erreur  de  Bossuet,  et  non  pas 
«  la  forme  nécessaire  de  son  catholicisme  »  ,  comme  le  dit 
M.  Lanson  (3),  «  le  fort  où  il  peut  se  retrancher  contre  les 
hérétiques  et  qui  lui  fournit  le  moyen  de  les  confondre , 

(1)  s  35. 

(2)  Bossuet,  p.  320. 

(3)  Ibidem,  p.  333-334. 


522  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

toutes  les  fois  qu'on  discute  sur  l'organisation  de  l'Église 
et  sur  les  conséquences  politiques  de  l'adhésion  aux  dogmes 
catholiques  ».  — •  Le  cardhial  Bellarmin,  Suarez,  saint 
François  de  Sales  et  tant  d'autres,  qui  n'étaient  pas  gal- 
licans, ont  confondu  les  protestants  avec  autant  de  facilité 
et  de  vigueur  que  Bossuet.  D'ailleurs,  comme  le  reconnaît 
très  hien  M.  Lanson  lui-même ,  «  il  est  vrai  que  ce  qui  fait 
sa  force  fait  en  même  temps  sa  faiblesse.  Car  les  théolo- 
giens protestants  ont  beau  jeu  à  lui  répondre  que  ce  qu'il 
expose  là-dessus  n'est  pas  la  croyance  universelle  de  l'É- 
glise et  qu'il  a  contre  lui,  avec  les  trois  quarts  des  nations 
catholiques,  le  chef  dont  ces  nations  et  la  France  et  lui- 
même  vénèrent  la  pleine  et  divine  autorité  (1).  » 

L'excuse  du  grand  évêque,  c'est  qu'il  n'y  avait  pas  en 
France  beaucoup  de  théologiens,  en  dehors  des  Jésuites, 
des  prêtres  de  la  Mission  ou  Lazaristes  et  des  Sulpiciens , 
(jui  soutinssent  les  doctrines  ultramontaines  :  l'infailli- 
bilité du  Pape  et  sa  puissance  indirecte  sur  le  temporel  des 
rois.  «  Sur  ces  choses  on  ne  biaise  pas  en  France  » ,  écrivait 
Bossuet,  le  1"  décembre  1081,  au  cardinal  d'Estrées,  à  pro- 
pos du  Sermon  sur  l'iuii/r  de  VÉglise,  et  je  me  suis  étudié 
à  parler  de  sorte  que,  sans  trahir  la  doctrine  gallicane,  je 
pusse  ne  point  offenser  la  majesté  romaine.  C'est  tout  ce 
qu'on  peut  demander  à  un  évêque  français  ».  Respectueux, 
comme  il  l'était,  de  la  tradition,  Bossuet  ne  pouvait  guère 
s'écarter  «  de  cette  doctrine  gallicane  »,  que,  depuis  plus 
de  trois  siècles,  on  soutenait  à  la  Sorbonne,  et  (pic  Nicolas 
Cornet  et  les  autres  docteurs  de  Navarre  avaient  enseignée 
à  leur  ancien  élève,  comme  un  legs  de  Gerson  et  du  passé. 
Bossuet  aurait  dû,  comme  Fénelon,  dire  des  théories  gal- 
licanes :  «  Libertés  à  l'égard  du  Pape ,  servitude  à  l'égard 
du  Boi  »!  Mais  il  ne  l'a  pas  fait,  du  moins  en  1082.  Ceux 
qui  lui  jettent  la  pierre  ne  devraient  pourtant  pas  oublier 
qu'ils  sont  infiniment  moins  sévères  pour  saint  Thomas  d'A- 
quiu,  (jui  semble  bien  s'être  trompé  dans  la  Somme  théo- 

(Ij  Itosnufl,  p.  3;{4. 


LES  SÂhNTS  PÈRES  ET  BOSSUET  POLÉMISTE.  523 

logique  sur  l'Immaculée  Conception  de  la  Sainte  Vierge  f  1), 
devenue  dogme  de  l'Église  en  185i,  avant  l'infaillibilité  du 
Souverain  Pontife,  défmie  seulement  au  concile  du  Vatican 
en  1870. 

«  Cent  auteurs ,  disait  le  comte  de  Maistre  dans  son  livre 
lie  rÉglisc  gallicane ,  p.  195,  ont  répété  à  l'envi  que  Bos- 
suet  fut  rame  de  l'Assemblée  de  1()82;  mais  rien  n'est  plus 
faux,  du  moins  dans  le  sens  qu'ils  attribuent  à  cette  ex- 
pression ».  L'âme  de  l'Assemblée,  ce  fut  Colbert,  ce  fut 
Louis  XIV,  comme  l'établit  la  savante  étude  de  M.  Gérin, 
bien  sévère  peut-être,  mais  juste  au  fond  pour  ce  monarque, 
dans  le  livre  Louis  XIV  et  le  Saint-Siège  (2).  D'ailleurs, 
l'estimable  éditeur  des  Nouveaux  opuscules  de  Fleury  (3), 
p.  194-175,  a  rendu  un  service  signalé  à  la  mémoire  de 
Bossuet  en  montrant  que  l'illustre  prélat  fut  bien  le  rédac- 
teur, mais  non  le  promoteur  des  quatre  articles;  qu'il  n'ou- 
blia rien  pour  calmer  les  esprits,  et  qu'il  se  rendit  infini- 
ment utile  à  l'Église,  en  s'opposant  à  des  hommes  emportés, 
et  surtout  en  faisant  avorter  par  ses  représentations  et  son 
autorité  la  rédaction  de  l'évêque  de  Tournay,  entièrement 
schismatique,  puisqu'elle  admettait  la  défectibilité  du  Saint- 
Siège.  Il  faut  donc  tenir  compte  à  Bossuet  de  tout  ce  qu'il 
empêcha  dans  cette  occasion.  «  Vous  savez,  écrivait-il  à  son 
neveu  le  9  décembre  1G97,  tout  ce  que  je  fis  alors  pour  em- 
pêcher qu'on  n'allât  plus  loin.  »  Floquet,  dans  son  beau 
livre  Bossuet  précepteur  du  Dauphin  (Deuxième  partie, 
Bossuet  évêque,  ch.  XIV),  a  parfaitement  établi  que  ((  nul 
ne  se  montra  plus  loyalement,  plus  saintement  pacifique, 
plus  filialement  affectionné  au  Saint-Siège,  plus  opposé  aux 
déterminations  dont  Rome  pourrait  être  blessée  ».  Il  n'agit 
certes  pas  en  courtisan  et  fit  tout  ses  eiTorts,  déploya  toute 
son  énergie  pour  détourner  rassemblée  «  de  faire  une  dé- 


(1)  Il  est  vrai  qu'on  allègue  d'autres  textes  de  saint  Thomas  favorables  à  ce 
dogme. 

(i)  Voir  le  BuUetin  critique,  du  1"'  octobre  1894.  —  Bossuet,  le  IT  jauvier  1700, 
disait  à  l'abbé  Le  Dieu  que  «  M.  Colbert  était  véritablement  l'auteur  »  des  propo- 
sitions de  !(i82  et  que  «  lui  seul  y  avait  détermine'  le  roi  ». 

i'-i)  C'est  le  pieux  et  savant  abbé  Émery,  1807. 


524  BOSSUET  ET  LES  SALNTS  PERES. 

claration  des  sentiments  de  la  France  » ,  <(  Les  quatre  articles, 
sans  doute,  n'auraient  jamais  dû  être  écrits;  mais  puisqu'on 
voulait  ({u'ils  le  fussent,  la  plume  de  Bossuet  n'y  pouvait 
rien  changer  :  ils  sont  ce  qu'ils  sont.  Le  plus  grand  homme 
de  France  n'en  pouvait  faire  rien  de  mieux,  ni  le  scribe  le 
plus  vulgaire  rien  de  pire  (1).  »  Des  prélats  tels  que  de 
Harlay,  Le  ïellier,  de  Choiseul,  Gosnac,  etc.,  n'auraient  pas 
reculé  devant  un  schisme ,  ils  auraient  <(  signé  l'Alcoran  » , 
disent  les  pamphlets  contemporains,  afin  déplaire  à  Colbert 
écrivant  à  Louis  XIV,  le  i  juillet  1673  :  «  La  volonté  de  Votre 
Majesté  sera  la  seule  règle  de  son  pouvoir.  »  Pour  donner 
une  pâture  à  ces  emportés,  Bossuet  leur  jeta  les  quatre 
propositions  qu'il  appelait  odieuses  :  «  Vous  aurez  la  gloire, 
disait-il  avec  amertume  à  Le  Tellier,  archevêque  de  Reims, 
d'avoir  terminé  l'affaire  de  la  régale;  mais  cette  gloire  sera 
obscurcie  par  ces  propositions  odieuses  ».  «  Ce  mot  décisif, 
dit  M.  de  Maistre,  contient  l'absolution  parfaite  de  Bossuet, 
quant  à  la  Déclaration  (2).  » 

Ecoutons,  d'ailleurs,  à  ce  sujet,  un  historien  impartial. 

«  Quand  on  parle  de  l'Assemblée  de  1682,  dit  M.  Gaillar- 
din  dans  son  Histoire  du  règne  de  Louis  XIV,  1875,  tom.  V, 
p.  69,  le  nom  de  Bossuet  se  présente  le  premier  à  tous  les 
souvenirs.  La  routine  n'en  démord  pas  :  il  a  été  l'âme,  le 
dominateur  de  l'Assemblée;  l'œuvre  de  l'Assemblée  est 
l'œuvre  de  Bossuet.  Au  contraire,  il  ressort  clairement  de 
ses  lettres ,  de  ses  confidences  ;  Voir  en  particulier  sa  Lettre 
à  Kancé,  et  ses  confidences  à  Fleury  et  à  l'abbé  Le  Dieu  (3  )  ) 
et  surtout  du  fameux  Sermon  de  r Unité  (4) ,  qu'il  appréhen- 
dait, dans  cette  convocation  extraordinaire  (5),  de  grands 


(1)  De  Maistre,  De  l'Eglise  Gallicane,  p.  l!i-i. 

Cî)  Ibidem,  p.  i9-2. 

Ci)  Mémoires,  p.  19.3. 

(4)  S'il  clahlil  une  distinction  oliscurc  et  suijliic  entre  I'/;<'/('/ec/(7j(7»7é  du  Saint- 
Siège  et  ViiifaiUihiUlé  personnelle  du  l'ape .  il  ne  loue  l'Église  gallicane  ([ue  dans 
son  union  avec  le  Saint-Siège,  et  il  lait  répéter  par  Cliarleniagne  ([Ui,  ((uaïul  rii- 
Klise  romaine  imposerait  un  joug  à  peine  supportable,  il  Taudrait  le  soulïrir  plu- 
tôt <|ue  de  romi)re  la  communion  avec  elle.  -  yuelle  erreur,  (luand  des  rois  ont 
cru  se  rendre  plus  indéi)en(lants  en  se  rendant  inailrcîs  de  la  religion  !  Dieu  pré- 
serve nos  rois  très  chrétiens  de  prétcndi'e  à  l'empire  des  choses  sacrées!  » 

(■'<)  On  élut  ceux  dont  Sa  Majesté  aidait  fuit  choix...  On  sait  que  liossuct,  qui 


LES  SAliNTS  PERES  ET  BOSSUET  POLEMISTE.  525 

dangers  pour  lÉglise.  Il  ne  ressort  pas  moins  clairement 
de  la  marche  de  l'Assemblée  qu'il  en  a  été  tout  au  plus  et 
par  moments  le  modérateur  (1),  qu'il  a  été  débordé  par 
des  meneurs  rompus  à  l'intrigue  (2),  que  plus  d'une  fois 
ses  avis  ont  été  méprisés,  ses  propositions  raturées;  et  s'il 
est  un  reproche  qu'on  puisse  lui  infliger  sans  injustice, 
c'est  d'avoir  pris  tant  de  peine  dans  la  suite  pour  justifier 
une  déclaration  qui  n'était  pas  la  sienne  (3  ).  Que  craignait- 
il  donc?...  Il  craignait  un  schisme  (4)  ». 

La  rédaction  de  tous  les  actes  authentiques  de  1682,  pa- 
rait inspirée  par  la  pensée  des  saints  Pères ,  que  Bossuet 
avait  cités  à  profusion  dans  le  Sprmon  sur  U Unité  do  VÉ- 
glise,  9  novembre  1681. 

Ainsi,  la  Lettre  du  clerr/r  gallican,  à  Innocent  AT  com- 
mence par  un  long  texte  d'une  Lettre  du  Concile  de  Milève 
au  Pape  Innocent,  lettre  qui  se  trouve  parmi  celles  de 
saint  Augustin,  la  176^  Elle  contient  de  belles  paroles 
de  Geoffroy  de  Vincennes,  à'Yces  de  Chartres  et  de  saint 
Bernard,  a  la  lumière ,  non  pas  seulement  de  l'Église  galli- 
cane, mais  de  l'Église  universelle  »,  sur  les  schismes  et  «  la 
tunique  sans  couture  du  Christ  »  ;  —  du  Pape  saint  Gélase 

aurait  voulu  fuir  cette  charge,  ne  fut  élu  (|ue  parce  que  le  roi  le  voulut;  c'est  lui- 
même  qui  le  dit  et  le  regrette  {Lettre  de  Bossuet  à  l'abbé  de  Rancé). 

(I)  «  L'évêque  de  Meaux,  dit  Fleury  dans  ces  Xoureaitx  opusculse,  répugnait  à 
voir  traitée  la  question  de  l'autorité  du  Pape  :  il  la  croyait  hors  de  saison  et  il 
ramena  à  son  sentiment  l'évêque  de  Tournay,  qui  pensait  d'abord  comme  l'arche- 
vêque de  Reims  (I.e  Tellier,  fils  du  chancelier  de  ce  nom)...  On  voulait  faire  men- 
tion des  appellations  au  concile;  mais  l'evéque  de  Meaux  résista  :  «  Elles  ont  été, 
disait-il,  condamnées  par  les  bulles  de  Pie  II  et  de  Jules  H;  Rome  esl  engagée  à 
les  condamner.  Il  ne  faut  pas  donner  prise  à  condamner  nos  propositions.  » 

(-2)  Il  proposait  d'examiner  toute  la  tradition,  alin  de  gagner  du  temps  et  de 
rendre  aux  esprits  la  liberté  de  se  calmer  et  de  connaître  véritablement  les  sen- 
timents de  l'Église  dans  tous  les  siècles.  Mais  cet  ajournement  ne  faisait  pas  le 
compte  des  empressés,  qui  éprouvaient  «  le  besoin  si  français  de  donner  uni; 
leçon  au  Pape.  On  fut  pourtant  obligé  de  reconnaître  que  les  quatre  articles  n'é- 
taient pas  une  décision  de  foi.  mais  la  constatation  d'une  opinion.  » 

{'.^)  C'est  à  M.  Géiin  que  revient  l'honneur  d'avoir  fait  la  découverte  intéressante 
d'une  copie  de  \2l  Ik'claration.où  Bossuet,  tout  en  reconnaissant  le  consentement 
de  l'Église  nécessaire  pour  valider  définitivement  les  jugements  des  Papes,  éta- 
blissait implicitement  que,  si  le  chef  avait  besoin  du  consentement  des  membres, 
les  membres  avaient  besoin  du  consentement  du  chef  :  «  Nec  nisi  in  ea  capitis 
membrorumrjue  consensione  cerlum  ac  tutum  Spiritus  Sancti  judicium  agnoscen- 
(him.  »  Celte  seconde  partie  fut  repoussée  et  raturée  dans  une  copie  apparlenaiil 
à  l'archevêque  de  Reims. 

(i)  «  Monsieur  de  Paris,  disait-il  plus  tard  à  Le  Dieu  (Journal),  ne  faisait  en 
tout  cela  que  llatter  la  cour,  écouter  les  ministres  et  suivre  à  l'aveugle  leurs  vo- 
lontés comme  un  valet.  • 


526  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PÈRES. 

sur  la  concorde  entre  les  deux  puissances  ecclésiastique  et 
civile;  —  de  saint  Bernard  encore,  de  saint  Augustin,  de 
saint  Léon  et  d'autres  Pères ,  comme  Geoffroij  de  Nogent, 
Yves  de  Chartres,  TertuUirn ,  sur  ce  qui  dans  les  décrets  de 
l'Église  est  immuable  et  irréformable  et  sur  ce  qui  ne  l'est 
pas;  de  saint  GyY^'(/o/;Y^  le  Grand  et  de  saint  Cijrillr  d'Alexan- 
drie; à^ Innocent  III,  de  Benoit  XII,  sur  l'interprétation  du 
droit  strict;  —  de  saint  Augustin,  à' Yves  de  Chartres, 
auxquels  sont  encore  empruntées  plusieurs  sentences. 

La.  Lettre  du  clergé  gallican  à  tous  les  prélats  de  Vunivers 
en  réponse  à  la  Lettre  du  Pape  Innocent  XI  rappelle  les  pa- 
roles «  des  Prres  (F Afrique  »  au  Pape  Innocent,  la  conduite 
d'Innocent  III,  d'Alexandre  III,  d'Urbain  II,  de  Paschal  II, 
d'Yves  de  Chartres,  de  Benoit  XII,  de  Boniface  VIII,  et  un 
décret  de  Léon  le  Grand  sur  les  biens  ecclésiastiques. 

Une  troisième  Lettre  à  tous  les  prélats  de  l'Eglise  galli- 
cane cite  le  De  Unitate  Ecclesiœ  de  saint  Cyprien  à  plu- 
sieurs reprises,  les  Lettres  àe  sdàni  Augustin,  celles  de  Léon 
le  Grand,  le  traité  De  la  Considération  de  saint  Bernard  et 
les  Pères  du  Concile  de  Constantinople. 

Faut-il  maintenant  analyser  le  traité  intitulé  Gallia  or- 
tJiodoxa,  sive  Vindiciae  scholae  Parisiensis  totiusque  Cleri 
Gallicani  adversus  nonmillos  et  V Appendice  à  la  France 
orthodoxe,  Appendix  ad  Galliani  orthodoxam,  seu  Defensio 
Declarationis  Cleri  Gallicani  de  Ecclesiastica  potestatc  anni 
M.D.C.LXXXII? 

Tous  les  ouvrages  posthumes  sont  suspects,  surtout  quand 
l'intérêt  et  la  passion  sectaires  ont  présidé  à  leur  puljli- 
cation.  Or,  c'est  le  cas  pour  la  France  orthodoxe  et  pour  la 
Défense  de  la  Déclaration  de  1082.  —  Est-ce  (|ue  les  rap- 
ports de  Bossuet  avec  Rome  et  le  Pape  dans  l'alîaire  du 
Quiétisme  et  la  condamnation  de  Fénelon  n'avaient  pas 
changé  ses  idées  sur  l'infaillibilité  pontificale?  Le  Dieu  nous 
dit  bien  que,  «  depuis  l'assemblée  de  1082,  un  travail  de 
plus  longue  haleine  (que  Y  Histoire  des  Variations)  et  d'une 
plus  grande  application  avait  rempli  les  veilles  de  l'évoque 
de  Meaux  ».  Mais  il  nous  dit  aussi  que  Bossuet  avait  bille 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  POLEMISTE.  527 

les  trois  premiers  livres  de  la  Déf^m^c  de  lu  Drclaralion ,  et 
qu'en  septembre  1701  il  demanda  à  son  secrétaire  «  son 
traité  De  Ecclesiastica  poteslate ,  dont  il  retint  seulement 
les  premiers  livres  de  la   dernière  revision  et  correction, 
sous  le  titre  de  Gallia  orthodoia  contre  Rocaberti,  avec  le 
Corollarium,  qui  est  la  conclusion  de  tout  l'ouvrage  ».  En 
1702,  l'abbé  Le  Dieu  ne  trouve  «  aucun  changement  dans 
la  forme  »  du  manuscrit ,  mais  seulement  des  additions  et 
corrections  (1).  Il  apprend  en  même  temps  que  l'auteur  a 
biffé  tout  ce  qui  concerne  le  pape  Libère.  Il  aurait  pu  re- 
marquer, en  outre,  que  les  quatre  premiers  livres,  et  non 
pas  seulement  les  trois  premiers ,  étaient  totalement  sup- 
primés, par  conséquent  tout  ce  qui  a  rapport  au  saint  pape 
Grégoire  VIL  Quant  aux  quatre  articles  ou  à  la  Déclaration 
(le  1682,  il  y  avait  dans  le  testament  de  Bossuet  ce  mot  signi- 
ficatif :  «  Abeat  quo  libueritl  qu'elle  aille  où  il  lui  plaira  »  ! 
Muzzarelli,  théologien  du  Pape,  affirmait  qu'il  était  prêt  à 
démontrer,  par  le  seul  témoignage  et  les  seules  affirmations 
de  Bossuet,  toutes  les  prérogatives  du  Saint-Siège.  Le  car- 
dinal de  Bausset,  quoique  gallican,  n'hésite  pas  à  recon- 
naître que  le  dessein  de  Bossuet  était  de  changer  son  ou- 
vrage tout  entier,  comme  il  avait  changé  les  trois  premiers 
livres  (2).  Le  Queux  «  a  trouvé  l'ouvrage  presque  entière- 
ment corrigé  suivant  le  nouveau  projet  ».  —  Quel  était  le 
nouveau  projet?  «  Il  contenait  peut-être,  dit  de  Maistre,  les 
variations  et  les  repentirs  du  grand  homme;  il  n'en  fallait 
pas  davantage  pour  déterminer  l'abbé  Bossuet  à  le  suppri- 
mer (3)  ».  On  conserve  des  copies  de  la  première  et  de  la 
deuxième  rédaction  1683-85,  1095-96.  Mais  il  a  été  impos- 
sible de  trouver  des  copies  de  la  troisième,  1700-1702. 

En  tout  cas,  dans  le  texte  publié  en  1730  et  la  Dissertation 
préliminaire  contre  Rocaberti,  des  faits  sont  allégués  que 
la  critique  historique  a  démentis  (4)  et  que  Bossuet,  avec 


(I)  Journal  de  Le  Dieu,  1701,  l'O-i. 

(iî)  Histoire  de  Bossuet,  liv.  VI,  pièces  juslilicalives.  H,  p.  '«(Mi.  I8il. 

(3)  De  l'Etjlise  Gallicane  .  liv.  Il,  cliap.  ix. 

(4)  Voir  Rolirbaclic;-  et  l'abbé  Darras,  Histoire  de  l'Église. 


528  BOSSL  ET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

sa  science  si  étendue  et  si  précise ,  n'aurait  pas  avancés  : 

(irégoire  le  Grand  condamnant  des  statuts  de  Pelage  II  (1  j; 
le  pape  Honorius  tombant  dans  Terreur.  11  y  a  aussi  de 
nombreux  textes  de  saint  Léon,  de  saint  Cyrille,  de  saint 
Crlcsliii  ^2) ,  de  saint  Ba.'^ilr  (3) .  de  saint  Cijprien ,  à  propos 
de  sa  querelle  avec  saint  Etienne  sur  la  question  du  bap- 
tême à  donner  après  les  hérétiques  (4),  à'Eusèbe,  de  saint 
Jérôme ,  de  saint  Anyualin,  de  saint  Vincent  de  Lérins  (5), 
parlant  du  même  sujet,  et  de  saint  Augustin  et  de  saint 
Léon .  distinguant  entre  le  Pape  et  le  Saint-Siège  i?  )  [b). 

La.  pf-emière  Partie  de  la  Gallia  orthodoxa  traite  du  pou- 
voir suprême  dans  les  choses  temporelles,  et  le  premier  li- 
vre discute  les  textes  de  l'Écriture  et  les  traditions  des  Pères 
sur  le  premier  article  de  la  Déclaration.  —  Tertullien  et 
son  Apologie  (7),  son  Scorpion;  ^divai  Augustin  (8)  et  son 
de  Ordine,  sa  Cité  de  Dieu ,  ses  Explications  des  Psaumes, 
ses  Sermons;  saint  Grégoire  de  Nazianze  et  ses  Discours  (9), 
saint  Jean  Chrgsostome  et  ses  Homélies  (10),  saint  Irénée 
et  ses  livres  Contra  haereses  (11),  saint  Ambroise  et  ses  di- 
vers ouvrages  (12),  Lucifer  de  Cagliari  (13),  Hincmar,  ar- 
chevêque de  Reims  (14),  Eusèbe  et  son  Histoire  (15),  saint 
Bernard  et  son  de  Consideratione  (16),  saint  Basile  (17), 
saint  Thomas  d'Ac/uin  et  sa  Somme  (18),  saint  Grégoire  de 
Tours  (19),  saint  Isidore  de  Séville  (20),  Yves  de  Char- 
tres (21),  saint  Gélase  (22),  viennent  plus  ou  moins  témoi- 
gner en  faveur  de  cette  thèse,  que  les  Papes  n'ont  aucun 
pouvoir  direct  ni  indirect  sur  le  temporel  des  Rois. 

Dans  le  deuxième  livre ,  «  où  l'on  apporte  les  témoigna- 
ges et  les  exemples  dos  /V/y^s  jusqu'à  Grégoire  VII  »,  c'est 
le  même  défilé  de  saints  Docteurs  :  Tf^rlullirn  (23i,  saint  Eu- 
cher  (24),  évêque  de  Lyon,  saint  Grégoire  de  Nazianze  (25), 


(1)  §  LUI.    —    (2)  §    LIX.    —    (3)    LXV    et   LXVI.   —    ('*)§  I.XVII.    —    (,"i)  §   LXIX-l.XXVIII.  - 

;<>)  5  i-xxxvr.  -  (7)  Cliap.  i,  ii,  xvi,  xxii,  xxxii.  —  (8)  Cliap.  i,  v,  xvi,  xxxi,  xxiii. 
(!•)  Cliap.  Il,  III,  XXVI.  —  (10)  Chap.  m,  xv,  xvi.  xxm.  —  (11)  Cliap.  m.  —  (1-2)  Chap.  ix. 
XX,  XXVI.  —  (VA)  Cliaii.  XII.  -  (14)  Chap.  xii,  xxvii.  —  (l."i)  Chap.  xx.  —  (l(i)  Chap.  xx. 
-  (17)  Chap.  XXVI,  XXXVII.  ~  (18)  Chap.  xxx.  —  (97)  Chaji.  xxxii.  —  (-20)  Chap.  xxxii. 
-  (-21)  Chap.  xxxii.  —  {-n)  Chap.  xxxiii.  —  m)  Chap.  i,  xxx.  —  (-24)  Chap.  i.  —  (a-;)' 
Chap.  Il,  m.  IX. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  POLEMISTE.  529 

Théodoi-et  (1),  saint  AïK/iislin  (2),  saint  Thomas  (3),  saint 
Hilaire  (4),  Lucifer  de  Cagliari  {5),  saint  Athanase  (6), 
saint  Z?«.s//f^  (7),  saint  ^4///<^/'o/.sr  (8),  saint  Fulgencf  (9),  saint 
Gêlase  (lOj ,  saint  G  rt' go  ire  le  Grand  (11) ,  saint  Pierre  Da- 
jnien  {i'i),Gerson  (13),  VHistoire  de  Grégoire  de  Tours  (14), 
saint  0/j^«/  de  Milève  (15),  Hincmar,  les  Capitulaires,  les 
Actes  des  Conciles  du  P.  Labbe ,  les  Annales  de  Baronius, 
les  Chroniques  de  Frédég-aire,  d'Angilbert,  du  Moine  de 
Saint- Gall,  les  œuvres  de  dom  Mabillon,  les  Décréta- 
les,  etc.,  etc. 

Le  troisième  livre,  «  où  sont  rapportés  les  faits  qui,  de- 
puis le  temps  de  Grégoire  VII ,  se  sont  accomplis  en  dehors 
des  conciles  œcuméniques  » ,  est  encore  rempli  de  citations 
de  Vincent  de  Lérins  (16j,  de  TerlulUen  (17),  deïHis(oire 
de  Trêves,  d'Yves  de  Chaj'tres  (18),  de  Guillaume  de  Mal- 
mesburg,  de  saint  Bernard  (19),  de  Hugues  de  Saint -Vic- 
tor (20) ,  et  de  tous  les  historiens  laïques  et  ecclésiastiques 
qui  ont  raconté  la  querelle  de  Philippe  le  Bel  et  de  Boni- 
face  VIII. 

Le  quatrième  livre  fait  le  récit  de  «  ce  qui  s'est  passé 
dans  les  Conciles  œcuméniques  depuis  l'époque  de  Gré- 
goire VII  »,  et,  sauf  quelques  passages  de  saint  Augus- 
tin (21),  de  saint  Pierre  Dainien  (22),  à'Origène  (23)  et  de 
saint  Jean  Chrysostome  (24) ,  il  n'y  a  guère  que  l'Histoire 
des  Conciles  et  l'Histoire  générale  qui  y  soient  citées. 

On  peut  en  dire  autant  de  la  Seconde  partie  tout  entière, 
livres  V  et  VI,  où  «  il  s'agit  des  Conciles  de  Constance  et  de 
Bâle  et  des  suivants  »  :  en  dehors  de  quelques  textes  de  saint 
Bernard  (25),  de  saint  Antonin  (26),  de  Gerson,  de  Pierre 
à'Ailly  (27),  de  saint  Augustin  (28),  de  saint  Cyrille  d'A- 
lexandrie (29),  de  saint  Grégoire  le  Grand   (30),  l'auteur 


(1)  Chap.  Il,  m,  IV,  VII.  —  (-2)  Chap.  ii,  xxxii.  —  (3)  Cliap.  ii.  —  (i)  Chap.  m.  —  (o) 
Chap.  III.  —  ((i)  Chap.  m.  —  (7)  Chap.  iv.  —  (8)  Chap.  iv,  v.  —  (it)  Chap.  vi.  —  (10) 
Chap.  VI.  —  (11)  Chap.  viii,  iv.  —  (1"2)  Chap.  xxviii,  xxix.  —  (13)  Chap.  xxxiii.  —  (14) 
Chap.  XXXII,  xxxiii.  —  (l,"i)  Chap.  xxxii.  —  (Ki)  Chap.  m.  —  (17)  Chap.  m.  —  (18)  Chap. 
X.  —  (lit)  Chap.  XV,  XVI,  XVII.  —  (20)  Chap.  xvii.  —  (21)  Chap.  m.  —  (22)  Chap.  v.  — 
(23)  Chap.  XXIII.  —  (24)  Cliap.  xxvii.  —  (2:>)  Liv.  V,  chap.  vu.  —  (20)  Liv.  V,  chap.  xii. 

(27)  Ils  sont  cités  plus  souvent  que  tous  les  autres. 

(28)  Liv.  V,  chap.  XXVII.  —  (29)  Liv.  V,  chap.  xxvii.  —  (30)  Liv.  V,  chap.  xxvii. 

BOSSUET   ET  LES  SAINfS  PÈRES.  34 


530  BOSSUET  ET  LKS  SAINTS  PERES. 

s'y  contente  alléguer  les  histoires  gallicanes  contre  Bellar- 
min  et  les  autres  théologiens  ultra montains. 

Dans  la  Troisihnc  Partie,  «  qu'il  faut  faire  remonter  à 
l'origine  même  du  christianisme  l'opinion  de  la  Faculté 
de  Paris  » ,  le  livre  VIP  n'est  guère  que  l'histoire  des  Con- 
ciles généraux  depuis  celui  de  Jérusalem  tenu  par  les  Apô- 
tres, ou  plutôt  depuis  celui  de  Nicée  jusqu'à  celui  de  Trente  : 
Tertullien  (1),  saint  Léon,  saint  Grégoire  le  Grand,  saint 
Grldsc ,  saint  Innoceni  1",  sont  à  peu  près  seuls  cités.  —  Le 
livre  Vlir  réfute  ou  prétend  réfuter  les  objections  qui  se 
tirent  de  la  confirmation  des  Conciles  par  les  Papes  et  celles 
que  les  ultramontains  puisent  dans  de  nombreux  passages 
de  saint  Augustin  (2),  de  saint  Grégoire  le  Grand  (3)  et  de 
saint  Chrgsostome.  —  Dans  le  livre  IX%  où  il  s'agit  des 
questions  de  foi  qui  ont  été  définies,  en  dehors  des  conciles 
généraux,  par  le  consentement  de  l'Église,  l'autorité  des 
Pères  est  plus  souvent  invoquée  ou  même  contestée,  con- 
trairement à  l'habitude  de  Bossuet,  qui  jure  par  elle  :  saint 
Auf/Kstin  lui-même  et  son  mot  célèbre  :  Rama  locuta  est, 
causa  finita  est ,  ne  trouve  pas  grâce  devant  l'auteur  de 
la  Gallia  orthodoxa  (4)  ;  il  reprend  aussi  la  fameuse  con- 
troverse sur  les  rebaptisants  entre  saint  Cgprien  et  le  Pape 
^dimi  Etienne  :  Tertullien ,  ssiini. Jérôme,  sdiUit  Basile ,  saint 
Jean  Chrgsostome ,  saint  Vincent  de  Lérins ,  Easèbe,  sont 
cités  dans  un  sens  gallican ,  qui  n'était  pas  le  leur  (5).  C'est 
ensuite  saint  Gélase,  saint  Hormisdas,  saint  Fiih/encc,  saint 
Léon,  qui  témoignent  en  faveur  de  l'autorité  indépen- 
dante (6)  des  évêques  (7)  ;  les  objections  tirées  des  Actes  des 
Conciles  sont  résolues  longuement,  et  «  un  remarquable 
passage  de  saint  Léon  »  fournit  à  l'auteur  une  arme  bien 
douteuse. 

Le  livre  X*"  prétend  prouver  «  que  la  Déclaration  galli- 
cane s'harmonise  avec  celle-ci  :  le  Siège  Romain  et  sa  foi 
saint  indéfectibles,  et  le  premier  siège  n'est  jugé  par  per- 

(\)  Itri/uln  l'idi'i  immobilis  et  irrcformahUi!^  »  (Cn[).  primuni). 
(-2)  Cliap.   XII,  XIII,  XIV,  xviii,  XIX.   —  ('A)  Cliap.  xv.  —  ('0  Cliai).  xvi.  xvii.  —  v>) 
Liv.  I\,  cliap.  II.  —  {(>)  Chai),  m  à  xv.  —  (7)  Clia|).  xv-xix. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  POLEMISTE.  531 

sonne  •.  Saint  Lroii ,  saint  Augusfin,  saint  Irr/irr,  Tcrfiil- 
lien ,  saint  Ci/piioii,  saint  Optât  de  iMilève,  saint  .h'-rôme, 
saint  G('last%  saint  Aritc  devienne,  Gerson,  Pierre  (VAilbi, 
saint  Thomas,  sa\i\i Bunaventure,  saint  Antonin,  saint  Am- 
broise,  sont  invoqués  pour  ou  contre  l'indéfectibilité  du 
Saint-Siège.  Après  une  thèse  en  faveur  de  ceux  qui  en  ap- 
pellent du  Pape  au  Concile  général,  l'auteur  récapitule  ce 
qui  précède,  cite  saint  Lron  et  saint  Augustin  et  essaie  de 
montrer  que  l'autorité  du  Pontife  Romain  n'est  pas  nulle 
pour  n'être  pas  infaillible. 

Le  XI"  livre  roule  sur  «  le  tempérament  à  apporter  à  l'u- 
sage de  la  puissance  Pontificale  »  et  le  troisième  article  de 
la  déclaration  de  1682  :  saint  Gélase,  saint  Léon  le  Grand, 
sdJmi  Augustin ,  saint  Anibroise,  saint  Grégoire  le  Grand, 
Yves  de  Chartres ,  Hincmar  de  Reims ,  passent  tour  à  tour 
sous  nos  yeux  avec  la  Pragmatique  Sanction,  faussement  at- 
tribuée à  saint  Louis,  et  Gerson ,  dont  la  doctrine,  soi-di- 
sant «  tirée  de  saint  Bernard  »  (1),  est  opposée  à  celle  de 
Bellarmin . 

Dans  le  Corollaire,  pour  faire  voir  que  «  la  doctrine  gal- 
licane n'obscurcit  pas,  mais  illumine  et  confirme  la  pri- 
mauté du  Pontife  Romain  »  ,  l'auteur  cite  saint  Léon,  saint 
Antonin,  saint  Jérôme  et  une  foule  d'Actes  de  Conciles. 

L'Appendice  à  la  France  orthodoxe,  ou  la  Défense  de  la 
Déclaration  du  clergé  gallican  de  l'année  1682,  sur  la  puis- 
sance ecclésiastique ,  où  il  est  prouvé  que  la  Déclaration 
gallicane  est  indemne  de  toute  censure  et  ne  nuit  en  rien  à 
Vautorité  du  Pontife  Romain,  ne  doit  contenir  et  ne  con- 
tient en  effet  dans  ses  quatre  livres  que  quelques  citations  de 
sdiVûX  Augustin  (2),  de  saint  Vincent  de  Lérins,  de  saint  Tho- 
mas, de  saint  Antonin  (3)  et  de  quelques  autres  docteurs. 
Qu'importe  leur  autorité  pour  établir  que  le  gallicanisme 
n'est  pas  censuré,  comme  «  cela  ressort  de  la  profession  de 
foi  de  Pie  IV  et  de  l'autorité  des  docteurs  qui  sont  de  l'avis  » 
des  Gallicans  (livre  premier) ,  comme  cela  se  prouve  encore 

(I)  Chap.  XVI.  —  (-2)  Liv.  I,  c.  i.  —  ('$)  Passim. 


532  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

«  par  les  auteurs  contraires  à  l'opinion  de  la  Faculté  de 
Paris  »  (livre  deuxième),  comme  «  on  le  démontre  aussi  par 
Tétat  même  de  la  question  (livre  troisième)?  Les  P/vr.s , 
saint  Ambroise ,  saint  Vincent  de  Lcri/is,  saint  Grégoire 
le  Grand,  etc.)  n'interviennent  qu'au  livre  quatrième,  où 
«  l'état  de  la  question  et  la  nouveauté  de  la  chose  »  sont  al- 
légués pour  réfuter  le  pouvoir  direct  et  indirect  qu'aurait 
le  Pape  de  déposer  les  rois. 

Comment  ne  pas  regretter  que  tant  d'érudition  ait  été  dé- 
pensée par  Bossuet,  —  si  tant  est  qu'il  soit  bien  l'auteur  de 
la  Ga/lia  orthodoxa  et  de  la  Défense  de  la  Déclaration  (1)  — 
pour  soutenir  une  cause  mauvaise  en  elle-même,  des  pro- 
positions qu'il  déclarait  «  odieuses  »  et  qui  sont  en  contra- 
diction flagrante  avec  l'enseignement  authentique  du  grand 
évêque?  M.  Algar  Griveau  dans  son  Etude  sur  la  condam- 
nation des  Maximes  des  Saints  (2),  livre  «  un  peu  pénible 
à  lire,  mais  singulièrement  instructif  »,  au  dire  de  M,  Bru- 
netière  (3),  établit  que  Bossuet,  après  la  querelle  du  Qxiié- 
tisme,  où  il  avait  appelé  Rome  «  la  maîtresse  des  Églises, 
magistram  Ecclesiarum  »,  n  était  plus  galHcan. 

ARTICLE  VI 

Les  saints  Pères 
et  la  Polémique  de  Bossuet  contre  les  Quiétistes. 

Si  Bossuet  perd,  en  soutenant  le  Gallicanisme,  l'immense 
avantage  que  lui  donnait  l'assurance  d'enseigner  la  pure 
doctrine  des  saints  Pères  et  de  la  Tradition  ,  il  retrouve  cet 
avantage  et  cette  supériorité  dans  la  querelle  du  Quiétisme  : 
(juerelle  regrettable,  sans  doute,  puisqu'elle  mit  aux  prises, 
en  présence  de  la  France,  de  l'Europe  et  du  monde ,  les  plus 
grands  évoques  de  l'Eglise  GalUcane  et  que  de  deux  amis 
intimes  de  la  veille  elle  fit  deux  rivaux,  deux  adversaires 

(I)  L'auteur  de    celle  lliése  ijiouvc    ailleurs  [Quid   confvranl    latina   liosstteli 
o)icra,  etc.)  que  la  Dissertalio  pracvia  est  clans  sa  i)lus  graiulo  partie  apocryphe. 
(•2)  i  vol  in-K.  l»oussiel(,'ue,  187S. 
(:J)  Nouvelles  Éludes,  l.  Il,  188-2. 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  POLEMISTE.  533 

intraitables,  dépassant  plus  d'une  fois  la  juste  mesure  de  la 
justice  et  de  la  charité  chrétiennes  (1)  ;  mais  après  tout  que- 
relle nécessaire ,  puisque,  comme  Bossuet  Fa  très  bien  dit , 
«  il  y  allait  de  toute  la  religion  (2)  »,  et  qu'à  travers  les  dé- 
faillances des  passions  humaines  il  fallait  que  la  vérité 
soutint  ses  droits  et  fit  triompher  son  autorité  souveraine. 
«  Dieu ,  comme  dit  Fénelon  lui-même  (3) ,  veille  toujours 
afin  qu'aucun  motif  corrompu  n'entraîne  jamais  contre  la 
vérité  ceux  qui  en  sont  les  dépositaires.  Il  peut  y  avoir  dans 
le  cours  d'un  examen  certains  mouvements  irréguliers; 
mais  Dieu  sait  en  tirer  ce  qu'il  lui  plaît;  il  les  amène  à  sa 
fin ,  et  la  conclusion  promise  vient  infailliblement  au  point 
précis  qu'il  a  marqué.  » 

Sans  revenir  sur  l'histoire  de  la  Querelle  du  Quiéti^me  — 
que  le  cardinal  de  Bausset  a  racontée  deux  fois,  d'une  ma- 
nière ,  il  est  vrai ,  fort  différente ,  dans  son  Histoire  de  Fé- 
nelon, 1808-1809,  et  dans  son  Histoire  de  Bossuet,  181  i, 
que  M.  Antonin  Bonnel,  professeur  aux  Facultés  catholiques 
de  Lyon,  a  résumée  dans  son  beau  livre  de  la  Controverse 
de  Bossuet  et  de  Fénelon  sur  le  Quiétisme,  1853  (i) ,  et  que 
M.  Crouslé ,  l'éminent  professeur  de  la  Sorbonne ,  vient 
de  traiter  magistralement  dans  le  second  volume  de  son 
Fénelon  et  Bossuet  (5),  —  il  faut  se  demander  quel  usage  a 
fait  des  saints  Pères  le  grand  évèque  de  Meaux  pour  cette 
lutte  mémorable  contre  l'archevêque  de  Cambrai. 

(I)  Bossuet  dit  au  début  de  la  Relation  du  Quiétisme ,  .%  :  «  il  est  vrai  qu'il  est 
affliseant  de  voir  les  évoques  en  venir  à  ces  disputes,  même  sur  des  faits.  Les 
libertins  en  triomphent,  et  prennent  occasion  de  tourner  la  piété  en  hypocrisie 
et  les  afl'aires  de  l'Église  en  dérision;  mais  si  l'on  n'a  pas  la  justice  de  remonter 
à  la  source,  on  juge  contre  la  raison  ». 

{•2)  Lettre  du  9  (l(''cenil)re  1697. 

(3)  Instruction.  Pastondc  du  -2  mars  no.'i. 

(i)  Nisard  et  M.  Brunetiére  ont  nettement  marqué  les  ombres  du  caractère  de 
Fénelon  dans  cette  querelle,  et  M.  Lanson  qui,  dans  son  Bossuet.  1891.  lui  a  con- 
sacré ."iO  pages  excellentes,  ;i79-43l.  a  montré  clairement  combien  était  ébranlée 
«la  légende  des  emportements  .  de  la  dureté,  de  la  superbe  de  Bossuet,  de  la 
douceur,  de  la  candeur,  do  l'humilité  de  I-énelon  ».  —  Le  P.  de  la  Broise  {Bossuet 
et  la  Bible,  1891)  et  M.  Janet,  dans  le  Féni'lon  de  la  collection  des  Grands  écrivains 
de  la  France,  ont  bien  essayé  de  réagir  contre  un  courant  favorable  à  Bossuet, 
et  i)arlé  de  Vâpreté ,  de  la  dureté  de  langage,  du  zélr  austère  de  l'évèque  de 
Meaux.  Mais  quelque  belle  âme  qu'ait  eue  Fénelon  ,  il  n'était  ni  droit,  ni  ferme  ■ 
ni  doux  comme   Bossuet. 

(o)  Voir  notre  travail  Bossuet  et  Fénelon  d'après  les  derniers  traraux  de  la  cri- 
tique ;  un  vol.  in-12,  Paris  et  Lyon  ,  189(j. 


534  BOSSUET  ET  LES  SAIMS  PERES. 

D'abord,  Bossuet  «  dans  toute  l'affaire  du  Quiétisme,  dit 
Le  Dieu  (1),  demanda  avec  instance  des  conférences  amia- 
bles, tant  de  fois  pratiquées  par  saint  Aiigii.sti/t  ».  La  Re- 
lation du  Quiétisme  contient  toute  une  section,  la  VHP, 
«  sur  les  voies  de  douceur  et  les  conférences  amiables  ». 

Bossuet  avait,  certes,  le  droit  d'en  parler.  —  Après  avoir 
été  prié  par  Fénelon,  vers  le  mois  de  septembre  1693,  d'exa- 
miner loraison  et  les  livres  de  M"^"  Guyon  (^Jeanne  Bou\ier 
de  la  Motte),  après  avoir  lu  sa  Vie  écrite  par  elle-même, 
des  Conintentaires  sur  Muïse,  sur  Josué,  sur  les  Juges  ^  sur 
Y  Évangile,  sur  les  Epitres  de  saint  Paul,  sur  YApocalgpse 
et  sur  beaucoup  d'autres  livres  de  l'Écriture ,  du  Cantique 
en  particulier,  il  fut  choqué  dans  son  bon  sens  et  son  or- 
thoxie  de  voir  que  M""  Guyon  parlait  «  dune  abondance 
de  grâces  dont  elle  crevait  » ,  si  bien  qu'il  fallut  un  jour 
«  qu'une  duchesse  la  délaçât  :  ce  qui,  ajoutait-elle,  nem- 
pêcha  pas  que,  par  la  violence  de  la  plénitude,  mon  corps 
ne  crevât  de  deux  côtés  ».  Il  entra  en  relations  avec  cette 
étrange  mystique,  dont  les  erreurs  étaient  <>  infinies  »  ;  celle 
qu'il  releva  le  plus  alors  était  celle  qui  regardait  l'exclusion 
de  tout  désir  et  de  toute  demande  pour  soi-même,  en  s'a- 
bandonnant  aux  volontés  de  Dieu  les  plus  cachées  (2).  C'est 
ce  sur  quoi  il  l'interrogea  dans  une  longue  conférence  qu'il 
eut  avec  elle  en  particulier.  Il  en  eut  plus  tard  une  se- 
conde, «(  au  commencement  de  l'année  lOOi.  Tùt  après, 
elle  fut  suivie  d'une  autre  conférence  plus  importante  avec 
M.  l'abbé  de  Fénelon  dans  son  appartement  à.  Versailles  ». 
Il  se  retira  étonné  de  voir  «  un  si  bel  esprit  dans  l'admi- 
ration d'une  femme  dont  les  lumières  étaient  si  courtes, 
le  mérite  si  léger,  les  illusions  si  palpables,  et  (|ui  faisait  la 
prophétesse  (3)  ».  Il  s'attacha  d'autant  plus  à  ramener  M.  de 


(1)  Mihnoires.  p.  ."il. 

(-2)  C'étaient  là  les  théories  d'un  prêtre  espagnol  Molinos.  auteur  de  la  Guide 
xpirilueUe,  arrêté  ;i  Kome  jiar  riu(|uisili<>ii  en  Uix:>  el  condamné  à  la  prison  i>er- 
pi-tiielle  pour  avoir  poussé  jusqu'au  dernier  degré  d'irnuioralilé  les  consécpiences 
pialif)U(;s  d'une  doctrine,  dont  soixante-huit  pro[)osilions  (nriMil  condamnées  i>ar 
Innocent  XI  couime  «  hércti(|ues.  erronées,  scandaleuses,  l)Ias|)hématoires  ». 

(.1)  Ui'ialion  <lu  (^uirlismc;  section  U,  :20.  —  Itossuct  ajoute  «  (|u'il  ne  songeait 
qu'a  icnii- (;a('hé  ce  qu'il  voyait  ». 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  POLEMISTE.  535 

Fénelon  que  ceux  qui  avaient  écouté  leur  discussion  étaient 
dans  sa  main. 

11  écrivit  donc,  le  16  mars  1694,  une  longue  lettre  à 
M"^  Guyon  sur  ses  écrits,  «  pleins  de  choses  insupportables 
et  insoutenables,  ou  selon  les  termes,  ou  selon  les  choses 
et  dans  le  fond  ».  Il  s'y  révélait  déjà  tel  qu'il  devait  être 
dans  toute  la  querelle ,  champion  intrépide  de  la  Tradition 
des  Prres,  dont  la  doctrine  était  pour  lui  une  règle  inva- 
riable. Après  avoir  cité  l'exemple  de  sœur  Marguerite  du 
Saint-Sacrement  et  de  sainte  Thérèse,  il  ajoute  :  «  Si  on 
veut  remonter  aux  premiers  siècles,  saint  Augustin  était 
intérieur;  maison  n'a  qu'à  lire  ses  Co/t/essions,  qui  sont 
une  perpétuelle  contemplation,  on  y  trouvera  partout  des 
demandes  qu'il  fait  pour  lui-même ,  sans  qu'on  y  puisse 
remarquer  le  moindre  vestige  de  la  perfection  d'aujour- 
d'hui... Je  n'ai  jamais  hésité  un  seul  moment  sur  les  états 
de  sainte  Thr/'he,  parce  que  je  n'y  ai  rien  trouvé  que  je  ne 
trouvasse  aussi  dans  l'Écriture,  comme  elle  dit  elle-même 
que  les  docteurs  de  son  temps  le  reconnaissaient.  » 

Pendant  qu'il  travaillait  «  à  désabuser  Fénelon  d'une 
personne  aussi  étrange  »  que  M"""  Guyon,  celle-ci  se  mit 
dans  l'esprit  de  faire  examiner  les  accusations  qu'on  in- 
tentait contre  ses  mœurs,  juin  1694,  et  de  demander  au 
roi  des  commissaires  avec  pouvoir  de  prononcer  sur  sa 
vie.  M"""  de  Maintenon,  afin  d'éviter  l'éclat  que  voulait  faire 
l'archevêque  de  Paris,  désigna  Bossuet,  l'évêque  de  Châ- 
lons,  M^''  de  Noailles,  et  M.  Tronson,  supérieur  g-énéral  de 
Saint-Sulpice ,  pour  examiner  à  fond  la  doctrine.  Les  infir- 
mités de  M.  Tronson  obligèrent  ses  deux  collègues  «  à 
tenir  leurs  conférences  »  à  Issy,  maison  du  séminaire  de 
Saint-Sulpice.  Durant  sept  à  huit  mois  qu'ils  employèrent 
à  une  discussion  sérieuse,  Fénelon  «  multiplia  les  écrits 
et  alla  avec  quelques-uns  de  ses  amis  à  Issy,  tandis  que 
W^"  Guyon  envoyait  quinze  ou  seize  gros  cahiers  pour  faire 
le  parallèle  de  ses  livres  avec  les  saints  P/tcs,  les  théolo- 
giens et  les  auteurs  spirituels  (  1  )  ».  Elle  protestait,  du  reste, 

(1)  Relation  du  Quirtisme  ;  sect.  III,  I,  '2. 


53fi  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

de  sa  parfaite  soumission,  et  Fénelon  écrivait  à  Bossuet  : 
«  Je  suis  dans  vos  mains  comme  un  petit  enfant.  Je  puis 
vous  assurer  que  ma  doctrine  n'est  pas  ma  doctrine  :  elle 
passe  par  moi,  sans  être  à  moi...  Je  ne  tiens  à  rien...  Je  ne 
vous  demande  en  tout  ceci  aucune  des  marques  de  cette 
bonté  paternelle  que  j'ai  si  souvent  éprouvée  en  vous.  Je 
vous  demande,  par  l'amour  que  vous  avez  pour  l'Église,  la 
rigueur  d'un  juge  et  l'autorité  d'un  évêque,  jaloux  de  con- 
server l'intégrité  du  dépôt.  Je  tiens  trop  à  la  tradition,  pour 
vouloir  m  arracher  celui  cjui  doit  en  être  la  principale 
colonne  de  nos  jours  (1)...  Je  ne  tiens  qu'à  une  seule  chose, 
qui  est  l'obéissance  simple...  Je  suis  prêt  à  me  taire,  à  me 
rétracter,  à  m'accuser  et  même  à  me  retirer,  si  j'ai  manqué 
à  ce  que  je  dois  à  l'Église  (2)...  Je  dois  tout  à  l'Église 
et  rien  à  moi  ni  à  ma  réputation  personnelle...  Il  ne  me 
reste  toujours  qu'à  obéir;  car  ce  n'est  pas  l'homme,  ni  le 
très  grand  docteur  que  je  regarde  en  vous,  c'est  Dieu  i3)... 
Au  nom  de  Dieu,  ne  m'épargnez  point;  traitez-moi  comme 
un  petit  écolier,  sans  penser  ni  à  ma  place,  ni  à  vos  an- 
ciennes bontés  pour  moi.  Je  serai  toute  ma  vie  plein  de 
reconnaissance  et  de  docilité ,  si  vous  me  tirez  au  plus  tôt 
de  l'erreur  (4).  » 

Sur  ces  entrefaites,  l'archevêque  de  Paris  ayant  lancé 
une  ordonnance  contre  le  Quiétisme  (16  octobre  1694j, 
Bossuet,  pour  sauver  M™'  (iuyon  (5) ,  la  fit  recevoir  à  la  Vi- 
sitation de  Meaux,  le  13  janvier  1695,  sous  le  nom  de  M™'  de 
la  Houssayc,  et  le  roi.  qui  ignorait  les  confi-rmces  d'Issy  et 
la  part  qu'y  prenait  Fénelon,  le  nomma  archevêque  de 
Cambrai,  le  8  février  1695.  Le  nouvel  élu  continua  d'assis- 
ter aux  conférences,  mais  cette  fois  '<  comme  juge  »,  au 
même  titre  que  Bossuet  et  M.  de  Noailles.  Le  prélat  fut 
d'abord  aussi  humble  que  l'abbé.  Pourtant,  le  6  mars  1695, 


en  LvUrr  du  -1%  juillet  KJ'JV. 
(-2)  LcAtrc  (lu  l'2  décembre  IG!»i. 
(:i)  Ldlre  du  1(>  décembre   10!)'*. 
(4)  Le/</-edu  iii  janvier  lOO.'i. 

(•*>)  Elle  avait  voulu,  comme  Fénelon  d'ailleurs  (Lettre  du  Ki  décembre  KJOi),  se 
confesser  à  Bossuet;  mais  celui-ci  ne  consentit  pas  a  se  laisser  lier  les  mains. 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  POLEMISTE.  537 

il  y  avait  déjà  un  point  auquel,  «  dans  sa  situation  pré- 
sente, il  ne  pouvait  souscrire  par  persuasion  ».  Puis,  quand 
on  lui  proposa  les  trente-quatre  articles  à  signer,  «  il  ap- 
porta des  restrictions  à  chaque  article,  qui  en  éludaient  toute 
la  force  et  dont  l'ambiguité  les  rendait  non  seulement  inu- 
tiles, mais  encore  dangereux  ».  Fénelon  céda  entîn;  mais 
il  eut  tort  plus  tard  de  déclarer  que,  dès  le  premier  mo- 
ment, il  était  prêt  à  signer  de  son  sang  (  1  ) .  Il  signa  (10  mars  ) 
comme  M"""  Guyon ,  à  laquelle  Bossuet  donna  un  certificat 
de  piété  et  d'orthodoxie;  elle  s'enfuit  aussitôt  de  son  cou- 
vent, abusa  des  lettres  de  Bossuet,  et,  après  s'être  cachée 
quelques  mois,  fut  enfermée  à  Vincennes  (fin  de  1695), 
puis,  après  une  nouvelle  soumission,  mise  à  Vaugirard, 
d'où,  revenue  à  ses  erreurs,  elle  fut  conduite  à  la  Bastille 
jusqu'en  1702. 

Les  trente-quatre  articles,  publiés  par  Bossuet  dans  une 
Instruction  pastorale  du  16  avril  1695,  où  le  prélat  pro- 
testait contre  «  les  nouveaux  mystiques  » ,  «  les  nouveaux 
docteurs  »  et  leur  «  doctrine  outrée  »  ,  contenaient  des  al- 
lusions formelles ,  à  la  doctrine  des  saints  Pères  :  «  Arti- 
cle XXXI...  Il  ne  faut  pas  permettre  (aux  spirituels)  d'ac- 
quiescer à  leur  désespoir  et  damnation  apparente;  mais 
avec  saint  François  de  Sales  les  assurer  que  Dieu  ne  les 
abandonnera  pas.  —  XXXII...  L'abandon  du  chrétien  est 
de  rejeter  en  Dieu  toute  son  inquiétude,  mettre  en  sa  bonté 
l'espérance  de  son  salut,  et,  comme  l'enseigne  saint  Augus- 
tin après  saint  Cfjprien ,  lui  donner  tout  :  Ut  totum  detur 
Deo.  » 

Bossuet  annonçait  en  même  temps  «  une  instruction  plus 
ample,  où  paraîtrait  l'application  avec  les  preuves  des  sus- 
dits articles,  encore  qu'ils  se  soutiennent  assez  par  eux-mê- 
mes, et  ensemble  les  prinicipes  solides  de  l'oraison  chré- 
tienne selon  l'Écriture  sainte  et  la  tradition  des  Pères,' 
enfin,  en  suivant  les  règles  et  les  pratiques  des  saints  doc- 
teurs, nous  tâcherons  de  donner  des  bornes  à  la  théologie 

(1)  Réponse  à  In  Relation  du  Quiétisme.^ 


538  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

peu  correcte  et  aux  impressions  et  exagérations  irrégu- 
lières de  certains  mystiques  inconsidérés  ou  même  pré- 
somptueux ». 

En  attendant,  Bossuet,dans  une  Lettre  du  24  mai  1695 
à  M"""  de  la  Broue,  évêque  de  Mirepoix,  défendait  l'arti- 
cle XXX^  par  Tautorité  de  saint  Chrysostome,  de  Théodoret, 
«  de  plusieurs  auteurs  très  approuvés  et  notamment  de 
saint  François  <le  Sales  en  plusieurs  endroits...  Tout  ce 
qu'on  pourrait  dire,  c'est  que  les  actes  (sur  la  supposition 
que  Dieu  tiendrait  les  justes  dans  les  tourments  éternels) 
sont  très  inutiles,  et  que  les  esprits  les  plus  solides,  comme 
sdlwi  Augustin,  ont  atteint  la  perfection  sans  les  faire  ».  Il 
parle  dans  la  même  lettre  de  saint  Bernard  et  du  bien- 
heureux Jean  de  la  Croix.  Dans  une  autre  lettre  du  29  mai 
au  môme  prélat,  il  dit  que  l'article  XW"  se  trouve  dans  tous 
les  livres  de  dévotion  et  dans  les  plus  approuvés  depuis  plu- 
sieurs siècles  et,  à  remonter  jusqu'aux  sources,  dans  saint 
Chrijsostume  ».  —  Il  «  travaillait  dès  lors  sans  relâche  » 
à  son  Instruction  sur  les  rlats  d'oraison.  Le  3  juin,  il  dé- 
fendait «  un  sentiment  que  saint  Chrysostorne  sur  de  très 
solides  fondements  a  trouvé  et  admiré  dans  saint  Paul.  Il 
est  suivi  de  Théodoret ,  de  saint  Isidore  de  Damiette ,  d'OE- 
cuménius,  et  dans  nos  jours,  d'Estius  et  de  Fromont,  sans 
avoir  encore  examiné  les  autres;  saint  François  de  Sales, 
sainte  Thérèse  et  beaucoup  d'autres  Ames  saintes,  dont  je 
ne  dois  point  souffrir  qu'on  condamne  les  sentiments,  sont 
de  même  avis  ». 

Vers  la  même  époque,  Bossuet  s'empressait  d'accepter 
d'être  le  prélat  oonsécrateur  de  Fénelon,  comme  pour  lui 
donner  une  sorte  de  témoignage  public  de  leur  parfait  ac- 
cord d'esprit  et  de  Cd'ur.  Le  7  décembre  1695,  Fénelon 
écrivit  à  Bossuet  :  «  ,1c  ferai  profession  toute  ma  vie  d'être 
votre  disciple  et  de  vous  devoir  la  meilleure  partie  de  ce 
que  je  sais.  .le  vous  conjure  de  m'aimer  toujours  et  de  ne 
douter  jamais  de  mon  zèle,  de  mon  respect  et  de  mon 
attachement.  »  Le  18  décembre,  l'archevêque  de  Cambrai 
promettait  A  l'évêque  de  Meaux  ((  de  passer  quelques  jours 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  ROSSUET  POLEMISTE.  539 

auprès  de  lui  et  de  prendre  à  son  ouvrage  (Vlnstruc/ion 
sur  les  états  d'oraison)  toute  la  part  qu'il  voudrait  bien  lui 
donner.  Il  serait  ravi ,  non  pas  d'en  aug-menter  l'autorité , 
mais  de  témoigner  publiquement  combien  il  révérait  sa 
doctrine  ».  «  Ne  soyez  point  en  peine  de  moi,  lui  écrivait-il 
encore  le  21  mai  1696;  Dieu  en  aura  soin;  le  lien  de  la  foi 
nous  tient  étroitement  unis  par  la  doctrine;  et  pour  le  cœur 
je  n'y  ai  que  respect,  zèle  et  tendresse  pour  vous.  »  Hélas! 
pourquoi  faut-il  ajouter  qu'en  ce  moment  Fénelon  avait 
refusé  d'approuver  le  livre  de  Bossuet  (1),  «  parce  qu'il  y 
condamnait  iM""^  Guyon  »i?  Dans  une  Lettre  à  M™"  de  Mainte- 
non  (7  mars  1696),  il  formulait  des  accusations  graves  contre 
M.  de  Meaux ,  qui  aurait  «  redit  comme  des  impiétés  des 
choses  que  M""  Guyon  lui  avait  confiées  avec  un  cœur  sou- 
mis et  en  secret  de  confession  ».  Bossuet,  accusé  de  trahir 
le  secret  de  la  confession ,  en  reproduisant  des  choses  écri- 
tes tout  au  long  dans  les  livres  de  M"°  Guyon  1  Et  Fénelon , 
après  une  accusation  si  injurieuse  pour  un  prêtre,  pour  un 
prélat,  écrivant  à  ce  prélat,  le  k  octobre  1696,  qu'il  était 
«  l'homme  du  monde  le  plus  attaché  à  lui  avec  le  respect  le 
plus  sincère  »  1 

LEj'plication  des  Maximes  des  saints  parut  en  février 
1697  (2),  et  V Instruction  sur  les  états  d'oraison  en  mars  seu- 
lement, mais  avec  les  approbations  de  MM.  de  Paris  (3)  et 
de  Chartres  ii.  Bientôt  après,  le  6  mai.  Innocent  XII,  à 
qui  Bossuet  avait  adressé  son  ouvrage  avec  une  admirable 
Lettre,  lui  répondait  par  un  Bref,  qui  n'était  pas  le  simple 
remerciement  d'une  noble  politesse,  mais  l'effusion  de  cœur 
d'un  Pontife,  bénissant  l'auteur  d'une  œuvre  glorieuse  pour 
l'Église. 

(I)  Bossuet,  par  déférence,  le  lui  avait  fait  remettre  en  manuscrit  :  il  le  rendit 
le  .%  août  KjiMi.  par  l'intermédiaire  du  duc  de  Chevreuse  avec  une  lettre  polie,  mais 
vague.  Un  Mémoire  à  M"""  de  Maintenon  expliquait  le  refus  d'approbation. 

(-2)  Bossuet  écrivait,  dès  le  mois  de  janvier  169".  à  l'abbé  de  Mauleuvrier  que  la 
publication  de  cet  écrit  causerait  un  grand  «  scandale,  parce  que  Fénelon  nu  pour- 
rait pas  se  résoudre  à.  condamner  les  livres  de  M"'"  Guyon  et  parce  qu'il  voulait 
établir  comme  possible  la  perpétuelle  passivelé  et  laisser  dans  le  doute  plusieurs 
articles  à  éclaircir.  » 

(3)  C'était  alors  M-''^  de  Xoailles. 

(4  C'était  M"-'"'  Godet  des  Marais. 


5i0  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

La  Préface  indique  avec  une  lumineuse  précision  la  mé- 
thode sui\'ie  par  Bossuet  :  k  Je  me  suis  proposé  la  règle  sûre 
et  invariable  pour  juger  de  toutes  ces  choses,  qui  est  TÉcri- 
ture  sainte  et  la  Ti^acUtion,..  Grrson  ,  que  nos  pères  ont  jus- 
tement appelé  docteur  très  chrétien  ,  tant  à  cause  de  sa 
piété  que  pour  avoir  été  en  son  temps  la  lumière  de  ce 
royaume,  remarquait  dès  lors  qu'un  des  artifices  de  ceux 
qui  veulent  se  donner  toute  liberté  d'enseigner  ce  qu'il  leur 
plait  sur  une  matière  si  cachée  et  si  délicate ,  est  d'en  appe- 
ler toujours  aux  expériences...  Mais  il  est  clair  qu'il  y  a 
des  règles  cerlaines  dans  l'Église  pour  juger  des  bonnes  et 
mauvaises  oraisons,  et  que  toutes  les  expériences  qui  y  sont 
contraires  sont  des  illusions.  On  ne  peut  douter  que  les  pro- 
phètes et  les  apôtres  que  Dieu  nous  a  donnés  pour  docteurs 
n'aient  été  très  instruits  et  très  expérimentés  dans  ses  voies  : 
les  saints  Pères,  qui  les  ont  suivis  et  nous  en  ont  expliqué  la 
sainte  doctrine,  ont  pris  leur  esprit,  et,  animés  de  la  même 
grâce,  ils  nous  ont  laissé  des  traditions  infaillibles  sur  cette 
matière  comme  sur  toutes  les  autres  qui  regardent  la  reli- 
gion. Voilà  les  expériences  solennelles  et  authentiques  sur 
lesquelles  il  faut  se  fonder,  et  non  pas  sur  les  expériences 
particulières.  »  Et  alors  le  grand  évèque  cite  Gerson,  con- 
damnant «  les  énormes  excès  »  des  béguards  et  des  bégui- 
nes; sainte  Thérèse,  désirant  «  de  trouver  dans  les  direc- 
teurs la  science  et  l'expérience  »  et  préférant  ><  le  savant  à 
celui  qui  n'est  que  spirituel  »,  ou  bien  nous  apprenant  qu'on 
est  contemplatif  sans  le  savoir,  dit  saint  Augustin,  d'après 
lequel  l'étude  du  bon  et  simple  docteur  «  n'est  qu'une 
attention  à  la  lumière  éternelle  et  un  saint  attachement  de 
cœur  à  Celui  qui  est  la  vérité  même  ».  Bossuet,  «  appuyé 
sur  ces  solides  fondements  •> ,  a  le  droit  d'  «  entrer  avec 
confiance  dans  ces  matières  »  et  d'y  établir  «  la  vérité  révé- 
lée par  l'Écriture  et  par  les  Pères  ».  Il  peut  déclarer  à  In- 
nocent XII  (1)  qu'il  n'a  fait  dans  tout  son  livre  que  confir- 

(I)  l.i'llri'  (lu  17  mars  1G!»7  :  .  Et  nunc  lolo  opusculo  niliil  aliuil  agiinus  quam  ut 
i(l  guud  est  gestum  Scripturarum  testimoniis.  traditioiic  l'atrum  ac  vcrae  tlieo- 
logiac  (Jecretis  fulcialur.  • 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  POLEMISTE.  541 

mer  «  par  les  témoignages  des  Écritures,  la  tradition  des 
Pères  et  les  décrets  de  la  véritable  théologie  »,  ce  que  le 
Pape  avait  eu  en  vue  par  la  condamnation  des  erreurs  des 
faux  mystiques.  Il  peut  dire  surtout  :  «  Dieu  sait  que  ce 
n'est  pas  de  moi-môme,  mais  de  la  doctrine  des  sain/s  et 
de  la  force  de  la  vérité  que  j'espère  des  avantages  de  mon 
travail  pour  découvrir  les  erreurs  et  attirer  les  simples  à 
l'oraison  ». 

Dans  le  livre  premier,  Les  erreurs  des  mystiques  en  gé- 
néral et  en  particulier  leur  acte  continu  et  universel,  Bos- 
suet  constate  dabord  qu'il  y  a  longtemps  que  les  mystiques, 
les  contemplatifs,  ont  introduit  dans  l'Église  un  nouveau 
langage,  plus  ou  moins  imité  «  du  style  extraordinaire  » 
des  livres  attribués  à  saint  Denis  V Aréoparjitc  et  qui  leur  a 
valu  des  contradicteurs  comme  Gerson  :  ce  saint  homme 
leur  reproche  "  de  pratiquer  tout  le  contraire  de  Jésus- 
Christ  et  des  apôtres,  qui,  ayant  à  développer  des  mystères 
impénétrables  et  cachés  à  tous  les  siècles,  les  ont  proposés 
en  termes  simples  et  vulgaires.  Saint  Augustin ,  saint  Ber- 
nard,  tous  les  autres  saints  les  ont  imités  ;  au  lieu,  dit  le 
docte  et  pieux  Gerson,  «  que  ceux-ci,  dans  une  moindre 
élévation,  semblent  ne  songer  qu'à  percer  les  nues  et  à  se 
faire  perdre  de  vue  par  leurs  lecteurs  ».  Tel  est  le  cas  de 
Kusbroc,  «  le  plus  célèbre  des  mystiques  de  son  temps  et 
le  maître  de  tous  les  autres  »  ,  d'Henri  Harphius,  qui  l'a  co- 
pié, et  de  Nicolas  Tanière,  qui  l'a  suivi.  — Bossuet  entre- 
prend ensuite  un  travail  ingrat  :  rechercher  dans  de  petits 
livres  de  peu  de  mérite  un  nombre  infini  d'erreurs,  à 
l'exemple  des  Pères,  qui  n'ont  pas  dédaigné  d'attaquer  les 
moindres  écrits.  Après  avoir  divisé  son  traité  en  dix  livres, 
l'évêque  de  Meaux  expose  le  premier  principe  du  Quiétisme , 
qui  «  consiste  dans  un  certain  acte  continu  et  universel 
qu'on  y  établit  »  avec  le  P.  Falconi  [Moyen  court,  etc.), 
Molinos  et  Malaval  ;  puis  il  réfute  ce  principe  par  un  pas- 
sage des  Confessions  de  saint  Augusti)t,  qui  répète  en 
cent  endroits  ce  que  tous  les  autres  Pères,  saint  Bernard , 
saint  Grégoire,  saint  Thomas  inculquent  sans  cesse,  à  savoir 


542  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

que,  si  la  contemplation  était  de  durée,  elle  serait  quasi  la 
même  chose  que  celle  dont  les  saints  jouissent  dans  le  ciel , 
mais  qu'elle  ne  peut  durer  ici-bas.  Personne,  avant  Falconi, 
n'a  enseigné  le  nouveau  prodige  de  cet  acte  irréitérable , 
sans  autorité  ou  de  l'Écriture  ou  des  Pères ,  quoi  qu'en  dise 
Molinos,  qui  se  réclame  à  tort  de  saint  François  de  Sales. 

Le  livre  deuxième,  De  la  suppression  des  actes  de  foi  sur 
la  Trinité,  sur  l'Incarnation,  sur  les  attributs  divins  sur 
les  articles  du  Credo ,  sur  les  demandes  du  Pater,  sous  pré- 
texte que  les  contemplatifs  ne  doivent  s'attacher  qu'à  la 
seule  essence  divine ,  réfute  cette  erreur  dangereuse  par  un 
passage  des  Stromates  de  saint  Clément  d' Alexandrie',  par 
l'autorité  de  Scot  et  de  Suarez,  de  toute  l'école  après  saint 
Thomas  dans  sa  Somme  théologique,  où  il  établit  qu'il  est 
nécessaire,  de  nécessité  de  salut,  de  croire  explicitement 
à  la  Trinité,  à  l'Incarnation,  au  symbole,  enfin  par  une  dé- 
finition du  concile  de  Reims  tirée  de  saint  Aagastijt  et  de 
saint  Bernard,  d'où  il  résulte  «  que  c'est  une  ignorance 
grossière  de  dire  que  Dieu  soit  plus  que  sa  propre  toute- 
puissance  ». 

Dans  le  livre  troisième  ^  De  la  suppression  des  demandes 
et  de  la  conformité  à  la  volonté  de  Dieu,  Bossuet- montre 
que  c'est  là  une  erreur  profonde,  «  bien  contraire  à  saint 
Augustin  "  ,  qui,  dans  le  de  Dono  perseverantiae  et  VEpitre 
à  Sixte,  prouve  que  toute  prière ,  et  celle  des  commençants 
comme  des  autres,  est  inspirée  de  Dieu,  et  qui,  dans  les 
Explications  des  Psaumes,  soutient  que,  quoique  le  Saint- 
Esprit  forme  nos  prières  ,  il  ne  faut  pas  attendre  comme  en 
suspens  que  cet  Esprit  nous  remue  d'une  façon  extraordi- 
naire ;  ce  serait  ôter  à  nos  prières  cet  effort  du  libre  arbitre, 
ce  conatus  c\\\(i  tous  les  saints  y  reconnaissent;  ce  serait  in- 
troduire «  la  passiveté  »  dans  l'oraison  la  plus  commune. 

«  Comme  le  prétexte  do  la  suppression  des  demandes  est 
une  fausse  conforinité  à  la  volonté  de  Dieu  fort  vantée  par 
les  nouveaux  mystiques  » ,  Bossuet  emploie  le  livre  tjua- 
trième ,  on  il  est  traité  plus  à  fond  de  la  conformité  à  la 
volonté  de  Dieu ,  à  montrer  comment  elle  est  mal  entendue 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  POLEMISTE.  54 

et  à  coml)icn  d'erreurs  et  d'illusions  elle  ouvre  la  porte. 
Saint  Augustin  et  son  Ouvrage  imparfait  contre  Julien ,  sa 
Cité  «le  Dieu ,  <(  le  saint  homme  Gerson ,  dans  le  savant  livre 
qu'il  a  composé  de  la  Disiiiirtion  des  véritables  visions  d'avec 
les  fausses  »,  et  saint  Jean  de  Damas  sont  les  autorités 
qu'invoque  l'évéque  de  Meaux  à  l'appui  de  sa  thèse. 

Au  livre  cinquième ,  il  examine  les  actes  directs  et  ré- 
fléchis, aperçus  et  non  aperçus ,  dont  parlent  les  quiétistes 
pour  rejeter  les  réflexions  de  tout  l'état  des  contemplatifs, 
et  il  «  ôte  aux  nouveaux  mystiques  une  fausse  idée  de 
recueillement  et  une  source  intarissal)le  de  fausses  maxi- 
mes ».  Il  établit  qu'ils  «  contredisent  tous  les  traités  as- 
cétiques de  saint  Basile  et  des  autres,  les  théories  de  saint 
Thomas  sur  la  réflexion  et  la  volonté,  celles  de  saint  Fran- 
çois de  Sales  sur  l'amour  de  Dieu,  celles  de  saint  Antoine 
et  de  Cassien  sur  l'état  de  l'àme  dans  la  pure  contempla- 
tion, où  «  elle  perd  les  riches  substances  de  toutes  les  belles 
conceptions,  de  toutes  les  belles  images,  de  toutes  les  bel- 
les paroles  dont  elle  accompagnait  ses  actes  intérieurs  ». 

Dans  le  livre  sirihm' ,  Où  Von  oppose  à  ces  nouveautés  la 
tradition  de  FÉglise,  Bossuet  remonte  à  la  Lettre  du  con- 
cile de  Carthage  au  Pape  saint  Innocent  sur  les  grâces  qu'il 
faut  demander  à  Dieu.  «  Ces  deux  grands  saints,  saint  Cy- 
prien  et  saint  Augustin,  ne  connaissent  point  le  mystère  du 
nouveau  désintéressement,  qui  persuade  à  nos  faux  mysti- 
ques de  ne  rien  désirer  pour  eux-mêmes ,  puisqu'ils  tournent 
tous  deux  à  eux-mêmes  toutes  les  demandes  de  l'oraison  do- 
minicale ,  et  entre  autres  celle-ci  :  «  Que  votre  nom  soil 
sanctifié  »;  car,  disait  saint  Cgprienet  après  lui  saint  ^4?^- 
gustin,  nous  ne  demandons  pas  que  Dieu  soit  sanctifié  par 
nos  oraisons,  mais  que  son  nom,  saint  par  lui-même,  soit 
sanctifié  en  nous.  «  Dieu  commande  à  ses  saints  de  lui  de- 
mander la  pei'sévérance  )> ,  dit  ^sAni  Augustin...  Pour  en- 
tendre maintenant  que  cette  foi  (définie  par  les  conciles 
d'Orange,  de  Carthage  et  de  Trente)  est  aussi  ancienne  que 
l'Église ,  il  ne  faut  que  lire  quelques  passages  de  saint  Clé- 
ment d' Alexandrie,  dont  l'autorité  est  considérable  par  deux 


544  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

endroits  :  l'un  qu'elle  a  été  révérée  dès  la  première  antiquité, 
puisqu'il  a  été  dès  le  second  siècle ,  après  le  grand  Pantenus 
et  devant  le  grand  Origène ,  le  théologien  et  le  docteur  de 
la  sainte  et  savante  Église  d'Alexandrie;  et  l'autre,  qu'il  nous 
propose  ce  qui  convient  aux  plus  parfaits  qu'il  appelle  </;#o.s- 
tiques.  ))  Or,  saint  Clément  dit  en  maints  endroits  des  Stro- 
males  et  du  Pédagogue  que  ceux  à  qui  il  convient  de  faire  à 
Dieu  le  plus  de  demandes  sont  les  parfaits,  les  gnostiques. 
Les  anciens,  saint  Jérôme,  saint  Jean  Climaque ,  saint  jy«- 
caire ,  disciple  de  saint  Antoine ,  saint  Arsène,  les  âmes  les 
plus  consommées  dans  la  vertu ,  étaient  bien  éloignées  de 
se  croire  dans  la  perfection  de  l'impassibilité  ou  de  V apathie. 
«  Après  saint  Clément  d'Alexandrie,  celui  des  anciens  qui 
est  le  plus  propre  à  confondre  les  novateurs ,  c'est  Cassien, 
parce  que,  comme  saint  Clément,  il  a  expressément  traité 
de  l'oraison  des  parfaits  contemplatifs  et  même  de  leur  apa- 
thie ».  Or,  d'après  Cassien,  cette  demande  Fiat  voluntas , 
«  qui  est  la  plus  parfaite  de  toutes,  et  la  vraie  demande 
des  enfants  et  par  conséquent  des  parfaits,  contient  la  de- 
mande de  notre  salut.  »  «  C'est  une  doctrine  constante  de 
SBimi  Augustin  et  de  tous  les  Pères,  que  Jésus-Christ,  en 
nous  proposant  l'oraison  dominicale  comme  le  modèle  de  la 
prière  chrétienne ,  y  a  renfermé  tout  ce  qu'il  fallait  deman- 
der à  Dieu  »,  quoi  qu'en  dise  le  P.  La  Combe.  De  plus.  Cas- 
sien  conserve  toujours  dans  les  plus  parfaits  contemplatifs, 
ce  (ju'il  appelle  volutatio  eordis,  c'est-à-dire  la  succession 
et  la  volubilité  des  pensées  et  des  mouvements  du  cœur,  et 
sdiini  François  de  Sales,  dont  les  faux  mystiques  allèguent 
si  souvent  l'autorité,  donne  le  moyen  de  résoudre  ((  les  en- 
droits des  Pères,  de  Clément  d'Alexandrie,  de  Cassien,  de 
saint  Augustin  même  et  des  autres  spirituels  anciens  et  mo- 
dernes, qui,  en  parlant  du  sommeil  des  justes,  semblent 
dire  que  leurs  exercices  n'y  sont  point  interrompus,  et  il  est 
vrai  «jue  l'impression  en  demeure  dans  un  certain  sens  ». 
Dans  le  livre  septième.  De  r oraison  passive,  de  sa  vérité 
f't  de  Vabiis  (péitn  en  fait,  liossuet  commence  par  «  décou- 
vrir combien  les  faux  mysti(]ues  abusent  de  l'oraison  pas- 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  POLEMISTE.  545 

sive  OU  de  quiétude,  et  il  en  explique  la  pratique  et  les  vrais 
principes  par  la  doctrine  constante  des  mystiques  véritables 
et  approuvés,  tels  que  sont  le  bienheureux  P.  Jean  de  la 
Croix  et  le  vénérable  P.  Baltazar  Alvarez,  de  la  Compag"nie 
de  Jésus,  un  des  confesseurs  de  sainte  Thérèse  ».  Saint 
Augustin  et  son  de  Spiritu  et  littera,  son  de  Dono  per- 
severantiae ,  ses  Lettres,  ses  Sermons ,  son  de  Perfectione 
justi,  saint  Ambroise ,  saint  Thomas  d'Aquin,  saint  Jean 
Climaque  confirment  par  leur  autorité  la  thèse  de  l'évèque 
de  Meaux. 

Comme  «  la  doctrine  de  saint  François  de  Sales  et  la 
conduite  de  la  vénérable  mère  de  Chantai,  sa  fille  spiri- 
tuelle, servent  d'un  vain  refuge  aux  faux  mystiques  )> ,  le 
livre  huitième,  Doctrine  de  saint  François  de  Sales,  et  le 
livre  neuvième.  Où  est  rapportée  la  suite  de  la  doctrine  de 
saint  François  de  Sales  et  de  quelques  autres  saints ,  sont 
consacrés  à  expliquer  les  maximes  de  ce  saint  évêque ,  qui 
((  aimait  le  train  des  saints  devanciers  et  des  simples  » ,  et 
dont  les  Entretiens,  les  Lettres,  le  Traité  de  V amour  de  Dieu, 
sont  en  harmonie  parfaite  ,  ainsi  que  la  conduite  de  la  Mère 
de  Chantai,  avec  les  principes  de  sainte  Thérèse ,  de  sainte 
Catherine  de  Gènes,  de  sainte  Catherine  de  Sienne,  de 
saint  Jean  de  la  Croix,  de  saint  Jean  d'A^dla,  de  saint 
Pierre  cT Alcantara  et  de  «  quelques  autres  excellents  spiri- 
tuels » ,  qui  n'ont  jamais  parlé  de  l'indifférence  des  saints 
pour  le  salut  éternel. 

Dans  le  livre  dixième,  «  qui  est  l'un  des  plus  importants, 
parce  que  c'est  comme  un  résultat  de  la  doctrine  de  tous  les 
autres  »,  Bossuet  s'explique  d'abord  «  sur  les  qualifications 
des  propositions  particulières  »  condamnées  chez  les  Quié- 
tistes,  puis  «  sur  l'article  XXXII  »,  sur  le  parfait  abandon, 
à  propos  duquel  il  montre,  avec  saint  Ci/prien,  saint  .4^^- 
gustin  [de  Dono  perseverantiae ,  de  Praedestinatione  sanc- 
torum,  de  Doctrina  christiana,  etc.),ii3imt  François  de  Sales, 
sainte  Thérèse,  saint  Jean  de  la  Croix,  le  P.  Baltazar  Alva- 
rez, saint  Thomas,  saint  Bonaventure ,  saint  Clément  d'A- 
lexandrie ,  que  «  la  contemplation  ,  ni  active   ni  passive , 

BOSSUET  ET   LES  SAINTS  PÈRES.  3,"> 


546  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PÈRES. 

n'est  que  passagère  et  comme  momentanée  en  cette  vie  et 
n'y  peut  être  perpétuelle.   > 

Les  Additions  et  Corrections;  exposent  la  doctrine  cons- 
tante de  saint  Augustin  et  des  Pères  sur  les  demandes  con- 
tenues dans  rOraison  dominicale  et  montrent  que,  «  selon 
saint  Augustin,  l'amour  désintéressé,  loin  d'exclure  le  mo- 
tif de  la  récompense  en  tant  qu'elle  est  Dieu  môme,  le 
comprend  dans  son  désir.  En  attendant,  dit  Bossuet,  qu'on 
établisse  une  vérité  si  constante  par  le  sentiment  unanime 
des  saint  Pères  et  de  tous  les  théologiens  .  tant  scolastiques 
que  mystiques,  et  qu'on  ait  expliqué  plus  à  fond  les  princi- 
pes de  saint  Augustin,  le  pieux  lecteur  sera  bien  aise  de 
voir  comment  ce  Père  était  entendu  par  un  des  plus  grands 
théologiens  et  des  plus  sublimes  contemplatifs  du  treizième 
siècle.  C'est  Hugues  de  Saint-Victor,  ami  et  contempo- 
rain de  saint  Bernard,  chanoine  régulier  et  prieur  du  cé- 
lèbre monastère  de  Saint- Victor.  Ce  grand  et  pieux  docteur 
se  propose  de  prouver  que  «  celui  qui  aime  Dieu  pour 
soi-même,  l'aime  d'un  amour  pur  et  gratuit  ».  Après  avoir 
traduit  un  long  passage  de  cet  auteur,  le  grand  évêque  de 
Meaux  révèle  toute  son  âme  dans  cette  conclusion  :  «  On  con- 
naît la  doctrine  de  saint  Augustin  à  ce  discours  d'un  de 
ses  enfants,  d'un  de  ses  religieux,  d'un  de  ses  disciples. 
Elle  est  devenue  si  commune  dans  l'Église,  comme  la  suite 
le  fera  voir,  qu'elle  a  été  embrassée  par  tous  les  docteurs 
anciens  et  nouveaux,  que  tous,  en  ce  point  comme  dans 
les  autres,  se  sont  glorifiés  d'être  humbles  disciples  d'un 
si  grand  maître.  » 

Cette  admirable  Instruction  sur  les  états  d'o?'aison  est  le 
chef-d'd'uvre  de  la  théologie  mystique  en  France,  et  il  se- 
rait difficile  de  rencontrer  dans  les  autours  ascétiques  une 
érudition  plus  étendue,  une  doctrine  plus  sûre,  une  élo- 
quence plus  lumineuse. 

On  fait  suivre  ordinairement  cette  Instruction  célèbre 
d'un  écrit  intitulé  Tradition  des  nouveaux  mgstiques  et 
publié  par  l'abbé  Le  Roi  en  ITVS.  — ■  Ce  sont  des  Notes  que 
Bossuet  écrivit  pour   Fénelon  à   l'époque   des  conférences 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  POLEMISTE.  547 

cVIssy,  alors  que  le  précepteur  du  duc  de  Bourgogne,  pour 
justifier  M™*  Guyon  et  ses  théories  du  pur  amour,  avait 
apporté  à  ses  trois  juges  une  série  de  Remarques,  intitulées 
le  Chwstique,  sans  doute  parce  qu'il  y  assimilait  les  Quié- 
tistes  aux  Gnostiques  de  Clément  d'Alexandrie,  et  qu'il  vou- 
lait faire  aux  nouveaux  mystiques  «  une  chaîne  de  tradition  » , 
allant  de  l'homme  spirituel  de  saint  Paul  au  contemplatif 
déifonne  de  saint  Denis ,  à  l'initié  à  la  Gnose  de  l'auteur  des 
Stromates  ^  au  solitaire  en  oraison  continuelle  de  Cassien, 
à  <(  l'homme  sublime  »  de?,di\\\i  Augustin,  «  instruit  de  Dieu 
seul  »,  à  l'àme  passive  du  Bienheureux  Jean  de  la  Croix, 
à  l'indifférent  de  saint  François  de  Sales,  au  contemplatif 
d'Alrarf'Z,  enfin  au  quiétiste  de  Molinos,  de  Malaval  et  de 
M'"®  Guyon.  — Bossuet  prouve  clairement,  dans  la  Tradition 
des  noureaux  mystiques^  que  «  tous  les  auteurs,  soit  des 
premiers,  soit  des  derniers  siècles  »,  ont  des  vues  très  diQ'é- 
rentes  de  celles  des  Quiétistes,  dont  le  contemplatif  est  un 
homme  tout  nouveau,  très  éloigné  de  tous  les  autres  et  fa- 
briqué par  les  mystiques  contemporains.  Dans  des  Remar- 
ques d'une  incroyable  érudition,  où  presque  tout  le  livre 
des  Stromates  et  celui  du  Pédagogue  sont  passés  en  revue, 
ainsi  que  quelques  textes  de  Cassien  et  des  Noms  divins, 
de  la  Hiérarchie  céleste ,  de  la  Hiérarchie  ecclésiastique  et 
de  la  Théologie  Mystique  de  Denis  l'Aréopagite,  l'évêque  de 
Meaux  détruit  tous  les  arguments  de  Fénelon  et  lui  fait  voir 
que  Clément  d' Alexandrie  n'a  pas  dessein  de  proposer  aux 
païens  l'oraison  passive  ni  un  état  extraordinaire,  mais  sim- 
plement les  maximes  communes  qui  font  de  bons  chrétiens, 
de  vrais  chrétiens  spirituels.  La  Gnose,  d'ailleurs,  n'était  pas 
«  une  tradition  apostolique  secrète  »  ,  dont  on  fit  un  mys- 
tère au  commun  des  fidèles.  «  Saint  Iré née  et  saint  Éjjiphane 
ont  condamné  ces  traditions;  saint  Augustin  a  combattu 
cette  erreur  des  secrets  de  religion  cachés  aux  fidèles  dans 
trois  Traités  sur  saint  Jean,  où  il  donne  le  sens  véritable  de 
cette  parole  de  Xotre-Seigneur  dont  les  hérétiques  abusaient  : 
«  J'ai  beaucoup  de  choses  à  vous  dire  que  vous  ne  pouvez 
pas  encore  porter.  »  La  marque  de  la  tradition  apostolique, 


548  BOSSUET  ET  LES  SALNTS  PÈRES. 

d'après  saint  Augustin,  c'est  qu'elle  soit  répandue  publi- 
quement dans  toute  l'Église  :  Quod  a  Patribus  tmditu))i 
unirersa  observât  Ecclesia  (1).  «  C'est  de  cette  sainte  doc- 
trine de  saint  Augustin ,  ou  plutôt  de  toute  l'Église  catholi- 
que que  Vincent  de  Lérins  a  pris  son  Quod  ubique,  quod 
seniper,  qui  est  le  caractère  incommunicable  et  insépa- 
rable... des  traditions  apostoliques  »  (2  .  Comme  Bossuet 
était  «  plein  de  fentes  par  où  le  sublime  échappait  de  tous 
cotés  » ,  il  y  a  dans  ces  simples  Notes ^  communiquées  à  Fé- 
nelon,  une  vigueur  de  raisonnement  et  une  éloquence  si 
lumineuses  qu'elles  forcèrent  l'archevêque  de  Cambrai  à 
désavouer  son  Gnostique ,  «  écrit  à  la  hâte  »,  disait-il. 

Pendant  que  le  public  admirait  les  États  d'oraison,  les 
Maximes  des  Saints  faisaient  scandale  :  elles  soulevaient 
contre  elles  «  le  gros  du  monde  »  à  Paris ,  «  avec  le  gros  du 
courtisan  »,  si  bien,  ajoutait  l'abbé  Brisacier  écrivant  à  Fé- 
nelon  son  ami,  le  28  février  1697,  «  qu'il  ne  se  trouve  pres- 
que personne  qui  ose  vous  soutenir  ni  dans  la  forme,  ni 
dans  le  fond  »  (3) . 

Ce  qui  fut  plus  pénible  à  Bossuet  que  la  publication  inop- 
portune des  Marinies  des  Saints,  c'est  que  Fénelon  lui  fit 
lire  par  le  duc  de  Chevreuse  une  lettre,  ou  plutôt  un  Mé- 
moire  tout  plein  de  récriminations  et  de  justifications  de 
sa  propre  conduite,  qui  tournaient  en  accusations  de  celles 
de  son  ami.  C'était  la  déclaration  de  guerre,  et  elle  ne  venait 
pas  de  Bossuet,  l'homme  «  le  plus  doux  du  monde  ». 

Il  avouait  alors  à  son  neveu,  2i  mars  1G97,  combien 
il  y  avait  de  choses  répréhensibles  dans  les  Maximes  des 
Saints:  «  J'écris  tout  ceci  avec  douleur,  disait-il,  à  cause  du 
scandale  de  l'Église  et  à  cause  de  l'horrible  décri  où  tombe 
un  homme  dont  j'avais  cru  faire  le  meilleur  de  mes  amis  et 
que  j'ai?ne  encore  sinrère/nent ,  malgré  Virrégularité  de  sa 


(I)  XXXII'  Sermon  sur  les  paroles  de  l'apolre. 

(-2)  Cliapilre  xvii.  sections  I  el  II. 

(3)  l,e  l'ellelier,  ministre  d'Klat,  écrivait  h  Fénelou  :  »  Pour  l'honneur  du  roi, 
pour  l'iiitiTfl  de  la  reliffion  et  pour  voire  propre  gloire,  il  serait  à  souhaiter  que 
votre  palais  et  votre  livre  eussent  6lé  réduits  en  eeudre,  il  va  six  semaines.  » 
{Manuscrits  du  Grand  Séuiiiiaire  de  Saint-Suli)icc.) 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  HOSSUET  POLÉMISTE.  549 

conduite  envers  moi.  Je  n'ai  point  la  liberté  de  me  taire 
après  ce  qu'il  dit  dans  son  Avertissement ,  qu'il  expose  la 
doctrine  que  M.  de  Paris  et  moi  avons  établie  dans  les  trente- 
quatre  articles.  Nous  serions  prévaricateurs,  si  nous  nous 
taisions,  et  l'on  nous  imputerait  la  doctrine  du  nouveau  li- 
vre. »  Où  est  l'amertume  dans  cette  lettre  d'un  prélat,  re- 
levant une  double  provocation?  L'abbé  de  Rancé,  c  qui  ne 
pouvait  penser  à  l'ouvrage  de  Fénelon  sans  indignation  », 
écrivait  à  Bossuet  qu'il  comptait  sur  lui  en  cette  rencontre 
pour  soutenir  la  vérité  avec  le  même  bonheur  que  par  le 
passé.  Le  roi  ordonnait  à  W  de  Noailles  et  à  Bossuet  d'exa- 
miner les  Maximes  des  Saints.  Les  conférences  recommen- 
cèrent à  l'archevêché  de  Paris  :  on  y  appela  Fénelon.  Mais 
si  Bossuet  aimait,  selon  la  pratique  des  Pères,  à  traiter  toutes 
choses  «  à  l'amiable  » ,  l'archevêque  de  Cambrai  n'y  te- 
nait guère  :  il  donna  d'abord  des  explications  contraires 
à  son  livre  et  aussi  insoutenables  que  lui ,  d'après  l'éveque 
de  Chartres,  Godet  des  Marais;  puis  il  refusa  de  se  rendre 
aux  conférences  de  rarchevêché,  à  moins  que  Bossuet  n'en 
fût  exclu  ;  enfin ,  pour  empêcher  les  évêques  de  se  pro- 
noncer sur  son  livre,  il  en  appella  au  Pape  le  18  avril. 

MM.  de  Paris ,  de  Meaux  et  de  Chartres  publièrent  le  6  août 
nuQ  Déclaration  en  latin  d'abord,  puis  en  français,  où,  au 
nom  delà  pure  doctrine  de  s,dÀ\ii  Augustin,  de  saint  Fran- 
çois de  Sales  et  «  de  tous  les  contemplatifs,  sainte  Thérèse, 
Jean  de  Jésus,  son  interprète  Jacques  Alvarez  Paz,  ils  dé- 
savouaient le  système  de  Fénelon  et  le  déclaraient  contraire 
aux  34-  articles,  dont  ils  rétablissaient  le  vrai  sens. 

C'était  le  premier  acte  d'hostilité  publique  de  Bossuet 
contre  Fénelon  ;  mais  celui-ci  l'avait  gratuitement  pro- 
voqué. Presque  en  même  temps  que  la  Déclaration ,  le  20 
août,  paraissait  en  latin  pour  les  théologiens  romains,  en 
français  pour  le  public,  que  l'archevêque  de  Cambrai  avait 
imprudemment  mêlé  à  la  querelle  (1),  le  Sommaire  de  la 
doctrine  du  livre  qui  a  pour  titre  :  Explication  des  Maximes 

(1)  Dans  ['Avertissement  des  Maximes  des  Saints. 


550  BOSSUET  ET  LES  SALMS  PERES. 

des  saints,  etc. ,  ^^^5  conséquences  qui  s'ensuivent,  des  dé- 
fenses et  des  explications  qui  //  ont  été  données.  Bossuet  y 
disait  avec  une  sincérité  parfaite  :  «  Quoique  ce  prélat  que 
j'honore  semble  vouloir  mettre  sa  principale  défense  à  me 
faire  regarder  comme  sa  partie  et  son  accusateur  (ce  que  je 
ne  puis  taire  et  aussi  le  dire  sans  une  extrême  douleur),  Dieu 
m'est  témoin  que  toute  ma  vie  je  n'ai  rien  eu  tant  à  cœur 
que  son  amitié,  l'entretenir  et  y  correspondre  par  toute 
sorte  de  moyens  :  sans  que  jamais  il  y  ait  eu  entre  nous  la 
moindre  division,  si  ce  n'est  depuis  ce  livre  malheureux.  » 
—  Après  avoir  relevé  deux  erreurs  attribuées  par  Fénelon  à 
saint  François  de  Sales  et  à  saint  Augustin.,  \e  Sommaire 
constate  que  l'évéque  d'Hippone .  bien  éloigné  des  pensées 
qu'on  lui  prête,  rapporte  cent  et  cent  fois  le  désir  même 
de  voir  Dieu  à  l'amour  chaste  et  gratuit  ;  et  si  l'on  souffre 
que  ces  beaux  endroits  soient  détournés  par  de  vains  raffi- 
nements, cette  pure  et  ancienne  théologie  s'évanouira  avec 
les  maximes  et  les  principes  de  ce  Père  :  cette  belle  distinc- 
tion des  choses  dont  on  peut  user  et  de  celles  dont  on  doit 
jouir  disparaîtra,  quoique  enseignée  par  ce  saint  docteur  et 
posée  depuis  par  le  Maître  des  Sentences,  par  ses  inter- 
prètes et  par  tous  les  scolastiques ,  pour  le  fondement  de  la 
théologie  ;  et  la  définition  même  de  la  charité  que  saint  Au- 
fjust'nt  nous  a  donnée  (1)  et  que  saint  Thomas  a  répétée 
après  lui  (2j,  qui  porte  qu'elle  n'est  autre  chose  qu'un  mou- 
vement de  l'âme  pour  jouir  de  Dieu  pour  l'amour  de  lui- 
même,  ne  demeurera  pas  sans  atteinte.  Mais  on  ne  peut 
croire  que  la  théologie  scolastique  soit  différente  de  celle 
des  saints  Pères ,  d'où  elle  tire  son  origine  :  saint  Thomas 
est  tout  à  fait  de  notre  sentiment ,  saint  Bonaventure  aussi , 
ainsi  que  Scot  lui-même  et  Suarez,  Hossuet  relevait  enfin 
le  tort  qu'avait  eu  Fénelon  eu  essayant  de  faire  des  quié- 
tistes  de  Grégoire  Lopez  et  de  Cassien. 

Désormais,  pendant   plus   de    dix-huit    mois,   du    mois 
d'août  1G97  au  mois  de  mars  1000,  le  duel  des  deux  prélats 

(1/  iJij  iJoctrina  Christian.,  liv.  \\\.  c.  x. 
(innomme  Thvobxj.,  11'"^  II",  (|uc!sl.  -2:1,  art.  i. 


LES  SAINTS  PÈKES  ET  BOSSUET  POLEMISTE.  551 

va  passionner  la  France  et  Rome ,  partagées  entre  Cambrai 
et  Meaux.  De  Cambrai  partent  des  Lettres^  des  Instructions 
pastorales,  des  Traités  ;  de  Meaux,  des  réponses  à  ces  Traités, 
à  ces  Instructions ,  à  ces  Lettres.  Puis,  des  deux  côtés,  ce 
sont  des  Remarques  sur  les  réponses,  des  Réponses  aux  Re- 
marques, des  Eclaircissetiieîits,  etc.,  etc. 

Pour  ne  pas  parler  ni  de  la  Lettre  à  M"''  de  la  Maison- 
fort  (1),  où  Rossuet  redresse  ce  que  celle-ci  disait  de  saint 
François  de  Sales,  mal  compris,  ni  de  la  Lettre  à  M***, 
qui  est  évidemment  de  Rossuet,  il  faut  signaler  d'abord 
ses  Divers  écrits  ou  Mémoires  à  M^'"  Carcheeéque  de  Cam- 
brai sur  le  livre  intitulé  :  Explication  des  Maximes  des 
saints. 

Dans  Y Avertissetiient  qui  précède  ces  écrits,  Rossuet  se  ré- 
clame de  la  pratique  de  l'Église,  «  des  saints  Pères,  qui 
n'ont  pas  cru  embrouiller  les  choses,  mais  au  contraire  les 
mettre  au  net.  quand  ils  ont  écrit  sur  les  erreurs  »,  et  de  saint 
Augustin,  qui  -<  est  mort  en  défendant  les  écrits  que  ses 
subtils  adversaires  avaient  combattus...  L'exemple  de  saint 
Augustin  aussi  bien  que  des  autres  Pères  nous  fait  voir  qu'il 
faut  éviter  partout  »  les  subtilités.  Après  avoir  ramené  à 
quatre  principales  questions  toute  la  matière  des  Maximes 
des  saints,  le  sacrifice  du  salut  éternel,  le  pur  amour,  la  sup- 
pression du  propre  effort  et  la  contemplation  exclusive  de 
l'essence  divine  ,  Rossuet  montre  que  l'archevêque  de  Cam- 
brai allègue  à  tort  en  sa  faveur  des  passages  de  saint  Chry- 
sostome ,  de  saint  Augustin,  de  saint  Ambroise,  de  saint 
Thomas,  qui  rejette  si  clairement  ce  qu'on  lui  fait  dire 
«  dans  le  lieu  même  qu'on  en  cite  ».  de  saint  François  de 
Sales,  ((  dont  M.  l'archevêque  de  Cambrai  fait  tout  son  fon- 
dement, mais  qui  se  tourne  contre  lui  ». 

Le  premier  Mémoire,  «  envoyé  par  les  soins  de  M.  l'ar- 
chevêque de  Paris  » ,  le  lundi  15  de  juillet  1697 ,  parle  en 
termes   délicats   de    la   conférence   proposée  par  MM.    de 

(1)  C'ctail  une  femme  belle,  spirituelle,  hardie,  dont  M™»  de  Maintenon  disait 
qu'elle  •'  jugeait  tous  les  saints  du  paradis  ».  Elle  avait  rendu  tout  Saint-Cyr  quié- 
tisle,  et  Fénelon  essaya  de  la  soustraire  à  la  direction  de  Bossuet. 


552  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PÈRES. 

Paris,  de  iMeaux  et  de  Chartres,  et  refusée  par  Fénelon,  Puis , 
il  signale  les  erreurs  de  ce  prélat ,  contraires  à  l'esprit  de 
saint7^'/y7;?ço/.s  de  Sales,  dont  dix  ou  douze  textes  sont  «  sup- 
posés ,  tronqués ,  altérés  » ,  contraires  aussi  à  l'esprit  de 
saint  Bernard  et  à  celui  des  Pères,  dont  on  prétend  montrer 
la  tradition  (1). 

Le  deuxième  Ecrit  ou  Mémoire  pour  répondre  à  quelques 
Lettres  (2),  où  Vétat  de  la  question  est  détourné,  proteste 
contre  un  auteur  qui  croit  mettre  ses  théories  «  à  couvert 
de  toute  attaque  sous  l'autorité  de  saint  François  de  Sales  », 
de  la  Mère  de  Chantai,  de  sainte  Thérèse  et  des  autres  mal 
interprétés.  Il  «  met  en  fait  que  jamais  M.  de  Cambrai,  avec 
la  tradition  qu'il  a  tant  vantée,  ne  trouvera  un  seul  auteur, 
ou  parmi  les  Pères,  ou  parmi  les  scolastiques,  ou  parmi  les 
mystiques  »,  qui  exclue  Tespérance  de  la  charité  chrétienne. 
Bossuet  ((  ne  censure  donc  aucune  opinion  de  l'École ,  comme 
on  voudrait  le  faire  accroire  aux  ignorants  ». 

Dans  le  troisième  Écrit  ou  Mémoire  sur  les  passages  de 
saint  François  de  Sales  (3),  on  voit  que  d'une  douzaine  de 
textes  allégués  par  Fénelon,  il  n'en  est  «  aucun  qui  ne  soit 
tronqué,  ou  pris  manifestement  à  contre  sens,  ou  même  en- 
tièrement supposé;..,  ce  qui  suffit  pour  montrer  qu'il  n'y  a 
rien  à  attendre  de  la  tradition  des  sain  f.s ,  que  le  même  auteur 
promet  sans  en  alléguer  aucune  preuve,  puisqu'il  altère  en 
tant  de  manières  le  seul  des  saints  qu'il  a  cité  et  sur  lequel 
il  a  fondé  toute  la  doctrine  de  son  livre  ».  D'ailleurs,  «  l'état 
d'une  àmc  parfaite  (jui  se  croit  damnée  »  n'est  autorisé  ni 
par  l'exemple,  ni  parla  doctrine  de  saint  François  de  Sales, 
ni  par  les  34  articles  d'Issy. 

Le  quatrième  Ecrit  ou  Ménu)ire  a  deux  parties  :  la  pre- 
,   mière  où  «  le  motif  de  la  récompense  (V)  est  établi  par  l'É- 

(I)  Bossuet  dit,  à  propos  de  «  la  cupidité  soumise  »,  explication  donnée  par 
Fénelon,  «  qu'aucun  mystique,  aucun  scolasliciue,  aucun  auteur  ne  s'en  est  servi 
avant  cette  réponse,  c'est-à-dire  avant  l.";  jours  ». 

(i)  I.a  première  était  du  .'l  août  et  de  l'archevêque  de  Cambrai  à  un  ami;  la 
seconde,  du  mémo  prélat  «  khc  reli^Meus(!;  la  iroisièmc.  de  l'abbé  de  Clianterac , 
grand  vicaire  de  Fénelon  cl  son  délégué  à  Kome. 

(3)  IJossuet,  dans  les  livres  VIII  et  IX  des  États  d'oraison,  avait  montré  que  l'évê- 
(juc  de  Oenévc  n'éiait  pas  (|uiélistc.  Mftis  Fénelon  avait  produit  d'autres  textes. 

(4;  Qui  peut  se  mêler  à  la  charité. 


LES  SAINTS  PERES  ET  HOSSUET  POLEMISTE.  553 

criture  et  la  tradition  constante  •>  ;  la  seconde,  où  «  les  pas- 
sages de  l'Écriture  allégués  par  le  sentiment  contraire  » 
apparaissent  comme  un  abus  manifeste  de  la  parole  de 
Dieu,  «  comme  détournés  de  leur  sens  naturel  à  un  sens 
étranger  et  faux,  dont  aussi  on  n'allègue  aucun  garant 
parmi  les  Pères  ». 

Dans  le  cinquième  Ecrit  ou  Mémoire  sur  les  trois  états 
des  justes  et  les  motifs  de  la  charité ,  Bossuet  dit  que  saint 
Clément  d'Alexandrie,  qui  a  le  premier  exposé  ses  trois 
états,  est  suivi  par  saint  Grégoire  de  Nazianze  ,  saint  Basile, 
Cassien  et  beaucoup  d'autres.  Puis  il  donne  deux  principes  : 
—  que  la  récompense  c'est  ou  les  biens  qu'on  reçoit  de  Dieu, 
ou  lui-même;  et  que  la  vue  de  cette  dernière  récompense 
n'est  jamais  regardée  par  les  saints  docteurs  comme  fai- 
sant des  mercenaires;  —  c'est  d'après  ces  principes  que 
les  Pères ,  saint  Clément ,  saint  Augustin,  saint  Cyprien, 
saint  Grégoire  de  Nazianze,  les  scolastiques,  saint  Thomas , 
saint  Bonaventure^  Scot,  Suarez,  etc.,  et  les  spirituels,  sainte 
Catherine  de  Gènes,  Rodriguez ,  sainte  Thérèse  et  les  autres 
doivent  être  entendus,  si  l'on  veut  débrouiller  les  règles  ou 
les  maximes  qui  établiront  les  motifs  du  divin  amour. 

Ces  Mémoires  étaient  imprimés ,  lorsqu'une  Instruction 
pastorale  de  Fénelon,  donnée  à  Cambrai  le  25  septembre 
1697,  parut  à  Paris,  au  commencement  de  1698;  Bossuet, 
pour  y  répondre,  suspendit  la  publication  de  ses  cinq  Mé- 
moires, auxquels  il  ajouta  la  Préface  sur  TInstruction  pas- 
torale de  M.  de  Cambrai.  Cette  Instruction  s'annonçait 
comme  une  Explication  de  V Explication  des  Maximes  des 
saints.  Mais,  en  la  lisant,  on  s'apercevait,  «  malgré  les  douces 
et  coulantes  insinuations  dont  elle  était  remplie  »  ,  que  c'é- 
tait «  un  autre  livre  construit  sur  d'autres  principes,  direc- 
tement opposés  à  ceux  du  premier  et  qui  avaient  eux-mêmes 
besoin  d'explications  » .  Bossuet  se  propose  donc  de  désa- 
buser les  gens  qui  croyaient  qu'il  s'agissait  d'une  «  dispute 
de  mois  et  de  quelques  finesses  indifférentes  d'école...  La 
vérité  nous  force  à  dire ,  écrit-il ,  avec  la  sincérité  et  la  li- 
berté qu'elle  inspire  à  ses  défenseurs,  qu'il  g  vu  du  tout 


554  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

pour  la  religion.  »  Il  traitera  donc  deux  questions  :  «  la  pre- 
mière, si  l'explication  proposée  dans  rinstruction  pastorale 
excuse  le  livre;  la  seconde,  si  elle-même  est  excusable  ». 
—  L'évêque  de  Meaux  montre  clairement  (section  III)  que 
Fénelon  a  tort  d'attribuer  au  parfait  gnostique  de  Clément 
d'Alexandrie,  à  saint  Franrois  do  Sales  et  à  quelques  autres, 
l'idée  du  sacrifice  absolu  de  la  béatitude  éternelle.  Il  a  tort 
aussi  d'alléguer  Gerson,  en  taisant  les  endroits  où  ce  pieux 
docteur  condamne  le  quiétisme  ,  et  de  chercher  à  se  mettre 
à  couvert  de  toute  censure,  en  citant  sans  cesse  de  saint  Fran- 
çois de  Sales  des  textes  qui  ne  sont  pas  plus  dans  l'édition  de 
Lyon  que  dans  celle  de  Paris.  —  Bossuet  établit  ensuite  (1) 
que  son  adversaire  a  été  contraint  d'abandonner  le  principe 
de  son  premier  livre  (2) ,  «  qui  était  tiré  des  principes  de 
l'École,  mais  outrés  et  mal  entendus  »  ,  comme  le  prouvent 
des  textes  de  saint  Ansfdme ,  de  qui  l'École  s'est  inspirée 
avec  saint  Bernard,  Scof,  saint  Thomas  et  saint  Bonaventure. 
«  Il  n'y  a  nul  doute  que  saint  François  de  Sales  n'ait  suivi 
les  idées  de  l'École  » ,  lui  qui  était  scholastique  aussi.  Quant 
à  saint  Augustin,  il  est,  de  tous  les  Pères,  le  plus  éloigné  des 
idées  quiétistes.  —  Parmi  un  grand  nombre  d'erreurs  «  inex- 
cusables »  chez  Fénelon ,  Bossuet  signale  ce  qu'il  dit  «  des 
épreuves  fort  courtes  »  des  saints ,  alors  que  celles  de  saint 
François  de  Sales  ont  duré  trois  ou  quatre  ans,  et  celles  de 
sainte  Thérèse  quinze  ans,  et  ce  qui  concerne  la  contem- 
plation quiétiste,  dans  laquelle  on  n'explique  point  ce 
propre  ell'oj't  qui  fait  dire  à  saint  Augustin  que  w  la  grâce 
n'aide  que  ceux  qui  s'efforcent  d'eux-mêmes  ».  —  On  voit 
ensuite  [Seconde  partie,  section  VI°)  que  les  docteurs  que 
Fénelon  allègue  ])our  son  amour  naturel,  c'est-à-dire  saint 
Thomas,  Estius  et  Denis  le  Chartreux,  sont  éloignés  de  ses 
idées,  et  que  saint  Bonaventure ,  saint  Anselme ,  saint  Ber- 
nard, Scot  et  toute  l'École  mettent  l'essence  de  l'espérance 
chi'étienne  dans  l'intérêt  propre  qui  «  est  éternel  ».  Quand 
l'archevêque  de  Cambrai  assure  que  l'espérance  parfaite, 

(I)  Section  IV. 

(-2)  Il  consistait  à  exclure  de  roraison  •  le  désir  du  salut  ». 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  POLEMISTE.  555 

telle  que  saint  Thomas  la  représente  après  saint  Aiubroise, 
vient  de  l'amour,  il  a  raison;  mais  il  devait  ajouter  que 
c'est  l'espérance  de  tous  les  justes.  Outre  Sylvius  et  le  Véné- 
rable Bède,  dont  l'auteur  de  V Instruction  pastorale  abuse,  il 
y  a  saint  Augustin ,  saint  Anselme,  saint  Bernard  et  Albert 
le  Grand,  dont  l'examen  prouve  qu'ils  sont,  le  premier 
surtout,  très  éloignés  des  idées  du  nouveau  système  (1).  C'est 
une  faute  de  faire  dire  à  saint  Augustin,  en  général,  que 
tout  ce  qui  ne  vient  pas  de  la  charité  vient  de  la  cupidité  : 
u  Fénelon  fait  tout  ce  qu'il  veut  des  Prres ,  de  la  théologie,  de 
ses  paroles,  de  celles  des  saints,  et  les  nouveautés  les  plus 
inouïes  ne  lui  coûtent  rien.  »  Ainsi,  saint  Thomas  ni  les 
autres  n'ont  jamais  songé  à  «  l'amour  naturel  »  qu'on  leur 
fait  enseigner.  Saint  Augustin  n'a  pas  interprété  saint  Paul 
comme  M.  de  Cambrai  sur  la  grâce  et  le  libre  arbitre.  Scot  et 
saint  Thomas  parlent  tout  autrement  qu'il  le  dit  (2).  —  Vient 
alors  toute  une  Section ,  la  XP ,  sur  «  l'autorité  des  saints 
canonisés  et  sur  saint  François  de  Scdes  » ,  où  Bossuet  oppose 
à  Fénelon  deux  règles  invariables  de  l'Égiise  catholique, 
que  Vincent  de  Lérins  a  prises  de  saint  Augustin  :  la  pre- 
mière, c'est  de  ne  regarder  comme  inviolable  dans  la  foi 
que  ce  qui  a  été  cru  partout  et  toujours  :  Quod  ubique,  quod 
semper'  la  seconde ,  c'est  qu'une  erreur  crue  ou  enseignée 
de  bonne  foi  n'est  pas  un  obstacle  à  la  sainteté.  Quant  à 
l'évèque  de  Genève ,  «  c'est  un  grand  saint  »  et  sa  doctrine 
est  toute  contre  les  quiétistes;  mais  «  il  ne  faut  pas  pour 
cela  la  rendre  infaillible  » ,  et  l'Église  en  le  canonisant  n'a 
pas  voulu  consacrer  ses  paroles.  D'ailleurs,  «  quelque  effort 
qu'on  ait  fait  pour  s'autoriser  du  saint  évêque  de  Genève , 
on  n'y  trouve  rien  de  semblable  aux  paroles  »  de  Fénelon. 
—  Sur  l'explication  de  l'anathème  de  saint  Paul  (3),  Bos- 
suet observe  qu'il  faut  que  ceux  qui  suivent  l'interprétation 
de  saint  Chrysostome  (4)  se  gardent  bien  de  la  donner 


(1)  Section  IX.  —  ('!)  Section  X. 

(3)  Le  grand  Apôtre  désire  [Galat. .  III.  \'i)  d'être  anathéme  pour  Jésus-Christ, 
(i)  Elle  consiste  à  croire  (|ue  saint  Paul  était  disposé  à  subir  les  peines  éter- 
nelles, si  Dieu  l'avait  voulu. 


556  ROSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

comme  la  seule,  puisque  saint  Grégoire  de  Nazianze,  saint 
Jérôme,  saint  Augustin  et  Cassien  en  suivent  une  autre,  et 
d'oublier  qu'elle  procède  par  suppositions  impossibles. 
<(  Nous  conjurons  M.  l'archevêque  de  Cambrai,  dit  Bossuet, 
de  ne  plus  chercher  dans  les  passages  de  saint  Chrysostome 
et  de  saint  Grégoire  de  Nazianze  son  affection  naturelle , 
dont  il  n'y  a  pas  le  moindre  trait  de  son  discours.  »  —  La 
Conclusion  de  toute  cette  Préface ,  de  tout  «  le  discours  pré- 
cédent »,  constate  «  qu'il  n'est  pas  vrai  de  dire  que  le  sens  le 
plus  naturel  de  l'amour  intéressé ,  c'est  que  cet  amour  soit 
naturel;  car  au  contraire,  il  a  été  démontré  par  saint  An- 
selme, par  saint  Bernard,  par  Scot ,  par  ^diVaX  Bonaventure , 
par  Suarez,  par  Sylvius.par  toute  l'Ecole,  que  ce  qu'elle 
appelle  intérêt  et  propre  intérêt,  c'est  l'objet  surnaturel  de 
l'espérance  chrétienne  »  (1).  C'est  par  «  une  ignorance  ma- 
nifeste de  l'état  de  la  question  »  que  Fénelon  a  cité  en 
faveur  de  son  système  Sylvestre  de  Prière,  Tolet,  Bellarmin, 
Sylvius,  saint  Augustin,  saint  Anselme^  saint  Bernard, 
Albert  le  Grand,  saint  François  de  Sales,  saint  Grégoire  de 
Nazianze,  saint  Chri/sostome ,  saint  Thomas,  Denis  le  Char- 
treux et  Estius.  Le  Saint-Esprit  est  l'auteur  du  propre  in- 
térêt, c'est-à-dire  de  l'objet  que  saint  Bernard,  toute  V Ecole, 
saint  François  de  Sales  et  cent  autres  donnent  à  l'espérance 
chrétienne.  «  Résistons  donc  de  toutes  nos  forces  à  cette  au- 
dacieuse théologie,  qui,  sans  principes ,  sans  autorité,  sans 
utilité,  met  en  péril  la  simplicité  de  la  foi  :...  plus  l'erreur 
s'enveloppe  et  se  replie,  pour  ainsi  parler,  en  elle-même, 
plus  il  faut  la  mettre  au  jour,  et,  comme  dit  saint  Augustin, 
quanto  periculosior  et  tortuosior  est,  tanto  instantius  et 
operosius  corrigenda  est.  » 

Ainsi  donc.  Tradition,  doctrine  et  autorité  des  Pères, 
voilà  toute  la  force  de  Bossuet  dans  cette  polémique ,  et  cette 
force  est  invincible. 

Dans  la  Réponse  de  Monseigneur  révêque  de  Meaux  à 
quatre  lettres  de  Monseigneur  C archevêque  duc  de  Cambrai 

(1)  Fénelon  onlendail  p.ir  iulrrêt  propre  «  nn  aninur  naturel  el  délibéré  de  soi- 
même  »,  non  vicieux,  mais  permis,  quoique  non  parlait. 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  HOSSUET  POLEMISTE.  557 

(1698),  Bossuet  dit  à  Fénelon ,  après  avoir  admiré  avec 
tout  le  monde  la  fermeté  de  son  génie,  la  délicatesse  de  ses 
tours,  la  vivacité  et  les  douces  insinuations  de  son  élo- 
quence :  «  Vous  alléguez  saint  François  de  Sales  en  preuve 
de  votre  discours,  quoiqu'il  n'ait  dit  rien  de  semblable... 
Les  grands  esprits,  dit  saint  Augustin,  les  esprits  subtils, 
magna  et  acuta  ingénia,  se  sont  jetés  dans  des  erreurs  d'au- 
tant plus  grandes  que ,  se  fiant  à  leurs  propres  forces ,  ils 
ont  marché  avec  plus  de  hardiesse.  »  Et  alors,  l'éloquent 
cvêque  reproche  à  Fénelon,  «  avec  douleur  » ,  d'avoir  voulu 
raffiner  sur  la  piété,  «  d'avoir  allégué  en  sa  faveur  Albert  le 
Grand ,  saint  François  de  Sales,  saint  Anselme ,  saint  Ber- 
nard, Scot,  Suarez,  Sylvius  et  les  autres  docteurs  de  l'É- 
cole, qui  ne  parlent  pas  comme  lui  de  l'intérêt  propre;  de 
citer  Tévêque  de  Genève  pour  une  résignation  et  pour  une 
indifférence  dont  il  est  bien  constant  qu'il  ne  parle  point. 
«  Voci  le  principe  inébranlable  de  saint  Augustin,  que  per- 
sonne ne  révoqua  jamais  en  doute  :  La  chose  du  monde 
la  plus  véritable,  la  mieux  entendue,  la  plus  éclaircie,  la 
plus  constante ,  c'est  non-seulement  qu'on  veut  être  heureux . 
mais  encore  qu'on  ne  veut  que  cela  et  qu'on  veut  tout  pour 
cela...  Dieu  veut  que  nous  l'aimions,  non  par  le  désir  qu'il 
i\  d'avoir  de  nous  quelque  chose ,  mais  afin  que  ceux  qui 
l'aiment  reçoivent  de  lui  le  bien  et  la  récompense  éternelle . 
qui  n'est  autre  que  celui  qu'ils  aiment.  »  Cent  passages  de 
saint  Augustin  prouveraient  cette  vérité  (1).  » 

Quant  à  l'anathème  de  saint  Paul,  Bossuet  répète  que 
saint  Chrgsostonie  ne  l'a  pas  entendu  d'une  séparation 
d'avec  Dieu  et  que,  d'ailleurs,  tous  les  Pères,  saint  Gré- 
goire de  Nazianze  entre  autres,  ne  sont  pas  du  senti- 
ment de  saint  Chrysostome.  Pour  «  le  sacrifice  absolu  »  , 
on  ne  peut  le  prendre  ni  dans  saint  Chrysostome ,  ni  dans 
Clément  d'Alexandrie.  «  Otez  donc  (aux  quiétistes) ,  dit  l'é- 
vèque  de  Meaux  à  Fénelon ,  cet  appui  fragile  que  vous  cher- 


(1)  «  Vous  combattez  saint  Augustin,  dit  encore  Bossuet.  Vous  combattez  tout 
ensemble  la  nature  et  la  grâce;  vous  vous  combattez  vous-même;  vous  ne  voulez 
qu'éblouir  le  monde.  » 


558  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

chez  contre  l'Écriture ,  contre  les  Phes ,  contre  la  nature, 
contre  vous-même...  Il  n'y  a  rien  de  plus  net  que  la  dis- 
tinction (entre  les  objets  premiers  et  seconds  de  la  charité) 
que  vous  ne  voulez  pas  entendre.  J'en  ai  marqué  les  fonde- 
ments dans  les  passages  exprès  de  tant  de  docteurs.  Je  vous 
ai  montré  dans  saint  Thomas  vingt  endroits  formels,  où  il 
met  parmi  les  raisons  d'aimer  Dieu  notre  béatitude  éter- 
nelle... J'ai  mis  dans  notre  parti  saint  Bonavfinture ,  Scot, 
Suarez...  C'est  saint  Thomas  que  vous  attaquez  sous  mon 
nom...  Votre  grand  argument  est  par  terre,  non  seulement 
par  l'autorité  de  saint  Thomas,  mais  encore  par  la  consé- 
quence des  principes  démonstratifs,  que  vous  établissez. 
Je  vous  ai  fait  voir  par  les  témoignages  contextes  de  saint 
Thomas,  de  saint  Bonaienture ,  de  Scot,  de  Suarez,  en  un 
mot  de  toute  l'École,  que  vous  vantez  sans  la  suivre,  que 
l'École  arrange  les  motifs  (de  l'amour")  entre  eux,  sans  les 
séparer  l'un  de  l'autre;...  que  les  saints,  les  docteurs,  les 
spirituels,  n'ont  jamais  agi  autrement.  ...  11  faudrait  (aussi) 
me  plaindre  à  vous-même  de  l'injustice  que  vous  me  faites 
et  des  sentiments  que  vous  m'imputez  contre  mes  paroles, 
à  propos  de  saint  François  de  Sales...  En  ai-je  plus  dit 
que  saint  Thomas?  —  Montrez-moi  un  seul  docteur  de  l'É- 
cole qui  ne  dise  que  la  béatitude  est  la  fin  dernière  de  la 
vie  humaine  et  de  toutes  ses  actions...  Vous  êtes  seul  dans 
(votre)  pensée .  vous  n'avez  pas  nommé  un  seul  auteur  pour 
(votre)  sentiment;  vous  avez  ^-àini  A  a  g  ustin  .  et  après  lui 
saint  Thomas  et  toute  l'École  expressément  contre  vous.  » 

Que  répondre  à  ces  autorités  écrasantes?  Des  subtilités.  Fé- 
nelon  ne  s'en  abstint  pas.  Son  illustre  rival  composa  aussitôt 
pour  les  théologiens,  notamment  pour  ceux  de  Rome  (1), 
occupés  alors  à  l'examen  de  Y  Ji.iplicalion  des  Maximes  drs 
saints,  trois  traités  en  latin  :  Dr  nova  rptaestione  tractatus 

(I)  Bossuet  dcclare  liaulcmeiil .  dans  sa  belle  Ldlrc  au  cardinal  Spada,  (lu'il  no 
veut  pas  dicter  leur  décision  aux  liiéolosicns  de  Kome .  ni  au  Souverain  Pon- 
tife; mais  (|u'il  faut  «  que  l'univers  entier  sache  et  (jue  la  postérité  apprenne 
f|nel  a  clé  le  fond  de  nos  pensées,  et  combien  jurande  notre  v('nération  pour  le 
Saint-Sic^e  et  pour  le  très  haut  et  très  clément  Pontife  Innocent  XII.  notre  com- 
mun maître  ». 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  POLÉMISTE.  559 

très,  —  Les  Mijstiques  en  sûretr,  Mtjstici  in  tulo  ;  V École  en 
sûreté ,  ou  De  la  notion  de  la  chanté  et  de  Vaniour  pur; 
Schola  in  tiito,  sive  De  notione  charitafis  et  amore puro  ;  et 
le  QuiélisniP  ressuscité ,  Quictismus  redirivus. 

Comme  on  pouvait  craindre  à  Rome  que  la  condamna- 
tion des  Maximes  des  saints  n'atteignit  les  mystiques  en 
renom  dans  FÉg-lise,  Bossuet  montre  qu'ils  sont  à  l'abri  de 
toute  suspicion  :  Mijstici  in  tuto.  Il  s'agit  «  de  sainte 
Thérèse,  du  bienheureux  Jean  de  la  Croix  et  d'autres  pieux 
mystiques  ^),  sdAni  François  de  Sales,  s-oÀTiie  Jeanne  de  Chan- 
tai, le  P.  Alvarez  Paz,  le  P.  Baltasar  Alvarez,  le  P.  Louis 
du  Pont  et  Gerson.  —  Fénelon  d'abord  les  attaque  ouverte- 
ment, pos palam  oppagnat,  soit  à  propos  de  la  suspension 
des  facultés  et  des  puissances  de  l'âme  par  des  empêche- 
ments divins,  suspension  extraordinaire  et  tout  à  fait  au- 
dessus  des  grâces  communes,  soit  à  propos  des  actes  de 
propre  effort,  que  l'archevêque  de  Cambrai  veut  exclure  de 
l'oraison,  contrairement  à  la  doctrine  de  tous  les  spirituels, 
soit  à  propos  de  la  contemplation,  où  il  veut  qu'on  ne  songe 
ni  au  Christ,  ni  à  ses  divins  attributs,  ni  aux  personnes  de 
la  sainte  Trinité,  ce  qui  est  encore  du  pur  fanatisme.  — 
En  second  lieu,  Fénelon  tire  à  lui  malgré  eux  tous  ces  pieux 
auteurs,  in  suas  partes  invitos  trahit,  et  toutes  les  objec- 
tions qu'il  puise  dans  leurs  ouvrages  se  résolvent  facile- 
ment par  le  simple  exposé  du  contexte.  «  Tout  cela  prouve 
clairement  qu'il  n'importe  en  rien  aux  mystiques  que  le 
procès  de  l'archevêque  de  Cambrai  ait  lieu;  bien  plus, 
qu'il  importe  beaucoup  que  leur  cause  et  la  sienne  ne  soient 
pas  regardées  comme  connexes  et  compliquées  ensem- 
ble (1)  ». 

V Ecole  n"a  pas  plus  à  craindre  que  les  vrais  mystiques 
de  la  condamnation  des  Maximes  des  saints  :  c'est  ce 
qu'établit  le  traité  Schola  in  tuto,  sive  de  notione  charitatis 
et  amore  puro.  Bossuet  y  déclare  que,  «  nourri  dans  le  sein 

(I)  «  Ex  his  plane  constat  niliil  interesse  mystioorum  quid  D.  Cameracensis  causa 
liatjnio  multum  intei-esse  ne  utraeque  causae  connexae  implicitaeque  habean- 
tur.  » 


560  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

de  l'École,  dès  sa  première  jeunesse,  sous  l'autorité  delà 
Faculté  de  théologie  de  Paris ,  il  lui  est  facile  d'acquiescer 
à  ses  opinions  et  à  ses  décrets,  et  il  ne  doute  pas  que  l'Aca- 
démie de  Louvain  (1),  imbue  de  la  doctrine  de  saint  Au- 
gustin et  de  saint  Thomas,  ne  condamne  les  nouvelles  er- 
reurs des  quiétistes.  »  —  II  définit  d'abord  la  charité  d'après 
saint  Augustin,  le  Maître  des  Sentences ,  saint  Thomas,  Scot 
et  les  autres  théologiens,  «  un  mouvement  de  l'âme  qui  la 
porte  à  jouir  de  Dieu  pour  lui-môme  et  de  soi  et  du  prochain 
pour  Dieu  ».  Il  cite  ensuite  longuement  (2)  sur  l'amour  na- 
turel de  la  béatitude  saint  Augustin ,  le  Maitre  des  Senten- 
ces, saint  Thomas^  Estius,  Sylvius  (3).  Mêmes  autorités  in- 
voquées à  propos  de  l'amour  de  la  béatitude  surnaturelle, 
et  de  plus,  saint  De/tis,  saint  Boiuiventure  et  saint  Bernard. 
Quant  à  Scot,  quoi  qu'il  contredise  souvent  saint  Thomas, 
il  est  d'accord  avec  lui  sur  les  motifs  primaires  et  secon- 
daires de  la  charité  (i).  —  Fénelon  abuse  de  la  formule  sco- 
lastique  qui  dit  que  \k  charité  est  l'amour  de  Dieu  «  sans  au- 
cun égard  à  nous,  n?i/lo  respectu  ad  nos  :  ni  saint  Ajigustin, 
ni  saint  Denis,  ni  saint  Grégoire  de  Nazianze,  ni  saint  Tho- 
mas n'excluent  de  la  charité  la  pensée  de  la  vie  future.  Il 
suffit,  pour  s'en  convaincre ,  de  citer  la  définition  de  la  cha- 
rité donnée  par  saint  Augustin  ,  répétée  par  le  docteur  an- 
gélique  et  acceptée  par  toute  l'École  (5).  Il  suffit  ensuite  de 
voir  ce  que  saint  Thomas,  sdàni  Bonaventure,  seâni  Augustin 
et  toute  l'Ecole  entendent  par  l'espérance,  qui  a  pour  objet 
la  béatitude  éternelle,  c'est-à-dire  Dieu,  comme  la  cha- 
rité (6).  Cette  charité  ,  en  tant  qu'elle  est  un  amour  mutuel, 
a  été  comprise  par  saint  François  de  Sales  et  saint  Bernard 
autrement  que  ne  le  dit  Fénelon  (7).  Il  se  trompe  aussi  sur 


(1)  nossuet  en  parle,  parce  (|iril  répond  à  une  Lettre  d'un  Hwolor/iende  Louvaiii 
à  un  docteur  de  Sorbonnc,  I(i!t8.  Fénelon  en  était  l'auteur.  Il  accusait  son  adver- 
raire  d'avoir  attaqué  et  repoussé  la  notion  de  la  charité,  communément  enseignée, 
et  de  vouloir  renverser  toute  la  théorie  de  la  charité  parfaite  du  jiur  amour. 

(■2)  Quaestio  II. 

(:i)  Bossuet  conclut  qu'en  l'attaiiuant  Fénelon  «  attaque  saint  Tliomas .  saint 
Augustin,  la  théologie,  la  nature,  et  s'attaciue  lui-même  ». 

(4)  QuacHlio  V.  —  (.■;)  Quaestio  VI.  —  ((>)  Quaestio  VII.  —  (7)  Quaestio  IX  et  Quaes- 
tio X. 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  POLÉMISTE.  561 

l'amour  du  quatrième  et  du  cinquième  degré ,  comme  le 
prouvent  les  textes  les  plus  clairs  de  saint  Thomas.  Il  a  tort 
encore  d'alléguer  le  texte  de  Moïse  :  Dele  me  de  lib/o 
vitae  (1),  et  Tanathème  de  saint  Paul,  puisque  saint  Au- 
gustin affirme  que  Moïse  a  dit  cela  avec  sécurité,  securus 
hoc  dirit.  L'abbé  Le  Dieu  (*2j  nous  raconte  que  Bossuet  était 
heureux  d'avoir  trouvé  là  «  en  un  mot  le  point  de  déci- 
sion. Ce  securus  hoc  dixit  explique,  disait-il,  le  dévoue- 
ment de  Moïse  et  par  conséquent  l'anathème  de  saint  Paul, 
et  le  sacrifice  absolu,  par  impossible,  des  âmes  peinées 
(ce  sont  choses,  en  effet,  impossibles,  et  qui  se  font  avec  une 
si  pleine  sécurité  qu'il  n'en  sera  rien);  et  ce  petit  mot,  qui 
tranche  absolument  le  Quiétisme  par  la  racine,  a  tellement 
embarrassé  ses  défenseurs  qu'ils  n'ont  seulement  jamais  en- 
trepris d'y  répondre  :  de  même  des  autres  principes  de  ce 
Père  sur  le  désir  d'être  heureux,  par  lesquels  il  (3)  a  poussé 
son  adversaire  à  la  contradiction. 

«  Il  n'était  pas  moins  habile  à  trouver  dans  l'Ecriture  de 
pareilles  décisions,  nettes,  précises,  en  un  mot,  comme  il  fit 
encore  sur  cette  question  si  importante  du  Quiétisme,  qu'on 
ne  peut  pas  se  désintéresser  du  désir  d'être  heureux  :  «  Car, 
disait-il,  cette  question  est  décidée  par  la  fin  même  de  tous 
les  préceptes,  et  de  celui  de  la  charité  comme  des  autres, 
que  Dieu  a  marquée  par  ce  petit  mot  :  Ut  benc  sit  tibi. 
«  Écoute,  Israël,  garde  ces  commandements  du  Seigneur; 
aime  le  Seigneur  ton  Dieu  ».  Pourquoi?  Afin  que  tu  sois 
heureux.  C'est  ce  petit  mot,  tant  de  fois  inculqué  dans 
cette  dispute,  qui  est  néanmoins  demeuré  sans  réponse.  Et 
ce  mot,  M.  de  Meaux  le  trouvait  employé  par  saint  Augustin 
dans  des  passages  exprès  au  sens  qu'il  l'employait  lui- 
même,  pour  faire  voir  que  le  motif  de  nous  rendre  heureux 
est  inséparable  du  précepte  même  de  la  charité.  Je  ne  par- 
lerai pas  de  ces  autres  mots  :  le  Seigneur  ton  Dieu;  termes 
relatifs  à  nous,  expressifs  de  l'être  souverainement  parfait, 
souverainement  bon,  et  communicatifs ,  sur  lesquels  notre 

(I)  Exode,  XXXII,  3-2.  —  (2)  Mémoires,  t.  I,  p.  M.  —  (3;  Bossuet. 

BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PÈRES.  3G 


562  BOSSUEÏ  ET  LES  SAINTS  PERES. 

docteur  appuyait  avec  une  force  invincible  pour  y  montrer, 
après  l'École ,  l'union  et  la  subordination  des  motifs  pre- 
miers et  seconds  de  la  charité  :  Dieu  bon  en  lui-môme  et 
Dieu  bon  à  nous  ». 

Bossuet  répète,  dans  la  Question  XII*  de  Y  Ecole  en  sûreté, 
ce  qu'il  a  dit  ailleurs,  que  saint  Chrysostome  pense  autre- 
ment que  Fénelon  sur  Tanathème  de  saint  Paul,  et  que, 
d'ailleurs,  ni  saint  Augustin,  ni  Cassien,  ni  saint  Grégoire 
de  Nazianze  ne  sont  de  l'avis  de  saint  Chrysostome.  Sur  la 
question  de  la  fin  dernière  et  du  souverain  bien,  saint  .4m- 
broise,  SRmt  Augustin,  saint  Thomas  condamnent  l'arche- 
vêque de  Cambrai  (1),  comme  saint  Bernard,  saint  Chry- 
sostome. saint  Amhroise,  saint  Augustin  et  \e Docteur  angé- 
lique  lui  donnent  tort  sur  la  question  de  l'espérance  et  du 
désir  du  salut  (2),  Les  passages  de  saint  Thomas,  d'Estius, 
de  saint  Bonarenture,  de  Denis  le  Chartreux,  que  cite  Fé- 
nelon à  propos  de  l'amour  naturel  de  soi-même,  se  retour- 
nent contre  le  Quiétisme  ou  ne  s'y  rapportent  pas  (3). 

Dans  une  seizième  et  tlernirre  questioti,  Bossuet  récapitule 
toutes  les  erreurs  de  l'archevêque  de  Cambrai  qui.  sous  le 
nom  de  l'évêque  de  Meaux,  combat  saint  Augustin,  le  Mai- 
tre  (les  Sentences ,  saint  Tho7nas ,  saint  Bonaventwe ,  Scot, 
les  autres  princes  de  l'École,  Estius,  Sglrlus^  Suarez,  sans 
parler  de  saint  Bernard  et  d'Albert  le  Grand.  «  Jamais  on 
ne  s'est  plus  dangereusement  joué  de  la  religion  qu'on  ne 
le  fait  maintenant.  » 

La  question  de  droit  semble  désormais  vidée  :  il  est  évi- 
dent pour  tout  homme  impartial  que  l'auteur  des  Ma.rhnes 
professe  des  doctrines  contraires  à  la  foi  chrétienne,  subver- 
sives de  la  vraie  spiritualité  et  de  la  morale,  et  que,  pour 
étayer  les  chimères  d'un  dangereux  illuminisme,  il  inter- 
prète à  faux  et  allègue  mensongèrement  l'autorité  des  Pères 
de  l'Église,  des  docteurs  de  la  foi,  des  maîtres  de  la  vie 
spirituelle. 

Heste  une  question  de  fui/  :  le  livre  des  Maximes  et  tous 

(1)  Quaesdo  XIII.  —  (-2)  Quuvstio  \IV.  —  (:t)  Quaestio  XV. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  POLEMISTE.  563 

les  autres  écrits  composés  pour  le  défendre  reproduisent- 
ils  Terreur  du  Quiétisme,  déjà  condamnée  par  l'Église?  — 
Oui,  répond  le  traité  le  Quiétisme  ressuscité,  Quictisnius 
redivivus.  Bossuet  n'a  pas  ici  à  parler  directement  des  Pères 
de  l'Église  :  il  se  contente  de  défendre  saint  Augustin  (1), 
Clément  d'Alexandrie  (2) ,  saint  François  de  Sales  (3) , 
sainte  Thérèse  et  saint  Jean  de  la  Croix  (4),  contre  les  faus- 
ses interprétations  de  leur  doctrine  données  par  Fénelon. 

Ce  qu'il  y  a  de  plus  significatif ,  ce  qui  révèle  le  mieux 
la  pensée  intime  de  Bossuet,  c'est  le  petit  Index  ^  Indiculus, 
des  questions  traitées  dans  l'ouvrage  latin  qu'on  vient  d'a- 
nalyser. Après  l'Écriture  et  les  Conciles,  l'auteur  passe  aux 
Pères  :  Jam  ad  Patres. 

«  De  la  béatitude  et  des  causes  de  l'amour.  Ambroise, 
Schoi.  i/i  tut.,  n.  4,  prop.  3;  it.  n.  137,  etc. 

«  De  même  des  causes  d'aimer,  saints  Grégoire  de  Na- 
zianze ,  Augustin,  Cassien,  Thomas  d\Aquin'  Schol.  in 
tut.,  n.  100,  101,  102,  103. 

((  Augustin,  de  l'amour  nécessaire  de  la  béatitude,  Schol. 
in  tut.  etc.  De  l'amour  de  soi...  Le  pur  amour  n'est  pas 
moins  inconnu  d'Augustin,  n.  294  à  299. 

((  De  saint  Bernard  et  des  deux  causes  d'aimer.  Mgst.  in 
tut.,  etc. 

Le  Dieu  (5)  nous  affirme  que  Bossuet  «  lut  et  relut  plu- 
sieurs fois  saint  Bernard  pour  combattre  le  Quiétisme  et 
qu'il  s'en  servit  avec  l'avantage  que  l'on  sait  ». 

«   Du  Maître  [des  Sentences).  Schol,  in  tut.,  n.  8. 

«  D'.l/ô^v/ le  Grand,  Schol.  in  tut.,  n.  237  à  243. 

«  De  saint  Thomas,  ou  de  l'objet  de  la  charité  et  de 
l'amour  de  la  béatitude  soit  naturelle,  soit  surnaturelle,  et 
de  la  nature  et  de  l'objet  de  la  volonté  :  Schol.  in  tut., 
n.  8  à  19,  etc. 

«   De  Scot  et  de  Suarez:  Sch.  in  tut.,  n.  87,  88,  89,  127. 

(1)  Admonitio  praevia ,  •2-2,  41,  Sectio  \'^,  cap.  n,  Sectio  VH",  xxii. 

(2)  Sectio  V»,  cap.  II. 

(3)  Sectio  V,  cap.  iv.  et  v.  et  Sectio  VH",  xxi  et  xxii. 

(4)  Sectio  VP,  cap.  m,  et  Sectio  VU". 

(5)  Mémoires,  t.  I,  p.  5". 


564  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

«  De  la  conciliation  de  l'école  thomiste  avec  l'école  sco- 
tiste  :  Sch.  in  tut.,  n.  83,  84. 

«  De  saint  Bonavcnfni'f  :  Sc/i.  in  tut.,  n.  63  à  80,  etc. 

«  Des  autres  scolastiques ,  Durand,  Gabriel,  etc.  :  Quiet, 
red.,  sect.  5,  c.  3,  n.  8. 

<(   Des  mystiques ,  sur  la  pratique  des  mœurs. 

«  Du  livre  de  Vlmitation  de  Jésus-Christ  :  Mijst.  in  tut., 
n.  226  à  241. 

((  De  sainte  Thérèse  :  Myst.  in  tut.,  première  partie  pres- 
que entière. 

<(  Du  bienheureux  Jean  de  la  Croix,  etc. 

«  De  saint  François  de  Sales,  de  la  résignation  et  de  l'in- 
différence :  Myst.  in  tut.  n.  216  à  225,  Schol.  in  tut.,  n.  150- 
152. 

u  De  l'archevêque  de  Cambrai  sur  l'amour  de  la  béati- 
tude... Cet  amour  aveugle  répugne  à  saint  Augustin  et 
saint  Thomas... 

«  De  la  récompense  éternelle  comme  excitant  et  enflam- 
mant le  pur  amour...  Voir  sous  les  titres  de  saint  Thomas, 
de  saint  Bonaventure ,  de  Scot,  de  Suarez  et  des  autres 
scolastiques  et  mystiques. 

((  Des  suppositions  impossibles  et  de  leur  valeur.  Des 
interprétations  diverses  de  Grégoire  de  Nazianze ,  et  de 
Chrgsostome.  —  Dans  ces  suppositions,  la  sécurité  est  éta- 
blie par  saint  Augustin  et  par  saint  Chrgsostome  :  Sch.  in 
tut.,  n.  240-242,  etc. 

«  Des  actes  de  propre  effort  blâmés  à  tort...  Du  sens  pro- 
pre des  Pères  et  de  saint  Augustin  :  Myst.  in  tut.,  n.  120 
à  128,  et  Quietism.  red.  sect. ,  6,  etc. 

((  Que  l'oraison  de  quiétude,  ou  de  simple  intuition, 
ou  passive  et  contemplative,  de  sainte  Thérèse,  de  saint 
François  de  Sales,  de  Jean  de  la  Croix,  de  Balthasar  Alva- 
rez et  des  autres  bons  mystiques  du  dernier  siècle,  est 
constituée  par  un  empêchement  divin,  réel  et  véritable,  d'où 
naissent  l'impuissance  et  la  suspension  des  pouvoirs  de 
l'ûme  et  des  actes  de  propre  effort  :  Myst.  in  tut.,  partie 
V\  etc. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  POLEMISTE.  565 

«  Sur  cette  impuissance,  on  voit  par  un  seul  mot  de 
sainte  Thérèse  et  de  saint  Jean  de  la  Croix  que .  dans  cette 
oraison  ,  l'âme  ,  même  en  le  voulant .  ne  saurait  méditer  : 
n.  137. 

«  Jusqu'à  quel  point  les  extases  et  toutes  les  choses  ex- 
traordinaires doivent  être  écartées  de  cette  même  oraison, 
d'après  sainte  Thérèse ,..  sdiini  Jean  de  la  Croix,..  Balthasar 
Alvarez  et  Louis  du  Pont,  etc.,  etc.  » 

Après  des  traités  si  clairs  et  si  irréfutables ,  dont  Bossu  et 
disait  le  IT  mars  1698  (1 1  :  '<  Il  faut  espérer  qu'à  cette  fois 
la  tour  de  Babel  et  le  mystère  de  la  confusion  sera  détruit  », 
on  se  demande  où  sont  dans  Bossuet  la  passion,  l'animosité, 
la  haine,  la  jalousie,  la  dureté,  qu'on  lui  a  si  souvent  repro- 
chées. Ce  qui  est  dur  dans  Bossuet ,  ce  qui  est  inflexible  (  2j^ 
ce  qui  est  impitoyable,  ce  n'est  pas  l'homme,  ce  n'est  pas 
le  prélat ,  qui  portait  si  bien  son  nom  de  Bénig-ne  et  à  qui 
Saint-Simon  trouvait  <(  une  douceur  charmante  »  :  c'est  le 
raisonnement ,  c'est  la  logique ,  c'est  la  foi  sereine  et  iné- 
branlable. Fénelon  jette  des  cris  de  victime,  toutes  les  fois 
qu'il  est  touché  par  un  argument  péremptoire ,  comme  font 
ces  personnes  à  qui  la  logique ,  quand  elle  les  contrarie , 
produit  l'effet  d'une  insulte.  Où  Fénelon  n'a  pas  de  répli- 
que, il  crie  à  l'outrage,  à  la  cruauté.  Bossuet,  lui  —  ses 
Lettres  en  font  foi  —  n'a  eu  d'autre  souci  que  celui  de  la 
vérité.  On  peut  mettre  hardiment  ses  détracteurs  au  défi 
de  signaler  un  seul  mot  de  lui  qui  indique  de  l'irritation 
haineuse  contre  Fénelon.  Il  y  a  dans  ses  œuvres  de  vigou- 
reuses et  sanglantes  apostrophes;  mais  il  reste  toujours  par 
le  fond  de  ses  entrailles  attaché  à  son  ancien  ami;  il  en  de- 
mande, il  en  espère  le  retour  (3)  ;  et  quels  accents  d'une  su- 
prême éloquence  ne  trouve-t-il  pas  pour  exprimer  la  dou- 
leur que  lui  cause  une  lutte  regrettable,  où  se  réalise 
pleinement  ce  qu'il  avait  écrit  en  1692  contre  Dupin  à  pro- 

(1)  Lettre  à  son  neveu. 

(-2)  Il  écrivait  à  M"i=  d'AII^ert  de  Liiynes  en  KiO"  «  qu'il  était  aussi  tendre  pour 
les  personnes  (\\ï inflexible  contre  la  doctrine  ». 

(3)  «  Je  ne  souhaite,  dit-il.  que  de  voir  M.  de  Cambrai  parfaitement  séparé 
d'avec  ceux  dont  la  soumission  est  ambiguë.   •  (Relation,  Section  X.) 


506  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

pos  de  Théodoret  :  «  Un  grand  homme  entêté  devient  bien 
petit  (1).  » 

La  Rplafion  sur  h'  Quirtisinp,  qui  eut  tant  de  retentisse- 
ment à  la  fin  de  1G98,  suffirait  seule  à  montrer  la  sereine 
grandeur  de  l'évêque  de  Meaux. 

Les  Pères  tiennent  dans  ce  récit  moins  de  place  que  dans 
les  œuvres  didactiques.  Mais  Bossuet  affirme  [Section  VI,  7) 
que  dans  ses  États  d'oraison  «  il  enseignait  la  théologie  de 
toute  l'Église  »  et  que  dans  l'article  33  des  conférences 
d'Issy  on  avait  «  tout  dit  sur  les  conditions  et  suppositions 
impossibles  :  il  n'en  fallait  pas  davantage  pour  vérifier  ce 
qu'en  avaient  dit  saint  Chrysostome  et  les  autres  saints,  qui 
n'ont  jamais  introduit  ces  suppositions  qu'avec  l'expression 
du  cas  impossible.  Mais  ce  qui  suffisait  pour  les  saints  ne 
suffisait  pas  pour  excuser  M"^"  Guyon  (2)  ».  Après  avoir  re- 
levé deux  «  manifestes  erreurs  »  dans  l'interprétation  don- 
née par  Fénelon  d'un  texte  de  saint  Thomas  (3),  Bossuet 
établit  que  l'archevêque  de  Cambrai  ne  peut  citer  pour  son 
sentiment  aucun  docteur  qui  ait  un  nom  [%)  :  il  nomme 
les  Pères  (5)  et  quelques  auteurs  ecclésiastiques  qu'il  tâche 
de  traîner  à  lui  par  des  conséquences;  mais  où  il  ne  trouve 
ni  son  sacrifice  absolu,  ni  ses  simples  acquiescements,  ni 
ses  contemplations  d'où  Jésus-Christ  est  absent  par  état, 
ni  ses  tentations  extraordinaires  auxquelles  il  faut  succom- 
ber; ni  sa  grâce  actuelle,  qui  nous  fait  connaître  la  volonté 
de  bon  plaisir  en  toutes  occasions  et  dans  tous  les  événe- 
ments; ni  sa  charité  naturelle,  qui  n'est  pas  la  vertu  théo- 
logale ;  ni  sa  cupidité  qui ,  sans  être  vicieuse ,  est  la  racine 
de  tous  les  vices;  ni  sa  pure  concupiscence,  qui  est,  quoi- 
([ue  sacrilège,  la  préparation  à  la  justice  ;  ni  sa  dangereuse 
séparation  des  deux  parties  de  l'àmc,  à  l'exemple  de  Jésus- 
Christ  involontairement  troublé;  ni  sou  malheureux  retour 
à  ce  trouble  involontaire;  ni  son  amour  naturel,  qu'il  ré- 

(1)  Remarques  sur  les  Concilrs.  etc.;  cliap.  iv,  Dixième  Rem. 

(-2)  Section  VI,  '11. 

C.i)  Section  VU,  13  et  14. 

(4)  Section  X,  -2. 

(.'»)  Section  XI.   Conclusion. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  POLEMISTE.  567 

forme  tous  les  jours  au  lieu  de  le  rejeter  une  bonne  fois 
tout  entier  comme  également  inutile  et  dangereux  dans  l'u- 
sage (ju'il  en  fait;  ni  ses  autres  propositions,.,  qui  sont  les 
fruits  d'une  vaine  dialectique,  d'une  métaphysique  outrée, 
de  la  fausse  philosophie  que  saint  Paul  a  condamnée...  Je 
ne  lui  raconterai  pas  tous  ceux  que  leur  bel  esprit  a 
déçus;  je  lui  nommerai  seulement  au  neuvième  siècle  un 
Jean  Scot  Érigène ,  à  qui  les  saints  de  son  temps  ont  repro- 
ché, dans  un  autre  sujet  à  la  vérité,  mais  toujours  par  le 
même  esprit,  sa  vaine  philosophie.  C'est  par  où  il  faisait 
dire  aux  Pères  du  concile  de  Valence  que,  «  dans  des  temps 
malheureux,  il  mettait  le  comble  à  leurs  travaux,  et  que 
lui  et  ses  sectateurs,  en  raffinant  sur  la  spiritualité,  et, 
pour  parler  avec  ces  Pères,  en  composant  «  des  ragoûts  de 
dévotion  qui  étaient  à  charge  à  la  pureté  de  la  foi ,  de- 
vaient craindre  d'être  importuns  aux  gémissements  de 
l'Église  ». 

Si  l'on  veut  se  faire  une  juste  idée  de  l'opinion  publique 
à  propos  de  cette  célèbre  Relation  sur  le  Quiêtume,  il  faut 
lire  la  lettre  qu'un  homme  du  monde,  un  lettré,  témoin 
impartial  de  la  discussion  entre  Fénelon  et  Bossuet,  Charles 
Perrault,  écrivait  à  ce  dernier,  le  9  juillet  1698  : 

«  Je  ne  puis,  Monseigneur,  vous  dissimuler  que  jusqu'ici 
il  me  semblait,  comme  à  la  plupart  du  monde,  que  vous 
traitiez  un  peu  rudement,  quoique  avec  justice,  un  de  vos 
confrères  dans  l'épiscopat  et  de  vos  amis  très  particuliers. 
Mais  depuis  que  j'ai  lu  le  dernier  ouvrage  (1)  que  vous 
m'avez  fait  l'honneur  de  m'envoyer,  où  vous  racontez  com- 
ment les  choses  se  sont  passées  et  quel  est  le  caractère  de 
M""  Guyon,  je  trouve  que  vous  avez  trop  épargné  votre 
confrère  et  attendu  un  peu  trop  longtemps  à  le  faire  con- 
naître. Je  vous  demande  pardon ,  Monseigneur,  de  la  liberté 
que  je  prends;  mais  cette  faute  est  si  belle,  elle  marque 
tant  de  bonté  et  de  générosité  que  je  serais  fâché  (|ue  vous 
ne  l'eussiez  pas  faite.  Le  démon  n'a  guère  de  plus  vilaine 

(1)  Il  s'agit  de  la  Relation  sur  le  Quiétisme. 


568  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

qualité  que  celle  d'accusateur  de  ses  frères;  et  à  moins  que 
la  gloire  de  la  religion  et  l'intérêt  de  l'Église  ne  le  deman- 
dent, comme  en  cette  rencontre,  où  l'un  et  l'autre  sont  mor- 
tellement blessés,  un  silence  charitable  me  semble  devoir 
couvrir  toutes  les  autres  fautes.  Je  ne  puis  donc ,  Monsei- 
gneur, vous  trop  féliciter  sur  l'honneur  que  vous  remportez 
dans  toute  cette  affaire  et  sur  le  grand  bien  que  vous  pro- 
curez à  l'Église  en  lui  découvrant  les  erreurs  effroyables 
qu'on  semait  dans  son  sein.  Il  y  a  longtemps  qu'il  ne  s'en 
est  élevé  de  si  dangereuses,  ni  de  plus  dignes  d'un  si  sage 
et  si  habile  extirpateur.  Tous  vos  ouvrages  sur  cette  matière 
sont  admirables;  mais  ce  dernier,  semjjlable  aux  autres 
pour  la  solidité,  l'élégance  et  l'érudition ,  semble  l'emporter 
par  l'utilité  dont  il  est  à  désabuser  tout  le  monde.  » 

Daguesseau  dit  pourtant  dans  ses  Mémoires ,  VIII  :  «  L'é- 
vêque  de  Meaux  était  respecté  comme  un  soleil  couchant, 
dont  les  rayons  allaient  s'éteindre  avec  majesté;  l'arche- 
vêque de  Cambrai,  regardé  comme  un  soleil  levant,  qui 
remplirait  un  jour  toute  la  terre  de  ses  lumières.  C'était  une 
personne  à  ménager,  un  premier  ministre.  » 

Si  donc  il  y  eut  cabale  en  1697-98  1 1  ),  ce  fut  en  sa  faveur, 
et  cela  à  Rome  encore  plus  qu'en  France,  parce  queFénelon 
passait  pour  «  défenseur  de  l'autorité  du  Pape ,  de  l'anti- 
jansénisme  et  des  moines  »,  que  Bossuet  voulait  soumettre 
au  droit  commun.  D'ailleurs,  l'ambassadeur  de  Louis  XIV 
auprès  du  Saint-Siège,  le  cardinal  de  Bouillon,  «  l'enfant 
rouge  »,  comme  on  l'avait  longtemps  appelé,  haïssait  les 
Noailles,les  Tellier,  l'évêque  de  Chartres,  «  un  cuistre  vio- 
let »,  et  Bossuet,  auquel  il  a  voulu  ravir  l'honneur  d'avoir 
converti  Turenne,  l'oncle  du  cardinal.  Aussi  Bouillon  n'é- 
pargna-t-il  rien  pour  empêcher  d'abord,  puis  différer,  en- 
lin  atténuer  la  condamnation  de  Fénelon. 

Celui-ci,  accablé  par  les  révélations  foudroyantes  de  la 


(I)  .M.  Algar  Griveau  a  exagéré  les  intrigues  de  ce  (|iril  appelle  le  «  parti  galli- 
cano-jansénieii-meldistc  ».  Bossuet  était  gallican:  mais  il  n'a  jamais  été  jan- 
séniste. I.e  jansénisme,  d'ailleurs,  déplaisait  souverainement  à  la  cour  et  à 
Louis  XIV. 


LES  SAINTS  PERES  ET  I50SSUET  POLEMISTE.  569 

Relation,  répondit  avec  toutes  les  grâces,  tous  les  éclairs 
d'une  imagination  brillante,  et  essaya  de  se  donner  toute  la 
blancheur  du  cygne.  Mais  les  Remarques  sur  la  Réponse  à 
la  Relation  sur  le  Quiéfisme  vinrent  montrer  aussitôt  (fin 
de  1698)  aux  plus  prévenus  que  la  vérité  est  implacable. 
On  y  voit  que  Fénelon  «  insulte  perpétuellement  (Bossuet) 
sur  des  faits  sans  preuve,  et  qu'il  lui  fait  dire  à  chaque 
page  le  contraire  de  ce  qu'il  dit  (1)  ».  «  On  attaquait  sous 
mon  nom,  dit  Bossuet,  les  sentiments  et  les  propres  termes 
de  saint  Thomas  (2)...  On  m'accusait  «  d'un  des  crimes  des 
plus  qualifiés  qu'on  puisse  commettre  (la  violation  du  secret 
de  la  confession)  (3)..,  On  me  reprochait  (4)  «  de  n'avoir 
jamais  lu  ni  saint  François  dp  Sales ,  ni  les  autres  livres 
mystiques,...  d'être  ignorant  de  la  vie  mystique...  Mais  on 
peut  être  instruit  dans  les  principes  de  la  vie  intérieure  et 
spirituelle,  sans  avoir  songé  à  lire  ni  Rusbroc,  ni  Har- 
phius,  ni  même  Tanière,  auteurs  dont  je  ne  vois  pas  que 
M.  de  Cambrai  se  soit  servi  :  car  pour  saint  François  de 
Sales,  sans  lire  beaucoup,  je  l'avoue  encore,  son  Traité  de 
r amour  de  Dieu,  j'avais  donné  de  l'attention,  surtout  de- 
puis que  je  suis  évèque  et  chargé  de  religieuses,  à  ses  Let- 
tres, où  je  trouvais  tous  ses  principes,  et  à  ses  Entretiens. 
Si  je  n'avais  pas  jugé  nécessaire  une  profonde  lecture  du 
bienheureux  Jean  de  la  Croix,  j'avais  lu  sainte  Thérèse, 
sa  mère.  Mais  quoi!  veut-on  m'obliger  à  vanter  ici  mes 
lectures?  J'ai  assez  lu  les  mystiques  (5)  pour  convaincre 
M.  de  Cambrai  de  les  avoir  outrés  :  en  parlant  sur  l'oraison, 

(1)  Avant-Propos.  Raisons  de  cet  ouvrage. 

(2)  Article  premier,  §  II. 

(a)  S  III,  IV,  V.  —  (4)  Article  VII. 

ç>)  Bossuet  aurait  pu  dire  à  Fénelon  que  l'archidiacre  de  Metz  avait  étudie  les 
mystiques,  prêché  le  Panégyrique  de  sainte  Thérèse  et  rédigé  le  Règlement  du 
Séminaire  des  Filles  de  la  Propagation  de  la  Foi,  établies  en  la  ville  de  Metz, 
par  M.  l'abhé  Bossuet,  docteur  en  théologie  et  supérieur  de  la  maison,  — règle- 
ment qui  fut  imprimé  en  IG'l  (Paris,  Muguet,  in- 18  de  "1  pages),  mais  qui  avait  été 
composé  en  -1638.  Il  porte  qu'après  rÉcrilure  Sainte,  «  les  autres  livres  spirituels 
seront  l'Imitation  de  Jésus,  les  Œuvres  de  Grenade  et  de  M.  de  Genève,  les  Epî~ 
très  spirituelles  d'Avila  et  autres  que  les  directeurs  leur  enseigneront  ».  Ainsi 
Bossuet  faisait  du  mysticisme  et  du  meilleur,  alors  que  Kénelon ,  en  I&'iS,  t  était 
un  enfant  de  T  ans.  N'est-il  pas  étrange  que  cet  enfant,  grandi,  il  est  vrai,  et  de- 
venu illustre,  ait  la  prétention  d'enseigner  à  Bossuet  «  ignorant  »  des  choses  que 
celui-ci  savait  et  pratiquait  depuis  quarante  ans? 


570  BOSSULT  ET  LES  SAINTS  PERES. 

j'ai  fait  mon  trésor  de  la  parole  de  Dieu,  sans  rien  donner 
autant  que  j'ai  pu  à  mon  propre  esprit;  et  attaché  aux 
saints  Phes  et  aux  principes  de  la  théologie  dont  la  mysti- 
que est  une  branche.  (1)» 

Voici  la  réponse  de  Bossuet  sur  la  comparaison  de  Pris- 
cille  et  de  Monta n  (-2)  :  «  M.  de  Cambrai  en  revient  à  toutes 
les  pages  à  cette  comparaison,  comme  si  elle  était  trop 
odieuse.  Priscille  était  une  fausse  prophétesse.  Montan  l'ap- 
puyait. On  n'a  jamais  soupçonné  entre  eux  qu'un  com- 
merce d'illusions  de  l'esprit.  M,  de  Cambrai  demeure 
d'accord  que  son  commerce  avec  M""  Guyon  était  connu  et 
roulait  sur  sa  spiritualité ,  que  tout  le  monde  a  jugée  mau- 
vaise; je  n'ai  donc  rien  avancé  qui  ne  soit  connu,  rien  cjui 
ne  soit  assuré,  et  renfermant  ma  comparaison  dans  ces  bor- 
nes, je  ne  dis  rien  que  de  juste.  »  —  Bossuet  montre  enfin 
«  que  Famour  pur  qu'il  condamne  est  celui  dont  Y  Ecole  ne 
parla  jamais...  M.  de  Cambrai,  qui  ne  cesse  d'alléguer 
Y  Ecole,  ne  saurait  nous  produire  un  seul  théologien  pour 
son  amour  du  cinquième  rang",  distingué  de  l'amour  du 
quatrième...  Il  oublie  que  j'ai  pris  (mes)  termes  et  (ma) 
doctrine  des  deux  princes  de  l'École ,  saint  Thomas  et  Scot, 
comme  je  l'ai  démontré  ailleurs  (3)...  Le  pur  amour  que 
saint  Louis  enseignait  à  ses  enfants  (4)  est-il  d'une  autre 
nature  que  celui  cjue  toute  rÉcole  attache  à  la  charité  tou- 
jours désintéressée  selon  saint  Paul?  » 

Dans  la  Réponse  aux  préjugés  décisifs  de  M.  Varchevê- 
que  de  Cambrai ,  26  janvier  1699,  Bossuet  dit  qu'il  a  avancé 
sa  doctrine  (sur  le  désir  de  la  béatitude)  «  comme  com- 
mune à  toute  l'École,  sans  qu'on  pût  lui  opposer  un  con- 
tradicteur ».  Quant  à  «  la  suspension  des  puissances  »  de 
l'Ame,  Fénelon  ne  «  parle  pas  d'un  passage  tranchant, 
où  sainte  Thérèse  et  le  bienheureux  Jean  de  la  Croix  ont 
dit  d'un  commun  accord  que  l'âme  dans  la  quiétude  «  ne 

(I)  Article  XI.  s  IV. 

(-1)  Il  avait  (lit  que  ■  la  nouvelle  l'riscille  avait  trouvé  son  Montan  •• 

(3)  Conclusion .  g  III. 

(4)  Fénelon  avait  reproché  à  Rossuet  un  i)assapre  «  des  thèmes  donnés  à  M*'  le 
I)au|iliin  ())  sur  Vinstruclion  de  saint  Louis  à  sn  fille  Isabelle  ». 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  POLEMISTE.  :,~l 

pourrait  pas  discourir  quand  elle  voudrait  ».  Cet  endroit 
est  d'autant  plus  décisif  qu'il  est  plus  court  »  et  confirmé, 
d'ailleurs,  par  saint  Augustin.  Après  avoir  détruit  les  «  cinq 
préjugés  »  de  M.  de  Cambrai,  Bossuet  établit  «  de  vérita- 
bles préjugés,  c'est-à-dire  des  choses  jugées  »  contre  lui  : 
«  Nous  n'avons  jamais  attaqué  l'amour  pur  de  V Ecole;.. 
l'amour  pur  de  M.  de  Cambrai  n'a  jamais  été  enseigné  par 
aucun  docteur.  » 

La  Réponse  cVun  théologien  (Bossuet)  à  la  iwemif're  let- 
tre de  M.  Varchevéque  de  Cambrai  à  M.  Vévêque  de  Char- 
tres [i).,  30  janvier  1699,  nous  apprend  que  «  tout  ce  qu'il 
y  a  de  controversistes ,  et,  pour  parler  plus  généralement, 
tout  ce  qu'il  y  a  de  théologiens,  en  traitant  de  la  bonté  et 
honnêteté  de  l'espérance  chrétienne,  demandent,  contre 
les  protestants,  si  c'est  péché  de  servir  Dieu  dans  la  vue 
de  l'éternelle  récompense,  et  ils  répondent  unanimement 
que  le  contraire  est  expressément  défini  par  le  concile  de 
Trente.  Le  cardinal  Bellarmin,  Estius,  Suarez^  (tous)  les  théo- 
logiens l'un  après  l'autre ,  ont  suivi  positivement  l'opinion 
contraire  à  celle  de  Fénelon  (2).  <(  Vous  avez  de  belles  pa- 
roles, lui  dit  Bossuet;  tout  le  monde  le  reconnaît;  mais 
l'embarras  qui  est  dans  le  fond  ne  peut  se  couvrir,  et  on 
voit  que  vous  ne  savez  pas  où  poser  le  pied;  car  s'il  faut 
dire  encore  un  mot  de  la  négligence  des  lettres,  où  vous 
mettez  votre  refuge,  vous  savez  que  les  saints  docteurs,  les 
Basile ,  les  Jérôme ,  les  Augustin,  les  Bernard,  n'ont  rien 
écrit  plus  exactement  que  les  lettres  où  ils  traitaient  de  la 
doctrine.  » 

Pourquoi  la  critique  et  l'histoire  oublient-elles  toutes  ces 
choses  qui  expliquent  et  innocentent  la  conduite  de  Bos- 
suet? Pourquoi  ne  veulent-elles  pas  souscrire  à  ce  que  Fé- 
nelon disait  de  lui-môme  [Correspondance ,  t.  VI,  p.  196)  : 
«  Je  ne  puis  expliquer  mon  fond.  Il  m'échappe ,  il  me  parait 
subsister  à  toute  heure...  Le  défaut  subsistant  et  facile  à 


(I)  M*''' Godet  des  Jlarais.  qui  avait  piis  la  résolution  de  ne  pas  répondre  à  Fé- 
nelon. 
(%  Bcuxième  question. 


572  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

dire ,  c'est  que  je  tiens  à  moi  et  que  F  amour-propre  me  dé- 
cide souvent.   » 

Les  Passages  éclaircis ,  ou  Réponse  au  livide  intitulé  Les 
principales  jjropositions  du  livre  des  Maximes  des  saints 
justifiées  par  des  expressions  plus  fortes  des  saints  auteurs , 
avec  un  Avertissement  sur  les  signatures  des  docteurs  et  sur 
les  dernières  Lettres  de  M.  l'archevêque  de  Cambrai,  pa- 
rurent en  février  1699.  — Bossuet  déclare  encore  une  fois  (1) 
qu'il  ((  n'a  fait  que  suivre  de  mot  à  mot  non  seulement  ces 
fameux  docteurs  des  Pays-Bas,  Estius  et  Sylvius,  mais  en- 
core ^diini  Aug ustin  et  saint  Thomas,  qu'eux  et  toutes  leurs 
Facultés  reconnaissent  pour  maîtres.  ((  J'ai  toujours  sou- 
tenu, continue-t-il ,  la  doctrine  commune  de  X Ecole  et  de 
saint  Thomas.  C'est  avec  saint  Thomas,  c'est  avec  toute 
Y  École,  c'est  avec  saint  Augustin,  de  mot  à  mot,  que  j'ai 
posé  le  principe  de  la  béatitude  comme  clair,  comme  uni- 
versel,  comme  incontestable...  C'est  d'après  toute  YEcolf, 
saint  Thomas  et  saint  Augustin,  Jésus-Christ  même  qui  ex- 
cite tous  ceux  qu'il  attire  du  dehors.  »  Après  avoir  posé  une 
«  règle  pour  juger  des  expressions  exagératives  et  sept 
principes  généraux  de  solution  tirés  de  cette  règle  et  de 
l'autorité  des  saints  (2)  »,  l'évêque  de  Meaux  cite  en  faveur 
de  ces  sept  principes  les  «  autorités  des  saints  Pères  »  : 
saint  Augustin,  les  passages  des  autres  Docteurs  qu'il  a 
rapportés  ailleurs,  Denis  le  Chartreux,  saint  Chrî/sostome, 
saint  Bernard,  saint  Basile.  A  la  lumière  de  ces  principes  et 
de  ces  docteurs,  il  discute,  il  réduit  à  néant  les  textes  al- 
légués de  la  bienheureuse  Angèle  de  Foligni.  de  saint 
François  de  Sales,  du  F.  Laurent,  de  Louis  de  Blois,  du 
bienheureux  .fra/i  de  la  Croix;  puis  «  les  passages  spécu- 
latifs sur  les  suppositions  impossibles  de  saint  Clément 
d'Alexandrie,  de  saint  Chrgsostome ,  d'Avila,  de  Rodrigue:, 
de  Sylvius,  du  cardinal  Bona,  de  sainte  Thérèse,  de  saint 
François  de  Sales,  et  de  quatre  auteurs  cités  pour  les  der- 


(1)  Arerlissrmenl. 
(-2)  Cliap.  III    ot  IX. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  POLEMISTE.  573 

nières  épreuves  >> ,  snïnt  Augustin,  Blo.s/iis,  le  bienheureux 
Jean  de  la  Croix  et  saint  François  de  Sales. 

Il  n'y  a  rien  à  dire  du  Dernier  éclaircissement  sur  la  Ré- 
ponse de  M.  Varchevèque  de  Cambrai  aux  Remarques  de 
M.  de  Meaux,  écrite  en  mars  1699,  publiée  seulement  par 
M.  Lâchât  et  où  Bossuet  montre,  Article  l"'',  «  que  tout  l'ef- 
fort de  M.  de  Cambrai  tend  à  justifier  AP"  Guyon  »,  et 
Article  II,  «  les  excès  et  emportements  de  M,  de  Cambrai 
dans  ses  derniers  discours  ».  Bossuet  aurait  pu  signaler 
surtout  les  agissements  de  Fénelon,  qui  s'appuyait  à  Rome 
sur  tous  les  cardinaux  ennemis  de  la  France ,  cardinaux  de 
l'Espagne  et  de  l'Empire. 

Le  Mandement  de  M^''  l'évéque  de  Meaux  pour  lapubli- 
cation  de  la  Constitution  de  Notre  Saint-Père  le  Pape  In- 
nocent XII,  du  12  mars  1699,  portant  condamnation  et  dé- 
fense du  Livre  intitulé  :  Explication  des  Maximes  des  Saints 
sur  la  vie  intérieure,  etc.,  contient  ces  grandes  et  belles  pa- 
roles :  «  Le  même  esprit  de  la  tradition  qui  a  fait  parler  le 
chef  visible  de  l'Église  lui  a  uni  les  membres...  Nous  avons 
eu  la  consolation  tant  désirée  et  tant  espérée  de  voir  M^'  l'ar- 
chevêque de  Cambrai  s'y  soumettre  le  premier,  simplement, 
absolument  et  sans  aucune  restriction.  » 

Ce  Mandement  est  daté  du  16  août.  Bossuet  n'étalait  donc 
pas  précipitamment  son  triomphe,  déjà  vieux  de  cinq  mois. 

Dans  l'A,  Relation  des  actes  et  délibérations  concernant  la 
Constitution  en  forme  de  Bref  de  Notre  Saint-Père  le  Pape 
Innocent  XII,  le  douzième  de  mars  1699,  etc.,  avec  la  déli- 
bération prise  sur  ce  sujet,  le  23  juillet  1700,  par  l'Assem- 
blée générale  du  clergé  de  France,  à  Saint-Germain  en  Laye, 
on  remarque  ces  mots  significatifs  :  «  Les  saints  Pères 
(saint  Athanase,  saint  Hilaire,  saint  Augustin),  nous  ont 
laissé  plusieurs  semblables  recueils ,  où,  pour  l'instruction 
des  fidèles,  tant  de  leur  âge  que  des  siècles  futurs,  ils  ont 
réduit  les  actes  publics  dans  la  suite  d'un  récit.  » 

N'est-ce  pas  là  le  digne  épilogue  d'une  polémique  com- 
mencée, soutenue,  terminée  au  nom  de  la  Tradition  et 
des  saints  Pères?  Il  convenait  bien  à  l'illustre  évéque  de 


574  BOSSLET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

Meaux.  au  moment  même  où  son  rival,  «  superbe  et  cons- 
terné »  (1) ,  écrivait  qu'il  ne  s'était  jamais  rétracté,  etc.  (2) , 
il  convenait  bien  à  l'illustre  évèque  de  Meaux,  après  avoir 
loyalement  tendu  la  main  à  un  noble  vaincu  (3) ,  de  met- 
tre encore  une  fois  sous  le  patronage  des  Docteurs  et  des 
Pères  de  l'Église  la  victoire  qu'il  leur  devait  sur  un  ad- 
versaire bien  moins  versé  dans  la  Patrologie  et  «  parlant 
contre  les  idées  du  torrent  de  l'École  (i)  ». 

Le  P.  Cloche,  général  des  Dominicains,  écrivait  de  Rome 
à  Bossuetle5  mai  1699  :  «  J'ai  une  extrême  consolation  que 
les  religieux  de  mon  ordre ,  dans  une  affaire  aussi  impor- 
tante que  celle  qu'a  occasionnée  le  livre  de  M.  l'archevê- 
que de  Cambrai,  aient  pu,  en  suivant  la  doctrine  de  saint 
Thomas,  contribuer  à  en  faire  faire  la  condamnation.  Vos 
grandes  lumières,  3Ionseigneur,  y  ont  eu  la  meilleure 
part...  L'Église  entière  vous  en  a  obligation,  et  si  la  France 
voit  une  erreur  arrêtée  qui  pouvait  troubler  la  paix  que  le 
roi  a  donnée,  l'une  et  l'autre  doivent  avouer  que  Votre 
Grandeur  a  bien  travaillé  et  fort  heureusement,  pour  en 
découvrir  le  venin.  On  nous  donne  avis  qu'il  parait  à  Paris 
quelque  petit  livre  qui  attaque  saint  Augustin  et  saint  Tho- 
mas ; . . .  si  on  méprise  les  Pères  et  les  docteurs  de  l'Église , 
il  est  à  craindre  qu'on  ne  travaille  à  ruiner  la  religion. 
l^ant  que  Dieu  conservera  Votre  Grandeur,  on  aura  un 
grand  défenseur.  C'est,  Monseigneur,  ce  que  je  demande  à 
Dieu  avec  tout  mon  ordre.  » 

Voilà  l'idée  qu'on  avait  de  Bossuet  à  Rome  et  dans  l'un 
des  plus  célèbres  ordres  religieux  de  l'univers  :  on  voyait 
en  lui  «  le  grand  défenseur  des  Pères  et  des  docteurs  do 
l'Église  ». 

Quelques  mois  plus  tôt,  le  11  juillet  1698,  Dom  Innocent 
le  Masson,  prieur  de  la  Grande-Chartreuse,  l'appelait  «  un 

(\)  Le  mot  est  de  Bossuet  dans  une  Lettre  du  'H'>  mai  I(i!i9  à  son  neveu. 

(-2)  Voir  plus  haut,  page  <>!).  en  note. 

(.'*)  C'est  au  lendemain  de  la  Quasimodn  KiîHi  que  Uossuct  déclara  avoir  fait  des 
avances  à  Kcnelon  cl  envoya  en  Flandre  son  grand  vicaire,  l'abljé  de  Saint-An- 
dré. Des  incidents  fàclieux  cmpè(;liùrent  la  réconciliation  de  se  réaliser. 

('<)  Lcllre.i  relatives  a  l'affaire  du  Quivtisuie.  —  Les  XX  articles  de  M.  de  Cam- 
brai avec  les  réponses  de  M.  de  Meaux,  art.  XI. 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  POLEMISTE.  575 

si  fidèle  et  si  docte  défenseur  de  la  foi  catholique  et  de  la 
morale  chrétienne,...  un  grand  défenseur  de  rÉglisc,  qui 
mérite  d'être  écrit  dans  le  catalogue  des  Athanasc,  des 
Chrysostome  et  des  Augustin  (1)  ». 


ARTICLE  VII 

Les  saints  Pères 
et  la  Polémique  contre  les  Critiques  et  les  Philologues. 

La  parole  «  impérieuse  et  dominante  (2)  »  de  Bossuet, 
après  avoir  triomphé  du  Quiéstisme  et  s'être  si  naturelle- 
ment imposée  à  l'Assemblée  de  1700,  devait  encore  se  faire 
entendre,  1702-1704,  contre  les  nouveautés  «  d'une  dan- 
gereuse et  libertine  Critique.  »,  dont  quelques  catholiques 
se  laissaient  infecter  (3). 

Ce  n'était  pas,  d'ailleurs,  la  première  fois  que  le  défen- 
seur de  la  Tradition  et  le  champion  des  Saints  Pères  éle- 
vait la  voix  en  faveur  de  leur  doctrine. 

§  I"".  —  Le  P.  Malebranche. 

Le  6  juillet  1681,  Bossuet  écrivait  à  l'abbé  Nicaise,  cha- 
noine de  la  Sainte -Chapelle  de  Dijon  :  «  Pour  (le  livre) 
Delà  Nature  et  de  la  grâce {k),  de  l'auteur  de  la  Recherche 
(le  la  Vérité,  je  n'en  ai  pas  été  satisfait,  et  je  crois  que  l'au- 
teur le  réformera;  car  il  est  modeste  et  ses  intentions  sont 
très  pures.  Mais  il  me  semble  qu'il  n'a  pas  fait  toutes  les 
lectures  nécessaires  pour  écrire  de  la  grâce,  ni  assez  consi- 
déré tous  les  principes  qui  servent  à  décider  cette  ma- 
tière. »  —  Ces  principes,  on  n'en  saurait  douter,  ne  sont, 
dans  la  pensée  de  Bossuet,  que  les  principes  de  saint 
Augustin ,  «  l'incomparable  docteur  »  de  la  grâce. 

Dans  la  même  lettre,  l'évêque  de  Meaux  trouvait  que  le 

(1)  Voir  les  Lettres  relatives  à  l'a/faire  du  Quiétistne. 
(-2)  Le  mot  est  de  Leibniz.  Lettre  du  3  septembre  1700. 

(3)  Lettre  à  Nicole,  du  7  déecmhre  ICill. 

(4)  Il  avait  paru  en  liiSO.  —  Bossuet  l'appréciait  ainsi  :  Pulchra,  nova,  falsa. 


57G  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PÈRES. 

livre  d'Arnauld,  à  propos  de  la  Lettre  de  M.  Spon  au  P.  de 
la  Chaise,  confesseur  du  Roi ,  sur  l'antiquité  de  la  religion 
était  <(  un  ouvrage  fort  et  d'une  très  bonne  et  très  solide 
doctrine.  Notre  bon  ami  iM.  Spon,  ajoutait-il,  avait  bien  dit 
des  pauvretés  dans  sa  lettre  ».  —  Ces  pauvretés  étaient  sur- 
tout des  nouveautés,  combattues  par  Arnauld. 

On  connaît  la  Lettre  célèbre  à  un  disciple  du  P.  Male- 
branche,  21  mai  1687  :  «  Votre  discours...  n'est  qu'une  ré- 
pétition, pompeuse  à  la  vérité  et  éblouissante ,  mais  enfin 
une  pure  répétition  de  toutes  les  choses  que  j'ai  toujours 
rejetées  dans  ce  nouveau  système,  en  sorte  que  plus  je  me 
souviens  d'être  chrétien,  plus  je  me  sens  éloigné  des  idées 
qu'il  nous  présejite...  Je  ne  remarque  en  vous  autre  chose 
qu'un  attachement  tous  les  jours  de  plus  en  plus  aveugle 
pour  votre  patriarche;  car  toutes  les  propositions  que  je 
vous  ai  vu  rejeter  cent  fois,  quand  je  vous  en  ai  découvert 
l'absurdité,  je  vois  que,  par  un  seul  mot  de  cet  infaillible 
docteur,  vous  les  rétablissez  en  honneur.  Tout  vous  plait 
de  cet  homme,  jusqu'à  l'explication  de  la  manière  dont 
Dieu  est  l'auteur  du  libre  arbitre,  comme  de  tous  les  autres 
modes  (1),  quoique  je  ne  me  souvienne  pas  d'avoir  lu  un 
exemple  d'un  plus  parfait  galimatias.  Pour  l'amour  de  votre 
maître,  vous  donnez  tout  au  travers  du  beau  dénoùment 
qu'il  a  trouvé  aux  miracles  dans  la  volonté  des  anges ,  et 
vous  n'en  voulez  pas  seulement  apercevoir  le  ridicule.  En- 
fin, vous  recevez  à  bras  ouverts  toutes  ses  nouvelles  inven- 
tions. C'est  assez  qu'il  se  v^ante  d'avoir  le  premier  pensé  la 
manière  d'expliquer  le  déluge  de  Noé  par  la  suite  des  cau- 
ses naturelles;  vous  l'embrassez  aussitôt,  sans  faire  ré- 
flexion... que  par  cette  voie,  quand  il  me  plaira,  je  rendrai 
tout  naturel,  jusqu'à  la  résurrection  des  morts  et  à  la  gué- 
rison  des  aveugles-nés...  De  tous  les  passages  (de  l'Ecriture) 
que  vous  produisez,  il  n'y  en  a  pas  un  seul  qui  touche  la 
question.  Il  en  est  de  même  des  passages  de  saint  Augustin. 
Pour  entrer  en  preuve  sur  cela,  il  faudrait  faire  un  volume  : 

(I)  Allusion  à  la  lliùoric  des  Causes  occasionnelles,  du  P.  Malebranclie. 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  POLEMISTE.  577 

c'est  pourquoi,  en  deux  mots,  je  vous  dirai  que,  si  vous 
voulez  travailler  utilement  à  réconcilier  mes  sentiments 
avec  ceux  du  P.  iMalebranche ,  il  me  parait  nécessaire  de 
procurer  quelques  entrevues,  aussi  sincères  de  sa  part  qu'el- 
les le  seront  de  la  mienne,  où  nous  puissions  voir  une  bonne 
fois  si  nous  nous  entendons  les  uns  les  autres.  S'il  veut  du 
secret,  je  le  promets  ;  s'il  y  veut  des  témoins ,  j'y  consens  ;  et 
je  souhaite  que  vous  en  soyez  un.  »  Ainsi  la  méthode  de 
saint  Augustin  et  les  Conférences  amiables  étaient  toujours 
chères  à  Bossuet.  Il  renvoie  pour  les  détails  —  quatre  ou 
cinq  réponses  précises  à  quatre  ou  cinq  questions  —  à  la 
conversation  qu'il  demande. 

Il  reproche  ensuite  au  disciple  du  P.  Malebranche  de 
«  détruire  également  Molina  et  les  thomistes  » ,  sans  dire 
«  rien  qu'on  puisse  mettre  à  la  place  » ,  et  «  d'apprendre 
aux  laïques  à  mépriser  »  les  théologiens ,  tandis  «  qu'un 
grand  nombre  déjeunes  gens  se  laissent  flatter  à  ces  nou- 
veautés ».  Il  en  veut  à  l'appât  de  la  nouveauté  «  d'où  vient 
le  succès  »  ;  il  insiste  pouj'  «  donner  des  bornes  aux  vaines 
curiosités  et  aux  nouveautés  dangereuses  »  :  «  On  com- 
mence par  la  nouveauté ,  dit-il  ;  on  poursuit  par  l'entête- 
ment. » 

§  II.  —  L'abbé  Dupin. 

C'est  pour  protester  contre  d'autres  nouveautés,  hardies 
et  téméraires ,  que  Bossuet  saisit  l'occasion  d'une  assemblée 
solennelle  de  la  Sorbonne  :  il  s'y  expliqua  publiquement 
sur  la  Nouvelle  Bibliothèque  des  auteurs  ecclésiastiques  de 
l'abbé  Ellies  Dupin ,  dont  les  premiers  volumes  avaient  paru 
en  1691  et  démentaient  les  traditions  de  l'Église  et  des 
Pères  sur  les  Conciles  et  les  dogmes  catholiques  (1).  Des 
commissaires  furent  nommés  par  la  Faculté  pour  faire  un 
rapport  sur  l'œuvre  incriminée.  En  attendant,  les  Bénédic- 


(1)  Ellies  Dupin  avait  eu  des  accointances  avec  un  évoque  anglican  et  ne  s'écar- 
tait guère  de  son  langage  et  de  ses  idées. 

ISOSSLET  ET  LES  SAINTS  PÈP.ES.  'Al 


578  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

tins  de  la  CongTégation  de  Saint- Vannes  publièrent  des  Ob- 
servations critiques  fort  justes,  que  TaJibé  Dupin  se  liàta  de 
réfuter  en  aggravant  tous  ses  torts.  Bailleurs,  les  commis- 
saires nommés  par  la  Sorbonne  reconnurent  l)ien  certaines 
erreurs  dsinslà  Bibliothèque  ;  mais  ils  portaient  aux  nues  la 
science  et  l'érudition  de  Fauteur.  Bossuet  comprit  alors  qu'il 
était  temps  d'agir,  et  il  adressa  un  Mémoire  au  chancelier 
Boucherai  afin  d'obtenir  le  redressement  des  erreurs,  parce 
qu'il  était  u  d'autant  plus  nécessaire  de  réprimer,  disait-il, 
cette  manière  téméraire  et  licencieuse  d'écrire  de  la  reli- 
gion et  des  saints  Prres  que  les  hérétiques  commençaient  à 
s'en  prévaloir  ». 

Le  Méinoire  de  ce  qui  est  à  corriger  dans  la  Nouvelle  Bi- 
hliothrque  des  auteurs  ecclésiastiques  (1)  est  un  éloquent 
plaidoyer  en  faveur  de  ces  Pèi'es  auxquels,  après  Dieu, 
Bossuet  a  donné  son  esprit  et  son  cœur. 

Il  reproche  à  Dupin  d'avoir  dit  que  les  Pères  des  trois 
premiers  siècles  n'étaient  pas  d'accord  sur  le  dogme  du 
péché  originel,  et  que  «  saint  Cyprien  est  le  premier  qui  en 
ait  parlé  clairement  »  :  non  content  d'éluder  le  témoignage 
des  uns,  comme  de  sauit  Justin  et  de  saint  Irénée,  l'auteur 
de  la  Nouvelle  Bibliothèque  compte  à  tort  les  autres  pour 
contraires,  comme  Tertullien ,  Origène  et  saint  Clément 
d'Alexandrie. 

U  se  trompe  en  disant  qu'on  ne  donnait  pas  le  nom  d'au- 
tel à  la  table  sur  laquelle  on  célébrait  l'Eucharistie  :  le  con- 
traire est  partout  et  surtout  dans  saint  Ci/prien,  Pounjuoi 
aussi  passer  entièrement  sous  silence  la  doctrine  du  Pur- 
gatoire et  affecter  de  dire  «  qu'on  célébrait  le  sacrifice  en 
mémoire  des  morts  »,  ce  qui  est  la  façon  de  parler  de; saint 
Auqustin  et  de  l'Église  pour  les  martyrs,  mais  ce  qui  ne 
suffit  pas  pour  les  autres  morts? 

C'est  une  erreur  encore  de  soutenir  «  aussi  crûment  que 

CI)  •  Les  erreurs  contenues  dans  cette  Hihliolltviiue.  dit  Rossuet,  en  tète  du  Mc- 
moire.  ont  paru  principaletuent  depuis  la  Ilrpon.ic  aux  Remarques  des  Pères  de 
Saint-Vannes .  (pie  M.  Dupin  a  publiée;  parce  ([u'aprés  avoir  été  averti  de  ses 
erreurs,  loin  de  sou  corriger,  il  les  a  non  seulement  soutenues,  mais  encore 
augmentées,  comme  on  \a  le  voir.  » 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  POLÉMISTE.  579 

les  calvinistes  »  que  les  Pères  des  trois  premiers  sirclcs  de 
l'Église  n'ont  point  reconnu  d'autres  livres  canoniques  de 
l'Ancien  Testament  que  ceux  qui  étaient  dans  le  Canon  des 
Hébreux,  alors  que  les  catholiques  produisent  à  l'encontrc 
les  témoignages  d^Origène,  de  saint  Jérôme,  de  saint  Au- 
gustin, de  saint  Grégoire,  de  saint  Innocent  et  de  saint 
Gélase. 

Il  y  a  de  l'audace  à  faire  de  deux  «  saints  martyrs,  de  deux 
auteurs  aussi  importants  que  saint  Justin  et  saint  Irénée  », 
les  patrons  de  l'erreur  qui  nie  l'éternité  des  peines  :  il  ne 
fallait  que  les  lire  pour  y  voir  «  en  termes  formels  et  une 
infinité  de  fois  »  l'éternité  du  feu  de  l'enfer, 

Dupin  se  plait  à  dire  qu'au  sixième  siècle  on  ne  parlait  que 
de  miracles,  de  visions,  d'apparitions  :  mais  on  n'y  trouve 
rien  sur  ces  choses  qui  ne  paraisse  avec  la  même  force  dans 
le  quatrième  et  le  cinquième  siècles. 

L'adoration  de  la  croix  n'était  pas  plus  inconnue  aux  trois 
premiers  siècles  que  la  doctrine  de  la  grâce,  que  Dupin 
rapporte  à  saint  Cyprien ,  alors  qu'il  est  aisé  de  montrer 
dans  les  autres  Pères  plusieurs  passages  aussi  exprès  que 
ceux  de  saint  Cgprien  sur  cette  matière.  — Selon  M.  Dupin, 
l'ancien  sentiment  que  saint  Augustin  avait  suivi  avec  tous 
les  autres  Pères  était  le  semi-pélagianisme ,  et  il  y  a  une 
sorte  d'égalité  entre  saint  Prosper  et  ceux  contre  qui  il  dis- 
pute :  tout  cela  est  aussi  faux  que  d'appeler  opinions  les 
erreurs  de  Cassien. 

«  Sur  le  Pape  et  les  évêques  » ,  Dupin  met  une  entière 
égalité  entre  saint  Etienne  et  saint  Cgprien ,  et  il  ne  reste  au 
Pape  qu'une  préséance.  «  Une  des  plus  belles  prérogatives 
de  la  chaire  de  saint  Pierre  est  d'être  la  chaire  de  saint 
Pierre ,  la  chaire  principale  où  tous  les  fidèles  doivent  gar- 
der l'unité,  et,  comme  l'appelle  saint  C  y  prie  n,\d.  source 
de  l'unité  sacerdotale.  C'est  une  des  marques  de  l'Église 
catholique  divinement  expliquée  par  saint  Optât,  et  per- 
sonne n'ignore  le  beau  passage  où  il  eu  montre  la  perpé- 
tuité dans  la  succession  des  Papes.  Mais  si  nous  en  croyons 
M.  Dupin,  il  n'y  a  rien  là  pour  le  Pape  plus  que  pour  les  au- 


580  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

très  évê(|ues,  puisqu'il  prétend  que  la  chaire  principale, 
dont  il  est  parlé,  n'est  pas  en  particulier  la  chaire  romaine 
(jue  saint  Optât  nomme  expressément,  mais  la  succession 
des  évoques. 

«  Il  affaiblit  la  tradition  du  jeune  de  quarante  jours,  que 
les  docteurs  catholiques  ont  soutenue  comme  apostolique, 
par  tant  de  beaux  témoignages  des  ancims  Pf'?'es.  »  Il 
abuse  d'un  passage  de  saint  Justin  pour  soutenir  le  divorce 
en  cas  d'adultère ,  contrairement  à  ce  que  dit  saint  Clément 
d'Alexandrie. 

«  C'est  l'esprit  de  la  nouvelle  criti({ue,  dit  Bossuet,  de 
parler  peu  respectueusement  des  Pères  et  d'avoir  beaucoup 
de  pente  à  les  critiquer.  »  Ainsi,  elle  impute,  sans  raison, 
une  doctrine  impie  à  saint  Justin  et  saint  Irénée.  Elle  dé- 
prime la  morale  de  saintL^-'on,  sans  nécessité,  sans  dire  un 
mot  du  caractère  de  piété  qui  reluit  dans  tous  ses  ouvrages. 
Elle  dit  de  saint  Fulgence,  «  l'un  des  plus  solides  et  des  plus 
graves  théologiens  que  nous  ayons  »,  «  qu'il  aimait  les  ques- 
tions épineuses  et  scolastiques  ».  M.  Dupin  a  traité  le  démêlé 
entre  le  Pape  saint  Etienne  et  saint  Çijpricn  avec  un  entête- 
ment si  visible  contre  ce  saint  Pape  qu'il  n'y  a  pas  moyen 
de  le  dissimuler.  «  Pour  Ini,  le  Pape  est  toujours  Etienne, 
et  saint  Cyprien  toujours  . va//?/,  quoiqu'ils  soient  tous  deux 
martyrs.  »  M.  Dupin  ne  veut  pas  demeurer  d'accord  que  le 
Pape  ait  eu  raison.  C'est  là  sa  grande  erreur.  Car  il  est  cons- 
tant par  saint  Augustin  ,  par  saint  Jérôme,  par  Vincent  de 
Lérins,  que  l'Église  universelle  a  suivi  le  sentiment  de  saint 
Etienne. 

«  Saint  Augustin  est  sans  doute  celui  de  tous  les  saints 
Pères  que  M.  Dupiu  maltraite  le  plus.  Il  aurait  pu  se  passer 
de  dire  de  son  Traité  des  Psaumes  «  qu'il  est  plein  d'allu- 
sions inutiles,  de  subtilités  peu  solides,  d'allégories  peu 
vraisemblables,  et  de  longues  digressions...  Les  sermons 
de  saint  Chri/sostonie ,  qui  sont  les  plus  beaux  ([ui  nous  res- 
tent de  l'cintlcjuité,  sont  pleins  de  ces  édifiantes  et  saintes 
digressions...  Mais  la  grande  faute  de  notre  auteur  sur  le 
sujet  de  saint  Augustin  est  de  dire  ([u'il  a  enseigné  sur  la 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  POLÉMISTE.  581 

grâce  et  sur  la  prédestination  une  doctrine  différente  de 
celle  des  Pères  qui  l'ont  précédé.  Il  faudrait  dire  en  quoi  et 
on  verrait  ou  que  ce  n'est  rien  de  considérable,  ou  que  ceux 
qui  lui  font  ce  reproche  se  trompent  et  n'entendent  pas  la 
matière...  Si  saint  Augustin  est  entré  plus  avant  que  les 
Pères  ses  prédécesseurs  dans  cette  matière,  s'il  en  a  parlé 
plus  précisément  et  plus  juste,  la  même  chose  est  arrivée 
dans  toutes  les  autres  matières,  lorsque  les  hérétiques  les 
ont  remuées. . .  Dire ,  indiscrètement ,  que  les  Pères  grecs  et 
latins,  anciens  et  modernes,  sont  contraires  à  saint  Au- 
gustin, c'est  vouloir  donner  l'idée  que  les  Pères  détruisent 
les  Pères,  et  que  la  tradition  s'efface  elle-même... 

«  En  général  (M.  Dupin)  fait  passer  saint  Jéràmp  pour  un 
esprit  emporté,  outré,  excessif,  qui  ne  dit  rien  qu'avec  exa- 
gération, même  contre  les  hérétiques.  Il  y  avait  ici  bien  des 
correctifs  à  apporter,  qui  auraient  donné  des  idées  plus 
justes  de  ce  Père.  On  aurait  pu  contre-balancer  ses  défauts , 
en  remarquant  la  précision  et  la  netteté  admirable  qui  ac- 
compagnent oridinairement  son  discours  et  les  marques 
qu'il  a  données  de  sagesse  et  de  modestie  en  tant  d'en- 
droits ». 

Sur  l'Eucharistie  et  sur  la  théologie  de  la  Trinité ,  «  ce 
n'était  pas  assez  pour  faire  voir  la  foi  catholique  dans  les 
Pères,  de  dire  qu'ils  ont  répété  les  termes  de  l'Écriture;  il 
fallait  montrer  par  leur  témoignage  l'abus  que  les  héréti- 
ques en  ont  fait... 

«  Sans  pousser  plus  loin  l'examen  d'un  livre  si  rempli 
d'erreurs  et  de  témérités,  conclut  Bossuet,  en  voilà  assez 
pour  faire  voir  qu'il  tend  manifestement  à  la  subversion  de 
la  religion  catholique  ;  qu'il  y  a  partout  un  esprit  de  dan- 
gereuse singularité  qu'il  faut  réprimer,  et,  en  un  mot,  que 
la  doctrine  en  est  insupportable.  » 

Les  Remarques  sur  V Histoire  des  conciles  d'Éphèse  et  de 
Chalcédoine  ont  pour  but  de  montrer  les  erreurs  de  Dupin, 
à  propos  d'une  des  questions  les  plus  importantes  de  l'his- 
toire ecclésiastique,  et  de  défendre  le  Pape  saint  Célestin  et 
l'un  des  Pèn-es  de  l'Église  les  plus  illustres  par  sa  vigoureuse 


582  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PEHES. 

résistance  à  rarianisme,  saint  Ci/rillc  d" Alexandrie.  —  Le 
reproche  le  plus  grave  que  Bossuet  adresse  à  Dupin,  c'est 
d'avoir  supprimé,  dans  sa  relation  du  concile  d'Éphèse, 
tout  ce  qui  devait  servir  à  étalîlir  de  la  manière  la  plus  so- 
lennelle la  primauté  et  la  suprématie  du  Souverain  Ponfife  : 
«  Une  histoire  qui  devait  être  si  circonstanciée  (1)  manque 
ahsolumcnt  de  toutes  les  circonstances  qui  font  voir  le 
droit  du  Pape  (2) . . .  Qu'est-ce  autre  chose  que  falsifier  les  ac- 
tes publics  (3)?  «  —  Le  concile  d'Éphèse  est  un  de  ceux  dont 
la  procédure  a  été  la  plus  régulière  et  la  conduite  la  plus 
sage,  «  en  sorte  que  la  majesté  de  l'Église  catholique  n'éclata 
nulle  part  davantage;  et  un  si  heureux  succès  de  cette  as- 
semblée fut  dû  principalement  à  la  modération  et  à  la  ca- 
pacité de  saint  Cijrillf  (i)  »  :  pourquoi  donc  lui  prêter  une 
animosité  et  une  précipitation  peu  dignes  de  lui  (5)?  Pour- 
quoi oser  insinuer  que  saint  Cyrille  reconnut  et  avoua  qu'il 
eût  mieux  valu  laisser  Nestorius  en  repos  (6)?  Pourquoi  tra- 
vailler à  affaiblir  l'autorité  de  saint  Cyrille  et  se  plaire 
visiblement  à  charger  sur  lui,  à  dire  :  «  Ou  il  copie  des 
passages  de  l'Écriture,  ou  il  fait  de  grands  raisonnements, 
ou  il  débite  des  allégories?  »  Si  son  style  est  moins  serré  ou 
moins  vif  que  celui  de  saint  Athanasc ,  ou  de  saint  Basile  et 
de  saint  Grôgoirn  de  Nazianzc ,  il  ne  s'ensuit  pas  pour  cela 
qu'il  ne  lui  faille  attribuer  que  cette  facilité  à  jeter  sur  le 
papier  tout  ce  qui  lui  vient  dans  l'esprit,  ou  de  ca^ grands 
raisonnements  vagues  qu'un  génie  subtil  et  métaphysique, 
qui  est  le  beau  caractère  que  M.  Dupin  daigne  lui  donner, 
sait  poussera  perte  de  vue...  A  entendre  parler  cet  auteur, 
il  faudrait  ranger  saint  Cyrille  parmi  ces  docteurs  abstraits 
qui  ne  dél)itent  que  des  subtilités,  que  logique,  que  mé- 
taphysique; mais  constamment,  cela  n'est  point.  Je  ne  vois 

(I)  Dans  son  Avertissement,  Du|)in  se  vantait  d'avoir  découvert  des  documents 
inconnus  de  ses  devanciers. 

(-2)  Ainsi  il  oublie  de  dire  (jue  «  c'est  Célestin  qui  prononce:  c'est  Cyrille  qui 
exécuie  ».  Ciiap.  i,  deuxième  iiemtirque. 

(3)  Chapitre  premier  :  troisième  et  (|uatriéme  Remarques. 

(4)  Chapitre  ii,  cinquième  Remar>/ur. 
(.S)  Iljiilcm. 

((>)  Chapitre  ni.  sixième  linnarz/ue. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  POLEMISTE.  583 

pas  que  saint  Cyrille  s'y  prit  autrement  que  les  autres  Pè- 
res. S'il  emploie  quelquefois  cette  fine  dialectique  ou  des 
arguments  scolastiques,  et  comme  il  l'appelle,  un  style 
épineux,  notre  auteur,  qui  le  remarque  avec  tant  de  soin,  ne 
devait  pas  oublier  qu'il  le  faisait  à  l'exemple  de  saint  Basile 
contre  Eunome.  Les  Prres  savent,  quand  ils  le  veulent,  op- 
poser aux  hérétiques  ces  finesses  de  dialectique  dont  ils  se 
servaient  pour  éblouir  les  peuples.  Saint  Cyrille  avait  affeire 
à  un  de  ces  subtils  dialecticiens  :  il  fallait  donc  le  prendre 
dans  les  filets  qu'il  tendait,  et  après  l'avoir  accablé  d'auto- 
rités, il  était  bon  quelquefois  de  le  battre  de  ses  propres 
armes.  » 

Bossuet  n'entreprend  pas  la  défense  des  allégories,  à  pro- 
pos desquelles  Dupin  fait  le  procès  à  tous  nos  saints  doc- 
teurs. «  Tout  cela  vient  du  même  esprit,  qui  le  porte  à  dire 
que  saint  Augustin  s'étend  beaucoup  sur  des  réflexions 
peu  solides,  etc.  »;  que  saint  Basile  explique  les  rites  de 
l'Église  par  des  raisons  si  guindées;  que  saint  Fulgence ,  un 
des  plus  solides  théologiens  de  l'Église,  aimait  les  questions 
épineuses  et  scolastiques  et  donnait  dans  le  mystique;  que 
saint  Léon  n'est  pas  fort  fertile  sur  les  points  de  morale; 
que  saint  Irénée,  par  un  défaut  qui  lui  est  commun  avec 
beaucoup  d'autres  anciens,  affaiblit  et  obscurcit,  pour  ainsi 
dire,  les  plus  certaines  vérités  de  la  religion.  —  «  Les  Pères, 
dit  Dupin ,  sont  hommes  comme  nous  et  ne  sont  pas  infail- 
libles. »  S'ensuit-il  de  là  qu'il  faille  étudier  leurs  défauts, 
les  étaler  sans  nécessité  aux  yeux  des  spectateurs  malins,  et 
les  censurer  avec  une  dureté  insupportable?  —  Je  ne  dis  rien 
qui  touche  à  leur  sainteté.  N'est-ce  donc  rien  qui  touche  à  la 
sainteté  que  de  dire  de  saint  Grégoire  de  Nazianze  qu'il  en- 
treprenait aisément  de  grandes  choses,  mais  qu'il  s'en  re- 
pentait bientôt?  etc....  Au  lieu  de  demander  pardon  de 
ses  téméraires  censures,  (Dupin)  prend  un  air  menaçant 
contre  les  Pères,  et  il  veut  bien  qu'on  sache  que,  s'il  les  en- 
treprenait, il  leur  ferait  tant  fie  tort  qu'on  ne  saurait  plus 
comment  les  défendre.  Dieu  le  préserve  d'un  tel  dessein! 
Mais  quand  il  l'aurait.  Dieu,  qui  ne  manque  point  à  son 


584  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

Ég-lise ,  suscitera  quelqu'un  pour  fermer  la  bouche  à  ce 
jeune  docteur  (1).  » 

Ce  quelqu'un,  ce  sera  Bossuet  lui-même,  l'auteur  élo- 
quent de  la  Défense  de  la  Tradition  et  des  saints  Pères,  à 
laquelle  il  travailla  dès  l'année  1693. 

En  attendant,  il  justifie  plusieurs  passages  attaqués  par 
Dupin,  soit  dans  saint  Cyrille,  soit  dans  saint  Athanase, 
soit  dans  les  Pères  grecs,  soit  dans  les  Pères  latins  (2).  a  On  a 
pitié  de  Théodoret,  un  si  grand  homme,  dit  Bossuet  avec  une 
haute  et  sereine  impartialité^  à  propos  des  erreurs  et  des 
chicanes  où  tombe  Théodoret  par  amitié  pour  Nestorius;  et 
on  voudrait  presque  que  Nestorius,  qu'il  défendit  si  long- 
temps avec  tant  d'opiniâtreté,  eût  moins  de  tort.  Mais  il  en 
faut  revenir  à  la  vérité  et  se  souvenir  qu'après  tout  un 
grand  homme  entêté  devient  bien  petit.  Théodoret  a  bien 
parlé  depuis  des  dogmes  de  Nestorius.  Ce  n'est  pas  qu'il 
ait  rien  appris  de  nouveau;  mais  tant  qu'on  est  entêté,  on 
ne  veut  pas  voir  ce  qu'on  voit  (3).  » 

Bossuet  conclut  ainsi  :  «  On  voit  maintenant  à  quoi  abou- 
tissent les  particularités,  ou  plulùt  les  omissions  de  l'Histoire 
de  notre  auteur.  On  voit  qu'elles  affaiblissent  la  primauté 
du  Saint-Siège,  la  dignité  des  conciles,  l'autorité  des  Pères, 
la  majesté  de  la  religion.  Elles  excusent  les  hérétiques; 
elles  obscurcissent  la  foi.  C'est  là  enfin  qu'on  en  vient,  en  se 
voulant  donner  un  air  de  capacité  distingué.  » 

Fénelon,  à  qui  Bossuet  avait  communiqué  ce  Mémoire, 
lui  écrivait  le  3  mars  1G92  :  «  J'ai  été  ravi  de  voir  la  vigueur 
du  vieux  docteur  et  du  vieux  évêque.  Je  m'imaginais  vous 
voir  en  calotte  à  l'oreille,  tenant  M.  Dupin  comme  un  aigle 
tient  dans  ses  serres  un  faible  épervier.  » 

11  lui  écrivait  encore  :  «  M.  Bacine,  (juoique  très  proche 
parent  (de  M.  Dupin)  n'a  pas  voulu  néanmoins  entrer  dans 
ses  intérêts ,  supposant  qu'il  n'était  pas  à  soutenir,  puisque 
rous  le  condamniez.  » 


0)  Chapitre  IV;  premit-re  Remarque. 
(2)  Troisictno  et  douzième  Remarques. 
(.'»)  I)i\ii'ine  Remarque. 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  POLEMISTE.  585 

C'est  Racine  pourtant  qui  présenta  Dupin  à  Bossuet  :  le 
prélat  avec  sa  bonté  ordinaire ,  se  montra  très  satisfait  de 
la  sincérité  des  déclarations  de  l'auteur  de  la  Nouvelle  Bi- 
bliothèque; mais  l'archevêque  de  Paris  la  censura  publi- 
quement et  obtint  un  arrêt  du  Parlement  pour  en  interdire 
la  vente. 

§  III.  —  Affaire  des  Cérémonies  chinoises. 

Lorsque,  en  1700,  s'éleva  la  question  des  Cérémonies 
chinoises,  que  le  P.  de  la  Broise  appelle  fort  justement 
«  une  polémique  sur  la  science  des  religions  (1)  »,  l'abbé 
Ellies  Dupin  publia  tout  un  livre ,  Défense  de  la  censure 
de  la  Faculté  de  Théologie  de  Paris  du  18  octobre  1700. 
pour  montrer  que  les  docteurs  de  Sorbonne  avaient  eu 
raison  de  condamner  les  livres  des  PP.  Jésuites  le  Comte  (2) 
et  Le  Gobien  (3),  qui  soutenaient  que  les  Chinois  avaient 
sacrifié  au  Créateur  dans  le  plus  ancien  temple  de  l'univers 
et  conservé  près  de  deux  mille  ans  la  connaissance  du  vrai 
Dieu  ;  qu'aussi  aucune  nation  de  la  terre  n'a  été  plus  favo- 
risée de  la  Providence ,  etc.,  etc.  —  Pierre  Coulau  ne  fut  pas 
de  lavis  de  Dupin  [k)  et  de  la  majorité  des  docteurs  de  Sor- 
bonne ;  il  fit  un  livre ,  Judiciwn  unius  e  Societate  Sorbonica 
doctoris,  pour  défendre  les  théories  des  deux  Jésuites.  Seu- 
lement, il  dépassa  le  but  et  étendit  le  monothéisme  et  la 
connaissance  du  vrai  Dieu  dans  une  mesure  que  n'auraient 
admise  ni  le  P.  Le  Comte  ni  le  P.  Le  Gobien.  S'inspirant 
des  récits  fabuleux  de  Géraldin  et  des  ouvrages  protestants 
de  Hyde  sur  l'Histoire  de  la  religion  des  anciens  Per- 
ses^ 1700  ,  et  de  Jacques  Tollius  sur  V Histoire  fabuleuse  de 
la  Grèce,  de  la  Phénicie ,  de  V Egypte,  1686,  il  réduisit  l'i- 

(I)  Bossuet  et  la  Bible,  p.  3^28  el  suiv. 

{'2)  Nouveaux  Mémoires  sur  l'état  présent  de  la  Chine,  iGOe.  —  Sur  les  Cérémo- 
nies de  la  Chine.  1700. 

(3)  Lettre  sur  les  progrès  de  la  religion  en  Chine,  1G07.  —  Histoire  de  l'édit  de 
V empereur  de  la  Chine  en  faveur  de  la  religion  chrétienne ,  1698.  —  Éclaircisse- 
ment sur  les  honneurs  que  les  Chinois  rendent  à  Confucius  et  aux  moris,  IC08. 

(4)  Il  publia  encore  un  ouvrage  inédit  d'Arnauld  sur  la  question  :  Nécessité  de 
la  foi  en  J.-C-,  etc.,  1701. 


586  BOSSUKT  lilT  LES  SAINTS  PERES. 

dolûtrie  aux  sept  nations  qui  environnaient  les  Juifs ,  à  la 
Chaldée,  à  la  Grèce  et  à  l'empire  romain  (1). 

Bossuet  lut  ce  livre  ce  avec  une  extrême  diligence  »  ,  et 
comme  il  «  avait  promis  d'en  dire  son  sentiment  »  à  M.  Bri- 
sacier,  supérieur  du  Séminaire  des  Missions  étrangères,  Le 
Dieu  (2)  nous  le  représente  s'enfermant  après  la  messe  dans 
son  cabinet,  pour  y  étudier  la  question  des  religions  an- 
ciennes, puis  dictant  à  son  secrétaire  ((  une  lettre  de  huit 
pages  ».  —  Ce  n'est  pas  une  lettre  seulement,  c'est  trois 
longues  lettres  qu'il  a  écrites  à  ce  sujet,  le  30  août,  le  8  et 
le  13  septembre  ITOl  (3),  pour  être  communiquées  au  car- 
dinal de  Noailles. 

Bossuet  estime  que  le  livre  de  Goulau  «  est  fait  pour  ap- 
puyer l'indifTérence  des  religions,  qui  est  la  grande  folie  du 
siècle  où  nous  vivons  »  et  «  qui  ne  s'introduit  que  trop  parmi 
les  catholiques  »  ;  que  c'est  «  une  prodigieuse  témérité  » 
que  de  justifier  les  anciens  Perses,  «  comme  ayant  connu  le 
vrai  Dieu  et  même  le  Messie  ...  Que  sert  de  nous  opposer 
l'autorité  de  Zoroastre  chez  Sanchoniaton  et  chez  Eusèbe? 
On  ne  nie  point  que  les  philosophes  aient  eu  des  restes  de 
la  véritable  idée  de  la  Divinité ,  et  ils  ne  sont  devenus  idolâ- 
tres qu'en  l'appliquant  mal...  On  sait  d'ailleurs  que  les 
Perses  adoraient  deux  dieux,  l'un  bon  et  l'autre  mauvais, 
comme  le  dit  expressément  saint  Auf/tistin,  qui  le  rapporte 
de  leurs  propres  auteurs,  ce  que  Plutarque  avait  fait  avant 
lui.  L'auteur  «  tire  avantage  de  ces  deux  dieux,  pour  prou- 
ver que  les  anciens  Perses  ont  connu  Dieu  et  le  diable  :  ex- 
cuse impie  et  pernicieuse  »,  puisqu'aux  termes  de  saint  Au- 
gustin (4),  c'est  faire  adorer  le  diable  à  ceux  qu'on  veut 


(1)  Voir  Bossuet  et  la  liifjlc.  p.  330  et  suir. 

(-2)  Journal,  -2^  août  1701  et  suir. 

(3)  ijossiiei  lit  aussi  allusion  à  ■■  raiicienne  l'Islise  des  Chinois  »,  dont  avait 
parlé  Hasnagc,  dans  la  Dcu.ricme  Instruction  pnstonile  sur  1rs  promesses  de 
VEi/lise.  noi  :  «  Ktrange  sorte  d'église,  dit-il,  sans  (ni,  sans  promesse,  sans  al- 
liance, sans  sacrements,  sans  la  moindre  niar()ue  de  témoignage  divin  ;  où  l'on  ne 
sait  ce  que  l'on  adore  et  à  (|ui  l'on  sacrilie,  si  ce  n'est  au  ciel  ou  à  la  terre,  ou  à 
leurs  génies,  comme  à  celui  des  montagnes  et  des  rivières;  et  qui  n'est  après 
tout  qu'un  amas  confus  d'athéisme,  de  politique  et  d'irréligion,  d'idolâtrie,  de  ma- 
gie, de  divination  cl  do  sortilège.  » 

('»)  De  Cirilrilr  l)ei,  liv.  VI.  c.  xxi. 


LES  SAl^iTS  PÈKES  ET  liOSSUET  POLEMISTE.  587 

donner  pour  si  religieux.  «  Bossuet  voudrait  donc  prier  ou 
M.  Dupin  ou  le  P.  Noël-Alexandre  de  relever  les  faux  raison- 
nements ou  les  fausses  citations  qui  sont  particulières  au 
docteur  Coulau,  afin  que  le  cardinal  de  Noailles  pût  faire 
arrêter  par  la  Faculté,  ou  plutôt  «  arrêter  par  son  autorité 
le  cours  d'une  impiété  si  manifeste  (1)  ». 

Au  témoignage  d'Agathias,  dans  son  Histoire  de  Jiisti- 
/iien,  Bossuet  oppose  celui  de  Plutarque  et  de  saint  .4/^- 
(justin,  qui  nous  apprend  que  Manès  ou  Manichoeus,  Perse 
de  nation ,  et  les  partisans  de  sa  doctrine  adoraient  le  so- 
leil. «  Pour  éluder  les  passaees  des  Pères,  ajoute  Févèque 
de  iMeaux,  ('Coulau)  dit  qu'il  ne  faut  pas  les  prendre  au  pied 
de  la  lettre,...  ce  qui  tend  à  rendre  inutile  toute  la  tradi- 
tion, qui  s'exprime  en  termes  généraux  et  sans  exception. 
Le  passage  de  saint  Augustin  ,  tiré  du  livre  De  la  Cité  de 
Dieu,  où  il  dit  que  le  culte  de  Dieu  était  renfermé  dans  la 
seule  famille  de  Tharé  et  d'Abraham,  prouve  trop  selon  lui, 
à  cause  qu'il  est  constant  que  Sem  et  peut-être  Noé  vivaient 
encore  alors  et  que  la  famille  de  Melchisédech  a  été  fidèle. 
Mais  il  n'a  pas  voulu  prendre  garde  que  l'intention  de  saint 
Au  f/ us  tin  est  de  dire  que  la  famille  d'Abraham  a  été  la 
seule  marquée  où  le  culte  de  Dieu  se  soit  conservé ,  ce  qui 
est  incontestable  ; . . .  et  la  conséquence  que  l'auteur  tire  de 
saint  Augustin,  en  disant  qu'il  prouve  trop,  est  fausse,  té- 
méraire et  scandaleuse.  Il  en  est  de  même  des  autres  pas- 
sages des  saints  Pères,  qu'il  a  éludés  dans  les  pages  sui- 
vants. »  Il  cite  Eusèbe  à  propos  de  la  piété  des  brachmanes  : 
il  a  oublié  que,  d'après  Eusèbe  même,  les  brachmanes 
étaient  superstitieux  et  croyaient  à  la  métempsycose. 
«  L'auteur  allègue  saint  Isidore  de  Damiette,  ouest  rapporté 
le  serment  que  faisaient  les  Perses,  qu'il  traduit  ainsi  :  Co- 
lendo  Deo  incunibam,  où  le  grec  porte  zz  OsT^v,  ce  qui 
signifie  indéfiniment  tout  ce  qui  est  réputé  divin  et  ne 
conclut  rien  du  tout  pour  le  vrai  Dieu.  Il  assure  que  le  sen- 
timent des  Pères  sur  l'idolâtrie  des  gentils  ne  peut  pas  être 

(1)  Lettre  du  30  août  1701. 


588  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

connu  par  leurs  apologies  contre  les  païens,  parce  qu'ils 
parlaient  selon  les  principes  des  païens  mêmes,  qui  tenaient 
pour  assuré  que  les  Juifs  étaient  les  seuls  qui  n'eussent  pas 
plusieurs  dieux.  Il  avoue  donc  que  les  apologistes  de  la  re- 
ligion chrétienne  sont  contre  lui,  et  il  en  élude  l'autorité 
qui  est  si  grande,  surtout  en  cette  matière...  Il  allègue  en 
plusieurs  endroits  le  passage  de  saint  Paul,  naturaliter 
quae  le  gis  sunt  faciunt ,  ce  qu'il  ne  ferait  pas  avec  tant  de 
confiance,  s'il  avait  voulu  apprendre  de  saint  Augustin 
que  ce  passage  s'entend  des  gentils  convertis  à  l'Évangile  , 
dans  lesquels  la  nature  était  réparée  par  la  grâce...  Les 
païens  ne  paraissent  pas  avoir  connu  les  vers  (des  sybilles) 
qui  regardent  Jésus-Christ  et  que  nous  trouvons  dans  plu- 
sieurs Pères,  et  dont  aussi  il  est  certain  que  plusieurs  Pères 
ont  douté  (1).  »  Bossuet  reproche  encore  à  Coulau  d'avoir 
ajouté  deux  lignes  entières  à  un  passage  de  saint  Augustin 
et  d'en  avoir  retranché  les  paroles  essentielles  ;  de  s'être  servi 
mal  à  propos  d'un  texte  de  saint  Irènèe  et  d'un  passage  de 
saint  Augustin ,  «  où  il  est  clair,  par  toute  la  suite  ,  que  (ce 
Père")  n'a  voulu  dire  autre  chose,  sinon  que  tous  les  peuples 
sont  à  Dieu  par  son  souverain  domaine ,  quoique  ,  par  rap- 
port à  la  patrie  céleste,  ceux  qui  pouvaient  y  appartenir, 
hors  les  Juifs,  étaient  seulement  quelques  particuliers  qui 
avaient  la  foi  du  Médiateur  (2)  ».  La  Lettre  Cir  de  saint  Au- 
gustin est  aussi  invoquée  à  faux,  comme  contenant  «  le  sen- 
timent de  l'auteur  ».  Que  M.  Brisacier  se  hâte  donc  de  ré- 
futer Coulau  :  qu'il  examine  Eusèbe,  Théodoret ,  Sozomène, 
Ammien  Marcehn,  l'Écriture,  etc.  Au  moment  où  Bossuet 
écrit,  «  il  se  forme  un  plan  dans  son  esprit  qui  lui  paraît 
grand,  simple  el  court  (3)  ». 

C'est  ce  «  plan  »  dont  il  indique  la  marche  dans  la  Let- 
tre du  13  septembre,  puisque,  d'après  Le  Dieu  (4.),  il  ne  vou- 
lait pas  lui-même  prendre  la  direction  d'une  affaire  où  il 
n'avait  pas  encore  figuré  et  dont  Rome  était  saisie.  Il  «  pro- 

(1)  Lettre  du  8  septembre  noi. 

(•2)  ■  Poyndus  cnim.  rêvera,  qui  proprie  Dei  populus  dicerctur,  nullus  fuit.  • 

(.'J)  l'oHl-scriptum  de  la  Lettre  du  8  septembre  1701. 

('»)  Journal.  13  septembre  t'OI. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  POLEMISTE.  589 

pose  en  abrégé  la  doctrine  de  saint  Athanase,  sur  les  cau- 
ses et  l'étendue  de  l'idolâtrie,  ainsi  qu'elle  est  contenue 
dans  les  deux  discours  de  même  dessein  et  de  même  suite, 
qui  sont  à  la  tête  de  ses  ouvrages,  dont  l'un  a  pour  titre  : 
Contre  les  Gentils,  et  l'autre  :  De  l'Incarnation  du  Verbe  ». 
Il  donne  alors  un  admirable  résumé  de  ces  «  deux  dis- 
cours ,  qu'on  pourrait  étendre  » ,  et  «  des  principes  sur  les- 
quels a  raisonné  ce  grand  homme.  Tout  ce  qui  était  gen- 
til, c'est-à-dire  tout  ce  qui  n'était  pas  juif,  était  idolâtre. 
Tous  Ips  autres  Pères  ont  enseigné  la  même  doctrine. 
M.  Dupin  l'a  démontré  d'une  manière  à  ne  laisser  aucun 
doute  ni  aucune  réplique.  Il  n'a  eu  garde  d'oublier  saint 
Athanase ,  et  outre  le  passage  que  nous  venons  de  remar- 
quer, il  a  encore  cité  celui  où  ce  grand  défenseur  de  la 
divinité  du  Verbe  a  dit,  conformément  au  Psalmiste,  que 
Dieu  n'était  connu  que  dans  la  seule  Judée.  Tout  est  dé- 
montré dans  le  fond,  et  j'ai  voulu  seulement  donner  ici  le 
principe  général  sur  lequel  saint  Athanase  s'est  fondé.  C'est, 
en  un  mot,  que,  par  le  péché,  l'homme,  entièrement  asservi 
aux  sens,  oubliait  Dieu  et  ne  faisait  que  s'enfoncer  de  plus 
en  plus  dans  l'idolâtrie.  Le  principe  est  évident,  la  con- 
séquence est  certaine,  la  démonstration  est  parfaite  :  elle 
convainc  également  tous  les  peuples  de  l'univers,  et  il  ne 
faut  pas  s'étonner  si  tous  les  Pères  sans  exception  ont  tenu 
le  même  langage  ». 

Quoi  qu'il  en  soit  de  cette  thèse  de  Bossuet,  on  peut 
dire  respectueusement  avec  le  P.  de  la  Broise  (1)  qu'il  n'a 
pas  donné  «  une  discussion  vraiment  critique  sur  les  re- 
ligions de  l'Asie  »  ;  «  qu'on  ne  peut  louer  sans  quelques 
réserves  la  position  qu'il  a  prise  dans  cette  affaire  »  et 
qu'aujourd'hui,  grâce  aux  savants  travaux  des  Orientalistes 
et  des  Égyptologues,  il  est  permis  «  d'étudier  comparative- 
ment la  Bible  et  les  monuments  religieux  des  peuples  an- 
ciens dans  un  esprit  un  peu  plus  large  peut  -être  que  ne  le 
faisait  Bossuet.   »  —  On  voit  néanmoins  par  ses  lettres  à 

(1)  Bossuet  et  la  Bible,  p.  38-2-.l8't. 


590  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PÈRES. 

M.  Brisacier  quelle  était  sa  méthode  constante,  invariable  : 
établir  d'abord  la  docti-ine  par  l'Écriture,  la  tradition  et 
les  saints  Pères,  et  puis  répondre  aux  objections  des  adver- 
saires (1). 


S  IV.  —  Richard  S. 


imon. 


C'est  cette  méthode  qu'il  a  excellemment  employée  con- 
tre Richard  Simon,  d'abord  Oratorien,  puis  exclu  de  la  so- 
ciété à  laquelle  il  avait  appartenu,  «  vaniteux,  dit  l'abbé 
de  Valroger  (2),  hautain ,  jaloux,  paradoxal,  opiniâtre  et 
querelleur.  Il  déplora  trop  tard  l'abus  qu'il  avait  fait  de  ses 
puissantes  facultés  et  de  son  immense  érudition.  Gomme  il 
arrive  d'ordinaire,  on  remarqua  ses  erreurs  et  ses  bruyan- 
tes disputes  beaucoup  plus  que  ses  mérites  véritables.  C'est 
ce  qui  explique  sa  mauvaise  renommée  et  l'oubli  où  tom- 
bèrent ses  meilleurs  travaux.  Les  protestants  et  les  jansé- 
nites,  fort  maltraités  par  lui,  s'unirent  à  Bossuet  pour  le 
combattre,  chacun  à  leur  point  de  vue.  L'attention  publi- 
que resta,  par  suite,  concentrée  sur  les  parties  dangereuses 
de  ses  ouvrages  ».  La  critique  lui  est  aujourd'hui  plus  in- 
dulgente, sans  oublier  les  erreurs  déplorables  que  Bossuet 
signala  à  trois  reprises  en  1678.  en  1()93,  en  1702-1704. 

Il  a  raconté  lui  même  à  M.  de  Malezieu,  chancelier  des 
Bombes,  dans  une  lettre  du  19  mai  1702,  ce  qui  lui  arriva 
en  1078  à  propos  de  la  Critique  de  rAncirn  Tcstampnt  de 
Richard  Simon.  «  Ce  livre  allait  paraître  dans  quatre  jours, 
avec  toutes  les  marques  de  l'approbation  et  de  l'autorité 
publique.  J'en  fus  averti  très  à  propos  par  un  homme  bien 
instruit  et  qui  savait  pour  le  moins  aussi  bien  les  langues 
que  notre  auteur  (3).  Il  m'envoya  un  index,  et  ensuite  une 
préface,  qui  me  firent  connaître  que  ce  livre  était  un  amas 

(I)  Voir  la  fin  de  la  Ldlrr  du  l'i  sc'plcmljro  1701. 

(-2)  Introduction  hislorii/w  et  (■/■ili(/nc  nux  lirrcs  du  N.  T.  par  Reithtnayr,  tra- 
duite et  annotre  par  de  Vnlrogcr,  I. 

et)  Ni  le  cardinal  de  ISausset,  (|ui  parle  d'ArnauM  ,  ni  Floquet,  qui  parle  de  Le 
Tellier,  n'ont  indi(|ué  exacleinenl  de  (|ui  il  s'agit  ici.  Le  P.  de  la  Uroise  (Bossuet 
et  la  liible,  p.  3.'JS),dit  d'après  Ilicliard  Simon  lui-même,  que  c'est  l'aljbc  Uenau- 
dolqui  comiiiuni(|ua  à  Uossuct  le  livre  de  Ilicliard  Simon. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  POLEMISTE.  591 

d'impiété  et  un  rempart  de  libertinage.  Je  portai  le  tout  à 
M.  le  chancelier  (Le  Tellier) ,  le  propre  jour  du  Jeudi  Saint. 
Ce  ministre,  en  même  temps,  envoya  ordre  à  M.  de  la  Rey- 
nie  de  saisir  tous  les  exemplaires.  Les  docteurs  (1)  avaient 
passé  tout  ce  que  l'on  avait  voulu ,  et  ils  disaient  pour  ex- 
cuse que  l'auteur  n'avait  pas  suivi  leurs  corrections.  Quoi 
qu'il  en  soit,  tout  y  était  plein  de  principes  et  de  conclusions 
pernicieuses  à  la  foi.  On  examina  si  l'on  pouvait  remédier  à 
un  si  grand  mal  par  les  cartons;  car  il  faut  toujours  tenter 
les  voies  les  jjIus  douces;  mais  il  n'y  eut  pas  moyen  de 
sauver  le  livre,  dont  les  mauvaises  maximes  se  trouvèrent 
partout,  et  après  un  très  exact  examen  que  je  fis  avec  les 
censeurs,  M.  de  la  Reynie  eut  ordre  de  brûler  tous  les  exem- 
plaires (2),  au  nombre  de  douze  ou  quinze  cents,  nonobs- 
tant le  privilège  donné  pa-r  surprise  et  sur  le  témoignag-e 
des  docteurs.  » 

Nous  savons,  d'autre  part  (3),  qu'avant  d'en  venir  à  cette 
extrémité,  Bossuet  avait  eu  deux  conférences  amiables  avec 
Richard  Simon,  l'une  à  Saint -Germain,  l'autre  à  l'Ora- 
toire (4  ).  Il  suivait  toujours  la  méthode  chère  à  saint  .4;^- 
gustin.  Ces  entrevues  ne  furent  pas  les  seules  :  il  y  en  eut 
d'autres  après  1678,  et  en  1681  Richard  Simon  dédiait  «  à 
M^ Bossuet,  ancien  évèque  de  Condom  »,  la  seconde  édition 
des  Cérémonies  des  Juifs.  Il  s'agissait  pour  lui  d'obtenir 
une  édition  corrigée  de  la  Critique  de  l'Ancien  Testament 
après  «  une  nouvelle  révision  et  un  remaniement  à  fond  » , 
qui  aurait  tourné  «  au  grand  avantage  de  la  vérité  et  au 
grand  honneur  de  la  bonne  foi  de  l'auteur  (5)  »,  «  Il  se 
souviendra  sans  doute,  disait  Bossuet  à  M.  de  iMalezieu,  que 
lorsqu'on  supprima  sa  Critique  du  Testament,  il  reconnut  si 
bien  le  danger  qu'il  y  avait  à  la  laisser  subsister  qu'il  m'of- 
frit, parlant  à  moi-même,  de  réfuter  son  ouvrage.  Je  trou- 

(I)  Les  examinateurs  du  livre,  M.  Pirot  et  le  P.  de  Sainte-Marthe. 
•  (-2)  Cet  ordre  est  du  l!»juin  KHS. 

(3)  LeUre  de  Bossuet  au  P.  de  Saiute-Marthe,  éditée  dans  la  tliése  de  M.  Bernus  : 
Richard  Simon  et  son  Histoire  critique  du  Vieux  Testament. 

(i)  Richard  Simon  en  Tut  exclu  peu  avant  qu'on  ne  mil  au  pilon  les  exemplaires 
de  son  livre. 

(3)  Lettre  de  Bossuet  à  M.  Bertin,  du  i!»  mai  170-2. 


592  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

vai  la  chose  digne  d'un  honnête  homme;  j'acceptai  l'offre 
avec  joie,  autant  que  la  chose  pouvait  dépendre  de  moi; 
et  sans  m'expliquer  davantage  ,  l'auteur  sait  bien  qu'il  ne 
tint  pas  à  mes  soins  que  la  chose  ne  fût  exécutée  (1)  ».  Il  y 
eut  à  ce  sujet  plusieurs  confôronces,  auxquelles  l'abbé  Re- 
naudot  assista  en  tiers,  et  où  il  vit  Bossuet  proposer  à  Ri- 
chard Simon  de  traduire  plusieurs  traités  des  Grecs  schis- 
matiques  contre  les  Latins.  Ce  n'était  pas  du  tout  le  compte 
de  cet  esprit  original  et  hardi ,  qui  avait  pris  pour  devise  : 

Alterius  ne  sit  qui  suus  esse  potesl. 

Il  donna  en  1G85  une  édition  nouvelle,  entièrement 
conforme  à  celle  de  1678,  de  V Histoire  critique  du  Vietix 
Testamrnt  :  elle  parut  chez  Reinier  Leers,  libraire  à  Rot- 
terdam. Le  même  éditeur  publiait,  en  1689,  V Histoire  cri- 
tique du  texte  du  Nouveau  Testament  ;  en  1690,  V  Histoire 
critique  des  versions  du  Nouveau  Testament ,  et  en  1693, 
V Histoire  critique  des  principaux  commentateurs  du  Nou- 
veau Testament. 

Au  fur  et  à  mesure  que  paraissaient  ces  ouvrages,  «  ces 
artifices  »  ,  Bossuet  s'alarmait  des  hardiesses  de  «  celui  qui 
voulait  s'imaginer  qu'il  était  le  premier  critique  »  de  son 
temps  et  de  ses  audaces  contre  les  Pères  et  les  Scolastiques, 
qu'il  maltraitait.  «  Pour  moi,  il  ne  m'a  jamais  trompé,  écri- 
vait M.  de  Meaux  à  Nicole,  le  7  décembre  1691  ;  et  je  n'ai 
jamais  ouvert  aucun  de  ses  livres,  où  je  n'aie  bientôt  res- 
senti un  sourd  dessein  de  saper  les  fondements  de  la  religion  ; 
je  dis  sourd  par  rapport  à  ceux  qui  ne  sont  pas  exercés  en 
ces  matières  (2)  ;  mais  néanmoins  assez  manifeste  à  ceux  qui 
ont  pris  soin  de  les  pénétrer.  »  Le  22  octobre  1693,  nouvelle 


(1)  L'al)bé  Renaudot,  clans  la  PerjxHuilv  de  la  foi  calholiijue.  nous  dit,  lui  aussi, 
(|ue  Richard  Simon  «  avait  rrfornu'  enlièronieut  son  Ilisloirc  crilii/uc  du  Vieux 
Testante»! .  sur  les  criliques  de  feu  M.  (U;  Meaux:  et  qu'il  avait  fait  un  change- 
ment entier  de  son  ouvrase.  Il  était  prêt  à  se  retracter  puhliriueinent;  si  cela  ne 
fut  pas  exécuté,  cela  ne  tint  i)as  à  lui.  .  —  Cela  tint  au  docteur  l'irot.  trop  facile 
d"al)ord,  et  puis  intraitable. 

(•2)  •  Il  est  vrai  que  bien  des  gens,  dit  encore  Rossuet,  qui  ne  voient  pas  les 
conséquences,  avalent  sans  y  prendre  garde,  le  poison  qui  est  caché  dans  les 
principes.  » 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  POLEMISTE.  593 

lettre  plus  alarmée  à  un  destinataire  inconnu  :  «  Il  est  ma- 
laisé de  vous  définir  le  livre  de  M.  Simon  :  vous  en  con- 
naissez le  génie.  On  apprend  dans  cet  ouvrage  à  estimer 
Grotius  et  les  unitaires  plus  que  les  Pf'rrs,  et  il  n'a  cherché 
dans  ceux-ci  que  des  fautes  et  des  ignorances.  11  donne 
pourtant  contre  eux  plus  de  décisions  que  de  bons  raison- 
nements. C'est  le  plus  mince  théologien  qui  soit  au  monde, 
qui  cependant  a  entrepris  de  détruire  le  plus  célèbre  et  le 
plus  grand  qui  soit  dans  l'Église  (1).  Il  ne  fait  que  donner 
des  vues  pour  trouver  qu'il  n'y  a  rien  de  certain  et  mener 
tout  autant  qu'il  peut  à  l'indifférence.  L'érudition  est  mé- 
diocre et  la  malignité  dans  le  suprême  degré.  »  «  Je  suis 
très  mécontent  de  M.  Dupin  sur  les  extraits  de  saint  Jean 
Chrysostoiup  et  de  Cassien  » ,  écrivait  Bossuet  à  la  même 
époque  ('2)  à  M.  de  la  Broue,  évêque  de  Mirepoix. 

Il  fallait  donc  qu'il  se  fit  le  champion  de  ces  Pères,  qu'une 
critique  audacieuse  et  téméraire  calomniait  impunément. 
C'est  alors  qu'il  entreprit  la  Défense  de  la  Tradition  et  des 
saints  Pères,  que  la  querelle  du  Quiétisme  l'empêcha  de 
finir  et  de  publier.  11  écrivit  aussi  des  Remarques  sur  V His- 
toire des  commentateurs;  on  en  trouve  une  copie  dans  les 
manuscrits  du  grand  séminaire  de  Meaux,  carton  E,  et  vers 
la  fin  on  y  lit  ces  mots  :  «  En  voilà  assez  pour  faire  voir 
que  l'écrit  de  cet  auteur  tend  au  mépris  des  Pères  et  à  affai- 
blir la  Tradition  aussi  bien  que  l'Écriture.  »  Au  reste,  «  c'est 
un  homme  sans  théologie,  sans  principes,  qui  détruit  et 
n'établit  rien  et  qui  met  toute  la  science  dans  des  minu- 
ties de  critique  ». 

En  1695,  Richard  Simon  publia  en  plein  Paris,  «  avec 
privilège  du  Roy  et  approbation  »  ,  ses  Nouvelles  observa- 
tions sur  le  texte  et  les  versions  du  Nouveau  Testament.  En 
môme  temps,  il  traitait  avec  Ganneau,  l'imprimeur  de  Tré- 
voux, pour  l'édition  de  la  version  du  Nouveau  Testament, 
dite  Version  de  Trévoux.  M.  de  Malezieu,  chancelier  de  la 
principauté  de  Bombes  où  était  Trévoux ,  crut  qu'il  ne  pou- 

(I)  Saint  Augustin. 

(-2)  Le  '2'J  novembre  It>!l3. 

ROSSIKT    ET    LES    SAINTS    PÈRES.  38 


594  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

vait  mieux  faire  que  «  de  prendre  des  examinateurs  de  la 
main  de  Bossuet  et  de  celle  de  M.  le  cardinal  de  Noailles. 
Et  quels  examinateurs  encore  !  des  professeurs  de  théologie 
(M.  Bourret  et  M.  Pocquelin) ,  que  Bossuet  avait  indiqués 
par  distinction,  qui  après  avoir  lu  cet  ouvrage  pendant  une 
année  entière  dirent  et  firent  dire  cent  fois  à  M.  de  iMale- 
zieu  qu'on  l'imprimât,  que  c'était  un  livre  excellent,  et  qu'ils 
le  soutiendraient  comme  leur  propre  ouvrage  (1).  »  Gan- 
neau ,  le  directeur  de  l'imprimerie  de  Trévoux,  n'hésita 
donc  pas  à  mettre  en  tète  de  la  Version  une  épitre  dédica- 
toire  au  duc  du  Maine,  seigneur  de  Bombes,  où  Richard 
Simon  était  donné  «  comme  le  plus  capable  de  travailler 
sur  le  Nouveau  Testament  »,  comme  «  un  homme  inspiré 
par  les  évangélistes  eux-mêmes  dans  la  traduction  de  leurs 
ouvrages  (2)  ». 

Sur  ces  entrefaites ,  «  un  savant  prélat  (3)  fit  connaître  » 
à  Bossuet  «  les  inconvénients  »  de  la  Version  de  Trévoux  (V), 
et  le  cardinal  de  Noailles  le  pria  de  voir  le  livre  et  de  lui 
en  dire  son  avis.  Après  deux  mois  d'un  examen  conscien- 
cieux et  pour  lequel  il  consulta  M.  Pirot  (5),  Bossuet  mit 
par  écrit  quatre-Aingt  douze  Remarques  sur  la  Version  de 
Trévoux  et  en  envoya  le  même  jour,  19  mai  1702,  une 
copie  au  cardinal  de  Noailles,  une  autre  à  M.  de  Malezieu, 
et  une  troisième  à  l'abbé  Berlin.  Des  erreurs,  des  vérités 
affaiblies,  «  ou  dans  leur  substance ,  ou  dans  leurs  preuves, 
ou  dans  leurs  expressions  »  ,  des  commentaires  oiseux , 
des  commentaires  mauvais,  mis  à  la  place  du  texte,  et 
les  pensées  des  hommes  au  lieu  de  celles  de  Dieu;  «  un 
mépris  étonnant  des  locutions  consacrées  par  l'usage  de 
l'Église,  et  enfin  de  tels  obscurcissements  qu'on  ne  peut  les 
dissimuler  sans  prévarication  (6)  »,  voilà  ce  que  Févêque  de 
Mcaux  trouvait  dans  le  livre  de  Richard  Simon  :  «  Tout  ce 

(1)  LrUrr  de  M.  de  Malezieu  ;i  Uossiiet,  2!»  mai  |-0->. 

(2)  LaUrc  de  Kossuel  à  M.  de  Malezieu.  le  l!i  mai  1702. 

(3)  liossuet  ne  le  désigne  pas  autrement. 

(4)  C'est  le  cardinal  de  Noailles  qui  lui  apprit  qu'elle  se  publiait  à  Trévoux,  et 
non  pas  à  t»aris. 

(:;)  Cela  ressort  d'une  Lettre  de  M.  Pirot  à  Bossuet,  2!»  avril  1702. 
((i)  Lettres  au  cardinal  de  Noailles  et  à  M.  de  Malezieu,  19  mai  n02. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  POLEMISTE.  595 

qui  le  faisait  paraître  si  savant  (n'était)  que  nouveauté , 
hardiesse,  ignorance  de  la  Tradition  et  des  Phws  (l).  »  Il 
fallait  une  réparation.  L'amour  et  l'intérêt  de  la  vérité  ne 
permettaient  pas  qu'on  laissât  s'autoriser  «  des  ouvrages 
semblables  ».  «  On  pourrait  remédier  au  mal  à  force  de  car- 
tons »,  dont  «  le  public  aurait  connaissance  ».  Puis,  comme 
il  fallait  «  avoir  pour  l'auteur  et  pour  les  censeurs  toute  la 
complaisance  possible,  mais  sans  que  rien  puisse  entrer  en 
comparaison  de  la  vérité  (2)  »,  l'esprit  de  douceur  et  de 
charité  inspirait  à  Bossuet  une  autre  pensée  :  «  il  faudrait , 
dit-il,  que  l'auteur  s'exécutât  lui-même,  ce  qui  lui  ferait 
dans  l'Église  beaucoup  d'honneur  et  rendrait  son  ouvrage 
plus  recommandable ,  quand  on  verrait  par  quel  examen 
il  aurait  passé...  Il  vaut  mieux  qu'on  se  corrige  soi-même 
volontairement  (3)...  Quoi  qu'il  en  soit,  ajoutait  Bossuet, 
on  ne  peut  se  taire  en  cette  occasion ,  sans  laisser  dans  l'op- 
pression la  saine  doctrine.  Vous  savez  bien  que,  Dieu 
merci ,  je  n'ai  par  moi-même  aucune  envie  d'écrire.  Mes 
écrits  n'ont  d'autre  but  que  la  manifestation  de  la  vérité  : 
je  crois  la  devoir  au  monde  plus  que  jamais,  à  l'âge  où  je 
suis  et  du  caractère  dont  je  me  retrouve  revêtu.  Du  reste, 
les  voies  les  plus  douces  et  les  moins  éclatantes  seront  tou- 
jours les  miennes,  pourvu  qu'elles  ne  perdent  rien  de  leur 
efficace.  » 

Malheureusement,  ni  M.  de  Malezieu,  qui  ne  voulait  cor- 
riger qu'une  seconde  édition,  s'il  s'en  faisait  une,  ni  M.  Ber- 
tin,  qui  était  avec  le  traducteur  bien  plus  qu'avec  l'évêque, 
ni  M.  Bourret,  qui  eut  avec  Bossuet  quelques  conférences , 
dont  parle  le  Journal  de  Le  Dieu,  ni  Bichard  Simon,  qui 
avait  beaucoup  compté  sur  les  ménagements  dont  M.  de 
Meaux  promettait  d'user,  n'étaient  d'humeur  à  faire  aboutir 
des  négociations  qui  durèrent  trois  mois  ,  de  mai  à  septem- 
bre 1702  (4).  Comme  l'ouvrage,  qui  s'était  d'abord  vendu 


(I)  Lettre  à  M.  l'abbé  Berlin,  I!)  mai  170-2. 

(•î)  Lettre  à  M.  Berlin. 

(;$)  Lettre  à  M.  de  Jlalezieu. 

(i)  Journal  de  Le  Dieu,  170-2. 


596  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

SOUS  le  manteau,  se  vendait  «  partout  clans  la  rue  Saint- 
Jacques  »  vers  la  fin  de  juillet  1702 ,  le  cardinal  de  Noailles 
interdit  la  Vfj'sion  de  Trévoux  pour  le  diocèse  de  Paris, 
24  septembre  1702.  Son  ordonnance  avait  été  inspirée  et 
revue  par  Bossuet ,  qui  ne  pouvait  tolérer  chez  l'auteur  de 
la  Ci'itique  du  Vieux  Testament  et  des  autres  Critiques 
«  une  témérité  »  qui  n'allait  à  rien  moins  qu'à  «  détruire 
l'authenticité  des  livres  canoniques,  attaquer  directement 
l'inspiration,  retrancher  ou  rendre  douteux  plusieurs  en- 
droits de  rÉcriture ,  affaiblir  toute  la  doctrine  des  Pères  et 
par  un  dessein  particulier  celle  de  saint  Augustin  sur  la 
grâce,  donner  gain  de  cause  aux  Pélagiens,  sous  prétexte 
de  louer  les  Pères  grecs,  et  adjuger  la  préséance  aux  Soci- 
niens  parmi  les  commentateurs  (^1),  »  «  Il  y  va  de  tout  pour 
la  religion,  écrivait  Bossuet  à  M.  Pirot,  le  28  mai  1702,  de 
faire  connaître  cet  auteur,  qui  s'en  moque  visiblement ,  et 
d'abattre  avec  lui  luie  cabale  de  faux  critiques  dont  il  est 
le  chef  et  qui  ne  travaillent  qu'à  ôter  toute  autorité  aux 
saints  Pères  et  aux  décisions  de  l'Église.  » 

Comme  il  s'agissait  «  de  l'affaire  la  plus  importante  qui 
fût  alors  dans  l'Église  »,  Bossuet  pubha  contre  la  Version 
de  Trévoux  une  Ordonnance  et  une  Instruction,  datées 
du  29  septembre ,  mais  qui  ne  furent  lues  que  le  3  décembre 
à  Meaux  et  ne  parurent  en  volume  que  dans  les  derniers 
jours  de  1702,  parce  que  le  chancelier  de  Pontchartrain  s'a- 
visa de  vouloir  les  soumettre  à  ia  formalité  de  la  censure,  ce 
qui  ne  s'était  jamais  fait  :  «  Depuis  trente  ou  quarante  ans, 
écrivait  Bossuet  (2),  que  je  défends  la  cause  de  l'Église  contre 
toute  sorte  d'erreurs,  cinq  chanceliers  consécutifs,  jusqu'à 
celui  qui  remplit  aujourd'hui  cette  grande  place,  ne  m'ont 
jamais  soumis  à  aucun  examen  pour  obtenir  leur  privilège. 
Ils  ont  voulu  honorer  par  là  la  grâce  que  Sa  Majesté  m'avait 
faite  de  me  confier  l'instruction  de  M^'"  le  Dauphin,  et,  si 
je  l'ose  dire,  le  bonheur  ({ue  ma  doctrine  a  toujours  eu 
d'être  approuvée  par  tout  le  clergé  de  France  et  même  par 

(1)  Letlre  à  raltl)6  Uertiii,  il  mai  l"0-2. 

(•X)  Mémoire  au  chanceUcr  de  Ponicharirain. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  POLEMISTE.  597 

les  Papes...  Il  me  sera  bien  douloureux  (1)  d'être  le  premier 
qu'on  assujettisse  à  un  traitement  si  rigoureux.  Mais  le  plus 
grand  mal  est  que  ce  ne  sera  qu'un  passage  pour  mettre  les 
autres  sous  le  joug...  J'ai  le  cœur  percé  de  cette  crainte... 
Pour  moi,  j'y  mettrais  la  tête.  Je  ne  relâcherai  rien  de  ce 
côté-là,  ni  je  ne  déshonorerai  le  ministère  dans  une  occasion 
où  la  gloire  de  mon  métropolitain,  autant  que  l'intérêt  de 
l'épiscopat,  se  trouve  mêlée.  »  II  fallut  qu'après  une  confé- 
rence, qui  ne  dura  pas  moins  de  quatre  heures  chez  le  chan- 
celier, entre  ce  magistrat,  le  cardinal  de  Noailles  et  Bossuet, 
Louis  XIV  ordonnât  d'accorder  aux  cvêques  toute  liberté. 

Dans  VAvis  au  Lecteur,  qui  est  en  tête  de  la  première  Ins- 
truction sur  la  Version  de  Trévoux,  il  y  a  une  déclaration  es- 
sentielle ,  qui  est  comme  tout  l'esprit  de  Bossuet.  «  Personne 
n'ignore  les  règles  i\w.e  sdimi  Augustin  a  données  pour  pro- 
fiter de  l'hébreu  et  des  autres  langues  originales,  sans 
même  qu'il  soit  besoin  de  les  savoir  si  exactement  :  ce  Père 
s'est  si  bien  servi  de  ces  règles ,  que ,  sans  hébreu  et  avec 
assez  de  grec,  il  n'a  pas  laissé  de  devenir  un  des  plus  grands 
théologiens  de  l'Occident  et  de  combattre  les  hérésies  par 
les  démonstrations  les  plus  convaincantes.  J'en  dis  autant 
de  saint  Athanase  dans  l'Église  orientale,  et  il  serait  aisé 
de  produire  plusieurs  autres  exemples  aussi  mémorables. 
La  tradition  âe  VEglise  et  des  saints  Pères  tient  lieu  de  tout 
à  ceux  qui  la  savent,  pour  établir  parfaitement  le  fond  de  la 
religion.  » 

Les  Remarques  sur  Fourrage  en  général  nous  «  décou- 
vrent les  auteurs  (de  Richard  Simon)  et  son  penchant  vers 
les  interprêtes  les  plus  dangereux  »,  sociniens  et  rationa- 
listes, Volzogue,  Grotius,  Crellius,  Gaigney,  qui  reçoivent 
des  louanges  magnifiques,  tandis  que  «  les  théologiens  or- 
thodoxes et  même  les  Pères  n'ont  que  des  sens  théologiques, 
opposés  au  sens  littéral  et  pleins  de  raffinement  et  de  sub- 
tilité ».  Or,  «  il  n'y  a  pas  de  plus  pernicieuse  conséquence 
que  de  prescrire  par  les  sentiments  des  particuliers,  même 

(1)  Lettre  au  cardinal  de  Noailles,  "i  octobre  l"0-2  et  Lettres  à  divers. 


598  BOSSUEÏ  ET  LKS  SAINTS  PERES. 

catholiques,  contre  la  tradition  universelle  et  contre  la  règle 
du  concile,  qui  donne  pour  loi  aux  interprètes  le  consen- 
tement des  saints  Ph-rs...  Quelques  anciens,  qui  auront 
parlé  en  passant,  ou  qui  seront  peu  connus,.,  ne  sont  pas 
ce  qu'on  appelle  la  tradition  ni  le  consentement  des  Pères... 
Si  le  traducteur  s'imagine  contrebalancer  par  un  ou  deux 
anciens  (1)  les  Athanase,  les  Cliri/sostome ,  les  Hi/aire ,  les 
Ambi'oise,  les  Augustin,  les  trois  Grégoire  et  les  autres 
qui  sont  pour  nous ,  il  ne  sera  pas  écouté ,  et  il  montrera 
seulement  qu'il  ignore  les  maximes  de  l'Église...  Nous  croi- 
rons toujours  être  en  droit  de  lui  demander  de  plus  sûrs 
garants  (qu'un  ou  deux  auteurs  catholiques  modernes)  et 
d'en  appeler  à  l'antiquité ,  à  la  tradition ,  au  consentement 
unanime  des  Pères,  en  uu  mot  à  la  règle  du  concile  de 
Trente.  » 

Dans  les  Remarques  particulières  sur  la  Préface  de  la 
Nouvelle  Version,  Bossuet  oppose  à  la  doctrine  des  Soci- 
niens  et  de  Richard  Simon,  d'après  laquelle  «  c'est  en  qua- 
lité d'homme  que  Jésus-Christ  est  appelé  Fils  de  Dieu  » , 
toute  la  tradition,  tous  les  Pères  d'un  commun  accord,  saint 
Athanase,  saint  Alexandre,  les  deux  Cyrille,  celui  de  Jéru- 
salem et  celui  d'Alexandrie,  saint  Augustin  «  dans  un  ser- 
mon admirable  »,  le  Pape  saint  Grégoire ,  Bède ,  le  cardinal 
Tolet ,  le  cardinal  Bellarmin ,  «  la  théologie  ides  anciens  et 
des  nouveaux  interprètes  ».  —  <(  C'est  trop  affaiblir  la  doc- 
trine constante  de  l'Église  que  de  réduire  à  quelques  in- 
terprètes anciens  (2)  ce  qui  est  commun  à  tous  »  ,  à  propos 
de  l'adoration  des  Mages  qui  s'adressait  au  Fils  de  Dieu, 
d'après  saint  Chrgsostome,  saint  Augustin,  saint  Basile, 
saint  Jérôme,  saint  Vincent  de  Lérins  et  saint  Léon.  — 
Richard  Simon  aurait  dû  traduire  simplement  ce  passage 
de  saint  Paul  :  Nusquam  enim  angelos  apprehendit  :  Il 
n'a  nullement  pris  les  anges  (3)  ;  en  quoi  il   aurait  suivi 


ri)  Théodore  de  Mopsuesle,  Uioclorc  île  Tarse,  des  disciples  cacliés  d'Origène, 
qui  on  ont  pris  le  mauvais. 
(•2)  II"  l'assagc.  Remarque. 
(li)  Kicliard  Simon  disait  :  «  Ce  n'est  point  les  anges  ipi'il  mol  en  liberté.  » 


LES  SAINTS  PERES  ET  HOSSUET  POLEMISTE.  599 

non  seulement  Xa^ plupart  des  Pères,  comme  il  en  demeure 
d'accord,  mais  encore  en  particulier  tous  les  Pères  grecs, 
les  Afhanase,  les  Chrijsostome ,  les  Cijrille,  qui  ont  dû  en- 
tendre leur  langue.  Ces  paroles  :  Priusquam  Abraham 
p,eret ,  ego  sum ,  doivent  se  traduire  ainsi  :  Je  suis  avant 
qu'Abraham  eût  été  fait,  et  non  «  fût  né  »  ;  saint  Augustin 
et  tous  les  Pères  grecs  en  font  une  obligation  d).  —  Ri- 
chard Simon  oublie  que  «  la  véritable  leçon  (des  Écritures) 
se  trouve  fixée  par  des  faits  constants,  tels  que  sont  les 
écrits  des  Pères  et  leurs  explications,  qui  précèdent  de 
beaucoup  de  siècles  tous  nos  manuscrits...  Saint  Athanase 
et  saint  Basile  et  saint  Cyrille  ont  lu  comme  nous  aussi 
bien  que  les  autres  Pères,  il  y  a  douze  ou  treize  cents  ans, 
tous  les  manuscrits  qu'on  allègue  pour  (une)  nouvelle 
leçon.  Elle  n'est  donc  digne  que  de  mépris,  et  on  ne  peut 
la  produire  et  encore  moins  l'approuver,  sans  se  rendre 
coupable  devant  l'Église  d'avoir  voulu,  à  l'exemple  des 
Sociniens,  affaiblir  les  preuves  les  plus  convaincantes  pour 
la  divinité  de  Jésus-Christ  (2|.  »  —  Pourquoi  retrancher 
d'un  passage  de  saint  Chrgsostome  les  plus  belles  paroles , 
«  si  ce  n'est  que  ce  passage  a  été  fourni  par  Grotius  et 
qu'on  n'a  voulu  y  voir  que  ce  qui  est  rapporté  par  cet  au- 
teur (3)?  »  Pourquoi  faire  de  saint  Jean  dans  Y  Apocalypse 
«  une  espèce  de  prophète  » ,  malgré  les  expressions .  non 
seulement  des  saints  Pères,  mais  encore  du  Saint-Esprit 
dans  ce  divin  livre  (4)? 

On  lit  dans  les  Remarques  sur  les  explications  tirées  de 
Grotius  :  «  Ainsi  les  saints  Pères,  et  notamment  saint  Hi- 
lairc,  saint  Jérôme,  saint  Bernard,  parmi  les  Latins,  et 
saint  Grégoire  de  Nazianze  avec  d'autres  parmi  les  Grecs, 
tous  les  spirituels  latins  et  grecs ,  anciens  et  modernes ,  de- 
puis Cassien,  redoutent  en  vain  la  sévérité  des  jugements 
de  Dieu,  qui  met  à  un  si  terrible  examen  jusqu'aux  paroles 
qui  ne  sont  mauvaises  que  parce  qu'elles  sont  inutiles  et 
hors  de  propos.  Notre  auteur  les  rassure  et  a  pour  garants 

(1)  v«  Passage.  —  (-2)  l\'  Passage.  —  (3)  xn«  Passage.  —  (4}  XII"  Passage.  Re- 
marque. 


600  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

Volzogue  et  Grotius,  qui  veulent  que  ces  paroles  oiseuses, 
pf;;j.a  àpy^v ,  soient  des  mensonges  ou  des  calomnies  », 
malgré  ce  qu'en  ont  dit  saint  Chrysostome ,  Tliéophi/lacte , 
Euthymius  et  saint  Jérôme. 

Bossuet  désirait  en  terminant  que  Richard  Simon  fût 
dans  l'Église  gallicane  «  un  second  Leporius  (le  premier 
avait  été  convaincu  par  saint  Augustin  et  s'était  noblement 
rétracté) ,  et  qu'il  réjouit  et  édific\t  tout  l'univers  par  la  ré- 
tractation de  ses  erreurs  » . 

Richard  Simon  répliqua  par  une  Remontrance  à  M^^  le 
cardinal  de  Noailles,  dont  M.  le  chancelier  empêcha  l'im- 
pression. Bossuet  y  répondit  par  une  Addition  sur  la  Re- 
montrance de  M.  Simon  à  M^'  de  Noailles.  — Il  y  rappelle, 
à  propos  de  l'adoration  des  Mages,  qu'il  a  produit  pour 
la  même  doctrine  saint  Chrysostome ,  saint  Grégoire  de 
Nazianze,  saint  Jérôme ,  saint  Léon,  'Adimi  Augustin,  et  avec 
eux  tous  les  Pères,  selon  la  règle  de  saint  Augustin  et  de 
Vincent  de  Lérins;  de  sorle  qu'on  voit  que  tous  les  Pères 
sont  d'un  côté  et  le  seul  Grotius  de  l'autre  avec  les  sociniens. 
((  Voilà  les  théologiens  que  iM.  Simon  a  consultés  et  qu'il 
n'a  pas  craint  d'opposer  à  la  tradition  des  saints  Pères  ». 
Le  concile  de  Trente  défend  d'oser  interpréter  l'Écriture 
contre  le  consentement  unanime  des  Pères  (1).  —  Saint 
Irénée,  aussi  bien  que  Tertullien  et  les  autres  Pères,  saint 
Hilaire,  saint  Chrysostome ,  saint  Clément,  démontre,  par 
cette  dénomination  de  Fils  de  l'homme,  que  Jésus-Christ 
n'est  pas  un  homme  putatif  et  en  apparence,  mais  qu'il 
l'est  véritablement.  Pourquoi  M.  Simon  préfère-t-il  aux 
saints  Pères  et  «  à  toute  la  tradition  »  Grotius  et  les  soci- 
niens (2)?  Pourquoi  encore,  ne  pas  expliquer  le  texte  : 
«  J'ai  aimé  Jacob,  et  j'ai  haï  Esaii  (3)  »,  comme  l'ont  ex- 
pliqué tous  les  catholiques  [k)  avec  saint  Augustin  et  les 
autres  Pères  «  dans  cinq  cents  passages  »  qu'il  serait  fa- 
cile de  citer?  «  Qu'il  soit  permis,  si  l'on  veut,  de  disputer 
contre  leur  sentiment;  mais  que,  malgré  la  conformité  du 

(Il  I'"  Remarque.  —  (2)  W  Remarque.  —  (3)  B.(im.  ix.  13. 
(4)  Dieu  liait  en  Ésaù  le  péché  originel. 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  POLEMISTE.  601 

grec  et  du  Latin  de  la  Vulgate,  sans  que  jamais  ni  les 
Grecs  ni  les  latins  aient  lu  autrement,  on  ferme  toute 
entrée  à  saint  Augustin  et  à  ce  nombre  infini  de  disciples 
qu'il  a  toujours  eus  dans  TÉgiise  :  c'est  soumettre  le  texte 
sacré  à  sa  fantaisie;...  c'est  une  manifeste  corruption  de 
l'Écriture  (1)  ».  Bossuet  relève  encore  «  ces  traits  malins 
où  l'on  reconnaît  le  caractère  de  M.  Simon,  qui  d'un  seul 
coup  attaque  saint  Augustin,  saint  Thomas;  et  Estius  même, 
comme  opposés  à  saint  Paul,  et  attaque  en  même  temps 
toute  la  théologie  (2)  ».  —  Dans  la  Sixième  et  Dernière 
Remarque,  Richard  Simon  est  accusé  «  de  mettre  la  divi- 
sion entre  les  frères ,  les  vrais  enfants  de  l'Église  se  sou- 
mettant à  ses  ordonnances,  et  les  autres  s'opiniâtrant  à 
vouloir  le  testament  de  l'étranger  :  c'est  une  erreur  mani- 
feste; c'est  le  cas  précis  où  saint  Cyprien  dirait  encore  une 
fois  :  «  Qu'il  y  a  dans  chaque  Église  un  seul  évêque ,  un 
évêque  unique;.,  que  tous  chrétiens  sont  obligés  par  le 
commandement  de  Dieu  de  lui  rendre  obéissance,  et  que 
violer  ces  maximes,  c'est  vouloir  renverser  par  terre  la  force 
et  l'autorité  de  l'épiscopat,  et  l'ordre  sublime  et  céleste  du 
gouvernement  ecclésiastique.  » 

La  Seconde  Instruction  sur  les  passages  partictdiers  clf  la 
Version  du  Nouveau  Testament ,  imprimé  à  Trévoux,  avec 
une  Dissertation  préliminaire  sur  la  doctrine  de  Grotius, 
ne  fut  publiée  qu'en  août  1703  (3). 

Dans  cette  Dissertation  préliminaire,  Bossuet  reproche  à 
Richard  Simon  d'avoir  osé  citer  les  Pères  en  faveur  de  l'o- 
pinion de  Grotius,  qui  fait  dépendre  la  force  des  prophéties 
du  consentement  des  rabbins,  sans  cependant  nommer  un 
seul  de  ces  Pères  ;  entre  un  nombre  infini ,  l'évéque  de 
Meaux  rapporte  quelques-uns  des  premiers  et  des  plus 
anciens  :  saint  Justin  dans  son  Apologie,  Tertullien,  «  un 
autre  fameux  défenseur  de  la  religion  chrétienne  »,  Origène, 
dans  son  livre   Contre  Celse ,  saint  L'énée  dans  son  livre 

(1)  IV  Remarque  ;  première  Question. 

(2)  Ibidem,  deuxième  Question. 

(3)  Journal  de  Le  Dieu,  0  août  1703. 


G02  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

Contre  les  Hérés/rs,  et  s'il  voulait  joindre  seulement  aux 
Pères  des  trois  premiers  siècles  ceux  du  quatrième  et  du 
cinquième,  il  en  composerait  un  volume;  on  serait  étonné 
de  voir  en  faveur  de  la  preuve  des  prophéties  les  démons- 
trations de  saint  Athanase ,  de  saint  Chrijsostome ,  de  saint 
Hilairp,  de  saint  Ambroise,  de  saint  Augustin  et  des  autres 
d'une  semblable  autorité.  Grotius  est  surtout  répréhensible 
pour  avoir  favorisé  le  semi-pélagianisme  :  «  C'est  ce  qui  le 
rend  ennemi  si  déclaré  de  saint  Augustin,  duquel  il  appelle 
à  l'Église  d'Orient  et  aux  Pères  qui  ont  précédé  ce  saint  doc- 
teur, comme  s'il  y  avait  entre  eux  et  saint  Augustin ,  que 
toute  l'Église  a  suivi,  une  guerre  irréconciliable.  »  Il  n'y  a 
plus  de  tradition,  si  saint  Augustin  a  changé  celle  qui 
était  venue  des  premiers  jusqu'à  lui,  si  ce  Père,  que  la  plu- 
part des  interprètes  latins  ont  suivi,  qui  a  été  «  le  docteur 
des  Églises  d'Occident,  la  lumière  de  tout  l'Occident  »,  n'é- 
tait après  tout  qu'un  novateur.  Le  Pape  saint  Hoi^misdas  a 
parlé  de  lui  avec  autant  de  vénération  que  de  prudence, 
lorsqu'il  a  dit  ces  paroles  :  «  On  peut  savoir  ce  qu'enseigne 
l'Église  romaine,  c'est-à-dire  l'Église  catholique,  sur  le 
libre  arbitre  et  la  grâce  de  Dieu ,  dans  les  divers  ouvrages 
de  saint  Augustin,  principalement  dans  ceux  qu'il  a  adres- 
sés à  Prosper  et  à  Hilaire.  »  Ces  livres,  où  les  ennemis  de 
saint  Augustin  trouvent  le  plus  à  reprendre,  sont  ceux  qui 
sont  déclarés  les  plus  corrects  par  ce  grand  Pape.  Les 
disciples  de  tidàni  Augustin  étaient  les  maîtres  du  monde,  et 
c'est  pour  s'être  attaché  à  saint  Augustin  et  à  saint  Prosper 
que  saint  Fulgence  a  été  si  célèbre  parmi  les  prédicateurs 
de  la  grâce  que ,  quand  il  revint  de  l'exil ,  toute  l'Afrique 
crut  voir  en  lui  un  autre  Augustin,  et  chaque  Église  le  re- 
cevait comme  sou  propre  pasteur.  Dans  son  livre  De  la 
rrrité  de  lu  prédestination ,  il  déclarait  que  ce  qui  l'atta- 
chait à  saint  Augustin,  c'est  que  lui-même  avait  suivi  les 
doctrines  des  Pères  ses  prédécesseurs.  «  Ainsi  on  ne  con- 
naissait alors  ni  ces  prétendues  innovations  de  saint  Augus- 
tin, ni  ces  guerres  imaginaires  entre  les  Grecs  et  les  La- 
tins, f[ue  Grotius  et  ses  sectateurs  tâchent  d'introduire  à  la 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  POLEMISTE.  603 

honte  du  christianisme,  »  Grotius  est  donc  convaincu  d'a- 
voir affaibli  ou  même  détruit  les  preuves  de  la  vérité  et 
jusqu'à  celles  de  la  divinité  du  Verbe  ,  l'autorité  des  pro- 
phéties, et,  en  la  personne  des  Ph-es,  celle  des  défenseurs 
de  la  vérité. 

La  Préface  de  la  Seconde  Instruction  contient  la  règle 
que  Bossuet  a  suivie  dans  ses  Remarques  et  le  sujet  impor- 
tant des  Instructions  suivantes  ;  et  comme  Richard  Simon 
n'a  song-é  qu'à  mettre  aux  mains  les  saints  Pères ,  les  uns 
contre  les  autres,  principalement  sur  la  matière  de  la  grâce 
et  du  libre  arbitre,  l'évêque  de  Meau.v  se  fait  fort  ce  sur 
point  de  démontrer,  «  avec  le  secours  d'en  haut ,  plus  fa- 
cilement et  plus  brièvement  qu'on  ne  le  peut  croire,  le 
consentement  des  anciens  Pères  avec  leurs  successeurs  de 
l'Orient  et  de  l'Occident,  et  des  Grecs  avec  saint  Au- 
gustin et  ses  disciples  », 

Viennent  alors  les  Remarques  sur  le  premier  tome  de  la 
Version  de  Trévoux,  qui  contient  saint  Mathieu,  saint  Marc 
et  saint  Luc ,  et  sur  le  tome  deuxième ,  saint  Jean  :  Bossuet 
invoque  successivement  l'autorité  à'Origène  (1),  celle  de 
Grégoire  de  Nazianze  (2),  celles  de  s^mi  Augustin  (3),  de 
saint  Chrijsostome  (4)  et  de  saint  C grille  (5).  Dans  le  tome 
troisième  (saint  Paul),  c'est  saint  Augustin  (6),  saint  T^o- 
ynasil)^  saint  Chrgsostome  (8),  saint  Basile  (9),  saint  Gré- 
goire de  Nazianze  (10),  saint  Jérôme  (11),  Bède  (12),  saint 
Isidore  de  Damiette  (13),  Théodoret  (14),  dont  les  témoigna- 
ges viennent  accabler  Richard  SimoH.  Le  tome  quatrième 
(Derniers  livres  du  Nouveau  Testament)  donne  lieu  à  moins 
de  Remarques  et  par  conséquent  à  moins  de  citations  :  saint 

(1)  IV"  Passage. 
(^)  IV«  Passage. 

(3)  V  Passage,  WV  Passage ,  XXVI"  Passage. 

(i)  XXV  Passage,  XXVr-  Passage.  XXXIF  Passage,  XXXYI-XL«  Passages. 
(.j)  XXV«  Passage,  XXVl"  Passage,  XXXI<=  Passage,  XXXVI"  Passage ,  XXXVF-XL» 
Passages. 

(6)  XLHP  Passage,  LV  Passage. 

(7)  XLIII«  Passage. 

(8)  XLV  Passage,  XLVII'"  Passage.  XLVIII"  Passage.  LIV<=  Passage,  LV^  Passage. 

(9)  XLVH"  Passage.  —  (10)  XLVII"  Passage.  —  (li)  XLVII"  Passage.  —  (12)  XLVII" 
Passage.  —  (13)  XLVII"  Passage.  —  (14)  XLVII"  Passage. 


604  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

Augustin,  pourtant,  y  parait  comme  appuyant  en  cent  en- 
droits un  sens  qu'adopte  toute  la  théologie;  des  passages 
exprès  de  saint  Ftilgence  et  «  d'un  aussi  grand  docteur  que 
saint  Cijprirn  »  établissent  qu'il  a  lu  dans  saint  Jean  que 
le  Père,  le  Fils  et  le  Saint-Esprit  sont  expressément  les  trois 
qui  ne  sont  qu'un, 

Bossuet  est  donc  autorisé  à  dire  qu'il  a  pour  lui  «  la  tra- 
dition constante  des  conciles,  des  Papes,  des  Pères  (1)  »  ; 
que  «  sa  théologie  n'est  pas  la  sienne ,  mais  celle  des  anciens 
Pères  (2)  »,  tandis  que  «  la  critique  de  son  adversaire  est 
pleine  de  minuties,  et  d'ailleurs  hardie,  téméraire,  licen- 
cieuse, ignorante,  sans  théologie,  ennemie  des  principes 
de  cette  science;  et  au  lieu  de  concilier  les  saints  docteurs 
et  d'établir  l'uniformité  de  la  doctrine  chrétienne  par  toute 
la  terre,  elle  allume  une  secrète  querelle  entre  les  Grecs  et 
les  Latins,  dans  des  matières  capitales,  tend  partout  à  af- 
faiblir la  doctrine  et  les  sacrements  de  l'Église,  en  diminue 
et  en  obscurcit  les  preuves  contre  les  hérétiques,  et  leur 
fournit  des  solutions,  et  ouvre  une  large  porte  à  toutes  les 
nouveautés  (3)  ». 

«  Je  puis  vous  dire  avec  assurance,  écrivait  Bossuet  à 
M.  de  3Ialezieu,  le  19  mai  1702,  que  les  Critiques  (de  M.  Si- 
mon) sont  farcies  d'erreurs  palpables.  La  démonstration  en 
est  faite  dans  un  ouvrage  qui  aurait  paru  il  y  a  longtemps, 
si  les  erreurs  du  Quiétisme  n'avaient  détourné  mon  atten- 
tion. »  Cet  ouvrage,  que  Bossuet  avait  annoncé  à  Dagues- 
seau  dans  une  conversation  qu'il  avait  eue  avec  lui  à  (ier- 
migny,  le  27  septembre  1701,  c'était  la  Défense  de  la 
tradition  et  des  saints  Pères,  commencée  en  1693.  En  1702, 
l'évêque  de  Meaux  voulut  la  revoir  et  la  compléter.  En  1703, 
dans  la  Préface  de  la  Seconde  Instruction  sur  la  Version  de 
Trévoux ,  il  disait  que  «  la  chose  était  déjà  exécutée  et  que 
le  peu  de  travail  qui  lui  restait  à  y  donner  ne  surpasserait 
pas,  s'il  plaisait  à  Dieu,  la  diligence  d'un  homme  qui  aussi 

(1)  XVII"  Passade.  —  i2)  XXXII"  Pnssa(je. 

(.'<)  •  donclusion   de  ces  Remarques,  où   l'on  touche  un  amas  d'erreurs,  outre 
toutes  les  prccédentc-s.  » 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  POLEMISTE.  605 

bien  était  résolu,  avec  la  grâce  de  Dieu,  de  consacrer  ses 
efiforts  tels  quels  à  continuer,  jusqu'au  dernier  soupir,  dans 
la  défense  des  vérités  utiles  aux  besoins  présents  de  l'É- 
glise )». 

Il  parait,  en  effet,  qu'en  170i,  peu  de  temps  avant  sa 
mort,  le  grand  évèque  avait  repris  son  travail  et  qu'il  se 
proposait  de  lui  donner  plus  d'étendue.  On  voit  par  douze 
pages  écrites  de  sa  main  qu'il  voulait  porter  la  Défense^ns- 
qu'à  quinze  livres;  dans  ce  nouveau  plan,  le  treizième  li- 
vre «  sur  la  grâce  efficace  »,  que  Le  Roi  et  les  jansénistes  ne 
publièrent  pas  en  17i3  avec  les  douze  autres  et  qui  n'a  été 
imprimé  qu'en  notre  siècle,  devait  devenir  le  quinzième. 
c(  Je  vois  Bossuet,  écrivait  Le  Dieu  dans  son  Journal,  aussi  vif 
sur  cette  affaire  (celle  de  Richard  Simon)  qu'il  ait  jamais  été 
sur  aucune  autre.  Son  zèle  s'anime,  quand  on  le  fait  par- 
ler. Il  dit  que  cette  affaire  est  plus  importante  à  TÉglise  que 
toutes  celles  qu'il  a  entreprises  jusqu'à  présent,  plus  impor- 
tante même  que  celle  de  M.  de  Cambrai,  s'agissant  ici  d'un 
livre  fait  pour  le  peuple  ».  «  L'esprit  d'incrédulité  gagne 
tous  les  jours  dans  le  monde ,  écrivait  Bossuet  lui-même  à 
l'évêque  de  Fréjus,  depuis  cardinal  de  Fleury,  en  lui  en- 
voyant son  Instruction  pastorale  contre  Richard  Simon ,  et 
vous  pouvez,  Monseigneur,  m'en  avoir  souvent  entendu 
faire  la  réflexion.  Mais  c'est  encore  pis  à  présent,  puisqu'on 
se  sert  de  l'Évangile  même  pour  corrompre  la  religion.  Je 
ne  puis  que  remercier  Dieu  de  ce  qu'à  mon  âge  il  me  laisse 
encore  assez  de  force  pour  résister  à  ce  torrent.  » 

La  postérité  doit ,  elle  aussi ,  remercier  Bossuet  avec  effu- 
sion de  lui  avoir  légué,  comme  adieu  et  comme  testament 
suprême ,  la  Défense  de  la  tradition  et  des  saints  Pères  : 
c'est  l'un  des  plus  savants,  des  plus  beaux,  des  plus  re- 
marquables chefs-d'œuvre  de  l'illustre  évèque  de  Meaux, 
malheureusement  aussi  l'un  des  plus  inconnus. 

Le  but  principal  que  s'est  proposé  Bossuet  dans  la  Dé- 
frnse,  c'est  de  venger  saint  ^4  ugustin  des  attaques  que  Ri- 
chard Simon,  dans  ses  Critiques  et  surtout  dans  V Histoire 
critique  des  commentateurs  du  Nouveau  Testament ,  avait 


606  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

dirigées  contre  ce  docteur  :  il  le  représentait  comme  un 
novateur^  qui  avait  créé  sur  la  doctrine  de  la  grâce  et  de 
la  prédestination  un  système  entièrement  difTérent  de  celui 
que  tous  les  Pères  de  l'Eglise  grecque  avaient  professé 
jusqu'alors;  Févêque  dllippone  avait  entraîné  par  ses 
innovations  toute  FÉglise  d'Occident  dans  des  opinions 
dures  et  monstrueuses,  dont  Luther  et  Calvin  s'étaient  en- 
suite prévalus  pour  justifier  tous  leurs  excès.  Cette  accu- 
sation injurieuse  était  faite  pour  indigner  Bossuet  :  c'était 
le  toucher  à  la  prunelle  de  l'œil  que  toucher  à  la  gloire 
de  celui  qu'il  appelle  sans  cesse  «  le  grand,  l'admirable, 
l'incomparable  saint  Augustin,  le  docteur  des  docteurs,  la 
lumière  de  l'Occident,  le  plus  grand  théologien  de  l'É- 
glise ».  On  comprend  donc  qu'il  attaque  résolument  son 
adversaire  dès  la  première  ligne  de  la  Préface  de  la  Dé- 
fense de  la  Tradition  et  des  saints  Pères  :  «  Il  ne  faut  pas 
abandonner  plus  longtemps  aux  nouveaux  critiques  la  doc- 
trine des  Pères  et  la  tradition  de  l'Eglise  ;...  lorsque  des  ca- 
tholiques et  des  prêtres  lèvent  clans  l'Église  même  l'éten- 
dard de  la  rébellion  contre  les  Pères,...  si  ceux  qui  sont  en 
sentinelle  snr  la  maison  d'Israël  ne  sonnent  point  de  la 
trompette.  Dieu  demandera  de  leur  main  le  sang  de  leurs 
frères,  qui  seront  déçus,  faute  d'avoir  été  avertis  ».  Et  alors 
Bossuet,  qualifiant  Richard  Simon,  qui  se  flatte  «  d'être 
critique,  c'est-à-dire  de  peser  les  mots  par  les  règles  de 
la  grammaire ,...  et  de  décider  sur  la  foi  et  sur  la  théologie 
par  le  grec  ou  par  l'hébreu,  dont  il  se  vante  »  ,  se  propose 
de  lui  faire  voir  «  qu'il  est  tout  à  fait  novice  en  théologie  » 
et  qu'il  a  tort  de  décider,  non  pas  de  toutes  les  questions, 
((  car  ce  serait  une  entreprise  infinie,  mais  de  celles  qu'il 
a  voulu  choisir  et  en  particulier,  de  celles  où  il  a  occasion 
d'insinuer  les  sentiments  des  sociniens,  tant  contre  la  di- 
vinité de  Jésus-Christ  que  sur  la  matière  de  la  grâce,  où, 
en  commettant  les  Crées  avec  les  Latins  et  les  Pères  les 
plus  anciens  avec  ceux  qui  les  ont  suivis,  il  interpose  son 
jugement  avec  une  autorité  qui  assurément  ne  lui  con- 
vient pas  ».  L'évèquc  do  Meaux  ne  comprend  pas  la  raison 


LES  SALNTS  PERES  ET  BOSSUET  POLEMISTE.  607 

du  choix  fait  par  son  îidversaire  des  auteurs  qu'il  a  cri- 
tiqués :  pourquoi,  s'il  ne  voulait  traiter  que  des  commen- 
tateurs, a-t-il  parlé  de  saint  Athaiiase,  de  saint  Grégoire 
de  Nazianze  et  des  autres  qui  n'ont  point  fait  de  commen- 
taires, et  des  écrits  polémiques  de  ces  Pères  ou  de  ceux  de 
saint  Auguslin?  «  Si  sous  le  nom  de  commentateurs,  il  veut 
comprendre  tous  les  auteurs  qui  ont  traité  du  Nouveau 
Testament,  c'est-à-dire  tous  les  auteurs  ecclésiastiques  », 
pourquoi  oublie-t-il  un  saint  Anselme,  un  Hugues  de  Saint- 
Victor,  un  saint  Bernard  et  surtout  un  saint  Grégoire  le 
Grand?  Pourquoi  impute-t-il  des  fautes  aux  Pères,  surtout 
à  saint  Augustin?  Pourquoi  apprend-il  à  estimer  les  hé- 
rétiques et  à  blâmer  les  Pères,  même  ceux  qu'il  fait  sem- 
blant de  louer? 

Bossuet  se  propose  donc,  dans  \ii.  première  partie  de  son 
ouvrage ,  de  «  découvrir  les  erreurs  expresses  (de  Richard 
Simon)  sur  les  matières  de  la  tradition  et  de  l'Église,  et  le 
mépris  qu'il  a  pour  les  Pères,  avec  les  moyens  indirects 
par  lesquels,  en  afTaiblissant  la  foi  de  la  Trinité  et  de  l'In- 
carnation, il  met  en  honneur  les  ennemis  de  ces  mystères  »  ; 
et  dans  la  seconde  partie ,  «  d'expliquer  en  particulier  les 
erreurs  qui  regardent  le  péché  originel  et  la  grâce,  parce 
que  c'est  à  ces  mystères  que  Simon  s'est  particulièrement 
attaché  », 

h% premier  livre  commence  par  saint  Augustin,  que  l'au- 
teur des  Critiques  attaque  sans  déguisement,  comme  sans 
mesure,  sur  la  matière  où  ce  saint  docteur  a  le  plus  ex- 
cellé, celle  de  la  grâce,  et  qu'il  donne  comme  l'auteur 
d'un  nouveau  système,  éloigné  de  celui  des  anciens  com- 
mentateurs, et  dont  on  n'avait  point  entendu  parler  aupa- 
ravant (1).  —  Comment  M.  Simon  ne  voit-il  pas  qu'il  se 
condamne  lui-même,  en  avouant  que  saint  Augustin  est 
«  le  docteur  de  l'Occident  et  que  c'est  à  sa  doctrine  que 
les  théologiens  latins  se  sont  principalement  attachés  (2)  »'? 
Les  livres  contre  Pelage,  et  en  particulier  De  la prêdesti- 

(I)  Chap.  I.  -  (-2)  Chap.  ii. 


608  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

nation  et  De  la  Persévérance,  n'eurent  pas  plus  tôt  paru 
qu'on  y  reconnut  une  doctrine  céleste.  Saint  Célestin  et  saint 
Hormisdas ,  saint  Grégoire ,  «  le  plus  savant  de  tous  les  Pa- 
pes »,  le  vénérable  Bède,  Alcuin ,  «  le  plus  savant  homme 
de  son  siècle  et  le  maître  de  Charlemagne  »  ,  'Adim.X  Anselme, 
saint  Bernard,  <(  deux  docteurs  si  célèbres  » ,  saint  Tho- 
mas,  «  le  maître  des  scolasliques  »  ,  Nicolas  de  Lijra  ,  «  ce 
docte  religieux  franciscain  »  ,  ont  fait  profession  de  suivre 
saint  Augustin  (1).  Contre  l'autorité  de  tout  l'Occident, 
Richard  Simon  invoque  bien  celle  de  l'Église  orientale, 
comme  plus  éclairée  et  plus  savante.  Mais  les  Pères  d'O- 
rient sont  chrétiens  et  leur  foi  est  la  nôtre  (2).  Qu'importe 
à  M.  Simon  qui  ne  nous  écoute  pas?  «  Voilà  saint  Augustin, 
un  insigne  novateur,  qui  a  changé  la  doctrine  de  toutes 
les  Églises  du  monde  et  qui  s'est  opposé  à  une  tradition 
constante  »  :  Simon  lui  fait  son  procès  selon  les  règles  de 
Vincent  de  Lérins ,  pour  distinguer  les  catholiques  d'avec 
les  hérétiques ,  sans  se  mettre  en  peine  de  tout  l'Occident , 
dont  Augustin  a  été  l'oracle  (3),  sans  songer  que  cette  ac- 
cusation retombe  sur  le  Saint-Siège,  sur  toute  l'Église,  et 
détruit  l'uniformité  de  ses  sentiments  et  de  sa  tradition  sur 
la  foi  (4).  Sans  doute,  saint  Augustin  n'est  pas  la  règle  de 
notre  foi,  et  aucun  docteur  particulier  ne  peut  l'être;  mais 
saint  Augustin ,  étant  devenu  l'oracle  de  l'Occident,  on  ne 
peut  le  traiter  de  novateur  sans  accuser  les  Papes  et  toute 
l'Église  d'avoir  favorisé  des  nouveautés.  C'est  déjà  une  in- 
supportable témérité  de  s'ériger  en  censeur  d'un  si  grand 
homme,  que  tout  le  monde  regarde  comme  une  lumière 
de  l'Église;  c'en  est  une  encore  plus  grande  et  qui  tient 
de  l'impiété  et  du  blasphème ,  de  le  traiter  de  novateur  et 
de  fauteur  des  hérétiques  (5).  Il  ne  sert  de  rien  à  M.  Si- 
mon de  dire  qu'il  ne  prétend  pas  condamner  saint  Au- 


(I)  Cliap.  m.  —  (■2)Cliap.  iv.  —  (3)  Cliap.  v. 

(t)  •  S'il  a  l'té  permis  à  saint  Augustin  de  changer  (la  doctrine)  dans  une  ma- 
tière capitale,  et  (|uc  les  l'apes  et  tout  l'Occident  lui  aient  applaudi,  il  n'y  a  plus 
d'autorité,  il  n'y  a  plus  de  doctrine  fixe  :  il  faut  tolérer  tous  les  errants  et  ouvrir 
la  porte  à  tout  les  novateurs.  •  Cliap.  vi. 

(v>)  Cliap.  VII. 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  POLÉMISTE.  609 

gustin,  mais  seulement  empêcher  qu'on  ne  condamne  les 
Pères  grecs  et  toute  l'antiquité  :  ceux  qui  se  paieront  de 
cette  excuse  en  viendront  à  la  tolérance  et  à  Tindifierence 
des  religions  (  1  )  ;  la  tradition  sera  détruite  par  celui-là  même 
qui  se  pique  de  la  défendre  (2). 

Rien  de  plus  choquant  que  «  la  manière  méprisante  dont 
les  nouveaux  critiques  traitent  les  Pères  et  méprisent  la  tra- 
dition »  (3).  M.  Simon  accuse  saint  Augustin  et  l'Égiise  d'a- 
voir erré  sur  la  nécessité  de  l'Eucharistie  pour  les  enfants  ; 
il  a  recours  à  un  artifice  pour  ruiner  une  des  preuves  fon- 
damentales de  l'Égiise  sur  le  péché  originel,  tirée  du  bap- 
tême des  enfants  (4).  D'ailleurs,  plusieurs  passages  des  Pa- 
pes saint  Innocent  et  saint  Gélase  et  des  Pères  contempo- 
rains de  saint  Aug-ustin,  Mercator,  Eiisèbe,  saint  Isidore  de 
Damiette,  saint  Cijpr'ien,  établissent  la  nécessité  de  l'Eucha- 
ristie en  termes  aussi  forts  que  ceux  de  saint  Augustin  :  s'il 
s'était  trompé,  ce  serait  avec  toute  l'Église  de  son  temps  (5). 
Mais  la  mauvaise  foi  de  M.  Simon  est  évidente ,  puisque  ,  en 
accusant  saint  Augustin  et  toute  l'antiquité  d'avoir  erré  sur 
la  nécessité  de  l'Eucharistie ,  il  dissimule  le  sentiment  de 
saint  Fulgence,  dont  toute  la  doctrine,  conformée  celle 
de  saint  Augustin,  son  maître,  tend  à  nier  pour  l'Eucha- 
ristie une  nécessité  égale  à  celle  du  baptême  (6).  Toute  la 
théologie  de  saint  Augustin  établit  la  solution  de  saint  Ful- 
gence, qui  est  celle  de  toute  l'Église  (7).  Saint  Augustin 
et  les  Anciens  ont  bien  dit  que  l'Eucharistie  est  nécessaire, 
et  elle  l'est  en  effet,  mais  en  son  rang  et  à  sa  manière,  après 
le  baptême,  comme  l'évêque  d'Hippone  l'a  établi  en  cent 
endroits,  sans  être  obligé  de  distinguer  toujours  avec  pré- 
cision la  nécessité  de  l'Eucharistie   d'avec  celle   du  ]jap- 
tème  (8).  M.  Simon  n'aurait  pas  dû  dire  que  les  preuves 
de  saint  Augustin  et  de  l'ancienne  Église  sur  le  péché  ori- 
ginel contre  les  Pélagiens  ne  sont  pas  concluantes  (9).  Il 
méprise  encore  la  tradition  en  excusant  ceux  qui,  contre 
tous  les  saints  Pères,  n'entendent  pas  de  l'Eucharistie  le 

(1)  Chap.  VIII.  —  (-2)  chap.  ix.  —  (3)  Chap.  x.  —  (4)  Chap.  xi.  --  ("i)  Cliap.  xii.  — 
(0)  Chap.  XIV.  —  (7)  Cliap.  xv.  —  (8)  Cliap.  xvn-xix.  —  (•))  Cliap.  xx. 

BOSSUET    ET  LES  SAINTS   PÈRES.  39 


610  BOSSLET  ET  LES  SALNTS  PERES. 

chapitre  VI  de  saint  Jean  (1).  Après  avoir  reconnu  le  con- 
sentement des  saints  Pères,  il  ne  laisse  pas  d'insinuer  le 
sens  opposé  au  leur  :  il  n'en  peut  être  quitte  en  disant  que 
cela  n'est  pas  hérétique  (2). 

Le  livre  deuxième,  —  Suite  d'erreurs  sur  la  tradition; 
VinfaiUibdité  de  l'Eglise  romaine  ouvertement  attaquée. 
Erreurs  sur  les  Ecritures  et  sur  les  preuves  de  la  Trinité,  — 
établit  d'abord  «  que  tous  les  Pères  et  tous  les  théologiens, 
après  Vincent  de  Lérins  » ,  comptent  parmi  les  lieux  théolo- 
giques l'Écriture  et  la  Tradition,  qu'il  ne  faut  pas  employer, 
comme  l'a  fait  Richard  Simon,  contre  la  sainte  Écriture  (3). 
En  affaiblissant  les  preuves  de  l'Écriture  sur  la  sainte  Trinité , 
il  affaiblit  celles  de  la  Tradition,  de  saint  Athanase  et  des 
Pères  grecs,  dont  il  détruit  l'autorité,  parce  qu'il  leur  attri- 
bue des  contradictions  (4).  Il  s'est  efforcé  aussi  de  discréditer 
saint  Augustin  dans  sa  lutte  contre  les  Pélagiens,  auxquels 
ce  grand  docteur  opposait  le  consentement  des  l'ères  et  des 
Grecs  autant  que  des  Latins  (5).  C'est  attaquer  à  la  fois  saint 
Augustin  et  la  tradition  que  de  dire  avec  Simon  que  ce  Père 
ne  l'alléguait  que  quelquefois  et  par  accident ,  comme  un 
accessoire  (6)  !  Il  ne  faut  pas  non  plus  affaiblir  la  tradition 
dans  saint  Hilaire  et  prétendre  qu'il  ne  s'en  rapportait  pas 
à  elle  (7).  «  L'endroit  où  M.  Simon  semble  le  plus  appuyer 
la  tradition  est  celui  où  il  parle  de  saint  Basile,  de  saint 
Grégoire  de  Nysse,  son  frère,  et  de  saint  Grégoire  de 
Nazianze,  son  ami  »  ;  mais  c'est  encore  pour  affaiblir  les 
preuves  de  l'Écriture  sur  le  mystère  de  la  Trinité  et  pour 
afficher  un  mépris  insolent  à  l'adresse  des  écrits  et  des 
preuves  de  ces  Pères  contre  Eunome  (8).  Richard  Simon,  en 
cela  semblable  aux  Socinicns,  affecte  de  dire  que  les  Pères 
étaient  plus  forts  en  raisonnements  et  en  éloquence  que  dans 
la  science  des  Écritures  :  il  détruit  ainsi  les  preuves  tirées 
des  livres  saints  en  même  temps  que  la  tradition,  ce  qui  n'est 
l'esprit  ni  de  l'Église  ni  des  Pères  (0).  S'il  avait  la  tradition 
autant  à  cœur  qu'il  veut  en  faire  semblant,  il  n'attaquerait 

(I)  Cliap.  xxr.  —  (-2)  Chap.  -cxii.  —  (3)  Cliap.  i.  —  (i)  Cli:i|).  ii-rv.  —  ('i)  Cliap.  vu.  — 
(6)  Chap.  VIII.  —  (-)  Cliap.  ix\.  —  (8)  Cliap.  x-xv.  —  (il)  Cliap.  xvi-xvii. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  POLÉMISTE.  611 

pas  ouvertement  l'autorité  de  l'Église  en  saint  Chri/sos- 
tome ;  il  ne  ferait  pas  mépriser  à  saiut  Augustin  rautorilé 
des  conciles;  il  ne  donnerait  pas  une  fausse  traduction  d'un 
passage  de  ce  Père  ;  il  n'attribuerait  pas  à  saint  Athanase  et 
aux  Pères  cpii  l'ont  suivi  une  méthode  de  raisonnement 
contre  l'arianisme  qui  n'a  rien  de  certain  et  qui  <(  vient  met- 
tre l'indifTérence,  c'est-à-dire  Timpiété  sur  le  trône  (1)  ». 

Le  livre  troisième ,  —  M.  Simon  partisan  et  admirateur 
des  Sociniens  et  en  m'-mo  temps  ennemi  de  toute  la  théologie 
et  des  traditions  chrétiennes,  —  relève  d'abord  l'atléctation 
de  cet  auteur,  qui,  pour  protester  contre  les  erreurs  de  So- 
cin  et  pour  établir  la  divinité  de  Jésus-Christ ,  va  plus  loin 
que  '^^ws.i  Augustin  et  saint  Thomas,  qu'il  reprend  comme  fa- 
vorables à  cet  hérésiarque  et  comme  trop  subtils.  «  Ne  soyez 
pas  plus  sage  qu'il  ne  faut  »,  pourrait-on  lui  dire,  et  ne  pré- 
sumez pas  de  votre  sagesse  jusqu'à  l'élever  au-dessus  de 
deux  aussi  grands  théologiens,  que  tous  les  autres  ou  la  plu- 
part des  autres  ont  suivis.  Surtout,  ne  cherchez  pas  un  appui 
pour  Socin  dans  saint  Augustin,  dans  saint  Thomas,  dans 
tous  les  auteurs  et  commentateurs  latins ,  et  jusque  dans  la 
Vulgate,  dont  les  anciens  Pères  se  sont  servis  comme  nous  (2) . 
N'allez  pas  faire  trop  de  zèle  contre  les  sociniens,  aux  dé- 
pens de  saint  Augustin,  en  prétendant  que  ce  Père,  dans 
son  Commentaire  sur  l'Epitre  aux  Galates  ^  a  dit  que  Jésus- 
Christ  n'était  Dieu  que  «  par  participation  »,  sauf  à  recon- 
naître son  expression  comme  peu  exacte  et  à  l'adoucir  dans 
les  Rétractations  :  «  Il  ne  change  rien,  il  n'adoucit  rien  ;  son 
explication  était  correcte;  mais  ce  Père,  qui  dans  ses  Rétrac- 
tations pousse,  comme  on  sait,  jusqu'au  scrupule  l'examen, 
qu'il  fait  de  lui-même,  va  au-devant  des  plus  légères  dif- 
ficultés, jusqu'à  n'y  vouloir  laisser  aucune  ouverture,  pas 
la  moindre  :  et  sous  un  si  mauvais  prétexte ,  viendra  un  té- 
méraire censeur  avec  une  fausse  critique  et  une  aussi  fausse 
sévérité  pour  lui  reprocher  qu'il  a  lui-même  reconnu  qu'il  ne 
parlait  pas  exactement  (3)  !  N'est-ce  pas  là  faire  un  beau 

(1)  Cliai).  xix-xxii.  —  (-2)  Chap.  i.  —  (;{)  Cliap.  ii. 


612  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

profit  des  précautions  et  de  la  prudence  d'un  si  grand 
homme?  »  —  Bossuet  s'échappe ,  on  le  voit,  et  arrive  naturel- 
lement à  l'éloquence,  comme  Pascal  dans  les  Provinciales. 
Richard  Simon  a  tort  d'étaler  avec  affectation  les  blas- 
phèmes des  Sociniens,  de  Servet  en  particulier  (1),  sous  le 
mauvais  prétexte  que  «  les  Pères  se  sont  servis  utilement 
de  quelques  bonnes  pensées  »  des  hérétiques  (2),  et  de 
recommander  Bernardin  Ochin,  Fauste  Socinet  Crellius  (3), 
ses  auteurs  favoris,  Socin  surtout,  «  un  grand  génie,  un 
homme  extraordinaire  » ,  qu'il  égale ,  ou  peu  s'en  faut , 
aux  apôtres,  au  lieu  de  reconnaître  que  les  Sociniens  «  sont 
des  libertins ,  des  hypocrites  (4)  ».  —  «  Mais,  dit  Simon,  je 
n'écris  que  pour  les  savants.  »  Pourquoi  alors  mettre  tant 
d'impiétés  ,  tant  de  blasphèmes  entre  les  mains  du  vulgaire 
et  des  femmes,  qu'il  rend  curieuses,  disputeuses,  comme  au 
temps  de  saint  Grégoire  de  Nazianze  (5)?  Pourquoi  se  laisser 
embarrasser  des  opinions  des  sociniens,  Crellius,  Eniedin, 
et  prétendre  avec  Volzogue  «  que  tout  ce  qu'on  dit  de  l'en- 
fer est  une  fable,  qui  a  passé  des  Grecs  aux  Juifs  et  ensuite 
aux  Pères  de  l'Église  (6)?  »  Tout  l'air  du  livre  de  M.  Simon 
inspire  le  libertinage  et  le  mépris  de  la  théologie ,  de  Pierre 
Lombard,  de  saint  Augustin,  contre  lequel  il  faudrait  «  se 
précautionner  »  et  qui  est  devenu  «  l'objet  de  son  aversion, 
parce  qu'on  trouve  dans  ses  écrits,  plus  peut-être  que  dans 
tous  les  autres ,  cette  sublime  théologie  qui  nous  élève  au- 
dessus  des  sens  et  nous  introduit  plus  avant  dans  le  cellier 
de  l'Époux,  c'est-à-dire  dans  la  profonde  et  intime  contem- 
plation de  la  vérité  (7)  ».  Tout  en  louant  les  beaux  principes 
de  théologie  de  saint  Augustin ,  Simon  travaille  à  insinuer 
que  la  théologie  arienne  et  socinienne  est  fondée  sur  le 
texte  de  l'Évangile,  tandis  que  celle  de  saint  Augustin,  qui 
est  celle  de  toute  l'École  et  des  interprètes,  n'est  plus  qu'un 
discours  en  l'air  et  détaché  de  la  lettre.  «  Saint  Augustin,  et 
non  seulement  saint  Augustin,  mais  saint  Alhanase,  mais 
saint  Basile ,  mais  saint  (îrégoire  de  Nazianze  et  les  autres 

(1)  Chap.  III.  —  (-2)  Cliap.  iv.  —  {.'{)  Cliap.  v-vi.  —  ('»;  Cliap.  vu.  —  (''>)  Cliap.  viii.  — 
{<>)  Cliap.  ix-\iii.  —  (7)  Cliap.  XIV. 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  ROSSUET  POLEMISTE.  613 

Pères  de  cet  âge  (car  ils  sont  tous  d'accord  en  ce  point  (1), 
n'ont  pas  dû,  d'après  Simon,  presser  les  ariens  par  un  pas- 
sage si  formel.  Après  treize  cents  ans,  M.  Simon  leur  vient 
faire  leur  procès  avec  une  autorité  absolue  et  leur  apprendre 
que  le  sens  qu'ils  ont  donné  aux  ariens  n'est  qu'un  raison- 
nement humain.  Jusqu'à  quand  ce  hardi  critique  croira-t-il 
que  celui  qui  garde  Israël  sommeille  et  dort  ?  Jusqu'à  quand 
croira-t-il  (ju'il  peut  débiter  un  arianisme  tout  pur  et  mé- 
priser tous  tes  Pères ,  à  cause  qu'il  môle  avec  des  louanges 
les  opprobres  dont  il  les  couvre?...  Quand  il  dit  avec  son 
audace  ordinaire  :  ils  disent  bien,  ils  disent  mal,  ou  leur 
explication  n'est  pas  suffisante ,  elle  est  forcée  et  subtile ,  ce 
n'est  quun  raisonnement  humain,  il  a  un  dessein  secret 
de  saper  le  fondement  de  la  foi  (2).  »  Il  méprise  saint  Tho- 
mas, et  sous  le  nom  de  saint  Thomas  les  théologiens  scolas- 
tiques,  ou  plutôt  la  théologie  de  saint  Augustin  et  celle  des 
autres  commentateurs,  que  saint  Thomas  a  suivis  dans  son 
Commentaire  sur  saint  Paul  (3).  —  A  propos  de  l'historiette 
du  docteur  Espense  ,  un  gentilhomme  romain ,  qui  disait  que 
dans  son  pays  on  étudiait  le  droit  civil  et  le  droit  canonique, 
mais  non  pas  la  théologie,  de  peur  de  devenir  hérétique, 
Bossuet  répond  que  pour  «  les  gens  de  qualité  » ,  qu'on 
veut  instruire  en  vue  de  la  prélature ,  il  y  a  une  théologie 
encore  plus  nécessaire  que  tous  les  canons,  qui  est  celle  de 
U Écriture  et  des  Pères  (4).  — A  propos  d'Érasme,  maligne- 
ment cité  par  Richard  Simon,  l'évêque  de  Meaux  remarque 
que  la  théologie  avait  des  règles  avant  les  docteurs  scolas- 
tiques.  «  Cette  règle  tant  répétée  par  eux,  par  Gerson,  par 
tous  les  autres  docteurs ,  Nobis  ad  certam  regulam  loqui  fas 
est,  n'était  pas  desscolastiques;  elle  était  de  saint  Augustin, 
de  Vincent  de  Lérins ,  des  autres  Pères,  et  aussi  ancienne 
que  l'Église  »,  de  sorte  que  «  tous  les  traits  de  M.  Simon 
contre  la  théologie  scolastique  portent  plus  loin  et  que  le 
contre-coup  en  retombe  sur  la  théologie  des  Pères  »,  accusés 
de  ne  pas  s'entendre  entre  eux  (5) .  —  <(  Il  n'y  a  personne ,  dit 

(1)  Il  s'agit  d'un  texte  de  saint  Jean  sur  la  divinité  de  X.-S. 
(-2)  Cliap.  XV.  —  (3)  Cliap.  XVII.  —  (i)  Ghap.  xviii.  —  (5)  Cliap.  xix. 


614  lîOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

Bossuet,  à  qui  ronvie  de  rire  ne  prenne  d'abord,  lorsqu'on 
voit  un  Érasme  et  un  Simon,  qui,  sous  prétexte  de  quelques 
avantages  quïls  auront  dans  les  belles-lettres  et  les  langues, 
se  mêlent  de  prononcer  entre  saint  Jérôme  et  saint  Augustin 
et  d'adjuger  à  qui  leur  plaît  le  prix  de  la  connaissance 
solide  des  choses  sacrées.  Vous  diriez  que  tout  consiste  à 
savoir  du  grec .  et  que ,  pour  se  désabuser  de  saint  Thomas, 
ce  soit  assez  d'observer  qu'il  a  vécu  dans  un  siècle  barbare  ; 
comme  si  le  style  des  Apôtres  avait  été  fort  poli,  ou  que  pour 
parler  un  beau  latin  on  avançât  davantage  dans  la  connais- 
sance des  choses  sacrées.  Parmi  les  Pères,  saint  Augustin 
est  un  de  ceux  qui  a  le  mieux  reconnu  l'avantage  qu'on  peut 
tirer  de  la  connaissance  des  langues  et  qui  a  donné  les  plus 
belles  leçons  pour  en  profiter  » ,  tout  en  déplorant  la  vanité 
de  ceux  qui  ont  tant  d'horreur  de  l'inélégance  du  langage. 

Dans  saint  Thomas  et  les  scolastiques ,  il  y  a  le  fond,  qui 
n'est  autre  chose  «  que  le  pur  esprit  de  la  Tradition  et  des 
Pères  » ,  et  la  méthode ,  qui  consiste  dans  cette  manière 
contentieuse  et  dialectique  de  traiter  les  questions ,  et  qui 
aura  son  utilité  ,  pourvu  qu'on  la  donne ,  non  comme  le  but 
de  la  science,  mais  comme  un  moyen  pour  y  faire  avancer 
ceux  qui  commencent,  (c  Loin  d'avoir  méprisé  la  dialecti- 
que, un  saint  Basile,  un  saint  Cyrille  d'Alexandrie,  un 
saint  Augustin,  dont  je  ne  cesserai  point  d'opposer  l'autorité 
à  M.  Simon  et  aux  critiques  —  pour  ne  point  parler  de  saint 
Jean  de  Damas  et  des  autres  Pères  grecs  et  latins  —  se 
sont  servis  souvent  et  utilement  de  sa  méthode,  qui  n'est 
autre  que  la  scolaslique  dans  le  fond.  Que  le  critique  se  taise 
donc  et  qu'il  ne  se  jette  plus  sur  les  matières  théologiques, 
où  jamais  il  n'entendra  que  l'écorce  (1).  » 

Après  cette  éloquente  et  vigoureuse  plaidoirie  en  faveur 
de  saint  Thomas  et  de  la  scolastique,  Bossuet  relève  plu- 
sieurs traits  du  socinianisme  de  Richard  Simon  (2)  et  dé- 
montre contre  lui  et  contre  Grotius  que  .Jésus-Christ  et  les 
apAtres  ont  apporté  les  prophéties  comme  des  preuves  con- 

(1)  Cltap.  XX.     -  (i)  ciiap.  xxi-xxii. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  POLEMISTE.  615 

vaincantes  auxquelles  les  Juifs  n'avaient  rien  à  répliquer  : 
c'est  ce  qu'établissent  les  apologistes  de  la  religion  chrétienne, 
saint  Justin,  Tertnlliea,  Originie  et  saint  Irénée  dans  son 
Livre  des  Héi'ésies  (1).  «  On  ne  peut  donc  assez  déplorer 
que  Richard  Simon,  nourri  dans  l'Église  catholique  et  élevé 
à  la  dig-nité  du  sacerdoce,...  ait  oublié  les  Pères  et  les  tra- 
ditions les  plus  constantes  du  christianisme  ,...  et  voulu  dé- 
truire la  tradition  par  sept  moyens  :  le  premier,  en  di- 
sant qu'elle  a  varié  sur  la  matière  de  la  grâce  du  temps 
de  saint  Augustin;  le  second,  en  soutenant  qu'elle  nous 
trompait  en  établissant  du  temps  de  ce  Père  la  nécessité 
absolue  de  la  communion  ;  le  troisième,  en  permettant  d'ex- 
pliquer le  chapitre  VI  de  saint  Jean  sans  y  trouver  l'Eucha- 
ristie, contre  le  sentiment  de  tous  les  Pères,  de  son  propre 
aveu;  le  quatrième,  en  affaiblissant,  sous  prétexte  de  fa- 
voriser la  tradition ,  toutes  les  preuves  de  l'Écriture  que  la 
tradition  elle-même  proposait  comme  les  plus  fortes;  le  cin- 
quième, en  détruisant  l'autorité  de  l'Église  catholique,  sans 
laquelle  il  n'y  a  point  de  tradition;  le  sixième,  en  dé- 
criant la  théologie,  et  non  seulement  la  scolastique,  mais 
encore  celle  des  Pères  dès  l'origine  du  christianisme;  et  le 
septième,  qui  surpasse  tous  les  autres  en  impiété,  en  affai- 
blissant avec  les  sociniens  et  les  libertins  la  preuve  des  pro- 
phéties ,  qui  est  la  chose  du  monde  la  plus  opposée  à  la  tra- 
dition et  à  tout  l'esprit  du  christianisme  (2).  » 

he  livre  quatrième ,  —  M.  Simon,  ennemi  et  téméraire 
censeur  des  saints  Pères,  est  encore  plus  éloquent  que  le 
troisième.  —  Richard  Simon  y  est  d'abord  accusé  de  faire 
ses  efforts  pour  opposer  les  Pères  aux  sentiments  de  l'Église 
et  de  relever  curieusement  et  de  mauvaise  foi  contre  l'épis- 
copat  un  passag-e  trivial  de  saint  Jérôme  (3).  Il  appelle  aussi 
saint  Chrysostome  un  nestorien  (4),  en  suivant  une  traduc- 
tion de  ce  Père  rétractée  par  l'auteur  et  condanmée  par 
l'archevêque  de  Paris,  et  en  faisant  dire  à  saint  Chrysos- 
tome qu'il  y  a  deux  personnes  en  Jésus-Christ ,  alors  qu'il 

(1)  xxm-xxviii  —  (2)  Ciiap.  xxix.  —  (3)  Chap.  i.  —  (4)  Cliap.  ii  et  m. 


616  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

n'a  jamais  tenu  ce  langage,  mais  un  langage  tout  con- 
traire (1).  De  deux  leçons  également  bonnes  du  texte  de 
saint  Clirysostomc ,  M.  Simon  a  préféré  sans  raison  celle 
qui  lui  donnait  lieu  d'accuser  ce  saint  docteur  (2)  ;  il  a  ou- 
blié que,  si  saint  Chrysostome  avait  parlé  comme  il  le  fait 
parler,  ses  adversaires  et  les  nestoriens  auraient  relevé  ses 
paroles  (3) ,  et  que  Théodore  et  Nestorius  ne  tenaient  pas 
eux-mêmes  le  langage  qu'on  lui  attribue  comme  lui  étant 
commun  avec  eux  (i).  Le  mot  de  personne  était  déjà  si  con- 
sacré pour  exprimer  l'unité  de  la  personne  de  Jésus-Christ, 
qu'on  le  trouve  partout  dans  saint  Athanase,  sauf  dans  un 
passage  relevé  à  tort  par  Simon  (5).  Il  emploie  les  manières 
les  plus  dédaigneuses  et  les  plus  moqueuses  contre  les 
Pères,  et  même  contre  les  plus  grands  :  saint  Augustin, 
«  un  novateur,  à  qui  l'on  fait  favoriser  le  calvinisme  »  ; 
saint  Chrysostome ,  «.  qui  est  celui  que  l'auteur  semble 
vouloir  relever  le  plus  et  qui  parle  en  nestorien  »  ;  saint 
Jérôme,  «  ennemi  de  l'épiscopat  »  ;  saint  Hilaire,  «  qui  ôte 
à  Jésus-Christ  la  crainte  et  la  tristesse,  selon  sa  nature 
humaine  »  ;  ?,m.\\i  Basile  ^  «  un  rhéteur  »;  saint  Grégoire  de 
Nazianze ,  «  rhéteur  comme  lui  »  ;  saint  Grégoire  de  Nysse , 
«  un  troisième  rhéteur  de  l'Église  grecque  (6)  ».  — Pour 
justifier  les  saints  Pères,  Bossuet  fait  voir  l'ignorance  et  le 
mauvais  goût  de  leur  censeur  dans  sa  critique  sur  Origène, 
dont  il  trouve  «  la  diction  embarrassée  et  obscure  »  ;  sur 
saint  Athanase ,  qui,  dit-il,  «  n'avait  rien  de  grand  et  d'é- 
levé dans  ses  expressions  » ,  alors  qu'au  contraire  son  ca- 
ractère c'est  d'être  grand  partout,  mais  avec  la  proportion 
que  demande  son  sujet  (7).  «  La  louange  des  homélies  et 
du  style  de  saint  Clirgsostome  ferait  honneur  à  M.  Simon,  si 
on  n'y  trouvait  trop  visiblement  une  affectation  d'élever  ce 
Père  pour  déprimer  saint  Augustin,  que  sa  doctrine  sur 
la  grAce  de  Jésus-Christ  lui  rend  odieux...  Saint  Chrysos- 
tome n'avait  pas   besoin  d'une  louange  (8)  où,  sous  pré- 

(1)  Cliap.  iv-vi.  —  (-2)  Cha]).  vu.  —  (3)  Clia|).  viii.  —  (4)  Cliap.  ix.  —  (''>)  Cliap.  x.  — 
(6)  cliap.  XI.  —  (-)  Cliap.  XII. 
(K)  lille  consiste  à  dire  (ju'il  ne  parlait  pas  de  «  la  grâce  efficace  ». 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  POLEMISTE.  617 

texte  de  lancer  un  trait  contre  saint  Augustin,  on  le  fait 
lui-même  contraire  à  saint  Paul,  »  Saint  Chrysostome  a  son 
coup  comme  les  autres,  et  l'ongle  de  notre  critique  ne 
l'épargne  pas ,  quand  il  dit  que  dans  ses  Homélies  sur  saint 
Mathieu,  on  n'apprend  pas  le  sens  littéral  du  texte.  «  Voilà 
comment  la  dent  venimeuse  de  notre  critique  répand  le 
mépris  sur  tous  les  Pères,  en  commençgint  par  les  Grecs 
qu'il  fait  semblant  d'estimer  (1).  »  Il  préfère  le  diacre  Hi- 
laire,  scliismatique  luciférien,  et  Pelage  l'hérésiarque  à 
tous  les  anciens  commentateurs,  saint  Jérôme^  saint  Am- 
broise,  saint  Chrysostome  (2)  et  saint  Augustin  surtout, 
auquel  il  oppose  Maldonat,  qui  aurait  mieux  compris  et 
goûté  les  Écritures,  quoiqu'il  n'ait  rien  écrit  de  compara- 
ble à  une  prière  fervente  des  Confessions  (liv.  X,  11),  dont 
tout  le  monde  se  souvient  et  où  respire  la  plus  sainte  ar- 
deur pour  l'Écriture  (3).  Et  alors  (i)  Bossuet  montre  élo- 
quemment  que,  par  cette  ardeur  extrême,  saint  Augustin 
a  obtenu  une  intelligence  profonde  de  l'Écriture  qui  parait 
en  quatre  choses  principales  :  1°  lui  seul  nous  a  donné  dans 
le  beau  livre  de  la  Doctrine  chrétienne  plus  de  principes 
pour  entendre  l'Écriture  sainte  que  tous  les  autres  docteurs; 
2"  il  en  a  fait  connaître  en  divers  endroits  les  véritables 
beautés  et  il  a  (indiqué)  l'esprit  dont  elle  est  remplie  en 
dix  ou  douze  lignes  de  sa  Lettre  à  Volusien  plus  qu'on  ne 
pourrait  faire  en  plusieurs  volumes;  3°  il  a  reçu  cette  grâce 
d'avoir  pressé  les  hérétiques  par  ce  divin  livre  de  la  ma- 
nière du  monde  la  plus  excellente ,  et  non  seulement  la  plus 
vive,  mais  encore  la  plus  invincible  et  la  plus  claire;  et 
saint  Charles  Borromée  (voit)  en  la  personne  de  saint  Au- 
gustin «  celui  qui  a  éteint  le  manichéisme,  étouffé  le  schisme 
de  Donat,  abattu  les  Pélagiens  et  fait  triompher  la  vérité  »  ; 
4°  il  a  eu  la  profonde  compréhension  de  toute  la  matière 
théologique,  que  n'avait  pas  saint  Athanase,  qui  «  ne  le  cède 
en  rien  à  aucun  des  Pères  en  génie  et  en  profondeur  ». 
((  C'est  donc  d'un  maître  si  intelligent,  et  pour  ainsi  dire 

(1)  Cliap.  xm.  —  (-2)  Cliap.  xiv.  —  (3j  Cliap.  xv.  —  (4)  Chap.  xvr. 


618  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

si  maître,  qu'il  faut  apprendre  à  manier  dignement  la  pa- 
role de  la  vérité ,  pour  la  faire  servir  dans  tous  les  sujets  à 
Téditication  des  fidèles,  à  la  conviction  des  hérétiques  et  à 
la  résolution  de  tous  les  doutes,  tant  sur  la  foi  que  sur  la 
morale...  On  ne  peut  avoir  que  du  mépris  (1)  pour  la  cri- 
tique passionnée  et  malicieuse  de  M.  Simon,  lorsqu'il  re- 
proche à  saint  Augustin  d'avoir  des  principes  de  théolo- 
gie auxquels  il  manque  d'être  appuyés  sur  l'Écriture  et  des 
«  pointes,  des  antithèses  »>,  qui  sont  désagréables.  » 

Bossuet  termine  ce  beau  livre  par  ces  éloquentes  paroles  : 
«  Quiconque  donc  veut  devenir  un  habile  théologien  et  un 
solide  interprète ,  qu'il  lise  et  relise  les  Pères.  S'il  trouve 
dans  les  modernes  quelquefois  plus  de  minuties,  il  trouvera 
très  souvent  dans  un  seul  livre  des  Pères  plus  de  principes, 
plus  de  cette  première  sève  du  christianisme  que  dans  beau- 
coup de  volumes  des  interprètes  nouveaux;  et  la  substance 
qu'il  y  sucera  des  anciennes  traditions  le  récompensera  très 
abondamment  de  tout  le  temps  qu'il  aura  donné  à  cette  lec- 
ture. Que  s'il  s'ennuie  de  trouver  des  choses  qui,  pour  être 
moins  accommodées  à  nos  coutumes  et  aux  erreurs  que  nous 
connaissons,  peuvent  paraître  inutiles,  qu'il  se  souvienne 
que  dans  le  temps  des  Pères  elles  ont  eu  leur  effet,  et 
qu'elles  produisent  encore  un  fruit  infini  dans  ceux  qui  les 
étudient;  parce  que,  après  tout,  ces  grands  hommes  sont 
nourris  de  ce  froment  des  élus,  de  cette  pure  substance 
de  la  religion,  et  que,  pleins  de  cet  esprit  primitif  qu'ils  ont 
reçu  de  plus  près  et  avec  plus  d'abondance  de  la  source 
même,  souvent  ce  qui  leur  échappe  et  qui  sort  naturellement 
de  leur  plénitude  est  plus  nourrissant  que  ce  qui  a  été  mé- 
dité depuis.  » 

La  deuxième  p<irlie  de  la  Défmse  de  la  Tradition  et  des 
saints  Pères  a  pour  objet  «  les  erreurs  sur  la  matière  du 
péché  originel  et  de  la  grâce  » ,  commises  par  Richard 
Simon. 

Le  livre  cinquième ,  —  M.  Simon  partisan  des  ennemis 

(1)  Cliap.  Nviii. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  POLEMISTE.  619 

de  la  grâce  et  ennemi  de  saint  Aiigusiin ;  V autorité  de  ce 
Père  —  met  à  découvert  le  pélagianisme  du  critique  qui, 
outre  sa  disposition  générale  vers  cette  hérésie ,  y  tend  en- 
core par  ses  erreurs. 

Il  fait  l'injure  à  saint  Augustin  de  dire  de  lui  que  tous 
ceux  qui  ont  écrit  avant  ce  Père  sont  contraires  à  sa  doctrine 
et  n'en  sont  pas  moins  orthodoxes  (1),  et  à  saint  Chrysos- 
tonie  de  le  mettre  avec  le  diacre  Hilaire  au  nombre  des  pré- 
curseurs du  pélagianisme  (2).  Cette  doctrine  a,  d'après  no- 
tre critique,  «  un  air  d'antiquité  et  de  bonne  foi  »,  et  il  fait 
dire  à  saint  Augustin  que  Dieu  est  cause  du  péché  (3).  Mais 
s'opposer  à  ce  Père  sur  la  matière  de  la  grâce,  c'est  s'opposer 
à  l'Église  même  (4)  ;  car  dès  le  commencement  de  T hérésie 
de  Pelage,  toute  l'Église  tourna  les  yeux  vers  ce  saint  doc- 
teur, et  il  fut  chargé  de  dénoncer  aux  nouveaux  héréti- 
ques, dans  un  sermon  à  Carthage,  leur  future  condamna- 
tion :  loin  de  rien  innover,  il  posa  pour  fondement  la  foi 
ancienne  (5),  et  dix  démonstrations  évidentes  établissent 
qu'au  lieu  de  passer  pour  novateur  en  son  temps,  il  fut  re- 
gardé par  toute  l'Église  comme  le  défenseur  de  l'ancienne 
et  véritable  doctrine.  Aussi  l'Orient  comme  l'Occident  avait- 
il  pour  lui  une  profonde  vénération  et  l'empereur  Théodose, 
sans  aucune  recommandation  que  celle  de  sa  doctrine,  l'in- 
vita au  concile  œcuménique  d'Éphèse  par  une  lettre  par- 
ticulière :  honneur  qu'aucun  évêque,  ni  en  Orient  ni  en 
Occident ,  n'a  jamais  reçu.  Ses  lettres,  qui  volaient  par  tout 
l'univers,  y  étaient  reçues  comme  des  oracles  (6).  L'hérésie 
pélagienne  étant  parvenue  au  plus  haut  degré  de  subtilité 
et  de  malice  où  put  aller  une  raison  dépravée,  on  ne  trouva 
rien  de  meilleur  que  de  la  laisser  combattre  à  saint  Augus- 
tin pendant  vingt  ans.  Saint  Hilaire,  saint  Prosper,  Arnobe 
lui  écrivaient  des  lettres  qui  montrent  qu'on  le  regardait 
comme  «  l'apôtre  de  son  temps  »,  comme  nourri  du  suc  des 
Écritures,  sans  s'être  écarté  de  la  tradition  (7).  Sans  doute, 
la  doctrine  de  saint  Augustin  a  été  souvent  l'occasion  de 

(1)  Cliap.  IX.  —  (-2)  Cliap.  V  et  vi.  —  (:i)  Cliap.  vu.  —  (4)  Cliap.  viii.  —  (."i)  Ghap.  ix. 
((>)  Cliap.  x-xii.  —  (")  Cliap.  XIII. 


620  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PÈRES. 

grands  démêlés  dans  l'Égiise;  mais  ce  qui  en  fait  voir  la 
vérité .  c'est  qu'on  s'est  attaché  de  plus  en  plus  à  ce  Père  : 
premièrement,  dans  la  contestation  soulevée  à  Marseille  et 
dans  la  Provence,  alors  que  Dieu  suscita  à  saint  Augustin 
des  défenseurs  dans  saint  Prosper  et  saint  Hilaire,  ((  ses 
dignes  disciples  » ,  et  dans  le  Pape  saint  Célestin  :  seconde- 
ment, dans  la  contestation  qu'éleva,  soixante  ans  après, 
Fauste  de  Riez  et  que  quatre  Papes,  saint  Gélase,  saint  Hor- 
misdas,  Félix  IV,  Boni  face  //,  et  quatre  conciles,  notam- 
ment celui  d'Orange  (  1  ),  décidèrent  en  faveur  de  saint  Au- 
giistin  (2)  ;  troisièmement ,  dans  la  contestation  qui  surgit 
au  neuvième  siècle,  à  propos  de  Gotteschalk,  et  où  les  deux 
partis,  saint  Rémi  de  Lyon,  Prudence  de  Troyes  d'un  côté, 
et  de  l'autre,  Hincmar  de  Reims,  Pardule  de  Laon,  s'en 
rapportaient  également  à  la  doctrine  de  saint  Augustin , 
conforme  à  celle  de  ses  prédécesseurs  (3);  quatrièmement, 
dans  la  contestation  qui  donna  naissance  à  la  Réforme,  alors 
que  Luther  et  Calvin  outraient  la  doctrine  du  grand  évêque 
d'Hippone  et  que  le  concile  de  Trente  choisit  les  propres 
termes  du  saint  docteur  pour  affirmer  l'ancienne  et  sainte 
doctrine  (i). 

Saint  Prosper  et  saint  Fidgence,  «  les  disciples  de  saint 
Augustin ,  étaient  les  maîtres  du  monde  »,  après  le  concile 
d'Orange  :  toute  l'Afrique  voyait  en  saint  Fulgence  un  au- 
tre Augustin  et  le  recevait  comme  son  propre  pasteur.  Tout 
l'Occident  pensait  de  même.  Saint  Isidore  de  Sévi/le,  «  le 
plus  excellent  docteur  de  son  siècle  »,  se  déclarait  le  défen- 
seur de  saint  Fulgence  et  le  disciple  de  saint  Augustin, 
comme  saint  Ildefonse  de  Tolède;  dans  les  Gaules,  au  sep- 
tième, huitième,  neuvième,  dixième  et  onzième  siècles, 
l'évéque  d'Hippone  eut  autant  de  disciples  qu'il  y  avait  de 
docteurs;  saint  Prosper  est  à  la  tète,  et  après  lui  saint  Cé- 
saire  d'Arles,  saint  Amolon,  saint  Retni  de  Lgon,  Loup  Ser- 


(t)  •  Huit  circonstances  de  l'iiistoirc  de  ce  concile  montrent  que  saint  Augus- 
tin était  regardé  par  les  Papes  et  par  toute  l'Église  comme  défenseur  de  la  foi 
ancienne.  » 

(2)  Cliap.  xiv-xvni.       (.{)  Cliap.  xix.    -  (i)  Cliap.  xx. 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  ROSSUET  POLÉMISTE.  621 

vat,  prêtre  de  3Iayence  au  neuvième  siècle  ;  Rémi  d'Âuxerre, 
saint  Bernard,  Pierre  le  Vénérable ,  qui  appelle  saint  Au- 
gustin «  le  maître  de  l'Église  après  saint  Paul  »,  Haimond 
d'Alberstadt ,  l'abbé  Ruppert,  le  Vénérable  Bédé,  en  qui  on 
nomme  toute  l'Angleterre,  dont  il  est  l'historien  et  le  second 
docteur  après  saint  Grégoire  ;  Cassiodore ,  qui  regarde  saint 
Augustin  comme  le  docteur  de  toute  l'Église ,  et  les  Papes 
dont  l'autorité  regarde  autant  le  monde  que  l'Italie  (1). 

Après  tous  ces  témoignages ,  est-il  permis  de  ranger  saint 
Augustin  parmi  les  novateurs?  Autant  vaudrait  en  faire 
un  hérétique,  ce  qui,  dès  le  sixième  siècle,  faisait  horreur  à 
Facundus  et  à  toute  l'Église  (2j.  Les  ordres  religieux,  ce- 
lui de  saint  Benoit  avec  Bédé,  Pierre  le  Vénérable  et  saint 
Bernard,  celui  de  saint  Dominique  avec  saint  Thomas ,  ce- 
lui de  saint  François  avec  Scot,  le  Docteur  subtil,  toute  l'É- 
cole avec  Pierre  Lombard,  ont  regardé  comme  inviolable 
l'autorité  de  saint  Augustin  (3). 

Dans  le  livre  sixième,  Bossuet  expose  «  les  raisons  de  la 
préférence  qu  on  a  donnée  à  saint  Augustin  dans  la  matière 
de  la  grâce  et  l'erreur  sur  ce  sujet  à  laquelle  se  sont  op- 
posés les  plus  grands  théologiens  de  l'Église  et  de  l'École. 

Saint  Thomas,  dit-il,  dans  un  de  ses  Opuscules  cont?'e  les 
erreurs  des  Grecs,  a  constaté  la  préférence  qu'il  donne  à 
saint  Augustin,  «  qui  excelle  entre  tous  les  autres  »  doc- 
teurs et  qui,  comme  saint  Athanase  et  Vincent  de  Lérins,  a 
parfaitement  établi  dans  le  de  Dono  perseverantiae ,  dans 
ses  Livres  contre  Jidien,  dans  son  ouvrage  De  la  prédestina- 
tion des  Saints  et  dans  les  Co?i/essions,  que  «  les  disputes 
des  hérétiques  font  paraître  dans  un  plus  grand  jour...  ce 
qu'enseigne  la  saine  doctrine  de  l'Église  (i)  ».  «  Elle  reçoit 
avec  le  temps,  dit  très  bien  Vincent  de  Lérins,  non  point 
plus  de  vérité  ,  mais  plus  d'évidence,  plus  de  lumière,  plus 
de  précision ,  et  c'est  principalement  à  l'occasion  des  nou- 
velles hérésies.. .  Les  explications  de  saint  Athanase  éclairent 
les  expressions  plus  embrouillées  de  saint /«5^m,  à'Origène, 

(1)  Cliap.  xxi-xxii.  —  (âj  Cliap.  xxiii.  —  (3)  Cliap.  xxiv.  —  (4)  Chap.  i. 


622  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PÈRES. 

de  saint  Dnixjs  d'Alexandrie,  des  autres  Pères,  dont  les 
ariens  abusaient  (1).  »  M.  Simon  lui-même  avoue  que  les 
traités  des  Pères  contre  les  hérésies  sont  ce  que  l'Église  a 
de  plus  exact  i^^).  C'est  donc  «  un  procédé  captieux  de  ce  pi- 
toyable théologien  »  que  de  nous  ramener  sans  cesse  aux 
anciens  ou  aux  Grecs  pour  afifaiblir  l'autorité  de  saint  Au- 
gustin. «  Ce  n'est  pas  tant  à  ce  Père  qu'à  la  vérité  même 
qu'il  en  veut;  il  mutile  les  saintes  maximes  de  Vincent  de 
Lrrins,  qu'il  fait  semblant  de  vouloir  défendre.  Toute  la 
doctrine  de  ce  Père  roule  principalement  sur  ces  deux  pivots  : 
l'antiquité  et  l'universalité  :  quod  ubiqu<\  quod  semper. 
Il  faut  suivre,  dit  Simon,  l'antiquité;  mais  il  supprime  l'uni- 
versalité en  opposant  les  Grecs  aux  Latins  (3;.  Un  dernier 
trait  de  malignité  contre  saint  Augitsttn,  c'est  de  dire  qu'il  a 
le  mieux  parlé  de  la  grâce ,  avant  d'en  disputer  contre  Pe- 
lage [ï).  L'aveuglement  de  M.  Simon  lui  fait  préférer  les 
sentiments  que  saint  Augustin  a  rétractés  à  ceux  qu'il  a  éta- 
blis en  y  pensant  le  mieux  (5).  Les  Pères  qui  ont  précédé 
les  disputes  ont  quelque  chose  de  plus  fort,  parce  que  leur 
témoignage  est  désintéressé  ;  mais  ceux  qui  sont  venus  après 
les  hérétiques  ont  parlé  plus  correctement  sur  les  vérités 
contestées,  comme  l'affirment  saint  Thomas,  Vincent  de  Lé- 
rins  et  saint  Augustin  :  ce  dernier  réunit  le  double  avan- 
tage d'avoir  donné  la  pleine  et  entière  expression  de  la 
vérité  avant  et  après  la  dispute  :  toute  l'Église  l'a  reconnu; 
«  tout  s'est  tu,  lorsqu'il  a  parlé  »  .  même  saint  Jérôme,  qui 
«  était  alors  comme  la  bouche  de  l'Église  contre  les  héré- 
«  sies  (6)  ».  Saint  Augustin  a  rendu  témoignage  à  la  vérité 
avant  la  dispute,  dans  ses  Livres  à  Simpliciîis  écrits  au  com- 
mencent de  son  épiscopat ,  quinze  ans  avant  qu'il  y  eût  des 
Pélagiens  au  monde  (7i. 

Il  faut  distinguer  comme  quatre  états  dans  la  vie  de  ce 
grand  homme  :  —  le  premier,  au  commencement  de  sa 
conversion,  où  il  disait  sur  la  grâce  ce  qu'il  en  avait  appris 


(I)  Chap.  II.  —  (-1)  Cliap.  III.  -   (.'$)  Chap.  iv.  —  (t)  Cliap.  v.  —  (5)  Cliap.  vr.  —  (<i) 
Chap.  Mil.  —  (7)  Chap.  ix. 


LES  SAINTS  PERES  Eï  ROSSUET  POLEMISTE.  G23 

dans  l'Église  et  où  la  pureté  de  ses  sentiments  nous  est 
attestée  par  son  livre  de  F  Ordre,  par  celui  des  Soliloques , 
par  le  premier  de  ses  ouvrages,  le  livre  Contre  les  Acadé- 
miciens,  par  les  Confessions,  par  ses  premières  Lettres, 
par  les  trois  livres  du  Libre  arbitre,  dont  le  traité  du  Mérite 
et  de  la  rémission  des  péchés,  les  Rétractations  et  le  livre 
de  La  nature  et  de  la  grâce  attestent  l'orthodoxie  (1);  —  le 
second  état,  où  il  commença,  mais  encore  imparfaitement , 
à  examiner  la  matière,  et  où  il  tomba  premièrement  dans 
l'embarras  et  ensuite  dans  l'erreur  à  l'occasion  de  ses  pre- 
mières expositions  sur  VEpitre  aux  Romains  et  aux  Galates, 
parce  qu'il  n'avait  point  encore  assez  considéré  (2);  —  le 
troisième  état,  où  il  sort  bientôt  de  «  son  sentiment  con- 
damnable »  par  suite  du  peu  d'attachement  qu'il  avait  à 
son  propre  sens  et  des  consultations  qui,  comme  celle  de 
Simplicien,  l'obligèrent  à  rechercher  plus  exactement  la 
vérité  (3) ,  ainsi  qu'il  nous  le  dit  sincèrement  dans  ses  Ré- 
tractations^ où  il  se  reprend  lui-même  de  trois  manières  (4-  )  ; 
le  quatrième  et  dernier  état,  où,  non  seulement  il  fut  par- 
faitement instruit  de  la  doctrine  de  la  g-râce,  mais  encore 
capable  de  la  défendre  avec  une  autorité  «  qui  croissait  tous 
les  jours  ».  On  ne  peut  plus  dire  sans  une  malice  affectée 
qu'il  n'a  changé  ses  premiers  sentiments  sur  la  grAce  que 
dans  l'ardeur  de  la  dispute ,  ni  «  qu'on  le  voit  tomber 
naturellement  et  à  mesure  qu'il  approfondissait  de  plus  en 
plus  CCS  matières,  dans  la  doctrine  qu'il  a  enseignée  jusqu'à 
la  mort  :  Dieu  le  conduisant  par  la  main  et  le  menant  pas 
à  pas  à  la  parfaite  connaissance  d'une  vérité,  dont  il  vou- 
lait l'établir  le  défenseur  et  le  docteur  (5).  »  Les  change- 
ments de  saint  Augustin  n'ont  rien  qui  ne  donne  lieu  de 
l'estimer  davantage ,  et  sa  doctrine ,  ne  serait-elle  pas  ap- 
prouvée par  l'Église,  semblerait  préférable  à  celle  de  tous 
les  autres  docteurs,  à  cause  de  l'application  qu'il  y  a  don- 
née (6).  Saint  Thomas  et  les  scolastiques  ont  suivi  son  au- 
torité, et  si  quelques  catholiques  ont  semblé  l'abandonner  à 

(1)  Cliap.  x-xu.  —  (-2)  Cliap.  xiii  et  xiv.  —  (3)  Cliap  xv.  —  (i)  Chap.  xvi.  —  (5)  Cliap. 
.wii.  —  (6)  Cliap.  XVIII. 


C24  BOSSUET  tT  LES  SAINTS  PERES. 

cause  de  l'abus  qu'en  out  fait  Luther  et  Calvin,  Baronius  les 
reprend  (1)  et  montre  que  s'écarter  de  saint  Augustin, 
c'est  se  mettre  en  péril  d'erreur  (2).  Saint  Charles  Borromée, 
les  cardinaux  Bellarmin,  Tolet  et  du  Perron,  les  savants 
jésuites  Henriquez,  Suarez,  Vasquez,  le  P.  Petau  ,  le  P.  Gar- 
nier.  le  P.  Deschamps,  ontsibien  rendu  hommage  à  saint  Au- 
gustin que  (I  l'honneur  de  l'Église  est  manifestement  en- 
gagé avec  celui  de  ce  Père ,  et  ce  serait  une  impiété  de  les 
séparer  (3)  ».  Que  si  l'on  prétendait  avec  M.  Simon  que 
saint  Augustin  fut  contraire  à  la  tradition  des  saints  doc- 
teurs et  aux  décrets'de  l'Église  dans  quelques  dogmes  tou- 
chant la  grâce ,  «  tous  les  éloges  que  lui  ont  donnés  les  siè- 
cles suivants  et  tous  les  décrets  des  Papes  en  sa  faveur  ne 
seraient  qu'une  illusion  :  on  égarait  les  savants,  on  tendait 
un  piège  aux  simples,  et  comme  dit  Suarez,  l'Église,  ce  qu'à 
Dieu  ne  plaise,  les  induisait  en  erreur  (k)  ». 

Après  ce  magnifique  plaidoyer  en  faveur  de  son  docteur 
favori,  Bossuet  a  beau  jeu,  dans  le  liv/'f  septième,  pour 
nous  montrer  Saint  Aiigiistin  condamné  par  M.  Siïnon  et 
les  erreurs  de  ce  critic^ue  sur  le  péché  originel. 

Il  entreprend  directement  de  faire  le  procès  à  saint  Au- 
gustin; il  l'accuse  dès  la  Préface  de  la  Critique  «  d'avoir 
opposé  nouveauté  à  nouveauté,  par  conséquent  excès  à 
excès,  et  d'autres  excès  et  d'autres  nouveautés  aux  excès  et 
aux  nouveautés  de  Pelage  »;  de  s'être  donné  les  mêmes  torts 
que  cet  hérésiarque  (5).  «  Partout,  à  toutes  les  pages,  saint 
Augustin,  selon  lui,  a  outré  la  grâce  et  affaibli  le  libre  ar- 
bitre. Qu'il  montre  donc  un  seul  endroit  où  il  l'affaiblisse! 
Il  n'a  osé  (6).  »  D'après  M,  Simon,  c'est  un  préjugé  contre 
un  auteur,  contre  saint  Thomas,  contre  Bède,  qu'il  ait  été 
attaché  à  saint  Augustin  (7  j.  Notre  crilique  lui  attribue  les 
erreurs  les  plus  odieuses  de  Luther  et  de  Calvin  ;  il  dit  que 
ce  Père  a  fait  Dieu  auteur  du  péché  (8).  Pour  ôtcr  à  saint 
Augustin  hi  gloire  d'avoir  vaincu  les  Pélagiens,  il  l'accuse 

(I)  Il  (lit  qu'aulant  qu'il  .t  surpassé  les  autres  docteurs  dans  ses  autres  traités, 
autant  il  s'est  suri)assé  lui-in«ime  dans  ses  traités  contre  les  Pélagiens. 

(-2)  Clijipitrc  XIX.  —  (.'5)  Chap.  xx.  —  ('♦)  Cliap.  xxi.  —  (;i)  Chap.  i.  -  {<!)  Cliap.  n.  — 
(")  Chai»,  iir.    -  (8)  Cli;i|..  rv. 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  POLEMISTE.  G25 

de  ne  pas  avoir  su  beaucoup  de  grec,  alors  que  «  ce  Père, 
loin  de  rien  laisser  passer  à  Julien,  sait  l'abattre  par  le 
texte  grec  d'une  manière  si,  vive  qu'il  n'y  avait  plus  qu'à  se 
taire.  D'ailleurs,  il  ne  faut  pas  relever  saint  Augustin  par  la 
science  des  mots  qu'il  a  estimée,  mais  en  son  rang,  c'est-à- 
dire  infiniment  au-dessous  de  la  science  des  choses.  »  Sans 
atteindre  à  la  perfection  de  la  science  des  langues ,  un  si 
grand  génie  a  tiré  des  travaux  de  saint  Jérôme  sur  l'hébreu 
des  avantages  que  saint  Jérôme  lui-même  parait  n'avoir 
pas  tirés  (1).  Il  a  vu  tout  ce  qui  peut  se  voir  dans  le 
texte  de  saint  Paul  :  Natiim  fllii  irae  (2).  Il  a  lu,  quand  il 
fallait,  les  Pères  grecs,  saint  Chrf/sostonw,  saint  Basile, 
saint  Grégoire  de  Nazianze,  et  il  a  su  profiter,  autant  que 
possible ,  du  texte  original  pour  convaincre  les  pélagiens  (3). 
—  L'acharnement  de  Richard  Simon  et  des  critiques  mo- 
dernes contre  saint  Augustin  ne  vient  que  de  ce  qu'ils  veu- 
lent favoriser  les  pélagiens  (4).  Ainsi,  M.  Simon  commet 
deux  erreurs  sur  le  péché  originel  et  il  insinue  que  saint 
Augustin  expliquait  le  péché  originel  d'une  manière  par- 
ticulière et  nouvelle  (5) ,  alors  que  ce  saint  docteur  n'ensei- 
gnait que  ce  qu'enseigne  toute  l'Église  catholique  dans  les 
décrets  des  conciles  de  Garthage,  d'Orange,  de  Lyon,  de 
Florence  et  de  Trente.  Théodore  de  Mopsueste,  que  défend 
M.  Simon,  attaquait  toute  l'Eglise  en  la  personne  de  saint 
Jérôme  et  de  saint  Augustin  (6).  Quant  à  l'auteur  de  la 
Critique ,  il  va  contre  les  conciles  et  contre  la  foi  en  soute- 
nant ce  qu'il  soutient  sur  le  péché  originel .  et  il  a  profon- 
dément tort  d'opposer  à  l'autorité  de  saint  Augustin  et  de 
toute  l'Église  celle  de  Calvin,  de  Pelage,  de  Théodore!, 
de  Grotius  et  d'Érasme  (7).  L'interprétation  que  saint  Au- 
gustin et  l'Église  donnent  au  texte  de  saint  Paul  :  In  quo 
omnes peccaverunt ,  s'établit  parle  contexte  et  par  les  con- 
séquences qu'en  a  tirées  le  grand  évêque  d'Hippone.  Ce 
n'est  pas  là  une  question  de  critique  et  de  chicane,  et  Bèze 


(1)  Chap.  V  et  vi.  —  (2;  Chap.  vu.  —  (3)  Chap.  viii.  —  (v)  Cliap.  ix.  —  (:;)  Cliap.  x. 
(6)  Cliap.  XI.  —  (7)  Chap.  xii-xviii. 

BOSSUET   ET   LES   SAINTS  PÈRES.  40 


626  BOSSUF.T  ET  LES  SAIiNTS  PERES. 

n'a  pas  eu  tort  de  renvoyer  à  saint  Augustin  «  sur  une  matière 
qu'il  avait  si  expressément  et  si  doctement  démêlée  (1)  ». 
Le  livre  huitirmc  est  consacré  à  la  méthode  pour  établir 
runifurniitê  <l<ins  tous  les  Prres  et  aux  preuves  que  saint 
Augustin  n'a  rien  de  singulier  sur  le  péché  originel. 

La  nature  même  de  la  question  montre  qu'il  n'est  pas 
possible  que  les  anciens  et  les  modernes,  les  Grecs  et  les 
Latins  aient  des  croyances  contraires  sur  un  dogme  si  im- 
portant 2i.  Saint  Augustin  a  donné,  pour  concilier  les  Pères, 
quatre  principes  infaillibles  :  —  le  premier,  que  la  tradi- 
tion étant  établie  par  des  actes  publics,  authentiques  et 
universels,  il  n'est  pas  absolument  nécessaire  d'entrer  en 
particulier  dans  la  discussion  des  sentiments  de  tous  les 
Pères  (3);  —  le  second,  qu'il  «  y  a  de  quoi  se  contenter 
du  témoignage  de  l'Église  d'Occident  »  (4  i  ;  —  le  troi- 
sième, qu'un  ou  deux  Pères  célèbres  de  l'Église  d'Orient, 
saint  Grégoire  de  Nazianze  et  saint  Basile ^  suffisent  pour  en 
faire  voir  la  tradition  [h)  ;  —  le  quatrième,  que  le  senti- 
ment unanime  de  toute  l'Église  présente  suffit  pour  juger 
des  sentiments  de  l'antiquité  iGV 

Cette  méthode  de  saint  Augustin  est  celle-là  même  que 
Vincent  de  Lérins  étendit  dans  la  suite  (7).  On  peut  l'ap- 
pliquer à  saint  Chrysostome  et  aux  Grecs,  non  seulement  à 
propos  du  péché  originel,  mais  encore  à  propos  de  la 
grâce  (8).  «  Elle  est  infaillible,  et  il  n'est  pas  possible  que 
l'Orient,  avec  les  Pères  de  Palestine  et  saint  Chrysostome, 
crût  autre  chose  ([ue  l'Occident  et  saint  Augustin  sur  le  péché 
originel  (9),  »  Nestorius  lui-même  avait  d'abord  reconnu 
que  le  dogme  du  péché  originel  était  commun  à  l'Orient  et 
à  l'Occident,  et  que  cette  tradition  venait  de  saint  Chrysos- 
tome, «  le  saint  Augustin  de  l'Église  grecque»,  qui  y  a  per- 
sisté et  y  persiste  encore  aujourd'hui  (10).  Saint  Augustin  a 
(b'montré  en  cent  endroits  que  la  peine  du  péché  d'Adam 
n'a  pu  passer  dans  ses  descendants  qu'avec  sa  coulpe  (11). 

(I)  f:iirï|).xix-\xiii.  —  (-2)  Chap.  I.  —  (:{)  Chap.  ii.  —  (4)  Cliap.  m.  —  (."J)  Cliap.  iv.  — 
(li)  (;li;i|).  V.  —  (7)  Chap.  VI.  —  (8)  Chap.  vu.  —  (!»)  Chap.  viii.  —  (10»  Chap.  x  et  xi.  — 
(II)  Cliap.  XII. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUPLT  POLEMISTE.  627 

Sans  doute,  Dieu  vciig'e  l'iiiiquité  des  pères  sur  les  enfants, 
sans  que  ceux-ci  aient  péché;  mais  saint  Augustin  nous 
dit  que  ce  ne  sont  point  précisément  les  péchés  des  pères 
immédiats  qui  font  souffrir  les  enfants  jusqu'à  la  troisième 
et  quatrième  génération  :  c'est  celui  d'xVdam  (1).  —  Encore 
une  doctrine  excellente  de  saint  Augustin  :  c'est  qu'il  n'y  a 
qu'un  seul  innocent  que  Dieu  ait  puni  de  mort,  le  média- 
teur de  Dieu  et  des  hommes  (2).  Saint  Augustin  a  excellem- 
ment réfuté  les  absurdités  de  Pelage  et  de  Julien,  et  il  a 
produit  en  faveur  de  sa  doctrine  les  témoins  les  plus  illus- 
tres, d'abord  de  toutes  les  Églises  occidentales,  de  l'Église 
gallicane  avec  saint  Irénée  de  Lyon,  Réticius  d'Autun, 
saint  Hilaire  de  Poitiers;  de  l'Église  d'Afrique  avec  saint 
Cyprien;  de  l'Église  d'Espagne  avec  Olympius;  de  l'Église 
d'Italie  avec  saint  Ambroise  (3);  puis  des  Églises  d'Orient 
avec  saint  Grégoire  de  Nazianze ,  saint  Basile ,  saint  Cliry- 
sostome,  saint  Jérôme,  «  qui  était  comme  le  lien  de  l'Orient 
et  de  l'Occident  (4)  ».  A  l'universalité  de  ces  témoins  de 
saint  Augustin  s'ajoute  leur  uniformité  :  ils  ont  la  même 
idée  que  lui  du  péché  originel  (5)  et  de  la  concupiscence  (6), 
comme  on  le  voit  par  saint  Justin  (  T) ,  saint  Irénée  (8) , 
saint  Clément  d'Alexandrie  (9),  Origène  (10),  TertuUien  (11), 
saint  Cyprien  (12),  saint  Athanase  fi 3),  saint  Basile, 
saint  Grégoire  de  Nazianze  (14),  enfin  saint  Grégoire  de 
Nysse(15). 

Le  livre  neuvième  relève  les  passages  de  saint  Chrysos- 
tome,  de  Théodoret ,  de  plusieurs  autres  concernant  la  tra- 
dition du  iiéché  originel. 

Comme  Julien  objectait  à  saint  Augustin  un  passage  de 
saint  Chrysostome  où  il  semblait  vouloir  dire  qu'on  bapti- 
sait les  enfants,  non  point  pour  les  laver  du  péché  qu'ils 
n'avaient  pas,  mais  pour  leur  donner  les  grâces  annexées  à 
ce  sacrement  (16) ,  saint  Augustin  corrige  la  traduction  de 


(1)  Cliap.  XIII  et  XIV.  —  (2)  Cliap.  xvi.  —  (3)  Cliap.  xix.  -  (i)  Cliap.  xx.  -  (.'i)  CIki). 
XXI.  —  ((i)  Cliap.  XXII.  —  (7)  Cliap.  xxm.  —  (8)  Cliap.  xxiv  et  xxv.  —  (9)  Cliap.  xxvi.  - 
(40)  Cliap.  xxviii.  —  (11)  Cliap.  XXIX  et  xxx.  -  (liJ)  Cliap.  xxx.  —  (13)  Cliap.  xxxi.  - 
(14)  Cliap.  XXXII.—  (l'i)  Chap.  xxxiii.  —  (16)  Cliap.  i. 


(!23  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

Julien  (1)  et  fait  voir  que  saint  Chrysostome  reconnaissait 
le  péché  originel  (2),  quoique,  dans  ce  passage,  il  n'en 
parlât  pas  expressément  (3)  :  il  en  parlait  ailleurs  dans 
ses  Homélies  i),  et  tout  en  ne  donnant  le  nom  de  péché 
qu'au  seul  péché  actuel  (5),  il  prouvait  que  les  peines  du 
péché  ne  passent  à  nous  qu'avec  le  péché  (6).  Saint 
Augustin  a  donc  eu  raison  de  dire  que  ce  Père  n'avait  rien 
de  commun  avec  les  Pélagiens  (7);  il  n'a  pas  dit  qu'on 
puisse  être  puni  sans  être  coupable,  absurdité  qu'on  lui  at- 
tribue faussement  (Si.  Il  a  parfaitement  connu  la  concu- 
piscence, ce  qui  est  connaître  le  fond  du  péché  originel  i9), 
dont  l'essence  n'est  pas  la  domination  de  la  convoi- 
tise 1 10  i,  mais  «  d'avoir  été  en  Adam  lorsqu'il  péchait  (11)  ». 
Cependant,  la  doctrine  de  saint  Chrysostome  sur  la  concu- 
piscence n'est  pas  aussi  liée,  aussi  suivie  que  celle  de  saint 
Augustin,  à  laquelle  elle  ressemble  dans  le  fond  (12).  Saint 
Chrysostome  s'embarrasse  un  peu  dans  une  de  ses  Homé- 
lies (13).  Saint  Clément  d'Alexandrie  s'est  expliqué  de  sa 
propre  bouche.  Tertullien  appelle  l'enfance  un  âge  inno- 
cent, mais  non  pas  exclu  du  baptême  :  il  nous  fait  tous  pé- 
cheurs en  Adam  i  lin.  On  peut  en  dire  autant  de  saint  Gré- 
(joire  de  Nazianze  et  de  saint  Grégoire  de  Nysse  (15). 

Après  cela,  Bossuet  laisse  «  aux  sages  lecteurs  à  prononcer 
sur  la  critique  de  M.  Simon  et  à  juger  si  Théodoret,  qui  est 
entièrement  sorti  de  la  chaîne  de  la  tradition,  Photius  et 
quelques  scoliastes  du  bas  âge,  allégués  avec  Érasme  et  Cal- 
vin contre  l'interprétation  ordinaire  du  texte  de  saint  Paul, 
peuvent  empêcher  qu'on  ne  la  tienne  pour  universelle  (  16). 
Il  demeure  donc  certain  que,  d'après  les  règles  de  Vincent 
de  Lérins,  on  ne  peut  nous  rappeler  perpétuellement,  comme 
le  fait  Richard  Simon,  d'Augustin  à  l'antiquité  et  à  l'Orient, 
comme  s'ils  étaient  contraires  à  ce  Père,  ce  qui  n'est  pas  ni 
ne  peut  être  (17).  Saint  Augustin  répète  souvent  que  qui- 


(1)  ciiap.  II.  —  (-2)  Cliap.  III.  —  (3)  Cliap.  iv.  —  (i)  Cha]).  v  el  vi.  —  (:i)  f;liai>.  vu.  — 
(<i)  Chap.  VIII.  —  (7)  Chap.  ix.  —  (8)  Chap.  x.  —  ("J)  Cliap.  xi.  —  (10)  Cliap.  xii.  —  (I I) 
Chap.  XIII.  —  (1-2)  Cliap.  xiv.  —  (i;j)  Cliap.  xv.  —  (14)  Cliap.  xvi.  —  (l.'i)  Cliap.  xvii.  — 
(10)  Chap.  xviii.  —  (17)  Cliap.  xxi. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  POLEMISTE.  629 

conque  a,  comme  il  faut,  dans  le  cœur  la  foi  du  péché  ori- 
ginel, y  peut  trouver  un  moyen  certain  de  surmonter  les 
principales  difficultés  de  la  prédestination  ;  la  prédestina- 
tion des  enfants,  à  laquelle  saint  Augustin  ramène  toujours 
les  Pélagiens,  répond  aux  objections  qu'on  pouvait  faire  sar 
la  prédestination  des  adultes ,  puisque  nous  ne  pouvons 
rapporter  la  première  ni  au  mérite  de  ces  enfants,  ni  à  l'or- 
dre des  causes  naturelles,  et  que  c'est  par  pure  miséricorde 
que  l'un  est  pris  en  état  de  grâce  et  l'autre  abandonné  aux 
tentations  où  il  doit  périr.  «  On  trouvera  que  tout  ce  qu'a 
dit  saint  Augustin,  pour  établir  l'humilité  est  aussi  plein  de 
consolation  que  ce  qu'a  dit  M.  Simon,  pour  flatter  l'orgueil, 
est  sec  et  vain  (1).  » 

C'est  en  ces  termes  que  Bossuet  annonce  le  Hvro  dixième  : 
—  Semi-pélagianisnip  de  Vauteur.  —  Erreurs  imputées  à 
saint  Augustin.  —  Efficace  de  la  grâce.  —  Foi  de  U Église 
par  ses  prières ,  tant  en  Orient  quen  Occident. 

Que  Grotius,  nourri  hors  du  sein  de  l'Église,  soit  tombé 
dans  l'erreur,  cela  s'excuse  et  on  déplore  son  sort.  Mais 
qu'un  homme,  né  dans  l'Église,  élevé  à  la  dignité  du  sacer- 
doce ,  instruit  dans  la  soumission  qu'on  doit  aux  Pères ,  ne 
sache  pas  se  débarrasser  des  erreurs  semi-pélagiennes,  et 
ne  défende  saint  Augustin  que  dans  les  endroits  où  saint 
Augustin  plus  éclairé  confesse  lui-même  son  erreur,  c'est 
une  plaie  à  la  discipline  que  l'Église  ne  souffrira  pas  (2). 
Richard  Simon  met  en  parallèle  saint  Augustin  et  Luther  : 
c'est  accuser  l'un  des  grands  docteurs  de  l'Église  avec  d'au- 
tant plus  de  malice  qu'on  le  fait  plus  obliquement  (3).  Pour- 
quoi aussi,  malgré  les  Papes  et  toute  l'Église ,  faire  de  saint 
Augustin  l'ennemi  du  libre  arbitre  et  couvrir  les  hérétiques 
de  l'autorité  d'un  si  grand  nom  (4)?  Pourquoi  soutenir  que 
le  libre  arbitre  est  maître  de  lui-même  entièrement,  ce  que 
nient  saint  Ambroise  et  saint  Augustin?  Pourquoi  faire  un 
crime  à  ce  dernier  d'avoir  établi,  non  pas  quelquefois,  mais 
un  million  de  fois  et  partout  une  grâce  qui  nous  fait  agir 

(I)  Cliap.  XXII.  —  (2)  Chap.  i.  —  (3)  Cliap.  ii.  —  (4)  Cliap.  iv. 


G30  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

efficacement?  Les  Papes  ont  approuvé   la  doctrine  de  ce 
Père,  non  seulement  sur  la  grâce,  mais  encore  sur  le  libre 
arbitre  (1  .  M.  Simon  loue  saint  Chrysostome  de  n'avoir 
point  eu  recours  à  cette  grâce,  qu'il  appelle  par  dérision 
la  grâce  efficace  de  saint  Augustin,  comme  si  ce  Père  en  était 
l'auteur,  au  lieu  que  certainement  elle  est  dans  tous  les 
saints,  même  dans  saint  Chrysostome  et  dans  toutes  les 
prières  de  l'Église.  M.  Simon  ne  craint  pas  de  mettre  saint 
Augustin  au  nombre  des  hérétiques  et  de  donner  à  ceux-ci 
un  défenseur  que  personne  ne  condamne  (2).  Il  accuse  en- 
core ce  Père  et  saint  Thomas  d'avoii-  fait  Dieu  auteur  du 
péché,  et  il  ose  donner  des  leçons  à  l'auteur  des  Livres  con- 
tre Julien  et  de  celui  De  la  grâce  et  du  libre  arbitre ^  comme 
si  M.  Simon  était  l'arbitre  des  théologiens  (3).  —  Il  impute  à 
saint  Augustin  deux  erreurs  sur  le  libre  arbitre  :  la  pre- 
mière est  l'efficace  de  la  grâce  chrétienne  ;  mais  elle  ressort 
des  prières  ecclésiastiques ,  telles  qu'elles  se  font  par  toute 
la  terre,  en  Orient  comme  en  Occident,  et  saint  Augustin, 
saint  Prosper,  y  ont  trouvé  une  grâce  qui  fait  croire,  qui  fait 
agir,  comme  on  le  lit  encore  dans  les  oraisons  du  Vendredi 
Saint  (V).  Saint  Augustin  a  eu  rintention  de  démontrer  et 
il  a  démontré  en  effet  que  la  grâce  qu'on  demandait  par 
ces  prières  emportait  l'action  (5).  Les  liturgies  de  saint  Jac- 
ques de  Jérusalem,  de  saint  Marc  d'Alexandrie,  de  saint  Ba- 
sile, de  saint  Ambroise,  l'Orient  et  l'Occident  parlent  le  môme 
langage  (6)  que  la  liturgie  attribuée  â  saint  Chrysostome, 
mais  plus  ancienne  que  lui  dans  son  fond  et  qui  rapporte 
à  une  grâce  toute-puissante  le  commencement  avec  toute 
la  suite  de  la  piété  (7).  Le  simple  abrégé  du  contenu  des 
prières  montre  qu'on  y  trouve  mot  à  mot  la  doctrine  de 
saint  Augustin  et  la  foi  de  toute  l'Église  sur  l'efficacité  de 
la  grâce  (8).  A  quoi  bon  maintenant  discuter  les  écrits  des 
Pères  sur  la  grâce,  â  propos  de  laquelle  ils  ne  s'étaient  ex- 
pliqués que  brièvement  et  en  passant,  Iranseunter  et  l)revi- 
ter  (9|?  C'a  donc  été  à  M.  Sinu)n  une  erreur  grossière  et 

(I)  Cliap.  V.  —  (■>)  Cliap.  VI.  —  (3)  (;li;i|i.  vu.       ('OCliap.  viii,  ix  et  x.  —  (rj)  Cliap.  xi. 
—  (<))  Chap.  XII.  —  (7)  Chai).  \iii.       (H)  Cliap.  \iv.  —  (M)  Cliap.  xv. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  POLEMISTE.  631 

une  pernicieuse  ignorance  d'avoir  loué  saint  Chrysostome 
de  ne  parler  point  de  grâce  efficace.  Il  en  a  parlé  dans  ses 
prières  (1).  Les  deux  dernières  demandes  de  l'Oraison  do- 
minicale :  «  Ne  nous  induisez  pas  en  tentation ,  mais  déli- 
vrez-nous du  mal  »,  prouvent,  d'après  saint  Augustin,  l'ef- 
ficace de  la  grâce  (2i.  Or,  ce  docteur  a  pris  son  explication 
du  Pater  dans  les  Pères  ses  prédécesseurs ,  saint  Gyprien , 
Tertullien,  saint  Grégoire  de  Nysse  t3).  Pour  achever  de 
donner  à  Dieu  la  gloire  de  tout  le  bien,  saint  Augustin  et 
saint  Ambroise  ont  prouvé  que  la  prière,  en  nous  mon- 
trant que  tout  vient  de  Dieu  par  cette  grâce  qui  fléchit 
les  cœurs,  fait  voir  en  même  temps  qu'elle-même  est  un 
des  fruits  de  cette  grâce  (4).  La  preuve  de  l'efficace  du  se- 
cours divin  paraît  encore  plus  forte,  si  l'on  y  joint  l'action 
de  grâces  :  c'est  ce  que  saint  Augustin  a  prouvé  en  divers 
endroits  (5),  comme  les  Grecs  et  saint  Chrysostome  l'ont 
fait  de  leur  côté  (6).  Afin  d'avoir  tout  pouvoir  sur  le  cœur 
de  l'homme,  Dieu  n'attend  pas  que  l'homme  le  lui  donne; 
il  opère  dans  le  cœur  de  l'homme  toutes  les  bonnes  volontés 
qu'il  lui  plait  (7).  Les  auteurs  qui  sont  le  moins  soupçonnés 
d'outrer  l'efficacité  de  la  grâce,  la  reconnaissent  dans  le 
fond,  comme  saint  Augustin,  dont  la  doctrine  est  reçue 
de  toute  TÉglise  (8). 

Le  livre  onzième  explique  comment  Dieu  permet  le  péché 
selon  les  Pères  grecs  et  latins  et  confirme  par  les  uns  comme 
par  les  autres  l'efficace  de  la  grâce. 

Pour  accuser  saint  Augustin  de  faire  Dieu  auteur  du  pé- 
ché, Richard  Simon  se  fonde  sur  un  passage  où  ce  Père 
commente  le  mot  de  saint  Paul  :  «  Dieu  les  a  livrés  à  leurs 
désirs  »;  mais  saint  Augustin  n'a  rien  dit  que  de  vrai,  que 
de  nécessaire  et  que  les  autres  saints  docteurs  n'aient  été 
obligés  de  dire  et  avant  et  après  lui  (9).  Bossuet  énonce 
alors  dix  vérités  incontestables  qui  éclaircissent  et  démon- 
trent la  doctrine  de  saint  Augustin  :  ce  Père,  comme  tous 
les  autres,  enseigne  et  prouve  clairement  que  la  cause  du 

(l)  Cliap.  XVI.  —  (-2)  Cliap.  XIX.  —  (3)  Cliap.  xx.  —  (4)  Chap.  xxi  et  xxii.  —  (o)  cliap. 
XXIII.  —  {(j)  Chap.  xxiv.  —  (7)  Cliap.  xxv.  —  (8)  Chap.  xxvii.  —  (!))  Chap.  i. 


632  BOSSUET  KT  LES  SAINTS  PERES. 

péché  est  le  libre  arbitre,  que  Dieu  permet  seulement  le 
mai  (1),  qu'il  pourrait  l'empêcher,  mais  ne  le  veut  pas  (2); 
tandis  que  l'homme  pèche,  eu  n'empêchant  pas  le  mal 
lorsqu'il  le  peut  ^3),  Dieu  permet  le  péché  pour  que  sa 
justice  éclate  souverainement  (4)  ;  endurcir  le  pécheur,  du 
côté  de  Dieu,  n'est  que  lui  soustraire  sa  grâce  (5);  du  côté 
des  pécheurs,  l'endurcissement  présuppose  un  péché  pré- 
cédent (6)  :  ce  n'est  pas  une  simple  permission  (7);  c'est 
une  punition.  D'ailleurs,  quand  Dieu  permet  le  péché,  il 
ne  le  laisse  pas  faire  seulement,  autrement  les  pécheurs, 
en  péchant,  feraient  tout  ce  qu'ils  voudraient;  la  puissance 
de  Dieu  les  tient  tellement  en  bride  qu'ils  ne  peuvent  ni 
avancer,  ni  reculer  qu'autant  que  Dieu  veut  lâcher  ou  ser- 
rer la  main  Si.  Les  pécheurs  endurcis  ne  font  ni  au  de- 
hors, ni  au  dedans,  tout  ce  qu'ils  voudraient,  d'où  saint 
Augustin  et  saint  Thomas  infèrent  que  Dieu  pousse,  incline 
les  volontés  déjà  mauvaises  à  un  mal  plutôt  qu'à  un  au- 
tre (9).  Il  fait  ce  qu'il  veut  des  volontés  et  des  cœurs  re- 
belles (10).  M.  Simon  nous  veut  faire  accroire  que  saint 
Augustin,  en  enseignant  cette  doctrine,  favorise  les  protes- 
tants :  il  ne  sait  pas  ou  ne  veut  pas  savoir  que  Luther,  Cal- 
vin, Bèze  et  Wiclef,  niaient  le  libre  arbitre  et  mettaient 
dans  l'homme  une  nécessité  qui  ne  peut  avoir  que  Dieu 
pour  auteur,  tandis  que  saint  Augustin  a  établi  partout  que 
Dieu  n'a  pas  fait,  ni  n'a  pu  faire  les  volontés  mauvai- 
ses (11),  pas  plus  qu'il  n'a  fait  les  ténèbres  en  créant  la 
lumière  (12).  Saint  Augustin  n'a  rien  dit  que  tout  le  monde 
n'ait  dit  dans  le  fond,  et  il  n'y  a  rien  dans  sa  doctrine  qui 
favorise  les  protestants  (13). 

«  Quelle  merveille,  conclut  Bossuet,  que  celui  qui  fait  ce 
qu'il  veut  des  volontés  déréglées  qu'il  n'a  pas  faites,  fasse 
ce  qu'il  veut  de  la  bonne  volonté  dont  il  est  l'auteur!  S'il  est 
tout-puissant  sur  les  méchants,  dont  il  ne  meut  les  cœurs 
qu  indirectement  et  pour  ainsi  dire  qu'à  demi,  quelle  mer- 


(1,  Chaf).  II.  —  (-2)Chap.  iir.  —  (3)  Cliop.  iv.  -  (4)  Cliap.  v.  —  (5)Cliap.  vi.  —  («)Cliap. 
Vil.  —  (7)  Cliap.  Mil  el  IX.  —  (8)  Cliai).  x  et  xi.  -  (!t)  Cliap.  xii.  —  (10)  Cliap.  xui.  — 
(11)  Cliap.  XIV.  —  (1-2)  Cliap.  XV.  —  (i:i)  Chap.  xvi. 


LES  SAIMTS  PERES  ET  BOSSUET  POLÉMISTE.  G33 

veille  qu'il  puisse  tout  sur  les  cœurs  où  sa  grâce  développe 
toute  sa  vertu  et  agit  avec  une  pleine  liberté!  (1)  ».  L'ef- 
ficacité de  la  grâce  est  confirmée  encore  par  une  doctrine 
de  tous  les  Pères  et  de  tous  les  spirituels  anciens  et  nou- 
veaux, de  saint  Jean  de  Damas  en  particulier  sur  les 
péchés  où  Dieu  laisse  tomber  les  justes  pour  les  humi- 
lier (2)  :  «  Ainsi  il  a  voulu  permettre  le  péché  de  saint 
Pierre,  d'où  les  Pères  grecs  et  Origène  tirent  cette  consé- 
quence que  cette  permission  avait  pour  but  de  le  punir  et 
de  le  guérir  de  son  orgueil  (3)  et  que,  s'il  est  tombé,  c'est 
par  suite  de  la  soustraction  de  la  grâce  efficace  (lu.  Origène 
nous  enseigne  la  même  vérité  à  propos  de  David  (5.  Saint 
Chrysostome  a  parlé  dans  le  même  sens  dans  un  passage 
sur  saint  Matthieu  (6)  et  dans  un  passage  sur  saint  Jean  (7). 
Cent  passages  de  saint  Augustin  sur  la  permission  de  la 
chute  de  saint  Pierre  font  voir  qu'il  l'a  regardée  des  mêmes 
yeux  qu'Origène  et  saint  Chrysostome,  auxquels  il  faut 
ajouter  saint  Grégoire  le  Grand,  qui  dit  que  «  Dieu  voulait 
que  celui  qui  devait  être  le  pasteur  de  l'Église ,  apprit  par 
sa  propre  faute  combien  il  fallait  avoir  de  compassion  de 
celle  des  autres  »  (8). 

Le  livre  douzième  met  en  lumière  la  tradition  constante 
de  la  doctrine  de  saint  Augustin  sur  la  prédestination. 

Après  avoir  démontré  que  ce  Père  n'a  rien  dit  sur  l'ef- 
ficace de  la  grâce  et  sur  la  permission  du  péché  qui  ne  soit 
constant  ou  par  les  prières  de  l'Église  ou  par  d'autres  preu- 
ves également  incontestables  et  re('ues  des  Grecs  comme 
des  Latins ,  quoique  peut-être  expliqué  plus  nettement  par 
les  derniers,  «  depuis  que  le  grand  oracle  de  l'Église  la- 
tine a  développé  une  si  profonde  matière  «^  Bossuet  veut 
faire  voir  que  toute  la  doctrine  de  saint  Augustin  sur  la 
prédestination  et  sur  la  grâce  est  aussi  comprise  dans  les 
prières  et  dans  les  vérités  qu'elles  contiennent  (9i. 

Il  déduit  d'abord  par  ordre  douze  propositions,  les  unes 
démontrées  par  ce  qui  précède,  les  autres  qui  en  sont  une 

(1)  Chap.  XVII.  —  (-2)  Chap.  xix.  —  (3)  Cliap.  xx.  —  (4)  Cliap.  xxi.  —  ("i)  Cliap.  xxii.  — 
(6)  Cliap.  xxiii-xxiv.  —  ("j  Cliap.  xxv.  —  (8)  Chap.  xxvii.  —  t9)  Chap.  i. 


634  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PÈRES. 

suite  :  nul  cœur  humain  ne  résiste  à  Dieu,  quand  il  veut 
inspirer  le  bien  et  empêcher  le  mal;  la  grâce  qu'on  lui  de- 
mande n'est  pas  une  grâce  extraordinaire,  mais  ordinaire 
et  commune  â  tous  les  états  et  à  tous  les  saints  (1);  aucun 
chrétien  ne  fait  rien  pour  son  salut  sans  cette  grâce  (2)  ; 
la  grâce  qui  donne  le  commencement  et  qui  opère  la  con- 
version est  purement  gratuite  [3);  la  prière  qui  nous 
obtient  la  grâce  de  la  conversion  est  elle-même  donnée 
par  cette  grâce,  qui  persuade  et  fléchit  le  cœur  (4);  «  le 
grand  don  de  persévérance  »  est  le  plus  efficace  de  tous  5)  ; 
quoiqu'il  puisse  être,  en  quelque  façon,  mérité  par  les 
justes,  il  n'en  est  pas  moins  gratuit  (6);  les  prières  ec- 
clésiastiques induisent  du  côté  de  Dieu ,  en  faveur  de  ceux 
qui  font  le  bien  et  qui  persévèrent,  une  préférence  gra- 
tuite dans  la  distribution  de  ses  grâces,  dont  il  ne  faut 
point  demander  de  raison  (7),  comme  on  le  voit  par  l'O- 
raison dominicale  :  «  Ne  permettez  pas  que  nous  succom- 
bions (8)  »,  paroles  qui  font  dire  excellemment  â  saint  Au- 
gustin que  Dieu  nous  pouvait  accorder  la  grâce  de  faire 
de  bonnes  œuvres  sans  nous  obliger  à  les  demander   9). 

Toute  la  doctrine  de  ce  Père  sur  la  prédestination  est 
enfermée  dans  la  doctrine  précédente  :  pour  l'établir,  il 
ne  faut  que  ce  seul  principe  rapporté  à  cette  occasion  par 
saint  Augustin,  que  tout  ce  que  Dieu  donne,  il  a  résolu 
de  toute  éternité  de  le  donner;  et  comme  dans  la  distri- 
bution temporelle  de  la  grâce,  les  prières  de  l'Église  nous 
ont  fait  voit"  uue  préférence  gratuite  pour  tous  les  saints, 
cette  préférence  est  prévue,  voulue,  ordonnée  de  toute  éter- 
nité, et  cela  même,  dit  saint  Augustin,  c'est  la  prédesti- 
nation, c'est-à-dire  la  préparation  de  la  grâce,  qui  ne  dif- 
fère de  la  prédestination  que  comme  l'eilet  de  la  cause  (10), 
La  prescience  qu'il  faut  reconnaître  dans  la  prédestination, 
c'est,  d'après  saint  Augustin,  une  prescience  par  laquelle 
Dieu  prévoit  ce  qu'il  devait  faire  (11).  Cette  doctrine  sur  la 
prédestination,  exposée  et  défendue  dans  les  livres  Dr  la 

(1)  Cliap  II.  —(-2)  Cliap.  III.  —  (.t)  Chili),  v.  —  (l)  Chap.  vi.  —  (5)Cliap.  vu.  —  ((i)  Cliap. 
VIII.  —  (7)  Chap.  IX.  -  -  (S)  Cliap.  x.  --(!»)  Cliap.  si.  —  (10)  Cliap.  xiii.  —  (ll)Ch;ip.  xix. 


LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  POLEMISTE.  635 

prédestination  des  saints  et  Du  don  de  la  persévérance,  ap- 
partient à  la  foi ,  selon  saint  Augustin  et  le  cardinal  Bellar- 
min  (11.  Il  ne  s'agit  pas  ici  de  la  prédestination  à  la  gloire, 
dont  on  dispute  dans  les  écoles  et  dont  saint  Augustin  ne 
parle  pas  (2) ,  quand  il  établit  dans  son  Épifre  à  Vilal 
douze  sentences  qui  renferment  tout  le  fondement  de  la 
prédestination  gratuite  et  qui  appartiennent  à  la  foi  ca- 
tholique (3).  Ceux  à  qui  Dieu  ne  donne  pas  ces  grâces  sin- 
gulières ,  menant  infailliblement  à  la  foi  ou  même  au  salut 
et  à  la  persévérance  finale,  n'ont  point  à  se  plaindre;  car, 
dit  saint  Augustin ,  le  Père  de  famille  ne  les  doit  à  per- 
sonne (4)  :  loin  de  désespérer  les  fidèles,  ou  même  de  les 
troubler,  la  doctrine  de  saint  Augustin  est  le  soutien  de 
la  foi  et  la  plus  solide  consolation  des  âmes  pieuses.  Saint 
Cyprien  et  saint  Augustin  nous  disent  qu'il  faut  tout  don- 
ner à  Dieu,  non  pour  éteindre  la  libre  coopération  du 
franc  arbitre,  mais  pour  nous  montrer  qu'elle  est  comprise 
dans  la  coopération  de  la  grâce  :  «  Nous  voulons;  mais  Dieu 
fait  en  nous  le  vouloir  ;  nous  agissons  ;  mais  Dieu  fait  en 
nous  notre  action,  selon  son  bon  plaisir...  C'est  là  de  tou- 
tes les  consolations  que  les  enfants  de  Dieu  peuvent  re- 
cevoir la  plus  solide  et  la  plus  touchante,  de  n'avoir  à 
glorifier  que  Dieu  seul  dans  l'ouvrage  de  leur  salut;  et  il 
ne  faut  pas  appréhender  que  la  prédication  de  cette  doc- 
trine mette  les  hommes  au  désespoir  :  «  Quoi!  faut-il  crain- 
dre, dit  saint  Augustin,  que  l'homme  désespère  de  lui- 
même  et  de  son  salut,  quand  on  lui  montre  à  mettre  en 
Dieu  son  espérance ,  et  qu'il  cesse  d'en  désespérer,  quand 
on  lui  dira,  superbe  et  malheureux  qu'il  est,  qu'il  n'a  qu'à 
espérer  en  lui-même  !  »  Ce  serait  le  comble  de  l'aveugle- 
ment et  de  l'orgueil  (5).  M.  Simon,  qui  est  l'ennemi  de  la 
prédestination ,  se  déclare  avec  acharnement  contre  celle 
de  Jésus-Christ;  mais  il  faut  lui  dire  avec  saint  Augustin 
que  le  modèle  le  plus  éclatant  de  la  prédestination  et  de 
la  grâce  est  le  Sauveur  même  (6). 

(I)  Cliap.  XV.  —  (-2)  Cliap.  xvr.  —  'fl)  Cliaii.  xvii.  —  (4)  Cliai».  xviii.  —  (."i)  Chap.  xix. 
(6)  Cliap.  \x. 


636  lîOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

Pour  confirmei'  ce  qu'il  a  dit  touchant  l'esprit  d'oraison 
qui  parait  dans  les  prières  de  l'Ég-lise,  Bossuet  rapporte 
celles  des  quarante  martyrs,  dont  parle  saint  Basile  (1), 
celles  de  plusieurs  autres  martyrs  (2),  celle  de  saint  Éphrem 
le  Syrien  (3),  celle  de  Barlaam  et  de  Josaphat,  d'après 
saint  Jean  de  Damas  (i),  celle  des  hymnes  de  Synésius, 
évèque  de  Cyrène  (5) ,  celle  de  l'hymne  de  saint  Clément 
d'Alexandrie,  dont  la  doctrine  est  en  tout  conforme  à  celle 
de  saint  Augustin  (6)  ;  celle  d'Orig-ène ,  qui  pense  aussi 
comme  l'évèque  d'Hippone  que  la  grâce  est  efficace  (7) , 
qu'elle  est  invincible  (8) ,  que  Dieu  tient  en  bride  les  per- 
sécuteurs pour  les  empêcher  de  faire  le  mal  qu'ils  vou- 
draient (9) ,  que  le  libre  arbitre  de  l'homme  ne  peut  résis- 
ter à  la  grâce  de  Dieu  (10) ,  qui  est  non  seulement  efficace, 
mais  encore  prévenante  (11). 

Les  mêmes  vérités  ressortent  d'une  prière  de  saint  Gré- 
goire de  Nazianze ,  rapportée  par  saint  Augustin ,  qui  a  vu 
dans  tous  les  anciens  docteurs,  saint  Cyprien,  saint  Ambroise, 
Clément  Alexandrin,  la  doctrine  de  la  prévention  efficace 
et  toute-puissante  de  la  Grâce,  de  sorte  que  la  prescience 
qu'ils  ont  établie,  loin  de  répugner  à  la  théorie  augusti- 
nienne  de  la  prédestination  y  est  parfaitement  conforme  (12). 
Que  si  l'on  objecte  «  qu'il  faut  coopérer  par  libre  arbitre 
avec  cette  grâce,  et  que,  comme  libres,  nous  devons  être 
sauvés  de  nous-mêmes  »,  saint  Augustin  répète  cent  fois  que 
«  dans  les  touches  les  plus  efficaces  de  la  grâce  »,  c'est  à  no- 
tre propre  volonté  à  consentir  ou  à  ne  consentir  pas  (13)  ». 
Qu'on  ne  dise  pas  non  plus  avec  saint  Clément  d'Alexandrie 
que  Dieu  donne  la  grâce  à  ceux  «  qu'il  en  trouve  dignes  »  , 
ce  qui  semble  signifier  qu'elle  est  prévenue  par  les  mérites 
des  hommes  :  saint  Augustin  répond  que  Dieu  donne  la  vie 
éternelle  à  ceux  qui  en  sont  dignes;  mais  qui  les  en  fait 
dignes?  La  grâce  (IV).  Voilà  pourquoi  ce  Père  a  condamné 
la  proposition  de  Pelage,  qui  disait  «  qu'on  pouvait  se  ren- 

(I)  Chap.  XXI.  —  (-2)  Chap.  xxii.  —  (3)  Chap.  xxiii.  —  (4)  Chap.  xxiv.  —  (3)  Chap.  xxv. 
(6)  Chap.  XXVI.  —  (7)  Chap.  xxvii.  —  (8)  Cliap.  xxviii.  —  (9)  Chap.  xxix.  —  (10)  Cliap. 
XXX.  —  (11)  Chap.  XXXI.   -  (1-2)  Chap.  xxxiv.  —{V.i)  Chap.  xxxv.  —(14)  Cliap.  xxxvi. 


LES  SAINTS  PERES  ET  ROSSUET  POLÉMISTE.  637 

dre  dig-ne  de  toutes  les  grâces  »  (1).  On  prévient  Dieu  par 
rapport  à  certaines  grâces;  mais  pour  d'autres  on  est  pré- 
venu par  lui,  comme  l'enseignent  saint  Clément  d'Alexan- 
drie et  les  prières  de  l'Eglise.  Saint  Augustin,  en  répondant 
ainsi  aux  passages  des  Pères  qu'on  lui  objectait,  conciliait 
leurs  sentiments  avec  les  siens,  qui  étaient  ceux  de  l'Église 
et  faisait  voir  que  la  prédestination  était  enseignée  par 
saint  Cyprien,  par  saint  Ambroise,  par  saint  Grégoire  de 
Nazianze,  par  tous  les  Pères  «  de  l'Orient  et  de  l'Occi- 
dent. » 

Le  livre  treizième,  que  Bossuet  composa  dix  ans  après  les 
autres,  1703- ITOi,  traite  de  ce  principe  de  saint  Augustin  : 
la  grâce  n'est  pas  donnée  selon  les  mérites.  C'est  de  beaucoup 
le  plus  long,  le  plus  important  de  tout  l'ouvrage,  et  on 
comprend  que  les  Jansénistes,  dont  il  condamne  la  doctrine, 
n'aient  pas  voulu  le  publier  en  17V3. 

Bossuet  y  déclare  dès  le  début  que,  pour  entendre  à  fond 
la  doctrine  de  saint  Augustin  ,  qui  est  en  ce  point  celle  de 
toute  l'Église,  il  en  faut  venir  au  principe  fondamental  d'où 
dérive  et  où  aboutit  toute  la  doctrine  de  ce  Père,  qui  est 
que  «  la  grâce  n'est  pas  donnée  selon  les  mérites,  gratiam 
Dei  non  secimdum  mérita  nostra  dari.  ».  Cette  doctrine, 
soutenue  par  les  docteurs  les  plus  éminents  de  l'École,  a  été 
obscurcie  dans  les  trois  derniers  siècles  par  le  principe  que 
«  Dieu  ne  dénie  point  la  grâce  à  celui  qui  fait  ce  qu'il  peut  », 
qu'on  entendait,  non  pas  de  celui  qui  fait  ce  qu'il  peut 
par  la  grâce,  mais  de  celui  qui  fait  ce  qu'il  peut  même  par 
la  nature  :  on  imaginait  avec  Durand  de  Saint-Portien  une 
certaine  proportion  de  congruité  ou  de  convenance  entre  la 
nature  et  la  grâce.  Molina  a  soutenu  que  Dieu  est  prêt  à  aider 
les  forces  naturelles  et  que  «  le  libre  arbitre  peut,  avec 
le  concours  général  de  Dieu ,  produire  un  consentement  à 
la  foi  selon  la  seule  substance  de  l'acte  et  purement  natu- 
rel ».  —  Richard  Simon  a  cru  que  la  grâce  de  prédilection 
et  de  préférence ,  que  l'École  nomme  efficace  et  que  saint 

(1)  Chap.  XXXVII. 


638  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

Augustin  a  défendue  contre  les  pélagiens  et  les  semi-péla- 
giens ,  serait  détruite  par  la  volonté  générale  en  Dieu  et  en 
Jésus-Christ  de  sauver  tout  le  genre  humain ,  qu'on  trouve 
dans  tous  les  Pères  et  qui  semble  incompatible  avec  la  grâce 
de  prédilection,  inventée  par  saint  Augustin.  «  J'oppose  à 
cette  doctrine  téméraire,  dit  Bossuet,  deux  faits  constants  : 
l'un  que  l'École,  loin  d'opposer  l'efficace  de  la  grâce  et  la 
prédilection  gratuite,  avec  laquelle  elle  est  donnée,  à  la  vo- 
lonté générale  de  sauver  les  hommes,  les  concilie  ensem- 
ble; l'autre,  qu'elle  concilie  pareillement  saint  Augustin 
avec  tous  les  autres  Pères  :  de  sorte  qu'il  n'y  a  rien  de  plus 
contraire  à  l'esprit  de  toute  l'Ecole  que  d'entreprendre  de 
les  commettre  (1)  ». 

D'abord,  toute  l'École  donne  un  démenti  à  iM.  Simon, 
quand  il  présente  comme  deux  ennemis  irréconciliables  la 
grâce  efficace  et  la  volonté  générale  de  sauver  les  hommes. 
Le  cardinal  Du  Perron  les  concilie  fort  bien,  comme  les  con- 
cilient les  partisans  des  trois  opinions  sur  l'efficacité  de  la 
grâce,  la  prémotion  ou  prédétermination  physique  des  tho- 
mistes, la  prédétermination  morale  de  quelques-uns  et  la 
science  conditionnelle  des  autres.  En  effet,  la  grâce  de  pré- 
dilection et  la  volonté  générale  de  sauver  les  hommes  n'ont 
rien  d'incompatible  ni  pour  les  prédéterminants,  comme 
Alvarez  en  qui  l'on  entend  tous  les  autres  thomistes,  qu'il 
cite  avec  saint  Thomas,  leur  commun  maître;  ni  pour  les 
partisans  de  la  prédétermination  morale,  comme  M.  Isam- 
bert,  «  professeur  fameux  de  nos  jours  dans  la  Sorbonne  », 
et  le  Jésuite  Henriquez  ;  ni  pour  ceux  qui  «  avec  Suarez  ne  re- 
connaissent aucun  décret  ni  aucune  action  de  Dieu  sur  le 
libre  arbitre  que  dépendamment  du  consentement  futur 
prévu  sous  condition  par  la  science  moyenne  ou  condition- 
nelle. Tous  ceux  qui  ont  lu  les  savants  auteurs  Jésuites,  qui 
ont  écrit  sur  cette  matière,  savent  que  c'est  là  bien  constam- 
ment leur  doctrine  ,  et  c'est  en  cela  qu'ils  mettent  la  con- 
venance,  la  jn'oportion ,  la  congniité  et  la  contempération 

(Il  ciiap.  I. 


LES  SAINTS  PERES  ET  liitSSUET  POLEMISTE.  639 

de  la  grâce  qui,  selon  saint  Augustin  en  tant  d'endroits,  en 
fait  l'efficace  :  en  sorte  que,  qui  a  la  grâce  avec  cette  con- 
températion  fait  toujours  le  bien,  et  qui  ne  l'a  pas,  ce  qui 
dépend  absolument  et  uniquement  de  Dieu ,  ne  le  fait  ja- 
mais... Cette  doctrine  est  posée  pour  établir  invinciblement 
la  g'râce  de  distinction  et  de  préférence  » ,  que  confir- 
ment Molina,  Vasquez,  Suarez,  Grég-oire  de  Valence,  d'après 
lesquels  «  il  n'y  a  et  ne  peut  y  avoir  dans  l'homme  aucune 
raison  pourquoi  Dieu  choisisse  l'ordre  de  choses  et  les  se- 
cours par  où  il  connaît  qu'un  sera  sauvé  plutôt  que  les  au- 
tres... Il  est  certain,  non  seulement  par  les  passag"es  de  ces 
théologiens ,  qui  ont  préféré  en  cette  matière  la  doctrine  et 
l'autorité  de  saint  Augustin  à  celle  des  autres  Pères,  mais 
encore  par  cinq  cents  autres  sans  exagérer,  où  ils  pré- 
supposent, le  fond  de  sa  doctrine  comme  incontestable, 
que  les  disputes  ne  roulent  pas  sur  la  préférence  gratuite 
que  saint  Augustin  a  établie  pour  les  élus,  mais  sur  des  pré- 
cisions qui  ne  touchent  point  au  fond.  D'ailleurs,  un  décret 
du  général  des  Jésuites,  le  P.  Aquaviva,  en  l'an  1584,  sur  le 
choix  des  opinions,  donne  la  doctrine  de  saint  Augustin 
comme  reçue  non  seulement  par  l'Ecole,  mais  par  tous  les 
Pères  de  l'Église,  saint  Prosper,  saint  Fulgence  et  les  autres, 
et  par  les  papes  Zozime,  Sixte,  Célestin,  Léon,  Gélase.  De 
plus,  saint  Thomas,  recommandé  par  les  Papes,  reconnu 
comme  docteur  propre  et  particulier  de  la  Compagnie , 
n'est  autre  chose  que  saint  Augustin  réduit  à  la  méthode 
scolastique.  Enfin,  Scot  est  peut-être  plus  déclaré  que 
saint  Thomas  même  pour  la  doctrine  de  la  prédestination 
à  la  gloire  indépendamment  des  mérites,  et  son  école  se  pi- 
que d'être  aussi  affectionnée  que  celle  de  saint  Thomas  à  la 
doctrine  de  saint  Augustin.  Volonté  générale  de  sauver  les 
hommes  et  prédestination  gratuite  et  efficace  sont  donc  si 
peu  incompatibles  qu'on  travaille  à  les  concilier  autant  dans 
le  système  de  la  grâce  déterminante,  soit  physiquement, 
soit  moralement,  que  dans  celui  de  la  science  moyenne  (1). 

(1)  Cliap.  II. 


6i0  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

Bossuet  en  vient  alors  à  la  seconde  supposition  de  Ri- 
cliard  Simon,  qui  distingue  saint  Augustin  des  autres  Pères, 
comme  s'il  avait  nié  la  grâce  générale.  —  Les  Pères  qui  ont 
précédé  saint  Augustin  ont  reconnu  en  Dieu  et  en  Jésus-Christ 
la  volonté  générale  de  sauver  les  hommes  :  c'est  ce  qui  res- 
sort de  maints  passages  de  saint  Chrysostome,  en  qui  l'on 
entend  tous  les  Grecs  qui  sont  venus  après  lui  et  qui  le  sui- 
vent; de  saint  Ambroise,  qui  en  ce  point  ne  cède  rien  aux 
Grecs;  de  saint  Cyprien,  de  saint  Jérôme,  de  tous  les 
Pères  (1) .  —  Saint  Augustin  et  ses  disciples  n'ont  pas  changé 
ces  traditions,  ne  se  sont  pas  éloignés  de  ces  sentiments 
sur  la  rédemption  et  la  grâce  universelle  :  autrement,  saint 
Léon  n'aurait  pas  été  l'un  des  plus  zélés  défenseurs  de  la 
doctrine  augustinienne ,  et  ce  grand  Pape,  ou  un  saint  doc- 
teur de  son  temps,  n'aurait  pas  écrit  le  livre  de  la  Voca- 
tion des  Gentf/s,  un  des  plus  beaux  sans  contestation  que 
l'antiquité  ait  produits  contre  les  pélagiens  et  les  semi-pé- 
lagiens ,  et  où  l'on  voit  établis  une  grâce  et  un  secours  gé- 
néral pour  tous  les  hommes,  même  pour  ceux  qui  n'ont 
jamais  entendu  parler  de  l'Évangile  et  pour  les  enfants 
qui  meurent  sans  baptême.  Saint  Prosper  d'Aquitaine,  le 
chef  des  défenseurs  de  saint  Augustin,  enseigne  clairement 
la  même  doctrine  qu'il  a  prise  à  son  maître ,  ou  plutôt  à  la 
tradition  universelle  de  l'Église  (2).  C'est  une  calomnie  d'at- 
tribuer à  l'évêque  d'Hippone  la  négation  de  la  grâce  géné- 
rale et  universelle  ;  le  P.  Deschamps  l'a  prouvé  par  cent 
passages  de  ce  Père,  du  de  Cafechizandis  rudibus,  àwde 
Spiritu  fit  littera,  des  Rétractatioiis,  des  Diverses  questions  à 
Simjjlicifin,  des  Quativ-vingt-ti^ois  questions ,  du  Libre  Ar- 
bitre, du  traité  De  la  nature  et  de  la  grâce  (3).  Si  dans 
certains  passages  De  la  Correction  et  de  la  grâce ^  du  Manuel 
à  Laurent,  saint  Augustin  semble  restreindre,  la  volonté 
générale  de  Dieu  et  de  Jésus-Christ  de  sauver  tous  les  hom- 
mes, c'est  que  selon  ce  Père  ou  plutôt  tous  les  Pères  et 
selon  l'Écriture  même,  il  y  a  en  Dieu  deux  sortes  de  vo- 

(1)  Clinp.  III.  —  {-X)  chap.  IV.  —  (:{)  cliaj).  v. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  POLEMISTE.  641 

lotîtes  :  l'absolue  et  la  conditionnelle,  par  laquelle  il  veut 
telle  chose,  supposé  que  telle  autre  soit,  par  exemple  sau- 
ver tous  les  hommes,  pourvu  qu'ils  se  conforment  à  sa  vo- 
lonté. C'est  une  doctrine  perpétuelle  de  saint  Augustin  que 
la  volonté  de  Dieu  sauve  toujours,  lorsqu'elle  est  absolue, 
et  qu'un  des  moyens  que  donne  ce  Père  de  montrer  qu'elle 
s'accomplit  infailliblement,  c'est  que,  lorsqu'on  l'empêche 
d'un  côté ,  de  l'autre  on  retombe  toujours  et  inévitablement 
dans  son  empire  (1).  Le  livre  même  Contre  Julien,  d'où 
l'on  tire  les  interprétations  restrictives  de  cette  parole  : 
«  Dieu  veut  que  tous  les  hommes  soient  sauvés  » ,  contient 
un  passage  très  explicite  où  saint  Augustin  affirme  que 
Jésus-Christ  est  mort  pour  tous  les  hommes  sans  exception. 
C'est  si  fort  le  sentiment  de  saint  Augustin  qu'il  a  été  cons- 
tamment suivi  par  ses  plus  zélés  disciples ,  saint  Prosper,  Cé- 
saire  d'Arles  ,  «  un  des  plus  grands  défenseurs  de  la  doctrine 
de  la  grâce  »  saint  Thomas  et  Scot,  son  antagoniste  (2). 
Saint  Augustin  a  reconnu  en  Dieu  et  en  Jésus-Christ  des 
volontés  générales  et  conditionnelles,  qui  manquent  d'avoir 
leur  efïét  par  le  défaut  de  notre  libre  arbitre.  La  suite  de 
ce  principe  l'oblige  à  reconnaître  des  grâces  qui  sont  inuti- 
les par  notre  faute;  ce  qu'il  y  a  de  plus  démonstratif  pour 
établir  de  telles  grâces ,  c'est  ce  principe  de  saint  Augustin 
((  canonisé  »  par  le  concile  de  Trente  :  «  Dieu  n'abandonne 
pas  ceux  qu'une  fois  il  a  justifiés  par  sa  grâce,  s'il  n'en  est 
le  premier  abandonné.  »  Voilà  la  doctrine  perpétuelle  de 
saint  Augustin  jusqu'à  la  fin  de  sa  vie,  en  particulier  dans 
le  livre  de  la  Correction  et  de  la  grâce,  qui  est  celui,  où, 
selon  lui-même,  il  a  le  mieux  exprimé  la  manière  toute- 
puissante  dont  Dieu  donne  la  persévérance  i3).  —  Cela 
veut-il  dire  que  les  justes  qui  tombent  sont  désormais  pri- 
vés de  tout  secours  pour  se  relever?  C'était  l'objection  que 
lui  faisaient  les  Marseillais  et  «  où  il  a  ramassé  tout  le  venin 
de  ses  adversaires  »  dans  le  livre  écrit  à  la  fin  de  sa  vie, 
du  Don  de  la  persévérance.  Il  répond  :  ((  Si  vous  êtes  réprou- 

(1)  Chap.  VI.  —  (-2)  Cliap.  vu.  —  (3)  Cliap.  vin. 

BOSSUET    ET  LES  SAINTS  PÈRES.  ''l 


r,42  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

vés,  VOUS  cesserez  d'obéir.  »  Il  ùte  partout,  avec  une  pré- 
caution manifeste,  la  soustraction  des  forces.  Par  ce  moyen, 
il  rejette  l'endroit  de  l'objection  où  il  est  porté  qu'elles  sont 
(Jtées  aux  justes  qui  tombent,  et  tout  ce  qu'il  en  avoue, 
c'est  qu'à  la  fin  ils  cesseront  de  persévérer,  sans  que  les 
forces  d'obéir  à  Dieu  leur  soient  soustraites  [i). 

D'après  saint  Aug"ustin  et  saint  Prosper,  les  justes  peu- 
vent persévérer,  s'ils  le  veulent;  il  ne  tient  qu'à  eux  de  per- 
sévérer. La  même  vérité  parait  au  concile  d'Orange ,  qui  a 
établi  la  doctrine  de  la  grâce  efficace  en  plusieurs  chapitres 
tirés  de  saint  Augustin  (  2 1.  —  Mais  ici  s'élève  encore  une  dif- 
ficulté :  pourquoi  Dieu  donne-t-il  des  grâces  inutiles?  «  Que 
ceux-là  le  cherchent  qui  croient  pouvoir  pénétrer  dans  le 
fond  de  ses  conseils...  Demandez  donc  à  saint  Augustin,  ré- 
pond Bossuet,  pourquoi  Dieu  a  donné  aux  justes  ces  forces 
qui  ne  devaient  jamais  être  déployées  et  ce  pouvoir  que  per- 
sonne ne  devait  jamais  mettre  en  usage  ;  en  résolvant  cette 
question,  je  résoudrai  celle  que  vous  me  proposez;  et  si 
l'une  est  indissoluble,  je  ne  rougirai  pas  d'avouer  qu'il  en 
est  de  même  de  l'autre.  Acquiesçons  donc  tous  ensemble  à 
la  vérité  de  la  foi,  encore  que  nous  puissions  en  pénétrer  le 
fond.  »  Saint  Augustin  dit  clairement  dans  le  livre  de  l'Es- 
prit et  de  la  lettre  que  l'homme  peut  vivre  «  sans  péché, 
si,  aidé  du  secours  divin,  sa  volonté  n'y  manque  pas  ». 
Mais  il  y  a  deux  vices  qui  empêchent  la  volonté  d'être  tou- 
jours droite  :  l'ignorance  et  la  faiblesse,  dont  le  remède  ap- 
partient à  la  grâce.  La  comparaison  du  Livre  à  Simplicien 
composé  longtemps  avant  Pelage ,  avec  le  traité  du  Don  de 
la  persévérance,  écrit  à  la  fin  de  sa  vie,  montre  que  ce 
docteur  avait  parlé  de  la  grâce  avant  le  Pélagianisme  aussi 
correctement  qu'après.  Il  ne  s'agit  pas,  après  cela,  d'expli- 
quer ces  convenances,  ces  proportions,  ou,  comme  parle 
l'École,  ces  congruitésde  saint  Augustin,  qui  peuvent  tout 
sur  les  cœurs  (3).  Mais  ce  Père  a  nettement  marqué,  dans 
son  livre  de  (iratia  Chrisli,  qu'il  envoyait  exprès  en  Orient 

(1)  Cliap.  IV.    -  (-2/  Chaii.  IX.  —  (:t)  clinp.  x. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  POLEMISTE.  643 

pour  y  dissiper  les  é({uivoques  des  Pélagiens,  que  la  grâce 
qu'ils  attaquaient  avec  le  plus  d'obstination  et  d'ingratitude, 
c'est  la  grâce  singulière  et  de  préférence,  qui  convertit  les 
cœurs,  qui  les  fait  persévérer  dans  le  bien,  qui  même  forme 
en  eux  les  bonnes  prières,  par  lesquelles  Dieu  fait  croire 
et  de  plus  aimer  ce  qu'on  croit.  «  Il  faudrait  transcrire  tout 
le  livre,  si  l'on  voulait  rapporter  tous  les  passages  où  saint 
Augustin  explique  que  la  grâce  dont  il  demande  la  con- 
fession aux  Pélagiens  est  celle  qui  donne  tout  ensemble  par 
un  effet  infaillible  et  le  savoir  et  le  vouloir  et  le  faire  »  ;  c'est 
la  doctrine  des  conciles  de  Garthage,  où  ce  grand  homme 
était  présent,  et  de  Milève,  en  ilG  ap.  .l.-C,  et  d'Orange 
en  M8.  «■  Cet  esprit  dure  encore  et  durera  éternellement 
dans  rÉglise  ».  Le  concile  de  Trente  n'a  pas  eu  précisément 
à  établir  l'efficace  de  la  grâce ,  puisque  Luther  et  les  autres 
qu'il  condamnait  l'outraient,  en  niant  la  coopération  du 
libre  arbitre,  plutôt  qu'ils  ne  la  niaient.  Et  toutefois  ce  qu'il 
en  a  dit,  quoiqu'on  passant,  est  conforme  à  la  doctrine  de 
saint  Augustin  :  l'efficace  de  la  grâce  paraît  principalement 
en  trois  effets  :  dans  la  conversion  à  la  justice,  dans  l'ac- 
croissement de  la  justice  et  dans  la  persévérance  qui  nous  y 
fait  demeurer  jusqu'à  la  fin.  «  Les  conciles  n'ont  rien  défini 
sur  la  prédestination  gratuite;  mais  saint  Augustin  mon- 
tre partout  qu'elle  convient  avec  cette  grâce  de  préférence, 
que  Dieu  qui  prévoit,  ordonne  toutes  ses  œuvres  de  toute 
éternité  ,  n'a  pu  manquer  de  prévoir,  d'ordonner  et  de  pré- 
parer, c'est-à-dire  de  prédestiner  avant  tous  les  temps  (1). 
—  Peut-on  dire  que  la  grâce  qui  donne  l'effet  est  nécessaire 
â  persévérer  dans  le  bien,  ou  même  à  le  faire  et  qu'on 
ne  peut  rien  sans  elle?  Oui,  Vasquez  l'a  démontré  par 
saint  hinocent,  par  saint  Célestin,  par  saint  Augustin,  qui 
l'affirme  en  maints  passages  de  ses  livres.  «  Il  n'est  donc  pas 
permis  de  disputer,  ni  de  la  grâce,  qui  donne  le  pouvoir 
sans  l'acte,  ni  de  la  grâce  qui  donne  l'acte  avec  le  pouvoir; 
non  de  la  première,  qui  donne  le  pouvoir  sans  l'acte  ,  puis- 

(i)  Chap.  XI. 


644  lîOSSLET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

que  c'est  celle  qu'ont  tons  les  justes  qui  tombent;  non  delà 
seconde  qui  donne  l'acte  avec  le  pouvoir,  car  c'est  elle 
qu'ont  les  justes  qui  demeurent.  Avec  celle  qui  donne  le 
pouvoir  on  pourrait  faire  ;  avec  celle  qui  donne  l'acte  on 
pourrait  ne  faire  pas.  Il  ne  faut  point  chicaner  sur  ces  pou- 
voirs donnés  de  Dieu,  mais  croire  fermement  que,  lorsqu'il 
veut  donner  le  pouvoir,  on  l'a  sans  douter,  comme  lorsqu'il 
veut  donner  l'acte,  on  l'a  aussi.  Car  on  a  tout  ce  qu'il  veut 
donner,  comme  il  veut  et  au  degré  qu'il  veut  (1)  ». 

Après  cette  pointe  contre  le  Jansénisme ,  Bossuet  résume 
la  doctrine  de  saint  Augustin  et  des  conciles  (-2)  :  1°  tous  les 
justes  ont,  par  la  grâce  de  Dieu,  le  pouvoir  de  demeurer 
dans  la  justice,  s'ils  le  veulent;  2°  ceux  qui  demeurent  ac- 
tuellement dans  la  justice,  et  surtout  ceux  qui  y  demeurent 
jusqu'à  la  im  de  leur  vie,  ont  reçu  de  Dieu  une  grâce  par- 
ticulière qui  les  y  fait  demeurer  actuellement;  3°  les  fidèles 
ont  besoin  de  cette  grâce  qui  donne  l'acte,  parce  que  c'est 
celle  qui  sauve  seule  et  qu'il  faut  que  tous  les  fidèles  la 
demandent;  4°  elle  est  nécessaire  pour  ne  point  tomber, 
et  sans  elle  on  n'est  pas  capable  de  persévérer  dans  la 
justice;  5"  sans  cette  grâce  qui  donne  l'acte  et  l'effet,  on  ne 
peut  croire;  6°  si  on  ne  peut  pas  venir  à  Jésus-Christ,  c'est 
qu'on  ne  le  veut  pas,  ou  qu'on  ne  le  veut  pas  assez  forte- 
ment; 7"  la  grâce  qui  donne  le  faire  n'est  pas  nécessaire  de 
la  nécessité  antrcédcnle  qui  ôte  le  libre  arbitre,  mais  de 
cette  nécessité  qu'on  appelle  de  conséquent,  telle  qu'est 
celle-ci  :  celui  qui  parle,  tant  qu'il  parle,  il  ne  se  peut  pas 
qu'il  ne  parle;  celui  qui  veut  librement,  tant  qu'il  veut 
librement,  il  ne  se  peut  pas  qu'il  ne  veuille  librement. 
Après  avoir  montré  que  d'un  passage  de  YÉpilre  à  Vital 
on  ne  peut  pas  conclure  que  saint  Augustin  est  opposé  à 
l'universalité  de  la  grâce,  le  grand  é\  é({uc  de  Meaux  termine 
l)ar  ces  belles  paroles  :  «  Concluons  donc  qu'il  est  de  la  foi 
que  la  grâce  chrétienne,  la  grâce  du  Dieu  Rédempteur, 
n'est  pas  donnée  à  tous  les  hommes  à  la  manière  de  la 

(1,  (;ii:i|).  XII.  —  (-2)  Chap.  XIII. 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  POLÉMISTE.  G45 

grâce  du  Dieu  Créateur,  qui  était  celle  que  reconnaissaient 
les  pélagiens  :  ce  qui  même  serait  certain ,  quand  il  serait 
vrai  que  Dieu  touche  tous  les  cœurs  des  hommes,  pour  les 
appeler  de  loin  ou  de  près  à  sa  connaissance,  parce  qu'il 
demeurerait  toujours  pour  indubitable  que  cette  grâce  n'est 
pas  commune ,  uniforme ,  perpétuelle  comme  la  nature , 
puisqu'on  la  reçoit,  qu'on  la  perd,  qu'on  la  recouvre,  que 
Dieu  la  répand  à  certains  moment  et  la  retire  dans  d'autres 
par  de  secrets  jugements.  Tout  au  contraire  de  la  nature, 
qu'il  donne  sans  choix  à  tous  les  hommes  et  qu'il  conserve 
même  à  ceux  qu'il  abandonne ,  selon  quelques-uns ,  de  tous 
les  secours,  et,  selon  d'autres,  du  moins  des  grands  secours 
de  la  grâce,  ne  cessant  de  leur  inspirer,  comme  dit  saint 
Paul ,  dans  leur  plus  grand  abandonnement  le  mouvement 
et  la  vie,  et  de  faire  subsister  en  eux  le  fond  même  de  la 
raison  et  du  libre  arbitre,  » 

Quand  on  a  parcouru  et  médité  les  pages  de  la  Défense 
de  la  Tradition  et  des  saints  Pères,  comment  ne  pas  admi- 
rer l'immense  érudition  du  grand  évêque,  pour  lequel  la 
patrologie  n'a  pas  de  secret  et  qui  cite  avec  une  abondance 
incomparable  et  une  merveilleuse  sûreté  de  mémoire  tous 
les  Pères  des  Églises  occidentales.  Églises  d'Afrique,  d'Es- 
pagne, d'Italie,  des  Gaules  et  d'Angleterre,  et  tous  les  Pères 
des  Églises  Orientales,  Églises  d'Alexandrie,  de  Jérusalem, 
d'Antioche,  de  Constantinople?  On  n'a  pas  de  peine  à  com- 
prendre pourquoi  un  de  ses  contemporains,  ravi  de  la 
science  étonnante  de  Bossuet,  lui  écrivait  un  jour  :  «  Vos 
ouvrages  sont  une  encyclopédie  de  tous  les  saints  Pères  (1).  » 

Comment  aussi  ne  pas  admirer  dans  la  Défense  de  la 
Tradition  et  des  saints  Pères  une  magnifique  apologie  «  de 
l'aigle  des  Pères  » ,  du  «  docteur  des  docteurs  » ,  de  «  ce 
maître  si  maître  »,  qui  fut  «  la  lumière  de  tout  l'Occident, 
le  plus  solide  théologien  de  l'Église  » ,  «  l'oracle  du  monde 
catholique  »,  et  après  lequel  Bossuet  est  si  heureux  de  mar- 
cher, en   disant   :    «  Je  parle   après  saint  Augustin,   qui 

(1)  Lettre  du  P.  Campioni  à  Bossuet,  8  septembre  l(!!t8. 


646  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

lui-même  parle  après  saint  Paul.  »  Certes,  notre  grand 
évêque  devait  beaucoup  à  ce  génie  pénétrant,  hardi,  su- 
blime, dont  les  paroles  et  la  doctrine  faisaient  le  fond 
constant  et  la  substance  même  de  toutes  ses  œuvres  oratoi- 
res, ascétiques,  philosophiques,  théologiques  et  polémi- 
ques. Mais  avec  quelle  loyale  et  généreuse  ardeur,  avec 
quelle  conviction  puissante  et  comniunicative  ne  s'acquitte- 
t-il  pas  de  la  dette  de  sa  reconnaissance,  qui  honore  autant 
celui  qui  la  témoigne  que  celui  auquel  elle  est  témoignée? 
Nourri  de  la  pure  moelle  du  lion ,  Bossuet  montre  qu'il  est 
de  la  même  race  que  Tillustre  évêque  dHippone,  et  qu'avec 
un  génie  de  la  même  trempe,  il  sait  rendre,  lui  aussi,  des 
oracles  dignes  d'un  «  Père  de  lEgiise  »,  écouté  de  la 
France  et  de  l'univers  catholique. 

Gomment  enfin  ne  pas  regretter  avec  M.  Brunetière  (1), 
qu'un  livre  étonnant  comme  la  Défense  de  la  Tradition  et 
des  saints  Pères  soit  si  peu  connu,  non  seulement  du  public, 
mais  même  des  théologiens  et  des  vrais  admirateurs  de 
Bossuet?  Des  aperçus  sublimes  sur  le  plus  redoutable  des 
mystères  de  la  foi,  des  envolées  superbes  vers  les  régions 
inaccessibles  deTinfini,  des  clartés  souveraines  répandues 
de  haut  sur  des  matières  aussi  obscures  que  profondes,  et 
avec  cela,  une  langue  précise  et  vigoureuse  que,  seul,  Bos- 
suet a  su  parler;  une  éloquence  tantôt  vive  et  entraînante, 
comme  le  chant  du  clairon  qui  sonne  la  charge,  dans  une 
lutte  où  «  il  y  va  de  tout  pour  la  religion  » ,  tantôt  large  et 
abondante  comme  les  eaux  <(  d'un  fleuve  majestueux  et 
bienfaisant  »  ;  une  ironie  toute  cornélienne  et  à  la  Nicomède 
contre  la  malignité  d'une  critique  téméraire  et  chica- 
neuse (2),  et  parfois  une  indignation  h  la  Pascal  contre  «  cet 
amas  d'impiétés  »,  cet  insolent  libertinage,  cette  «  indiffé- 
rence des  religions  »,  qui  sont  la  folie  du  siècle  «  et  qui 
s'étalent  dans  les  Critiques  de  Richard  Simon,  enliii  con- 

(I)  Eludes  critiques,  t.  V.  p.   107. 

{■Il  «  Chicanez,  Monsieur  Simon,  tant  qu'il  vous  plaira.  Ni  vous,  ni  les  l'élagiens 
ne  pouvez  plus  reculer;  laissez  à  part  pour  un  nionienl  les  noms  ilcTIiéodoret,  de 
Plioilus;...  traduisez  comme  vous  voudrez  le  |)assasc  de  saint  l'aul,  etc.  (Liv.  VU, 


LES  SAINTS  PERES  ET  BOSSUET  POLEMISTE.  647 

tre  la  prétention  outrecuidante  de  «  subtils  grammairiens  », 
qui  croient  que  «  tout  consiste  à  savoir  beaucoup  de  grec  »  : 
voilà  ce  que  nous  ofl're  un  ouvrage  simple  et  profond,  érudit 
et  ingénieux,  persuasif  et  puissant,  tel  que  le  génie  d'un 
Bossuet  avait  le  privilège  unique  d'en  faire  pour  la  gloire 
de  son  siècle  et  de  l'Église  catholique. 

Et  dire  que  la  Défense  est  une  œuvre  incomplète,  ina- 
chevée, interrompue  par  la  mort,  qui  vint  glacer  trop  tôt 
la  main  du  grand  apologiste  de  la  grâce  prévenante,  de  la 
prédestination  divine,  de  ces  mystères  insondaljles  sur  les- 
quels il  promène  son  regard  d'aigle  avec  une  sorte  d'hé- 
roïsme !  Tantôt  il  «  se  porte  impétueusement  au  plus  épais 
des  saintes  obscurités  » ,  comme  un  soldat  courageux  qui 
se  lance  dans  la  mêlée ,  et  il  semble  s'écrier  comme  autre- 
fois :  «  0  largeur  :  ô  profondeur!  ô  longueur  sans  bornes 
et  inaccessible  hauteur!...  Entrons  dans  cet  abime  de  gloire 
et  de  majesté!  J^etons-nous  avec  confiance  sur  cet  Océan!  » 
Tantôt  il  s'arrête  «  ébloui,  contraint  de  baisser  la  vue  et 
de  dire  avec  l'Apôtre  :  «  0  homme  !  qui  êtes-vous  pour 
répondre  à  Dieu?  »  C'est-à-dire  sans  difficulté ,  qui  êtes-vous 
pour  l'interroger  et  lui  demander  raison  de  ce  qu'il  fait  (1), 
et,  comme  porte  l'original,  pour  disputer  avec  lui,  àvTa-o- 
y-piv6[/£voç,  et  encore  :  «  Qui  lui  a  donné  quelque  chose  le 
premier,  pour  en  avoir  la  récompense?  puisque  tout  est 
de  lui ,  tout  est  par  lui ,  tout  est  en  lui ,  et  qu'il  n'y  a  qu'à 
lui  rendre  gloire  dans  tous  les  siècles  de  tout  le  bien  qu'il 
fait  en  nous?  Ipsi  glorl\  ys  saecula  (2)  !  » 


(1)  «  Pour(|uoi,  dit-il  encore  en  traduisant  saint  Ausustin  (Liv.  XIII.  c.  v),  l'un 
est  induit  à  la  vérité  et  à  la  foi,  et  l'autre  non?  Je  n'ai  maintenant  sur  cela  que 
ces  deuK  choses  à  répondre  :  0  profondeur  des  ricliesses  !..  Y  a-t-il  en  Dieu  quelque 
iniquité/  Celui  à  qui  déplaira  cette  réponse,  (ju'il  cherche  de  plus  grands  doc- 
teurs; mais  qu'il  craigne  de  trouver  des  présomptueux!  » 

(•2)  Défense  de  la  Tradition,  liv.  XII.  clia]).  ix. 


CONCLUSION 

Pendant  plus  de  soixante  ans,  de  1642  à  1704,  Bossuet 
vécut  avec  les  Pères  Grecs  et  Latins  dans  un  commerce  in- 
time, de  tous  les  jours,  de  toutes  les  heures,  pour  ainsi 
dire.  A  Navarre,  à  Metz,  à  Paris,  au  doyenné  de  saint  Tho- 
mas du  Louvre,  à  la  cour,  à  Versailles,  au  Petit  Concile, 
dans«  l'allée  des  Philosophes  »  ,  à  Meaux,  à  Germigny,  dans 
ses  promenades,  dans  ses  voyages,  partout  l'élève  de  Nico- 
las Cornet,  l'archidiacre  de  Metz,  le  prédicateur  ordinaire 
du  roi,  le  précepteur  du  Dauphin,  l'évêque  de  Meaux  se  lit 
une  vraie  joie  d'étudier  et  de  méditer  les  «  saints  docteurs  », 
qu'il  aimait  avec  passion. 

Il  y  trouvait  la  «  première  sève  du  christianisme  (1)  »  ; 
il  y  suçait  «  la  substance  des  anciennes  traditions  (2)  »  ;  il 
s'y  nourrissait  de  ce  froment  des  élus,  de  cette  pure  et  fine 
fleur  de  la  religion,  »  de  cet  esprit  primitif  que  (les  Pères) 
ont  reçu  de  plus  près  et  avec  plus  d'abondance  de  la  source 
même  »  (3)  ;  il  estimait  que  «  souvent  ce  qui  leur  échappe 
et  qui  sort  naturellement  de  leur  plénitude  est  plus  nour- 
rissant que  ce  qui  a  été  médité  depuis  (4)  »  ;  il  était  con- 
vaincu enfin  que  les  choses  mêmes  (jui  paraissent  «  inutiles  » 
chez  les  Pères,  ou  «  moins  accommodées  à  nos  coutumes 
et  aux  erreurs  que  nous  connaissons  »  produisent  encore 
«  un  fruit  infini  dans  ceux  qui  les  étudient  (5)  ». 

Ce  «  fruit  infini  »,  il  a  été  le  premier  à  le  recueillir,  et 
il  ne  semble  pas  qu'on  trouve  dans  l'histoire  ecclésiastique 
ou  profane  d'autre  exemple  d'un  homme  qui  se  soit  appro- 

(I)  Di'fensc  de  la  Tradilion.  liv.  IV.  cliap.  xviii. 
(-2)  Ibidem.  —  (3)  Ibid.  —  (4)  Ibid.  —  (ti)  Ihid. 


CONCLUSIOiN.  Gid 

prié,  incorporé,  tous  les  sentiments  et  toute  la  doctrine  des 
anciens  docteurs  de  TÉglise  au  point  de  mériter  de  ses  con- 
temporains eux-mêmes,  parlant  «  le  langage  de  la  posté- 
rité »,  le  titre  de  «  Père  de  l'Église  (1)  »,  de  «  notre  Père 
grec  (2)  ». 

S'il  est  vrai  qu'il  faille  «  définir  les  hommes  par  ce  qui 
domine  en  eux  »,  comme  l'écrivait  un  jour  Bossuet  (3), 
ne  peut-on  pas  le  définir  lui-même  «  l'homme  de  la  Tradi- 
tion et  des  saints  Pères  »  aussi  bien  que  de  la  Bible  ?  C'est  là 
le  trait  le  plus  marqué  de  la  physionomie  de  ce  grand  prélat, 
auquel  «  l'unité  d'inspiration  et  de  pensée  »  (4)  donne  tant 
de  majesté  calme  et  sereine. 

La  Table  des  Textes  qu'on  trouve  dans  les  OEuvres  de 
Bossuet  relève  plus  de  dix  citations  (5)  de  ce  verset,  de 
cette  maxime  du  livre  des  Proverbes  :  «  N'outrepassez  pas, 
—  et  Bossuet  dit  encore  d'après  l'hébreu ,  ne  remuez  pas , 
ne  renversez  pas  (6)  —  les  anciennes  bornes  posées  par 
vos  pères  :  iVe  transgrediaris  terminos  antiqiws,  quos  po- 
suerunt  patres  tui  (7) .  »  Le  texte  de  saint  Paul  aux  Thessa- 
loniciens  :  «  Tenete  traditioiies ,  quas  didicistis,  sive  per  ser- 
monem,  sive  per  epistolam  nostram  :  Gardez  les  traditions 
que  vous  avez  apprises  soit  par  ma  parole ,  soit  par  ma 
lettre  (8)  » ,  est  aussi  invoqué  cinq  ou  six  fois  par  Bossuet, 
surtout  contre  les  Protestants.  On  doit  voir  lace  que  Pascal 
appelle  «  la  pensée  de  derrière  la  tête  » ,  ou  plutôt ,  tout 
l'esprit  de  notre  grand  évêque  :  «  Hors  de  la  tradition  et 
des  saints  Pères,  point  de  vérité  ». 

Il  disait,  en  1G86,  clans  le  Catéchisme  de  Meaux,  article  V 
à  propos  «  des  moyens  dont  Dieu  s'' est  servi  pour  nous  ré- 

(I)  Discours  de  réception  de  La  Bruyère  à  V Académie ,  le  15  juin  lOfta. 

(û)  C'est  la  qualification  qu'on  trouve  dans  une  Lettre  de  Le  Dieu  à  l'ahijc  Bos- 
suet, 5  novembre  169G,  et  qui  semble  cire  le  nom  que  l'abbé  de  Choisy,  La  Bruyère 
et  les  membres  du  Petit  Concile  donnaient  h  l'évêque  de  Meaux. 

(3)  De  la  connaissance  de  Dieu  et  de  soi-même,  Chap.  i,  11, 

(4)  L'abbé  Lei)ai(i.  Histoire  critique  de  la  préd.  :  Conclusion,  p.  3.j9. 

(5)  P.  de  la  Broise,  Bossuet  et  la  Bible,  p.  377. 

(6)  Voir  l'Histoire  des  Variations,  où  ce  texte  paraît  à  trois  reprises,  le  Pre- 
mier Avertissement  aux  Protestants,  la  Lettre  de  V Assemblée  de  168:2,  et  la  Politique 
où  ces  paroles  sont  reproduites  quatre  ou  cin(i  fois,  etc. 

(7)  Chap.  XXII,  v.  '28. 

(8)  Seconde  Éj^it^-e,  chap.  u,  v.  li. 


650  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

vêler  la  doctrine  chrrt'wnnc ,  à  savoir  V Ecriture  et  la  Tra- 
dition : 

«  Ne  croyez-vous  que  ce  qui  est  écrit?  —  Je  crois  aussi 
ce  que  les  Apôtres  ont  enseigné  de  vive  voix  et  ce  qui  a  tou- 
jours été  cru  dans  l'Église  catholique. 

«  Comment  appelez-vous  cette  doctrine?  —  Je  l'appelle 
parole  de  Dieu  /ion  écrite  ou  Tradition. 

«  Que  veut  dire  ce  mot  Tradition?  —  Doctrine  donnée  de 
main  en  main  et  toujours  reçue  dans  l'Eglise.  » 

Ainsi,  pour  Bossuet,  la  Tradition,  c'est  «  la  parole  de  Dieu 
non  écrite  »;or,  la  parole  de  Dieu  apparaissait  au  grand 
orateur,  dès  1661 ,  comme  «  un  mystère  et  un  mystère  sem- 
blable à  celui  de  l'Eucharistie  ;  car  le  corps  de  Jésus-Christ 
n'est  pas  plus  réellement  dans  le  sacrement  adorable  que 
la  vérité  de  Jésus-Christ  est  dans  la  parole  de  Dieu  ».  Qu'y 
a-t-il  dès  lors  d'étonnant  que  Bossuet  se  soit  nourri  toute 
sa  vie  avec  un  religieux  respect  de  cette  «  parole  de  Dieu 
non  écrite  »,  de  cette  Tradition  qui  s'incarnait  à  ses  yeux 
dans  les  Pères  apostoliques,  saint  Clément,  saint  Denys 
l'Aréopagite,  Hermas,  Pappias;  dans  les  Pères  apologé- 
tiques, saint  Justin,  Athénagoras,  saint  Irénée,  Origène, 
Tertullien;  dans  les  Pères  de  l'Église  d'Orient,  saint  Cyrille 
d'Alexandrie ,  saint  Cyrille  de  Jérusalem ,  saint  Athanase, 
saint  Basile,  saint  Grégoire  de  Nysse ,  saint  Grégoire  de 
Nazianze,  saint  Jean  Chrysostome;  dans  les  Pères  de  l'É- 
glise d'Occident,  saint  Cyprien,  saint  Ambroise,  saint  Hi- 
laire,  saint  Jérôme,  saint  Augustin,  Salvien,  saint  Isidore 
de  Séville;  enfin  dans  les  docteurs  du  moyen  âge,  depuis 
saint  Anselme,  saint  Bernard,  saint  Thomas  d'Aquin,  saint 
Bonaventure,  jusqu'à  Gerson.  Suarez,  en  qui  «  parle  toute 
l'école  » ,  et  enfin  l'aimable  saint  François  de  Sales. 

«  Il  est  incroyable  combien  Bossuet  a)  avancé  (1)  »  en 
étudiant  les  saints  Pères,  en  faisant  de  leurs  livres  l'aliment 
de  toutes  ses  facultés.  —  Son  inlelliyence  lumineuse  et  pé- 
nétrante y  trouvait  la  vérité  éternelle  et  immuable  dont 

(1)  Sur  le  style  et  la  lecture  des  écrivains  et  'les  Pères  de  VJUjlisv. 


CONCLUSION.  651 

elle  avait  soif;  elle  y  acquérait  ce  fonds  sans  cesse  renou- 
velé de  pensées  grandes,  larges,  hardies,  qu'il  semait  à 
profusion  dans  ses  discours,  ses  ouvrages  de  polémique  et 
jusque  dans  sa  Correspondance;  elle  s'y  habituait  à  pren- 
dre l'essor  vers  les  rég-ions  sublimes  que  la  théologie  catho- 
lique ouvre  à  la  pensée  humaine;  elle  s'y  familiarisait  avec 
les  horizons  merveilleusement  larges  et  étendus  de  l'Infini, 
d'où  Bossuet  laissait  tomber  de  haut ,  comme  du  sein  de 
Dieu,  ses  regards  d'aigle,  de  prophète  inspiré,  sur  l'homme 
et  le  monde,  la  vie  et  la  mort,  avec  des  oracles  qui  em- 
pruntent à  l'éternité  je  ne  sais  quoi  de  son  immuable  sé- 
rénité et  donnent  à  la  parole  «  impérieuse  et  dominante  » 
de  l'évèque  de  Meaux  l'accent  «  d'un  être  supérieur  ».  — 
Le  cœur  de  Bossuet  se  formait  aussi  au  contact  des  saints 
Pères,  Il  leur  empruntait,  à  son  insu,  cet  amour  ardent  de 
la  vérité  à  laquelle  il  s'était  voué  dès  sa  jeunesse  et  dont 
il  disait  à  la  fin  de  sa  vie,  en  écrivant  à  M.  de  Malezieu  : 
«  Mes  écrits  n'ont  d'autre  but  que  la  manifestation  de  la 
vérité.  »  Il  leur  devait  aussi  ce  zèle ,  cette  charité  aposto- 
lique, cette  ardeur  admirable  pour  le  salut  des  âmes,  qui 
lui  faisait  dire  que  <•  l'utilité  des  fidèles  était  la  loi  su- 
prême »  non  seulement  de  la  chaire,  mais  encore  de  toute 
la  vie  d'un  prêtre ,  consacrée  à  Dieu  et  «  aux  enfants  de 
Dieu  ».  Il  apprenait  à  la  même  école  cette  piété  suave,  cette 
onction  pénétrante,  cet  «  amour  de  Jésus-Christ  »,  cette 
spiritualité  faite  de  bon  sens  et  d'élans  superbes  vers  le 
Dieu  infiniment  bon ,  qui  excitaient  l'admiration  de  sœur 
Cornuau,  ravie  de  la  ((  charité  immense  »,  de  «  l'humilité  », 
de  «  toutes  les  héroïques  vertus  »  d'un  prélat,  parvenu  à 
un  si  haut  degré  de  spiritualité  et  digne  d'être  appelé  «  le 
grand  maître  de  la  vie  intérieure  (1)  ».  Le  cœur  de  Bossuet 
était,  certes,  bien  digne  de  celui  des  saints  Pères,  ses  mo- 
dèles ,  quand  il  révélait  en  ces  termes  tous  les  nobles  amours 
et  toutes  les  divines  affections  qui  le  faisaient  battre  :  «  0 
Jésus-Christ!  ô  mon  amour!  ô  Église!  ô  Jésus  couronné  des 
âmes!  ô  âmes,  couronne  auguste  de  Jésus-Christ  !  faut-il  que 

(I)  Lettre  au  cardinal  de  Noailles.  el  Avertissement  sur  les  Lettres  de  Bossuet. 


652  IJOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

VOUS  VOUS  perdiez!  faut-il  qu'aucune  se  perde  (1)!  »  —  La 
volonté  et  le  caractère  de  Bossuet  prenaient  encore  le  pli  le 
plus  heureux  dans  son  commerce  avec  les  saints  Pères,  sur- 
tout avec  saint  François  de  Sales,  «  auquel  il  empruntait  les 
règles  de  son  administration  épiscopale  (2)  »,  avec  saint  Ber- 
nard, (*  celui  auquel  il  s'appliqua  davantage  par  la  confor- 
mité de  la  doctrine,  dont  il  louait  surtout  Fonction  et  la 
piété  »,  et  qu'il  aimait  tant  que  «  cet  amour  le  fit  aller  exprès 
à  la  Trappe  pour  y  passer  le  jour  de  sa  fête  »  et  valut  en 
1689  aux  Bernardines  du  Pont-aux-Dames  l'honneur  de  le 
voir  célébrer  pontificalement  et  «  prononcer  le  panégyrique 
du  saint  (^3)  »  ;  avec  saint  Jean  Chrysostome,  «  le  Démosthène 
chrétien ,  la  lumière  de  l'Orient,  le  saint  Augustin  de  l'Église 
grecque  »  ;  avec  l'autre  Augustin,  l'Augustin  de  l'Église  d'A- 
frique, «  l'aigle  des  Pères  »,  le  «  docteur  universel  »  ,  le  «  te- 
nant de  l'Église  »,  auquel  il  s'était  en  quelque  sorte  iden- 
tifié. Vivacité  et  douceur,  droiture  et  sincérité ,  franchise 
admirable  (i)  et  fermeté  invincible,  désintéressement  com- 
plet et  gravité  inaltérable ,  charité  exquise  et  autorité  sou- 
veraine :  voilà  les  qualités  éminentes  que  Bossuet  devait, 
après  Dieu,  aux  saints  Pères,  et  qui  ont  fait  de  lui  «  un  des 
meilleurs  hommes  qui  aient  existé  (5)  ». 

Comment  donc  M.  Scherer  a-t-il  osé  dire  (6)  :  «  Bossuet 
n'a  pas  de  fond,  ou ,  ce  qui  revient  au  même,  le  fond  ,  chez 
lui,  ne  lui  appartient  pas.  Il  n'est  ni  un  savant,  ni  un  pen- 
seur, ni  un  moraliste.  11  n"a  jamais  ce  que  nous  appelons 
des  vues,  ])ien  moins  encore  des  hardiesses.  Il  manque  d'in- 
vention, d'observation  et  d'esprit  »?  —  De  si  étranges  pa- 
radoxes se  retournent  contre  celui  qui  se  les  permet ,  et  la 
plus  élémentaire  connaissance  des  ouvrages  du  grand  évê- 

0)  Lettre  II"  à  une  demoiselle  de  Metz. 

{■!)  Voir  la  poiénilciue  coDlri-  le  Quielismc. 

(■'{)  Le  Dieu.  Mcmoiirs.  t.  1,  p.  .T.". 

(4)  Pourquoi  Miclieiel  dit-il  au  lomc  xivde  son  Histoire  de  France,  c.  IX  :  »  Bos- 
suet n'a  pu  lui-niênie  s'alistenir  des  niollcss  douceurs,  des  équivo(|ues  malsains, 
des  notes  à  double  entente'/  »  -  Certes,  s'il  est  une  (pialité  «lu'on  ne  jjuisse  i)as 
refuser  à  Ilossuct  c'est  la  loyauté,  la  rrancliisc.  l'horreur  des  équivoiiucs,  des  ani- 
liiguités  et  surtout  des  molles  douceurs,  si  anlipalhiques  à  une  nature  active, 
énergique  conun(;  la  sienne. 

(."i)  I.ansoii,  Hossuct.  p.  00. 

(fi)  I-Jludcs  critit/uex  de  lillrrature,  l.  VI,  i).  i(iO. 


CONCLUSION.  653 

que  de  Mcaux  révèle  en  lui  des  vues  profondes,  une  puis- 
sance merveilleuse  de  création  et  des  trésors  de  science 
patrologique  égaux  ,  ou  même  supérieurs  à  ceux  dun  Petau 
et  d'un  Mabillon.  Il  faut,  avec  Massillon,  en  1711,  dans  ÏO- 
raison  funl-bre  de  M='  le  Dauphin,  saluer  en  Bossuet  «  l'or- 
nement de  l'épiscopat  et  dont  le  clergé  de  France  se  fera 
honneur  dans  tous  les  siècles;  l'homme  de  tous  les  talents 
et  de  toutes  les  sciences;  le  docteur  de  toutes  les  Églises;  la 
terreur  de  toutes  les  sectes;  le  Père  du  dix-septième  siècle 
et  à  qui  il  n'a  manqué  que  d'être  né  dans  les  premiers  temps 
pour  avoir  été  la  lumière  des  conciles ,  Tàme  des  Pères  as- 
semblés, dicté  des  canons  et  présidé  à  Nicée  et  à  Éphèse  ». 

Si  les  facultés  puissantes  de  notre  grand  orateur  se  sont 
imprégnées  de  l'esprit,  des  sentiments,  des  habitudes  excel- 
lentes des  Pères  qu'il  étudiait  nuit  et  jour,  ses  œuvres 
doivent  encore  plus  à  l'influence  continuelle,  profonde  et 
f>énétrante  de  tous  ces  beaux  génies  dont  s'honore  l'Église 
catholique. 

L'étude  des  Se/v^^o^zs;,  des  Panégyriques,  des  Oraisons  fu- 
nèbres, des  235  pièces  oratoires  qui  nous  restent  de  lui, 
montre  que  Bossuet  a  pris  «  ce  qu'il  y  a  de  plus  éminent  (1)  » 
dans  ses  auteurs  favoris  :  —  dans  saint  Augustin  «  toute 
la  doctrine,  les  grandes  et  subtiles  considérations,  non  pas 
tant  des  pensées  et  des  passages  à  citer  que  l'art  de  traiter 
la  théologie  et  la  morale,  et  l'esprit  le  plus  pur  du  christia- 
nisme »  ;  —  dans  saint  Chrysostome ,  «  l'exhortation .  l'in- 
crépation,  la  vigueur,  la  manière  de  traiter  les  exemples 
de  l'Écriture  et  d'en  faire  valoir  tous  les  mots  et  toutes  les 
circonstances  (2)  »;  —  dans  Tertullien,  «  beaucoup  de  sen- 
tences, c'est-à-dire  accuratiris  aut  elegantius  dictata{^)  »; 
—  dans  saint  Grégoire  et  la  troisième  partie  du  Pastoral  de 
ce  grand  pape  «  une  morale  admirable  »  ;  —  dans  saint 
Cyprien ,  «  le  divin  art  de  manier  les  Écritures  et  de  se 
donner  de   l'autorité  en  faisant  parler  Dieu  sur   tous  les 

(1)  .Sm)-  le  sdjlr  cl  la  lecture  des  écrivains  et  des  Pères  de  l'Église. 

(2)  Ibidem. 

(3)  Ibidem. 


654  ROSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

sujets  par  de  solides  et  sérieuses  applications  (1)  »  ;  —  dans 
saint  Grégoire  de  Nazianze ,  «  le  théologien  de  FOrient  » , 
«  la  connaissance  des  mystères  »  et  l'art  de  «  donner  aux 
rois  et  aux  princes  des  instructions  convenables  à  leur  état 
et  à  leur  cour  r2)  »  ;  —  dans  «  le  grand  saint  Basile,  Forne- 
ment  de  l'Église  orientale,  le  rempart  de  la  foi  catholique 
contre  la  perfidie  arienne  (3)  »;  dans  Clément  Alexandrin, 
dans  saint  Athanase ,  dont  «  le  caractère  est  d'être  grand 
partout  (4)  »  ;  dans  saint  Grégoire  de  Nysse,  dans  Ori- 
gène,  tantôt  le  pathétique  des  sentiments,  Téclat  et  l'éléva- 
tion des  pensées ,  tantôt  «  les  heureuses  réflexions ,  la  ten- 
dresse dans  l'expression  (5)  »;  —  dans  saint  Léon,  saint 
Fulgence ,  saint  Prosper,  saint  Césaire  d'Arles,  la  pure  doc- 
trine de  saint  Augustin  (6);  —  dans  saint  Bernard,  saint 
Tliomas,  Gerson,  sainte  Thérèse  et  saint  François  de  Sales, 
les  <(  principes  de  toute  l'École  »,  «  Fonction  et  la  piété  (7)  » 
qui  viennent  du  cœur  et  qui  vont  au  cœur.  Jamais  orateur 
chrétien  ne  fut  aussi  profondément  pénétré  que  Bossuet  de 
la  doctrine  des  Pères  et  surtout  de  leur  méthode  oratoire. 
Il  la  suivit  à  Metz,  en  citant  à  profusion  les  textes  des  Pères 
latins,  Tertullien,  saint  Cyprien ,  saint  Augustin,  au  point 
de  surcharger  son  éloquence  pleine,  de  fougue  et  d'élan. 
Il  la  perfectionna  à  Paris,  où  il  se  mit  surtout  à  l'école 
des  Grecs,  saint  Chrysostomc,  saint  Bazile,  saint  Grégoire 
de  Nazianze,  qui  lui  apprirent  les  secrets  de  l'éloquence 
populaire,  philosophique  et  morale,  pathétique  et  péné- 
trante. Il  la  pratiqua  encore  plus  admirablement  à  Meaux, 
où  il  perdit  presque  totalement  l'habitude  de  citer  les  Pères 
et  s'inspira  seulement  de  leurs  idées  et  de  leur  zèle  admi- 
rable, dans  les  discours  homilétiques  des  vingt  années  de 
son  épiscopat,  alors  qu'avec  un  cœur  tout  apostolique,  il 
appelait  les  fidèles  :  «  Mes  chers  enfants,  mes  bien  aimés.  » 
Tous  les  travaux  à' exégèse  de  Bossuet,  depuis  YEjcplica- 

(I)  Ecrit  comp.  pour  le  card.  de  Bouillon. 

(■2)    1-e  Dieu,  Mémoires,  t.  I,  p.  ?>8. 

(3)  Bossuet,  deuxicnie  Panâf/yrir/ue  de  saint  François  de  Paulc. 

('»)  l>rfense  de  la  Tradition  cl  des  saints  Pérès,  liv.  IV,  cliap.  xii. 

(îi)  Lettre  à  M""=  d'Albert,  .'«0  septembre  lOitl. 

{(>)  Défense  de  la  Tradition,  passim.  —  (7)  Mi'moires  de  Le  Dieu.  t.  I.  p.  i>7. 


COiNCLUSION.  655 

tion  de  l'Apocah/pse,  ï Explication  des  Psaumes,  des  Livres 
Sapientia?f.r ,  jusqu  AU.  de  Excîdio  Babt/lonis ,  aux  Médita- 
tions sur  r Évangile,  à  V Explication  de  la  prophétie  d'isnïe 
sur  l' Enfantement  de  la  Vierge ,  sont  uniquement  inspirés 
par  les  saints  Pères ,  commentateurs  autorisés  de  la  parole  de 
Dieu,  qu'ils  avaient  puisée  à  sa  source  même,  avant  que  le 
cours  des  âges  n'en  altérât  la  pureté  ou  n'en  laissât  s'éva- 
porer le  parfum  original  et  divin.  «  Quiconque  veut  devenir 
un  habile  théologien  et  un  solide  interprète,  qu'il  lise  et 
relise  les  Pères  » ,  dit  Bossuet  dans  la  Défense  de  la  Tradi- 
tion (1  )  :  il  nous  révèle  ainsi  le  secret  de  toute  son  exégèse, 
pleine  de  saint  Jérôme,  de  saint  Augustin,  de  saint  Ghry- 
sostome,  d'Origène,  comme  aussi  la  raison  profonde  de  son 
indignation  éloquente  contre  les  nouveautés  hardies  d'une 
critique  trop  moderne,  contre  Joseph  Mède ,  Jurieu  ,  Dumou- 
lin, Iselin,  Werensfels,  et  surtout  contre  Richard  Simon, 
ennemi  et  téméraire  censeur  des  saints  Pères,  dans  son 
Histoire  critique  des  princijjaux  commentateurs  du  Nou- 
veau Testament. 

Les  œuvres  ascétiques  de  Bossuet,  si  belles  par  leur  élo- 
quente simplicité ,  par  leur  mysticisme  aussi  pur  qu'évan- 
gélique,  ne  doivent  l'incomparable  siireté  de  principes 
qu'on  admire  dans  les  Lettres  de  direction,  dans  le  Traité  de 
la  Concupiscence ,  les  Élévations  sur  les  Mystères,  et  les 
Méditations  sur  V Évangile,  qu'à  l'habitude  qu'avait  Bossuet 
de  s'en  rapporter  aux  règles  infaillibles  de  spiritualité  qu'il 
trouvait  dans  saint  Basile,  saint  Augustin,  Cassien,  saint 
Bernard,  Gerson,  sainte  Thérèse  et  l'aimable  évêque  de 
Genève,  saint  François  de  Sales;  c'est  à  eux  qu'il  revient 
toujours,  pour  approuver  ce  qu'ils  ont  approuvé  et  con- 
damner impitoyablement  ce  qu'ils  auraient  condamné,  s'ils 
l'avaient  vQ  se  produire  en  leur  temps  :  spiritualité  sèche  et 
aride  de  Saint-Cyran  et  du  jansénisme ,  spiritualité  «  raffi- 
née »  de  l'amour  pur,  du  Quiétisme  et  de  Fénelon.  Dès 
1670,  au  chevet  de  la  duchesse  d'Orléans  mourante,  Bos- 

(I)  Livre  IV;  cliap.  xviii. 


656  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PEUES. 

suet  avait  admirablement  montré  tout  ce  qu'il  y  avait  d'onc- 
tion dans  sa  spiritualité  inspirée  des  Pères.  Tandis  (jue  le 
docteur  Feuillet,  chanoine  de  Saint-Cloud,  celui-là  même 
dont  Boileau  avait  écrit  : 

Et  laissons  à  Feuillet  réformer  l'iuiivers  (1), 

disait  à  la  princesse,  à  haute  voix,  ces  rudes  paroles  :  «  Hu- 
miliez-vous, Madame;  vous  n'êtes  qu'une  misérable  péche- 
resse, qu'un  vaisseau  de  terre  (jui  va  tomber,  et  qui  se  cas- 
sera en  pièces  »,  M.  de  Gondom,  appelé  en  toute  hâte  par 
trois  courriers,  ne  fut  pas  plus  tôt  arrivé  que,  d'après  Feuil- 
let lui-même,  «  il  se  prosterna  contre  terre  et  fit  une  prière 
qui  le  charma  :  il  entremêlait  des  actes  de  foi ,  de  confiance 
et  d'amour  » ,  et  M"'  de  La  Fayette  ajoute  quil  le  fit  <(  avec 
cette  éloquence  et  cet  esprit  de  religion  qui  paraissaient 
dans  tous  ses  discours  ».  Sainte-Beuve  s'écrie  à  ce  sujet 
dans  un  beau  mouvement  d'àme  de  lecteur  ému  :  «  Prière 
de  Bossuet  prosterné  à  genoux  au  pied  du  lit  de  mort  de 
Madame ,  épanchement  naturel  et  prompt  de  ce  grand  cœur 
attendri,  vous  fûtes  le  trésor  secret  où  il  puisa  ensuite  les 
grandeurs  touchantes  de  son  Oraison  funèbre,  et  ce  que 
le  monde  admire  n'est  que  l'écho  retrouvé  de  ces  accents 
qui  jaillirent  alors  à  la  fois  et  se  perdirent  au  sein  de  Dieu 
avec  gémissement  et  plénitude  (2).  » 

Bossuet  h isto?'if'n,  auteur  du  Discours  sur  l'his/oirr  uni- 
rorsf'lle  doit  à  saint  Augustin ,  à  Salvien ,  à  Orose ,  les  prin- 
cipes généraux  qu'il  développe  magistralement  dans  une 
œuvre  originale,  personnelle  et  toute  de  génie.  —  Philo- 
sophe, il  a  été  élevé  dans  les  principes  de  saint  Thomas , 
de  saint  Augustin,  d'Aristote,  et  tout  en  étant  de  son  siècle 
et  de  son  pays,  il  s'en  tient  aux  grandes  traditions  de  toute 
l'École,  qu'il  oppose  fermement  aux  «  nouveautés  »  de  Des- 
cartes et  surtout  du  P.  Malebranche,  par  lesquelles  un  grand 
nombre  de  jeunes  gens  «  se  laissent  flatter  ».  —  PoUliquc, 

{\)  S;.liro   IX. 

(2j  Causeries  du  Lundi.  \  I  :  Madame,  ducfics-'sc  d'OrUans,  d'après  les  Mémoires 
de  f'osituf. 


CONCLUSION.  657 

il  emprunte  ses  principes  «  aux  propres  paroles  de  l'Écri- 
ture »  et  aux  saints  Pères,  surtout  à  saint  Augustin,  dont 
il  a  tiré  la  conclusion  de  son  œuvre  doctrinale  ad  usum 
Delphini. 

Ce  qui  fait  la  force  invincible  de  Bossuet  dans  toutes  ses 
polémiques  contre  les  Protestants,  contre  les  Jansénistes, 
contre  les  Casuistes  et  les  laxistes ,  contre  les  apologistes  du 
théâtre,  contre  les  Quiétistes  et  contre  les  critiques  et  les 
philologues,  «  les  subtils  grammairiens  »,  c'est  que  partout 
et  toujours  —  dans  Y  Histoire  des  Variations  comme  dans 
V Exposition  de  la  foi  catholique ,  dans  les  Avertissements 
aux  Protestants  comme  dans  les  Instructions  pastorales  sur 
les  promesses  de  r  Église,  dans  Y  Autorité  des  Jugements 
ecclésiastiques  comme  dans  les  Maxùnes  et  Réflexions  sur  la 
Comédie,  dans  Y  Instruction  sur  les  états  d'oraison  comme 
dans  les  Instructions  sur  la  Version  de  Trévoitx  et  la  Dé- 
fense de  la  Tradition  et  des  saints  Pères  —  il  peut  dire  et  il 
dit  à  tous  ses  adversaires  :  «  Pas  de  nouveautés  en  dehors 
de  la  tradition  !  Nihil  innovetur  nisi  quod  traditum  est.  Vous 
avez  contre  vous  le  consentement  des  Pères,  c'est-à-dire  toute 
l'Église  catholique  :  vous  êtes  nécessairement  dans  l'erreur. 
Revenez-en  aux  Pères  pouc  revenir  à  la  vérité  » .  La  science 
de  la  tradition  est  la  vraie  science  ecclésiastique...  La  tra- 
dition de  l'Eglise  et  des  sai/its  Pères  fient  lieu  de  tout  à 
ceux  qui  la  savent ,  jjour  établir  parfaitement  le  fond  de  la 
religion  (1)  ».  Aussi  est-ce  merveille  de  voir  Bossuet  op- 
poser aux  Protestants  les  Pères  des  trois  premiers  siècles , 
qui,  d'après  «  les  errants  »,  n'avaient  pas  encore  sacrifié  à 
l'idolâtrie  et  aux  erreurs  de  la  Babylone  moderne  ;  opposer 
aux  Jansénistes,  au  P.  CafTaro ,  à  Fénelon ,  à  Richard  Simon 
enfin^  tout  le  faisceau  indestructiljle  des  Pères  de  l'Orient  et 
des  Pères  de  l'Occident,  dont  les  mille  voix  ne  forment 
qu'une  voix  pour  répéter  à  toute  la  terre  le  même  Credo 
infaillible  et  immortel. 

Cela  veut-il  dire  que  Bossuet  manque  d'originalité  et  que 
son  génie  se  traîne,  pour  ainsi  dire,  à  la  remorque  de  ce- 

(1)  Première  Instruction  sur  la  Version  de  Trévoux  :  Avis  au  lecteur. 

BOSSLET  ET  LES  SAINTS  l'ÈRES.  4-2 


658  BOSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

lui  des  saints  Pères,  et  surtout  de  saint  Augustin,  son  ins- 
})irateur  constant?  —  Loin  de  nous  une  telle  pensée  !  Bossuet 
n'est  pas  le  traducteur  banal  et  scrupuleux  des  œuvres  dont 
il  se  nourrit  :  il  les  commente  avec  un  art  suprême  qui 
n'appartient  qu'à  lui;  il  leur  prête  infiniment  plus  qu'il 
ne  leur  emprunte;  d'une  phrase  presque  inintelligible  de 
Tertullien,  il  tire  «  ce  cadavre,...  ce  je  ne  sais  quoi,  qui 
n'a  plus  de  nom  dans  aucune  langue  ».  Il  sait  éviter  «  les 
emportements,  les  exagérations  de  ce  dur  africain  »,  les 
«  erreurs  »  d'Origène,  les  «  pointes,  les  subtilités,  les  abs- 
tractions 0  de  son  modèle  favori,  saint  Augustin;  la  sura- 
bondance de  saint  Chrysostorae  et  «  sa  diction  trop  simple, 
trop  populaire  (1)  »;  la  «  rhétorique  »  de  saint  Grégoire 
de  Naziauze  et  de  saint  Arabruise;  les  antithèses  forcées  et 
peu  naturelles  de  saint  Cyprien.  De  telle  sorte  que,  sans 
prendre  leurs  défauts,  il  nous  fait  admirer  en  lui  «  ce  qu'il 
y  a  de  plus  éminent  »  dans  chacun  d'eux  :  la  sublimité  de 
saint  Augustin,  l'onCtion  et  l'éloquence  de  saint  Ghrysos- 
tome ,  «  le  Démosthène  chrétien  » ,  et  de  saint  Bernard  , 
«  l'oracle  du  douzième  siècle  »  ;  la  tendresse  dans  l'expres- 
sion d'Origène,  l'élévation  de  saint  Athanase,  la  clarté  pro- 
fonde de  saint  Thomas  et  la  grâce  charmante  de  saint 
François  de  Sales.  De  toutes  ces  qualités  réunies  et  fondues 
ensendjle  résulte  un  tout  merveilleux,  d'où  s'échappe  un 
fleuve  d'érudition  théologique,  d'éloquence  et  de  poésie 
lyri(jue,  dont  Villemain  n'a  pas  craint  de  dire  :  «  Un  seul 
homme,  môme  dans  le  dix-septième  siècle,  nous  semblerait 
offrir  l'idée  de  Pindare...  Ce  type  héréditaire,...  ce  gardien 
de  l'enthousiasme  lyrique  au  dix-septième  siècle ,  n'était  pas 
un  poète;  c'était  un  prêtre,  un  orateur  sacré,  Bossuet,...  le 
théologien  profond,  le  prédicateur  incomparable,  dont  la 
voix  illustrait  les  grandes  funérailles;...  le  plus  grand 
letti'é,  comme  le  plus  grand  inspiré  des  siècles  nouveaux 
de  l'Église  et  le  moderne  le  plus  antique  (2)  ». 
Bossuet  parait  donc  égal ,  supérieur  même  par  la  délica- 

(I)  i:rril  coin/josr  pour  le  ranlinal  de  liouillon. 

{'2j  Essai  sur  le  (ji'-nie  de  l'hidure  et  sur  la  jiorsie  lyrique,  IS.'ii». 


CONCLUSION.  659 

tesse  et  la  sûrec  du  goût,  la  perfection  de  l'éloquence  et  la 
variété  des  dons  du  génie,  à  ses  modèles  et  à  ses  rivaux  : 
c'est  un  nouvel  anneau  d'or,  ajouté,  pour  la  gloire  éter- 
nelle de  la  France,  à  cette  longue  chaîne  des  Pères  et  des 
docteurs  de  l'Église,  formée  par  les  Clément  d'Alexandrie, 
les  Origène,  les  Athanase,  les  Chrysostome,  les  Basile,  les 
Grégoire  de  Nazianze,  les  Ambroise,  les  Jérôme,  les  Au- 
gustin ,  les  Anselme ,  les  Bernard ,  les  Thomas  d'Aquin ,  les 
Bonaventure,  les  Gerson  et  les  François  de  Sales! 

Bossuet,  d'ailleurs,  a  magnifiquement  payé  les  saints 
Pères  de  tout  ce  qu'ils  lui  ont  donné  :  il  les  exalte  à  chaque 
page,  parfois  à  chaque  ligne  de  ses  ouvrages  principaux; 
il  leur  cède  généreusement  toute  la  gloire  de  développe- 
ments dont  il  ne  leur  a  emprunté  que  le  germe,  comme  au- 
trefois le  divin  Platon,  dans  ses  Dialogues,  faisait  honneur 
à  Socrate  de  ses  idées  «t  de  son  génie.  —  Un  jour,  en  1689, 
dans  un  Panégijrique  de  saint  Augustin,  qui  malheureuse- 
ment ne  nous  est  pas  parvenu  (1),  Bossuet  renferma  l'éloge 
de  ce  Père  dans  ces  deux  propositions  :  «  Ce  que  la  grâce  a 
fait  pour  saint  Augustin  et  ce  que  saint  Augustin  a  fait  pour 
la  grâce  (2)  )>  ;  il  se  laissa  tellement  emporter  par  son  zèle 
qu'en  une  heure  et  demie  il  ne  put  expliquer  que  la  pre- 
mière proposition,  et  il  fallut  que  son  grand  ouvrage, 
la  Dôfense  de  la  Tradilion  et  des  saints  Pères  (  3  ) ,  fût 
comme  le  développement  de  la  seconde ,  en  montrant  «  ce 
que  ce  grand  docteur  a  fait  pour  la  grâce  (4)  »  ,  ne  peut-on 
pas  résumer  aussi  tout  ce  travail  sur  Bossuet  et  les  saints 
Pères  en  ces  deux  propositions  :  ce  que  les  saints  Pères  ont 
fait  pour  Bossuet  est  étonnant;  mais  ce  que  Bossuet  a  fait 
pour  les  saints  Pères  n'est  pas  moins  étonnant? 

«  Il  n'avait  rien  tant  à  cœur,  nous  dit  Le  Dieu  (  5) ,  que  de 
publier  »  la  Défense  de  la  Tradition  et  des  saints  Pères,  et 
de  donner  ainsi  un  dernier  témoignage  de  respectueuse  ad- 

(I)  Il  fut  prêché  aux  Bernardines  de  Noire-Damc  de  Meaux. 
(-2)  Mémoires  de  Le  Dieu,  l,  ji.  ">(;. 

(3)  Ibidem. 

(4)  C'est  le  titre  du  livre  IV«  de  la  Défense  ih-  ht  Tradilion. 
(îi)  Mémoires  de  I.e  Dieu,  t.  I,  p.  8-2-83. 


060  ROSSUET  ET  LES  SAINTS  PERES. 

miration  à  celui  qui  avait  été,  après  Uieu,  son  maître  par 
exxellcnco. 

Noussavonstrautre  part  il)  que  Bossuet  ressentit  une  joie 
profonde  du  bref  du  Pape  contre  le  Cas  de  conscience  et 
encore  plus  de  celui  que  Sa  Sainteté  publia  bientôt  après 
contre  le  livre  qui  a  pour  titre  :  Véritable  tradition  de 
r Église  sur  la  prédestination  et  la  (/race,  eic,  à  Liège,  1702, 
non  seulement  à  cause  de  la  condamnation  qu'il  en  contient, 
((  mais  bien  plus  parce  que  la  doctrine  de  saint  Augustin 
sur  la  prédestination  et  la  grâce  y  est  encore  reconnue  et 
canonisée,  comme  la  doctrine  même  de  l'Église  romaine. 
C'est  pourquoi  il  le  nomma  le  bref  de  saint  Augustin,  tant 
il  était  zélé  pour  ce  grand  docteur  ;  et  voilà  les  dernières 
pensées  avec  lesquelles  il  est  mort.  » 

Ainsi  la  «  dernière  pensée  «,  la  dernière  «  joie  »  de  Bos- 
suet et  une  «  joie  indicible  )^  a  été  de  songer  à  l'apologie 
de  saint  Augustin,  faite  par  le  Pape,  et  à  l'apologie  de  tous 
les  Pères,  faite  par  lui-mèn:)e  dans  la  Défense  de  la  Tradi- 
tion, où  il  reconnaissait  «  toute  sa  doctrine  ». 

Quelle  éloquente  leçon  Bossuet  ne  donne-t-il  pas  ainsi  au 
clergé  français!  Lui,  «  qu'on  admire  malgré  soi  »  ,  disait  La 
Bruyère  à  l'Académie  Française;  lui,  «  qui  accable  par  le 
grand  nombre  et  l'éminence  de  ses  talents  »  ;  lui,  «.  orateur, 
bistorien,  tbéologien,  pbilosopbe,  d'une  rare  érudition, 
d'une  plus  rare  éloquence  (2)  »  ;  lui,  à  propos  duquel  on  ne 
peut  «  nommer  une  vertu  qui  ne  soit  la  sienne  »,  il  ne  craint 
pas  de  nourrir  sans  cesse  son  merveilleux  talent  de  la  lec- 
ture et  de  l'étude  de  la  Bible  et  des  saints  Pères!  Et  tant 
d'autres,  qui  n'ont  point  son  génie,  qui  ne  peuvent  pas, 
comme  l'aigle  de  Meaux,  voler  de  leurs  propres  ailes  et  fixer 
en  face  le  soleil  de  la  vérité  éternelle,  négligent  ces  sources 
admiral)les  de  science,  de  piété,  de  vertu,  que  l'Église  ca- 
tholique ouvre  à  tous  ses  enfants  dans  les  ouvrages  de  ces 
hommes  de  génie  «jui  s'appellent  les  saints  Pères. 

On  raconte  que  Victor  Cousin,  malade  et  mourant  à  Can- 

(1)  l/jidrw. 

(•2)  Itisrours  de  rrrefiliou  .  iri-ls.  ■;■  l'-ilil.  issii;  (iiidiii. 


CONCLUSION.  661 

nés,  voyait  souvent  un  bon  curé  de  campagne  à  qui  il  ai- 
mait à  dire  :  «  Lisez,  relisez  les  saints  Pères  :  il  y  a  des 
choses  étonnantes,  merveilleuses  (1)! 

Cet  hommage  d'un  grand  esprit  a  sans  doute  beaucoup 
de  valeur.  Mais  combien  de  valeur  n'a  pas  à  nos  yeux  l'au- 
torité de  Bossuet,  nous  disant  du  haut  de  sa  gloire  et  de  son 
génie  :  «  La  tradition  est  la  vraie  science  ecclésiastique... 
La  tradition  de  l'Église  et  des  saints  Pères  tient  lieu  de 
tout  à  ceux  qui  la  savent  pour  établir  parfaitement  le  fond 
de  la  religion...  Quiconque  veut  devenir  un  habile  théo- 
logien et  un  solide  interprète,  qu'il  lise  et  relise  les  Pères!  » 

Ah  !  sans  doute ,  leur  étude  n'a  pas  le  secret  merveilleux 
de  faire  un  penseur,  un  écrivain,  un  orateur,  un  philoso- 
phe, «  un  habile  théologien,  un  solide  interprète  »,  un 
Bossuet,  du  premier  venu  qui  ouvrira  de  tous  côtés  son 
esprit  et  son  cœur  à  l'influence  bienfaisante  des  saints  Pères. 
Le  talent  et  le  génie  viennent  de  Dieu. 

L'homme  n'enseigne  pas  ce  qu'inspire  le  ciel  (2). 

Mais  il  y  a  place  dans  l'Église  et  dans  la  république  des 
lettres  pour  de  bien  beaux  talents,  inférieurs  au  génie  de 
notre  grand  Bossuet  ;  car  il  faut  renoncer  sans  doute  à  l'es- 
poir de  l'égaler. 

L'histoire  n'a  vu  et  ne  verra  probablement  qu'une  fois 
le  magnifique  spectacle  d'une  telle  gradation  dans  le  dé- 
veloppement d'un  vaste  et  prodigieux  esprit,  s'épanouis- 
sant  avec  les  années  par  une  sorte  de  végétation  régulière 
et  de  croissance  majestueuse;  ayant  ses  périodes  et  ses  sai- 
sons, donnant  ses  premières  fleurs  et  ses  premiers  fruits 
dans  les  Sermons  prêches  à  Metz ,  étalant  sa  magnificence 
dans  les  Sermons  de  Paris  et  les  grandes  Oraisons  funèbres, 
sa  maturité  dans  V Histoire  universelle ,  la  Politique  sacrée, 
Y  Histoire  des  Variations  ;  ^\\\^  tard  enfin,  par  un  dernier 
jet  de  sève  puissante  et  créatrice,  s'épanouissant  au  faite, 
au  sommet,  dans  les  Élévations  sur  les  Mystères,  les  Méclita- 

(1)  voir  Le  Doute  et  ses  Vklimes,  par  Ms"-  Baunard. 

(2)  Lamartine,  NouveUes  Méditalions ;  le  Poète  mourant. 


662  CONCLUSION. 

tidus  sur  l' Èvam/ilp  et  la  Défense  do  la  Tradition  et  des 
saints  Pères. 

L'histoire  n'a  vu  et  ne  verra  probablement  qu'une  fois 
un  prêtre,  un  évèque  devenir,  sinon  «  l'Eglise  catholique 
faite  homme»,  ainsi  que  laflirme  quelque  part  M.  Crouslé, 
du  moins  «  la  Tradition  laite  homme  »  ,  la  Tradition  in- 
carnée dans  un  nouveau  »  Père  de  l'Ejulise  »,  qui  donne  aux 
doctrines  de  ses  devanciers  l'incomparable  vêtement  de  sa 
merveilleuse  parole,  et  en  (jui  l'on  entend,  comme  il  le 
disait  lui-même,  «  l'Afrique,  les  (laules,  la  Grèce,  l'Asie. 
l'Orient,  l'Occident  réunis  ensemble  ». 

L'histoire  n'a  vu  et  ne  verra  probablement  qu'une  fois 
un  tel  prêtre,  un  tel  évèque  s'élever  sans  naissance,  sans 
intrigue ,  sans  ambition ,  par  la  seule  force  du  génie  et  la 
seule  autorité  de  la  vertu  ,  jusqu'à  être  l'oracle  d'un  siècle, 
où  il  domine  et  où  il  règne  à  côté  du  grand  Koi  :  dans  la 
chaire,  où  il  triomphe  et  où  il  dépasse  les  Démosthèue  et 
les  Chrysostome;  prèâ  du  trône,  dont  il  forme  l'héritier  par 
une  éducation  «  à  laquelle  toute  la  chrétienté  a  intérêt  »  ; 
à  la  cour,  où  il  sait  élre  évèque,  et  «  évèque  des  premiers 
temps  »;  au  théâtre,  qu'il  condamne  sévèrement  pour  en 
avoir  compris  et  analysé  toutes  les  séductions;  dans  les  As- 
semblées du  clergé,  dont  il  modère  ou  dicte  les  résolutions; 
dans  son  diocèse,  qu'il  nourrit  de  la  parole  de  Dieu,  après 
l'avoir  prolégé  contre  les  dragonnades;  dans  les  plus  hum- 
bles monastères  de  religieuses,  où  ses  conférences  d'«  une 
beauté  enchantée  »  font  penser  à  un  «  autre  Jérôme  »;  dans 
toute  l'Europe  protestante,  où  les  hérétiques  se  convcj'tis- 
sent  par  milliers  à  la  lecture  de  ses  «  livres  d'or  »  ;  à  Rome 
enfin,  où  les  papes  Innocent  XI,  Innocent  XII,  Clément  XI, 
l'cndtMit  hommage  «  à  ses  vertus,  à  sa  doctrine,  à  ses  mé- 
rites »;  où  le  P.  Cloche,  général  des  Dominicains^  et  le 
P.  Campioni  saluent  en  lui  «  la  soui'ce  de  bonté  la  plus 
féconde  »,  «  le  grand  défenseur  »  de  l'Eglise,  et  une 
'(  encyclopédie  de  tous  les  saints  Pères  ». 


BIBLIOGRAPHIE 


Ouvrages  du  dix-septième  siècle  cités  ou  mentionnés 
dans  cette  thèse. 

David  Axr.tLLON,  Mélange  critique  de  littérature,  publié  par  son  fils  en 

ltî98.  Bàle. 
Arnauld  d'ÂNDiLLv,  Traduction  des  i'onfessions  de  saint  Augustin,  1640- 

39-76. 
Antoine  Aknalld,  Considération  sur  l'entreprise  faite  par  M.  IVicolas 
Cornet,  1640. 

—  Apologie  des  religieuses  de  Port-Royal,  1664-65. 

—  Mémoire  sur  le  règlement  des  études  dans  les  lettres  humaines. 

—  Traduction  des  livres  de  saint  Augustin  :  De  la  vraie  religion;  De 

la  foi  y  de  l'espérance,  de  la  charité,  1648-83;  De  la  Correction 
et  de  ta  grâce,  1647;  Des  mœurs  de  l'Église  catholique,  1637; 
Des  Sermons  sur  les  psaumes,  1683. 

—  Réflexions  sur  un  livre  de  Jurieu,  1682. 

—  Nécessité  de  la  foi  en  Jésus-Christ,  1701. 
D'AuBiGNAc,  Pratique  du  théâtre,  1637. 

Albekt  de  Versé,  Réponse  (anonyme)  au  traité  de  M.  l'évéque  de  Meaux; 

1683,  in-12  de  206  pages. 
Abbé  DE  Barcos,  Exposition  de  la  foi   catholique   touchant  la  grâce, 

1696. 
Bayle,  Nouvelles  de  la  République  des  Lettres,  année  1696. 
Abbé  DE  Bellegarde  et  Le  Hoy  de  Hautefontaine,  Traduction  de  saint 

Basile. 
Basnage,  Histoire  de  la  religion  des  églises  réformées  en  France,  2  vol. 
in-8,  Rotterdam. 

—  Traite  des  Préjugés  faux  et  légitimes,  1701. 

Bossuet,  Œuvres  coinplétes,  édit.  de  Bar-le-l)uc,  12  vol.  in-4,  et  Œuvres 
Oratoires  publiées  par  Lebarq,  six  vol.  ia-8". 

—  Mineure  ordinaire  1630. 

—  La  Bible  du  Concile. 


664  BIBLIOGRAPHIE. 

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BouRSAui.T,  Comédies,  IGOi,  avec  là  Lettre  d'un  tkéolonien. 

BHu'Êys,  Réponse  au  livre  de  M.  de  Condom  :  La  Haye,  1682;  ia-12  de 

276  pages. 
La  BflUYÈiŒ,  les  Caractères,  1688. 

—  Discours  de  réception  à  l'Académie,  1  il  juin  1603. 
BuRNET,  Histoire  de  la  réformation  d'Angleterre ,  1682. 

—  Critique  des  Variations,  1689. 

Père  Caffaro,  Dissertation  sur  la  Comédie,  1694. 

Cartulaire  de  la  Propagation  de  la  foi  à  Metz. 

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—  Réponse  au  livre  de  M.  Vévèque  de  Meaux,  1683,  in-H". 
Abbé  DE  Clérambault,  Discours  à  l'Académie,  2  août  1704. 
Abbé  DE  CoRDEMOY,  Éternité  des  peines  de  l'enfer,  1697. 
Abbé  CoTiN,  La  Pastorale  sacrée,  1662. 

CouLAu,  Judicium  unius  e  societate  sorlonira  doctoris,  1701. 
Dangeau,  Journal  de  la  Cour  de  Louis  XIV  de  1684  à  171,"),  public  en 

1834;  19  vol.  in-8". 
Abbé  Le  Dieu,  Mémoires,  publiés  en  16o6,  et  Journal ,  pul)lié  en  16o6- 

'61  par  l'abbé  Guettée.  Taris,  Didier,  3  vol  in-8''. 
Pierre  Dumoulin,  Accomplissement  des  prophéties ,  Sedan  1624. 
Kllies  Dui'iN,  Nouvelle  Bibliothèque  des  Auteurs  ecclésiastiques,  1691-93. 

—  Réponse  aux  Remarques  des  Pérès  de  Saint-Van7ies,  1691. 

—  Défense  de  la  Censure  de  la  Faculté   de   théologie  de  Paris  du 

18  octobre  1700. 

—  Histoire  ecclésiastique  du  dix-septième  siècle,  1727. 
Essai  historique  manuscrit  sur  les  écoles  et  collèges  de  Dijon. 
Fénelon,  (Euvres  complètes  et  Correspondance. 

Paul  Ferky,  Catéchisme  général  de  la  réformation  ;  Metz,  16j4. 

—  Réponse  à  la  Réfutation  de  Bossuef. 

—  Relation  des  différents  faits  qui  ont  rapport  au  projet  de  réunion. 

—  Récit  autographe. 

P.  Faixoni  ,  Lettres  insérée  dans  le  Moyen  court. 

Fontalne  (A.  de  Maucuj.v),  Traduction  des  Sermons  de  saint  Chri/sos- 
tome  sur  saint  Mathieu^  1664  1679  1692; 

—  de  l'Abrégé  de  la  Doctrine  sur  l'Ancien  Testament; 

—  de  l'Abrégé  sur  le  Nouveau  Testament,  1676; 

—  des  Homélies,  1690,  1700,  1703. 

Nicolas  Fo.ntal^je  cl  Croiseul  de  Veutevove,  Traduction  de  saint  Léon. 

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Louis  (iutv,  Traduction  de  l' Apologétique  de  Tcrtullien,  16;t6; 

—  du  Traite  de  la  chair  de  .lésus-Christ,  1166; 

—  des  Livres  du  3f((///C(a<,  166!); 


BIBLIOGRAPHIE.  6G5 

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GoiBAUD  Du  Bous,  Traductions  des  livres  de  saint  Augustin  : 

—  De  la  manière  d'enseigner  les  principes  de  ta  religion  chrétienne: 

—  De  la  vertu  de  continence  et  de  tempérance ,  1678; 

—  des  Lettres,  1684; 

—  des  Sermons,  1694-1700,  etc. 

M'""  GuYON,  Vie  de  M"^"  Guyon  écrite  par  elle-même,  publiée  en  1720, 
mais  ne  paraissant  pas  authentique. 

—  Commentaires  sur  Moise,  Josué,  les  Juges,  l'Évangile,  les  Êpi- 

tres  de  saint  Paul,  l'Apocalypse,  le  Cantique;  Genève  et  Paris, 
1676-1686. 

—  -     Le  Moyen  court  et  facile  pour  l'oraison,  1683. 

HÉBERT,  Traduction  des  Traités  de  TertuUien  :  des  Prescriptions;  de 

l'Habillement  des  femmes:  du  Voile  des  vierges,  1683. 
Hyde,  Histoire  de  la  religion  des  anciens  Perses,  1700. 
GoDEAu,  Idylles  spirituelles. 

Daniel  Huet,  Demonstratio  Evangelica;  Paris,  1679,  un  in-folio. 
HoBBES,  De  Cive;  Amsterdam,  1649;  traduit  en  i'rançais  par  Sorbiè- 
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—  Léviathan;  1631,  Londres;  1668,  Amsterdam. 
JuRiEU,  Préjugés  légitimes,  1689. 

—  La  Politique  du  clergé  de  France,  1682; 

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—  Préservatif  contre  le  changement  de  religion;  La  Haye,  1682  ; 

—  Suite  du  Préservatif,  1683  ; 

—  L'Jccomplissement  des  prophéties,  1688; 

—  Lettres  pastorales ,  i&%'^  ; 

—  Tableau  du  socinianisme ,  1691. 

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—  Sur  (es  Cérémonies  de  la  Chine,  1700. 

P.  Le  Gobien,  Lettre  sur  les  progrés  de  la  religion  en  Chine,  1797. 

—  Histoire  de  l'èdit  de  l'empereur  de  la  Chine  en  faveur  de  la  reli- 

gion chrétienne,  1698. 

—  Éclaircissements  sur  les  honneurs  que  les  Chinois  rendent  à  Con- 

fucius  et  aux  morts,  1698. 

—  Liste  des  prédicateurs ,  années  1652-1681. 

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M™''  DE  Maintexox,  Correspondance  générale,  4  voL  in-12,  publiés  par 
Lavallée,  corrigés  par  M.  Geffroy  dans  M"""  de  Maintenon  d'après  sa 
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Duc  De  Montausier,  Maximes  chrétiennes  et  politiques. 
P.  Le  Moy-ne,  L'art  de  régner. 
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Nicole,  Éducation  d'un  prince. 
De  NoAiLLEs,  Instructions  pastorales. 
NoGLiER,  Réponse  au  livre  de  M.  de  Condom;  Orange,  167;^,  in-12  de 

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Palhot,  le  Parlement  dé  Bourgogne,  1649. 
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Traduclioii  de  l'Ualien   Léon  de  Modène,  rabbin  de   Venise, 
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—  Réponse  au  livre  intitulé  Sentiments  de  quelques  théologiens  de 

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Prieur  de  Bolleville. 

—  De  l'inspiration  sacrée  des  livres  saints:   un  in-4'',  Rotterdam. 

1689. 

—  Histoire  critique  des  versions  du  Nouveau  Testament,  par  Ri- 

chard Simon,  prêtre.  Rotterdam,  in-4'',  1690. 

—  Histoire  critique  des  principaux  commentateurs  du  Nouveau  Tes- 

tament, e<c.,par  Richard  Simon, prêtre;  Rotterdam,  in-4°,  169M. 

—  Nourcllcs  Observations  sur  le  texte  et,  les  versions  du  Nouveau 

Testament,  par  R.  S.  p.  Paris,  Roudot,  169o. 

—  Le  Nouveau  Testament  de  Notre- Seigneur,  traduit  sur  l'ancienne 

édition  latine  etc.  A  Trévoux,  4  in-i2,  1702. 

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Spi.nosa,  Tractatus  theolog ico- polit icus ,  Amsterdam,  1670. 

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Spon",  Lettre  au  P.  de  la  Chaise,  confesseur  du  roi,  sur  l'antiquité  de  la 

religion,  1681. 
ToLLiLs,  Histoire  fabuleuse  de  la  Grèce,  de  laPhénicie,  de  l'Egypte,  1686. 


Ouvrages  du  dix-huitième  siècle  cités  et  mentionnés 
dans  cette  thèse. 

D'Ai-EMBEiiT,  Éloge  de  Bossuet,  Paris,  1779. 

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Béiiault-Bercastel,  Histoire  de  VÉglise. 

P.  Bretonneau,  Préface  des  CEuwes  de  Bourdaloue;  16  vol.  in-8'',  170o- 
1734. 

Catalogue  des  livres  de  la  bibliothèque  de  MM.  Bossuet,  anciens  évo- 
ques de  Meaux  et  de  Troyes  :  1742,  lOo  pages,  Gandoiu,  Pierre  Pi- 
cet  et  Barois  fils. 


668  BIBLIOGRAPHIE. 

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—  Essai  sur  l'éloquence  de  la  chaire,  un  vol.  in-8'J,  1810. 

Le  Mercure  de  France,  cVaoùi  et  septembre  1709;  —  Histoire  du  doc- 
lorat. 

Nicerun  ,  Mémoires  pom-  servir  à  l'histoire  des  hommes  illustres  de  la  ré- 
publique des  lettres;  1727-1745,  43  vol.  in-12,  dont  les  quatre  der- 
niers ont  été  publiés  par  le  P.  Oudin,  Mirhault  et  l'abbé  Goujet. 

Phelippeaux,  Relation  de  l'origine,  des  progrès  et  de  la  condamnation 
du  Quiétisme,  1729. 

RoLLiN,  Traité  des  études. 

Les  Statuts  de  la  Faculté  de  théologie,  171."). 

De  Valhuger,  Introduction  historique  et  critique  aux  livres  du  N.  T., 
par  Reithmayr,  traduite  et  annotée  par  de  Valroger. 

Voltaire,  Siècle  de  Louis  XIV,  {loi. 

—  Essai  sur  les  mœurs,  17o3-177o. 

—  Bietionnaire  philosophique ,  1763. 

—  Entretien  avec  un  Chinois. 

—  Défense  de  mon  oncle. 

—  De  Thèbes,  de  Rossuet  et  de  Rollin. 


Ouvrages  du  dix-neuvième  siècle  cités  ou  men- 
tionnés dans  cette  thèse. 

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in-80,  1858. 

—  La  Prose;  un  in-12,  1882. 

—  Histoire  de  la  littérature  française  au  dix-septiémc  siècle;  4<^  édi- 

tion, un  in-12,  1880. 
<;.  Allais,  Un  texte  de  Tertullicn  cité  par  Bossuet,  1885. 
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—  Sermons  choisis  de  Bossuet;  Paris,  Didot ,  1882. 
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DES(;HANEL,/e  Rotnantisme  des  classiques;  sept  vol. 
A.  Faluère,  Bourdaloue,  sa  prédication  et  son  temps;  in-8",   1874. 
Flkquet,  De  Bossuet  inspiré  par  les   Livres  Saints;  Rouen,  Raudry; 
1830,  in-80. 

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Fragments  ini'tlits  de  Bossuet  :  Revue  des  sciences  ecclésiastiques;  1880. 


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Glizot,  Histoire  générale  de  la  cicilisation  en  Europe,  1828-.30.  2  vol. 

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Jacquinet,  Des  Prédicateurs  au  dix-septième  siéc/c  avant  Bossuet;  2'"  édi- 
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Jourdain,  Histoire  de  l'Université  de  Paris  au  dix-septième  et  di.r  hui- 
tième siècles,  un  in-folio,  18G2-0G. 

—  Index  rhronologicus  chartarum;  un  in-folio,  1862. 

Petit  de  Jllleviu.e,  le  Théiitre  en  France  au  moyen  éige;  o  vol.  in-8°. 
Lach.vf,  (Euvres  complètes  de  Bossuet,  publiées  d'après  les  imprimés 

et  les  manuscrits  originaux;  Paris,  Vives,  1862-66;  31  vol.  in-S". 
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Lille,  Desclée,  1888. 

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Lamartine,  Nouvelles  Méditations,  1823. 

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-     —     Baphaèl,  18:i9. 


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Henri  Mahtin,  Histoire  de  France;  14  vol.  in-S",  4"  édition. 
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NisARD,  Histoire  de  la  litU'ruture  française;  4  vol.  in-12,  8*^  édition, 
1881. 

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—  —    La  Philosophie  de  saint  .Augustin,  2  vul.  iii-12. 
—    —     La  Politi(/ne  de  Bossuet;  l'ai'is,  1867,  un  in-8''. 

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—  La  Civilisation  au  cinquième  siècle,  2  vul.  in-S",  I8j5. 
P.vTix,  Éloge  de  Bossuet,  1827. 

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PoLîjoiii.AT,  Histoire  de  saint  Augustin;  2  vol.  in-12,  Paris,  18.")2. 

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— -    Bossuet  historien  du  protestantisme  ;  un  in-S",  1891. 

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tobre 1895. 

De  Sacy,  Variétés  morales  et  littéraires;  2  vol,  in-12. 

ScHERER,  Études  critiques  sur  la  littérature  contemporaine  ;  (>  vul.  in-12, 
1876. 

Sainte-Beuve,  Causeries  du  Lundi  :  VI,  X,  Xll,  XllL 

—  Nouveaux  Lundis  :  H,  IX. 

—  Port-Royal;  7  vol.  dernière  édition, 

—  Tabaraud,  Supplément  aux  histoires  de  Bossuet  et  de  Fénelon;  1822. 
Teuffel,  Histoire  de  la  littérature  romaine,  traduite  en  français,  3  vol. 

in-S",  Wieweg,  1883. 
Thuuun,  Études  sur  l'histoire  du  protestantisme  à  Metz  et  dans  le  pays 
messin;  un  vol.  in-8"  de  400  pages,  Colin,  Nancy. 


072  HIBLIOGRAPHIE. 

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crits: iSol ,  un  vol.  in-8°,  Paris. 
Vie  de  M.  Olier,  1833. 
ViLLEMAix,  Discours  et  mélanges  littéraires. 

—  Tableau  de  l'éloquence  chrétienne  au  quatrième  siècle;  2^  édit., 

in-12,  1870. 

—  Essai  sur  le  génie  de  Pindare  et  la  Poésie  lyrique;  in-8°,  1839. 


TABLE  DES  MATIERES 


Pag-e  a 

Préface i 

Il  y  a  1111  intérêt  profond  à  savoir  comment  s'est  formé  le  génie  mer- 
veilleux do  Bossiiet.  —  On  a  consacré  des  monographies  intéressan- 
tes à  la  Philosophie  de  Bossuet  et  à  Bossuet  et  la  Bible.  —  Il  faut 
faire  un  travail  semblable  sur  Bossuet  et  les  saints  Pères.  —  Éludes 
patristiques  de  Bossuet;  méthode  qu'il  a  suivie  comme  traducteur  et 
commentateur  des  saints  Pères;  inllucnce  qu'ils  ont  exercée  sur  son 
style;  usage  qu'il  a  fait  des  Pérès  comme  orateur,  comme  exégèle, 
comme  auteur  ascétique,  comme  philosophe,  historien  et  politique, 
enfin  comme  controversiste  :  voilà  l'objet  de  ce  travail  nouveau.  — 
Les  documents  originaux  et  inédits,  consultés  par  l'auteur,  sont  :  1'^  les 
Cartons  de  Meaux;  '1"  les  Manuscrits  de  la  Bibliothèque  nationale; 
3"  les  Cahiers  delà  Collection  Floquet;  i'^  Va  Mineure  ordinaire  de 
Bossuet;  'i"  Va  Bible  dn  Concile;  6"  le  Cfl^fl/o(/Me  des  livres  de  la  Biblio- 
thèque de  MM.  Bossuet,  1742.  —  Ce  n'est  pas  sans  émotion  qu'on 
feuillette  les  autographes  du  grand  évèque. 
An^ly.'^e  et  extraits  de  l'Écrit  cornposc  i>ar  Bossuet  pour  le  cardinal  de 
Bouillon,  sur  le  style  et  la  lecture  des  écrivains  et  des  Pères  de  l'Église 
jiour  former  un  orateur x 

CHAPITRE  P' 

LES   ÉTUDES   PATRISTIQUES   DE   BOSSUET 
A    DI.JON  (?);  —  AU  COLLÈGE  DE  NAVARRE;  —  A  METZ; 

—  A  paris;  —  A  MEAUX.  1 

ARTICLE   pi^ 
Études  patristiques  de  Bossuet  à  Dijon  (?)  (10-27-1 G i'2). 

Bossuet,  au  collège  de  Godrans,  donna  de  grandes  espérances  à  sa  fa- 
mille. —  La  Bible  n'étant  pas  classique  chez  les  Jésuites,  les  saints 
Pères  ne  l'étaient  pas  non  }ilus.  —  L'insuccès  de  la  tentative  faite  par 
saint  Charles  Borromée  pour  substituer  dans  l'enseignement  les  au- 
teurs chrétiens  aux  auteurs  païens,  aurait  empêché  les  Jésuites  de  la 
renouveler,  s'ils  en  avaient  eu  l'idée.  —  Bossuet  n'avait  pas  en  sortant 
de  chez  eux  la  connaissance  approfondie  du  grec,, qu'il  acquit  plus  tard 
à  Navarre 1 

lïOSSLET  ET  LES  SAIÎJTS  l'ÈllES.  43 


674  TABLE  DES  MATIERES. 


ARTICLE  II 

Études  patristiques  de  Bossuet  à  Navarre 
(17  octobre  U>i2  —  !•  avril  Kioi). 

Pages. 

Les  Pères  ne  faisaient  pas  à  Navarre  lobjet  d'un  enseignement  à  part. 

Bossuet  apprit  la  patristique  dans  les  cours  d'Écriture  Sainte,  de 

théologie  scolastique,  de  théologie  positive  et  de  controverse.  —  Il 
nous  manque  ses  discours  et  ses  thèses  de  cette  époque,  sauf  la  Mi- 
neure ordinaire,  5  juillet  1651,  où  sont  cités  un  grand  nombre  de 
Pères,  probablement  de  seconde  main  et  d'après  les  auteurs  de  théo- 
logie alors  classi([ues.  —  Les  11  Sermons  de  Navarre  sauf  celui  de 
la  fêle  du  Rosaire,  contiennent  peu  de  citations  des  Pères.  —  Ils 
étaient  pourtant  l'objet  de  l'élude  de  Bossuet.  comme  le  prouvent  le 
Plan  d'une  théologie  et  les  Traités  des  Pères  les  plus  utiles  pour 
commencer  l'étude  de  la  théologie,  rédigés  vei-s  1648 5 

ARTICLE  III 

Études  patristiques  de  Bossuet  à  Metz 
(mai  I0.V2  —  février  IG5<tj. 

Après  avoir  refusé  la  grande  maîtrise  de  Navarre,  Bossuet,  archidiacre 
de  Sarrebourg  et  bientôt  de  Metz,  passa  prés  de  sept  ans  dans  cette 
ville.  —  «  C'est  là,  disait-il,  qu  il  avait  le  plus  lu  les  Pères  »,  Tertul- 
lien,  saint  Augustin,  Origène,  saint  Bernard,  saint  Grégoire  de  Na- 
zianze.  —  Les  Extraits  et  les  Notes  qui  restent  de  cette  époque  ont 
servi,  sinon  à  Floquet  et  à  Gandar,  du  moins  à  l'abbé  Lebarq  pour  nous 
initier  «  aux  habitudes  studieuses  »  de  Bossuet  et  aux  analyses  des 
Pères  qu'il  fil  surtout  pour  la  Réfutation  du  catéchisme  du  sieur 
Paul  Ferry.  —  Elle  est  pleine  de  textes  de  saint  Augustin,  de  Ter- 
tullien,  de  saint  Basile,  de  saint  Grégoire  de  Nysse.de  saint  Cyprien, 
de  saint  Optât,  de  saint  Bernard,  de  Gerson,  etc.  —  Il  en  est  de 
même  des  47  sermons  de  Metz  (105'2-1659),  qui  prouvent  qu'à  cette 
époque  Bossuet  ne  lisait  guère  les  Pérès  grecs  et  étudiait  de  préférence 
les  Pères  latins,  surtout  TertuUiea  et  saint  Augustin 17 

.\RTICLE  IV 

Études  patristiques  de  Bossuet  à  Paris 

(février  Iti.'il)  —  7  février  i(i8-2). 

Au  doyenné  de  saint  Thomas  du  Louvre,  Bossuet  consacrait  tout  son 
temps  à  la  prière,  à  la  prédication,  et  à  l'étude  de  «  ses  livres  »,  la 

Bible  et  les  saints  Pères 32 

§  1.  —  Place  plus  grande  faite  aux  pères  grecs 38 

A  partir  de  1659,  saint  Grégoire  de  Nazianze,  «  le  théologien  », 
saint  Chrysostome,  saint  Grégoire  de  Nysse,  saint  Basile  de  Cé- 
sarée,  saint  Basile  de  Séleucie,  Eusébe  de  Césarée,  etc.,  sont 
cités  très  souvent  par  Bossuet. 


TABLE  DES  MATIERES.  «75 

P.i.ïes. 

^11.  —  Les  Sommaires  de  16()2  et  les  Études  patrisliques  de  lios- 

suet 'tO 

Quand  on  lit  les  Sommaires ,  rédigés  avant  le  Carême  du  Lou- 
vre, on  est  frappé  de  la  place  qu'y  tiennent  les  saints  Pères. 
—  Tantôt,  c'est  tout  un  exorde,  tantôt,  c'est  tout  un  point  de 
sermon ,  ou  même  tout  un  sermon,  que  Bossuet  ramène  à  la  pa- 
role d'un  Père. 

§  in.  —  Pères  de  l'Église  dont  Bossuet  s'inspire  alors  pour  la  pre- 
mière fois 47 

Ce  sont  :  saint  Denys  l'Aréopagite,  Lactance,  Arnobe,  Théodoret, 
Innocent  I",  saint  Hilaire,  Julien  Pomère,  Ilésychius,  saint  Hor- 
inisdas,  Eusèbe  d'Éinèse. 

§  IV.  —  Des  Extraits  et  des  Remarques  morales,  rédigés  à  Paris 

par  Bossuet  en  lisant  les  Pères 48 

En  1666,  comme  auparavant,  il  rédigea  des  Extraits  et  des  Re- 
marques morales,  auxquelles  il  renvoie  dans  ses  Sermons  de 
cette  année,  ainsi  que  M.  Gazier  et  M.  l'abbé  Lebarq  l'ont  éta- 
bli, d'après  une  feuille  qui  est  une  table  d'Extraits  et  de  Re- 
marques. —  Ils  lui  servirent  en  1667,  68,  69,  comme  de  sem- 
blables Notes  lui  avaient  servi  en  1660,  61,  62.  —  Il  conserva 
toujours  l'habitude  de  lire  les  Pères  la  plume  à  la  main  et  de 
se  lever  la  nuit  pour  travailler. 

§  V.  —  Études  patrisliques  de  Bossuet,  précepteur  du  Dauphin 

(1670-1682).  —  Les  saillis  Pères  au  Petit  Concile 52 

Nommé  précepteur  du  Dauphin,  le  5  septembre  1670,  sacré  évo- 
que, le  21  du  même  mois,  Bossuet  passa  à  la  cour  plus  de  onze 
années.  — Tout  en  s'occupanl  de  son  préceptorat,  il  fut  Vàme 
du  Petit  Concile,  où  l'on  étudiait  la  Bible  d'après  les  Pères, 
spécialement  saint  Jérôme  et  Théodoret. 

§  VI.  —  Les  saints  Pères  dans  les  discours  et  les  autres  amvres 

de  Bossuet,  précepteur  du  Daupliin 56 

Les  cinq  Sermons  qui  nous  restent  de  cette  époque,  surtout  le  Ser- 
mon sur  l'Unité  de  l'Égtise,  sont  remplis  de  citations  des 
Pères.  —  Les  Œuvres  de  controverse  :  Exposition  de  la  Doc- 
trine de  l'Église  catholique,  Conférence  avec  M.  Claude,— 
les  Œuvres  pédagogiques  :  Traité  de  la  Connaissance  de  Dieu, 
Logique,  Traité  du  libre  arbitre.  Discours  sur  l'Histoire 
universelle ,  Politique  tirée  des  propres  paroles  de  l'Écri- 
ture sainte,  ont  le  même  caractère  d'érudition  patrologique. 

ARTICLE  V 

Études  patristiques  de  Bossuet  à  Meaux. 
(8  février  1882  —  12  avril  noi). 

Pendant  les  vingt-deux  années  de  son  épiseopat,  Bossuet  continua  au 
Petit  Concile  ses  études  bibliques  et  patristiques,  et  publia  une  partie 
des  notes  qu'on  y  avait  rédigées  sur  les  Psaumes,  les  livres  Sapien- 
tiaux,  etc 61 


676  TABLE  DES  MATIEKES. 

Pages. 

§  I.  —  Derniers  Extraits  de  saint  Auç/iistin 6i 

Le  Dieu  avait  eu  entre  les  mains  ces  Extraits  et  trois  éditions  de 
saint  Augustin,  «  ctiargées  de  mille  sortes  de  remarques  ».  Bos- 
suet  ne  faisait  plus  rien  que  «  par  saint  Augustin  »  et  les  Pères 
comme  le  prouve  la  Lettre  au  P.  Cafjaro. 

§  II.  —  Les  saints  Pères  et  la  querelle  du  Quiétisme 66 

Saint-Simon  lui-même  trouvait  les  ouvrages  de  M.  de  Meaux 
«  appuyés  de  passages  sans  nombre  des  Pères  ».  —  Bossuet  dé- 
fendit les  Mystiques  et  les  Scotastiques  contre  Fénelon,  et  il 
fit  triompher  la  cause  de  la  Tradition  et  des  Pères. 

§  III.  — Prédilectionde  plus  en  plus  marquée  pour  saint  Augustin.  69 
Pour  ses  sermons  et  ses  controverses,  Bossuet  cherchait  toujours 
dans  ce  Père  «  le  point  de  décision  ».  —  Il  rétablit  une  la- 
cune de  huit  lignes  dans  ses  œuvres,  reconnut  comme  authen- 
tique un  de  ses  sermons,  prêcha  admirablement  sa  fête  en  1689, 
et  mourut  en  le  défendant  contre  Richard  Simon.  —  «  L'étoile 
de  Monseigneur  »  ne  s'est  pas  éteinte  avec  lui. 


CHAPITRE  II 

BOSSUET    TRADUCTEUR  ET    COMMENTATEUR    DES    SAINTS    PÈRES. 

ARTICLE  I« 

Textes  d'après  lesquels  on  peut  juger  Bossuet  traducteur  des  saints  Pères. 

Il  n'y  a  pas  de  traductions  proprement  dites  des  Pères  faites  par  Bossuet. 
Il  ne  les  a  traduits  que  pour  les  besoins  de  son  éloquence,  de  ses 
controverses  et  de  ses  différentes  œuvres 7.5 

ARTICLE  II 

Différence  entre  Bossuet  traducteur  de  la  Bible  et  Bossuet  traducteur 
des  saints  Pères. 

Pour  les  traductions  de  la  Bible,  c'est  la  lidélilé  littérale  la  plus  parfaite 
que  voulait  Bo.ssuet.  —  Pour  les  Pères,  dont  le  texte  ncst  pas  la  parole 
de  Dieu,  il  est  moins  scrupuleux;  mais  il  se  garde  des  libertés  étran- 
ges que  prenaient  ses  contemporains,  traducteurs  de  saint  Augustin, 
de  TertuUien,  de  saint  Clirysostomo,  de  saint  Basile,  de  saint  Ber- 
nard, etc. 

A  Navarre  et  à  Melz,  Bossuet  traduit  les  Pères  avec  une  fidélité  qui  va 
jusqu'au  réalisme  :  Panéç/ijriqucs  de  saint  Gorgon,  Sermons  sur  la 
loi  de  Dieu,  les  démons,  pour  la  vèture  d'une  nouvelle  catholique, 
pour  la  fête  de  la  Visitation 77 


TABLE  DES  MATIERES.  67; 


ARTICLE  III 

Progrès  de  Bossuet  traducteur  des  saints  Pères. 
Son  originalité. 

Pnges. 

Ces  progrès  se  manifestent  dès  1  époque  de  Metz,  dans  la  traduction  de 
certains  passages  de  saint  Augustin,  de  Tertuilien,  de  Clément  d'A- 
lexandrie, de  saint  Cyprien,  d'Origène,  de  saint  Léon,  de  saint  Ba- 
sile, de  saint  Grégoire  de  Nazianze,  de  saint  Chrysostome  même.  — 
Bossuet  leur  prête  de  son  propre  fonds.  —  11  sera  désormais,  non 
plus  traducteur,  mais  commentateur  éloquent  des  saints  Pères 84 

ARTICLE  IV 

Bossuet  commentateur  des  saints  Pères. 

Grâce  à  son  merveilleux  talent,  les  emprunts  qu'il  fait  à  Tertuilien  ne 
sont  que  le  thème  de  magnifiques  développements.  —  Exemple  tiré 
du  Post  tolum  ignobilitatis  etogium,  etc.,  qui  devient  <(  le  je  ne 
sais  quoi  qui  n'a  plus  de  nom  dans  aucune  langue  ».  —  Exemples 
semblables,  à  pro|)os  de  saint  Cyprien,  de  saint  Grégoire  de  Nazianze, 
de  saint  Chrysostome,  de  saint  Augustin,  de  saint  Thomas  d'Aquin, 
qui  prêtait  le  moins  aux  développements  oratoires  et  que  Bossuet 
transforme  admirablement.  —  Il  est  donc  un  commentateur  de  génie, 
et  l'habitude  qu'il  a  du  latin  des  Pères  donne  à  son  style  «■  la  saveur  a 
d'un  '>  français  neuf,  original,  dans  le  sens  de  la  racine  b 93 

CHAPITRE  III 

LES   SAINTS   PÈRES    ET    BOSSUET    ORATEUR. 

Si  Clérambault,  Voltaire,  La  Harpe,  l'abbé  Maury,  Chateaubriand,  le 
cardinal  de  Bausset,  ont  méconnu  le  mérite  des  Sermons  de  Bossuet, 
tous  les  critiques  contemporains  lui  rendent  hommage  et  reconnaissent 
trois  époques  dans  l'évolution  oratoire  de  Bossuet  :  l'époque  de  Na- 
varre et  de  Metz,  où  «  il  s'essaie  »  ;  l'époque  de  Paris,  où  «  il  excelle  »  ; 
et  l'époque  de  Meaux ,  où  «  il  se  transforme  » 113 

ARTICLE  P»- 

Influence  des  saints  Pères  sur  Bossuet  orateur,  pendant 
l'époque  de  Navarre  et  de  Metz,  1048-1659. 

Les  Sermons  de  cette  époque  ont  des  défauts  :  étalage  d'érudition,  ap- 
pareil scolastique  du  raisonnement,  longues  digressions,  <  crudité  des 
expressions,  »  bizarrerie  des  métaphores.  Ces  défauts,  qu'on  remar- 
que à  côté  d'éminentes  qualités,  sont  le  tribut  payé  par  Bossuet  aux 
habitudes  du  temps,  mais  aussi  le  résultat  de  son  imitation  des  Pères 
latins 117 


(î78  TABLE  DES  MATIERES. 

rages. 

§  I.  —  Influence  prépondérante  de  TertulUen 120 

Bossuet  doit  à  ce  «  dur  Africain  »,  en  même  temps  que  plusieurs 
beaux  passages  de  ses  premiers  discours,  des  hardiesses,  des 
digressions  regrettables  et  beaucoup  de  «  sentences  ».  —  Exem- 
ples. 

ij  11.  —  Influence  de  saint  Cyprien 127 

Saint  Cyprien  inspire  aussi  à  Bossuet  des  longueurs  et  des  anipli- 
licalions  de  mauvais  goût  [Sermon  sur  la  loi  de  Dieu,  1653), 
dont  il  se  corrigera  bientôt ,  en  prenant  conscience  du  défaut 
«  des  discours  qui  ne  finissent  point  «  et  des  exordes  qui  con- 
tiennent tout  un  sermon. 

§  III.  —  Influence  heureuse  et  malheureuse  de  saint  Augustin.  123 
«  L'incomparable  saint  Augustin  »,  commentant  saint  Paul,  four- 
nit à  Bossuet  de  magnifiques  aperçus  et  de  superbes  inspira- 
tions, mais  aussi  des  hors-d'œuvre  et  des  citations  trop  fré- 
quentes. Les  Sermons  de  Metz  sont  «  un  peu  trop  abstraits  » , 
grâce  souvent  à  l'évêque  dllippone.  [Sermon  sur  la  Pentecôte, 
1654).  —  Dès  1658,  le  jeune  orateur  abandonne  les  théories  trop 
élevées,  trop  savantes,  et  les  citations  «  hors  de  propos  et  hors 
de  mesure  ». 

ARTICLE  II 

Influence  des  saints  Pères  sur  Bossuet  orateur  pendant 
l'époque  de  Paris  (IG.">'J-l(iH-2). 

L'éloquence  de  Bossuet  était  en  ju'ogrès,  et  le  seul  fait  de  quitter  Metz 
pour  Paris  ne  suffit  pas  à  la  transformer,  comme  l'a  dit  Sainte-Beuve. 
—  11  ne  semble  pas  non  plus  que  Gandar  ait  eu  raison  de  signaler 
«  un  temps  d'arrêt  »  dans  l'évolution  oratoire  de  Bossuet  sous  l'in- 
fluence de  saint  Vincent  de  Paul,  qui  lui  avait  recommandé  «  la  sim- 
plicité ».  —  Bossuet  n'a  point  fait  en  16.59-60  des  emprunts  à  une 
rhétorique  «  emphatique  »,  ni  mortifié  sa  parole  en  1661.  Dès  1654,  il 
demandait  au  ciel  «  la  simplicité  et  la  vérité  »  ;  ses  Sej-mo7is  de  Paris 
ressemblent  à  ceux  de  Metz  tout  en  étant  plus  parfaits.  —  11  s'eflbrce 
de  plus  en  plus  de  réaliser  cette  devise  :  «  L'utilité  des  fidèles  est  la 

loi  suprême  de  la  chaire.  » 143 

§  I.  —  Progrès  de  Bossuet  orateur  sous  l'in/liicnce   des   Pères 

grecs. 148 

C'est  saint  Chrysostome  qui  lui  apprit  à  être  «  simple  et  popu- 
laire »,  tandis  que  saint  Grégoire  de  Nazianze  et  saint  Basile  lui 
enseignaient  la  douceur  familière  et  l'onction  |)énétrante.  —  Il 
unit  alors  des  qualités  qui  semblaient  s'exclure,  la  force  et  la 
grdce,  la  simjilicité  et  la  sublimité.  [Sermons  sur  l'honneur  du 
monde,  sur  la  Providence, sur  l  Ambition,  sur  Vhnpénitence 
finale,  sur  la  Mort,.  —  M.  Lanson  estime  qu'il  y  eut  après  1662 
progrès  dans  l'art  oratoire  de  Bossuet  :  il  n'y  ]>araît  guère.  — 
M.  Rébelliau  pense,  au  contraire,  que  dans  les  derniers  Sermons 


TABLE  DES  MATIERES.  679 

Pages, 

prêches  à  la  cour  la  majesté  s'accentue  et  l'accent  personnel 
disparaît;  mais  on  trouve  cet  accent  dans  les  Oraisons  funèbres. 

—  En  1668,  la  familiarité  et  la  simplicité  véliémente  de  Bossuet 
donnent  un  démenti  à  ce  que  soutient  Paul  Albert  sur  «  le  vague 
et  l'abstrait  »  de  la  prédication  au  xvii<^  siècle. 

§  IL  —  Fusion  harmonieuse  du  génie  de  Bossuet  et  de  celui  des 

Pères,  TertuUien ,  sain  t  Augustin 156 

Bossuet  en  était  arrivé  à  fondre  admirablement  ses  idées  avec  ' 
celles  des  Pères,  dont  il  s'inspirait.  —  Cela  est  évident  pour 
TertuUien  {Sermon  sur  les  déinons),  auquel  il  n'em|)runte  plus 
que  «  quelques  sentences  »  et  dont  il  reconnaît  les  «  excès  »,  dès 
1665.  —  Il  a  cependant  pour  lui  une  prédilection  qu'expliquent 
la  force,  la  véhémence  et  la  grâce  charmante  de  «  ce  dur  Afri- 
cain »,  que  Bossuet  corrige  avec  un  goût  exquis.  {Sermons  de 
Vêture  de  M"'e  d'Albert,  1664). 

§  111.  —  Ouvrages  de  saint  Augustin  dont  s'inspire  Bossuet  à 
Paris  :  de  la  Doctrine  chrétienne  ;  —  de  Cotechizandis  ru- 
dibus;  —  des  Mœurs  de  l'Église  catholique^ —  l'Enchiridion; 

—  de  l'Esprit  et  de  la  Lettre;  —  de  Vera  religione;  —  Cité 
de  Dieu;  —  Lettres;  —  Confessions;  —  Rétractations;  — 
Commentaires  sur  la  Bible  ;  —  Traités  de  théologie  dogmatique, 

de  controverse;  —  Livres  ascétiques  ,  ctc 168 

Bossuet,  en  empruntant  toujours  à  saint  Augustin  «  toute  la  doc- 
trine »,  en  évite  «  les  subtiles  considérations  »  et  «  la  manière 
de  dire  un  peu  trop  abstraite  ».  —  11  indique  au  cardinal  de 
Bouillon  les  traités  de  ce  Père  les  plus  utiles  pour  «  former  le 
style  et  apprendre  les  choses  ».  —  Il  avait  pratiqué  lui-même  ce 
qu'il  conseillait,  et  s'était  inspiré  surtout  de  la  Cité  de  Dieu, 
des  Lettres  et  des  Confessions  de  saint  Augustin,  de  ses  Rétrac- 
tations, de  ses  Commentaires  sur  la  Bible,  de  ses  ouvrages  de 
théologie  dogmatique,  de  controverse  contre  les  Pélagiens  et  les 
Donatistes,  de  ses  livres  acétiques  et  de  ses  Sermons. 
§  IV.  —  Ce  que  Bossuet,  orateur  à  Paris,  doit  à  saint  Jean 
Chrysostome,  à  saint  Grégoire  de  Nazianze,  saint  Grégoire 

le  Grand ,  saint  Bernard 180 

L'étude  de  saint  Chrysostome  a  inspiré  à  Bossuet  plus  de  pathé- 
tique et  de  goût.  —  Il  s'est  servi  aussi  de  saint  Grégoire  de 
Nazianze  pour  donner  des  leçons  «  au  roi  et  aux  princes  »,  quoi- 
qu'il ne  l'ait  cité  que  quatre  fois  en  1662,  une  fois  en  166.5, 
trois  fois  en  1666,  une  fois  en  1669.  Il  y  a  surtout  puisé  pour 
ses  Oraisons  funèbres,  1662,  1670,  1683.  —  La  troisième  partie 
du  Pastoral  de  saint  Grégoire  le  Grand  lui  a  aussi  donné  d'heu- 
reuses inspirations.  —  Saint  Bernard  est,  après  saint  Augustin, 
le  Père  auquel  Bossuet  «  s'appliqua  davantage  »,  surtout  pour 
ses  sermons  sur  la  Sainte  Vierge. 
Que  si  l'on  compare  pour  l'imitation  des  saints  Pères  Bossuet, 
Bourdaloue  et  Massillon,  on  constate  que  ce  dernier  se  sert  à 
peine  des  docteurs  de  l'Église,  que  Bourdaloue  «cite  en  maître  » 


680  TABLE  DES  MATIERES. 

Pagres. 

TeituUieii,  sainl  Augustin,  saint  Chrysostome ,  mais  qu'il  n'en 
fait  |ias,  comme  Bossuet,  des  commentaires  pleins  de  génie.  Le 
P.  de  la  Broise  a  tort  de  préférer  «  la  marche  régulière  de  Bour- 
daloue  »  aux  «  traits  sublimes,  mais  courts  et  rapides  »,  de 
Bossuet. 

ARTICLE  III 

Influence  de  saints  Pères  sur  Bossuet  orateur  ,  pendant  l'époque 
de  Meaux  (8  février  l(i8-^  —  18  juillet  170-2). 

On  a  relevé  plus  de  300  discours  ou  allocutions  de  cette  époque-,  mais 
il  n'en  reste  que  quelques  esquisses,  ou  des  analyses  faites  par  des  au- 
diteurs. «  Bossuet  prêchait  de  génie  » ,  et,  «  comme  les  Pères  »,  il  ac- 
commodait ses  instructions  aux  besoins  présents.  —  Avec  sa  grande 
habitude  de  la  parole ,  il  n'avait  besoin  de  se  préparer  que  par  la  lec- 
ture de  la  Bible  et  de  saint  Augustin,  et  par  la  méditation  et  la  ])rière. 
Il  était  à  tout  propos  familier,  simple,  naturel,  élevé,  pressant,  per- 
suasif, «comme  un  autre  sainl  Augustin  ».  —  Dans  le  Esquisses  qui  nous 
restent ,  il  n'y  a  guère  que  quelques  textes  de  la  Bible  et  des  Pères. 
—  D'une  modestie  profonde,  Bossuet  «  invoquait  avec  ferveur  et  en 
grande  humilité  l'esprit  du  Seigneur  pour  se  préparer  aux  discours  les 
plus  familiers.  »  —  L'âme  des  Pères  était  passée  dans  la  sienne,  et  il 
les  imitait  en  n'adressant  plus  à  son  peuple  que  des  «  homélies  »,  à  la 
manière  de  saint  Chrysostome  et  où  il  ne  citait  presque  plus  les  paroles 
et  l'autorité  des  docteurs  de  l'Église 192 

CHAPITRE  IV 

LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  EXÉGÈTE. 

Quoique  le  P.  de  la  Broise  ait  parlé  excellemment  des  ouvrages  exégé- 
tiques  de  Bossuet,  il  n'a  dit  qu'un  mot  de  la  part  qui  revient  aux  saints 
Pères,  soit  dans  les  Explications  de  la  Bible  faites  au  parloir  des 
Carmélites  en  1668,  1686,  1687,  soit  dans  la  Bible  du  Concile  et  les  au- 
tres commenlaires  bibliques  (\m  nous  restent  de  Bossuet 206 

ARTICLE  1" 

Les  saints  Pères  et  l'Explication  de  l'Apocalypse. 

Quoique  les  Pères  «  n'aient  pas  tout  vu  »  dans  les  prophéties  qui,  comme 
V Apocalypse,  ne  regardent  pas  le  dogme,  Bossuet  marche  guidé  par 
les  lumières  de  saint  Irénée,  de  saint  Augustin,  dont  il  cite  une  règle 
essentielle,  de  sainl  Denys  d'Alexandrie,  de  Terlullien,  d'Orose,  de 
saint  Jérôme,  de  sainl  Ainbroise.  —  Il  écrit  son  Explication  à  l'occa- 
sion des  dires  mensongers  des  protestants,  (|ui  faisaient  de  Rome  chré- 
tienne la  Babylone  de  l'Apocalypse.  —  Il  pose  des  principes  d'exégèse 
qui  consacrent  laulorité  de  la  tradition,  sauvegardent  tous  les  droits 


TABLE  DES  MATIERES.  681 

Pages. 

de  l'avenir  et  sont  en  harmonie  parfaite  avec  ceux  du  Concile  du  Va- 
tican et  de  l'Encyclique  de  Léon  XIII  sur  l'Étude  de  la  sainte  Écriture 
(1893).  —  Il  avance  trois  vérités  :  le  sens  des  propiiétiesqui  regardent  le 
dogme  ne  peut  pas  avoir  été  inconnu  des  Pères;  le  sens  des  prophéties 
qui  ne  regardent  pas  le  dogme  dépend  de  l'histoire,  et  il  est  permis 
«  d'aller  à  la  découverte  »;  cette  liberté  est  interdite  dans  les  dogmes. 
—  Pour  l'Apocalypse,  les  Pères  ont  été  très  réservés,  parce  qu'il  leur 
répugnait  de  voir  son  accomplissement  dans  la  chute  de  Rome,  qu'ils 
croyaient  éternelle.  —  Bossuet  veut  «  venger  les  outrages  de  la  chaire 
de  saint  Pierre  et  proposer  une  meilleure  date,  une  suite  plus  mani- 
feste »  pour  la  prophétie  de  saint  Jean . 

11  suivra  les  Pères,  quand  leur  consentement  est  unanime;  quand  il  ne 
l'est  pas,  il  ira  à  la  découverte  eu  s'inspirant  de  l'histoire;  il  avouera 
humblement  qu'il  ne  sait  pas  tout. —  Son  érudition  patrologique  paraît 
surtout  dans  l'explication  des  chapitres  I  et  IX.  —  Il  y  a  dans  l'éloquent 
résumé  qu'a  fait  Bossuet  de  son  travail  un  Appendice  du  Discours 
.swr  r Histoire  universelle. 

Saint  Augustin,  Salvien  et  Lactance  inspirent  l'évêque  de  Meaux  pour 
l'explication  des  trois  bêtes  très  cruelles  qui  tourmentaient  le  monde  : 
Maximien  Herculius,  Galère  Maximien  et  Dioclélien. 

D'après  les  historiens  profanes,  Lactance  et  saint  Augustin,  Bossuet  voit 
dans  la  seconde  bête  la  philosophie  de  Plolin,  de  Porphyre,  d'Hiéroclès, 
qui  faisaient  parler,  comme  Julien  l'Apostat,  les  statues  des  dieux. 

L'abbé  de  Langeron  trouvait  que  Bossuet  était  «  plein  de  fentes  par  où  le 
sublime  échappait  de  tous  cotés  ».  —  Oui,  mais  il  était  aussi  plein  de 
sagesse  et  de  réserve 208 

ARTICLE  II 

Les  saints  Pères  et  les  Commentaires  sur  les  Psainncs,  sur  les  Cantiques 
de  l'Ancien  et  du  Noviveau  Testament,  et  le  Supplément  aux  Psaumes. 

Ces  Commentaires,  1691-1693,  sont  moins  l'œuvre  personnelle  de  Bos- 
suet que  l'Explication  de  l'Apocalypse  :  il  faut  y  voir  le  fruit  des 
travaux  du  Petit  Concile,  auquel  l'évêque  de  Meaux  rend  hommage. 

Il  se  propose  d'enseigner  à  son  clergé  à  chanter  avec  science  et  intelli- 
gence. —  La  Dissertation  préliminaire  sur  les  Psaumes  est  un  vrai 
chef-d'onivre,  où  l'auteur  emprunte  aux  Pères,  saint  Chrysostome,  saint 
Augustin,  saint  Jérôme,  etc.  les  règles  et  les  sentiments  qu'il  suit  sur 
le  texte,  les  versions,  les  titres,  les  auteurs,  les  interprètes,  la  divi- 
sion, le  chant  des  Psaumes.  Il  en  excuse  les  solécismes,  comme  saint 
Augustin,  et  il  montre,  avec  saint  Athanase,  que  les  Psaumes  sont  en 
harmonie  avec  tous  les  usages  de  la  piété. 

Le  Commentaire,  aussi  bien  que  la  Préface,  est  tout  plein  de  la  subs- 
tance des  Pères,  saints  Jérôme,  Augustin,  Chrysostome,  Théodoret,  etc. 

Il  faut  on  dire  autant  de  l'explication  des  Cantiques  de  l'Ancien  et  du 
ÎVouveau  Testament,  et  du  Supplément  aux  Psaumes,  publié  en  1693, 
pour  prouver  à  Grotius,  au  nom  de  tous  les  Pères,  que  bien  des  pas- 
sages des  Psaumes  sont  relatifs  à  la  divinité  de  Jésus-Christ 22f 


682  TABLE  DES  MATIERES. 


ARTICLE  III 

Les  saints  Pères  et  les  Commentaires  sur  les  livres  de  Salomon  :  les 
Proverbes. l'Ecclésiaste,  le  Cantique  des  Cantiques,  la  Sagesse,  l'Ec- 
clésiastique ,  l(i!<3. 

Pages 

Ces  Notes  sont  moins  originales  que  le  Commculaire  sur  les  Psaumes, 
et  il  n'y  a  que  des  Préfaces  peu  importantes ^  quoique  toujours  ins- 
pirées des  Pères,  comme  les  Commentaires  trop  courts  qui  les  suivent, 
commentaires  suffisants  pour  le  clergé  auquel  ils  sont  adressés. 

Le  Commentaire  du  Ciintiijtie  des  Cantiques  est  une  œuvre  tout-à- 
fait  remarquable  sur  l'union  de  Jésus-Christ  avec  l'Église  et  les  saintes 
âmes.  —  Bossuel  y  parle  en  théologien,  en  humaniste,  en  artiste,  en 
savant  nourri  des  saints  Pères,  Origène,  saint  Jérôme,  Philon  de 
Carpathe,  saint  Bernard,  Théodoret,  saint  Grégoire  le  Grand,  le  vé- 
nérable Bède,  saint  Thomas  d'Aquin,  Sanchez,  Louis  de  Léon  et  saint 
Ambroise 239 


ARTICLE  IV 

Les  saints  Pères  et  les  Élévations  sur  les  Mystères  (KiiXi),  —  les 
Méditations  sur  l'Évangile  (Kil).";),  —  le  De  Excidio  Babylonis  (1701- 
1702),  —  l'Explication  de  la  prophétie  d'Isaïe  sur  l'enfantement  de 
la  Sainte  Vierge  et  du  Psaume  XXI  (l'O'*). 

Bossuet  voulait  publier  des  Commentaires  ou  des  Xotes  sur  toute  la 
Bible,  comme  le  prouvent  les  privilèges  accordés  en  1G89  et  1727; 
mais  beaucoup  de  ces  Notes,  existant  encore  au  dix-huitième  siècle, 
sont  aujourd'hui  perdues. 

Les  Religieuses  de  la  Visitation  de  Meaux  ont  mieux  gardé  les  Réflexions 
sur  V Évangile  et  les  Élévations  sur  les  Mystères,  deux  chefs-d'œuvre, 
où  Bossuet  cite  bien  saint  Augustin,  saint  Chrysostome,  Origène,  saint 
Bernard,  etc.,  etc.,  mais  où  il  reproduit  iilulôt  la  doctrine  que  la  lettre 
de  leurs  écrits.  —  Il  s'y  révèle  comme  un  grand  lyrique,  au  dire  de 
M.  Brunelière  et  de  M.  Lanson.  —  Il  a  pris  l'élan  et  le  ton  inspiré 
des  Soliloques  de  saint  Augustin. 

Le  Be  Excidio  Babylonis,  composé  contre  une  thèse  d'iselin  et  de 
Verensfels,  de  Biile  ,  repose  tout  entier  sur  l'autorité  des  Pères,  Tertui- 
lien,  saint  Ambroise,  Théodoret,  saint  Basile,  saint  Grégoire  de  Na- 
zian/e,  saint  Prosper,  saint  Cyprien ,  Orosc,  Salvien,  saint  Augustin, 
saint  Jérùme,  Clément  d'Alexandrie,  saint  Épiphane,  saint  Athanase, 
Laclance,  «  tout  ce  (|u  il  y  a  de  très  saints  Pères  »  aux  quatrième  et 
cinquième  siècles  et  dans'les  siècles  suivants. 
h' Explication  de  la  prophétie  d'isnïe,  etc.  et  du  Psaume  XXI,  se  ter- 
mine par  l'évocation  des  Pères,  de  saint  Chrysostome,  de  saint  Jé- 
rùiiM;,  ap|)elés  à  l'apjjui  de  la  doctrine  qui  est  avancée  dans  les  trois 
Lettres  de  Bossuet 24.5 


TABLE  DES  MATIERES.  683 

CHAPITRE  V 

LES   SAINTS   PÈRES   ET    BOSSUET   AUTEUR    ASCÉTIQUE. 

rages. 

L'ascétisme  de  Bossuet  s'affirma  de  bonne  lieuro  dans  sa  méditation  sur 
la  brièveté  de  la  vie,  1648,  et  dans  son  Panégyrique  de  suinte  Thé- 
rèse, 16.57.  —  On  le  trouve  surtout  dans  ses  treize  Sermons  de  Vê- 
ture,  dans  les  Sermons  à  Jouarre  en  1662,  166i,  à  Meaux  en  1669, 
dans  divers  couvents  à  Paris,  à  Torcy,  etc.  —  Il  suivait  en  cela  la 
«  pratique  de  saint  Augustin  ».  11  voulait  être  «  comme  un  saint  Am- 
broise  » ,  et  il  prenait  l'esprit  de  piété  dans  les  œuvres  des  Pères.  —  Sa 
charité,  son  esprit  de  pauvreté,  son  humilité,  son  oubli  du  bien-être, 
son  amour  pour  les  prières  de  la  nuit,  ses  héro'iques  vertus,  ont  été 
signalés  par  S(Pur  Cornuau. 

Dans  les  œuvres  ascétiques  de  Bossuet  respire  l'esprit  des  Pères,  de 
saint  Augustin,  de  saint  Bernard,  de  sainte  Thérèse,  dont  il  disait 
«  qu'il  était  en  tout  et  partout  de  son  sentiment  »  ,  et  de  saint  François 
de  Sales,  dont  il  avait  «  appris  les  règles  de  la  conduite  des  âmes  »  , 
douceur  et  charité  immense.  11  cite  peu  les  mystiques  modernes ,  les 
anciens  Pères  de  l'Église  :  il  a  «  sa  règle  dans  l'Écriture  » 261 

ARTICLE  P'. 

Les  saints  Pères  et  les  Instructions  aux  Ursulines  et 
airx  Visitandines  de  Meaiix  (l(>8."i-U)8G). 

Il  y  a  six  Instructions  dont  les  Ursulines  ont  pieusement  conservé  le 
sens,  sinon  la  lettre,  et  deux  résumés  de  discours  faits  à  la  Visitation. 
On  n'y  trouve  qu'un  texte  «  d'un  grave  auteur  »  et  un  passage  inspiré 
par  les  Confessions  de  saint  Augustin 227 

ARTICLE  II 

Les  saints  Pères  et  les  Opuscules  de  piété  de  Bossuet. 

L'éloquent  et  dramatique  Discours  sur  la  vie  cachée  en  Dieu,  1692,  ne 
contient  qu'un  passage  tiré  de  saint  Augustin.  —  Les  Réflexions  sur 
quelques  paroles  de  Jésus-Christ  parlent  de  saint  François  de  Sales. 
—  Les  19  opuscules  suivants  ne  renferment  qu'une  seule  citation  de 
saint  Augustin.  —  Il  y  en  a  plusieurs  dans  le  22^  opuscule,  et  le  24®  est 
prescjne  entièrement  rempli  de  commentaires  des  Pères  sur  le  Can- 
tique des  Cantiques  (saint  Bernard,  Origène,  saint  Grégoire  de  Na- 
zianze,  Richard  de  Saint-Victor,  saint  Augustin  ,  saint  Macaire,  Denis 
le  Chartreux,  saint  Ignace ,  martyr) 273 

ARTICLE  III 
Les  saints  Pères  et  les  Poésies  sacrées  de  Bossuet. 
S'il  traduisit  quelques  pages  de  la  Bible  en  vers  français,  ce  fut  afin  de 


684  TABLE  DES  MATIERES. 

rages. 

prouver,  «  comme  ont  fait  les  saints  Pères  »,  son  afleclion  pour  l'É- 
criture. —  D'ailleurs,  il  ne  voulait  qu'édifier  et  «  consoler  »  d'excel- 
lentes religieuses.  M™"  d'Alljert,  M'"«  de  Luynes,  sreur  Cornuau,  aux- 
quelles il  défendait  de  parler  de  ses  vers.  —  Il  n'avait  aucune  «  illusion 
sur  ses  talents  poétiques  »,  et  ne  se  tiait  pas  même  à  son  jugement  sur 
la  poésie.  —  Ses  vers  sont  médiocres  ou  mauvais  :  seule,  l'intention 
est  louable. 
Dans  le  saint  Aiiiour  ou  endroits  choisis  du  Cantique  des  Cantiques 
avec  des  réflexions  morales,  il  s'inspire  d'Origène,  de  saint  Jérôme, 
de  Théodoret,  de  saint  Ambroise,  de  saint  Thomas  d'Aquin,  de  Louis 
de  Léon,  de  saint  Augustin,  auquel  il  consacre  toute  une  strophe,  de 
saint  Grégoire  et  de  saint  Bernard.  —  C'est  de  la  Bible  plutôt  que  des 
Pères  qu'il  se  sert  dans  la  Traduction  poétique  de  quelques  Psaumes.     28:^ 

ARTICLE  IV 

Les  saints  Pères  et  le  Traité  de  la  Concupiscence. 

Ce  Traité,  composé  après  1G92,  après  la  Satire  de  Boileau  contre  les 
Femmes,  et  dont  le  titre  ne  vient  pas  de  Bossuet,  est  un  commentaire 
de  trois  versets  de  la  première  Épitrc  de  saint  Jean  :  «  N'aimez  pas  le 
monde,  etc.  »  —  Bossuet  est  là  tout  entier,  avec  son  grand  style,  son 
génie,  sa  science  patrologique,  grâce  à  laquelle  il  fait  autre  chose 
«  que  traduire  le  dixième  livre  de.s  Confessions  de  saint  Augu.stin  »,  et 
commente  les  ouvrages  de  ce  Père  plus  et  mieux  que  jamais.  —  C'est 
un  de  ses  plus  admirables  chefs-d'œuvre 291 

ARTICLE  V 

Les  saints  Pères  et  les  Lettres  de  direction  de  Bossuet. 

Quoiqu'il  eût  «  bien  autre  chose  à  faire  »  qu'à  diriger  des  consciences, 
Bossuet  s'en  occupa  à  Metz,  où  il  était  supérieur  de  la  Maison  de  la 
Propagation  de  la  Foi  et  où  il  écrivait  quatre  admirables  Lettres  de 
spiritualité;  à  Paris,  où  il  faisait  des  Conférences  «  d'une  beauté  en- 
chantée »  chez  les  Carmélites  et  à  l'hôtel  de  Longueville;  où  il  conver- 
tissait Turcnne  et  ses  neveux,  dirigeait  ou  confessait  la  duchesse  d'Or- 
léans, M™^  de  La  Vallière,  M^»"  de  Montespan,  La  Rochefoucauld,  le 
maréchal  de  Bellefonds,  le  grand  Condé,  Louis  XIV  lui-môme.  —  Il 
aimait  les  âmes  en  Dieu  et  pour  Dieu,  et  quoi  qu'en  ait  dit  M.  Lan- 
son,  au  lieu  de  s'en  tenir  anx  règles  générales,  «  aux  genres,  aux 
espèces  »,  sans  descendre  aux  particularités,  il  entrait  parfaitement 
«  dans  la  nature  intime  »  du  roi,  de  M™°  de  La  Vallière. 

Les  7  à  800  Lettres  de  direction  (jui  nous  restent  de  lui  témoignent  qu'il 
les  écrivait  u  selon  les  besoins  »  des  âmes  et  leurs  «  états  de  peines  ». 
—  S'il  y  cite  moins  les  Pères  que  l'Kcriturc,  il  ne  perd  jamais  de  vue 
la  doctrine  de  saint  François  de  Sahrs,  de  sainte  Thérèse,  des  anciens 
docteurs,  de  saint  Augustin,  di;  saint  Antoine,  de  Cassien,  de  saint 
Bernard,  de  saint  Ililarion ,  de  sainte  Catlnuine  de  Gènes,  de  saint 


TABLE  DES  MATIERES.  685 

Pages. 

Martin  de  Tours,  de  sainte  Gertriide.  de  sainte  Catlierine  de  Sienne, 
du  Père  Saint-Jure,  du  Bienheureux  Jean  de  la  Croix  et  des  VU's  des 
saints.  —  Il  a  été  «  un  grand  inaitre  de  la  vie  intérieure  « 3)1 

CHAPITRE  YI 

LES  SAINTS  PÈRES  ET  BOSSUET  DISTORIEiV  PHILOSOPHE  ET  POLITIQUE. 

Les  œuvres  historiques,  philosophiques  et  politiques  de  Bossuet  datent 
presque  toutes  des  dix  années  du  préceptorat  du  Dauphin.  —  Cette 
éducation  ne  fut  pas  la  tentative  infructueuse  et  avortée  d'un  grand 
génie  :  elle  a  donné  de  plus  beaux  résultats  qu'on  ne  l'a  dit  et  elle 
nous  a  valu  des  chefs-d'œuvre 311 

ARTICLE  I« 

Les  saints  Pères  et  le  Discours  sur  l'Histoire  universelle 

(mars  I(i8l). 

Ce  Discours,  critiqué  bien  à  tort  par  Voltaire,  Sainte-Beuve,  etc.,  avait 
été  conçu  dès  que  Bossuet  commença  à  étudier  la  religion  dans  l'Ecri- 
ture et  les  Pères,  et  ce  n'est  ni  à  Du  Guet  ni  à  Pascal  qu'il  en  a  dû 
l'idée;  ce  n'est  pas  non  plus  à  la  Bible  seule,  mais  à  Orose,  à  Sal- 
vien,  à  saint  Augustin  surtout  et  à  sa  Cité  de  Dieu.  —  Villemain  et 
Ozanam  l'ont  reconnu,  et  ce  qui  le  prouve ,  ce  sont  les  nombreuses 
citations  de  ces  Pères,  qu'on  trouve  dans  la  seconde  -partie  du  Dis- 
cours, où  Bossuet  s'inspire  aussi  de  saint  Justin,  de  saint  Irénée,  de 
Clément  d'Alexandrie,  d'Origène,  de  Tertullien,  de  saint  Cyprien, 
d'Arnobe,  de  Lactance,  de  saint  Jérôme,  de  saint  Ambroise,  de  saint 
Chrysostome,  etc.  —  «  Bossuet  est  plus  qu'un  historien,  c'est  un  Père 
de  l'Église,  qui  a  souvent  le  rayon  de  feu  sur  le  front  » 314 

ARTICLE  II 
Les  saints  Pères  et  l'Histoire  des  Variations  (1088). 

Dans  le  Discours  sur  l'Histoire  nnirerselle,  Bossuet  n'avait  tracé  que 
des  tableaux  d'ensemble.  Dans  l'Histoire  des  Variations ,  son  génie 
d'historien  se  donne  plus  libre  carrière  :  c'est  «  le  plus  beau  livre  de 
la  langue  française  »,  dit  M.  Brunetière. 

Bossuet  a  emprunté  le  dessein  de  l'ouvrage  aux  saints  Pères,  qui  ont 
condamné  les  hérétiques,  parce  qu'ils  variaient  dans  leurs  confes- 
sions de  foi  :  Tertullien,  saint  Hilaire,  saint  Chrysostome,  saint  Atha- 
nase  «  évitaient  les  nouveautés  profanes  ». 

Dans  le  premier  livre  de  l'Histoire  des  Variations,  il  cite  saint  Ber- 
nard, Guillaume  Durand,  Gerson,  Pierre  d'Ailly;  dans  le  livre  1II«, 
saint  Augustin-,  dans  le  livre  \'\  saint  Grégoire  de  Nazianze  et  saint 
Augustin,  «  un  si  grand  docteur,  le  défenseur  de  la  grdce  chrétienne  »  ; 


686  TABLE  DES  MATIERES. 

Pages . 

dans  le  livre  VIT',  saint  Cypricn ,  les  Pères  d'Afrique,  Alexandre 
d'Alexandrie,  saint  Dunstan,  Lanfranc  ,  saint  Anselme,  saint  Thomas 
de  Cantorbéry,  lU'de,  saint  Grégoire,  pape;  dans  le  livre  JX'',  saint  Au- 
gustin et  les  autres  Pères;  dans  le  livre  XP,  saint  Épiphane ,  saint 
Augustin,  les  Alhanase,  les  Basile,  les  Grégoire,  saint  Bernard  et  saint 
Léon;  dans  le  livre  XIIP,  saint  Basile,  saint  Chrysostoine,  saint  Gré- 
goire de  Nysse,  saint  Eucher,  Théodoret,  saint  Ambroise,  saint  Léon; 
dans  le  livre  XIV«,  les  Pères  du  quatrième  siècle  et  saint  Grégoire  de 
Nazianze  en  particulier;  dans  le  livre  XV  enlin,  saint  Augustin. 

Bossuet  a  fort  bien  démêlé  les  causes  historiques  qui  ont  soustrait  en 
peu  d'années  la  moitié  de  l'Europe  à  l'obéissance  du  Pape  et  de  l'Église, 
à  laquelle  elle  devait  dix  siècles  de  vie  intense,  comme  l'ont  établi  Gui- 
zot,  Ozanam  ,  Janssen,  Augustin  Thierry.  —  Le  catholicisme  a  gardé  sa 
vigueur  et  le  protestantisme  s'est  émietté. 

Quoi  qu'en  ait  dit  M.  Rebelliau,  l'auteur  de  V Histoire  des  Variatiions 
a  prévu  les  conséquences  de  la  Réforme  et  son  avenir  rationaliste , 
«  l'anarchie  avec  tous  ses  maux  » v 321 

ARTICLE  III 

Les  saints  Pères  et  l'Introduction  à  la  Philosophie .  ou  de  la  Connais- 
sance Dieu  et  de  soi-même ,  —  la  Logique ,  —  le  Traité  du  Libre  ar- 
bitre,  —  l'Abrégé  de  la  Morale  d'Aristote  à  Nicomaque ,  —  les  Ex- 
traits des  anciens  philosophes,  —  et  le  Traité  des  causes. 

La  philosophie  de  Bossuet  a  été  étudiée  par  Manier,  Nourrisson,  Delon- 
dre,  Lanson,  Brunetière.  —  On  ne  relève  que  quelques  citations  des 
Pères  dans  les  œuvres  philosophiques  de  Bossuet,  et  cependant  il  est 
leur  écho;  il  a  été  formé  par  Nicolas  Cornet  à  l'école  de  saint  Augus- 
tin et  de  saint  Thomas.  —  Il  s'en  souvient,  quand  il  va  de  la  connais- 
sance de  soi-même  à  celle  de  Dieu,  quand  il  définit  l'âme  unie  au 
corps,  qu'il  en  distingue  les  facultés,  qu'il  donne  la  théorie  des  pas- 
sions, établit  le  rôle  des  sens  et  de  l'entendement,  montre  ce  que  c'est 
que  les  essences,  les  vérités  éternelles,  en  tire  une  preuve  de  l'immor- 
talité de  l'àme,  délimite  la  foi  et  la  raison,  parle  de  l'àme  des  bétes, 
de  l'existence  de  la  liberté,  de  la  conciliation  du  libre  arbitre  avec  la 
prescience  divine  et  donne  les  cinq  preuves  de  l'existence  de  Dieu  ,  ti- 
rées des  causes  finales,  des  vérités  éternelles,  de  la  contingence  des 
êtres,  de  l'imperfection  de  l'intelligence,  de  l'idée  mênie  du  bonheur.     342 

ARTICLE  IV 

Les  saints  Pères  et  la  Politique  tirée  des  pi'opres  paroles 
de  l'Écriture  Sainte. 

Quoique  ce  titre  ait  déplu  à  Voltaire,  à  Léopold  Monty,  à  Nourrisson,  il 
a  sa  raison  d'être  dans  des  ouvrages  scinblablcs  du  P.  Ménochius,  du 
duc  de  Monlau.sier,  de  Nicole,  du  P.  Le  Moyne.  —  Bossuet  est  le 
«  grand  [)olitique  chrétien  ».  La  France  "  n'a  pas  eu  de  cteurplus  fran- 


TABLE  DES  MATIERES.  687 

Pages. 

çais  que  le  sien  ».  Il  parle  aux  rois  avec  une  fermeté  admirable.  La 
conception  de  l'ouvrage  n'est  pas  exclusivement  biblique,  et  Bossuet 
s'insiiire  d'Aristote,  de  Hobbes,  des  Pères  et  de  saint  Augustin  en  par- 
ticulier. —  Nourrisson  l'en  blâme  bien  à  tort;  car  il  y  a  maintes 
choses  excellentes  que  Bossuet  doit  à  l'évèque  d'IIippone  sur  les  prin- 
cipes de  la  société  humaine,  à  Tertuilien  sur  l'amour  de  la  patrie 
(livre  I«');  à  saint  Grégoire  de  Nazianze,  saint  Grégoire  de  Tours,  saint 
Jérôme,  saint  Ambroise  et  saint  Augustin,  sur  l'autorité  royale  et  ses 
caractères  (livres  III,  IV,  et  V)  ;  à  saint  Augustin  encore,  à  Lactance,  à 
saint  Irénée,  à  saint  Ambroise,  à  tous  les  saints  de  l'Église  gallicane,  sur 
les  devoirs  de  religion  et  de  justice  qui  incombent  aux  rois  (livres  VII 
et  Vill).  —  La  Conclusio)i  sur  «  le  vrai  bonheur  des  rois  »  est  em- 
pruntée à  saint  Augustin. 
Bossuet  n'est  ni  Ihéocrate,  ni  légitimiste,  ni  monarchiste  :  il  est  con- 
servateur catholique,  et  sa  Politique  <i  semble  pleine  de  leçons  »  pour 
la  démocratie  contemporaine  » 353 


CHAPITRE  VII 

LES   SAINTS   PÈRES    ET    BOSSUET    POLÉMISTE. 

Pendant  cinquante  ans,  de  1655  à  1704,  Bossuet  est  demeuré  sur  la  brè- 
che pour  défendre  la  vérité,  qu'au  jour  de  son  doctorat  il  avait  juré 
de  servir  jusqu'à  la  mort. 

il  cherchait  dans  les  Pères,  dans  saint  Augustin  surtout,  une  méthode  et 
des  arguments  décisifs  :  charité  fraternelle,  esprit  de  paix,  tendresse 
pour  les  personnes,  conférences  amiables,  loyauté  et  bonne  foi  par- 
faites, voilà,  pour  la  forme,  la  polémique  de  Bossuet;  et,  pour  le  fond, 
inflexibilité  contre  l'erreur,  suite  de  l'Écriture,  esprit  et  langage  des 
Pères 371 

ARTICLE  I«'- 

Les  saints  Pères  et  la  Polémique  de  Bossuet 
contre  les  Protestants. 

Elle  fut  incessante  depuis  la  Réfutation  du  Catéchisme  de  Paul  Ferrij 
jusqu'à  l'Explication  d'Isaie,  et  toujours  Bossuet  traita   les  errants 

«  avec  douceur,  comme  faisaient  les  saints  Pères  » » 375 

§  I.  —  Réfutation  du  Catéchisme  du  sieur  Paul  Ferry,  ministre 

de  la  religion  prétendue  réformée,  1655 376 

Dans  la  première  Partie,  le  salut  possible  dans  l'Église  romaine, 
Bossuet  emprunte  ses  principaux  arguments,  touchant  la  justifi- 
cation et  le  mérite  des  bonnes  œuvres,  aux  Pères,  Terlullien, 
saint  Bernard,  saint  Augustin,  l'adversaire  des  Pélagiens,  «  le 
plus  célèbre  de  tous  les  docteurs  »,  qui  aient  enseigné  l'Église 
sur  la  question  de  la  grâce. 


688  TAULE  DES  MATIERES. 

Dans  la  seconde  partie,  le  salut  impossible  dans  la  Reforme,  il 
s'appuie  sur  Tertullien,  saint  Augustin,  saint  Hasile,  saint  Gré- 
goire de  Nyssc,  saint  Jérôme,  saint  Optât,  saint  Cyprien,  saint 
Bernard,  Gerson,  Pierre  d'Ailly,  saint  Bonavenlure,  etc. 

Cette  première  œuvre  de  polémitiue  de  Hossuet  contient  en  germe 
toutes  les  réponses  qu'il  opposera  plus  tard  aux  Réformés;  il  doit 
à  son  génie,  mais  aussi  aux  saints  Pères  et  à  saint  Augustin  en 
particulier,  le  grand  succès  qu'obtint  sa  Réfutation,  qui  faillit 
convertir  Ferry  lui-même. 
§  II.  —  Exposition  de  la  Doctrine  catholique  sur  les  matières  de 
controverse,  1671.  —  Lettres  relatives  à  l'Exposition,  1686.  — 
fragments  sur  diverses  matières  de  controverse  pour  servir 
de  réponse  aux  écrits  faits  par  plusieurs  ministres  contre 
le  livre  de  l'Exposition  de  la  doctrine  catholique,  1675-1691.     392 

Les  Explications  données  par  Bossuet  à  Ferry,  à  Louis  de  Cour- 
cillon,  à  Turenne  et  à  ses  neveux  furent  l'ébauche  de  l'Expo- 
sition, que  Bossuet  ne  publia  que  parce  qu'il  s'en  était  fait  à 
Toulouse  une  édition,  attaquée  par  Daillé  et  du  Bosc.  —  Ce  livre 
eut  un  immense  succès,  de  l'aveu  de  Leibniz  et  de  Jurieu.  — 
Bossuet  y  défend  les  Pères  des  trois  piemiers  siècles  pour  le 
culte  des  saints  et  des  reliques.  11  invoque  saint  Augustin  à  pro- 
pos de  la  justification  et  du  mérite. 

Réponses  et  Réfutations  arrivèrent  de  tous  côtés.  —  Bossuet  pré- 
para une  Apologie,  dont  il  ne  nous  reste  que  quelques  Lettres  et 
Fragments. 

Le  premier,  sur  le  culte  dû  à  Dieu,  justifie  les  catholiques  du 
reproche  d'idolâtrie,  en  invo([nant  l'autorité  de  saint  Augustin, 
de  saint  Épiphane,  de  Théodoret,  de  saint  Cyrille  de  Jérusalem, 
de  saint  Cyprien,  de  Tertullien,  d'Origène.  —  Dans  le  second, 
du  Culte  des  images,  il  y  a  quelques  paroles  de  saint  Anastase, 
de  saint  Epiphane,  de  saint  Jean  Damascène.  —  Dans  le  troisième. 
De  la  satisfaction  de  Jésus-Christ,  Bossuet  cite  saint  Cyprien, 
en  qui  «  l'on  entend  parler  tous  les  autres  Pères  ».  —  Le  qua- 
trième, sur  l'Eucharistie,  s'appuie  sur  l'autorité  de  saint  Au- 
gustin. —  11  faut  en  dire  autant  du  cinquième,  De  la  Tradi- 
tion ou  de  la  parole  non  écrite. 
§  m.  —  Conférence  avec  M.  Claude,  ministre  de  C harenton , 
sur  la  matière  de  l'Église ,  avec  les  Réflexions  sur  un  écrit 
de  M.  Claude,  1682.  —  Traité  de  la  communion  sous  les 
deux  espèces,  1682.  —  La  Tradition  défendue  sur  la  matière 
de  la  communion  sous  une  espèce,  1683-1743.  —  Lettre  pas- 
torale aux  nouveaux  convertis,  2i  mars  1686 408 

Lu  Relation  de  la  Conférence  avec  M.  Claude,  livre  «  parfaite- 
ment beau  »,  tire  toute  sa  force  de  ce  qu'ont  dit  de  l'Église,  in- 
terprétant lEcriture,  saint  Augustin  et  Tertullien. 

La  l'remière  Réflexion  et  la  sixième  citent  saint  Basile,  Tertul- 
lien, saint  Augustin,  saint  Cy|>rien. 

Le  Traité  de  lu  communion  sous  les  deux  espèces  contre  les 


TABLE  DES  MATIERES.  689 

Pages. 

diatribes  de  Juiieii ,  accusant  Rome  de  priver  de  la  coupe  la 
masse  des  fidèles,  établit  {première  partie)  la  pratique  et  le 
sentiment  de  l'Église  dès  les  premiers  siècles ,  la  réception  d'une 
seule  espèce  par  les  malades,  par  les  enlanls,  par  les  fidèles  dans 
la  communion  privée  et  |)ublique.  —  Tous  les  Pères  sont  invo- 
qués avec  un  art  et  une  érudition  immense.  —  Les  principes  sur 
lesquels  sont  appuyés  les  sentiments  et  la  pratique  de  l'Eglise 
[deuxième  partie)  viennent  de  Tertullien,  de  saint  Cyprien,  de 
saint  Augustin,  de  saint  Basile,  de  saint  Ambroise, ,  de  saint 
Chrysostome,  des  deux  Cyrille  et  dOrigène. 

La  Tradition  défendue  sur  la  matière  de  la  communion  sous 
une  espèce  est  une  réponse  à  de  La  Roque  et  à  Aubert  de 
Versé,  publiée  en  1743.  —  Dans  la  première  partie,  que  la 
tradition  est  nécessaire  pour  entendre  le  précepte  de  la  com- 
munion sous  une  ou  deux  espèces,  Bossuet  cite  continuellement 
les  saints  Pères,  que  personne  au  monde  ne  connaissait  comme 
lui.  —  Dans  la  deuxième  partie,  qu'il  y  a  toujours  eu  dans 
l'Église  des  exemples  approuvés  de  la  communion  sous  une 
espèce,  toute  la  tradition  est  invoquée,  depuis  les  Pères  des 
premiers  siècles  jusqu'au  douzième  et  treizième  siècles.  Bossuet 
répond  aux  objections  tirées  de  quelques  textes  d'Origène,  de 
saint  Optât,  de  saint  Augustin,  des  Sacramentaires,  des  Vies 
des  Pères.  —  11  justitie  presque  tous  les  Pères  de  l'erreur  qu'on 
leur  attribue  sur  la  nécessité  de  l'Eucharistie  pour  les  petits 
enfants.  Il  montre  la  communion  sous  une  espèce  pratiquée  pu- 
bliquement dans  l'office  des  présanctifiés,  comme  l'établissent 
de  nombreux  textes  de  saint  Augustin,  de  saint  Grégoire  de 
Nazianze,  «  des  Pères  de  tous  les  siècles  ».  —  La  troisième 
partie,  Démonstration  de  la  Vérité'  catholique,  n'a  pas  été 
composée ,  ou  bien  l'évéque  de  Troyes  l'a  égarée. 

La  Lettre  pastorale  aux  nouveaux  catholiques  du  diocèse,  etc., 
établit  que  les  pasteurs  qui  citent  saint  Cyprien  devraient  le 
citer  intégralement,  l'imiter  surtout,  et  ne  pas  accuser  d'idolâ- 
trie ceux  qui  honorent  les  saints,  les  Ambroise,  les  Augustin, 
les  Jérôme ,  etc. 
§  IV.  —  Les  Six  Avertissements  aux  Protestants  siir  les  Lettres 
du  ministre  Jurieu  contre  l'Histoire  des  Variations  (1689- 
1691).  —  Défense  de  l'Histoire  des  Variations  (1691) 425 

Ces  Avertissements  répondent  avec  une  iiarfaite  sérénité  aux 
violentes  Lettres  pastorales  de  Jurieu. 

Dans  le  premier,  —  le  christianisme  flétri  et  le  socinianisme  au- 
torisé par  ce  ministre,  —  Bossuet  fait  l'apologie  de  la  doctrine 
des  Pères,  et  montre  qu'elle  n'a  pas  varié  :  Quod  ubique.  quod 
semper,  disait  Vincent  de  Lérins.  —  Les  Pères  des  trois  pre- 
miers siècles  n'ont  pas  enseigné  les  absurdités  qu'on  leur  prête. 
La  question  de  la  grâce  n'était  pas  informe  jusqu'à  saint  Au- 
gustin. Les  grands  hommes  du  quatrième  siècle  ne  sont  pas 
idolâtres  pour  avoir  honoré   les  saints.  Le  P.  Pelau,   mal  cité 

BOSSUET   ET   LES  SAINTS  PÈRES.  44 


690  TABLE  DES  MATIERES. 

ragu 

par  Jurieu,  établit  que  les  Pères  des  premiers  siècles  s'accor- 
dent avec  nous  à  propos  de  la  Trinité.  —  Dans  l'Église,  «  on 
n'a  fait  les  décisions  qu'en  proposant  la  foi  des  siècles  passés  », 
celle  des  Pères  de  Nicée,  de  Constantinople,  d'Éphèse.  —  L'É- 
glise catholique  n'a  jamais  varié  sur  la  question  du  péché  ori- 
ginel et  de  la  grâce  :  saint  Augustin  l'établit  invinciblement.  — 
La  foi  a  profité  des  hérésies  et  des  définitions  des  conciles, 
non  pas  pour  changer,  mais  pour  exprimer  avec  une  précision 
nouvelle  une  chose  qui  n'était  pas  claire  :  c'est  la  doctrine  de 
Vincent  de  Lérins,  de  TertuUien,  de  saint  Alhanase,  de  saint 
Augustin. 

Le  Deuxième  Avertissement,  la  Réforme  convaincue  d'erreur, 
et  le  Troisième,  le  Salut  dans  l'Église  romaine,  ne  mettent 
pas  les  Pères  en  cause.  Bossuet,  cependant,  y  défend  l'opinion 
libre  de  saint  Thomas,  dite  de  la  prédétermination  physique, 
en  même  temps  que  celle  des  molinistes,  qui  ne  sont  pas  demi- 
pélagiens.  —  Il  venge  aussi  l'Église  romaine  de  l'accusation  d'ido- 
lâtrie, formulée  par  Jurieu,  à  propos  du  culte  des  saints,  inau- 
guré, dit-il,  par  les  Basile,  les  Ambroise,  les  Chrysostome,  les 
Augustin.  —  L'Église  romaine  n'est  pas  plus  aniichrétienne 
qu'idolâtre  ;  les  luthériens  eux-mêmes  mettent  au  nombre  des 
saints  ses  plus  zélé^  défenseurs ,  saint  Bernard ,  saint  Bonaven- 
ture,  saint  François. 

11  n'y  a  rien  à  dire  du  Quatrième  Avertissement. 

Le  Cinquième  est  un  magnifique  traité  de  politique  moderne, 
inspiré  par  TertuUien,  saint  Augustin,  Athénagoras,  saint  Jus- 
lin,  contre  les  théories  séditieuses  de  Jurieu.  —  Les  premiers 
chrétiens  qui  remplissaient  les  villes  et  l'empire  ne  se  soule- 
vèrent jamais  contre  les  empereurs.  —  Saints  Cyprien,  Eusèbe, 
Lactance,  saint  Augustin,  saint  Grégoire  de  Nazianze  en  font 
foi,  comme  TertuUien ,  et,  plus  tard,  saint  Hilaire,  Osius,  saint 
Alhanase,  saint  Basile  et  saint  Ambroise,  saint  Gélase  et  saint 
Fulgence.  —  Les  prétendus  exemples ,  allégués  par  Jurieu  en 
faveur  des  guerres  de  religion,  ne  sont  pas  concluants.  —  Saint 
Chrysostome  et  saint  Augustin  témoignent  contre  les  pro- 
testants. 

Le  Sixième  et  dernier  Avertissement,  \e  plus  important  de  tous, 
ne  contient  presque  rien  dos  Pères  dans  ses  deux  dernières 
parties ,  où  Bossuet  se  contente  de  renvoyer  Jurieu  à  la  lecture 
de  saint  Athanase,  de  saint  Augustin,  de  saint  Irénée,  de  Ter- 
tuUien, à  propos  de  la  Trinité,  et  où  il  défend  les  Pères  des 
quatrième  et  cinquième  siècles  du  reproche  d'idolâtrie,  les  con- 
ciles (le  Mcée,  d'Éphèse,  de  Chalcédoine,  et  saint  Augustin, 
saint  Jérôme,  contre  Claude,  Jurieu  et  Luther.  —  Mais,  dans 
la  première  partie,  l'évêque  de  Meaux  se  fait  le  champion  in- 
vincible des  Pères  du  deuxième,  du  troisième  et  du  qua- 
trième siècles,  accusés  A  tori  de  variations  dans  la  foi  sur  la 
Trinité  et  l'incarnalioii,  Jurieu  détruit  l'immutabilité,  la  spiii- 


TABLE  DKS  MATIERES.  691 

Pages. 

tualité  de  Dieu  et  la  Trinité  par  les  erreurs  qu'il  attribue  aux 
Pères,  et  il  commet  des  «prodiges  d  égarement  »  à  propos  du 
concile  de  Nicée,  qu'il  fait  arianiser  avec  les  Pères  des  trois 
premiers  siècles,  Tertullien  surtout,  dont  Bossuet  reconnaît 
les  exagérations,  mais  proclame  les  mérites.  —  Il  se  défend 
d'être  en  désaccord  avec  le  P.  Pelau  et  Daniel  Huet. 

La  Défense  de  VHistoire  des  Variations  est  une  réponse  à  Bur- 
net  .'et  à  Basnage,  et  invoque  le  témoignage  des  Pères  pour 
établir  leur  soumission  aux  empereurs. 

§  V.  —  Éclaircissement  sur  le  Reproche  d'idolâtrie,  1689-90.  — 
Explication  de  quelques  difficultés  sur  les  prières  de  la  Messe, 
1689.  —  Lettre  sur  l'Adoration  de  la  Croix,  1691-92 462 

Dans  \' Éclaircissement  sur  le  reproche  d'idolâtrie,  Bossuet  cite 
saint  Augustin,  saint  Grégoire  de  Nysse,  saint  Astère,  saint  Gré- 
goire de  Nazianze,  saint  Cyprien,  saint  Athanase,  saint  Basile, 
saint  Chrysostome ,  saint  Paulin. 

L' Explication  de  quelques  difficultés  sur  la  messe  contient  à 
chaque  page  les  noms  des  mêmes  Pères  et  d'autres  encore,  saint 
Gélase,  saint  Léon,  saint  Jérôme,  Origène,  Tertullien,  Théophile 
d'Alexandrie. 

La  Lettre  sur  l'Adoration  de  la  Croix  s'appuie  aussi  sur  les  Pères, 
sur  saint  Ambroise  et  sur  saint  Thomas. 
§  VI.  —  Projet  de  réunion  ou  Recueil  de  Dissertations  et  de 
Lettres  relatives  à  la  réunion  des  Protestants  d' Allemagne 
à  l'Église  catholique,  1666-1701 467 

Dans  le  Sentiment  de  Vécêque  de  Meaux  sur  les  Cogitationes  de 
Molanus ,  Bossuet  cite  saint  Augustin ,  saint  Cyrille  d'Alexan- 
drie ,  saint  Léon ,  saint  Grégoire  le  Grand.  —  Les  Réflexions 
sur  l'écrit  de  M.  l'abbé  Molanus  contiennent  aussi  de  nom- 
breuses citations  des  Pères,  à  propos  de  la  justillcation  et  du 
mérite,  de  la  grâce  et  du  libre  arbitre,  de  la  prière  pour  les 
morts,  du  Purgatoire,  des  livres  saints,  de  l'infaillibilité  de 
l'Église. 

Si  dans  la  Correspondance  avec  Leibniz,  Bossuet  a  tant  de  fran- 
che sécurité,  c'est  que  les  Pères  sont  pour  lui  un  rempart  in- 
vincible. —  Il  énumère  24  faits ,  qu'il  leur  emprunte  pour  la 
plupart;  il  multiplie  les  citations  des  Pères  pour  convaincre 
son  adversaire  que  le  concile  de  Trente  s'appuie  sur  toute  la 
Tradition. 
§  "VU.  —  Instruction  adressée  aux  intendants,  1698.  — Lettre  de 
M.  de  Torcij  aux  intendants ,  i"''  novembre  1700.  —  Les  deux 
Instructions  pastorales  sur  tes  promesses  de  l'Église,  1700- 
1 701 i75 

Ce  sont  les  principes  de  tolérance  et  de  charité  des  Pères  et  de 
saint  Augustin  qui  inspirèrent  à  Bossuet  la  généreuse  initiative 
de  faire  révoquer  par  une  Instruction  aux  intendants  les  me- 
sures édictées  en  1685  contre  les  Réformés.  Il  semble  l'avoir  ré- 
digée ainsi  qu'une  Lettre  de  M.  de  Torcy,  1700,  et  il  protesta 


692  TABLE  DES  MATIERES. 

Pages. 

énergiquenient  contre  les  violences  réclamées  par  Basville  et  les 
évéques  du  Midi. 

Dans  la  première  Instruction  sur  les  promesses  de  l'Église,  il 
multiplie  les  témoignages  des  Pères,  saint  Alexandre  d'Alexan- 
drie, Tertullien,  saint  Cyprien,  Clément  d'Alexandrie,  Vincent 
de  Lérins,  Lanfranc,  saint  Bernard,  saint  Basile,  saint  Chry- 
sostome.  «  Je  parle  après  saint  Augustin,  dit-il,  et  saint  Au- 
gustin a  parlé  après  Jésus-Christ  même.  »  —  Il  emprunte  aux 
Pères  son  argument  que  les  protestants  sont  hors  de  la  chaîne 
de  succession  dans  l'Église. 

Dans  la  seconde  Instruction,  qui  est  une  réponse  à  Basaage,  Bos- 
suet  invoque  saint  Augustin,  saint  Jérôme.  —  Les  Remarques 
citent  Tertullien,  saint  Léon,  saint  Athanase,  saint  Augustin, 
saint  Épiphane,  saint  Hilaire.  tous  les  Pérès  grecs  et  Latins. 

.\ussi  du  Bourdieu  et  d'autres  protestants  ont-ils  rendu  d'écla- 
tants hommages  «  aux  intentions  droites  et  pures  »  de  Bossuet, 
«  enrichi  d'une  infinité  de  merveilleux  dons  ». 

ARTICLE  II 

Les  saints  Pères  et  la  Polémique  de  Bossuet 
contre  les  Jansénistes. 

Bossuet.  quoi  qu'en  aient  dit  de  Maistre,  Rohrhacher,  Réauine,  ne  fut 
jamais  janséniste.  —  Il  jugea  l'erreur  Janséniste  «  dangereuse,  »  des 
1662-166.3,  ÙAnsles  Oraisons  funèbres  du  P.  Bourgoing,  de  Nicolas  Cor- 
net, où  il  protestait  contre  «  les  docteurs  trop  austères  »,  et  «  l'etTroya- 
ble  tempête  »  suscitée  par  eux  dans  l'Église,  et  plaidait  la  cause  des 
Pères,  de  saint  Augustin  et  de  saint  Thomas,  attaqués  par  les  nou- 
veaux docteurs.  —  La  Lettre  aux  Heligieuses  de  Port-Royal,  1664, 
combat  la  distinction  entre  le  fait  et  le  droit  au  nom  des  Pères  de 
Chalcédoiue,  de  saint  Grégoire,  de  .saint  Léon,  de  Cyrille  d'Alexandrie, 
de  saint  Flavien,  etc.  —Une  lettre  de  1667  au  maréchal  de  Bellefonds 
If  Sermon  de  Pâques  1681 ,  le  Deuxième  Avertissement  aux  Proles- 
tants, les  Mr'ditutions  sur  l'Éranr/ile,  les  Lettres  de  direction  de  Bos- 
suet élablissiMil  qu'il  n'a  jamais  goûté  la  «  spiritualité  sèche  et  alam- 
liiquée  »  de  Sainl-Cyran. 

Bossuet  inspira  encore,  s'il  ne  rédigea  pas,  Y  Instruction  pastorale  de 
M?' de  Noailles  contre  l'Exposition  de  l'ahhé  de  Barcos,  qui  abusait 
de  saint  Basile  et  de  .saint  Augustin. 

La  Justification  des  Reflexions  du  P.  Quesnel ,  telle  qu'elle  parut  en 
1710,  est  une  œuvre  apocryphe;  mais  Bossuet  y  avait  largement  cité 
saint  Augustin,  ses  ouvrages,  et  presque  tous  les  Pères. 

Dans  l'Assemblée  de  1700,  il  combattit  le  jansénisme,  comme  à  propos  du 
Cas  de  conscience. 

Il  appelait  les  Jansénistes  fauteurs  d'Iirréliqnes,  chicaneurs,  et  il  com- 
l>osa  contre  eux  un  livre.  De  l'autorité  des  jugements  ecclésiasti- 
ques, malheureusement  mutilé  par  Lequeux  mais  plein  d'exemples 
empruntés  aux  Pères 484 


TABLE  DES  MATIERES.  693 


ARTICLE  Ilf 

Les  saint  Pères  et  la  Polémique  de  Bossuet 
contre  les  Casuistes. 

Pages. 

Il  se  prottonça  contre  eu.v  en  IfiSO,  lfi63,  167".i,  16HI  ,  1682,  où,  dans  ses 
Lettres  à  Dirois,  il  condamnait  le  probabilisme,  qui  s'appnie  mal  à 
propos  sur  saint  Antonin  et  les  Pères. 

Le  Traité  de  l'usure  est  tout  entier  fonde  sur  l'autorité  des  docteurs  de 
l'Église Ô05 

Dans  les  quatre  petites  Dissertations  contre  le  Prohabilisine ,  Bossuet 
s'autorise  de  saint  Augustin,  de  saint  Thomas,  de  saint  Bonaventure 
et  des  autres  scolastiques. 

Les  Actes  de  l'Assemblée  de  1700,  rédigés  par  l'évèque  de  Meaux ,  con- 
tiennent aussi  plusieurs  passages  de  saint  Augustin,  de  Vincent  de  Lé- 
rins,  de  saint  Jérôme  et  de  saint  Thomas. 

La  Dissertation  sur  la  charité  requise  dans  le  sacrement  de  péni- 
tence cite  saint  Augustin,  saint  Thomas,  saint  Chrysostome  et  saint 
Grégoire  le  Grand. 

ARTICLE  IV 

Les  saints  Pères  et  la  Polémique  de  Bossuet 
contre  les  apologistes  du  théâtre. 

Dans  sa  Lettre  an  P.  Caffaro,  Bossuet  montre  qu'on  allègue  à  tort  l'au- 
torité de  saint  Thomas  en  faveur  de  la  comédie,  que  saint  Augustin,  saint 
Cyprien ,  saint  Alhanase  ont  condamnée. 

Les  Maximes  et  Réflexions  sur  la  comédie  sont  pleines  de  textes  des 
Pères,  surtout  de  saint  Thomas,  de  saint  Augustin,  de  saint  Chrysos- 
tome, de  saint  Antonin,  de  saint  Césaire,  de  saint  Ambroise,  de  saint 
Charles  Borromée,  etc.  —  On  peut  trouver  Bossuet  sévère;  mais  il 
l'est  comme  tous  les  docteurs  de  l'Église 513 

ARTICLE  V 

Les  saints  Pères  et  la  Polémique  gallicane  de  Bossuet. 

Le  gallicanisme  est  l'erreur  de  lîossuet  et  ce  qui  fait  sa  faiblesse.  —  Jo- 
seph de  Maistre  et  M.  Gaillardin  ont  réduit  à  des  justes  proportion-^  la 
part  que  prit  l'évèque  de  Meaux  à  la  Déclaration  de  1682,  qu'il  trou- 
vait «  odieuse  ». 

Les  saints  Pères ,  cités  à  profusion  dans  le  Sermon  sur  l'unité  de 
l' Église,  reviennent  très  souvent  dans  les  Lettres  du  clergé  gallican 
que  rédigea  Bossuet. 

Quant  à  la  Gallia  ortliodoxa  et  à  la  Défense  de  la  Déclaration ,  en 
partie  apocryphes  et  que  l'évèque  de  Meaux  avait  défendu  de  publier, 
elles  contiennent  sur  les  Pères  des  faits  inxacls  qu'il  n'aurait  pas 
avancés.  —  Les  quatre  livres  de  la  première  partie  de  la  France  or- 


694  TABLE  DES  MATIERES. 

Pages 

Ihodoxe,  les  livres  V  et  VI,  qui  forment  la  seconde,  les  livres  VII, 
VIII,  IX,  X,  XI,  qui  coastituenl  la  troisième  partie  avec,  le  Corol- 
laire, supposent  une  immense  érudition  patrologique.  —  Il  en  est  de 
même  des  quatre  livres  de  la  Défense  de  la  Déclaration,  et  on  re- 
grette que  le  texte  de  la  dernière  revision,  faite  en  1700-1702,  ait  été 
détruit  :  on  y  verrait,  sans  doute,  que  Bossuet,  à  la  fin  de  sa  vie, 
après  la  querelle  du  Quiétisme,  n'était  plus  gallican,  comme  l'o- 
tablit  M.  Algar  Griveau. 

ARTICLE  VI 

Les  saints  Pères  et  la  Polémique  de  Bossuet  contre  les  Quiètistes. 

La  pure  doctrine  des  saints  Pères  fit  la  force  et  la  supériorité  de  Bossuet 
dans  sa  lutte  contre  Fénelon,  «■  où  il  \  allait  de  toute  la  religion  ».  — 
Il  demanda  toujours  des  «  conférences  amiables  »,  pratiquées  par  saint 
Augustin.  —  Il  en  eut  avec  Fénelon  et  M""*"  Guyon  du  mois  de  septem- 
bre 1693  au  mois  de  mars  1695.  Il  tâcha  de  désabuser  M™«  Guyon  au 
nom  de  la  Tradition  des  Pères  et  dans  les  conférences  dlssy,  dans  les 
trente-quatre  articles  qui  y  furent  rédigés,  dans  l'Instruction  pas- 
torale qui  les  promulgua,  Bossuet  invoqua  contre  les  nouveaux  mys- 
tiques saint  François  de  Sales,  saint  Augustin,  saint  Cyprien,  la  tra- 
dition des  Pères,  que  les  Lettres  du  2i,  du  29  mai  et  du  3  juin 
défendent  aussi. 

L'inslrnction  sur  les  états  d'oraison  (ii\ars  1697)  pose  des  la  Préface 
n  la  règle  sûre  pour  juger  de  toutes  ces  choses,  qui  est  l'Écriture  sainte 
et  la  Tradition  »,  Gerson,  sainte  Thérèse,  saint  Augustin.  —  Le  li- 
vre I'"'  cite  saint  Denis  l'Aréopagile ,  saint  Augustin,  saint  Bernard, 
Gerson,  saint  Grégoire,  saint  Tiiomas;  le  livre  II',  Clément  d'Alexan- 
drie, Scot,  Suarez,  etc.  ;  le  IIP,  saint  Augustin;  le  IV«,  Gerson  et  saint 
Jean  de  Damas,  etc.;  le  V^,  saint  Basile,  saint  François  de  Sales,  saint 
Antoine,  Cassien;  le  VI",  saint  C\prien,  saint  Augustin  et  «  tous  les 
Pères  »  avec  «  leur  doctrine  constante  »;  le  VII%  le  B.  Jean  de  la 
Croix,  saint  Jean  Climaque,  saint  Ambroise,  etc.;  les  VIII»  et  IX'= 
roulent  tout  entiers  sur  la  doctrine  de  saint  François  de  Sales  ;  le  X« 
condamne  la  contemplation  des  Quiètistes  au  nom  de  saint  Cyprien, 
(If  saint  Augustin,  de  sainte  Thérèse,  de  saint  Thomas,  de  saint  Bona- 
venture,  etc.  —  Les  Additions  et  Corrections  exposent  la  doctrine  des 
Pères  depuis  suint  Augustin  jusqu'à  Hugues  de  Saint-Victor. 

Dans  la  Tradition  des  Nouveaux  mystiques ,  Bossuet  montre  que  tous 
les  auteurs  des  premiers  comme  des  derniers  siècles  ont  des  sentiments 
contraires  à  ceux  des  Quiètistes,  condamnés  dans  des  Remarques 
d'une  incroyable  érudition  patrologique. 

.\près  l'apparition  des  Maximes  des  Saints,  la  Déclaration  du  6  août 
1697  les  combattit  au  nom  de  la  pure  doctrine  de  saint  François  de 
Sales  et  de  tous  les  contemplatifs.  —  Le  Sommaire  de  la  doctrine,  etc., 
relève  les  erreurs  attribuées  par  F'énelon  à  saint  Augustin  et  à  saint 
François  de  Sales,  dont  la  doctrine  est  celle  des  scolastiques. 

Dans  tous  les  écrits  ((ui  suivent  —  les  Mémoires  à  .1/s'   l'archevêque  de 


TABLE  DES  MATIERES.  695 

raires. 

Cambrai,  la  Préface  sur  l'Instruction  pastorale  de  Me''  de  Cam- 
brai, la  Réponse  à  quatre  lettres  de  Ms'^  l'archevêque  duc  de  Cam- 
brai, —  Bossuet  se  réclame  de  l'autorité  des  saints  Pères,  depuis 
saint  Ambroise,  saint  Augustin,  saint  Chrysostome,  etc. ,  jusqu'à  saint 
Thomas,  suint  Bonaventure,  sainte  Thérèse,  saint  François  de  Sales, 
etc.  Voilà  ce  qui  fait  la  force  invincible  de  M.  de  Meaux. 

Les  Mystiques  en  sûreté  sont  la  défense  de  sainte  Thérèse,  du  B.  Jean 
de  la  Croix  et  d'autres  pieux  mystiques,  attaqués  par  Fénelon,  qui 
les  tire  à  lui ,  malgré  eux. 

L'École  en  sûreté  est  la  défense  de  saint  Augustin,  du  Maître  des  Sen- 
tences, de  saint  Thomas,  de  saint  Bernard,  etc.,  à  l'école  desquels 
a  été  élevé  Bossuet.  —  Après  avoir  récapitulé  toutes  les  erreurs  de 
l'archevêque  de  Cambrai  (Question  XVI«)  et  vidé  la  question  de  droit, 
il  tranche  la  question  de  fait  dans  le  Quiétisme  ressuscité,  et  donne 
un  petit  Index,  Indiculus ,  qui  contient  une  longue  liste  de  tous  les 
Pères  invoqués  dans  les  livres  Mystici  in  tuto,  Scliola  in  tuto  et 
Quietisvius  rediviinis. 

La  Relation  sur  le  Quiétisme  défend  saint  Thomas  et  tous  les  Pères, 
que  Fénelon  s'efforce  «  de  traîner  à  lui  ».  —  Les  Remarques  sur  la 
Réponse  à  la  Relation  montrent  que,  sous  le  nom  de  Bossuet,  on  at- 
taque saint  Thomas ,  saint  François  de  Sales ,  sainte  Thérèse ,  etc. 

Dans  la  Réponse  aux  préjugés  décisifs  de  3/s''  l'archevêque  de  Cam- 
brai, dans  la  Réponse  d'%m  théologien  à  la  première  lettre  de 
Ms^  l'archevêque  de  Cambrai  à  Ms^  l'évéque  de  Chartres,  dans 
les  Passages  éclaircis,  Bossuet  établit  qu'il  n'a  fait  que  «  suivre  de 
mot  à  mot  »  saint  Augustin,  saint  Thomas,  toute  l'école,  sainte  Thé- 
rèse, saint  François  de  Sales,  etc. 

Le  dernier  éclaircissement ,  le  Mandement  du  16  août  1699,  la  Rela- 
tion des  actes  et  délibérations ,  etc.,  de  l'Assemblée  de  1700  sur  le 
Quiétisme,  terminent  au  nom  des  saints  Pères  une  polémique  com- 
mencée et  soutenue  en  leur  nom.  —  Le  général  des  Dominicains  pou- 
vait donc  appeler  Bossuet  le  «  grand  défenseur  «  de  l'Église  et  des 
Pères 532 

ARTICLE  VII 

Les  saints  Pères  et  la  polémique  de  Bossuet 
contre  les  critiques  et  les  Philologues. 

§  I.  Le  P.  Malebranche 575 

Le  livre  De  la  Nature  et  de  la  Grâce  laisse  à  désirer,  parce  qu'il 
s'écarte  des  principes  de  saint  Augustin.  —  Dans  sa  Lettre  à  un 
disciple  de  Malebranche,  Bossuet  condamne  des  nouveautés 
contraires  à  la  doctrine  de  saint  Augustin  et  des  thomistes. 

§  II.  —  L'abbé  Dupin 577 

C'est  pour  protester  contre  d'autres  nouveautés  que  Bossuet  écri- 
vit le  Mémoire  de  ce  qui  est  à  corriger  dans  la  Nouvelle 
Bibliothèque  des  auteurs    ecclésiastiques,  où  l'abbé    Ellies 


G96  TABLE  DES  MATIERES. 

Pages. 

Diipiii  se  trompe  sur  les  Pères  des  trois  premiers  siècles,  à  pro- 
pos du  péché  originel ,  de  l'Eucharistie ,  des  livres  canoniques  , 
de  l'adoration  de  la  croix,  etc.  L'évèque  de  Meaux  condamne 
«  l'esprit  de  la  nouvelle  critique ,  de  parler  peu  respectueusement 
des  Pères  »,  et  surtout  de  saint  Augustin  «  que  Dupin  mal- 
traite le  plus  »  avec  saint  Jérôme. 

Les  Remarques  sur  l'Histoire  des  conciles  d'Éplièse  et  de  Clial- 
ccdoine  défendent  contre  Dupln  le  Pape  saint  Céleslia  et 
saint  Cyrille  d'Alexandrie^  saint  Basile,  saint  Fulgence,  saint 
Léon,  saint  Grégoire  de  Nazianze,  saint  Athanase,  les  Pères 
grecs  et  latins. 
§  III.  —  Affaire  des  cérémonies  chinoises . .     5!i5 

Dans  ses  trois  Lettres  sur  ce  sujet,  1701,  Bossuet  condamne  Cou- 
lau  au    nom  de  saint  Augustin,  d'Eusèbe,   de  Théodoret,  de 
saint  Irénée,  de  saint  Athanase  et  de  tous  les  Pères  sans  excep- 
tion. 
§  IV.  —  Richard  Simon 590 

Dès  1678,  Bossuet  avait  eu  avec  lui  des  «  conférences  amiables, 
selon  la  méthode  chère  à  saint  Augustin.  Au  fur  et  à  mesure 
que  paraissaient  les  Critiques  de  Richard  Simon ,  à  propos  du 
texte  et  des  commentateurs  de  l'Écriture,  Bossuet  s'alarmait 
«  de  ces  audaces  contre  les  Pères  et  les  scolastiques  ».  Il  résolut 
donc  de  se  faire  leur  champion  dans  la  Défense  de  la  Tradi- 
tion et  des  saints  Pères  et  dans  les  Remarques  sur  l'Histoire 
des  Commentateurs. 

La  Version  de  Trévoux  parut  à  Bossuet  une  nouveauté  hardie, 
inspirée  par  «  l'ignorance  de  la  Tradition  et  des  Pères  ».  Il  pu- 
blia donc  contre  «  cette  cabale  de  faux  critiques  »  une  Or- 
donnance et  deux  Instructions,  170'2-3,  où  il  proteste  contre 
les  traits  malins  de  M.  Simon,  qui  «  d'un  seul  coup  attaque 
saint  Augustin,  saint  Thomas,  toute  la  théologie  »,  ose  citer  les 
Pères  en  faveur  de  l'opinion  de  Grolius  sur  les  prophéties, 
imagine  une  guerre  irréconciliable  entre  saint  Augustin  et  ses 
prédécesseurs,  alors  que  ce  Père  est  «  la  lumière  de  tout  l'Occi- 
dent »  et  que  ses  disciples  étaient  les  maîtres  du  inonde. 

Les  Remarques  sur  la  Version  de  Trévoux  établissent  (jue 
Bossuet  a  pour  lui  «  la  tradition  constante  des  conciles,  des 
Papes,  des  Pères  »,  tandis  que  la  critique  de  son  adversaire 
est  hardie,  téméraire,  licencieuse,  ignorante,  sans  théologie. 

La  Défense  de  la  Tradition  et  des  saints  Fines  est  le  testament 
de  Bossuet  et  l'un  de  ses  chefs-d'œuvre.  —  La  Préface  mon- 
tre que  Simon  se  condamne  lui-même  en  condamnant  comme 
un  novateur  saint  .Augustin ,  (lu'ont  suivi  tous  les  Pères  de 
l'Uccident  et  dont  ne  diffèrent  pas  les  Pères  de  l'Orient. 

Dans  la  première  partie ,  Bossuet  découvre  les  erreurs  expres- 
.ses  de  Richard  Simon  sur  la  Tradition  et  le  mépris  qu'il  a  pour 
les  Pères  :  —  pour  .saint  Augustin  (liv.  i"),  qu'il  attaque  sans 
déguisement   sur   la  matière  de    la  grâce,  où  il  a  e.vcellé,  — 


TABLE  DES  MATIERES.  697 

Paqres. 

pour  saint  Athanase  et  les  Pères  grecs  (livre  II),  dont  il  détruit 
l'autorité  en  leur  attribuant  des  contradictions; — pour  saint 
Thomas  et  tous  les  scolastiques  (livre  IIP),  qu'il  reprend 
comme  favorables  aux  sociniens,  alors  que  le  docteur  Angéli- 
que et  toute  l'École  ont  le  «  pur  esprit  de  la  Tradition  et  des 
Pères  »  ;  —  pour  saint  Jérôme,  «  trivial  »  contre  l'épiscopat,  saint 
Chrysostomc,  «  un  nestorien  »,  saint  Basile,  «  un  rhéteur  », 
saint  Grégoire  de  Nazianze,  «  rhéteur  comme  lui  »,  saint  Gré- 
goire de  Nysse,«  un  troisième  rhéteur  de  l'Église  grecque», 
saint  Chrysostome,  «  qui  a  son  coup  comme  les  autres  » ,  tous 
les  anciens  commentateurs,  auxquels  Simon  préfère  le  diacre 
Hilaire,  schismatique  luciféricn.  «  Qui  veut  devenir  un  habile 
théologien  et  un  solide  interpi  ète,  qu'il  lise  et  relise  les  Pères  ». 
(livre  IV.) 
La  deuxième  partie  a  pour  objet  les  cireurs  commises  par  Si- 
mon sur  le  péché  originel  et  la  grâce.  —  Il  fait  injure  à  saint 
Augustin  en  soutenant  que  tous  ses  prédécesseurs  sont  con- 
traires à  sa  doctrine,  alors  que  l'Orient  et  l'Occident  le  véné- 
raient (livre  V)  et  que  ses  disciples,  saint  Prosper  et  saint  Ful- 
gence,  étaient  les  oracles  du  monde  après  le  concile  d'Orange. 

—  Saint  Thomas  préfère  saint  Augustin  à  tous  les  autres  sur  la 
matière  de  la  grâce,  parce  que  ce  Père  l'a  traitée  supérieure- 
ment, au  moins  dans  le  quatrième  et  dernier  état  de  sa  vie  à 
ce  sujet  (livre  VI).  — Simon  fait  le  procès  à  saint  Augustin,  qu'il 
accuse  d'avoir  expliqué  le  péché  originel  d'une  manière  paiticu- 
lière  et  nouvelle,  tandis  ([ue  ce  saint  docteur  enseignait  ce  qu'ensei- 
gne toute  l'Église  catholique  (livre  VII).  —  Le  livre  VIII  établit 
cette  uniformité  des  Pères  et  de  saint  Augustin,  ([ui  a  donné, 
pour  les  concilier,  quatre  principes  infaillibles.  —  Le  livre  IX 

«  l'élève  les  passages  de  saint  Chrysostome,  de  Théodorct  et  de 
plusieurs  autres  concernant  la  tradition  du  péché  originel  ». 

—  Dans  le  livre  X,  Simon  est  convaincu  de  semi-pélagianisme, 
et  la  grâce  efficace  enseignée  par  saint  Augustin  est  établie  par 
la  foi  de  l'Église  et  par  ses  prières  tant  en  Orient  qu'en  Occi- 
dent. Saint  Augustin  a  pris  son  explication  du  Paler  dans  les 
Pères  ses  prédécesseurs.  —  Le  livre  XI  explique  comment  Dieu 
permet  le  péché,  selon  les  Pères  grecs  et  latins,  et  il  confirme  par 
les  uns  comme  par  les  auties  l'efficace  de  la  grâce.  Saint  Au- 
gustin, quoi  qu'en  dise  Simon,  n'a  |)as  fait  de  Dieu  l'auteur 
du  péché.  —  Le  livre  XII  met  en  lumière  la  tradition  cons- 
tante de  la  doctrine  de  saint  Augustin  sur  Ja  prédestination, 
doctrine  comprise  dans  les  prières  et  dans  ce  qu'elles  signifient, 
d'après  saint  Basile,  saint  Éphrem,  saint  Jean  de  Damas,  Clé- 
ment d'Alexandrie,  Origène,  saint  Grégoire  de  Nazianze,  saint 
Ambroise,  saint  Cyprien,etc. 

Le  livre  XIII  traite  de  ce  principe  de  saint  Augustin  :  la  grâce 
n'est  pas  donnée  selon  les  mérites.  —  Richard  Simon  essaie  en 
vain  de  détruire  la  grâce  de  prédilection  et  de  préférence  :  Bos- 

nOSSUET  ET  LES  SAINTS  PÈKES.  45 


698  TABLE  DES  MATIERES. 

Pages 

suet  lui  oppose  toute  l'École,  qui  concilie  d'abord  la  grâce  ef- 
ficace et  la  volonté  générale  de  sauver  tous  les  hommes,  puis 
saint  Augustin  et  tous  les  autres  Pères.  —  Ceux-ci  ont  re- 
connu en  Dieu  et  en  Jésus-Clirist  la  volonté  générale  de 
sauver  tous  les  hommes.  Saint  Augustin  et  ses  disciples  n'ont 
pas  changé  ces  traditions  :  d'après  eux,  les  justes  peuvent  per- 
sévérer, s'ils  le  veulent.  «  II  n'est  pas  permis  pas  de  disputer 
ni  de  la  grâce  qui  donne  le  pouvoir  sans  l'acte,  ni  de  la  grâce 
qui  donne  l'acte  avec  le  pouvoir  ».  —  Bossuet  termine  en  ré- 
sumant la  doctrine  de  saint  Augustin  et  des  conciles. 
,  La  Défense  est  une  œuvre  d'immense  érudition  et  une  magnifique 
apologie  de  saint  Augustin  |iar  un  «  Père  de  l'Église  »,  nourri 
de  la  pure  moelle  du  lion. 
Il  est  regrettable  que  ce  livre  étonnant  soit  si  peu  connu  et  du 
public  et  des  théologiens  eux-mêmes 646 

CONCLUSION 

Pendant  près  de  soixante  ans,  Bossuet  a  vécu  dans  un  commerce  intime 
avec  les  Pères,  dans  lesquels  «  il  trouvait  »  la  première  sève  du  chris- 
tianisme ».  —  Il  en  a  recueilli  «  un  fruit  infini  ». 

11  est  l'homme  de  la  Tradition  et  des  Pères  aussi  bien  que  de  la  Bible. 
«  N'outrepassez  pas  les  anciennes  bornes;  gardez  les  traditions  »,  ré- 
pétait-il souvent. 

Son  intelligence,  son  cœur,  son  caractère  se  sont  imprégnés  de  l'esprit, 
des  sentiments,  des  habitudes  excellentes  des  Pères,  et  toutes  ses  œu- 
vres en  font  foi. 

Les  235  pièces  oratoires  qui  nous  restent  de  lui  montrent  qu'il  a  pris  «  ce 
qu'il  y  a  de  plus  éminent  »  dans  ses  auteurs  favoris  :  saint  Augustin, 
saint  Chrysostome,  Tertullien,  saint  Grégoire  le  Grand,  saint  Cy- 
prien,  saint  Grégoire  de  Nazianze,  saint  Basile,  Clément  Alexandrin, 
saint  Grégoire  de  Nysse,  saint  Bernard,  saint  François  de  Sales,  etc. 

Ses  travaux  d'exégèse  sont  uniquement  inspirés  des  saints  Pères,  qui 
l'ont  rendu  «  habile  théologien  et  solide  interprète  ». 

Ses  œuvres  ascétiques  ne  semblent  si  belles  que  grâce  aux  règles  de  spiri- 
tualité qu'il  puisait  dans  les  Pères. 

Historien,  philosophe,  politique,  il  emprunte  la  plupart  de  ses  idées  aux 
saints  docteurs. 

Ce  qui  fait  sa  force  dans  ses  polémiques  contre  les  Protestants,  les  Jan- 
sénistes, les  Casuistes,  les  Apologistes  du  théâtre,  les  Quiétistes  et 
les  Critiijues,  c'est  que  partout  et  toujours  il  se  fait  des  Pères  un  in- 
vincible rempart. 

S'ensuil-il  qu'il  manque  d'originalité?  —  Non;  il  prête  plus  aux  Pères 
qu'il  ne  leur  emprunte,  et,  grâce  à  son  goût,  il  leur  est  supérieur. 

Il  leur  paie,  d'ailleurs,  magnifiquement  le  tribut  de  reconnaissance  qu'il 
leur  doit,  et  il  est  mort  en  les  défendant. 

Quelle  leçon  pour  le  clergé,  qui  peut,  comme  Bossuet,  trouver  dans  les 


TABLE  DES  MATIERES.  699 

Pages. 

Pères  une  mine  inépuisable,  à  défaut  du  génie  qui  vient  du  ciel  et  dont 
l'histoire  n'a  vu  et  ne  verra  probai)lement  qu'une  fois  une  merveil- 
leuse éclosion  comme  celle  de  notre  grand  Bossuet. 

Bibliographie  : 

Ouvrages  du  dix-septième  siècle  cités  ou  mentionnés  dans  cette  tlièse. . .     663 

—  du  dix-huitième  siècle 667 

—  du  dix-neuvième  siècle 668 

Table  des  matières 673 


FIN. 


PERMIS  D'IMPRIMER. 

Le  Recteur, 
D"-  L.  MicÉ. 


LU  ET  APPROUVÉ 

Clermont,  le  16  mars  1896. 
Le  Doyen  de  la  Faculté  des  Lettres, 

E.    DES    ESSARTS. 


ERRiTÂ 


Page  1,  lire  :  dans  le  titre  du  chapitre  :  Les  études  patristiques  de 
Uossuet  à  Dijon?;  —  au  collège  de  Navarre;  —  à  Metz;  —  à  Paris;  — 
à  Meaux;  au  lieu  de  à  Dijon  :  —  à  Navarre  ;  —  à  Metz  ;  —  à  Paris. 

Page  2,  lire  :  Bas  suetus,  au  lieu  de  Bossuetus. 

Page  14,  lire  :  lues  au  concile  d'Éphèse,  au  lieu  de  ues. 

Page  18,  note  2,  lire  :  établie  à  Navarre,  au  lieu  de  établie. 

Page  28,  note  3,  lii'e  :  et  Gandar,  Bos.  orat.,  au  lieu  de  Gandar  Bos. 
oral. 

Page  37,  note  5,  lire  :  sacré,  au  lieu  de  sacré. 

Page  38,  note  2,  lire  :  Lebarq ,  ati  lieu  de  Édition  Lebarq. 

Page  51,  lire  :  principalement  aux  époques,  au  lieu  de  aux  époques 
surtout. 

Page  51,  lire  :  ses  habitudes  laborieuses,  au  lieu  de  les  habitudes 
laborieuses. 

Page  56,  lire  :  Bossuet  attendrit  son  auditoire,  au  lieu  de  attendait. 

Page  57,  lire  :  jamais  Bossuet  n'avait  tant,  au  lieu  de  jamais  aussi 
Bossuet. 

Page  62,  note  Z.Jire  :  Réflexions  sur  un  écrit,  au  lieu  de  Réflexions 
sur.  un  écrit. 

Page  63,  note  3,  lin:  :  qui  faut-il  croire...  neveu  du  fameux  abbé  de 
Saint-Cyran  ? 

Page  66,  li?'e  :  et  que  les  Alavi/nes  et  les  Réflexions  sur  la  comé- 
die sont  pleines,  au  lieu  de...  la  comédie,  sont  pleines. 

Page  67,  note  l,  lire  :  Daguesseau,  au  lieu  de  d'Aguesseau. 

Page  71,  lire  :  et  omru  .,  au  lieu  de  et  onmi. 

Page  71,  lire,  note  1  :  opéra,  au  lieu  de  opéra. 

Page  71,  lii'e .,  note  3  :  Panégyriques...  prononcés,  au  lieu  de  pro- 
noncées. 

Page  72.  lire  :  pères  de  l'Église  a2c  lieu  de  l'église. 

Page  78,  lire  :  traducteurs  du  Nouveau  Testament,  et  MM.  de  Port- 
Royal,  au  lieu  de  trad.  du  Nouveau  Testament  et  M!M.  de  Port-Royal. 

Page  80,  note,  lire:  la  prose  française,  au  lieu  de  a  prose. 

Page  86,  note  3,  lire  :  Sermon  sur  la  loi  de  Dieu.  éd.  Lebarq,  aîi 
lieu  de...  la  loi  de  Dieu,  édition. 

Page  91,  lire  :  aigrir  ses  douleurs,  au  lieu  de  aigir. 

Même  ligne,  lire  :  lui  être  laissé,  au  lieu  de  laissée. 

Page  100,  li?'e :  une  fille  bien  élevée  rougit,  au  lieu  de  bien  élevée, 
rougit. 

Page  110,  lire  en  note  :  1283,  au  lieu  de  1583. 

4(5 


702  ERRATA. 

Page  111,  lire  :  ce  latinisme  si  sensible,  au  lieu  de  ce  latinisme f 
si  sensible. 

Page  113,  lire  :  Clérarabault,  au  lieu  de  Clérambant. 

Page  117,  lire:  1682-1704.  au  lieu  de  1182-1704. 

Page  1.50,  lire:  dit  Villeniain...,  au  lieu  de  Villemain  ». 

Page  1.S8,  tire  :  faite...  avec  une  telle  énergie  par  un  homme,  au 
lieu  de  sur  un  homme. 

Page  160,  lire  :  B;r  sunt  vires  ambitionis ,  au  lieu  de  :  ambitiones. 

Page  167,  lire:  de  leur  joie...,  au  Heu  de  lem-  joie  ». 

Page  172,  lire  en  note  :  (2)  au  lieu  de  (1),  et  vice  versa  (1)  au  lieu 
de  (2). 

Page  173,  lire,  note  !  :  De  Civ.  Dei,  au  lieu  de  Ibidem. 

Page  174,  lire,  note  .3  :  Ce  traité  en  trois  livres  fut  composé,  au  lieu 
de  en  trois  livres,  fut  composé. 

Page  186,  lire  :  Mais  il  faut  expliquer  ceci  et  exposer,  au  lieu  de 
expliquer  à  vos  yeux. 

Page  187,  lire,  note  2  :  il  abdiqua  à  trente  ans  la  dignité,  au  lieu  de 
à  trente  ans,  la  dignité. 

Page  192,  lire  :  Personne  au  dix-septième  siècle  n'a  converti,  au  lieu 
de  au  dix-septième  siècle,  n'a  converti. 

Page  193,  lire,  note  3  :  des  années  1701,  1702.  au  lieu  de  années, 
1701,  1702. 

Page  195,  lire  :  Vie  écrite  par  Possidonius,  au  lieu  de  Possidius. 

Page  201 ,  lire  :  l'on  est  convaincu,  aii  lieu  de  convaincu. 

Page  215,  lire  :  dans  les  écrits  des  saints  Pères,  au  lieu  des  saints 
Pères  : 

Page  223,  lire  :  la  dernière  persécution  (1),  au  lieu  de  (1)  après  sept 
empereurs  idolâtres. 

Page  240,  lire  :  On  remarque  dans  l'édition  de  Bossuet  un  certain 
nombre,  au  lieu  de  Bossuet,  un  certain  nombre. 

Page  246,  lire,  dernière  ligne  :  dorment-ils  dans  quelque  bibliothèque 
d'Italie,  au  lieu  de  dorment-ils, 

Page  247.  note  !,  lire  :  notes  prises  par  des  religieuses  du  dix-hui- 
tième siècle  et  copiées,  au  lieu  de  dix-huitième  siècle  copiées-. 

Page  262,  lire  :  elle  tàciie.  ce  semble,  de  s'en  décharger,  au  lieu  de 
ce  semble  de  s'en  décharger. 

Page  313,  lire  :  on  doit  signaler,  au  lieu  de  il  faut  signaler. 

Page  314,  lire  :  De  la  connaissance  de  Dieu  et  de  soi-même,  la  Lo- 
gique (ly,  au  lieu  de  De  la  connaissance  de  Dieu  et  de  soi-même  (1),  la 
Logique  (2). 

Page  314,  lire  :  le  Traité  du  libre  arbitre  (2). 

Page  314,  lire  :  par  M.  Nourrisson  (3). 

l'âge  314,  lire  :  Extraits  des  anciens  philosophes  (4). 

Page  314,  lire  :  1709  au  lieu  de  1709  (6). 

Page  314,  lire:  mars  16S1  (6),  au  lieu  de  (12). 

Page  321,  lire,  note  5  :  historien  du  protestantisme,  1891,  au  lieu 
de  iirolestaatisme.  1891. 

Page  323,  lire  :  ("a  été  au  lieu  de  C'a  été. 


ERRATA.  703 

Page  337,  lire:  première  ligne  :  dans  la  bouche  d'une  martyre,  au 
lieu  de  d'un  martyre. 

Page  350,  lire  :  par  un  raisonnement  invincible,  au  lieu  de  invinci- 
ble (4). 

Page  3.50,  lire  :  en  note  (3)  Ibidem.  —  Aujourd'hui  on  distingue,  etc. 

Page  364,  lire  :  il  fit  ces  remontrances  à  l'empereur  :  «,  aie  lieu  de 
l'empereur. 

Page  369,  lire  note  1  :  Il  commente,  au  lieu  de  commenté. 

Page  372,  lire:  les  Imtructions,  au  lieu  de  ces  Instructions. 

Page  373,  en  note,  après  les  grands  sujets,  pas  de). 

Page  391,  lire,  note  2  :  Niceron,  au  lieu  de  Nicéron. 

Page  398,  lire  :  Épilre,  au  lieu  de  Épitre. 

Page   416,  lire  :  l'Eucharistie  :    textes,  au   lieu  de  l'Eucharistie 
(textes. 

Page  435,  lire  :  à  tant  de  ciioses  étranges ,  au  lieu  de  étrangess. 

Page  451,  lire  :  Bossuet  fait  voir,  en  effet,  que  le  ministre,  au  lieu 
de  :  Bossuet  fait  voir  qu'il. 

Page  463,  lire  :  Saint  Basile  demande,  au  lieu  de  Saint  Basile,  de- 
mande. 

Page  482,  lire  :  nous  ont  forcés  à  prononcer  cette  sentence ,  au  lieu 
de  forcé. 

Page  494,  lire  :  pour  se  rétracter  secrètement,  au  lieu  de  se  rétrac- 
ter, secrètement. 

Page  500,  lire  :  Le  livre  De  la  Correction,  aïo  lieu  de  «  Le  livre,  etc. 

Page  500,  lire.,  note  13  :  Daguesseau,  au  lieu  de  d'Aguesseau. 

Page  517.  lire  :  ils  blâment...  la  prodigieuse  dissipation,  le  trouble; 
au  lieu  de...  le  trouble... 

Page  525,  li?-e,  note  I  :  Nouveaux  opuscules  ^  au  lieu  de  opusculse. 

Page  530,  lire  première  ligne  :  s'y  contente  d'alléguer,  au  lieu  de  s'y 
contente  alléguer. 

Page  530,  lire,  dernière  ligne  :  sont  indéfectibles,  au  lieu  de  saint. 

Page  543,  lire  :  543,  au  lieu  de  54. 

Page  549,  lire  :  de  saint  François  de  Sales  et  de  tous  les  contempla- 
tifs, aie  lieu  de  et  «  de  tous  les  contemplatifs. 

Page  550,  lire,  note  2  :  II«  11"%  au  lieu  de  IV  II"«. 

Page  555,  lire  :  il  ne  faut  pas  pour  cela  le  rendre  infaillible  au  lieu 
de  la  rendre. 

Page  557,  lire  :  Voici  le  principe  inébranlable,  au  lieu  de  Voci. 

Page  560,  lire,  note  1  :   toute  la  théorie  de  la  charité  parfaite,  du 
pur  amour,  au  lieu  de  la  charité  parfaite  du  pur  amour. 

Page  571,  lire  :  Il  me  paraît  changer  à  toute  heure,  au  lieu  de  sub- 
sister. 

Page  572,  lire  :  C'est,  d'après  toute  l'École,  au  lieu  deCest  d'après. 
Page  595,  lire  :  Il  faudrait,  au  lieu  de  il. 

Page  600,  lire  :  Pourquoi  encore  ne  pas  expliquer,  au  lieu  de  pour- 
quoi encore,  ne  pas. 

Page  650,  liî-e:  et  jusqu'à  l'aimable  saint  François  de  Sales,  au  lieu 
de  enfin. 


704  ERRATA. 

Page  654,  lire  :  son  éloquence,  pleine  de  fougue  et  d'élan,  au  lieu  de 
son  éloquence  pleine. 

Page  G.59,  //rf  ;  Ne  peut-on  pas  résumer,  au  lieu  de,  ne  peut-on. 

Page  660,  lire,  note  I;    Mémoires  de  Le  Dieu,  au  lieu  de  Ibidem. 

Page  661,  lire  :  Combien  plus  de  valeur,  au  lieu  de  combien  de  va- 
leur. 

Page  661,  lire  :  économie  politique,  m-S"  de  796  pages,  au  lieu 
de  796. 

Page  662,  lire  :  Mineure  ordinaire,  1650,  au  lieu  de  Mineure  ordi- 
naire 1650. 

Page  662,  lire  :  Bayle...  1686,  au  lieu  de  1696. 

Page  664,  lire:  Lettre  insérée  dans  le  moyen  court,  au  lieu  de 
Lettres. 

Page  665,  lire  :  Godeau  avant  Godet  des  Marais. 

Page  669,  lire  :  la  Réformation  de,  ati  lieu  de  Reformation. 

Page  669,  lire  :  Versailles,  au  lieu  de  Versaitles. 

Page  669,  lire  :  Bonnel,  au  lieu  de  Bonnel. 

Page  669,  lire:  Bulletin  de  rjcadcmie  de  Clermont,  1885,  sans 
Gustave. 

Page  670,  lire:  Augustin  Thierry.  1856,  au  lieu  de  1886. 

Page  670,  lire  :  Raphaël,  1649,  au  lieu  de  1659. 

Page  670,  lire:  Revue  des  Deux-Mondes ,  15  août  1886,  au  lieu  de 
1896.  ' 

Page  673,  lire  :  collège  des  Godrans,  au  lieu  de  de  Godrans. 

Page  674,  lire  :  au  nom  de  la  Tradition  des  Pères,  et  dans  les  con- 
férences d'Issy,  dans  les  trente-quatre  articles,  au  lieu  de  des  Pères  et 
dans  les  conférences  d'Issy. 

Page  676,  lire  :  par  saint  Augustin  et  les  Pères,  comme  le  prouve,  au 
lieu  de  les  Pères  comme  le  prouve. 

Page  679,  lire  :  de  ces  livres  ascétiques,  au  lieu  de  acétiques. 

Page  680,  lire  :  dans  les  Esquisses,  au  lieu  de  le  Esquisses. 

Page  684,  lire  :  Bossuet  historien,  philosophe,  au  lieii  de  historien 
philosophe. 

Page  686,  lire  :  Rébelliau,  au  lieu  de  Rebelliau. 

Page  689,  lire  .jusqu'aux  douzième  et  treizième  siècles,  au  lieu  de 
jusqu'au. 

Page  689,  lire:  271,  au  lieu  de  227. 

Page  690,  lire  :  saint  Cyprien,  au  lieu  de  saints. 

Page  691 ,  lire  :  pour  établir,  au  lieu  de  établir. 

Page  695,  lire  :  à  de  justes  proportions,  au  lieu  de  des  justes. 

Page  695,  l/7'e  :  longue  liste,  au  lieu  de  longue. 

Page  696,  lire  :  «  des  conférences  amiables»,  au  lieu  de  amiables. 

Page  698,  lire:  Il  n'est  pas  permis  de  disputer,  au  lieu  de  il  n'est  pas 
permis  pas  de  disputer. 


BX     Delmont,  Théodore 
4-705      Bossuet 
B7DU 


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