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LE QUATTROCENTO

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PHILIPPE MONNIER

LE QUATTROCENTO

ESSAI SUR

L'HISTOIRE LITTÉRAIRE DU XV^ SIÈCLE ITALIEN

TOME SECOND

PARIS

tIBRAIRie ACADEMIQUt OIDICR

PERRIN ET C'% LIBRAIRES-ÉDITEURS

35, QUAI DKS GRANDS-AUGUSTINS, 35

1901

Tous (iroilR résenrés

LE QUATTROCENTO

LIVRE TROISIÈME LE GREC

CHAPITRE I

DIFFUSION DU GREC EN ITALIE

I. Le grec à Florence. Florence, Athènes de l'Italie. Ignorance du grec au moyen âge. Manuel Chrysoloras, premier maître grec de rilalie nouvelle. Départ des Italiens pour la Grèce : Guarino, Aurispa, Filelfo. Florence à l'œuvre. Le Concile d'union.

il. Le grec en Italie. l^rogrès accomplis. Le grec s'installe dans la ville des papes. Chaires, maîtres et livres. Nécessité pour un esprit orné de connaître le grec. L'Académie d'Aide Manuce.

III. lixode des Grecs en Italie. Les personnages illustres : Chryso- loras. Pléthon, Argyropoulos, Lascaris, llessarion. La foule des subalternes. Leurs misères, leurs emplois et leurs services. Prise de Constantinople par le Turc. Ce que la Grèce, chassée de Hyzance, trouva en Italie, Mépris des savants italiens pour les Grecs.

A rélule du lalin, Tllalie joignit rétutle du groc.

Qu'on se ligure une république d'intelligence, d'élé- gance et de travail, riclic d'églises claires el de sociétés actives, bruissante de métiers, tourmentée de laclions, peuplée de poètes, de lettrés, d'érudits, d'artistes, d'artisans. Le ciel limpide semble sourire; 1- paysage s'encadre d'arbres sveltes ; riiorizon s'enloiir.' dv? col- lines calmes et sèches, qui le; fermant d.> gràc^' et de précision. Dès qu'on entre, il vous semble, comme aux- H. 1

2 r.i-: QrATTR()Ci:.\To

aiiihassadeurs tie roiiipeiOLn- Sigisniond, ciiirer dans un autre monde ; on marche dans la lumioïc et dans l'agilité ; les rues sont pavées, les façons charmantes, la politesse exquise. »< C'est là, dit Pétrarque, que jail- lissent les nobles sources du gi'nie et que les doux ros- signols font leurs nids»; «les esprits, ajoute /Eneas- Sylvius, y naissent très sagaces, comme il convient a des hommes tout adonnés au commerce » ; « les hommes, chante Verino, y osent avec bonheur tout ce qu'ils veulent. » Le peuple est ingénieux, subtil, discret; d'une ironie aiguisée, d'un sens affiné, d'un geste sobre; il marche sans hâte; il s'exprime avec une urbanité et une poésie naturelles; il se montre si nativement patricien qu'avec deux aunes de drap rouge le vieux Cosnie de Médicis se charge de le faire gentilhomme ; si jalousement démocrate qu'il dénonce les riches comme au temps d'Aristophane; si j)olitiquement éduqué qu'un cardeur de laine sans alphabet en peut diriger les des- tinées; si inquiet de nouveautés qu'il change de cons- titution comme un malade de coté. La vie publique est intense; « l'avarice de gloire », commune; la critique, impitoyable; l'intérêt, général ; l'esprit, toujours en éveil et en mouvement: c'est Florence. Alors on comprendra comment Florence devait être la première cité d'Italie k accueillir le grec. Elle l'accueillit, parce qu'elle était de toutes la plus cultivée. File l'accueillit encore, parce qu'elle était de toutes la plus attique.

Le grec n'avait jamais complètement disparu de l'Italie'. Durant le moyen âge, certaines provinces méridionales, anciennescolonies helléniques, lepurlent toujours; quelques marchands, eu affaires dans le Levant, remploient peul-èlre; deux ou trois moines

1, Sur rhetlcniHiiieitilien en général, voir: Iliiniphred Hody, De GrtecLs illunlrUiuH. l^ondres. iT»2. i^liristiiin Hci-rner, De doclis hoitiinibus grwcin litlurarujn i/rwcatiiin in llaliti inxluuraturiOus, Leip8i|i(, 1750. Cramer. Pe tirmcin meiliiœvi Hludiis, StniiHund, 1848 cl IS.'i;!. K. L<;KraMd, Ifthliof/raphie hi;llénii/iie, l'tiris, 1885, 2 vol. C.-N. Siillias, bocuinenlH ini'dits reiali/ii à l'hinloiie de la Grèce au moyen ùye, l'aris, i888 (loin. Vil).

DiFFi:si;)-N DL Giu;c K.N ITAl.li: 3

s'on souviennent, à l'exemple du frère mineur Angelo tia Cingoli, qui, au xiv' siècle, avait reçu «la langue grecque en don spécial de Dieu». Cependant il s'agis- sait là d'une langue surtout parlée, non écrite, réservée au commerce et à lEglise, apprise empiriquement ou reçue en grâce, mais que personne ne se chargeait d'enseigner et qu'ignoraient les humanistes.

Au début du (Juatlrocento, les copistes, lorsqu'ils rencontraient une citation grecque, écrivaient encore en marge du texte : (jrœcum est, non lefjitur. Pétrarque possédait un Homère qu'il était incapable de lire : (( Mon Homère, avoue-l-il, gîl muet à côté de moi, je suis sourd auprès de lui, mais cependant je jouis de sa vue et souvent je l'embrasse '. » Boccace s'imaginait que le nom d'Achille vient de l'alpha privatif et du mot yiAcç, fourrage : celui qui a grandi sans manger*. Donato degli Albanzani, commentant la cinquième E(jlo(jue de Pétrarque, reconnaissait dans le berger Apitius la personnification des Orsini^. C'est alors que Florence apprend qu'un Grec illustre. Manuel Chryso- loras, est de passage à Venise, il traite d'affaires d'Etat pour le compte de son souverain, l'empereur Paléologue. Deux patriciens de Florence, lîoberto de' Rossi et Jacopo da Scarperia vont le relancer aus- sitôt; Jacopo da Scarperia, retournant avec lui à Constantinople, ne le perd plus d'une semelle; tous les Florentins s'emploient a l'appeler, depuis Salutati, qui agit auprès de la République, jusqu'à Niccoli, qui stimule le zèle des savants et jusiju'à Pallas Strozzi et Antonio Corbinelli, qui olTrent leur bourse. Tant et si bien que, cédant à des sollicitations si unanimement

1. « Homerus luus apud me mutus, imo vero ego apud illuni surdiis sum. Gaudeo tamen vel aspeclu solo et siepe illum aniplexus ac sus- pirans dico : 0 magne vir quam cupide te audirem ! » Pétrarque, Ëpisl. fum., XVllI, 2.

2. Sur les études de Boccace, voir A. Ilortis, Sludi sulle opère latine del Boccaccio, 'Iriesle, 1S79.

3. « Apitius idesl ilomus Ursinorura, nam apitiosiis idestcaivus sine criuibus et ipsc Lrsus animal sine cauda est; sic Apitius pro ipsa domo Ursina accipitur. »

4 LE QUATTROCENTO

empressées. Manuel consent à enseigner publiquement le grec à Florence aux appointements de cent cin- quante florins d'or l'an.

Il y arriva au mois de janvier 1397.

Un fait considérable s'accomplit. Manuel Ghrysolo- ras ne ressemble point à ce malheureux Barlaam qui, autour de 1339, avait donné des leçons à Pétrarque; il ne ressemble point à ce rude Léonce Pilate que Boccace avait appelé à Florence et logé dans sa maison, si fermé, si ignare (|ue Pétrarque, jouant avec les mots, pouvait dire : «Ce Lion n'est qu'un gros bœuf! » Ce n'est point une cervelle obtuse, ime barbe pouilleuse, un Calabrais grossier, à rire bestialement des admi- rables saillies d'un Térence. Manuel Chrysoloras est un Grec véritable. Il est de Byzance; il est noble; il est érudit; outre le grec, il connaît le latin; il est grave, doux, religieux et prudent ; il semble à la vertu et à la gloire; il possède une doctrine extrême et la science des grandes choses ; c'est un maître. C'est le premier maître grec qui, renouant la tradition, se soit assis de nouveau sur une chaire d Italie '.

On va donc connaître les lettres grecques que, depuis sept cents ans, personne n'a possédées en Italie'^. On va lire Platon, Homère, Déuiosihène dans le texte. On va s'abreuver à ces sources jaillissantes « d'où l'on croit qu'est sorti tout ce que le Lalium possède d'érudition et dedoctrine». I^e grec, c'est plus de lumière, plus de sagesse, plus de beauté; c'est plus d'éloquence cl de poésie; c'est le modèle pur, c'est l'origine splendide de toute grâce, de toute pensée, de toute érudition; c'est la quintessence du latin. Quel profit, quel sur-

1. '< Qiiisenim prœslantiurem Maniicle viruiii, aiit vidissc aiit legisse memintt, qui tv\ virttilciii, a<l (tloriaiii sine alla diibitalionc natiis eral?... » dit fiiiarino. Decciiiln'io prcU-rid « (|iie pour sa connais- sance (lc!i leUrcs, il ne semblait pai un liuinnic, mais b.cn quelque ange ».

2. « SeptinKnnliH Jam anni» nemo per Ituliam gni'caH lillcras Innuit, et tamcn ilortrina» oinncii ab ii» ettnn confltemiir. » Lf.onaiidu Diium, CominenlariuM reruin siiu Ifinjiure ijeslarum.

DIFFUSION DL' (illEC EN ITALIE 5

croît (le renomm<^o, quelle joie et quelle émulation! Un frémissement s'empare de la Florence intellec- tuelle qui se met à l'étude avec une sorte de volupté. Le vieux chancelier Coluccio Salutati, tel Gaton qui à soixante ans avait abordé « la discipline argolique », en oublie son âge, la mort récente de sa femme, le souci des aiïaires publiques ; il se sent réchauffé à l'idée de connaître ces éludes, ravi à l'espérance d'admirer ces principes. « S'il est permis, écrit-il à Jacopo da Scar- peria, de formuler l'espoir qu'aussi tardivement je puisse balbutier les lettres grecques, oh ! combien mon ineptie coûtera de patience à toi et à Ghrysoloras! De quel éclat de rire ne vous ferai-je pas partir chaque jour'. » Leonardo Bruni abandonne incontinent les études juridicjues il était plongé : « ! quoi, réfléchit-il, dès qu'il le serait permis de connaître Platon, Homère, Démoslhène, et tous les autres poètes, philosophes et orateurs dont on raconte tant de mer- veilles, et de parler avec eux, et de t'imprégner de leur discipline admirable... tu négligerais celte occa- sion qui t'est divinement offerte'! » Pallas Strozzi fait venir de (irèce « des livres inlinis, tous à ses frais ». Le patriciat, l'Eglise, le commerce, la jeunesse imberbe et la vieillesse chenue s'asseyent péle-méle sous la chaire de l'illustre Byzantin. Roberlo de' Rossi, Jacopo da Scarperia, Antonio Corbinelli, Leonardo Guslini rivalisent de zèle ; Niccolô Niccoli brille au premier rang; Filippo di ser LTgoliuo laisse sa boutique de notaire ; Ambrogio Traversari sort de son couvent des Angioli ; Pierpaolo Vergerio, déjà connu, accourt de Venise. On sent un élan admirable, un enthousiasme

1. j< Ego, si spes mihi concipienda fiierit, ut vel sero possim çriBci» liltens balbulire, oh, quanto tibi, quantoque etiam Manueli patientiae labore stabunt ineptiib me*? » Coluccio Salltati, Episl.

2. « Tu, cum tibi liceat llomerum, IMatoneni, Deinosthenem, ca^te- rosque poetas et piiilosophos et oralores. de quibus tanta ac tam mira- biiia circuiiiferuutur, intueri atque una colioqui, ac eorum inirabili disciplina iiiibui, le ipsuni deseres atque destitues? Tu occasioneiii hanc divinitus tibi oblatani pritteruiittes?... » Leo.naudo Brlm, Commen- tarius.

6 LE QUATTROCENTO

juvénile, ot que si Manuel Chrysoloras ne resta que irois ans à Florence, puisque à la fin du mois de mar^ 1400, rappelé par son empereur ou ellVayé de la peste, il en était déjà parti, les germes féconds, riches do la moisson prochaine, sont scmésf Aussi bien, Guarino comparait-il ce sage de Byzance à un rayon de soleil apparu dans les ténèbres et aurait-il voulu que l'Italie reconnaissante dressât des arcs de triomphe sur son chemin'.

Mais ritalie ne se contenta pas d'attendre : elle alla chercher. Sa gloire éternelle est d'avoir hâté de toutes ses forces, par tous les moyens, cette hardie conquête d'un vieux monde. Il ne suffisait plus à sa fièvre d'érudi- tion de guetter les occasions heureuses et de demeurer inerte jusqu'à ce qu'un hasard propice lui rapportât de l'Orient, le soleil se lève, quelque étincelle ou quelque rayon. Il lui fallait partir elle-même, recueillir là-bas, sur les lieux, sur le champ, ces trésors de sagesse et de beauté dont elle avait été trop longtemps frustrée et qui restaient à la merci du moindre accident, d'un incendie, d'une révolution, d'un coup de main du Turc. On peut sourire de la jactance des humanistes d'Italie : il convient encore de ne pas oublier leur merveilleuse ferveur. Dans leur impatience de savoir, ils n'hésitèrent |)oint à affronter l'inconnu, la pauvreté, l'exil'^; à courir les aventures des longs voyages, des longs séjours de l'autre côté de la mer; eux, savants, h se remettre à l'école; eux, pénétrés jusqu'à la fatuité de leur imj)ortance, à se soumettre aux plus viles besognes : tout cela pour dérober au vieil empire (jui s'écroulait quel([ue manuscrit (ju'ils rapportaient tendrement serré sur leur cœur. Aussi bien, les noms des Ciriaco, des Angiolo, des Tortello,

1. Vcdpasijino dit: « Pu tfinlo il frutlo clic* sc;,'iiitii délia vciiiil.i di ManiKîllo rlu; iiifiru! al pn-scnlc di si (■(»lp)iii> dl friiUi dclln vciuil.i di Maniiflio in lliiliii. » 17//,', i). 21'! Cf. Ki.avio IJioniki, Operti, i>. :t4(i.

2. i+;n(;n«-Sylviiis rlil : « Sniii»» l-filiiKiniiii snlis vidori doclus poleriit, nisi pcr tcnipiiA (ioriHlaiilinopoli stluduisiiel. n Opi-ra, p. lUu.

DIFFUSION D»' OIIFC EN ITALIF 7

dos Tifornate, des Guarino, des Aurispa, des Fileifo (loi vont-ils (Hro signalés à rolornelle reconnaissance des lo Lires.

Guarino passa cinq ans h Byzance, de 1403 îi 1408, on même temps (pril oxpôdie les alTaires commer- ciales de son patron, Paolo Zane, il apprend le grec dans la maison de Miinnel Chrysoloras, qui l'a pris avec lui; c'est Manuel lui-même, plus tard le neveu de Manuel, Ghrysococcas, qui le lui enseignent; au milieu de la ville grandiose, qu'il appelle « sa bienfaisante nourrice », belle d'églises, de palais, de cirques, d'aque- ducs, do colonnes, d'obélisques, il se réfugie dans son petit cabinet de travail, à l'ombre des cyprès, et parfois pour se distraire de la lecture, il se promène dans lo jardin suspendu qui lui est attenant'. A Byzance il est on séjour do li21 à 142:^, Aurispa vend ses babits pour aclieter des livres : <( Pour des livres, écrit-il, j'ai déployé toute industrie, donné tout argent et souvent des babits. Car je me rappelle qu'à Byzance, j'ai donné des babits à ces Grecs pour en recevoir des manuscrits, chose de latiuolle je n'éprouve ni bonté, ni cbagrin-. » A Byzance, de 1420 à 1427 il a passé sept années de sa jeunesse, les plus belles de sa vie, Fileifo suit la discipline de Jean C^brysoloras d'abord, de Ghrysococcas ensuite, sert lo Paléologue en des commissions et des ambassades, épouse la 11 lie de son maître Ghrysoloras, Théodora, achète des livres, adopte de cet Orient qui est presque devenu son pays les mœurs, la pompe, la morgue, jusqu'à la longue barbe.

Lors(iuo, riches de leur fraîche science, pressés de choses à dire, détonteiLrs de manuscrits précieux, ces italiens reviennent dans leur pays, l'Italie se les arrache. Florence les garde. En lilO, sur l'initiative de Niccolô

1. « Oiunia te narrante reeenseo, écrit-il à Chrysoloras..., tuas ciipressos, et aliquamlo studioli mei diversorinn» hortnm pensilem. »

2. « Eu:o onineni iminslriain, onine argentnni, vesliinenta siepe pro libris deili. Nam niemini Gonstantinopoli Grifculis islis vestinienta ledisse., ut codices acciperem ; oujus rei nec pudet, nec pœnitet. » Voir Traveusaiu, Epistolw, éd. Melius, p. 1020 et sq.

8 I.E QUATTROCENTO

Niccoli, elle am-le Guarino. devenu blanc dans l'exil, «joyeux, sain et sauf, quoique pauvre'» ; en 1425, elle accueille Aurispa; eu 1429, elle accueille Filelfo. La munilicence privée, l'or péniblement g;agnc dans les comptoirs et dans les banques, l'argent public dérobé aux guerres et aux entreprises nationales est employé à subvenir à ces nominations qu'on désigne sous le nom de condotta. Guarino loge chez Antonio Corbiuelli, Aurispa loge chez les Strozzi, Guarino commence à enseigner aux frais du patriciat. Aurispa apporte trois cents livres. Filelfo explique Homère, Thucydide, Xénophon; qu'importe, s'il est fat, se pavane dans les rues, fait montre de ses richesses, de ses connaissances, de ses esclaves? Il sait le grec. Alors, les plus belles dames lui cèdent le pas dans la rue, les vieillards se découvrent, Cosme de Médicis le visite, deux ou trois cents auditeurs l'écoutent, venus de France, d'Espagne, d'Allemagne, de Chypre; la république avait donné cent cinquante florins à Chrysoloras, elle lui en accorde trois cents.

Sans doute qu'il est difficile de retenir longtemps ces célébrités qui sont de requête et d'humeur voyageuses . Chyrsoloras n'était demeuré que trois ans k Florence î pareillement Guarino n'y reste que quatre ans, Aurispa que deux, Filelfo que cinq. C'est assez pour qu'enl'espace de quarante ans le grec ait été révélé à Florence. De 1397 arriva Chrysoloras jusqu'à 1434 partit Filelfo, le zèle érudit a pu se ralentir, il ne s'est jamais éteint complètement. Un travail sourd s'est accompli au fond des intelligences. La lleuren bouton va s'épanouir. Désor- mais, Florence n'a plus besoin de maîtres étrangers, |)uisqu'à leur tour ses élèves sont devenus des maîlres. Elle possèdeune grammaire, les /sVo/r//i«/^/ de (Chrysoloras qui viennent de paraîlreà Milan; elle possède deslivres, « sans livre que peut-on faire? » demandait le libraire

1. « LnitiiM et sospes venin, sed paiiper. » II. Sabbadini, La Scuola e gli $luUi di (Juarino, Cutatio, 18'J0, p. 13.

LIFFLSIO.N DU GIIEC EN ITALIE 9

Vespasiano ; elle possède dos phalanges de copistes qui prGj)agenl ces trésors et des phalanges d'éruditsqui les traduisent en hilin'. Et durant ces quarante premières années d'assimilation laborieuse, ce qu'elle avait accu- mulé pôle-mêle, ce qu'elle avait compris, ce qu'elle avait réussi à aimer, un spectacle étrangement instructif nous le montre : la fai^on dont elle accueillit le Concile d'union qui en 1439 se réunit dans ses murs.

Premier concile u'cuménique depuis celui tenu en 8()9, ce Concile qu'on avait convoqué pour apaiser les querelles dogmatiques des deux Eglises, avait siégé à Ferrare l'année précédente. La peste l'en chassa. Il se transporta à Florence son inlluence va être décisive pour les destinées intellectuelles de la cité.

C'est le 16 février 1 i39 que l'empereur Jean Paléo- logue lit son entrée solennelle à Florence. Il était accom- pagné de sa cour, de son clergé, de ses écoles. Il déve- loppait un brillant cortège, qui ajoutait à la joie d'une ville en fête, c'était un dimanche, la pompe d'un apparat splendide, l'éclat des pierreries, la magnilicence de costumes superbes, où, à côté de la robe grise des moines et de la tunique noire des prêtres séculiers, se détachaient les chapeaux de soie rouge et de fourrure des apocrisiaires du prince de Valachie, la chape bleue eties pectorals garnis de reliques des patriarches et, |)lus magniliques encore, le pallium d'or et la robe pourpre que traînait l'empereur-. Il y avait Pléthon, octogénaire tranquille et sage; son élève Bessarion, fraîchement nommé archevêque de Nicée, Scolarios, Marc d'Ephèse,

1. Jacopo (la Scarperia traduit la Cosmographie de Ptolémée ; lloberto de" Rossi, des IVaj^menls d'Arislute ; l'allas Strozzi, des fragments de Plutarque et de l^laton. Ambrogio Traversari traduit Basile, Ghrysos- toine, les )7esde Diogène Laërce, l'œuvre entière de Denys d'Aréopage. A"apito Cenci traduit Aristide ; Vergerio, Arrien ; Filclfu, Lysias et la Riiélorique d'Aristote. Leonardo Bruni, le plus empressé de tous, tra- duit le Discours sur la littérature païenne de Basile, les Harangues de Démosthéne, les Vies de Plutaniue ; il traduit VEtliique et la Politique d'Aristote; il traduit le l'hédon, le Gorgias, le Criton, V Apologie et les Lettres de Platon.

2. Henri Vast, Le Cardinal Bessarion, Paris, 1818, p. 62 et 75.

<0 LE QUATTROCENTO

Antoine (riI/Taclrv-^, Isidore de Russie; toute la théo- logie et lonio la doctrine; toute l'intelligence et tous les livres. l)..ns les rues de Florence ébahie qui regarde, c'est la Grèce qui passe, la Grèce vivante, la Grèce dans ce qu'elle o. Ire de plus haut, de plus riche, de plus pur. Et pour que ces Grecs, réprouvés depuis Photius comme des schisniatiques endurcis, fussent accueillis au son des trompettes, royalement hospités par la Curie, le patri- ciat et les Médicis, fcstoyés par le peuple, salués dans leur langue par Leonardo Bruni, il fallait que quelque chose se fût passé, il fallaitque la pensée se fût exhaussée et élargie. Ce ne sont plus des étrangers, des renégats, des impies qu'on accueille, ce sont les descendants vé.i tables des Platon, des Aristote, des Homère, des Démosthène, des Thucydide. A Sainte-Marie-Xouvelle se dressent deux tiônes érigés à la même hauteur : l'un est destiné au pape de Rome, Eugène IV; l'autre à l'empereur d'Orient, Jean Paléologue.

Pour la première fois dans le monde moderne, les deux g.mies d'Orient et d'Occident prennent contact. Du 16f.'vrier li-39au 6 juillet que dure le Concile, les deux vieilles civilisations de l'Hellade et de l'Italie, qui avaient illuminé le monde, se retrouvent; elles se repoussent, s'attaquent, se circonviennent, se saisissent et se pénètrent. Car il ne faut pas qu'on s'y trompe, au-dessus des questions dogmatiques du Filioque et de la supréniali<' de l'Eglise romaine, di'battues à Sainte- Marie-Nouvelle avec toute la subtilité qui convient, la guerre est di'clarée entre les- deux races, les deux âmes, les deux cultures. C'i'st à qui dans cette joute des intel- ligences se montrera le plus armé et le plus vaillant. Déj.'i, alors (|ue le Coiu'ilc était réuni à Ferrare, un médecin siennois, nomnn' Ugo Ren/.i, avait oll'erl aux Grecs, invités à dîner dans sa maison, de soutenir contre eux l'oiiinion d'Aiistote cm de Platon à leur choix; le combaL s'engagea devant le vieux maripiis Niccolô d'Esté qui écoute, et Ugo Benzi y témoigne d'une.

DIFFLSION DU GRKC EN ITALIE 11

telle (loclrine et d'une telle virtuosité <( qu'il apparut manifeste, écrit yEneas-Sylvius, que les Latins, qui avaient jadis surpassé les Grecs par les arts de la guerre et la ^^loirc des armes, les surpassaient encore à notre époque |)cir les lettres et l'érudition* ». La dispute ainsi engagée se poursuit. Chaque jour, à Florence comme h Ferrure, les opinions se choquent et les forces se mesurent. Des idées s'échangent. Des sympathies se nouent. D'aimuhles réunions privées alternent avec les séances oflicicdles, l'on se repose de tant de dogma- tique autour des tahles somptueuses, dans le silence des hauts palais, dans l'atmosphère sereine de la science'.

Gémiste Pléthon, austère figure de législateur, de l)r(>plièle et de sage, riche d'une pensée haute et ample, y triomphe. « Comhien s'étonnaient les Latins, écrit Hieronymos, de la sagesse, de la vertu, de la force de discours de cet homme ! Plus brillant que le soleil, il resplendissait parmi eux. Les uns l'exaltaient comme le maître et hienlaileur des hommes; les autres le nommaient Socrate et Platon •'. » A son tour, Pléthon trouve à qui parler dans cette Italie affinée, toute de sang et de nerfs; le camaldule Traversari, l'humaniste Bruni, le bibliomane Aurispa, le pédagogue Guarino, le médecin Benzi, le cardinal Cesarini lui paraissent des esprits d'avanl-garde, j)r(q)res à hiUer la Renais- sance qu'il prévoit. « J'ai lié commerce avec eux, répond-il gravement à Scolarios, et je sais ce que vaut leur sagesse''. » Grâce à ce contact journalier des deux peuples, l'union peut se faire.

Elle fut proclamée le 6 juillet 1439, dans le dôme de

1. « Palaiu faclum est Lalinos honiines qui jaiu prideni bellicis artibus et aniiopum gloria Gra'cos superaverant, letate nostra eliam litteris et oiiinium (loctrinariim geaere anteire. » Europa, cti. 52.

2. C'est ainsi que Syropoulos nous rappelle les beaux repas qu'of- fraient, à Kerrare, le pape, le cardinal Cesarini, Isidore de Russie.

3. « ... llàXtcova ô'ot xa't i!a)y.pàTr|V (ovôfxal^ov. » Alexandre, Trailé des lois, Paris, 1858, app. p. 377.

t. « 'Ilfjiî;; 5s y.a'i èvîT-jyoïAîv xal o'.'a t;; âartv a-jTtov y; <7o:pix ëyvwfiEv. » Gass, Gennudius und Ple'lho, Breslau, 1844, 2 vol., II, p 56.

12' LE QUATTROCENTO

Florence, en une cérémonie auguste le Pape et TEmpereur étaient présents, les deux clergés, les digni- taires, les gentilshommes, la foule.

Le pape célébra la messe, des engagements mutuels furent jurés solennellement et lecture fut donnée du décret d'union, qu'Ambrogio Traversari avait de sa propre main colligé dans les doux langues.

F'iorence eut raison de donner à cette cérémonie toute la pompe et toute la majesté dont elle était capable. Une union plus valide que l'accord éphémère de deux théo- logies venait d'être faite : l'accord de deux esprits. L'entente des deux Eglises dura autant que les intérêts politiques qui l'avaient commandée; au contraire, au mariage de la Grèce avec l'Italie était promis un brillant avenir.

II

De Florence qui fut la première ville à accueillir le grec classique, le grec se répandit dans toute l'Italie.

Il est malaisé de suivre, à travers la Péninsule agitée et durant le siècle agité, ce mouvement de dillusion qui n'obéit à aucune règle et dont l'arrivée de Chryso- loras à Florence, la réunion du Concile d'union à Ferrare, la prise de Gonstantinople par le Turc marquent quelques moments. Cependant deux ou trois faits et deux ou trois dates sont signiiicalifs.

Avant 1390, il n'y avait aucun Italien érudit qui connût le grec: en 1476, Milan imprime le premier livre gr.îc qu'ait possédé le monde, une grammaire grecque et une grammaire grecque destinée à une jeune fille. Pétrarque possédait un Homère (|u'il iw; pouvait pas lire; en liHH, |)araîl l'édition priiiceps de V Iliade et VOih/ssrc. En 14213, à Venise, deux patri- ciens uccueilliMit rem|)ereur Paléologue dans su langue. En 1449, àV^'nisc, Lauro Ouirini expli([ue dans la rue FEthiquc d'Arislotc. En 1450, à Himini, Sigismond Mala-

DIFFUSION DU GREC EN ITALIE 13

lesta colloque dans son église la dépouille de Gémistc Pléthon, qu'il a fait rechercher en Orient. En 1478, à Manloue, Demetrios Moschos dédie au marquis de Gonzague sa comédie grecque de Neera. A la môme époque, Ermolao Barharo lit u la lueur des premiers rayons du soleil les Idylles de Théocrite à la jeunesse dorée réunie dans son palais; Ercole Strozzi de Ferrare entreprend de chauler en grec la Guerre des Géants^ et le pore d'Ercole Strozzi, Tito-Vespasiano, exalte en hexamètres la princesse Blanche, qui compose des vers grecs ^

Acclimaté par les maîtres d'Orient ou par les maîtres d'Italie, le grec a pénétré dans chaque province, on peut dire dans chaque l|niversité et chaque cour. Et ce n'est pas une des moindres surprises de cette époque si fertile en surprises que de voir Uome, citadelle de la culture latine, ouvrir toute grande sa hihliothèquc vaticaiie aux heautés dangereuses d'une pensée pro- fane ou schismatique. Car c'est hien la Grèce entière, classée, étiquetée, mise à la portée de chacun dans un latin clair et dans des manuscrits splendides que le pape humaniste Nicolas V rèvc d'aligner dans son palais. Impatient, nerveux, hilieux, distribuant l'ou- vrage, réparlissant les journées, il met en quelque sorte la Grèce en coupe de traduclion réglée. H partage Aristote enlre Trapezuntios, Gaza, Tifernate ; donne Thucydide et Hérodote à Valla ; Diodore à Poggio; Appien à Decemhrio ; Théophraste à Gaza; IHoîémée à Traj)ezuntios ; Epictète à Perotti, Homère à Marsuppini. «Tu nous as ordonné, lui dit Valla, à nous qui parlons les deux langues, de mettre autant que possible la Grèce à tes pieds, c'est-à-dire de traduire des livres grecs en latin. » Le roi de Naples, Alphonse, partage celle passion, u S'il y avait eu, écrit Vespasiano, un

1. Sive lied faciles uumeris iiicludere versus,

Libéra sou peJibus coiiipouere verba sdIuIIs, Sive quid ijisa ])aras (jrajie uon inscia lingu.t. »

14 LK QUATTROCENTO

autre pape Nicolas et un autre roi Alphonse, il ne restait chez les Grecs aucun livre qui ne fût traduit. » Federigo di Montefellro, prince d'Urbin, achète tout ce qu'il peut acheter : Arislote, Platon, Homère, So- phocle, Pindare, Mènandre, les Vies de Plutarque, la Cosmographie de Ptoléméc, Hérodote, Pausanias, Thu- cydide, Polyhe, DémosLhcne, E;chinii, Plotin, Hippo-. crate, Galien, Xénophon, tous les docteurs et tous les pères. Avecles livres, ont fait venir les gens. L'un des premiers, Pallas Slrozzi, exilé à Manloue, entretient deux Grecs, Jean Argyropoalos et Andronic Callistos, qui, pour le consoler de ses chagrins, lui lisent Platon et Aristote : lorsqu'il se promène dans les rues, il marche llanqué des deux savants, « et il n'y avait per- sonne, ni petit, ni grand, qui ne lui tirât son bonnet». Un des derniers, le prince Alberto Pio deCarpi, héberge le Grec Marc Musuros à qui il adonné la jouissance d'un Poclere : « Ce petit bien, écrit le Cretois, suffit à tout ce qui m'est nécessaire en blé, en vin, en huile, en fromage et par sa belle position m'offre une tranquillité par- faite ^ » A Bologne, le cardinal Bessarion tient une sorte de cour érudite et d'académie mondaine, Italiens et Grecs se réunissent dans le luxe de belles salles, de beaux livres, de divins banquets. Guarino enseigne le grec à Ferrare. Vittorino l'enseigne à Mantoue. Filelfo l'enseigne à Milan. Demetrios Ghalcondylas l'enseigne à Padoue, Théodore Gaza à Naples, Constantin Las- caris à Messine.

Le grec est le complément obligé de toute éducation soignée'-. H n'est plus seulement considéré comme une parure de l'esprit, mais pour les latinistes comme une

1. « IIp^ç « vàp Ttîaav ûndipx*( tûv àvaYxafwv çopàv èntTy,8ïtov Stà Tii T-?,c 0(<7e(i>( evç'jc;, iftoy Te, |Spoji''o\>Te -/.al D.afou xai TupbtvTo;. » Fir- ptnin-Didot, Aide Munuce, Paris, ÏHlô p. .'iOiJ.

2. Il est aussi une occusinti de double giiin pour les humanistes. « Lniirentiiis Valla, raconte l'ontano, cuin ab eo qua'sissct Nicolau» Quintus PontiTex Maxiinus cur senex jain et in latinis lilteris corisu- inatns tarito studio griLM-.as disceret : ut diipliccui, iiii|uit, abs lo, l'oii- tifex, mcrcedem accipiani. » Po.fTAXo, De l'rincipe.

DIFFUSION 1J[ C.r'.KC EN IIALIE 15

iiéct'ssilé sci(Mitifîqiie. <( Sans l^ grec, aflirmo Guariiio, on 110 peut (îuiiiiailre le latin. » S'il n'y avait pas eu de letlres grec(ines, ajoute Codro Urceo, les Latins n'auraient aucune érudition'. » « Ceux qui ne se sont pas imbus des diseijdincs grcccjucs, dit Filotico, errent dans les ténèbres comme des aveugles'. » « Un poète qui ignore le grec, prétend Basini, n'est pas un vrai poète '^ » « S'il est beau, assure Carleromacbos, de se dislinguer quand on écrit sa propre langue, il est encore plus remarquable d'écrire dans ufle langue étrangère, surtout dans la langue grecque. » Aussi bien, les uns et les autres tâchent d'écrire dans cette langue givcque, ([ui au dire de Conslanlin Lascaris, est plus cultivée en Italie qu'en son pays ''. Celle-ci n'est pas seulement enseignée aux jeunes gens, mais encore aux jeunes filles : à huit ans, la i)etite Gecilia Gon- sague sait déjà lire et écrire le grec; Ippolita Sforza, reine de Naples, emporte dans sa corbeille d'épousée les Ecaiifj'des en grec ; Battista Sforza, princesse d'Urbin s'amuse avec l'humaniste Filetico de la mauvaise pro- nonciation grecque d'un de sci familiers; tellement qu'on peut assurer que, dès la seconde moitié du XV* siècle, il n'est pas d'esprit honnête qui ne sache le grec ou ne désire le savoir.

(( A noire époque, écrit Aide Manuce, on peut voir beaucoup de Gâtons, c'est-à-dire de vieillards, qui dans leur vieillesse apprennent le grec. Car des petits adolescents et des jeunes hommes qui s'y adonnent

1. « Nisi litteniî grtecnB essent, Latiai nihil eruiiitionis haberent. » CoDKo Uhi:eu, 0/jera, p. 92.

•2. « Per tenebras pi-ofecto vagantur, tamquam cieci, qui crfecis non suiit disciplinis iiubuti. » Pecci, Conlribulo alla storia tleç/li umanisli nel Lazio, p. 483.

3. « Quis ferat indocli temeraria iurgia vulgi, Diiiu piitat Ausonios Gru?cis sine posse poetas Aiiibus e niedio deducere verlice Musas Parnassi?... »

Anecdota letlerana, Rome, 1713, p. 405.

4. « Kai [xâXXov Â(5yoî aùtôiv àv 'IraXta 7\ âv 'EXXâSt âyâveio StaTicTuve- •/îï; ô'jTrjyat; xoj yévou;. » Iriarte, Regiae bibliolhecœ matrilensis codi- cen Grœci," Madrid, 1769, 2 vol., 1, p. 186.

16 LE QUATTROCENTO

lo nombro est presque aussi considérable que le nombre de ceux qui s'adonnent au latin '. » Les grands seigneurs se montrent curieux de lettres grecques; traduire une vie de Plutarque, un traité d'Aristotc, un dialogue de Platon, est une occupation patricienne; et, tandis que jadis les copistes laissaient en blanc les passages grecs, aujourd'hui il est réputé galant d'émailler sou discours ou sa lettre de citations helléniques. On échange des correspondances en grec, on compose des épigrammes en grec, on prononce des discours en grec. En 1500, Aide Manuce cl ses amis fondent à Venise une académie savante, il est défendu '< de converser entre soi autrement qu'on langue grecque ». « Que si quelqu'un s'exprime dilTérem- meat parmi nous, est-il écrit, soit à dessein, soit par inadvertance, il paiera comme amende une petite pièce d'argent. H n'est établi aucune amende pour les solé- cismes, à moins toutefois qu'ils ne soient commis à dessein et de propos délibéré-. » Regardons qui eu fait partie : on y trouve, outre les professionnels, un pro- curateur de Saint-Marc, trois sénateurs, deux cardinaux, trois médecins, un architecte, des nobles, des bourgeois, des étrangers.

III

Dans cette pénétration de la Grèce par l'Italie, les Grecs de Byzance, de Sparte, d'Athènes, du continent pélasgique et des îles, ont joué un rôle qui, s'il est moins prépondérant qu'on ne s'est plu à le dire, ne doit point cependant être négligé.

i. « Noslris vero leinpnribiis mullos licel videre Calones, hoc est, leriCH iii seiKictute gni*cc ciisrerc. Nain adolosciMilulonini et jiiveniiiiii, gruicii incuiiibcntiuiii, jnin tiiiitiis est tiiitiicriis, (|iiiirit(is coriiiii est latinJB. » Ai.DK Maxick, Préface île l'Or/funon tl'Arislule, éd. de li'Jj.

"2. « Kr Tt; îk aAA«i>; StaXiyotro f,iv juv i) iÇitî'TÔi;... ^/jixi/i jctîw à^yj^ilio-t ev, inoTTAii iv fjyr^ toCto icoimv. iloÀotxtTiiov Si |Ar, xi:t(/<o ï.',[x:a. ei \>.r, «0'' nt, ir:(r?)2«0<i)v i$a|i.xpToi xxt Zi\>:o. u Firmin-Uidot, op. c, ]>. VM'i.

DIFFL'SION DL' GREC EN ITALIE 17

La )'a[)i(le déchéance de l'empire d'Orient, la Renais- sarice contemporaine de l'Ilalie, l'Union accomplie des <leiix églises orthodoxe et catholique, la prise de Cons- tant inople par le Turc furent autant de raisons qui pous- sèrent les Grecs à passer l'eau et à venir tenter dans la Péninsule une fortune qu'ils espéraient brillante.

Quelques-uns de ces émigrés sont illustres; ils sont nobles; savants; ils sont dignitaires de l'Eglise ou de ri'jnpire; ce sontenx que l'Ilalie conserve. On a vu avec <|uel enthousiasme elle salua l'arrivée de Chrysoloras qui s'est converti au catholicisme, a snivi le Concile de Constance, y est mort et y fut solennellement enterré. Georges Trape/nntios de Crète, (ju'on trouve dès 1420 à Venise, Théodore Gaza de Salonique, qu'on trouve dès 1435 à Pise, convertis comme Manuel, sont employés par la Curie et fournissent des carrières remarquées; Argyroponlos, que Pallas Strozzi appelle à Padoue, reçoit la bourgeoisie d'honneur de Florence ; Gémiste Pléthon, qu'amène le Concile d'Union, re«joit une sépulture glorieuse à Rimini. DemetriosChalcondylas d'Athènes, qui choisit comme parrain de sa fille le prince Pic de la Mirandole, touche à Padoue quatre cents florins d'or de traitement annuel. Constantin Lascaris, que Ron- nino Mombrizio traduit en vers latins, se voit disputé par les Aragons et les Sforza. Et, plus en évidence qu'eux tous, Ressarion, en 1403 à Trébizonde, reçu en 1423 dans l'ordre de Saint-Rasile, élève de Pléthon, rompu aux finesses de la théologie et de la politique, amené au Concile de Florence par Gémiste, créé arche- vêque deNicéc par l'empereur, fait cardinal par le pape, est un prélat de haute marque et un érudit de haute culture que son intelligence fine et souple, sa connais- sance des affaires de l'Eglise, sa richesse, sa bibliothèque, son activité, mettent aux premières places de Pllalie quattrocentiste. Ayant été un des premiers à abjurer, sachant le latin, causant, ouvert, tout à fait italianisé, il est resté Grec par sa tournure- d'esprit, sa culture 11. 2

18 LE QUATTROCENTO

philosophique et la longue barbe qu'il a voulu garder et qui lui coûta peut-être, à la mort de Nicolas Y, le trône apostolique. Tel quel, il sert de trait d'union entre les deux pays, rapproche les deux dogmes et les deux sciences, présente les deux peuples l'un à l'autre dans les salles de son palais, travaille à maintenir le décret d'union, propage l'idée d'une croisade contre le Turc et meurt à Ravenne en 1472.

Mais, à côté de cette élite intellectuelle, il faut placer la foule innombrable des Grecs dont nous ne savons ni le nom, ni la vie, qui végètent dans la misère et l'ano- nymat, véritable prolétariat de cette immigration con- sidérable; calligraphes, scribes, copistes, proies, don- neurs de leçons, coureurs de cachets, maîtres d'école.

Ceux-là, qui font profondément pitié, sont bien les relliquias Danaiim, au gré de la vague et du vent, qu'a dits le poète. Ils ne savent quoi faire ui aller. Dans leur pays ils sont la proie du Turc; en Italie, ils sont la proie du mépris. Ils ignorent l'italien; ils ignorent le latin; toutes les places sont pourvues; leur science est dépassée, et ils errent de ville en ville, de cour en cour, à la recherche d'un travail, d'une aumône, d'un morceau de pain'. En vain le cardinal Bessarion épouse-t-il leurs intérêts et se montre-t-il leur provi- dence'*, leur nombre est si considérable et leur misère si évidente qu'une noble dame de liyzance, Anne Nota- ras, elle-même réfugiée en Italie et iiancée de Cons- tantin Dragasès, songe à réunir toutes ces épaves dans un château de la campagne siennoise, Monte-Acuto, UiS uns et les autres auraient formé une colonie et se seraient gouvernés d'après leurs lois-'. Il faut entendre

1. < Sunt enim larriinal)ilis pars Constantinopoli naiifragii, (|ui se et suoH ab ipsis Turcis rediiiicrc cupiciites coguntiir uicndicure (|uum oiiserriine. j> Fii.klko, h'p. XII.

2. « Miscrntijs (Jru;coruiii cnlainitatctu, iniiltn niitiiinoriuii inilia aureo- rum pro rcdimendis cantivis expendit; piiellns imiltas aerc propriu dote facta nuptiii collocat. hiopcs et vaietudinurios cuntiauo juvat... » 1*la- ii!«A, l'anem/ricUH in iSessarionem.

3. Voir lacté paitsé le 22 juillet 1472 entre la Ht^publique de Sienne «t Anae Notaras, dan» Gaye, Cartegyio, etc., |). 247.

DIFFUSION DU GREC EiN ITALIE 19

leurs quérimonies et suivre leurs odyssées. L'un d'eux, copiste anonyme, signe mélancoliquement le « Persé- cuté des Erynnies » ; Michel Apostolios, dont les enfants vont de porte en porte mendier le vin, l'huile, les souliers, s'intitule «le Roi des Gueux ^n; tous mènent une vie itinérante d'hommes inquiets, ne trouvant jamais leur place, ne faisant jamais leur siège. On rencontre Trapezuntios tour à tour à Vicence, à Venise, à Rome; Gaza à Pavie, à Mantoue, à Ferrare, a Rome, à Naples; Ghalcondylas à Padoue, à Florence, à Milan; Constantin Lascaris à Milan, à Naples, à Messine. D'aucuns partent : Andronic Callistos va en France, Jean Lascaris va en France, Constantin Las- caris rentre en Grèce, et, comme un orage l'a rejeté sur les côtes de Messine, il y songe tristement aux amertumes de sa destinée et à la condition misérable de ses com- patriotes au milieu des Italiens : mieux vaudrait se trouver parmi les carrières de Philoxène ! « C'est grâce à l'avarice des princes, écrit-il, que Théodore Gaza, ce savant accompli, a été contraint d'aller mourir obscu- rément dans l'exil de Policastro en Calabre. C'est par suite de cette môme avarice qu'Andronic Callistos a chercher un asile dans les lies Britanniques, il est mort sans amis ; que le savant Francoulios s'est éteint je ne sais en Italie; que Demelrios s'est vu obligé de retourner dans sa patrie et de subir le joug des Barbares. Je passe sous silence mon savant maître Argyropoulos, pauvre en pleine Rome et vendant ses livres pour se procurer le pain quotidien. L'esprit obsédé par de pareilles pensées, je suis assis, contem- plant cette mer aux sombres abîmes, Charybde et Scylla et ce dangereux port de Messine, souffrant de rester, pleurant de ne pouvoir partir, ne sachant ce que je dois faire, ni vers quels lieux me diriger'! »

1. « BaffiXs'Jî Tôiv xrjSe Tztvt\-:u>v. »

2. « 'Il [jiàv YàpiwvTvpavvclûvTtov çetSwXt'a ©sdSwpov è; axpov it(i(TY)C «xo- spt'a; èXïiXaxôxa è; KaXaèpiav àuriXaere xai èv IIoXuxâpTiw àSôÇo); 6avetv Tivâyxaffev, 'Avôpôvixov Se xbv KâXXKjTOv è; xà; BoETxavixà; vTJaovî, OTtou

20 LE QUATTROCENTO

Tous CCS Grecs, petits cl grands, illustres ou incon- nus, s'emploient comme ils peuvent. Ils apportent des livres qu'ils brocantent. Ils copient. Lorsqu'ils savent le latin, ils traduisent. Ils se mettent au service des imprimeries : Demelrios de Crète imprime le premier la grammaire de Lascaris, Gaza donne Aulu-Gelle, Chalcondylas Homère, Zacharie Callergi le Grand éty- mologique ; Aide Manuce entretient non seulement des savants grecs, Musuros, Apostolios, Decadios, mais des typographes grecs. Us enseignent, soit dans des mai- sons privées, soit dans des chaires publiques : Trape- zuntios, Gaza, Argyropoulos, Chalcondylas professent. Quelquefois, raronienl, ils sont poètes, en latin comme Michel MaruUe ou Manilius Rhalla, ou bien en grec comme Demelrios Moschos, à qui nous devons des élégies, des épigrammes, un poème, VEnlève- rnent d'IléU-nc, une comédie, NceraK Ils composent des grammaires : Manuel Chrysoloras donne ses Ero- teihata; Théodore Gaza, ses Introdnctivœ grconmatices libri quatuor ; Constantin Lascaris, son Abrégé des huit parties du discours. Ce sont autant de services véri- tables qu'il convient de rjconnaîlre, qu'il convient de ne pas exagérer.

Car, si les Grecs ont contribué à l'essor de l'hellé- nisme au sein de l'Italie, ils n'ont point créé un mou- vement initié avant eux, auxquels ils ne firent que prêter leur industrie, qu'ils n'élaient pas de taille et d'humeur à produire; et Constantinople n'aurait pas été prise par le Turc, que l'Italie aurait sans doute

eO.Mv 'é(>r,(Ao; -riOvr,'.:, Wpavy.ov/.Kiv Sî. à'vSpx aofov, o\ja oiS'ÔTtou rf,;

IraXta;, Ar,(i.Y,Tpio/ Se à; ttjV Tra-rp'Sa iirxvri/îtv [iapôipot; SùvXeJovta. Ila- ùxt.tiizu) ?i Tov «joçôv i\i.o'j y.aOr,YV,Tr,v 'IioàwrjV tôv 'ApY-jp&Tto;j).ov iv \i vr,

I*o>|iT, TtîviiAîvov -/.ai /aO'é/.iT:y,v Ti; éavTOj [i;^),o-j; à7roôioô(ji.svov... llzv:à çpoj?à Y.x'. |xeTaii.î(iopf(i);i.fva' TaOra xai ta TOiaCra t./îiroÀMV y.x.r,;jat "ipniv In'i ry.'tonx itovTov xa; rr,'/ Tr,y ç'i/.rv i^/.j)."/.r, / xai .\ v tv xai T'c iTttxtvîw'.TaTov TOJTov TtopOîX'jv, à/.Y'ôv uïv T<i) |iiv:iv, Sax" ',u)i 5: •:u) air, r.'j- vaiOatTt/.fjTai, dTtopmv 2'oti ttoiï-v )rpr, y', ojroi ff,: "tit. » Iriarlc, liet/iœ Ui- bliot/ieriK M itrUensis Cuilices f/rwci, Matlriil, 17(1 1. I. p. 2i)l.

i. Sei'lra, lioml.lie toi Djimlrioi Match n VJii Licdd'imoii, pub. par A. EUiMen, lluuuvrc, lHÔ'J.

DIFFISIO.X DU GREC EN ITALIE 21

accompli la nirmo doslinée. Bien avant cette calamité, dont on a voulu l'aire une date littéraire, l'Italie, inquiète de savoir, s'était mise à l'œuvre avec une curiosité et une énergie qui lui laissent le principal mérite de la conquête intellectuelle de l'Orient; elle est partie d'elle-même, elle a recueilli des livres, elle a appelé des maîtres, elle a créé des chaires, elle a produit des savants. C'est' en 1453 que Constanli- nople a été prise : or Trapezuntios est en Italie dès 1420; Gaza dès 1435; Pléthon dès 1438; Argyro- poulos dès 1441 ; Ghalcondylas dès 1447. En 1423, deux patriciens de Venise saluent l'empereur Paléo- logue eu grec ; en 1439, Tltalien Leonardo Bruni salue l'empereur Paléologue en grec; en li39, l'Italien Am- brogio Traversari rédige le décret d'union en grec. Leonardo Bruni a fait venir une riche collection de livres de Chypre et d'ailleurs. En 1417, Nic- colù Niccoli a acheté à Aurispa un manuscrit qui cantient Thucydide, sept tragédies de Sophocle, dix d'Eschyle, l'Argonautique d'Apollonius '. Pallas Strozzi possède la Co^mofjrdphie de Ptolémée, les Vies de Plutarque, les Dialogues de Platon, la Politique d'Aris- tote. Aurispa possède l'œuvre historique de Procope, VAi't de chevaucher de Xénophon, quasiment tout Démosthène, tout Platon, Diodore, Strabon, Lucien, Cassius. Guarino possède tout au inonde^. Et Federigo di Monlefeltro, propriétaire « de livres grecs infinis de dillérents auteurs », n'attend pas qu'on lui apporte: il l'ait chercher lui-même. Aussi bien, ce qu'il y a

1. Lorsqu'Aurispa meurt, Bartolommeo Brunacci s'émerveille de son tiTsor de livres. Il ocrit, entre autres, au marquis de Mantoue : « Nihii enim tam antiquum, nihil tam novum. niliil denique tain manifestum, taniqiie occultum inveniri apud Gnecos nostros jam diulissime potuit qiiod hic non sit, imo pleraque etiani reperies, qua; incopnita omnibus ubicumque sunt. » Giorn. stor. lell. it., 16, p. 149. Cf. Travehsari, Episiolm, p. 1020 et sq.

2. Ari.stote, Diogène, Laërce, Plutarque, Homère, Isocrate, Pindare avec les scolies, Lucien, Eurinide, Escnyne, Platon, Démosthène, tout Xénophon, Hérodote, Esope, Plotin, huit comédies d'Aristophane. H. Omont, Les Manusct-ils grecs de Guarino de Vérone, Revue des Bibliothèques, Paris, 1892.

22 LE QUATTROCENTO

de significatif dans cet échange de l'Orient et de l'Occident, ce n'est pas ce que les Grecs, chassés par la prise de Constantinople, ont apporté en Italie, c'est ce qu'ils y ont trouvé.

En face de la Grèce déchue, mendiant le pain et les alliances, mal au fait de la culture latine et de son propre passé, l'Italie nouvelle, au cerveau rapide et aux yeux ouverts, grandie, active, centre d'un mouve- ment intense qui se propage en ondes larges par le monde, a le droit de lever la tête. Elle le fait sans pitié. Car, en définitive, en dépit de quelques admira- tions clairsemées, de quelques hommages affectueux d'élèves à maîtres et de patrons à serviteurs, c'est d'un suprême sentiment de mépris que sont animés les humanistes savants et cossus d'Italie envers ces pauvres réfugiés mal en point'. Ils ne sont pas orateurs et éloquents; ils sont, lorsqu'ils sont, théologiens et sophistes. Us ne goûtent pas Cicéron a l'exemple d'Argyropoulos, qui s'avise de montrer que Cicéron est un âne et qu'il ignore non seulement la philosophie, mais le grec. Le souci de la perfection artistique et de la forme littéraire les atteint h peine. Ils ne sont point poètes. « Tu ne trouveras pas, dit Politien, depuis six cents ans, un poème fait par les Grecs qu'on puisse hon- nêtement lire^. )) (( Quoi qu'il en soit, ajoute Filelfo, je ne vois j)ersonne chez les Grecs qui se délecte de vers-^ » Venise ne rencontre pas un volume de vers dans les neuf cents manuscrits que Bessarion lui a légués, et Aurispa peut emporter de Constantinople tous les ouvrages profanes qu'il lui plaît''. Ils ne se souviennent

1. « Si vero Gripcorum nnturam, mores, vitani. nerfuliam, desidiam, avaritiam expendas. digni inihi onini supplicio viuenlur. » Poooio, De mùerin condiliouis hujnanri', p. 89.

2. « Non enim poeina rcpcriliir ulliiin cilra sexconfos annos a Gmecis condiluni qnod patienter h'fins. » I'oi.hik.n, Kpi.it. V. 1.

3. « rirnn(jiie rc» habetur, mine iiuiid Gra-cos n(Miiincm video qui veriibiiM delertetur. » Fii.klko, Kpisl. XIV.

4. « Kl kI Gni'conim nonniilli nialevoli me Bwpissime accusarant quod Lrbcm iiinm libri» cxpoliasseni sacris, çfcnlibbus enim non lann «randc crinien videiiatur. » V(tir Thavehsahi, hpislulœ, p. 1027.

DIFFUSION DU GREC EN ITALIE 23

d'avoir ('té grands que par une habitude do souplesse et de subtilité gardée dans le domaine de la spéculation. Byzance n'est plus Athènes, et quoi qu'un Guarino ou un yEneas-Sylvius puissent penser de sa culture si curieuse, on mesure surtout la distance qui la sépare de l'Attique. Si l'on ne veut plus, comme Pétrarque, encore croyant, que cet empire, siège d'erreurs, soit ruiné, on sourit, on rit surtout de ces Grœcttli esurientes de ces fallaces atque inerti Grœcnli qui encombrent la

Péninsule.

On ne se lasse pas de dauber leurs habits, leurs che- veux, leurs barbes, leur inertie, leur ignorance. « Moi, dit Lapo (la Gastiglionchio à Florence, je ne peux jamais regarder ces hommes sans me mettre à rire... Ils sont entr'eux si dissemblables d'habits, de modes, de corps, de ligures et de tout, si ridicules à voir, qu'il n'est personne de si chagrin et de si sévère qu'il ne puisse s'empêcher de rire en les voyant*. » Niccolô Niccoli, d'humeur moins aimable, les appelle simplement « barbes pouilleuses »>. A Rome, devant eux, Leonardo Bruni met son doigt dans su bouche. « Moi, je me ferme la bouche avec le doigt, et je ne sais me tourner. J'ai vraiment peur que, comme un jour les Ghald(^ens de Rome, les Grecs ne soient aujourd'hui expulsés de la Gurie pour toutes leurs inepties -. » A Naples, c'est le nez que Pontano se bouche : Ho$ ventris crepitibus shniles^ dicebat Anto- nius; nnres tantum offendere, cœtera ventiim esse si qui- dem ventosos esse ac piUridos'-^. « 11 y a certains jeunes gens, ajoute t-il, qui, parce qu'ils viennent de Grèce, ne sachant d'ailhyurs ni grec, ni latin, sont des plus

1. « Ego hujusmodi homines nunquam sine risu aspicio... Omnes inter se habitu, cultii, forma ipsa corporis et figura, rebusque omnibus dissimiles, plerosque aspectu ita ridicules, ut nemo sit adeo severus et trislis qui risu m aspiciens contineret. » Lapo da Castiolioxchio, De Ciiriœ ronianœ comodis.

2. « ... Ego digito compesco labellum, et quo me vertam nescio. Vereor enim ne ut olim Chaldsi ex urbe romana, ita nunc Grœci ob has inep- tias e curia pellantur. » Bruni, Epist., 1, 15.

.3. Pontano, Opéra, p. 1203.

2i LE QUATTROCENTO

glorieux. Mais ote-leur leur barbe ef. leur bonuel, ils n'auront plus rien de grec. Ils foulent aux pieds le discours grec et latin. Dès qu'ils sont avec des Grecs^ ils se taisent, mais avec des Latins, c'est admirable de voir combien ils se fâchent à la grecque et entrent en fureur à propos de tout*. » « Ce que les disciplines grecques comptent de savants, conclut-il, vit chez nous en Italie-. » Politien leur reproche leur jactance, leur suffisance, leur enflure. « Cette nation, affirme-t-il^ s'imagine que nous possédons les bagatelles de la litté- rature, elle la moisson: nous les rognures, elle le corps; nous les coquilles, elle le fruit^. » «J'ai entendu, dit-il encore, tout ce que la faim a envoyé chez nous de l'Athènes ignorante ; c'est une race bonne pour les oreilles de Midas^. »

Et de fait il y avait trop de distance entre le carac- tère italien ouvert, joyeux et tin et cette race dégéné- rée, au sang pftle, qui promenait dans les rues des cités actives sa pompe de colifichet et sa morgue taciturne. L'Italie eut vite fait le tour de ces intelligences trop souvent figées, lentes à comprendre, rétives à s'assi- miler la langue, le tour, l'esprit du pays qui leur don- nait asile. Et lorsqu'elle en eut exprimé le suc, elle jeta loin les gousses.

1. «Esse autem nostrateis quosdam adolescentes, cosque nuper e Grecia rediisse, qui cum nec Gm'ce sciant, nec Latine, esse tamen glo- riosisbinios, qiiibiis se harbain, pilleolumque adenieris, nihil omnina Gra'cuin habeant. >

2. « Quiquid eninti doctorum habent griecœ disciplina; in Italia nobis- cum viclitat. »

3. <i Nos cnini ((uisquiiias tenere litterarum, se frnf^em ; nos pi'a>- segniina, se corpus: nos putaniina se nucliMiin crédit. »

4. « Quosquos fanics opicis ad nos cmisit Atbcnis

llos audi : gens est auribus apta Midir. »

l'ilUTlP.N.

CHAPITRE II

LA r.OlR DE LALRKNT DK MÉDICIS

I. Florence, capitale de l'hellénisme italien et centre d'un nouveau moment de culture.

II. Laurent de Médicis. dit le Magnifique. Complexité de son carac- tère. — Sa position et sa politique. Son esprit. Sa volonté. Son charme.

III. La Florence de Laurent. - Les Médicis : le palais, la ramille, les enfants. Familiers du palais. Charme et cordialité de la vie quo- tidienne : les soirées, les villégiatures, les jeux. Les éléments dra- matiques étoutfés parla joie. Les fêtes : le carnaval, le Calendi- ^nfif/did, la San-diocaïuii ; joutes, bals et entrées triomphales L'art et i.i beauté. Les poètes et les savants. Désinvolture et grâce de la science. Florence, nouvelle Athènes.

IV. La poésie contemporaine. En dehors de Florence : Tito-Yespa- siano Strozzi, Hattisia Spagnoli, .lacopo Sannazaro. - A Florence : Naldo Naldi, (Iristoforo Landino, Miihel Marulle, Cantali/.io, Crinito, Hraccesi, Scala, Verino. Caractères de la poésie latine de la fin du Quattrocento : elle est lyrique et courtisane. La poésie de Poli- tien. Comment et pourquoi le moment n'est pas favorable à une véri- table poésie.

V. L'érudition contemporaine. A Florence : Polilien, Landino, Scala, Fonte. Hucellai, Crinito. Au dehors de Florence : Domizio Calde- rini, Paolo Cortese, Girolamo Donato, Krmolao Harbaro, Codro L'rceo, Filipuo Beroaido, Merula. L'imprimerie et son inlluence sur la science Editions princeps. Premiers monuments scientifiques.

I

Si la culture hélloniquo envahit l'Italie entière, c'est à Florence que cette culture porta ses fruits les meilleurs.

C'est à Florence que se réunit rAcadémie platoni- cienne ; c'est à Florence que paraît en 1470 la traduc- tion de Y Iliade de Politien, à Florence que paraît en 1477 la traduction de Platon de Marsile, à Florence que paraît en 1488 l'édition princeps d'Homère de Chal- condylas. Pendant quinze ans, le Grec Jean Argyropou- los y verse « la sagesse de sa bouche d'or » ; And rouie Gallistos, Demetrios Chalcondylas, Jean Lascaris suc- cèdent à Argyropoulosavec le Toscan Politien. « A Flo- rence, écrit Ugolino Verino, tout ce qu'il y a de savant s'est réfugié après le naufrage de la Grèce comme en

26 LE QUATTROCENTO

un port certain'. » «A Florence, écrit Cristoforo Lan- dino, la force de l'esprit et de la science est si grande, il y a sur le même point tant d'opinions variées, dis- putées avec une telle subtilité qu'il semble qu'entre ses lares magnifiques aient émigré l'Académie, le Lycée, le Portique '... » « A Florence, écrit Politien, les enfants de la première noblesse parlant l'idiome attique si pure- ment, si aisément, si promptement qu'on ne croirait point Athènes détruite et occupée par les barbares, mais qu'Athènes a émigré à Florence avec son sol et son bagage et que Florence l'a complètement et totale- ment absorbée -^ »

Ainsi hellénisée, Florence est le centre d'un nouveau moment dans l'histoire de la culture italienne, la science a fait un pas, la poésie accompli une étape et l'esprit semble marcher dans une autre direction. Le latin est toujours honoré sans doute, et il nous con- viendra d'examiner ici son service et son œuvre; mais désormais, dans les études, au-dessus du latin, comme préoccupation dominante de l'érudition et forme supé- rieure de la culture, règne le grec.

Cette Florence est la Florence de Laurent de Médicis.

II

Le 3 décembre 1469, Pierre le Goutteux, qui pour queh|ues années seulement avait succédé à Gosmc de Médicis, était mort.

1. « Ex totius GracciiB naufragio hue velut ad portuin tutum doctis- sinius qiiisque einersit. »

2. « Tanta erat optimorum ingeniorutn atque eruditonim vis, totquo eadem de re, tamqiie vari.i'. opiniones, lanla denique subtililate dispu- tatm, ut intra ina/^'niflcos ilUis Inrcs, non modo Acudciniain, I^yceiiinque ac postrcinuin l'orlicum, ipsain Allienis migrasse, sed omacm Pari- sienscm scholam iiluc convcnisse putares. » liandini, Spécimen litlera- turw. ftorenliniE, Florence, 1748, 2 vol., I, p. :i'.).

3. « l'rim.'i; tio|>ilitatis piicri ila siiiccrc atlico serinone, ita facile expcdilc loqimnliir, iil non dck-la; jam Athena; alque a barbaris occti- pauu, »ed ipsui siia sponlc ciim proprlir avulsa* solo, ciimqiiu omni, lit Hic dicerim, sua siipcilectilo, in Klorentiam urbcm immigrasse, at(|uc ■e toiu» pcnilusque infundisse videantur. » I'ouitien, Opéra, Lyon, io;{3, 3 vol., III, p. 64.

LA COUR DE LAURENT DE MÉDICIS 27

(( Le second jour de sa mort, écrit Laurent de Médi- cis, quoique moi, Laurent, je fusse très jeune et de vingt et un ans d'âge seulement, les principaux de la cité et de rp]tat vinrent à la maison s'affliger du malheur et m'exhorter à prendre le souci de la cité et de l'Etat, comme l'avaient fait mon aïeul et mon père, laquelle chose, pour être contraire à mon âge et de grande charge et danger, j'acceptai mal volontiers, et seulement pour la conservation de nos biens, parce qu'à Florence on peut mal vivre riche sans l'Elat'. »

La scène change. Quelque chose de hardi et de bril- lant vient d'apparaître. Ce n'est plus un vieillard pru- dent et ce n'est plus un inlirme reclus qui tiennent en main la chose publique. C'est un adolescent volon- taire et joyeux. Et autour de lui, le monde a son

âge-

Les vieux humanistes, les vieux grammairiens, les

vieux peintres, qui, pendant un demi-siècle, avaient

rempli l'Italie de leur œuvre, sont morts. Poggio est

mort. Valla est mort. Guarino est mort. Donatello,

Ohiberti, Brunelleschi, Fra Lippi, Fra Angelico sont

morts. Et l'austère Sant-Antonino est mort qui, parmi

les rues bordées de loggias et de fête, allait renversant

les échiquiers et les cornets des joueurs. Place à la

jeunesse ! Place à la joie ! Place à une érudition qui

n'est plus qu'un jeu, à un art qui n'est plus qu'un

sourire, h une pensée qui ressemble à une volupté!

Une génération nouvelle s'est levée. Une heure d'aurore

et de printemps resplendit. Et depuis un an Florence et

l'Italie sont en paix,

Laurent est jeune. La destinée voudra qu'il le reste

1. « 11 secundo di dopo la sua morte, quant unqiie io Lorenzo fossi molto giovine e di età a anni 21., vennono a noi a casa i principali délia città e dello stalo a dolersi del caso, e conforlamii, che io pigliassi la cura délia città e dello stato, corne avevano fatto l'avolo e il padre mio, le quali cose per essere contre la niia età, e di gran carico e peri- colo, mal volentien accettai, e solo per conserva degli amici e sostanze nostre, perché a Firenze si pu6 mal viver ricco senza Io stato. » Angelo Fabroni, Luurentii Medicis vita, Pise, 1184, 2 vol., t. I, Docum., p. 42.

28 LE QUATTROCENTO

jusqu'à la fin, peiulant sa courte vie humaine, durant sa longue carrière historique. Car, en définilivo, n'est- ce pas une impression d'irrésistible et triomphante jeunesse qui demeure attachée à l'apparition de ce prince, couronné des Heurs de la poésie, à qui une suite de poètes, de lettrés, d'artistes adolescents fait escorte, qui couvre Florence d'un manteau de heauté, qu'on appela le Magnifique, et qui ayant tout senti, tout connu, tout voulu, meurt en pleine gloire avant ses quarante-quatre ans accomplis?

De la nuit des siècles, sa figure ressort ceinte de lumière. Il suffit qu'en l'évoque pour qu'on la voie. Il j)asse à cheval paimi les champs d'oliviers et de roses de Toscane, entouré de ses chiens, de ses veneurs et de ses favoris; il se dresse au détour d'une allée de Careggi la main posée sur l'épaule de Pic de la Mirau- dole ; il rêve sous les étoiles aux mystères de l'amour et de la mort devant une fleur de Glizia tournée du cùté du soleil disparu ; ou il penche son front pensif sur un débris antique ; ou il sourit à u: e petite chanson de villandla; ou il rythme du doigt la musique d'un cmito carnascialesco. Et quoiqu'il fasse, quoiqu'il dise, ou qu'il apparaisse, il unit selon son ami le platonicien Marsile ces trois grâces de clarté, de joie et de Verdeur que chanta Orphée, à savoir : clarté d'esprit, joie de volonté, verdeur de corps'.

Peu de personnalités ont paru aussi éiiigmatiques. Aucune n'a été plus disculée. Aucune n'est demeurée mieux vivante. De cette époque d'hécatombes que fut son temps, Laurent de Médicis, tour à tour haï et porté au pavois par quatre cents ans de passions et de recherches, subsiste. Bien mieux, il incarne. On dit le siècle du Magnifique comme on dit le siècle de Léon X.

1. « Tre» illns gralinH... qu.i' nh Orplieo (li>s(-ri))iintur, scilicet splcn- (iorotr:, lii'titiiiin, viriditatcm ; .splcndoroiii, ini|uiiiii, iiicnlis, lii>liliaiii Vdlrinlnlis, viriditiiteiii curporis et fortunui. Aspirant jniii ex alto lui; (iratiu; Laurcntio. » Fici.'i, O/iera, I, p. 622.

LA COUR DK LAUIŒNT DK MÉDICIS 29

l^]l de fait il semble accueillir et accorder en son unie décevanle les mille aspects et les mille contrastes de cette Florence ouverte, impressionnable et mobile, placé (' au centre du Quattrocento.

C'est un prince luxueux et fastueux comme un roi soleil de Tavenir ; et, du même coup, c'est un bourgeois de vertus prudhommescjues comme ses aïeux les mar- chands. C'est un philosophe qui se complaît aux pures extases des dialectiques platoniciennes; et, du môme coup, c'est un diplomate dont la main régit les fils subtils de la politique contemporaine. C'est un chrétien qui chante en chevauchant sous le soleil des litanies d'église; et, du même coup, c'est le païen «merveil- leusement enclin aux choses de Vénus »> que nous a dépeint INIaciiiavel '. C'est un poète, initié, dirait-on, à la moindre nuance de l'émotion la plus pr.3cieuse, et c'est aussi le tyran cruel qui commande le sac de Vol- terre, dérobe la d(U des filles orphelines, ordonne des supplices et des pendaisons. Le passé, l'avenir et le présent; toutes les inlluences et toutes les cultures, tous les germes et tous les dépôts, toutes les traditions et tous les pressentiments se rencontrent, s'amalgament, se combinent dans cette personnalité partagée.

Tandis que Cosme n'était qu'un commerçant judi- cieux, Laurent a reçu une éducation royale. Il sait le latin. 11 sait le grec. Il connaît les philosophies et les histoires. Il a voyagé, assoupli son corps aux joutes et aux escrimes, |)rati(|ué le gymnase, fréquent;' l'Aca- démie ; et cependant on se tromj)erait de vouloir consi- dérer le Médicis comme une plante rare, grandie dans la serre chaude de l'école ou de la cour. Si le chanoine Gentile dei Becchi, le grec Agyropoulos, le poète Lan- dino, le platonicien Ficin ont cultivé cette jeune ûme de leurs mains savantes, ni les uns ni les autres n'ont

d. A Rome, un cercle de monsignori l'accuse « d'andare di notte spia- cevoiegiando a femiue e facendo legereze che facevono vergognare. » bel Lungo, Florenlla, Florence, 1891, p. 212.

30 LE QUATTROCENTO

réussi à la dévier de ses origines. Et à admettre que Laurent soit le lils exclusif de quelqu'un, à coup sûr il le serait de sa mère, la vieille Lucrezia ïornabuoni, qui fabriquait dans l'idiome local des sonnets facétieux et des laudes dévotes.

Comme Lucrezia, Laurent est du côté du peuple. Sa nature est robuste et plébéienne. Elle va sponta- nément aux humbles, au popolo minuto^ à la gent de la campagne et de la rue dont il aime les façons, dont il connaît les histoires, dont il garde l'alacrité, l'esprit en saillies, la longue songerie silencieuse, dont il pra- tique la foi d'habitude, dont il possède l'escient et dont il partage le goût pour les farces et le vin. Qu'on regarde ce corps, rude, fruste, aux ossatures mas- sives, au profil presque bestial, équarri à coups de serpe * : c'est celui d'un paysan, mais d'un de ces pay- sans de Toscane, dont le proverbe dit qu'ils ont « les souliers gros et les cervelles fines ». l-lt ce que Laurent était de tempérament, de race et d'instinct, il prétendit le rester, moins peut-être par politique que par véri- table sympathie.

Alors que sa place serait marquée chez les princes, il fait sa société ordinaire du pauvre compagnon Luigi l'ulci, qui lui dit : « Tu es notre coco! » Et alors que la langue patricienne est le latin, et qu'il possède le latin jusque dans ses élégances, il écrit en italien, et non seulement ses lettres et ses papiers domesti(iues, mais encore ses poésies. Le beau langage, les belles manières, les belles le<;ons n'ont point altéré ni appauvri cette riche santé de carrefour. Pareillement l'humanisme n'a pas réussi à confisquer ce génie souple, vivace et univ(;rsel. Autant et plus (jue par les livres, Laurent a été formé par la vie. « Prends garde d'être homme et non gan;on"^! »> lui répétait son père comme averti de

1. Dans In iiiédaillc dn Fiorciilirio. Dans le portrait dn Vasari. Dor- nléronurnl, KIorcncc a uxhuniù «en n-sles à la chapelle de Saint-I^aiirenl. Le crâne, au faeieii hriitai, rénond liien aux porlraits de i'ép(>(|ue.

i. « Fu'coiilu d'e«8crc veccliiu inuunzi ul leuipu, chè cusi ricbiede il

LA COUR DE LAUIŒM" DK MKDICIS 31

sa mort prématurée. Laurent a suivi le conseil. A seize ans, il a impressionné la cour du roi d'Anjou par son joli habit taillé ù la française et par son naturel réflé- chi. A dix-huit ans, il a déjoué sur la roule de Garejj^gi, par sa seule présence d'esprit, la conjuration de Uioti- salvi Neroni ourdie contre son père, il a composé des vers dans le goiit de Pétrarque. 11 a remporté dans une joute publique un casque ouvr(' par Pollajuolo.il a été mandé ambassadeur à Pise, à Rome, à Milan. Il s'est marié, ou plulùt « on l'a marié » avec Glarice Ursini. Aussi bien, lorsque les grands de Florence vinrent à son palais lui apporter ce qu'ils appelaient « l'iillat », ils trouvèrent à qui parler. Ccl adolescent sérieux, curieux et judicieux n'était plus un gar«jon. Et comment il accueillit, développa et coniirma celle puissance ter- rible (|ui lui était olVerte, sans doute consolidée par la sage administration du vieux Cosmeel une suite d'évé- nements heureux, mais encore instable, sujette aux coups de bascule de la forti::u', la proie d<i jalousies ou de rancunes, il faut, pour le comprendre, suivre cette foule en délire qui, le jour de la conjuration des Pazzi, se masse sous son palais et l'acclame en un seul cri ' .

Evidemment, Laurent est prince. « Ledit Laurent de Pierre de Cosme de Médicis, écrit un contemporain, s'était fait chef de ladite cité et tyran, plus que s'il en avait été signore à la baguette, et toujours il menait avec lui, lorsqu'il allait dehors, dix estaliers, avec l'épée et en cape, et un de ces dits estaliers, qui s'appe- lait Salvalaglio, allait devant avec l'épée comme escorte, et il était citoyen de Pistoieet homme de belle vie

bisogno. » « E per dire con iina paroia, a te bisogna far conto essere huomo e non garzone. » Fabroni, op. c, doc, p. 52.

1 Voir, parmi tant de récits contemporains de la Conjuration des Pazzi, celui de Poiitien. De Conjuvatione pacliana.

•1. « Detto Lorenzo di Piero di Cosimo de'Medici s'era fatto capo di detti Ciltà, e tiranno, più che se fussi slato Signore a bacchetta, e sem- pre menava seco quando andava fuori 10 staffieri, colle spade e in cappa, e imo che si chiamava Salvalaglio di detti staffieri andava innanzi colla spada per iscorta, ed era cittadino prstolese, e uomo di

32 I E OL'ATTHOCENTO

Lorsqu'il voyage, les magisUals des villes qu'il tra- verse apportent à son cortège l'hommage de discours, de fruits et de vins. Les seigneurs, les monarques, les papes le traitent en égal ou en m ai Ire. Le roi de France, Louis XI, l'appelle « mon cher cousin » et reçoit ses ambassadeurs tète découverte. Le sultan de Turquie lui renvoie de Constantinople le conjuré Randini, C'est dans son palais que sont logés les hôtes de marque, en son nom que sont conclues les alliances, à ses frais que sont payées les fêles splendides qui embellissent Flo- rence, tellement que les armes de la cité ne sciuiblent plus ce Marzocco, dont le rugissement effrayait le monde, mais ces palle légères de l'écusson des Médi- cis, à qui la France a donné ses lys. Ln même temps, Tunique souci de ce puissant est de dissimuler sa puissance. Ainsi que son grand'père Cosme, il n'exerce aucime charge ofhcielle. 11 ne possède aucune autorité légale. Il est vêtu comme le premier citoyen venu, en hiver, d'un capuce violet; en été, du simple lucco^\ il cède le pas, dans la rue aux vieillards; il se dérobe devant les honneurs et les bravos. Sa maison, si magni- lique soil-elle, n'est pas la plus ample de Florence; il y vit tout simplement, étonnant le lils du pape, Frances- chetlo (^ibo, qui esl son geiulre, par la modicité de ses menus et de son train. 11 défend à ses lilles de porter certaines étoiles précieuses que d'autres bourgeoises, moins hu|)pées. arborent constamment. Il signe « Lau- rent, citoyen de Florence ». Et il mande à son fils IMerre à Home : « Comporte-toi gravement et honnête- ment et avec iiumanité avec les autres, (jui sont tes égaux, le gardant de les précéder s'ils ont plus d'âge que toi, parce que pour être mon fils tu n'es pourtant

bella vitu. » Cambi, l)elizie det/li eruditl luscaiii, Florence, 1780, XXI. p. 65.

1. « Dello Lorerizo andavii il verno in miintcllo o. (•appuccio pagho- oazzo, cunic ^U allrt cittailini. e (piandu era con citladiiii di pin tempo di lui, senipre dava loro la niano ritla, e s'erano pin di dn(>, nieltova in mezzo clii aveva più teuipo ; e la statu andava in lucchu conie gli altri. n IL.

LA COUn DE LAURKNÏ DK MÉDICIS 33

rien autre que citoyen de Florence, comme ils le sont enx tous'. » La conscience de sa force semble lui manquer. Jamais il ne se repose de l'accablante fatigue d'ôtre toujours dispos, toujours empressé, toujours aimable envers chacun. Jamais il ne prolile des situa- tions acquises comme s'il les avait toutes à conquérir. Jamais, en dépit de ses richesses, de ses alliances et de ses eshiliers, il ne se considère comme arrivé. Il arrive chaque jour. En quoi, d'ailleurs, il ni' fail que conti- nuer la tradition de sa famille.

Confondre si bien les intéièts d'une dvFiastie et les inlcrèls d'une république qu'on ne sache plus l'une commence et l'autre finit, ni si l'on est Médicis ou Florentin ; emmêler lesdeniers de l'un avec les deniers de l'autre, de sorte (ju'on ignore qui paie et qui est payé; n'accepter aucune charge publi(|ue, mais faire de chaque homme public sa créature et de chaque orga- uisme d'Ftat sa création; empêcher que les uns s'élèvent, que les autres s'abaissent, maintenir ceux-ci et ceux-là au même niveau et se les lier tous par des bienfaits; conserver au dehors ce sage équilibre du dedans, s'a|)j)uyer sur Milan et sur Naples, qui sont monarchies, plutôt que sur Venise et sur Home, qui sont ré|)ubliques ; garder to'.itefois des intelligences dans lu (Àirie, altir;M' chez soi ses personnages et y pousser les siens; enlin accomplir cela sans le dire, sans le sembler surtout ; élre, sans paraître; telles, en deux mots, les grandes lignes de la politique' des Médicis, (|ue Laurt'nt amena à son apogée, à laquelle il n'ajouta rien, se contentant de lui apj)ortcr le tribut personnel d'un esprit clair, d'une volonté joyeuse et du charme le plus exquis, le plus séduisant, le plus adorable qui fût au mon le.

« () Laurent, lui disait son favori Pulilieu, (oui ce

1 « Porlali irravciiienle e cnsliiiifcilainentp. e con iiiiritiilù verso glî îiliri pari tui)i. ^fiiirilandoli di inni précéder loro se fossiim di piii e'tà di le. |)t)ii-.liè. per essore iiiii> (i^liuolo, non sei per.) altro chc"! ciUddiao di l-ire.i/,0 chii.) so.iu aujor lorc > Fabroai, <\t. c , duc, p. ■ï)'\.

II. 3

34 Li: QUATTROCENTO

que la nature et la fortune possèdent, elles te Ton! donné, mais ta prudence dépasse leurs présents'.» Politien avait raison. Cet homme, qu'on appela iina bilancia di scnno, est avant tout un homme d'escient, dont rien ne peut obscurcir l'œil sagace, l'esprit nel, le jugement rélléchi et ami des sentences : pas même sa sensibilité qui réside dans sa tôle et qui le laisse autant égoïste qu'il convient. Admirable con- naisseur d'hommes et admirable donneur de conseils, chacun le consulte, et non seulement les diplomates, mais les petites gens qui lui contient leurs menues afl'aires et se trouvent bien de son avis. Il a mis de l'ordre dans ses idées, de l'ordre dans ses aifaires, de l'ordre dans sa vie qu'il a disposée selon les normes d'une bonne hygiène physique et d'une bonne hygiène morale- et qui représente moins une grâce de sa nature heureuse qu'une conquête de sa volonté. Car il veut.

Un matin, comme, avec Marsile, il disputait de la félicité suprême sous les chênes d'une villa, et que le platonicien la voulait reconnaître dans un acte de l'intelligence, Laurent la prétendit découvrir dans un acte de la volonté-^. Tout l'homme est là. Il veut et il agit. Il a reçu en profusion de la vie à sang rouge de peuple jeune : il la dépense en souriant et sans comp- ter. Personne n'a vécu aussi pleinement, aussi intensé- ment que ce prince, qui n'atteignit pas la cinquantaine; personne ne fut plus heureux de la vie, n'y trouva autant de goût, parce qu'il n'y mit autant de sel. Tout

1. « Quidnuid habent Nnlura tibi et Fortuna dederunt,

Seu taincn bu-c siiperas uiunera consilio. »

2. Voir radmirable b;ltre (iii'il (icvM à son fils Jean, qui, à 1 ïigc de quatorze ans, vient d'ôtn^ nounué cardinal. « Gioie c seta in pocbe cose stanno bcnea'pari vostri, più presto qiialche ti^\\\.\\iir/.a. di cose unliolie e belli libri... Una re^ola so|)ra l'altri; vi conlorto ad usarc cou tutta la 8ollecilu<line vostra, e i|uesla è di levarvi ogni uiatlina di buona iiora. nerchù oltra al conferir nutlto alla sanità, si pensa e espedisce lutte le faccende del (,Morno... Un'allra cosa ancora 6 sounuanusnte DccoHHaria a un pan; vostro, rioè pensarc seuipru e niassimc in «piesti principii, la «era dinanzi lutlo (jucllo chu uvele da farc il giorno seKUcnte... » Fabroni, ojt. c, doc, p. 30U.

3. i'"icjN, Opéra, l, p. 062.

LA COUR DE LAUKENT DE MÉDICIS 35

Tintéresse; tout lui semble attrayant, facile, digne de prix et d'attention, son cheval Moreno, qu'il nourrit de sa main comme les destinées de Fitalie qu'il s'amuse à régir. Il dessine une fagade pour Sainte-Marie-de-la- Fleur et compose un sonnet d'une industrie savante; dialectise av1?c Pic et joue avec ses enfants; rivalise de strambolit avec un paysan et rédige une lettre diploma- tique, dételle sorte qu'il n'y a pas pour lui de grandes et de petites allaires, mais une alfaire, celle qu'il fait. Et à cet liomme, agile et droit sous le fardeau d'un monde, qu'on a vu le même jour au conseil, à l'acadé- mie, à l'église, à cheval, qui a reçu des clients, rimé des vers, écouté des ambassadeurs, chassé des perdrix, lu des philosophes, collectionné des antiques, son fils Pierre peut donner de minutieuses nouvelles de sa villa de Poggio a Gaiano, l'instruire du détail des prés qu'on n'a pu faucher, du four qu'on n'a pu finir, des veaux, des vers à soie, des poules d'Inde, du renard qui a mangé deux paons, des saules du marais qui ont bien pris, des six formes de fromage qu'on a faites '.

Qu'on ajoute à ces qualités heureuses une séduction inlinie, le don, l'attrait d'un prestige qui touche à la fascination; une causerie qui uassaisonnée du sel de la mer naquit Vénus- » éparpille en se jouant toutes les étincelles et tous les traits; une personnalité si bien- faisante qu'elle fait plaisir à voir aux hommes comme la santé, et qu'à son approche les obstacles tombent, les fronts s'éclairent, les chagrins s'envolent, et l'on com- prendra l'omnipotence de celui que Marsile appelait le Fils du soleil.

Dans une enceinte évidemment circonscrite, absolu- ment maître de soi et des autres, Laurent se meut avec une élégance incomparable. Ses facultés, qui ont

1. Voir la lettre de Pierre à Laurent dans les Vvose voUjari e poésie latine e grec/te de Politien, éd. Del Lungo, p. 3()8.

2. « Acer illi sernio et gravis, et cuui res po.stulat, salibus scatens, sed ex illo mari collectis in quo Venus est orla... » PoLniK\, Epist in, G. '

36 LE QÏ^ATTROCEMO

leurs bornes, se réfrènent et se développent les unes par les autres : elles sont si justes parce qu'elles sont autant. Chaque discipline sertde contrepoids à l'autre discipline comme chaque occupation repose de l'autre occupation. Et toutes croissant en harmonie, aucune ne tombe dans l'excès, La vie sauva Laurent de l'humanisme. L'hu- manisme à son tour le guérit de la spéculation. Il n'au- rait pas tellement aimé la nature si son esprit n'avait été encombré de telles aiïaires. Et son rêve se serait perdu dans les quintessences d'Alexandrie, si la réalité vivante ne l'avait rappelé chaque jour à sa loi. L'anti- quité classique lui fait mieux priserla spontanéité popu- laire, et le peuple bruyant le reconduit aux silences de son cabinet. Son souci de la forme l'incline par con- traste à l'examen de la vie intérieure, et peut-êtrequ'il n'aurait pas saccagé Volterre, ni pendu Jacopo Sal- viati, s'il n'avait vidé sa tendresse en des poésies et des sylves d'amour.

C'est ainsi que, dans cette organisation si complète, une des plus équilibrées et curythmées qui fût au monde, tout agit et réagit, se tient et se soutient sans que rien ne détonne ou dépasse.

Voyons sa cour,

III

Au Quattrocento, une co.ir s'appelait encore une « famille », les Médicis sont une famille : une famille de naturel, de bonhomies de simplicité, « une famille de joi«' », dira Ariostc.

Aucun litre, aucune éliquelle, aucun rang; rien de ce qui hérisse et de ce qui attriste les cours féodales. La maison n'est point gardée par des sentinelles, défendue par des protocoles et des ponls-levis ; c'est une maison bourgeoise, ouverte au coin de «hîux rues, faisant suite à d'autres maisons, l'inlre (|ui veut : dans le corlile, le manteau sur l'épaule, Laurent donne

LA COUR DK I.ALHENT Dli MKDICIS 37

audience ; riuimble Tribaido de'Rossi étant venu < au nom de Dieu et de la Vierge Marie et de saint Tho- mas » lui montrer un échantillon de minerai qu'il a trouvé, Laurent l'accompagne jusqu'à San-Xiccolô, au-delà de la rue du Cocomero, parmi les marchands de cierges'.

11 y a <( dans les chambres » la mère de Laurent, la vieille Lucrezia Tornabuoni, un peu recluse, s'occu- pant de ses pigeons et du linge. Il y a la femme de Laurent, la baronne romaine Clarice Orsini, qu'il épousa ou plutôt « qui lui fut donnée- » en 1469: « Ullc beau- coup plus que commune, de grandeur convenable, et blanche ». 11 y a ses enfants : Pierre qui lui succé- dera et sera chassé de Florence, Jean qui deviendra le pape Léon X, Julien qui deviendra le duc de Nemours, et les lilles dont il ne connaît pas l'âge au juste, Lucrezia, Luigia, Maddalena, Contessina. « Nous nous adonnons aux lettres, lui écrit le pelit Pierre âgé de sept ans. Jean possède déjà les syllabes. Moi j'en suis arrivé à ce point du discours que ta Magnilicence peut juger, car pour le grec, sous la discipline de Martino, je conserve plus que je n'augmente ce que je sais. A Julien, il suffit de rire. Ma sœur Lucrezia coud, chante, rit. Ma sœur Maddalena s'est blessée la tôte contre le mur sans danger pourtant. Luigia exprime beaucoup de choses. Contessina remplit la maison de ses cris^. »

1. « Dove nel nome di Dio e délia Verf,nne Maria e di Santomaso sempre, iu andai dopo desinare a chasa Lorenzo de' Medici e niostrami a Ser Piero, iiii disse nonvi partite che vi vole parlare. Lorenzo si mise el inantello e vene f,'iii nelachorte e dava udienza... e chôme ebe date udienza a parecchi mi cliiamù e abelagio per la via cho lui solo inolti drieto andamo parlando insino di da Sanicholù de la via del (;hocho- niero tra'cieraiuoli. » ïhibai-oo db' llossi, Delizie deyli erudili toscani, XXIII, Florence, 1786.

2. « lo Lorenzo tolsi per moglie la Clarice figliuola del signore Jacopo Orsini, ovvero mi fu data di Dicembre 1468. » Fabroni, op. c, p. 40.

3. « Vacamiis litteris. Joannes tenet jani syllabas : ego hoc orationis quod Magnilicentia tua legit; nam j^rtcca, adjutore Martino, servo magis quam augcam in pru'sentia. Juliano sutis est ridere ; soror Lucretia suit, cantat, legit; Magdalena olTendit ad murum caput, absque periculo tamen ; Luisia exprimit jam multa; Contessina replet totam clomum clamoribus. Omnes alii ita suo salis faciunt officio... »

38 LE QUATTROCENTO

Lorsque ces enfants sont à la canipag:ne, c'est le poète Politien qui les garde et leur invente des divertisse- ments : « Nous avons tant d'eau et une eau si conti- nuelle que nous ne pouvons pas sortir de la maison et que nous avons changé la chasse en jeu de paume pour que les enfants n'abandonnent point l'exercice. Nous jouons ordinairement, ou bien rdcuelle de soupe, ou bien la sauce au raisin ou la viande, c'est-à-dire que qui perd n'en mange point'. » Au retour de la bande joyeuse, le chapelain Matteo Franco se porte à sa ren- contre « avec la maman » : « Aux environs de la Ger- tosa, nous rencontrâmes le paradis rempli d'anges, de fôte et de joie, c'est-à-dire Messer Jean, Julien et Jules en croupe, avec leur suite, et aussitôt qu'ils virent la maman, ils se jetèrent de cheval à terre, qui de lui- même, qui par la main d'aulrui ; et tous coururent, et on les mit au cou de Madonna Clarice, avec tant d'allé- gresses et de baisers et de gloire que je ne pourrai le dire avec cent lettres*. »

Florence n'est plus l'austère cité de la commune, ni la ville rugueuse du vieux Gosme; groupée autour de la coupole de Brunellcschi, qui élève calmement sa masse hardie vers le ciel, fondée et murée, elle n'a plus qu'à s'embellir. Les Baldovinelti, les Pérugin, les Roselli, les Lippi, les Botticelli colorent ses parois sombres, et Ghirlandaio voudrait couvrir de peintures ses remparts; les délia Robbia y jettent la clarté de leurs faïences ; les Maïano, les Verrocchio, les Mine

Lellere d'un bambino fiorentino. pub. par I. del Lungo, Florence, 1887, lett. IV.

1. « Abbinmo tnnla acqua e si continua, che non possiamo uscire di casa, et abhiamo mutaln la cnccia nel giiioco di pal la, perché e fan- ciulli non iascino lesercizio. Giuchiamo comuncmenle o la scodclla o il savore o la carne, cioè che chi perde non ne mangi. » Politien, éd. del l^ungo, p. 67.

2. « Hincontrammo il paradiso picno d'ngnoli di fcsla e di letizia, cioé McHser (Jiovnnni, l'iero, «Jiuliano c (liiilio iii groppa, con loro cir- curnfercnze. K subitr) comc viddcro la inniimin, si giltorono a lorra del cavallo, chi da se c chi pcr le nxiii d'altri ; v tiilli ('orsoiio e fiiron iiicssi in collo a madonna CJarice, cfiri lanla allcgro/za c'Iiaci o glorin che non ve lo poterci dire con ccnto leltere. » l«id<)ro del Lungo, Florenlia, uomim e cône del Quallrocenlo, Florence, 1897, p. 424.

LA C01:R de LAURKNT de MÉDICIS 39

(lii Fiesole y ajustent leurs marbres finement fouillés. De nouvelles familles, qui forment comme des dynas- ties de talent et de savoir, se sont levées : les Miche- lozzi, les l*ulci, les Dihbiena, les Benivieni. L'orfèvre Bernard© Gennini, aidé de ses deux fils, imprime Vir- gile en des caractères qu'il a fondus lui-même et dont il a deviné le secret, car « rien n'est ardu au génie florentin'». Le mathématicien Paolo Toscanelli, «qui passe par la terre l'esprit dans le ciel étoile », met Chris- tophe G(domb sur le chemin de l'Amérique. Marsile Ficin rend Platon à l'univers de la pensée. Pic de la Mirandole scrute les arcanes de l'Orient mystique. Leone-Battista Alberli excelle dans chaque domaine. Tous sont plus ou moins de la famille, et Laurent les groupe en rond autour de sa jeunesse.

Il fait d'un Michelozzi son chancelier, d'un autre Michelozzi son pourvoyeur de livres en Grèce, du [)()èle italien Malteo Franco son chapelain, du théolo- gien j)latonicien Marsile Ficin son ami; il prend dans sa maison les quatre frères Bibbiena, fils d'une pauvre paysanne du Casentino ; il défend |le prince Pic de la Mirandole contre le pape Innocent VIII ; il défend le pauvre marchand Luigi Pulci contre ses créanciers; à Bolticelli, à Lippi, à Baldovinetti, à Signorelli, à Verrocchio, aux Pollajuolo, il adresse des com- mandes ; à Giulianoda San Gallo, il ordonne un cou- vent; <\ Michel-Ange il fait donner « une bonne chambre chez lui, lui offrant toutes les commodités qu'il désirait, et, soit à table, soit ailleurs, ne le traitant pas autre- ment qu'en fils ; et lorsqu'en 1470 on lui parle d'un garçon de seize ans, laid et subtil, ([ue la misère a

1. « Bernardius Henninius aurifex omnium judicio pr;i'stantissimus,et Dominicus ejiis filius, egregiii' indolis adolescens. expressis ante calibe caracleribus ac deinde lusis literis voliimen hoc priiuum impressenmt... Florenlinis inf,'eniis nil ardui est. » Inscription sur le commentaire de Servius à Virgile, imprimé par l'orfèvre tlorentin Cennini en 1471.

2. « Una buona caméra in casa, dandogli lutte quelle comodità ch'egli desiderava, ne altrimenti trattandolo, si in altro, si nella sua mensa che da figliuolo. » Gosdivi, Vita di Michelangiolo, ch. viii.

40 LE QUATTROCENTO

arraché aux lettres, dont le manteau montre la corde et dont les doigts de pied passent par les souliers, mais qui, dans une petite maison obscure de Via Saturno Oltrarno, traduit \ Iliade en hexamètres si candides qu'ils font oublier Toriginal, aussitôt il le recueille. C'est Angelo degli Ambrogini qui, à Montepulciano en 1454-, orphelin de son père qu'il a perdu à i'àge de dix. ans, venu tenter la fortune à Florence, sans soutien, sans argent, sans relations, ne serait jamais devenu le Politien, c'est-à-dire la voix élégante de ce moment de grâce, sans l'appui du Médicis.

Il faut une fortune pour ce mécénat qui s'étend au-delà de la maison de Via Larga, abritant dès 1470 plus de cinquante personnes ^ à tout un peuple de clients et d'amis. Laurent la prodigue -en souriant. De 1434 à 1471. les Médicis ont dépensé 663.755 florins d'or rien qu'aux choses d'art. « Cet argent me paraît bien colloque, écrit Laurent, et j'en suis bien content '•. »

Entre ce monde de poètes, d'érudits, de princes, on ne saurait rêver des mœurs plus domestiques, des relations plus cordiales, un ton, un train de vie plus familier. Lorsque Politien est en colère, il monte se dégonfler dans la chambre de Monna Lucrezia^. Le Piovano Arlotto est là, qui conte des facéties, et arrive Agoslino Giego annonçant que le pauvre cordonnier est venu pour sou argent^. Via Larga, la porte est ouverte et la table est servie. Qui entre s'assied. Après dîner, Luigi Pulci débite un chant de sou Morgante ; ou Matteo Franco et Luigi Pulci se décochent des épi- grammes, ou Laurent propose le thème d'un sonnet de métaphysique amoureuse sur les peines de Fortune et d'Amour, et Pandolfo Collenuccio, Ange Politien,

1. Cf. Del Lungo, Florentin, p. 208.

2. « E paionrri ben collocuti, e sonne luollo ben contcnto. » Fdbroni,

op. C, p. il.

3. « Non trovo qui la min Mndoniui Liicrc/ia in camcra, colla qtiulc io posai HTogarnii. r> I'olitikn, ('m1. del Lungo, p. (iK.

i. Le facette del Piovano Arlotto, Florence, 1884, p. 146.

LA coin DE I.ALRKNT DE MÉDICIS 41

Girolamo Benivieni rivalisent avec lui de trouvailles et de subtilités. On improvise des vers. On impro- vise des musiques. Squarcialupi et le Cardiere touchent des instruments. Tous chantent en chœur, même Lau- rent, qui a la voix fausse. A tout coup, la famille joyeuse part en voyage, pour la campagne, pour les villes d'eaux, pour les villas qui lleurissent entre les oliviers, les cyprès et les roses, et s'appellent Fiesole, Careggi, Poggio a Caiano, Cafaggiuolo. On chasse, on pèche, on joue à la paume, on danse sur le pré, ou bien, étendu à l'ombre des peupliers, on discute de quelque argutie de philosophie platonicienne. « l*arlis hier de Florence, écrit Politien, Jious arrivâmes juscju'à San- Miniato en chantant tout le long du chemin et parfois en raisonnant de quelque chose sacrée pour ne point oublier le carême. A Lastra nous bûmes du ZappolinOy qui me parut bien meilleur qu'on ne l'avait dit chez nous. Laurent triomphe et fait lriom})her toute la compagnie. Hier je comptai vingt-six chevaux de la bande qui était avec lui. Le soir, arrivés à San-Miniato, nous commençâmes à lire un peu de Saint-Augustin, mais la leçon se résolut linalement en musique et à aviser et dégrossir un certain petit danseur qui est là'. »

Ln 1488, on envoie le petit Pierre aux noces du prince de Milan : on lui a fait un bel habit avec son emblème, un brandon enflammé, et sa devise latine : Iii viridi feneras crttrit //(nnnia /nr(/i(//as : « L'habit de notre Pierre avec la branche, mande l'ambassadeur Stefano, a été tenu pour une chose admirable, et, selon mon jugement, il a éclipsé tous les autres. Aujour- d'hui, CCS Messieurs ont mandé après lui, cl il l'ont

1. « Partit! ieri di costi venimnio insino a San Miniato, tulta via cantando, e tal yolta ragionando di qiialclie cosa sacra, per non dimen- ticare la quaresima. Alla Lastra beccaino el Zappolino, che a me riusci inolto inigiiore non s'era ragionalo costà. Loreiizo triunfa e fa triun- fare la compagnia : chè ieri annoverai, délia brigata era con Lorenzo. ventisei cavaili... » Politien, éd. del Lungo, p. il.

42 LE OUATTnOCFNïO

voulu voir ot examiner de près, et en eiïet chacun en est resté émerveillé'. » En 1471, Laurent fait emplette d'antiquités : « En 1471, j'ai été à Rome pour le cou- ronnement de Sixte IV, et j'en rapportai les deux têtes antiques de l'image d'Auguste et d'Agrippa que me donna ledit pape, et de plus j'en lapportai notre écuelle de chalcédoine taillée, avec beaucoup d'autres camées et médailles qu'on acheta alors, et parmi tant d'autres la chalcédoine-'. » En 1487, le sultan envoie au Médicis une girafe : « Le jour du 18 novembre 1487, consigne Landucci, l'ambassadeur du Sulta i présenta à la Signorie la girafe, le lion et les autres bêtes... Il y eut ce matin une grande aflïuence sur la place pour voir telle chose. La ringhlera était ornée de fauteuils et de tapis, et tous les principaux citoyens y étaient assis"^. » En 1487, la girafe meurt : c'était un samedi, nous apprend Tribaldo de' Rossi. Telle la vie.

Elle est si tranquille que les événements de drame qui l'atteignent paraissent un anachronisme. Le sac de Volterre que Laurent ordonne en 1472; la conjura- tion des Pazzi qui éclate en 1478 à l'église; Julien qui tombe dans une man» rouge ; les centaines de cons- pirateurs qu'on traque, qu'on arrête, qu'cm pend aux fenêtres; la foule qui se rue après leurs chausses; les gamins qui déterrent Jacopo dei Pazzi et tirent le cadavre puant en chantant par les rues ' ; tout ce spec-

1. « La veste del nosiro Picro roi l>roncone v suta toniila rosa atlmi- randa. cl secondo il judicioinio ha abbatluto oi,'ni altra. llof,'{,'i, ((iiesti signori hanno mandato ner epsa, et l'haniio volulo vedere, cl luolto bene exaniinare, et in cltetto oynuiio ne sta niaravigliato. » Kabnmi, op. c.

•2. « Fui cictto Anibasciatore a llmna per rincoronazione di Papa Sisto, e di .pii portai le due teste di inarnio anliche délie iinniafrini d'Augusto e d'A;,'rippa, le quali nii doim delto l'apa Sisto, e yiMx poilai la scudcila nostra di calcedonio inla>;liata con molli altri caninu'i clic si rornrxrarnno allora, fra le altre il calcedonio. » l'jibroni. ih.. p. m.

3. * K a di 18 novembre 1487. cl sopradellit ainbasciadorc del soldano nresenlo alla nostra Signoria la sopnidclla ^'iralla, c liono e l'altre beslic... fu per qncsl/i matlina, in pia/zi un ^'randc jxipolo n. vcdrre talc cosa. Kra narata la ringhiera colle spullierc <• tappcii, c a sedcro tutti i principali citladini. » Li ca Landucci, Diario Fiureniitio, p. .■;'_'.

4. Lt'CA Lamdl'cci, ib., p. 21.

LA COUR DE LAURENT DE MÉDICIS 43

lacle de })!is.sioii déchaînée, de férocité sauvage, de crime, de meurtre et de sang semble non avenu. Laurent n'est pas le tyran cruel dont on n'est plus à compter les excès, les tortures et les rapines; qui vole la dot des filles, qui en 1480 dresse sur le gros sel les pieds d'un ermite déchaussés au feu', qui en 1487 exécute Oaldovinelli, Frescohaldi, Bandini sur un soup- (;on2; il reste l'ouvrage de Dieu qu'a chanté Marsile. L'horreur se recule et s'atténue devanl les splendeurs de lumière et de joie.

Les fôtes sont si continuelles qu'on a pu dire du Magnifique qu' «il n'avait rien d'autre en tète que de réduire les hommes au plaisir ». Pendant le carnaval, des chars de masques, d'allégories et de triomphes parcourent la ville qui résonne comme une immense chanson. Au premier mai, les villanclle arrivent une branche de verdure à la main, qu'elles portent comme une enseigne ileurie du printemps, et vêtues de robes blanches, elles dansent sur la place de Santa-Triuita. A laSan-Giovanni, qui est la tète patronale de Florence, Florence ne se connaît plus. Des processions s'orga- nisent; on court \g paiio ; on porte au saint des cierges historiés, des parements de velours, de vair, des étoiles de soie ou de taffetas rayés de soie. « Les rues l'on passe, écrit Goro Dati dès le début du siècle, sont toutes ornées aux murs et aux bancs de tapisseries, de fau- teuils, de banquettes couvertes de taiîetas, et partout, c'est rempli de jeunes femmes et de jeunes filles vôtues de soie et ornées de bijoux, de pierres précieuses et de perles... et par toute la cité, on fait ce jour noces et grands festins, avec tant de fifres, de musiques, de chansons, de danses, et de fêtes, et de joies, et d'orne-

1. «Si disse che lo dissolorono e piedi, e poi gli davano el fiioco tenendolo co'piedi ne'ceppi. per modo che gocciolavano e piedi el grasso ; poi lo rizzavano e facevalo andare sopra el sale grosso.» Luca Landlcci, ib., p. 36.

2. « A di 8 di Giugno 1481, Lorenzo de' Medici fe impiccare tre citta- dini, che dice el volevano aniazzare. » Allegretti, Diario Senese, Mura- tori, Rerum, XXlll, p. 808.

44 LE QUATTROCENTO

ment qu'il semble que cette terre soit le pnradis' A tout bout de champ, pour un mariage, pour un anni- versaire, sous un prétexte quelconque et sans prétexte, des courses, les chevaux s'élancent sur une piste de fleurs, remplissent la ville d'acclamations ; des repré- sentations sacrées ou profanes sont ordonnées ; des joutes et des tournois sont proclamés. Les jeunes gens qui y participent, avec leurs emblèmes, leurs devises et leurs armures, montent des chevaux caparaçonnés de velours blancs, d'or broché, de pourpre, de brocart couleur de violettes. A la joute de 1468, Laurent apparaît lui-môme au front de douze adolescents, dont la veste de soie changeante est d'une si délicate broderie qu'elle fait dire au poète qu'il semble que le ciel s'y mire : << Eix partie de roses fraîches sur la branche, en partie il n'est resté que les tiges, et les feuilles en sont tombées à la brise'-. » En 1471, Galeazzo Maria de Milan et sa jeune femme Bona de Savoie entrent à Florence : ils sont accompagnés de cinq cents hommes d'infanterie, de cinquante laquais à pied vôtus de soie et de velours, de deux mille gentilshommes et domes- tiques de suite, de cinq cents couples de chiens et d'un nombre infini de faucons; en chantant sur le chemin, les jeunes Florentines se portent à la rencontre du couple princier; trois représentations sont ordon- nées dans trois églises; et, quoi qu'étant en carême^ toute la cour rompt le jeûne. En 1473, c'est le tour d'Eleonora d'Aragon. En 1488, c'est le tour d'Isabelle d'Aragon. En 1491, Laurent représente le triomphe de

1. « Le slrade, dovc passano. sono tulle adornc aile niura c al sotlerc rii capolctli, spallicre e bancali, i (|iiali sono coperli di zendndi, e por luUo é picno di donne giovani, e fanciiille veslile di sela, e ornate gioie, e di piètre prcziose, e di perle. . e pcr tulla la Ciltà si la (jticldi nozzc, c fffan conviti con tanli pillcrri, siioiii, e canti, e baili, festc, e lelizia, e oruamento, clie nare cfie (piella terra sia il Paradiso. » Goro JJati, hturia di Firenze, Horence, 1735, p. 8G et sq.

2. « Vj parle rose freHchc in su uno ranio K parle son riniasi sol gli stecchi

E Koa lo foglie gii'i cascatc al rc/.zo. »

Llioi PiLci, Gioalra.

LA COUK DE LAURENT DE MÉDICIS 45

Paul-Emilc revenant de Macédoine, et les sommes qu'il prélève pour celte réjouissance publique sont si consi- dérables (jue, « pendant beaucoup cl beaucoup d'années, ies citoyens ne payèrent i)lus aucun impôt».

A riiorizon, le ciel semble sourire. Un perpétuel dimanclie se continue, et à ce bonheur dissous dans Tair, qu'expire et respire la jeunesse des poilrines, il faut ajouter l'art qui enchante celte existence, car nous sommes dans un coin de laHomed'Augusle ou de rAthènes de Périclès, toute manifestation de vie se traduit et se réduit en monument de beauté.

La victoire llorenline (rAnj:;hiari n'est plus une !)alaille, c'est un carton de Léonai-d. La joute llorenline •de 147.") n'est plus une joute: c'est une épopée de Poli- lien. Simonella Caltaneo n'est plus une lille génoise, mariée à un marchand de Florence, enlevée à la lleiir de l'âge : grâce à Pollajuolo qui en peint l'image, à Politicn qui la chante dans ses ^)7^//JS<";à Botlicelli, qui fa déilie dans sa Pr'unavera, et à Laurent, qui la pleure dans ses sonnets, elle devienl d'vant l'histoire « La bella Simonelta ' ». Des cliars j)opulaires traînent <lans l'orgie du carnaval de gi'osses chansons ; aftinées par un prince, ces chansons se haussent jusqu'au rang «l'un g Mivc liltéraire. Les arcs de triomphe, les ligura- tions ambulantes, les tableaux vivants des fêtes se trans- forment en chefs-d'œuvre d'Aiidrea del Sarlo, du Cro- naca, de Gramicci. C'est Polilien qui compose les petits thèmes latins des enfants des Médicis -', et c'est Michel- Ange qui s'amuse avec laneige tombée dans la cour à leur bàlir un homme de neige. Et, (jue si Laurent conclut la paix avec Naples, que la bourgeoise (iiovanna Torna- buoni mette au monde deux jumeaux, qu'un garçon de dix-huit ans, Michèle Verino, succombe à un excès de co:iti:)(;nce ou qu'une jeune lille de seize ans, Albiera

1. A. Nori, Iji helbt. Siitionella. (îiorn. Storico délia letteratura ila- Ji.uia. \. 1:51. - A. WarliiiiK. i^ondro liotticellis IJe/jurl der Venus und Fruit lin;!, Ilaiiihurg et Lf^ipzij.', IS'.i.'L

1. Lalini (U'Ilali a l'ie/v de Medici. Poi.mikn, r.d del Liin,:,u>. p. 17.

46 LE QUATTROCKISTO

degli Albizzi, succombe à un accès de fièvre quarte, ces diverses conjoncUires s'appellent des élégies, des bas- reliefs, des toiles peintes, des vers latins.

La beauté est partout. Qu'est-ce que cette maison de Via Larga, d'une arcbilecture à la fois si élégante et si robuste, remplie de trésors qui émerveillent l'étranger? Un palais, une bibliothèque, un musée? Tout cela ensemble : c'est lademeuredesMédicis, Los nymphes de Fiesole,jadisévoquéesparBoccace,dansentsurles gazons de Botticelli et dans les églogues des poètes. Au fond des âmes, sourient de tendres paysages du Céphise et brillent de purs profils de camées. De délicats apo- logues peuplent les rues elles chemins de blanches mylhologies *. Marbres émus et candides; bronzes maigres et précis ; femmes au long cou et au front bombé d'intelligence ; adolescents chastes et beaux; amitiés charmantes; fêtes olympiennes de l'esprit ; bruit de dactyles; clarté de fresques; et le Christ qu'on adore porte, au lieu de couronne d'épines, une guirlande lleurie cueillie par Marsile au bord de rilyssus !

Voici, nous assistons à ce spectacle unique d'une République dirigée par un poète. Et ce poète chante. « 0 violettes, chante-t-il, belles violettes fraîches et pourprées, violettes qu'une main candide a choisies, quelle pluie, quel ciel limpide voulut vous produire. Heurs si exquises que la nature n'en fit jamais de telles'? » Et autour de Laurent ((ui chante de la sorte, sa vieille mère chante, ses jeunes amis chantent; en italien, en latin, en grec, tous chantent : les cha- noines de l'église, les st;crélaires de la République, les nK'nibrcs de l'Académie platonicienne, les maîtres

1, Voir en particulier ceux de Marsile Ficin et de ses amis. Mahsii.e FiC!.-», Ojierit, Haie, \7>H), 2 vol., 1, p. 8i7.

2. « Helle frcschc e purj)uree viole V.\\c ijuelln c'xndidissnua uiaii colse,

(^ual pio^giu o quai puru aer prudur vulse Taiilu più vaghi (ior cho far non suuleV »

LA COUK DE I.ALKE.NT DE MÉUICIS 47

du Sludio, les fonctionnaires de TEtal, les diplomates, les adolescents, les enfants. Heureuse époque, tout ce qui compte, pour complei-, doit être initié à la vie supérieure de l'esprit, depuis le podestat qu'on accueille jusqu'au condottiere qu'on emploie, depuis l'ambassadeur qu'on envoie à l'étranger jusqu'à celui qu'on en reçoit, Pandolfo CoUenuccio qui laisse la forteresse du Bargello pour improviser des sonnets amoureux avec Laurent, le capitaine Federigo di Mon- tefeltro qui ne demande pour sa part de butin de Vol- terre qu'un livre bébreu, l'ambassadeur Acciajuoli qui traduit Aristole, l'ambassadeur Barbaro qui corrige les textes de Pline! Et un chancelier de Laurent n'est pas qu'un bureaucrate, asservi aux tristes besognes des écritures, c'est un esprit gracieux, disert, orné ; capable comme Pietro Bibbiena de composer une élé- gie latine contre l'ennemi vénitien; de s'associer aux dialectiques platoniciennes comme Niccolô Michelozzi; de fêter en latin son maître et sa maîtresse comme Jacopo Bianchelli; de jouer le personnage d'Orphée dans une mythologie représentée à Mantoue comme Baccio Ugolino; et de composer cette mythologie à l'âge de dix-huit ans comme Ange Politien.

Le latin, de vertu qu'il était, est devenu une grâce. On en met partout, jusque sur la Bible, que Verino tra- duit eu hexamètres, lU nilor eloquii pcuiter cuni lacté bibalur, aux margelles des fontaines, aux cadres des fresques, aux frontons des tombeaux, au chevet des lits, au ilanc des vases, au chaton des bagues, à la garde des épées, et « toutes les parois de Florence sont oblitérées par moi, dit Politien, comme parune limace, d'arguments et de titres variés* ». Les promenades, les causeries, les festivités se réjouissent d'épigrammes

1. « Naiu si quis kreve dictum quod in gladii capulo» vel in anuli legalur emblemale, si quis versuni lecto aut cubiculo, si quis insigne aliquod non argento dixerini sed fictilibus otnnino suis desiderat, ilico ad Polilianuni cursitat ; omnesque jam parieles a me, quasi a limace, videas oblitos argumentis variis et titulis. » I^olitien, Episl., Il, 13.

48 LE QLATTROCE?<TO

latines inip ovisées ; dans les repas, elles saluent rentrée des services de viandes, de poissons, de fruits; <;t la langue qu'elles emploient n'est plus la langue solennelle de naguère, c'est la langue lUiide de la bonne compagnie et des ris. Tout à l'heure, Laurent chantait des violettes en italien ; le latin de Politien reprend le thème en se jouant : « 0 violetîes, délicates violettes. petit présent de mon aimée, doux gage d'amour auquel tant d'amour reste attaché, quelle terre vous engendra? Quel zéphir, quelle brise légère parfuma de son par- fum vos pétales embaumés?... 0 violettes, trop heu- reuses violettes qu'elle cueillit de sa main, de sa main qui, hélas ! me ravit à moi-même, qu'elle porta de ses doigts roses à sa bouche gracieuse d'où Amour dirige; contre moi ses dards pointus, c'est peut-être d'elle- même, violettes, que cette grùce vous est venue... Regarde comme cette lleur est charmante dans sa blan- cheur lactée ! Regarde comme cette autre rougit en ses feuilles incarnat! Telle, la couleur de ma maîtresse lorsqu'une douce pudeur empourpre ses jou(îs, et, alors (juel le suave odeur s'exhale au loin de ses lèvres! Or voici <|u'en vous, violettes, est restée cette odeur. 0 violettes h(Mireuses, ma vie, ma joie, asile de mon unie, souflle <le mon àme, qu'au moins à vous je prenne de délicieux baisers*! « Il semble que l'inspiration naissa en latin.

1. « Molles o viola', veneris nmnnsciilfi noslra*,

Dulcc (|uibus tciiiti pif^nus ;imoris iiicsl, Quii' vds (|iiii' gciuiil leiiiisV Qin nectaro odoras

Sparseninl zephyri mollis el aiirii coiims ?... Felices niiiiiiiin viola', (jiias carpscrit illa

Dcxter.'i (|iia' iiiiscriiin me iiiilii stiliri|uiii ! Qiias rosfis di^'ilis forinoso adtintvorit ori

lllt uinie iii nu; s|ii(-.iila liin|uc( aiiior! Forsitan et vohis lia-c illiiic f^ralia voiiil... Aspicc lactcolo lilaiidiltir ni illa colore.

Aspico piirpiirels ut nibct ha-c foliis : Hic rojor (;^t d)iiriina>. rosco ciiiii dulcc |)iidoi'u

l'iriKil lacleolas piirpiiia f^'iala gcaas Oiiatii diilceiii laliris. cpiaiii lah; spiral iidorciii I

Km viola-, in vohis ille reiiiaiiHil odor. (I rortiiiiata' viola-, inoa vila, nieiinupie

De'iliiiiii, o aniiiii porlus et aura iiici, .\ vobi» »allcni, viola*, ^rala oscilla, carpam. . «

il'oi.niK.N, (!'(l. I»el Liiiigo, p. •J.'l,'].)

LA COUK DE LAUR1:NT DE MÉDICIS 40

T.c laliii, ([iii ose tout dire, le menu d'un repas comme chez Ermolao IJarbaro', le mécanisme d'une horloge comme chez Politien-, est d(;venu si hardi qu'il aborde tous h^s genres et s'approprie; toutes les beautés, avec Crisloforo Landino, qui reproduit en latin la sextine de Pétrarque; avec Amerigo Gorsini, qui traduit en latin les sonnets de Pétrarque ; avec Ugoiino Verino, qui raconte en latin uii Trionfo de poète on une Sloria de chante-histoires. Et le Grec Michel Marulle imite en latin les thèmes du carrefour! Et Politien transpose en latin les arguments des poètes alla hure hia !

L'éi'udition n'est plus qu'un jeu propre à divertir les enfants. A sept ans, le petit Pierre de Médicis cite Vir- gile à son père qui lui a envoyé un cheval : « Père magnifique, je ne pourrai jamais te raconter combien me fut agréable et combien m'a incité à l'étude des lettres l'arrivée de ce petit cheval; que si je voulais le louer, ante diem clauso componet vespe?' OlijmpoK » A onze ans, le petit Orsini chante ses propres vers et dicte en môme temps cinq lettres à cinq copistes, A onze ans, Michèle Verino correspond en latin avec son père; à dix-sept ans, il compose des distiques qu'on traduira dans toutes les langues; à quinze ans, Pellegrino degli Agli rivalise avec Michèle Verino ; à douze ans, le fils du théologien Gianozzo Manetti est versé dans le latin, le grec et l'hébreu; à quinze ans, Politien est capable d'épi- grammes latines, à dix-sept ans d'épigrammes grecques, à vingt-six ans il gravit la chaire des Filelfo et des Guariuo; à vingt-trois ans. Pic de la Mirandole s'offre à soutenir à Uome, devant toute l'Europe assemblée, neuf cents thèses embrassant la somme des connais- sances humaines. Jamais on ne porta plus lourd bagage

1. Politien, EpisL, XII, 41.

2. PouriEN, il)., IV, 8.

3. « Non possem narrare tibi, niapnifice pater. quam niihi gratus fuerit, quamque ad studia litterarum me incitavit ipsius equuli a'tiven- tus. Quem quidein si laudare velim, Anle diem claiiso componet vesper Olympe. » Leltere d'un bainbino fiorenlino, op. c, iet. VU.

50 LE QUATTROCENTO

avec une aisance plus légère, un sourire plus heureux. La science se penche sur des manuscrits qui semhlent une fête, ornés qu'ils sont d'arabesques, de figurines, d'onciales fleuries, de petits paysages d'azur; elle s'étend sur l'herbe sous les sapins des Camaldules ; elle distrait les longueurs des longs chemins. C'est à cheval, en pleine campagne, que Politien récite à Lau- rent qui s'en « délecte » les curiosités grammaticales de ses MisceilaneaK Les étudiants représentent en un divertissement public les Ménechmes de Plante. Alessandra Scala, lille du chancelier de la République, débite en grec les tragédies de Sophocle dans les salons. Bartolommeo délia Fonte, traversant les Alpes, se con- sole de la neige qui les couvre en composant des dis- tiques ensoleillés.

Les savants ne sont plus des solitaires, des maniaques, de gros enfants à filles et à, farces ; ils secouent la pous- sière de leurs bouquins, entrent au salon, prennent des manières, font servir leurs connaissances au plaisir. L'Université n'est plus un temple austère, rempli d'un silence religieux, l'on entre chapeau bas, avec com- ponction, d'un air grave ; c'est un vestibule du palais, une dépendance de la cour, animée, enjouée, rieuse. On passe de l'un à l'autre sans effort. L'un et l'autre se complètent et travaillent au môme idéal. Jadis, comme Carlo Marsuppini inaugurait un cours devant un nombre infini d'hommes doctes, « il lit, raconte Ves- pasiano, grande montre de mémoire, en ce sens qu'il n'y a pas écrivain grec ou latin que Messer Carlo n'ait cité en celte matinée, et ce fut tenu par chacun pour chose merveilleuse' »> : aujourd'hui, à la même place, dans une môme circonstance, Politien introduisant des

\. V. Cuni tibi uuperioribiis dicbus, Lauronti Mediccs, noslm hii'c Mis- cellanea inter cqiiit/induni recilarenius, (lelcctatiis arbitror novitate ipsa rcrum, et varietalo non illei»ida loclionis, horlari cœpisti nos... » FouriK.x, J'rt'face des Miscellnnea, I, p. 481.

2. « Fccc gran pruova di meniuria, pcn^bù non cbbeno i Greci ne i Latiui Hcrillorc ij^niino cho Mes»er Carlo non allej^asse qtiella niattina. Fu tenula du tutti co»a inoravigliosa. » Vesi'asia.no, Vile, j). 440.

LA COUR DE LAURKNT DE MÉDICIS 5i

leçons sur les Priora d'Aristote s'amuse. Il parle des sorcières dont sa grand'mère l'edrayait, des sorcières qui mangent les enfants qui pleurent, des sorcières qui aujourd'hui se réunissent à Fiesole autour de Fon- telucente les commères puisent l'eau ; elles ont des yeux postiches qu'elles enlèvent et remettent comme les vieux leurs besicles ; elles ont des dents pos- tiches qu'elles enlèvent et remettent comme les femmes leurs frisons; elles se promènent parmi les marche's, les places, les carrefours, les ruelles, les églises, les bains, les boutiques, scrutant, fouillant du regard chaque chose; l'autre jour, des sorcières ont vu Poli- tien, elles l'ont toisé curieusement comme font les gens d'un objet qu'ils veulent acheter, elles l'ont reconnu : « C'est Politien, se sont-elles écriées, c'est tout ce qu'il y a de plus Politien, c'est ce faiseur de contes qui veut se donner pour philosophe'. » On dirait, pour le train, le début d'une nouvelle : c'est le début d'une leçon. Et, ayant à inaugurer une lecture de Gt'orgiques^ Politien, au lieu de disputer, de disserter, de discourir, se meta chanter; il chante aux étudiants la vie rustique, il chante ses joies, ses travaux, ses paysages ; il chante le printemps, les hôtes, les fleurs : « La vieille terre au visage joyeux dé- veloppe un nouveau germe ; elle orne ses tempes de toutes les pierreries. La rose pudique teinte sa poitrine du sang d'Idalie ; la noire violette qu'une seule couleur ne con- tente pas, blanchit et rougit et porte au front la pâleur des amants ; les lys plus candides que la neige tombent comme ils sont nés... Ici, les fleurs de Salamine ins- crivent leur nom; ici baie le pavot cher à Cérès, le pavot empli de sommeil; ici le narcisse tend ses lèvres à lui-môme ; ici, la brise nourrit les crocus de Cilicie, et parmi l'air léger épand d'un souffle leur parfum connu des théâtres. Déjà le souci des marais cligne ses yeux rouges comme la braise, et le mélilo n'est pas loin.

1. « Politianus est; ipsissimus est; nucator ille scilicet, r«i)cnte philosophas prodiit. » Uel Luayo, FÏoreniia, p. 133.

52 LE QUATTKOCENTO

La moisson revêt sa robe de pourpre de Tyr. Le gazon secoue son or vivant. Telle plante s'elTorce de vaincre en éclat le cristal et telle autre l'azur. Sur les collines, parmi les vallées ombreuses, le long des fleuves silen- cieux, les herbes palpitantes se déploient, verdissent ; tout rit, tout regorge, tout resplendit a la lumière aimée'. » Qu'on compare cette désinvolture à l'application du début du siècle, on se rendra compte du chemin par- couru. L'Italie commence à recueillir les fruits de son effort laborieux. Après les longues veilles d'hiver, le printemps se met à sourire. El si, au début du siècle, Leonardo Bruni se désolait d'être dans une époque découronnée, aujourd'hui les meilleurs esprits de Flo- rence, conscients du moment unique, en portent la légitime fierté. « Que celui qui a de l'esprit, dit Matteo Palmieri, soit reconnaissant à Dieu d'être en ces temps qui lleurissent de plus d'excellents génies qu'il n'y en a eu depuis mille ans'-. » «Je dois remercier Dieu, écrit Giovanni Hucellai, qui m'a donné l'être à l'âge présent, Age que ceux qui s'y entendent peuvent regarder comme le plus grand qu'ait eu notre cité 3. »

1. « .\lma novum tellus vulfu nilidissiina germen Fiindit, et ouinigeiiis ornât siui lempora geiaiiiis : Idalio piidibiinda sinus rosa sangnine tiiigit; Nigra non uiio vicda est contenta colore,

Albet eniin riibcl et pallorem ducif aniantnm ; Ut siint orla cadunt. nive candidiorn, ligustra... Ilic salaniinnci scrit)nnt sua noiiiina llorcs ; liic gratiun Ccreri pleninn(|ne sopore pnpaver Oscilat ; hic inhiat sibiuiet Narcissus ; at illic Corycios alit aura crocus, notuinipie theatris, Aéra per teneruu). Ilalu dispergit odorcni : Ncc jani nanuiieola* corinivent luniiiia calthiB, Ncc nielilolos abest ; Tyriiiiii scges illa ruborem Induit, hic vivo cespes'sc jactat in aiiro : llii- niveos, ha' cyaneos siiperare lapillos f'.ontendnnl herbii-, vcrnantfpie inic.intia late (jraniina per tuuiiilos, pcrque unil)rireras convalles, Perque airmis taciti ripas, atipic uninia rident, Oinnia luxuriant, et aniica lucc coriiscaiit. »

(l'oiJïiBN, éd. Del Lungo, p. .'113 et sq,)

2. « Riconoscft dn Dio rhi ha in/j^egno l'essere nalo in (piesti tcmpi i quaii piii fioriscono d'cccellenli arti d'ingegn<i clie ail ri tcujpi sicno slali già sono mille anni passali. » Matthi» I'ai.vikhi, \'ilii rirUc, p. id.

3. « Ancora debbo ringra/iure Dio che mu dalo l'essere neHelù prc'

LA COCK DE LAUKENT DE MÉDIGIS 63

« Il me plaît de me glorifier, ajoute Alamanno Rinuc- ciiii, croire dans ce siècle qui a produit en toute espèce d'arls et de disciplines d'iimombrables hommes si parfaits que je les veux comparer avec les Anciens *. » Et Marsile Ficin s'écrie : « Ce siècle est un siècle d'or, lui qui a remis en lumière les disciplines libérales presque éteintes, la grammaire, la poésie, l'éloquence, la peinture, l'architecture, la sculpture, la musique, Ta't de chanter sur l'antique lyre d'Orphée; et tout cela à Florence-. »

Tout cela à Florence. Car Florence, ainsi animée, riche de ferveur, de fraîcheur et de joie, brille d'une lumière incomparable. Comme le dit le poète milanais Cornazzano, elle est « la fleur de l'Italie^»; elle est l'initiatrice suprême ^ la capitale élue, l'Athènes d'une Grèce qui semble ressuscitée, et dont il nous appartient maintenant d'examiner l'œuvre de poésie et d'éru- dition.

IV

Les années ont coulé. La poésie latine n'est plus ce qu'elle était au début du Quattrocento. Elle a quitté son attitude héroïque et sa prétention au grandiose, pour se réduire au format plus modeste qu'avaient

sente, la quale si tiene per li intendenti ch'ella sia stata e sia la più grande eta che mai avesse la nostra città. » Marcolli, Un mercante Fiurentino, p. 47.

1. « Mihi vero gloriari intenlum libet, quod hac a'tate nasci conti- gerit, quu; viros pmne innunierabiles tulit lia variis artium et discipli- naruni generibus excellentes, ut putem etiam cutii veteribus compa- randos. » Voss, Monumenla ad A. liinuccini vilaiti, p. 4i.

2. « Hoc eniiu seciihini tamquam aureum, libérales disciplinas ferme jani exlinctas reduxit in lucem, grammaticam, poesim, oratoriam, pic- turam, sculpturam, architecturani, musicam. antiquum ad Orptiicam lyram carminum cantuin. Idque Florentiie. » Ficin, Opéra, p. 944.

3. « Flos tamen ItaliiB sola vocanda est

Et sibi conveniens unica nomen habet. »

4. Le maître du Pérugin lui enseigne que c'est à Florence que viennent les hommes « parfaits en tous les arts », parce que la critique y est très répandue, que pour y vivre il faut se montrer ingénieux et

aue son atmosphère engendre dans toutes les professions « une cupidité e gloire et d'honneur ». Vasari, Vie de Pérugin.

54 LE QUATTROCENTO

adopté les Beccadelli, les Marrasio et quelquefois le délicat poète de Ylsottœiis, Basinio Basini. Nous en avons tini, ou presque, avec les inspirations à la Filelfo, avec les Sforziade, les Cosniiade, les Feltriade^ les Hespéride, les Polidoréide, et tout ce train d'épopée magniloquente qui remplissait le vide de sa sonorité ^ Allégée par l'influence du grec, dont le règne est, comme nous l'avons dit, désormais avenu, elle s'est faite plus brève, plus rapide, plus légère, et, au lieu d'emboucher la trompette épique, elle répand des fleurs et des sourires. Ce sont des choses plus tran- quilles et moins outrées, rarement un beau poème, plus généralement des églogues, des odes, des élégies, des épigrammes, que composent les poètes d'aujour- d'hui; à Mantoue, Battista Spagnoli, qu'Erasme place à côté de Virgile; à Ferrare, Tiio-Vespasiano Strozzi, qui marie la candeur de Virgile à la mélancolie de Pétrarque; h Naples, Jacopo Sannazaro, qui met aux lèvres des pécheurs de Mergelline la langue des Méli- bée et des Tifyre. Le vieux gentilhomme Tito-Vespa- siano Strozzi (1425-1505), contemporain de Pontano, chante dans son Eroticon sa maîtresse Anzia, son petit garçon Hercule, les princes, les princesses de Ferrare et les événements gros et menus de cette maison des Este, dont il est le chantre officiel et l'interprète élégant. Le doux et pieux carmélite de Mantoue, Battista Spa- gnoli (1448-1516), tache de doter de la beauté antique l'évangélisme candide qui l'émeut; son poème Par- thenice dit les saintes femmes; son poème De sacris diebus fait se rencontrer, à la porte de Marie, Mercure avec l'ange Gabriel ; dans ses St/lves, dans ses Eglogues, il chante les (îonzague, la campagne de Mantoue, les

i. Tito Vcspasiano Strozzi, qui a entrepris une Itorseiile, ne raccom- plit point. Mario Filelfo ne trouve point d'éditeurs pour ses poèmes éniqueH. Igolino Verino non plus. Sur cette poésie, voir : Voih;1, Die SKiederheU'btnui des Klassiscnen AUerlhunis, II, liv. VII, eh. m. Itorinaki, Dnn Epos iler lieruiiamnce, Viertcljahrschrift fur Kultur uad Littcrutu dtr HeiiaisHancc, I, p, 187.

LA COLR DE LAURENT DE MÉDICIS 55

paysans. Si Jacopo Saniiazaro (1458-1530) reste vingt ans à tisser d'un fil d'or et d'argent l'histoire de la sainte Vierge dans son poème De partu Virghiis, il communique plus immédiatement son génie suave dans ses Eglogues de pêcheura^ ses Elégies^ ses Epi- grammes, qui naissent au jour le jour et disent Naples, les paysages et les rois de Naples, la villa de Mergel- lino du poète, son amie Cassandra, ses amis. A Flo- rence, le vieux maître Gristoforo Landino, avant d'en- seigner l'éloquence au Studio, a composé trois livres d'élégies Xandra. Son collègue au Studio, le maître de poétique Naldo Naldi, compose aussi trois livres d'élé- gies, outre un poème sur la prise de Volterre, intitulé Volaterrats. Le soldat grec Michel Marulle, amoureux et mari de la belle Alessandra Scala, écrit ses beaux Hymni naturales, il personnifie en deités antiques les forces de la nature et se rappelle Pontano dont il fut l'élève, et nous rappelle Lucrèce ^ Eglogues et poèmes du chancelier de la République, Bartolommeo Scala; élégies du commissaire de la République, Ales- sandro Braccesi ; épigrammes du grammairien Canta- lizio et du maître d'éloquence Pietro Grinito ; épi- grammes de tous 2; distiques du jeune Michèle Verino ; et le i)ère de Michèle, le notaire Ugolino Verino, à côté de la Bible qu'il met en hexamètres, élabore de son mieux un Paradisiis il chante le vieux Gosme, une Cariiade il chante l'empereur Gharlemagne et un panégyrique de la ville de Florence, De illustra- tione Urbis Florenti-e ; et Bartolommeo délia Fonte chante les amours et les armes du roi de Hongrie, Mathias Gorvin.

Le cycle poétique, se meut tout ce monde, est à peu près le môme ; et ce qu'on disait de Naldo Naldi :

1. Hymni el epif/rammata Marulli, dans C. N. Sathas, Documents inëdils ]ioiir servir à l'/iistoire de la Grèce au moyen âge. Paris, 1888, vu, p. 173. Sur Marulle, voir Scai.ige[\, Poelices libri VII.

2. On en trouvera un recueil suffisant dans Carmina illuslrium poe- larum itulorian, Florence, 1719-1726, 9 vol.

56 LE QUATTUOCENTO

(( Qu'il loue son amie ou qu'il célèbre le Médicis, Naldo, ravi d'un double amour, chante pareillement ' » pour- rait être répété de la pléiade des poètes contemporains de Naples, de Ferrare et de Florence, dont la lyre a surtout deux cordes, l'une pour la maîtresse et l'autre pour le patron. Leur inspiration est ou amoureuse ou courtisane ; quand, à l'exemple de Landino, de Naldi, de Braccesi, de MaruUe, de Verino, ils n'adressent pas de tendres élégies à une Xandra, à une xVlba, à une Flora, à une Neera ou à une Flammetla, ils encadrent de la grâce obligée du latin la vie des Gonzague, des Este, des Aragons ou des Médicis. A Florence, en parti- culier,''la poésie semble éclose à l'ombre de ce Laurier symbolique, qui personnifiait la figure de Laurent; elle exhale le parfum d'iris, qui est la plante de la famille; elle brille de l'éclat des bagues de diamants, qui sont l'emblème de la famille ; et qu'elle dise Cosme ou Lucre- ziaTornabuoni, ou la guerre de Volterre, ou la réouver- ture de l'Université de Pise, ou les jardins de Careggi, ou les métairies de Poggio a Gaiano, moins encore, un geste, un sourire, un soupir du Magnifique, elle appa- raît estampillée aux armes des Médicis. Elle porte à son fronton l'écusson aux six palle'. Un homme en donne la mesure : Politien.

Polilien n'est plus l'adolescent ingénieux et rapide qu'au début de l'avènement de Laurent, les Médicis sauvèrent de la misère. Grandi dans l'atmosphère déli- cate de la maison de Via Larga, au milieu de l'opu- lence, de l'intelligence et de la beauté, il est devenu d'Angelo dcgli Anibrogini, le Politien, c'est-à-dire un gros personnage, chanoine, ambassadeur, professeur, confident du Magnifique, propriétaire à Fiesole. H a composé une œuvre poétique considérable, (jui l'a mis

1, « Dura célébrât Medicem Nnidiis, diiiii liunlal aiiiicani

Et pariter geinino raplus aniore canit... »

(I»ui.iTiK.N, éd. Del Liin^o. p. 122.)

2. Sur c-ftle poésie de la cour des Médicis, voir Fabroiii, (lui, dans son ouvrage »ur Laurent, en donne de Irè» nombreux éclianlillons.

LA COUll Di: LAUHK.NT Di: MÉDICIS 57

on vodello an premier plan. Le tavcrnier, l'oiselcnr, le jjonlunger, le colporlenr se pressent devanl ses pas; le charcutier et le maître-coq le graissent de leurs doigts, l'un le tire par la manche, l'autre le baise, l'autre le salue'. ('Tous les savants, lui écrit Phosphore, t'admirent toi unique et conviennent que tu dépasses haut la main ceux qui ont écrit depuis six cents ans-. » « Mes six cents élèves sont témoins, lui écrit Beroaido, cette chaire chaque jour j'enseigne est témoin que je me suis fait le héraut et la trompette de ton érudi- tion singulière-'. » « Si ton Mécène ne me sauve pas, le supplie Cantalizio, je vends mes livres et je me mets à faire le valet, l'usurier, le fournier». >• Tout ce qui brille dans les lettres, et non seulement h Flo- rence, mais à Venise, à Rome, à Milan, à Ferrare, à Xai)les, s'incline devant lui, l'accable de compliments et d'hommages. Et que si, à peu près seul de son espèce, Sannazaro lui décoche deuxépigrammes cruelles, Politien peut en sourire. Avant Sannazaro, dont la gloire appartient surtout au siècle à venir, et après Pontano, qui représente une époque déjà dépassée, il est, au-delà de Florence, l'illustration éblouissante et jeune du dernier quart du Quattrocento.

Non que par un coup de génie il arrache le siècle à ses destinées littéraires. 11 ne fait que les résumer et les incarner. Elevé dans la cour du Magnifique, la poésie s'est faite médicéenne, il n'élargit point son horizon. Il réduirait plutôt le cycle admis, l'amincis-

1. < Gaiipo, auceps, lanius, pistor, cocus, institor urgent,

llinc me ungit lactu fartor, al inde corus. »

(PoLiTiEN, éd. Del Lungo, p. 123.)

2. « Onines docti te unuai admirantur. et fatent te omnes, qui se.vcenlis abhinc anais scripserunt, facile superare, hoc est te illos, non iilos te. » Politikn, Epist. 1, 13.

3. « Testes sunt scholaslici sexcenti, testis est pulpitum illud, ex quo quotidie proliteiiiur, me identideiu esse prœconum et buccinatorem tuae singuiaris eriiditionis. » Ib., VI, 2.

•4- « At nos vendere fas crit libellos,

Et conducere bnsta, lustra, furnos, Mit'cenas nisi me tuus reservet. »

[Carmina Uluslrium poetai'ian, III, p. 130.)

58 LE QUATTROCENTO

sant jusqu'à la seule personnalité du prince et jusqu'à la taille de répigramme. Courtisan avec une grâce, une câlinerie et une impudeur qu'il apprit en bas-àge, il dit le chien espagnol de Laurent, le cheval barbe de Laurent, la maîtresse de Laurent, les pleurs que Flo- rence verse sur l'absence de Laurent. A le croire, la Florence qui précéda Laurent n'était qu'un tronçon informe*; Laurent n'a pas seulement créé Florence, il l'éduque et l'embellit; Laurent exhale plus qu'une odeur mortelle, il sent le c'\e\~; par sa langue, par son <»sprit, par son âme, Laurent rend le ciel aux hommes. Laurent a édifié une fontaine : épigramme; Laurent a construit un tombeau au peintre Lippi : épigramme; le soleil darde et Laurent a cueilli un rameau de chône-vert pour se garer le front ; aussitôt, dressé sur ses pieds, Politien improvise : « Combien tu as raison de ceindre tes tempes du chêne qui porte les glands, Laurent, salut du citoyen, Laurent, salut du peuple^! » Nous retrouvons apointie l'inspiration des autres. Mais, tandis que les autres n'apparaissent hélas! trop sou- vent que des versificateurs prolixes, Politien est un artiste incomparable; tandis que chez les autres, trop souvent, la ferveur est trahie par le talent, chez Poli- tien le talent est l'égal du désir; et, tandis que le vieux Varchi inscrivait impatienté en marge des élé- gies de Naldo Naldi : NIhil insidslor hoc Naldo et ojus, cacatii)nibiis, l'âpre Scaligcr met en télé de l'élégie pour Albiera de Politien : Elcgia pro epicedio valde hona cHt^ ingeniosa, plena, numerosa^ candida, argutd^ efficax.

On dirait que le vieux Ponlano l'a pris sur ses

1. « Ante erat informis, Lfiurcns, tua pniria trunciis »

(l'oi.iriKX, (mI. Del Liingo, p. 117.)

2. « Nie inorlalc snpis, Laiirens, aod pcctorc ru;lutii,

Sed cœluin lingiia, iiicnlc iiiiiiiio(|iiu rofers. »

{Ib., p. 131.)

3. « Qimtn benc glandifera cingin liia lompora (pierru,

Qui civem serva» non mudo, sed popiiliiin. »

(M., p. m.)

LA COUR DE LAURENT DE MÉDICIS 59

genoux et lui a chanté la ninne-nanna en latin, tant le latin semble chez lui une langue maternelle, reçue avec la lumière du jour et respirée avec le souffle du vent. Il s'est domestiqué avec le latin en reprenant la traduction de V Iliade que Carlo Marsuppini avait lais- sée interrompue et dont il accomplit quelques chants en hexamètres si lluides que Marsile Ficin se demande est l'original; et il nettoie ce latin au contact de la Grèce, que de honne heure il s'est assimilée et qui lui enseigna la touche Une, l'acuité de la llèche ailée, l'exactitude de la forme sobre, concise et polie. Il met des arêtes légères à la matière amorphe, redresse d'un pouce savant la glaise informe, éclaircit, allège, anime la masse lourde et flasque. Comme l'abeille, il a l'aile et l'aiguillon. H a de l'audace et de l'esprit. l'on tremble, il ose; l'on marche, il gambade; l'on énumère, l'on s'applique, l'on ratiocine, il chante. Son talent maigre et souple se faulile dans chaque coin, s'embusque à chaque trou, recherche les obstacles pour le plaisir juvénile de les vaincre. Sans doute que sa veine est mesurée et que son inspiration est fugi- tive ; sans doute que ses plus longues œuvres se décom- posent en autant de pièces de rapport, en morceaux délicats et brillants de mosaïque : son instrument est tout petit, c'est la flûte de roseau de quelque satyre adolescent sous la feuillée, mais l'instrument est bien joint par la cire, bien ajusté, bien d'accord, et Politien connaît toute la subtilité de ses ressources infinies.

Un peuplier brûlé au carnaval a reverdi devant la maison de Via Larga : « Faut-il s'étonner, flùte-t-il, que le peuplier, qui se dresse devant le palais Médicis et dont la foule ivre avait approché de trop près des flambeaux rapides quandon célébrait Bacchus, ait poussé des feuilles neuves? Laurent est le rival d'Hercule par les armes, et Laurent adoucit les dieux de l'Ilalie par son art. C'est pourquoi Hercule déploie des ombrages devant le jeune homme, afin qu'il enguirlande son front d'une guirlande

60 LE <JU ATTROCENTO

heureuse ; c'est pourquoi lorsqu'avec raide d'Apollon il module quelque chaut, le laurier ceint sa chevelure. bien ! le front couronné d'une double guirlande, que Laurent montre ce qu'il vaut à la guerre, que Laurent montre ce qu'il vaut au forum* ! » Une jeune fille joue avec delà neige : « Jeune fille, tu es la neige môme, et tu joues avec de la neige; joue, mais avant que n'en meure l'éclat, fais que ta rigueur succombe ^1 » Le poète n'a point tenu sa promesse àGaleotlo Manfredi, seigneur de Faenza : «Tu demandes pourquoi ton poète n'a point tenu les promesses qu'il teiil? 11 est poète •^. » Albiera degli Albizzi estmorle; de la tombe, elle parle à Sigis- mondo délia Stufa son fiancé : « Ne gémis pas de ce que je t'ai été ravie dans ma tendre jeunesse; alors qu'il est doux de vivre, il est doux de mourir'* ! » Et quel por- trait adorable il laisse de la jeune Florentine, morte à quinze ans d'une fièvre pernicieuse : « Un éclat candide était répandu sur la douceur de son sang, tels de blancs lys mêlés aux roses rouges. Gomme une étoile qui brille, rayonnait la joie de ses yeux, bien souvent Amour ralluma son flambeau. Chaque fois qu'elle dénouait et épandait ses cheveux, elle semblait Diane qui à la

1. < Quod récidiva novas difl'undit verlice frondes

QufB Medicam surgit populus ante doniuni, Cul quondam, ojjygio lièrent cuin sacra Lyajo,

Admovit rapidas ebria turba faces, Quid niirum? llerculeis nani cum Laurentius armis

.'Kiiiulus, ausonios leniperet arle lares, Ipse suas juveni Tirynthius explicat unibras,

liuplicet ut meriluni lii'ta corona caput. Sic quoniam dextru iiiudulatur Apolline carmen,

Ante suas lauri cirrumiere comas. .Nunc igitur, duplici crines lambentc corona,

Se uello ostendet, seque valere toga. »

(l'oi.iTiE.N, éd. Del Lungo, p. 114.)

2. « Nix ipsa es, virgo, et nive ludis. Lude, sed ante

Quani ncreat candor, fac rigor ut pereat. »

(/6., p. 143.)

3. « Cur proniissa tibi tuus pocta

Nouduui pruîstitcrit rogas".' Poêla est. »

(76., p. 126.)

4. « Quod tibi, vir, tcncra sutn rapla Albiera Juvcnta,

Nec eeme, cum dulcerc est viverc, dulcc uiori est. »

(/6., p. 146.)

LA COUR DK LAURENT DK MÉDICIS 61

chasse fait trembler les botes ; mais elle semblait Vénus, si elle les réunissait avec le peigne de Gythère en une tresse d'or blond. Et les petits Amours furlifs la faisaient toujours belle, et la Grâce aux mains caressantes, et l'Honneur, et la Modestie au front jeune et blanc'...» L'image d'une vieille femme, telle qu'en aurait tracé un poète hurchiellcsco, sert ailleurs de repoussoir : « Catarrheusejlétrie, empestée, cadavérique; son front est ridé, son poil rare et blanc; les paupières sont épi- lées, les sourcils glabres, les lèvres liquides, les yeux rougis ; il ne lui reste que deux dents noires; elle a des oreilles exsangues et llasques. des narines d'oii coule la morve, un rictus que mouille la salive; son haleine empoisonne'. » De paysans, qui passent la veillée dans une métairie toscane, F*olilieu fait un petit tableau de genre : « Le foyer brille; à l'entour du foyer, le simple voisinage s'est réuni ; ils sont tous là, lesjeunes hommes, l'austère mère de famille, le rude laboureur avec les enfants, avec la fille ainée. Ils veillent ensemble en riant ; ensemble ils écoutent les premières heures de la nuit qu'ils cueillent comme un fruit ; et le bon vin chasse les soucis. Entr'eux,ils s'amusent; tantôt retentit gaie-

1. « Candor erat iliilci sullusus sariffiiine, qualeiu

Alba l'erunt rubris lilia mixla rosis. Utnitiduni lirti radiabant sidiis ocelli,

Si'pe Aiiior accensas rettuiit inde faces. Solverat ellusos quoties sine lege capiilos,

Infosta est trepidis visa Diana l'eris ; Sive iterum adduotos fulviim collegit in aurum,

Compta cytheriaco est pectine visa Venus. Usque illain parvi furtiin componere Amores

Sunt soliti, et facili Gratia blanda manu, Atque honor et teneri jani cana modestia vultus... »

(/6., p. 240.)

2. « ... Gravedinosam, vietam, oientem, rancidaui, Gadavcrosani, fronte ruf,'osa, coma

Cana atque rara, depilatis palpebris, Glabro supercilio, iabeilis delluentibus, Oculis rubentibus, eenis lachryniantibus, Edentulanujue (ni duo nigri et sordidi Dentés supersint), auriculis exsanguibus Flaccisque, mucco naribus stiliantibus, Rictu saliva undante, tetro anlielitu... »

(/6., p. 272.)

62 LE QUATTROCENTO

ment la cornemuse à la poche gonflée; tantôtils chantent des chansons; à l'envi ils chantentdes chansons ; tantôt d'une baguette rebondissante ils jouent du tambour et battent des cymbales; et ils dansent dans la joie, et ils frappent l'airain, et le souple chalumeau au bout de corne retentit, et les cris s'élèvent à l'unisson, et les éclats de rire montent'. » Voici le portrait d'un coq : « Au sommet de la tête, la crête aiguë rougeoie ; au sommet de la tète, son aigrette resplendit dans une palpitation légère, et cette splendeur se répand le long de son cou doré et de ses épaules qu'elle recouvre d'honneur et de beauté ; sa barbepassedu rouge au blanc ■et s'accroche à sa poitrine comme un ornement bar- bare : le bec dresse sa pointe crochue ; les yeux gris, fièrement, jettent des flammes; les pattes, héris- sées de poils, se roidissent, très courtes, la jointure et l'ergot à peine distants ; les traces qu'il imprime sur le sable sont armées de grifles ; les plumes de ses ailes saillantes se déploient dans l'espace; et les pointes de sa queue fendue et recourbée comme une faux s'élancent vers le ciel '-. »

1, « ... CoUucetque focus ; coeunt vicinia simplex Una otnnes, juvenesque probi malcrque severa Conjuge cum duro et pueris et virgine grandi, Convigilîiiilque hilares, et prima; teiupora noctis Decerpunt, molli curas abigente lyœo. Miituaquc inter se liidunl : timi tibia folle Lascivuiu sonat intlato; tum carmina caiitunt, Carmina certalim cantant; tum tenta reçusse Tynipana supplodunt baculo, et cava cymbala puisant, Et la'ti saltanl, et tundunt uribus a>ra,

Et grave consi)irat cornu tuba ilexilis unco : Conclaniantque altum unanimes, tolluntipic cachinnos. »

{lô., p. 322.)

2. « ... Vertice purpurat alto Fastigatus ape.x ; dulci(|ue errore corusciu Splendescunt cervice jubtu, perque aurea c<dla

Perque humeros it pulcher fionos ; palea ampla dccenler Albicat ex rutilo. atque torosa in pectora peiidct Harbarum in morem ; stat adnnca cuspide ruslrum, Exiguum spatii rostrum ; I1agrant(|uc tremendum Havi oculi ; nivcas(|ue caput latc explicat aureis; Crura pilis liirsuta rigcnt, juncturaque nodo Vix di.stantc sodct ; (Juriis vustigiu mucro Aruiat; in iiumeusum pinniuquu hirlicpic luccrti

LA COUR DK LAURENT DE MÉDICIS 63-

Avec les mots latins, que Barzizza pesait, que Bruni flairait, il joue. Politien joue avec les mots. Marsile Ficin a écouté la messe, Domizio Calderini a oublié d'y aller: Atidil Marsilius missam; missam facis illam, tu^ Domiti. Qui est le plus croyant? C'est Domizio, dit Politien, quanto aiuHre mimis est bona qiiam facerc. En lalin il dit ce qu'on veut, et non seulement le méca- nisme d'une horloge, comme nous avons vu, mais des- jambons appendus dans la cheminée, des champignons secs, un chapeau de cardinal, un mortier de guerre, le Borgo Ognissanti de Florence. Dante avait écrit : Amor chc a imllo amato amar perdona, joliment Politien tra- duit : Cri'de milù, pretiuin est solus amoris amor. 11 est agile, adroit, discret. Il est retenu et contenu. Rien chez lui n'est livré au hasard. Tout est agencé, dominé par une main prompte et exercée. La ligne est pure comme aux silhouettes ornant les flancs des vases étrusques ; l'impression évidente et circonscrite comme en une petite sculpture de camée ; la couleur limpide, égale- ment distribuée, de qualité fine et forte ; et cela par- tout, toujours, dans toute son œuvre, dans les quatre SylvesA'xMiQ, invention si ingénieuse, la Manto^ le Rus- ticus, V Ambra, la Nutricia, avec lesquelles il inaugure ses graves leçons ' ; dans le Prologue qu'il écrit en 1488 pour la représentation des Ménechmes ; dans ses tra- ductions de V Iliade et de VAntfioloyie ; dans les élégies,, les odes, les épigrammes malicieuses et les hymnes sacrés qu'il écrit au fur et à mesure des événements et

Protenti excurrunt, duplieique horrentia vallo Falcatd! ad cœlum toUuntur acumina caudœ. »

(/6., p. 324.)

1. La Manlo (1482), qui introduit une lecture des Bucoliques de Vir- f,^ile, penche la fille de Tirésias sur le berceau de Virgile, dont elle prédit les destinées et raconte l'œuvre. Le Huslicus (1483), qui introduit une lecture des Géorgiqiies d'Hésiode et de Virgile, e.xalte, comme nous l'avons vu, la vie champêtre. L'Ambra (1485), qui introduit une lecture de ï Iliade et de V Odyssée, et prend son nom à la villa de Poggio a Caiano, elle fut composée, exalte Homère. Dans la Nulricia{{'kM), Politien s'acquitte d'une dette : il paie des gages à la Poésie, qui fut sa nourrice, en énumérant la foule de ses serviteurs.

64 LE QLATTROCEM'O

qui prêtent à ces événements un éclat neuf. Les mots sont triés avec soin ; les épithètes choisies avec art ; personne n'a possédé encore à un degré si exquis celte élégance sobre, cette précision minutieuse, cette grâce tout attique. C'est du joli ouvrage, de l'ouvrage pré- cieux, brillant, frotté à la pierre ponce. Ilélas! ce n'est presque que cela. Car, on doit le dire, si Politien est le plus pur artiste du Quattrocento, ce n'est point un poète; ouvrier impeccable, il a fait ce miracle d'accoupler des vers jusqu'à sa mort, à peu près com- plètement dénué d'idées et de sentiments.

C'est ici que les premières atteintes de la néfaste discipline mentale et sociale qu'accepta l'Italie se font douloureusement sentir. Nous nous en sommes déjà aperçus chez Pontano, dont la poésie est surtout une magnificence verbale; nous nous en apercevons davan- tage chez Politien et chez la pléiade des poètes qui l'entoure. L'heure de l'éclosion a sonné, et cette éclo- sion est marquée d'une stérilité précoce. Le fruit n'est pas encore mûr, et déjà un ver ronge la pomme verte. 11 semble que le génie ait l'âge de la jeunesse, mais anémié par une trop grande lecture, appauvri dans l'atmosphère raréliée de la bibliothèque et de la cour, il porte au front la lassitude distinguée du vieillard.

En réaliti», en cette Italie agonisante, que menace déjà l'expédition du roi de France, Charles VIII, au sein de cette Florence raffinée, scei)tique et égoïste de Lau- rent, à quel sentiment véritable et vivant retremj)er et rehausser son aspiration? (Comment connaîlre un de ces souffles généreux et primordiaux qui font les héros comme ils font les j)oètes? Lenlciiient la vie s'est retirée du peuple pour s'amasser sur le prince. Il n'y a que le prince qui soit, comme il n'y a dans l'Ame popu- laire que la dévotion au j)rince qui vaille. Les deuils publics s'appell(;nt la mort d'une favorite ou l'enterre- ment d'une jolie lille ; les joies j)ul)liques s'a|)pellent une eutn-e triomphale ou un speclacle bien réussi; on

LA COLR DE LALHENT DE MÉDICIS 65

a mis une liorloge à Saintc-Marie-Nouvelle ; le musi- cien Squarcialupi a défimté ; une joute est ordonnée à Santa-Groce; on représente une comédie de Plante. Alors, à la suite des autres, comme les autres, Politien dit l'horloge, écrit l'épitaphe du musicien, pleure la jolie fille, célèbre l'entrée triomphale, prologue la comédie en hexamètres, comme tout à l'heure il magnifiera la joute en octaves. Et il apporte à chacun de ces menus faits le service inditFérent d'un talent toujours dispos et toujours égal. Au demeurant, la matière lui manque. Il ne sait pas quoi dire de son chef, il n'a rien à dire. 11 ne chante point par la nécessité infrangible de l'être intérieur, il chante par occasion. Il lui faut un thème. Qu'on lui donne un canevas poser sa broderie précieuse, un motif propre à développer sa rhétorique charmante, peu importe le texte ou le prétexte, ce qu'on voudra, du grec h tra- duire, des bas-reliefs à illustrer, des devises à porter sur sa mancbe, on sera content de son industrie savante ^ De lui-môme il ne peut rien, son cœur est vide. 11 conlinue jusqu'il la fin « cet exercice de style », le cardinal Jacopo Ammanati réduisait tout le mérite de sa traduction d'adolescent de V Iliade''.

Nous sommes dans une civilisation désormais trop avancée pour qu'elle engendre une véritable poésie. Elle voudrait, naître qu'avec le servilisme en cour, et l'abdication de toute conscience morale et politique, l'érudition l'étranglerait au germe. Politien, et autour de lui tous ces latinistes, irréparablement séparés du p;mple, de la nature, de la vie, gardent dans la mémoire trop d'exemples et de réminiscences littéraires,

1. Voir la lellre il ollre ses services au roi de Ilon<rrie. Il lui pro- pose, entre autres choses, irillustrer ses peintures : « Et ista ergo possuinus. te jubente, non erubescenilis illuslrare carminibus. » Episl. X, 1.

2. « Censeo tamen, lui écrivait-il, operam inchoatam non deserendain, hocque exercendi styli studiuui colendum assiduo, a veleribus quidem laudatum et ad coiupienduui pectus maxime necessarium. » Politiex, Ëpisl. VIII, 7.

II. 5

I

66 LE QUATTROCENTO

connaissent par cœnr trop de maîtres grecs et latins, restent trop saturés de leçons pour apporter k la repré- sentation des choses la virginité d'àme qu'il faudrait. Leur lourd bagage, tel un lest encombrant, surcharge et retient le char de colombes. Ce que nous avons dit de l'humanisme et de la déformation livresque qu'il impose se vérifie cruellement dans cette poésie latine de la fin du siècle, oîi tous, depuis Sannazaro qui pourra se vanter « de n'avoir jamais fait chose non observée chez les bons auteurs' », jusqu'à Politien,. dont la «bibliothèque monte jusqu'à son toit », ne savent rien voir, rien connaître, rien éprouver direc- tement. Certainement que Politien est au fait de la vie champêtre; il l'a menée; il possède une villa à Fiesole et pratique les paysans qu'il interroge, écoute et dont il a retenu, comme nous le verrons plus tard, les chansons. Dans son Rmticiis qui célèbre cette vie champêtre, il ne semble point s'en souvenir. Il décrit la grue, l'hirondelle, la cigale, à lui familières, d'après Hésiode. Le « vilain cochon » est emprunté à Pline, le désespoir de la vache qui a perdu son veau à Lucrèce. Sans doute que son portrait du coq, que nous rappor- tions tout à l'heure, est mieux enlevé, plus vivant que celui de Varron; le significatif est qu'au lieu de regar- der dans son poulailler il ait été chercher dans le De re ruslica de Varron. S'il raconte par le menu les astrologies et les superstitions campagnardes, il suit Pline mot à mot. C'est l'automne : « Le paysan tenant à sa main gauche un panier de semences les répand de sa droite économe, mais pour que les oiseaux avides ne pillent point les grains jetés, ni ne ravissent au ciel cette proie, un petit gan^on, portant un mince sar- cloir, l'accompagne et recouvre de terre la récolte'^. »

1. < Non credo aver fatto cosa che non l'abbia osservata in buoni autori n, écrit-il k Tebaldco.

2. « Tum plénum farris lœva «ervante canistrum, Seinina diiiponsat parca cercalia dcxtra :

Quu5 ne jaclu aviau; populentur graaa vulucres

LA COUR DE LAUftENÏ DE MÉDICIS 67

(Cf. Hésiode, "Epya -/.al -qyr-pai, V, 565-567.) C'est l'hiver : <c La nuit, près de la lampe, le paysan tisse d'un jonc souple, ou un panier, ou une claie de branches vertes, ou des corbeilles d'osier; il fend du bois et les chênes de la vallée, il raccommode ses tonneaux cassés, il chasse la rouille de ses outils'. » (Cf. Vïme, Naiiirée histo- riaruin, XVIII, 26.) Properce diï piniis amata, Politien pinus amala. Pline dit inorus sapiens^ Politien, monts sapiens, Yïr^We dit gelidâ^pruinâs, PoViiiengelidaspriiinœ. Claudien termine un vers par cette chute: et gbebas fe- ciindo rore marital, l'altérant à peine Politien répète : et glebas fecundia roribus implet. Il trouve chez Columelle : flameola caltha... conniventeis ocalos violaria solcunt... lumina calthœ, il en i^\i,nec jam flammeolee connivent lumina calthœ. Virgile a dit : et cum frumenta in viridi stipula lactentia turgent, et Lucrèce a d\\, favonius geni- ta/is, l'hexamètre devient : et genitalibus awis Pervia turgescunt lactentis hordea cid?}us~. Pas un tableau, pas une image, pas une épithète qui n'ait son origine savante. L'émotion n'est plus humaine, elle est litté- raire. L'art ne consiste plus dans la vivacité du senti- ment de la nature et dans la fidèle traduction de ce sentiment ; s'inspirant non plus des arbres, mais des livres, il est dans l'élégante adaptation des poètes qui ont chanté la nature. Ce n'est plus de la poésie : c'est de l'érudition.

Mu/la et remota lectio, multa illum formavit opéra, avait dit Politien d'un de ses ouvrages. Il aurait pu le dire, à côté de ses sylves qui sont surtout

Et predam sublime ferant, it pone minutus Sarcula parva tenens puer, et fruf^ein obruit arvo. »

(Politien, éd. Uel Lungo, p. 310.)

1. « Nocte autem ad lychnos aut junco texit acuto Fiscellain. aut crates virgis, aut virnine qualos Rusticus, iiifinditque faces et robora valli, Dolia quassa novat, ferrainentisque repellit Scabritiein, tritaque docet splendescere cote. »

(7ô., p. 312.)

2. Voir les Commentaires au Huslicus de Nicolas Beraud (Bâle, 1518) et d'Isidoro Del Lungo, dans l'édition citée.

68 LE QUATTROCENTO

des textes à commentaires, de toute sa poésie latine.

Aussi bien, au moins en latin et dans l'histoire de l'humanisme, l'apport véritable de ce moment de cul- ture est, moins qu'un apport de poésie, un apport d'éru- dition.

Politien n'est pas un poète, c'est avant tout un érudit ou, comme il s'en vante, un grammairien. H professe depuis 1480 l'éloquence grecque et latine au Studio, ses maîtres d'hier s'assoient parmi ses disciples d'aujourd'hui et oii il introduit ses leçons substantielles, non que par des sylves et des poèmes, mais par des prœlectiones en prose qui embrassent une singulière somme de connaissances : la Prœlectio in Hot?ieri(m fait d'Homère le père de toute science ; la Prœlectio in Persium traite de l'origine et du caractère de la satire ; la Prœlectio in Suctonium tisse l'éloge de l'histoire et ébauche une vie de Suétone; la Prxlcctio in Stativm^ qui défend les auteurs de la décadence, revendique la liberté d'un style puisé à toutes les sources et non à Cicéron seulement, formé au moyen « d'un exercice con- tinu, d'une lecture immense et d'une érudition pro- fonde' » ; dans le Panrpistnnon il dessine un vaste pro- jet de classification des sciences, et dans la Lamia, dont nous rapportâmes le début, il montre le lien étroit qui unit la grammaire et la philosophie. II émende les textes, les élucide, les explique à l'aide des monnaies

i. Cr. la lettre que Politien adresse h Paolo Cortese. il reprend la question et, avant Krasnie, attaque le cicéronianistue : « Mihi certe quicuinque tantiiin coinponunt ex niiilatione similes esse vcl psitaro, vel pirti' videnlur, prftferenlilius quii- nec iulellifîunt... Non expriniis (inquit aliquis) Ciceioneui. Quiii luui? Non cniiii siun Cicero, me tanien (ut opinor) expriino. Sunt r^uiilcni pni'terea, uii l'aulc, qui styliun (|uasi paneni fruiilillatim niendicant, nec ex die soluui vivnnt, scd et in dicin .. Judicare quoqiic do doclis inipudenler aiidentes, hoc est de iliia quorum «tvluwi recondita eruditio, nuiltiplex lectio, longissiuius UMU8 diii quasi fcrtiientavil. » Politikn, Efjist. VI II, li>.

LA COUR DE LAUHEiNT DE MÉDICIS 69

et (les inscriptions de la riche galerie Médicis, met à profit ses voyages à Rome, à Vérone, à Venise pour s'en procurer de nouveaux. Marsile Ficin l'appelle « l'Hercule qui tue les monstres des textes antiques ». 11 traduit les prosateurs grecs en latin, et particuliè- rement les Histoires d'Hérodien qu'en 1487 il dédie au pape Innocent Vlll. Il commente le précieux manus- crit des Pandectes que possède Florence et qu'il attri- bue encore àTribonien^ 11 se joue dans ses douze livres de Leilres d'abord, ensuite dans la centaine d'observa- tions grammaticales qui composent ses Miscellanea parues en 1489, des plus ardues questions d'orthogra- phié, d'archéologie, de philologie. Lorsqu'il élève la voix, c'est pour des affaires d'érudition et contre des érudits, contre Domizio Calderini qu'il malmène, quoique mort depuis douze ans, dans ses Miscellanea^ contre Giorgio Merula qui prétendait que ces mômes Miscellanea l'avaient volé, contre Bartolommeo Scala qui met au féminin culex. Politien avait tort, dans sa sylve de la Nutricia^ de payer des gages de nourrice à la Poésie ; il a été plutôt nourri par la science, il s'est jeté à corps perdu « comme les chiens dans le Nil ». Et autour de lui, à Florence d'abord, dans le reste de l'Italie ensuite, ceux qui prévalent sont des savants.

A Florence, c'est le vieux maître Gristoforo Landino (1424-150ir), qui, dans le Casentino, a trouvé à Flo- rence l'appui des Médicis et la faveur d'Eugène IV, et qui, depuis 1 i58, enseigne la poétique et la réthorique au Studio. Ses élégies de Xandra n'ont été qu'un épi- sode de jeunesse. Autour de son autorité, se groupe toute la jeunesse savante que, de Politien à Marsile et de Marsile à Laurent de Médicis, il a formée aux belles lettres de ses mains augustes. «0 précepteur

1. Brencmann, Hhloria pamleclarum, Utrecht, 1722. Bandiai, Ragionamento sopra le coUazioni délie Florentine Pandette, Livourne, 1762. Buonamici, Il Poliziano giureconsulto, Pise, 1863.

70 LE QUATTROCENTO

vénérable, s'écrie Ugolino Verino, quel poème pour- rait embrasser tes louanges? Toute la jeunesse de Sylla a bu à ta source la liqueur d'Eonie '. » On peut dire de lui « qu'il parle le latin comme un enfant de Rome et le grec comme un enfant d'Athènes ». Il commente Vir- gile, Horace, les classiques, et laisse une œuvre consi- dérable, en partie inédite comme ses traités De l'âme et De la vraie noblesse^ en partie imprimée comme ses Dialogues des Camaldules et ses précieux commentaires à Dante et aux poêles latins. Aux historiens Benedelto Accolti (1415-1464) etDonato Acciajuoli (1428-1478) qui, dans les loisirs d'une existence adonnée à la chose publique, ont trouvé le moyen d'écrire, le premier une Histoire des Croisades et le second une Histoii^e de Char- lemagne, succède le chancelier de la République Bar- tolommeo Scala, dont l'œuvre reste, en dépit de ses Eglogites, ses Apologues^ son Poème delà Ctiltivatioii des arbres^ une Histoire de Florence qui devait comprendre vingt-cinq livres et dont cinq seulement furent accom- plis. Bartolommeo délia Fonte (1445-1513) et Bernardo Rucellai (1449-1514) laissent des mémoires de leurs temps, Fonle, dans ses riches Annales, Rucellai dans son De bello itaiico et dans son son De bellopisano, qu'Erasme jugeait l'ouvrage d'un autre Salluste. Tous deux re- cueillent des antiquités, à l'exemple de Fra Giocondo de Vérone, qui mande à Laurent de Médicis une collection d'inscriptions « uniqueau monde ». Bernardo Rucellai élève dans son livre intitulé/)*? Urbe Romana un précieux monument d'archéologie. Bartolommeo délia Fonte est maître d'éloquence au Studio. Naldo Naldi est maître de poétique au Studio. Lorenzo Lippi est maître de belles-lellres de l'Université de Pise, qu'en 1472 Lau- rent de Médicis a reconstituée et qui, sous le patronat

\. Quo, F.andine. tuas pcrrurram carminé landes,

Pnfreplor vencrandc? Tiio de fonte lirpiore» Ebiiiil AonioH munis Syllana jiivcntiis... »

(U. Vkbi.no, De UluKtraliune tirhia Florenlim, p. 96)

LA COUR DE LAUBENT DE MÉbICIS Tl

des P.idolfi, des Rinuccini, des Acciajuoli, prend la tête d'un brillant mouvement. L'élève et le successeur de Polilien au Studio, Pietro Crinito, donne vingt-cinq livres de miscellanées érudites De honesta disciplina, des Vies de poètes latins, De poetit^ latinis et dans ses Lettres, demeurées inédites, raisonne de tout au monde, des dieux, des villes, des familles romaines, des ma- gistratures romaines, de l'origine et signification des verbes, des sortilèges, des théorèmes sacrés, des hiéro- glyphes '.

A Rome, en 1486 le jeune comte de la Mirandole s'offre de défendre neuf cents thèses embrassant tout le éavoir humain, Domizio Galderini (1448-1478) trouve dans l'espace d'une vie de trente années le loisir de professer à la Sapienzia, de publier des classiques, de commenter Ovide, Perse, Suétone, Silius Italiens, Ci- céron, en même temps qu'il traduit Pausanias, corrige les tables géographiques de Ptolémée et témoigne d'un esprit excellent dans les mathématiques, la jurispru- dence, la philosophie platonicienne; à côté de Domizio Calderini, Paolo Gortese (1465-1518) s'occupe de théo- logie dans son Compendium, de la fonction du cardi- nal dans son De Cardi/talatu, du. style des latinistes qui l'ont précédé dans son De hominibus dovtis. A Venise, Girolamo Donato et Ermolao Barbaro passent à bon droit aux yeux de Politien pour les esprits les plus solides et les plus sagaces du moment. A Bologne, Codro IJrceo, à qui Politien soumettait sesépigrarames grecques, est porté en terre en 1500, sur les épaules de ses disciples en larmes, Filippo Beroaldo, qui se dis- tingue dans la jurisprudence, la philosophie, la médecine, retient chaque jour autour de sa chaire d' 'loquence une foule de six cents auditeurs. A Milan, Merula brille dans toute sa gloire.

L'érudition que sert et que propage tout ce monde

1. Fabricius, Bibliolheca lalina medix et infimae aetatis. Florence, 1858, 3 vol., I, p. 402.

72 LE QUATTROCENTO

s'est épurée, précisée, débarrassée en partie du fatras de rhétorique qui l'embarrassait jadis. Elle a bénéficié de l'exemple qu'a donné Lorenzo Valla. Elle bénéficie sur- tout de l'invention de l'imprimerie, qui, introduite en 1465 à Subiaco, près de Rome, par les deux moines allemands Schweinheim et Pannartz, n'a pas tardé à envahir toute l'Italie, oii, en même temps qu'elle répand la science, elle la révolutionne. Elle crée une nouvelle industrie littéraire qui peu à peu détrône les anciennes et donne aux âmes érudites avec une autre attitude une autre occupation. Grâce à l'imprimerie, les vieuxhuma- nistes, tels que nous les avons connus, loquaces, sonores, tenant boutique d'immortalité et ornant chaque endroit de leur présence, disparaissant plus rapidement de l'horizon intellectuel. Ils cessent de remplir l'office de poètes, d'orateurs et de sages pour remplir l'office de protes; ils ne sont plus employés par des maisons prin- cières, ils s)nt employés par des maisons d'édition. Leur affaire principale est désormais de fournir un public, qui chaque jour se fait plus grand, « de livres en forme », comme ils disent, c'est-à-dire de textes imprimés, clairs, nets, corrects, qu'ils doivent corriger en un espace de temps très restreint, de manière à satisfaire les nombreux imprimeurs qui les emploient et de manière à soutenir la concurrence qui s'établit. A Rome, à Venise, à Bologne, à Milan, à Florence, tous sont plus ou moins occupés à cette besogne ', et c'est à leur diligence, à leur émulation joyeuse, h leur préparation savante que l'Italie doit d'être la patrie des

1. Schweinheim et Pannartz occupent Gianandrea Bussi; Uldrich Hahn occupe Gianantonio (^ainpano. Poniponio Leto édite Salluste, Coluinelle, Varron, Pompée Fcstus, Nonnus Marceilius; Battista Gua- rini commente Lucain, (îatulle, les lettres de Ciccron ; Giorgio Merula publie les auteurs de la chose rustique, les Comédies de IMaute, les satires de Juvcnal, les Kpigrnnimes cic Martial, les Poésies d'Ausone, les Déclamations de Quintiiicn ; Doniizio Galdcrini illustre Martial, Juvénal, Vircile, Staco, Properce; Marcantonio Sabellico annote Pline le vieux, Valèrc Maxime, Horace, Justin, Flore; Kranccsco Putcolano .donne les grammairiens; Filippo Bcroaldo, un des plus occupés par cette besogne, donne tout uu monde.

LA COUR DE LAURENT DE MÉDICI8 73

(éditions princeps d'à peu près tous les classiques de l'antiquité. En 1469 paraît à Rome Virgile, Tite-Live, C(';sar, Lucain, Apulée, qu'édite Gianandrea Bussi ; la môme année, et toujours à Rome, paraît Suétone et Quintilien, qu'édite Campano, et Yarron, et Nonus Marcellus, qu'édite Leto. A Bologne, en 1471, paraît l'Ovide de Francesco Puteolano; à Venise, en 1472, paraît, avec l'Ausone do Grogorio Tifernate, le Martial et le Plante de Giorgio Merula; en 1475, paraît à Romele Stace de Domizio Calderini. A Venise, Aide Manuce, que nous retrouverons ailleurs, rêve de publier tout ce qui a été écrit dans les quatre disciplines latine, hellé- nique, hébraïque et chaldaïque.

Désormais l'espritcritique, dont nous avons examiné les pénibles débuts, constitue l'outil intellectuel par excel- lence. A l'école d'érudition, qu'on appela «impression- niste^», a succédé l'école scientifique. Les qualités de rigueur, de précision, d'exactitude sont de jour en jour plus courantes et plus essentielles. On s'attarde de moins en moins aux développements brillants et aux bagatelles de la porte pour courir sus aux faits qu'on discute d'une manière sèche et serrée ; on ne se paie plus de mots; on n'accumule plus de phrases; on s'asservit à la règle d'une bonne méthode. Et à cet égard les Miscellanea de Politien otfrent toute la valeur d'un modèle et montrent la nouvelle direction des esprits. Si de temps à autre, cédant à sa nature d'artiste. Poli- tien se plaît à conter avec sa sobre élégance une déli- cate fable antique, il ne confond plus ce qui ne veut pas être confondu; il ne surcharge pas d'une éloquence hors de propos la recherche purement philologique ; il substitue au commentaire, qui trop souvent encore accumulait sa redondance autour du point à élucider, une critique froide, nue, aride. Il se montre incisif et minutieux; il procède directement, avec clarté et net- teté ; et, soit qu'il condamne une interprétation ad-

1. V. Rossi, Il Quattrocento, p. 51.

'4 LE QUATTROCENTO

mise, soit qu'il on fournisse une autre, soit qu'il explique un détail de mœurs ou d'histoire, il lui arrive souvent de prononcer le jugement définitif.

Dans tous les domaines naissent des œuvres qui commencent à marquer et dont l'avenir scientifique devra tenir compte. C'est l'époque oii se composent ou s'impriment les beaux monuments de philologie du siècle, et non seulement les MisccUanea de Polilien qui voient le jour en 1489, mais les Elegantiœ de Valla dont la première édition date de 1471, les Cornucopiœ dePerotti, les Quœstiones pluutinœ de Meriila, les Casti- gationes plinianœ jtrimœ et secundse de Barbaro. La critique littéraire jette ses premiers fondements, en latin dans le dialogue De hominilms doclis de Paolo Cor- tese, oii le jeune cicéronien examine l'œuvre des lati- nistes, qui depuis Dante l'ont précédé, avec une auto- rité dont nous avons souvent rapporté le témoignage; en italien, dans la délicate lettre que Laurent de Médicis adresse dans sa jeunesse au prince Federigo d'Aragon, ovi le poète adolescent analyse avec justesse et avec grâce la poésie des vieux auteurs d'Italie. La sylve de la Nutricia de Polilien, qui énumère toute la série des poètes du monde, depuis les siècles fabuleux de la Grèce jusqu'aux poètes de la décadence et jusqu'à Laurent le Magnifique ; les cinq livres De poetis la/mis de Pietro Crinito, qui racontent les vies des poètes de Livius Andronicus à Sidoine Apolinaire, offrent comme une ébauche d'histoire littéraire. Histoire litté- raire, critique littéraire, philologie, archéologie, par- tout la science triomphe. Et celte science va se hausser jusqu'au domaine supérieur de la pensée et recevoir un caractère divin dans l'Académie platonicienne de Florence.

GHAPITIΠIII

l'académir platonicienne les hommes

I. L'Aristole du moyen âpe. Gémiste Pléthon et la dispute des Grecs sur la préexcellence de Platon et d'Aristote. Platon et l'opinion de l'Italie ériidite. Platon est la beauté. —Naissance de 1 Académie platonicienne.

II. L Académie platonicienne. Son caractère. Son maître. Marsile Ficin sa vie et son influence. Auditeurs, amis et familiers de Marsile Ficin.— Chanoines, prélats, orateurs, savants, grammai- riens et poètes. Patriciens. Girolamo Benivieni et Pic de la Mirandole.

III. La vie des platoniciens de Florence. Visites, causeries, dialec- tiques, correspondances, promenades, villéf,'iatures, fêtes et banquets. Politien, Marsile Ficin et Pic de la Mirandoleà Fiesole. L'Amitié amoureuse : échange de tleurs, de vers et de madrigaux. Qualité platonique de cette tendresse. La beauté adorable. —Le christia- nisme des platoniciens. Leur conversion à Dieu et leurs sympathies

f»our Savonarole. Leurs préoccupations supérieures. Leur zèle, eur esprit et leur bel esprit.

I

La grande œuvre do rAcadémie platonicienne est d'avoir renversé Aristote.

Pour comprendre l'importance d'une telle révolution, qui marque une des dates les plus considérables de l'his- toire des idées, il faut se rappeler de quelle autorité abso- lue Aristote jouissait dans les écoles et la pensée du moyen âge, qu'à lui seul, dès le ix' siècle environ, il incarne, résume et domine. Aristote n'est pas seule- ment, pour nous servir des paroles de Dante, «. le maître de ceux qui savent, » il est le précurseur du Christ dans la nature, comme saint Jean est le précurseur du Christ dans la grâce. Il est la science, la vérité, la raison. Saint Thomas, voulant réconcilier la foi avec la raison, s'est borné à réconcilier la foi avec Aristote. L'Eglise a

76 LE QUATTROCENTO

adopté Arislote dont elle a fait le Docto?' evaiigelicits; toute opinion se réclame d'Aristote; on hausse les épaules devant qui n'a pas lu Arislote, et, à l'époque oii nous sommes arrivés, les maîtres d'Italie font jurer à leurs élèves de ne point contredire Arislote'.

C'est en face de ce colosse, armé de toutes pièces, dressé sur le formidable piédestal de la Somme tho- miste, que l'Académie de Florence ose redresser Platon. Grâce à l'Académie de Florence, l'étoile de Platon, éteinte avec la fin de l'école d'Alexandrie et la mort des Boëce et des Scott Origène,se relève à l'horizon, et désormais l'humanité pensante sera partagée en deux camps, sera ou aristotélicienne ou platonicienne, jus- qu'à ce que Bacon et Descartes, initiant la méthode expérimentale, rejettent, avec les deux disciplines, le principe d'autorité.

A elle seule, l'Italie, qui s'était désaccoutumée de la spéculation, n'aurait point opéré cette dépolarisation de la pensée. C'est ici que l'influence des Grecs intervient.

Erudits médiocres, pauvres orateurs et poètes nuls, on a vu que les Grecs sont des philosophes subtils. C'est un philosophe que ce Gémiste Pléthon,que le Concile d'union amène a Florence en 1439; c'est un philosophe « le prince delà sagesse», que ce Jean Argyropoulos que le Studio de Florence appelle en 1456 ; ce sont des philosophes que ces Gennadios, ces Bessarion, ces Gaza, ces Apostolios, ces Trapezuntios, qui viennent, passent, discutent, enseignent, injurient et syllogiscnt en Ita- lie. Grecs, ils ont gardé l'habitude déjouer et de jongler avec les idées pures. Ils se meuvent avec aisance dans le domaine de la spéculation. Ils sont préoc- cupés de hautes questions de psychologie, de morale, de mt'tupliysique, de logique et de dogmatique. Et ils révèlent à l'Italie, avec une autre langue et un autre esprit, une autre sphère d'activité intellectuelle.

L'un d'eux surtout laissa une trace inell'açable : 1. Valla, Opéra, p. 64S.

l'académie platonicienne. LES HOMMES 77

Gémiste Pléthon. Octogénaire, riche de toutes les ver- tus, beau de cette beauté supérieure des législateurs et des sages qui, selon lui, conduisent les peuples à la vérité, ce vieillard, qui a exercé dans le Péloponèse les plus hautes fonctions, qui a publié un recueil de Lotv, il s'est révélé le dernier des grands néoplatoniciens, et que le Paléologue a mis de son conseil royal, malgré les opinions païennes qu'il professe, resplendit à Flo- rence, « comme le soleil ». Il est animé d'une ferveur mystique. Il est secoué d'un frisson sacré. Sa pensée s'exprime en paroles amples et calmes. Il dit la splen- deur magnifique de l'ancienne Grèce, sa patrie, qui le fait pleurer sur la Grèce d'aujourd'hui ; il dit la triple révolution, religieuse, morale et économique, qu'il a rêvée, les trois degrés d'essences, idées, dieux et homme, qu'il a conçus, le Dieu hyper-ouranien qu'il adore. Il dit le bonheur qu'il place dans la contemplation de ce qui est très pur et de ce qui est très bon. Il prophétise une nouvelle religion qui ne sera « ni de Christ, ni de Mahomet, mais ne différant point essentiellement du paganisme». Et tout rempli de ces principes divins, s'élevant jusqu'au ciel sur l'aile légère des idées, face à face, corps à corps, il attaque Aristote. Il attaque la métaphysique d'Aristote, qui met le particulier avant le général ; il attaque la théologie d'Aristote, qui, au Dieu créateur de Platon, substitue un dieu inactif; il attaque la psychologie d'Aristote, qui n'ose affirmer réso- lument l'immortaliti' de l'âme ; il attaque la morale d'Aristote, qui fait résider la vertu non dans le bien, mais dans un juste milieu entre le mal et le bien;^ et comme Cosme de Médicis, attentif à la hardiesse de ces idées, l'a prié de les écrire, en 1489, à Florence, il publie son opuscule : ïhp\ wv 'AptirTC-sAY;; izplç llXaTwva sia- fépsTat'. Aussi bien les uns et les autres peuveut-ilsdis-

1. F. Schultze, Ge.ichichle lier Philosophie der He naissance, I, Geor- gios Gemistos Plelhon und seine reroniiatorischen Bestrebuntien. léna 187i. , . fe 1 1

]

78 LE QLATTROCEMO

Guler, rédarguer, ergoter, aboyer et crier à perdre de. vue; Gennadios, rentré chez lui, prendre la plume pour défendre l'orthodoxie menacée; Gaza, composer son opuscule sur le libre arbitre: Ilepi ixcuaiou '/,x\ àxcuaiou ; Gaza, disserter sur la conscience et l'inconscience de la nature : "0 -,i y; (fCai; 'iJoo/.z.ùt-oci; Trapezuntios, reprendre la question de Gaza: El yj çûciç ^z\jXzù=t:<xi ] Trapezuntios couvrir Platon d'anathèmes et de gros mots dans sa Comparatio Plato/iis et Aristotelis ; Michel Apostolios répondre à Gaza, et Andronic Callistos répondre à Michel Apostolios ^ l'impression laissée par cet homme que Florence aurait béatifié et dont Sigismond Malatesla va rechercher la dépouille en Orient demeure resplen- dissante : « J'ai confuté Arislote, écrivait-il, afin que per- sonne, ne le tenant pour sage sur tous les points et ne se mettant à le suivre, ne se remplisse, sans le savoir, des principes qui conduisent à l'irréligion-. » Voici le point fixe : Aristote n'est pas la colonne de l'Eglise que ceux d'Occident, trompés par Averroès, avaient dressée. Et lorsqu'en 1469 le cardinal Bessarion clôt par son livre. In calumniatorem P lai o?iis, cette controverse, qui a duré trente ans, s'il reconnaît loyalement la vertu d'Aristole, qu'il appelle un bienfaiteur de l'humanité, à l'exemple de son maître Pléthon, chez qui il saluait l'âme réincarnée du divin penseur de l'Académie, il se déclare résolument platonicien.

Une telle querelle, qui n'avait eu que les Grecs pour partenaires, ne devait point échapper à l'Italie.

L'humanisme italien, déjà si curieusement informé, est aux portes, qui écoute, qui regarde, qui suit les

1. Sur la querelle de Plnton et d'Aristole, voir L. Stein, Der humanisl Gaza ala philosoph. Arch. fiir Geschiclite der Philosophie, II. I8S9. A. Gaspary, Zur ('Jironolof/ie des Slreitex der Griechen ilber Plato und Aristoleles im XV lahrhunderte, ib., III, 1890.

2. « Aià Jt) TaÛTa nâvta xal r,\i.tî(: (xâXtorra tov àvSpa 7rpcir|Yixe6« IXiy/ii'f, ïva (xr^ tic 'Aitp6r, 7iEi6<i|ievo(, ûirTiep xal tûv npô; è.(ncépav ol noXXol, xal co; navra «to^iô aùtû irpoTZYUv â|xa xal tûv è( à^t6xr\-:oi avToi 9epow<Tfa)v îoÇwv XâOr) àvaiiXr)(TOel«, àXV et8ù>î aJToy TOÎîffviyYP^f'!**'' T^y^va |iév ta |io/Or)pà èYxaTajit|jiiY|Aîva, oOx 6\iy* xal ta XP1<"^) ^* XprJTcà lî) TftÛTa avaXt^^l^vof fuXâTTT) x'x |j.oxOr|pà. »

l'aCADÉMIK PLATOMClE>NE. LES HOMMES 7^

passes, qui note les coups, qui s'addextre, qui s'initie, qui profite et qui apprend. Secrètement, dès le début du Quattrocento, il pactise pour Platon, que Leonardo Bruni est entrain de lui traduire. Aristote a perdu, auprès de l'opinion érudite, quelquechose do sa faveur souveraine. Pétrarque n'accordait déjà plus à Aristote que la seconde place dans son Trionfo délia fama. Cino Rinuccini peut se plaindre de l'abandon on laisse Aristote, « qui, dans les choses naturelles qui ont besoin de démons- trations et de preuves, reste le maître ». Leonardo Bruni doit défendre Aristote contre ceux qui l'accusent de manquer d'éloquence. Poggio Bracciolini, qui étudie Aristote en Angleterre, sans grand profit, lui attribue la rusticité de son style. Aristote, du moins l'Aristote qu'on connaît, celui de saint Thomas et des Arabes, si souillé « qu'il ne serait pas davantage reconnu dans ses livres que les chiens ne reconnurent Actéon changé en cerf », c'est le moyen âge, c'est la barbarie delà sco- lastique, c'est le pédantisme sec, inélégant et stérile de la pauvre science traditionnelle. « 0 dieux bons, s'écrie en 1400 Niccolô Niccoli, qui s'indigne de la misère des faiseurs de syllogismes, qu'est-ce que cette race? Rien que leur nom me fait horreur : Farabrich, Ruser, Occam et d'autres du même genre. A la vérité, ces noms me paraissent tirés delà cohorte de Rhadamante '. »

Au contraire, Platon, que n'a maculé aucun commen- taire, d'autant plus grand qu'il est plus inconnu, est l'antiquité pure et splendide. C'est, à en croire Cicéron, l'éloquence même : « Si Jupiter avait voulu parler aux hommes avec une langue humaine, il n'en aurait point choisi d'autre que celle de Platon. » Platon excelle, « par une certaine élégance divine et homérique, et faconde de parler ». Platon, selon Pétrarque, est le philosophe des princes 2, tandis qu'Aristote n'est que

1. « At quae gentes, Dii boni? Quorum etiam nornina perhorresco ; Farabrich, Buser, Occam, allique ejusmodi ; qui omnes mihi videntur a Rhadamantis cohorte traxisse cognomina. »

2. « At si quseratur uter sit laudatior, incunctanter expediam, inter

80 LE QUATTROCENTO

le philosophe du vulgaire. « Chez Platon, écrit Leo- nardo Bruni, il y a beaucoup d'urbanité, un grand art de la dialectique, et de la subtilité, et de nombreuses sentences divines rapportées en une incroyable abon- dance pour le plaisir des assistants. Son éloquence est d'une facilité extrême, remplie de cette merveille que les Grecs appellent x^?^- Rien qui sente la sueur. Rien de violent. Les choses y sont dites comme par un homme qui a en sa puissance les mots et leurs lois'. » Platon est la vérité, corroborée de l'autorité d'un saint Augustin, qui put dire qu' « à peu de choses près les platoniciens sont chrétiens » ; et pour l'Italie, éprise d'une belle langue et d'une belle forme, qui voit dans la Grèce une éco- nomie supérieure à l'antiquité latine, Platon est plus encore, Platon est la beauté.

Alors, arrive Gémiste Pléthon, qui, d'une parole fer- vente, dispute, à F'iorence, « des mystères platoniques ». Alors, arrive Jean Argyropoulos, qui, «non sans une grande admiration des auditeurs », découvre h Florence « les opinions de Platon et toutes ces disciplines ar- canes et cachées'. » Alors éclate entre les érudits de la Grèce la querelle de la primauté d'Aristote ou de Platon. Elle emploie des termes inédits, agite des questions inconnues, ouvre un horizon supérieur et fermé. 11 s'agit de savoir si l'homme est libre ou ne l'est pas; si la nature agit avec dessein ou sans dessein ; si elle est incons- ciente du but elle tend, ou si elle offre une essence divine qui travaille par raison souveraine; si la rédexion

hos rcTerre, quantiun c^n arbitror, quod inter liiios, quoruin altcniin principes proccresque, alterum universa plebs laudut. » Pkthauqik, Opéra, Baie, 1.'m4, p. 1161.

1. « Est in illo plurima urbanitas, summaqiie disputandi ratio, ac subtilitns, uberrimiK divininquc sententifK dispulantiuiii iiiirifica jociin- ditate, et incrcdibili dicendi copia refenintur. In Orationo vcro suiiiiiia racilitas, et rniilla atqne adiniranda, ut Gra-ci diciint yip'-;- N'iiiiii ost insndulionis, ni(tliil violcnti ; oninia sic dicta siint r|uasi ab hoiniiic <|iii verba atqiie eoruin leges habeat in potcstatc... » Leomaiiuu iiiuM. EpiHl. 1.8.

2. « IMatonis npininncs atque arcanas illas et reconditas disciplinas nporuit non sine riia^na aiidienliutn admirationc. » Voss, Monuineulu tiil A. Itinnrrini vilain..., Florence, 1791, p. Gl. (If. Zippcl, Ver la (nogritfi'i deU'.ir/firopnlo, (îiorn. slor. délia lelt. ilal., 18'J6, p. 'J2,

I

l'académie platonicienne. LES HOMMES 81

osL immanente à la nature ou si elle appartient en propre à l'esprit divin qui gouverne la nature; si le dogme de la Trinité est contenu ou n'est pas contenu dans Aristote. Les grandes disciplines de l'humanité entrent en cause, sont discutées dans leurs principes. Hé! qu'importent les diphtongues, les orthographies, Sci- pion, César! C'est du christianisme, du platonisme, de l'aristotélisme qu'il s'agit. Laissons une bonne fois les pures fadaises pour les nobles problèmes, les hautes idées, les intérêts suprêmes d'un univers transcendan- tal. Un champ infini se révèle. La dignité de la méta- physique apparaît.

Et, sous cette influence venue de l'Etranger, l'Aca- démie platonicienne de Florence voit le jour.

II

Si l'on veut se représenter l'Académie platonicienne, il faut se départir des idées modernes qu'on attache à ce genre d'institution ^

L'Académie de Florence n'est point une compagnie officielle, régulièrement établie, jouissant d'une auto- rité reconnue, exerçant une activité ordonnée, soumise à la discipline d'un règlement ; elle ne possède point de siège social, ni de rôle de membres, ni de statuts; ou, du moins, aucun document de l'époque n'en fait mention. Plus qu'une école, c'est une doctrine, et plus qu'une Eglise, c'est une religion, une même attitude de pensée, un môme état d'âme, une ferveur ardenteet pure groupant en un culte pareil tous les fidèles de

1. Sur rAcadémie platonicienne, voir: K. Sieveking, Die Gescliichte der platonischen Akndemie zu Florenz, Hambourg, 1844, F. Pucci- notti, Di Marsilio Ficino e délia academia plalonica fiorentina nel secolo XV (estratti dalla Storia délia Medicina), Prato, 1865. H. Hett- ner, Das Wiederauflehen des Platonismus (Italienische Studien), Brunswick, 187!>. Luigi Ferri, VAccademia plalonica e le sue vicende, Nuova Antologia, Rome, 1891. 11. Uochols, Der IHalonismus der Renaissnncezeif, Zeitschrift fur Kirchengeschichte, Gotha. 1892. G. Uzielli, Académie plaloniche in Firenze, Giornale di erudizione, Florence, 1896 et années suivantes.

II. 6

82 LE QUATTROCENTO

Platon, «non réunis par le commerce et la cohabita- tion, mais assemblés parla communion des disciplines libérales ». Un homme en est le centre, l'esprit, la vie, Marsile Ficin.

ISé à Figline, le 29 octobre 1433, d'un père médecin qui s'appelait Diotifeci et qu'on surnommait Ficino ; destiné à la médecine qu'il s'en va apprendre à Bologne ; arraché à ces études par Gosme de Médicis qui, sous l'influence de Pléthon, a rêvé « une certaine académie» et l'a désigné, lui, encore enfant, à « une aussi grande œuvre -^ », Marsile a six ans lorsque le Concile d'union se réunit à Florence, vingt-trois ans lorsque le Grec Argyropoulosy vient enseigner, trente- six ans lorsque le Grec Bessarion écrit sa défense de Platon. A vingt-trois ans, il a porté à Cosme, comme premier essai de son industrie, ses Institutiones plato- nicœ, coUigées sur des versions alexandrincs ; à vingt- trois ans, il a, «comme exercice de mémoire », com- pulsé et comparé les doctrines de Platon, d'Aristote, de Zenon, d'Epicure dans le traité du De Voluptate ; il a traduit les Lois de Platon, la Théogonie d'Hésiode, les Hymnei de Procul, d'Orphée, d'Homère, et il s'est mis à sa traduction de Mercure Trismégiste; en 1477, parait sa traduction de Platon, en 1485, sa traduction de Plotin, en 1485, ses commentaires de Plotin; entre temps et tout du long, ses traductions de l'ensemble des néo-platoniciens qu'on possède : Psellus, lamblique, De- nys d'Aréopage, Procul, Porphyre, Alcinous, Pseusippe.

1. « Non ex quovis commertio vei contubernio confluentium, scd in ipsa duntaxat liberalium disciplinaruin communione convenentium. »

PiciN, Ep. XI, p. y:n;.

2. « Magnus Cosnius, qiio tenipore Concilium inler Gra>cos nique Lalinos sub Eugenio Pontiflce Florentia; tractabatur, Philosophuin Griccuni, nomino Gemislum, cognoinine Plethonem, quasi Plalonein altcruiii de mysteris Piatonis dispulantcni fréquenter audivit : et cujus ore fervent! sic afflatus est protinus, sic aniniatus, ut inde acadeniiam quanidaiu alla inenle conceperit, liane ojjporluno primo teinpore pariturii». Dcinde duiu conceptuin laiituin Miif^niis illc Medices (|uo- daiiimodo parturircl, me cleclissimi Mcdici sui Ficini Mliiun adliuc puerum lanlo operi deslinavit : ad hoc ipaum educavit in dies. » Ficin, Opéra, p. 1534.

l'académie platonicienne. LES HOMMES 83

Une telle calture fait de Marsile un homme nouveau. Les préoccupations qui l'assiègent ne sont plus les préoccupations de rhétorique et de grammaire qui dé- frayaient la meilleure activité de l'érudition. Il plane en dehors, au-dessus de pareilles affaires, dans une région supérieure, les suprêmes intérêts se débattent sous le regard de l'infini. est la vérité entre tous ces systèmes qui l'effleurent, entre toutes ces sagesses qui le sollicitent, entre toutes ces idées qu'il remue, rejette, reprend et qui le remplissent de « doutes et de questions »? Qui croire? Qui adorer? Est-ce l'effet de Saturne, sous l'influence duquel il naquit, que cet accès de fièvre quarte qui le tourmente ? Ou faut-il y voir plutôt un salutaire avertissement de Dieu? Quels livres parmi les innombrables qu'il absorba, traduisit, commenta, propres à le consoler et à le guérir? Et, un jour qu'il souffrait d'une violente brûlure et cuisson d'urine, il s'est tourné vers Dieu et la Vierge Marie, les priant de le soulager, et, comme ils l'ont incontinent exaucé, de ce moment, n'hésitant plus, il s'est fait chrétien.

Aussi bien, Marsile Ficin n'est pas humaniste, n'est pas orateur, n'est pas professeur'; il est théologien, non, H vrai dire, de ces théologiens barbares, héritiers de la pauvre science d'école, qui discutent à perte de vue de l'orthodoxie des monts-de-piété et de la divinité du sang que le Christ répandit sur la croix, mais théo- logien gracieux, mais théologien lettré, mais théologien platonique. Sa science est la science de Dieu. Sa poésie est la poésie de Dieu. Et sa vie, animée d'un amour religieux, et d'une religion amoureuse^, est une vie d'âme. Pauvre, et s'en consolant par le mot d'Aristote,

1. « Siquidern superbior illa Philosophia moiestissiinis nos qusestio- nibus implicat. » Epist. V, 184.

2. Les Libri delîo Studio, conservés à Florence, ne font aucune mention de Marsile Ficin. Voir Isidoro del Lungo, Florenlia, p. 129.

3. « Mitto ad te amorem quem promiseram. Mitto etiam religionem, ut agnoscas et aiuorem meum religiosum esse et religionem amato- riam. » Epist. I, 632.

LE QDATTROCENTO

qui prétend que la fortune est rarement du côte de l'esprit; célibataire, et ne comptant comme enfants que des livres •, il ne connaît d'autres aventures que ses pensées, ni d'autres passions que les crises qu'il tra- verse et les doutes qui l'assaillent. 11 s'est garé des affaires, des multitudes, du peuple ((semblable à la poulpe, animal sans tête et à beaucoup de pieds^». 11 vit à la campagne, dans la villa du Popolo de Saint- Pierre que Cosme lui a donnée, près de Platon, aux pieds de Dieu. Complètement adonné à la philosophie, qui est, selon Platon, une ascension des choses qui naissent, passent et meurent aux choses qui sont, il ne lui semble vivre que lorsqu'il pense ou écrit de ques- tions divines. A chaque heure, il s'efforce d'apprendre quelque chose de nouveau, autant pour obéir à Solon que pour se conformer à la nature qui, nous ayant donné beaucoup d'instruments pour apprendre, les yeux, les oreilles, les mains, le nez, le goût, ne nous donna que la parole pour enseigner. 11 travaille cons- tamment, pareil non à Dieu qui se reposa le septième jour, mais au ciel qui ne se repose jamais et trouve son repos dans le mouvement. Ses joies s'appellent une dialectique amoureuse poursuivie à l'ombre d'un peu- plier, le commerce d'hommes sages, le reçu d'une lettre philosopbique. Encore que l'ennemi des princes, (( chez qui habitent les mensonges, les simulations, les dissimulations, les mauvaises paroles et les llalte- ries-' », il cultive les Médicis, famille illustre et sage, qu'il peut comprendre sous une seule race, (( la race héroïque^». 11 reçoit ses amis présents; il écrit à ses amis absents des épîtres poétiques et divines qu'on

1. « Ego, ut 8cis, nulles unquain genui liberos, nisi libros. » Ep. VII, 858.

2. « Quid picbs? Polypus quidam, id est, animal multipes sine capite. » Ephl. I. 032.

.1. « Apud principe» autein non veritas habitat, sed mnndacia, simii- lationes, (liHsitnulationcs. obtrcctaliones, adulalionos. » Epiai. V, p. 7!»3.

4. « L'na Medircs omnes commimi laudo complectar, genus tieroï- cuin. » Epiât. XI, Wfi.

l'acadé3iii-: platonicienne. les hommes 85

pourra facilement reconnaître à ce fait qu'il y intro- duit toujours quelque sentence, ou morale, ou natu- relle, ou théologique' ; et quand il est triste, en proie à un accès de cette nostalgie éternelle qui s'est assise à son chevet et l'a courbé dans l'à-quoi-bon des desti- nées, il s'assied à cette ombre de Dieu qui est le soleil, ou bien il saisit sa lyre, cette lyre qui, selon Mercure Trismégiste, fut donnée aux hommes pour dompter le corps, tempérer l'âme et louer Dieu, et il en joue. Et enfin, le 3 octobre 1499, il accomplit cette existeace humaine, qu'Euripide appelait bien le songe d'une ombre.

Ce petit homme, qui va au (lanc d'un homme ordi- naire, un peu bègue, aux longues mains, à la santé chétive, mélancolique, pensif et doux'-', est le centre d'un mouvement puissant dont les ondes agrandies se propagent par le monde. Sorte d'initié, légataire et détenteur d'une sagesse aussi mystérieuse que suprême, il illumine les esprits d'une nouvelle lumière et groupe les forces selon un nouvel ellort. Soit dans sa maison, qu'il orna de gracieuses maximes, telles que : u N'estime point l'argent,... n'appête point les dignités,... fuis les négoces,... évite l'excès », et il entr'ouvre les jeunes âmes selon la discipline socratique ; soit dans l'immense correspondance qu'il entretient en France, en Alle- magne, jusqu'en Hongrie, avec un public de rois, de ducs, de prélats, de savants et de sages, il ne se lasse point de répandre la bonne nouvelle. Il dit : « La beauté du corps ne consiste point dans l'ombre matérielle, mais dans la lumière et la forme, non dans la masse ténébreuse du coi'ps, mais dans une lucide proportion, non dans la paresseuse lourdeur de cette chair, mais

1. « Sed facile hoc signo scripta nostra discernes ab alienis, in epis- tolis meis sententia quœdain seniper pro ingenii viribus, aut moralis, aut naluralis est, aut theologica. » Epist. 1, p. 618.

2. Stalura fuit admodum brevi, gracili corpore, et aliquantum in utrisque huuieris gibboso ; lingua parumper haisitante, atque in pro- latu dumtaxat littene S balbutiente... » Giovanni Cohsi, Marsili Ficini Vita, Pise, 1772, p. 47.

86 LE QUATTROCENTO

dans le nombre et la mesure^ » Il dit : « Ecoute-moi, je veux t' apprendre en peu de paroles et sans aucun salaire, l'éloquence, la musique et la géométrie. Per- suade-toi de ce qui est honnête, et tu seras parfait ora- teur ; tempère les mouvements de ton âme et tu sauras la musique; mesure tes forces et tu seras un vrai géomètre-. » Et il dit : « Comme l'oreille remplie d'air entend l'air, comme l'air rempli de lumière voit la lumière, c'est Dieu qui, dans l'âme, voit Dieu. »!

Il n'a point de disciples : qui est-il pour enseigner aux autres? Il n'a que des amis, des familiers, de chers compagnons d'idées, de rêve et d'étude, qu'il exhorte, prêche, suscite et avertit de son doigt levé; et s'il les comprend en deux catégories, ceux avec qui il disserte et ceux qui se contentent de l'écouter lire, tous ont du talent, tous ont des mœurs, tous sont platoniciens.

La plupart d'entre eux, qu'il énumère à « son ami unique » Martin Preninger, chancelier de l'évêque de Constance 3, nous sont inconnus. Nous ne savons pas qui est Antonio Serafico, Michèle Mercati, Domenico Galletli, Francesco Bandini, Sebastiano Salvini, Bene- detto Bigliotti, Antonio Calderini. Ces hommes sont nés et ils sont morts : ils n'ont vécu qu'une heure, ne valant pas par eux-mêmes, mais par les idées qu'ils portaient. D'autres nous sont familiers : ce sont les poètes, les grammairiens, les érudits que nous avons vus groupés autour de Laurent, maintenant placés sous un autre jour; le vieux maître Cristoforo Landino, le poète Naldo Naldi, Loronzo Lippi, Amerigo ('orsini, le bibliothécaire de la Vaticane, Bartolommco Platina, le

1. « Pulchritudo corporis non in umbra materise, sed in luco et gratia fornoH'-, non in lenebrosa mole, sed in lucida qtiudnm proportions, non in pigro incptorjuc pondère, sed in convenienli niiincro et mensiira. » Eptsl. I, 6:il.

2. « Kgo le et (gratis, et paiiris, oratoriaiii, et nuisicain geoiiietriaiiKiiio docct)o. Tibi ipHi qtiod lioneslum est persuade, tempera iiinliis imiini, vini tiiam aclionesqne nictirc. » Epiai. I, 04 1.

3. Epiai. XI, p. y36.

l'académie platonicienne. LES HOMMES 87

grec Demetrios Chalcondylas. Tous appartiennent aux mondes les plus divers, aux classes sociales les plus éloignées, pauvres ou riches, jeunes ou vieux, Italiens ou étrangers.

Fanio est prêtre; Vespucci, dominicain de Saint- Marc ; Alduino, chanoine de Dôme; Bosso, chanoine de Fiesole ; Agli, évoque de Fiesole ; Cherubino Quarquaglia de San-Gemignano, est grammairien ; Lorenzo Buonin- coiitri est astrologue, auteur d'œuvres scientifiques et poétiques il explique les révolutions des astres en vers latins; Pietro-Leone est le médecin de Laurent; Baccio Ugolino et Niccolô Michelozzisont les chanceliers de Laurent; Francesco de Diacceto est le continuateur de l'œuvre de Marsile au xvf siècle ; Benedetto Accolti est chancelier de la République; Bernardo Nunzio, ora- teur ; Leone-Battista Alberti, architecte; et Girolamo Benivieni ('1453-1542), que Politiendit cher à Phœbus, qui rappelle Homère à Pic de la Mirandole, est poète.

La famille platonicienne se recrute encore dans le monde du patriciat, qui entremêle au commerce des allaires publiques le commerce des idées pures. Ce sont les Pazzi, les Soderini, lesGuicciardini, les Valori, les Albizzi, les Ricasoli. Girolamo de' Rossi achète h Laurent un buste de Platon retrouvé sur les bords de l'Ilyssus; Amerigo Benci achète à Marsile les dialogues du maître ; Tommaso Benci traduit du latin le Pimandre, que Marsile a traduit du grec; Giovanni Corsi écrit la vie de Marsile, et Giovanni Gavalcanti est son ami joyeux et clair. Alamanno Rinuccini (1426-1504) est prieur, membre du collège des Dix, auteur de ser- mons, de rOraison funèbre de Matteo Palmieri, de la Vie latine de Gianozzo Manetti, traducteur de Plutarque, de Lucien, d'Apollonius de Thyane. Donato Acciajuoli (1428-1478) est magistrat, goiifalonnier, ambassadeur en France, à Rome, à Milan : si beau que Florence garde son image dans un monument public, si illustre que c'est Politien qui dicte son épitaphe, si aimé que

88 LE QUATTROCENTO

Cristoforo Landino éclate en pleurs en prononrant son oraison funèbre. Bernardo Rucellai, que nous avons déjà rencontré, également gonfalonnier, officier de l'Université de Pise, ambassadeur, écrit une œuvre latine dune telle éiégance qu'Erasme, qui l'a connu à Venise, l'appelle, comme on a vu, un autre Salluste. Cependant, de cette foule appliquée, un homme se détache en relief, marqué de traits de grâce, de lumière et de beauté : Pic de la Mirandole.

Jean Pic est prince, seigneur de la Mirandole, comte de Concordia, apparenté par sa mère aux Boïardo de Scandiano, par ses frères, par ses sœurs, aux Pio de Garpi, aux Ordelafli de Forli, aux Gonzague de Man- toue, aux Este de Ferrare. Il est beau, svelte, blond, avec quelque chose de divin répandu sur son visage. La fortune lui a tout donné, môme la modestie. Il ne se targue, ni ne se gonfle. Politien l'appelle un héros; ses contemporains, un phénix ; Machiavel, un homme quasi divin.

dans le bourg féodal de la Mirandola, le 25 février 1463, l'année même Marsile commençait à traduire Plotin, nommé à dix ans notaire apostolique de par l'in- fluence de sa mère, Giulia Boiardo, qui l'aurait voulu car- dinal, ilaétudiéà Bologne, à Ferrare, àPavie, à Padoue,à Florence, à Paris, dont il parle « la langue parisienne ». A Ferrare, ûgéde seize ans, sachant le grec et le latin, connaissant le droit et l'art des rythmes, doué d'une telle mémoire qu'il répète sur-le-champ et à rebours la poésie qu'il vient d'entendre, et pourvu d'une telle décision qu'il ose disputer publiquementavecLeonardo Nogarola, l'adolescent en soutane a déjà produit une impression éblouissante. A Paris, contre la vieille Sor- bonnescolaslique, il a conçu le dessein un peu étrange, détonnant comme un anachronisme dans l'histoire de riiunianisnie italien, de ses !)0<) thèses à soutenir en public'. Le projet était beau de hardiesse juvénile :

1. CepentJant un autre Italien, le fllii de Francesco Filciro, Gian Maria,

l'académie platonicienne. LES HOMMES 89

embrasser la pensée universelle dans ses mille faces, ses mille reilets, ses mille conlacts, la saisir dans ses sources et ses développements, la montrer dans son jeu d'actions et de réactions, et faire cela à Rome, la capi- tale de la pensée, et cela devant les docteurs, les sages, les maîtres de l'Europe, auxquels il offrait le voyage! Auparavant Pic se serait levé et il aurait prononcé un discours sur la Dignité de i homme ; il aurait dit, comme Mercure Trismégiste, que l'homme est un grand miracle; il aurait dit que Dieu n'a donnéà riiommc ni un siège déterminé, ni une face particulière, ni aucun bien spécial, afin que l'homme acquit et possédât à son désir le siège, la face et le bien qu'il souhaite ; il aurait dit que Dieu n'a créé l'homme ni céleste, ni terrestre, ni mortel, ni immortel, afin que l'homme devînt l'artisan et le mode- leur de sa propre forme et qu'il pût, selon sou arbitre et son choix, ou dégénérer dans les êtres inférieurs et brutaux, ou renaître dans les ôtres divins ' ; et il aurait montré, autant par son éloquence, que par sa jeunesse, son érudition et sa beauté, l'exemple vivant de cet bomme deux fois ! Les thèses portées, du nombre de 700 qu'elles devaient avoir originairement, au nombre de 900 «car, si notre science des nombres est exacte, ce chiffre est le symbole de l'âme qui, ébranlée par les Muses, retourne à elle-même ' <> ont été expédiées à Rome, soumises à un collège de savants apostoliques et

avait, en 1460, devant le doge et la signorie de Venise, répondu sur-le- champ à trente-deux questions à lui posées. Voir G. Favre, Vie de Jean Marins Philelphe, p. 88. Cf. F. Gabotto, Alli délia socielà ligure di sloria palria, XXJV, p. 80.

1. « Nec certani sedeni, nec propriam facem, nec munus ullum pecu- liare tibi dediuius, o Adam, ut quam sedem, quam faciem. qute niunera tute optaveris. ea pro voto, pro sententia tua habeas et possideas... Médium te mundi posui ut circumspiceres inde commodius quiquid est in uiundo. Nec te ca-lestem. ne(|ue teirenum, neque mortaleui fecimus, ut tui ipsius quasi arbitrarius honorarius(|ue plastes et fictor in quam malueris tute rormam eifingas. Poteris in inferiora quse sunt bruta degenerare, poteris in superiora qu.e sunt divina ex tui animi sententia regeuerari. > Pic de la Mihandole, Opéra, De hominis celsitudine et dignitate.

,. 2. « Est enim (si vera est nostra de numeris doctrina) symbolum anima; in se ipsam a-slro Musarum percitœ recurrentis. » L. Dorez, Giorn. slor. délia lett. ilul., XXV, 332.

90 LE QUATTROCENTO

publiées en 1486. Si ce n'est que, dans le monde du Vatican, des objections n'ont pas tardé à se faire jour contre « ce mage, impie, nouvel hérésiarque », qui, à peine âgé de vingt-quatre ans, en veut savoir» plus qu'il n'en faut », dispute avec des savants réputés de sciences incon- nues, se montre coupable d'ostentation et de vanité. Et, instruit de ces bruits, le pape Innocent VIII a suspecté d'une certaine hérésie les thèses du jeune homme « enveloppées de vocables nouveaux et insolites » ; il a convoqué une commission qui en a jugé plusieurs erro- nées, fausses et dangereuses; il a enjoint à un tribu- nal inquisitorial d'arrêter et d'incarcérer ceux qui devaient y souscrire; tellement qu'en dépit d'une Apologie dépêchée dans la fièvre de vingt nuits et dont la publication défendue n'a fait qu'irriter les esprits, Pic a fuir de Rome. Il s'est réfugié en France où, aux premiers jours de 1488, il est arrêté en Dauphiné et jeté en prison par le seigneur Bresse. C'est du donjon de Vincennes, il subit une captivité de quelques semaines, que Pic arriva à Florence^

A Florence, Pic était chez lui. Il y était déjà venu, au commencement de 1484 ou à la fin de 1483, et, lors de ce premier séjour, sa jeune âme avait reconnu dans cette ville, qui s'élançait à Dieu sur l'aile des idées, la patrie élue de ses rêves. Auprès de Politien, qui admirait « ses vers patriciens », à côté du pieux Marsile qui lui avait révélé Platon, en compagnie du tendre Benivieni qui semblait fait de son essence, il avait respiré un air tonique, joui d'ime liberté charmante, noué des amitiés précieuses. « Sois heureux, sois Florentin!» lui écrivait Marsile. Battu parla vie, il écouta ce conseil, et revint à Florence, comme l'oiseau retourne à son nid.

Florence accueille ce relaps, qui, sous un déguise-

1. Léon Uorez et Louis Tliuasnc, Pic de la Mimndole en France, Paris, 1897.

2. « Esto felix, Plorentinui estol » Epist. VIII, 889.

l'académie platonicienne. LES HOMMES 91

Tïicnt, avait passer la frontièro, avec un sourire. Laurent le défend auprès d'Innocent VIII, accepte la dédicace de son Apologie et, avant de mourir, veut reposer son regard sur son visage de jeune dieu ; les érudits, les poètes, les sages, se réunissent autour de sa beauté; en 1489, la Signorie lui donne la bourgeoisie d'honneur. Arrivé au port, Pic reprend ses chères études orientales : l'hébreu auquel il s'adonne avec une telle ferveur qu'au bout d'un mois il peut écrire une lettre sans faute* ; le chaldéen; l'arabe; jusqu'à la Kabbale que des maîtres appelés de loin, payés à prix d'or, enveloppés de mystère, lui enseignent à mi-voix, portes closes, verrous tirés. En dehors de son Hepta- plus et de son traité De Ente et Uno^ qui paraissent en 1489, il travaille à son livre Contre V Astrologie et à sa Concordance de Platon et d'Aristote^ qui devait être le grand œuvre de sa pensée et de sa vie. « Je lui donne tout le matin, et je réserve l'après-midi aux amis, à la santé, quelquefois aux poètes et aux orateurs, et lorsque l'occasion s'en présente, aux œuvres plus légères. Quant à la nuit, elle est répartie entre le sommeil et les Saintes Ecritures^. » Il est fervent, attendri, scrupuleu- sement religieux. « Le comte de la Mirandole, mande Laurent de Médicis, s'est établi chez nous il vit saintement et comme un religieux. Et il a fait et il fait continuellement des œuvres de théologie très dignes. Il commente les Psaimies. Il écrit d'autres choses théolo- giques et dignes. Il dit l'office ordinaire des prêtres, il observe les jeûnes et une très grande continence. Il vit sans pompe et grande cour. Il n'use que du nécessaire, et à moi il me semble un exemple aux autres hommes^. »

1. « In qiia possum nondum quidem cura laude, sed citra culpam, epistolam dictare. » Pic de la Miuandole, Opéra, epist., 20.

2. « Do ilii justum niatutinum, posl meridianas horas amicis, vale- tudini, interdum poetis et oratoribus et si quœ sunt studia operae leviori ; noctem sibi cum sonino sacne littera» partiuntur. » Pic de la MiRANr)OLK, Opéra, epist., 5.

3. « il conte délia Mirandola s'è fermo qui con noi dove vive molto santamente e corne uno religioso e ha fatto e fa continuamente dignis-

92 LE QUATTROCENTO

Tantôt à Florence même, tantôt clans sa villa de Quar- ceto près de Fiesole, il préfère « aux faveurs de la Curie, aux affaires de l'Etat et aux palais des rois, sa cellule, ses études, les rayons de sa bibliothèque et la paix de son âme ^ ». Lorsque cette àme est triste, il la guérit de quelqu'une des douze sentences qu'il a com- posées et qu'il tient à sa disposition : Vita sommts et itmhra... .Sternum j^rœmwin, alterna pœna... Crux Cliristi... Mors instans et improvisa. Et il meurt le 14 novembre 1494, le jour même oii le roi Charles VIII faisait son entrée à Florence. Alors on le revêtit d'un bonnet rouge, on l'habilla d'une toge blanche et on le coucha dans une tombe du couvent de Saint-Marc. Il n'avait pas encore trente-deux ans.

ni

La vie de ces hommes si divers, que ne réglemente aucun code, que ne légifère aucune oflicialité, est char- mante. Une tendre causerie, une lettre suave, une longue promenade le long des chemins bordés de roses de Fiesole, un banquet servi dans quelque salle de palais ou de villa accueillante, tels les actes de l'Aca- démie platonicienne. Nous ne savons pas ses registres et ses lois, nous savons ses voluptés et ses fêtes.

Lorsque le vieux Cosme taille sa vigne dans sa villa de Careggi, il appelle à lui le jeune Marsile, qui lui lit du Platon et lui touche de la lyre'^ ; et c'est sur une lecture de Platon qu'il rend l'âme, en prononça^nt des

«ime opère in teologia : comenta i Paahni, scribe alcune altre cose degne teologiohe. iJice l'orficio ordiiiario de' preli, osserva il digiuno e grandissirna coiilinentia; vive sanza molto fainiglia o pompa; sola- nienlc si serve a nécessita, e a me pare uno exeniplo degli altri uomini. » Fabroni, op. c , p. 2'Jl.

i. « (!eliiilani meam, mea sludia, meorum librorum allactamenla, iiicain aniriii pacem. re^iis aiilis, publicis ncf^oliis, vcstris aucupiis, curiii! favitribiis antepono. » l'ic dk i.a Miiiamiole, Opéra, cpist., 36.

2. « Conliili heri me in aj^riim (Miaregium, non agri, sed animi colendi

f:ralia, Veni ad nos, Marsili, quamprimum. Ker lecum IMalonis nostri ibrum de Suuimo bono... Vale et veni non absque orphica lyra. » Fici:». KpUt. 1, 608,

L ACADÉMIE PLATONICIENNE. LES HOMMES l3

paroles de Xénocrate. Sous les mêmes arbres de Careggi, Laur<mt et Marsile disputent de la félicité suprême, et leur dispute est si aimable qu'ils en veulent consigner le souvenir, Marsile dans un petit traité en prose que nous trouvons dans ses lettres, Laurent dans un petit poème en vulgaire, qui s'appelle ÏAllerca- zione^. Pic de la Mirandole et Ange Politien s'en vont de compagnie visiter à Fiesole le chanoine Matteo Bosso, et le propos de cet homme aux saintes mœurs, les ravit à ce point qu'au retour, se trouvant seuls, ils n'ont plus rien à se dire-.

C'est l'été ; le soleil rend la ville insupportable ; le vieux Cristoforo Landino s'est réfugié dans la fraîcheur sylvestre des Camaldules ; une compagnie montée de Florence vient le rejoindre, Laurent et Julien de Médi- cis, Rinuccini, Parenti, Canigiani, Arduini, et Leone Battista Alberti ; alors, tous ensemble, autour d'une fontaine, dans l'aménité des montagnes et l'odeur des sapins, sacrifient à la volupté de Tàme, en discutant de la vie active, de la vie contemplative, du souverain bien, des vérités platoniciennes, des symboles chré- tiens; chaque matin, Mariotto dit la messe de meilleure heure afin que la journée soit plus longue 3.

Les platoniciens sont encore amis des banquets, « nourriture de l'àme, argument d'amour, condiment d'amitié ^ » ; le ciel qui offre la Voie lactée, la Tasse de Bacchus. l'Ecrevisse, les Poissons, les Oiseaux, ne semble-t-il point se commander les banquets? Xéno- pbon, Varron, Justin, Apulée, Macrobe ont loué le ban- quet. Jésus rompit le pain, et Platon lui-môme mourut

1. Fir.iN, Episl. I, p. f)62.

2. « Ci ha colla sua cortesia, dit Politien, e co" suoi soavi ragiona- menli rapiti per modo che partendo da lui, e restando presso clie soli io e il Pico, cio che prima appena mai accadeva, sembrava che non fossimo più capaci di trattenerci insieme l'un l'altro. > G. Tiral)oschi, Storia délia letleratura ilaliana, Modène, 1772-1781, 12 vol., VI, p. 329.

3. CiusTOFORO Landino, Camaldulensium disputationum opus, Paris, 1511.

4. « Ingenii pabulum, amoris et magniricentia- argumentum, esca benivolentiœ, amicitiae condimentum. » Ficin, Episl. 111, 739.

94 LE QUATTROCENTO

couché dans un banquet, à Tàge de 81 ans, nombre parfait, puisqu'on l'obtient en multipliant 9 par 9,

Aussi bien l'usage perdu depuis Plotin et Porphyre de célébrer cette mort, survenue le 7 novembre, est repris, A Florence, le festin d'un magnifique apparat est servi chez Francesco Bandini, « homme excellent pour l'esprit et la splendeur' » ; avant le repas, entre les invités qui s'appellent, entr'autres, liindaccio Ricasoli, Giovanni Cavalcanti, Marsile Ficin, le propos roule déjà sur la nature de l'âme; «car rien n'importe davantage à l'homme que de savoir ce qu'est l'àme, ainsi qu'il appert de l'oracle d'Apollon rendu à Delphes : Connais- toi toi-même-». A Careggi, dans la villa de Laurent,, autour des calices antiques et au pied du buste du maître grec, le discours aborde le Sympoaion avec une telle ardeur qu'on résout aussitôt de le commenter. Les convives sont au nombre de neuf, comme les Muses : Marsile et son père, Carlo et Gristoforo Marsup- pini, Landino, Aglio, Xunzio, Tommaso Benci et Gio- vanni Cavalcanti, si beau de corps et d'âme qu'on peut bien l'appeler le « Prince du festin ». Cavalcanti commente les discours de Phèdre et de Pausanias ; Landino, celui d'Aristophane ; Carlo Marsuppini celui d'Agathon ; Tom- maso Benci, celui de Socrate; Cristoforo Marsuppini, celui d'Alcibiade-^

Princes, gonfalonniers, prieurs, marchands, artistes, tous sont unis par une douce familiarité, qui efface les différences d'âge, de condition, de profession, de position, faites pour les séparer sur la terre. Ils se cultivent, se recherchent, se sourient. Marsile, Pic^ Politien, possèdent autour d(î Fiesolede petites maisons voisines, ils aiment se retrouver et disputer des

1. « L'rbana(FM(ilonis nalalitia) vero Florcntia^ smiiptii recio celehravit PranciscuH Uandinus, vir ingenio niagniriccntia((uc cxcelïeas. » Ficin, Epiât. I, 6;n.

2. « Nihil cnim magis ad homineiii pertinet quam qu<£ de anima disptitaritur... » //>.

3. In ninviviuin Platonis de aniore coaiinentarium. Ficin, Opéra, II, p. 1321.

l'aCADÉMII^ platonicienne. LES HOMMES 95

nobles sujets qui constituent le fondement de la vie. « Quelles délices ! mon Ficin, écrit Politien à Marsile, ne crois-tu pas que je ressente quand je le vois, toi et mon Pic aussi bien unis par les sentiments que par les goûts,... et que je réfléchis que je ne vous suis pas moins cher que chacun de vous l'est aux deux autres. Nous sommes un en ceci que nous cultivons la science de toutes nos forces, non émus par le gain, mais sollicités par l'amour... Pic de la xMirandole s'est voué à la science ecclésiastique et combat les sept ennemis de l'Eglise ; en plus il est l'intermédiaire entre ton Platon qui est toujours ton Platon et Aristote qui fut jadis mon Aristote. Toi, tu revêts excellemment d'habits latins Platon et tous les vieux platoniciens, et tu les enrichis de commentaires féconds. Moi qui ne suis qu'un catéchumène dans votre philosophie, j'ai choisi les lettres qui, si elles ont moins d'autorité, n'ont pas moins de charme ^ » Une telle amitié accueille des éléments de poésie, de tendresse et d'amour qui donnent à ces relations une nuance charmante. Gavalcanti envoie à Marsile des tourterelles, comme à une jeune fille ; lorsque Laurent le Magnifique n'a point reçu de lettre de Marsile, ce silence lui pèse au point qu'il ne se fie plus à personne '"; Pic de la Mirandole n'est jamais rassasié de Marsile, « car il a faim et soif de Mar- sile, ainsi que, de la joie de sa vie et du plaisir de son

1. « Quanta me voluptate, quantoque putas affici gaudio, Marsile Ficine, cum te Picumque ineum sic esse concordes video, non modo ut idem velitis invita, sed et idem sentiatis in studiis? Quanta rursus ubi me vobis non minus esse cliaruni perspicio quam vos estis uter utrique? Quid quod omnes in hoc incumbimus, tu recta studia pro virili inuemus? ac non uiio praemio, sed operis amore soliicitati... Etenim Picus ipse Miranduia sacras omnes litteras enarrat, adversus ecclesiiE septem hostes directa fronte decertat, inter Aristotelem jam meum, Piatonemque semper tuum, caduceator incedit. Tu Piatonem, quamquam et alios veteres, sed Platonem ipsum maxime,

filatonicosque omnes, et latine loqui dices, et uberriinis eommentariis ociipletas. Mihi vero (quamdiu catechumenos in philosophia vestra sumj varietas ista cerle litterarum cessit, qua> non mmus habent jucu»- ditatis eliam si minus auctoritatis. » Politien, Eiiist. X, 14.

2. « Ut nemo supersit cui fidem deinceps adhibere posse videar. » FiciN, Epist. 1, 623.

96 LE QUATTROCENTO

esprit^ », Marsile écrit à Bembo : « Mon Bernardo, je pensais m'aimer tellement que je n'aurais pu maimer davantage; mais je fus heureusement trompé dans cette opinion, parce qu'ayant su que tu m'aimais ardemment, j'ai commencé à m'aimer plus ardemment moi-même', » Politien est épris du regard de Laurent; il échange avec l'aimé des lys et des corbeilles de roses, et, lorsqu'il rentend la voix, revoit le visage de Buoninsegni, son cœur tressaille « comme celui de l'époux gravissant la couche de la vierge promise'^», Giovanni Gavalcanti et Marsile Ficin sont à ce point confondus qu'ils n'ont plus qu'une seule âme et signent de leurs deux noms les mêmes lettres, Benivieni appelle Pic de la Mirandole son Signore ; il lui adresse de tendres sonnets pétrarquesques ; il pleure la mort d'un de ses familiers ; sous le couvert du berger Thyrsis, il lui envoie des déclarations : « Je brûle quand le ciel blanchit aux collines ses épaules et je brûle quand le soleil se couche : car soleil et amour jamais ne se fatiguent. J'ai pleuré d'une ombre jusqu'à l'autre ombre; j'ai pleuré d'un jour jusqu'à l'autre jour; et c'est de pleurs éternels que mon triste cœur alourdit mes yeux. Peut-être que quelquefois tu mires ton image dans une claire fontaine, et que, superbe comme Narcisse, tu te ris à toi-même et que tu me méprises; malheureux que je suis : ah ! c'est trop de confiance en ta beauté splendide! Déjà nues au soleil se dressent les épines que je voyais, hier, ornées de blanches fleurs'', » Pic de la Mirandole donne son argent à

1. «Te solalium meœ vitœ, tneie mentis delitias, inslitutorem monun, disciplinjp inagistrum, et esurio semper et sitio. » Ficin, Epist. VIII, 889.

2 « Opinabar, Bernarde, me sic amare Marsilitim, ut magis eum aliquanifo airiare non possem... Sed lieri niea ha-c me fœliciter nimiuin fefeliit opinio. Tune cnim primum ardentius quain consueverain amare cœpi. quum primum certissime agnovi abs te ardenter amari. » Ficin, Eptsl. 1, 6o2.

3. « ... "OfTffOV ipa<TTY|{

IlapOtv^oio ç^r,; yX^^Kipciv Hyjrt^ etdavaPaivwv. »

(Poi.mR.ic. éd. Dnl Lnngo, p, 180.)

4. « lo ardo quando cl ciel le .<palle iinbiaricha Agli altri poggi, e quando ci sol le sgombra,

l'académie platonicienne. LES HOMMES 97

Benivieni pour qu'il le distribue aux pauvres ; il entoure d'un commentaire subtil la Canzone iV Amore de Beni- vieni ; il célèbre la naissance de Benivieni en vers exaltés : « Florence, ceins tes cheveux des guirlandes du printemps... Que tes carrefours soient jonchés du coste d'Achemène, que par les routes embaumées les lys soient répandus ! Les Benivieni nous ont donné qui rappelle le vieillard étrusque M » Et Girolamo Beni- vieni et Pic reposent dans le môme tombeau.

Plus que de l'amitié, c'estdel'amour; mais cet amx)ur n'offre rien d'impur ; c'est une manifestation de l'amour suprême, « nœud perpétuel et lien du monde, soutien immobile de ses parties, base solide et fixe de l'univers » ; c'est un commerce tout spirituel, ressemblant sur la terre à ce que sont au ciel les associations des étoiles heu- reuses. Le « démon vénérien » qui rassemble ces amants est celui de la Vénus céleste ou esprit angélique;la fureur erotique qui les anime est celle de la pure Beauté, inclinant l'âme à la philosophie et aux offices de la justice et de la piété ; la beauté qu'ils adorent est seule- ment cette perfection extérieure qui naît de la perfection intérieure, et que Marsile appelle « latleur de la bonté », « la splendeur du visage divin ». Ils croient s'aimer eux-mêmes; à la vérité, ils aiment Dieu. Et ils s'aiment en Dieu et en Platon; car, pour s'aimer véritablement, il faut cultiver Dieu, et, dans l'histoire de chaque amitié, trois personnes sont présentes.

Che amor corne il siio corso non si stanca.

Piansi (iall'iina già infino ali'altra ouibia E dali' un sole alTallro, onde d'elerni Pianti ei cor inesto le mie liici ingombra.

Forse quallior nel chiaro fonte cerni L'iniagin tua, a te superbo arridi Conie Narcisso e nie niisero sperni.

Ilainiù ! clie troppo in tua beltà ti fidi, Già nude al sol si stan l'iiride spine Che pur mo in bianche spoglie ornate vidi. »

(GiKOL.vMO Dkmvieni, Opei'a, Florence, laI9, p. 78.)

1. « Cinge coronatos vernanli flore capillos,

(lonveniunt litulo llorida certa tuo. Undique Acheinenio sparganlur compila costo Et per odoratas lilia niulta vias !

II. 7.

98 LK yUAT'tROCKNTO

Une même ardeur de perfection morale, une commune aspiration au bien, un besoin identique de détachement, d'élévalion enflamme ces chrétiens, d'autant plus véri- tables que, la plupart du temps, ils sont arrivés au christianisme par une conversion.

Marsile Ficin, ayant connu par un miracle la toute- puissance de la Vierge Marie, brûle son commentaire à Lucrèce, ne livre point ses traductions profanes « pour ne point inciter le monde au premier culte des dieux», prêche sur les Epîtres de Paul, la Multiplication des pains, les Pèlerins d'Emmaûs, traduit àMadonna Glarice un petit psautier, a des visions, croit aux visions, et « de païen s'est fait soldat de Christ* ». Pic de laMiran- dole, qui, au temps de l'adolescence, se montrait cupide de gloire, et enflammé damour frivole, et ému « aux carcfcses des femmes- » et enlevait à Arezzo une jeune femme sur son cheval et la défendait, Tépée à la main^ dans une bataille dix-huit de ses gens sont tués, brûle ses vers d'amour terrestre, se repent et se métamorphose ; ilcommenle V Oraison dominicale , inlerprèteles PsainneSy donne ses biens aux pauvres, se macère et se flagelle. « De mes yeux je l'ai souvent vu se donner ladiscipline-^», écrit son neveu, et à ce neveu. Pic recommande la lecture de la Bible : (( Aucune chose n'est plus agréable à Dieu, rien n'est pour toi plus profitable que de lire jour et nuit les Saintes Ecritures ; il y a en elles une certaine force céleste, vive, efficace, qui, animée d'un pouvoir merveilleux, convertit l'âme du lecteur à l'amour divin''. » Girolamo

En stirps in nostrns Bonivennia protulit auras Iletruscuni docto qui gerat ora sencm... »

1. CoBsi, op. c. p. 34. « Ex Pagono, Chrisli miles factus. » Ibid. p. 7S et sq.

2. « Et gloria^ cupidus, et nmore vnrio succensus muliebrisque ille- cebrit conimotus fuerut. » Jounnis l'icl Mlrainliila' vila, écrite par Jean- François, son neveu, dons Pic de i.a Mihaxikh.k. Opéra.

3. « Meisque oculis »u'pies flnfjeilmn vidi. » I!j.

4. « Mhil Deo gratius, niliil tibi iitilinii facere potes quoni bi non cessaveris iitteras sncrns noctutna veisiire mnnu versnre diurna. Lalet enim in illis cœiestis vis qnudani viva et etficax quœ iegenlis aninium in divinuin omoreni niitabiii (|iiadam potestate transformât. » l'ic ub la \!mA«i)OLF., Opéra, epiht. I.

l'académie PLATOJNICIENNE. LES HOMMES Ô9

Beuivieni pleure la mort de Feo Belcari, envoie des provisions de pommes aux religieuses des couvents, compose des laudes, traduit des psaumes ; il faut toute la sollicitude de ses amis pour lui arracher une à une ses œuvres profanes, et particulièrement sa Canzone d\imorc. Michèle Yerino meurt à dix-huit ans pour avoir voulu rester chasle : « OPaul, mande-l-il à son ami, les médecins m'ont promis la santé par le c...; que la certi- tude de mon salut et de ma vie ne me soit pas d'un tel prix* ! » Donato Acciajuoli reste vierge jusqu'à son mariage : « Je veux dire ici, écrit Vespasiano, une chose qui paraîtra merveilleuse. Donato, lorsqu'il prit femme, n'avait connu aucune femme auparavant, et ça je le sais comme une chose absolument certaine, et il avait passé trente-deux ans'-. » « Nous sommes, charité à cette époque le notaire Ugolino Yerino, uue race élue, nous sommes une bouture sainte, et nous croyons qu'il est défendu d'écrire de choses lascives-'. » Et lorsque Savo- narole commence à lever sa voix de tonnerre, il trouve dans ce cercle érudit qui, selon le Vénitien Donato, cons- pirait u contre l'ignorance, le vice et les souillures tenaces de l'àme'» » des bonnes volontés disposées à le suivre. Marsile Ficin, quitte à se rétracter plus tard, regarde Savonarole comme un envoyé de Dieu destiné à prophé- tiser les ruines imminentes; Pic de la Mirandole, qui a entendu le frère de Ferrare au chapitre de Reggio et qui a poussé Laurent de Médicis à l'appeler à Florence, veut quitter le monde, prendre l'habit des Dominicains

1. « Promiltunt medici coïtu, mihi. Paule, salutem :

Non tanli vitui sit milii cerla salas. » (Lazzari, Ugolino e Michèle Veri/io, Turin, 18"J7, p. 117.)

•2. « Una cosa iliro io qui, che parrà maravigliosa. Donato quando menu donna, mai aveva conosciulo igimna donna innanzi a lei ; e questo so io per cosa certissima... e erano passati anni trentadue. » P. 339.

3. « Nos sumus electœ gentes, nos sancta propago,

Scribere lascive credimus esse nel'as. »

(Lazzari, op. c, p. 89.)

4. « In qua prœclara simul optlmarum arlium, morumque precia, conlra pertinacissimas animi sordes, vitium atque insciliara conspira- verunt. » Politie.n, Episl. II, 12.

100 LE QIATTKOCENTO

de Saint-Marc, prêcher le Christ par les terres : « Le crucifix à le main, s'écrie-t-il, les pieds nus, courant l'univers, j'irai prêcher le Christ par les châteaux et par les villes'. » Giovanni Nesi, dans son Oraciilumdenovo ScPCiilo, introduit l'ombre de Pic qui exalte et magnifie « le Socrale de Ferrare». Et c'est Girolamo Benivieni qui compose la chanson que les enfants de Flore; ce, vêtus de robes blanches, couronnés d'olivier, entonnent en procession, le dimanche des Rameaux de 1496; c'est lui qui compose la laude, au rythme de laquelle on bnile les images profanes, les livres impurs, les ornements mondains, le mardi-gras du carnaval de 1497; et c'est lui qui compose cette recette qui donne la joie de devenir fou pour Jésus : « Au moins trois onces d'espérance, trois de foi et six d'amour, deux de larmes, et mets le tout au feu de la peur'-. »

Religieux, fervents, pieusement et tendrement exaltés, ces hommes ne se préoccupent plus des ques- tions puériles qui agitent le siècle. Que leur importe l'éloquence, la grammaire, l'érudition? « C'est une chose élégante, dit l'un deux, que l'éloquence, et, nous l'avouon , une chose charmante et délicieuse; mais elle n'est ni belle, ni décente chez un philosophe^. » «Nous avons vécu dans la gloire, écrit Pic de la Mirandole à Ermolao Barbaro, et nous y vivrons dans l'avenir, non dans les écoles des grammairiens, mais dans les assem- blées des philosophes, dans les réunions des sages, l'on ne dispute pas de la mère d'Andromaque, des fils de Niobé etd'aulres inanités, mais des raisons des choses

1. « Cnicifixo munitus, exertis nudalisque pedihiis, orbem peraprnns, per caslella, per urbes. Chrislum pra-dicabo. » Pic de la Mihanuui.e, Opéra.

2. « To tre' once almen di speme, Tre di fcde c sei d'ainore,

lUie di pianto o poni insicine Tulto al foco dei tiiiioro. »

(Mknivif.m, Opère, p. liC.)

'A. « K»t devins res (fatcmur hoc) facundia, plcna illecebru! et volup- tati», «cd in phiiosopho nei; décora, nec grata. » Pic de la Mihandoi.e, Opira, epist., 4.

l'académie platonicienne. LES HOMMES 101

divines et humaines; et à les rechercher, les méditer, les débrouiller, nous sommes devenus si subtils, aigus et pénétrants que nous semblons parfois peut-être angois- sés et moroses, si tant est qu'on puisse être morose et plus curieux que de raison en recherchant la vérité ' . » Marsiie Ficin qui, s'il est poète, est en quelque sorte poète malgré lui et s'en excuse par la fréquenta- tion des anciens et l'habitude de la lyre, assure que «la vérité n'a pas besoin du fard des paroles, ni delafoçce des machines humaines ~. » « Vouloir orner d'une robe terrestre, ajoute-t-il, celui qui est revêtu du divin soleil de la céleste vérité, je pense que ce n'est rien d'autre que d'entourer la pure lumière d'une grosse obscurité de nuages. » Et selon Girolamo Benivieni, la poésie est de peu d'utilité à l'homme, même lorsqu'elle est grave et honnête.

Pour eux, placés en dehors « des chambres remplies d'or et de faussetés », au-dessus de cette Florence de mar- chands et de banquiers, les nombres qui valent ne sont point les arithmétiques vulgaires du marché, mais celte science des proportions à laquelle Pythagore attribuait l'univers et qui faisait dire à Platon que l'homme est le plus sage des animaux, puisqu'il sait compter. Les accidents qui les touchent ne sont point les accidents de la fortune, mais les purs phénomènes de la contemplation. La beauté qui les éblouit n'est pas celle des formes, des couleurs et des lignes, mais le ravissant spectacle de l'infini. Ils vivent dans une région supérieure. Ils se rencontrent et s'unissent au sommet de cette colline mystique de Fiesole, dont on

1. « Viximus célèbres, o Ilermolae, et posthac vivemiis, non in scolis grammaticorum et paidagogiis, sed in philosopliorum coronis, in con- ventibus sapientiuni, ubi non de matre Andromaclies, non de Niobes flliis atque id genus levibiis nugis, sed de humanarum divinaruinque rerum rationibus agitur et disputatur. In quibus ineditandis, inquirendis et enùtandis ita subtiles, acuti, acres fuimus ut anxii quandoque nimium et morosi fuisse forte videamur, si modo esse morosus quis- quam, aut curiosus ninuo plus in indaganda veritate potest. » Ib.

2. « Neque veritatem ipsain verborura fuco, neque vim divinam humanis machinis indigere. » Ficin, De chiHst. relig., p. 9,

102 LE OL'ATTROCENTO

a voulu faire leur patrie, qui ressemble à la fois à la Tour d'Ephèse, d'où Heraclite pleura sur l'humanité douloureuse, et au jardin des Oliviers, d'où Jésus-Christ lui pardonna.

Encore que grave, réfléchie et mélancolique, leur humeur n'est point vilaine; s'ils souffrent, c'est qu'ils se sentent exilés de leur patrie qui est le ciel, et que, comme l'a dit Solon, la tristesse est la compagne des sciences ; mais ils ne portent nulle haine dans leur cœur, si ce n'est de détester Aristippe de Cyrène qui attribua des obscénités à Platon. Unissant Mercure et Jupiter, et préférant Lycurgue à Carnéade, ou autant dire le bien vivre au bien parler, sachant que la langue est à l'esprit ce que l'esprit est à Dieu, et que ce n'est pas la langue qui parle, mais l'esprit, ils vivent bien, et n'entendant point leurs paroles, ils frémissent aussi inconscients que des lyres'. Ils se reconnaissent à ces trois signes manifestes de l'âme sublime, de la religion et de l'éloquence de l'esprit, qui sont les marques du vrai platonicien; et ils s'estiment divins, puisqu'ils savent les défauts de ce monde et qu'il leur est donné d'en imaginer un meilleur. Ils assignent le but suprême de la vie à la contemplation qui impartit la paix à l'âme, comme le soleil impartit la lumière au ciel. Et ils s'efforcent d'atteindre à Dieu, qui est unité stable et stabilité unique, et répand ses bienfaits et verse sa lumière et ses pluies indifféremment sur les bons et les méchants.

Platon ! Platon ! Platon l ce mot revient constamment sur leurs lèvres. Cosme de Médicis meurt sur une lec- ture d'un dialogue de Platon. Laurent de Médicis assure que, « sans la discipline platonicienne, personne ne peut être ni bon citoyen, ni bon chrétien ». Marsile Ficin prêche Platon h l'église degli Angeli. Et ce mot de Platon acquiert dans leur bouche toute l'impor-

1. « De virtiilc lomiontcH lyrm instar sonum proprium non audivi- Dius. » Ficin, Epinl. 1, 6il.

l'aCADÉ?.IIE platonicienne. LES HOMMES 103

tance, tout le mystère et toute la beauté de celui du Christ sur les lèvres de saint Paul.

C'est ainsi quMls suivent de concert les routes des chemins et les routes de la vie, disputant gracieuse- ment de quelle partie du ciel les âmes sont descendues dans les corps, ou du style poétique dans les aphorismes d'Hippocrate, ou fie savoir pourquoi les dieux ont repré- senté la sagesse, qui est la plus grande des vertus par Mercure, qui est le plus petit des dieux.

Selon eux, l'amour vulgaire naît d'une espèce de vapeur ou fascination du regard ; et il ne leur est d'aucun doute que cette opinion de Chrysippe, qui fait de l'àme un point brillant de la qualité, ne soit erronée. Ils élaborent des apologues. Ils élucubrent d'aimables fictions poétiques et secrètes. Ils emploient des façons ingénieuses et détournées de s'exprimer. Ils se livrent à des jeux de mots remplis de philosophie, qui éclairent leur sagesse d'un sourire.

Cependant, autour d'eux, le soleil resplendit, les roses sont fleuries, les oliviers de paix verdoient dans les champs, tout est parfum, lumière, beauté : à cette splen- deur, ils reconnaissent l'ouvrage de Dieu qui créa le monde, non iivecson intelligence, maisavecson amour. Et, pour lui rendre grâce, dans les nuits étoilées cheminent au ciel les astres qui contiennent nos des- tinées, iMarsile saisit sa lyre et exhale son i\me mélan- colique dans une musique qui est une prière.

CHAPITRE IV

l'académie platonicienne. LA PENSÉE

I. La pensée de l'Académie platonicienne est la pensée de Marsile Ficin développée par Pic de la Mirandole. Qualité de cette pensée. Marsile Ficin, placé entre la théologie et riiumanisme.

IL Le De Christiana religione. i^a Tlieoloçiia platonica. Comment Marsile réconcilie Jésus et Platon. Platon, serviteur de Dieu et pro- phète chrétien.

III. L'œuvre de Pic de la Mirandole. L'aristotélisme italien et laris- totélisme de Pic— Pic réconcilie Aristote avec le Platon chrétien de Marsile. Pic unit et accorde toutes les philosophies et toutes les religions. Jésus s'est révélé de tout temps.

IV. Méthode de l'Académie platonicienne. La symbolique. Il libro deli Amore de Marsile. Les Dispulaliones camaldulenses de Landino. L'Heptaplt/s de Pic.

V. L'œuvre de l'Académie platonicienne a échoué. Sa puérilité et son syncrétisme. Beauté de son efl'ort de pensée. L'équilibre des facultés mentales commence à se rompre. Idées nouvelles et géné- reuses. — La science sacrée religion. Rapprochement de Dieu : l'Académie platonicienne et la Réforme.

I

La pensée de l'Académie platonicienne est la pensée même de Marsile Ficin, que Pic de la Mirandole com- plète et conduit jusqu'à ses extrêmes conséquences, dont il n'altère ni la méthode ni le sens. Cette pensée, qui ne se suffit ni ne s'impose, n'est pas une pensée originale; elle reste en tutelle, s'appuie, se réclame avec une constance, une déférence et une humilité presque touchante. Néanmoins c'est déjà une pensée, et si l'on réfléchit que, depuis Pétrarque, on ne pensait guère,et que Gennadios pourrait dire, avec plus de raison que n'aurait cru Pléthon, « les Italiens s'entendent à la philosophie comme moi à danser », on comprendra le progrès'.

1. F. Fiorentlno, Il Risorgimento filosofico nel Qualtroceiilo, Naples, 1885.

l'aCADÉMIK PLATOMCIKNNE. I.A PENSÉE 105

Marsile Ficin ne sp tourmente plus du bien dire. Il écrit dans un latin gros, compact, sans air et sans grince. Au lieu d'enchaîner des phrases, il enchaîne des conséquences, préoccupé jusqu'à l'angoisse de l'absolu de la vérité et animé du noble désir d'accorder les actes de sa vie spirituelle à la rigueur de principes librement reconnus.

Ainsi qu'on l'a vu, sa position est particulière. Grandi sous l'égide qu'on lui imposa de Platon, c'est-à-dire dans l'intimité d'un génie qui ne s'arrête pas au simple examen du sensible et agite les plus hauts problèmes de l'humanité, Marsile a été amené à briser avec l'indiffé- rence doctrinaire de son siècle pour descendre au fond de sa conscience et prendre positionvis-à-vis du dogme. Il a passé par dix années de doutes, d'angoisses et de soullrances, que ni l'amitié, ni la musique, ni même Pla- ton ne pouvaient guérir. De cette crise il est sorti chrétien. A l'âge de quarante-deux ans, il s'est converti. En même temps il a lu trop de livres, absorbé trop de latin, trop de grec, appris trop de leçons, sondé trop de problèmes, conquis trop de science pour renoncer au siècle et s'adonner à une foi, pure sans doute, mais dont « les perles très précieuses sont maniées par des ignorants et foulées aux pieds par des pourceaux ^ » Il a trop vécu dans l'atmosphère saturée de beauté et d'intelligence des Médicis, pour qu'exilé dans la tristesse d'un cou- vent, il retourne à la pauvre science d'école et s'associe à l'œuvre des théologiens barbares, et des docteurs en droit canon, dont le proverbe disait gran canonista^gran asinista. Il ne peut pas faillir à la glorieuse mission que rêva pour lui le vieux Gosme. Il ne peut pas renier le cercle érudit de Via Larga, il a grandi et il est aimé. Il ne peut pas trahir la cause de l'antiquité splendide. D'un côté il voit des poètes exquis, des

1. « Marfraritae autem religionis preciosissimse saepe tractantur ab ignorantibus, atque ab his tanquatn suibus conculcantur. » Ficin, Opéra, p. 1.

106 LE QUATTROCENTO

lettrés suaves, qu'émeuvent les impérissables modèles antiques, mais que ne tourmentent point les divines questions et dont rindilTcroncc ne témoigne qu'une adhésion extérieure à l'Eglise ; et d'un autre côté, il voit des frères prêcheurs, des docteurs en droit canon, des maîtres de Sorboune, qui possèdent la religion, mais qui, esprits encroûtés et figés, demeurent insensibles a la pure lumière de la Grèce. Lui-même dans ranarchie intellectuelle du moment, sillonné de courants d'idées opposées à en être ennemis, resté indécis et anxieux.

Alors, guidé par l'exemple des Grecs, enhardi par les platoniciens d'Alexandrie, il rêve de concilier. Il compose une petite théologie laïque à l'usage des honnêtes gens. Assurant que « la philosophie antique n'est rien autre qu'une savante religion ' », il met au ser- vice du christianisme tout ce qu'il a accumulé de science et de beauté. 11 rendra la foi savante et l'humanisme pieux; l'antiquité sacrée et la sainteté érudite; la phi- losophie religieuse et la religion philosophique. Il con- firme la Bible parl'autorité des anciens, et il sanctifie les anciens aumoyendes Saintes Ecritures. De ce platonisme -d'où il est parti il fait une théologie, et de ce Jésus il est arrivé, il fait un platonicien.

D'ailleurs, ici et rigoureusement orthodoxe, car dans toutes les choses qui ont été traitées par moi ici ou ailleurs, écrit-il en tête de ses ouvrages, je ne veux rien avancer qui n'ait été approuvé par l'Eglise"^ ».

II

La pensée de Marsile Ficin se trouve enfermée, à côté de ses lettres, dans les deux seules œuvres per- sonnelles qu'il ait composées: le De Cliristiana re/ir/ione et la Theolofjia j)lalonic(i.

1. « Qiiamobrem tota priscorum Philosopliia nihil est aliud <|uam docta rcligio. * P. 8o4.

2. « In omnibus, (|iin; aiit hir, mit nlibi n nie tractantur, tantum 4ul serlum esse volo, quantum ab Ecclcsia coinprobatur. »

l'aCADI^MŒ platonicienne. LA PENSÉE 107

Dans le De Chrisliana religione, qui est le premier en date de ses ouvrages, Marsile Ficin se propose de « délivrer la religion d'une ignorance exécrable ' ».

Selon lui, la religion chrétienne se prouve par l'auto- rité : celle des Sibylles, celle des Prophètes et celle des païens qui, comme on peut le voir de l'oracle d'Apollon et de la réponse d'H 'Cate, ont reconnu la bonne raison du christianisme. La religion chrétienne se prouve encore par les miracles, dont le principal est Tapparilion des apôtres, qui ont conquis le monde en prêchant la pauvreté, l'humilité, l'oubli des injures, et qui, en étant des illettn's, emploient un style remar- quable de profondeur et de majesté. « Que peut-on trouver, dis-le moi, de plus majestueux que les lettres de Pierre, de plus vén('rable que l'épître de Jacques et de Judas? Que penserons-nous de l'Apocalypse de Jean, qui a un visage céleste et autant de sacrements que de paroles? Et de ses lettres où, sans fard, sans ornement de paroles, se trouve la suavité d'un très doux breu- vage? Son Evangile semble écrit non de main d'homme, mais de la main de Dieu, et, l'ayant lu, Ameliiis plato- nicien jura par Jupiter que ce barbare avait compris ce dont Platon et Heraclite avaient disputé, sur la raison divine, le principe et la disposition des choses'^. » La religion chrétienne se prouve enfin par elle-même. Elle est sainte. Elle n'a trompé personne. Elle ne dérive point des astres, mais de Dieu. Elle impartit le bonheur par la foi, l'espérance et la charité. Elle a mis tin aux

1. « 0 viri cœlestis patriic cives, incolaeque terrîe, liberemus obsecro quandoque philosophiam, sacrum Dei niunus, ab impietate si possu- mus, possumus autem, si voiutnus, religionem sanctam pro viribus ab execrahili inscitia redimamus » P. 1.

2. « Quid Pétri epistolis auj,fustius, quid venerabilius epistola Jacobi alqiie Judœ? Quid de Joannis Apocalypsi dicemus? qui liber cœleslem

Êrefcrt faciein, totque habet sacramenta, quot verba. Quid de hujus pistoiis? quibus inest absque verborum fuco nectarea dulcedo, sen- susque divinus. Evangelium ejus videtur Dei maaibus scriptum esse, non hominis, quod cum legeret Auielius platonicus, per Jovem juravit virurn illuin Barbarum, id est Jud;euin. breviter comprehendisse, ause de ratione divina, principio, dispositioneque rerum Plato et Ileraclius ■disputaverunt. » P. 71.

108 LE QUATTROCENTO

exploits abominables des Massagètes et des Caspiens. Elle contient en elle-même son explication et son sens. Dieu, au sommet de toute vie, avait d'abord engendré une conception parfaite de lui-même et en lui-même, conception qu'Orphée nomme Pallas, que Platon nomme Verbe, que Mercure Trismègiste nomme fils de Dieu, conception éternelle, toujours auprès de Dieu et Dieu même, par qui Dieu se parle et par qui les siècles furent créés. Mais les hommes mis au monde pour imiter la vertu de Dieu faillirent par leur propre faute. Dieu dut donc les créer de nouveau. Il les créa par le Verbe. Grâce au Verbe, il unit une certaine âme ration- nelle d'homme à un délicat fœtus qu'avait conçu une vierge fécondée par le Saint-Esprit, et du coup le Verbe devint humain; il devint Christ, composé d'une âme et d'un Dieu, comme l'homme est composé d'une âme et d'un corps. C'était à Dieu à refaire, puisque Dieu seul avait fait. Il avait fait par le Verbe insensible, il devait refaire par le Verbe devenu sensible. L'homme ne pou- vait être relevé que par Dieu : Christ est Dieu, il agit. Mais seul l'homme pouvait expier (;t souffrir. Christ est homme, il pâtit. Les hommes avaient péché par la volupté ; il leur fallait expier par la douleur. L'huma- nité avait péché une seule fois et en un seul homme ; elle devait être rachetée une seule fois et en un seul homme. Le supplice devait être infini pour laver la faute infinie. Christ est donc logiquement nécessaire au rachat du péché. Il est rationnellement compris dans la Genèse. Il est le terme et l'explication de la loi. Son avènement n'apporte pas seulement le salut, il explique les Saintes Ecritures en donnant des yeux pour fouiller leurs arcanes, et il explique les mystères de Platon, (|ue Platon prévoyait bien ne devoir se mani- fester aux hommes qu'après des siècles d'obscurités et d'errements. Si Numénius et Philon commencèrent les premiers à en découvrir le sens subtil, c'est qu'ils connaissaient l'œuvre des apôtres et des disciples, et

l'aCADIÎIMIE PLATONICIKNNE. LA PENSÉE 109

qu'ils employèrent la divine lumière de la loi chré- tienne à interpréter les livres du divin Platon. « J'ai certainement trouvé, écrit Marsile, que Numéniiis, Philon, Plotin, Jamblique, Procul, ont puisé leurs prin- cipaux mystères dans Jean, Paul, Hiérotée, Denys d'Aréopage, parce que ce que les platoniciens disent de resj)rit divin, des anges et d'autres choses de théo- logie, ils le prirent à eux'. »

La Theolocjia platonica est comme le vaste corollaire du De Christiana rei'ujione. Après avoir fait la 'religion philosophique, Marsile va faire la philosophie reli- gieuse. « Mon dessein, explique-t-il dans sa préface, est d'arriver à ce que les esprits pervers de beaucoup de gens, qui cèdent mal volontiers à l'autorité de la loi divine, acquiescent au moins aux raisons platoniciennes, dans les suffrages qu'elles apportent à la religion, et d'arriver à ce que tous les impies qui séparent l'étude de la philosophie de la sainte religion reconnaissent que leur aberration n'est autre que celle de celui qui se séparerait du fruit de la sagesse par amour de la sagesse'. » Il ajoute : « Je voudrais que les malheu- reux qui croient seulement à ce que leurs corps sentent et qui préfèrent aux choses vraies les ombres de ces choses, avertis par la raison platonique, contemph'ut les vérités qui sont au-dessus des sens 3. » La Theolo- gia ptatonica est donc, au sens large, un commentaire théologique de la doctrine de F*laton. Au sens étroit,

1. « Ego certe reperi pr;t'ci;)ua Niimenii, Philonis, Plotini. Jamblici, Proculi mysteria, ab Joanne, Paulo, llierotheo, Dyonisio Areopagila accepta fuisse. (Juic(|ui(l eniin île mente tlivina, anj^elisque et ca-teris ad theolof,'iaiii spectatilituis magnificu.u dixeie, iiianifesle ab illis usur- paveriint. » P. 2a.

2. « Ut et pcrversa inultonun ingénia, quae soli divina' legis aucto- ritati haiid facile cednnt, Platonicis salteni ralionibiis religioni adniodum sutl'ragantibus acquiesçant, et <|uicumque Philosophia-. studium impie nimium a sancta religione sejungunt agnoscant aliqnandn se non aliter aberrare, quam si quis vel amore sapientiae a sapientiiB ipsius honore, vel in intelligenliam veram a recta voluntate disjunxerit. » P. 1%.

3. « Deniqiie ut qui ea soluni cogitant, quœ circa curnora sentiuntur, rerum(]ue ipsarum umbras rébus veris infeliciter praferunt, piatonica tandem ratione commonili, et pra'ter scnsum sublimia conteniplentur et res ipsas umbris féliciter anteponant. » Ih.

no LE QUATTROCENTO

elle est une théorie de l'immortalité de Fàme. l/homme, selon le dogme et selon Platon, s'il n'avait pas une autre vie devant les yeux, serait la plus mal- heureuse des bctes, à cause de l'inquiétude de son esprit et de la faiblesse de son corps ; heureusement qu'il possède une àme et que cette âme est immortelle. Au-dessus de la masse corporelle, qui n'a d'aulre qua- lité que d'être étendue et d'être aflectée, qui n'agit pas, mais est soumise aux passions, Marsile reconnaît une certaine qualité et vertu qui est la forme divine unie à la matière. Les cyniques et les stoïciens ne savaient aller au delà, Marsile s'élève davantage. Il découvre au-dessus de cette forme qui, s'unissant à la matière, devient, de simple divisible, d'activé sujette à la passion, d'agile inepte, un degré supérieur, immortel et véri- dique, qui n'appartient pas au corps, mais lui distribue ses qualités : la troisième essence, l'âme rationnelle. L'âme rationnelle, en partie mobile, en partie immobile, mobile quant à son acte, immobile quant à sa vertu, laisse, par sa double qualité, supposer une qualité simple. Puisqu'au-dessus du mouvement, il y a le repos, au-dessus de l'âme il y aura les anges, qui sont ces recteurs intellectuels immobiles dont a parlé Zoroastre, êtres sans corps, purs esprits, innombrables parce que, l'univers étant disposé pour le bien, le mieux doit dépasser en (juantité témoins bon. Enlin, au-dessus du nombre, il y a l'unité et, au-dessus des anges, il y a Dieu. Ainsi que le veulent les pythagoriciens, le corps est la multitude, la qualité, la multitude et l'unité, l'âme, l'unité et la multitude, l'ange, l'unité multitude, Dieu l'unité. Dieu est la simplicité parfaite, la puissance infinie, le plus grand parce que le plus simple. Prin- cipe de tout, on ne peut rien concevoir au-dessus de lui. II n'a ni maître ni égal ; il n'y a pas, comme l'assurent les Manichéens, un Dieu du mal l't un Dieu du bien, car le Dieu du mal serait privé du bien el ne saurait être Dieu. Dieu est éternel, universel, présent au monde,

l'académie platonicienne. LA PENSÉE lit

comme Tàme est présente au corps. H est dans tout, parce que tout est dans lui; il fait tout et il conserve tout, agissant puisqu'il est bonté, agissant toujours puisqu'il est bonté souveraine, agissant dans tout, puis- qu'il n'est pas déterminé quant à l'espèce. Etant le pUis éloigné de la matière, il est celui qui comprend le plus et le mieux ; son intelligence saisit non seule- msnt les genres et les espèces, mais les individus et l'infini. Il veut : s'il ne voulait pas, il ne prendrait pas de plaisir, et si le plaisir n'était pas en Dieu, il ne serait nulle part ; il veut d'une volonté qui est à la fois libre et nécessaire, qui est à. la fois providence et amour. Dieu se plaît, et, se plaisant, il aime le monde, qui est merveilleusement beau.

Entre ce Dieu qui est acte pur et la matière qui est pure passion, l'âme sert d'intermédiaire. Elle est, comme disent les platoniciens, la troisième essence, parce qu'elle est au milieu de tout et troisième de tout côté: au-dessus de ce qui est dans le temps, au-dessous de ce qui est hors le temps, mobile et immobile, divisible et indivisible, aspirant aux choses supérieures, descen- dant aux choses inférieures, attachée à Dieu et pro- duisant la connaissance, attachée au corps et produi- sant la vie. Ce n'est pas l'ange qui incline vers Dieu, ce n'est pas la qualité qui incline vers le corps, c'est Tàme qui unit ces degrés. Cette âme rationnelle com- prend trois degrés : l'âme du monde, l'âme des douze sphères, l'âme des êtres contenus dans ces douze sphères. 11 y a donc trois sortes d'âmes distinctes ; le feu, la terre, l'air, l'eau auront chacun leur âme propre, différente de l'âme des animaux qu'ils con- tiennent ; de ces âmes, les unes seront rationnelles (les Néréides dans l'eau), les autres ne seront pas ration- nelles (les poissons dans l'eau fangeuse).

Ayant établi et défini de la sorte l'âme rationnelle, Marsile Ficin prouve son immortalité par des « raisons communes », des « argumentations particulières » et des

112 LE QUATTROCENTO

« signes ». L'âme n'est pas le corps, ou la forme dans le corps, ou quelque point de telle forme ; elle est la forme tout entière dans une partie du corps ; ce n'est pas le corps qui sent, c'est l'âme ; ce n'est pas le corps qui comprend, c'est l'âme; l'âme répugne au corps; plus elle s'en détache, mieux elle se comporte et plus elle est heureuse ; elle n'est pas un habitant de la terre, elle n'est qu'un hôte de la terre, le citoyen d'une patrie céleste à laquelle elle doit s'efforcer de retourner; étant le dernier degré de l'ordre intelligible, elle est incor- ruptible, comme la matière, qui est le dernier degré de l'ordre corporel ; percevant les espèces absolues et les notions éternelles, elle est éternelle ; créée par Dieu, elle a été créée sans intermédiaire et non par le moyen de parents, comme le veut Panœtius. Et ce sont les « argumentations particulières». Les signes sont ceux de la fantaisie, de la raison, des arts et des miracles. La fantaisie témoigne dans ses effets qui sont l'appétit, la crainte, la volupté et la douleur, combien les mouve- ments de l'âme échappent au corps; la raison, dont les affections sont si extraordinaires chez les philo- sophes, les prêtres, les poètes, les présages et les pro- phètes, arrivant à se libérer de leurs corps, confirme le môme témoignage ; l'excellence si parfaite de nos arts et de nos gouvernements rivalise avec l'œuvre de Dieu; l'âme vouée à Dieu fait des miracles. L'âme s'efforce d'atteindre les douze perfections de Dieu; elle veut être le premier bien et la première vérité; elle désire tout accomplir et tout surpasser, être partout et toujours, posséder les quatre vertus divines de pré- voyance, de force, de justice, de tempérance, jouir de l'opulence et de la volonté, se cultiver elle-même et cul- tiver Dieu; et, ayant ce désir, elle a la possibilité de le réaliser, elle peut être à son gré végétative, sensuelle, humaine, héronjiic, (l('monia(jue ou divine.

Lnlin Maisile combat les opinions erronées d'Aver- roès et d'autres sectes perverses, qui se demandent s'il

L ACADIÎMIK PLATONICIENNE. LA PENSÉE 113

n'y a pas iiiuîsprit unique chez tous les hommes, pour- quoi l'âme divine se joint au corps ignohle, pourquoi elle s'y sent troublée et s'en sépare à regret, quel est l'état de l'âme avant sa réunion au corps et après sa séparation. Il y a autant d'esprits que d'âmes et autant d'âmes que de corps ; l'âme, quoique divine, se réunit à l'infirmité du corps, afin de connaître les formes parti- culières, de les concilier avec les universelles, de réflé- chir en Dieu le rayon divin oblitéré par le sensible et de vivre plus heureuse dans un monde plus orné; si elle est troublée dans le corps, c'est que, plus angoissés, nous sommes plus divins; si elle s'en sépare à regret, ce qui n'arrive pas chez les philosophes, elle ne soufîre que dans une de ses parties. Et Marsile ayant examiné la création du monde et des âmes, par l'âme des- cend dans le corps, ])ar elle s'en échappe, l'état de l'âme pure, l'état de l'âme impure, la résurrection des €orps, conclut que Platon ne contrevient en rien à la doctrine commune aux Hébreux, aux chrétiens et aux Arabes, qui veut que le monde ait commencé, que les anges aient été créés dès le commencement, que les âmes des hommes soient créées chaque jour. « C'est jusque-là, dit-il, que nous a conduits la voie hypothé- tique de la philosophie ; cependant, comme, sur les ques- tions divines, la conjecture humaine se trompe très souvent et très fort, nous pensons qu'il est beaucoup plus sur de nous en remettre, avec une humilité obéis- sante, à la direction plus sainte des chrétiens'. » La dernière phrase de la Theologia platonica est une prière. Son dernier mot est Amen.

Le christianisme, dans l'état de développement il parvenait à Marsile, représentait une œuvre achevée un ensemble établi et accompli de doctrines et de sys- tèmes, auquel trois civilisations avaient prêté tour à

1. « Hue nos ferme conjecturalis philosopliorum ducit via. Sed quo- niam huniaiia conjectio circa divina sa-pe imiltuuique fallitur, nuilto satius tutius((ue censeiuus, nos sanctioribus apud Christianos ducibus obedienti huniilitate comniittere. » P. 424.

II.

S

114 LE QUATTROCENTO

tour leur génie : l'Orient qui lui prêta son génie con- templatif, la Grèce qui lui prêta son génie philoso- phique, Rome qui lui prêta son génie politique. La Grèce avait principalement coopéré à la constitution du dogme ; elle ne lui avait pas donné que sa forme de pensée, ses distinctions, ses définitions, ses démons- trations, son langage ; elle lui avait donné, en outre de presque toute sa théologie, des éléments importants de cosmologie, de psychologie, de morale. L'origine des âmes, leur chute, le salut universel, le mal considéré comme expiation, la perfection assignée comme terme aux migrations des âmes, le dogme de la Trinité, sont autant d'idées grecques, pythagoriciennes, platoni- ciennes^. C'est en face de ces idées, dont il trouve les premiers linéaments chez Platon, qu'il voit expliquées, développées et commentées par les Pères d'Alexandrie, que Marsile se place.

Il ne veut retenir de l'idéalisme subjectif de Platon que ces trois points ancrés dans son esprit et servant d'axe à tout son système, que Dieu pourvoit à toute chose, que l'âme est immortelle, qu'il y a des récompenses et des peines ; mais, au lieu d'y reconnaître un apport historique et naturel, la contribution de la Grèce à l'établissement du dogme chrétien, Marsile en fait une sorte de révélation anticipée. Platon n'est pas le metteur en œuvre très adroit des doctrines orientales que lui révéla Pythagore : il est une espèce de messie ; de môme que les néo-platoniciens, qui travaillèrent, à la suite de Platon, à combler l'abîme ouvert entre la matière et le Dieu transcendental d'Orient, ne sont que par exception, « ces impies, qui armèrent leur langue contre la religion chrétienne, en partie par une arro- gance sotte, en partie pour complaire à leurs peuples; » ils sont des apôtres. S'inspirant des Justin, des Origène, des Clément, de Philon qui cherche à concilier la Genèse

\. Voir E. Vacherot, Hisloire critique de l'école d'Alexandrie, Paris, 1846-1851, 3 vol.

l'académie platonicienne. LA PENSÉE 115

et le Tùnée, deNuménius, qui veut que toute la théologie soit enfermée dans les dialogues de Platon, Marsile demeure prosterné devant tant d'analogies et de con- cordances qui lui paraissent d'origine surnaturelle. Et ayant arraché Platon à l'histoire, à tout ce qui l'ex- plique et le permet, il entoure son visage d'une auréole K Platon est un précurseur. Platon est un apôtre. FMaton est Dieu et ses mystères sont divins. «Notre Platon, s'écrie-t-il, avec des raisons pythagoriques et socra- tiques, suit la loi de Moïse et prédit la loi du Christ! » « Notre Platon n'est rien autre qu'un Moïse qui parle la langue attique ! » Et s'il n'alluma point, comme le prétend la légende, un cierge devant son image, il fait plus; il le prêche dans l'église des Angeli de Florence: «... Au milieu de cette église, nous voulons exposer la philosophie religieuse de notre Platon. Nous voulons contempler la vérité divine dans ce séjour des Anges. Entrons-y, très chers frères, avec un esprit pur^... »

I

III

A l'œuvre de Marsile Ficin s'ajoute l'œuvre de Pic de la Mirandole. La tâche de Marsile avait été de récon- cilier Platon et Jésus ; la tùche de Pic sera de réconci- lier, avec Platon et Jésus, Aristote d'abord, et au-delà d'Aristote, toutes les philosophies.

L'Italie savante, en dépit de son culte pour celui qu'elle dénommait « le prince des philosophes », n'avait point abandonné Aristote qui, rétabli dans sa pureté antique, lui représente un maître au môme titre que Platon.

1. Passirn. Voir en particulier toute la lettre Marsile explique à Braccio Martello l'accord de Moïse et Platon. « Quamobrem qui te, optime Bracci, ad academiam vocant, non tam ad platonicam disci- plinam quaiu ad legem mosaïcam exhortantur. » Ep., p. 866.

2. « Nos igitur antiquorum sapientum vestigia pro viribus obser- vantes religiosam Platonis nostri Philosophiam in hac média prose- quemur ecclesia. In his sedibus Angelorum divinam contemplabimur veritateni. Verum, o dilectissimi fralres, candidis omnino mentibus bas sedes ingrediamur... » P. 886.

116 LE QUATTROCENTO

On a vu que, dès le début du Quattrocento, Leonardo Bruni traduit VEÛiique, la Politique, VEconomiqite d'Aristote ; que Pallas Slrozzi emploie ses loisirs d'exilé à lire et pénétrer Aristote ; que le pape humaniste Nicolas V commet aux Grecs Trapezunlios et Gaza la traduction d'Aristote, que Lauro Quirino explique Aris- tote sur la place publique de Venise. Ermolao Barbaro dépense sa vie d'érudit à propager Aristote : « Bestoz bien persuadés, dit-il aux jeunes gens qu'il réunit dans son palais, qu'il n'y aura pas pour vous de volupté plus grande que d'avoir Aristote si familier que vous le puissiez lire sans consulter ses commentateurs'.» Dans l'asile môme du platonisme, à Florence, Argyropoulos, pourtant gagné à Platon, enseigne publiquement Aristote; Politien lit en chaire Y Ethique, VOrganon, les Anahjtica priora et les Analytica posterio7'a d'Aris- tote; Marsilc Ficin considère Aristote comme un che- min à Platon : « Ceux-là se trompent complètement qui pensent que la discipline péripatétique et la discipline platonique sont contraires, parce que le chemin ne peut pas être contraire à son but'-. » La guerre n'est déclarée qu'à l'Aristote du moyen âge ; et, ici encore, malgré les coups que lui portent un Leonardo Bruni, un Lorenzo Valla, un Ermolao Barbaro, cet Aristote n'est pas complètement di'trôné ; il persiste quand môme; il continue dansle Nord de l'Italie, à Bologne, à Ferrare, àVenise, àPadoue,(le grouperdesfervenlsoudesadoptes ; et à Padoue, Nicoletto Vernia de Cliieti enseigne depuis 1465 l'Aristote d'Averroès^.

Aussi bien Pic de la .Miriin(!ole,né dansle Norddel'lla- lie, étudiant d»' l't rrarc et de Padoue, étudianlde Paris, a

1. n llliid i)cr«uasissiiniim haltclolo. niillam voliis tiiiijorcin voliip- tateiii fuliiriiiii qnaiii l'iiiii iln r.'iiiiiliiLrciii h:il)cliitis Arisloleleiii. ut librus nu» leg«rc coiiliiiotihT «;l iiioUeiisc vulculis, expositorilnis non consultm. » I'oi.itikn, 0//e;v/, I. i(ii.

2. « Krrjuit omnino i|ui Pcriptileticain disciplinam Platonicœ contra- riam arbitranlur. Via si (|iii(Jcni leriiiino contraria cssc non potcst. » Ep. XII. '.>;i2.

3. Voir E. Ilcnan, Averroèa et l'averruisine, Paris. ISGO.

l'académie platonicienne. LA PENSÉE 117

reçu une première cullure fortement scolastique. Il a passé six ans de sa jeunesse, u et tant de veilles qu'il aurait peut-ôtre pu employer h se faire unnom dansles bonnes lettres*,» avec saint Thomas, avec Jean Scott, avec Albert le Grand, avec Averroès. Au début, au moins, il est plus que péripatéticien, il est averroïste*. Et lors- qu'arrivé à vingt ans à Florence, Marsile lui a com- muniqué sa ferveur contagieuse pour celui qu'il appe- lait « notre Platon », Marsile n'est point arrivé à faire trahir à l'adolescent le maître de sa jeunesse. « Si je me suis éloigné d'Aristote pour me rapprocher de l'Aca- démie, écrit-il àErmolao Barbaro, je l'ai fait non comme un transfuge, mais comme un explorateur-^ » Néanmoins Platon lui a été révélé, et il ne pourra plus désormais ('chapper au prestige de celte sagesse radieuse.

Alors à cet esprit hardi, impatient de grandes entre- prises, inquiet de nobles conquêtes, une œuvre sublime se dévoile, impérieuse comme un devoir : réconcilier Aristote, cet Aristole dont il a été nourri, chez lequel il a grandi, qui a initié son âme adolescente à la vie supérieure de la pensée, avec le Platon de Marsile; étayer l'édifice de Marsile d'une nouvelle colonne, et laquelle ! ramener l'édifice de Marsile au dessein préétabli d'une architecture souveraine ; et audacieuse- ment, joyeusement, avec la belle confiance de la jeu- nesse, il écrit au sommet de ses thèses personnelles : « U n'y a pas de question naturelle et divine Aris- tote et Platon ne tombent d'accord sur le sens et la chose, quoiqu'ils semblent différer par les paroles^ »

1. « Tantas vigilias, quibus potuerim in bonis lilteris fortasse non nihil esse. » Pic de la Mihandole, Epist. 4.

2. Dans une lettre qu'on peut fixer à l'année 1482, Marsile lui écrit : « Magna quidem voluptate me alïecerunt élégantes litterœ tuœ, quod te plane jaui eloquenteni nostro judicio prœstat, uiajori vero quod Penpateticuni quoque evasisse significant, maxima denique quod pro- cul dubio Platonicum pollicentur. » P. 858.

3. « Diverti nuper ab Aristotele in Academiam, sed non transfuga, ut inquit ille, veruin explorator. » Pic de la Mikandole, Opéra, epist. 22.

4. « NuUuui est qutiîsitum naturale aut divinuni in quo Aristoteles et Plato sensu et re non conveniant, quanivis verbis dissenlire videantur. » Pic DE la MinANDOLE, Opei'd, Conclusiones, p. 134.

118 LE QUATTROCENTO

Telle la première idée de Pic, et telle l'idée de toute sa vie, car cet accord qu'il s'est proposé, « qui avait été admis par beaucoup, qui n'avait été suffisamment démon- tré par personne, ni par Boèce. chez les Latins, ni par Simplicius chez les Grecs, ni par saint Augustin, ni par Jean le Grammairien, » il en fait la tâche principale de son œuvre'. 11 lui destine un gros livre, la Concordia Platonis et Aristotelis, que lamort l'empêche d'accomplir. Et il la parachève dans son esprit par un accord encore plus vaste. Car, lancé dans cette voie, cédantaux impul- sions de son génie mystique et aux transports d'un cœur illuminé, ilnepeut pluss'arrôter, et il faudra qu'au- tour de Platon, d'Aristote et de Jésus unis en un faisceau central, il groupe, il ramène toutes les philosophies, toutes les religions et tous les «'Ailtes, de manière qu'il n'y ait plus des sagesses humaines, mais une sagesse divine et que l'histoire de l'intelligence se réduise à l'histoire de la révélation. Son titre féodal de comte de la Concordia semblait le prédestiner à cette œuvre : « Il n'est pas seulement comte de la Concorde, s'écrie Marsile en un de ces jeux de mots qu'il aimait, il en est duc [dux], puisqu'il réconcilie les Juifs avec les chrétiens, les péripatéticiens avec les platoniciens, les Grecs avec les Latins. »

Marsile, soit qu'il l'ait pressentie lui-môme, soit qu'il l'ait consentie à son jeune ami, admettait l'idée. « Une philosophie pieuse, écrit-il, naquit chez les Perses sous Zoroastre et chez les Egyptiens sous Mercure; ensuite elle fut nourrie chez les Thraces sous Orphée et sous Aglaophème; peu après elle se développa chez les Grecsetchez les Italiens sous Pythagore ; enfin eliefut formulée chez les Athéniens par le divin Platon, dont les voiles furent soulevés par Plotin qui, le premier et le seul, comprit divinement les secrets des anciens'. »

i. « PropoBilimus primo Platonis Aris((itclisr|ue concordiam a multis anle hm-, crcditam, a tuMiiin»; salis probaluiii. » Ih. ApoioKÏ», P- ^i- îi. « Fuctuin cit ut pia quu;dam Philosophiu quondain et apud Persai

l'académie platonicienne. LA PENSÉE 119

Mais Marsile n'était pas de taille à démontrer une vérité aussi transcendentale, lui qui ne connaissait l'Orient qu'à travers Platon et les néo-platoniciens.

Au contraire, Pic de la Mirandole est un véritable orientaliste. Continuant la tradition que le vieux Gianozzo Manetti avait initiée à Florence et mettant h profit l'industrie des Juifs chassés de Sicile, qui, en 1482, lui ont apporté des leçons et des écritures mysté- rieuses. Pic de la Mirandole a appris avec les Mithri- date, les Elia delMedigo, les Alemanno, non seulement l'hébreu, mais les éléments de l'arabe et du chal- daïque^ Il a lu tout ce qu'on pouvait lire, dévorant les volumes à la journée et les convertissant, selon le mot de Marsile, « non en cendres, mais en lumière^ ». Les questions dialectiques, morales, physiques, méta- physiques, théologiques, magiques, kabbalistiques lui sont familières. Albert le Grand, saint Thomas, saint Maron, Henri de Gand, Egidio Romano, Averroôs, Avi- cenne, Alfarabius, Isaac de Narbonne, Aburamon, Moïse, Mahomet, Avempaten, Théophraste, Ammonius, Simplicius, Alexandre d'Aphrodisias, Thémiste, Plotin, Porphyre, Jamblique, Mercure, pour citer son ordre, ont peuplé sa jeunesse. Tous les âges et toutes les cul- tures, tous les docteurs, tous les prophètes et tous les mages sollicitèrent sa curiosité. Il s'est plongé dans la science des nombres. Il s'est plongé dans la Kabbale,

sub Zoroastre et apud ^gj'ptios sub Mercurio nasceretur, utrobique sibiseniet consona. >futriretur deinde apud Thraces sub Orpheo atque Aglaophemo. Adolesceret quoque mox Pythagora apud Graecos et Italos. Tandem vero a divo Platone comsummaretur Athenis... Plotinus taa- dem his Theologiam velaminibus enudavit primusque et solus. » FiciN, Epist., p. 871.

1. Sur les maîtres hébreux de Pic de la Mirandole, voir J. Perles, Revue des études juives, XII, 244. M. Schwab, Annales de philosophie chrétienne, XVI, 336. Ragnisco, AUi e Memorie delVAc. di Padova, VII, 293.

2. « Non contentus ego, prœter communes doctrinas, multa de Mer- curii Trimegisti prisca theologia, multa de Chaldœorum, de PythagoraB disciplinis, multa de secretioribus HebruBorum addidisse mysteriis ; plurima quoque per nos inventa et meditata de naturalibus et diviais rébus disputanda proposuimus. » Pic de la Mirandole, Opéra, Apo- logia, p. 14.

120 LE QUATTROCENTO

qui lai fut révélée avant qu'il eût atteint l'âge fatal de quarante ans, qui permettait de l'aborder. Il s'est plongé dans la magie, non dans la fausse magie des démons, mais dans la magie véritable de Pythagore, d'Empé- docle, de Démocrite, de Platon, de Plotin, d'Alchin- dus, de Roger Bacon, de Guillaume de Paris, qui est la consommation de la philosophie naturelle, que Zoroastre appelle la science du divin, que les rois Perses enseignent à leurs enfants, qu'Homère dissi- mule sous les fables de l'ingénieux Ulysse^ Il lui appartient donc, ainsi préparé par son érudition et son génie, de mettre à exécution la synthèse qu'a peut-ôlre entrevue Marsile. Et il s'y essaie dans ses neuf cents conclusions ou thèses, qu'à l'âge de vingt-quatre ans il veut proclamer devant le monde et qu'il n'aurait fait qu'illustrer et compléter sa vie durant, si la mort ne l'avait arraché, sept ans plus tard, à sa table de travail-.

Tout s'accorde, se concilie, se joint et se soutient. L'arithmétique, la magie, la Kabbale affirment Christ aussi bien que les mystères de Platon et les récits des Evangiles^. Et comme, par l'arithmétique, Pic de la Mirandole avait établi l'existence de Dieu, la cause des causes, le siège du bonheur et l'opinion la plus véri- dique entre celle d'Arryen, de Sabellius, d'Eucliph et de Rome, sur le dogme de la Trinité, dans la Kabbale^ il trouve, avec ce même dogme, l'incarnation du Verbe, la divinité du Messie, le péché originel, le rachat, la chute des démons, l'ordre des anges, la Jérusalem céleste, le Purgatoire et l'Enfer*. Jésus y apparaît comme celui qui unit toutes les choses dans

1. « Altéra magia nihil est nliud, cum bene exploratur, quani natu- ralis philosophiui absoliita (-(msuniatio. » Apologia, p. 15.

2. Loncluatones iiongenlue in omni f/enere scienliarum. Quatre cents de cea thèses «ont selon la doctrine (i'auttui ; cinq cents relèvent do sa doctrine perRonnelle.

3. Quti-<*li(ineR ad qiia» pollicctiir se per numéros responsuruin. Conclusionfs magirm numéro XXXVI sccundum opinioncm propriam. Conchmiones cabalit>tica! necundum opinionem propriam.

4. Apologia, p. 1.').

l'académie platonicienne. LA PENSÉE 121

le Père, et par qui tout est fait, et de qui tout devient,, et en qui tout sabbatise. La Kabbale, qui prouve l'inu- tilité de la circoncision, renferme le secret des cinquante portes de l'intelligence, de la millième génération et du règne de tous les siècles. Elle fournit des raisons, de croire aux incrédules : « Non seulement ceux qui nient la Sainte Trinité, mais ceux qui la conçoivent d'une manière diverse de l'Eglise, peuvent être mani- festement rédargués par les principes de la Kabbale '. » Elle convainc les Juifs contre eux-mêmes : « Les eiïets qui ont accompagné la mort du Christ devraient per- suader à chaque kabbaliste que Jésus de Nazareth est le vrai Messie-. » Les balbutiements obscurs des origines fabuleuses, les traditions orales que les âges se sont transmises à l'oreille, les longues méditations pour- suivies au désert sous les lentes de poil de chameau, les initiations supérieures, les révélations des Tabor et des Sinaï, les sagesses qui, le long de l'humanité en marche, se sont succédées, des porteurs de turbans aux porteurs de bonnets carrés, s'appellent, se répondent,, s'accouplent, se marient, et par voies ouvertes ou cachéos, à leur insu ou sciemment, aboutissent au même but et concluent à la môme vérité. Et cette vérité est Jésus. Jésus s'est révélé de tout temps, comme la Pal- las d'Orphée, l'Esprit paternel de Zoroastre, le Fils de Dieu de Mercure, la Sagesse de Pythagore, la Sphère intelligible de Parménide, le Verbe de Platon. Emporté dans un élan de ferveur mystique, Pic de la Mirandole plane au sommet de l'Univers de l'intelligence qu'il sai- sit d'un seul regard et, pour ainsi parler, à vol d'oiseau. Il assiste de haut et de loin à l'histoire des idées, aux liaisons étroites d'où elles naissent, aux emprunts cons- tants dont elles vivent. Il s'est élevé à cette hauteur,

1. « Non solutn qui negant Trinitateiu, sed qui alio modo earn ponunt quam ponat catholica ecclesia redargui possunt manifeste si admit- tantur principia Cabala;. »

2. « Effectus qui sunt sequuti post mortem Christi debent convincere quemlibet Cabalistam, quou Jésus Nazarenus fuit verus Messias. »

122 LE QUATTROCENTO

tous les contrastes s'atténuent, tous les dispa- rates se fondent, toutes les divergences dispa- raissent et l'on ne voit plus que les harmonies, les analogies, les identités. Et, ému de tant de voix qui s'unissent, de tant de couleurs qui se marient, de cette symphonie éternelle et universelle qui monte du chœur de l'humanité, dans l'extase de la cime et l'épouvante du buisson ardent, lui-même tombe à genoux.

IV

La pensée de l'Académie platonicienne est donc une pensée de synthèse. Sa méthode consiste dans l'emploi érigé en système d'une herméneutique sabtile.

Il n'y a rien d'inédit. La pratique du symbolisme était d'un usage courant dans l'école d'Alexandrie, nous voyons entre autres Origène donner une explication toute symbolique de l'Ecriture. Des œuvres des Pères grecs, elle avait passé dans les écrits dos docteurs latins et dans l'enseignement de la théologie italienne, dont elle constitue une véritable méthode ^ La quadruple interprélation littérale, allégorique, tropologique et anagogique, si nettement exposée par saint Augustin, était admise par chacun.

Littera gesla docet, quid credas Allegoria, Moralis quid agas, que tendas Anagogia,

enseignaient les vers de l'école. Dante était demeuré fidèle à ces principes; Savonarole les appliquait tou- jours^; et, comme nous l'avons vu, les humanistes les

1. Léon Dorez, Giornale storico délia letteratura italiana, Turin, 1899, p. :n9.

2. Savonarole Houniet à une quintuple interprétation chaque passage de l'Ecriture. Voir les notes marginales de sa Bible de 1492. Il disait encore : « Diclis qua; aperta crediiuus, cuni interjecta aliqua inveniuius, qua-ri quibusdain slitiiuiis pungiuiur ut ad aliqua altioraintclligendum vigilcniUH : et tune obscurius pcriala sentiainus ea etiam quai aperta pulaviniuH. » l'anquale Villari, La sloria di Girolumo Savonarola^ Flo- rence, 1887, 2 vol., I, p. 131.

l'académie platonicienne. LA PENSÉE 123

avaient introduits ou plutôt conservés dans l'interpréta- tion de l'antiquité profane. Nourris des Pères d'Alexan- drie, des docteurs du moyen âg^e, de l'humanisme con- temporain, les néo-platoniciens de Florence ne font donc qu'employer un système universellement adopté autour d'eux. A tant d'exemples qui les y poussent. Pic de la Mirandole joint l'autorité suprême de la Kabbale qui reconnaît trois modes d'interprétation : la themurah^ la notaricon et la g&matria.

C'est ainsi que, selon eux, les temples de la sagesse sont gardés par des Sphinx ^ Tout procède, tout a constamment procédé par voie de symboles, d'allégories, de figures, d'images, de signes. Aucune révélation qui ne soit ésotérique. Aucune doctrine qui ne soit hermé- tique. Aucune poésie qui no soit mystérieuse. Il n'y a point de sens vulgaire et littéral. Rien n'est dit propre- ment et directement. Les vérités splendides demeurent occultes et secrètes, enfouies qu'elles sont derrière des écorces rugueuses et des masques grossiers. « Celui qui voit seulement les choses dans leur superficie, prétend Marsile, ne voit que des ombres et des rêves ^ » ; et pour consoler Verino de la mort de son fils, il lui écrit : « Tout n'est que fiction dans ce bas monde. Les morts et les naissances sont feintes ». Selon Pic de la Miran- dole, les conducteurs de peuples, comme les fondateurs de systèmes et les révélateurs de beauté, se sont plies au précepte de Pythagore qui a dit : « Tu éviteras les voies populaires, tu iras par des routes peu connues. » Moïse apparaît si rude et si gauche, parce qu'il obéit à ce principe, qui veut qu'on parle des choses divines à mots couverts : la tourbe d'Israël, faite de tailleurs, de cuisiniers, de bouchers, de pâtres, d'esclaves et de servantes, n'aurait pu supporter le fardeau d'une

1. « Aeofyptiorum templis insculptae sphynges hoc admonebant ut mystica dogiiiata per enigmatum nodos a profana multitudine inviolata custodirentur. » Pic. oe la Mikandole, Opet'a, Apologia, p. 14.

2. « Qui superficiem aspicit umbras tantum videt et somnia. » FiciN, Epist. 1, p. 660.

124 LE OLATTROCENTO

sagesse aussi grandiose *. Platon recouvre sa pensée tliéologique d'une telle enveloppe d'énigmes, de fables, d'images mathématiques, de significations obscures et lointaines qu'il avoue dans ses lettres que personne ne l'entendra'. Aristote dissimule sous l'apparence de la spéculation la divine philosophie que les anciens poètes avaient cachée sous des fables, et il l'obscurcit comme à plaisir par la brièveté de son style. Jésus n'a point écrit, il n'a fait que prêcher, et en prêchant aux foules il a usé de paraboles, d'images, d'allégories; ce n'est qu'à ses disciples, comme nous l'apprend Origène, qu'il révéla ses mystères, et ces mêmes disciples, comme nous l'apprend Denys l'Aréopagite, durent s'engager formellement à n'en rien confier à l'Ecriture, mais à les transmettre oralement, de la bouche à la bouche. Mathieu n'a dévoilé que ce qui regarde l'humanité de Christ. Jean a commencé par garder le silence. Paul a refusé aux Corinthiens la nourriture spirituelle. Denys l'Aréo- pagite l'a engagé à poursuivre dans ce dessein. Sou- lever ces voiles! percer ces enveloppes! lever ces masques! forcer les secrets, les énigmes et les sphinx! Et lorsque Pythagore enseigne : « Tu n'urineras pas contre le soleil et tu ne tailleras point tes ongles au milieu des sacrifices », comprendre que cotte sentence signifie : « Après avoir rejeté le flot surabondant de nos appétences et de nos voluptés et avoir taillé, comme des rognures d'ongles, les proéminences aiguës de notre colère et les aiguillons de notre àme, commençons à assister aux mystères sacrés de Dacchus dont le soleil est h bon droit appelé le père et le chef, et tournons-y notre contemplation-'! » C'est dans ce sens que Marsile

1. « Turba omnis israelitica, sartores, coci, maceliarii, opiliuneSr •ervi, ancillu;. » Pic, lleptaplus, Proemiiim.

2. « l'Iuto noster ita in volucris cnigmatiim fabularuin velamine, matliciiifiti<-i.s iiiwiKinibus et subuscuris recedenliuin scnsuiiin indiciis Hua dof<iiiata occiiltavit, ul el ipso dixerit ia epislolis nciniiieiii ex liis (jufe «cripserit Hiiaiii sententiaiii de divinis aperte intellectiiruiu. » Ib,

'A. « Scd poBlqiiaiii pcr tiioralein et siipcrniieiitiiiin voluplalutn thixas cminxcrimus, appetentiua et uiiguiuiu pi-uesegtuiua quasi aculus iroî

l'académie platonicienne, LA PENSÉE i25

Ficin compose son Livra cf Amour ou commentaire au banquet de Platon ; que Gristoforo Landino compose ses Disputalions des Camaldule^ ; et que Pic de la Miran- dole compose son Heptaplus. Il rêvait plus : une Théo- logie poétique il aurait montré que les poètes pro- fanes ne sont rien d'autre que de savants théologiens ^ Le Livre d'Amour de Marsile soumet le Sijmposion de Platon à la torture d'une telle exégèse que la pensée lumineuse du maître de l'Académie y devient mécon- naissable. Socrate meurt sous les coups qu'on lui porte pour découvrir l'image du Dieu que, comme un Pan, il cachait dans son cœur^. Selon les neuf platoniciens réunis à diner dans la villa de Garoggi, les interlocuteurs du dialogue de Platon, Phèdre, Pausanias, Eryxi- maque, Aristophane, Agathon, Socrate et Alcibiade, se concilient, se complètent et apportent chacun des témoignages égaux de valeur, Ouand Phèdre dit que l'Amour est du Chaos, cela signifie, d'après Gio- vanni Gavalcanti, qu'au temps les âmes des anges n'avaient pas été conçues par la raison divine, le Chaos, ou monde sans forme, était animé d'un grand désir pour la forme. Los deux Vénus ouranienne et terrestre, que distingue Pausanias, représentent à Giovanni Gavalcanti Tune la fille de Dieu, née sans mère parce que, par mère, les physiciens entendent la matière, l'autre la fille de la matière et la vertu de lYime; la Vénus oura- nienne inspire lacontemplation de la beauté de l'âme; la Vénus terrestre inspire le désir d'engendrer une telle beauté. Dans l'apologue d'Aristophane, Gristoforo Lan- dino découvre le péché originel. Selon Gristoforo Lan- dino, l'homme primitif d'Aristophane indique Tàme, qui

proininentias et aniinorum aciileo resecueriraus, tum demum sacris, id est, de quibiis uientioneiu fecimus Bachi mysteriis interesse et ciijus paler ac dux sol merito sol dicitur, nostru3 contemplationi vocare inci- piainus. »

1. « Ilomerus quem ut omnes alias sapientias ita hanc quoque sub suis Ulixis erroribus dissimulasse, in poetica nostra theologia ali- quando probabimus. » Apologia, p. 15.

2. In conviviuui Platonis de amore commentarium. Ficin, Opéra, II, p. 1321.

126 LE QUATTROCENTO

avait reçu à l'origine deux lumières, l'une à elle propre^ l'autre venant de Dieu; pour avoir cru se suffire à elle- même, l'àme fut privée de la lumière de Dieu, et mourut dans le corps; mais, en vertu du reste de lumière qu'elle contient encore, elle désire retournera son premier état, se réintégrer et s'accomplir. La beauté et la bonté, qu'Agathon attribue à l'Amour, le plus heureux des dieux, sont pour Carlo Marsuppini une seule et même chose, la splendeur du visage divin qu'illumine le monde en se réfléchissant dans trois miroirs, l'ange, l'àme et le monde. Enfin, pour Tom- maso Benci, le démon de Diotime devientl'ange de Denys l'Aréopagite. Le démon Amour est dans le jardin de Jupiter, qui est la fécondité de l'esprit évangélique, de Poros,qui est la raison de Dieu, et de Penia, qui est le principe de la privation; de par sa mère. Amour est sans maison (la maison de la pensée humaine est l'àme), il dort à la porte (les yeux et les oreilles sont la porte de l'âme), il gît sur la route (la beauté du corps est la route de la beauté de l'âme); de par son père Amour, est astucieux, sagace, industrieux, prudent, philosophe, civil, audacieux, véhément, éloquent, sophiste et mage. La dialectique de la femme de Mantinée se transforme en ascension du corps à l'âme, de l'âme à l'ange, de l'ange à Dieu. Dieu est la lin suprême. En l'aimant, nous aimons les corps ombres de Dieu, les âmes ressem- blances de Dieu, les anges images de Dieu,

Dans les Disjmlafiones caynaldiilenses de Gristoforo Landino, Leone-Batlista Alberti commente, selon une méthode semblable, les six premiers livres de VEnéide de Virgile ^ Les voyages qui amèneront Enée jusque dans l'Italie, qui représente la vraie sagesse, symbolisent l'ascension graduelle du terrestre à la contemplation de la pure divinité, (^'est la Vénus ouranienne qui conduit Enée aspirant à la beauté divine, tandis que c'est la Vénus lernîstre (|ui conduit Paris obéissant encore aux

1. I.AMiiMO, Cumaldulensium dispululumein opus, l'uris, loll.

l'académie platonicienne. LA PENSÉE 127

impulsions basses. Pârismeurt àTroie, soitdans la jeu- nesse dominée parles sens. La lutte d'Anchise et d'Enée représente le combat engagé entre la sensualité et l'âme. La Thrace, s'arrête Enée, est la cupidité. Junon est l'ambition ennemie ; Didon, la vie active ; le voyage à Garthage, la diversion de la vie contemplative à la vie active; et la descente aux enfers veut enseigner que l'esprit doit connaître les vices et s'en purifier avant d'atteindre à Dieu •.

Dans VHeplap/us, de sepliformi sex dierum geneseos enarratione, Pic de la Mirandole interprète sept fois, dans un sens toujours diiïérent, le récit de la Genèse^. Les ténèbres veulent dire la privation; la lumière, la forme ; les eaux et la terre, la substance première ; l'esprit de Dieu, la force et la cause efficiente. A cette herméneutique courante, il joint l'herméneutique supé- rieure que les kabbalistes appelaient notaricon; ainsi, avec le premier mot de la Bible , In jmnci/no , Pic découvre la raison de la création du monde et des choses, car si, prenant une à une chacune des lettres de ces deux mots, Inprincipio, on les met à la tôle d'autres mots hébreux, on aura la phrase : Pater in filio et per filium principium et finem siue qiiietem creavit^ caputy ignem^ et fiindamentum magni hominis, fœdere bono. De cette façon Pic trouve dans la Genèse toute l'histoire de l'humanité, les différentes puissances de l'homme, la venue du Messie, la fondation de l'Eglise. La Genèse contient les secrets de la nature entière ; chaque ouvrage de la nature est un ouvrage de l'intelligence, de sorte que l'histoire de la nature est une histoire de l'esprit divin. Les trois parties du tabernacle de Moïse corres- pondent aux trois mondes : le Portique au monde des

1. Cf. BoccACE, Genealogia deorum, XI V, 10. Filelfo, Epistolae, p. 2.

2. «Vide quanti laboris... ut non uno dumtaxat, sed septemplici sensu a capite semper novum opus exorsi perpetuœ et impromiscuaj exposilionis ordine totam hanc mundi creationem. » Pic de la Miran- dole, lleplaplus, Proemium.

i28 LE QUATTROCENTO

éléments, le saint lieu au monde céleste, le très saint lieu au monde angélique : les sept branches du chan- delier signifient les sept planètes. L'homme est le quatrième monde, lien du terrestre et du céleste : il est corps, c'est-à-dire terre; il est âme, c'est-à-dire ciel, il est à la fois corps et àme, soit esprit, c'est-à-dire lumière.

La pensée de l'Académie platonicienne, élaborant des œuvres de ce caractère, était condamni^e h n'avoir pas de lendemain.

Son herméneutique échoue dans la puérilité, comme l'ontologie métaphysique qu'elle dessine se résout dans un syncrétisme incohérent ^ . Les quelques œuvres qu'elle a laissées les traités et les lettres de Marsile, les thèses et les fragments de Pic, les Disputes des Canial- dulesâù Landino, la Canzone d'atnore de Benivieni, le Libro dellWmore de Marsile, \ Altercazione de Laurent sontoubliées : d'aucunes mômessont demeurées inédiles, comme le Livre sur tâme de Landino et le poème en ter- zines de Nesi. Elles n'ont enrichi d'aucun apport l'hu- manité. Elles n'ont avancé d'aucun pas la science. Elles n'ont rien initié, ni dans une philosophie que les Alexan- drins avaient fondée, ni dans une méthode qui apparte- nait au domaine courant. La Theologia platonica, qui de meure le monument et le br('viaire, représente moins qu'un système ordonné, un amas et, s'il faut tout dire, un ramassis.

Néanmoins, en dépit du résultat, il faut reconnaître l'effort, et cet effort est d'une ferveur admirable. S'il est

l. Voir, par exemple, chez Marsile. la conipriniison du procès de Socrutc (!l ne la [)assion de .lésus : « Mitto in prii'scntiarn trif,niita iiiim- iriorutn |)retiiiiii de Socrate factum, et ipsius Socratis vaticinia, vindic- tam rpioqiie divinitus p(»»l ejiis neccm subito consecutinn lotioueni, vespcri paulo antc ohituiu iustitiilaui a Surrale exliorlalioncni(|ue cjus ad pietaleiii lnira cn'iia-. Quid (|n<t(l in eadoni iiora do calice al(|uc \>i:\ifi\\{V\i>i\v et in ohilij ipso de ijallo (il nicntio? » Kkin, Epist., p. 808.

l'académie platonicienne. LA PENSÉE 129

vrai que toute contradiction ne se résout que dans un principe supérieur, Tâme s'élève d'autant. Pour la première fois depuis Pétrarque, nous voyons des érudits qui s'appliquent à penser et qui sacrifient à cette nou- vellediscipîine leurpaix intérieure. Chez eux l'équilibre des forces mentales commence à se rompre; la santé de l'esprit reçoit ses premières atteintes. Marsile est un inquiet qui se palpe, se cherche et se regarde au miroir pour se trouver, voudrait savoir ce qu'il ignore et ne veut plus connaître ce qu'il sait, irrésistiblement dégoûté des paroles qu'il a dites, des livres qu'il a com- posés'. Pic a pareillement besoin de s'éviter lui-môme ; des remords le travaillent; des incertitudes le poignent; son écriture s'est gâtée et sa paix s'est perdue. Kt La\i- rent peut, dans SOS S'y /w.sr/'awow;*, peindrel'àged'or « aucun doute ne fatiguait la pensée et où, sans confusion, l'on entendait la vérité'^ ». « Le talent, chante-t-il, était alors égal au désir, et l'envie à la force de l'intelligence ; l'homme se contentait de connaître la part de Dieu qu'il peut comprendre; et la vaine présomption de notre esprit pervers ne doit pas monter plus haut, ni recher- cher d'un soin superflu les causes que la nature nous cache. Aujourd'hui notre esprit mortel présume qu'il y a un bien caché auquel il aspire; une subtilité vul- gaire aiguillonne notre désir humain et ne sait plus comment le retenir ; c'est pourquoi notre désir s'irrite, c'est pourquoi notre désir se plaint que l'esprit a trop de lumière en supposant ce bien; et, s'il ne le voit pas, il se plaint du peu qu'il voit, et il voit qu'il ne voit pas, et il demande d'être aveugle ou de voir tout à fait-^. »

1. « Forte et qiiod scio nolim, et quod nescio volo. » Ep., p. 751 « Quantum ab initio studioruui nieorum mea mihi verba scriptaque placebant omnia, tantum... mea mihi omnia displicent. » P. 766.

2. « Non dubbio alcun, non fatica ha il pensiero ; Senza confusïone intende il vero. »

(Lai RENT DE Médicis, Opère, Silva IL)

3. « Lo inçegno era agguagliato col desio, La voglia colla forza dello intendere : Stavan contenti a conoscer di Uio

La parte che ne puote l'uom comprendere :

IL »

430 LE QIATTKOCKNTO

Mais ce malaise moral provient d'une noble origine; il est le supplice de F^rométliée, u l'inquiétude née du trop savoir' ».

Aussi faut-il admirer dans ce siècle pratique, à visées courtes, à intérêts immédiats, ce grand souffle d'idéalisme transcendantal, qui s'élève d'un vol aussi pénible que courageux au-dessus du monde des phé- nomènes. Et la conception que se lait l'Académie dun univers graduel, harmonieux, symphoniqne, procédant par degrés successifs, par ordonnances symétriques, par séries évolutives; la part de toute-puissance et de toute beauté qu'elle accorde à l'àme humaine, seule réalité; l'identilicalion qu'elle essaie de cette âme avec l'homme, œuvre de Dieu, reflet de Dieu, centre, lien, noyau de l'univers, possibilité suprême; le rôle qu'elle donne h l'amour ; la place qu'elle réserve au bien ; le culte, passionné et panthéiste, qu'elle professe pour la divinité, sont de vastes idées, aussi généreuses qu'im- prévues, dans l'Italie des tyranneaux. Depuis trop long- temps les esprits n'étaient plus préoccupés de « ques- tions divines»; les platoniciens de Florence en sont agités jusqu'à la sainte déraison.

Regardons ces hommes qui, sur la colline idéale oii tout converge et s'associe, dans la région supérieure toute contradiction humaine se résout, ont franchi le seuil de l'arche trois fois sainte. Ils savent ce qui n'a jamais été révélé ; ils détiennent le secret de la loi universelle ; ils ont été élus par une grâce à l'explication

Ne la presunzïon del vano e rio Nostro intelletto dee più alto ascendere; ricercar con tanta inutil cura Le cause che nasconde a rioi natura.

« Oggi il niortal ingegno ])ur présume Ensere un ben ocrulto &1 quale aspira : Move l'uiiian disio il basso acume, Irova ove feniiarlo : onde s'adira E duoisi che la mente ha troppo lume, Quel ben presupponendo : e se noi mira, Si duol del pono, e vedo che non vedc; Ester cieco o 'l'Teder perfetto chicde. » Ib.

1. « Dal taper troppo nasce inquietudine. » Ib.

l'aCADKMIK platonicienne. LA PENSÉE 131

du monde; plus que des (Tudils, ce sont des prêtres. Lii science, devenue religion, les a investis d'un carac- tère sacré. Leurs gestes ressemblent à des rites, leurs cérémonies à des sacrifices, les envolées de leur âme mystique à des cantiques et des prières. Ils sont les ofliciants de « celte même et unique religion ayant une seule âme, un seul esprit cl un seul culte' », dont G 'iiiiste Pli'lhon avait annoncé à Trapezuntios la pro- chaine échéance. Avant Savonarole, avant Luther, dans leur sphère, par leurs moyens, ils ont tenté de toutes leurs forces éperdues un rapprochement avec Dieu. Ils se sont arrachf'S et ils ont voulu arracher avec eux le monde de la pensée à la prison de la terre et aux men- songes du corps. 11 ont sacrifié leur joie et leur santé à proclamer une réalité supérieure et à s'élancer d'un bond à sa poursuite dans le séjour de réternelle beauté. Ils ont répandu un flot d'adoration sur les œuvres de l'inlelligence. Ils ont reconnu, dès les origines des races, comme une sourde végétation de Dieu. Ils ont mis l'encens et la myrrhe aux mains des Sibylles, des pylh )nisses et des prophètes. Ils ont proslerné les dieux de l'Olympe et les sphinx des vieux temples aux pieds du Crucifié. Et si, parla science qu'ils firent divine, ils ne purent imposer le Christ à la pensée, d'autres, peut- être permis par leur échec, viendront qui, parla cons- cience, l'imposeront à la conscience.

i. « Audivi ego ipsum Florentiœ venit eniin ad concilium cum Graecis asserenteni unam eamdemqiie religionem uno aninio, una mente, una pra>dicatione, universum orbem paucis post annis esse suscepturum. »

CHAPITRE V

l'hellénisme italien

Ses œuvres: les lettres, les discours, les épigrammes. Les traduc- tions. — Les éditions : Aide Manuce. Déclin des études grecques au jvi* siècle. Les grands hellénistes du xvi' siècle ne sont plus Italiens. Influence de Ihellénisme italien sur l'Europe savante.

On a vu le goiit du grec naître à Florence, envahir rilalie, atteindre à Florence son maximum de bonheur, occuper des chaires, susciter une culture, réunir l'Aca- démie platonicienne. Il est temps de se demander ce qu'il est resté d'une passion aussi fervente et d'un mouvement aussi général.

Tout d'abord, il en reste des œuvres. Des lettres de Filelfo aux épigrammes de Politien, nous possédons toute une petite littérature grecque d'Italie, qui pour n'être pas très considérable, remplirait quand môme un volume. Inédite ou publiée, éparse dans les œuvres latines contemporaines, composée de discours pronon- cés en des occasions solennelles, de lettres échangées entre savants, d'inscriptions, d'épigraphes, d'épitaphes, de madrigaux et de légèretés, elle est le témoignage valide de la facilité avec laquelle l'Italie s'assimila la langue et le génie de l'Attique.

De cette littérature un peu mince, les Epigrammes grecques de Politien, publiées en 1496 par le Florentin Zanobi Acciajuoli, quehfues jours avant que Zanobi entrât dans le couvent de Savonarole, représentent sans contredit le fruit le plus charmant. Encore enfant, au milieu des promenades et des repas, Politien impro- vise en grec ; il joue et il s'amuse, n'importe comment, de n'importe quoi ; il plaisante à propos de mouche-

L HELLÉNISME ITALIEN 133

rons, chante Vénus Anadyomène, félicite V^arino Favo- rino pour son Thésaurus Cornucopiœ^ blâme Pic de la Mirandole qui brûla ses vers d'amour; il décrit un orgue, met une inscription sur un manuscrit du prince d'Urbin ou sur le cortile des Ciampolini de Rome, célèbre au hasard de l'occurrence Argyropoulos, Gaza, Chalcondylas, Buoninsegni, Toscanelli, un jeune homme blond, une bouche sale, un vieux prêtre. Alessandra Scala, fille du chancelier de la République, a récité dans une compagnie VElech'e de Sophocle : aussitôt Politien part : « J'ai trouvé, j'ai trouvé celle que j'ai toujours cherchée, celle que je priais d'amour et dont je rêvais, la vierge immortelle dont le génie n'appar- tient pas à l'art, mais à la simple nature, la vierge insigne dans l'un et l'autre idiome, excellente dans les chœurs, excellente sur la lyre ^ » Et sur le même ton, dans le même mètre, Alessandra Scala répond à Poli- tien : « Rien de plus éclatant que la louange d'un sage. De quelle gloire m'a comblée ton éloge ! Les char- latans sont nombreux, mais les devins sont rares. Tu m'as trouvée, dis-tu : non, tu ne m'as pas trouvée, tune m'as pas trouvée môme en rêve. Le divin poète l'a bien dit : un dieu nous pousse vers ce qui nous ressemble. Rien de plus dissemblable de toi qu'Alessandra. Toi tu répands autant de flots que le Danube. En plusieurs langues, dans la grecque, dans la romaine, dans la lydienne, ta gloire repousse les ténèbres. Les astres, la nature, les nombres, les lois, les médecins t'appellent Alcide, t'attirent tour à tour. Mais mes écrits de jeune fille, mes amusettes comme on dit, Bocchoris les comparerait aux fleurs et à la rosée 2. »

1. « EÛpT)^' E'jpYJx'^V 6ÎX0V, T^V êÇl^TEOV OLtÛ,

"IIv r^TOuv Tov k'pwÔ', rjv xal oveipoTtôXouv Ilapâivixv, T,ç xâ>,Xo; àx-^parov, r,; ôye y.ôujioî

Oùy. etï) xéyyr.i; iW à.<ft\o\/i çÛo-e<i>î' IlapôevtxYiv, yXwTTTjTtv èTr'â[jL(poTépY)<Tt xo(Ji(ô(Tav,

"EÇoj^ov ev Te j^opot;, à'So/ov ëv te X-joy;. »

(Politien, éd. Del L'ungo, p. 200.)

2. « O-JSÈv àp' r)v aîvoto irap' £|Ji?po''^î àvSpb; àjAEtvov,

Kâx aéOsv aivo; âiJioi y'o^o^ àetpe xXÉo;.

134 LE QUATTROCENTO

A côté de pièces semblables, l'hellénisme italien a laissé des traductions K

Ces innombrables traductions, qui constituèrent une des branches principales de l'activité des humanistes, furent sévèrement jugées par la forte critique du xYi*" siècle et par la philologie allemande contempo- raine : on n'est plus à en compter les erreurs, à en rele- ver les incorrections, à en souligner les bévues ; les passages difliciles sont suprimés; des périodes entières, inventées de toutes pièces, sont intercalées dans le texte; jamais la physionomie individuelle de l'écrivain n'est respectée; un flot continu de magniloquence uni- forme la submerge et la noie. Mais ce dont Tàge moderne fait un tort à l'humanisme italien, l'huma- nisme italien le revendiquait précisément comme un mérite, persuadé qu'il était que le grec, maître du latin, n'était en quelque sorte que du latin supérieur. Selon l'opinion courante, Homère devait avoir chanté avec plus d'élégance, Thucydide raconté avec plus de brio, Démosthène péroré avec plus d'ampleur, Platon phi- losophé avec plus de charme, Aristole disputé avec plus de vigueur que les auteurs latins. Le monde lettré recherchait dans le grec la beauté, une beauté latine idéale, et cette beauté représentait la condition néces- saire, en même temps que la condition suffisante de ses travaux. C'est ainsi qu'au début de l'hellénisme, Coluc- cio Salutati pense que le jeune Loschin'a pas besoin de

IIo).>.oi Ôpto^iiAot, TtaCpotôÉ ■zt |xivTi£{ ttiiv.

Hu?î; ; i'p' oOy evpe;, oJS'ovap f,vTfaTa;. ^•f, yàtû 6 Oeïo; aoiôô;' riyei Oeô; èç tôv ojaoiov

OCJev 'AÀïîivôpY) ffo-3 8'àvo(xotoTepov 'Li; Tj y'fjnoîix Aavouôio;, â* ÇiJç^.y |A£aov f||iap

Ka-IiOi; in cfi-ot.ir^'i , aÎTià pÉeOpa yiet;. •frwva:; 5'év iCt.v.r.am <7^-t toi /.aso; y,sp' èXaTrpet

'K>.>.â3c, 'l'omaïx'^, 'Kgpaïxr,, A\;5tr,. "A-irpa, ç'jTi;, <i'àpi(i[xol, 7toiT||iaTa, xii'pSi;, latpol

'iV),xe!?-/iv v.x'/.iti n' àvTt|X£Oï)./«i|Aîva. Tà|X3e Ttapûïvtxf,; «iTtouîxTixaTa, Trat'yvia ça^f,

H4y.yopi; èÇttirot, à'vOia xal 8p<4toc <o;. »

[Ib., p. 201.)

I. Dorinto <;r.ivino, .S'fl</7io d'una Slorin dei volffarizzamenli (t'opère fjieclie iiel aiuolo AT, N/ipicH, IK'JO.

r. IIKLLÉMSMf'; ITALIEN 135

connaître le grec pour traduire Homère : il n'a qu'à se servir de la version littérale du calabrais Léonce Pilate, qu'il rendra plus harmonieuse en coupant d'exclama- tions et d'interjections les périodes trop longues, en retranchant ici, en ajoutant ailleurs et en donnant à tout l'ensemble nn bel ordre et une belle façon.

Ce qui importe, n'est pas la fidéliti^, mais la forme; le point essentiel demeure dans le style, et pourvu que le style réponde aux conditions d.; nombre et d'élégance exigées, on s'inquiète peu des vérités doat il est le véhicule. « Il faut souvent, écrit Valla, mettre de coté le caractère grec pour en imagiaer un nouveau; il faut inventer des ligures; il faut obéir au nombre'. » Et ceci nous explique comment Poggio peut réduire la Cy/o/j^V/iV' de Xénophon de huit livres en six, comment Bruni, oubliant d'en citer les auteurs, nous donne les Commentaires dp F/iistoirf grecque de Xénophon, les Coniinentaires de In première guerre punique de Polybe, la Guerre contre le^ Gotlis de Procope, comme autant d'ouvrages personnels, et comment il arrive à Trapezun- tios de corriger dans le texte les idées qui lui semblent déplaisantes.

Imbus de pareilles idées, les humanistes d'Italie ont néanmoins rendu service à la cause de la civilisation en répandant au loin, sous une forme accessible et sé- duisante, la pensée grecque oubliée. Si l'on rétléchit aux difficultés presque insurmontables qui semblaient empêcher leur tâche, à l'absence des lexiques, à la rareté des textes, au mauvais état de conservation de ces textes; si l'on se rappelle, en outre, qu'aucune besogne pr.'paratoire n'avait été accomplie, qu'on ne possédait d'Homère qu'une version comme celle de

1. « Est enim relinquoiidiis cliar.acter ipseGriT>ciis,excogitandusnovu8, parieiidii- lii,'ura!, numeris omniiio serviondum. » Valla, Opuscula tria, m. p. 138. Diijfi Chrysolor.ts prohibait la traduction littérale, comme nous l'apprend A^japilci Ceiici : « Ferebat Manuel, homo sine ulla dubi- tationc divinus, conversioneni in latinum ad verbum minime valere, nam non modo absurdam esse asseverabat, veruia etiam grœcam liiiguam omnino pervertere. » Gravino, p. 39.

136 LE QUATTROCENTO

Léonce Pilate, et d'Aristote qu'une exégèse comme celle de la scolastique, on saura gré à l'effort tenace de ces premiers hellénistes qui, à force de patience, donnèrent à l'humanité, sinon une notion parfaite, du moins une première notion, de la culture de la Grèce. Et à tout prendre, la traduction deVIliade, de Politien, les traduc- tions de Platon et de Plotin de Marsile sont des œuvres.

Enfin, l'hellénisme italien a laissé des éditions.

Gomme nous l'avons dit, c'est Milan qui imprima, en 1476, le premier livre grec, la grammaire de Cons- tantin Lascaris. « J'ai trouvé, dit Démétrius de Crète, qui en fondit et en grava les caractères, le moyen d'imprimer aussi des livres grecs, ce qui était fort difficile, en raison de la composition si variée et si nom- breuse des lettres employées en grec et de l'attention toute particulière qu'il faut apporter aux caractères portant des accents. » En 1480, paraissent, à Milan, Esope et Théocrite ; en 1486, paraît, à Milan, la Batrachomio- macliie; en 1488, paraît, à Florence, Homère; en 1493, paraît, à Milan, Isocrate; en 1494, paraît, à Florence, V Anthologie ; en 1496, paraît, à Florence, Lucien.

Un nom reste attaché à cette noble entreprise, celui d'Aide Manuce. « Je ne saurais, écrit Niccolo Lconiceno, assez louer Aide Manuce le Romain, dont le génie est aussi remarquable que le savoir et qui, par son indus- trie et son travail, s'occupe d'imprimer en volumes innombrables toute la sagesse des Grecs, leur gram- maire, leur poésie, leur éloquence, jusqu'à leur méde- cine 2. » Sobre, pauvre, érudit, cet imprimeur, qui a

\. « ... iiônif TToXXà |i.àv Xo^tirtifô, TtXerora Se t^ mlpa 6ia«ovi^(T«;, [i^'/.ii evpov w<rr' ï'x*'^ ''"' P('6Xou; 'K),AT)vtxâc èvfjTtfrxrat, xaV» te tt)v tmv YpapipidtTtov TAJVÔTiXïiv 7ro).AT|V xal 7totxt).y,v irap' "IO.),r,iT(v ojuav xal toÙ; twv 7tpoa<i>6i(î)v rjTvouc irepirr^v ti xal o-jx ô'iAyy]^ 6e6|Jievov oxé4'£i»); ëj(0VTa. » Firmin-Didot, Alde-Mmiuce, p. 37.

'2. « Qiio circa, iiiinqiiam satis laiidari possct Aldus Maniitius Roma- nus, vir non minore ingenio «jiiam doctrina, qui sua industria atqiie iabore omnein Gruicoruni sanienliam, ffrumiuatiraui, jioelicain, ora- toriani, phiiosophiarn, et inedicinaiii eliaui innuuicrosis vuluniinibus curât iiiipriinenda. » .Niccoi.o Lkoniceno, Lihellus de epidemia, Venise, 14'J7, préface.

L HELLÉNISME ITALIEN 137

transformé en Académie ses ateliers, ne recule devant aucune fatigue, ni aucune dépense « pour déterrer, selon les paroles d'Erasme, ce qui est enseveli, suppléer à ce qui manque, corriger ce qui est fautif ». Il emploie les premiers artistes comme les premiers érudits, se montre soucieux du moindre détail, d'érudition comme de typographie, s'inquiète d'un accent fautif, comme de l'encre, du papier, de la reliure de ses livres; fidèle à sa devise, Fcstina lente, qu'illustre la vignette fameuse de l'Ancre et du Dauphin, il ne se repose jamais. « Je suis ti'availlé, avoue-t-il, et quasiment oppressé par les fatigues et pourtant il me plaît d'être opprimé, il me plaît de vivre malheureux; je veux souffrir mes mal- heurs avec patience, pourvu qu'ils soient utiles aux autres, et tant que j'aurai un souflïe de vie, je ne m'arrêterai point dans mon dessein jusqu'à ce qu'il m'arrive de le voir accomplie » Grâce à cette activité infatigable, et qui, d'ailleurs, procède un peu à tâtons, Aristote voit le jour en 1495, Hésiode, en 1496, Jam- blique et les néo-platoniciens, en 1497, Aristophane en 1498, les épistoliers grecs en 1499, Thucydide, Sophocle, Hérodote, en 1502, les Helléniques de Xéno- phon, en 1503, Euripide et Démosthènes, en 1504, les Opuscules àe Plutarque, en 1509, Platon, en 1513, Pin- dare, en 1514 2. Si la mort ne l'avait arrêté en 1515, Aide aurait imprimé tout ce qu'on possédait, non seule- ment en grec, mais en latin, en hébreu, en chaldaïque. « Je promets ceci aux studieux, écrit Erasme dans ses Adages, qu'ils auront en entier et corrigé tout ce qu'il y a de bons auteurs dans les quatre langues latine, grecque, hébraïque et chaldaïque 3. » Or, au moment

1. « ... Excrucier ac pêne opprimai- laboribus, et juvet opprimi, juvet esse miserum..., sed ferain aequo animo mea damna dum prosim ; nec, si vixero, ab incœptis nuaquam de.sistani, donec quod semel statutiim mihi est, perfecero. » Ed. de Dioscoride et de Nicandre, Venise, 1499, préface.

'2. Firniin-Didot, Aide Mannce, Paris, 1875.

3. « lilud poUiceor studiosis ut quicquid est bonorum auctorum in quatuor linguis, latina, grteca, hebraica, chaldaïca... et plénum habeant et emendatum. »

138 LE QL'ATTROCKNTO

Veniso fournit l'Europe Je ces éditions, anssi pré- cieuses, a-t-oa pti (lire, que des mannscrits, aux accents mobiles, aux caractères nets, aux ligatures cliarmantes, l'Allemagne en est encore à imprimer laidement et petitement, à Ert'urt, à Wittemberg, à Tubingue, des grammaires et des orlhographies pour les débutants.

C'est donc Tltalie qui a pourvu le monde de l'inl-d- ligence de la pensée grecque, et non contente de lui donner la malière, elle lui a l'ourni les instruments pour la pénétror. A la grammaire grecque de Constantin Lascaris, parueen 1476, s' a^ouienilQs Ero/cniata da Chvy- soloras (1485), la grammaire grecque de Gaza (1496), le dictionnaire grec de Craston (^1497), la grammaire grecque de liolzani (1498), la grammaire grecque d'Aide (1515). « Turc, s'écrie Politien, dans un senti- ment de lierté légitime, qu'as-tu à insulter? Tu perds les volumes de la Grèce; eux les reproduisent. Allons, hydre, continue ton œuvre ; taille les cous^ »

C'est ici, cependant, qu'il faut borner l'œuvre de l'hellénisme italien. Ce mouvement , initié avec une telle passion par le Quattrocento, n'a pas de lende- main. Il semble qu'après avoir fondé l'Académie aldine de Venise et l'Académie grecque, qui dans queb|ues années va être instituée par Léon X, il ait accompli sa carrière. D('sormais, il se ralentit, puis s'arrôte. L'art remplace l'érudition, et lorsqu? l'é'rudition subsiste, elle n'est plus grec([ue, mais latine. Le latin représen- tait trop la langue nationale, celle profondément ins- crite aux moelles de la race et aux entrailles du sol, pour supporter une inlidélilé' de bien longue durée. L'Italie latine resta latine'^.

A la suite de Pcmiponio Lelo, (jui dès le (Juattro-

l, <. Turce, quiti insultas? Tu gra-rn voliiiiiiim perdis,

lii pariiuit. Ilyilras riiiiic a),'c, colla seca. »

'2. Ceci est rl'antaiit |>liis curieux c|uc la finesse hellénique s'adaptait mieux que la gravité romaine ù l'esprit italien du xiv* sièele. On tra- duirait presipie mot à mot en grec un chronii|ui>ur pcqxilaire diflicilo à réduire au latin clusiiique.

L IIEI.LKMS.ME ITAI.IKN 139

{•('iilo refuse d'apprendre le grec pour ne point gâter son style, et en dépit des déclamations enllammoes d'un Bembo ou d'un Carleromachos, nous assistons au xvi" siècle à un df'clin très évident des études grecques'.

De brillants esprils, comme l'Ariosle et Maciiiavel, peuvent ignorer le grec. Raphaël a beau peindre VEcnle d'Athènes, Michel- Ange composer ses rimes jdatoni- ciennes, il y a plus de (jrrcité dans une médaille de Pisanello, dans un marbre de Donatello, dans une mythologie de Botticelli que dans toute l'œuvre des Kiiphaél et des Michel-Ange, surtout fidèle à ce génie romain dont le pape iEneas-Sylvius disait qu'il était « plus grave- ». L'Académie platonicienne, qui, après lit mort de Marsile, se groupe dans les jardins de Ber- nardo Hucdlai, s'occupe de questions de langue, de poésie, de politique; elle ne s'occupe plus de philoso- phie''. Francesco de Diaccelo, l'élève et le successeur de Marsile, est un inconnu.

Sans doute que tout n'est pas fini. Un zèle ([ui lut aussi contagieux ne disparaît pas du jour au lendemain. L'i'cole grecque, que le pape Léon X ouvre sur le Qui- rinal et dont il confie la direclion à Jean Lascaris, comme l'imprimerie grecque que le Siennois Agostino Chigi fonde dans son palais du Traustévère et dont il confie la destinée à Zacharie Calliergi, suffiraient à

1. « Onapropter, écrit le comte Liulovico Nogaroia. non possiun complures nostr.i; «ptatis pru'st.intissiinos homincs eosdemque Italos non incusaie, (|iii ciun giaîcani et latinani habeamus linguani, (piaî quidein noslr<u propii;ec|ue sunt, iis taiiien posltial)itis, in etrusco ser- nione tolani a-luteni inutiliter conterunt. » J.l'dovic.o Nooahula, Epist. super l'iris iliustr. t/enere Italis qui (jraece scripseruiit, Venise, loîiS.

■2. « Gravior ronianus honio quani grtecus. »

3. Sa tentative religieuse est, d'ailleurs, condamnée par l'Eglise. Adriaiio da (^orneto, dans son livre Sulla vera filoso/ia, paru à Bologne en i:;07, s'élève violemment contre les tendances de l'Académie plato- nicienne : « 11 manque à tous les philosophes, dit-il, l'exemple de l'hu- milité divine, donné par Christ au temps le plus propice. Je ne demande pas ce que disent les philosophes, je demande ce qu'ils font... Platon, Arislote, les épicuriens comme les stoïciens, sont tous condamnés au diable et à l'enfer; les philosophes sont les patriarches des hérétiques. » 15. Gebhardt, Adrian von Cornelo, Ureslau, 188i), p.;j4 et sq.

140 LE QUATTROCENTO

montrer que rhellénisme compte toujours des fidèles. Les Dialogues des Asolani de Pietro Bembo et du Corti- giano de Baldassare Castiglione se souviennent fidèle- ment du Symposion de Platon et du Livre d'Amour de Marsile.Les tragédies de Trissin et de Rucellai s'inspirent des modèles d'Euripide. Francesco Patrizzi est un noble platonicien. Les Jean Lascaris, les Marc Musuros, les Urbain Bolzani, les Scipione Garteromachos, les Varino Favorino sont à l'œuvre. Néanmoins les grands hellé- nistes du xvi' siècle ne sont plus des Italiens, ce sont des étrangers.

Jean Reuchlin est de Pforzheim, Didier Erasme est de Rotterdam, Guillaume Budé et Henri Estienne sont de Paris; Scaliger, qui est de Padoue, va planter sa dynastie au dehors.

Il reste que les uns et les autres ne seraient point nés à l'érudition grecque sans l'Italie, qui les permit, en les fournissant de livres, de maîtres et de leçons. Quand ils n'y ont point vécu ou passé, ils en subissent l'influence. Reuchlin se perfectionne dans la Florence du Magnifique et dans la Bologne de Godro Urceo* ; Erasme prend à Turin son grade de docteur et recueille à Venise les matériaux de ses Adages'^ : « Je n'y appor- tais rien, dit-il, qu'une matière confuse et indigeste. » Budé, qui, dans ses voyages diplomatiques, fréquente les bibliothèques et les lettrés, met à large contribution le Thésaurus Cornucopiœ de Varino Favorino ; Henri Estienne, qui vient k plusieurs reprises s'approvi- sionner en Italie de connaissances et de manuscrits, emprunte au T/irsaurus Cornucopiw de Varino Favo- rino le titre de son Thésaurus liiujuœ gnecse comme il emprunte au Dictionnaire grec du môme auteur une boniM' partie de son livre. On n'en finirait point si l'on voulait citer tous ceux qui sont venus cherclier le grec

i. C. Mnlfij^ola, ItMa viUi e délie opère di A. Urceo dello Codro, Boloffne, 1«78. p. 107. 2. P. de Noihuc, Erasme en Italie, Paris, 1898.

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l'hellénisme italien 141

dans l'Italie pour le porter ensuite dans leur pays, depuis le hongrois Giano Pannonio, élève de Vittorino, jusqu'à l'anglais Thomas Linacer, élève de Chalcon- dylas et fondateur de la première chaire de littérature grecque à l'Université d'Oxford : ils s'appellent William Grocyn, Conrad Muth, Sigismond Thurz, Robert Fle- ming, Tissard. Et quand ce ne sont pas les étrangers qui arrivent, ce sont les Italiens qui partent. Le pre- mier maître de grec que compta la France est un Ita- lien : Gregorio Tifernate.

Aussi bien, l'hellénisme italien, qui alla quérir en Orient les livres, les traduisit et les imprima; qui opposa Platon à Aristote et qui servit de maître d'école à l'Europe, avait rempli sa tâche. Il était digne de mourir.

LIVRE QUATRIEME L'ITALIEN

CHAPITRE I

LE PEUPLE. SA POESIE

I. Le peuple. Sa langue, ses personnages, ses jeux. Son caractère el son esprit.

II. Ses chansons. Rôle des chansons dans la vie contemporaine. Diversité de ces chansons quant à leur provenance, leur sentiment, leur musique, leur coupe métrique et leur degré de culture. Chan- sons d'amour et de passion. Chansons obscènes. Conlrasli, lamenti, cacce, canti caniascialeschi et laudi

11. Ses histoires. L'octave et le chante-histoires. Matière des histoires : l'histoire universelle, l'antiquité profane et sacrée, les cycles chevaleresques, la légende et la gazette. Répertoire d'un chante- histoires. Histoires de la matière de France : leurs succès en Italie. Orlando, Carlone, Rinaldo, ceux de Chiaramonte et ceux de Maganza. Intérêt supérieur des histoires : l'édification, les aven- tures et les coups. Sur la Piazza cli San-Marlino. La fortune des histoires. Le succès, la culture et la condition des chante- histoires.

1

Cependant, au-dessous des princes, au-dessous des érudits, des lettrés, des poètes, des philosophes, qui nous ont retenus jusqu'à présent, il y a le peuple, la racaille, la valetaille, la plèbe, la tourbe, la foule, l'infâme, l'ignoble, le fou; le bon peuple, le petit peuple, le menu peuple, le peuple modeste, humble, laborieux, joyeux, superstitieux, religieux, peinant, grouillant et vivant.

Il est composé de ceux qui ne savent ni lire, ni écrire,

Ll^ PKLPLi:. SA POÉSIE 143

de ceux (jui savent à peine lire et écrire, de ceux qui signent d'une croix ou se signent devant les croix, de ceux qui plantent la vigne, sèment le blé, teignent l'étoile, cuisent la colle, équarrissent la pierre, scient les poutres, conduisent les chars, d'artisans, de paysans, de gueux, de moines, de commères, de meuniers, de muletiers, de crieurs d'orviétan, de tondeurs de draps, de cardeurs de laine, de passeurs de gué, de marchands de poules, et des i'ourniers et cordonniers pour qui, selon ce que Leonardo Bruni faisait dire à Niccoli, le poète Dante avait écrit.

Lui ne s'intéresse pas aiixquestions doctes. Il n'entend rien aux doctrines, dialectiques, humanités, grammaires, orthographes, leçons, textes et livres «bons h enve- lopper les épices et la morue ^ ». 11 n'entend rien à ceux qui mènent si grande dispute sur l'âme, par oii l'âme entre, d'oii l'àme sort, qui lui rompent la tête et lui paraissent avoir «étudié dessus un grand melon ''^». Il n'entend rien a ceux qui parlent en bits et en basse : « Rave! dit quelqu'un dans Santa-Orsola, ne faisons plus entre nous en bus et en basse'^ ! » Lui ne parle pas chaldaïque, hébraïque, grec, latin ; il parle, comme Dieu le lui accorda, en vulgaire; il parle une langue pittoresque, colorée, savoureuse, riche de proverbes, de sentences, d'images, de locutions, d'expression et d'inven- tion. Quand il est heureux, il dit : w II tombe des caresses. » Quand il est hésitant, il dit : « Je suis posé sur des ailes. » II dit : « Selon les pays, selon les ha- bits. ))Il dit: «Corps bien rempli, âmeconsolée.» Il dit: « Le cochon n'est pas bien parmi les roses. » Et pour courir, il dit : « Prendre la route à travers ses jambes. »

1. « Et libri voi, e testi, e la dottrina Sono da'nvolger spezie e la tonnina. »

2. « Golor che fan si gran disputazione Dell'anima, ond'ella entri ed ondella esca, 0 corne il nocciol si sta nella pesca, Hanno studiato in su un gran mellone. »

3. « Deh I non facciam fra noi più in bus e in basse. »

144 LE QUATTROCENTO

Il est resté fidèle à Dante, dont quelque maître instruit lui explique la Comédie à l'église, à Dante qui parle son idiome, à Dante qui imagine avec son imagination, à Dante qui le remplit d'extase, de lumière, d'horreur, de frisson et de plaisir. Il possède des chansons, des histoires, des proverbes, des légendes, des facéties, des nouvelles, des prières et des recettes. Il connaît qui est Orlando, qui est Isotta, qui est Orfeo, qui est Ginevra degli Amieri, quiestlePiovano Arlotto, qui est Brunelleschi, qui est Sant-Uliva et qui est Josaphat.

Toute la semaine, il besogne dur, courbé sur la terre, sur l'établi et le devoir; parfois, avant l'ouvrage, il va entendre le frère prêcheur sur la place; parfois, après l'ouvrage, il va entendre le cantambanco sur la place; le dimanche, la place est à lui. Il y va « jouer, s'escri- mer, lancer des pierres, et des pieux, et des verges, et lever poids de terre, et à la paume, et au pied, et à la face, et au toit, et aux osselets, et aux billes, et aux triomphes, et aux dés, et aux fers, et aux plombs, et aux noisettes, et à la toupie, et aux noix, et à tous les passe-temps qu'il faut à un grand peuple ^ ». Il garde la santé robuste, l'humeur exubérante, le surplus de vie de celui qui travailleavecles bras. Quand il joue à la pugna, sur la place de Sienne, il crie : « Tournez là-bas ! Avancez ! Par là-bas ! Par là-bas ! Venez ici ! A qui le tour ! A moi ! A moi ! Tape! Réussi! Gomme ça! Sur la mâ- choire! Aux côtés! Plus en bas! Par la pointe! Ah! Ah! bien joué! bien joué'-^. » « Pour ôter un clou, enseigne-t-il, ou quelque fer que ce soit entré dans le

1. « E biRordare, e saltare, e schermire, e lanciare piètre, e pâli, e verghe, e levare pesi di terra, e alla palla, al piè, e alla faccia, e al tetto, e alli aliossi, e aile pallotole, e ai trionli, ea znre, e a tavole, e a saltare, e a soriKlio, e a ferri, e aile chiose, e a fiinliiii, e a noccioli, e alla trottola, e aile nori, e a ogrii altra cosa che biso<,'na a un gran- dissirno popolo passare lo tempo. » Fragment de la chronique inédite de Bkneoktto Dei donné par Mancini, Ki/« «/i A. -0. .l/fter/t, Florence, 1882, p. 2TJ.

2, « Voltatc qui : ecco costoro, fateveli innanzi. VielA, vielà, date coHli. nhi la fa? io, ed io. D/igli ; ah, ah, buona fu! Orcosi: alla mascella, al tianco. UJigli basso. DI ponta. Ah, ah, ah, buon gioco.. » (Seumim, Sovelle, p. iO'.'i.)

1

LE PEll'Li;. SA POESIE 143

pied ou ailleurs de cheval, bète ou homme, fais-lui trois l'ois le signe de la croix; et puis dis trois A/Zf^v nosler et trois Ave maria; et puis dis ces paroles : Doux clou et doux bois, doux poids qui soutiens; et dis-les trois fois; et quand tu le tireras, il viendra; et puis mets sous terre un tel clou ou quelque fer quecesoit'.» Lorsqu'un monstre est quelque part, il lésait : « Le 12 avril 1489, on sut comment à Venise était un monstre de cette sorte : la bouche fendue le long du nez, et un œil par le nez, et un autre derrière l'oreille, et le visage tout fendu, comme si on l'avait coupé au cou- teau ; et devant il avait à la tôte une corne qui était la nature; il vécut de trois à quatre jours; ils lui cou- pèrent cette corne et soudain il mourut. On dit que les parties basses était d'une étrange manière : il avaitune queue d'animal^. » Il s'intéresse atout ce qui arrive, à tout ce qui se passe, aux ambassades, aux entrées triom- phales, auxnocesprincières, aux bals, aux enterrements, aux maisons qu'on bàtil, aux églises qu'on dore, aux fresques qu'on peint, aux batailles, aux alliances, aux paix, aux disettes, aux miracles, aux supplices, aux exécutions, aux ouragans, aux incendies, aux pestes, aux tremblements de terre, au prix du pain, à la neige, aux bolides, à la vie. Et lorsqu'il sait écrire, de ses gros doigts appliqués, il consigne ces choses dans un livre péniblement et pieusement compulsé <( au nom de tous les saints et saintes de la cour céleste du Pa- radis '. Il habite de petites maisons. Il surnomme le garçon de TOsleria Dormi (Tu dors) et le patron de

1. « A traro uno chiovo o alfro ferro, ch'entrasse in piede, o allrove, a chavallo o bestie o huoino. fagli el sengno délia Croce Ire volte. E poi di Ire palernostri e tre aveuiaria, e poi di' qiieste parole : Dolcie chiovo e dolcie lengao, dolcie peso che sostenne. E dille tre volte, et uscirà fiiora, coine il tirerai: e sotlerra melti taie chiovo, o ferro che sia. » (Matteo Panzaxo, Archiv. slor. il., Florence 1889, p. 171.)

2. « E a di 12 d'Aprile 1489, ci fu corne a Vinegia era nato uno mos- truo di questa qualilà: la bocca fessa per lungo del naso, e un. occhio dal naso e uno dirieto ail' orecchio, e l'esso tutto il viso.. Dicono che le parti da basso essere di strana maniera. » iLandicci, p. 57.)

H. 10

J46

LE QUATTROCENTO

rOsteria Veleno (Poison). Il aime un bon coup de Trebbiano. Il aime aux vêpres une belle rappresentazione sacra oii il y a des ingegni. Son âme est fraîche. Son cœur est vivant. Son œil est aigu. Ses bras sont robustes. 11 fait encore sa prière. Il garde la tradition. Il repré- sente le passé. Qu'importe que les seigneurs elles ora- teurs l'aient abandonné dans sa crasse et son fumier : ils ne l'ont point empêché d'exister, d'aimer, de pleu- rer, de souffrir, de travailler, de chanter, d'être la masse et le nombre qui remplit la campagne et la rue, la boutique et l'église. Et c'est du peuple que nous avons à nous occuper maintenant.

II

Tout d'abord le peuple a des chansons.

Qu'il aime, qu'il pleure, qu'il joue, qu'il moque, qu'il rie, qu'il prie, il traduit son amour, son chagrin, son jeu, sa raillerie, sa gaieté, sa piété par des chansons^

Sa poésie est une poésie de chansons comme la poésie de la vieille Italie est une poésie de chansons, ainsi que l'indique le nom de ses pièces, qui s'appellent sonetti, ballate, canzoni et qui, à l'origine, étaient toutes chan- tées. La chanson est faite pour s'accorder aux conditions de la vie contemporaine, lente et pareille, sans nerfs et sans hâtes, riche de silences et de vides, que no distrait point, n'envahit point, ne cahote point l'imprimé, le journal, la vapeur. La chanson accompagne, scande, berce, console, réjouit la longue vie, et la vie résonne d'une perpétuelle chanson.

On chante par les chemins des campagnes et par les rues des cités, sur les places des villes etsur les pelouses

1. Sur la poésie populaire, voir Hubicri, Sloria délia poesia popo- lare italinna, Florence, 1877. A. D'Ancona, l.a poesia popolare italiana, Livouriie, 1888. Severino Ferrari, llUilioleca di lelleralura popolare ilalianu, FlorRiice. 1882-1883,2 vol. T. Casini ; Nolizie e documenti per la nloria délia poesia italiana nei secoli XtU e XIV. Vue anlicni repertorii poelici, Propugnalore, Hologne 1889, p. 197.

lf: peuple. SA poésie 147

des villas, dans les champs, dans les échoppes, à l'église ; on chante en dansant sous les loggias, en tournant la ronde sur les prés, en taillant la vigne, en cueillant l'es olives, en coupant les épis, en menant les mules, en coloriant, en murant, en tissant, en cardant, en remuant les bras ; on chante durant les longues stations derrière la vitre, durant les interminables voyages sur les routes, pour égayer l'ouvrage, pour raccourcir le chemin, lorsqu'on est seul, lorsqu'on est deux, lorsqu'on est foule. On chante dans les fêtes, dans les noces, dans les bals, dans les banquets, dans les cortèges, dans les réunions etdatisles processions. Lorsque les gamins de Florence emboîtent le pas derrière le pape Martin V^, ils chantent. Lorsque les gamins de Florence déterrent le cadavre pourri de Jacopo de Pazzi et le traînent par les rues, ils chantent'. Lorsque Sienne a brûlé une porte à Florence, elle chante. Lorque Sienne danse en riionneur de la fille de Francesco Sforza, ellechante^. Dans le carnaval florentin qui roule ses mascarades, ses triomphes et ses chars, la foule qui peuple ces chars, les ramoneurs et les quincailliers, les moines, les men- diants, les nourrices, les gardes du feu, les soldats d'aventure, et les écrivains publics, et les muletiers, et les marchands de vieux fers, d'onguônts, de parfums, d'herbes, de balais, d'aiguilles, et les vieux maris, les nonnes, les médecins, les étudiants, tous chantent. Et, si un souffle de pénitence se lève quelque paît et pousse devant soi, n'importe où, une foule hagarde, éplorée, criant merci, la religion chante. Et lorsqu'au calen- diniaggio les petites paysannes arrivent de la campagne en portant leur rameau fleuri du printemps, elles chantent. On chante pour s'oublier, pour s'exprimer, pour se répandre, pour tuer le temps, pour chasser l'ennui, pour rythmer le plaisir, pour marcher, pour

1. Landucci, Diario, p. 21,

2. « E ballavano a una canzone che dice : Non voglio esser più Moiiica... » (Alleghetti, Diario, p. 172.)

148 LE QUATÏllOCE.NTO

danser, pour rire ; on chante pour chauler. « Toujours danses et rigaudons pour la joie, pour le plaisir de cha- cun! Qu'ils soient vieux, qu'ils soient jeunes, il n'y en a point de diiïérent. Nous sommes cent et nous sommes un, d'une seule àme, d'un même vouloir. Pour s'éjouir que chacun crie, et meure qui ne veut chanter ' ! »

D'où, dans la mémoire et sur les lèvres du peuple du Quattrocento, une provision considérable de chan- sons.

Ces chansons sont de tout ordre, de tout sentiment, de toute provenance, de tout degré de culture. Elles ont tous les mètres et toutes les formes, toutes les façons, tous les accents et toutes les voix. Longues ou courtes, belles ou laides, sentimentales ou facétieuses, religieuses ou obscènes, amoureuses ou bachiques. Elles sont encore anonymes ou signées, populaires ou savantes, étrangères ou indigènes, rustiques ou cita- dines; elles sont vieilles ou nouvelles; et elles sont lyriques, erotiques, satiriques, politiques, descriptives, narratives. Elles viennent de très loin, de par-delà la montagne, de par-delà la mer, de Sicile, de Naples, de Venise, comme elles viennent d'on ne sait d'où. Elles datent du temps du roi Manfred, comme elles datent d'un petit fait contemporain. Elles ont Dante ou Sac- chetti pour auteurs, comme elles ont pour auteurs le premier venu, un rustre, un ignoré; peut-être un gamin de la rue; peut-être un berger de Pistoie; peut- être un vannier ambulant. Les unes sont à peine équar- ries, toutes rudimoiitaires, jetées sur deux rimes d'un mouvement primitif; et d'autres décèlent, dans leur organisme délicat, dans leur structure précieuse, le

i, « Seinpre dnnzc c rigolelli

(Ion dileUo e gioi' ciascuno ! Vecchi coinc giovenclli Non 6 (liiïerente alcunu. Siaino conto e «iaino uno In un' anima e volore. Ciascun grida pcr godere, Ë muoia uhi non viiul canlarc ! «

(Fha.nco Bacche;ti.)

LE PEUPLE. SA POÉSIE 149

travail subtil d'un maîlre ouvrier. Les unes affichent des sonliments d'une tendresse et d'une culture exquises et d'autres partent comme un cri ou comme un blas- phème. D'aucunes sentent le fumier, d'autres sentent le jasmin. Celles-ci se traînent sur une mélopée lente; d'autres s'élancent sur un refrain allègre. Si l'on prend garde à la forme niétri(iue, il y a les strambotti, les rispetti, les scrventt'si, les sonctti, les hallute, les canzoni; si l'on prend garde au genre, il y a les canzoni a ballo^ les canzoni a canto, les harzellette, {as frottole, les laiidi^ les lamenfi, les caccn, les conlrasti, les canti carnascia- leschi; si l'on prend garde à l'origine, il y a les ciciliane, les napoletane, les (jiustiniane. S'envolant sur l'aile légère de la musique et s'ancrant dans les mémoires neuves et vierges par la solide cheville de la rime, elles ont été de pays en pays; elles se sont partout répan- dues au hasard des voyages, des séjours et des événe- ments ; elles se sont transmises de génération h géné- ration et de contrée à contrée, exprimant le sentiment éternel etuniverscl du peuple. Et quelles qu'elles soient, d'où qu'elles vieiment, qu'elles aillent, elles appar- tiennent au peuple qui les répète, les estropie ou les invente, car les chansons sont comme la monnaie, qui est moins à celui qui la frappe qu'à celui qui l'emploie et la répand.

Le peuple aime une belle fille, haute en couleur, forte en santé u plus blanche que lait de mammelle, plus rouge que sang de dragon », portant un joli cotil- lon « couleur de l'air », sentant « doux comme le mus- cat », marchant « suave à la façon d'un paon ». Et il lui chante son amour. Il lui chante : « Gomme il te sied bien ce cotillon, ainsi qu'au camp le beau pavil- lon ! Tu es plus blanchC' que lait de mammelle, tu es plus rouge que sang de dragon ! Quand tu te mets à la fenêtre, chacun dit : le soleil est levé ! Et le soleil se lève et la lune se pose (dis le bonsoir à ce garçon!) Et le soleil se lève et la lune se pose (dis le bonsoir à cette

IbO LE QUATTROCENTO

rose'.) » Il la compare à ce qu'il y a de plus beau, de plus fin, à une rose, « 0 rose cueillie sur la verte branche, tu fus plantée en un jardin d'amour- à un lys, à un œillet, à une étoile, à Jésus. Il ne sait quoi inventer pour la magnifier et l'attendrir. Il se presse la tète des deux mains pour en faire jaillir les idées, les images, les similitudes, les antithèses, les révérences, les locutions. Il répète indéfiniment les mêmes choses. Il jette pêle-mêle et en tas, sans lien, sans suite, ses imaginations, ses sensations ou ses cris. Il se pose à genoux sur la route, baise la terre elle est passée, « baise la terre et embrasse le terrain ». Il vou- drait faire d'or la toile qu'elle tisse, d'argent la navette qu'elle y lance, de cristal l'escabeau elle s'assied^. Lorsqu'on la porta baptiser à Rome, le pape demanda en grâce d'être le parrain ; à qui peut lui parler, le pape donne quarante ans d'indulgence; à qui touche sa robe, le pape en donne cent soixante ; qui la baise sur la face s'en va tout droit au paradis.

Bien appris et distingué, le peuple aime aussi quelque « polie et belle demoiselle », d'essence plus fine, d'éducation plus relevée, vraiment insengniata, jolie comme un joli faucon, jolie comme « Isotta la blonde », comme « Morgane la fée », comme « la belle Hélène », comme « Gassandra demoiselle délicate », et il lui chante son sentiment galant. 11 lui chante :

1. « Quanto ti sta ben auello giiamello, Quanto nel chanipo lo bel padifîlione. Tu se' più biancha che laite di niamello, Tu sei più rossa che sangue di dragone Quando ti Tai a quel finestrello Ognuno dice : egli è levato il sole :

El sol si licva e la luna si pone; Da' la buona sera a quel garzime. El sol si lieva e la luna ai posa E dalle buona sera quolla roxa. »

(Ferrari, p. 83.)

2. « 0 rosa colta nel verde ramello Pianlatta fusti in un giardin d'amore. »

(Ferrari, p. 81).

3. « Se io potessi far, fam-iulla bolla,

La tcla che tu tessl farel d'oro... » (Ferrari, p. 8.1.)

1

LE PEUPLE. SA POÉSIE 151

« Charmante Madonna, donne-moi maintenant la grâce de plaire que tu as M » Il lui chante: « Visage de joie, blanc et coloré, au milieu de mon cœur tu m'as blessé 2! » Il lui chante : « Combien de temps que je ne t'ai plus vue, ni n'ai baisé ton visage poli! Alors toi, tu disais : Que fais-tu, âme mienne? Baise-moi un peu et rends-moi ce service. Et moi, pauvret, alors je te baisais, et toi tu m'embrassais avec un si doux rire, que de mourir j'aurais été content, tant était doux ce doux embrassement^. »

Tel amoureux traduit à sa façon le Ca?'pe diem du poète : « Tu crois toujours demeurer en jeunesse, et tu ne penses pas vieillir, et le temps s'en va avec ta beauté, et ça ne peut manquer^. » Tel autre se console en rêvant : « Cette nuit j'ai rôvé (ah ! si la chose arrive!) Cette nuit j'ai rôvé (ah! si c'était arrivé!) J'ai rôvé que j'étais parmi les roses blanches et rouges, que j'étais dans les bras de ma mie. 0 songe vain qui trompe le monde ! J'ai serré les bras et je n'ai rien trouvé. 0 songe vain que le monde trompas! J'ai serré les bras et n'ai trouvé que draps ^. » Très vite, survient la colère.

1. « Dolzé Madonna, dammi omai,

La grazia del piazer laquai tu hai. »

2. « Viso gioioso biancho e colorito, (Ferrari, p. 106.) Nel mezzo del mio chuor tu mai ferito ».

3. v< Iloi dapoi che nonti vidi mai (Ferrari, p. 108.) Ne non baciai il tuo pulito viso

Che tu dicesti : anima niia che fai? Baciami un tratto e fammi sto servisio, Et io meschino allora ti baciai, Tu mi abbraciasti con si dolce riso Che di morir saria stato conteato Tanto era dolze quello abrazamento. »

4. « Tu credi sempre star in giovinezza (Ferrari, p. 103.) E non pensi invecchiare,

E il tempo se ne va con tua bellezza E ciù non puù mancare. »

5. « Stanotte mi sogniai quello che sia, Stanotte mi sogniai quello che fosse. Ch'io ero tra le braccia délia dama mia Ch'io ero tra le rose blanche e rosse, 0 sonno vano che inghanni la gente ! Strinsi le braccia e non trovai niente. 0 sonno vano che la gente inghanni,

Strinsi le braccia emi trovai frapanni. » (Ferrari, p. 86.)

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LE QUATTROCENTO

0:i envoie à la fosse aux lions la cruelle qui résiste; on l'envoie au diable « pour qu'il lui rompe deux côtes et les autres membres avec » ; on la couvre d'impréca- tions, d'anathèmes, d'injures. « Maudit soit le point, le mois, l'anni'e! dans ce monde lu fus créée! Soit maudite la nourrice qui te prit, Quand avec ce beau corps tu naquis' ! » Ou encore : « Toute la nuit tu dors sur la paille! Tu n'as pas une cliemise de quoi le chan- ger! » Ou encore : « Tu es plus noire qu'une mûre de maquis! Quand tu te laves, tu trompes l'eau! »

Parfois la passion flambe : « Regarde mes lèvres rouges, Que j'ai mari qui ne les connaît pas-^ ! » D'autre fois, le rire s'allume; las d'implorer, fatigué de l'adora- tion courte au cœur des hommes, l'amour prend sa revanche de l'extase dans la parodie et dans la saleté. ^ Vous ôles plus propre que les balayures, plus relui- sante qu'une burette à huile^ ! » Et voici les chansons obscènes, paillardes, aux doubles sens et aux équi- voques: lamentations de filles en mal de mari, lamen- tations de filles mal mariées,, confessions intimes de nonnains, invectives contre les vieilles, fastes de belles nuits, chicanes de belles-sœurs.

Dans un contrasta^ le dialogue s'établit entre la mère et la fille : « 0 ma mère, donne-moi mari! 0 ma fille, dis-moi pourquoi'*? » Dans un lamento, un mari se plaint de sa femme qui avant d'ôtre mariée disait toujours amen, qui maintenant veut une robe à tout prix. Dans un autre laiiwnto, une femme se plaint de son mari, «petit vieux qui ne peut rien ». Ailleurs,

1. « Sia malcdetto l'anno, il piinto cl inese Che in questo niondo lu fusfi criata,

Si'i iiinledetla lu halia rlie ti prese

Qimrulo di quel bd corpo fusti nala. » (Ferrari, p. 82.}

2. « Hi^uardatiii le labbremic rosse

Chaggio niarito chcuonle conoscie. » (Ferrari, p. 12.)

'i. « Siole più nella che non ù il palume.

E riluciente più chuna slungniata. » (Ferrari, p. r»9.)

4. « Madré inia, daiiuni inarito.

Figlia mia, (linuiii il perché. »

LE PEUPLE. SA POÉSIE 15 3

une femme se ronsole avec deux frocards, à qui elle sert de la galaiiline de chapons, deux plais couverts, une couple de faisans, beaucoup de grives, une Iourte garnie de sucre, des poires au vin : « Uein! de ça, vous n'en avez pas au couvent ' ! » Ailleurs, un garçon a surpris une fille endormie, et c'est la petite chanson : « Par es-lu entré, ô chien renégat? Je suis entré par la porte, ù ma vie! bien, puisque tu y es, restes-y... Et après que nous eûmes joué tout notre jeu, je pris mes habits et voulais m'habiller, et elle nie dit : Demeure encore un peu, tu ne sais pas si tu pourras y revenir-! »

Les cacce contrefont le peuple qui chante-'; on fait les gestes, on joue la scène de ceux qui vont h la chasse, de ceux qui vont à la pêche, de ceux qui vont à Tincendio, des filles qui vont aux lleurs ou se faire poser chez le meunier: « 0 meunier, ô meunier, Pèse-moi celle-ci! Pèse encore l'autre! Celle-là pèse cent Et celle-ci bien deux cent. Toi, tu es une grasse. Que le ciel te fracasse! Toi, tu es une atTautie. Que ta coque puisse crever! - Allons! filles, filles, Rentrons à la maison'*. » Le canti car-

1. « ...Poi vennc su di chuciiia. I duo piatel bcnserrati,

Tre cliîippDiii addormentali R (\i\G fagiani con tordi assai. Poi disse : Di quesli mai Nel chonuento avete a pelarc... »

2. « Onde ci entrasli, o cane rinegato? (Ferrari, p. 346.) Entraici dalla porta, o vita mia...

Or poi cho ci sei entralo falto sia,

Spof,'liati i<,'nu(lo et cliorquamili al lato.

Poi ch'avein latto tutto nosfro giocho,

Tolsi li panni et voleanii vestire;

Ed ella disse : staci un altro poco»

(>he non sai i giorni clie ci puoi traasire. » (Ferrari, p. 73.)

3. Cacce in rima dei secoli XIV e XV, pub. par Giosue Carducci, Bologne. 1896.

4. « 0 niugnaioj o mugnaio, Pesami costei. »

« Pesa anclie lei ». « Questa pesa cento, E quella ben dugento. *

154 LE QUATTROCENTO

nascialeschi ^ qui cclosent au carnaval de Florence', introduisent sur des chars les gensde métier, qui parés de leurs costumes et de leurs attributs professionnels, miment leur rôle, poussent leurs cris : Visùn, visim, visim^ Chi vuol spazzar cammin! crient les ramoneurs. Trinche, trinche lutte Voi\ Le fa chocce di falor ! chantent les soudards d'Allemagne. « Sommes nour- rices du Casentin, à la recherche d'un bambin! » chantent les nourrices du Casentin. Et à côté de ces chansons de joie, le peuple chante des chansons de pénitence, le peuple chante des laudes.

C'est ainsi que le peuple sait une quantité de chan- sons. Comme Dioneo, qui dans la cinquième journée de Décatnéron expose à la reine son répertoire, il sait Monna Aldruda^ levate la coda Che buone novelle vi~ reco, et il sait l'adorable ballade de Dante Per una ghir- landetta CKio vidi, mi farà Sospirar ogni fiore. Il sait la chanson du Nicchio et il sait la jolie chanson du Primo de Sacchetti. 11 sait Fatevi aWuscio Madonna dolciata. Il sait Oramai che fora sono. Il sait 0 canzo- netta mia. Il sait Donna Lomharda et il sait Misericor- dia, eterno Dio. Et sous le soleil de la rase campagne, et dans les belles nuits de lune silencieuses, il chante, à plein gosier, à plein cœur, de toute sa voix, de toute sa force, tandis que dans leurs chambres hautes, les humanistes, se bouchant les oreilles, lisent leur grec cl leur latin.

« Tu se' iina grassa

Clie ti vcjjna fracassa! »...

« O fanriiillc, o Tanciullc,

A casa ritorniano... » (Carducci, p. 2«.)

1. 1 Tulli f Irionfi, ciirri, mime lie ml e o canli cnrnuscialescin aiidali per Firenze al tempo tli Lorenzo il Maynifico finu alianno ISIi'J, repub. par O. (jliierrini, Milan, 1883.

LE PEUPLE. SA POÉSIE 155

III

Et comme le peuple a des chansons il a des his- toires'.

Il a une quantité d'histoires. Il a presqu'autant d'his- toires que de chansons. Les aventures, les amours, les guerres, les batailles, les duels, les pays, les jardins, les prouesses, les exploits, les rois, les barons, les fées, les dames, les bêtes, il n'y a pas à dire, c'est de belles choses. Ça repose et ça détend ; ça distrait et ça con- sole; ça instruit et ça occupe. Le peuple goûte les his- toires qui l'arrachent au présent et le transportent dans une vie meilleure.

Gomme les chansons, les histoires du peuple sont rimées; comme les chansons, les histoires du peuple sont chantées ; seulement au lieu de présenter tous les mètres et toutes les formes, elles n'adoptent qu'une coupe unique, l'octave ; et au lieu d'être chantées par le peuple, elles sont chantées devant le peuple par un professionnel, maître instruit, au courant des choses, ayant consulté les papiers, qu'on nomme cantastorie^ carUafavole ^ canlambanco ^ cantnre^ canterino. Quand les histoires sont courtes, on les dit /iore/e//«? ; quand elles sont longues, on les dit storie; et alors on les divise aussi en cantari.

Ces histoires sont de toute origine, de toute prove- nance et de toute sorte. Elles puisent leur bien oij qu'elles le trouvent, dans la fable comme dans la vie,

1. Sur les storie en général, voir Ugo Foscolo, Sui poemi narrativi e rommizeschi italiani, Florence, 1859. Valentin Schmidt, Ueber die italienischen Heldençiedichle ans dem Sageii Kreis Karls des Grossen, Berlin, 1820. Giulio Ferrario, Sloria ed analisi degli anlichi romanzi di Cavalleria, Milan, 1828. Panizzi, Essay on tlie vomantic narralive Poetry of Ihe Ilalians, Londres, 1830. llanke, Zur Geschichte der Italienischen Poésie, Berlin, 1837. Gaston Paris, Histoire poétique de Charlemagne, Paris, 1865. Melzi et Tosi, Bibliografia dei romanzi di cavalleria. Milan, 1865. Pic Rajna, Le Fonti dell Orlando furioso Florence, 1876.

lîiG LE QUAITROCENTO

dans la légende comme dans la chronique, dans le rêve comme dans la réalité, dans tous les poèmes, dans tous les contes, dans tous les romans. L'antiquité sacnîe et l'antiquité profane, les cycles chevaleresque et les récits d'Orient, les lastes du passé et la gazette contempo- raine ; le Vieux Testament^ le Nouveau Testament, la Léfjende dorée; Y Iliade d'Homère eXY Enéide de Virgile; les Héroides d'Ovide, les Commentaires de ar ; la Thébaïde de Stace, V Alexandre du pseudo-Callisthènes ; la matière de France ot la matière <le Bretagne, autant de sources à histoires, autant de sujets à histoires, autant d'histoires. L'histoire, universelle, s'émiette, se réduit, ?e transforme en hisloires, qui courent, circulent, vont, viennent, se fcroisent, se frottent et s'emmêlent. A la fin du xiv" siècle ou au commencement du xv% un cantantbanco détaille dans un cantare son catalogue d'histoires': ce qu'il sait d'histoires! Il se biiigne dans les histoires ! 11 a la poitrine remplie d'his- toires. Les histoires le sollicitent comme les Heurs au printemps. Il ne sait par oij commencer ses histoires. Il en sait, « sur l'origine joyeuse de notre foi ». Sur le r)élugc et l'Arche, sur Abraham, sur Joseph vendu par ses frères, sur le roi David, sur Nabuc Dinasor, sur toute la vie de notre Christ « et les faits heureux, et la mui-t, et la résurrection de notre Christ qui nous a sauvés ». Ce n'est que des bagatelles. Il connaît 82 caiitari sur riiisloire de Troie, 80 canlari sur l'his- toire de Thèbes, 27 cantari sur les gestes de Thésée, 1.106 cantari sur l'histoire de Rome. Les histoires de Home sont bien certainement la (leur de clKupie can- tare, (( parce que tout le bien et tout le mal d'Italie, tout ce que l'Ilalio a de sagesse el de valeur, c'est Homo qui le lui donna'*». Voici les deux frères allaités par

1. l'io Hnjrm. Canlare dei L'anluri, Zeilschrift fur nuiHin. IMiiloloL'ic, Ilallc, 1808 (p. 220, p. 410),

2. « liiiperoccliè ogni l.vue e ogni iiieslo CIm; llalin ha di snino c (ii viilorc

J{oi]iu gliel diè. » {CanUire dei Canlari, p. 433).

LE PELl'LE. SA POÉSIE liJT

la louvd, voici xXiima qui ordonna la loi; voici Tarqnin le Superbe el ce qu'on en lit ; voici les sénateurs, les tribuns de la plèbe el les dictateurs ; voici les consuls, les centurions jusqu'à Octavien; et voici Camille. Oh! Camille! « Les faits magnifiques de Camille, les vertus et l'audace de Scipion, chacun devrait dire : Ah! dis-les, dis-les!» Et après Camille, César, Pompée, Octavien Auguste qui fit convertir le fer des couteaux en 1er de charrue ; et il chantera de cha([ue empereur grec et latin, et aussi de Constantin. Il sait encore le beau traité de Messer Lancelot et de Messer Tristan, tes enchante- ments de Merlin, la liste des ciievaliers errants seconda le cai'le^ 400 canlari de la vieille table, et le roi Arthur, et Breobis, et Breus, et le Graal. Il sait la chro- nique détailh'e de ce qui est écrit des paladins, l'entre- prise mortelle d'Espagne, toutes les histoires .Y6'/'/>o/<<?.s7'. 11 chanterait un mois d'Aliscante. Il connaît par cœur les dix chants d'Alexandre, magnamine et puissant, sans compter Darius et Cyrus, et les fortunes française €t latine, et des novelette sans fin. « Vous avez entendu comme je peux chanter de la Bible et des Troyens, d'Albe, de Rome, et de toutes leurs aflaires, d'Alexandre, des Grecs, des ïhébains, et de chaque histoire des pala- dins et des infidèles... Choisissez maintenant celle ([ui vous plaît le mieux '. »

En dépit d'une aussi grande diversité, toutes ces his- toires se ressemblent. Peu importe leur origine, leur date, leur genre, leur qualité et leur véracité. Elles sont écrites dans la coupe légère, ailée et ténue de l'octave, qui les réduit au môme format, les dresse sur un môme plan, les recule dans un môme passé, leur prôte la môme voix et les anime du même geste, rapide, gracieux, souple, qui se noue, se dénoue, se renoue, gambade et court avec prestesse et clarté. Fiesole et Troie, Albe et Paris, Jérusalem. Home,Thèbes, la Bretagne, l'Espagne, l'Afrique, l'Irlande, le Négropont sont des pays, avec

1. « Chiedete oiuai la quai pi» vi diletta. » (/i., p. 437.)

158 LE QUATTROCENTO

des tours, avec des palais, avec des routes, avec des grottes, avec des collines, avec de petits viaducs. Le roi David et le roi Arthur, l'empereur Gharlemagne et l'empereur César, Enée, Hector, Alexandre, Roland, Tristan, Thésée, Lancelot, Renaud sont des princes ou plutôt des barons, qui couchent dans des lits d'or, qui possèdent des chiens braques et lévriers, qui touchent des instruments, qui portent les mômes armes damas- quinées et ciselées, qui revêtent les mêmes robes claires et précieuses. Les chronologies se confondent. Les origines s'identifient. Nous ne sommes, pas à un lieu déterminé, à une époque fixe, à quelque point précis de la terre et de l'histoire ; nous sommes par-delà le moment et par-delà la montagne, dans l'éloignement magnifique, merveilleux et pareil. L'important n'est pas ces choses se sont passées, quand elles se sont passées; l'important est qu'elles se soient passées. Et elles se sont passées. Ce ne sont pas des billevesées : ce sont des réalités, ce sont des fait>i. Nous avons les faits d'Enée, les faits de César, les faits d'Alexandre le grand, les faits de Thésée, les faits de Camille.

Cependant, de toutes ces histoires les plus belles et les plus sympathiques sont à n'en pas douter les his- toires des paladins et des infidèles. C'est Rinaldo d'i Monlalhano. C'est Uggieri il Danese. C'est la Spagna in rima. CaiVAsproînonle. C'est V Innamoramento di Carlo ^ et Fieraôraccia e Ulivieri, et Ancroia^. Et ce sont ces rifacinicnti innombrables de la matière de France, qui passa l;i frontière au moment même elle naquit, descendit le long des fleuves, se répandit sur les places

\. V. Pio Raina, Rinaldo da Montalbano, Propugnatore, Bologne, 1870, p. 2l.'(. l'io Uftjna, L(i;/eri il Danese nellaleUertitiini romanzesca de(/li llulifini, Kuiiiania, Paris, 1872, p. il'tl'>. Libru chiamtilo lu Spa- f/na, Venise, 162."i, clsiirro poème, Pio Raina, La rolla di liuncisralle nella leUeratura cavalleresca iUdiuna, Propiignalore, Bologne, 1871, p, '.i'.i'.i. A. Thomas, Notice sur deux manuscrits de. la Spiiffmi en vers, Rr>Miania, Paris, 1881;, p. 207, 0. Oslcrha^'c, UoImw die Spai)na xHloriata, Prograriirri, Berlin, 188.'). El canlin-f di Fierafiracciti e UU- vieri, piij». par . Stengel, Ausgabcn und Altiianill ans deui Gebiete dcr roni. Piiil, Marburg, 1881.

LE PEUPLE. SA POÉSIE 139

par la bouche des Ghdlari chanteurs, garda sur les bords du sa langue d'oïl et sa strophe monoiime, adopta l'italien et l'octave sur les bords de l'Arno, créa à Venise une langue particulière le franco- vénitien ' et se montra dans toute l'Italie d'une fécondité touchant à la prolification-.

La matière de France est pour le peuple la matière par excellence; la matière de France conte de l'erape- pereur Charlemagne qui refit le sacré empire romain, gloire de l'Italie; la matière de France conte de preux et de paladins qui appartiennent à l'Italie, puisqu'ils appartiennent à la chrétienté; et la matière de France, plus qu'aucune autre, est remplie de grandes et géné- reuses histoires de mêlées, de défaites, de triomphes, de duels, de prouesses, d'aventures et de beaux coups.

Tout de suite, le peuple l'adopte et la fait sienne, la déforme et la démarque, l'adapte à son esprit, à son climat, à son format, se l'accommode et se l'approprie et lui demeure fidèle à jamais. Les héros de la geste française deviennent ses personnages familiers, les hôtes assidus de son cerveau et de son rêve, des com- pagnons rapprochés, voisins, immédiats, dont on con- naît les généalogies et les gestes, les muscles et les armures, l'humeur et la façon, dont on s'entretient, qu'on cite, qu'on raconte, qui font désormais partie du patrimoine intellectuel et de la légende domestique.

Roland s'appelle Orlando; il est à Sutri ou bien il est sorti armé des ruines étrusques de Fiesole ; il laisse un fer de son cheval contre le portail de San- Slefano, à Florence; il fend d'un coup de son épée une île de l'Istrie; le pape l'envoie défendre la foi; Sutri montre la grotte d'Orlando; Pérouse le Pavillon d'Orlando; Pavie le Rocher d'Orlando; Osimo le Borgo

1. Sur ce phénomène d'une langue exclusivement littéraire, v. A.Gas- pary, Storia delta letteratura italiana (trad. Zingarelli), Turin, 1887, p. 96.

2. Ferd. Castets, Recherches sur les npports des chansons de geste- el de Vépopée chevaleresque italienne, Paris, 1887.

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de Roucevaux; Corceaiio a dans ses armes commu- nales, les armes d'Orlando', Quant à Fempereur Char- lemagne à la barbe fleurie, il s'appelle Carlo, Carlone, le roi Charles, le gros Charles, un peu court, un peu simple, à qui l'on en fait accroire, homme à des- cendre de cheval pour lancer des pierres contre un arbre Malagigi a accroché son bâton, homme prôl à renier le Christ si on le délivre de l'insupportable Renaud. Renaud s'appelle Rinaldo, à qui l'on attribue une place de premier rang : beau baron, courageux, hardi, prompt aux coups, insolent, railleur, et gamin. Et autour des protagonistes, il y a les bons et les méchants; il y a ceux de Chiaramonle et de Maganza. Ceux de Chiaramonle sont tous bons, tous loyaux, tous parents; ceux de Maganza sont tous traîtres, tous félons, et tous parents; et ceux de Chiaramonle et de Maganza se jouent les tours les plus pendables.

Un de Chiaramonle, fort comme toul, fleur de vertu, héros de courage, est difl^amé par ceux de Maganza auprès de Carlo, roi de France. Carlo croit ceux de Maganza et exile celui de Chiaramonle. Alors celui de Chiaramonle s'en va par la Paganie, qui est le pays des Païens. Il donne, en champ clos ou en rase campagne, des coups d'épée furibonds, lutte avec des bôles ou avec des géants, fauche des forôls, déroute des armées, abal des villes, conquiert des territoires; et il est sympathique. Mais quelqu'un le reconnaît et le dénonce comme chrétien au roi de Paganie. On l'enferme au fond d'une tour. Une fille de roi, ou bien une fille d'emj)ereur, ou bien une fille de sultan, le délivre, à moins que ce ne soit ses cousins (|ui le délivrent. Il convertit et il épouse la fille du roi. Alors il recommence : il donne, en champ clos ou en rase campagne, des coups d'épée furibonds, lulte avec des botes ou avec des géants, fauche des forôts, déroute

1. A. D'Ancona Tvadizioni carolinr/ie in Ilalhi. Hendiconli dell'Acca- demin dei Lincei, Hoiiic, 1889.

LE PEUPLE. SA POÉSIE 161

des armées, abat des villes, conquiert des territoires et arrive à Paris, le roi Carlo est assiégé par les infidèles et regrette sa bonne lame. Et il délivre Paris, sauve la chrétienté, reçoit tous les honneurs et tous les biens, et l'histoire est finie. Mais ceux de Maganza peuvent le diffamer de nouveau, le roi Carlo croire de nouveau ceux de Maganza, lui retourner de nouveau en Paganie, et l'histoire peut recommencer de nouveau ^

Une histoire ainsi conçue est extraordinairement intéressante. Elle est très édifiante aussi. On y voit l'impiété raclée et le christianisme victorieux. On y voit d'immenses collisions de croyants et d'infidèles les croyants triomphent, des conversions en bloc, des bap- têmes de peuples et de rois. On y voit surtout des coups d'épée, des corps percés de part en part, des hommes fendus en deux d'une seule botte, crâne, ventre, cheval. On se crache au visage, on se tire la barbe, on n'a peur de rien ; on en vient tout de suite aux invectives et aux mains ; on se cogne, on se poche, on se bosse, on se cosse, on s'écharpe, on s'enfonce, on s'abîme, on s'estourbit et on s'assomme; atouts et claques, calottes, tapes, gilles et mornifles, horions et nions, frottées, fessées, rincées, rossées, mêlées, raclées et giroflées; coups portés, coups parés, coups fourrés, coups secs, coups au morion, coups de revers, de travers, de pointe, d'estoc, de taille, coups sur coups, coups pour coups. Et il y a des banquets servis dans des salles royales, des tournois aux chevaux caparaçonnés et empanachés, des cérémonies augustes et splendides, les hommes et les choses, les habits et les meubles, les armes et les plats sont tout en or. II y a des destriers qui franchissent les lleuvesd'un seul élan, des monstres à gueule de lion et à corps de serpent tout en braise, des géants qui mangent de la chair humaine. II y a des pays étranges, des îles lointaines, des endroits impos-

1. Pio Raina, Hicerclie intorno ai Reali di Francia, Bolorae, 1872, p. 265.

II. U

i62 LE QL" ATTROCENÏO

siblos les g:('ns niarclient sur la tête et ont un seul œil sur la poitrine. Il y a des naufrages, des tenipôtes^ des palais enchantés, des armesensorcelées, des musiques, descarrousels,desjeuxd'écliecs, des jardins de printemps^ des grottes, des voleurs, des pavillons brodés et des blondes filles de roi. Tout ça est vrai, véritable, arrivé. 11 n'y a pas moyen d'en douter. Oq vous produit les sources. On vous cite les témoignages. On vous donne les preuves. On vous indique les noms. On vous fournit les mesures. Et quand les auteurs sont en désaccord, on vous ledit. Il faudrait être fou à lier pour mettre en suspicion de pareilles choses si bien établies et recon- nues, qui sont écrites, qui sont selon la vérité, et selon la carie. Le peuple y croit. Il ne branle pas. Il ne bronche pas. Muet, sérieux et recueilli, les yeux agrandis, il écoute, et par sa bouche ouverte, la salive coule.

C'est sur la place publique, à Florence sur la place de San-Martino, un jour de fête ou bien un simple jour, après l'ouvrage. Il y a des corroyeurs, des tanneurs,, des àniers, des marchands de poules, des valets et des garçons ; il y a des teinturiers aux mains violettes, des forgerons frottés de suie, des fripiers, des revendeurs, des paysans et des maçons; il y a des bouchers, des épiciers, des faiseurs de clous, des faiseurs de clefs, des faiseurs d'armures; tout le peuple menu, toute la bona fjciih!^ point de femme* ; et à l'ombre, contre le mur, l'estrade est dressée. Des odeurs de cuir montent, de graisse, d'huile, d'oignon, de sueur et de fumier, des dialogues s'engagent, des lazzis partent. Soudain le silence s'établit. Le chante-histoires vient de gravir son estrade.

Il a craché par terre pour s'assurer la voix. Il s'est essuyé la bouche du revers de sa manche. Il com- mence. Comme il est chrétien, et non Sarrasin, Turc,

1. l'io Majnft, / liinaldi o canlastorie di Nupoli, Niiova Antologia, Kumc, 1K18.

LE PEUPM:. SA POÉSIE 163

chien d'iulidèle ou renégat, qu'il a des principes et du catéchisme, il invoque d'abord, selon l'honnôteté, Dieu le Père, la Vierge Marie, le Seigneur Jésus pour qu'ils «guident sa langue'»; des fois, quand il est érudit, il invoque Apollon'. Et ensuite, comme il a des nuini^»res, qu'il possède des usages, qu'il sait ce qu'on doit au monde, il complimente le bel audi- toire de charretiers, muletiers et tanneurs accourus pour l'entendre ; il s'incline « devant cette auguste assem- blée )» ; il l'honore et la révère; il se sent superbe de parler à de tels seigneurs, à « des auditeurs si singu- liers et si dignes )^ « J'ai dans cette rue. j'ai à cet endroit une assemblée si haute et si heureuse, chante l'Altis- simo, que, plus que moi, elle rendrait supei-be un cail- lou''. » Voilà qui s'appelle se conduire! Voilà comment on se comporte dans la société, quand on a de la poli- tesse et de l'instruclion! Et ayant rempli ces deux devoirs imprescriptibles de civilité à Dieu et de civi- lité au public, le chante-histoires entre dans son argu- ment. 11 chante sur une lente mélopée qui traîne, s'allonge et se balance. Il s'accompagne ou on l'accom- pagne du violon ou du luth, fhtula seu ceraniella^ viola sei( chitarra. Il presse ou ralentit la cadence selon que l'action se d 'i)èche ou se c ilme. 11 est triste quand il convient d'être triste, alerte, diMuré, rapide quand il convient d'ôtre gai. Tour ;i tour, il murmure, susurre, gémit, rit, larmoie, module, gronde, crie, chante, meugle et tonne. Ses yeux sortent de leur orbite. Sa voix remplit l'espace. Ses gestes embrassent la place.

1. « Glorioso signore, Mdio superno.

Ghe cielo, teir.i, luar guida et conduce... Et per ciù, padre mio, guida e conduce La îingua niia accio cli'io dica il corne Di Troya fu abassato il suo grau nouie. »

2. « Suona per nie, ApoUo, una fiata l'ii'i dolcemento che sonassi mai... »

;> « ... Ho in quesla strada, in questo pa.sso

Udienza si magna e .si felioe Ghe faria non che me superbo un sasso. »

164 LE Ql ATTROCENTO

îl frappe l'air de son archet comme le chevalier frap- pait le félon de son épée, vibrant, frissonnant, envolé; et soudain, au moment le plus pathétique, quand il n'y a plus qu'une attente dans la foule qui l'entoure, à l'endroit exact la bataille se livre, le duel s'engage, le héros va mourir, brusquement il casse son récit qu'il renvoie à la fois prochaine, au lieu dit, au jour dit', et le chapeau à la main il fait le tour de l'assemblée.

Pendant deux heures, pendant trois heures, l'assem- blée n'a pas bronché. Elle n'est plus dans une place étroite, entre des murailles sombres, auprès d'échoppes ignobles. Elle est par les pays et par les îles. Elle est avec les bannières déployées et les charmantes donzelles qui s'en vont alla vcrziira. Elle est dans la tourmente, dans la mêlée ou dans l'azur. Elle est soulevée de sen- timents magnifiques et surhumains. Elle retrousse ses manches et se tâle les bras. Elle se signe. Elle rabaisse son chapeau, elle le relève. Elle frémit, tremble, se lève, semble prête. Elle halète. Elle tire la langue. Elle pleure. Elle sanglotte. Elle ne peut se consoler de la mort d'Orlando, qui était seul à défendre les chré- tiens. Elle donne tout son argent au chante-histoires pour qu'il ne fasse pas mourir Hector la fois pro- chaiue -. Elle a oublié ses tracas, ses soucis, ses maux. Elle a quitté ses bardes, ses sabots, le train grossier de sa vie. Elle chassé sa mélancolie ». Elle a aimé, rêvé, souffert avec son âme neuve, son imagination vierge, son sentiment frais. Elle a vécu.

Aussi bien de telles émotions sont très rechercln'cs,

1. « A rilornar iiicrcodi vi esoHo Ch'npnnlo snrà il {giorno d' Ojfni santi. »

2. « Hriitio simplox nddicbfil c|iif'iiipiam ex ejiiamodi cnntoribiis. qui iii flnc Hcrtrioni» nd nlliricnddin aiidioiitiaiti predixit se postridio iiior- tem llectorif» roritatnnim lli<- nostcr, aritcrpiniii canlor aliircl, prelio rerlemit ne tatii cilo Ueclorciii. virum hello iili|ein iiilerliccrcl. Ille fiiortciii nostcro die disliilit. Aller vcro sa-piiis prcliiiiii dédit serpicn- lihii<* diemis |)ro vi|a' dilatione. Kt ciiiii periinia- defiiissent. tandem niortein cju« intilto fletu ac dolore narravit. » (l'odoio, FaccUif.)

LE PEUPLE. SA POÉSIE 165

et non seulement par le pelil peuple, mais par tout ce qui, dans une sociéti^ plus haut placée, a gardé une oreille et une habitude populaires. Pérouse entretient des canterini, dont l'ofiice est de réjouir au moyen de cantilènes et d'acco^-ds, cantileriis et pidsationibus , resj)rit des prieurs contristés par le soin de la chose publique'. Florence accueille, nourrit et enferme dans son palais public des araldi'-^ dont la mission est de raconter aux maj^istrats à table les beaux exemples contagieux d'héroïsme antique : l'un d'eux s'étant avisé « de tenir deux jours une femme dans sa chambre, oublieux de la majesté et religion de l'endroit », est cassé aux gages-^ Les cours italiennes, et plus parti- culièrement celles du nord, les traditions féodales subsistent, ramassent les chante-histoires dans la rue, les introduisent dans leurs palais et leur commettent d'égayer leurs festins, de récréer leurs veillées, de célébrer leurs hôtes; en 1433, Niccolù Gieco, canlerino de Pérouse, entonne à Pérouse la louange de l'empe- reur Sigismond de passage'*; en 1459, Antonio diGuido, araldo de Florence, entonne la louange de Francesco Sforza en séjour à Gareggi '^'^ lorsque les Ludovic le More, les ducs de Bari, les Ascanio Protonotario mangent à Schifanoia, ils sont divertis par les chante- histoires en demeure à Ferrare.

Les chante-histoires ne sont plus \esgiullan d'autre- fois. Si la plupart du temps ils sont pauvres, souvent aveugles, réduits par l'inlirmité à la carrière, et qu'ils mènent toujours une existence nomade, courant de foire en foire, de cité en cité, la saison tinie, chiusa la stagione^ ils rentrent dans leurs maisons. Ils ont une

1. A D"Ancona, / canterini deWantico coinune di Perugia. Varietà storiche e letterarie, Milan, 1S8.J, p. 39.

2. G. Zippel, / suonaluri délia ^ignoria di Firenze, Trente, 1892.

3. Flamnii. La lirica toscana del Rinascimenlo anleriore ai tempi di Lorenzo 11 Magnifico, Turin, 1891, p. 200.

4. Fiamini, ib.

5. Buser, Die Beziehungen der Mediceer zur Frankreichy Leipzig, 1879, p. 347.

166 LE QUATTROCENTO

maison. Ils ontde l'instruction. Us possèdent des papiers. Ils savent lire. On les attristerai l en lesassimilant aux vul- gaires faiseurs de tours de passe-passe; ils sont gracieux; ils sont hommes à fournir un renseignement, parfois à composer, tout comme un autre, un hommage princier, une belle laude, un capitolo bizarre, un sonnet facétieux. Dans le livre de l'un d'eux, on trouve les Beautés d'une femme, les Beautés d'un homme, la Description du prin- temps, les invocations faites à san Martino, sonetfi, capi- toli^ et stramhoUiK Us ont la mémoire remplie, farcie, gonflée d'histoires; plus ils en connaissent, plus ils sont de requête dans les places et les compagnies. Quelquefois et le plus ordinairement, ces histoires sont d'autrui, et alors ils les apprennent par cœur* en s'aidant de recettes habiles qui sont les secrets du métier. D'autre fois ces histoires sont d'eux-mêmes; ils les inventent ou mieux les improvisent, là, sur place, devant les assistants, au fur et à mesure, et alors ils sont illustres. Ils s'appellent Antonio di Guido, Niccolô Cieco d'Arezzo, Francesco Cieco de Ferrare, Cristoforo Fiorentino qu'on nomma l'Altissimo. Ils sont connus de tous, du peuple, de la ôona (jente^ du public descampagnes et desrues, comme des doctes, des dames, des princes et des prélats. Antonio di Guido est pareillement pleuré par Luca Landucci-, chanté par Polilien, admiré par Michèle Verino. « Sais-tu, Fabiano,dit i*olilien, ce qui distingue Anto- nio d'Orj)hée? Orphée attirait les bêles, Antonio attire les hommes^. » « J'ai entendu un jour, ajoute Michèle Verino, Antonio di Guido chanter sur la place de San-

1. Opère deirAllisnij/in, poêla fiorentino, nelle qitali descrice le ISe.llezze d'iina donna, le l'ellezze d un liuomo, La deserillion di l'rima- vrra. Le invncalioni faite in san Martino, Sonelli Capiloli Stramhotli, Florence, l')T2.

2. <i K a di dclto, mori un maestro Antonio di (îuido, cnntatore iinprovisd, inolto vaienlc iiomo. In qiiella arle passo igiiuno ; pcri> si nolu qui, j> (I.ANDi'fxi, p. 51.)

3. « Tusrus ah olhrysio, Kiiltianf, Aiilonius Orphco Hoc diircrl : lioin'ines liic Iraliil. iilc fi-rns. »

(^PouriKN, ("-d. (ici l.iingo, p. 121.)

LE PEUPLE. SA POÉSIE 167

Marlino les guerres d'Orlando avec tant d'éloquence qu'il me semblait entendre Pétrarque '. » Poggio écoute Niccolô Cieco d'Arezzo : « Dieux excellents! quel public réunissait Niccolo Cieco lorsqu'aux jours de fête il chantait de l'estrade en rimes étrusques, soit les his- toires sacrées, soit les annales antiques"^. » Gristoforo Fiorentino reçoit le laurier du poète. Francesco Cieco, qui tait les délices de la cour d'Urbin, compose une œuvre qui appartient presque à la littérature, le Mam- hriano. Andréa di Barberino est si docte qu'il écrit en prose un nombre infini d'histoires, riches de généalo- gies et très exactes. Mais que si la renommée des chante-histoires dépasse souvent les enceintes de la rue, les chante-histoires n'en restent pas moins de souche, d'esprit et de culture toute populaire.

Ils sont les romanciers attitrés du petit peuple qui n'a que leurs récits pour le charmer.

1. Cite par Rossi, Il Qiiallrocento, p. 288.

2. « Dii boni, quam audienliain Nicolaus cœcus habebat, cum festis diebus hetruscis nuineris, aut sacras hislorias, aut annales reruui anti- quaruin, e suf,'f(estu decantaret ! Qui dttctoriim hominum, qui Florentiîe tuncerant, coucursus ad eum liebat! -> (Pocgio, De cœcitale et malis aliis coi'poris.)

CHAPITRE II

LE PEUPLE. SON SENTIMENT RELIGIEUX

I. Le rôle de la religion dans la vie contemporaine. La religion,

Eoésie, beauté et ornement de la vie. Eglises, tableaux, confréries, ospices, fêtes, pèlerinages et miracles. Princes pratiquants. Humanisme chrétien. Braves gens. Saints et Bienheureux. Le libraire Vespasiano et ses Vite. Mouvements de foi. Restes d'ascétisme. La crainte et la présence de Dieu dans les écritures domestiques. Que le peuple est resté le plus religieux de tous et comment la littérature religieuse quattrocentiste est de souche popu- laire. IL Les laudes. Toutes les laudes qu'on sait. Laudes héroïques de 1260. Autres laudes. Laudes artisteiiient ouvrées du xv" siècle.

Quand on les chante. Sur quel air on les chante.

IIL Les Frères prêcheurs. Gomment ils sont les oracles, les célébrités et les savants du pauvre monde. Leurs miracles et leur sainteté.

Leur existence nomade. Leurs sermons en plein vent. Les réconciliations qu'ils opèrent et les « bruciamenti di vanità » qu'ils ordonnent. Le plus grand prêcheur du Quattrocento : San-Bernar- dino da Siena. Gloire, éloquence, sagesse, morale et foi de Fra Bernardino.

IV. Les «rappresentazioni sacre». La scène, les acteurs et le «festaiuolo».

Intérêt des « rappresentazioni ». Trucs, intermèdes et supplices. Les histoires. Profit moral et profit savant de ces histoires. Comment elles font pleurer. Gomment elles font rire. Person- nages contemporains : évèques, moines, mendiants, médecins, com- mères, nourrices, hôteliers, paysans. Les auteurs des « rappresen- tazioni », leur auditoire et leur succès.

V. La foi quattrocentiste telle qu'elle résulte de la littérature.

I

C'est ainsi que le peuple chante et écoute. Il faut le regarder quand il prie^

Car il prie, ingénument, dévotement, les mains jointes. Le christianisme, qui venait de susciter une floraison de piété si puissante, n'a pas disparu des cons-

1. Sur le Hontiment religieux italien, voir J. Burckhnrdt, La Civili- talion en Italie au temps de la Henaissance (Irad. Schmitt), Paris, 1885, 2 vol. il, p. 187. L. Paslor, Storin dei papi (Irad. Benetti), Trente, 1896, 3 vol. Il I, p. 1. K. Gcbhart, L'Italie mystique, Paris, 1890.

LE PEUPLE. SON SENTIMENT RELIGIEUX 169

ciences contemporaines et continue à envelopper la vie, à border la vie, qui s'écoule entre des sonneries de cloches, des parfums d'encens, des flammes de cierges, des reposoirs fleuris, des litanies, des processions, des fêles. Sans la religion, on ne comprendrait point cette époque ni cette contrée, qui restent tout enchaînées au cercle religieux. La religion tient la place prépondé- rante. Elle fait partie de l'habitude des yeux, des oreilles, de l'imagination, du goût. Elle constitue, plus qu'une civilisation, une nécessité sociale. Les Italiens ont besoin de sa poésie comme ils ont besoin de leur beau climat. Il leur faut ses images, ses pompes, ses cérémonies augustes ou domestiques, sa diversion, sa compagnie, sa beauté; il leur faut ses légendes d'or et d'azur, ses scènes d'amour ou de drame, ses pra- tiques familières et reposantes, les longues stations quotidiennes dans l'église fraîche, le chapelet qui coule entre les doigts, le tableau du maître-autel qui sourit; il leur faut, pour les consoler, les charmer et les éblouir, la vision présente du paradis de lumière avec des gazons semés de fleurs blanches et rouges, des escaliers de jaspe et d'améthyste, des roses d'anges, des auréoles d'or, des tuniques étoilées, des diadèmes étin- celants. Jésus, Marie, les barons et les saints de la cour céleste sont, autant qu'Orlando ou qu'Hercule, les hôtes assidus des consciences; leurs noms jaillissent spontanément des lèvres avec le juron ou l'exclamation heureuse; on les connaît, on les cite, on les voit, on les aime; et le poète anonyme de tout à l'heure, voulant comparer sa bonne amie à quelque chose de très beau, la comparait à Jésus.

Plus qu'un devoir, la foi est un plaisir, une chose gracieuse et fleurie. Ainsi que l'amour, elle est un ornement de la vie. Celui qui s'en prive est un triste, c'est-à-dire un méchant, qui étonne et détonne', et

1. Les athées déclarés sont excessivement rares au Quattrocento, même chez des canailles comme Everso d'Anguillara ou Sigismond

ITO LE QrATTROCENTO

qu'on se montre au doigt, comme jadis les gens do Florence se montraient dans la rue Guido Gavalcanti, « qui cherchait des raisons pour prouver que Dieu n'existe pas». Au demeurant, le cœur est trop imagi- natif, trop poète, pour imiter son exemple.

Dans ce siècle, par ailleurs si voluptueux et curieux, les rues sont garnies d'églises, do chapelles, d'oratoires. Un art, ému de la ferveur la plus alïectueuse, se répand contre les vitraux et les murs en ofîusions et on prières : madones blondes, annonciateurs porteurs de lys, vieux bergers qui prient, rois mages agenouillés, et petits enfants Jésus, si roses, si potelés, si malicieux que les femmes attendries, unissant les mains, s'écrient : « Oh ! mon Dieu! » Une charité empressée s'ingénie à créer chaque jour des confréries d'un évangélisme tout pratique et militant', qui visitent les pauvres, pansent les ma- lades, ensevelissent les morts, secourent les prisonniers; et pour les déshérités de ce bas monde, de nobles demeures s'édifient, monts-de-piété, hôpitaux, hospices, qui ne sont point seulement d'admirables entreprises d'assistance cités par Luther, mais des monuments de grâce, la Beauté met son sourire et les Délia Robbia leurs faïences'. Les cloches des campaniles rythment toujours les journées de labeur. Le soir, à VAcc Maria, dans l'église paroissiale ou devant, les confréries d'arti-

Malalesla qui s?ardent des formes, prient Dieu, bâtissent des hôpitaux. Si, au (lire de S'cspasiano, et l'aveu dut lui en coi'iter, Carlo Marsup- pini refuse à son lit de mort rextrùnie-onction, celte altitude jure avec tout ce que nous savons du reste de sa vie. Voir (I. Zip[)cl, Carlo Mdi'suppini d'Arezzo, notizic hiof^rafiche, Trente, 18i)7.

i. Kn I41.";, nait à Venise la Confrérie de S. l{occo ; en l'til, uait à Florence la confrérie des IJuonuouiini di S. Marlino, qui existe toujours; en 144S, nait à Home la confrérie de l'Addolorata, (|ui, pareillcinont, existe toujours. Kn IIGO, Torqucuiada fonde à Home la confrérie de l'Annunziata; les confréries rouiaincs de S. Ilernurdo, de S. Lucia, de riaimacoiata, de S. Aujbrogio, de la Misericordia, du SS. Sacramento, datent du Quattrocento.

2. Au Quattrocento, Florence compte à elle seule 35 hôpitaux. Voir Passerini. Storin ihu/li alnhilimenli di heiiifirenzn di Firenze, Florence, 18.'),'J. Harfîiacrhii Sloria di-f/l'isliliili di hiuipficonza, di islnizione ediicdzione in l'isloiit e snu circondarii), l-'iorcuce, 188.'1, 4 vol. Pinzi, au Dsiiizi uiedioevali e t'os/n'dtilif f/randi' di Vilcrho, IS'J.'J. L'hôpital majeur cl le lo/arct du .Milan datent du Quattrocento.

LK PEUPLE. SON SKM I.M K.NT llEl.l!iIEUX Kl

sans se réunissent et, tête découverte, elles entonnent des laudes. La nuit, à l'iieure du couvre- feu, le petit monde s'agenouille au pied de son lit devant une naïve estampe de sainteté'. Les Pâqu! s de la Nativité, les Pâques des roses, la Fête-Dieu, les fêtes patronales, sont des dates sacrées qu'on observe, qu'on attend, dont on se réjouit, qui remplissent les rnes des cités et les routes des cam- pagnes et qui se célèbrent avec un faste magnifique de costumes, dcgonfanons, de cantiques, de figurations et de rejirésenlations opulentes. A tout coup, de pieux pèlerinages s'aclieminent à Rome, à Assise, à Loreto, jusqu'en Terre sainte'. Et il s'accomplit encore des miracles témoignant que Dieu n'a pas retiré sa faveur à son penple; prodiges, visions, guérisons subites, apparitions de la Vierge, apparitions de fontaines; et les roses qui se mettent à fleurir en plein biver sur la tombe d'Ainbrogio Traversari ; et un rat qui saute à la tête d'un mauvais lils, « et malgré tous les médecins et médecines, on ne put jamais lui enlever ce rat-' » ; et un petit rameau d'olivier qui, dans une viottola toscane, s'accrocbe à une robe étoib'e de la Madone miraculeuse que Florence, désolée par la guerre, a été chercber à l'imprunelael qu'on ne peut arracher par aucun moyen de percbe, ni roseau; alors on dit : « C'est bon signe, c'est un miracle, c'est la Vierge qui porte l'olivier de paix h Florence '*. »

Les princes, si élégants et si dissolus qu'ils soient, n'auraient garde de faillir aux pratiques ordonnées^; ils

1. F. Lippmann, Der italienisclie llolzschnill in XV luhihitndert, Berlin, 1885.

2. Entr'autres récits de pèlerinages, voir Del viagc/io in Terra sanla fatto e descrillo tla ser Mariano du Slena nel secolo X\\ Florence, iS-2-2.

3. F. Torraca, Roberto da Lecce, p. 189.

\. « Questo è buono pronosUco, ella porta l'ulivo a Firenze. » (Lax- Dicci, IJiario, p. 109.)

5. Philippe-Mario Visconti murmure constamment des prières. Alphonse d'Arai^'on suit les processions dans la rue. Laurent de Médi- cis compose dos laudes et une rappresentazione sacra. Hercule d'Esté sert à m.(n;.'er aux indigents et leur lave les pieds. Cécile Gonzague veut « prendre pour époux le Rédempteur ».

172 LE QUATTROCENTO

vont h l'église souvent les attendent leurs assassins; ils suivent les processions, font des pèlerinages, accom- plissent les sept œuvres demiséricorde, disent les prières, achètent et lisent les livres dévots; et, si le vieux Gosme de Médicis, que Botticelli a figuré en roi mage accroupi devant l'Enfant Jésus, accepte la dédicace obscène de^ V HermaphroditKs de Beccadelli, on peut trouver, enl502,| dans la bibliothèque privée d'une Lucrèce Borgia, à côté d'autres livres profanes, un bréviaire, un psautier, les Lettres de sainte Catherine, un Nouveau Testament,^ en italien, une Légende des saints en italien, une Vie de Jésus en espagnole La fille du Sforza reste chaque nuit cinq ou six heures en oraison et se donne jus- qu'au sang d'une discipline « faite de petites étoiles de fer » « Et, un jour, écrit le prédicateur populaire Fra Michèle de Milan, lui parlant à elle, je lui dis: « Ah! enfant, ne fais pas comme ça ! » Et elle me répondit : «Ne me dites pas ça. Père, pour l'amour de Dieu-! » Les érudits et les poètes, qui cherchent Jésus dans Virgile et s'élancent à Dieu sur les ailes de Platon, ne rompent jamais, dans leurs pires aberrations et leurs audaces les plus téméraires, avec le dogme ; avant de dévoiler le latin au pelil gamin qu'on leur confie, dévo- tement ils lui font réciter VAve'^^ comme les marchands de Pérouse écoutent la messe avant de délibérer de leurs all'aires de banque dans la salle du Gambio; et le latin qu'ils adorent ne s'applique pas seulement à l'an- tiquité profane, il impartit sa beauté aux pieuses légendes, aux claires paraboles, aux saints personnages

1. Gregorovius, Lucrezia horgia, Stultgnrd. 1876, p. 310.

2. « Chè ho purlato in alla (igliuola del Diica di Milnno : ho la gen- tile fanciiilla... E stava in orazione cinque o sei orc sempre ginoc- chioni, e faceva la disciplina per ispazio di (|uindici pater nostcr. Lei avcva la sua disciplina falta a stelluzze di Icrro e (piando j'aiioprava lutta l'insanguinava... Et un giorno parlando io con essa lei, gli dissi : Deh ! figliuola, non fare a cotesto modo. E Ici nii ripose : Non nii dite cotcsto, l'iidr»'. p«;r l'amoro di Dio. » {Cinque /irediche di fra kichete (la Milano, piiU. par M. da Civezza. l'rato, 1881, p. 47.)

.'{. « Dn littcras. A. h. c. d. e. f. g h. i. k. I. ni. n. o. p. q. r. s. t. u. X. y. z. I)a Halutalioneni il(;atii* virginis. Ave Maria gratia plena... » (Niccoto Pkhotti, liudiineiita grammatices, Venise, U'JÎI, p. 1.)

LE PEUPLK. SON SlvNTI.MKNT RELIGIEUX 113

de la vérité. Toute une partie de rhumanisme, et non la moins intéressante, est chrétienne^.

Sans doute que l'époque aijonde en criminels de haute marque, en assassins et en brigands supérieurs ; on peut leur opposer autant de braves gens demeurés entiers, intacts, indemnes : figures à la Plutarque, sta- tues de saints, consciences rigides, âmes candides et doucement épanouies. L'esprit se repose et se console à pénétrer l'enceinte blanche qu'ils habitent, la fer- veur des anciens âges, préservée comme une rose gran- die dans un cloître, continue à répandre son parfum. C'est le marchand de Florence Feo Belcari, qui n'écrit que de choses pieuses, dans une langue si pure et si tranquille qu'elle semble colorée à la lumière du grand siècle. C'est le dominicain Corradino de Bologne, qui meurt en soignant les pestiférés ; c'est le patricien Lorenzo Giustinian de Venise, qui vit chez les pauvres besoigneux; c'est le grand-amiral Carlo Zeno de Venise, qui a sauvé la patrie, reçu quarante blessures et qu'on met en prison. Et ce sont tous ces saints, saintes, bien- heureux, — religieux, humanistes, poètes, patriciens, princesses, naissant à toutes les heures, appartenant à tons les mondes, qui fleurissent ce moment sec et bril- lant de ravissements adorables, de célestes élévations, de rêves attendris, d'actes de dévouement, de sacrifice, d'affection fidèle'-. Et plus suave et plus ému qu'eux

1. Sans vouloir parler do Filelfo et de son poème en vulgaire de La vila del santissiino Joliunni Ihtptisla, on peut citer MaHeo Vegio, qui, dans son Z>e rébus rnemorabilihus BasilicaeS. /'e/»/, accomplit un premier monument d'archéologie chrétienne, fait l'éloge de la vie claustrale dans son De perseverantia religionis dédié en li48 à ses sœurs religieuses et chante la vie du saint abbé Antonio dans le poème de VAntoidade dédié au pape Eugène IV. Bonino Mombri/.io met en hexamètres le récit de la Passion, et Ugolino Verino, le Vieux et le Nouveau Testament. Politien compose des llijmni in Divam Virginem. Pontano consacre quatorze « laudes divin;B » h Jésus, à Marie, à saint Jean-Baptiste, saint Domi- nique, à saint Augustin, ù saint Benoît. Et bien avant que Sannazar eût conçu son radieux poème. De par lu virt/inis, Domenico di Giovanni avait dédié, en t iOQ. à Pierre le Goutleu.x son Theotocon, seu île vitaet obilu sacral.issiiiue V. Mavioe.

2. Ludwig Paslor donne la liste des saints et bienheureux du Quat- trocentro. Op. c. p. 58. Voir les Acta Sanctorum des Boïlandistes.

174 LE (iLATTROCENTO

tous, c'est le naïf imagier de Sainl-Marc, c'est le bien- heureux Fra Angelico de Fiesole. Pauvre et cher petit moine! Là-bas, dans son couvent, oii il peint comme d'autres prient, dans l'ombre et la modestie agréables au Seigneur, il écouk^ toute une existence de tendresse. « Quand on lui demandait quelque ouvrage, il répon- dait avec une bonté d'àme singulière qu'on allât demander au prieur, et que, si le prieur voulait bien, lui ne manquerait pas. » Par honnêteté , il ne consent jamais à représenter des figures nues; il ne veut repré- senter que des saints; avant de prendre ses i)inceaux, il toQibe à genoux et dit sa prière; lorsqu'il met le Cbrist en croix ses yeux s'inondent de larmes, el « il avait pour habitude de ne jamais retoucher ou refondre ses peintures, mais de les laisser comme elles étaient venues pour la première fois, croyant qu'elles étaient telles par la volonté de Dieu * ».

Naïvement, purement, le libraire Vespasiano, de Flo- rence, recueille tous les exemples de charité, de chas- teté, de piété, des prélats, princes, érudits dont il raconte les vies, de telle sorte que son livre ingénu semble un traité d'édification. Il y est contéd'Antonino-, l'archevêque de Florence devenu cardinal et canonisé dans la suite, grande figure de théologien, de savant, d'ascète, dont les jtorlraits contemporains nous ont transmis l'expres- . sioa de spiritualité aiguë : ce prince de l'Eglise vit en pauvre frère, s'habille d'une simple robe de bure qu'il s'enlève des épaules dans la rue pour en revêtir un plu> pauvre que lui ; il ne dépense pas le tiers de son revenu et distribue le reste en aumônes; il habite, à côté de Fra Angelico, une humble cellule du couvent de Saint-Marc, n'ayant pour tout mobilier qu'un lit monacal recouvert de dra|) de l*erpignan et un fauteuil de vieux bois; il ne possède en propn? qu'un petit mulet, encore ce mulet ne lui apj)arlient-il pas, puisque c'est le

i, Vabaiii, Vie-t/e Fra Angelico de Fiesoli'. 2. Vi'.si'AMA.'^o, Vite, p. ilO.

LE l'EUPLK. SON SK.M IME.NT RKLKIIKLX 175

cliapilre de Sainte-Marie-Nouvelle qui le lui a prêté; et, à sa moii, il se souvient qu'on le lui rende; à la nouvelle que le pape lui expédie de Home le chapeau, il se sauve dans les bois de Gorneto, s'y cache derrière les arbres, et lorsque le courrier pontilicai l'a rejoint, au lieu de lui donner le j)Ourhoire qu'il demande, il lui répond : « Pour une nouvelle si mauvaise qu'on n'en saurait imaginer une pire, je n'ai point d'argent, je n'ai que ce que je porte sur le dos ^ » Et cependant, fait de la sorte, arrachant les dés et les échiquiers aux joueurs, forçant d'un regard à l'église les élégantes à se taire, lorsque rigide et grave, il passe par les rues de Florence, le monde tombe à genoux, « et sans chevaux, et sans habits, et sans valets, et sans ornements dans sa maison, il fut plus estimé et respecté que s'il fût allé avec la pompe de la plupart des prélats-. » Il y est conté de l'ambassadeur, gonfalon- nier et platonicien, Donato Acciajuoli, qui se marie vierge, qui aime et craint Dieu, « par-dessus toute chose », qu'on ne vit jamais toucher, embrasser et prendre dans ses bras ses enfants, « seulement pour conserver l'autorité et la continence avec ses (ils-^ ». Il y est conté d'Agnolo Pandollini, le riche marchand, qui va chercher les passants sur la route pour les asseoir à la lable de sa somptueuse villa de Signa. Le pédagogue Villorino da Feltre dit le Benedicite avant de prendre ses aliments. L'astronome Paolo Toscanelli dort sur une planche à côté de sa table de travail, ne mange que des légumes, se trouble pour une parole déshonnôte^. L'hébraïste Gianozzo Manetti a coutume de dire que notre

1. « L'arcivescovo gli disse : per una cattiva novella, che non la poteva avère peggio di qiiesta, danari questo niio compagno e io non abbiamo; salve le cappe che lu vedi non abbianio altro. » (/6., p. 172.)

2. « E sanza cavalli e sanza vestiraenti e sanza famigli e sanza orna- mento ignuno in casa, era più istimato e più riverito, che s'egli fusse andalo con le pompe, conçue vanno i più de' prelati. » (/6., p. 174.)

3. « Solo per conservare la continenza e Tautorità con li hgliuoli, acciocchè l'avessino in riverenza e riputazione. » {Ib., p. H.'iO.)

4. « E quando udiva uno che dicesse una parola non onesla. tutto si cambiava nol viso. » (/6 , p. 507.)

176

LE QUATTROCENTO

foi ne doit pas s'appeler foi, mais certitude, « parce que toutes les choses écrites et approuvées par l'Eglise sont ausssi vraies qu'il est vrai qu'un triangle est un triangle' ». Maffeo Yegio abandonne tous ses biens aux pauvres. Agnolo Acciajuoli se relève chaque nuit deux heures pour prier. Alessandra de' Bardi, la veuve sombre, roide et austère d'un des plus grands banquiers de Florence, ne lit que la Bible, des homélies, les doc- teurs et commentateurs de l'Eglise ; « et tout le temps qui lui restait, elle l'employait à de louables exercices, et elle était très compatissante envers les pauvres besoigneux, et en tous endroits elle secourait les reli- gieuses, les religieux et beaucoup de pauvres honteux- ». On dira que Vespasiano prête à chacun ses sentiments et accorde à tous la piété de son.àme débordante; le signi- ficatif est qu'au milieu du monde des lettres latines, une telle pureté ait pu s'épanouir.

Si la foi s'est mitigée et éclaircie, elle plonge encore de puissantes racines dans le passé. Devant les guerres, les fléaux, les disettes, qui sèment l'horreur et l'épou- vante, les croûtes d'indifférence ont vite fait de tomber. De grands frissons s'emparent des foules, et les jettent éperdues par les chemins. En 1400, au moment môme le siècle s'ouvre, l'Italie est sillonnée de bandes de péni— , tenls'\ qui, les pieds nus, vôtus de blanc, une croix 1 rougeau capuce, vontdevilleen ville, couchant parterre, jeûnant, se frappant de la discipline, chantant des lita-î nies, criant miséricorde ; ils sont quatre mille à Pistoie, quarante mille à Florence; à Venise, a Rome, on ne les'

1. « Perché tulte !c cose délia detta religione, che sono iscritte e apnrovatc dalla Chicsa, sono cosi vere, coine egli è vero chc un trian- golo sia triangolo. » (M., p. 445.)

2. « K lullo il leinpo che le avanzava, consiimava in quesli l.uidabili esercizi, e era pietusissima in verso i poveri bisognosi ; e in tutti i luoghi, religiosi e religiose, e molti poveri vergognosi soccorreva nelloj loro necessitii. » (Ib., p. .'i5<i.) f

'.i. Sur le rnouveincnt dit des IHanohi, voir Skrcamhi, Crotiache,' Rome, 18!)2, .'I vol. II. n i>'.)(l ; Lai'o Ma7./,ki, Lellere di un nolaro a un mercanle Uel secolo Xiy, Florence, 1881. p. 3;j8; Fiui'Po Uinuccini, liicordi Slorici, Florence, 1840, p. XLIV.

LE PEl PLK. SON SENTIMENT RELIGIEUX 177

compte plus ; hommes, femmes, enfants, une armée dressée par une poussée de foi, qui marche; à leur pas- sage, de merveilleuses réconciliations s'opèrent : on dépose les iiiimitiés et les armes; on s'emhrasse et on pleure. Va\ 1457, Bologne, sous le coup de tremble- ments de terre, se donne la discipline et crie miséricorde : « pendant huit jours presque tous s'ahstinrentde viande, les bouchers ne faisaient plus d'affaires, les jeûnes étaient continus, les courtisanes n'admettaient personne dans leur lit^ ». En 1496, Sienne, ayant vu une pluie de sang, se lève comme un seul homme : « Tous allaient à l'autel de Notre-Dame-du-Dôme, et ils y offraient un cierge, et qui rachetait un prisonnier, et qui mariait une tille pauvre, et ils faisaient chanter une messe solennelle au dit autel, et tous faisaient de même, qui de jour, qui de nuit, se frappant, les pieds nus, et toujours chantant litanies et autres bonnes oraisons, afin que Dieunous libère de nos tribulations'. » A Ferrare, c'est le duc Hercule qui prend la tôte de mouvements sem- blables : « Le duc Hercule, pour raisons à lui connues, et paicc qu'il est toujours bon d'être bien avec Dieu, a ordonné et édicté en ce jour de faire des processions par Ferrare,chaque trois jours, avec tout leclergé de Ferrare, et environ quatre mille enfants d'au plus douze ans, tous vêtus de robes blanches, avec chacun une petite banderole à la main, sur laquelle un Jésus était peint -^ »

1. « Per octo dies a carnibus fere omnes abstinebant ; beccarii carnes non vendebant; jejunia continiiabantur; merelrices ad con- cubita niiUiini adniittebant. » [Annules Bunonienses, Muratori, Rerum XXI 11, p. S!JO.)

2. « E tutti andavano aU'altare di Nostra Donoa di Duomo; e olfe- rivano un cero; e chiriscuoteva prigioni ; echi maritava una fanciulla; e facevano cantare una messa solenne al detto altare. E siraile fecero lutte le Compagnie di Siena, chi di di e chi di notte, battendosi, e scalzi, e seinpre cantando letanie, e altre buone orazioni, acciochè Dio ci liberassi dalle tribulazioni » (Ali.k(iuetti, Diario, p. Soti.)

3. « Il duca llercole de Este di Ferrara .. per buono rispetto a lui noto,e perché senipre è buono astarebene con Iddio, ordinù e dette in decto présente giorno principio a fare processione per Ferrara ogni terzo giorno con tutto il clero di Ferrara, e con circa quattro milia o più putti (la dodici anni in zozo, vestiti tutti di camise blanche con una bandirola in mano per cadauno, suso laquale era dipinto uno Jesù. » [Diario Ferraresse, p. 386.)

II. 12

178 LE QUATTROCENTO

Au jubilé de Rome, en 1450, les routes d'Italie sont si noires de foule qu'on compare les bandes de pèlerins à des essaims de fourmis ^ Le 7 août 1487, le conseil de Sienne décide que la ville soit « donnée et dédiée à Notre- Dame* ». Quelques années plus tard, la Florence de Savonarole élira pour prince le Seigneur Jésus.

Le moyen âge n'est pas fini. Le sombre ascétisme de la Commune aux vertus rugueuses et frustes n'est pas mort. Des paroles d'un enseignement farouche s'élèvent encore, exaltant « la sainte tristesse », pro- testant contre « la chair fétide », s'indignant du cou- rant de volupté et de joie qui emporte les esprits. « Que le père, écrit Giovanni Dominici dans sa Rego/a claustrale, ne montre jamais un visage joyeux à ses filles, afin qu'elles ne s'éprennent point de la face virile '^ ! » « Si tu ouvres les oreilles au mal qu'on dit d'autrui, écrit Antonino, si tu écoutes, et Canzoni, et Strambotti, et Ballate, et chansons, et musiques pour le plaisir de la sensualité ; si tu cherches une vaine délectation dans le manger et le boire; et si, par mur- mure, détractation, susurrement, malédiction, moque- rie, excuse, tu parles mal du prochain, malheur^ ! » « Homme, écrit Feo Belcari, rappelle-toi que tu n'es qu'excrément, puanteur et ordure; réveille-toi de ce sommeil de mort, arrache aux yeux de ton esprit celte chassie empestée d'une réputation vaine et maudite, abaisse ton col dur, incline ton esprit h la vérité de l'Ecriture Sainte, et tu trouveras que tous les saints, plus ils ont été sages, savants, honorés, plus ils ont

1. Sur ce jubilé, voir le Memuriule di Paolo dello Maslro, pub. par M. Péloez, p. o8.

2. ALi.EdRKTTi, Diafio, p. Si.'J.

3. « Il padre non inostri iiiui liclo volto allc suc (i^Iiuole feniinc, accio chc non s'innaniorino délia virile faccia. » {Hegola del li. Giov. Dominici, Florence, 18t»0, p. 144.)

4. « Se arai unertc l'orecclii»; a udir maie d'altri, canzone e ballata e «Iranibolti. canti c .suoni, per j)iacore solo délia scimualilà; st; arai cercatu i diletti HU|>crf1ui in i)i(in|^iarc c bore...; se arai piirlato iiialc d'altri pcr niorniorazionc, dcslruziouc, susurrazione, nialudizioue, irri- iii(*nc, sensazionc... mai per le. » {Lettere di Sont' Antonino, Florence, i8.VJ, p. i3«.)

LE PEUPLE. SON SENTIMENT RELIGIEUX 179

accompli d'œuvres vertueuses, plus ils ont joui de prérogatives, plus ils se sont tenus pour vils et oblige's envers Dieu '. »

Il suflit de parcourir les écritures intimes contem- poraines, les correspondances domestiques, les livres de raison des marchands, tout remplis de prières, de nobles attitudes, de calmes résignations, d'exhortations pieuses, pour voir la place que le Ciel occupe toujours sur la terre. La prière du marchand Giovanni Rucellai commence en ces termes : « Je remercie le Seigneur Dieu de ce qu'il m'ait créé un être raisonnable dans un pays règne la vraie foi chrétienne.,.'-» Celle du marchand Giovanni Morelli débute comme suit : « Très douce mère, tabernacle odoriférant de Dieu, fuis-moi, je le prie, participer à ta douleur et k ton aflliction... -^ » «Je dis que les sages, écrit le môme Morelli à son (ils, qui connaissent Dieu, s'emploient bien et s'aident mieux encore, ont sur tous Tavantage; et Dieu veut que tu t'aides et qu'avec ta fatigue, tu te perfectionnes, et si tu veux, tu entendras ce jugement clairement expliqué par Paul^. » «De bien faire, écrit pareille- ment Alessandra Macinghi h son fils, on n'en a que du bien de Dieu et du monde; c'est pourquoi je t'exhorte à avoir crainte de Dieu et à faire bien... Qu'il en soit

1. « Coriosci che non se'altro che puzzo, sterco e feccia... Destati adun(|ii(; lia questo mortale sonno, levati dagli occhi délia mente qiiesia peslifera feccia di tanta vana e maledetta reputazione. Arrendi coteslo luo durissimo collo, inchina lo intelletto alla verità délia sacra scritlura, e troverai tutti i santi, quanto più sono stali savii, quanto più scienziati, quanto più oiiorati, quanto più virluosi, quanto migliori cose haiino operalo, e quanto più prérogative lianno avute, tanto si sono reputati più vili, e più obËligati a Dio. y {Letlere di Feo Delcari, Florence, \S-2'6, p. 22, p. 26.)

2. ; lo ringrazio il signore Iddio ch'egli mi ha creato un essere ragioiievole e immorlale in un pdese dove régna la vera fede cris- tiana. » \(i. Marcotti, Un mercante Fiorentino e la sua famiglia nel secolo AT, Florence, 1881.),

3. « Madré dolcissima, odorifero tabernacolo del Figliuolo di Dio, famnii, ti prego, partecipe del luo dolore e délia tua aftlizione... » {C7-o- noca dt Giocanni Morelli, Florence, 1718, p. 342.)

4. « L)ico che i savi hanno vantaggio, che conoscono Iddio e aope- rano bcne o aiutansimeglio ; e Dio vuole che tu t'aiiiti, e colla tua fatica venga a perfe/.ione; e questo giudicio si vede cbiaro e manifusto in Pagolo, se verrai intendere. » (i6., p. 237.)

1 80 LE QllATTKOCENTO

comme il plaît à Dieu ! » Le l""" janvier 1403, le mai- chand Goro Dati délibère on toute honnôleté « de ne jamais tenir boutique en aucun jour de fôle solennelle et recommandée par la sainte Église, » et encore <( d'observer perpétuellement chastetc» le vendredi (ce qui s'entend le vendredi avec la nuit suivante), » et s'il y tombait par négligence ou par oubli « qu'il soit tenu et doive donner aux pauvres de Dieu vingt sous pour chaque fois, et dire vingt fois le Pater noster et VAve Maria^ ». Et un siècle après, comme la maison d'un autre marchand de Florence, Luca Landucci, a brûlé, qu'il a perdu dans ce désastre deux cent cin- quante ducats d'or, et qu'il est demeuré, ses fils et lui, en chemise, pieusement il écrit : «Je prie Dieu qu'il me pardonne mes péchés et qu'il m'envoie toutes les choses qui sont pour sa gloire : que le nom de Dieu soit toujours loué par toutes les créatures'-! » Lorsque le noble Pallas Slrozzi, qui a été éprouvé par l'adver- sité, comme l'or est éprouvé par le feu, perd son lils bien aimé Bartolomnieo, il ne pleure pas, ne récrimine pas, il accepte; et à ceux qui viennent en son palais le consoler, il répond : « Il est inutile de parler davan- tage de Barlolommco : il faut que ce qui a plu au Dieu tout-puissant me plaise aussi à moi 3. » La veuve Alessandra Macinghi n'a conservé près d'elle qu'un petit garçon, le dernier de ses fils, le cadet, le benja- min, Matteino; arraché par le commerce, il part comme les autres, muni de ses bénédictions, approvi- sionné d'un petit trousseau confectionné de ses mains, et meurt à l'Etranger. Sous ce coup imprévu, la vieille

1. « Ancora pcr mcinoria délia Passione dcl nostro si^'iiore Jpsi'i- Cri.sto... qiiesto di tnedesimo propongo neirunirno iiiio pcrpclual- mcntc osscrvare castità nel di ciel Vencrdi (olic s'inlende \\ Noiierdi con la sua nolte scguentc) c guardanni da ogni alto di carnale dilello. E noBlro Signore ne me dia lu gra/.ia ; c se caso inlervenisse chc io vi cadcssi, per non avcdermcnc o per non ricordarnicne, subito il di 8egnt;nte io sia lenulo a dare a' povcri di Dio soldi vcnli pcr ogni volln, e diro X.\ volte il l'aternoster e Aveuiaria. » (Goho Uati, // lihro i?crelo, Bologne, 1869.)

2. Li cA La.mu f:<:i, Dinrio. p. 283.

3. Veufawako, Vile, p. 21(5.

I

LE PEIPLi:. SON SENTIMENT RELWIELX 181

femme rOste del)oiit : « Je loue et je remercie Notre- Seigneur de cet ("vdnement qui est sa volont»^, car je sais certaine que Dieu a vu que c'était le salut de son âme; et j'en vois la preuve dans ce que tu m'écris qu'il s'accorda si bien h cette dure et âpre mort; et bien que j'aie éprouvé dans mon cœur un deuil tel que je n'en ai jamais ressenti de pareil, j'ai pris confort de telle peine de deux choses, la première qu'il était près de toi, car je suis certaine que médecins et médecines et tout ce qui a été possible de faire pour son salut a été fait, et qu'on n'a rien laissé en arrière pour lui maintenir la vie, et cela ne lui a servi à rien, car telle était la volonté de Dieu que cela fût ainsi ; l'autre chose dont j'ai pris apaisement est de la grâce et des armes que Notre-Seigneur lui donna au moment de la mort, de se déclarer coupable, de demander la confession, la communion et l'extrème-onction ; et j'ai appris qu'il fit tout cela avec dévotion ; et tout cela est signe que Dieu lui a préparé une bonne place*. »

Dans une époque qui produit de tels caractères, la religion est vivante. Mais si, parmi les hautes sphères de la société, sa leçon est combattue par d'autres leçons ; si, avec la croyance à la joie, l'instinct heureux, la litté- rature profane, une autre conception de la vie est révélée à ce monde d'artistes et de mécènes ; si les lèvres savantes et les esprits choisis se déshabituent de

1. « Lodo e ringrazio Nostro Si^more di tutto quello ch'è sua volontà ; che son certa Iddio ha veduto chc ora era la sainte dell'anima sua; e la sporieuza ne veggo per quanto tu u)i scrivi, che cosi bene s'accordasse a questa aspra e dura morte... E bene ch'io abbia sentito tal doglia nel cuore uiio. che mai la senti'tale, ho preso conforto di tal pona di due cose La prima, che egli era presso a di te; che son certa che uiedici e medicine e tutto quello è stato possibile di fare per la salule sua. con quegli rimedi si sono potuti fare, si sono fatti, e che nuUa s'è lasciato indrieto per mantenergli la vita : e nulla gli è giovalo : ché era volontà di Dio che cosi fussi. L'altra, di che ho preso quiète, si é délia grazia e dell'arme che Nostro Signore gli diè a quel puuto délia morte, di rendersi in colpa, di chiedere la coufessione e conuuiioue e la stremaunzione :e tutto intendo che fece con divozione; cho sono segni tutti da sperare che Iddio gli abbia apparecchiato buon luogo. » (Ali SSA.NDKA MAC.ixdHi NF.Gi.i SiROzzi, Letteic d'unu gentildonna /iorenlina, pub. par Gesare Guasti, Florence, 1877, p. 178.)

182

LE QUATTROCENTO

la simplesse de Vave, de manière que Pannonio peut écrire, « que personne n'est à la fois religieux et poète- », et qu'Erasme peut remarquer « combien, surtouten Italie, les bonnes lettres écartent du christianisme ceux qui ont vieilli dans leur sein ; si ^Eneas-Sylvius hésite à prendre les ordres, parce qu' « il craint la continence » : si Gam- pano se désole d'être nommé évêque, à cause des jeux, ébats et amours 3, dont il sera privé, et si Domizio Calderini, se rendant h la messe, ose dire : Eamus ad popnlarem errorem; si l'indifférence, le scepticisme, une ironie discrète et détachée deviennent, chaque jour plus, chaque jour mieux, l'attitude des intelligences patri- ciennes, le petit peuple, le menu peuple n'est pas atteint, ou à peine, par ce mouvement nouveau. Lui que l'huma- nisme a laissé à son idiotie et abandonné à sa tourbe, est demeuré identique et fidèle. Son âme sent toujours la rosée ; son esprit reste fleuri comme un bouquet d'autel; il est vierge comme un matin. Aucune pensée étran- gère ne le travaille; aucune discipline voluptueuse n'a remplacé son vieux catéchisme. Il appartient à la con- frérie du quartier et du métier; il porte des cierges d'un sou à la Madone; il trempe dans un bénitier de faïence le brin d'olivier bénit ; il se signe devant les croix de la route ; il prête foi aux histoires de l'aïeule ; il garde une fraîcheur et une ferveur incomparables. Et c'est dans ce terreau solide et épargné que pousse encore, au Quattrocento, toute une littérature religieuse.

II

C'est ainsi que, parmi la foule des chansons profanes,

qui habitent sa mémoire, le peuple compte des laudes.

Comme nous l'avons vu, après l'ouvrage, à la cloche

1. « Neino religiosus et poeta est. »

2. « Novi cnim quantum absunt a chriptiancsiiiio qui in bonis lit- teri» velut aputl scopulos sireneos consenescunt, prœsertim apud

Italos. T> ..ut

3. « Taceo ludos, joco», aniorcs, aliaquc laxanienta animi, quibus et difûcilc eut abHtioere, quando in bis sis.educalus... »

LE PEUPLE. SON SENTLMENT RELIGIEUX 183

tranquille de ÏAve Marie, les confréries d'artisans se massent dans l'église paroissiale ou devant l'église paroissiale, et recueillies sous l'image de la Madone, elles chantent des laudes. En Ombrie, le jour du jeudi saint, le jour du vendredi saint, d'autres jours, la voix de la foule s'élève à l'église et elle interrompt la litur- gie de l'officiant de laudes dialoguées qui illustrent cette liturgie^ On entonne des laudes dans les processions fleuries qui se déroulent sous le ciel, dans les fêtes religieuses, dans les heures de bonté, de piété ou d'effort. Au siècle précédent, le bienheureux Golombini, de Sienne, chantait pour le plaisir, sur la place, la laude Diletto Jesù C?'isto chi ben t'ama; au siècle qui nous occupe, lorsque Antonio Bembo meurt à Pistoie, les frères qui l'assistent chantent la laude Amor di caritade, Perché m hai si ferito? Et lorsque sœur Ursula meurt à compiles, au couvent de Santa Brigida, « elle appela ses chères compagnes et les pria de lui chanter une laude, et elles firent ainsi; et parce qu'elle était déjà beaucoup atténuée, elles voulurent voir si elle prenait encore garde aux paroles, et elles omirent une stance, mais sœur Ursula les corrigea et leurrappela la stance ^ ».

Aussi bien le peuple sait par cœur une quantité de laudes^, dont il n'a souvent retenu quelle premier cou-

1. Sur ces laudes dramatiques, qui s'accompagnaient d'une certaine mise en scène, de telle sorte qu'on a voulu y chercher l'origine du théâtre italien, voir E. Monaci, Appunli ver la sloria ciel teatro ita- liano. Uffizj drinninaiici dei Disciplinati delVUmbria. (Rivista di filol. romanza, 1, 1874, p. 23:j ; il, 1875, p. 29.)

2. « Chiamù le sue care compagne, e pregoUe le cantassino una Iode €t cosi fecero ; et perché era già molto attenuata, volsono provare, se intendeva aile parole, e lasciorno una stanza, ed essa le corresse, e rammentù loro la stanza, che avevano lasciata. » [Leltere di Feo Belcari, p. 13.)

3. Parmi les principaux recueils de laudes, on peut citer : Laude spirituali di Feo Belcari, di Lorenzo de' Medici, di Francesco d'Albizzo, di Caslellario Castellani e d'altri compresse nelle quattro piU, anticht raccoUe, Florence, 18G3. Laudi spiriluali del Bianco da Siena, Lucques, 1851. Laudi di una campagnia fiorentiiia del secola XIV, Florence, 1870. Laudi cortonesi del secolo À7//, pub. par G. Mazzoni, Bologne, 1891. Et pour les autres recueils, voir Giornale storico délia lelleruiura italiana^ VII, 153 sq. etpassim. M. Feist adonné les capo- versi des recueils les plus intéressants.

i8i LE QIATTROCEXTO

plol et qu'il traduit toujours dans sou dialecte. Provi- sion fraîche, provision candide, trésor de pureté et de blancheur qui le console, rémeut et le rachète.

11 sait les vieilles laudes héroïques que les (( flagellanti, » ou « hattuti, » ou « verberati, » ou « scoputori », chantaient en 1260, alors que lesang d'Italie coulait « comme l'eau », et que ceux de Pérouse s'étaient levés, et qu'ils étaient partis pour l'Allemagne et le pays des Scythes, et qu'ils se frappaient, et qu'ils pleuraient, et qu'ils criaient, et qu'ils composaient, en dehors des hymnes savantes d église, en dehors du latin, de belles laudes selon leur misère et leur cœur. 11 sait les laudes que chantaient en 1399, les Bianchi d'Italie, quand ils s'en allaient dans leurs robes blanches, au gré de la Providence, à travers les sanglots et les miracles; à Gênes, les images de la Vierge jetaient des rayons; à Sarzana, un vieil orme se mettait à reverdir; à Vezzano, un malheureux, qui avait levé le bras pour maudire, restait le bras levé. Il sait les laudes de Jacopone daTodi, du Bianco da Siena^ dlJgo Punziera de Prato; les laudes du Duecento et du Trecento, les laudes qui ne sont de personne, nées I comme ça, d'une foule en marche, d'un moment com- mun de prière; les laudes que lui fabriquent ajournée faite quelque médecin, quelque notaire, quelque />oy)o- lano ou quelque canterino instruit; et les jolies laudes savantes, polies, bien faites, qui vont comme des hal- lalc^ que signent Leonardo Gustinian à Venise, Cas- tellanoCastellani à Pise, Giovanni Pellegrini à Ferrare, Giovanni Domiuici, Feo Belcari, Francesco d'Albizzo, Bcrnardo Giambullari, la mère du Maguilique et le Magnitique lui-même, à Florence.

Ou lie [)eul pas toujours rire, écouter des histoires, niiiiigcr des chajjons, faire l'amour; il y a Jésus; « au milieu de l'hiver, écrivait Antonino à Monua Dada, à la unit noin;, dans un lieu très froid, na<|nit .lésiis au niomb', nu, vêtu ensuite par S4i mère de (|U('lques pauvres petits habits, mis dans l'étable, aliii (|u"au

lA'l PEUPLE. SON" SENTIMENT REIJGIEUX 185

souille do l'àne et du bœuf, il fût quoique peu réchauflé; il n'y avait ni lumière, ni nulle femme, iichauller l'eau, à allumer le feu, comme on le peint par fable... le petit enfant naquit en pleurant, parce qu'il commençait à sentir la peine du froid plus Apre- nicnt qu'aucun autre petit enfant; et pourtant il était vi'uu liabiler près de nous pour montrer que les plai- sirs sensuels, les délices du corps, les aises, les pompes du monde ne sont pas la route du ciel, mais plutôt la porte de l'enfer' ». Il est bien de chanter Jésus; et dou- cement, pieusement, avec une tendresse adorable, on chante Jésus et Marie.

« Quand parfois il dormait un peu le jour, et que loi, tu voulais réveiller le paradis, Marie, tu allais tout doucement, si doucement qu'il ne t'entendait pas, et lu posais ta bouche sur son visage, et puis, avec un rire maternel, tu disais : Ne dors plus, cela te ferait du mal'... »

L'heure est triste ; le crépuscule tombe ; chaque jour, « on fait une journée vers la mort » ; il sied de penser un peu à l'autre monde et de gagner là-haut sa place dans le paradis de lumière; par politesse, par contri- tion, par honnêteté, on chante quelque complainte gracieuse en l'honneur d'un saint, d'une sainte, de

1. « Nel mezzo del verno, nella mezzanotte, in luogo freddissimo nasce Gesù in terra, fj-nudo, coperto poi dalla madré con poclii e pove- rclli pannicelli : pusto nel |)resepio, accioclio dal fiato deU'asino e bue fusse laiito u (|uanto riscaklato. Nun ci fu quivi lomeria, ne altra femniina a scaldare acqua, o accendere fuoco, corne per favola si dipigne, ma non secondo la verità evangelica. Nacque piangendo il fanciullino... perché comiuinciava a sentire la pena del l'reddo e più acerbumente clie ncssiino altro fanciullino : e pero era venuto ad abi- tare con noi, per dichiarare. che i diletli sensuali. le delizie del corpo, gii agi, le pompe del mondo, le ricchezze non sono la via del cielo, ma più tosto dello inferno. » (Sast-Antonino, Leilere, p. 73.)

-■ « Quando talora un poco el di dormia,

E tu destar volendo il Paradiso, Pian piano andavi, che non ti sentia, E poi ponevi il viso al santo viso : Poi gli dicevi con materno riso : Non dormir più, che ti sarebbe rio. ... Quando tu ti sentivi chiamar Mamma, Corne non ti morivi di dolcezza ?... »

186 LE QUATTROCENTO

saint François, de sainte Catherine, du Beato Golombini, de santa Verdiana, de la Beata Villana, qui jette ses habits au milieu de l'hiver, tant son cœur est enllammé, de Niccolô da Bari, qui refuse de téter sa nourrice le vendredi, tant son âme d'enfant est bénie ; on chante l'Oraison dominicale, le Credo, le Sermon sur la mon- tagne, la Nativité, la Passion ; et, pendant une heure, et pendant deux heures, sans se lasser jamais, on chante la même parole : « Aime Jésus... x\ime Jésus... Aime Jésus. »

Un orage a éclaté, la foudre est tombée, la lune s'est obscurcie; un miracle s'est produit; un tremblement de terre a renversé la corniche de l'église ; la disette règne, la peste sévit, la guerre s'approche: « Tu ver- ras, s'écrie le prédicateur, tes petits enfants tomber morts de faim sur la terre ; tu verras tes filles qu'on t'a arrachées souillées devant tes yeux, et tu ne pourras dire une parole ; pareillement tu te verras arracher ta propre femme, et on la violera, et on la déshonorera, et tu devras rester tranquille ; et tu verras tes petits enfants qu'on prendra par les pieds et qu'on jettera la tête contre le mur; tu verras ta mère prise et elle sera éventrée devant toi ; et ainsi tes frères ; parfois il naîtra des discordes entre eux, et l'un tuera l'autre ; quant à ceux qui resteront, ils verront ces choses, et la mort fuira d'eux, et enfm ils seront pris et menés au loin prisonniers ^ » Frémissant d'horreur, dans la conster- nation et l'épouvante, on se prosterne, on s'agenouille, on lève les yeux, on tend les bras, on crie incessam- ment à Dieu, à Jésus, à Marie, qui seuls peuvent gué- rir, qui seuls peuvent sauver. Il ne s'agit plus, pour se prés(Tver de la contagion, de se tenir le « bec au frais », selon la recette si tristement bouffonne; il s'agit de se repentir, de se confesser, de déplorer sa fragilité, inconstance et malice, de pleurer la tête basse et le

\. Le prediche voh/ari di San lieniardino da Siena, publiées par Luciano itanchi, Sienne, 1880, 3 vol. III, p. 104.

LE PEUPLK. SON SENTIMENT RELIGIEUX 187

regard en terre, de pleurer et de souffrir. Ah ! folle inconstance, perfide aveuglement ! est la joie, est la vie, oii est le clair soleil qui caressait avec sa mélodie? La mort est la vie. La vraie lumière sont les ténèbres. Dieu, tu es le commencement et le milieu, tu es la lin véritable, tu es éternellement sans principe, tu es seul sans milieu, tu es seul sans fin... Bénies soient les épaules de Marie, bénis soient ses seins, bénis soient ses baisers, b('nié soit sa langue... Louange, louange au divin feu, louange, louange à sa splen- deur! louange, louange, fête et jeu, louange, louange à l'amour!

Quelqu'un entonne : <( Tu vois l'Italie en guerre et la grande disette. Dieu envoie la peste et répand son jugement. Voici les nourritures de ta vie aveugle et perdue et du peu de foi que tu as. » Et tous reprennent en chœur : « Hélas! hélas! hélas! » Quelqu'un entonne : « Astrologues et prophètes, hommes sages et savants, prédicateurs de tête, t'ont prédit tes tourments. Tu requiers airs et mu- sique — parce que, folle âme, tu es dans le vice, en toi vertu n'est pas. » Et tous reprennent en chœur : « Hélas! hélas! hélas * ! » Et les laudes montent qui disent la contrition, la repentance, la mansuétude et de s'abîmer dans le ciel et dans l'amour. Elles coulent comme des larmes. Elles hoquettent comme des san- glots. Elles partent comme des cris. Elles bégaient

1. « Vedi ritalia in guerra

E la carestia grande, La peste Dio disserra. E'I suo giudizio spande. Quesle son le vivande Délia tua vita cieca e smarrita. Per la tua poca fe' omè, ouiè, oniè.

Astrologi e profeti, Uomini dotti e santi, Predicator discreti T'han predetti e tuoi pianti. Tu cerclii suoni e canti, Perché se', stolta, ne' vizi involta; In te virtù non è, omè, omè, omè. »

188 LE QUATTROCENTO

comme des aveux. Elles se répètent indéfiniment comme des prières.

C'est ainsi que, devant un danger qui le menace ou qui Tassaille, le pauvre peuple chante des laudes dévotes, comme il chantait des chansons d'amour pro- fane dans la caresse heureuse du soleil. Il chante la Vierge ^larie, comme il chantait sa bonne amie. Il chante l'Etoile de Bethléem comme il chantait le mai nouveau. Il chante les petites vierges de Jésus comme il chantait les Pastorelle montaninp. Il chante l'Ange de Dieu comme il chantait la Galantiiia morosina. Sur le pieux exemple des disciples de saint François, qui s'intitulaient GiiiUari di Dio, il chante l'un et l'autre! sur le môme air, avec la même musique et des paroles»^ à peine altérées. Pace non trovo e vivo sempre in guerra sert a un mot près de début commun à un sonnet de Pétrarque et à une laude de Francesco d'Albizzo. La chanson de Lisabetta de Messine, dans Boccace, Chi (ji((U'(/a raltrui cose fa villania devient la laude de Fco Belcari Chi non cercaJesù con mente pia. LaCajizo/ie/ta jnia de Giuslinian se transforme en Dolce preghiera mia ; Oramai che fora sono devient Oramai sono ink-- ctà; lamo alla caccia devient lamo a Maria et En susa in su r/K/'l monte chiara vi sorge la fontanella devient In su quelTalto monte v'è la fontana che traboccliella^.*.

L'accent, l'allure, Tinlonation, tout est gardé. 11 n'y- a que cette différence que, tandis qu'ici le peuple s'aban- j donne aux doux instincts de la terre, il élève sa souf-^ France misérable vers le ciel.

El comme le peuple a des laudes mêlées à ses chansons, à côté des chante-histoires il a des frères prêcheurs.

I. Voir I)"Anconn. La poeaiu popolare italiana, op. c., p. 8i. lliihieri, Slorin ilelln pnfmti popolare italiana, op. c. (). l.'Ji. Hmkcl- n\am\,Jaln'burh f. roui, und etig. Lilt , IX, 1**2.

LE PEUPLE. SON SENTIMENT RELIGIEUX 189

III

Ames fraiches ; cœurs simples; paroles familières; voix tonnantes et consciences indignées ; bonhomies souriantes et enseignements domestiques ; vertus can- dides, extases épanouies, et dans leurs robes de bui'e, si pures physionomies de santé, de clarté, de rondeur!

Les humanistes peuvent couvrir de quolibets leur ignorance ; mais, pour le peuj)le que n'atteignent pas les himianistos, ils sont l'intelligence, la science, l'élo- quence. Ils détiennent toute autorité et toute beauté. Ils représentent la vie supérieure de l'esprit. Ce sont des hommes remplis de doctrine qui, quoique sachant le latin, quoiqu'écrivant de beaux et gros livres en latin, ne redoutent pas d'employer le vulgaire', et il semble « qu'il leur sorte de la bouche des pommes, des lys et des violettes pour embellir la vérité- », Et ce sont de saints hommes, promis au Paradis, promis h la Légende, qui, de leur vivant, accomplissent des miracles. Quand Giovanni da Capistrano se signe et que des milliers d'inlirmes sont du coup guéris I Quand Bernardino jette son manteau sur le lac et, au nez du passeur, traverse le lac sur son manteau! Quand Jacopo Berloni meurt, et que les cloches se mettent d'elles- mêmes à sonner, « et tantôt il apparaissait sur un fleuve, et tantôt sur une montagne, et quelqu'un par- lait à une femme, et c'était la Vierge"^ ».

1. Nous avons des œuvres latines de Fra Bernardino da Siena, de Fra Bernardino de' BuHti,de Fra Alberto da Sarteano.de Fra Michèle da Milano, de Paolo Attavanti, et dune intinité d'autres. Cependant ils prêchaient en vulgaire, comme en font foi les innomhra.h\es prediche, recueillies directement de leurs bouches, et que les bibliothèques d'Italie, particulièrement celles de Florence, conservent manuscrites. Leurs œuvres latines ne représentent le plus ordinairement que des sommes ou des canevas de sermons.

2. T«AVKltSAHI, EpistoliB, p. 384.

3. « (Juando appariva in un fmme et quando in un monte... E chi parlava a una donna, ch'era la Vergine. » L.xnolcci, Uiario, p. 44.

190 LE QUATTROCENTO

Bionveillaiils, familiers, accessibles, ils sont les ora- teurs et les célébrités du pauvre monde; ils sont rem- plis d'aménité et de tendresse pour le pauvre monde, dont ils parlent la langue, qu'ils voudraient presser sur leur cœur, qu'ils confessent, qu'ils conseillent, qu'ils consolent, qu'ils illuminent et qu'ils écoutent, et le pauvre monde vient à eux leur confier ingénue- ment « comment la poule est morte et mille autres- nouvelles » '. Ils vont de pays en pays, de ville en ville,. de bourgade en bourgade, ranimant les zèles, répandant la semence, réveillant la foule, et quand ils parlent la foule se rue à eux, se frotte contre eux, se bat pour leur toucher les mains, la robe, la mule, leur tend ses enfants à baiser, tellement qu'il faut, pour les pro- téger, les hallebardes. Ils prêchent dans l'église, puis- lorsque l'église n'est plus assez grande, ils prêchent sur la place; ils prêchent en plein vent sous l'air du ciel ; ils prêchent sans fatigue durant des trois ou quatre heures d'aflilée ; ils prêchent devant des auditoires de dix, vingt, trente mille personnes, qui ont retenu leur place dès la nuit; et ils prêchent si bien, avec tant de magnificence et de terreur, qu'il n'y a pas à dire, il faut qu'on pleure. Alors on pleure « très cordiale- ment » et il semble que « l'air se fende en deux tant on pleure ».

A leur |)arole enflammée, un vent de ferveur, de pénitence et de foi secoue les âmes. De belles proces- sions s'organisent ; d'héroïques résolutions sont signées ; de merveilleuses conversions éclatent subitement au jour. Les pires ennemis se réconcilient par-devant ,] notaire et s'embrassent sur la joue; les républiques promulguent des édits sonipluaires ; de grands bûcher» s'allument, Ton jette pêle-mêle les livres profanes,

F^e» Dinrii conteruporains sont tous remplis des miracles des prédica- teur». (Voir pur cxcriipl».', Annuh's Hononii'Hses MiiTiilori, Reruin, p. 918.) i. « Et in clic modo gii 6 morla lu gnllina o «lire novellc. » (I". Tor- raca, Hoherlu ila Lecce, Sludi di storiu ietteraria napolotana, Livoume, 1884, |). l'JO.)

LE PKUPLE. SON' SENTIMENT RELIGIEUX 191

les illiages malhonnêtes, les ornements mondains et llambent, en des feux de sainte joie, « les cheveux morts, les cartes, les dés, les échiquiers, les masques et autres jeux ' ». Le mal est fini. La grâce du ciel lim- pide est redescendue sur la terre. L'humanité, repentie et rappropriée, initie une ère nouvelle de concorde, de bonne amitié, de bon vouloir. « El il nous semblait, écrit le chroniqueur de Viterbo,ôtre tous saints, ayant bonne dévotion -. »

Ils sont innombrables. Ils appartiennent à tous les ordres et à tous les pays. Ils mènent la même vie nomade et prêchent, en se servant des mêmes moyens et en s'empruntant souvent les mêmes images, la môme parole éternelle. Ils s'appellent Fra Alberto da Sarteano, Fra Antonio da Rimini, Fra Giovanni da Pralo, Fra Giovanni daCapistrano, Fra Roberto da Lecce, Fra Marianno daGenazzano, Fra Michèle da Milano, Fra Jacopo délia Marca, Fra Antonio da Bilonto ou Fra Antonio da Vercelli, Fra Bernard ino da Feltre ou Fra Bernardino de' Busli ^. Mais h^ plus charmant d'eux tous est Fra Bernardino de Siena.

Bernardino degli Albizeschi, dont les croisés d'Hu- nyade portent l'image sur leurs étendards, dont les maisons privées gravent sur leur porte le monogramme du Christ qu'il a l'ait son monogramme, dont les communes édictent leurs décrets à son nom, est en même temps le plus célèbre. 11 est Vicaire général de la Stricte observance. Il est le maître des éloquences les plus fameuses : Giovanni da Gapistrano, Roberto da Lecce, Bernardino da Feltre, Jacopo délia Marca. Pin- turicchio peint, contre les murs de l'église de Santa- Maria in Araceli, ses miracles; Matfeo Vegio et Barto-

l. Allegretti, Diario, p. 823.

ti. « Ci pareva essere tutti sanli avcndo buon/i devozione. » [Cro- nache e stalull délia Gif di Viterbo. Florence, 1872, p. tj3.)

3. A ceux-ci qui sont franciscains, on peut ajouter le servite Paolo Attavanti que nous avons vu dans l'Académie pLatonicienne, le domi- nicain G abriele Barletta réputé poursagaité, Taugustin Aurélien JJran- dolini Lippi, latiniste distingué qui prêchait en latin.

i92 l.E QUATTROCENTO

lommeo Fazio racontent sa vie en lalin ; Poggio, Filelfo, jEneas-Sylvius, Guarino, Pontano, Sabollico entonnent en chœur ses louanges, qui remplissent les laudes con- temporaines. De telle sorte qu'il n'y eut personne de plus illustre, qui passât pour plus religieux, qu'on révérât davantage dans tout le siècle, que ce frère prê- cheur, qui était à Massa, dans la province de Sienne, on 1380, qui mourut î\ Aquila, dans les Abruzzes, en 144 i, qui refusa trois fois le chapeau, qui allait avec un petit âne oii il mettait dessus ses livres, dont la plus belle affaire était un sablier enfermé dans un étui de cuir, et qui était rond, jovial, actif, malicieux, pittoresque et enjoué.

Presque toute sa vie, il prêcha. Il ne fit guère que €ela : prêcher; ne voulant ni confesser, ni gouverner, ni paraître, et gardant la « délectation » de son état.

Jamais il n'est si bien que dans une chaire, sous le ciel, devant une foule qu'il exhorte pendant des heures. De prêcher, ça le nourrit : il pèse une livre de plus après chaque prêche. Le temps est bon, ni vent, ni pluie, ni soleil, ni chaleur, c'est un joli temps pour prêcher. «Oh! s'écrie-t-il, quelle allégresse j'éprouve en moi-même à prêcher'! » Ainsi, en belle santé et en belle humeur, il va avec son petit àne et sa grosse réputation, court d'un pays à un autre, traverse tour il tour Milan, Venise, Pérouse, Ferrare, Bologne, Flo- rence, Orvieto, Vollerre, Rome, Sienne, Padoue ; et à Sienne, il s'arrête aux mois d'août et septembre 1427, un citoyen de l'endroit, appelé Benedetto, tondeur de ilrap de son métier, « homme ayant femme et enfants *;i plus de vertus que d'alfaires », recueille mot à mot ses prédications'-.

C'est le malin, avant l'ouvrage, sur la place du

1. « Quanta Ictizia ho io tnlvulta ia me iiiedesimo ncl iiiio prcili- core I »

2. Le prediche vulf/ari di San-Hernartlino ilu Siena dette nelLa jtiuzza. /tel Cftinno l'anno li87, ora primaiiionte cditc da Luciano Bunchi.j biconc, 1880, 3 vul.

LE PEUPLE. SON SENTIMENT RELIGIEUX 193

Campo, entre la tour du Mangia et la Fonte Gaia, et Fra Bernardino parle d'abondance. Il parle comme ça vient, comme (}a sort, à la grâce de Dieu, en toute sim- plicité et en toute rondeur, grosso modo et per figuram quamdam, dit un humaniste, ennemi qu'il se déclare de l'apparat, de la mise en scène, et des jeux d'orgue et des chants d'église, qui sont des chichirichi. Il oublie chemin faisant ce qu'il veut dire. Il interrompt une histoire pour en commencer une autre. Il va à hue et à dia, selon sa disposition et l'occasion ; il conte le Meunier, son Fils et VA ne, le Loup et le Renard, des apologues, des exemples. 11 aime les jeux de mots. Il n'est pas opposé au calembour. Il a beaucoup de talent. Il s'entend à contrefaire les animaux. Il sait faire la mouche qui fait w.s, us, us, et il sait faire la grenouille: «Sais-tu comment fait la grenouille? La grenouille fait qua, rjua, çitaK » Il est copieux en gestes, en mimiques et en grimaces.

(( Dés que tu entends un de ceux-là qui parlent mal du monde, bouche-toi le nez, fais comme ça et dis : oh ! il pue^ ! » Ou bien : « As-tu vu quand un est en colère avec un autre? Sais-tu comment il le montre? Il le montre avec le groin, comme ça, vois-tu. » Ou bien : « As-tu jamais ouï dire comment se lient le petit dans le ventre de sa mère? Il se tient comme ça et il se retourne comme ça-^ » Ou bien : u A soixante ans, l'homme commence à devenir tout petit et replié; il commence à avoir les yeux éraillés; il va le chef courbé vers la terre; il devient sourd; il ne voit plus bien la lumière; il devient édenlé; il arrive à septante

1. « Sai corne fa la ranocchia ? La ranochia fa : qua, qua, qua. »

{1, p. m.)

2. « Quando voi udite niuno che dica maie di persone, subito vi turate il naso e dite : 0 elli ci pute. » (1, p. 154.)

3. « liai tu veduto quando uno è turljato con un altro? Sai corne «lli se li dimostra ? Elli se li dimostra col grugho, vedi, cosi. » (1, p. 350.)

« liai tu niai inteso corne sta il fanciullo nel ventre délia madré? Elli sta cosi, e volge cosi. » (11, p. 426.)

II. 13

194 LE QUATTROCEINTO

OU à huitanle ; et il commence à trembler, et à branler le chef, et il fait ainsi. »

Il emploie le langage que chacun emploie, les termes qu'on connaît, les similitudes qu'on pratique. Il compare la volonté humaine à une casserole qu'il faut couvrir « pour que n'y entre point la mouche du péché. » Il compare la pénitence à une lime qui fourbit l'âme comme la lime fourbit une épée ou une vieille croix. 11 connaît les manières, les procédés, les habi- tudes, les endroits, les gens te et les enfants, les arbres, les bêles, les oiseaux et toutes choses » qu'il aime en bon disciple de saint François, pour l'amour de Dieu, parce qu'elles sont de Dieu. Il connaît comment on fabrique une cuirasse, comment on sèvre un enfant, comment on fauche, comment on entoure un poirier d'épines contre les gamins, comment, au temps du blé ou du raisin, on construit un épouvantait : « Sur le champ de blé, on prend un sac et on le remplit de paille pour que n'y aillent pas les corneilles; et sur ce sac, en met une courge qui semble la tète d'un homme, et on lui fait des bras, et on lui met une arbalète dans les mains tendues qu'elle parait vouloir tirer sur les corneilles; alors les corneilles, se croyant déjà mortes, se tiennent en garde et à l'écart, puis elles s'approchent, puis elles se sauventau moindre bruit, jus(ju'à ce que, enhardies et accoutumées, elles se perchent sur l'arbalète et p... sur la courge ^ » On sent l'homme qui a de l'expérience, des notions, qui s'est môle aux alfaires. Cependant, de temps à autre, l'hor- loge sonne ; alors Fra Bernardino s'arrête pendant qu'elle bat ses coups ; ou bien la pluie tombe, et le prêche est renvoyé à la fois suivante ; ou bien un chien

1. « In Hnl campo dcl grano, elli pigliano uno saco c ciupicitlo di paj,'liii perché non vi vadano le coriKiccliie. E su questo siico si pttne iinri zuiuNi, clic paid la tt-sla iliin iioiiid. <; fasscii lo hraccia o pon^çolij uno balcHlro in niano, l<'S(i clii' par che vit^li baleslrare a le corna- 1 chif... F. non ha ()aura ili iiiilla; o cosi ussicurata, gli va in su! cupo e^ pisciali in capo. » (II, p. 2'J6.)

LE PEUPLE. SON SENTIMENT RELIGIEUX 195

arrive et dérange les gens, et il le fait chasser. Une femme appuyée contre une autre s'est endormie, il la réveille. Il n'a pas peur d'interpeller celui-ci, celle-là, les uns et les autres. « Ah ! je vois une femme qui, si elle regardait vers moi, ne regarderait pas elle regarde : attention, que diable^ ! » Ou bien : « Ohé! de la fontaine, vous qui faites le marché, allez le faire ailleurs ! Est-ce que vous ne m'entendez pas, vous, de la fontaine 2! » Et encore : « 0 femmes, quelle vergogne que le matin, quand je dis la messe, vous faites un bruit tel que je crois entendre un tas d'oies tant vous criez! Une dit : Giovanna l L'autre appelle: Caterina ! L'autre : Francesca ! Oh! la belle dévotion que vous avez à entendre la messe ! Quant à moi, ça me semble un charivari sans aucune dévotion et révérence^! » Quelquefois on lui répond : « Femme, va vite, va cher- cher ton mari... va l'appeler, te dis-je ! Mais, je l'ai appelé ! Je te dis, va, appelle-le. Et si je perds ma place? Non, tu ne la perdras pas. Va. Et puis, il y a assez de place. Mais, je ne pourrai jamais sor- tir... — Je te dis : va et appelle-le... Ah ! enfin ^! » Avec un pareil homme, il n'y a pas moyen de s'ennuyer. Il vous prend, vous oblige, tant il est séduisant, sympathique, affectueux, dévotieux. Il faut l'entendre quand il dit les béatitudes célestes, quand il dit les ravissements du paradis, quand il dit les séries d'anges, et Marie qu'il aimait comme sa dame

1. « Dah ! io ci veggo una donna, che se ella guardasse a me non guarderebbe dove ellaguarda; attend! a me, dico ! » (II, p. 49.)

2.« 0 dalla fonte, che state a far il mercato, andateio a fare allrove ! Non odite, o voi délia fonte ! » (II, p. 270.)

3. « 0 donne, o che vergogna è egli la vostra, che la mattina, nientre che io dico la messa, voi fate unromore taie, che bene mi pare udire uno monte d'oche, tanto gridate ! L'unadice: Giovanna! L'altrachiama : Caterina! L'altra : Francesca ! Oh ! la bella divozione che voi avete a udire la messa! Quanto ch'è a me, mi pare una confusione senza niuna divozione e riverenza. » (11, p. 49.)

4. « Donna, va'tosto, va'e chiama il tuo marito. Va' a chiamarlo, dico. Oli, io, l'ho chiamato ! Io ti dico: va', chiamalo 0 s'io perdessi il lato y Nol perdarai, no. E' c'è lato assai. Oh! io non potrei iiscir fuore ! Io ti dico : va' chiamalo : bene hai fatto. » (II, p. 240.)

106 LE (jUATTROCENTO

et qu'adolescent il avait ds'jà choisie pour épouse, et l'rançois qu'il servait comme personne, et comment rVançois bouclait sa cape avec un brin de genêt, et comment il était semblable h la laine : « La laine veut avoir trois choses : d'abord elle veut être blanche, en- suite elle veutêtre souple, enfin elle veut être pure ; ces I rois choses nous les remarquons chez François ^ » La foi coule de son âme affable et souriante, comme d'une écluse ouverte. « Comme au temps du printemps, dit- il, la terre est enveloppée de fleurs et de choses odo- rantes, ainsi dans tous les temps, Marie est enveloppée d'anges, d'apôtres, de martyrs, de confesseurs; tous se tiennent autour d'elle, lui donnant des chants et des l)arfums très suaves... Et tu la verras monter dans sa gloire, et elle est conviée par tous les esprits bienheu- reux avec tant de jubilation, des chants si doux, une fiHe si grande que rien que d'y penser, c'est déjà une allégresse... Tous les anges l'environnent, tous les .^ archanges, tous les trônes, toutes les dominations, toutes les vertus, toutes les puissances, tous les princes, tous les chérubins, tous les séraphins, tous les apôtres, tous les patriarches, prophètes, vierges, martyrs, tous ientourejit, jubilant, dansant, lui faisant cercle-. » Son cœur est débordant de pitié, de tendresse, d'une sympathie universelle et pressante : «Ah! mes frères et mes pères, aimez-vous ensemble; ah! aimez-vous et rembrassez-vous ensemble ; et si une chose a été mal faite dans le passé, pour l'amour de Dieu pardonnez les injures; n'ayez plus de haine entre vous, afin que vous ne soyez pas haïs par Dieu ; aimez-vous ensemble, et montrez-vous-le l'un l'autre avec les mots, avec le cœur, avec les actes, comme Christ le montra à qui l'avait offensé^.» «0 ma cité de Sienne, dit-il, ô

i. « Lfi Innn vuol aver tre cose, primn vuole esser bianca, secondo vuole CHsen- riiorbida, e terzo viiolt* essere pura : questc Irc cose pos- sianio denolure in Francesco. » (111, p. i'6\.j

2. I. at.

3. III, 1«9.

I

LE PEUPLE. SON SEMLMEM RELIGIEUX l<j7

citoyens, ô femmes, ô mes enfants, n'attendez pas, n'attendez pas, convertissez-vous à Dieu'.» Il dit encore : « Je m'en irai, et quand je m'en irai de vous, j'emporterai un cœur tout gonllé de chagrin et de sou- pirs-. » Et il dit : « Oh! si vous pouviez voir mon cœur, je vous parle si tendrement et avec tant d'amour'M» Et il faut savoir tous les bons conseils qu'il donne et le profit qu'on retire de l'avoir écouta. Au lieu de cette grande pourriture qui désole le monde, Fra Bernardino rOve une famille bien unie, bien voulante, animée d'intentions pures, travaillant, aimant et priant. Selon lui, rien n'est plus beau que d'avoir une belle femme, grande, bonne, sage, tempérée, « et qu'elle vous fasse beaucoup d'enfants». L'homme seul, sans une femme, qui veille au grenier, à l'huile, à la viande salée, qui descend à la cave voir si aucun cercle ne s'estrompu au tonneau, en proie à uneservanl<' voleuse ou indifférente, est un malheureux, quand il n'est pas un réprouvé . « Sais-tu comment va sa maison ? Oh ! je veux le le dire, moi, parce que je le sais. S'il est riche et a du blé, les moineaux le mangent et les rats. S'il a de l'huile, parce qu'il n'y prend point garde, l'huile se verse; lorsque les vases se cassent et qu'il s'en est répandu, il met dessus un peu de terre, et c'est fait. Et du vin? Il va au tonneau, prend le vin et ne j)ense à rien autre ; des fois, le tonneau est sens dessus dessous, et le vin s'écoule. Au lit, sais-lu comment ii est à dormir? Il dort dans un fossé, et comme il a mis le drap, jamais il ne l'enlève, sinon quand il est déchiré. Pareillement dans la chambre il mange; il y a par terre des cosses de melon, des os, des débris de salade, il laisse tout par terre sans jamais le balayer. La table, sais-lu comment elle est servie? Ainsi qu'il a mis la napj)e, jamais il ne l'enlève, sinon quand elle

1. I, ;!;ii.

2. III,8i.

3. 111, 94.

198 LE QUAITROCEXTO

est pourrie. Il nettoie un peu les plats, et le chien les lèche et les lave. Et les pots sont tout gras : Va, regarde, comme sont les pots ! Sais-tu comment il vit? Comme une bête. Je dis qu'on ne sera jamais bien à être seul de cette façon *. »

Fra Bernardino est pour qu'on occupe les filles à la maison. « Y a-t-il à balayer à la maison? Oui. Oui. Fais lui balayer. Y a-t-il h relaver des écuelles? Fais-les-lui relaver. Y a-t-il à éplucher? Fais-lui éplucher. Y a-t-il à faire la lessive? Fais-la-lui couler dans la maison. Mais il y a la servante! Qu'il y ait la servante. Laisse faire à elle, non par besoin que ce soit elle qui le fasse, mais pour lui donner de l'exercice. Fais-lui garder les enfants, laver les langes, et tout. Si tu ne l'habitues pas à tout faire, elle deviendra un bon petit morceau de chair. Ne lui laisse pas ses aises, je te dis. Tant que tu la maintien- dras en haleine, elle ne restera pas à la fenêtre, et elle n'aura pas l'esprit tantôt aune chose, tantôt à une autre. Qu'elle fasse ce qu'il faut pour la maison : trois choses en résultent : primo, il en résulte le plaisant ; seconde, il en résulte l'honnête; et tertio, il en résulte l'utile'. »

1. « Sai corne sta la casa? Oh! io le'I vo dire perché io il so. Se egli è ricco e ha del grano, le pàssare sel mangiano, e' topi... Se egli ha l'olio, perché non vi procura, egli si versa; quando si rompono i coppi e se n'è versato, egli vi pone su una poca di terra, ed è fatto. ET vino? ûnaltnente giogne alla botte, attegne il vino e non pensa più là: talvolta la botte inostrarà dal lato dietro, e il vino se ne va. Sinule, romparassi uno cerchio o due, e egli il lassa andare... A letto, sai corne sta a dormire ? Egli dorme in una fossa, e corne egli ha messo il lenzuolo nel letto, mai non nel cava se non si rompe. Smiilmentc ne la sala dove egli m.angia, quine in terra so'bucciche di poponi, ossia, nettatura d'insalata ; ogni cosa lassa ine in terra senza mai appcna spazzarvi. La tavola sai corne sta? Che in tal ponto vi pone su la tovaglia, che mai non se ne leva, se non fracida. E'taglieri li forbe un poco poco ; e'I can li lecca e li leva. E'pignatti tutti onti : va, mira corne stanno ! Sai come egli vive? Corne una bcstia. » (II, p. 118.)

2. « Evi a spazare in casa? Si. Si? fa spazare a ici. hvi a lavare le scudelle ? falle lavare a lei. Evi a cèrnarc? fa' cérnarc, fa' cér- nare a lei. Evi a fare la bucata? fa' Tare a lei dentro in casa. Oh! egli ci é la fanlo! Ella si sia : fa' fare a lei, non per bisogno che vi ma che clla facci, ma per darle cscrcizio, falle governare i fanciuUlini, , lavare le pezzc o ogni cosa: se tu non l'avezzi a fare ogni cosa, clla «livcntar/i un buon pezzetto di carne. Non la tencre in agio, ti dico. Se tu la terrai in cscrcizio, non starà a le fincslre, non le vagillarà il

LE PEUPLE. SON SENTIMENT RELIGIEUX 199

Il s'élève contre les marchands, qui sont âpres, au gain, durs au pauvre monde, menteurs, parjures, faus- saires, syllogistes et intrigants. Il ne veut pas qu'on pratique le commerce le dimanche et les jours fériés, qu'on vende h terme, qu'on blasphème en vendant, qu'on trafique à l'église, qu'on délaisse sa jeune femme, pour aller chercher fortune en pays étrange. Il déjoue la ruse de celui qui rend vilement sa monnaie à une vieille pour en escamoter une part: « Tiens, tiens, tiens, une, deux, trois, cinq, sept, huit, dix, treize, quatorze, dix-sept, dix-neuf et vingtM » Il enjoint au drapier de ne point trop tirer sur l'aune, à un chacun de ne point profiter de l'ignorance de l'acheteur. « Tu vas vendre ta marchandise sur la place, et vient un étranger qui demande : qu'est-ce que tu veux deçà? J'en veux trente sous. Et au citoyen, tu ne la vends que pour vingt sous^. »

Emu de pitié, soulevéde compassion, il recommande la charité : <( Tu n'entends pas les cris du pauvre monde ; sais-tu pourquoi? Parce que, pour toi, il ne fait pas trop froid; tu te remplis le corps de bien boire, de bien manger, et beaucoup d'habits sur ton dos, et souvent au feu : tu ne penses pas plus loin; corps bien rempli, ame consolée*. » 11 enseigne comme l'on doit pratiquer l'aumône, porter aux pauvres quelque petite chose cuite, quelque petit vêtement quand on les voit nus, avoir j)itié, prendre miséricorde : « Et combien de choses avez-vous mandées là-bas à ces pauvres prisonniers, hein, ô femmes? J'ai appris qu'à peu près deux cami-

capo ora 0. una cosa e ora a un'altra... Tre cose ne segiiitano... prima n'esce il dilottevole ; sicondo, n'esce l'onesto, e terzo, n'esce l'utile. » (II, p. 43JJ.),

1. « tô, uno, due, tre, cinque, sette, otto. dieci, tredici, quattordici, dicessette, dicennove e vinti. » (III, p. 238.)

2. « Vai a vendere la tua mercanzia in su la strada, e vienti uno forestiero a domandare : Ghe vuoi tu di questo ? Vuône trenta soldi ; E al cittadino non la vendi se non vinti soldi. » (III, p. 245.)

3. « ïu non le senti già tu le grida ! Sai perché? Perché a te non fa freddo ; tu t'empi il corpo del mangiar bene, ber bene, e di panni assai in dosso, e spesso al fuoco. Tu non pensi più : corpo satoUo, anima consolata. » (III, p. 196.)

200 LE QUATTROCENTO

soles, et deux paires de caleçons, et une paire de vieux bas troués ont été envoyées pourtant. Je crois que vous mourrez dans vos affaires'! » Et il prêche contre le luxe, la parure, les hauts talons, les manches larges « à vôtir plusieurs pauvres », contre la pompe et la toi- lette, qui constituent neuf offenses à Dieu, à savoir de vanité, de variété, de suavité, de préciosité, d'iniquité, de superffuité, de curiosité, de malignité et de damno- sité. 11 dit : « Qui prendrait une de ces jupes et la tor- drait, il en verrait sortir du sang des créatures*^! » Il dit : « A celle-ci la bouche empoisonne grâce aux onguents : qui se soufre ; qui se salit avec une chose, qui, avec une autre : combien en est-il qui aient les dents gâtées pour tellement se lisser! )>Mais les femmes perverses trouvent des subterfuges : « Ces femmes disent que je leur ai permis les talons hauts de deux doigts; et c'est vrai ; mais certaines prétendent qu'elles ont com- pris deux doigts en longueur. Je n'ai pas dit ainsi, j'ai dit et je dis deux doigts en largeur ^ » Et il proche contre « le péché abominable ». Et il prêche la paix, l'ou- bli des injures, la concorde entre les partis, les ligues, les factions, les divisions et les consorteries.

11 tonne, il fulmine, il fait peur. 11 menace avec frère Bâton, avec la guerre, avec la pesîe, avec la disette, avec les lléaux. Il dit les châtiments épouvantables qui se préparent, l'enfer atroce, tout ce qui arrivera, tout ce qui ne peut manquer d'arriver, si on ne se réduit pas incon- tinent à une vie plus seyante, |)lus propre, plus jolie. El l'on pleure. Encore que le Dieu de Uernarilino ne se réviMe pas sous une face trop terrible, mais, que humain,

1. « K ((liante camicie avete mandate qua giù a quelli povaretti prigioni, eh, o donne ?... lo pur sento che presso a due caniiciuola e due paia di iiiutandce un paio di calsaccie rotto l'ô stato luandato. Ma credoini che infine voi morrete ne la vostra robba. »(III, p. 19G.)

2. « ('An pigliuHse una di quelle rionpe e premossela e torcessela, ne vedresti uscire sangue di créature. » (lil, 19t.)

3. « Dicono qucste donne rh'io le conocdotti che ellono portassoro lo pinncllc due riita aile, e fu vero; ma aicune dicono che tianno intoso due dita per lungo. .Non dissi cusi io : io dissi e dico duc dita \)cr largo. » (1, p. 336.)

LE PEUPLE. SON SENTIMENT RELIGIEUX 201

doucement paternel, il pardonne; c'est « le bon Dieu ». « Il ne veut pas frapper avec la verge, comme fait le maître d'école. Sais-tu comment il fait? Il fait propre- ment comme fait la mère au petit enfant qui ne se comporte pas comme il doit; elle lui dit : « Si je me lève... ah ! si je me lève ! » Et elle menace l'enfant et elle fait semblant. Ainsi fait Dieu'. » « Certaines fois, con- fesse le bon frère, considérant que, pour le monde, on laisse Dieu, je ris en moi-môme-*. » Heureux, malicieux, bien portant, toujours d'une humeur excellente, Fra Bernardino, qui vit en gaieti', proscrit l'exagération, l'outrance, les méchants et tristes excès des grosses rigueurs. Ne pactisant pas plus pour la divine igno- rance que pour la divine pauvreté-^, appelant les visions des bêtises, il sait que la croix suscite aussi des folies. Sa foi est claire, mesurée, tempérée. « Tempère le luth » ! répète-t-il souvent. Elle ne présente rien de rogue, de hargneux, de sévère. Elle ne prétend pas à l'impossible et qu'on fasse ce qu'on pense ne pouvoir faire''. Si on a de la peine à jeûner, hé! qu'on rompe le jrniie. Si on ne saurait aller pieds nus, hé! qu'on s'habille plus chaudement. Scciindiim tempiis et loca : il faut distinguer entre les temps et les lieux. Luî-môme ne se risquerait pas à marcher sur les eaux en dépit du miracle qu'on lui attribue. « Ignores-tu pourtant que saint Pierre allait sur l'eau comme on va sur la terre? Ah! ouichte, moi je ne m'y risquerais point ^. » Et sous

1. « Non viiol far col bastone, corne fa il maestro alla scuola. Sai come fa ? Elli fa propio corne fa la madré al fanciullo, quando elli non fa asiio modo, clie elia gli dice: s'io mi ci levo... Oii ! s'io mi ci levo!... E minaccia il (igliiiolo... » (1, p. 357.)

2. « Cotali volte, io rido da me a me, considerando che psr lo mondo si lassa Iddio. » (III, p. 474.)

3. Ce qui le centriste dans le luxe de la parure, c'est aussi qu'elle constitue un capital improductif. Sur la culture de Fra Bernardino, voir les renseignements que donne Mehus, Vita Amôrog. Ca7nald., p. 38 'k

4. « Adunque non voler fare quello che tu puoi pensare che non potresti fare. » (II, ji. 353.)

3. « Non sai tu cne elli andô su per l'acqua come si va in su per la terra? Non mi ci mettarei gii'i io. » (H, p. 353.)

202 LE QUATTROCENTO

les amorces trompeuses de la vocation qui l'attirèrent un jour, il a su démêler l'œuvre du diable : « Un jour, raconte-t-il, il me vint la volonté de vouloir vivre comme un ange, non comme un homme. Ah ! que Dieu vous bénisse, écoutez un peu pourvoir! Il me vint une idée de vouloir vivre d'eau et d'herbes. Et je pensai m'en aller dans un bois. Et je commençai à me dire en moi-même : « Qu'est-ce que tu feras dans un bois? Qu'est-ce que tu mangeras? » Je répondais ainsi en mon pour dedans, et je disais : « Très bien, et qu'est-ce que faisaient les saints Pères? Je mangerai de l'herbe quand j'aurai faim, et quand j'aurai soif je boirai de l'eau. » Et c'est ainsi que je délibérai de faire; et pour vivre selon Dieu, je délibérai encore d'acheter une Bible pour lire et une peau pour me la mettre dessus. Et j'achetai la Bible etj'allai pour acheter un cuir de chamelle, pour que l'eau ne passât pas au travers, pour que la Bible ne se mouillât point. Et avec ma pensée, j'allais cherchant oii je pourrais bien me nicher, et je délibérai d'aller voir jusqu'à Massa. Et comme j'étais par la vallée de Boccheggiano, j'allais regardant tantôt cette colline, tantôt cette autre, tantôt cette autre. Et je disais en moi-même : «Oh! là, on sera bien... Oh! là, on sera encore mieux! » En conclu- sion, n'allant pas jusqu'au fond de la chose, je retournai à Sienne et je délibérai de commencer à essayer la vie que je voulais mener. Et j'allai là-bas, hors la porte Fallonica, et je commençai à cueillir une salade de laiterons et d'autres hcrbeltes, et je n'avais ni pain, ni sel, ni huile. Pour celte première fois, je commençai à la laver et à la racler, et puis une autre fois nous ne ferons (jue la racler sans la laver autrement, et quand nous serons mieux habitués, nous ne la raclerons plus, et à la fin (h's fins, nous la mangerons sans la cueillir. Et au nom de Jésus, je commençai avec un morceau de laiteron, et, me l'étant mis on bouche, je com- mençai à le mâcher. Mâche, mâche que te mâche, il

LE PEUPLE. SON SENTIMENT RELIGIEUX 203

ne [pouvait descendre. Alors, ne pouvant l'avaler, je dis : « Allons, commençons à boire une gorgée d'eau. » Rave! L'eau ne descendait pas, et le laiteron me restait dans la bouche. Bref, je bus plusieurs gorgées d'eau avec un morceau de laiteron, et je ne pus jamais l'avaler. Sais-tu ce que je veux dire? Je veux dire qu'avec un morceau de laiteron, j'ai repoussé toute tentation ^ »

Ainsi Fra Bernardino, l'an 1427, sur la place de Sienne.

Lorsqu'il mourut, il semblait encore rire, ridenti sîmi/is dit un contemporain, et six ans après sa mort, en 1450, au Jubilé de Rome, le pape Nicolas V cano- nisa en grande pompe ce petit frère prêcheur, qu'on aimait si fort, qui «chantait si clair», qui riait si bien, qui exprima la foi gracieuse de son âge et ne voulut pas se faire ermite pour des laiterons trop amers.

IV

Si la laude est une complainte ou un cri, et si le prêche est une émotion ou une leçon, la sacra rap- presentazione est une fête '. On l'appelle sacra rappre- sentazione, ou vangeh, oupassione, ou storia, ou /esta. Et on y va comme au théâtre.

C'est à Florence, qui l'a inventée, un dimanche, quelque jour de fête patronale, quelque jour de gala singulier, après vêpres •^.

1. II, p. 351.

2. Sur les sacre rappresentazioni, voir D'Ancona. Origini del leatro italiaiio, Turin, 1891, -2 vol. W. Greizenach, Geschich/e des neueren Ih'amas, Halle, 1893. Colomb de Balines, Bibliografia délie cniUche rappresentazioni ilaliane sacre e profane net secoli XV et XVI, Flo- rence, 18.j2. Sacre rappresentazioni dei secoli XIV, XV e XVI, pub. et ilhist. par A. D'Ancona, Florence, 1872, 3 vol.

3. Selon toute vraisemblance, la sacra rappresentazione est le résultat de deux genres accouplés, celui de la laude dialoguée, telle que nous la trouvons en Onibrie, et celui de la scène religieuse, figurée et mimée, telle que nous la trouvons, dérivant du Mystère latin du moyen âge, dans les processions et les fêtes d'église de la Renais- sance. Quelqu'un eut l'idée de mettre dans la bouche des person- nages muets les paroles des laudes, et un nouveau genre littéraire

204 LE QUATTKOCENTO

La scène est dressée dans une église, dans un cloître,, dans un réfectoire de couvent, et quelquefois en plein air, sous le ciel, dans un champ. Les acteurs sont de jeunes garçons, appartenant à des Compagnies de doc- trine telles que celles de San-Francesco, du Geppo, du Freccione, qui ont été éduqués par le festa'molo qui leur a appris à bien dire, à bien citer, à faire les gestes, à se tenir, qui leur montre et qui leur souffle. Alors le peuple qui est de loisir et qui n'a rien à payer, le peuple qui a travaillé dur toute la semaine vient voir au lieu d'aller jouer sur la place ; c'est à voir.

11 y a des trucs ou ingegni. Brunelleschi en personne les fabrique.

On y voit, « en haut, un ciel rempli de figures qui bougent et une infinité de lumières se couvrir et se découvrir comme en un éclair' ». On y voit le Christ, emporté de dessus une montagne « très bien faite, en bois, par une nue remplie d'anges '. » On y voit « les anges qui viennent pour l'àme de sainte Cécile et qui la portent au cieL^ ». On y voit « un temple plein de colonnes et, sur chaque colonne, une idole d'or ou d'argent'* » et la bouche de l'enfer, et des coups de foudre qui cassent tout, et une grande amande qui s'ouvre, et des serpents, et des dragons qui marchent. Sans compter les chansons, les musiques, les baïKjuets, les joutes, les cortèges, les chasses, les batailles, tous les intermèdes. Dans Santa Margherita, il yen a un

fut créé. Il a surtout Henri à Florence dans la seconde moitié du Quatlrocento. Sur les prcniirres formes de la sacra rnpixesentti- zione, voir V. de Uartholoinifis, l)i un codice sane.se di sacre r.ip/nr- senluzioni, Lincei, Rome, 18'J0, p. :illi ; (Jna rappresenlaziune ineililu dell'fipp/irizionc ad Eminaus. Ih , I8'.»"2. p. 76!) ; Di ulcune uiUiche rnpprexenlnzioni ilaliane, Sliidi di fil. romanza, VI, ISD.'t, p. 161.

1. « In alto im cielo pieno di (ij^ure vive muoversi, c una inlinità di lunii quasi in un haleno sc,o|)rirsi e ricoprirsi.» (Vasahi, Vilti di liru- nelleschi, éd. Milane.si, II, |). 'M").)

i. « Crislo levato di sopra un monte, Itenissimo fatlo di lcf,'nauu', da una nuvola piena d'Angcli. » (Vasahi, ViLa del Cecca, il>. III, 1117.)

.'i. « Il cielo s'aprc e gli Angeli vengono per l'anima, c portonla in Cielo. »

4. < Un tenipio pieno di colonne, in su o^mi colunna un idolo o d'oro 0 d'arii^culu. »

LE PEUPLE. SON SENTIMENT RELIGIEUX 205

qui danse la îiwrcscn avec les sonnailles. Dans Santa Cristina, « quelques jeunes filles s'en vont chantant une belle chanson ». Dans Abramo e Isac , « ils font un bal on chantant une laude ». Dans San liossore^ « on fait le banquet, et on danse et on chante et on joue ». Dans Santa UHva, c les cavaliers et jouteurs font le tournoi avec trompettes et allégresse ». Dans Eu.stachio, il y a « un char triomphal sur lequel monte Eustachio, et il est tiré par deux chevaux, et devant il y a la mu- sique, et les trésors gagnés, et les prisonniers liés», et dans Judith, « les Assyriens font une grande charge contre ceux de la cité avec arcs et flèches et arquebuses, et les Hébreux se défendent virilement et, la bataille finie, cbacun retourne à son pavillon', »

Il y aies supplices. On écartèle, (m tenaille, on roue, on verse du plomb fondu, on brûle les gens sur le gril, onleur arrache les seins, on leurarrache la langue. Le bourreau casse les dents à Sanla Appollonia, frappe San Lorenzo de balles plombées, de fouets, de scorpions, enlève avec des fers la peau à Sanla-Gristina et en jette un morceau à la face de son père. Santa Giuliana est conduite à une roue garnie de rasoirs, Santa Dorotea osl lacérée avec des crocs pointus. San Ignazio a le cœur arraché de sa poitrine. Le sang gicle ; les chevalets sont dressés ; les cordes sont graissées ; les charboris sont allumés. Il y a enfin les histoires.

Ce ne sont pas des histoires de brossées et de paladins, des histoires d'OrlandoeUle Rinaldo, mais desaintes his- toires, de belles histoires qui édifient et font du bien et qu'on ne sauraittropentendre, comme, parexemple, l'his- toire â\i/jra/ia?net ïsaac, l'histoire à" Abraham et A(jar et V\i\^io\TQ;([G Joseph, fils de Jacob ^Vhhlo'iYQ àaV Enfant pro- digue ;ovl bien les histoires de la Heine Esther, de Tobie, de San/, de Barlaam et Josaphat, du Roi superbe, rem- placé quand il est en guerre par un ange ; toutes les his- toires des évangiles ; celles de grands saints et de grandes

1. D'Ancona, Orir/ini del tealro, I, oi'6.

206 LE QUATTROCENTO

saintes, très belles histoires; et les histoires de pauvres de- moiselles cruellementaccusées, persécutées, martyrisées ; de Madonaa Guglielma, qui est calomniée par son beau- frère et qui, au désert, reçoit de la Vierge Marie le don de guérir; de Madonna Stella, qui est calomniée par sa belle-mère et se sauve dans un bois ; de Madonna Uliva, qui possède des mains « comme on n'en trouve point ^ », et qui est aimée par son pèreTempereur à cause de ses belles mains, et qui se coupe elle-même ses deux mains, et qui est rencontrée dans une forêt parle roi de Bretagne, et qui est assaillie par un baron félon, et qui est cour- tisée par le prêtre au couvent, et qui est jetée à la mer dans une caisse, et qui est épousée parle roi de Gastille, et qui est condamnée à être brûlée vive par la méchante mère du roi, et qui est derechef jetée à la mer dans Uiifi caisse avec son enfant, et qui arrive au bord du Tibre chez deux vieilles, et qui, douze ans après, est retrouvée par le roi de Gastille venu en pèlerinage à Rome.

De telles histoires sont communes, familières, domes- tiques. On les a vues peintes dans les églises. On les a vues mimées sur des chars. On les a entendues chan- tées dans des laudes. Seulement cette fois elles ne sont pas que peintes, que mimées, que chantées : elles sont représentées au naturel. 11 n'y a pas à regarder ou à écouter : il y a à regarder et h écouter à la fois. Los gens vont, viennent, bougent, se meuvent, marchent, s'assoient, font les gestes, portent d3 vrais habits, de vraies armes, de vraies couronnes ; ils voyagent, prient, se convertissent, se battent, ont des cafants; ils airaiint, détestent, dorment, mangent, boivent; et ce qu'ils font, ils le disent ; ils disent au fur et h mesure tout ce qu'ils font; ils disent tout, expliquent tout, commentent tout, accompagnant chacun de leurs actes par une parole ; ou

1. « E dolle belle se ne Irova assai.

Ma non hunno le luan corne tu hai. »

(S. H., II, p. 253.)

LE PEUPLE. SON SENTIMENT RELIGIEUX 207

plutôt ils le chantent ; car les sacre rappresentazioni sont écrites en octaves qui veulent ôtre chantées. Et rien n'est plus merveilleusement beau.

Tout d'abord, de pareilles histoires représentées au naturel, on retire « un bon fruit ». On s'y éduque, on s'y édilie et on s'y rapproprie. On est à l'église, et d'avoir assisté à une sao'a rappresentazione, c'est aussi salu- taire, aussi méritoire et aussi charmant que d'avoir chanté une laude ou d'avoir écouté un sermon.

Les personnages qu'on vous montre sont gracieux, honnêtes, civils, bien parlants, bien voulants, remplis de doctrine et de foi, propres à servir de modèle et d'exemple. Santa-Uliva est dans sa chambre, parmi ses femmes, à répartir l'ouvrage et à chanter dévote- ment une jolie laude, quand son père vient la trouver. Santa-Barbara, enfermée dans une tour qui n'a qi . deux fenêtres, y perce une troisième fenêtre, tant elle se révèle jalousement observatrice de la Très Sainte Trinité. Santa-Margherita païenne, au prêtre qui lui offre sans autre le baptême, ne demande pas : « Quoi, qu'est-ce, pourquoi? » elle s'écrie: « Je me consume, il me semble qu'il y a mille ans à attendre, ne tarde plus, accorde-moi ce don ' ; » et lorsque les flammes du martyre l'enveloppent, elle dit : « Maintenant je deviens de condition meilleure, comme l'or qui, au feu, se montre plus parfait- », ce qui est très joli. Si Dieu ordonne à Abraham de sacrifier son fils, Abraham saute immédiatement de son lit sans ratiociner davan- tage ; et quand l'Ange montre aux bergers de Judée l'étoile de Bethléem, les bergers prennent à peine le temps de manger un morceau au préalable, histoire de se garnir l'estomac; ils partent incontinent; ils

1. « lo me ne struggo, e parmi già mille anni, Non ditferir, concedimi tal dono. »

(S. R.,II, p. 125.)

2. « Divento or di miglior condizïone

Si come l'oro al fuoco è più perfetto. »

(S. R., II, p. 137.)

^08 LE QUATTROCENTO

emportent de beaux présents pour le petit Jésus, qui six pommes, qui trois fromages ; et Joseph leur dit : « Je vous remercie autant que je peux d'avoir apporté autant de fromages ; mais il eut suffi d'en apporter deux seulement ; l'autre vous l'eussiez gardé pour vous'. » Voilà comment on parle, comment on agit, quand on a de la religion et de l'usage.

Les uns et les autres chantent des laudes; les uns et les autres entonnent des Te Detmi; les prêtres en surplis administrent le Saint-Sacrement ; les prédica- teurs, qui s'appellent Jésus, Timothée, Origène, montent en chaire et prononcent des sermons aussi véritables, aussi profitables que ceux entendus sur la place ; des cantiques s'envolent, des prières s'élancent, des fumées d'ostensoir s'élèvent. On croirait assister aux saints offices; on y assiste.

En même temps on s'y instruit; car les choses vous sont expliquées. Gomment, par exemple, admettre la Trinité une et triple tout à la fois ? Saint Sylvestre le démontre en faisant trois plis à son manteau 2. Ou Ijien, pourquoi est-ce que Dieu a ressuscité Jésus le troisième jour et non déjà le second jour? Parce que, dévoile San Rossore, si Dieu avait ressuscité Jésus le deuxième jour, les Juifs n'auraient pas cru au miracle et auraient dit que Jésus n'était qu'endormi. A ceux qui sont délicats, fréquentent dans les livres et récusent les écritures des très grands prophètes, le prêtre de Santa-Apollonia, aussi docte que Messer Marsile, cite, en faveur du Christ, Orphée, Hésiode, Antisthènes, Chrysippe, Zenon, Anaximène, Arleante, Cicéron, Arislote, Platon, Pythagore. « En Dieu règne bonté

1. « lo vi ringrazio quanto posso piue Di lanto cacio ch'avete arrecato : Hastuva 80I0 arrecarcene due, L'altro per voi avessi riscrbato. »

(S. II., I, p. liin.)

2. « Che tre personne sic un Dio solo c dcgno Trc picghe in un sol panno ne dan uegno. »

1

LE PEUPLE. SON SENTIMENT RELIGIEUX 209

sans aucun vice, selon le témoignage de Platon^ », dit Santa-Barbara. « Déjà ces choses, dit Santa-Marghe- rita, Socrate les avait entendues, et Platon, et Aristote d'esprit élevé'. » Il sied d'être juste, doux, miséricord, de faire l'aumône, d'assister les malades, de visiter les prisonniers ; ces vertus trouvent leur récompense, comme on peut le voir de ce que l'ange disait à Tobie. Il lui dit:

Quand tu priais Dieu avec des larmes,

Je portais tes larmes devant la face de Dieu :

Tant daumônes que tu as données pour rameur de Dieu,

Que tu as données d'une affection pure,

Les malades, les prisonniers que tu as visités,

Les morts que tu as ensevelis avec amour,

Voilà les raisons pour lesquelles je suis venu

T'aider toi et ton enfant-^.

On recueille de tendres paroles, de pieux enseigne- ments, de fortes et héroïques résolutions.

« Crois-tu vraiment en un seul Dieu, seul et trois, comme tu l'as dit? Je crois. Et en Jésus-Christ, vrai Fils du Père éternel et de Marie? Je crois. Qui fut conçu d'elle et naquit d'elle sans douleur et par vertu divine? Je crois. Qui fut crucifié, qui est mort, qui est ressuscité? Tout mon cœur croit et se fortifie dans la foi^. »

1. « In Dio re^na bontà senza alcun vizio, Seconde il testitnonio di Platone. »

(S. R., H, p. 79.)

2. « Già intesse çjuesto Socrate e Platone E Aristotile d'ingegno elevato. »

(S. R., II, p. 131.)

3. « Quando al Signore con lagrime oravi, lo le portavo innanzi al siio cospetto : Le limosine tante che tu davl

Per amor del Signer con puro atfetto, Gli infermi e jncarcerati visitavi E sepellivi e morti con diletto, Sono stato cagion ch'io son venuto A dare a te e al tuo figliuol aiuto. »

(S. R., I, p. 127.)

4. « Gredi tu veramente in un Dio solo

E tre persone corne hai detto ? Credo.

II. 14

210 LE QUATTROCENTO

Au pied de la croix, devant le Fils mort, Marie se désole :

O mon doux fils qui t'a tué ? Chère espérance, ô mon Père, ô mon Dieu, Asile et port de mes justes pensées, Douce espérance, amour sur tout amour, Au moins si je t'avais porté quelque confort ! A son père, ils ont bien laissé Isaac^

Dans la Disputa^ Marie exhorte ses fils bien-aimcs :

Fils bien-aimés qui croyez sur la terre Trouver mon fils, le Dieu compatissant, Ne restez point en cette rude terre. Car Jésus n'est point avec le méchant. Qui l'y veut voir bien lourdement se trompe. Et comme un fou il meurt dans le désir. Qui le veut aille au temple, entre dedans. Car votre vie est comme feuille au vent 2.

Marie-Madeleine convertie pleure toutes les larmes de ses yeux :

Faites mes yeux de larmes une rivière Pour pleurer qui j'ai si fort offensé. Sans prendre garde à la claire lumière, Pleurez le temps que j'ai mal dépensé,

Et in Cristo Jesù, vero figliuolo

Del Padre eterno e di Maria ? Credo.

(S. R., Il, p. 83.)

« 0 doice figliuol mio, chi mi t'h« morto ? Gnitn speranza, o mio padre e Signore, De' niia giusti pensicr salute e porto, iJolce speranza, .sopra ogni aitro amorc. Almen t'avesse io dato alcun conl'orto...

(S. R., I, p. 325.)

a Figliuo' diletti ! Clie cerrate in terra, Trovar il ligliol mio, pieloso Iddio, Non vi fcniiate in qut-sta rozza terra (îhé Jesù non istà col mundo rio.

LE PEUPLE. SON SENTLME.NT RELIGIEUX 2H

Pleurez tous les plaisirs, les vilaines manières,

Pleurez le bien que j'ai mal entendu,

0 doux Jésus, ô Jésus, ô pitié.

Pour l'âme à qui plus repos ne se trouv e .

Ces douces choses, ces claires choses, que les anges, les saints, les rois descendus du paradis, viennent dire, chassent du co!ur l'obstination mauvaise;, fondent le cœur, l'enveloppent d'un baume de tendresse. De candides émotions envahissent l'âme; de ravissantes larmes montent aux yeux ; un flot de pureté couvre et noie les habitudes vulgaires, les expressions ignobles, les goûts grossiers et sarcasliques. On pleure, et quand on a assez pleuré, on rit, car dan ; les sacre rappresen- tazioni, il y a aufvsi de quoi rire.

11 n'y a pas que les saintes figures d'anges, d'archanges, de patriarches, de vierges, de martyrs, de dames, de demoiselles, il y a les autres, et, à côté du ciel, la terre se montre. Il y a les marchands lourds d'écus et gros d'importance, les évoques fourbes et simoniaques, les soldats à la bouche remplie de gou- lots et de jurons, les bourreaux aux manches joyeuse- ment relevées, les détrousseurs de grands chemins, les postiers et coureurs, les taverniers, les astrologues, les juges, les médecins, les notaires, la canaille, la racaille, la fripouille et les moines.

Les moines sont, à la vérité, des hypocrites, des pail- lards et des gloutons; si on peadait tous les voleurs,

Chi vel crede trovar, fortemente erra E conie stolto morrà nel disio. Al tempio, chi lo vuol, venghi oggi drento. Ghè il viver vostro è corne foglia al vento.

(S. R., l,p. 240.) 1. « Occhi niia fate di lacrime un fiuuic

Per pianger quello ch'io iio tanlo oH'eso, Non risguardando il vero e chiaro lume : Piangete il tempo ch'io ho uiale speso, Piangete ogni piacere e van costume, Piangete il bene ch'io ho mal inleso : 0 dolce Jesù mio, pietà ti muova Deiralma che nïun riposo trova. »

(S. R., 1, p. 278 )

2i2 LE QUATTROCENTO

il n'y aurait plus de moines ; et ce qu'ils savent le mieux trouver, c'est le fond d'une écuelle^ Les gueux, béquillards et claquedents, geignent, pleurent, disent des litanies, tendent la main, et la monnaie jetée par le passant, se ruent sur la monnaie et chantent en chœur la divine paresse. Les garnements de la rue ou de la campagne s'accroupissent par terre, blasphèment, insultent et jouent aux cartes. Les médecins sont appe- lés au chevet de Lazare ; ils arrivent les doigts chargés de bagues, parlent en bus et en basse, ne voient rien à la maladie de leur client et l'envoient m extremis le plus gaillardement du monde. Les nourrices compa- raissent devant Hérode : « Gomment s'appelle ce poupon ? Il s'appelle Abraham. Le mien Petit Samuel. Oh ! Monusmelia, le vôtre est si rogneux, ne l'approchez pas de ces poupons. C'est un peu de croûte de lait. Oui, de la croûte de lait, de la lèpre! Regarde le mien s'il est candide, et blanc, et rose, et blond, et il vaut cent florins! Bien qu'il soit beau, il me semble un vilain petit rat, et il a le visage fait comme un singe-. » Dans le temple de Jérusalem, avant que Jésus monte prêcher, deux commères se disputent une place : « Monna Francesca, ça c'est ma place, vous me l'accaparez trop souvent! Regardez la menteuse! Xwv a-t-elle un caquet! Reste tranquille. Tu sais bien que ce n'est pas la place. On dirait vraiment qu'elle l'a achetée, celte place. Chaque matin, c'est à recommen- cer ce commerce. Allez, allez à vos affaires. Que le

1. « Ognun ritrova alla scodella il fondo. »

(S. R., p. 426.)

2. « Conie ha nome queslo bambolino?

Ha nome Abrom. E'i mio Samuellino.

O Monusmelia, el vostro é si rofjnosol Non l'accoslalc a qucsti banibolini.

Etfli è un po' rli lattime. Anzi 6 lebbroso. E debbe essor fornilo a' peilcf^rini. Giiarda se'l mio 6 candlcJo e biaiicosol E biancoe i)i<indo, e val tcnlo fiorini.

Heiichè d^li è bcllo, é pare un Ifipaccino Ed ha un viso conie un bcrtuccino. »

(S. R., I, p. 201.)

LE PEUPLE. SON SENTIMENT RELIGIEUX 213

prédicateur ne vous trouve pas par ici ^ » Ailleurs, deux voisines se prennent de dispute pour une poule : « C'est pourtant un peu fort que je ne puisse jamais goûter un œuf de ma poule et que cette voisine me les vole toujours ! Elle est tellement habituée à voler qu'elle mérite d'être appelée la reine des voleurs ! Vous dites des mensonges, MonnaMinoccia, parce qu'elle ne fait point d'œufs, votre poule. Ne voyez-vous pas qu'elle couve toujours et qu'elle est devenue poule couveuse? Si vous n'avez rien à faire, occupez-vous à décrasser votre figure! Oui, oui, on sait de quels vieux péchés tu es remplie. Ne te rappelles-tu pas, quand je peignais le lin, que tu m'en as volé quatre ou cinq quenouillées! Tu dois avoir trop hu-. » Au coin de la rue, se dresse l'osteria, avec son enseigne, son bruit de vaisselles, le fumet odorant de ses sauces; l'hôtesse y trône ; le garçon répond au sobriquet de Dormi, tu dors ; et l'hôte, le bonnet à la main, s'empresse devant l'Enfant prodigue et ses compagnons : « J'ai à vous donner bouilli, chapons engraissés, fastueux et par- faits ; puis du saucisson avec du veau ; tourtes con-

1. « Mona Francesca, cotesto è il mio lato ; Voi pur me lo togliete spesso spesso.

Guarda, bugianla; tanto avestù fiato 1 Sta' cheta, tu sai ben che non è desso. Par proprio che tu l'abbi comperato ; Ogni niattina c'è che far con esso, Tirate via pel vostro migliore,

Che non vi truovi qui il predicatore. »

(S. R., I, p. 272.)

2. « L'è pur gran cosa délia mia gallina Non possi mai im uovo sol gustare,

Chè me la ruba questa mia vicina ! Ella si è tanto avezzata a rubare Che mérita de' iadri esser regina!...

Voi dite la bugia, monna Minoccia, Perché la non fa uova ; non vedete Checova sempre e diventata è chioccia !...

So che sei piena de' tuoi vizi vecchi, Sai ben che quando pettinavo il lino Me ne rubasti cinque o sei peniiecchi.

Tu debb'aver beuto troppo vino. »

(S. R., II, p. 340.)

214 . LE QUATTROCENTO

ditionnëes ; et bons ragoûts ; poulets rôtis pour tout vous dire; plats qui, au goût, sont nets et fins; pigeons et grives; et tourterelles; et faisans; vin âpre; vin tondo; plusieurs trebhiani^. » Au moment de régler les comptes, le ton change : « Allons, les mains aux poches, allons, vite, baillez là. J'ai pas de temps à perdre. Regardez s'ils paraissent fatigués du chemin ! Ils ne peuvent plus trouver leurs bourses. Tiens, voici trois carlins! Il y en a trop qui manquent. bien, si tu ne les veux pas, laisse-les, Il n'y a pas besoin de se lever de chaise!... » L'hôtesse intervient en faveur des chalands : « Voyons, laisse-les aller, fais-leur plaisir. Je crois bien t'avoir dit mille fois de te tenir tranquille, malheureuse folache! Et moi, je veux parler et parler à ton bonnet, eussè-je la langue coupée. Prends garde que je ne te prenne par le toupet et ne te fasse parler plus doucement. Oui, essaie un peu. Voilà qui est essayé! Va-t-en, làche-moi, b... de misérable^. » A la campagne, autour d'un pot de vin, deux /a^/on, deux métayers raisonnent

1. « Per dirvi el vero, io ho per darvi : lesso, Capponi ispanti, istiati e perfetti;

E salsicciuol con la vitella appresso, Con torte vantaggiate e buon gua/zetti; Pollastri arrosto, a dichiararvi espresso, Cibi che al guslo sian puliti e netti : Pippioni e tordi e tortole e fagiani, Via tondi e bruschi. e divers! trebbiani. >

iS. R., 1, p. 369.)

2. « Chi di vol paga? orsù. le mani ai fianchi ; Presto, su, date qiia: ho altro a fare.

Vedi se pajon del cnmmino stanchi, Che non posson le borse ritrovare 1

Eccoti trc carlin. Troppo mi manchi.

E se tu non gli vuoi, lasciali stare.

Non bisogna levarsi da sedere.

Orsù lasciagli andar, fa' lor piacere.

Credo di averti mille volte detto Che tu sia cheta, pazza sciagurata.

Io vo' dire, e vo' dire a tiio dispetto Se benc avcssi la lingua tagiiata.

Guarda ch'io non li pigli pel ciufelto E ti Tacci parlar piii moderata.

Ombè, provali un p<»' 1 Decco provato.

Orsù lasciatni star, brutto sciaurato. »

(S. H ,111, p. 257.)

LE PEUPLE. SON SENTIMENT RELIGIEUX 215

de leurs patrons, des exigences de leurs patrons, des tours à jouer à leurs patrons;

Randello, j'ai un patron maudit Qui mieux que vin la futaille mesure !

Au diable, as-tu vraiment si peu d'esprit Que de trouver une excuse te dure ! Dis-lui : Cet an, le grain est tout petit : Voyez plutôt comme Técorce est dure ! D'une chanson, il te faut le payer.

Dis-lui : j'ai faim, je voudrais bien dîner'.

Sur le champ fauché, le blé coupé a pris feu. Il brûle. Les massaie, les ménagères, accourues, s'ar- rachent les cheveux:

Mallieur à moi! Adieu le tablier,

La jupe neuve et les petits souliers!

Tout brûle, épis, outils, grange, aire et ferme.

Oui, va, laboure, au sarcloir, au râteau !

Rt de deux ans, il faut payer le terme ?

Et pour Nanni, comment payer l'impôt 2?

Tous ceux qu'on voit, qu'on pratique, qu'on connaît, qui remplissent la rue ou la campagne, qui habitent le palais ou l'échoppe, qui fréquentent le cabaret ou l'église, se dressent les uns après les autres. Ils gardent leurs jurons, leurs chansons et leurs façons; ils font

1. « Randello, io ho un oste maledetto Che non clie il vin, le bi;^onc« misura...

0 diavolo, hai tu si poco intelietto Che a trovar una scusa al)bi paura ?

Digli : in quest' anno il granello è ristretto: Vedete corn' egli ha la buccia dura; E perché un conto in paganiento prenda Digli : io ho famé, io vo'ire a merenda. />

(S. Il, II, p. 398.)

2, « 0 tapinata a me ! Ecco il grembiale E le scarpette e la gonnella nuova!

Egli arde i'aja e le biche et le pale!...

Or va e zappa e logora el sarchiello! E di dua anni il fitto s'ha pagare !

Et corne pagherà Nanni el balzello? » (S. U., I, p. 83.)

216 LE QUATTROCENTO

comme on a l'habitude de faire; ils portent les robes, les chausses, les casques, les couronnes, les costumes mi-partie que porte le monde; ils tirent de l'arc, de l'arquebuse et des bombardes; ils sont gourmands de vernaccia ou de malvoisie; ils usent la monnaie cou- rante de ducats, de florins, de holognini et de carlini ; ils savent ce qu'est le Bargello, comment on joue au tarot, 011 sont les fameuses auberges du Buco et du Panico. Pharaon cite Mercure, Mars, Jupiter; les astro- logues de Santa-Barbara connaissent les tables du roi Alphonse ; Nabuchodonosor fait venir à lui Donatello qui est après la chaire de Prato et lui commande sa statue en or. Dans Panl^ on voit le Podestat et un che- valier de l'Eperon d'or. Dans Sant- Antonio, il est parlé du monastère des Murate, du barbier Ricci, du frère du libraire Vespasiano. Dans Santa-Cecilia. les gar- çons empêchent l'épouse de passer en lui faisant un serraglio.

Aussi bien le peuple adore les sacre rappresentazioni. Il ne sait pas qui lésa écrites, comme il ne sait pas qui a écrit les laudes qu'il chante. Ceux-là mêmes qui les ont élaborées, bourgeois pieux, femmes dévotes, poètes d'occasion, amateurs, canterini ou inconnus, Feo Bel- cari et Castellano Castellani, Bernardo Pulci et Anto- nia Pulci, le héraut Antonio et le patricien Tommaso Benci, Laurent de Pier Francesco, qui est unMédicis, et Laurent de Médicis lui-même, n'y attribuent pas d'autre importance, allant jusqu'à s'emprunter des scènes entières, demeurant fidèles à l'anonymat du genre et ne cherchant point à le marquer d'aucune personnalité artisti(jue. H ne s'agit |)oint, pour eux, de faire œuvre d'art, il s'agit de faire œuvre pie; et pour le peuple, il ne s'agit point de venir applaudir un (aient, il s'agit de venir recueillir c un bon fruit». Et le peuple y recueille un bon fruit.

Dès qu'une sami rappresentazione est annoncef' quelque part, il s'y rend avec exactitude et en foule, de

LE PEUPLE. SON SENTIMENT RELIGIEUX 217

longues heures d'avance, et, en attendant le début du spectacle, avant que l'Ange soit venu expliquer en quelques paroles faciles et compréhensibles l'argument et la morale de l'argument, il passe le temps comme il peul, à rire, à causer, à se jeter des pommes, à se ^ monter sur les épaules par plaisanterie. Mais, dès que l'Ange apparaît, religieusement il se tait.

Il s'intéresse à l'ingéniosité des machineries. Il frémit d'hoireur à l'épouvante terrible des supplices. Il se récrée aux jolis intermèdes, il y a des Nymphes, des sirènes, des danseurs, des chanteurs et Cupidon. Il se réjouit aux belles images vivantes, aussi pures, aussi délicatement colorées, que les Nativités, les Annoncia- tions, les Adorations qu'on voit peintes dans les églises. Il se remplit les yeux, les oreilles, la mémoire, l'esprit, le cœur, de nobles leçons, de pures formes, de tendres exemples, de souvenirs de piété, de bonté, de ferveur consolante. Tout à la fois au théâtre et à l'église, il s'édifie et se divertit du même coup; il prend un plaisir en accomplissant un exercice pieux ; il se délecte en travaillant à son salut.

De telle sorte qu'à Florence, qui inventa le genre de ce spectacle dévot et de ce divertissement sacré et qui lui donna son développement le plus magnifique ^ il n'y avait presque pas de fête solennelle sans l'apport obligé d'une rappresentazione sacra.

C'est ainsi que la foi du peuple, qui s'exhale en laudes de pureté, qui, à l'église, se complaît aux beaux spectacles, qui, sur la place, éclate en sanglots devant la prédication du frère, inspire, en dehors du grec et du latin, toute une littérature de tendresse.

1. Sur les rappresenlazionisacreGTxàéhov?, de Florence, voir D'Ancona, Origini, 1, 277; de Bartholommiins, Studi di fil. romanza, VI, 1893, p. 293; Torraca, Studi di storia letteraria napoletana, Livourne, 1884, p. 24.

218 LE QUATTROCENTO

Sans doute qu'à examiner ses humbles produits, on s'aperçoit que cette foi s'est adoucie et éclaircie. Elle s'est départie de la flamme sombre et du zèle farouche d'autrefois. Elle n'est plus l'arbre noueux et rugueux qui incrustait dans les entrailles du sol ses racines puissantes et profondes. Elle est devenue une floraison lumineuse et souple, chargée de rosée et de corolles, éclose au soleil indulgent du bon Dieu.

Mais cette floraison est aussi vivace que charmante. Elle répand sa grâce et son parfum sur toute la vie du pauvre peuple. Et elle va s'épanouir pleinement dans la langue des images et des formes, qui est la mani- festation suprême, la manifestation la plus spontanée et la plus pure, de l'esprit populaire italien.

CHAPITRE III

LE PEUPLE. SON SENTIMENT ARTISTIQUE

1. Tempérament artiste du peuple italien. Développement de ses facultés visuelles. 11 pense par imafjes. Son langage naturel est l'allégorie. Le luxe, la loi et les fêles sont des plaisirs des yeux.

La vie pittoresque. Attention du peuple pour les formes colorées.

Ses qualités picturales.— Son souci de la beauté. —Ses véritables interprètes sont les maitres-imagiers.

il. Les artisans quattrocentistes. Leur condition populaire. Leur origine. Leur éducation empirique. Leurs Besognes et leurs préoccupations techniques. Leur paie. Leurs prétentions à être bien nourris. Leur fantaisie et insouciance des réalités de la vie.— Leur vie à laboutique. Leur belle humeur. Leur pauvreté.

m. L'œuvre des artisans quattrocentistes.— La langue decette œuvre est le vulgaire. Gomment elle s'inspire de l'antiquité. Comment elle copie la nature. Son réalisme et ses histoires. Sujet et style de ces histoires. Leurs épisodes, leurs anecdotes et leurs iacéties. Leur dévotion. Leur souche populaire et leur corré- lation avec la littérature populaire. L'art, témoignage du peuple.

L'art, propriété du peuple. Intérêt passionné du peuple pour les arts ou dessin. Le peuple, client des artisans.

I

Car le peuple est artiste, si Ton attribue a ce mot artiste l'acception un peu spéciale, qui prosuppose le sens et le goût des formes colore'es et l'intelligence du monde extérieur.

Pour qu'il comprenne, il faut, il a toujours fallu, qu'il voie. Chez lui, ce qui vit, ce sont les yeux, et ce sont ses yeux qu'il s'agit d'atteindre, pour atteindre son esprit, tellement que les Républiques et l'Eglise lui parlent autant par tableaux que par ordonnances, ency- cliques ou sermons'. Il ne pense point par idées, il

1. Bologne peint contre les murs de son hôtel de ville les supplices qu'elle intlige. En 1288, Florence ordonne que le podestat fasse peindre le failli contre le mur do sou palais dans le mois qui suit sa condam- nation. il<i (jiiod videri jjossi/ pulam et juibbllcf. Vu l't78, après la con- juration des Pazzi, on ne se coulentc pas de pendre les traîtres, on les

220 LE QUATTROCENTO

pense par images, ou, du moins, il ne pense pas, il imagine. Pour lui, l'idée nue, sèche, abstraite, rc^duite à la pauvreté de signes et de formules, ne veut rien dire, reste muette, tant qu'elle n'a pas été traduite et réalisée en quelque œuvre de beauté. Sa langue natu- relle n'est point, comme ailleurs, le symbole qui découvre sous l'enveloppe matérielle le contenu idéal, mais l'allé- gorie qui habille d'une forme concrète l'abstraction. La mort lui représente un crâne, un squelette, le cadavre fétide et marbré, qui pourrit dans le cercueil. Dieu le père est un noble vieillard à barbe blanche. L'Esprit-Saint est une colombe.

Son âme plastique a besoin de matérialiser tout ce qui l'effleure, et se répand comme elle se satisfait, au dehors. Le luxe est un luxe d'apparat : celui de l'habit, de l'équipage, de la façade du palais. La foi est l'adora- tion apportée à des êtres circonscrits, réels, évidents, qu'on voit, qu'on reconnaît, qu'on baise, d'essence divine, puisqu'ils sont de beauté divine. Les fêtes qu'on donne au peuple ou qu'il se donne sont des plaisirs des yeux. Observons ces cavalcades, ces mas- carades, ces parades, ces entrées triomphales, ces éta- lages pompeux et éloquents, qui déploient, au sourire du ciel et de la lumière, la magnilicence de formes, de coiUeurs et de groupes animés; qui déroulent les chants de triomphe sous les arcs de triomphe, exultent en apparitions splendides de costumes, de figures, de personnages, d'animaux, de drapeaux, d'armes, de bijoux, et sur des jonchées de fleurs, entre des statues gigantesques, parmi l'éclat des brocarts, des damas et des élofles accrochées aux murailles, développent au soleil les scènes de l'histoire sacrée ou de l'histoire profane : on dirait de vastes fresques ambulantes. Et les rappresentazioni sacre, coupées d'intermèdes, man-

peint. El Andréa del Casln^no, chargé de cet ouvrage, s'en acquitte si incrvnilleusemcnt bien qu'on l'appelle Andréa des Pendus, Andréa de>/l' hnpicculi.

LE PEUPLE. SON SENTLAIENT ARTISTIQUE 221

gées (le didascalies, se transforment insensiblement en tableaux vivants^.

Le peuple vit au milieu d'images ; images vraies et images peintes; images contre les murs des églises; images contre les murs des hôtels de ville ; imagescontre les murs des palais, des remparts, des cimetières. Paradis, supplices, jugements derniers, triomphes de la mort et chars do la mort; figurations profanes et représenta- tions sacrées ; joutes, luttes, tournois, bals et banquets en plein air; cérémonies, cortèges, processions ; etlavie quotidienne, elle-môme, avec la variété de ses toilettes, l'élégance de ses parures, le bariolage éclatant de ses habits, que Leone-BattistaAlberti appelle « des peintures faites à l'aiguille », est, à elle seule, un spectacle. Le peuple se plaît à regarder. Une de ses distractions favo- rites est de se mettre à la fenêtre ou de s'arrêter dans la rue pour regarder.

Naturellement, spontanément, il sait voir. Il est peintre. 11 peint comme l'oiseau chante; tous les poètes, qui, depuis Dante, exprimèrent le génie de sa race, sont de merveilleux voyants; de ses lèvres ouvertes, il jaillit avec les mots autant d'expressions pittoresques, d'images colorées, de comparaisons plastiques, de simili- tudes faisant tableau -. Et que si, au moment qui nous occupe, dans leur latin amorphe, les humanistes ont galvaudé à plaisir ces précieuses qualités nationales de couleur et de vie, le peuple les a gardées. 11 suffit de parcourir ses humbles écritures, semées de silhouettes, de profils, de portraits, de descriptions minutieuses et menues, pour s'en convaincre.

1. il faut savoir dans quels détails entrent ces didascalies qui règlent la minutie des intermèdes: « P'ate uscire un uomo con vesta insino a' piedi di tela rozza, con maschera comoda, e barba o bianca o mischiata, e Iji capo un cappel bianco coperto di ellera ,o rnortella senza flori, e la vesta da mezzo in su sia con monli di cotone, cioè bambagia in due tila, et da mezzo in giù pulito; abbia questo mcdesimo un cinto pur déliera e un bastone in niano senza altro, e scalzo... » (R. S. III, 27u.) Aussi bien au siècle suivant, la rappresenluzio ne sacra échoue dans l'opéra, et le genre meurt.

2. C'est ce qui donne encore aujourd'hui un charme si puissant à son langage.

222 LE QUATTROCENTO

Pour lui, l'univers extérieur existe. 11 s'arrête de lui-même à des détails et des puérilités qui sentent Tatelier, qui témoignent d'une attention et d'une dili- gence professionnelles et qui échappent à celui qui vit dans l'intérieur de sa maison ou de son idée. La nuance des cheveux d'une fille, le coloris de son visage, le contour de ses joues, le profil de sa gorge, la forme de ses mains et de ses doigts, moins encore, la convexité et l'éclat de ses ongles, sont pour lui de grosses affaires '. Les capes de soie, les manteaux de damas cramoisi brochés d'or, les chausses mi-partie rouge, mi-partie couleur fleur de pêcher, les chapeaux de castor gris, les capuces violets, les cottes bleues, vertes, écarlates, le divertissent et l'intéressent au premier chef 2. Il est sensible au guillochage d'un bouton doré « si finement travaillé qu'on l'aurait dit en fil » ; à la broderie d'une manche « représentant un bras sorti d'un petit nuage, et il jetait des fleurs dessus la manche, et ainsi des fleurs étaient semées avec des petits rameaux de perles

1. Lucreza Tornabuoni ne prend garde qu'à celles-là dans le portrait

au'elle trace à son mari, Pierre de Médicis, de leur bru future, Clarice rsini, qui épousera Laurent le Magnifique. « È di recipiente grandezza, e ha si uoice maniera, non pero si gentile conie le nostre, ma è di gran modestia. e da ridulla presto a' nostri costumi. Il capo non lia biondo,

Eercliè non se n'hadi qua; pendono i suoicapegli in rosso,e n'haassai. ,a faccia del vise pende un po' tondetta, ma non mi dispiace. La gola è isvelta confaciantemente, ma mi pare un po'sotiietta. Il petto non potemmo vedere, perché usano ire tulte turatc, ma mostra di buona qualità. La mano ha lunga e isvelta. E tutto raccolto, giudicliiamo la fanciulla assai piii che communale. » Tre lellere di. Liicrezia Torna- buoni, pub. par Guasti, Florence, iS.'i'J. = Cf. les portraits de fiancées possibles qu Alessandra Macinghi envoie de Florence à son fils Filippo. (Lellere di una f/enlildonna /îorenlina, Florence, 1877, p. 450, 459, 464, etc.) r= Le marchand Giovanni Morelli de P'iorence, fait le portrait suivant d'une sœur qu'il a perdue : « Questa fu di grandezza comune, di beilissimo peio, bianca e bionda. molto bene futla délia persona, e tanto gentile che cascava di vezzi, c fra l'allro adornezze di siioi membri, ella aveva le mani come d'avorio, tanto bene fatte, che pareano dipinlc per le mani di Giotto ; elt'erano distese e morbide di carne, le dite lunghe e tonde come candele, l'unghia d'esse lunghc e bene colme. veniiiglie c chiare; e con quelle bellezze rispondeano le virtù, perché di sua mano ella sapea fare cio ch'ella voleva. » (La cro- nicu (Il (j. Morelli, Florence, 1718, p 246.)

2. I^eii Diarii sont remplis de détails de toilettes, de modes, d'ajiisto- mentx. Vespasiano, dans ses Vile, nous donne cunslamtiient la couleur et la forme des habits des personnages qu'il raconte.

LE PEUPLE. SON SENTIMENT ARTISTIQUE 225

sur la manche gauche' »; à la couleur d'une attache; à la frisure d'une plume; à la découpure d'une petite étoile, piquée contre la voûte de l'église ou nouée à la discipline dont se frappe la fille du Sforza. Et chez un ôtre, une chose ou un sentiment, ce qui le préoccupe, ce n'est pas sa vérité, son utilité, sa richesse, c'est sa hcauté. La beauté constitue son critère suprême. Bello, f)f'//issimo, ces mots reviennent constamment dans sa bouche. Un animal est beau. Un vieillard est beau. Un canon est beau. Une locution, une farce, une fraude sont belles. Pour la beauté, le paysan enguirlande la nuque puissante de ses bœufs blancs de franges de laine rouge et pour la beauté il place une tomate au- dessus d'un sac de blé.

Aussi bien l'expression supérieure d'un peuple ainsi conformé ne sera pas la poésie, mais la peinture; et il trouvera ses interprètes véritables, les plus directs, les plus hauts et les plus grands, non chez les chante-his- toires, mais chez les maîtres -imagiers.

II

Et de fait, ces merveilleux artistes du Quattrocento, qui découvrirent la science de l'anatomie, les secrets du clair-obscur, les lois de la perspective aérienne, les lois de la perspective linéaire, qui eurent la grâce ingénue, la simplicité candide, l'émotion fervente, qui exprimèrent une des formes de beauté la plus vivante et la plus charmante qui soit au monde, sortent du

1. Ce détail est emprunté au Diario du vinalliere Bartoloiumeo del Corazza: « E tutti i giovani délia brij^ata che furno li si vestirono d'una divisa, cioè di panno di colore di (iore di pesco, vestiti pocho di sotto af^inocchio; con maniche a gozzi; la manica manca ricamata di perle ; cioè un braccio chusciva d'una nuvoletta ; e gittava liori su pella manica e cosi erano seminati fiori, con ramoscelli di perle su per la manica manca; le caize del medesiino panno, salvo che la manca era mezza rozza, drentovi recamato un ramo di fiori di perle. » Le Diario de Corazza est tout fait de descriptions de cet ordre. (Voir Archiv. slor. ilal, Florence, 1804, p. 233.)

224 LE QUATTROCENTO

peuple, appartiennent au peuple, s'adressent au peuple.

Peuple par leur origine, par leur condition, par leur éducation, par leur humeur, par leur paie, ils ont tout du peuple. Pauvres petits artisans à mains calleuses et à âme fraîche, accomplissant des chefs-d'œuvre sans le savoir!

Ils sont les fils de simples gens sans fortune et sans prétention, de paysans, de manœuvres, d'équarrisseurs de pierre, Paolo Uccello d'un barbier, Filippo Lippi d'un boucher, les PoUajuolo d'un marchand de poules. Ils savent au plus juste lire, écrire et compter; leur écriture, dont nous avons gardé de précieux échantil- lons, est celle d'ouvriers qui froncent le sourcil en pre- nant la plume '. Au sortir de l'école, ils sont restés jusqu'à sept ans, huit ans, neuf ans au plus tard-, on leur a fait un petit trousseau, on les a pris par la main et on les a conduits dans la boutique d'un maestro, qui leur enseigne VatHe et qui leur sert à la fois de patron, de maître et de père spirituel. Ils font les commissions, balaient par terre, allument le feu, poussent le souf- flet, dégrossissent la pierre, gâchent le mortier, posentles premières teintes, expédient les, petits ornements; en s'aidant, ils apprennent : l'ouvrage montre. Pendant un an, ils ont d'abord étudié « à bien user le dessin sur tablettes'^ » ; pendant six ans, ils ont ensuite étudié à trier les couleurs et les gypses, à cuire les colles, à pétrir les pâtes, à se rendre experts dans la préparation des panneaux, les rehausser, les polir, mettre l'or et

1. Milanesi et Pini, La scritlwa di arlisli italiani riprodolla con la foloorafia e corredala d'illustrazioni. Sec. XIV-XVII, Florence, 1813, 3 vol.

2. Hercule de Ferrare se met au métier à dix-huit ans, ce qui, selon Vnsari, est trop tard.

3. « l'riiiia stiidiare un anno a usare il discfrno délia tavolella ; poi «tare con maestro a bottcf^a; ot stare e inconiminciare a Iriarc de' colori ; e impnrare a cuocere dcllc c<dle, e triarc de'pcssi; e pi(,'li«re la pralica dellingcssare le ancone, e rilevarie e raderle; meltere d'oro : granare hcne; per tempo di sei aiini. E poi imi)raticare a colurire, ad ornarc di mordenti, fare drappi d'oro. usaro di lavorare di iimro. per altri Hci anni, Heinpro dise^iiaiido, non ahhandonando mai, ne in di di fesla, in di di lavorare. »(// libro dell'arte di Cennino Cennini, Flo- rence, 18S9, p. 68.)

LE PEUPLE. SON SENTIMENT ARTISTIQUE 225

bien faire le greno ; ils ont enfin employé six autres années, et cela en dessinant toujours et en n'aban- donnant jamais le travail, ni jour ouvrable, ni jour férié, à connaître la couleur, à orner de mordants, à faire les draperies d'or, à travailler sur mur. Et l'ensei- gnement qu'ils ont reçu est tout professionnel; au lieu de théories, on leur fournit des recettes, et au lieu de les endoctriner, on leur montre.

On leur montre à teindre et brunir une feuille de chevreau, à distinguer le rouge minium du rouge cinabre, à faire de la colle de fromage, de l'huile bonne et parfaite cuite au soleil, des pinceaux de soies ou de vair qui ne se gercent point; on leur montre comment on découpe les étoiles, et comment il ne faut employer que de l'or fin et des couleurs de premier choix ; et on leur montre comment on colorie un visage de vieux, ou un habit vert changeant, ou un manteau azur de la Madone, ou un homme mort, ou une eau ou fleuve avec ou sans poissons, sur mur ou sur bois^. D'apprentis, discepoli^ ils deviennent compagnons, ragazzi;de com- pagnons, ils deviennent maîtres, maestri ; ils resteront toute leur vie artisans. En italien, arte signifie métier; et leur nom d'artiste vaut tout justement celui d'un artista di seta ou d'un artista di Calimala.

Sans orgueil ni préjugé, ne travaillant pas pour la gloire, mais travaillant pour vivre, ils n'éprouvent aucune honte à accepter la besogne la plus infime. Les orfèvres et sculpteurs les plus illustres font des cimiers de casque, des cloches, des boutons, des boules de lai- tonpourles lits, des chandeliers, des larges, des pierres d'autel, des cheminées, des éviers, des margelles de fontaine, des degrés d'escalier, deschapitaux de colonne, des reliquaires pour les images saintes'-'. Les peintres colorient des coffres, des étendards de confréries, des

1. Cennino Cennixi, /a., passim.

2. « Eziandio i più eccellenti pittori in cosi fattilavori si esercitavano senza vergoj^marsi. » (Vasahi, Le opère di Giorrjio Vasari, éd. Gaetano Milanesi, Florence, 1878, 9 vol.)

II 15

220 LE QUATTROCENTO

écussons de familles, des cadres, des plateaux d'accou- chée {(/eschi da parto), des dossiers de fauteuil, des chevets do lit. Giovanni Santi, père de Raphaël, dore des candélabres en bois; Ghiriandajo enlumine les paniers des commères. Donatello met la main à toutes les choses « sans prendre garde à ce qu'elles fussent viles ou de prix* ». 11 n'y en a point comme Antonio PoUajuolo « pour attacher les bijoux et travailler au feu les émaux d'argent^ » ; Botticelli fut un des pre- miers « à trouver à travailler les étendards et autres étoiles, de manière à ce que les couleurs ne déteignent pas-' »; et les questions de pâtes et d'enduits demeurent, pour ces gens, des affaires principales. C'est ainsi que, lorsqu'on mure la coupole de Sainte-Marie-de-la-Fleur, l'architecte Brunelleschi s'inquiète du plus infime détail, des bois, des pierres, des briques; u et on n'y mettait pas une petite pierre ou une brique qu'il ne voulût la voir, et si elles étaient bonnes, et si elles étaient bien cuites et bien nettes; la diligence qu'il mettait à la chaux était merveilleuse, et il allait en personne aux fours, se préoccupant des pierres, se préoccupant de la cuisson, et du mélange de la chaux et du sable, et de tout ce qu'il fallait'*».

Les humanistes ignorent ces petites gens; ce sont d'ignobles gâcheurs de couleur et de gypse, dont le service et l'œuvre ne méritent aucime considération. A une époque quia vu tleurir Donatello, Ghiberti, Bru-

l. « A lutte le cosc mise le mani senza guardare che elle fossero o vili 0 (li prenio. » ^Vasaki, II, p. i2ij.)

i. « Per legare le gioic e lavorare a fuoco smalti d'argento. » (Vasaiu. III, p -m.)

.'{. « I)i lavorare gli stendanli ed altre drapperie di conimesso, perché i l'olori non istinguno e niostrino du ogiii banda il colore del drappo. » (Va»ahi. m, p. :{2.{.)

i. « K non vi si rnctieva una pircola pictra, un matlone a suo tempo, che non gli volesse vedere, e se l'ernno buono. e se l'erano ben cotte e ben nette... ; la diligcnlia che e' meltcva nella calcina era maravigliosa c andava aile Tornaci in persona rispelto aile piètre di esse, e rispetto al cuocerc che parova d'ogiii cosa maestro, cosi e luesiugli dclle rené con la calcina, e di quello che bisognava. » (Ales- sandro Chiappelli, Uella vilu di F. brunelleschi allribuita ii Anlotiio ilancUi, Arch. slur. il. Florence, 1896, p. 263.)

LK Pi:i PLE. ?0N SKMIMENT AKTISTIQLE 227

nellesclii, Delhi Quercia, Bartolommeo Fazio peut se plaindre de la pénurie de sculpteurs excellents i. En vain iMasaccio et Lippi et Uccello el Piero délia Francesca sont-ils au travail, il leur préfère un peintre étranger, le Flamand Jean van Eyck '-. Pontano cite également Jean van Eyck, et, sans y altaclicu- plus d'importance, (iiotto, Gentile da Fabriano, Donatello. Maireo Vegio ne s'arrête pas davantage à la peinture,' « parce que, à l'heure qu'il est, ell(i ne compte guère parmi les arts liJM'raux'^ ». Et, au début du siècle suivant, Castiglione devra s'excuser d'exiger du paifait homme de cour de savoir peindre et dessiner, « laquelle partie semble peut-être aujourd'hui mécanique, et peu convenable aux gentilshommes ». Pour le beau monde les artistes sont de simples artisans^.

On les traite domestiquement et familièrement. On les tutoie. On les appelle par le nom de leur village, ou parla profession de leur père, ou par leur sobriquet, ou par leur petit nom. Cosmede Médicis, lorsqu'il emploie Fra Filippo Lippi, qu'il connaît de coraplexion amou- reuse, l'enferme à double tour pour qu'il n'aille pas courir aj)rès les femmes; Pie II fait manger son archi- tecte à la table des charretiers et des porteurs d'eau; Nicolas V confond dans un môme registre les comptes de ses peintres et de ses charrons, de ses sculpteurs et de ses paveurs, de ses orfèvres et de ses maçons. Le plus ordinairement on les paie au mois : Gentile da Fabriano qui, en 1427, travaille à Saint-Jean-dc-Latran,

1. « Ex sculptoribus paucos in lanta raultitudine claros haberaus. »

2. « Joannes Gallicus nostri sa>culi PLcloruin priuceps. »

3. « Quoil ad figurativaiu vero pertinel non luultum instamus, quod nec miiltiun nunc inler libérales arles habealur. » (Maffeo Vegio, Bibliottieca veterum patruin, Lyon, 1077, XXVI, p. 660.)

t. « Non vi maravigliate, s'io desidero quesla parte, la quale oggidi forse pare nieccanica e poco conveniente a genliUioino. > (Gastiglionk, // cortegiaiio. = « Voi avetc uiessa la pittura infra l'arti nieccaniche », dit Léonard de Vinci.

îj. Ce nest qiia la lin du siècle, et alors que la condition des artistes s'auiéliore. que l'humanisme italien prend garde à leurs œuvres. Encore que ce qu'en disent Battista Mantovano, l'alinieri, Verino, Sannazar soit fort peu de chose. Le seul artiste, vraiment familier aux érudits, est Leone-Battista Alberti, qui est lui-même un érudit.

228 LE QUATTROCENTO

reçoit vingt-cinq florins le mois; Fra Angelico, qui tra- vaille pour le pape Nicolas V, reçoit seize ducats le mois, Bernardo Rossellino quinze ducats, Bcnozzo Gozzoli sept ducats'. Quelquefois on les paie au mètre : Fran- cesco Cossa est payé dix bolognini le pied pour les fresques qu'il peint, en 1470, au palais de Schifanoia, à Ferrare^.

Et que si Cossa se fâche, le plus ordinairement ils se laissent faire. Encore que se sentant au cœur « l'excel- lence de talents rares ^), prétendant que leur génie relève « des formes célestes et non des baudets de louage », ils élèvent certaines prétentions : par exemple, il ne faut pas qu'on les bouscule, qu'on les presse, qu'on leur mesure le manger et le boire. Filippo Lippi ne peut se sentir enfermé de la sorte dans une chambre, et il saute par la fenêtre. Andréa del Gastagno court jusqu'au Canto dei Pazzi après un gamin qui a heurté son échelle alors qu'il peignait au Dôme de Florence. Graffione, talonné par Laurent de Médicis, qui lui promet une grosse somme, répond : '< Hé! Laurent, ce n'est pas l'argent qui fait les maîtres, mais bien les maîtres qui font l'argent 3. » Nanni Grosso ne veut point d'autre pont pour son échafaudage que la porte de la cave, de manière que la cave reste ouverte. Davide Ghirlandajo se révolte contre l'abbé de Passi- gnano qui lui sert à son frère Domenico et à lui des choses à manger répugnantes, si bien qu'il jette la soupe à la tôte du frère servant et qu'il le bàtonne avec la miche du pain. Et comme l'abbé de San-Miniato ne nourrissait Paolo Uccello que de fromage, Paolo Uccello se sauve et, chaque fois qu'il rencontre une soutane, prend les jambes à son cou. « Vous m'avez ruiné do lelle façon, avoue-t-il à ceux qui l'arn'^lent, que non

1. Eugène Miintz, l.es Avis à la cour des l'apes, liibliothëque îles écolen rranftaise» d'Athènes et de Home, Paris, iS78-1882.

2. A. Venluri, L'arte a Ferraro nel periodo di Uorso d'Esté, Kivisla storica italiana, Turin, 188.'*, p. (i.O.)

3. «( Kli I Lorcnzo, i dunari nun fanno i macstri ma i niaestri fanno i danari. » (Vasahi.)

LE PEUPLE. SON SENTIMENT ARTISTIQUE 229

seulement je me sauve de vous, mais encore je ne peux passer devant les menuisiers. Et la cause de tout a été le peu de discrétion de votre abbé, qui, entre tourtes et soupes faites toujours avec du fromage m'a mis dans le corps tant de fromage que j'ai peur, étant tout fromage, d'être employé comme colle'. » Ce sont des mœurs de badigeonneurs et de plâtriers. Sont-ils autre chose? Il y a cette différence que d'aussi humbles ouvriers de beauté sont travaillés par ce qu'ils appellent leur «fantaisie»; ce qui les rend d'humeur sophistique et étrange. On les sent d'autre pays que le commun des mortels; bizarres, lunatiques, distraits, absents et incohérents. Fra Angelico, prié une fois à diner chez le pape, refuse d'y manger du lard, n'ayant pas l'au- torisation de son prieur. Brunelleschi, ayant appris qu'on a trouvé une belle chose antique à Gortone, part incontinent pour Gortone, en sabots comme il est. Botticelli, ayant rôvé qu'il a pris femme, se rhabille en sursaut et se promène un jour et une nuit sans arriver à se ravoir de ce cauchemar'-. Nanni Grosso, sur son lit de mort, refuse le grossier crucifix qu'on lui offre à baiser et prétend n'en baiser qu'un beau : un de Dona- tello. Luca Signorelli se montre si préoccupé des formes du corps humain que, lorsqu'on lui apporte le cadavre de son fils, au lieu de le pleurer, il s'empresse de le dévêtir et se met à le peindre. Masaccio, perclus de dettes, laisse courir ses débiteurs. Ghiberti ne sait pas l'âge qu'il a au juste. Paolo Uccello se plonge dans les

1. « Voi mi avete rovinato in modo, che non solo fiiggo da voi, ma non posso anco praticare ne passare dove siano legniaiuoli ; e di tutto è stato causa la poca discrezione dell' abate vostro, il quaie, fra torte e minestre faite sempre col cacio, rai ha messo in corpo tanto formaggio, che io ho paura, essendo già tutto cacio, di non essere messo m opéra per mastice. » (Vasahi, JI, p. 207.)

2. « Et essendo esso una volta da Ms. Tomaso Soderini stretto a pigliar moglie gli rispose : Vi voglio dire quello che non è troppo notte cassate che m'intervenne, che sognavo havere tolto moglie, e tanto dolore ne presi, che io mi destai, e per non mi radormentare, per non Io risognare più mi levai et andai tutta notte per Firenze a spasso come un pazzo. » (Gornelio de Fabriczy, // codice dell'anonimo Gaddiano, Arch. stor. it. Florence, 1893, p. 83.)

230 LE QUATTROCENTO

éludes de perspective au point qu'il y passe les nuits et n'entend plus sa femme qui l'appelle'. Et le Pérugin, jaloux de la belle tournure de sa femme, l'arrange et la pare de ses mains. Dans ces traits, que nous prodigue Vasari, on reconnaît la divine présence du génie.

A cela près, si l'on veut se faire d'eux une juste image, il faut les évoquer non dans un atelier splen- dide, mais dans une boutique crasseuse, ils vivent au milieu de leurs outils et de leurs garçons, entre les baquets et les fioles.

Ils sont vôtus « au hasard », c'est-à-dire à la diable; en bourgeron, en tablier, en sabots; et à Dello, que l'Espagne a sacré chevalier et qui ne travaille qu'en tablier d'or, ils font le fiche. Donatello, qui oublie de porter un beau manteau rouge que lui a donné Cosme de Médicis-, garde son argent dans une corbeille pen- due à la solive, « et chaque ouvrier et ami y prend ce dont il a besoin ». Botticelli, ennuyé du voisinage d'un tisserand, dont le métier ébranle sa boutique, va cher- cher une pierre, la pose en équilibre instable sur le mur mitoyen, et le tisserand, menacé devoir ses châssis s'écrouler, entre en composition. 11 arrive au Pérugin découcher dans une caisse de sa boutique. Luca délia Robbia, pour se tenir la nuit les pieds au chaud, les enfonce dans un pannier de copeaux. Après le travail, Andréa del Castagno et Domenico Veneziano vont faire des sérénades aux filles. Au milieu de la journée, la femnie envoie un peu de vin et de pain qu'ils expé- dient sur le pouce, et la femme mange à la maison "\

Ils se fn-quenlent, se critiquent, appartiennent à de3|j

1. « La sua moglie soleva dire, che lutta la nolte Paolo stava nello] «criltoio per Irovare i lerniini délia prospettiva e che quando clla 1<J chinmavaa donnire, cgli le diceva : Oh che doice cosa è questa proSr petliva ! » (Vasahi, II, p. 217.) *

2. « Portolli una voila o dua, di poi li ripuose, e non gli voile ppf^ tare pin, perché dico che gli pareva cssere delicato. » (Vespapiano, Vil9a p. llVâ.) i

'■i. <i La donna mandava un piccolo vasetto di vino con qualclio con^ diincnlo di pane ; desinavono e niaschi in bottoga, la donna in casa; t scifdvere non noscevano le rcinniine il vino. » (Ai.iikiiti, Oy>t"re volgarQ I I, p. :j4.)

L1-: PEUPLE. SON SENTIMENT ARTISTIQUE 2.11

confn'Tios ou à des compagnios communes. A Flo- rence, nous les trouvons, le dimanche, chez Tommaso Pecori, en train de raisonner des choses de leur art. Ils ont l'humeur gaie et solide. Ils se font des tours et des farces. Brunelleschi, ayant invité Donatelloà déjeuner, passe au marché avec lui, luiremplit son tablierd'œufs, de noix, de fromages et l'envoie à sa boutique, il a exposé au bon jour un crucilix de bois de tilleul qu'il a fait en cachette, le beau crucifix que Donatello Fa défié défaire, « et Donatello s'étant arrêté pour le considérer le trouva si parfaitement achevé que, vaincu et tout rempli de stupeur, comme hors de lui, ilouvril les mains qui tenaient le tablier, et les œufs, le fromage et toutes les autres choses étant tombées, tout se renversa et se cassa ». Ils se divertissent à persuader au menuisier Manetto, « personne très plaisante comme le sont géné- ralement les gras, et qui avaitplutôtunpeude simplicité, mais qui n'était pourtant pas tellement simple que sa simplicité fût comprise d'autres que d'hommes subtils », qu'il n'est plus, lui, Manetto, le grasso legnaiuolo^ mais un autre, Matteo'. Ils lui disent tous Matteo. Ils le le saluent, comme s'il était Matteo. Ils le font arrélerpar les créanciers de Matteo. Giovanni Rucellai, qui ignore Matteo, ne reconnaît pas Manetto dans sa prison. Telle- lement que le pauvre Manetto Unit par croire (juil a perdu sa personnalité. « Mainlenant je puis être certain que je ne suis plus le Grasso. Oh! si Giovanni Rucellai, qui ne m'a point perdu de vue, ne m'a pas reconnu, lui (jui vient h. chaque heure dans ma boutique et n'est pourtant pas sans cervelle! Je ne suis plus certainement le Grasso et je suisdevenu Matteo. Que maudites soient ma forUine et ma disgrâce; car, si l'on découvre cette alVaire, je serai tenu pour fou, elles gamins me cour- ront par derrière- ! »

l. Novella del Grasso legnaiuolo, dans Opérette istoriche di Antonio Manelli, [)iibliéi's par Gaetano Milanesi, Florence, 1887. i. « O^'i^imai possio essere certo ch'io non sono più el Grasso; oh! ovanni Rucellai non mi levoniaiocchiod'addosso; e'non mi conosce, G

232 LE QDATTROCEKTO

Et enfin, en dépit de leurs chefs-d'œuvre et de leur gloire, ils sont pauvres. Selon Vasari, Filippo Lippi, qui n'a pas de quoi se payer une paire de bas ', naît « pauvre petit enfant » ; Niccolô di Piero est « pauvre com- pagnon » ; Paolo Ucceilo « est plus pauvre que fameux». Masaccio nous apprend qu'il paie six sous d'impôt'. Niccolô dell'Arca manque du strict nécessaire^. Et leurs « dénonciations de biens » au fisc ne sont que de longues jérémiades de miséreux. « Je me trouve vieux et sans affaires, écrit Paolo Ucceilo, et je ne peux pas tra- vailler, et la femme malade*. » « Moi susdit, déclare Andréa Cavalcanti, je n'ai jamais eu et je n'ai encore aucun bien dans ce monde^. » « Pour les impôts levés à l'occasion des guerres, ajoute Domenico del Goro, je suis resté non seulement pauvre, mais mendiant, et 1res vieux d'années, huitante-quatre ou environ, et avec la femme malade, et encore moi peu sain, et encore réduit à tel point que je peux faire peu de chose. Et je ne vois la faconde pouvoirentretenirmadite femme malade et moi''. » « En réponse d'une que je vous ai envoyée^ écrit Fra Filippo Lippi au Médicis, j'en ai reçu une de vous, et j'ai peiné treize jours à l'avoir et j'en ai beau- coup de dommage. Vous me dites en conclusion que vous ne pouvez prendre ni le tableau, ni aucun parti,.

che è a ogni ora in bottega ; e non è perù smeniorato ! io non sono più el Grasso di certo e sono diventato Matteo ! che maladetta sia la mia fortuna e la inia disgrazia ! Giiè se si scopre questo fatto, io sono vituperato e saro tenuto pazzo e correrannomi dietro e fanciulli. » {Ofj. cil., p. 17.)

1. « Vego clie non mi potrei fare uno paio di chalze.» (Gaye, Carleg- gio inedilo d'artisli dei secoli XIV, XV e XVl, Florence, 1839, 3 voLI, p. 141.)

2. < Abbiamo dextimo soldi sei. » (Gaye, I, p. 115.)

3. « Necessariis plerunique indigebat. » (Ann. bon. Muratori, Herum, XXIll.p. 912.)

4. « Truvoiiii veccliio e senza inviatnento, e non posso acercilare, e la donna infcrtna. » (Gaye, 1, 147.)

a. « io Ropradetio non ebbi mai, ho alchuna suatanza al niondo. » (Gaye, I, 143.)

il. « El si per le gravezze porlato per cagione dele guerre, e pcr 11 piccioli guadogni, so rirnasto no lanto povuro, ma mendico et vechis- «imo d'anni ottanta qualro o circa, e cola donna inferma et ancora io- poco sano... » (Gaye, 11, p. 15ti.)

LE PELPLE. SON SENTIMENT ARTISTIQUE 233

et que je vous le conserve, et puis vous ne pouvez plus me donner un sou. Moi j'ai éprouvé de ça grande douleur à plusieurs égards, et l'un de ces égards est celui-ci, qu'il est clair qu'un des plus pauvres frères qu'il y ait à Florence, c'est moi. Et Dieu m'a laissé avec six petites filles à marier, et infirmes et inutiles, et le peu, qui est beaucoup pour elles, c'est moi. Si je pouvais me faire donner dans votre maison un peu du blé et du vin que vous me vendez, ce me serait une grande joie. Mettez-le à mon compte, je vous en prie, et vous en charge avec les larmes aux yi^ux. Car, si je m'en vais, je le laisse à ces pauvres enfants'. »

m

De gens de cette condition et de cette qualité, il ne peut sortir une œuvre savante, un art académique, lit- téraire, érudit, exigeant une culture, une préparation, une initiation qu'ils n'ont guère; Tauraient-ils prise?

Les histoires de l'Ecriture Sainte, quelques fragments de vieux poètes, quelques débris de l'antiquité, voilà tout leur pauvre et charmant bagage. Ceux-là mêmes qui passent pour doctes n'en font guère accroire aux professionnels, comme Brunelleschi, qui peut bien dis- cuter, avec l'astronome PaoloToscanelli, de questions de hautes mathématiques, mais qui le fait empiriquement et « avec la nature de l'expérience pratique » ; comme Ghiberti qui, s'avisant de composer des commentaires, sait cependant (< mieux dessiner, travailler au ciseau et couler en bronze que tisser des histoires- », comme

1. « Ed è chiaro essere uno de più poveri frati, che sia in Firenze, sono io. Ed ami lusciato Dio con sei nipote fanciulie da mariti, e infermi e disutiii, e quello poco è assai dibene ulloro sono io... Seppo- tessi l'ariui dare a casa voslra un poco di grano e di vino, ctie mi ven- dete, mi sarà grande letizia, pouedolo a niio chonto. Io vene gravo cholle lagrime aliiocchi, che s'io mi parto Io lasci a questi poveri fan- ciulii... »(Gaye, 1, 141.)

2. « Sapea meglio disegnare scarpellare e gettare di bronzo che tes- sere storie. » (Vasahi. il, p. 247.)

234 LE QUATTROCKNTO

Mantegna qui, rimant des sonnets, « monte au Parnasse d'un pied lioîteux' ». Ce ne sont pas des liumanistcs, ou, du moins, ils ne le deviendront que plus lard. Ils ignorent la logique, le rylhme et le nombre du dis- cours. Ils ne pratiquent pas IN'doquence. Ils n'alieignent pas l'abstraction. Ils manquent de tenue et de dignité. Ils parlent en vulgaire 2.

Sans doute qu'ils connaissent Tanliquitc et qu'ils s'en inspirent, mais ils connaissent cette antiquité, en quelque sorte traditionnelle, que le peuple d'Italie a toujours connue, non l'autre, celle des humanistes, celle retrouvée aujourd'hui, celle qui était périssable, puisqu'elle s'était perdue. De tout temps, en tout lieu, ils l'ont étudiée, au chapiteau d'une colonne, sur le bas- relief d'un sarcophage, au fronton d'une pierre m illiaire, comme ils ont étudié, d'ailleurs, le dessin de la ronce qui mord ce marbre, le lézard qui s'y chauffe, la bète à bon Dieu qui s'y pose. Ils n'ont point distrait la colonne du paysage qui l'encadre, ni fait de l'antiquité partie intégrale de leur vision. Si Drunelleschi prétend que c'est à Rome seulement qu'on apprend à murer, ses palais maigres et fms, la coupole à tranches qu'il édifie, sont aussi bien la continuation de la tradition médioèvale que l'initiation d'un art nouveau. Ghiborli, penché, comme lui, sur les débris antiques, ne met point à l'encadrement de ses portes du Baptistère les palmelles, les fleurons, les bucrAnes qu'il remarque aux frises romaines, mais les détails indigènes recueil- lis dans la flore et la faune locales: le lys, le l>ouquet

1. VA8AR1, III, p. 3«:t.

2. Léonard de Vinci, lui-même poète et écrivain, ne se compte pas parmi les lettrés. Il raille les humanistes qui s'en vont : s(/on/i(iti e pomposi, veslili e oriiati, non délie loro, ma délie nUriii falic/ie, el (|ui ne sont pas inventeurs, mu Irombelli e lecilalori délie (illnii opère. Lui ne sait pas écrire. « Si> beno clie per non essere io Icttcrato. die alcuno [trcsunluoso gii parrà raf^ionevolmcntc polcrmi Itiasicnarc, coirallcgarc io essere omo sanza letterc. Gcntc stolta ! Kl encore: « Uiranno, clie per non avère ii» leltero. non potere hen dire (|uello di che voj^li.» traltare. » Léonard ndhcil p.is à l'autorité, mais À l'expérience. In quitle fn niiieslrti di clii hen srrixse. (Iamswwu) oa Vi.nci, Fiiiinnienli lellei'ui'i e /tlonofici, pub. par L. Solmi, Klorcnce, IS!i'.i.-

LE PEUPLE. SON SENTLMENT ARTISTIQUE 235

(I'('pis, récurouil, la caille. Donalollo prend bien à iEnfant à raie le redressement de telle honcle de clievenx; au surplus, il copie tellement quellement la laideur charmante des gamins de Florence. Masolino, iMasaccio, Paolo IJccello, Andréa del Castagno n'ont eni|)runt<' à ranti(|uilc que les architectures qu'on voit dans hnirs fresques. Les Délia Robbia ne lui ont rien emprimte du tout.

Se laissant aller à leur fantaisie et n'obéissant qu'à 1 Mir humeur, ils peignent ce qu'ils voient, ce qu'ils ont toujours vu, ce qui les entoure et constitue l'horizon domestique et familier de leur pays, d'où ils ne sont guères sortis ^ Attentif et copieux, ils peignent neuves, ponts, rochers, herbes, fruits, roules, champs, cil('s et autres choses inlinies ; et, pour obéir à Leone- Ballista Alberti, ils accumulent à plaisir les figures dans f'urs fresques, y introduisant « des vieux, des jeunes, des enfants, des femmes, des filles, des mioches, des poulets, des caniches, des petits oiseaux, des chevaux, des brebis, des édifices, des provinces^ », car, « en peinture, l'abondance et variété plait ». Ils peignent directement, lidèlement, avec le plus d'exactitude qu'ils peuvent, avec les couleurs les plus fines (ju'ils pos- sèdent, s'appliquant à livrer du joli ouvrage. Leur maître est la nature, et ils s'elforcent « d'être les imi- tateurs de toutes les minuties que la nature sait faire », et, à l'exemple de Baldovinetti, ils observent de colorer « d'une couleur l'endroit des feuilles et d'une autre couleur le revers, comme fait la nature, ni plus, ni moins -^ ». « Prends garde, disait Gennino Cennini, que

L Leur ignorance est touchante. C'est ainsi que Paolo Uccelio vou- lant représenter sur la voûte des Peruzzi un laméléon, comme habitant de lair « dont il vit et dont il prend la couleur >, n'ayant jamais vu de caméléon, peint un chameau ouvrant la bouche et engloutissant de l'air. (Vasaiu, 11, p. 21.".)

2. «... Sieno permisti vecchi, giovani, fanciulle, donne, fanciuUini, po[li,catellini. uccellini. cavalli, pécore, edifici, province, e tutte simili cose. s> (Lkonk-I{.\ttist.\ Ai-hkhti, Délia piltura, Op. vol., IV, p. .-iS.)

3. « ... Fecc d'un colore verde il ritto délie foglie, e d'un altro il rovescio, corne fa la natura, ne più, meno. » (Vas.\hi," H, p. 396.)

236 LE QUATTROCENTO

le guide le plus parfait et meilleur timon que lu puisses avoir, c'est la porte triomphale de portraicturer d'après nature. Et la nature dépasse tous les autres exemples, et fie-toi toujours à la nature d'un cœur hardi, et spé- cialement lorsque tu commences à avoir quelque sen- timent du dessin. Et continuant, ne manque pas de dessiner chaque jour quelque chose d'après nature, car si peu que ce soit, ce sera déjà beaucoup, et tu en reti- reras un bon fruit '. » Ce conseil, qui date de la fin du siècle précédent, vaut encore, et le chevalier Bernin n'est pas venu, qui devait assurer que c'est perdre les jeunes hommes que de les faire peindre d'après nature, « laquelle est presque toujours faible et mesquine ^ ».

Les histoires qu'ils content ne sont plus scolastiques et ne sont pas encore spéciales; ce sont les histoires communes, les histoires anciennes que le monde sait par cœur, celles de la Bible, celles de la Légende dorée, celles des saints patronymiques et locaux, rarement celles, d'ailleurs toutes populaires, des Gesta Roma- norum. Masaccio conte, à l'église du Carminé de Flo- rence, y Histoire de saint Pierre; Benozzo Gozzoli conte, au Palais des Médicis de Via Larga, l'Histoire des rois mages; Domenico Ghirlandajo conte à l'église de Sainte-Marie-Nouvelle les Histoii^es de la Vierge Marie et de saint Jean-Baptiste. A Prato, à Pise, à Arezzo, à San-Gemignano, à Rome, nous trouvons les histoires de saint Etienne, du Deutéronome, de la Sainte-Croix, de Santa-Fina, de San-Bernardino, dites par Filippo Lippi, Benozzo Gozzoli, Piero délia Francesca, Dome- nico Ghirlandajo, le Piuturicchio. Dans les récits cou- rants et quasiment consacrés depuis (îiotto, de la Créa-

1, « Attendi che la più perfelta guida che possi avère e mifçliore tiinone, si 6 la trionTal porta dcl ritrarrc di nalurale. E questo iivanza tuUi gii altri essenipi; e sotto questo con ardito cuore sempre ti (ida, e spczialiiiente conic incoiiiinci ad avère qiiaicho scntimcnlo riel dise- gnarc. Continuando ogni di non inaiiclii disegnarc qualche cosa, ctiè non sarà si poco che non sia assai ; c faratti ecreilente pro. » (Cbnnino Cenni.m, p. 17.';

1. M. de <;hanl(;l()ii, Journal de voynfjf: du cavalier licrnin en France (Gazette des Beaux-Arts, XXI, 38:<).

LE PEUPLE. SON SENTIMENT ARTISTIQUE 237

tion, du Déluge, de la Nativité, de l'Adoration, de la Passion, ils introduisent leurs costumes, leurs usten- siles, leurs paysages. On y voit des rabots, des sabliers, des coffres peints, des chaudrons, des gourdes, des brocs, des bâts de mulets, des fiaschi, des coussins h. taie brodée. « Si tu étais en mer, demandait jadis Sacchetti, qu'aimerais-tu mieux avoir sur toi, l'Evan- gile de saint Marc ou une ceinture de vessies? Tous s'accordèrent qu'ils préféreraient plutôt la vessie. » Dans le déluge, que Paolo Uccello peint à Sainte-Marie- Nouvelle, on voit la vessie. On y voit les usages en cours, les habitudes familières, les scènes de mœurs et les groupes de la vie quotidienne; et on y voit la foule de marchands cossus, de bourgeois notables, de demoi- selles huppées, de paysans, de condottières, de gueux, de nourrices, de princes qui peuplent la rue, la cam- pagne, le palais. Pour composer une Nativité^ sans tant d'embarras ni d'affaires, ils prennent leur enfant, le déshabillent, le couchent sur une belle étoffe et le copient; ce sera l'Enfant Jésus; et la Vierge Marie sera leur femme ou leur bonne amie dans ses habits des dimanches, avec le voile ou la cornette, et sa robe bleue, sa robe rouge, sa robe verte, échancrée sur le devant et bordée d'une ruche. Pour peindre une dame, ils observent la bourgeoise élégante, qui, accompagnée de ses femmes, son mouchoir et son livre à la main, passe dans la rue en robe de brocart. Pour peindre un roi, ils observent le manteau, le surcot et la couronne, les éperons et le glaive de l'empereur de passage. Pour peindre un pays, qu'il soit l'Egypte, la Palestine ou la Grèce, ils peignent leur pays avec des tours et les drapeaux qui sont sur ces tours, avec des girouettes, avec des montagnes bleues, avec des fleuves, avec des arbres grêles, avec des petits ponts et des petits hommes, et des ânes minuscules qui vont par les chemins. Pin- turicchio représente Ulysse en joli béret à rubans flot- tants. Bezozzo ligure Orphée en chausses, Hercule en

238 LE QLATTKOCENTO

chemise, Hélène en corset. Le Pérugin, ayant à repré- senter dans la salle du Cambio de sa ville natale, la Prudence, la Justice, la Tempérance, les illustre d'après la leçon de l'humaniste Maturanzio de personnages antiques. Sous la Prudence, il colloque Fabius, Socrate, Numa; sous la Justice, Camille, Léonidas, Coclès; soûs la Tempérance, Scipion, Périclès, Gincin- natus. Observons les ligures qu'une érudition impré- vue dicta à la bonne volonté de l'artiste; à peine altérées, ce sont celles que le Pérugin a recueillies dans la vie contemporaine et qu'ailleurs il a placées dans ses tableaux d'église, les vieillards qu'il a vus entrer au conseil, les adolescents qu'il a vus joîiler sur la place.

Comme leur littérature est de la rue, l'esprit de ces gens est l'esprit de la rue. Ils en gardent la bonhomie souriante, la badauderie amusée, la verve crue et jail- lissante, le réalisme étroit et brutal. Us racontent des saillies, se divertissent à des facéties et à des bons mots, tellement que, dans le sujet le plus grave, le plus digne, ils ne peuvent se retenir de céder à leur besoin naturel de rire et de folâtrer ; ils abondent en histo- riettes, se répandent en anecdotes, déversent leur humeur robuste en épisodes accessoires, plaisants, touchants et inutiles. Les enfants Jésus roses et blonds dont ils ont inondé l'Italie, pour divins qu'ils soient, font des pieds de ne/, jouent de petites musiques avec leurs doigts et leurs lèvres, frottent leurs pieds candides contre les longues barbes soyeuses des rois mages'; Benozzo Gozzoli, représentant les femmes épouvantées qui s'enfuient devant la nudité de Noë, en imagine une qui se couvre le visage de ses mains, mais regarde entre ses doigts écartés'-'; un élève des Pollajuolo montre Tobie et Haj)lia('l en marche; ils s'avancent joyeusement dans la lumière et dans la foi; sauf quel»'

1. V. Filippo Lipi)i, Gerililo du Fabriano, Lorenzo di Credi, c:c. •i. An Caiiipu Siinlu du i'isc.

LK PKL'PLK. SON SENTIMENT ARTISTKjl !•: 239

caniche brun do Tcbic, ennuyé d'unsi lon^^ voyage, ne peut pas les suivre et se traîne parmi les cailloux'; et c'est dans les coins, à propos de tout et à propos de rien, des servantes, des paysannes, des profils de commères ex[)erles en couches, des enfants qui se poussent, des chiens qui aboient, des chats qui courent après des peh^les de lil. Ils sont copieux, abandonnés, spontanés et faciles. Us disent loul. Ils prennent garde à tout. Ils ignorent le sentiment du relatif, et leur intérêt méconnaît la perspective. Ce sont des gens pointil- leux, minutieux, attachés à des vétilles, ressemblant à ce Lapo Mazzei de Florence, à qui son ami Dalini reprochait de s'inquiéter jusqu'à la boucle du sou- lier de la fille servant l'esclave de la maison. Une pierre, une pointe d'herbe, une bestiole, la broderie d'une manche, l'orfèvrerie d'un éperon, le grain d'un rosaire, la ganse d'un chapeau, ne sont point pour eux des quantités négligeables. Ils traitent ces détails avec autant d'application, de conscience et d'importance que le reste.

Et, comme ils ont la littérature et l'esprit de la rue, ils gardent l'âme de la rue. Ils sont tendres, naïfs et dévotieux ; aucune aventure n'a troublé leur foi can- dide, jolie et mesurée ; les mystères sacrés qu'ils racontent contre les murs de l'église au service de laquelle ils travaillent, les touchent encore de leur grâce. Qu'importe qu'ils aient tenté de rares excursions du coté de l'antiquité profane, puisqu'ils y conservent un clair esprit de sainteté? Leur talent ressemble à de la vertu. Leurs vierges comme leurs Vénus, leurs Grâces comme leurs Saintes femmes, leursangescomme leurs dieux, sont le produit d'un même évangélisme. Ici et là, môme émotion intérieure, môme sincérité adorable, môme ignorance ou négligence de l'ellet, même scrupule, même conscience, même adoration, et cette amitié des choses, celte sympathie avec le monde

1. A l'Académie des Beaux-Arls de Florence.

240 LE QUATTROCENTO

créé, cette bienveillance de poverelli que le siècle éprouve encore pour la nature qui est l'œuvre de Dieu, de telle sorte qu'il y a plus de piété véritable dans une mythologie quattrocentiste que dans le tableau de religion d'un Vénitien ou d'un Bolonais.

C'est ainsi que leur œuvre, strictement populaire, au lieu d'être colloquée à côté des antiquités savantes, veut être comparée à l'art ingénu du popolino. Si l'on cherche dans les tirades latines contemporaines l'expli- cation de ces fresques, on risquerait de ne point les entendre. Pour connaître leur inspiration, il faut se rappeler les pauvres choses du peuple, ses petites chan- sons d'amour ou de piété, ses laudes, ses prêches, ses storie, ses rappi'esentazioni , avec qui elles sont en accord et en sympathie, dont elles gardent l'accent, à qui elles servent d'images et dont elles demeurent la vivante illustration.

Aussi bien cet art du peuple nous dit le peuple autant que la littérature populaire, ses qualités et ses vertus, la somme de ses intérêts, toutes les faces de son esprit et toutes les nuances de son iTime. Il est sa manifestation la plus parfaite, celle il a réalisé entièrement son génie et l'a dressé à la face de l'éter- nité. Mais il est plus encore ; il est sa propriété. Il lui appartient à un double titre, parce qu'il est de lui et parce qu'il est pour lui. Si, dans leur superbe, les humanistes dédaignent les histoires peintes en dialecte et ignorent le tendre ellort de beauté des faiseurs d'étendards et de grosseries, le peuple leur témoigne un intérêt passionné. Il va directement à ces pages claires et faciles, qui parlent sa langue, expriment son esprit, colorent les imaginations dont sa têle est rem- plie. H s'y reconnaît, s'y éduque, s'y amuse, s'y édilie et s'y instruit. Qu'importe qu'on ne lui ait pas appris à lire et qu'il n(^ possède pas de livres? II sait voir et on lui donne des images. Ces images lui tiennent lieu de livres. « Les figures représentées dans les églises,

\A: l'KLl'Li:. SON SENTIMENT AU TISTIOLK 2*1

dit Savonarole, sont les livres des enfanls et des femmes'. >. Elles mettent à sa portée et content dans son idiome les leçons ét<'rnelles de la Bible, les para- boles des Ev<angiles, les gestes de quelques héros de la chronique, de la légende ou de la foi ; elles signalent à son ])('ché les tortures de Tenter et les allres du juge- ment dernier; elles promettent à sa rectitude les joies du paradis. Pieusement, honnêtement, il s'agenouille devant elles, dit ses prières, égrène son chapelet, par- tage Fémotion tranquille qui a dicté ces narrations accessibles ; et, en outre, comme les bons peintres ont pris plaisir à les bien peindre, pareillement il prend plaisir à les bien regarder. Il rit aux saillies, s'intéresse aux anecdotes, apprécie le fini du travail, admire les qualités de la marchandise ; il reconnaît saint Christophe h sa grande taille, saint Roch à sa plaie et à son roquet, saint Laurent à son gril ; il saisit les ressemblances des portraits, les types de son entou- rage et de son cercle fixés sur la muraille; et, lorsque les jeunes gens voient passer une fille dans les rues, ils disent: « Voici Marie, voici Madeleine'-! » il est connaisseur et entendu; il critique et il loue; c'est à lui qiL'on s'adresse et c'est lui qui applaudit.

Comme Cimabue avait terminé sa Madone, ce fut, dit la légende, dans son quartier une telle joie, ime telle explosion d'enthousiasme et d'allégresse que le quartier de Cimabue en prit le nom de Borgo Alle- (jro ; deux siècles après, lorsque Ghirlandajo eut décou- vert ses fresques du Chœur de Sainte-Marie-Nouvelle, tout Florence éclate en bravos. Rien ne se mure, ne se colore, ne se sculpte, que le peuple ne s'y intéresse : une ville entière se passionne pour un projet de coupole

1. G. Gruyer. I.es illustrations de Jérôme Savonarole el les paroles (le Savonarole sur l'art, Paris, 1880.

2. <i E li giinani vanno poi dicendo a (|uesta donna ed a quell'altia .- costei è la Maddalena. qnello è San Giovanni, ecco la Vcrgine ; perché voi dipingete le loro ligure nelle chiese, e qnesto è in gran dispregio délie cose divine. » (Savonahole, l'rediche sopra Amos e Zaccaria.)

H. 16

242 LE QUATTROCENTO

OU pour un projet de façade. S'il ne s'inquiète guère de la publication d'un dialogue latin ou de l'entrée en fonctions d'un maître d'éloquence, il note le jour pré- cis où l'on commence telle peinture et telle peinture est finie, les huit mille huitante-quatre étoiles qu'on fixe à la voûte d'azur de l'église •, les ornements de mosaïque dont on revêt la paroi du Baptistère. Il sait les travaux en cours, les entreprises en exécution, les embellissements qu'on rêve, les palais dont on jette les fondements. Et un matin du mois d'août 1489, comme on jetait à Florence les fondements du palais Strozzi, le petit Tribaldo de' Rossi accourt, ouvre tout grands ses yeux, lance dans les tranchées un vieux sou à lys en souvenir, et, non satisfait, mande après son fils Guarnieri et sa fille Francesca. « Et la Tita notre ser- vante, qui était venue à la boutique pour la viande, car c'était le jeudi, alla les chercher, et la Nannina, ma femme me les envoya tous les deux habillés ; et je les menai aux fondations susdites ; et je pris Guarnieri à mon cou ; et il regardait en bas ; et, comme il avait un bouquet de petites roses de Damas à la main, je le lui fis jeter dedans ; je lui dis : est-ce que tu t'en sou- viendras, toi? 11 dit : Oui. Ils étaient avec la Tita ser- vante, et Guarnieri avait justement ce jour-là quatre ans et deux jours, et la Nannina lui avait fait depuis peu une petite veste neuve de taffetas changeant verte et jaune. Que ce soit toujours au nom de Dieu -'. »

1. « A coDsolazione di chi avesse caro di sapcrlo, e non d'altri, fo noto, conie nel Duomo e chiesa cattedrale di hiena, e per ornamento di cisa, cioè nelle voile, e an'hi, oitre agli azurri, c belli fiegi di variati colori, sono state messe nelle dette volte ottomiia oltâutaquattro stelle. » (Alleuhetti, Diario, p 857 )

2. « Chando per loro la Tita noslra serva cliera veniita a bottegha

fier la carne, che fii in (iiovedf niattina, e la Nannina inia donna nie i tnandù tutti 2 detti iigliuoli rivestili, c munali a detli fondanionti, e preui Guarnieri in collo, e guatava cholagiù, e un niazzo di roselline di aamascho cliaveva in niano veli fcce gittarc denlro, dissi : richordera- tene, tu? Disse di si; insiuinc chola Tila serva nostra erano, e (Juar- nieri aveva appiinlo dctto di anni 4 e 2 dl, e avcvali falto di pochi di la Nannina una ghabanella di taiïetà changiante vcrde e giala nuova. Sentpre sia al nome di Dio. j>

LE PKUPLE. SON SENTIMENT ARTISTIQUE 243

Les peintres, les orfèvres, les sculpteurs, les archi- tectes sortis du peuple, restés du peuple, sont les génies du peuple, qui se les montre du doigt, et en tire gloire. Brunelleschi, ou plutôt Pippo, comme on rappelait plus simplement, figure dans les Reali di Francia de l'Ait issimo on le voit bâtir sa coupole. « l^t j'oserais dire que le Seigneur d'en haut le créa seu- lement pour livrer cet ouvrage'. » Donatello est intro- duit dans la sacra rappresentazione de Nabtichodonosor^ appelé par le roi de Ninive qui a dépêché en sa bou- tique de Florence son propre sénéchal : « Mon maître, je le fais assavoir que tu te présentes à notre roi! Qu'est-ce que ça veut dire? Je n'ai pas une minute de repos. J'ai à livrer la chaire de Prato. Et il le faut tout de suite! Je ne veux pas m'y refuser, mais j'ai à faire la Dovizia du Marché qu'on doit poser sur la colonne, et pour le quart d'heure je ne peux pas prendre plus de travail'. » En 1458, l'épicier Luca Landucci énumére les hommes de Florence qui à son jugement, sont « nobles et excellents » ; nous n'y voyons pas Poggio qui était alors chancelier de la République, ni Landino nommé cette année même professeur au Studio, ni Ficin qui a déjà composé ses hisli lu lions platoniques, ni Argyropoulos qui brille dans toute sa gloire d'helléniste; mais Gosme de Médi- cis, l'archevêque Antonino, le prêcheur Lapacci, le

1. « C'have inodelli e ingegni tanto vari Ch'a pena contemplarli si potea,

E ardirô di dir che Dio di sopra

Soi lo créasse per fornir quelVopra. »

2. « Maestro mio, io ti fo a sapere Ciie al nostro re tu sia appresentato.

Io fui niosso testé, che vuol e dire ? Io ho fornire il Pergamo di Prato.

E' bisogna testé. Non vo' disdire. E ho a fare la Dovizia di Mercato Laquai sulla colonna sha a porre

E ora più lavorio non posso torre. »

0. In Mercato Vecchio, sopra una colonna di granito, è di mano di Donato una Dovizia di maciguo forte, tutta isolata; tanto ben fatta, che dagli artofici e da tutti gli nomini intendenti è lodata sommaraente. » (Vasari, II, p. 400.)

24i LE QUATTROCENTO

chante-histoires Antonio di Gnido, et des peintres, et des sculpteurs. « Donatello, sculpteur, qui lit la sépul- ture de Messer Leonardo d'Arezzo à Santa-Croce; et Desiderio, sculpteur, qui fit la sépulture de Messer Carlo d'Arezzo, aussi à Santa-Croce ; ensuite apparut Rosellino, homme très petit, mais grand en sculpture, il fit celle sépulture du cardinal qui est à San-Miniato à main gauche; maîlre Andreino des Pendus, peintre; maître Domenico de Venise montait; maître Antonio et Piero, son frère, qui s'appelaient del Pollajuolo, orfèvres, sculpteurs et peintres; maître Mariano, qui enseignait l'arithmétique; Calandro, maître à enseigner l'arithmé- tique, et homme très bon et instruit, qui fut mon maître ^ » Pour Luca Landucci, comme d'ailleurs pour nous, Leonardo Bruni et Carlo Marsuppini ne sont connus que par leurs tombes 2.

Enfin et surtout le peuple est le client des artistes. Curieux de beauté, en voulant toujours et partout, à l'image dévote clouée contre son mur, au bénitier de faïence appendu au chevet de son lit, au couvercle de sa lampe, au panneau de son coffre, au manche de son couteau, il porte seshumbles ustensiles chez les humbles maestri. C'est pour un savetier que le Pérugin peint telle de ses madon(»s ; c'est pour les commères de la rue que le Ghirlandajo orne et décore des j)auiers; et c'est pour les confréries et corporations de bouchers,

i. «Donatello scultore, che fece la sepollura di messer Lionardo d'Arezzo in Santa Croce ; e Disidero iscultore che fece la sepollura di messer' Carlo dArezzo pure in Santa Croce. Di poi venne su cl liossel- lino, un uomo nifdto piccolino. ma grande in iscoltura ; fcco quella sepoltura dol Cardinalt; che è a SanMiniato, in (piella cappella a niano nianra .. ; maestro Andreino dcgllnpiccati, piltore ; maestro Douienicd ela Vinegia, pittore vcniva su; maestro Antonio c Piero suo frati'lln che si chiamava del Pollaiiiolo. orali, scultori e pittori ; maestro Mari.iiin ehc'nsegnava l'abaco ; Calandro maestro d'insegnare labaco e uouio molto buono e costumato, che fu mio maestro. » (La.ndlcci, Diario, p. 3.)

2. A peu près à la mrme époque écrit Landucci, Fliivio Itiondo compose son lliiUn iUusIralu. Parmi les illustres KIorcntius, il compte tout d'abord (>>sme, connue Ltmducci, mais aussitôt après, Pallas Strozzi, Angiolo Acciajuoli, Anilrea Kincchi, Gianozzo Manelti, etc. (Opcru, p. 3o:'..)

LE PEUPLE. SON SENTLMEM' ARTISTIQUE 245

do lisscraiids, do forgorons, do cardours do laine, que les uns ot les autres accomplissent leurs œuvres les meilleures.

Ainsi le peuple, avec ses imagos et ses chansons, les histoires qu'on lui conte, les rappresen/azioni qu'on lui joue, les proches qu'on lui fait, et tel que cet art, cette poésie, cette éloquence nous le montre ; laborieux, joyeux, pieux; d'une foi claire et mesurée ; d'un cœur fidèle et fleuri ; infiniment poète, essentiellement artiste; allant comme il peut à sa destinée ; existant quand même en dépit dos doctes; remplissant sa tâche de son mieux; mais seul, sans maître, sans idéal, séparé par un abîme de l'élite pensante de la nation.

Cependant, entre lui et cotte élite, il y avait les bourgeois.

CHAPITRE IV

LB8 BOURGEOIS ET LE RETOUR A L ITALIEN

I. Les bourgeois. Leur position intermédiaire entre les doctes et le peuple. Leur caractère, leur doctrine et leur condition. Leur souci de la chose publique : les lamenti. Leur soin de la religion.

Leur fidélité à Dante. Leurs livres de raison. Leurs divertis- sements littéraires. Leur goût de l'histoire : les chroniques. Leur grâce. Leurs talents de société.

IL L'œuvre littéraire des bourgeois. Comment ils continuent, copient et galvaudent Dante, Pétrarque, Boccace et les petits genres du Tre- cento. Burchiello et la poésie alla burchia. Putréfaction de la littérature de l'âge précédent. Banqueroute de l'idéal. Triomphe du gros rire. Protestation des bourgeois contre l'humanisme : invectives de Domenico da Prato et de Gino Rinuccini. L'usage vivant de la langue écrite maintenu par les bourgeois. Le latin a accompli son œuvre et l'italien risque de tomber au rang de langue alittéraire. Retour à l'italien.

IlL Leone-Battista Alberti. Son éducation et son œuvre d'humaniste.

Son éducation par la vie : famille, amours, gymnastiques, maladies et pauvreté. Son excellence et sa curiosité infinies. Son goût de la Beauté. Ses relations dans tous les mondes. S'adressant à tous, il écrit dans la langue de tous. Ses dialogues et leur morale.

La défense de l'italien V Academia coronaria.

IV. Comment la tentative de Leone-Battista est assurée du lendemain.

Raisons qui militent en faveur du retour à l'italien. Les femmes et le rôle de l'amour. Premiers successeurs de Leone-Battista. Matteo Palmieri et sa Vila civile. Cristoforo Landino et ses leçons sur Pétrarque au Studio. Laurent de Médicis et son plaidoyer pour la langue toscane. Fortune de Dante réhabilité dans ses charges par la Signorie de Florence. L'Académie platonicienne et le vul- gaire. — ÔEuvres latines contemporaines traauites en vulgaire. Le bel italien. Idée qu'on s'en fait et modèles qu'on lui propose. Le style de V Hypnerotomachia Poliphili.

V. La Renaissance.

I

Les bourgeois, très nombreux dans ce qui subsiste en Italie de républiques marchandes, et plus spéciale- mcîfit k Plorence, forment une classe intermédiaire, flottante et mal définie, dont les couches élevées atteignent jusqu'au bel esprit des humanistes, dont les étages inférieurs confinent à la simplesse de la rue.

LES BOL'RGEOIS ET LE RETOUR A L ITALIEN 247

L'épicier Matteo Palmieri, mêlé à tout le mouvement érudit de son époque, l'ami et le commensal d'hommes savants, l'auteur d'œuvres écrites en latin, est quasi- ment un humaniste, sauf qu'il tient boutique, au Canto délie Rondini, de drogues et d'épices. Au con- traire le petit artisan Tribaldo de' Rossi a beau con- naître l'alphabet et rédiger ses mémoires, par ses attaches et son esprit, il est peuple.

Sachant lire, compter, raisonner; s'entendant aux questions et aux affaires; ayant souvent reçu l'an- cienne culture scolastique du Trivhan et du Quadri- viimi; connaissant parfois un peu de beau latin, les bourgeois se distinguent du peuple qui est ignare; ne faisant point profession de cette culture et n'écri- vant guère en latin, ils se distinguent des érudits.

Prudents, sentencieux, économes; facilement mora- listes, volontiers facétieux, grands louangeurs du temps passé, plus développés par la pratique des choses que par le commerce des livres, ce sont préci- sément ces hommes qu'a définis l'un d'eux, «sans science acquise, mais selon l'usage de la nature, experts et sages, à qui il appartient de composer chants de bataille, chansons, musiques propres à délecter les hommes simples et matériels, et parfois de noter quelques-unes des choses qui apparaissent dans les pays, autant qu'ils le peuvent comprendre^ ».

Il faut rechercher leurs origines spirituelles chez les petits trecentistes de l'Age précédent; chez Antonio Pucci qui est sonneur de cloches; chez Ser Cambi qui est marchand d'épices ; chez Ser Giovanni qui s'intitule le premier des barbagimmi; chez Franco Sacchetti qui se dit uomo discolo e grosso, oui, Sacchetti qui prétend que la justice est morte, Sacchetti qui attaque les moines,

1. « Uoniini senza scienzia acquisitata, ma secondo l'uso délia natura expert! e savi, sta di coniponere canti di bactaglie, canzoni, suoni e altre cose, a dare dilecto alli homini simplici e materiali, e alcuna volta di notare alcune cose che appaiono in ne' paesi, segondo quelle che puù comprendere. » (Sercambi, Croniche.)

248 LE QUATTROCENTO

Sacchetli qui flétrit les tyrans, Sacclu !ti qui se plaint des impôts, Sacchetti qui pleure la foi perdue, Sacchetti qui polémise, conte, chante, rit, plc-ire, et qui est d'ailleurs marchand, citoyen et magishat, donne assez exactement leur mesure, s'il est permis d'assigner un format à cette classe.

Ils sont marchands de drap, marchands de soie, changeurs, hanquiers, épiciers, appartenant au peuple gras, si ce n'est toujours par la position, au moins par la disposition ; ils sont jhges, notaires, greffiers, juristes, scrihes, magistrats; ils sont capitaines du peuple, ambassadeurs, podestats, gonfalonniers de jus- tice ; et ils sont parfois chanoines, prieurs et vicaires.

Ils ne chantent pas comme le peuple : ils écrivent. Ils n'écoutent pas : ils lisent'. Ils n'improvisent pas : ils réfléchissent. Ils narrent, ils disputent, ils dis- sertent, ils raisonnent, ils conseillent, ils regrettent, et ils prêchent surtout beaucoup. Ils ont de l'escient, du jugement, du bon sens, de l'assiette et de la raison. Ils sont assis sur leur office comme sur un banc. Us sont graves et pondérés. Ce n'est pas à eux (juil fau- drait faire prendre des vessies pour des lanternes, ni tâcher de conter que midi est à quatorze heures. Ils savent parfaitement frauder le fisc, cacher leurs revenus, exagérer devant les officiers de l'impôt leurs charges domestiques. On se tromperait encore d'exiger de leur vertu des atlitudes aussi héroïques que témé- raires, et qu'ils aillent s'Uttirer quelque ennui en se m«'ltant entre les jambes des gouvernants. « Dans les faits d'itllat, dit Neri Gapponi, je conclus que vous le teniez pour qui le tient, et chargez-vous en peu, et

1 . Les Hlorie que goûtent les bourgeois ne sont point celles chantijes et riim'-cs par le canlamlmnco devant le peuple, il en a d'autres, à lui plus pfirticiiliérement dcslinùes, écrites en prose, qui se lisent et i|iii sont plus «('•rieuses. C'est ainsi (|uc lltalie possède, à côté do sa lilliniture romanes(|uc en vers, une très vaste littérature en prose parallèle. Andréa di Harheriuo, qui (lorissait autour de l'an 1400. et à qui l'on doit, entre autre», les doux histoires de Cuerrino il Meschino et dos Heiili <li Franciu, y fut excellent.

LKS BouKr.r:ois kt le rtCToUR a l italien 249

donnez votro faveur à qui gouverne'...» «Tiens tou- jours, ajoule Morolli, pour celui ([ui lient et possède le Palais et la Signorie, et suis leurs volontés, et obéis à leurs commandements, et garde-loi de rien blâmer, ni de dire mal de leurs entreprises et alïaires, mt^me quand elles sont mauvaises-. » Ils s'intéressent aux choses de leur pays. Ils savent, ce qu'ignorent les humanistes, quel est le gouvernement le meilleur, de celui d'un ou de plusieurs, ou de celui de peu ou de beaucoup. Ils ont des théories d'Etat et des principes de politique. Et s'ils ne défendent plus la commune les armes à la main, oflice désormais réservé aux sol- dats mercenaires, ils la conseillent toujours de leur avis.

Le bien de la cité, l'honneur de la cité les intéresse au môme chef que leur honneur personnel. Ils appar- tiennent à une ligue ou à unefaclion. Ils sont travaillés de soucis et de griefs publics. En 1420, à Florence, Niccolo Uzzano s'en va subrepticement afficher sur le palais de la Signorie certaines terzines si virulentes contre les hommes au pouvoir, qu'on promet cent florins d'or à qui en découvrira l'auteur. Ils composent des libelles, des factums, des pamphlets, des déclara- tions patriotiques. Dans les désastres publics englobant toute une communauté, ils élaborent de longues com- plaintes qui sont dites Lainenti, par leur bouche éplorée se lamente à la première personne la cité déconfite ou le prince vaincu •^ Nous axons doi /(tmenti de Constantiiiople aux mains des Turcs, de Pise aux mains de Florence, de Volterre aux mains du Magni- iique, de Gônes qui appelle au secours, de Rome qui

1. « Ne' fatti dello Stato. conchiudo che voi tegnate con chi lo tiene; e pigliatene poco, e date fuvnre a chi repge, perché e' si conviene avère maggiore. » (Muratori, Herun,, XVIII, UoO.)

1. « Tieni seinpre con clii tieue e posslede il palagio e la signoria, e loro volontà e coiumandainenti obbedisci, e segiiita, e guardati di non biasiiJiare. dire maie di loro iniprese e faccende, eziandio che siano cillive. » (MonELLi, Cronaclie, p. 276.)

3. Lamenli slorici ilei si-culi XI V, AT e A'1'7, raccoiti e ordinati a cura di A. Medin e L. Frati, Bologne, 1887-88-90, 3 vol.

250 LE QUATTROCENTO

pleure la déchéance de son église; nous avons des lamenti sur les disgrâces des comtes de Poppi, de Galeazzo Sforza, de Julien de Médicis, du roi de Naples. Ces choses, qui affectent la forme de sirventesi^ de ha/iate, de canzoni ou de simples octaves, s'écrivent, s'envoient, s'affichent, se chantent sur la place; si ça ne console pas toujours, ça soulage du moins un peu. « Au temps, dit Gaugello, citoyen de la ville de Pergola, l'on découvrit ce traité, que certains méchants devaient donner une porte à S. Ghismondo pour ruiner cette terre, et ils furent châtiés avec justice, et caetera, et moi étant à Urbin, et passant un jour à Pian di Gher- cato, j'entendis une voix de ces boutiquiers qui disait : Ces traîtres de la Pergola ! Cette parole me blessa d'une telle injure qu'en moins de trois heures je composai cette petite fantaisie, laquelle fut lue en ces boutiques de Pian di Chercato, et après chacun se tint coi*. »

Et, comme ils ont du patriotisme, ils ont de la reli- gion; ce sont eux qui, le plus souvent, fabriquent les laudes dévotes et les rappresentazione sacre, à défaut des humanistes qui ne sauraient s'abaisser à cette besogne et du peuple qui ne saurait s'y élever. Ils commentent la Comédie de Dante dans les églises; à Florence, Giovanni Gherardo da Prato succède dans cet office à Fil ippo Villani. et Antonio d'Arezzo succèdeà Giovanni Gherardo : « Le 16 janvier 1428, noteCorazza, maître Antonio d'Arezzo commença à exposer Dante à l'église de San-Slefano a Ponte. Et parce qu'il y avait peu de place, il la dit ensuite à l'église Sainte-Marie- de-la-F'leur. »

Quehjuefois ils sont pauvres, perclus de dettes, mis

1. « AI leinpo che fo discoperlo qucllo Iractato che cerli ealtivi dove- vano dare una porta al S. Gismondo per guastare qiiesta terra e qiielll furono casti^ali ciun juslitia, etc., et io essendo in L'rbino e passando un di per Pian di Chercato, sentii una voce di quelle boctighe rlie dixc : quelii traditori de la Pergola. Qiiella pnroia mi punsc con tunianta injuria che suhito in niauro di tre hore io conipusc nuesta pichula fantasia, la quclla fo lecta in qnelli; boctighe di Pian (le Chercato et ciaHCuno stectc puoi quetu. » {Lamenti^ oj). c, IV, p. 14i.)

LES BOURGEOIS ET LE RETOUR A L ITALIEN 251

pour leurs dettes en prison; et alors ils profitent de ce r^pit pour composer des vers ou des histoires, à l'exemple de Jacopo da Montepulciano, de Giovanni Cavalcanti ou du barbier Burchiello. D'autres fois ils sont riches, puissamment cossus, possédant des champs au soleil, des graines au grenier, du linge dans les coffres. Ils ont de l'ordre. Ils gardent un livre, le livre, oii par besoin de clarté et de commodité mentales, ils inscrivent les affaires, de leur vie spirituelle, comme dans un tiroir ils enferment les objets de leur vie com- merciale. Qu'on ouvre le livre ou le tiroir, on trouvera en place ce dont on a besoin. Ils y inscrivent d'abord les événements qui les louchent de près, leurs dépenses occasionnelles, la naissance de leurs enfants, la dot et la mort de leurs femmes, les rendements de leurs terres, le nombre de leurs arbres fruitiers, leurs con- trats, leurs voyages ; et comment ils étaient habillés dans tel déplacement; et qu'ils se sont commandé un bonnet de fourrure de tel prix; et que leur femme a perdu un petit couteau au bal donné sur la place pu- blique de Sienne. Ils y copient les écritures bonnes h garder, telles que : recettes de pommades et d'eaux, for- mules incantatoires, fragments d'anciennes chroniques, strambotti^ sonnets, ballades, chansons de poètes fameux, un petit traité de géographie, le Symbole de saint Athanase, la Prière des sept allégresses en vers, la Prière des sept allégresses en prose. Ils y consignent les événements de la rue, de la cité ou du monde, et non seulement les fêtes, noces, entrées triomphales, bals, tournois, naissances d'enfants monstres, comètes, pestilences, exécutions capitales, processions, ouragans, tremblements de terre, mais les batailles, les édits de paix, les promulgations de guerre, les détails d'ambas- sades, les élections de prieurs, les ordonnances de princes, les mouvements de la place. Ce sont leurs livres de raison, leurs Diarii, lihri di ricordi, libri secreti, memorie, zibaldoni, « salades de plusieurs

252 LE QUAT'HIOCENTO

horbes » comme dit du sien le marchand Giovanni Rucellui.

Très actifs, détestant la paresse qui est une honte, pour fuir le sommeil et s'occuper dans les heures vides, ils s'amusent à écrire. Ils traduisent quelque chose du latin, composent des traités utiles, racontent des vies ou des histoires.

Giovanni Gherardi da Prato élabore son Trallato d\ina angelica cosa mostrata per itna divofissima visione et son petit roman du Paradiso degli Alherti ; le mar- chand Feo Delcari de Florence translate du latin les pieuses légendes d u Prato sjjîrihiale, la l 'ita diFra Egidio, l'ami de saint François, la Vita del Beato Colonibini, fondateur de l'ordre des Gesuati, qu'il enrichit de chiiïres, de dates, d'informations puisées « dans les papiers de notaires publics » ; sur la fin de sa longue cairicre, et dans sa solitude champêtre de l'Antella, le libraire Vespasiano di Histicci se divertit à coucher par écrit un Trattato contro ail' ingratitudine, un Tratlato délia vila e conversazione dei Cristiani. un Libro délie lodi et commendazione délie donne illttstri, et, bien qu'une pareille occupation soit « étrangère à sa profes- sion », dans ses fameuses Vite, il « fait mémoire de tous les hommes doctes qu'il a connus dans celte époque par le moyen d'un bref commentaire* ». Encore que leur esprit, nourri de chiiïres et de faits, garde les deux pieds sur terre et ne soit point pour se perdre dans les nues, C(ît esprit n'est point l'ennemi de la poésie. Ils sont hommes à priser l'iugéniositédélicate d'une inven- tion, liclion ou vision amoureuse; et ils ne se montrent pas si rustiques qu'ils ne soient capables tout comme un autre d'y aller de leur sonetto candato. Mais (jue s'ils s'essoufllent (juclquefois après les allégories d'un autre monde, ils préfèrent rester dans celui-ci, et y

1. v Ucne clic siii alieno <l(.-lla iiiia profcssiono, tio falto iiieinoriH di tutti k'i iioiiiini che ho cononciuli in questu ctà, pcr via d'un brève romenlario. » (Vkhcahuro, p. 5.)

Li:s i!OLRGr:ois et le iietolr a l italien 253

nicltre joliment en vers, soit une nouvelle de Boc- cace, soit une chronique de pays, oi^i il nV a rien à inventer. Antonio da San-Miniato rime le siège de Piombino. Niccolù Ciminello rime la guerre d'Aquila. <joro Dati rime l'œuvre géographique de La Sfera, il est parlé des ciels, des terres, des continents ; et Pietro de Moiitalcino, en un livre d'autant plus beau qu'il porte un titre latin, Dcuisdttttio/irvirtitttnn etdc irgbnine sanllafis, rime des principes de morale et d'hygiène.

L'histoire, dont on peut tirer mieux que de la poésie <( un bon fruit » les intéresse au premier chef. Ils ont la mémoire remplie d'événements, de souvenirs, d'exemples et de faits historiques, qu'ils citent volon- tiers dans leur prudence, et que, pourne point oublier, ils couchent facilement par écrit. C'est ainsi que Pietro Minerbetli, trois fois prieur de Florence, gonfalonnier de justice, cavalier de l'Eperon d'or, était jadis homme à dire précisément, « en quel an, en quel mois, en quel jour avaient été faites ces o[)érations et ces choses, desquelles on parlait et raisonnait »; mais avec l'âge sa mémoire s'est si ad'aiblie que « moi, avoue-t-il, des choses que j'entends qu'elles se fontetse pratiquenten quelque lieu, c'est à peine si je les garde un an dans mon esprit... et cela très souvent m'excite à colère... et c'est pour cela que j'ai pris à cœur de faire quelque mémoire pour moi seul des choses que j'entendrai qu'elles se font en beaucoup de pays* ». Pour des raisons sem- blables, les uns et les autres élèvent souvent leur modestes diarii jusqu'à la hauteur ou jusqu'à la pré- tention d'annales et de chroniques.

Giovanni Sercambi, épicier et magistrat de Lucques, raconte, '< pour ne point rester oisif », les trois histoires

1. « Ma oggi è tanto indebilitata la memoria che io délie cose ch'io odo si fanno, o adoperano in alcun luogo, appena un anno le tango a mente... e queslo ispesse volte mi move a ira... e per questo mi sono posto in cuore di fare aUimo ricordo per me solo di quelle cose che udirù si facciano in molli luoghi. /> (Pietho Mineubetti, Cronica, Tartini, Reruin, Florence, 1748-1770, 2 vol.. Il, p. 80.)

2o4 LE QUATTROCENTO

de Liicqucs libre, de Liicques gibeline, de Lucques libé- rée, travail qu'il commence en Tannée 1368, qu'il pousse jusqu'à sa mort en 1424, et qui, depuis l'année 1400,. n'est plus qu'un monceau de choses jetées pêle-mêle. Goro Dati, de Florence, consul de l'Art de la soie et prieur, « pour fuir l'oisiveté et le sommeil à l'heure du midi, » raconte à un de ses familiers « par ordre, chaque jour un morceau », « l'histoire de la longue et grande guerre d'Italie qui fut en ces jours entre le tyran de Lombardie duc de Milan et la magnifique commune de Florence * ». Neri Capponi de Florence compose le Co)n- mentario deiracqtmto di Pisa, et Giovanni Cavalcanti de Florence, enfermé injustementpour dettes « dans les hon- teuses et fétides prisons qui, par leur vocable, sont appe- lées lesStinche », réduit à discourir contre son gré «avec des personnes de condition abominable et perverse», « pour oublier les perverses et si méchantes gens et leurs conversations » et « pour réfrigérer ses passions et leur donner de l'espace » décide « d'écrire les divisions de nos citoyens, et d'où procéda l'exil de Cosme de Médicis, et puis son retour, et ce qui s'ensuivit de cet exil mal fait- ». Pietro Minerbetti suit l'histoire de Florence de 1385 à 1409, et Domenico Buoninsegni, la conduit de 1410 à 1460. Bernardino Corio étudie l'histoire de Milan depuis ses origines jusqu'à la fuite du Sforza à Innsbruck, et MarinoSanudo détaille la vie des doges de Venise jusqu'à Antonio Barbarigo. Et que si ces chroniques visent plu» ou moins au beau style, d'autres sont plus domestiques et familières.

Stefauo Infessura, notaire, préteur à Orbe, maître de

1. « Dilibero di racconture oyni di un pezzo per ordinc, la sloria délia lun^a e grande guerrn d'Italia, che fu a questi nostri di tra il liranno di Loriilmrdia diica di Milano e il magnifico couiunc di Fircn/e. » ((joHo l)ATi, Sloria di Firenzf, Florence, n^ii, p. 1.)

2. « ... l'er rifrigerare e dare liiogo aile mie passioni, e da quelle farini lontnno (juunlo era j os.sibile, per ohbliare le perverse e si nial- vngc gcnti, e le loro conversiizioni, elcssi di scriverc dclla divisione di nostri citladini ; c dunde procedelle il cacciauiento di Cosiuio; e poi de! 8UO rilornarc ; e quello che sei(ui di questo mal Tatto cacciauiento. » (fjiovA.ii.Hi Cavau;aati, Isturiv florentine, Floreme, 1828, 2 vol., I, p. 2.)

LES BOURGEOIS ET LE RETOUK A l' ITALIEN 255

droit à Rome, secrétaire du Conseil de sa commune, écrit la chronique romaine de l'an 1244 aux dernières années du Quattrocento. Giovanni Pietro Gagnola, châ- telain de la Rocca di Sartirana raconte en milanais à Ludovic le More « pour fuir la paresse et prendre (|uelque récréation dedans les murs », « les désolations qui ont été faites à cette Ilalie par gents barhares et extérieures depuis l'incarnation de Notre Seigneur Jésus-Christ' » ; et il faut citer les chroniques d'Orvieto de Niccolù délia Tuccia, les chroniques de Forli de Leone Gobelli, les chroniques de Pistoie de Luca Domi- nici, les chroniques de Gubbio de Guernieri Berni, les chroniques de Brescia de Gristoforo da Soldo, les chro- niques de Venise de Piero Malipiero, les chroniques de Rome de Paolo di Petroni, les chroniques de Naples des Ramo, les chroniques de Florence des Rinuccini. Ces œuvres, indilï'éremment écrites en vulgaire ou dans le latin des procédures, remontant parfois au déluge et s'aidant alors de chroniques plus anciennes, constituent une sorte de trésor domestique. Elles sont élaborées par le père et transmises au (ils, à qui il arrive de les tenir au courant. Elles représentent des façons de mémento^ de répertoires, d'une consultation utile aux familles qui les possèdent. « Quoique, dit à ses lils Giovanni Morelli des siennes, elles soient écrites grossement et matériellement, je pense que vous y trouverez dedans bon fruit, et cela ne se fait point pour lire à plaisir, ni pour montrer à aucune personne, car appartenant à autre qu'à vous, on s'en moquerait-. »

Non que le goût de l'histoire, le soin de l'Etat, le <ull<^ de la religion, le souci du commerce et de leur profession les absoi'be tout entiers. Ils ont l'esprit bien

1. « Le desolazioni a questanostra Italia state faite du giente barbara f externe da poy la incarnazione del N.-S. J.-C. »

2. « E comechè grossamente e material mente iscritte, nondimeno penso che vi Iroverete entro buon frutto, e questo non si fa per leggere a dilctto, ne per mostrare ad alcuna persona, che non appertenendosi ad altri che a voi, se ne sarebbe fatto betfe. » (Mohelli, Cronache,. p. 2415.)

256 LE OIATTROCENTO

fait. Ils lénioig^iient, surtout au temps de la jeunesse, d'une liumeur jolie. Ils ont des armes, des armoiries et des devises d'amour. Us sont hommes à paraître dans un bal, à figurer dans un tournoi, à tenir leur place dans une réunion. Ils connaissent de gracieuses mvlho- logies. Ils touchent facilement du luth. Ils improvisent quelquefois des chansons. Ils sont empressés envers les dames. Ils s'etTorcent de disserter de courtoisie et de gentillesse. S'appliquant à être de requête auprès des compagnies aimables, ils possèdent plus d'un tour dans leur gibecière et plus d'une ressource dans leur esj)rit. Pour chasser l'ennui des longs voyages, égayer les veillées monotones, tenir en temps de peste son esprit dispos comme il sied, ils racontent des histoires. Ils mettent par écrit les farces qui se sont accomplies dans leur époque, quelquefois sous leurs yeux : celle de Brunelleschi et des artisans de Florence au Grasso legnaiuolo ; celle de Messer Giovanni, grand farceur de Florence, à Buonaccorso di Lapo Giovanni ; celle du notaire Tinucci, du cavalier du palais Antonio et du fils de Messer Guccio di Nobili au pauvre Âlfano dit le Bianco : en li28, ne s'étaient-ils pas avisé de lui faire accroire qu'il avait été nommé podestat à Norcia, si bien que le simple homme démissionna de son emploi, vendit ses allaires et partit aussitôt'? Ils ont voyagé, couru le monde, assisté à des aventures, recueilli des notices et des nouvelles, dont ils font |)ro- vision, qu'ils envoient poliment comme hommages, présents, remèdes aux maladies et consolations aux cha- grins. Leur uK'moire est meublée de bon*^ tours, de bons mots, de n'-ponses comiques, de fourberies boull'onnes, constituant un véritable trésor de société. Et, lorsqu'ils se rappellent de compagnie quelque piraterie du Piovano

\. Voir la nouvelle du (îrasso legnaiuolo, àann Manetti, Opérette isto- ric/ie, Florence, I8HT La nouvelle de Buonaccorso di Lapo. dans licirghini, Af/t/iitn(e ni Sovelllrio, II, p. 115. La nouvelle de Hianco Alfani, ib., p. 211. La science n'est point d'accord sur l'attriliuUon ■ilc ccH nouvelles.

1

LES 150URGE01S ET LE RETOUR A L ITALIEN 257

Arlotto OU qu'avec des gestes appropriés, Piero Vene- ziaiio, « homme gai, plaisant, universel et de talent merveilleux » leur narre sa fameuse histoire de Madonna Lisetta Levaldini, ils rient à se décrocher la mâchoire et se tapent sur les cuisses.

II

L'œuvre écrite de gens pareils n'appartient pas à riiistoire de la litt('ralure, elle appartient à l'histoire des mœurs.

Ecrivant en italien, puisqu'on déiinitive, c'est en italien qu'on achète, qu'on vend, qu'on vote, qu'on fait l'amour, qu'on rôve la nuit, ils n'écrivent point pour le public et la gloire, ils écrivent pour leur pi'opre commodité.

Une bourgeoise qui, de ses doigts piqués par l'ai- guille, prend une plume, afin d'envoyer des nouvelles à ses fils exilés; un ambassadeur qui adresse à sa com- mune ou a son prince une relation secrète ; un mar- chand qui, pour l'utilité de sa famille, consigne dans un livre les faits de sa maison ou de sa cité ; un citoyen qui dégonlle sa bile dans un factum politique ; un com- père qui collectionne des facéties joyeuses, ne sont point des auteurs; et les papiers publics et privés, les rapports, les ?ne?nenlo, les libelles, les correspon- dances, les livres de raison et les documents d'archives ne constituent guère des œuvres d'art. Néanmoins, comme les bourgeois sont avant tout « honnête homme », c'est-à-dire qu'ils jouissent d'une certaine culture, qu'ils possèdent une petite librairie, qu'ils gardent des goûts intellectuels, il leur arrive parfois, à côté de leur mélier et de leur office, de s'essayer, par divertissement et par passe-temps, à quelque belle composition qui leur fera honneur. Lorsqu'on a la pratique et la reli- gion des vieux poètes, des vieux conteurs, des vieux il n

258 LE QUATTROCENTO

chroniqueurs, il n'en faut pas beaucoup pour qu'on s'efforce à ses moments perdus, d'imiter leur manière. C'est ainsi que, pour se distraire et par occasion, les bourgeois du Quattrocento ont continué les vieux genres littéraires d'Italie qu'ils ont empoché de sombrer dans l'oubli. Il était impossible au surplus que la voix d'un Dante, d'un Pétrarque, d'unBoccace s'éteignît sans pro- longer d'écho.

Aussi bien, à la suite du poète Dante, quelques-uns accomplissent des voyages d'outre-tombe et s'efforcent d'être élus à des visions sublimes ou charmantes. Après Fazio degli Uberti, à qui il avait suffi, dans son Ditta- mondo, de dépeindre toutes les terres connues et in- connues, l'évêque Federigo Frezzi de Foligno décrit dans son Quadriregio les quatre règnes que l'homme doit traverser pour atteindre de l'erreur à la vérité. L'épicier Matteo Palmieri,de Florence, imagine, dans sa Città di vila, qu'il monte avec la sibylle de Gumes jus- qu'aux Champs Elysées. Marino Jonata de Campobasso, en son Giardino ou Pnineto^ syllogise avec la Mort en enfer et au paradis. Tommaso Sardi parvient, dans son Anima peregnna,']\is(\\ik la face de l'Eglise triomphante. Gentile Fallamonica, de Gênes, se laisse guider par le soleil, et Francesco Berlinghieri, de Florence, se laisse guider par Ptolémée'. Plus plaisamment, StefanoFini- guerra de Florence, homme très facétieux et surnommé Lo Za, invente, dans la Buca di Monferralo et dans le Gagna, deux cortèges de gens de rien, « réduits à peu », « aussi riches qu'en songe », qui s'en vont, les uns chercher un trésor dans une grotte, les autres habiter une île l'on ne paie pas d'impôts, et décrit, dans le Studio d' A t eue ^ une foule qui part pour Athènes rifare lo studio fermé à Florence : aulant de poules mouillées, oies et non coqs, semblant toujours à'\\\i je ne sais pas, la tôle plus vide qu'un brochet, notaires, maîtres de

i. Geot/raphia di Francesco lierlinf/hieri, Florçtice, 1480 (?).

LES BOURGEOIS ET LE RETOUR A L ITALIEN 259

loi, médecins, « qui ne trouveraient le pouls à un cam- panile sonnant à toute volée^ ». Et comme à la place de Virgile et de Béatrice, c'était Pietro Vettori et Ser Gigi qui avaient servi de guide au Za, c'est Leonardo Bruni qui sert de guide à Gambino d'Arezzo, qui se heurte, dans sa cité, à une bande d'idoines.

D'autres s'inspirent des Trionfi de Pétrarque et de VAmorofia visione de Boccace, qui sont eux-mêmes des inspirations de la Commedia ^. Jacopo da Montepul- ciano, enfermé dans les Stinche de Florence, compose une Fimerodia qui, selon son étymologie, signifie « fa- meux chant d'amour ». Gleofe de' Gabrielli célèbre le pas- sage de Borso d'Esté à Gubbio en un triunfo ; en un autre trionfo, le peintre Giovanni Santi, père ^de Baphaël, exalte la cour de Fedorigo di Montefeltro, à Urbin ; et dans le Trionfo délie virtù, le notaire florenlin Forese, guidé par l'Intelligence, magnifie le marchand Gosme de Médicis'*. Pestellino, orfèvre de son état, sur les traces an Filostrato, chante ses voyages, ses aventures, ses amours, et comment il guidait sa Dame en petit bateau. Dedans un joli bois apparaissent à Jacopo Ser- minocci, marchand de Sienne, sept nymphes chasse- resses et six garçons qui disputent de treize questions d'amour. A Domenico da Prato, notaire de Florence, sa propre Dame apparaît deux fois, une première fois dans un pré elle joue, avec d'autres dames, au jeu du pomo [Il porno del bel fioretto), une autre fois sous la forme d'une biche, puis d'un rossignol, puis d'une infidèle à son amour (// Rimolat'mo). Sept Dames ou autant dire sept Vertus guident Giovanni Gherardi da Prato de la forêt d'erreur jusqu'à la montagne théolo-

1. « ... Costui è si perfetto isrnemorato Che se tochasse il poiso a un campanile Sonando a festa non l'haria trovato. »

{La Buca di Monlefevnilo... poemetti satirici di Stefano di Tommaso Finiguerri, pub. par L. Frati, Bologne, 1884, p. 215.)

2. F. Flamiiii, La lirica loscana del Rinascimento anteriore ai tempi di Lorenzo il Maçffdfico, Pise, 1891.

3. F. Xovati, // trionfo di Cosimo de' Medici, Ancona, 1883.

•260 LE QUATTROCENTO

gique et poétique du Parnasse et de la vertu, il avise, à côté des excellents poètes Dante, Pétrarque, Boccace, Zanobi da Strada, les peintres Giotto, Gaddi, Orcagna. Ovide prend par la main Messer Piero del Giocolode Pordenone et, le conduisant dans les règnes d'Amour et d'Infortune, l'amène jusqu'à la présence de sa Dame couronnée d'olivier, qui cède la place à Boèco.

Et tous ceux de Florence, et Marco Piacentini de Venise, et Domizio Broccardo de Padoue, courtisent leurs Dames en de mélancoliques sonnets, à la façon suave du poète Pétrarque, qu'à peine mort Zenone Zenoni a magnifié en une Vision de treize chapitres : Cino Rinuccini, le jurisconsulte Buonnaccorso da Monte- magno, le chanoine Uosello Roselii, le lecteur endroit Francesco Accolti, le héraut de la Signorie Antonio di Meglio, le notaire Domenico da Prato. En 1409, le juriste et orateur romain, Giusto de' Conti, s'est épris merveilleusementd'unejeune fille, peut-être religieuse, à laquelle il n'a pas le droit de prétendre et dont il chante, en un canzonière intitulé la Bella Mano, la belle main qu'elle avait.

Gentile Sermini de Sienne, Masuccio Guardati de Naples, Sabbadino degli Arienti de Bologne, ont, à l'instar des conteurs Boccace, Sacchetti, Ser Giovanni et autres novellieri, l'imagination remplie de nouvelles plaisantes, divertissantes, gracieuses, narratrices ou lamentables. Celles de Sermini, qui lleurissait auloiu* de 1424, à Sienne, sont écrites sur des paperasses et chiiïons qui remplissent ses colTres et armoires; pou| complaire à un ami très cher, il s'amuse à les recucillil dans un livre : « Et comme celui qui veut envoyer un< petite salade à son ami prend le panier et le couteau, cl s'en va chercher par tout le jardin, et les herbes qu'il trouve, il les jette comme il les trouve, pôle-môle, danl le panier, i)areillement il m'est arrivé de faire; anssi ceci me semble devoir s'appeler, à bcndioil, non livre,

LES BOURGEOIS ET LE REïOLR A L ITALIEN "261

mais panier de salade, et c'est le nom que je lui donne'. »

Ser Cambi, Marino Sanudo, Bernardino Corio s'ellorcont d'imiter les Villani. D'autres imitent les Rus- tico di Filippo, les Pieraccio Tedaldi, les Franco Sac- chetti, et Antonio Pucci, qui disait en sonnets la mala- die d'une poule, la recette d'une sauce, la maladresse d'un barbier. Le banquier Francesco Alberti fait un sonnet sur un nez tordu; Giovanni da Prato j^ausse la coupole de Brunelleschi; Antonio Bonciani invective un chanteur de place; Antonio di Meglio et Giovanni Barberino échangent en sonnets des remèdes propres à guérir leur disposition à la mollesse. Et comme au siècle précédent ileurissait déjà la poésie burchiellesque, qui embrasse deux ou trois cycles ténus, qui chante le manteau en loques, la maison branlante, la haridelle boiteuse, une mauvaise nuit, un méchant repas, et dont une des principales sources de comique consiste à amonceler des choses qui n'ont que voir ensemble, à entasser des objets pris à hue et à dia, et du persil, et des trulFes, et des anguilles de San-Salvi, et du hoche- pot d'Allemand, et des hommes chauves, et un bœuf, et un àne qui vole, et une fève frite à l'huile, et des archets, et des peignes, et des Heurs de mauve... Voilà qui est bon à engraisser la barbe aux noisetiers >')>) ; le

1. « E si corne colliii che una sua insalatella vnole a iino siio arnicn mandare, preso il paneriizzo e '1 colteliino, l'orlicello suo tiitlo ricerca. e coiue i'erbe trova, cosi ael paneretto le meUe senza alcuuo assort i- nienlo iiiescolatamente ; non altraiiiente a me é convennto di fare. Pero adunque mi pare che questo meritamente non iibro, ma imo paneretto d'insalatelia si dehbi chiamare, e pero questo nome li pongo. > {Le uovelle di Gentile Sermini da Siena, Livourne, 187 i, p. 3.)

2. « Prezzemoii, Tartufi, e Pancaciiioli, Anguille da Legnaia e da San Saivi, Lasagne di Tedeschi, uomini calvi, E râpe, e pastinache, e fusajuoli,

E un Bue, et un Asino che voli,

E lava con che l'olio fritto insaivi

E arcolai, e pettini, e fior malvi,

Son biioni a ingrassar barbe a'Nocciuoli. »

{Sonelli del liurc/iiellu, del lielUncioni e d'ultri poeti fioretilini alla burchiu, Londres, 1737, p. 4'J.}

262 LE QUATTROCENTO

barbier Burchiello, qui a donné son nom au genre ou, ce qui revient au même, à qui le genre a donné son nom, triomphe dans cet ordre de facéties.

en 1404, à Florence, fils d'un charpentier, s'appe- lant en réalité Domenico di Giovanni et tenant boutique de barbier dans le quartier de Caiimala, c'est un esprit bizarre, mordant]et facétieux, tellement que son échoppe est aussi bien une officine de bel esprit et un coin de fronde qu'une boutique de barbier. Burchiello a des lettres, de la religion, une opinion politique; il est pour les Albizzi contre les Médicis tant et si bien qu'au retour de Cosme, en 1433, il est exilé de sa patrie ; il court l'Italie, séjourne à Sienne, séjourne à Venise, revient à Florence, et meurt à Rome, en 1448. Mais les tristes conjonctures d'une existence aussi nomade et d'une condition aussi diverse ne lui sont que pré- texte à railleries, moqueries et bouffonneries. Empri- sonné à Sienne, peut-être à la suite de quelque expé- dition amoureuse, pour avoir rossé un enfant et volé de nuit, à la faveur d'une échelle, deux bonnets qui séchaient valons et communis existhnationis decem sollidonmi, il reste à l'ombre plusieurs mois, «der- rière le réseau d'une grille », « se faisant jour avec les mains », la cervelle pleine de fantaisie, rimant des sonnets à l'aide d'une plume qu'on lui porte dans une gousse et à l'aide d'encre qu'il se fait servir au lieu de vin. Il s'amuse de tout et de tous, tant il a le cœur jovial et l'esprit dispos. Il rit de son dénumeiit, de ses privations, de son manteau troué comme une écumoire, de sa maison ouverte à tous les vents, des puces, punaises, rats, souris, moustiques, qui couchent dans son lit, de ses chemises brodées de taches, de son petit bien qui lui rapporte une Ihuir de sureau l'an. Il est mahidc; il meugle (h; douleur à sa femme; ses genoux tombent sur ses talons; une grenouille coasse dans son ventre : il rit(iuan(I même. D'ailleurs la |)lupart de ses souffrances sont physiques; sa vie intérieure est

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réduite à la vie de son ventre; la fumée qui s'élève au bout de son horizon est la fumée d'un ragoût : « Toutes leurs viandes ont un goût de bouilli! » dit-il, avec un soupir, de Venise. Et parlant argot, vivant des menus accidents de la rue, procédant par allusions aux humbles faits contemporains, son imagination abonde en inven- tions truculentes, en propos de haute graisse, le harnais de gueule et les histoires de digestion tiennent la place d'honneur : querelles d'alcôve avec sa femme, recettes de cuisine, receltes de drogues, propositions d'énigmes et de charades, tableaux de genre, natures mortes, trognes d'ivrognes, profils de haridelles, cor- beilles de fruits, amas de proverbes, et chapelets de sonnets grotesques, paillards, énormes, ventrus, dévots et bouffons, propres à divertir les bourgeois dans leurs accès d'humeur chagrine.

Toute cette littérature n'est pas la continuation de celle duTrecento, mais sadégénérescence. Elle est lourde, épaisse, longue, lente, d'une pauvreté et d'une vacuité de misérable. Elle se traîne a ras la terre après les beaux modèles qu'elle réduit, galvaude et confond. Gomme l'humanisme, elle n'existe pas d'une existence à elle, mais d'une existence factice de reflet et d'écho. Elle ne vit pas, elle survit. Elle ne crée pas, elle copie. Elle no tire que l'intérêt médiocre de montrer comment un organisme, qui fut vivant, s'altère, s'atrophie, se décompose, et quelle efflorescence de pourriture naît sur le chef-d'œuvre. Tout décline, diminue, s'alfaisse et retombe à la fois; l'inspiration et l'expression; le cœur, l'esprit avec la main. L'àme du passé, qui avait nourri de sa puissante sève un Dante, un Pétrarque, un Boc- cace, est en pleine décadence. La source est tarie; les « maisons du Parnasse sont vidées » ; à la poésie suc- cède la parodie, à la tendresse la manière, au sourire le gros rire. Et dans cette banqueroute des grands efforts et des grands rôves, dans cette faillite de la beauté, dans cette débâcle du génie, un seul genre progresse et

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se développe, la poésie burchiellesqiie, qui est elle- même une fleur de décrépitude, le résultat d'une longue décadence, du genre gnomique au genre moral, du genre moral au genre facétieux, du genre facétieux au genre burlesque et du genre burlesque au genre bouf- fon'. Il semble qu'avec ces bourgois cauteleux, pru- dents, courts d'haleine, qui. artistiquement parlant, n'existent que lorsqu'ils rient, le ciel prenne sa revanche de la terre, la matière de l'idéal, la carica- ture de l'extase. Ne pouvant être Pétrarque, ils se contentent d'être Burchiello. Incapables de s'envoler au paradis, ils se traînent dans la petite trivialité de la rue. Ne sachant plus parler la langue aulique, ils adoptent la langue verte.

D'ailleurs, qu'auraient-ils pu faire d'autre etde mieux, eux qui ne considéraient la littérature que comme une distraction et qui ne lui consacraient que les rognures de leurs heures? Leur métier n'est point de conter finement ou de chanter avec grâce, mais de compulser des minutes, de vendre de l'étoffe, de plaider des causes, de raser des barbes et de gagner de l'argent; ce ne sont pas des artistes, ce sont des amateurs. Les artistes de profession ont passé à l'ennemi; ceux qui auraient pu et qui auraient marcher dans le sillon si glorieu- sement ouvert l'ont abandonné pour en tracer un autre; au liou de ramasser et de transformer les vieux genres nationaux, ils se sont mis à écrire ea latin, trahissant la cause de « cette langue italique en laquelle Dante écrivit, plus authentique et digne de louange que tout leur grec et leur latin- ».

Les bourgeois ont bien essayé de protester contre cette défection. Dès le début du siècle, ils se sont acharnés contre « ces bilingues, ces traîtres, ces faussaires, ces im- puissants, ces infclmes, ces inutiles », qu'ils ont couverts

1. Salomone Morpurgo, lUvista crilicu, Florence, I. li.

2. 'i O nrlori/i et fftma eccelsa délia italica lingual Certo esso yolgare. nel qiinle icriHHc Dante, é piu auteiilico e dcgno di laude, che il latino e il greco che cssi ànno. »

LKS BOURGEOIS ET LE RETOUR A l'iTALIEN 265

d'anathèmcs. Ils sont, disent les bourgeois, gens à courir une journée entière après une dérivation de vocable; ils disputent par les places à grands cris sur le nombre de diphthongues qu'avaient les anciens, et pourquoi aujourd'hui on n'en a plus que deux, et quelle est la meilleure grammaire, et qu'on ne doit pas abandonner l'anapeste de quatre brèves. L'un dit : « Je suis bon connaisseur d'un livre » ; je réponds : « oui, s'il est bien relié, et un libraire et un bedeau en peuvent faire autant. » L'autre n'estimera une lettre belle que si elle est bien diphtonguée. L'autre ne consentira à lire un livre que s'il est écrit de lettres antiques. Ils méprisent Dante qui n'a pas connu beaucoup « d'oeuvres faites et grecques et latines». Hé! qu'esl-il besoin de tant d'af- faires, et de poésie, et de philosophie, et de théologie en tant de langues, et de nombre d'années, et de noms de princes, ou monarchies, ou cités, et de chroniques, et de semblables commémorations? N'est-ce pas confondre les esprits encore mal solides des adolescents et jeunes auditeurs que de dire : « Qui sera Homère et Virgile en poésie? qui Aristarque et Priscien en grammaire? Qui Parménide en rhétorique?» A la vérité, môme d'un proverbe rustique, on peut tirer un bon fruit. Eux n'ont pas seulement la libre fantaisie de composer un sonnet; qu'ils cessent, dès lors, de déprécier chez les autres ce qu'ils ne peuvent pas accomplir eux-mêmes, d'autant plus qu'ils n'entendent rien à l'économie domestique, qu'ils méprisent le mariage, qu'ils vivent follement sans se soucier de ce qu'est le bienfait des enfants, qu'ils ignorent quel est le Gouvernement le meilleur, qu'ils ne conseillent pas la République de leur avis et qu'ils oublient que plus le bien est commun plus il est divine

1. « Nascondendonii mi riposo per non udire le vane e sciocche dis- putazioni d'una bri^ata di garulli, che per parère litteralissimi apresso ai vulgo gridano a piazza quanti dittongiii avevano ^'li anliclii, e percliè oggi non se ne usano se non due, e quai grauunalica sia migliore, o queila dei tempo del comico Terenzio o dell'eroico Virgilio ripulita; e

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Mais cette protestation, partie avant que rhiimanisme eût accompli son expérience, n"a pas été écoutée et ne pouvait pas être entendue. Et alors les bourgeois, laissés à eux-mêmes, sans personne qui les guidât et les conseillât, ont suivi leur route solitaire et tâché d'imiter les seuls modèles qui restaient, les beaux modèles du passé. Cependant, agissant de la sorte, ils ont rendu un service considérable aux lettres italiennes, puisqu'ils ont conservé l'usage vivant de la langue écrite et empêché l'héritage national de tomber en complète déshérence. Grâce à eux, on sait encore tant bien que mal fabriquer un sonnet, raconter une histoire, concevoir un poème ; toute habitude artistique n'est pas perdue; et le vulgaire, toujours écrit, tient encore une place dans la littérature.

Sauf qu'au moment nous sommes parvenus, les choses ne pouvaient plus durer de la sorte.

D'un côté, le latin, poussé au point extrême par Pon- tano et par Politien, n'a plus rien à apprendre ou à exprimer; il a accompli sa tâche; les textes susceptibles d'être immédiatement recueillis ont été recueillis, publiés, répandus par l'imprimerie; on a surpris les règles de la grammaire et de la syntaxe; on les a for- mulées et on les a appliquées dans des œuvres char- mantes. Quels nouveaux filons découvrir et quels modèles, non encore atteints, proposer à son génie? Les

auanti piedi usano gli antichi nel versificare, e perché oggi non s'usa 1 anapeste di quattro brievi. »

«... L'altro (lira: io sono ottimo cognoscitore d'un libro ; rispondo : si forse, se esso ë ben legato, e questo sa fare un bidello o uno car- tolaio. »

« Dice esRere nociuto alla fantasia di Dante il non aver vedute moite opère fatte. c ureche, e latine... »

« Et che à (fi bisogno poesia, o filosofia, o teologia di tante linj^'ue, o délie loro menzofjne, o di numéro d'anni, o di nomi di ^)riiicipali o imperii, o monarchie o di citladi, o di chroniche. o di simili comme- morazioni ? »

« Delli provcrbii rusticani si true spesse volte biion frulto... f>

« ... Non si millantino adiinquc essi bilingui, se non anno (chc certo non l'anno) libéra fantasia purdun scmotto comporre, e non disprcgino quelle che essi non sanno lare... » (Invectives de (^ino Hinuccini et do Domenico da Prato. dans Wessclofsky, l'nnidisu ilef/li Alberli, I, 2", p. .303, sq. ; p. 3:{0, sq.)

LES BOURGEOIS ET LE RETOUR A l'iTALIEN 267

humanistes, au bout de leur rouleau, restent sans ouvrage.

D'un autre côté, l'italien, abandonné aux faiseurs de comptes, s'est appauvri, afTauti, alourdi ; il est devenu trivial, grossier et épais ; il est déchu de ses traditions glorieuses; il est tombé, et tombe de plus en plus, à mesure qu'on avance, au rang d'une langue alittéraire, bonne pour le commerce et la rue, mais que ne relève plus le bel usage, que ne consacre plus aucun chef- d'œuvre. Il lui faut ou être renouvelé par l'art ou mourir.

Il sera renouvelé par l'art sur l'exemple d'un homme de génie, qui échappe aux cadres, aux étiquettes et aux définitions : Leone-Battista Alberti.

III

Leone-Battista Alberti, à Gênes en 1407, mort à Rome en 1472, est d'abord un humaniste.

Il a appris le latin à Padoue avec Gasparino de Barzizza et le grec à Bologne avec Francesco Filelfo. Il a com- posé dans sa jeunesse une comédie latine, un opuscule sur les inconvénients et les avantages des lettres, une centaine d'apologues, un recueil de règles oratoires, des lettres qu'il attribue à Epiménide, des dialogues qu'il imite de Lucien ; il a composé des Satires, le Pontifex^ le Mormis, le De re uxoria^ de petites plaisanteries comme la Musca, le Passer, le Canis, et une histoire de la conjuration de Stefano Por- cari. De Conjiiratione PorcariaK Dès l'année 1432, il est nommé abbréviateur apostolique, et jusqu'à l'an- née 1 i64 il vivra dans le cercle de lettrés qu'entretient la Curie. Lapo da Gastiglionchio admire son talent si digne de louange qu' « on ne peut le comparer à aucun

1. Philodoxeos, De comodis litleramin alque incomodis, Apologi, Ti-ivia, Epislolœ seplem Epiminedis Dio(/eiiis inscriplœ. Intercœnales. On trouvera le texte ou la traduction de ces œuvres dans les Opère volyari (éd. Bonucci), les Opuscoli morali (éd. liurtoli), les Opéra 'mé- dita (éd. Mancini).

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autre » ; Sabellico lui accorde un style latin tel qu'à sa connaissance « il n'en fut peut-être accordé à personne. » Politien se demande « s'il est plus propre à la poésie ou à l'éloquence et si son discours est plus grave ou plus charmant')^. Panormita lui dédie un poème, Filelfo une élégie, Guarino une traduction de Lucien. AUotli lui otTre d'écrire la vie d'Ambrogio Traversari ; Landino l'introduit au premier rang de ses Disjmlations des Canialdules ; Ficin le nomme dans la liste de ses fami- liers. A lui, les lettres semblent « des gemmes fleuries », et aucun accord de voix ne lui parait « si suave » qu'on le puisse comparer, pour le nombre et l'élégance, à un vers d'Homère ou de Virgile; il écrit la naissance de ses neveux aux pages de garde de son édition du Brutiis ; il pense que, « sans les lettres, personne ne peut se réputer gentil, que rarement on peut se dire heureux et qu'au- cune famille n'a le droit de se proclamer ferme et com- plète - ». A ces traits, on sont l'altitude du professionnel.

En même temps Leone-Battista Alberti a vu trop de pays, il a été mêlé à trop de choses, il possède un esprit trop universel, trop agité, pour limiter son génie au cercle étroit de l'érudition.

Il appartient a une famille florentine, riche et con- sidérable, qui compte dans son sein plusieurs lettrés, mais qui compte aussi « de ces hommes non châtiés par les lettres, mais faits érudits par l'usage et les années», ((peut-être plus capables dans beaucoup de choses, avec leur pratique, que les érudits avec leurs subtilités et règles de malice^». (( Tu sais, lui dit son

1. « Dubitarc possis utruni ad oratoriani rnagis, an ad pooticen fac- tus, utriim gravior illi scriuo fueril, an mbanior. » l'olilien ajoute : < Nullui (|iiippe \n\tu: boinineni latucrunt (|iianilibct reinoUc littcrtt>, quauilibcl rucondilii! discipliiiic. » (I'oi-itikx, Episl. X, 7.)

2. « Senza le lellcre si pu6 ripulare essere in niiino vera j^'entilezza, Ken/.a le (|uali tuto si puù stiinarc in aictino essere felicc vita, senza le quali nfjn bcne si puu pensare conipiuta e ferma alciina lainiKli"- » {Opère vnlt/t/ri tli L. II. Alheiii, Florence, 1843, ."i vol., Il, p. lOi.)

3. « Lornini non gasti;;ali délie leltere, ma falli cniditi dail'iiso o daf{li anni... possianio in bene moite rose con la nustra pratica, forse pin che a voi altri litterati non è lecito colle voslro sottighezze e regolo di inaliziu. » {Op. vuly., Il, p. 305.)

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aïoiil Loonardo, que je ne sais pas de lettres et que je me suis ingénié dans la vie à connaître les choses plus avec l'expérience qu'avec le dire d'autrui'.» Il n'appartient à cette famille qu'à demi, puisqu'il est de naissance illégitime; il lui échappe tout à fait par sa volonté décidée d'aller sa voie et de ne point s'adon- ner au commerce; de telle sorte qu'enfant naturel et pauvre, il se rapproche par sa condition des couches sociales inférieures. Sa position à la Curie le montre clairement. 11 n'y est pas secrétaire apostolique, mais simplement abbrévialeur.

Plus que les humanistes Barzizza et Filelfo, c'est lui qui a fait son éducation. 11 a dressé son âme comme une colonne, qui, «si elle est inclinée, ne supporte pas même son propre poids, mais qui, si elle est debout, soutient de lourdes masses'^»; il a habitué son esprit <( à savoir ce qu'il sait, à pouvoir ce qu'il peut, à avoir ce qu'il a »; il a travaillé son corps, aidé, à l'àgc de quinze ans, un médecin à lui curer son genou, appris à son palais à supporter le goût intolérable de l'ail et du miel; il a fouaillé, malnient', dompté la bêle rebelle, de façon que lui, maladif et chétif, enrhumé pour un coup de vent ou de soleil, affronte tête nue la neige ou l'ardeur du Midi, franchit d'un saut un homme debout, jette une monnaie jusqu'à la voûte de la cou- pole de Rrunelleschi, monte les chevaux les plus fou- gueux, grimpe les montagnes les plus ardues, trans- perce d'une flèche les cuirasses les mieux trempées, court, joute, manie les armes et touche les instru- ments de musique comme personne -^ en exil, orphelin dés l'âge de quatorze ans, persécuté et frustré

1. « ïu sai, Lionardo, che io non so lettere. lo nii sono in vita inge- gnato conoscere le cose, più colla pniova che col dire di altrui. » {Op. volg., II, p. 23:j.)

2. « ... In se stessa offirmata, ella non solo si sostenta, ma ed ancora sopra vi regge ogni grave peso : e questa medesinia colonna, declinando ■da quella reltiUidine, pel suo in se insito carco ed innata gravezza, ruina. » (Op vulq., 1, p. 18.)

3. Oper. volf/.,'\, p. 26, oT, 58; II, p. Ti, 108; III, p. 8, 72, etc.

270 LE QUATTROCENTO

par les siens, devenu malade pour sa trop grande application au travail et contraint, à l'âge de vingt- quatre ans, d'interrompre ses études, il a connu tout ce qui forme, trempe, durcit le caractère : Texil, le deuil, la misère, la maladie.

Il a étudié le droit canonique à Bologne, voyagé, parcouru la France et l'Allemagne, suivi pendant trente-deux ans les vicissitudes de la Curie. Il a été amoureux ; il a pratiqué les femmes et en a souffert ; il a composé pour elles des chansons, des ballades, des sextines, des églogues, des sonnets; et il a déversé sa rancune dans de petits traités et dialogues d'amour.

Sa curiosité est infinie, développée dans tous les sens, dirigée dans tous les domaines, attirée par tout ce qui est subtil, ingénieux, rare, noble et beau. Un endroit discret planté de myrtes, un ruisseau qui se cache sous les chevelures des petites herbes , un vieil- lard sain, intègre et entier, une œuvre humaine accomplie avec élégance, un quadrupède do forme excellente, un oiseau h qui le ciel a réparti la grâce, remplissent son âme de paix. Il s'intéresse aussi bien aux races, performances, croisements, élevages et con- ditions des chevaux [De Eqito animante) qu'à la mission du juge, qu'à la théorie de la peine et qu'à la régéné- ration du coupable [De Jiire)\ aux problèmes et devi- nettes mathématiques [Liidi matematici) qu'aux secrets de la toilette féminine [Amiria) ou qu'aux secrets des écritures chiffrées {De componendis ctfris)\ aux ques- tions de statique {De motions ponderis) qu'aux ques- tions de nautique {Navis); à la forme graphique des lettres n et v {De litteris atqne cœter'is principiis gram- maticce) qu'à la perspective, qu'à la peinture, qu'à la sculpture, qu'aux cinq ordres architectoniques, qu'à l'architiîcture, qu'il appelle « une part de vie », et dont il raisonne en des œuvres essentielles. On ne sait pas il n'a pas jeté sa sonde et il n'a pas laissé sa trace. « Dis-moi, écrit un lecteur contemporain à la

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marge d'un de ses manuscrits, quelle chose a ignoré cet homme ^? »

Estimant que l'être humain, tel le vaisseau, est cre'é « pour sillonner les vastes espaces » et « tendre tou- jours par l'exercice à quelque louange et fruit de gloire'-», il lui faut toujours travailler et produire. Au printemps, il lui arrive de pleurer « devant les rameaux chargés de pétales et d'espoirs », car il pense à l'œuvre incessante de la nature et à l'exemple qu'elle donne » à la famille humaine». Son zèle est infati- gable et sa prétention à la perfection universelle abso- lue, voulant exceller dans chaque domaine, et qu'aucun soupi^on « de chose non belle » n'effleure sa réputation. Pour se distraire, remplir ses insomnies et dissiper ses chagrins, il s'emploie, la nuit, «à quelque digne affaire » ou « à quelque rare et ardue investigation » ; il apprend par cœur un poème, dicte une prose latine, développe un argument, construit en esprit « une ma- chine inouïe pour mouvoir, porter, arrêter et établir de très grandes choses », édifie en pensée un édifice, il dispose « plusieurs ordres de colonnes avec des chapiteaux variés et des bases inusitées-' ». Et comme il s'est signalé dans toutes les branches de l'activité humaine, il fréquente toutes les classes sociales. 11 n'est pas que l'ami d'humanistes et de princes tels que Pierre et Laurent de Médicis, Giovanni Francesco et Lodovico Gonzague, SigismondMalatesta, Lionel d'Esté, Federigo di Montefeltro, qu'il sert tour à tour de son industrie, il est le camarade des Masaccio, des Dona-

1. « Diiiimi : che cosa ignoro mai quest'uomo? » (Mancini, ViUt, p. 418.)

2. « Quasi corne la nave non per marcirsi in porto, ma per solcare lunghe vie in mare e sempre tenderemo collo esercitarsi a qualche laude e frutto di gloria. » {Op. voir/., 1, p. 49.)

3. « Soglio darmi ad imp'arare a mente qualche poema o qualche ottima prosa, soglio darmi a commentare qualche esornazione, ad amplificare qualche argomentazione. Soglio massime la notte, quando i miei stimoli d'animo mi tengono sollecito e desto, investigare e cos- truire in mente qualche inaudita raacchina da muovere e portare, da fermare e statuire cose grandissime e inestimabili... » (Op. voln., I. p. 127.) ^ ' >

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tello, des Ghiberti, des Luca délia Robbia, des Brunel- leschi, à qui il dédie son Traité de la Peinture ; il pra- tique à Florence, dans la boutique du barbier Burchiello avec lequel il échange des sonnets; il s'attarde dans les échoppes de forgerons, d'architectes, d'armateurs, de simples cordonniers, vis-à-vis desquels il feint l'igno- rance, afin de leur surprendre leurs secrets et « ce qu'ils pourraient garder de rare et de caché dans leur art* ».

Il est capable de peindre ou de mouler en cire un Hercule, une Nymphe, un Faune '-. Il a construit, ou fourni des plans pour construire, l'église de San-Fran- €esco à Rimini, l'église de San-Sebastiano à Mantoiie, l'église de Sant' Andréa à Mantoue, le Palais, la Loge et la chapelle Rucellai a Florence, la façade de Santa- iMaria-Novella et la Rotonde de la Santissima-Nunziata à Florence. Il a inventé un instrument de géodésie, des pendulesportatives, un hygromètre, la chambreobscure, des jeux merveilleux de miroirs. II a trouvé le réticule qui sert aux peintres. Il a fourni des receltes et des théories aux artistes II a dressé un panorama de Rome. Il a découvert le moyen de retirer une cons- truction navale antique, enfouie au fond du lac Nemi. De telle sorte que Gristoforo Landino s'écrie dans son enthousiasme : « mettrai-je Battista Alberti et dans quelle génération d'artistes peut-il être colloque^?» Et (jiie Politien ajoute : « Aucune littérature, aucune dis- cipline ne lui est cachée. 11 a tellement fouillé les débris antiques qu'il a surpris et remis en usage le style architectural des anciens. II a imaginé non seulc-

1. « A fabris, ab archilcctis, a naviculariis, ab ipsis sutoiibus sisci- tabatur si qiiid narn Torte rarum sua in arte et reconditum quasi pecu- liare scrvarcnt, »> [Oji. voli/., I, p. G.)

2. « lo non potrei dipinKere (infçere di cera un Ercole, un l^uuio, una Ninfa, perché non sono esercitato in quesli artilicii ; potrobbo queslo forse qui Batlisla, quale se ne diletta e scrissene. » {Op. volg., I, p. 20; IV, p. 4«i.)

3. « Dove lascio Hallisla o in che generatione di dotti lo riponf^o?.,. etc. » (Chihtokoho Landino, Apologia, dans Corazzini, Mis- cellanea, Florence, 1833.)

LES BOURGEOIS ET LE RETOUR A l'iTALIEN 273

ment des machines, des trucs, des automates infinis, mais des plans d'édifices admirables. Ajoute qu'il passe pour peintre et sculpteur excellent, et qu'il est versé si complètement dans tant de domaines qu'il vaut mieux se taire que d'en parler trop peu^. »

Un esprit d'une telle envergure dépasse l'humanisme aussi bien et plus encore qu'^Eneas-Sylvius. Il a trop de choses à dire, trop d'aptitudes à essayer, trop de curiosités à satisfaire, trop de connaissances à mettre au jour et trop d'activités à mettre en œuvre pour se restreindre aux formules d'un genre et aux intérêts d'une caste. Son génie multiforme s'adresse à « la famille humaine » tout entière, aux princes, aux femmes, aux bourgeois, aux artisans, aux physiciens, aux juristes, aux peintres, aux architectes, comme aux orateurs, aux poètes et aux doctes. Il n'écrit pas en latin; il écrit dans la langue de tous; il écrit en vul- gaire.

Et de fait, c'est en vulgaire que le plus gros de l'œuvre de Leone-Battista Albert i est écrite. Son œuvre latine se borne aux quelques petites choses, qu'il a com- posées dans sa jeunesse, pour s'essayer et montrer sa bravoure ; mais dès qu'il est arrivé à l'âge d'homme et qu'il est assez lui-même pour échapper à l'exemple, il emploie l'italien, n'usant du latin, dans quelques-uns de ses traités techniques le De re œdificaloria^ le De efpio animante, le De jure, et les autres que comme langue scolaire. C'est en vulgaire qu'il écrit son Traité de Peinture, son Traité de la Statue, son Traité de la Perspective et ses deux opuscules des Cinq Ordres architectoniques et des Jeux mathématiques; c'est en vulgaire qu'il écrit ses boutades contre les femmes, ses

1. « Ita perscrutatus antiquitatis vestigia est, ut ouineni veterum architectandi rationeni, et deprehenderit, et in exemplum revocaverit : sic ut non solum machinas, et pegmata, automataque perniulta, sed formas quoque iedificiorum admirabiles excogitaverit; optnnus pra-terea et pictor, et statuarius est liabitus, cum tainen intérim ita examussim teneret omnia ut vix pauci singula: quare ego de illo... tacere satius puto quam pauca diccre. » (Polit., Ep. X, 7.)

11. 18

274 LE QUATTROCENTO

lettres, ses vers, ses petits dialogues des choses de l'amour; c'est en vulgaire qu'il écrit son dialogue du Teogenio (1434), son dialogue de la Famiglia (1437- 1441), son dialogue de la Tranquillità deU «mmo (1442)^ son dialogue De Iciarchxa (1470). Et c'est dans ces dialogues qu'il livre son véritable apport littéraire. S'appliquant « à dire des choses utiles avec éloquence et avec ordre, à y introduire des exemples, aies revêtir d'autorité », Alberti y dispute des nobles sujets chers au citoyen et au père de famille, de la bonne économie morale et de la bonne économie domestique, du gouver- nement de la maison et du gouvernement de l'Etat, de la paix de l'àme et de l'inutilité de la douleur, du mépris des faux biens, de la pauvreté, de la vertu, de la perversité des femmes. 11 y formule l'idéal d'eurythmie intérieure et d'équilibre mental qui constitue toute l'éthique de son siècle réconcilié avec la terre. Des doctrines des autres, il construit une mosaïque bril- lante, noblement agencée et clairement lisible « pour l'avantage et la commodité de ses lecteurs 2», Et de même qu'au lieu de former seulement son expérience dans le témoignage des antiques, ce qu'aurait fait un humaniste, il met à profit les leçons multiples que lui donna la vie, sa pratique des affaires, sa connaissance des hommes, son ardeur passionnée pour le spectacle et l'enseignement de la nature; de même, au lieu de restreindre sa leçon au commerce de la sagesse bour- geoise de ses contemporains et de ses proches, il trouve, pour la confirmer ou la combattre, chez Cicéron, chez Plutarquc, chez Quintilien, chez Xénophon, une richesse d'idées, une profusion d'exemples, une beauté et une grandeur d'attitudes qui illustreront et magnifie- ront ses propres connaissances. De telle sorte qu'il est utile à tous, qu'il est lisible pour tous et que, dans ses

1. « Bene mi sono certo ingegnato dire cosc utili, quali, dirle con ploqiienzin, con ordinc, inlcrserirvi esenipli, adducervi aulorità, orntillc di parole. .. » ()}>. volij.. Il, p. 331.)

z. Oper. vol'j., I, p. y3.

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dialogues, riches de nombre et de doctrine, gardant l'allure, procédant par périodes liées, obéissant aux règles d'une distribution réfléchie et rationnelle, Leone- Battista Alberti fonde la prose didactique italienne, qui n'existait plus depuis le Conviviodc Dante Alighieri, en même temps qu'il initie d'un geste puissant le retour à l'italien.

Ceci ne se passe qu'à un moment l'italien paraît à l'opinion lettrée unanime une langue faubourienne, qu'on doit réserver au divertissement de la plèbe et aux vul- garités du trafic, un savant, un érudil, un latiniste, qui a écrit en latin, qui a pu donner son œuvre latine comme l'œuvre antique d'un Lépide, d'un Epiménide, d'un Lucien, et qui n'aurait qu'à poursuivre pour mériter l'applaudissement des Beccadelli, des Filelfo et des Guarino, ose en face de tous employer le vulgaire. « J'écris pour les érudits et non pour la foule », disait Politien, qui en tirait gloire. « Ce que j'écris, répond l.eone-Batlista Alberti, je ne l'écris pas pour moi, je l'écris pour l'humanité ^ » On ne pensait que pour un petit clan de privilégiés, d'initiés et de spécialistes : Leone-Battista Alberti pense pour la foule « de ses con- citoyens, qui ne sont pas très lettrés ». On ne se préoc- cupait que de la gloire, que de la louange et de l'appré- ciation des doctes : Leone-Battista Alberti s'inquiète « de l'amour de ses proches et du profit des igno- rants- ». On prétendait que vulgariser la science, c'était « amoindrir la déité » et « pécher de profanation » : Leone-Baltista préfère «être utile à beaucoup que plaire à quelques-uns ». Il sort la lumière du boisseau et la dresse sur le chandelier. 11 descend de la tour d'ivoire, se promène parmi les hommes et leur révèle la bonne parole. Et, au lieu de rougir de son acte, d'implorer des circonstances atténuantes et de baisser le front devant

i. « Quae scribimus, ea non nobis, sed humanitati scribimus. » [Opéra ineditu, p 293 )

2. « Scripsit prieterea et affinium suorum gratia, ut linguœ latinae ignaris prodesset, patrio sermone... » {Op. volg., 1, p. xciv.)

276 LE QUATTROCENTO

ceux qui l'accusent « d'offenser la majesté littéraire^ », il se targue de son bon droit.

Sans broncher, sans faiblir, ouvertement et calme- ment, il prend à haute voix la défense de « la langue toscane d'aujourd'hui». «Et quel sera ce téméraire, écrit-il, qui me persécute et me blâme, si j'écris de façon à ce qu'il m'entende? Au contraire, les hommes prudents me loueront peut-être, si, en écrivant de façon à ce que chacun m'entende, j'aime mieux aider à beau- coup que plaire à quelques-uns, car on sait combien les lettrés sont rares à ce jour. Et ceci me serait très agréable que qui sait me blâmer sût, en parlant, se faire applaudir. J'avoue bien que cette antique langue latine est très copieuse et ornée. Mais je ne vois pas, non plus, pourquoi il faut tellement haïr notre langue tos- cane d'aujourd'hui, de façon à ce que tout ce qui y est écrit, quoique excellent, nous déplaise... Et je sens ceci, c'est que, qui serait plus savant que moi et tel que beaucoup veulent être réputés, celui-là trouverait, dans notre langue commune d'aujourd'hui, autant d'ornements que dans celle qu'ils prônent tant eux- mêmes et désirent si fort chez les autres. Je ne peux pas souffrir que beaucoup jugent mauvais ce qu'ils emploient pourtant, et louent ce qu'ils ne comprennent pas, ni ne se soucient d'entendre... Et si c'est vrai ce qu'ils disent que cette antique langue sut jouir auprès de toutes les races d'une grande autorité, parce que beaucoup de savants l'employèrent, il en ira certaine- ment de même de la nôtre, si les savants la veulent travailler et polir avec tout leur soin et dans toutes leurs veilles... Et moi, je n'attends d'autre récompense que celle de la volonté que j'ai eue et ([ui me meut à mettre tout mon talent, toute mon œuvre et toute mon industrie au service des gens de notre pays 2. »

1. « Dicono che io olFcsi la iimcslà litlorarift non scrivcndo nialeria i»l eloqiienle in lingua piiilosto latina. » {Oper, vuhj., III, p. 1(10.)

2. « E chi HaWi qiiellu tcmcrariu chc piin; ini |)erso<j'iiili biasiiiiariilo, cbe io «crivu in modo che i'uuiiio m'inleuda'.' l'iù toslo forsc i |iru-

LES BOURGEOIS ET LE RETOUR A L ITALIEN 277

Et comme s'il n'avait pas suffi à cet homme de génie, qui n'était en cela qu'un liomme de bon sens, de reven- diquer le vulgaire, de le prêcher par la parole, de le proclamer par l'exemple, il prétend lui donner une sanction quasi-officielle.

En 1441, alors que la Curie est réunie à Florence et que la cause de l'érudition triomphe dans les meil- leurs esprits, il imagine, sous le prétexte de distraire les Ames de la guerre de la République et de Philippe- Marie Visconti, une sorte de tournoi poétique, dont le thème sera Délia Vera Amicizia^ le prix une couronne (le laurier en argent, et les juges ceux auxquels on se sérail le moins attendu, les secrétaires apostoliques <[ui s'appellent Poggio, Loschi, Rustici, Fiocchi, Biondo, Marsuppini, Aurispa, Trapezunlios.

Dans l'après-midi du 22 octobre, la signorie et l'ar- chevêque de Florence, l'orateur vénitien, les officiers du Studio, les prélats de la Curie, la foule du peuple se réunissent dans l'église de Sainte-Marie-de-la-Fleur et viennent écouter ces bourgeois à qui, après un demi-siècle, gain de cause est enfin donné. L'officier pontifical Francesco Alberti, le chanoine Antonio Agli, le marchand Mariotto Davanzati, le héraut de la Signorie Anselmo Calderoni, le jurisconsulte Rene- detto Accolti, le notaire Leonardo Dati, le mathéma-

denti mi loderanuo, se io scrivendo in modo che lui non m'intenda, prima cerco giovare a itioiti che piacere a pochi, chè sai quanto siano pochis- simi a questi di i litterati. E molto qui a me piacerebbe se chi mi sa biasimare, ancoraaltrettanlo sapessedicendo farsiiodare. Ben confesso quell'anlica latina iingua essere copiosa molto e ornatissima. Ma non pero vef,'f40 in ciie sia la nostra oggi toscana tanto da averla in odio, che in essanualunque benchè ottiniacosa scritta cidispiaccia... E sento io questo ; clil fosse più di me dotto, o talc quale molti vogliono esser reputati, costui in questa oggi comune troverebbe non meno ornamenti che in qiiella, quale essi tanto prepongono, e tanto in altri desiderano. Ne posso io patire che a molli dispiaccia quello che pure usano, e pur lodino quello che non intendono, ne in so curano d'intendere .. E sia quanto dicono quella antiqua apprcsso di tutte le genti piena d'autorità, solo perché in essa molti dotti scrissero, simile certa sarà la nostra se i dotli la vorranno molto con suo studio e vigilie essere elimata e pulita... Io non aspetto desser commendato se non délia volontà, quai me muove a quanto in me sia ingegno opéra ed industria, porgermi utile ai nostri... » {Oper. volg., II, p. 221.)

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278 LE rUATTROCENTO

ticien Michole del Gigante, prennent leur revanche. Et ils produisent des capitoli si parfaits, dos canzoni si excellentes, des stances si savoureuses, des scènes si ingénieuses et des imitations d'hexamètres et d'odes saphiques si appropriées que les secrétaires aposto- liques, embarrassés de distinguer aucun de ces génies, donnèrent la couronne d'argent à l'église môme de Sainte-Marie-de-la-Fleur.

Cette cérémonie, connue sous le nom à'Âccadcînia coronaria^ marque une date^ Ce fut Leonc-Battista Alberti qui la signa.

IV

Désormais l'élan est donné : il n'y a plus qu'à suivre.

Trop de raisons de justice et de bon sens militent en faveur de l'italien pour que l'odieux divorce de la langue parlée et de la langue écrite se prolonge davan- tage. Toutes les circonstances s'accordent à assurer un lendemain à la noble initiative d'Alberti : l'épuisement de l'humanisme, l'adhésion de la masse, la faveur des bourgeois, la sympathie des cours septentrionales, qui, moins cultivées, étaient demeurées fidèles au vulgaire, et l'assentiment des femmes, qui ne trouvaient point leur compte à être ci'lébréos en latin. Que pouvait, en effet, importer à toutes ces filles d'Italie, aux Ursa de Beccadelli, aux Angelina de Marrasio, aux Stella de Ponlano, aux Xandra de Landino, aux Cassandra de Stro/zi, d'être chantées dans des odes ou des élégies renouvelées d'Horace ou de Tibulle? Outre qu'elles ne les comprenaient guère, l'hommage qu'on leur por- tait était moins un hommage h leur beauté (|u'un hommage ji rénidilioii. Pour trouver le chemin de leur Cd'ur, il fallait i)rendre d'abord le chemin de leur

\. Voir Lkonk-IUttista Ai.hkhti, Opei'e vitlf/., I, p. c.xt.vii. Cf. (|. Mnii- cini, Un niioto ilncumenlo aiil certaine coronarw tli Flvenze, Anli. stor. ital., Klortniu, 1892, p. 320.

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LES BOURGEOIS ET LE RETOUR A l'iTALIEN 279

oreille. C'est, suivant ses paroles, lorsqu'il admirait «dans une fruitière teigneuse des façons très nobles et dignes d'un empire », que Leone-Battista Alberli s'était avisé, pour la première fois, d'écrire en italien; et c'est, pareillement, pour être entendus de leurs amoureuses réelles ou fictives, que Laurent de iMédi- cis à Florence, Matteo Boïardo à Ferrare, Jacopo San- nazaro à Naples, rimeront leurs vers italiens.

Si donc, au moment Leone-Battista proclamait son Accademia coronaHa,ceu\ qui employaient le vul- gaire étaient aussi rares, d'après le jugement de Gris- toforo Landino, « que les portes de Florence », grâce à l'exemple et à Tautorité du grand latiniste, grâce sur- tout aux circonstances inscrites dans l'ordre naturel <les choses, leur nombre va s'accroissant chaque jour, et un mouvement très marqué s'accentue en faveur de ce que Niccolô Luna appelait « le très suave et doux idiome de notre patrie' ».

Un des premiers à marcher sur les traces de Leone- Battista Alberti est son contemporain Matteo Palmieri (1406-1470j. Comme Leone-Battista, Matteo Palmieri est humaniste. Sozomeno de Pistoie, le compagnon de Poggio dans ses fouilles savantes, lui a appris à aimer les livres anciens ; Carlo Marsuppini lui révéla, au Studio de Florence, le beau latin; il a composé selon l'élégance antique l'Oraison funèbre de son maître, la Vie du grand sénéchal Niccolô Acciajuoli, Tllistoire de la guerre de Pise de 1406. Du même coup il est épicier au Canto délie Bondini, mathi'maticien, citoyen de Florence, exerçant des charges de citoyen en vue, mêlé à la poli- tique et aux affaires, ambassadeur à Pérouse, capitaine à Livourne, gonfalonnier de Compagnie, Buonomino, prieur; il est pauvre : « Et bien que nous soyons sans enfants, écrit-il, nous avons des neveux et beaucoup de bouches à la maison et de très grandes dépenses à

1. « Questo soavissimo e dolcisshno nostro idioma palrio. » (Mancini, Vila di L. B. A., p. 230.)

280 LE QUATTROCENTO

supporter^»; il est bourgeois, et collige, comme un bourgeois, en un gros latin entremêlé de vulgaire, une histoire florentine et une Chronique de son temps. Fait de la sorte, il est homme à comprendre l'initiative de Leone-Battista et à la seconder immédiatement, s'il ne l'a peut-être précédée. C'est en 1434 que Leone-Bat- tista a rédigé son premier dialogue qui compte, le Theo- genio; c'est en 1430 que Matteo Palmieri place la scène de son dialogue vulgaire de la Vita civile. Agnolo Pan- dolfini, Luigi Guicciardini, Franco Sacchetti, réunis dans une villa du Mugello, y raisonnent de l'éducation à donner aux enfants, des trois vertus de courage, de tempérance et de prudence, de la guerre et de la paix, de Ja justice, du bien public, et, en général, de la façon dont Fhonnête homme doit se comporter dans la famille, dans la société, dans l'Etat. Et que si, dans ce dialogue, Matteo Palmieri met à la portée du vulgaire les idées qu'il a recueillies chez Cicéron, Quintilien et Plutarque, dans son poème de la Ciltà di vita., inspiré par deux visions qu'il a eues en 1451 et 1455, il se sert du mètre et de l'architecture de la Divine comédie pour révéler au peuple les théories subtiles sur les âmes de l'Académie platonicienne.

Crisloforo Landino qui, à l'âge de dix-sept ans, a déclamé à Y Accademia coronaria les terzines de Fran- cesco Alberti « avec gravité et modestie et des gestes merveilleusement appropriés à la matière et aux temps')), va plus loin. En 1460, il s'avise de lire et commenter pul)li(iu<MU('nt, dans le Studio de Florence, le canzonière de iNUrarquc;. Pétranjue au Studio! Le poète vulgaire, le fabricant de sonnels, le parleur en dialecte, |)renant rang, prenant date, dans la littérature classique! Iiltudié à côté d'Ilonière et de Virgile! (Commenté en la nuiison

1. " K Ik'II siniiio s.iri/a (ij^liiioli, al)J)ifttii() nipoti c moite boichc in casa V. porliiiiiiu sjics.-i i;ri(iiilissiiii;i >,

2. * l'ii iiiui iii(iravif,'riii cdu (iiiiiiitn fîPivitft. e con quanta nioticstiii lo projtosi! (' CDU ^(•M'i (icliiali Hocdiido lu iiiatcria c i tciiipi. » (Manuscrit

oiileuiporain, rilé par Muncini, lilu di !.. H. A., p. MÎ.)

LES lîOURGEOIS ET LE RETOUR A l'iTALIEN 281

savante des Ghrysoloras, des Filelfo, des Guarino, des Marsiippiiii !

« Il y a peut-être, déclare Gristoforo Landino, quelques excellents citoyens qui croiront et qui sans doute croient déjà que mon entreprise de vouloir lire le poème de François Pétrarque dans un gymnase si célèbre et dans un si noble institut, beaucoup de docteurs et en si grand nombre se retrouvent, est plutôt digne de repré- hension que d'éloge, estimant que le temps peut être plus utilement employé à l'investigation des lettres latines et grecques, et poussés, je p;^nse, à une opinion semblable par leur doute que la langue toscane ne soit ni abondante, ni ornée comme les autres ^ » Qu'im- porte à Landino? Ils se trompent. Et le platonicien, et rhelléniste, et le latiniste leur cite en faveur de sa thèse Boccace, Leonardo Dati, Buonaccorso da Monte- magno, Matteo Palmieri, Leone-Baltista Alberli, « qui s'est ingénié à transmettre au vulgaire toute l'élégance et l'industrie, toute la composition et la dignité qu'on trouve chez les Latins'. » Il ne faut pas attribuer la grossièreté et l'imperfection du vulgaire à la nature de cette langue, mais à la négligence de celui qui l'emploie. Par sa nature. et par son abondanee native, le vulgaire est élégant etbeau. S'il est resté quelque peu en arrière, «ce n'est pour rien d'autre que pour la disette dont il a souffert d'écrivains excellents'^». On peut le restaurer, et il sied de le remettre en honneur. Landino l'assure; Alberti et Palmieri le prouvent; et

1. « Saranno per avventura alcuni. prestantissimi Cittadini, i quali persuadcranno, o di j,^ià sino ad ora l'anno persuaso, questa iiiia inipresa di volere ia si celeberrirno Ginnasio e nubilitaln Studio, in lanto numéro, dove molli dotti si ritrovauo, leggere il poema di Francesco Petrarcha, essere più tosto di riprensione, che di laude degna, stimandosi l'orse, che questo medesimo tempo più utilmente nella investigazione, o délie latine, o délie greche lettere. spender si potesse... » (G. Landino, Ont- zioiie, pub. par Corazzini, Miscellanea, p. 12").)

2. « Altendete con quanta industria etogiii eloquenzia. composizione e degnità che apresso ai Lalini si truova sia ingiegnato a noi trasfe- rire. » {Ih , p. 128.)

3. « Per niante altro essere rimasto indrieto se non per carestia di dotti scriptori. » {Ib., p. 128.)

282 LE QUATTROCENTO

de telles idées, neuves comme l'avenir, se fraient un chemin dans les générations qui montent.

Grandi au milieu d'elles, un enfant les fait siennes : Laurent de JVIédicis, qui leur prête Fappuide son talent jeune et qui leur donne la suprématie de sa position exceptionnelle. Non seulement lui, qui est rompu au grec et au latin, qui est le nourrisson des muses antiques, qui a été élevé dans une bibliothèque el un musée, écrit et versifie en italien, mais il le fait en pleine connaissance de cause, plaidant son bon droit avec une finesse gracieuse et une autorité délicate. Selon lui, l'italien ofire les qualités de toute langue digne et par- faite; premièrement d'ôtre abondante et copieuse et propre à bien exprimer les concepts de l'esprit; deuxiè- mement , de posséder la douceur et l'harmon ie ; troisième- ment, de garder écrites « des choses subtiles et graves et nécessaires à la vie humaine». Les hommes ont plus manqué à la langue vulgaire qu'elle n'a manqué aux hommes'. Adolescente, on peut prévoir l'âge de sa maturité. Imparfaite, elle s'orne, s'embellit, s'accom- plit chaque jour. Qui sait si elle n'attend pas de nou- veaux chefs-d'œuvres? « Etpeut-ôtre qu'en cette langue seront encore écrites des choses subtiles et iinporlantos et dignes d'être lues^. » « Qu'il n'y ait donc, dit Laurent, personne pour me reprendre si j'écris en cette langue dans laquelle je suis et j'ai été nourri^! » Et que si Laurent de Médicis, élève de CristoforoLandino, et de (jua- rante ans plus jeune que Malteo Palmieri et que Leonc- Battista Alberli, n'eut pas le mérite, comme on l'a pré- tendu, d'initier un uiouvement commencé avant lui, il reste qu'il en reconnut la validité d'emblée, (ju'il

1. « E pero concludereino pin presto esscr uiiiiiciili alla linf^iia uoiuini che l'esercitino, che la linf,'uu agli uoniini e alla matoria. » l'oesie di Loienzv de Medici, éd. Cardiicci, Florcnêe, IS.i'.t, p. 17 et sq.

2. « E forse saranno ancoru scrittc in quesla linjj-iia cose sotlili cd Jini)ortanti e dcgne d'esser letle, massiuic pefcho in .sino a ora si puo dire l'adolcBccn/ia di quesla lingua, perche ognora più si fa eleganle e gcnliie. »

3. « E pcr queste medesiuie ragioni nessnno mi i)mi riprendere s'io ho Bcritto in quella lingua uella quai son nato c nulrito. >

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LES BOURGEOIS ET LE RETOUR A L UFALIEN 283

l'aida « de toutes ses forces et de tout son esprit de bon citoyen » et que l'exemple qu'il donna venait de si haut, emportait une telle autorité et consacrait si dtHinitive- ment la révolution déclarée qu'il n'y a plus désormais opposition qui compte.

De ce jour le latin a vécu. 11 ne disparaîtra pas tout d'un coup, sans doute; il gardera au siècle suivant, des partisans et des maîtres; mais l'époque de son règne exclusif est accomplie. En face du latin se dresse une langue vivante, neuve comme une chose oubliée, recom- mandée, employée par des hommes excellents, qui s'en- richira de toutes les dépouilles du latin et prospé- rera dans la mesure môme le latin va tomber en oubli.

Dante, qu'au commencement du siècle Niccolô Nic- coli, dans le dialogue de Bruni, abandonnait aux four- niers et gens de cette sorte, et qui, durant tout le Quattrocento, n'avait joui que d'une fortune de souche populaire, est remis sur un trône de gloire. En 1481, Sandro Botticelli l'illustre de son crayon pointu, Cristo- foro Landino le commente au Studio, Niccolù délia Magna l'imprime, Bernardo Bembo restaure son tom- beau de Bavenne, et la Signorie de Florence, levant le ban d'exil qui pesait sur sa mémoire, l'habilite à toutes les charges et couronne son eftigie au temple de San-Giovanni. Ugolino Verino, qui assimile Dante à Virgile et à Homère, assure que, pour la doctrine, Dante a dépassé l'un et l'autre ' ; Girolamo Benivieni entonne un cantique en l'honneur de la Comédie « par Dante divinement composée ' » ; et Marsile Ficiu dépeint en une lettre d'enthousiasme la joie de Florence qui

1. « Quos Florentinus longe supereminet onines Gloria Miisarum Dantes ; nec cedit Ilomero ;

Par quoque Virgilio : doctrina vlncit ulruinque. »

{De illust. urb. Flor., I, p. 88.)

2. Canlico di Jeronimo Benivieni cilladino Fiorenlino in lande dello eccellenlissimo poêla Dnnie Alir/hieri e délia sec/uente Commedia da lui divinamenle composld, Florence, Giunta, 1306. '

284 LE QUATTROCENTO

a retrouvé son poète : « Florence, s'écrie-t-il, triste jadis, aujourd'hui joyeuse, se réjouit avec son Dante Alighieri, ressuscité après deux siècles, rendu à sa patrie, finalement couronné. Oh ! combien plus beau, dit-elle, combien plus heureux, je t'accueille à celle heure, mon doux fils! ton visage autrefois mortel est devenu immortel et divin. La nuit de ta Florence s'est transformée en jour. La douleur de tes Florentins s'est convertie en allégresse. Vous tous, citoyens très heu- reux, exultez et réjouissez-vous'. »

L'Académie platonicienne qui pense avec Platon que « plus un bien est communicable et commun, plus il est divin- », fait honneur à cette vérité qu'avaient en vain répétée les adversaires des premiers humanistes. Marsile Ficin compose en italien certains de ses traités; Pic de la Mirandole et Laurent de Médicis platonisent en sonnets vulgaires imités de Pétrarque ; Girolamo Benivieni expose en un subtile canzoïie d'amore les idées chères à l'école; Tommaso Benci donne en langue florentine le Pimandre de Mercure Trismégiste.

Il y a cent ans, on pensait que rien de digne ne pou- vait être écrit en vulgaire et, pour sauver Dante et Boc- cacede l'oubli, ColuccioSalutati et Pétrarque s'avisaient de les traduire en latin; aujourd'huion accompli l un tra- vail inverse. Marsile Ficin traduit en italien l&Monarchia latine de Dante; Jacopo Poggio traduit en italien les Histoires latines de Poggio Bracciolini son père; Donato Acciajuoli traduit en italien les Histoires latines de Leo- nardo Bruni; Cristoforo Landino traduit en italien la Sforziadr latine de Giovanni Simonelta; Andréa Canibini traduit en italien les Histoires latines de Flavio Biondo; Alessandro Braccesi traduit en italien la Nouvelle

1. « Florentia jamdlu mnesta sed tandem laeta Danti suo Alifîhierio, poBt duo ferme S!i;ciilfi, juin redivivo et in patriain restilulo ac denique coronalo conjçnitnlaliir... » (I-'icin. Ep. VI, p. 8'i0.)

2. « Si rinpondc, dit Laurent de Médicis, aic.iina cosa non cssere manco deK'i'i per esserc j)iii «•oiniino; anzi si prova ogni bcne esserc tanto migiioru quanto 6 più coiuunicabile cd univursalo. »

LES BOURGEOIS ET LE RETOUR A L ITALIEN 285

latine d'iEneas-Sylvius; c'est-à-dire que la fin du siècle s'occupe à défaire l'ouvrage du commencement du siècle. Et ceux-là mêmes qui s'obstinent à parler en latin trouvent imme'diatement des traducteurs : Cambini donne en vulgaire les Disjmlationes camaldulenses de Landino, Pietro Parenti le discours de Niccolô Accia- juoli au pape Sixte IV, Carlo Alberti VAmiria et les Efehie de Leone-Batlista Alberti.

Evidemment que l'italien qu'écrivent ces premiers pénitents n'est pas d'une pureté limpide. Outre qu'ils ont trop perdu l'habitude de la langue écrite, ils par- tagent le préjugé qu'ils y doivent introduire leur latin. « Personne, avance Cristoforo Landino, ne peut devenir excellent dans la langue toscane, s'il ne s'est pénétré, au préalable, des lettres latines ^ » Le vulgaire d'au- jourd'hui est aussi déparé de latinismes que le latin du commencement du siècle Tétait d'italianismes-. Il faut que la phrase soit longue et magnifique, chargée d'in- cidentes, développée selon les lois classiques du rythme el du nombre. Il faut qu'elle n'accueille que des mots nobles, qu'elle vise à une éloquence continue, qu'elle naisse, se balance et retombe avec grandeur et majesté. Et que, si Matteo Palmieri imite de son mieux la froi- deur, la régularité, la correction des anciens, Leone- Battista Alberti n'hésite pas à emprunter au latin ses constructions et ses syntaxes, ses formes et ses parti- cularités grammaticales, jusqu'à ses locutions et ses mots. Et un moine de Venise, Francesco Coloima, dans son roman de V Hypiieroiomachia^ composé en 1467, arrive à un véritable charabia. Il ose écrire des phrases de cette teneur : Phœbo in quel hora manando^ che la fronte di Matida Leucothea candidava fora già daW oceano onde, le vohtbili rote sospese non dimostrava , ma

1. « Niuno potrà essere, non che éloquente, ma pure tollerabile dici- tore nella nostra lingua, se prima non ara vera et perfetta cognizione délie lettere latine. » [Op. c p. 130.)

2. « Ilisogna ogni di de' latini vocaboli, non sforzando la natura, deri- vare e condurre nel nostro idioma. » (C. Laxuino, op. c, p. 131.)

286 LK QUATTROCENTO

scdiilo cum gli mi volcucri cahalli, Pyroo ■prima e Eou, alquanto apparemlo, ad dipingere le lycophe quadrige délia figliola di vermig liante rose velocissimo insequen- tila non dimorava.

Cependant il serait malséant de sourire d'une aussi touchante et naturelle aberration. Il n'était guèreloisible à ces premiers transfuges du latin, encore plies sous le poidsd'un joug désormais séculaire, d'agir autrement. Et malgré leur gaucherie, leur pédantisme et leur encom- brement, ils émerveillent les premiers grammairiens de la langue italienne qu'à la fin du siècle Bernardo Rucellai réunissait dans ses jardins. « Ces savants, écrit Gelli, ne pouvaient s'empêcher de s'émerveiller des quelques lettrés qui, peu d'années avant leur époque, avaient composé dans cette langue italienne en vers et en prose sans aucune observation. »

V

C'est ainsi que l'humanisme vint à déchoir et que le latin fut supplanté par le vulgaire. )( L'art retourne à la langue, et en môme temps qu'à la langue, à la matière nationale, auxquelles il apporte tout ce qu'il a conquis durant un siècle d'érudition labo- rieuse, et auxquelles il emprunte, comme le vieil Antée au contact de la terre, une vigueur nouvelle.

Deux esprits sont en présence, l'esprit antique et l'esprit populaire ; d'un cô!é l'empirisme, et, de l'autre, la théori(; ; d'un côté, l'invention, et de l'autre, le modèle; d'un côté, la verve jaillissante, lacouleur crue, le geste débraillé, et, de l'autre, la tenue, la dignité, la correction et l'éloqucnc»' ; ici la matière énorme et diirorme, pittoresque et grosse, grouillante et vivante, et l'idée pun-, la forme délicate et choisie, la pro- position «îxacte, la composition savante, l'équilibre, la mesure et le rythme. Ces deux esprits, après s'être

LEH BOLRGKOIS ET LE RETOUR A L ITALIEN 287

séparés et avoir manqué, chacun pour son comple de se perdre, se retrouvent. Ils se reconnaissent, se sai- sissent et s'embrassent. Ils se complètent et s'unissent. lis se parfont et se marient.

De leurs noces fécondes sortira la Renaissance, qu'il nous faut étudier à Florence, à Ferrare et à Naples.

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CHAPITRE V

LA RENAISSANCE A FLORENCE

I. Florence et le retour de l'érudition à la poésie populaire. Les Médicis et le milieu bourgeois. Lucrezia Tornabuoni. Matteo Franco, Uernardo Giambullari, Alessandro Hraccesi, Tomniaso Baldi- notti, Francesco Cei, Bernardo Bellincioni. Leur imagination gra- cieuse, dévotieuse ou bouflbnne. Laurent de Médicis se rallie à cette littérature.

II. La poésie de Laurent de Médicis. Ses laudes. Ses canlicaitias- cialeschi. Sa liappresenfazione di San Giovanni e Paolo. Sa Caccia al f'alcone. Ses Beoni. Ses sonnets burchelliesques. Son canzoniére. Après la poésie écrite, Laurent retourne à la

Eoésie orale. L'influence populaire. Venise et les canzonette de Leonardo Giustinian. Laurent de Médicis et sa bande devant le peuple. La Seiicia di Borberino de Laurent. La Beca di Dicoinano de Luigi Pulci. Les 7'ispelliàe Luigi Pulci, deBaccio Ugolino, d'Ange Pdlitien. Les ballale de Laurent et de Politien.

IV. Le Morgante de Luigi Pulci. Luigi Pulci : sa vie, sa culture et son humeur. Sa Storia. L'argument. Les situations. Les personnages. Morgante, Margutle et Astarotte. Conunent Luigi Pulci contrefait les chante-histoires. Comment il domine son sujet. Comment il rend 1 esprit du peuple à la matière du peuple. Florentinismes, idiotismes, o/s/fccï, crudité, pittoresque et langue du Morgante. Son comique. Son émotion.

V. La Henaissance florentine. Les mythologies du Carnaval. VOrleo de Politien. Les poèmes antiques de Laurent : le Corinlo, les Amori di Marie e Venere,les Silve. La Gioslra de Politien.

I

Florence, qui avait adopté la première le latin et en avait absorbé la plus forte dose, est également la pre- mière dans Tordre des temps à retourner au vulgaire. C'est de Florence qu'est originaire Leone-BattistaAlberti; c'est ù Florence que vit Mallco Palmiori; c'est à Flo- rence que se réunit YAcudcmia coronaria ; c'est h Florence que Pétrarque prend rang dans la littérature classique, et c'«'sl à Florence <|ue s'éveille, dans le der- nier quart du (Juattrocento, une curiosité très atten- tive pour la littérature populaire.

LA RENAISSANCE A FLORENCE 289

Il semblerait que cette ville, qui a amassé tant de grec et de latin, appris tant de nobles leçons, recueilli un si lourd bagage, soit fatiguée de son long effort laborieux. Gomme un savant, qui demeura trop long- temps cloîtré dans sa bibliothèque, va regarder par les chemins les fleurs et les abeilles, et commet parfois quelque gaminerie, Florence éprouve le besoin de se rafraîchir, de se reposer, de se détendre au contact de la nature et de la simplicité. D'où chez elle, à côté de son mouvement érudit, un autre mouvement parallèle qui l'incline à cueillir les fleurs des haies sauvages. Les mêmes esprits qui se distinguèrent h l'Académie ou au Studio prennent plaisir à un canlare de malotru ou à un rispetlo de garçon. Ceux-là mômes, qui expo- sèrent des théories subtiles ou des commentaires pré- cieux, trouvent comme une revanche dans la pratique des genres les plus humbles. Et, de môme que Florence avait donné une Theologio platotiica, des Mhcellanea et la première édition grecque d'Homère, elle produit un Mor gante Maggiore, une Nencia di Barber ino et des rispetti de paysans.

Elle était préparée à cette destinée par la place que tenait chez elle, et dans le palais des Médicis, la litté- rature bourgeoise.

/ Ainsi qu'on l'a vu, en effet, les Médicis ne sont pas des princes, mais des bourgeois, ne voulant paraître que des bourgeois, en relations d'affaires ou d'amitié avec de simples gens. Les lettres savantes et l'art du palais, s'ils ont lustré leur surface, n'ont point altéré leur nature, ni confisqué leur existence. Leur clientèle ne se compose pas que d'humanistes, mais d'hommes d'I^tat, de maîtres de loi, de marchands, de paysans, d'artisans. Dans leur demeure, il n'y a pas que des manuscrits et des marbres, mais des coffres remplis de toile, de vieux et bons meubles de famille, des provi- sions d'huile et de blé, du vin, du marzolino, du finoc- c/iio, les choses et les produits du pays, comme dans II- 19

290 LE QLATTROCKNTO

leur iime, il n'y a pas que des modèles érudils, mais des tableaux d'autel, des locutions paysannes, des traditions anciennes, les goûts et les grâces, les plis et les tournures du passé. Et autour d'eux, rattachés à eux. sous leur influence, fleurissent, à côté des beaux esprits latinisants, hellénisants, platonisants, des esprits cordiaux, indigènes, domestiques, sans préten- tions et sans compliments, qui conservent dans leurs imaginations gracieuses, dévotieuses ou boufl'onnes la verve locale et l'accent du terroir.

A leur tête, il faut placer la mère du Magnilique en personne, la veuve Lucrezia Tornabuoni,que nous avons déjà rencontrée, qui compte quarante-cinq ans lorsque son jeune fils parvient aux afl'aires et qui reste douze ans près de lui, dans la maison de Via Larga, dont, bien mieux que sa bru Clarice, difficile et ignare, elle re- présenti' l'élément féminin, en même temps qu'elle en est la doyenne et l'aïeule. Femme d'escient et d'expé- rience, cœur pieux, tète forte, elle se complaît, au milieu de ses occupations ménagères, à rimer quelque his- toire dévote ou quelque sonnet burchiellesque. Et jamais on ne doit oublier celte silhouette de bourgeoise qui tient les clefs et nourrit des pigeons, si l'on veut se faire une image fidèle du cercle des Médicis.

C'est le bon et gros Matteo Franco, si rond d'allures^ si bizarre d'esprit, un des hommes les plus plaisants qui soient au monde, qu'ils ont arraché à sa cure de campagne pour en faire le chapelain de la maison et un chanoine au Dôme d'abord, puis le supérieur de l'hôpital de Pise. C'est le joyeux compère Bernardo Giambullari, père de rhistorien cinquecentiste. C'est le nr)taire Alessandro Hraccesi, chancelier de la Répu- bli({ue. C'est Tommaso lialdinolli, d(; Pistoie. C'est Fran- cesco Cei, de Florence. C'est Bernardo Dcllincioni. Et parmi lant d'autres gens de goût, écrivains d'occasion, dib'lliinltîs de lettres, ([ui goûtent les vers sdruccioii, pratiquent les bislicci, lisent la Morale di Vecchiezza di|j

LA RKNAISSAiNCK A FLOKKNCi: 291

vieux Pucci et font, tant bien que mal, leur partie dans le concert, ce sont les trois frères Pulci, Luca Pulci, Liiij;i Pulci, Bernardo Pulci, marchands de leur état, poètes par tempérament et apparentés à des poètes, vraiment esprits gracieux, et lettrés, et bien faits, et (y lit l'un, Luigi Pulci, atteindra la gloire. I Tout ce monde, de souche essentiellement bour- geoise, reste fidèle au genre de littérature que pra- tiquent les bourgeois, le marquant à peine d'une cul- ture un peu plus fine et se ressentant à peine de la délicatesse du voisinage savant. Chacun, pour honorer la compagnie et se faire honneur à lui-môme, obéissant à sa fantaisie et mettant à profit ses loisirs, lui apporte quelque composition de son cru. Et, par eux, l'italien littéraire est toujours cultivé chez les Médicis. j

Bernardo Pulci traduit en terzines les Eglogufs de Virgile qu'il envoie à Laurent « comme scolastiques et très humbles primeurs de son talent ». Luigi Pulci décrit en octaves la Joule de Santa-Groce, oii Laurent a combattu, en 1469, pour sa Dame Lucrezia Donati et remporté « un pelit casque tout garni d'argent avec un Mars pour cimier». Luca Pulci commence \aSloria du Giriffo Galvaneo, que plus tard, à l'instigation de Lau- rent, Bernardo Giambullari conduira à bon terme, il est dit de Girilïo et du Povero Avveduto. proprement élevés au pays môme dans le Mugello, et l'on y voit comment Girifl'o se fit ermite, et comment le Povero Avveduto combattit Luigi, fils de Garlo Magno. Ala- nianno Donati et Alessandro Braccesi accommodent de leur mieux en vulgaire la nouvelle latine d'iï]neas- Sylvius. Et à Bernardo Giambullari, on doit la Storia di San Zanobi, le Tractato dei DiavoU coi monaci, la Conterizione di Monna Comtanza e di Biagio. Quand ils fsonl gracieux, ils pétrarquisent : Bernardo Pulci, Ales- sandro Braccesi, Erancesco Gei qui célèbre une Ginori sous le nom délicat de Glizia, Tommaso Baldinotti qui se meurt d'amour pour une Panfila. Luca Pulci fait

292 LE QLATTROCENTO

mieux ; il imagine ni plus ni moins qu'un petit roman en octaves dans le goût du Ninfale Ficsolano de Boc- cace, qu'il intitule Driadeo (rAmore, et qui conte la nymphe Lora poursuivie dans le Mugello par le satyre Severe, la triste ténacité de Severe, la métamorphose de Severe en licorne et celle de Lora en rivière. Car Luca Pulci est un homme savant; il connaît les choses; il sait aussi hien qu'un autre qui est Egiste, Clytem- nestre, Polyphème, Galatée, Ulysse, Gircé, et s'inspi- rant cette fois des Héroïdes d'Ovide, il fait s'adresser à tout ce monde des Pistole en terzines, auxquelles par galanterie il veut joindre une Pistola de Lucrezia Donati à son ami Laurent de Médicisyils riment des laudes ; ils élaborent des rappi'esentazioni sacre, ils accom- plissent quelque poème dévot, parce qu'ils se montrent très respectueux de la sainte religion. Plus ordinaire- ment ils se montrent hilares, enjoués, réjouis, aimant rire et riant le plus joyeusement du monde. Pour rire, Luigi Pulci décrit en une petite nouvelle en prose les façons grotesques d'un de Sienne s'acquittant de ses devoirs de civilité envers le pape Pie II. Pour rire, Bernardo Giambullari et Alessandro Braccesi ajustent des chansons destinées aux masques du Carnaval. Et pour rire tous fabriquent à qui mieux mieux des son- nets burchiellesques; plaintes bouffonnes, silhouettes ventrues, requêtes d'argent, caricatures gaillardes et paillardes, goguenardises, bizarreries, calembredaines, coq-à-l'ùne, bisticci, et descriptions comiques de ceux des autres villes. Dans le genre, on doit reconnaître que Luigi Pulci, Matteo Franco et Bernardo Bellincioni sont excellents; ils rivalisent de trouvailles, se fâchent, s'injurient, s'emportent, vont leur train; à qui dira la plus grosse, à qui la colère arrachera la plus forte; et les autres, réunis, informés, rient de ce beau tournoi, dans les villégiatures et les fins de repas. . On voit cette littérature diverse, fruit d'états d'îlmc divcFb, sonnets burchiellesques ou pétrar(|uesquos,

LA RENAISSANCE A FLORENCE 293

laudes pieuses et chansons de carnaval, poèmes mytho- logiques et dévots, nouvelles en prose et nouvelles en vers, histoires, romans, représentations d'église, tout au monde. Sans doute qu'elle n'est pas de qualité très fine, qu'elle manque de cohésion et de tenue, qu'elle apparaît plus une création de hasard qu'une œuvre ordonnée et groupée; mais elle est franche, spontanée, naturelle comme le vin et l'huile du pays, reposante commes les vieilles choses, fidèle et facile comme la tradition; elle sent le cyprès, l'olive et le cierge; elle a un goût de malvoisie et de fmocchio; elle a poussé au soleil qui éclairait les hons poètes d'autrefois. Et pour lui donner, avec plus d'assurance, une impulsion et une direction nouvelles, pour lui conquérir une faveur suprême, pour y rattacher les doctes méprisants, Laurent de Médicis s'y rallie.

fc.' Laurent qui jouit d'un crédit de prince et qu'on ne pourrait qu'applaudir; Laurent qui a reçu l'éducation d'un savant et pourrait écrire en latin; et Laurent qui étant le fils de la bonne Tornabuoni, l'ami du vieil Alberli et du vieux Palmieri, l'élève du maître Cris- toforo Landino ; qui ayant pratiqué les anciens poètes du dolce stil nuovo dont à l'âge de dix-sept ans, il raisonne déjà dans les rues de Pise avec le prince don Federigo d'Aragon; qui, s'étant nourri de Guittone d'Arezzo, de Guinicelli de Bologne, du « délicat » Guido Gavalcanti, et de Dante, « qui colora doucement la belle forme de notre idiome », et de Gino da Pistoia, « qui commença le premier à s'écarter en chaque domaine de la gros- sièreté du passé », et de Pétrarque u dont il vaut mieux ne rien dire que peu parler », écrit ses vers en italien.

294 LE QUATTROCENTO

II

Car, ainsi qu'on l'a vu, le Modicis est un poète'.

C'est même la grâce souveraine qui reste attachée à celte figure d'homme d'Etat que la couronne de laurier, cher à Phœbus, qui l'enguirlande. Toute sa vie, et depuis sa plus tendre jeunesse, il chanta, et rien ne put le distraire de ce soin, ni les graves aflaires, ni les mille affaires, ni les soucis, ni rien.

Evidemment que les éloges (jue lui prodigua son époque nous apparaissent excessifs et se justifient plus par la position du Mécène que par le talent de l'écri- vain ; nous avons peine, par exemple, à souscrire au jugement d'un Pic de la Mirandolo, qui tenait ses vers pour supérieurs à ceux d'un Dante et d'un P('trarque^; Laurent n'a pas une de ces personnalités puissantes, conscientes de leurs forces et d'elles-mêmes, qui s'affirment durant toute une «euvre et dont on reconnaît tout de suite la signature; il remplit moins une desti- née qu'il n'accomplit un exercice; il obéit plus aux règles des genres qu'il ne transforme ces genres ou ne les marque; du moins s'est-il essayé dans tous ceux qu'on pratiquait autour de lui, les a-t-il abordés sans parti-pris et dans un esprit d'extrême obligeance, et a-t-il témoigné, à passer de l'un à l'autre et j\ se distin- guer également dans chacun, de cette souplesse, de celte aisance, de celte idonéité universelle et heureuse, qui fut le charme de son génie multiple.

Autour de lui, on rime des laudes; pieusement, dévo-

1. f,a meilleure édition des œuvres de Laurent «le Médicis est relie de .Molini, Opère ili Lorenzo de' Medici, detio il Maonifico, Florence, 1825, 4 volumes. Nous nous servons iri de celle de Cardurci. plus accessible et contenant tout l'essentiel, l'oesie di Lorenzo de' Medici, Florence, ISr/J.

2. « Snnt apud vos duo pni'cipue celebrati poetin llorentina' lingua', Franriscus l'elrarclia et Dantes Ali^'erius : de r|niluis illud in univcr- Huin siru pra-fatus, e»se ex erudilis.(|ui res in Francisco, vorba in Duulo desidcrcnl. In le, qui meiitem liahcal cl aurcs neulrum dcsidcratunim, in quo non sil videre an res orationc an verha sentenliis inagis illus- trcntur... » (Pic de la Mmundolk, lijiislolii', III.)

LA RENAISSANCE A FLORENCE 295

temont, il rime dos laudes : « Dur, combion dur est le cœur, qui ne suit pas son SauviMir...' » Ou bien : « Je suis cet ingrat misérable, ce pécheur qui a tant erré...- » Ou bien : « Que chacun le chante Marie, cha- cun te chante doucement...'' » Autour de lui on com- pose des canti carnascialeschi ; gaillardement, le rire aux lèvres, il compose des canll carnat^cialcschi. Pour les marchands de pain d'épices, les cardeurs de laine, les fileuses d'or, les cordonniers et les gens de bou- tique, il agence des hallate si gaies, si neuves, si alertes, qu'on ne sait pas (c si, ii force de varier non seulement le chant, mais les inventions et façons de composer les paroles », il n'a pas créé le genre tout à fait. Il l'ait se répondre en chants alternés les jeunes filles et les cigales, les jeunes femmes et les vieux maris. Les jeunes femmes crient : « Allez au diable! allez, allez, vieux maris fous et étiolés''!... » et les vieux maris ré- pondent : (( 0 trompettes sans vergogne, nous vous avons si bien nourries M... » Les marchands de pain d'épices disent : « Pains d'épices, oh! petits pains ! En voulez-vous? Nos pains sont lins''!... » Les marchands de gaufres crient : « Nous sommes jeunes, maîtres parfaits, femmes, en la gautfre qui vous plaît...'» Et

1 . « Ben sarà duro core

Quel che non segue Gesù salvatore. »

2. « lo son quel misero ingrato Peccator, c'ho tanto errato. »

3. « Giascun laudi te, Maria : Ciascun canti in gran dolcezza. »

i. « Dell andale col malanno,

Vecchi pazzi rimljanibiti ! »

5. « 0 troinbette svergognate

Noi v'abbiam si bea tenute ! »

fi. « Berricuocoli, donne, e confortini !

Se ne voleté, i noslri son de'fini. »

"7. « Giovani siain, maestri molto buoni,

Donne, coniudirete, a far cialdoni. »

(P. 449.) (P. k"A.)

(P. 4;n.)

(P. 427.) (P. 428.) (P. 429.) (P. 432.)

296 LE QUATTROCENTO

les équivoques paillardes s'envolent au ciel avec les saillies. Autour de lui on élabore des rappresentazioni sacre; subitement redevenu grave, il élabore une belle 7'appresentazione sacra, la Rappresentazione di san Gio- vanni e Paolo, plus belle qu'aucune autre, puisqu'elle exhibe un banquet, deux supplices, deux conversions, deux morts, deux batailles, trois apparitions, qu'il y a une harangue militaire, plusieurs harangues poli- tiques et qu'au lieu de raconter une seule histoire, elle en raconte trois ou quatre, les martyres de Gio- vanni et Paolo, eunuques de Gostanza, la conversion de Gallicano, fils de Gostantino, l'abdication de Gos- tantino, la mort de ses iils et l'avènement de Julien l'Apostat. Autour de lui, on chante des cacce; dans un accès de verve, il imagine son petit poème en octaves de la Caccia al falcone, rapide, heureux, savoureux, piquant comme un coup de trehbiano, sont pris sur le vif et saisis au vol les mille accidents d'une battue dans la campagne toscane, ses épisodes, ses accessoires, les noms des chiens, les dialogues des chasseurs, le bruit des cris, des siftlets et des appels, les querelles entre les fauconniers, et la bonne faim, et le retour, et les récits qui s'ensuivent. Autour de lui, on se com- plaît à détailler quelque cortège burlesque dans la manière de la Divine Comédie; rivalisant avec le Za ou Gambino d'Arezzo, il compose son poème des Beoîii, Bartolino et ser Nastagio lui décrivent une mer- veilleuse théorie d'ivrognes, à laquelle il se heurte sur la route de Faenza, un jour qu'il revenait de sa villa du Poggio ; trognes rubicondes, nez spongieux, bouches ouvertes, panses gonflées, soifs énormes; le prieur de Fiesole, qui a fait du boire son paradis; le prieur de Stia, qui court après sa soif perdue; Adovardo, qui se ronge les ongles pour avoir soif; et celui qui expédie une V(!iidange avec sonnez; et celui qui, après boire, épanche un bief de moulin, et celui qui n'a retenu de ses éludes en théologie que la parole du Ghrist, silio ;

LA RENAISSANCE A FLORENCE 297

et le dernier venu de la bande est le Piovano Arlolto, qui ne s'agenouille pas devant le sacrement s'il n'y a bon vin dans le calice, parce qu'il ne croit pas que « Dieu y soit dedans ^ ». Autour de lui on rime des sonnets bur- chiellesques ; il rime des sonnets burchiellesques. Au- tour de lui, enfin, on rime des sonnets pétrarquesques, et il rime des sonnets pétrarquesques.

C'est par sans doute qu'il a débuté et c'est qu'il exprime, mieux que dans ses petits poèmesd'occasion, qui durent le temps d'un oremus ou d'un éclat de rire, quelques-unes des qualités les plus charmantes de son âme virgilienneet de son éducation ralTmée. Adolescent, presqu'enfant, avec tout le sérieux elle rôve d'élégance de la jeunesse, il a courtisé la tille d'un marchand florentin, Lucrezia Donati, et rimé pour elle, peut-être aussi pour d'autres, de délicats sonnets ; devenu homme, aux environs de la trentième année, il s'est avisé de réunir ces feuilles éparses, de les constituer en un can- zonière organique et réfléchi, et de les illustrer par un commentaire, ainsi que Dante en avait agi dans sa Vita nuova.

Selon sa fiction charmante et l'éternelle vérité qui veut que la mort et l'amour soient deux frères, son amour a pris naissance auprès de la tombe de la bella Simonetta, l'amie de son frère Julien, que, par une radieuse journée d'avril 147(5, Florence a portée en terre'-' ; et sur le visage de la jeune femme la mort semblait belle. Et, à quelques jours de là, Laurent, pro- menant un soir sa mélancolie dans la campagne tos-

1. <( Costui non s'inginocchia al Sacramento Quando si lieva, se non v'é buon vino, Perché non crede Dio vi venga drento. »

(P. 327.)

Le lendemain d'un jour ils avaient beaucoup bu, le Piovan Arlotto et un de ses amis se réveillent :

« 11 primo di un certo armario apriro,

Pensando loro una ftnestra aprire ;

E scur vedendo, al letto rifuggiro. » [Ib.)

2. Narra la cagione dalla quale fu mosso a scrivere i priini quatlro sonetli, e quesli dichiara. Alcune prose di Lorenzo de' Medici, ib., p. 34.

298 LE QUATTROCENTO

€ano, a remarqué au ciel une claire étoile et sur le pré une fleur de tournesol inclinée vers le soleil disparu. Il pense que cette tleur pourrait être poétiquement com- parée à un amant courbé par le deuil et tourné vers sa maîtresse, et que cette étoile a sans doute accueilli les beaux yeux de la morte ; et de ces deux gracieuses images il a fait aussitôt deux sonnets'. Alors, par cet appétit de beauté, qui, d'après Platon, est le moyen de trouver la perfectiondes choses, s'étant mis à recher- cher avec l'esprit « s'il n'y avait pas dans notre cité une autre femme, digne de tant d'honneur, amour et louange» pour laquelle ce serait une fortune de chan- ter, il rencontre dans une fête une Dame, de beauté si extrême et de façons si accomplies qu'il se prend à l'aimer incontinent. De l'amour général qui l'enflam- mait pour Simonetia, il est donc arrivé à l'amour par- ticulier qui l'enflamme pour Liicre/ia, et dans son canzonière, qui n'est que l'histoire d'une tendresse inté- rieure où les aventures s'appellent des états d'âme, cet amour particulier se sublimise jusqu'à l'amour divin. Le front dans la main, le coude au genou-, ni vivant ni mort, le poète, qui ne connaît plus les pensées viles et communes, qui a été touché par la grâce, assiste à sa douleur et bénit son agonie. Il veut dormir pour oublier. Il gravit une colline aiin démontrera sa peine l'endroit lointain habite sa Dame. 11 porte sur son cœur la violette dont elle lui ht présent. Il lui envoie un cheval nommé Ermellino. Il lui cueille une fleur syl- vestre. Il célèbre le chêne qui lui averse son ombre, le ruisseau qui la mira, sa pâleur, ses larmes, ses yeux, sa main, qu'il effleure à peine, et quand il l'effleure il

1. « 0 chiara Stella, clie co'raggi tuoi... » Kt

« Qiiando il sol fçiii (iaU'orizzonte scende... »

2. « lo stu sospcsd so|)ra un duro snss(i, E To col bniccio alla giiancia sostegno ; E iiieco pcnso c ricontamlo vcgno

Mio camtnino amoroso a passo a passo... »

(P. 147.)

LA RENAISSANCE A FLOItENCE 299

se sent privé dévie et attend une si douce mort que, d'y penser, il en vit. Il la place au milieu de celte cam- pagne qu'il connaît, qu'il pratique, il a des villas et des métairies. Il l'évoque de préférence dans un décor cliampôtre, les pieds sur les herbes, près d'eaux cou- rantes, entre les vertes frondaisons. Il l'enveloppe d'images heureuses prises à la vie des champs. Ses cheveux épars sur sa robe blanche sont comme la lumière d'Apollon qui caresse une cime de neige. Ses larmes coulent sur ses joues comme un clair ruisseau sur un pré de fleurs blanches et rouges. Le rayon d'amour qui émane de ses yeux est le rayon de soleil qui pénètre au printemps dans la maison des abeilles : « (^elle-ci sort, celle-là revient chargée d'un butin odorant et beau. Celle-là, s'il arrive qu'elle en voie une paresseuse au travail, la sollicite et la presse. Une autre pique le lâche bourdon qui veut jouir pour rien de la fatigue d'autrui. Ainsi de fleurs diverses, de feuilles et d'herbe, elles font le miel qu'elles conservent ensuite pour la saison le monde n'a plus de violettes et de roses'. » Doucement, suavement, des choses pures s'envohîut d»^ ses lèvres. <( Plus doux sommeil el repos plus tranquilhî n'a jamais clos des yeux si beaux, jamais'... > ; ou bien : « 0 claires eaux, j'entends votre murmure, qui ditlenomde ma Dame seulement-^... »

\. « Quai esce fuor, quai torna

Garca di bel la ed odorata preda,

Quai sollecila c sirigne

S'avvien ch'alcuna oziosa ali'opra veda;

Altra il vil luco spigne,

Ch'in vau l'altrui fatica goder vuole ;

(;osi di vari lior di frondé e d'erba

Saggia e parca fa il uiel, quai di poi serve

Quando if mondo non ha rose e viole. »

(P. 148.)

2. « Più dolce sonno o placida quiète

Giammai chiuse occhi, o più begli occhi mai...»

(P. 123.)

3. « Ghiar'acque, io sente il vostro mormorio, Ghe sol délia mia donna il nome dice... »

(P. 115.)

300 LE QUATTROCENTO

et encore : «Comme une lampe à l'heure matinale ^.. u Il se réfugie et se blottit dans l'épaisseur du fourré : « Je fuis les beaux rayons de mon ardent soleil 2... » Que lui importent les pompes, les places, les temples, les grands monuments, les délices, les trésors? « Un petit pré vert tout rempli de fleurs belles, un ruisselet baignant l'herbe à l'entour, un oisillon se lamentant d'amour, calment bien mieux nos soutlrances rebelles 3... » Il s'attarde aux subtilités d'une métaphysique amou- reuse. Son cœur syllogise volontiers avec sa pensée et son amour, qui a fréquenté l'Académie, et se montre docteur platonique minutieux. Et dans son canzonière essentiellement littéraire/exploitant des thèmes litté- raires, vivant de situations littéraires et acquises à la littérature depuis Pétrarque '% d'ailleurs d'une industrie si délicate et d'une intelligence si tendre, il entremêle les mille éléments qui ontabordé sa culture : la mélan- colie de Vaucluse, la quintessence de Marsile, la dou- ceur des poètes du nouveau style, l'éclat des mytho- logies savantes, la grâce des façons chevaleresques toutes choses auxquelles il joint le sentiment très vif et très profond qu'il avait de la nature. f/L C'est ainsi que ce prince et ce savant réhabilite les genres bourgeois par le seul fait qu'il les traite. Désor- mais, qui hésitera à suivre un tel exemple? Marchands et savants, érudits et ignares, tous rivalisentdans la voie nouvelle. Et lui, heureux, facih», avec sa désinvolture pa-

1. « Corne lucerna all'ora maltutina,

Quando inanca l'uinor che'I foco tiene... » (P. 95.)

2. « Fuggo i bci raggi del mio ardente sole... » (P. 98.)

3. « Cerchi chi viiol le pompe e pli nltri onori Le piazze i tcmpii e gli edifizi magni,

Le delizie, il tesor ..

Un verde praticel pien di bei fiori,

Un rivolo che l'erba intorno bagni,

Un aiigcllctto che d'anior si Ingn

Acqueta rnolto tiieglio i nostri urdori. » (P. 119.)

4. Il y a véritablement un écart trop considérable entre l'homme aain et actif, que nous avons étudié, et le poète qui va « sospirando una nebbia di martiri ».

LA RENAISSANCE A FLORENCE 301

tricienneet son aisance souveraine, ne s'arrête pas en si beau chemin. A côté de rilalien écrit, il s'inspire de ^y l'italien parlé. Et comme il a été aux bourgeois, il va au peuple ei aux paysans, à ce peuple dont l'humanisme n'avait jamais fini de sourire, à ces paysans honnis, proscrits, tournés en ridicule par tous, à qui Malïeo Vegio prêtait non une apparence humaine, mais de bœufs 1, et dont la satire constituait une sorte de comique national.

Et tous ensemble, Laurent en tête, vont recueillir, par les champs et par les rues, les rispetli des amou- reux.

III

Florence avait été précédée dans cette tentative par une tentative analogue accomplie à Venise dés le début du siècle.

Lconardo Giustinian, en 1388, mort en 1443, que nous avons rencontré parmi les latinistes, est grand de Venise, comme Laurent est bourgeois de Florence. Comme Laurent, il est l'ami des humanistes, élève de Guarino, correspondant de Niccoli, de Traversari, de Filelfo, traducteur de Plutarque, sachant le grec à saluer le Paléologue dans sa langue ; il est aussi ciloyen de cette Sérénissime qui pense « qu'aux lettres sans la vie il faut préférer la vie sans les lettres », avoga- dore de la République, gouverneur du Frioul, soldat contre le Visconti, sage du conseil et procurateur de Saint-Marc.

Pour se reposer de charges aussi lourdes, Leonardo Giustinian aime à se promener sur le rivage fleuri, pêcher dans une barque, musiquer sur le luth,llàneren

1. « Non hominuni species vestra, bovum magis est. » On trouvera non seulement chez les humanistes comme Matleo Vegio et Battista Mantovano, mais chez les novellieri, comme Sermini, et même chez les poètes alla bv^-chia, à peine sortis du peuple, de nombreux témoignages du dédain étaient tenus les paysans. Voir D. Mer- lini {Suf/gio di ricerche sulla salira conlro il villano, Turin, 1894).

302 LE QLATTROCKN'IO

gondole, qu'il lient pour le genre de véhicule « le plus suave et le mieux accommodé à nos études». « Est-ce que je lis toujours? écrit-il à Guarino, pas le moins du monde; je m'arrache violemment des livres, et le souci de la bonne santé, qui m'est extrême, interrompt chez moi non la satiété mais le zèle de la lecture '. » Le long des berges, parmi les Calli étroits, au cœur de la lagune, les garçons chantent les filles. Leonardo Giustinian les écoule, retient les airs, note les paroles, et pour se divertir 2, comme passe-temps de grand seigneur, comme piquant contraste à la gravité de ses études, il se plaît à les imiter.

D'où ces c«;iso/i^//^ légères, nées à l'air de la musique, portées sur l'air de la musique, atmmbotti, hallate, ca/izoniy fragments de scène, bouts de dialogue, choses ailées et légères, signées du nom de Giustinian et qu'on chante encore aujourd'hui.

Quelquefois on y peut découvrir comme le hl ténu d'une petite histoire. Un garçon passant par une rue a remarqué une fille ; il y repasse si souvent, se montre si courtois qu'il est remarqué à son tour ; la hlle trompe la vigilance de sa mère, s'accoude à la fenêtre quand il paraît, et lui, radieux, emporte son sourire, quel- quefois son fichu. L'intrigue est nouée et en reste si l'on veut. Plus souvent un rendez-vous est pris. C'est nuit close; personne ne traverse le quartier désert; le garçon s'annonce en toussant, en crachant par terre, en lançant un caillou contre la fenêtre, et la conversation s'engage par couplets alternés : lui dans la rue, le nez en l'air, le dos au froid, elle à son balcon, agaçante et décevante. Se se. liant certaine, elle laisse le galant se morfondre durant des nuits, durant des semaines.

i. « Quid ergo? Scm|)er ne le;<o? Minime certe. Me ipsiim nnmqiic O'triler rolnctautein e libris iliveilo, cl rulio vnletudinis, (juii' iiiiiii pluri- miini liahendii f.'sl, non sfilietiiteiii. sod Icctionis ^'iisttun iiilcniiinpil liiiiii... /; (U. Sabhadini, Hvyli sliidi vulguri di L. (iiiisliniun, p. ;tt)i.)

2. 'c Lcvia profecfo siint f,'(;nera i|)sa diccndi et u nobis iuler gni- viorcii uccupationes studia mislra non taiu oxorcendi aiit illustrandi (|uaiij ingcnii laxandi causa iucondile jactalu. » [Ib., p. .31U.}

LA RENAISSANCE A FLOKENCE 305

« (JuelqLiefois lu tiens ta main sous la joue avec tant de pitié ; puis tu prends un enfant dans tes bras; quelque- fois tu le baises, doucement, et puis gracieuse, tu me regardes et tu ris; avec les voisines, tuaflectes seulement de parler pour que je t'écoute, et moi, comprenant bien ton beau manège, je me ris souvent, caria sotte voisine t'écoute de bonne foi et ne s'aperçoit pas de ce que tu veux (lire; quelquefois tu viens le soir à ton balcon, quand lu m'entends passer ; je te dis doucement mes raisons, tu écoutes mes plaintes ; mais lu ne consens jamais, voleuse, à me donner réponse'. »

Lorsque la coquette persévère dans safroideur, l'amou- reux s'adresse à la voisine, la supplie d'intervenir en sa faveur, et, si la voisine n'y consent point, brusquement il tourne contre elle ses batteries; la voi.sine, d'autant plus vite gagnée qu'elle esl jalouse, se laisse attendrir, indique l'église elle fréquente, ou bien dit: «Viens mard i ! »

L'amourette peut aller jusqu'au bout : la dame qui a joué l'amoureux esl jouée à son tour. Une telle cons- tance, de si jolies cliansons, le froid qu'il fait, sont autant de raisons qu'on lui donne ou qu'elle se donne pour abdiquer sa résistance, et un jour, ôtant ses socques, sur la pointe des pieds, elle ouvre l'iiuis de sa porte. Si le garçon n'a pas su profiter de la bonne aubaine, il se prend la tôle à deux mains le lendemain : « 0 fou, ô babouin ; maintenant je m'aperçois de ma

1. « Talora tieni la uiano solto la golta

Tanto pietosauienle,

Poi prend! un puto in brazo qualche volta E basil dolcemcnte, E poi vczosamente Tu nie riguardi e ridi Clie tu ni'alzidi e struzi di dolceza. « Con le vesine niostri di parlare Solo percli'io t'ascolti, Ed io senlendo el tun bel motezare, Hiflouie spesse voile, Che le vesine stolle T'ascolta a pura fede E non s'avede quel che tu vol dire. »

(L. GitSTiNiAN, Pop.sip, pub. par H. Wiese, Bologne, 1883.)

304 LE QUATTKOCENTO

sottise, moi qui n'ai pas su jouir d'un si joli morceau! Ah ! j'ai été bien sot de prendre garde à l'olTenser. Demain, il me faudra accomplir cette affaire', »

Tout cela vif, preste, pimpant, chantant; écrit dans cette langue adroite de Venise, qui rit et qui court, et les s s'adoucissent en r- ; conçu dans un esprit de gaieté et de grâce la passion devient la passionnette, les sentiments, comme les termes, s'atténuent jus- qu'aux diminutifs ; répétant indéfiniment les mêmes choses, amoncelant aux pieds de l'adorée toutes les plus belles images, toutes les plus douces comparaisons, toutes les plus magnifiques métaphores ; l'appelant «perle charmante », u fleur jolie», « rose jolie », «douce rose », « miroir de grâce », si ce n'est « hérétique» ou « sale juive ; » petites caresses, petites plaintes, petites invectives, compliments, madrigaux, recueillis et à peine transformés par Leonardo Giustinian.

Giustinian a remarqué que le sentiment populaire ne raisonne jamais, qu'il tourne autour de quelques affections rudimentaires et identiques, qu'il passe sans transition de la caresse à l'injure, qu'il ignore aussi bien l'art des nuances que l'art des ménagements, qu'il est tout sens, tout appétit, toute couleur, et il en a respecté la santé et la crudité singulières. Ou plu- tôt Giustinian n'a rien remarqué du tout ; son expé- rience savante du grec et du latin est de date trop récente pour qu'elle lui serve à quelque chose ; ce n'est pas un artiste éduqué pîir l'antiquité, c'est un citoyen de Venise, môle au peuple de Venise, chaulant si en accord avec le peuple de Venise que le peuple se recon- naît dans ces légers couplets, les fredonne, les répand,

1. « O mato, o ba))ion,

Pur ino ni'avedo del mio gran difecto

Chc un si zentil l)ochon

(îalder non l'Iio suputo al mio dileto!

lo fiiy bcn mal discrelo

(jiiardare al .suo disdegno ;

Doriian io convcgno

Coinpir slu tal lavore. »

{lu., p. 45.)

LA RENAISSANCE A FLORENCE 305

en inonde Tltalie, chacun les adopte et le lati- niste Andréa Ginliani les admire. « Et, écrit Giusti- nian à Ginliani, j'éprouve plus de plaisir à te les entendre louer qu'à les voir quotidiennement sur les lèvres de presque tout le peuple'. »

Mais que si l'exemple de Giustinian, qui n'eut guère d'imitateurs et de successeurs, reste un accident aussi charmant qu'isolé de l'histoire du premier humanisme, à Florence, dans le dernier quart du Quattrocento, les choses se passent dilTéremment.

Ils sont ti'ois ou quatre poètes, Ugolino Baccio, Bernardo Giambullari, Angelo Politien, Alessandro Braccesi, Tommaso Baldinotti, le pauvre Luigi Pulci, bien en verve, bien en joie, formant une gracieuse escorte à la jeunesse de Laurent, h qui Laurent insuffle son entrain et sa curiosité. Ils savent le latin. Ils ont derrière eux près d'un siècle d'etTort érudit. Ils ont écouté ou professé au Studio des leçons précieuses. Ils se sont adonnés à l'Académie à des dialectiques subtiles. Et ils ont appris par cu'ur tant de doctrines, tant de textes, tant de chansons savantes que leur érudition éprouve -comme une surprise attendrie des pauvres chansons qu'ils entendent parla vie, le long des rues ils flânent aux nuils d'étoiles, le long des routes de campagne ils chevauchent aux matins de soleil, quand ils chassent au faucon, (juand ils pèchent, ([uand ils voyagent, quand ils se rendent à la villa, quand ils habitent à la villa. Un doigt sur les lèvres, ils écoutent monter d'un champ de blé, d'un bouquet d'oliviers, d'une croupe de colline, dune terrasse de métairie, d'une fenêtre de village, les rispetti qui éclosentau soleil. Ils recueillent les ballate, les frottole, les maggiolate^ qui renaissent, chaque printemps, avec les feuilles, qui sont sauvages et naturelles comme les feuilles. Ils s'arrêtent, ils s'attardent à cette poésie toute populaire et rustique

1. « Ut plus te uno probante voluptatis percipiam, quam quod ea populus ferme oinnis m ore verset quotidie. » [W. Sabbadini, p. 371.)

H. 20

306 LE QUATTROCENTO

qui leur paraît d'autant plus savoureuse qu'elle est moins apprêtée, d'autant plus rare qu'elle est moins artificielle, d'autant plus inédite qu'ils s'en sont écartés davantage. Et eux cultivés, civilisés, fatigués diT'bëï esprit, plongent et rafraîchissent leur front pùli sur les livres dans cette gerbe de fleurs des champs.

« Nous sommes tous joyeux, écrit Politien à Laurent, et nous faisons bonne chère, et nous becquetons sur la route quelque ballade et chanson de mai, qui m'ont semblé remplies de plus de fantaisie, ici à Acqua- pendente, à la romanesca, vel nota ipsa vel argumenta ' . » Toute la Renaissance n'est-elle pas dans ce cortège de joie et dans cette sympathie imprévue d'artistes nourris de Virgile, de Théocrite et de Platon, pour un pauvre, pour un humble, pour un vulgaire petit refrain cam- pagnard ?

Les garçons de la campagne chantent les filles u au cotillon couleur de l'air ». En souriant, Laurent de Médicis les imite ; il écrit son petit poème de la Nencia di Barberino est introduit le paysan Vallera. « Je brûle d'amour, dit Vallera, et il me faut chanter pour une Dame qui me ronge le cœur... Pour la beauté, elle n'a pas sa pareille ; avec les yeux, elle jette des flam- beaux d'amour; j'ai été par cités et châteaux, et jamais je n'en ai trouvé une si belle '-. » Nencia a deux yeux que ça semble une fête ; elle a le nez si bien fait qu'on le dirait percé à la vrille ; au milieu de sa bouche, de ses joues, de l'enfilée de ses dents, elle est comme une rose; elle est semblable à Diane; elle est semblable à

1. « Siamo tutti allegri, e facciamo biiona cera, e becchiaino per lutta la via di (|imlche rappresaglia, e canznn di Calen di M.iggio, cho mi sono parule più fantasliche qui in Accpiapendente, alla Huuianesca vel nota ipsa, vel argumento. » (Poutien, éd. Del Lungo, p. 75.)

2. « Ardo d'ainore, e conviemuii cantare IN,T una dauia clie ini .stiuggc il core... Ella non tr«va di Ix-ilezzii parc;

Con gli occhi ^etla liaccole d'ainore : lo sono stato m città e castelia Ë mai non vidi gnuna tanlo bclla. »

{Poenie di Lorenzo, p. 236.)

LA RENAISSANCE A FLORENCE 307

Morgane; elle est plus blanche que fleur de farine. Pas une comme Nencia pour tisser les paniers et faire les chapeaux ; lorsque Nencia va à la messe, elle met une belle robe. Si Nencia veut, Vailera à la ville, lui achètera un sou d'aiguilles, du fard dans un cornet, une attache de soie bleue ; c'est pour l'avoir vue cueillir une salade au mois d'avril que Vailera s'en est épris; il laimo comme un petit papillon aime la lumière. Nencia est plus blanche que fleur de rave; elle est plus luisante que gobelet ; elle a sept bagues dans une petite boîte ^ b]ile a les dents plus blanches que celles d'un chien ; elle semble plus douce que la malvoisie ; elle fait de plus belles révérences qu'aucune dame de Florence 2. Elle a une fossette au milieu de son menton, qui embellit toute sa ligure-'. Ah! si Vailera se montrait avec un mouchoir de soie! Ah! s'il se faisait raser! Oui, les gens lui promettent monts et merveilles ; qu'elle essaie seulement de leur demander des petits souliers'»!

Les garçons de la campagne emmêlent leurs effu- sions de pointes comiques; ils gaussent eux-mômes leur sentimentalisme ; il leur arrive de terminer par le simulacre d'un renvoi leurs plus pures métamophoses. En riant, Luigi Pulci les imite. Et comme Laurent de Médicis a écrit sa Nencia di Baibcr'mo, Luigi Pulci écrit sa Beca di Dicomano. Beca est une fleur, sauf qu'elle boîte, qu'elle a la lèvre poilue, qu'elle a une tache dans l'œil ; Beca est blanche comme la lessive ; Beca est divertissante comme le marché ; Beca est vigoureuse comme l'empereur. Vailera portait à Nencia de la

1. « E porta bene in dito setle anella. »

2. « Ella fa le più belle riverenze Che gnuua ciltadina di Firenze. »

3. « Ell'ha un buco nel mezzo del inento Che hmbellisce lutta sua figura. »

4. « lo so che molta gente ti promette, Fanne la prova d'un pa' di scarpette. »

(P. 249 ) (P. 243.) (P. 240.) (P. 244.)

308 LE QUATTROCENTO

fraxinello, un nid d'oiseaux, des baies de houx. Nuto offre à Beca de lui cueillir une salade de ranipon ou de lui couper un balai à la forêt; Nencia était suave comme un miel; Beca est douce comme c... d'abcillo. Des rispefti montent de partout, de la ville, de la campagne, des nuits étoilées, de la terre fleurie ; par gaité, les uns et les autres se prennent à composer des rispeffi^ et c'est entre eux chevauchant sur les routes, se reposant sous les arbres, dans les loisirs des villégia- tures et des déplacements, une lutte jolie d'inventions et d'improvisations, un tournoi proclamé de petites chansons brèves, une rivalité heureuse, d'où Poli- tien, qui a écrit les Violœ^ qui a traduit Homère, qui a rivalisé avec TibuUe et Ânacréon, sort vain- queur,

Politien est rongé par l'amour, comme le fer par la rouille. Il se tourne dans son lit sans dormir. Il ne lui reste plus au cœur goutte de chanson'. Son cœur meugle. Il invective celle qui le repaît de fanfreluches et de paroles, qui le paie de vessies et de vents, qui laisse passer le temps qui passe, qui a pris son cœur et de dédain l'a jeté par terre. Il lui crie: «Méchante Juive! » Il lui crie : « Secoure-moi, parDieu! »Et il luidit: "Tu es belle, charmante, jeunette, exquise, charmante plus que Heur au rameau. » Il lui dit que, lorsqu'elle chante, le soleil s'arrête pour l'écouter. Il lui dit qu'à ses paroles les anges descendent par bandes du ciel 2; il lui dit qu'Italie peut se dire terre glorieuse et fameuse de nicher une pareille femme. Il lui dit « qu'avec ses vers il lui fera un tel honneur que tout le monde en

\. « Non tu e rimaso d.il cantar pit'i ^'occiola :

L'omor mi rode corne el ferro ruggin«. »

l'Poi.iTiEx, l.e Stanze, iOrfeo e le rime, Florence, 18(»;{, éti. (^arducci,

p. m.)

2. « Qimnd' l|i()lilii ride onestii c pura

E'pir cho si spalniiclii cl puradiso. (ïli anKioli, al canlo stio, snnza dimoro, Scendun tutti del cielo a coro u coro. »

(M., p. 2:i2.)

LA RI:NAISSANCE a FLORENCE 309

enloiulra des nouvelles -», et il lui dit qu'elle veut le faire mourir :

Si lu me vois avec mes yeux fermés Par Amour qui vers la mort m'aiguillonne, Toute chagrine en tes confus pensers Diras : « Pour moi son âme l'abandonne ! » Et si quelqu'un accuse ton péché, 11 n'en sera point qui te le pardonne, Et lu iras pleurer sur chaque bord, En regreltanl Ion péché et ma mort ' .

Le résultat le plus charmant de ce retour au peuple, de cette prise de contact avec la nature et avec la terre, est la résurrection de la ballata, qui était née au plein air de la campagne toscane, qui avait été maniée par les vieux poètes du doux style, qui s'était appauvrie dans les mains des bourgeois contemporains : Laurent de Médicis et Politien lui donnent une nouvelle vie.

Les ballate de Laurent, musiciuées par Squarcialupi, tour à tour malicieuses, voluptueuses, dissolues, sont de petites choses à Heur d'àme et à Heur de peau : cris de victoire, cris de colère, piques d'amoureux, courtes imprécations, regrets de vieille, badinages galants, et surtout exhortations à la danse, à la joie, à la fête, à cueillir l'heure brève, à ne pas laisser s'enfuir le moment: « Ce n'est pas une honte d'aimer Celui qui brigue de servir », ou encore : « Il faut vivre et mourir allègre Pendant que nous sommes en jeunesse' », ou encore : « Oh ! que de choses la jeunesse méprise !

1. « Quando lu lui vedrai questi occhi chiusi Da amore ch'a tult'ora al fin ini sprona, Tutta atlannata da pensiei- confusi

Dirai : Per me questa aima s"al)bandona ; E, se arai chi'l tuo peccalu accusi, Nessuno troverai che tel perdona : Cosi andrai piangeudo in oyui lato Dolente di me'morte e tuo peccato. >

(M., p. 271.)

2. « Allegro si vuoi vivere e morire

Montre che in giovinezza abbiamo a stare. » {Poésie di Lorenzo de' Medici, p. 298.)

310 LE QUATTROCENTO

Oh! combien belles sont les fleurs au printemps! Mais quand paraît la vieillesse inutile Et qu'on n'es- père plus rien que le malheur, Celui qui se consume et qui attend l'instant Connaît le jour perdu quand c'est déjà le soir *. »

Les ballate de Politien, toute grâce et toute sève, échappent aux classifications ; elles se prêtent à tous les genres, s'ajustent à toutes les voix. Il y a la ballata du curé : un voleur a soustrait au curé son petit cochon et est allé raconter au curé son larcin à confesse, de telle sorte que le curé soufîre d'un mal qu'il ne peut avaler: « Femmes, femmes, point ne savez Que j'ai le mal qu'eut le curé^ ». Il y a la ballata du calendimaggio : « Soit bienvenu le mai Et son enseigne fleurie Bienvenu le printemps Qui veut que l'homme s'éprenne. Et soyez bienvenues, vous donzelles, qui par bandes Avec vos amoureux, De roses et de fleurs, Vous faites belles en mai '^. » Il y a la ballata de la vieille femme : « Une vieille me courtise, Flasque et sèche jusqu'à l'os Son échine n'a pas de viande Pour ôter la faim à un petit ver'*. » Il y a celle qui commence : « Qui ne sait comment est fait le paradis, Qu'il regarde aux yeux mon Hyppolite fixement ^ » ; et il y a celle qui commence : « Je suis, dame, un cochonnet

!. « 0 quante cose in gioventù si sprezza!

Quanto son belli i fiori in primavera! Ma quando vien la disutil vecchiezza E che altro che mal piii non si spera, Conosce il perso di quando è già sera Quel che'l tempo aspettando pur si strugge. »

{Ib., p. 397.)

2. « Donne mie, voi non sapete Ch'i'ho el mal ch'avea quel prête. »

(PouTiBN, éd. Carducci, p. 301.)

3. « Ben venga maggio

E'I gonfalon selvaggio.,. »

{Ib., p. 295.)

4. « Una vecchia mi vagheggia Viza e secca in sino all'osso... »

{Ib., p. 315.)

5. « Chi non sa corne è fatto el paradiso Guardi Ipolita niia aegli occtii fiso. »

{Ib., p. 288.)

LA RENAISSANCE A FLORENCE 311

Qui remue aussi la queue'. » Politien sourit, rit, pleure, jette des anathèmes ou des compliments ; il se désole sur le cours de sa vie qui s'enfuit, donne des conseils d 'alcôve aux commères, poursuit des doubles sens ; et ayant vu dans un pré un oiseau aux ailes d'or, aux plumes de rubis, au bec de cristal, dont la voix énamoure l'univers, il veut le prendre; mais l'oiseau lui échappe, et pour le saisir, au lieu d'user de lacs et de filets, il s'avise de chanter à son tour : « Et c'est la raison pourquoi je chante-!» La perle de son écrin, qui est pout-ôtre la perle du genre, est la hallata des roses. Une jeune fille se trouve, un beau matin de la mi- mai, dedans un vert jardin ; partout des fleurs, et bleues, et jaunes, et blanches, et des fleurs nouvelles parmi l'herbe; elle les cueille afin d'orner sa tête blonde, afin d'enguirlander ses jolis cheveux ; mais, comme le coin de son tablier est déjà rempli, elle aperçoit les roses : « Jamais je ne pourrai vous dire combien ces roses étaient belles, l'une éclatant à peine de son bouton, l'autre un peu passée, l'autre toute neuve. Amour me dit: Va, cueille celle que tu vois plus fleurie sur l'épine.

Lorsque la rose est ouverte et fleuronne, Qu'elle est plus belle et fait le plus envie, Alors il faut la tisser en couronne, Avant que sa beauté ne soit enfuie ; Qu'on cueille donc pendant qu'elle est fleurie La rose belle, la rose du jardin ! Je me trouvai, filles, un beau matin De la mi-mai dedans un vert jardin^.

1. « l'son, dama, el porcellino

Che dimena pur la coda. » (76., p. 310.)

2- « E questo è la cagion per ch'io pur canto Che questo vago augel cantando alletto. »

(/6., p. 283.)

3- « Quando la rosa ogni suo' foglia spande Quando è più bella, quando è più gradita ; Allora è buona a metter in ghirlande, Prima che sua bellezza sia fuetrita :

312 LE QUATTROCENTO

C'est ainsi que la bande joyeuse de Laurent de Medi- cis se divertit au soleil.

Sans y attacher plus d'importance, pour s'amuser, pour rire, ces fins lettrés rivalisent avec le peuple. Et comme ils lui empruntent ses chansons, ils lui em- pruntent ses histoii'es.

C'est ici que va se distinguer un des esprits les plus fantasques et les plus l)izarres du moment : Luigi Pulci.

IV

Dans la cour des Laurent, des Marsile, des Politien^ des Mirandole. Luigi Pulci occupe une position par- ticulière.

Il appartient à cette famille des Pulci que nous avon^; vue parmi les clients des Médicis, bourgeois lettrés, poètes d'occasion, jadis marchands cossus, et mainte- nant tombés en di'confiture. « Nous n'avons, peuvent- ils déclarer le 21 mars 1458, ni maisons, ni allaires, ni argent de banque, ni boutiques, ni richesse, ni rien à recevoir de personne, mais à donner, oui bien^ »

II est né, en 1432, à Florence et a écoulé une vie si travaillée d'aventures, de revers et d'infortunes, qu'il peut bien dire » qu'il commença à mourir le jour oh il naquit ~ ». Tôt exilé pour ses dettes, ayant sur les bras une (juantité d'enfants, et non seulement les siens, mais ceux de son frère Luca, arrêté par ses créauciers et mort en prison, c'est une sorte de bohème, de nomade, d'iri'égulier de la vie, acceptant pour subsister toutes les besognes, exerçant un vague commerce de

Sicchè, ffinciiille, inentre é |)iii (iorita (>)gliiin la l)olla rosii del fîinrdino. l'ini truvai, Tanciulle, un bel niatlino I)i mez'/.o maggio in un verde giardiuo. »

(//>., p. 280.)

1. « Non abl)iam(i casa in Firenz.e, ne niasserilie, ni- duniiri di nionlo, botteghe, aitre sustanlic, ne avère nul la ila persuno, ma daro si. » (G. Voipi, l.uitfl l'idci. studio biof.'ra(ic(), p. 1.)

2. Quel di ch'io venni <'il niondo

A niorir coniinciai. »

L\ KKNAISSANCK A FLORENCE 313

briques et de draps, acoquiué la plupart du temps ù la campagne, dans un moulin qu'il possède au Mugello, le lise se montre moins rapace, et servant qui le veut employer, les bourgeois, les riches, Laurent de Mf'dicis et Robeito de Sanseverino qui l'entretient dès 1472. Il passe par tous les <'tals comme il court tous les chemins ; on le rencontre tour à tour à Gamerino, à \a|)les, àiMilan, à Bologne, à Venise; il est toujours errant, toujours au dépourvu, jamais assis dans une charge et une certitude; et un soir de novembre 1484, la mort le recueille à Padoue. En même temps il a plus d<' culture que les autres; il a surtout plus de talent, un des talents les plus clairs, les plus pittoresques et les j)lus llorentins qui soient au monde; et il a, pour le mettre en vedette, la faveur précieuse de Laurent, dont il est l'aîné, le camarade et le compagnon. C'est môme une des choses les plus chai'mantes de l'époque que cette camaraderie sans compliments et sans étiquettes, qui unit d\iii lien étroit le prince avec le pauvre diable. Luigi Pulci, ou plutôt Gigi, est pour Laurent « le cinquièmes élément » ; « il est, dit Matteo Franco, la tripe de vos pallc^ » ; Laurent le veut toujours à son côté, l'assiste de son conseil et de son argent, le rap- pelle d'exil, le marie, lui oiïre une pièce de fromage ou un liasque de vin blanc, lui commet de menues adaires, le protège contre les autres et contre lui- môme. El de son côté Gigi témoigne à Laurent un amour aussi profond qu'ingénu. Il lui dit: « Le ciel ne m'a laissé que toi -\ » Il lui dit : « Sans toi, je me sens tout perdu, seulet el ailligé^» II lui dit: « Que puis-je faire sans toi? Me donner aux trois cent mille diables'? » Et il lui dit : « Je suis comme les lièvres

1. « L'animella délie voslre palle. »

2. « Nei bosclii, o dove io sia, non m"à lasciato il ciel allro che te. » {Letlere cli Luuji l'ulci, Lacques, 188(1, p. 33.)

3. « ïutto soletto, smarrito e afilitto. »

i. « Clie (lebbo adunque fare? Damii al Irecenlo mila diaboii ? » {II)., p. 30.)

314 LE QDATTROCENTO

et les plus infortunés animaux, pour devoir être la proie des autres, et pour devoir beaucoup t'aimer, et être peu avec toi '. »

Fait de la sorte, misérable et par sa misère devenu de condition subalterne, lettré, mais sans exagération, lisant le latin et s'exorçant à la métrique latine, mais ignorant le grec, Luigi Pulci risquerait fort d'être méprisé et évincé du beau monde dont il est l'égal par le talent, s'il s'imaginait suivre ses traces et lutter de culture élégante avec lui. Alors, pour s'y tenir et s'y maintenir, il s'avise de prendre pour ainsi dire le contre- pied de l'opinion courante.

Au lieu de perdre haleine à suivre ceux qui ont pénétré l'intimité sublime de Platon et d'Aristote, Pulci les gausse et prétend qu'ils a ont étudié dessus un gros melon ». On parle latin; Pulci parle argot. Politien écrit à Pic : Angeliis Politianus Pico Mirandulœ suo saliUem pliiriniam dicit ; Pulci écrit à Beiiedetto Dei : Al mio caro Benedetto Dei salamalec. On appelle Laurent le Magnifique, un Laurier, un Phénix, un lils d'Apollon ; Pulci lui dit : « Tu es le coco de notre roi% » Pulci se montre boufTon dans la mesure môme les autres se montrent érudits; aussi gros qu'on est fin, aussi plaisant qu'on est grave; et comme il a reçu de la nature un esprit comique, plantureux, savou- reux, riche d'une veine jaillissante et d'une verve colorée, il se sert de ce talent comme d'une ressource. Pauvre, il se rend impayable. Il excuse sa présence dans les compagnies savantes par des saillies, des facéties, des bons traits. Il noue « comme bouquets de

1. « lo nacqiii cotnc le Icprc e allri nniinali più sventurati, per dovcr «ssere preda agli altri, e per dovcrc moll(» aiiiarti, e poco essere teco. » {/6.. p. ;{5.)

Ailleurs, Pulci écrit à Laurent : « Tu se' un buon ^arzone et se' pure il niio Lauro, o vo^ii lu o no. Parc che sia Ira noi cicrta conrorniità che viene dalle slelle, et fa ch'io l'ami lanlo et cli'io mi conlidi ancora tu ami me mollo. » (/A., p. î)ti.}

2. « Se' in huon luo^o con noi di qua, c sopra lulto, il cucco dei •ignore He noulro. > {Ib., p. 88.)

LA REKAISSANCE A FLORENCE 315

cerises en mai* », des chapelets de sonnets drolatiques. Il se prend de gueule en vers avec le ctiapelain Matteo Franco et avec le chancelier Bartolommeo Scala, « aux belles révérences ». Il offre à Laurent de Médicis, contre son blé et son vin, des quolibets, des carica- tures et des farces : u Si tu ne m'écris pas, lui dit-il, plus de vers, plus de cianghcrini^\ » Il rachète sa misère et sa douleur par des drôleries et des calembre- daines. Il sait le mot cru qui repose, l'image trucu- lente qui détend, la grosse obscénité qui ramène du ciel fatigant au ras de terre facile. Et à force de bonne humeur, de joyeusetés, d'inventions énormes à secouer la panse, il se fait bienvenir, rechercher, adorer d'une société qui, autrement, l'auraittenuà distance. Etc'est à ce gros fils, jovial et bouffon, amuseur de carrière et si triste de nature, qui a lu Virgile et fréquenté les Pla- toniciens, qui a célébré en octaves la Joute de 1468, d'où Laurent est sorti vainqueur, rivalisé avec Laurent d'inventions paysannes, composé toutes sortes de son- nets, de chapitres, de complaintes, à la fois peuple, bourgeois et lettré, que la vieille Luorezia Tornabuoni demanda un jour de lui rimer quelque histoire, comme son frère Luca avait rimé celle du Ciriffo Calvaneo. Pour complaire à la bonne patronne, mère de son « coco», Luigi Pulci, facile et jovial, ne s'avise pas d'aller chercher midi à quatorze heures; il descend simplement dans la rue, il ramasse un vieux cantare^ le Cantare (fOrlando^ qu'il arrange à ses heures, sans se fatiguer outre mesure, surtout sans y changer grand chose; au bout de dix années, comme il a déjà aligné vingt-trois chants, il se repose; il se repose pendant douze années ; et, en 1482, d'un

1. « Se tu ci fossi, io farei mazzi di sonetti come di ciriege in questo calendimaggio. » (76., p. 25.)

2. « Se non lo fai, mai versi, mai più ciangherini, mai più saremo compagnuzzi. » (76., p. 30.)

3. Orlando, Die Vorlage zu Pulci's .Morgante, publié par F, Hubscher, Marburg, 1880.

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seul coup, il ajoute cinq derniers chants tires d'un antre cantare de la rue, la Spagna in rima. C'est ainsi que le Morganlf, qui dura plus de vingt ans dans la fantaisie de son auteur, qui comprend vingt-huit chants et qui parut le 7 février 1483, est le résullat de deux caiilari mis bout à bout, le Cantare dOr/ando et le Cantare de la Spagna in ritna^.

Nous restons dans les histoires de ceux de Chiara- monte et de ceux de Maganza. dans les histoires de preux, de paladins, d'infidèles et de géants, dans les belles histoires chères au peuple.

Orlando, desservi par Gano auprès de Carlo Magno, s'exile et va courir la Paganie, il accomplit une quantité de prouesses, dont la première est de délivrer l'abbé Chiaramonte de trois géants qui jetaient des pierres contre son couvent, d'en convertir un, nommé Morgante, de le prendre comme écuyerà son service et de lui donner ce bon conseil : « Morgante, quand tu peux aller sur la route plate, ne cherche jamais ni montée ni descente-. » Mais, tandis qu'Orlando va à sa desti- née, son absence se fait cruellement sentir à Paris, et Rinaido, Ulivieri et Dodone, habillés d'un costume vert à bandes rouges, se mettent à sa recherche. Ils délivrent à leur tour l'abbé, défont Brunoro, tuent un dragon, convertissent un royaume, luttent contre un géant, finissent par retrouver Orlando, et tous ensemble vont délivrer Paris, assiégé par le roi Ermi- nionc. Carlo Magno, conseillé par Gano, exile Rinaido, prétend supplicier Astolfo et Ricciardetto, et se montre si grossement ingénu que lîinaldo le détrône et qu'Orlando part j)Our la Perse, i'^n Perse, Orlando, qui a sauvé le roi Amostante et qui a été traîtreusement

1. I*i(» Kajnn, La maleria (Ici Miirijanle in un iguoto poemn tlel seculo XV, Propiifjnalore, llo o<^ne, 1X69. La rolla di lloncisvalle nrllu lelleratura cavalleresca iluluinn. l'rtipuffiialdrc, Holoj^'iic, 1811.

2. « Quandu tu puui, .Mur^untc, ir pcr lu piana Non ccrcar mai iiè l'crta, la sccsa. »

{Moryanle, I, 41.)

1

LA RENAISSANCE A FLORENCE 317

emprisonné par lui, est délivré par Hinaldo, accouru à son secours; alors Orlando continue, sauve des villes, converlit des peuples, secourt des tilles abandonnées, inspire de l'amour aux princesses, tue des géants et des bètes, livre des duels merveilleux, attaque les sul- tans, assiège Bahylone, jusqu'à ce qu'il délivre Paris assiégé par le roi Calavrione, qu'il meure à Roncevaux la perfidie de Gano l'envoie, que (lano soit suppli- cié et que Carlo Magno rende finalement le dernier soupir à Aix-la-Chapelle.

Nous sommes en Paganie, en Sorie, dans le Levant, dans le Ponent, en Egypte, en Danemarck, dans des pays et des endroits impossibles. Nous assistons à des rossées, à des fessées, à des miracles. On voit quantité de choses extraordinaires : on y voit un diable qui sort d'un tombeau, un dragon au cuir vert et jaune, une vipère qui veut chaque malin deux filles pour son dîner; on y voit un géant velu, noir comme un cor- beau, appuyé sur un bâton do sorbier: il a une tête d'ours, des oreilles d'âne, une langue en écailles et un seul œil sur la poitrine ; et on y voit un grand cheval avec des dents et des ailes. Il y a des batailles qui laissent derrière elles « deux bras de sang haut », des banquets l'on sert à manger < autre chose que des glands»; des fêtes avec tant de strnmbotti, romanzi et ballale que tous les canterini en deviennent rauques '. Il y a des prières, des visions du paradis, des tableaux d'église et le merveilleux pavillon de Luciana, tout brodé de bètes et d'oiseaux'^. Il y a des conseils, des explications, de jolies fables; celles du Loup et du Renard, du Coq et du Renard, de la Petite Fourmi et de la Tête de cheval. Des sermons sont prêches comme dans les prêches ; des conversions s'opèrent sur un mot, comme dans les rappresentazioni sacre; Gano est

1. « Tanti strambotti, romanzi e ballate Che tutti 1 canterin son fatti rochi. »

(XII, 36.)

2. XIV, 44-80.

318 LE QUATTROCENTO

brûlé et écartelé devant vos yeux. Tous ceux qu'on connaît, qu'on aime, dont on sait les prouesses et les généalogies, sont là; tous, Carlo Magno'. le bon vieux, le gros vieux, le pauvre vieux, à qui l'on a pourtant révérence, parce qu'il est vieux, en regrettant cependant qu'il soit si tombé en enfance^ ; Orlando, gros corbeau de clocber, brave, fort et sage, n'étant point fait pour courtiser les femmes, et n'ayant pas besoin de celui d'Arpinum, de Quintilien, de Démos- thène, ni de personne « pour lui enseigner doctrine; » Rinaldo à qui Ulivieri dit : Tu sei pei' le ciancie, aussi gamin, écervelé, bravache, vigoureux et sympathique que jamais ; Ulivieri, Bicciardelto, Astolfo, Dodone ; les autres; et Gano qui semble plus lidèle qu'un patr?"^ noster, mais qu'Astolfo ne croirait pas, quand il serait le credo. Et il y a encore tous les rois et tous les barons de Paganie. le Vecchio délia montagna, le nécromant Malagigi, l'évoque Turpino.

Les filles de roi ou de sultan regardent aux fenêtres, montent de blancs palefrois, font le coup de lance ou d'épée. Meridiana porte une robe à la païenne, fleurie de blanc et de rouge comme son visage de grenade et de lait, des rubis et des gemmes sur la poitrine, une escari>oucle sur la tète; Florinetta qui, « comme jeune fille s'en allait seulelte pour le grand désir d'une petite guirlande'')), est happée dans le bois, elle cueille des Heurs et écoute le rossignol, liée à un arbre, gardée par un lion et nourrie de serpents par deux géants ; Antea'' a des pieds j)ctits et blancs, une main longue et candide, des rires suaves h écarquiller dix paradis; pour les cheveux, elle semble Danaé, Vénus pour le

1. G. Tancredi, La fiqura ili Carlo Magno nel Mort/anle maqgiore. Naples, 1891.

2. « Perché se' vecchio, io t'ho pur roverenzia E increscemi tu sia si riiiihiuiibitu. »

(Xm, 23.)

3. <i Coiiic raïK'iulIa iii'anilavo solcita l'er tfrari vaL'he/za duna urillaiidelta. »

(XIX, 9.)

4. XV, 98 p. et sq.

LA RENAISSANCE A FLORENCE 319

visage, Pallas pour la gorge, Rachel pour la robe; pour sa force, son habileté clans la chasse, la voltige et la guerre, elle semble Mars. Elle aime Rinaldo et se mesure en combat singulier avec les lames les plus vantées. Ulivieri aime tour à tour Forisenna et Meri- diana. Rinaldo, qui se délecte « un peu » des femmes, courlise Meridiana, Chiarolla, Luciana, Anlea; et Orlando ne se montre point insensible à Chiarella.

Morgante, qui a donné son nom au poème de Pulci, es! unc(dosse énorme, immense et fabuleux. Il a déniché dans un couvent un battant de cloche dont il s'escrime comme d'une arme, et il va devant lui, criant, meu- glaut, cassant tout, broyant les heaumes, éventrant les cuirasses, jonchant la terre de boudins, d'intestins, de trij)ailles, piétinant les poumons et les foies. 11 boit comme un trou, il mange comme un ogre, engloutis- sant jusqu'à un buflle, jusqu'il un chameau, jusqu'à un éléphant, et il se cure les dents avec un sapin. Son premier exploit est d'effondrer deux cochons. Il croit au Christ, puisque le chrétien Orlando tape si fort; il croit à tout ce qu'on lui dit, surtout hilare lorsqu'il cogne ou lorsqu'il balfre. Il enfonce un cheval sous son. poids, et l'ayant chargé sur ses épaules, il fait deux gambades devant Orlando pour lui montrer qu'il n'a pas la goutte au pied. Il sert de màt à un vaisseau désemparé dans une tempête. Il renverse d'un coup d'é|)auh' une muraille de cité et, un jour qu'à lui seul il a jeté bas une baleine, une écrevisse le mord à la jambe, et il en meurt.

Le compagnon préféré de Morgante est Margutte', qui est aussi un géant, mais un géant qui ne s'est point souvenu de grandir, de sorte qu'il est un géant nain. Margutte a septante-sept péchés mortels sur la conscience : « pense alors combien de véniels ! » et

1. On a beaucoup discuté sur le personnage de Margutte et son ori- gine. Voir T. Aliievi, Anulectica, Il lipo di Margiille, Pinerole, 1890. H. Trufli, Di una prohabile fonte del Margutte, Giorn. Stur. Turin, 1893, XII, 200. T. Trigona, Margutte nel Morgante maggiore, Sassari, 189o.

320 LE QUATTROCENTO

il s'en targiio. Il est entre la potence et le carcan, comme Jésus est entre le Bœuf et FAne. Il ne croit ni à Dieu, ni à diable, ni plus au bleu qu'au noir, mais au cbapou, au bouilli, au rôti, au beurre, à la <;ervoise, au moût quand il en a, et principalement au bon vin'. Il a commencé par être détrousseur de grands chemins; mais, par goût de repos, il ne vole plus qu'en cachette, laissant partout la trace de son passage comme une limace, n'ayant jamais bien dis- tingué le tien du mien, attendu qu'au début « chaque chose est de Dieu », Il vole au jeu, dans les églises, dans les poulaillers, n'importe oi^i. Quand il y a cinq femmes réunies quelque part, il en met six à mal % Il change de foi et de loi, d'amis et de pays selon ce qu'il voit et ce qu'il trouve. Les sacrements et les jurons lui tombent de la bouche comme les ligues mûres'. Il est menteur, glouton, ruflian, ribaud, faus- saire, joueur, toute crasse et toute vermine; cependant il n'est point traître; alors, tandis que Gano est haïs- sable, Margutte est sympathique ^

Morgante l'ayant trouvé dans son chemin, le prend avec lui pour se divertir, et tous deux s'en vont de compagnie par le monde, faisant la belle paire de la force physique et de la fourberie. Lorsque Morgante voit un danger, il fonce dessus avec son battant, casse tout et paie souvent les j)ots cassés; au contraire,

1. « lo non credo pii'i al nero ciraH'nzzurro, Ma ncl cappone, o Icsso, o vuogli arrosto, E credo alciina volta ancho nel burro ;

Nella cervof,Ma, e (piando io n'ho, nel mosfo... Ma sopra tiitto nel buon vino ho fedc. >

(XVIII, lio.)

2. « S'io uso fra le donne per sciagura S'elle «on cinqiie, io ne corrompe sei. »

(XVIII, 131.) Tl. « 1 sacranicnti fais! e gli spergiuri

Mi silriicciolan gii'i prn|tri() per la bocca Coine i fichi sauipicr que' ben inutiiri. »

(XVIll, i:i8.) 4. < Snlvo che queslo alla fine udirai

Che tradimento igniin non feci mai. »

(XVIII, 1V2.)

LA RENAISSANCE A FLOIŒNCE 321

Margutic biaise, finasse, tourne autour et ressort tou- jours victorieux et indemne. Petit, chaussé d'énormes éperons, fermant son petit œil et écoutant, il accom- plit des exploits suprêmes. Il dépouille un cabaretier, dont il s'est fait l'ami, de tous ses ustensiles, qu'il emporte sur une chamelle, et il met le feu à sa mai- son. Un géant l'attaque; il se jette sur ses mains, laboure le ventre du colosse avec ses éperons et, piéti- nant son cadavre, il semble un poulet sur une meule. S'il n'y a point d'eau ou de feu, de quoi boire ou de quoi manger, son industrie aux aguets a tôt fait de se procurer ces choses. Pasun comme lui pour la cuisine. Et im jour, de voir un singe qui s'essaie ses chausses, il meurt de lire. Morgante en eut beaucoup de chagrin. Quant h Astarotle que le nécromant Malagigi évoque pour avoir des nouvelles de Rinaldo, c'est un diable, mais un diable serviable, courtois et théologien ^ 11 a fréquenté l'Académie platonicienne, lu toute l'œuvre de Marsile, écouté l'astronome Lorenzo Buonincontri commenter V Astronomicon de Manilius-. Il a des opi- nions sur l'essence de Dieu, la trinité, le libre arbitre, la chute et l'éternelle damnation des anges. Il explique à Rinaldo, dans le cheval duquel il est entré et qu'il ramène d'Egypte, qu'il y a bien plus d'oiseaux et de bêtes dans la création que sur le pavillon de Luciana; en passant (îibraltar, il lui découvre qu'au-delà les colonnes d'Hercule, il y a des cités et des pays et une race, appelée Antipode \ qui adore le soleil, Jupiter et Mars'*; chaque religion est, selon lui, agréable à Dieu,

1. XXV, p. 118 et sq.

2. 15. Sanvisenti, L'Asfarofte viar/ylatore nel Pulci ed un suo prohu- bile fou/ e,hih. tlelle scuole it. Pise, 1898, VIII, -2. Cf. P. Hajna, Has- sefinu bi//lio(/raflca delld lel te ratura iialiana, Pise, 18!)'J, Vil, 1.

3. G. Volpi, Gli anlipodi nel Morganle, Hassegna nazionale, Flo- rence, 1891.

4. « Anlipodi appellata ù qiiella pente.

Adora il sole e Juppiter e Marte; E plante e animal corne voi hanno, E spesso insieme gran battaglie fanno. »

(XXV, 231.)

II. 21

322 LE QUATTROCENTO

pourvu qu'elle soit sincère ; mais seule la foi chré- tienne est véritable, et les Juifs et les Mahométans sont damnés; il pense encore que c'est une folie de vouloir juger du ciel alors qu'on est sur la terre, et ne tâche même pas de concilier le libre arbitre avec la prescience de Dieu. Et rendant nombre de services à Rinaldo, le faisant invisible, lui servant des dîners exquis, il montre que jusque dans l'enfer, on trouve « gentillesse, amitié et courtoisie ».

C'est ainsi que Pulci s'abaisse jusqu'à la condition des chante-histoires, à qui il emprunte non seulement la matière, le mètre et jusqu'aux rimes, mais le train, l'allure, la fantaisie et le tour. Gomme les chante-his- toires, il procède par sauts et par bonds, mène de front plusieurs aventures, en lâche une pour courir à une autre; comme les chante-histoires, il casse net son récit au plus bel endroit; et, comme les chante-his- toires, il initie et il clôt chacun de ses chants par une invocation pieuse, au Père, au Fils, au Saint-Esprit, au Saint-Pélican, à la Vierge pure avant et après Tac- couchement, au souverain Jupiter crucifié pour nous : son cantare, qui débute comme l'évangile de saint Jean, se termine par une prière à la Mère glorieuse'. Mais, tandis que les chante-histoires, pauvres diables mal en point et mal en bourse, quand ils gravissaient leur estrade, s'essuyaient la bouche et devenaient sérieux, que leur thème était en quelque sorte suj)é- rieur à leur condition, qu'ils le respectaient comme une chose auguste et que, pour se huciier jusqu'à sa sublimité, ils prétendaient à la correction, à la gravité, h la dignité, s'appliquaient î\ être comme il faut, et par conséquent n'étaient plus eux-mômes, Luigi Pulci rest(; lui-même.

Il se montre tel qu'il est, avec sa foi dévotieuse ou goguenarde, sa verve bouffonne, son imagination obèse,

1. « Salve ref^ina, niadrc Kiorïosa,

Vita e spcranza, si dolce e soavc... »

LA RENAISSANCE A FLORENCE 323

sa gaillardise pesante, ses bons mots, son esprit dépe- naillé, ses facéties, ses proverbes, ses locutions, ses jurons, ses images, ses bislicci, tout cet esprit peuple qu'il avait hérité du peuple et que, par un coup d'audace, il rend à la matière du peuple.

La magnificence de son argument ne lui inspire aucune révérence superflue; elle ne le retient ni ne Fempéche; les autres se montraient gourmés, se défendant de cracher et d'éructer en public selon leur habitude, lui ne se gône nullement pour le faire. Bien mieux : ce qui échappe aux autres dans leur ignorance des belles-lettres et du beau monde, on dirait qu'il le recherche à plaisir. Il accumule les coq-à-l'âne, les llorentinismes, les idiotismes, les anachronismes par malice, introduisant dans son propos avec les façons contemporaines les personnages contemporains, le Pio- vano Arlotto, le marchand Benedetto Dei, le sbire ou i'exacteur Fallalbacchio; il parle de fegateili, de père guaste^ de la Befania, du lac de Fucecchio ; il n'a pas pour un liard de sérieux, de tenue, de révérence. Son langage se complaît à aller ramasser dans la rue les expressions les plus terre à terre, les images les plus prosaïques, les comparaisons les plus triviales. Pour dire « lacilement » il dit « avec peu de vin » ; pour dire « en un clin d'oeil » il dit « en une sucée »; pour dire « dormir à la belle étoile, dormir au froid » il dit « faire avec ses oreilles des sifflets à la bise' ». Los tours de Saragosse s'écroulent « comme des gousses de poireau » ; Ricciardetto spicca i capi corne iina pannocchia dipanico 0 di miglio o di saggina; à quelqu'un quia peur, il cido gli faceva lappe lappe. Avec l'expression populaire, il garde l'accent populaire ; il prononce Minosse, Joseffe, hacche, comme le petit peuple de Florence; il dit salvinn me facche ; se tu devient stu, arriva devient «myoe. Au moment le plus pathétique, le plus éploré, le plus

1. « Far degli orecchi zufoli a rovaio. »

(XVIII, 161.)

324 LE QUATTROCENTO

douloureux, quand les larmes coulent et que de grands frissons passent, il n'y a pas, il faut que son quolibet parte, comme s'il devait racheter son émotion par une culbute : Roncevaux jonche le sol de tant de cervelles « qu'elles mettent la zizanie parmi les corneilles ; » ce- lui qui a la tripaille la moins trouée paraît « une rùpe à fromage ou un gril à cuire les tranches de viande » ; les diables, posés comme des éperviers sur un campanile, anxieux d'aller réjouir Lucifer en lui amenant tant de monde, se crêpent le chignon ; et au Paradis, la barbe de saint Pierre dégoutte de sueur, tant le pauvre vieux trans- pire à ouvrir la porte aux âmes que lui portent les anges. Les héros de la Geste française, si purs, si nobles, si hauts, ne l'accablent point autrement de leur prestige : pour leur parler et leurs façons, ils semblent parfois des garçons de la rue qui se cognent, qui s'injurient, qui savent des ese?npi, qui ont du catéchisme, de « vieilles peurs », de solides appétits et de beaux muscles. Sans doute que Charlemagne est un homme divin, connaissant le latin et le grec, ayant réorganisé le Studio de Paris; au demeurant, il meugle de rage et se montre si benêt qu'Ulivieri lui crie : « Il faudrait t'en donner tant sur le c... qu'il devînt rouge-»! Orlando s'esclaffe de rire aux bonnes histoires ; Ulivieri taille la courge tous ceux qu'il rencontre. Brunoro ne veut pas qu'on l'embête quand il est à table. Rinaldo, quand le vin coule par la bonde du tonneau, porte- rait le Sinaï sur ses épaules; il ne boit jamais « eau de fossé ou de lleuve-' »; il prétend mourir saoïil. Un jour

1. « E' si vedea cader tante cervella

Che le cornacchie faran tallerugia ; Clii aveva men forate le budella Pareva il corpo conie una grattugia 0 da far le bruciate la padella. »

«... A te si vorre' dare Tanta in sul cul che diventassi rosso.

« E di bore acqua di fossato o ruiino, Quando c/ilvalco, non è iiiio costume,

(XXVII, 85.) (XXIV, 50.) (X, 77.)

LA RENAISSANCE A FLORENCE 325

un bouffon lui tire son écuelle ; furieux, il lui dit : « Je m'en vais te la faire jaillir, ta soupe, espèce de méchant fou cl non bouffon^ ! » Et il lui applique un gnion sur la tète. Balsamino, à qui Orlando a tranché la main, ne pourra plus jouer à la morra. Turpin enfile les Sar- razins comme des patenôtres et fait des sauts comme un chat. Florinetta rit de si bon cœur d'une farce de Margutte qu'il semble que les dents lui tombent deux à deux de la bouche. Dès qu'Ulivieri a expliqué, à la païenne Meridiana qu'il aime, le mystère de la Trinité |)ar la comparaison d'une chandelle, il rompt le carême et più e jriù voile qucsta danza mena. Ulivieri crie à Rinaldo : « Tu as parfois moins de cerveau qu'une oie ! » Rinaldo crie à Vergante : « Luxurieux, cochon, éhonté, poltron, crétin, idoine, fesse-mathieu, bon pour Otre à l'auge avec le cochon-! » Les uns et les autres se tapent, se tuent, s'estourbissent'^ On dira qu'on retrouve ces altitudes, ces images, ces expressions chez les chante-histoires, et cela est vrai. Mais chez les chante-histoires, tout ce côté plébéien, faubourien, est involontaire : chez Pulci, il est voulu.

Et racontant ces énormités à la bande joyeuse de Laurent, au palais de Via Larga, à la table des Médicis, Luigi Pulci se divertit et divertit selon son ofiice et selon son humeur. Il rit d'imiter un humble chante- histoires de San-Martino, comme tout à l'heure, sur la route, il riait d'imiter un pauvre paysan de Dicomano.

1. « ... lo ti farù schizzar la micca;

Tu se' pazzo inalvagio e non buU'one ! Ed una pesca nel capo gli appicca. »

2. « Adultère, sfacciato, reo, ribaido, Crudo tiranno, iniquo e scelerato, Nato di trislo e di superchio caldo... Lussurïoso, porco, svergo/^nato, Poltron, gaglioiïo, poitronîere e vile, Degno di star col ciacco nel porcile. »

'à. « Punte, rovesci, tondi, stramazzoni,

Mandirilti, travers! con fendenti, Certi stramazzi, certi sergozzoni... »

(XXII, 43 )

(XIV, 7.) (VII, 34.)

326 LE QUATTROCENTO

11 rit de parler à des savants, à des poètes, à des raffinés comme à un public de faiseurs de clous et de batteurs d'empeignes. 11 rit d'entretenir le noble Marsile, qui s'élève à Dieu sur les ailes de l'intelli- gence et de l'amour, de hochepot, d'andouilles, de rognons, de tripes, de lasagne, de vin poiré, du migliaccio qui ne veut pas être brûlé, mais bien cuit, de la tourte qui est la mère et de la tourtelette qui est la fille, des fegatelli, qui peuvent être un, deux et trois. Il rit de citer à Politien, qui collige les Miscellanea, ses textes d'Arnaldo, de Turpino, d'Alfamemnone, de soulever des doutes, d'opposer des restrictions, de fournir des mesures, d'indiquer qu'à Roncevaux les chrétiens étaient 20.600 contre 600.000, car « celui qui écrit his- toire ou comédie, il convient qu'il se rapporte à l'écri- ture^ ». Il rit de raconter aux Pic de la Mirandole, aux Acciajuoli, aux Rucellai, aux Médicis, à tous ces mécènes illustres et princiers, comment les grands seigneurs se comportent, leurs politesses, leurs dis- cours, leurs lits en or, de leur montrer Marcobaldo qui joue aux échecs pour son plaisir dans une tente de cuir de serpent « ainsi qu'il est des grands seigneurs coutume 2», de leur montrer Corbante faisant à Rinaldo les honneurs de son royaume : « Ainsi que tu vois, le pays est fourni d'un beau jardin, grotte ou désert^. » Et dans le noble recueillement du palais de Via Larga, le buste de Platon apporté de l'Ilyssus penche sa douce gravité, il rit de voir s'épanouir ses ima- ginations rubicondes, ses inventions pansues, ses termes gras, ses mots crus, son esprit faubourien. Et autour de lui les autres rient, tous : les Médicis qui sont les

1. « Colui che scrivc istoria o commedia Gonvien che alla scrittura si rapport!. »

(XXVII.llS.)

2. « Siccome egli ë de' gran signor costume. »

(XII, 44.)

3. « Corne tu vedi, la terra è condolla D'un bel giarJino, spclonca o diserlo. »

(IV, 53.)

LA RENAISSANCE A FLORENCE 327

amis et les protecteurs des humbles; Lucrozia, qui a commandé le poème; Laurent, qui aurait pu l'accom- plir; Politien, qui en aconseillé l'exécution; jusqu'à Mar- sile, qui accepte la dédicace de sonnets burchiellesques. Les uns et les autres qui fréquentent le peuple recherchent le peuple, imitent le peuple, sont bons con- naisseurs de son langage, de son humeur, de ses façons. A chaque détail bien saisi, à chaque expression bien trouvée, ils battent des mains; ils s'écrient : « C'est ça, ah ! comme c'est ça ! » Et en môme temps celte cordialité, celte simplicité les reposent des gymnastiques trop savantes el des analyses trop poussées. Ces vieilles his- toires du doux passé leur représentent la tradition et le pays, la petite enfance, tout ce qu'il y a de bon, de cher dans la vie; elles s'adressent à cette partie de l'àme qui uechange jamais. Leurs ancêtres y croyaient; eux-mêmes petits-enfants y crurent; ils y croient encore. Luigi Pulci, nonobstant sa goguenardise, croit à ses héros; il s'émeut avec eux, pleure avec eux; poète, il se laisse prendre bon gré mal gré au charme de ses fantaisies heureuses. H n'est pas que bouffon; il est élégiaque, lyrique, sentimental. Il s'attendrit avec la délicate Florinetla, abandonnée dans un bois, et avec le pauvre Manfredonio délaissé par Meridiana; il touche en plu- sieurs endroits à une véritable grandeur tragique, qui, pour s'exprimer dans le parler souvent trivial de la rue, n'en est pas moins très haute. On sent les larmes qui coulent, lorsqu'il raconte le supplice d'Astolfo, injustement condamné par l'empereur, qui monte à la potence, pur, blanc, aussi bafoué, aussi fouaillé que le Christ au Golgotha. Et lorsqu'Orlando, fatigué de vaincre à Roncevaux, s'assied près d'une fontaine et se prend à pleurer, qu'il reçoit la visite de l'ange Gabriel et qu'agenouillé devant son épée fichée en terre il fait sa prière d'enfant, et qu'il se confesse h Turpin, et qu'il meurt avec un sourire, le souffle candide de l'épo- pée primitive semble passer dans l'air.

328 LE QUATTROCENTO

V

Cependant ce qui nous frappe dans le Morgante de Luigi Pulci ce n'est pas combien cette œuvre de lettré se distingue des œuvres de la rue, c'est combien elle leur ressemble ^

Sans doute que les cantari des chante-histoires étaient des œuvres anonymes, tandis que le Morgante est une œuvre signée; qu'une personnalité vigoureuse s'y manifeste à chaque page; que Pulci, au moyen de touches légères, d'adroits coups de pouce, de petits éclats, taille une forme à la matière épaisse de la Piazza San-Martino; qu'il sait mettre l'accent et le point, qu'il connaît l'art suprême du sacrifice, que son poème, qui marche plus rondement et gaillardement que les inter- minables storie du populaire, saute à pieds joints par dessus les énumérations oiseuses, les minuties inutiles, les détails encombrants; que les personnages, dont les dialogues ne sont plus racontés, mais parlés, s'expriment à la j)remière personne comme dans les rappresentazioni sacre ; qu'une place plus large est réservée à la mytho- logie et à l'amour; que de jolies descriptions de filles, de paysages, de sentiments, se souviennent lidèlemenl des vieux poètes, un peu de Pétrarque, beaucoup de Dante; que les deux figures du nain Margutte et du diable Astarotte, représentant la fourberie diploma- tique et la philosophie platonicienne, sont deux créa- tions originales cueillies dans la réalité de la Florence des Médicis. Sans doute.

Mais en définitive, dans ce poème, touffu comme une imagination médioévale, mettant en scène et en œuvre tellement quellcmcnt les situations et les personnages de la ru(;, s'astreigiumt à suivre pas à pas, souvent

1. « I*o8iiinmo dire senza litubanzH che Topera sun rassorni^lia di

f:rnn Um^ti. pii'i aU'Ancntiac al Hovo che alllnnuiuorato o al Furioso. » l'io Hajn»i, l.n Holln di lioncisvalle, op. c.)

LA RENAISSANCE A FLORENCE 32»

rime à rime, une pauvre et vieille Sloria durant des milliers de vers, retrouver les traces de la culture supérieure qui entoure LuigiPulci? Où, dans cette masse entassée, ce sens délicat de la proportion, ce goût de la mesure, ce culle d'une beauté plus noble que l'élude de l'antiquité avait révélé au moment? ce trésor de connaissances qu'un siècle de labeur érudit avait accumulé pour la science? Et où, pour demander le moins, ce concept plus juste de l'histoire que l'huma- nisme semblait avoir établi? C'est en vain que Biondo, pour illustrer le moyen âge, a écrit ses Décades; que l'ambassadeur Acciajuoli a publié, dès 1461, une His- toire érudite de Charlemagiie et le notaire Verino conçu et exécuté sa Carliade^ le Charlemagne du Morgante n'est pas celui de la réalité historique, il est celui de l'imagination populaire, et le Morgante lui-même n'est qu'une floraison supérieure de la Piazza.

Et ce qui est vrai an Morgante est également vrai, en général, de cette poésie italienne d'érudits florentins, vrai de la rappresentazione sacra de Laurent, vrai des laudes, vrai des sonnets burchiellesques, vrai des son- nets pétrarquesques, vrai des chansons du carnavdl, vrai des strambotti, vrai des risjjetti, vrai des ballate, vrai de toutes ces choses gaillardes ou exquises, dévo- tieuses ou boufl'onnes, qui ressemblent si bien à leurs modèles que souvent elles se confondent avec eux, et qui continuent si bien le passé que; souvent on les lui attribue. Même geste, môme accent, même mythologie et môme érudition, môme art et môme manière. A l'endroit précis où, depuis cent ans, se sont arrêtés Pétrarque, Boccace et Sacchetti, on reprend l'ouvrage '.

1. On a pu attribuer à Boccace des nouvelles quattrocentistes, à Jacopone da Todi des laudes du Ciirdinal Douiinici ou de Feo Helcari à Sacchetti des hallale de Politien. D'ailleurs, entre tous ces poètes de Florence qui vivent côte à côte, traitent les mêmes thèmes et se prêtent leurs inspirations, il est très difficile de faire la part de chacun. Ce qui est de l'un pourrait aussi bien être de l'autre. On n'est point arrivé, par exemple, à déterminer d'une façon définitive la paternité des dillérentes œuvres des trois frères Pulci.

330 LE QUATTROCENTO

Et pourtant, depuis lors, toute une antiquité nou- velle a été acquise et conquise, au prix de quels travaux, de quels voyages, de quelles lentes et longues fatigues à la chandelle ! Elle est là, présente et vivante, peu- plant les têtes, les imaginations et les mémoires. Nue et blanche, elle se dresse dans l'air vif comme une Vénus ou comme une Diane qu'on vient de retrouver. Oh ! son peuple charmant de dieux, de héros et de nymphes ! Oh ! ses paysages tranquilles ! Oh ! ses calmes épithèles! El ses fables^ et ses mythes, et ses légendes claires, et son Parnasse, et son Olympe, et son doux royaume de Cythôre ! Hébès et Phébès, marchant d'un pas de déesse dans le printemps ! Adolescents au front ceint de roses ! Joueurs de flûtes dans les myrtes ! Chars de colombes envolés dans l'azur ! Et les grâces d'Anacréon, et les bergers de Théocrite, et les formes harmonieuses et souples des Tibulle, des Pro- perce, des Ovide, et les beaux modèles, et la simplicité magnifique et parfaite ! Tout ce monde limpide, can- dide, heureux, dont les voiles viennent d'être arrachés seulement et qui luit au soleil, n'a pas encore été exploité, ou à peine. xMors il envahit la poésie italienne, et c'est la Renaissance.

C'est la Renaissance qui colore d'une nuance si déli- catement platonicienne les allégories de Renivieni, les églogues de Renivieni et les laudes de Laurent.

C'est la Renaissance qui, d'un bond folâtre, s'élance sur les chars du carnaval du Magnifique, elle trans- forme la procession grotesque d'autrefois en un Trionfo de déités et de grâces ; non, plus de sordides marchands de savates ou de gaufres, plus de ramoneurs au visage de suie, plus de nourrices dépoitraillées; mais Racchus et Ariane, mais Silène sur son âne, mais les Nymphes, les Satyres, les Faunes, et les Nymphes dansent, et les femmes sourient, et, au lieu (ré(juivoques obscènes et de gestes débraillés, de fines et claires chansons. « Femmes, jeunes amants, vive Racchus et vive Amour!

LA RENAISSANCE A FLORENCE 331

Que chacun chante et joue et danse! Que le cœur flambe de douceur! Plus de peine, plus de chagrin! Il faut que ce qui doit être, arrive ! Qui veut être gai, le soit! De demain, point de certitude! » Etla n^^re^a entonnée en chœur : « Quelle est belle la jeunesse, elle qui s'en- fuit pourtant! Plus de peine, plus de chagrin : il faut que ce qui doit être, arriveM »

C'est la Renaissance qui dans VOrfeo de Politien, monte sur le tréteau de la vieille l'appresejitazionc d'église et la métamorphose en un divertissement pro- fane de sourire, de clarté et de beauté. Même canevas ingénu, môme histoire dialoguée, même scène coupée en compartiments, figurant l'un la montagne de Poésie, l'autre les profondeurs de l'Averne. Seulement, dés que le rideau s'cnlr'ouvre, on s'aperçoit d'un autre monde. Au lieu d'un ange. Mercure fait l'Annonciation; à l'enfer des diableries a succédé le royaume équilibré de Pluton ; à quelque vierge ou martyre, Orphée à la douce lyre et la robe blanche d'Eurydice ; à la légende dorée, l'idylle virgilienne ou syracusaine; le tréteau n'est plus dressé dans une cathédrale, mais dans une salle de palais décorée d'armoiries peintes, et le but n'est plus de catéchiser le bon peuple, mais de char- mer, réjouir et divertir la noble compagnie réunie à Manloue, en 1471, pour fêter les noces heureuses de Gian-Galeazzo Sforza et de Bona di Savoia. Cela n'est rien, un humble intermède de spectacle de cour, une frôle et fugitive fantaisie, inventée et rimée en deux

1. « Donne e giovanetti amanti,

Viva IJacco e viva Amore! Ciascun suoni, balli e canti! Arda di dolcezza il core ! Non fatica, non dolore ! Quel c'ha esser, convien sia. Chi vuol esser lieto, sia : Di doman non ce certezza. Quant'è bella giovinezza Che si fugge tuttavia! Chi vuol esser lieto. sia : Di doman non c'é certezza. »

{l'oenie di Lorenzo de' Medici, p. 423.)

332 LE QUATTROCENTO

jours, par Politien adolescent, prêté par les Médicis aux Gonzague ; deux ou trois personnages en font l'affaire : les bergers Aristée et Mopsus, Orphée et Eurydice, Proserpine et Pluton, les Bacchantes; quelques fragments d'idylle, deux ou trois jolies chan- sons mises bout à bout en fournissent le texte ; et pour- tant dans cette bluette ténue, improvisation d'un jour pour un jour, tient toute l'idée du théâtre moderne. Qu'en est-il maintenant des pauvres enluminures de catéchisme, élaborées dans les sacristies et ânonnées par des compagnies de dotlrina ? L'odeur du cierge a disparu. Au lieu du latin des oremus, debout dans les fleurs du Parnasse, Orphée chante sur sa lyre une élé- gante ode saphique au cardinal de Mantoue, qui applau- dit : 0 meos longiun modu'ata litsus, Quos amor pri- mum dociiit jiivenlam... Au lieu de longs, lourds, compendieux commentaires de textes sacrés, Orphée, agenouillé devant Pluton et Proserpine, transpose Ovide en se jouant : « La vigne délicate et la grappe encore verte, Vous l'avez coupée d'une faux cruelle. Qui est celui qui moissonne le blé en herbe Et ne peut attendre qu'il soit mûr? Donc, rendez-moi mon espé- rance. — Ce n'est pas un cadeau, c'est un prêt que j'im- plore, — Je vous en prie par les eaux troubles des marais du Styx etd'Achéron, Par le chaos d'où tout le monde est né, Et par l'ardeur sonore du Phlégéthon, Par le fruit qui sut te plaire, ù reine, Jadis avant de laisser nos contrées'... ») Et au lieu des laudes pleureuses, des

1. « Or la tenera vila e l'uva acerba

Ta^'liate avete con la faice dura. Chi è che niieta la seincnla iu erba K non aspctti ch'ella sia niatiira? Dunque rendctc a me la inia speranza :

h) non ve'l chiegf^io in don; qncsta è preslanza. lo ve ne pricgo per le torbide ac(|ue Hella palude stigia e d'Aclicronle, l'fl Caos onde tuUo el inondo nacque K ncl sonante ardor di Flegeluntc, l'cl pome che a le già, re;<lnn, piac(|iie, Quando lasciasti pria nostro orizonte. y

(l'OMTJKN, éd. Carducci, p. 101.)

LA RENAISSANCE A FLORENCE 333

longues et interminables litanies, indéfiniment psalmo- diées, éclate comme une fanfare le chœur ivre des Bacchantes : « Que chacun, Bacchus, te suive : Bac- c'hus, Bacchus, évohé ! Qui veut boire, qui veut boire, vienne boire, vienne ici ! Vous entonnez à merveille, mais je veux boire aussi, moi; il est du vin pour nous deux, je veux boire la première ! Que chacun, Bacchus^ tesuive: Bacchus, Bacchus, évohé! J'ai déjà vidé ma corne, donne un peu le fiasque ici; la montagne tourne, tourne, le cerveau bat la campagne; courez tous de ci, de là, comme on le voit faire à moi ! Que chacun, Bacchus, te suive: Bacchus, Bacchus, évohé'! » C'est la Renaissance.

La Renaissance ouvre de nouveaux horizons, crée de nouveaux genres, inspire de nouvelles formes.

« Mars, si obscures encore te paraissent les heures, viens à mon doux hospice : je t'attends. Vulcain n'est pas qui trouble notre amour. Viens, je t'invite nue au milieu du lit. Ne tarde pas, car le temps passe et vole. Jai couvert mou sein de tleurs vermeilles. Viens, Mars, ah! viens, je suis seule, viens^... » Qui

1. « Ognun segua, Bacco, te!

Bacco, Bacco, eu ! Chi vuol bever, chi vuol bevere Vegna a bever, vegna qui. Voi iaibottate corne pevere. lo vo bever ancor rni. Gli è del vino ancor per ti. Lassa bever prima a nie.

Ognun segua, Bacco, te. lo ho voto già il mio corno Dammi'un po"l bottazzo in qua. Questo monte gira intorno, El cervello a spasso va. Ognun corra in qua e in Corne vede fare a me ;

Ognun segua, Bacco, te. »

2. « Marte, se oscure ancor ti paion l'ore. Vienne al mio dolce ospizio ; ch'io taspetto ; Vulcan non v'é che ci disturbi amore.

Vien, ch'io l'invito nuda in mezzo il letto : Non indugiar, ch'ei tempo passa e vola : Coperto m'ho di fior vermigli il petto.

Vienne, Marte, vien via, vien ch'io son sola.

334 LE QUATTROCENTO

parle de la sorte en terzines si enflammées qu'elles semblent accueillir toute la chaude sensualité de Pon- tano? C'est Vénus, dans le poème des Amori di Marte c di Venereo^Q le Magnifique a laissé inachevé. Et dans les Selve^ dont il invente le genre, et qu'il appelle de la sorte parce qu'elles sont comme une forêt sans issue oii erre sa fantaisie à l'aventure, et dont tous lescinquecentistes adopteront la forme souple, il déploie, dans les molles volutes des octaves, toutes les grâces nouvelles de son esprit charmant. Il décrit comment sa Dame lui est apparue dans une pluie de fleurs et des rondes de jeunes filles. Il décrit la chaîne d'amour, de clémence et de bonté dont elle le lia. Il décrit la Jalousie, il décrit l'Espérance, il décrit le Souvenir, il décrit l'Age d'or, il décrit tout au monde. Et il décrit le Printemps: « Tu verras Flore que tu n'avais plus vue Errer dans son royaume avec ses nymphes. Zéphyr, son cher amant, l'a prise entre ses bras Et ensemble ils folâtrent tous deux... Tu entendras par les vallées vertes et ombreuses Des cors et des pipeaux faits d'une écorce

De saule ou de châtaignier ; et tu verras les danses A l'ombre des ormeaux, quand le soleil resplendit. Comme un arbuste délicatement grcfl'é S'émerveille quand il se voit ensuite Verdoyer de fleurs neuves,

Et nourrir et mûrir des fruits qui ne sont pas les siens, La brume froide aura telle surprise Quand si belle se montrera à nous La terre vêtue de sa robe neuve, Et elle se dira â elle-même : Me voici redevenue petite fille M »

Toglietc e lumi ; el inio mai non lo spengo : Non sia chi piii mi parli unu paroia. »

{Poésie di Lorenzo de' Meiici, p. 254.)

1. « Vedrai ne' regni suoi non più veduta

Gir Flora errando con le ninTe sue : Il caro amante in braccio l'ha lenuta, Zefiro; c insieme scherzan tutti edue... « Sentirai per l'ombrose e verdi valii Corni c za.iinogne Tatte d'una scor/a Di salcio o ai castagne : e vedrai balli Degli oimi ail'ombra, quaadu il sol più srorza.

LA RENAISSANCE A FLORENCE 335

Jadis le paysan Vallera implorait la Nencia de Bar- berino « au cœur plus dur qu'un gobelet». Aujourd'hui Laurent invoque le berger Gorinto quand il supplie Galatée ; Gorinto, qui compose des vers harmonieux; Corinto, qui émule de Diane, se mesure avec les tau- reaux et les ours ; Gorinto, qui possède du lait frais, et des fraises rouges et belles, et des abeilles au miel plus doux que l'ambroisie. A l'aube, il a vu dans le soleil levant un verger de roses ; les roses étaient fleuries ; mais les roses ont passé : « L'automne arrive ; et alors qu'ils sont mûrs, on cueille les doux fruits. Puis le beau temps passé, De (leurs, de feuilles, de fruits, tout se dépouille. Gueiile la rose, ô nymphe, alors qu'il est beau temps '. »

Jadis le brave Luca Pulci s'escrimait de son mieux à contrefaire le Ninfale fiesolano dans son Driadeo d'amore^ d'un geste appliqué, soufllant fort, il accu- mulait une érudition sentant l'huile rance. Aujourd'hui Laurent sourit et joue de composer son clair petit poème de XAmhra^ allégorisant sa villa du Poggio,que Giuliano da San Gallo lui a construite au confluent de l'Arno et de l'Ombrone. Oh ! l'ingénieuse et toute délicate fantaisie! La nymphe Ambra et le h berger alpin» Lauro s'aiment sans retour. Mais un jour qu'Am- bra se baignait dans Ombrone, fils d'Apennin, le dieu du fleuve, couronné de sapin et de frône, l'a aperçue. Il la poursuit. Elle se sauve, délacée, agile, si légère qu'elle ne courbe pas les épis oij posent ses pieds nus.

« Corne arboscel inserto gentilmente

Si maraviglia, quando vede poi

Novi lior nove frondi in se virente

Nutrire e maturar pomi non suoi :

Tal maraviglia ara la bruma algente,

Quando si bella mostrerassi a noi

La terra del novo abito vestita,

Fra se dicendo : Or son io rimbambita. »

[Poésie di Lorenzo dé' Medici, p, 184-185.) 2. « Vien poi l'autunno, e inaturi si cogliono

I doici pomi ; e passato il bel tempo, Di flor di frutti e fronde al fin si spogliono. Cogli la rosa, o ninfa, or ch'é il bel tempo. »

{Ib., p. 233.)

336 LE QUATTROCENTO

Elle va disparaître. Alors Ombrone, désespéré, implore Arno qui gonfle ses eaux et fonce sur elle. Elle va suc- comber. Alors, tremblante, elle supplie Diane de la garder à Lauro. Et Diane, touchée, la métamorphose en rocher, et c'est de ce jour qu'Ombronc baigne de larmes les pieds de l'immobile Ambra.

Jadis enfin, Luigi Pulci avait chanté en un poème long, lourd, pénible, chargé d'énumérations oiseuses la Joute que Laurent de Médicis avait courue en 1409. Aujourd'hui six ans ont passé. C'est Julien de Médicis qui entre dans le tournoi et c'est Politien que le chante ; Politien qui a vingt ans ; Politien qui se divertit à traduire Homère; Politien dont la fantaisie est toute brillantée de ces mots dorés de Lucrèce, donton fait du miel ; Politien qui, lui aussi et à sa manière, a volontà di dire ; et ayant vu ces vingt-deux jeunes hommes, reluisants de pierreries et de fines armures, entrer len- tement dans le champ clos, chacun monté sur un che- val de race, chacun portant son emblème et sa devise, chacun flanqué d'un cortège de pages, de tambours, de trompettes, et à leur suite Julien de Médicis dans ses longs cheveux bouclés ; et ayant assisté à la lutte de ces jeunesses qui se défient, au contraste de ces couleurs qui se répondent, à la mêlée resplendissante des bi- joux, des costumes, des enseignes, au pied de la vieille église dominicaine de Santa-Groce, à Pair libre de Flo- rence, devant le peuple qui acclame, les femmes qui sourient et la bella Simonetta qui rougit, il a inter- rompu sa traduction d'Homère et s'est mis à l'ouvrage. H en résulte ces fameuses stances de la Giostra, tout l'esprit de la Henaissance est enclos, dont on a voulu faire le joyau littéraire de l'époque, et sur les- quelles il convient de nous arrêter.

Le sujet des Stances n'est rien. Julien, baron toscan, fils de l'étrusque Léda, ne connaît pas l'amour. A lutter avec le vent sur son cheval, h sauter comme un léo- pard, à lancer le disque, h jeter le trait, couronné de

LA RENAISSANCE A FLORENCE 337

pin OU de frêne, il n'aime que Diane et les chastes Muses, il méprise la femme, «jeune serpent caché sous les fleurs qui arrache au cœur la pensée mâle ». « Qu'il est plus doux et qu'il est plus certain, Poursuivre en chasse les botes qui s'enfuient, Parmi les bois an- tiques, hors des fossés, des murs, Et épier leur gîte et suivre leur piste! Voir la vallée, la colline, l'air limpide, L'herbe et les fleurs, l'eau vive, claire et froide, Ecouter les oiseaux gazouiller, résonner l'onde, Et doux au vent murmurer le feuillage' ! » Un jour, à la pointe du jour, ayant fait brider son che- val, il part pour la forêt, à la tête d'une compagnie choisie. Dans le bruit joyeux de la chasse, il galope libre et vierge, le front ceint d'un rameau de verdure, les cheveux couverts de poussière, le corps baigné de sueur. Soudain une biche à la robe candide se présente fi son regard. C'est Cupidon qui, froissé de la superbe de Julien, impatient de tout mépris, a tissé d'air léger celte apparence charmante. A bride abattue l'Hippolyte toscan s'élance à sa poursuite, va l'atteindre, lorsqu'au milieu d'une clairière verte elle s'évanouit et le cède à une nymphe voilée de blanc. Simonetta, la bella Simo- nettrt, qui naquit en Ligurie dans le giron de Vénus et fait sous ses pieds l'herbe blanche, l'herbe rose, vient d'apparaître. Assise sous la verdure, elle a cessé de tisser sa guirlande. Peureuse, elle a levé la têle. Ayant saisi de sa main blanche le coin de sa jupe, elle s'est dressée, le giron plein de fleurs. Elle a souri. Elle a parlé d'une voix de perle et de violette. Elle a marché dans un geste de grâce amoureuse. Et lorsqu'elle a disparu dans l'ondoiement de sa robe angélique, Julien

1. « Quanto è piu dolce, qiianlo è più sicuro

Seguir le fere fuggitive in caccia Fra boschi antichi fuor di fossa o muro E spiar lor covil per lunga traccia ! Veder la valle e'I colle e l'aer puro, L'erbe e fior, l'acqua viva chiara e ghiaccia! Udir li aiigei svernar, riinbombar l'onde, E dolce al vento niormorar le fronde ! »

(I, n.)

II. •)-2

.{38 LE QUATTROCENTO

se répand en pleurs comme la bruine devant le soleil. En vain les jeunes hommes de son escorte l'appellent- ils du cor par la forêt, Julien demeure seul dans la nuit qui couvre les choses de son manteau d'étoiles. Julien est le prisonnier de Gupidon : « Maintenant sont, Julien, les sentences graves, les paroles magni- fiques, les préceptes, Dont tu molestais les amants misérables? Pourquoi aussi n'es-tu plus réjoui de chasser? Voici qu'une femme tient en sa main les clés De chacune de tes envies •... » Ayant de la sorte accompli sa belle vengeance, Gupidon renionte au ciel; il arrive au royaume de sa mère, où, dans un printemps éternel, près d'un ruisseau aux cailloux duquel les pe- tits amours aiguisent leurs flèches, s'élève un palais de pierres fines et d'or fin, entouré de toutes les fleurs et de tous les arbres, regardant les sept cornes du Nil, éclairé du premier rougeoiment de l'aurore. Un jour pur et tranquille y pénètre à travers les murs de saphir d'Orient ; le pavé est décoré de peintures en pierres ; les portes sont ornées de bas-reliefs encadrés de guir- landes de roses, de myrtes et d'oiseaux; sur un lit, éten- dus, Vénus et Mars s'y reposent de leur récente étreinte, et un nuage de roses pleut sur eux. Gupidon essoufllé, s'étant jeté au cou de sa mère, lui raconte la défaite de Julien. A ce discours, Vénus brille d'une splendeur d'aurore; elle veut que Julien s'arme pour remplir le monde de sa gloire et « pour que quelqu'un, chaulant les airmes du fort Achille, renouvelle en son style les temps antiques ». Et par l'inlermédiaire de Pasitée, elle envoie à Julien un songe belliqueux propre à rani- mer son ardeur. Julien se réveille et proclame un lour-

1, « U'son or, lulio, le sentenzie ^ravi,

Le parole inagnifiche e preceUi, Con elle i niiscri amaiiti inoleslavi ? Perché pur di cuci'iar non ti dilelti ? Or ecco ch'una donna in iiian le chiavi D'ogni tua voglia e tulli in se rislretti Tien, miserello... »

(I, 38.)

LA RENAISSANCE A FLORENCE 339

noi. «Avec vous, s'rcrie-t-il, je m'en vais, Amour, Minerve et Gloire, Car votre feu m'enflamme tout le cœur ; De vous j'espère remporter la victoire, Tout brûlé que je suis de votre éclat. Aidez-moi de façon que chaque souvenir Puisse se marquer de mon empreinte éternelle Et rende humble celle qui me méprise. C'est votre enseigne qu'au camp je veux porter!.» A ce point, brusquement interrompu, s'arrête le poème de Politien.

C'est ainsi que ce poème, qui s'appelle la Joute, ne parle pas de joute, soit que la mort imprévue du prince Julien assassiné au dôme en 1478, ait interrompu le poète, soit plutôt que cet artiste de la petite chose ait, au bout de 171 octaves, épuisé sa provision verbale. Et d'ailleurs peu im[)orte : nous l'avons vu, le sujet n'a jamais été pour Politien qu'une occasion d'ouvrage habile. Ici encore, dans cette idylle délicate qui aurait voulu être vme épopée, Politien a obéi à son talent. Il a travaillé, ciselé, serti des gemmes précieuses qu'il a réunies par le fil invisible d'un collier et qu'il a sus- pendues au cou du Médicis. Il a créé avec esprit des motifs épancher sa veine et montrer sa braverie. Et il a fini.

Aussi bien l'intérêt de cet échantillon d'adresse reste partagé en autant de pièces détachées et séparables : dans la description du royaume de Vénus, dans la peinture de l'Age d'or, dans le tableau du Printemps, dans le récit de la chasse de Julien ; moins encore dans le détail du pavé ou des portes du palais de Cythôre. Les claires mythologies, les jolis paysages, les menus bas reliefs, tous les animaux, tous les arbres,

1. « Gon voi me'n vengo, Amor, Minerva e Gloria,

Chè'l vostro foco tutto'l cor m'avvampa : Da voi spero acquistar l'alta vittoria, Chè tutto acceso son di vostra lainpa : Datemi alla si, che ogni memoria Segnar si possa di mia cterna stampa, E facci umil colei ch'or mi disdegna : Gh'i portera di ^oi nel canipo insegna. »

(II, 46.)

340 LE QUATTROCENTO

toutes les fleurs de la création; et au milieu de cette fraîche évocation, Simonetta, la divine Simonetta au visage de troènes et de roses, à la robe blanche, au regard do joie céleste, qui fait germer la terre sous ses pieds, qui arrête la brise à ses paroles, que chaque petit oiseau salue dans sonlatin, que Beauté et Délicatesse montrent au doigt et avec qui Gentillesse s'en va sous forme hu- maine : voilà l'argument des stances. Politien veut lout y mettre et lout y dire : les fleurs, qui comptent trois strophes, la nuit, qui en compte une, les poissons, qui en comptent une, avec le crépuscule en six vers, le sanglier en quatre, le serpent en deux. Il semble qu'auparavant rien n'ait été décrit. L'univers est vierge. Le premier soleil se lève sur la terre. Et Politien regarde.

Il ne fait guère que regarder; car, en italien, comme en latin et comme en grec, dans toute sa poésie et jusque dans sa ballate des roses qui voudrait être un sentiment et qui n'est qu'un tableau, Politien reste peintre. Seul le monde extérieur le sollicite. Il excelle à fixer d'une pointe aiguë et sèche une image mobile, une pose d'animal, un mouvement de draperie, un geste de branchage; il voit le lierre « qui chemine à genoux les pieds tors », la robe d'Europe, « qui ondoie et fait retour en arrière », le sanglier qui « aiguise ses larges défenses, serre ses grifles, rugit et gratte, et, pour armer sa vigueur, il frotte contre lesécorces dures son cuir calleux * ». Il sait, comme Ghiberti et Giotto, emprisonner l'infini d'une scène de nature en un petit compartiment chantourné : « Sur son àne. Silène, de boire toujours avide, Avec des veines grosses, noires, humectées de moût, Semble ivre, sommeil- lant et enceint. lia les yeux rouges, gonflés et fu- meux de vin. Son i)etit Ane peureux, les nymi)hes

1. « Picn di snnguignn schiiiiim il cignal bolle,

Le larphe ztinnc arrolii o'I fiiiTo serra ; Ë ruj/f^liia e raspa, e pcr ariuar sue for/c Freutt il culloso cuoio a dure scorze. »

(I, 86.)

LA RENAISSANCE A FLORENCE 341

hardies, L'aiguillonnent du thyrse; et lui de ses mains enflées, S'accroche aux crins, et pendant qu'elles l'aident, Il retombe sur l'encolure, et les satyres le dressent*. » L'impression est si catégorique que le peintre n'a qu'à prendre son pinceau et copier. Voici l'apparition de Simonetta: « Elle est candide et sa robe est candide Mais aussi peinte de roses, de fleurs et d'herbes ; Les cheveux annelés de sa tête dorée Descendent sur le front humblement fier. Autour, toute la forêt lui sourit Et, tant qu'elle peut, calme ses peines. Dans son geste, elle est d'une mansué- tude royale Et pourtant du regard elle arnite les tempt'^tes -. » On dirait le Prm/em/;^ deBotticelli. Voici la naissance de Vénus : « Tu jurerais que de l'onde est sortie La déesse pressant ses cheveux d'une main ; De l'autre, elle a recouvert la douce pomme, Et marque le sol de son pied sacré et divin ; Le sable s'est revêtu de fleurs et d'herbes. Puis avec des manières charmantes et heureuses, Elle est accueillie dans le giron de trois nymphes Et par elles enveloppée d'un manteau étoile'^. » On dirait la

1. « Sovra l'asin, Silen, di ber sempre avido,

Gon vene grosse nere e di mosto utnide Marcido sembra sonnacchioso e gravido : Le luci ha di vin rosse enfiate e luinide : L'ardite ninfe l'asinel suo pavido Pungon col tirso, e lui con le man tumide A' crin s'appigiia; e raentre si l'aïzano, Casca nel colle, e i satiri lo rizano. »

« Candida c ella, e candida la vesta, Ma pur di rose e (iordipinta e d'erba; Lo inanellato crin dell'aurea testa Sceiide in la fronte umilmente superba. Ridegli attorno tutta la foresta, E quanto pu6 sue cure disacerba. Nell'atto regalniente è mansueta; E pur col ciglio le tempeste acqueta. »

« Giurar potresti che dell'onde uscisse La dea premendo con la destra il crino, Con Taltra il dolre porno ricoprisse ; E stampata dal piè sacro e divino, D'erbe e di fior la rena si vestisse ; Poi con semblante lieto e peregrino

(T, 112.)

(1, 43.)

342 LE QUATTROCENTO

Vernis de Botticelli. Et sans doute que Raphaël, quand il peignit su Galatée à la Farnésine, se souvenait de cette stance de Politien : « Deux beaux dauphins tirent un char. Dessus est Galatée qui tient la bride; Et eux nageant respirent de concert; A l'entour s'ébroue un troupeau plus lascif. L'un crache l'onde salée; d'autres s'enroulent; Celui-ci paraît rire et jouer par amour. La belle nymphe, avec ses sœurs fidèles, D'une si grosse chanson, gra- cieuse rit*. »

Tout cela est net, catégorique, évident, dun dessin clair, d'une couleur bien liée, agencé et relevé avec une adresse tout aimable. L'octave, si diffuse chez Boccace, et brisée dans la rappi^esentazione ^ et âpre et inégale encore dans les Silve du Magnifique, s'assouplit, s'allonge, se recueille, s'accorde et s'ajuste et devion l'instrument léger et sonore que l'Arioste et le Tasse von porter à leurs lèvres. Et au bruit de ses accords savants la Renaissance s'ouvre une route triomphale.

Non seulement l'antiquité donne à ce petit poème, à la fois laudatif, lyrique et didactique, sa conception générale, empruntée aux délicates versifications de l'Age d'argent, mais son détail avec ses épithèles, mais ses épisodes avec ses personnages. La figure de Julien ressemble à l'Hippolyte d'Euripide et au Narcisse d'Ovide; la chasse de Julien se rappelle lâchasse de Didon ; le palais de Vénus est bâti de matériaux arra- chés au De niiptiis Honorii et MarLv de Claudien. Le modèle antique soutient l'inspiration indigène qu'il

D.ille tre ninfe in grembo fusse accolta E di stellato vestiniento involta. »

« Due formosi ilclfiiii un carro tirono : Sovra esso e Tinlatea clie'l fren corrcgge ; K (\w\ notando pariaicnlc spirono : lluolasi allorno niù lasciva gre^'ge. Oual le salse otinc spiitn, c (|uai s'aggirono Quai par chc por aiinir gunxrhi c vanegge. La hr-lla ninf'a con le suore fUie Di si rozo canlar vezosa ride. »

(1,101.)

(1,118.)

LA RENAISSANCE A FLORENCE 343

harmonise, équilibre et accomplit; il lui impartit sa ^râce fine et son sourire tranquille; il la marque d'un caractère d'éternité. En môme temps, cette œuvre d'élé- gance et de sobriété n'est pas une servile copie de l'anti- quité. Elle se ressouvient par endroits de la rudesse vigoureuse de la commune; elle garde la spontanéité et la crudité des choses locales ; elle prolonge l'accent familier du terroir. Politienne connaît pas qu'Homère, Euripide, Virgile, Ovide et Stace; il connaît Dante et Pétrarque, il connait les vieux poètes du doux style, il connaît les chansons de la rue. Glaudien et Guido Gavalcanti ! Ana- créon et un berger de Pistoie! Et tout ce qu'il connaît, il le met en u-uvre. Il harmonise les mille éléments de culture que s'assimila son génie studieux et curieux, les broie, les mélange, les amalgame en son petit creu- set doré et les fond en un précieux métal de Corinthe, dont la nouveauté etl'éclat sont pour charmer le monde. Son petit temple inachevé paraît attique ; il ressemble à une de ces façades adorables dont les Grecs migra- teurs semaient leurs colonies; seulement la claire lumière de Toscane joue autour; il s'encadre de cyprès et de collines bleues; par l'intervalle des colonnes on voit fuir vers l'horizon la ligne argentée et sinueuse de l'Arno ; en sorte que, quoiqu'il en ait, il reste toscan. 11 conserve je ne sais quelle grâce fine et maigre, quel contour sec, quel profil précis et fort qui le rapproche des monuments d'art contemporains et autochtones, des bronzes de Verrocchio, des palais de Brunelleschi, des mylhologies de Botticelli.

Et comme ces choses, il porte à son fronton l'écusson des Médicis, qui aimaient cette forme de beauté et l'ai- dèrent à naître dans le monde.

CHAPITRE YI

LA RENAISSANCE A FERRARE

I. Les cours septentrionales italiennes : Mantoue, Urbin. Alilan. Ferrare, possession des Este, ducs et condottières. La chevalerie et les mœurs chevaleresques. Les femmes et leur influence. Fêtes, divertissements et spectacles. Le luxe. La force phy- sique. — La race campagnarde.

II. L'humanisme à Ferrare. La langue de Ferrare n'est pas le latin, mais l'italien. Les poètes, iiovellieri et chante-histoires : Francesco Cieco, Niccolo da Correggio, le Pistoia, Antonio Tebaldeo, Xiccolô Lelio Cosmico, Antonio Cornazzano. Sabbadino degli Arienti, Jacopo Caviceo, Pandolfo Gollenuccio. La littérature dans les banquets, les spectacles et la vie. Valeur de cette littérature. Caractère de cette littérature.

in. La Renaissance à Ferrare. Le comte Matteo-Maria Boïardo de Scandiano. Sa vie, sa culture et sa fonction de gentilhomme.

Ses divertissements littéraires. Son canzonière. Son Orlando innamorulo. Différences du Morganle de Pulci et de Y Orlando de Bo'iardo. La matière de France et la matière de Bretagne accou- plées. — L'amour. Argument du poème. Son allure et sa grâce.

Ses personnages originaux. Orlando et Angélique. Ses éléments divers. Sa couleur unique. VOrlando innamorato, poème de la belle vie seigneuriale.

I

Dans le Nord de l'Italie ; à Mantoue, ctiez les Gon- zague, autour de la bonne marquise Isabelle ; à Urbin, chez les Montefeltro, dans le palais construit par le duc Federigo; à Milan, chez les Sl'orza, brillent les Gaspare Visconti, les Bernardo Bellincioni, les Baldas- sare Taccoue, les Léonard de Vinci, les choses se passent autrement.

Pour bien faire, il faudrait étudier séparément cha- cune de ces signories, étroitement unies par les modes, les sympathies et les alliances, mais gardant chacune sa physionomie et son accent; examiner le théâtre de Mant(»u«' fondé par !\)litien, la cour dTrbin déjà prête à écouter le Casliglione, l'Académie de Milan groupée autour «le Ludovic le More. Bornons-nous à l*'errare,

LA KENAISSANCE A FERRARE 345

la plus splendide de toutes, apparentée avec toutes et où, dès 1474, l'Arioste est né'.

Ferrare est une cour féodale et militaire, le s Este, qui portaient le titre de marquis, qui maintenant portent le titre de ducs, rognent en souverains aijsolus : Nicolas jusqu'en 14il, Lionel jusqu'en 1450, Borso jusqu'en 1471, Hercule jusqu'en 1507.

Le palais ressemble à une forteresse", la ville à une citadelle, la vie à un perpétuel qui-vive. De père en fils, les Este sont soldats, et tandis que Laurent de Médicis avouait qu'en fait d'armes et de coups il n'était guère remarquable [non molto streiiuo)"^, son contem- porain Hercule d'Esté est un condottiere, vivant comme un condottiere, indifféremment à la solde des Aragons et des Angevins, ferraillant pour Venise et contre Venise, boitant d'un coup d'espingarde qu'il a reçu à la clavi- cule du pied droit, dans une bataille trois chevaux crevèrent sous lui. Et tandis que les Médicis étaient des bourgeois qui dissimulaient leur puissance sous une grande modestie, les Este sont des princes qui étalent leur puissance au grand jour.

Borso d'Esté n'apparaît que vêtu de brocart et de soie, porte jusqu'à la campagne des colliers do soixante- dix mille ducats l'un», fait ériger sa propre statue sur la place, fait peindre ^ses propres gestes contre les parois du palais de Schifanoja, il est représenté écoutant ses sujets, assistant à des courses, recevant des ambassadeurs, acceptant l'hommage d'un panier de cerises, récompensant son bouffon. En 1452, à la tête de trois gentilshommes qui portent les étendards de sa maison etde quatre centscavaliers qui portent des bannières blanches, il s'agenouille devant l'empereur

4. Sur Ferrare, à côte des ouvrages cités ci-dessous, voir A. Frizzi, Memorie ppr la storiu di Ferrara, Ferrare, 1847, 5 vol.

2. L. iN. (^ittadella, Ucaslello di Ferrara, Ferrare, 1875.

3. « Beuchè in aruii e di colpi non fossi niolto strenuo... »

4. « Questo sif,'nore senipre lu campnf,'na cavalcava vestito di panne d'oro e di seta: per la terra porlava collane di settanta inillia ducati luna. » {Diario ferrarese, Muratori, Rerum, t. XXiV, p. 233

346

LE QUATTROCENTO

Frédéric III de passage, qui le revêt d'un manteau rouge fourré de vair, le coitîe du bonnet ducal, larme de l'épée nue, le titre duc de Ferrare, de Modène, de Reggio, comte dePolissene enRovigo. Et autour, massé sur la place, le peuple crie d'une seule voix : Diica, Diica!^ En 1471, lorsqu'Herculc d'Esté l'ait son entrée à Ferrare, la baguette d'or à la main, il est vôtu, « à la ducale », du manteau de brocart cramoisi, du collier chargé de pierreries, du bonnet constellé de diamants : descendu de cheval, il entre àTéglise sous un baldaquin de satin noir. Lorsqu'un Este part en voyage, il emporte avec lui un équipage princier : 175 mules à ses cou- leurs pour le gros bagage. 75 mules aux clocbetles d'argent et aux manteaux de velours cramoisi pour sa garde-robe, 500 cavaliers en brocart d'or, 80 veneurs tenant chacun quatre chiens en laisse, les trompettes, les fifres, les estaliers, les écuyers en brocart d'argent, et la suite^.

Les Este battent monnaie, publient des bans, appliquent la torture, donnent audience, rendent jus- tice, conduisent la guerre. 11 faut qu'on les serve et qu'on les respecte. Qui dans le huis-clos de sa maison clabaude contre eux, ou refuse de coudre une veste à un de leurs pages, ou dit d'une de leurs entreprises « que Dieu même n'aurait pu la tenter», paie l'amende^. Il faut qu'on les nourrisse. Les premiers jours de l'année, les Este à cheval vont «chercher leur aven- ture », c'est-à-dire demander leurs étrennes; le 5 jan- vier 1 i-73, Hercule d'Esté reçoit 823 chapons, 276 formes de fromage, 103 perdrix, 82 langues salées, 02 sau- cisses, 5i veaux, 291 boîtes de bonbons, des oies, des

\. iJiario ferrarese, ih., p. 200.

2 « In primo p/isso ill'i iniilli ron le sue coperle di panno alla divinn binnco, rosso e vende, et allri 75 con la f,'iifir(la robba di sua persona, ronerli 'di velludo crcuiesino cou le (iriiii a recami ddro, H quali T.'i inuili havevnno cauiftanazzi d'urgonto al collo...» (A. Cappiiili, Nolizie di V. (.'aleffini Alli e Meuioric pir le prov. uiod. c parmciisi, Mod/îtie, 18()'., p. :{0(i.)

3. A. Venturi, L'Arle a Ferrara nel periodo di Dorao d'Esle^ Turiu, 1886.

LA RENAISSANCE A FKRRARE 347

agneaux, dos épices, de la cire, du vin'. La hiérarchie est ligoureuse, Téliquelte stricte. Aux tables d'honneur, on boit dans des coupes d'argent à pied; aux autres tables, dans des coupes d'argent sans pied. Lorsqu'avant le repas, les Este trempent leurs doigts dans des bas- sins d'eau de rose, la sociétd se découvre. Lorqu'ils éternuent, la société se découvre encore.

La chevalerie, qui n'est ailleurs qu'un souvenir litté- raire et galant, est ici une réalité vivante. Il y a un ordre chevaleresque, celui de l'I'lperon d'or, des jeux d'amour, des questions d'honneur, un champ clos, Via del Praisolo, réservé aux duellistes; des carrousels, des lêtes et des joutes d'armes, l'on y va de tout son cœur, de toute sa force. « Le 18 mai 1466, raconte le Diario Ferraresc, le très illustre duc Borso fil faire une belle joule sur la place de Ferrare, qui dura trois jours; et il fit un château jusqu'au palais d(» la Ragione, et les cavaliers y arrivaient un à un, armés, la lance à la cuisse ; et lorsqu'ils arrivaient à la barrière, ils deman- daient qu'elle leur fût ouverte; et un capitaine répon- dait de ne point entrer, mais qu'il fallait combattre corps à corps avec un vaillant cavalier; et lui répondait qu'il voulait passer, et combattre, et voir s'il était homme si vaillanl... Et ça dura trois jours-. » Le 6 juin 1476, le duc Hercule fait assavoir, «à ceux qui désireraient s'employer par vertu et par force, d'aller au delîi pour remporter le prix de leur valeur, et qu'ils seront bien vus et caressés ^ » En 149i, le comte Niccolô da Correggio sort vainqueur d'un tournoi procla- mé h la Défense du Dieu Amour. Guido Vaino da Imola tue le cheval d'Aldobrandino Pialtese. Galeozzo da San- Severino armé d'une lance, « grosse comme un homme à la cuisse », casse la tète à un seigneur de Mirandole.

1. Diario fevrarese, Tp. 2^3.

2. Diario f'errarese, p. 208.

;i. « Si fa noto, a chi desiderasse operarsi per virtude o eagliardia andare oUre per liportarse el premio de la valorosità sua. che sarano bene veduti e accarezzati. »

348 LE QUATTROCENTO

Les livres de France et de Bretagne entretiennent cette noble passion. La bibliothèque ducale abonde en romans de chevalerie qui, comme les registres du palais nous l'apprennent, sont fort de requête : Tris- tan^ Lancelot^ Saint-Graal^ Merlin^ Meliaduse. Bianca d'Esté détient le Gothofred de Boion; le comte Lodo- vico da Gano lit Galeot/i le Brun; Borso d'Esté, pour son compte, achète ia Spagna, VAspromonte^ le Mes- chino^ commande d'orner de miniatures Tristan et Lancelot, ordonne de traduire en italien le Maine tto che traita délie storie di FraticiaK Isabelle d'Esté prie son mandataire à Venise de lui acheter des livres «qui contiennent batailles, histoires et fables, aussi bien de modernes et d'antiques, et principalement des pala- dins de France ». En 1491, sur une barque qui les emporte, Galeazzo Visconti et elle disputent pendant la traversée des mérites respectifs d'Orlando et de Ri- naldo^. Selon Michèle Savonarole, «les hommes se complaisent moins aux vêpres qu'à écouter chanter de roman •^)). Les femmes portent à leur manche des devises empruntées à des phrases de roman. Les princes font remonter leurs origines jusqu'aux paladins de la Tabhi ronde. Les noms de la matière française ou bretonne sont courants : Rinaldo, Ginevra, Melia- duse, Tristano, Isotta.

Pour le chevalier, le bourgeois elle peuple n'existent pas. Le peuple estle vilain, taillable, corvéable, sujet à la dîme, celui qu'on pressure, celui qu'on taxe d'impôts arbitraires, celui qu'on oblige à célébrer l'anniversaire ducal, comme il célèbre la Fête-Dieu, qu'on arrache à

i. Pio Rnjna, Picordi di codici posseduti dar/li Eslensi nel eco o XV. HoiTJfini.'i, l'/iris, 187;}, p. 49 et sq. A. Venliiri, L'AvIe a Ferrarn nel periodo di Horso d'Esté. « Che contengaiio batalie, historié e fabule, cossi di moderni comme de antichi, c massiine de li paladini di Kranza...» (Luzio et Hciiier. l'recutldrid'lsubclln d'Esté, AncAiie, 1887.)

2. Liizio et Henier, Délie relazioii'i d'Isubellii d'Esté Gonzaf/a cou Ludovic/) e lienlrice ^sforz/i, Milan. 1890.

3. « Più che ai vespri ^li iiomini si cotnpiacevano a sentir cantare di romanzo. » (A. Venturi, L'Arte a Feiraranel periodo di Uorso d'Esté, Turin, 188G.)

LA RENAISSANCE A FERRARE 349

la lene, à ses récoltes pour l'employer dans les parcs et dans les jardins à des travaux de pure fantaisie, dont il ignore le but, et qui accepte, tête baissée, cœur soumis ^ « Nous sommes, conf'esse-t-il à Borso d'Esté, les chiens et les brutes de Son Excellence -. » Il n'y a que le palais, et ce qui se rattache au palais qui compte, les maîtres d'armes et d'écurie, les officiers de bouche, les sénéchaux, les écuyers, les pages, les veueurs, les nains, les bouffons, les musiciens, et dans cette foule brillante et chamarrée, les princes, les ducs, les demi-ducs, les marquis, les gentilshommes, les cavaliers, les seigneurs de tours et de terres \

Joignons-y les femmes, moins reléguées qu'autre part^, faibles, fines, délicates, partout présentes, in- tervenant partout, et mêlant aux jeux, aux joutes, aux chasses, aux courses, aux spectacles, à la vie, leur sourire et leur parure. Elles sont la tendresse du sombre palais bâti en château-fort. Elles sont la grâce et la douceur. Elles sont l'élément aussi charmant que nécessaire de l'existence. Déjà le vieux Niccolô d'Esté a « plus de huit cents donzelles à son plaisir"")). Rinaldo, abbé-commandeur de la Pomposa, ne se contente pas de mille femmes. En 1472, plus de cinq cents nobles se portent à la rencontre de Madonna Riccarda, mère du duc Hercule. En 1473, le duc Hercule donne tin bal à cent-soixante-six jeunes filles à marier pour célé- brer ses noces avec M""" Eleonora d'Aragon, d'où naî- tront ces deux incomparables princesses de la Renais- sance, Béatrice d'Esté et Isabelle d'Esté, « la belle et

1. « CaBi e scherani fli Sua Eccellenza. » (A. Venturi, L'Arlea Ferrara nel periudo di Borso cl'EsIe, Turin, 188().)

2. Diario ferrarese, p. 229, 291.

3. A Ferrare, il faut toujours avoir le chapeau à la main, si bien que la barrette de Pandolfo Collenuccio s'en plaint à son maître.

4. A Florence, par exemple, les femmes ne jouent aucun rôle officiel dans le palais des Médicis. Lucrezia est trop vieille, et Clarice est de trop méchante humeur.

5. Jusqu'aux moines qui s'en mêlent et font des grâces aux religieuses d'en face, si bien que la duchesse fait boucher leurs fenêtres. «Ils allèrent s'en plaindre au duc, qui leur répondit qu'il ne voulait pas con- tredire Madame. » [Diario ferrarese, p. 283.)

350 LE QUATTKOCENTO

magnanime Isabelle, amie des œuvres illustres et des belles études. »

Pour complaire à ce monde délicat, les rudes chas- seurs et les rudes soldats, taillés en force, élevés à la guerre, sentant l'écurie et la sueur, assouplissent leurs gros muscles, brossent leurs grosses manières, nippent leur esprit de latin, relèvent leur joyeuse et sanguine santé d'une pointe de mélancolie, se parent de tristesse comme d'une plume*, se tempèrent, se mitigent, s'affinent et s'initient à l'art du salon, qui vent qu'un gentilhomme soit capable d'accompagner une princesse en voyage, de conseiller une femme sur sa toilette, d'apprécier l'industrie savante d'un sonnet d'amour. Quand ils auront mené une compagnie à l'ennemi, renversé un adversaire dans une joute, éven- tré d'un coup d'épieu un sanglier, ils n'auront pas tout fait. Ils auront été vigoureux; il leur appartient d'être désinvoltes, courtois, suaves, bien appris et bien disants. Dans le passé sourit le souvenir de Lionel, le prince charmant, et dans le présent brille l'exemple du noble comte de Gorreggio, celui qu'Isabelle appelle « le plus accompli, et en rimes et en courtoisies érudit cavalier et baron, que dans ces temps, on retrouve en Italie ' », et à qui chacun s'ell'orce de ressembler.

La vie est splendide. Le Caroccio de Ferrare, décoré par les Sperandio, les Baroncelli, les Gastellani, d'ar- moiries, de chevaux et d'amours, n'est plus un char de guerre : c'est un char de triomphe. Les palais, les vil- las, les jardins, les parcs d'animaux sauvages se nomment des De/izle. I^es mascarades, les bals, les banquets, les tournois, les spectacles s'appellent des

1. F^e marquis de Mnntoue écrit au poète Niccolô da Gorreggio, en 1491 : « Il mo trotte par l'esprit d'avoir quelque di;,'ne fiction à porter au collier ou au chapeau, avec qiit'hpie beau motto tpii tt'uioi''ncrait que ceci est fait pour tHre, nous, le plus malheureux et infcirtuné homme du uiondc... » (Henier, Cunzonieretlo adespoto di Niccolô da Corret/fiii». Turin 18S)2.)

2. « \\ più atlilato e de rime e cortesie erudilo cavalière et barone che ne li teuipi suoi si ritrovansc in Itaiia. > (Ileuier, )

LA KENAISSAKCK A FKKRARK 3ol

Corlexie. Il semble que la vie ne soil faite que de Cor- tcsie et de Dclizie.

Lentement, le navire doré du Bucintoro descend le aux rives vertes, et. debout sur les rives, des jeunes filles, de blanc vêtues, agitent des rameaux d'olivier; des fontaines d'abondance versent le vin et le lait; des chars, éclatant de dorures et de tapisseries, chargés de vases, de statues, de colonnes, promènent des mytholo- gies et des allégories vivantes parmi les rues tendues d'étotTes, sous les arcs de verdure, dans des bruits de musique et de cloches; adolescents, donzelles, nymphes, faunes, dieux de l'Olympe, géants, animaux, chiens braques, chiens lévriers, toute une procession de beauté ([ui défile ; et sur les armes, les emblèmes, les attri- buts, les costumes chamarrés, les devises llottantes, les bannières déployées, les femmes aux fenêtres jettent des roses, les enfants cachés dans les arcs jettent des roses, et, de l'architrave des églises, des amours jettent des roses, du serpolet, et « autres gentillesses d'herbe ». Dans les banquets qui groupent autour de hanaps d'or un peuple vôtu de soie, des séries de douze services sont introduites par des messagers de l'Olympe, Herato, Hyménée, Persée, Orphée, Hébé, Silène, Aréthuse ; quatre-vingts paons, servis dans leurs plumes, dressés sur leurs pattes, lancent des tlammes de leurs becs; les plats montés copient les antiques; des parfums de Chypre ou de Naples s'élèvent des cassolettes'. Dans les intermèdes des spectacles, on voit « un paradis avec des étoiles », « une barque au naturel avec dix per- sonnes dedans, et les rames, et les voiles », deux cent quatre-vingt-dix-sept comédiens et figurants, qui défilent, habillés de satin neuf, de soie neuve, représentant des Grecs, des esclaves, des patrons, des marchands, des femmes, des paysans, des pages, des nymphes, des boutfons, des parasites. Un fou et l'escorte de ce fou

1. G. Perticari, Délie nozze di Coslanza Sforza celebrule in Pesaro Vanno 1475, Fesaro, 1894.

3b2 LE QUATTROCENTO

entrent en lutte avec la Fortune. Les chasseurs, tenant au poing des oiseaux sauvages, combattent avec un ours. Apollon chante sur sa lyre, entouré des neuf Muses. Des jeunes hommes et des jeunes femmes, égre- nant des barzellette^ tournent la ronde sur le pré. Un ballet est dansé par un fou, un tambour, deux jolies demoiselles, deux vieillards et dix garçons bien vêtus i. Dehors, les montagnes allument des feux de joie et les boutiques restent closes pendant dix jours.

Le luxe est inouï. Luxe de costume, de toilette et de joyaux-; luxe d'animaux, luxe d'armes, luxe de jar- dins, luxe d'ameublement. Des chambres tendues de Flandre; des lits recouverts de drap d'or; des manus- crits recouverts de satin blanc semé de perles; des cartes à jouer enluminées par Mantegna et agrémen- tées au dos de précieux sonnets inédits; de l'or, de l'ivoire, du brocart, des plumes, des fleurs; et des pierreries partout, au collier, au chapeau, au chapelet, aux chausses, aux brides des chevaux, aux laisses des chiens, aux reliures des livres, jusqu'aux balais dont les camériers chassent sous la table les détritus des repas'.

En même temps, en dépit de son apprêt, ce beau monde goûte d'une âme simple des plaisirs d'enfant. Il apprécie la force physique, s'intéresse aux exploits de la matière, se complaît au spectacle des muscles au travail. 11 lui faut courir, chasser, chevaucher, remuer ses membres, humer l'air du ciel, sentir aux oreilles le bruit du vent, dépenser le surplus de vie.

La fête patronale de San-Giorgio est célébrée par des

1. Luzio-Renier, Commedie classiche in Ferrara, Giorn. slor. Turin, 1888, p. 184.

i. « Kt ciertaiiiente, illiistrissinia mia sif,mora, è cosa suniptuosissima lo appararsi dellu donne in questa patria, tal clie orrnai el veslire vei- ludo c brocadi è nuila, se non é uno so|)ra iailro tafçiialo, stracialo, listato e traversalo, et per ogni inoda e forma trassiuato. » [Ib.)

'6. L.-A. Gandini, S(t(/f/io ueqli n.si e dellr ci>s/u»itnize délia corle di Ferrara, Uolognc, 18!)i. Via;/;/!, cdiudli, htirddiure e stalle dr<)li Ehlinisi nid (Juallrocunlu, Bologne, IS'Jl. Isa/jella, lleatrire e Alpmso d'Hall' infanti, Modéne, iH'Mt. G. (lainpori. Le curie du ijiuoco dipinle per gli Lslensinel seculo AI', Mantuue, 1883.

LA RENAISSANCE A FERRARE 353

coursos d'ânes, de chevaux, de bœufs, de chiens et de femmes. Une ordonnance ducale est conçue en ces termes : « Le très illustre et très excellent Seigneur notifie à toute personne de tout quartier de Ferrare que, s'il lui plaît d'envoyer ses filles de douze ans et au dessus courir le palio demain avec d'autres tilles de bien et honnêtes, Sa Seigneurie fera donner à la pre- mière \q palio et aux quinze suivantes de Tétode neuve pour un cotillon^ » Les habits sont pelés parles arçons des selles; les souliers s'éculent par douzaines; les gentilshommes en consument quatre-vingls paires par an; la petite Isabelle, à un an et demi, en a déjà usé trente-deux paires. Dans la chambre d'Hercule, âgé de onze ans, on trouve « des éperons raccommodés, des sonnailles, des lacs d'épervier, des gants de chamois, des souliers pour jouer à la paume'-'». A trois ans, le duc Alphonse possède deux chevaux, l'un noir et l'autre bai. A un an, la petite Isabelle est assise sur une selle spéciale, /ac/« per portare laputtina a cavallo per la terra. Niccolô a tant de chevaux que le foin de Fer- rare n'y peut suffire; Borso en tient sept cents dans ses écuries; on ne compte plus ceux d'Hercule, et c'est à Lionel que Leone-Battista Alberti dédie son traité De equo animante.

Si les sentiments sont suaves, les appétits sont énormes; aux noces du prince Alphonse, on mange 45.101 livres de viande. Si l'apparence est splendide, le fond demeure rural et grossier. La cour qui couche dans des draps rongés par les hôtes, achète du linge d'occasion, paie dix livres sa blanchisseuse pour une année-*, n'accorde à ses pages aux aiguillettes de soie

{. « Lo III"'° et Ex. S. nosfro fa notificare a qualiinque persona di qiialuiique borpo délia città di Ferrara che si li piaxe de inandare le soe piite de aiini XII in suxo a correr el palio doinane insieme cuin altre pute lioneste e da bene, la sua Stgnoria farà donare alla prima el palio e a le altre 15 prime... pif,'nolato iiuovo per une guarnello. »

2. « Speroiù recunzadi, sonao;!!. zeli da sparviero. guanti da camoscia, scarpe da zugare la palla. » (Gandini, Sagr/io der/li usi, op. c.)

3. « Andriola lavandara de liavere a di xviij de dixembre lire diexe

II 23

3j4 le ulattrocemo

cramoisie qu'un peigne en bois, une brosse et un seau de cuivre pour tout instrument de toilette. Au début du siècle, un escalier mène des salons aux écuries et à la chambre des farines. Lorsqu'un bote de marque est annoncé, la crasse est telle que l'on doit acheter quatre éponges pour nettoyer le palais.

Les passions sont sauvages, les crimes constants, les férocités quotidiennes. Il reste du sang aux doigts chargés de bagues; les sous-sols du palais, l'on syl- logise d'amour, regorgent de prisonniers; à tout coup, on applique la torture : on supplicie, on crève les yeux, on écartèle; les chevaux fouettés par les gamins déchiquètent la victime humaine, et les quatre moi- gnons sanglants, dressés sur les quatre portes, restent à pourrir au soleil.

On sent la race campagnarde, fraiche, forte, riche de chair et de muscles, moins décrottée du moyen âge qu'autre part, proche la nature et le passé, admirable- ment ingénue, nullement compliquée, et goûtant deî concert, dans les belles salles, les beaux jardins et' les vastes horizons, la joie naturelle d'exister.

H

Lue telle société ne parle pas latin. Le latin est la] langue des solitudes laborieuses ou des académies érudites, non des nobles compagnies de cavaliers et de dames réunies pour leur plaisir.

Kvidemment que le latin est une grâce bien portée, 1 et qu'il sied aux margelles des fontaines, aux manches des habits, aux e.xergues des médailles de Sperandio'. Depuis que le vieux Guarino a fondé son école et quelei prince Lionel a donné l'exemple délicat de composer^

de rnan-li. pcr sim tnercctJc de liavore facto biancho più pani cli lino^ zoc! If^nzoji ed «lire cosc do la Kx*. del N. S. in tutu (|uesto anno. »

1. Sur la ciiitiire de Ferrare, voir G. Carducci, Lu (/iovenlk di LodQ;\ vico Arioslo, Uoloffnc, 1891.

LA RENAISSANCE A FERRARE 355

des (lisliqiu's, les poMes latins sont aussi nombreux à Ferrare, dit Bartolommeo Prignani, (jue « les grenouilles de ses marais'»; et autour du vieux Tito Vespasiano Strozzi, dont nous avons salué le talent, Krcole Strozzi, Fino Vïm, Francesco Ariosto, Malatesta Ariosto, Lodo- vico Pittori, Lodovico Carbone, Gaspare Tribraco, Otta- viano de Fano s'acquittent de roffice obligé de parer do latin la vie de la cour. L'Université est garnie de maîtres réputés en grec et en latin, propres à attirer les jeunes gens àFerraro, et à témoigner que le duché n'est pas un Etat de sauvages^. La Bibliothèque contient un Dion Cassius que ne possède pas Laurent le Magni- fique et qu'il est beau de lui refuser : a Nous vous dirons, lui ré|)ond Hercule d'Fste, que quasi chaque jour nous le lisons et pi'enons grand plaisir de telle lecture '. » Pandolfo Gollenuccio, Niccolù Leoniceno., BattistaGuarini sont des latinistes excellents. Mais, s'il y a une tradition savante, C(;lte tradition n'a pas con- fisqué la culture ''.

Déjà le successeur immédiat du prince Lionel n'entend pas le latin. « La fortune, ennemie de tout homme vertueux, écrit à Borso d'Esté Carlo da San- Sorzo, n'a pas voulu ajouter à tes autres ornements l'ornement des lettres^. » Si, dans sa garde-robe, plongée en un tel désordre, che ne veneria compassion al diavolo, Hercule d'Esté garde, parmi ses bréviaires, ses romans, ses livres de médecine pour chevaux.,

1. «... Tôt Ferrara vales

Quoi ranas telliis ferrariensis habet. »

2. Sur rUniversité de Ferrare, voir F. Borsetti, Hisloria almi Ferrariae Gi/mnasii, Ferrare, 173.").

3. « Ve (liroino che nui quasi ogni die il legemo e çigliamo piacere assai de laie lectione. » (Luzio-Renier, Coltura e relazioni letteraried'Isa- bella (fEsle, Giorn. stor. Turin, 189!).)

4. Lodovico Carbone peut se plaindre du mépris sont tenus les humanistes :

« Nunc et pecudes doctos homines conteninunt ! »

3. « La fortuna niniica de ogni virtuoso huomo non ha voluto a U aUri tuoi singulari ornamenti adjungere fornamento délie lettere. » (Coiif/iura coittro il tluca Borso d'Esté. Atli e Meui. per le prov. mod- e parm. Parme, 1864, p. 377.)

356 LE QUATTROCENTO

quelques auteurs anciens, ces auteurs, à commencer par le fameux Dion Cassius, sont traduits'. Lcone- Battista Alberii adresse à Ferrare ses premiers essais de restauration de l'italien. Pandolfo Collenuccio doit, à Ferrare, employer l'italien pour écrire ses dialogues et son Compendio délia storia del Regno di Napoli, alors que la dignité de la matière réclame le latin, la dif/nità délia materia pare che lo richieda. Et c'est à Ferrare qu'un podestat requis d'envoyer quelque part un acci- pitreni bene ligatum in sacculo, au lieu d'un épcrvier, mande à l'endroit dit un archiprêtre dans un sac"^. « Le dialecte ferrarais, écrivait Polismagna, n'a pas moins d'élégance que tout aulre parler italien. » Il ajoutait : (' Je sais que tu es Ferrarais, et moi je suis Ferrarais, et Ferrare nous a élevés, produits et vus grandir, et pour cette raison, je ne saurais appliquer ma langue à rien aulre qu'à l'idiome ferrarais -^ » Aussi bien, Fer- rare ne retourne pas à l'italien comme Florence, mais le garde, et ne retient de l'humanisme qu'une dévotion plus grande pour la toute puissance, toute majesté et toute nécessité des lettres.

Si se tenir droit en selle, conduire une meute, s'es- crimer de l'espadon, courir sus au sanglier ou à l'ennemi constituent la première des affaires, les lettres ne sont pas superflues. Elles font partie de cet héritage de bienséance qu'un gentilhomme accompli doit posséder. -Elles sont agrément, ornement et gentillesse. Elles sont courtoisie et jolie chose. Elles sont souhaitables et désirables comme un mors de pierreries ou un hanap d'argent ciselé avec enfants et couronne. La bonne tenue, la renommée, la gloire de la maison réclament

1. Pour Ferrare, Niccolô Leoniceno, traduit Procope; Niccolô da Loni^o, Arricn, Oiodore et Biondo ; Flavio lUondo, Anitnianu.s Marcel- linu» ; I>(»dovico (laibonc. Oiiosaiidre Strate^icus, etc., el<-.

2. A. Solerti, At. e Mem. per le prov. di Honiagna, x, 191.

3. " lo scio che tu sei Ferrarese; et io Ferrarese ; et Fcrrara. inclita città de Italia ne ha produoti. alcvati e arresciuti, e perù non sajuvii io adriciare la linjfua se non al Ferrare.se idioina. » (A. Venliiri. L'Arte a Ferrare net j/criodo di Horsu U'Jîsle, Turin, 188(i.)

LA RENAISSANCE A FERRAKE 357

leur luxe obligé. II en faut aux festivités heureuses qui épantlout des octaves parmi les roses, aux cortèges de Nymphes chasseresses qui ofl'renlaux hôtes des rimes avec des pièces de gibier, aux réunions triomphales qui honorent les visiteurs illustres de harangues magni- logucs et de mythologies apprêtées ; il en faut pour les banquets dont les services sont introduits par des dieux de l'Olympe et les intervalles charmés par des histoires; pour les tournois dont les exploits de force sont par- fois préfacés par une dispute de poésie; pour les estrades dressées le long des processions, des scènes dramatiques se jouent ou se miment; il en faut dans les spectacles de gala, oii quelque fable ou comédie sert d'occasion aux intermèdes, ballets, musiques, danses, pantomimes et machinerie ingénieuses. Et Fer- rare entretient des poètes, des novellie?'i, des canta- storir, comme elle entretient des peintres, des musi- ciens, des brodeurs, des tapissiers, des mimes et des bouffons.

Bizarre petit groupe littéraire que celui-ci, allant du noble comte de Correggio (1450-1508), beau, riche, gracieux, arbitre de toute élégance et maître de toute vénusté, au pauvre domestique Antonio Cammelli (1440-1510), relégué avec les estaiiers et les esclaves à l'oflice, il mange sur une nappe trouée <( du pain qui a des poils et de la vache qui semble du cuir», et cela en passant par le chante-histoires Francesco Cieco, qui, quoi([u'aveugle et portant son infirmité inscrite sur son front, et n'apercevant, « ni lumière, ni horloge, ni étoile », et contraint par la pauvreté, qui lui enlève « la hardiesse et le talent*, » a mendicart' le sue spese^ n'en est pas moins le premier des chante-histoires.

Bardes nomades, latinistes en rupture de ban, grands seigneurs dilettante, fonctionnaires lettrés, subalternes de talent, serviteurs de cour propres à tous les offices;

1. « Da un canto ho povertà ch'ognor mi sprona

E elle lui toi l'ardir, l'ingegno e i'arte. »

3S8 LE QUATTROCENTO

et poètes lauréats, poètes chevaliers, poètes « avec les éperons », ilonl, à Milan, le Belliricioni peut sourire. Pandolfo Collenuccio de Pesaro (1444-1504) ; Jacopo Gaviceo de Parme (1443-1511); Sabbadino degli Aricnli de Bologne {f 1510); Antonio Goruazzano de Plaisance {■jr 1500); Niccolo Lelio Cosmico de Padoue (f 1500 1. Et Antonio Tèbaldeo de Ferrare (1463-1537).

Comme ils viennent de tous les pays, ils apparliennont à tous les mondes. Gaviceo est un prêtre qui a mené l'existence la plus romanesque. Collenuccio est un magistrat qui a été chargé de tontes les ambassades. Et Cammelli, qu'on dit le Pistoiade sa ville de Pisloie, est un esprit burlesque à cheval sur une haridelle de misère. Cosmico et Tèbaldeo ont servi dans les cours : Gornazzano chez les Golleoni et les Sforze; Arienti chez le Benlivoglio. Et comme ils appartiennent à tous les mondes, ils remplissent à Ferrare tous les emplois; Gaviceo celui de vicaire général, Collenuccio celui de capitaine ducal et de maître de philosophie et mathé- matique à l'Université, Cammelli celui de capitaine de porte à Reggio, Gornazzano celui de camérier, Arienti celui de factotum, Cosmico et Tèbaldeo celui de pré- cepteurs des princes. Us savent le beau latin comme Collenuccio, ou ils savent tout juste leur rudiment comme les chante-histoires nomades qu'on récompense d'un habit de drap vert ou d'un manteau d'agneau avec les chausses. Ils sont î\ demeure ou /le passage, ils sont de toute condition, de toute origine et de toute culture. Mais une lâche unique leur incombe : celle de distraire, divertir et honorei- la belle compagnie de la cour.

On est à table. Voici sept heures, voici liuit heures qu'on est à table, assis en quehju'un de ces gigan- tesques repas (ju'il est d'usage d'onVir aux hôtes illustres. Les bateleurs, les mimes, les runamliules ont accompli leurs tours d'adresse ou de grâce. Les maîtres de cha- pelle ont exécuté leurs musifjnes les plus choisies. Les boii(To!!s s<'soiil ae(|iiillés de (|iiel(jii(; farce iin|)iiyable,

LA RENAISSANCE A FERRA RE 359

comme de s'aviser de courir sur les nappes en renver- sant les écuelles. Ci^pendant il y a encore à manger. Alors un chante-histoires se lève. Il « dit en rimes ». Il « chante en fête ». Et Francesco Gieco régale l'as- sistance de quelque chapitre de son Mambrinno. Magni- fique histoire, remplie de doctrine, de talent et de novellette charmantes ! On y voit comment Mambriano, roi de Bythinic, déclare la guerre à Rinaldo, comment Hinaldo est enchaîné dans Tile de Montefaggio par la magicienne Carrandina, comment Hinaldo assiège Mon- talbano, puis se soumet à Carlomagno, j)uis épouse Carrandina. On y voit les singulières prouesses d'Or- lando et d'Astolfo, partis en Afrique à la recherche de Rinaldo. On y voit comment ils tuent le roi Meante, comment ils se battent avec les Garamanti, comment ils assistent renchanteresse Fulvia. Et c'est le pèleri- nage d'Orlando à San-Giacomo di Compostella, et les enchantements de la fée Uriella, et lés ruses de Mala- gigi, et le jeune Ivonetto, fils de Hinaldo, et le vieux Pinamonte, amoureux de Bradamante, et toutes ces choses intéressantes! Soudain le silence s'est fait. On écoute bouche bée. Et l'épisode fini, on est prêt à attaquer un nouveau quartier de venaison ou une nouvelle sucrerie.

Le théâtre est préparé. Dans un jardin de villa, ou dans un cortile de palais, ou dans quelque vaste et belle salle à ce aménagée, parée de branches de ver- dures, tendue d'étotTes claires, rehaussée d'armoiries peintes, la scène se dresse. Cinq mille spectateurs s'y massent en une assemblée somptueuse. Pour les diver- tir, les comédies de Plante et de Térence sont de saison. Alors Pandolfo Collenuccio traduit Y Amphijtrion ; Bat- tista Guarini traduit VAidularia et les Mènechmes ; Cornazzano, le Cfuridius^ Girolamo Berardi, la Casina et la Moa/eUaria; d'autres, le Tri/n/mmus, le Pemi/us, VEunitqueK Et, quand on ne sait plus quoi traduire,

i. Kn I'i87, pour les noces de Lucrezia d'Esté, on représente Amp/uj-

360 LE QUATTROCENTO

on invente et tire des vieilles fables, des nouvelles d'autrefois et même des livres saints, quelque galante représentation. Ferrare reprend à Mantoue la 7^^«ô;//rtû('0;'- feo de Politien, qu'elle amplifie, divise en cinq actes et intitule Orphei Tragedia. En 1487, le comte Correggio, s'inspirant d'Ovide et du joli récit de Géphale et de Procris, élabore son « histoire, ou fable, ou comédie, ou tragédie de Gefalo », qui enseignera aux femmes « à n'être point jalouses de leurs maris ». Gracieuse fantai- sie, faite de canzoni, d'octaves et de terzines, divisée en cinq actes et ornée d'un prologue, se passant sur un chemin, dans une maison et dans un coin de bois, et exposant la fidélité de Gefalo à sa femme Procris, la jalousie, la mort, la résurrection de Gefalo, le tout entre- mêlé de ballets de nymphes, de chœurs de danses, de l'idylle amoureuse de deux bergers, d'un dialogue co- mique entre une servante et un faune, de pas grotesques et de musiques suaves. En 1491, un inconnu tire de la Novella de Leonora de Hardi e d'Ippolita de' Buondel- monti, qui court les rues de Florence, une représenta- tion dramatique. En 1499, le Pistoia adresse à Isabelle d'Esté sa tragédie en terzines de P«/i/?/a, qu'il emprunte à la nouvelle de Boccace de Guiscardo et Ghismonda, sauf que ïancrède s'appelle Démétrius, Ghismonda Panfila, Guiscardo Filostrato, que le prologue est pro- noncé par Sénéque, qu'il y a des discours, des lamen- tations et de l'éloquence. Et, en 15U4, PandolloGollenuc- cio trouve dans la Bible matière à la Comédie de Jacob et de Josef, dont la représentation dure deux jours et qui montre une grande doctrine. Ges spectacles érudits

trion ; en 1491, pour les noces d'Alphonse d'Rste, les Ménechmes, VAnrtria, Ainnhi/trion ; en 1493, pour le séjour de Béatrice d'Esté et de Ludovic le More, les Ménechmes ; en 1499, VliiniiK/ui', le Trinummus, le Penulus; en 1501, les ('nplifs, le Mercatur, VAsinnria, Y Eunuque ; en l.'J02, pour les noces d'Alphonse d'Kste et de Lucrèce lJorf,'iii, on représente, en «-inq iours, cinq comédies de Piaule ; VEpidicus, le Hacchide.1, le Miles oluriosun, ÏAsinfiriti et la CassiTia. Voir Luzio- Renier, Commedie cla-tsic/ie in Ferrarti, on. c. V. Russi, Commedie cloMsir/te in Gnzzuolo, Giorn. stor. Turin, 1889, p. 310. D'Ancona, Le origini del tealro ilaliano, op. c. II, p 136.

LA RENAISSANCE A FERRARE 361

sont d'autant mieux venus qu'ils sont encadrés ou qu'ils encadrent des divertissements, des intermèdes, des pan- tomimes et des concerts. Et les poètes sont bons pour les imaginer.

Non que les poètes n'aient aussi à intervenir dans le train ordinaire de la vie. L'illustre famille des Este, qu'on n'aura jamais assez honorée, et le notaire Ugo Caleflini, a rimé la chronique de sa maison, et Arienti a chanté ses noces, et Cornazzano a placé le vieux duc Borso au sommet d'une galerie de person- nages illustres ([ui va de Noé et Charlcmagne à Mithri- date et Virgile, est réunie pour le plaisir dans une salle de villa ou de palais. On a joué aux échecs ou au tarot. On a lu à haute voix un chapitre de roman de chevalerie ou une scène de comédie ancienne. M"" Eléonora a touché de la harpe; s'accompagnant de la viole, le duc a chanté avec son chapelain un motet ou une chanson française ; avant que Vave sonne à l'église voisine et que la compagnie tombe à genoux, quelques instants demeurent libres. Alors, pour char- mer et remplir ces loisirs, pour chasser l'ennui maus- sade et tenir le sourire en éveil, les beaux esprits s'ingénient.

Et ce sont les tendres suavités qu'apportent aux dames les poètes à éperons : Niccolo Lelio Cosmico,qui leur chante des ca7izonette ; Anionio Tebaldeo, qui leur improvise des madrigaux ; le comte de Correggio sur- tout, dont le canzonière n'est proprement composé que « pour le luth de la marquise». Car les dames veulent être singulièrement courtisées. Sabbadino degli Arienti et le moine Filippo Foresti de Bergame le savaient bien, eux qui écrivirent les biographies des plus fameuses d'entre elles. Et Cornazzano est homme à dédier à des princesses un traité de la danse ou un traité sur la façon de gouverner et régner.

Et ce sont les délicates nouvelles, les aventures char- mantes, les contps heureux et amoureux, qui reposent

362 LE QUATTROCENTO

dos longues histoires de France et de Bretagne. Telles les Porrettane do Sabbadino degli Arienti et tel le Peregrino de Jacopo Gaviceo.

Voici, dans les « nouvelles narratrices» des Porret- tane, que Sabbadino a dédidcs, en it78, à Hercule d'Esté, « duc invincible de Ferrare, son compère, seigneur et bienfaiteur pieux », il s'agit précisément « d'une très noble et gracieuse compagnie d'hommes et de dames »,qui, pour fuir la peste, s'est réunie aux bains de la Porretla dans l'Apennin et passe les chaudes après-midi d'été à se conter des histoires. Le décor est suave : « un petit pré revôtu d'berbes odorantes et <reint de feuillagesetd'arbustesombreux », d'une paisible colline des rives du Reno. La société est choisie : princes, gentilshommes, maîtres d'humanité, nourris- sons des muses, et gracieuses dames, étendus en groupes resplendissants sur les tapis de Chypre qu'ont disposés les valets. Et le propos est à l'avenant : il est de « plaisants et âpres cas d'amour, et autres événe- ments, aussi bien arrivés dans les temps modernes que dans les temps antiques^ ». Chacun, à tour de rôle, dit ce qu'il sait, une aventure comique comme celle de Giovanni Meldina se soulageant dans les bottes de son barbier, un conte de nourrice comme celui du petit Bentivoglio, une histoire de moine faiseur d'oreilles, ou une belle histoire très triste d'amants fidèles et malheureux. La question est posée de savoir qui se monira seigneur plus magnanime, de Philippe-iMarie Visconti pardonnant à Alphonse d'Aragon ou d'Octa- vien panlonnaut \\ Ilérode. Un théologien platonique y déliuit la nalurcî de l'àme, si subtile que nos savants la dénommèrent <?Ay)/*/7, c'est-à-dire» vent^ en grec aneiuo^. El après chaque récit, dont ou a tiré aimablement la moralité, on danse, on chante, on s'abiiiidoiine à de <' doux parlements», tellement qn'aulour les poissons

\. « l'iaccvoli e a«pri casi d'ainore, e altri adveniiiienti cosi noi modenii eiiipi rotiK; negli antichi aveniili. n

I

LA RENAISSANCE A FKRRARE 363

sautent tlu Rcno comme pour venir se repaître d'aussi ffracicux discours K

Et voici, dans son petit roman de Peregrino, Caviceo décrit les aventures, voyages, vicissitudes, errements et prisons de Percgrino, jeune cavalier de Modène, et ses amours avec une jeune dame de Ferrare, dont le nom, Gonevera, signifie exactement « mère, génératrice de toute chose humaine créée». Quoi de ])lus seyant, de mieux imaginé et de mieux propre à divertir que cette histoire galante? 11 faut voir Genevera, lorsque, sous l'image de la Madone, elle prie à l'église, ou que, •dans son palais, elle distribue les aumônes, ou qu'au bord d'un tleuve elle assiste à une poche avec ses gra- cieuses compagnes, ou qu elle veille son frère tué en -duel, ou qu'elle chante sur le monocorde la délicate canzone : Vedo quel sole che iVogni tempo luce ! Et les pèlerinages à travers le Levant, je Ponent de Peregrino avec Achate ! Et sa descente aux enfers avec le moine Anselme! Et sa visite aux Champs-Elysées où, parmi les myrtes et autour de l'autel désert du dieu Amour, errent les ombres augustes des vieux marquis de Fer- rare ! Et la reconnaissance des deux amants à lia- venne ! Et leurs noces triomphales! Et leur mort pré- maturée, si agréablement triste !

Et avec les sonnets, les madrigaux, les nouvelles •d'amour, ce sont les facéties : celles des boulfons et des histrions, et celle d'Antonio (^.ammelli, dit le Pistoia, qui apporte de son pays la poésie burchiellesque dans le duché. Pauvre lamélique, laid comme un homme qui n'a pas d'argent, haut de deux doigts sur jambes, aussi droit que vigne enroulée au rameau, regardant avec un de ses pieds août et, avec l'autre, septembre, le visage tout coloré par la nuit ! Néanmoins, et encore que, sans abri, il soit plus malheureux que les pots de chambre qui ont uu couvercle, il plaisante, ilimant par jeu Faccio cose da giuoco ! avoue-t-il il met

1. «Gomese fussono venutiacibarsidellasciaavità dclgraliosoparlare.»!

364 LE QUATTROCENTO

en sonnets comiques sa misère, grimace sa plainte, tire la langue pour amuser. Il montre ses souliers troués, son manteau en loques, sa maison branlante, son lit vermoulu, son cheval repu de rosée. Il parodie la poésie paysanne, querelle les juges, les usuriers, les mangia- popoli; décrit les femmes d'Italie, de vieilles rosses, des trognes d'ivrognes, le « mal français » dont il mourra et dont il brosse des tableaux risibles. Il se moque des bouffons de Mantoue, injurie les poètes ses rivaux, se déchaîne contre un capitaine de Ferrare. Et quelquefois, n'en pouvant plus, il pleure pour de bon à gros sanglots ^ Alors on s'imagine les rires!

Telle la littérature de Ferrare, éclose entre les sou- rires des femmes, les musiques des violes et les myrtes des jardins.

Si on l'examine au point de vue littéraire, il faut avouer qu'elle est de qualité inférieure. Elle n'offre d'autre intérêt que celui de la matière qu'on gâche avant de réussir le chef-d'œuvre ; elle est chaotique et hybride, comme le groupe d'occasion dont elle émane; elle pille adroite et à gauche les biens les plus divers dont elle n'arrive pas à faire un trésor; elle juxtapose plus qu'elle n'accorde les éléments chevaleresque, bour-

1. « Codro non senti mai si gran tormento,

0 vero Erisilon, quanto sent'io D'estrenia povertà, car signor mio, Che appena d'esser nato io son contento.

Nemico ali'oro ed in odio alTargento, Che nialedetto sia il niio destin rio, Jove Apollo Cailiope e Clio Lor foraa lor potere e lor momento 1

Chi compra spade o roba milanese : Ed io spenilo di di corne di notte, E seconde l'entrata fo le spese.

In caniara in cucina od aile botte Consunio il tempo, ed alla fin del mese Avanzo nulla, ed lie le scarpe rotle.

(]hi giiioca cotnpra o fotte, Erl io rnho visto a tanlo cstremo ci'ulere Che non mi trovo pur dinar per radere. »

Rime di Antonio Cammelli, pub. par A. Cappelli et S. Ferrari, Livourne, 1884, p. 18.

LA RENAISSANCE A FERRARE 365

geois et classique, dont elle tire une maigre vie d'aven- ture et d'emprunt ; elle ne crée pas, elle répète ; elle ne sait pas digérer la lourde antiquité de maître d'école qu'elle étale à tout propos comme hors de propos, et plus on en met, plus c'est beau. En vain Francesco Cieco fait-il descendre, au début de ses chants et au milieu de ses combats, les belles divinités de l'Olympe ; et le Pis- toia et le comte de Gorreggio prétendent-ils aux trois unités dans leurs pièces qui ont des chœurs ; etPandolfo Collenucciovise-t-ilà l'éloquence, et JaccopoGaviceoa-t-il lu l'/s'/im/*?, la Renaissance n'est pas accomplie. Tout au plus s'essaie-t-elle a devenir. Et ni le roman du Mani- briano, qui en dépit de quelques épisodes heureux, de deux ou trois facéties amusantes et d'un personnage, Astolfo, vivementdessiné, reste un fouillis ; ni les traduc- tions de Comédies latines, qui diluent en une masse d'oc- taves l'esprit rapide et brillantdes Plante et dcsTérence ; ni la Comédie de Jacob et Joseph de CoUenuccio, qui vou- draitêtre littéraire; ni la fable de Cefalode Correggio, qui a le tort de venir dix-sept ans après la fable d'Orfeo de Politien ; ni le Porrettane^ qui {miianiXa Dècaméron ;m le Peregî'ino, qui imite le Filocopo ; ni les canzonières, qui imitent Pétrarque, ne sont des œuvres personnelles, originales, douées d'une existence propre. Seul le Pis- toia, qui imite Burchiello, le ferait-il oublier et annon- cerait-il le Berni. Mais le Pistoia est le pauvre diable qu'on laisse à la cuisine.

Et pourtant cette littérature, dans son état de devenir, encore informe, encore en germe, a son geste. Elle a sa nuance et son accent. Elle indique une tendance et revendique une forme d'esprit. Manifestation de la belle vie vécue ensemble dans les richesses et dans la paix, elle porte à son front un air de fête. Elle montre une robe de gala. Elle marche au milieu'des hommages, des orillammes et des bruits d'instruments ; et, loin des réalités trop méchantes, des solitudes trop moroses, et des efforts trop laborieux, elle sourit. Elle ne conçoit

366 LE QUATTROCENTO

l'art que comme art d'agrément; elle transforme le talent en talent de société, et elle destine l'érudition à décorer des chars de triomphe et à enrichir le pro- gramme des spectacles. Elle ne sollicite pas le goût, comme elle ne s'adresse pas à la culture, elle sert les loisirs d'un peuple vêtu de brocarts et de bijoux, qui n'a que faire des archéologies, théologies, grammaires, morales, histoires et leçons, mais qui, réuni dans la joie et pour la joie, demande à ôtre amusé. Elle Famuse. Elle lui verse un plaisir sain, simple et puéril, qui ne présente rien de trop littéraire et de trop savant ; elle ne l'intéresse point par la forme, mais par l'histoire; elle lui procure une distraction qui vaut les autres dis- tractions prises en commun. Ainsi faile, orale, mon- daine et romanesque, elle est une fleur de luxe, une créature de joie, une source de jeu.

Alors vienne quelqu'un qui, conscient de cet esprit, le dresse jusqu'à l'œuvre d'art, Ferrare aura trouvé son expression littéraire.

Au Quattrocento, elle la trouva chez Boïardo.

III

Matteo-Maria Boïardo n'est pas un cuistre, un pédant,, un homme de lettres : c'est un gentilhomme.

il est en 143i- à Scandiano, fief de Ferrare, châ- teau et place forte, qui a une tour carrée d'où l'on voit le paysage et l'ennemi, des loggias, des pêcheries, et que Venise accuse de receler des faux monnayeurs ; il est d'une ancienne famille féodale qui compte plusieurs assassins et forbans; les siens veulent l'iunpoisonner; et son oncle maternel est le délicat poète latin Tilo- Vespasiano Slrozzi.

Sans doute (in'cnfant on lui a appris le latin, les humanités, les mythologies, et lui-même a laissé des compositions de bon élùve qui en l'ont [)reuve; ou

I

LA RENAISSANCE A FKliUAHI:; 367

lui a surtout appris à porter son nom, à tenir son rang, à se conduire dans le monde. Et si, en liOU, on eût demandé à ce jeune gentilhomme bien en santé, qui venait de i)erdre son oncle Feltrino, qui, depuis neuf ans, avait perdu son père Giovanni, par conséquent, chef de sa famille et maître de son destin, ce qu'il était, il aurait répondu avec lierté qu'il était comte deScandiano, et cela eût suffi. Il fait partie de la suite des Este, et, comme tel, se porte à la rencontre de l'empereur Fré- déric 111 en 1469, accompagne Borso à Rome en 1471, va chercher la fiancée d'Hercule à Naples en 1473; suzerain de Scandiano, de ïorricella,de Gesso,d'Arceto,. il a des hommes à conduire, des droits à percevoir, des biens à exploiter; il est seigneur et vit en seigneur. Aussi bien n'est-ce pas dans une bibliothèque qu'il convient d'évoquer sa silhouette de haute mine, mais à cheval, comme il s'est présenté à la cour du Pape, à la tôte de six de ses sujets vôtus d'écarlate. 11 sait que les armes sont le premier honneur de l'homme, et « qu'il ne convient pas à yeiililczza de rester tout le jour sur des livres à penser ^ »>. En même temps il sait que celui qui écoule sa vie dans les écuries et les chenils, sans doctrine et sans lecture, est un rustre « pire qu'une pierre, qu'un bœuf, qu'une poutre-' ». Matteo-Maria Boïardo, trop courtois pour être un érudit, est trop gentilhomme pour ôtre un illettré.

Ferrare, dont son fief de Scandiano relève, et lui- même a fait de nombreux séjours, lui représente le monde. Ses bastions, ses palais, son théâtre, sa bibliothèque, ses jardins ferment l'horizon de sa vue et déterminent le format de son esprit. Il ne vit que pour la cour. L'histoire de sa vie se confond avec l'histoire

1. « mi par che convennfa a gentilezza Star tutto il giorno ne' libri a pensare. »

{Orlando innainorato, 1, XVIII, 43.)

2. « Ed é siniile a un bove, a un sasso, a un legno, Chi non pensa a l'eterno creatore;

Ne ben si puù pensar, senza dottrina. . . »

(/o., 44.)

368 LE QUATTROCENTO

de la cour. Ses lettres privées, faites de rapports et de comptes-rendus, ressemblent à des papiers publics ' En 1481, il est nommé capitaine ducal de Modène. en 1487, il est nommé gouverneur de Reggio; et au nom du très magnifique duc Hercule, son maître, il rend la justice, prélève les impôts, applique la torture, témoignant d'une conscience rectiligne, se comportant <( en homme véridique et amateur de paix ». Mais il ne doit pas seulement servir la cour dans les affaires, il la doit servir dans le plaisir; il n'a pas que l'obligation d'être utile, il a l'obligation d'être gracieux; et c'est pour l'agrément de Ferrare qu'à ses heures perdues il écrit, rime et chante, comme, tout à l'heure, c'était pour la bonne économie de Ferrare qu'il accommodait des litiges et expédiait des procès. Il exalte et magni- fie les Este en des poèmes latins, en des églogues latines, en une chronique qu'il donne pour la traduction de y Istoria impériale du Ferrarais Ricobaldo'; il décrit, sous le voile de l'allégorie, les faits de la guerre de Venise et de Ferrare en cinq Eglogues rimées en ter- zines; il inscrit d'autres terzines sur les cartes de tarot de la cour^; pour la bibliothèque de la cour, qui aime les classiques vulgarisés, il traduit du latin Y Ane dor d'Apulée et les Vies de Cornélius Nepos, il traduit du grec, quoique, fort vraisemblablement, il l'ignore, les Histoires d'Hérodote, la Cijropédie de Xénophon, Y Ane de Lucien'*; pour le théâtre de la cour, il arrange en cinq actes et traduit en terzines le Timon de Lucien ; et, pour la distraction de la cour, il racontera, « en chantant », la belle histoire de son Orlando innamorato. L'œuvre de l'homme et l'œuvre de l'écrivain se rejoignent; elles constituent toutes deux le service d'un loyal sujet.

1. Leltere édite e ineUUa, dans Sludi su Malleo Maria lioiardo, Bologne, 1894, p. :»47.

2. (;. Antolini, Mnlteo Maria lioiardo alorico, Studi, p. 309. n. H. Henier, Tarocihi di Malien Maria Boiardo, Sluai, p. 229. 4. G. Tiucani, Malleo Maria lioiardo '^-adullore, Sludi, p. 261.

LA RENAISSANCE A FERRA RK 369

Une seule aventure a traversé sa vie : l'amour. On a dit qu'il élait à Scandiano, en 14-34. Nous n'en sommes pas surs. Nous savons positivement, au con- traire, qu'il tomba amoureux à Reggio, le 4 avril 1469. Ce jour-là, le jeune comte a connu une jeune liile de dix-huit ans, nommée Antonia Gaprara, dans la splendeur d'une fête. « Amour pleuvait de tous les cieux sur la terre et réjouissait les âmes charmantes... et l'on voyait les jeunes hommes hardis, sans mépris et sans guerre, jouter en tous lieux. Et l'on voyait les femmes en fête, en allégresse, en jeu, en rondes gra- cieuses et douces chansons. Rien que des amants allègres, une société jolie, un festoiement heureux. Jamais auparavant cette belle cité ne fut aussi lleurie, et plus jamais, que je croie, elle ne le sera autant'. «

Jouant « à un jeu » avec Antonia Gaprara, il en est tombé incontinent amoureux, et de cet amour véri- table et aident est un canzonière ; car, si c'est la poésie qui a rendu Laurent de Médicis amoureux, c'est l'amour (jui a rendu Matleo-Maria Boïardo poète '-. D'abord heureux et superbe, exultant du triomphe, dans l'épanouissement du bonheur; puis délaissé et délaissé pour un autre, et alors tordu de désespoir, prompt aux iniprc-cations, supplicié aux épines de la jalousie ; enlin résigné, éprouvant cette douceur Irislc d'aimer qui ne vous aime, et trouvant la consolation finale dans l'immense pitié de Dieu, tel justement le

1. «■ Piovea da tutti e cieli Amore in terra E ralegrava l'anime gentili Spirando in ogni parte dolcie foco

E i giovanetti arditi e i cor virili,

Sanza aicun sdegno e sanza alcuna guerra

Armegiar si vedean per ogni loco ;

Le donne in lesta, in alegreza, in gioco,

In danze peregrine, in dolci canti ;

Per liitlu leti amanti

Zente lezadre, e festegiar giocondo.

Non sarà più (ciie io creda) e non fu avanti

Fiorita tanto questa aima cittade. »

(P. 207.)

2. Le poésie voli/ari e lutine di Matleo Maria Bolanlo, publiées par A. Solerti, Bologne, 18"J4.

II. 24

370 LE QUATTROCENTO

jeune gentilhomme dans les trois étapes de sa passion et dans les trois livres de son canzonière. C'est un amour du temps qui s'exprime dans un livre du temps et s'inspire sans doute de Pétrarque. Mais il y a plus. Antonia n'est pas seulement la Laure de Vaucluse et la Lesbie de Catulle, elle est avant tout elle, c'est-à-dire une jeune fille un peu coquette, qui aima être aimée, sourit une minute et fit pleurer deux ans. La passion du poète va au-delà des réminiscences d'école. Elle se passe au profond d'un cœur, dans l'intimité drama- tique d'une conscience. Du jour oià la barque, qui porte la vie heureuse de l'amant, « passe, d'ivoire et d'or et de coraux ourdie'» jusqu'à l'époque lamentable où, mûr pour le suicide, il tombe à genoux devant le Roi des étoiles et lui demande pardon en pleurant, c'est tout le développement saignant et poignant d'un senti- ment vécu qu'il nous donne; et que si, imitant l'exemple d'Antonia Caprara, Malteo Maria Boïardo se maria en 1471 avec ïaddea Gonzaga des comtes de Novellara et en eut six enfants, il gardera toute sa vie le souvenir ému de cet épisode de jeunesse, qui lui inspire cinq charmantes Eglogues en vulgaire et l'aide à créer Angélique.

Taillé de la sorte, poli par le commerce des antiques, créé poète par l'amour, brave gentilhomme et hardi cavalier, le comte Matteo-Maria pouvait s'attaquer à son œuvre maîtresse : VOrlando innamorato.

11 est probable que Pulci et Boïardo se sont ignorés; ils se seraient connus que leurs poèmes n'auraient pas différé : ils sont placés aux antipodes. Pulci, s'adressant à une cour lettrée à l'excès, lui donne un plaisir de litté'- rature ; Boïardo, s'adressant à une cour chevaleresque lui raconte une histoire qui lui plaît. Chez Pulci,

1. « De avorio e d'oro e de corali ë ordita La navicella chc mia vita porta. »

(l>. 23.)

2. (1. Mazzoni. Af Ecloqlu' valfjari e il Timnne tli Matteo Maria lioiardo, Htiifii, p. 221.

LA RENAISSANCE A FEKBARE 371

c'est la forme qui importe; chez Boïardo, c'est le fond.

Les héros de Boïardo sont ceux-là mômes de Pulci : Orlando, Rinaldo, Astoifo, Ulivieri, Turpino, Carlo- magno ; seulement, au lieu de se comporter comme des garçons de Florence, ils agissent comme des seigneurs de Ferrare. On aurait contrislé les Pio de Garpi, les Sforza de Pesaro, les Niccolô de Gorreggio, les Gonzaga de Novellara, les Pico de Mirandola, en allant ramasser à leur intention les expressions triviales de la rue, et ils n'auraient pas compris l'opportunité, ni le sel, d'un tel divertissement. Pour eux, le peuple est lepopolaccio, se recrutent des vauriens comme Brunello, un des rares personnages populaires que Boïardo nous signale, les cheveux courts, parlant argot, homme assez triste pour montrer à Marfisa son séant'; pour eux. il n'y a que les gentilshommes qui comptent, et tous les héros de Boïardo sont gentilshommes, ils savent saluer, danser, combattre, finement discourir d'armes et de guerre; ils ont oublié les grosses façons des ancêtres qui leur faisaient se tirer la barbe, se cracher au visage, se casser des échiquiers sur la tôle, se flanquer des gnions ; ils ne commettraient jamais certains gestes contraires au code de l'honneur; ils ne se déguiseraient pas, comme le Rinaldo de Pulci, pour aller tuer une , femme à la faveur de ce masque. Si, dans leurs colères, ils emploient des expressions crues, c'est que Bianca- Maria Boïardo disait elle-même à son frère Feltrino, qui négligeait ses filles : « Dieu vous pardonne, elles ne seront pas les premières à devenir p..., » et s'ils se montrent rudes, c'est que Ferrare est encore toute campagnarde. Au demeurant, ils cherchent à paraître bien appris dans leur langage, dans leurs altitudes,

1. « E per mostrar di lei più poca cura

La giuppa sopra al capo ne voltava E poi s'alzava (intendetemi bene) Mostrando il nudo sotto de le rené. »

(H, XI, 4.)

372 LE QUATTROCENTO

jusque dans leur mort, évitant de mourir comme le sauvage qui succombe « sans savoir proférer de paroles, en n'émettant qu'une voix terrible et obscure' ». Ils sont loyaux, courtois, aimables, afTables, diserts. Et ils sont amoureux.

Ceci ne se trouvait pas chez Pulci. C'est que Pulci parlait à une cour d'hommes, tandis que Boïardo s'adresse à une cour de princesses, de dames, de demoi- selles, qu'il eût été malséant de n'entretenir que de rossées et de prouesses de muscles. L'eût-il voulu que Boïardo n'aurait su s'y résoudre, lui qui gardait dans son ima- gination la silhouette blonde d'AntoniaCaprara, lui qui n'était no à la vie qu'en naissant à l'amour, lui qui avait choisi pour devise le mot de Virgile,. 4;»o;' omnia vinclt, et lui que l'amour avait sacré poète. Dans la salle môme du palais do Sciiifanoja, il récite ses cantiques, les Cosmè Tura, los Francesco dcl Cossa ont représenté contre los murs dos scènes d'amour, des jeunes hommes et des jeunes femmes qui s'enlacent, des compagnies qui s'en vont sous l'escorte du dieu Amour, des oiseaux, des lapins, des bôtcs qui font l'amour. Autour de lui tout parle d'amour, et Boïardo parle d'amour. Seulement, comme la matière de France dont il était parti, pour belle qu'elle fût, tenait ses portes closes à l'amour-, et qu'au contraire la matière de Bretagne, qui avait pénétré l'Italie au xii" siècle, trouvé une faveur singulière dans les cours gibelines^, particu- lièrement rempli la bibliothèque ducale de ses romans, en était toute émue, Boïaido introduit la matière de Bretagne dans la matière de France et, selon son expres- sion, «plante un verger d'amour et de batailles».

1. « E non snpca parole proferire, Mft fftcea voce terribile e scura. »

(I. X.Xm, 18.)

2, « l'errlic fenne a<l Aiiior rliiiise le porte K soi si deUe aile i)allaiili(> santé. »

(II, XVIII. 2.) •S. Pio Rajna, OU eroi brelloni nelVnnomualica italiana i/el secolo XII, Romania, Pari», 1888, p. 161. A (iraT. Appunliper la sloria tlel ciclo bretlime in Hnlin, fJiorn. slor. Turin, 188.'!, p. 30.

I

LA RENAISSANCE A FEKHAHE 373

Sans doute que les deux cycles arrachés à leur ori- gine, transplantés à l'Etranger, n'avaient pas tardé à se pénétrer l'un l'autre; qu'une storia delà rue s'appelle VInnamoramento di Carlo; que le Cantare d'Or/ando, dont s'est inspiré Pulci, contient des récits de filles attachées à des arbres, de châteaux enchantés, de prouesses de cavalieri erraiiti^ que le Morgante de Pulci met en scène une quantité d'amoureuses et nous montre Orlando faisant une déclaration àAntea:» Je te donne pour toujours les clefs de ma vie. C'est toi qui détiens mon cœur et mon àme, Je veux que mon amour se fasse éternel. Tu es celle qui m'apporta L'olivier et la palme, et me tira de l'enfer' ». Mais la conciliation, réduite à des épisodes qui n'altéraient pas la marche générale du récit, n'était que partielle ; Boïardo la rend en quelque sorte organique. Il scelle entre le cycle de Charlemagne et le cycle d'Arthur une alliance profonde. Il marie les deux poésies, les deux civilisations, les deux âmes, le Nord elle Midi, la con- science coUeclive et l'esprit singulier, le principe social et le principe individuel, l'armée et l'aventure, la rusti- cité quasi sauvage du paladin-soldat absorbé dans le rang et la iine courtoisie du chevalier errant qui va à sa destinée. Ses personnages, qui sont les anciens champions de l'idée nationale, voient, à leurs rudes vertus d'obéissance et de force, s'ajouter d'autres vertus qui les compliquent et les contrecarrent. Leur cœur rugueux s'est ouvert à un nouvel idéal de chevalerie et Aq (ji'nlilczza,{\m les entraîne aux folles équipées et les emporte loin du rang. Ils ont un intérêt à eux, plus pressant et plus immédiat, aussi absolu que celui de la foi et de la patrie. Orlando, quand la guerre fait rage

1. « lo ti dono le chi.ivi in seinpiterno

Délia mia vita, e tien tu il core e l'aima, io vo'che il nostro anior si facci eterno, Tu se' colei che l'ulivo e la i)alnia M'arrechi, e che rai cavi deirinferno. »

{Morgante, XV, 69.)

374 LE QUATTROCENTO

et que l'empereur est en danger, se soucie comme d'une paille de la France; bien mieux, il souhaite «que les saintes bannières aux Ijs d'or, et Charles, et son monde, soient abattus ' », pour que lui-même puisse conquérir Angélique. Christ et Charles n'expliquent plus à eux seuls les mêlées furieuses de deux peuples; c'est pour s'emparer de Baïardo et de Durindana que Gradasso amène cinq cent mille chevaliers du fond des Indes ; pour égaler Alexandre, moins que pour « agran- dir la loi de Mahomet», qu'Agramante traverse la mer. La lutte des croyants et des infidèles reste le cadre du poème, non plus son idée déterminante. Le monde n'est plus partagé en bons et en méchants, ceux de Chiaramonte et ceux de Maganza. Partout on trouve de la valeur. Si les chrétiens comptent Orlando, Rinaldo, Griffonne, Aquilante et les autres, les Sarrasins leur opposent, Brandimarte et Ferraguto en tête, des « rayons de puissance » qui les égalent : Chrétiens et Sarrasins se ressemblent; comme on Ta dit, «ils vivent sous une même loi : la Chevalerie ». Et c'est l'amour qui leur a donné cette loi -.

Seul Amour a pu opérer ce miracle de faire de preux de Charlemagne des chevaliers errants, de donner des manières fines à ces soldats, de distraire des entre- prises nationales ces héros. Amour est le plus grand maître, et Amour est despote absolu. C'est Amour « qui a trouvé les rimes et les vers, les musiques, les chan- sons et toute mélodie 3 ». C'est Amour « qui a réuni en douce compagnie les races étranges et les peuples dis-

1. « A pregar Iddio divotamente Che le santé bandiere a gigli d'oro Siano abbatlutc e Carlo e la sua génie. »

(II. XXX, 6i.)

2. Pio Rajna, Fonli deliOrlando furioso, Florence, 1876, p. 19-28. L'Orlando innamnralo di Malleo Maria Hoiardo, Studi, p. 117.

3. « Aiiior primo trovo le rime e' versi, I siinni, i canli cd ogni melodia;

E genti islrane e popoli dispcrsi Cungiunse Aiiiore in dolce cornpagnia. »

(II, IV, 2.)

LA RENAISSANCE A FERRARE 375

perses' ». C'est Amour « qui infuse aux tigres une àme pieuse et fait les hommes dieux». « Jeunes et vieux s'en vont à sa danse, la basse plèbe comme le seigneur altier. L'amour n'a pas de remède, et la mort n'en a pas. Il prend un chacun, tout le monde et de toute sorte*. » Et grâce à l'Amour, les deux matières de France et de Bretagne, les deux cycles de Charles et d'Arthur se pénètrent, s'étreignent et se confondent. Leurs noces seront fécondes : il en sortira Angélique.

Le poème s'ouvre par la description d'une cour royale. Nous sommes à Paris, à la Pàque des roses. Charlemagne est assis sur un trône d'or à la Table ronde; autour de lui, ses paladins et ses preux, et par quartiers de noblesse, les rois, les ducs, les marquis, les barons ; étendus à leur façon sur des tapis, les Sar- rasins ; et, parmi ces groupes aimables, qui boivent de compagnie en des calices précieux et raisonnent à mi- voix de belles choses, on distingue déjà quelques femmes, Gallerana, Aida, Clarice, ArmcUina. Soudain, entre quatre géants et flanquée de son frère Argalia, apparaît Angélique, si blonde, si claire, si délicieuse- ment jolie qu'incontinent les uns et les autres en tombent amoureux. Namo au poil blanc, Rinaldo qui devient rouge comme braise, Ferraguto qui, tantôt sur un pied, tantôt sur l'autre, se gratte la tête et « ne retrouve plus lieu », et le plus frappé au cœur est Orlando. Les conditions qu'aux chevaliers pose la donzelle, que Malagigi a soudain reconnue pour magi- cienne et fille du roi Galafrone, sont de cet ordre : qui se mesurera en champ clos avec son frère Argalia et le jettera bas des arçons aura pour récompense son

1. « Amore è c|uel che dona la vittoria E dona ardire al cavalier armato. »

(II, XVIII, 3.)

2. « Gioveni e vecchi vanno alla sua danza, La bassa plèbe col signore altiero : Non ha rimedio amor e non la morte; Ciascun prende ogni gente, e d'ogni sorte. »

(I, XXVIII, 2.)

3T6 LE QUATTROCENTO

amour. Aussitôt tous veulent se battre, de manière qu'on est obligé de tirer au sort l'ordre des jouteurs : Aslolfo sort le premier, Ferraguto le i^econd, et Orlando n'arrive, hélas! que le trentième. Argalia,qui possède une lance d'or enchantée, n'a nulle peine à démonter du coup Astolfo et Ferraguto; seulement, comme Ferra- guto a été lui-même rendu invulnérable de par un charme, la lutte entre ces deux chevaliers pourrait durer jusqu'à l'éternité, si Angélique ne disparaissait du tournoi aussi soudainement qu'elle est apparue. Là- bas, vers la forêt des Ardennes, galopant sur son pale- froi léger, elle est partie, laissant le désert derrière elle. Astolfo s'élance à sa poursuite, Ranaldo, Orlando... Dès lors il devient impossible de suivre au pas ce poème de fantaisie qui se coupe, s'interrompt, s'épar- pille en anecdotes et épisodes, se ramifie en vingt récits croisés, ne s'embarrasse d'aucun obstacle, va, vient, recommence et court on ne sait h quel but d'une allure preste, gaie et jolie. Nous sommes au pays des lies lointaines, du Fleuve du rire, du Palais de joie, dans cet Orient inlini et fabuleux qui hantait l'imagination de la vieille Europe et pour lequel appareillaient les^ caravelles de Colomb. Les paysages succèdent aux paysages; matins de lleurs, vergers de printemps, fon- taines enchantées, précipices, grottes, clairières, mon- tagnes, marines et tempêtes « le ciel et la mer ont une couleur de mort » ; architectures d'or, <le rubis, de topazes, de diamants, de béryls, de saphir oriental ; forteresses dressées sur des éminences; forêts merveil- leuses; routes inconnues; villes inquiétantes; jardins de paradis; demeures de volupté. Et dans ce milieu inlini se presse une population inlinie: chevaliers, rois, baions, empereurs, viragos, mages, nécromants^ géants, ermites, fées, damoiseaux, damoiselles, écuyers, ama/ones, nymj)hes, naïades, nains, chiens, chevaux, baleines, éléphants et leslrigons. Et entre ce monde inouï il se noue des aventures inouïes, de voyages, de

LA RENAISSANCE A FERRA RE 377

coiiîl)als, de batailles, de duels, de prisons, d'enchante- ments, de fête et d'amour. Les chevaliers galopent au clair de lune, avec une lille, en croupe sur leur cheval, qui leur raconte des histoires. Des brigands gueltent en embuscade. Des princesses sont attachées nues à des branches. Des compagnies de joie s'avancent dans un bruit de musique et de vers. Des bêtes se lèvent à la gueule flamboyante; dragons, chimères, serpents, uni- cornes, taureaux, crocodiles. Kt il y a des philtres d'amour, des breuvages d'oubli, des herbes ensorcel- leuses, des fontaines de Merlin, des épées qui trauchent des montagnes, des cuirasses qui émoussenl le diamant, des cors dont la sonnerie suscite des tremblements de terre. Et il y a des fêles, des joutes, des tournois, des banquets, des chasses. Que n'y a-t-il pas dans ce poème exubérant ?

Cependant, pour la première fois, cette foule n'est pas une cohue. Il y règne un bel ordre, une lumière égale, uniformément répandue. Rien ne se confond; tout se succède et obéit à un plan. On s'aperçoit d'em- blée combien le comte de Scandiano s'élève de cent coudées au-dessus des chante-histoires que le pauvre Pulci s'amusait à contrefaire et qui recevaient à Ferrare un habit vert. Les chante-histoires, cédant à leur hu- meur et à leur public, accumulant au hasard leurs ima- ginations, qui s'accrochaient comme elles pouvaient, ne savaient guère ils allaient; Boïardo sait il va; il tient en main les mille hls de son poème ; il donne k. toutes les aventures, qu'il accueille et coordonne, la place voulue, l'attitude voulue, la belle harmonie de son àme de gentilhomme chevalier. Si, comme les chante-histoires, il mène plusieurs récits de Iront et qu'il en interrompe un pour en reprendre un autre, ces interruptions, faites toujours à l'endroit opportun, ne sont plus des moyens de délier les bourses, elles deviennent des procédés d'un art délicate Et tandis

1. V. Rossi, H Quallrocenlo, op. c, p. 326.

378 LE QUATTROCENTO

que les chante-histoires, au début de leurs chants, bredouillaient une prière à Marie ou à Apollon, Boïardo ne pense qu'à son roman et qu'à son auditoire; il salue gracieusement les cavaliers estimés et les dames charmantes qui « honorent la cour et la courtoi- sie » ; il adresse des compliments choisis à « la belle baronie », au milieu de laquelle il se sent plus fortuné qu'Arion dont la douce voix attirait les dauphins de Sicile; il décrit des paysages de printemps; il dit la jeune fille qu'il vit chanter au milieu des roses, sur une colline, près de la mer, « qui tremblait toute de splendeur^ », ets'il évoque quelqu'un, c'est la déité de sa jeunesse, c'est Antonia Gaprara : « Lumière de mes yeux, esprit de mon cœur, pour qui je chantais unej fois si doucement les rimes délicates et de beaux vers] d'amour, que ton aide m'inspire en cette histoire pré-l sente " I »

Son poème, divisé en chants de bonne longueur et de\ longueur pareille, n'est un plus fouillis. Son imagination' n'est pas empêtrée. Sa vision reste claire et fine/ L'obscurité de la rue s'est dissipée, comme la vapeuri des landes bretonnes s'est évanouie. Chaque trait' comme chaque épisode, chaque détail comme chaque' aventure, une arme, une broderie, une figure, un pay- sage, apparaît d'une netteté parfaite et d'une précision' admirable. L'amour qui domine le poème et en remplit chaque page n'a rien d'alambiqué, de pétrarquesque, de platonicien; c'est l'instinct jeune et sain qui couche Brandimarle et Fiordelisa au bord du pré. «J'en de-' mande pardon, s'écrie le poète; mais je crois qu'uni

1. « Già mi trovai, di inaggio una mattina, Entro un bel prato adorno di bei fiore Sopra ad un culle a lato a la marina Che lutta treuiolava di spiendore. »

(II, XIX, 1.)

2. « Luce degli occhi niiei, spirto del core, Per cul cantar solea si dolcemente Riiuf Icggiadro e bei vcrsi d'amore, Spirami aiulo alla sturia présente. »

(II, IV, 1.)

LA RENAISSANCE A FERRARE 379

beau baiser à bouche ouverte conquiert chaque âme par sa douceur ' ». Régnant en souverain absolu ; impla- cable, ardent, pareil ; plongeant les uns et les autres dans les mômes crises aiguës, il s'explique par des philtres ; si, à la seule apparition d'Angélique, la cour entière s'énamoure, c'est qu'Angélique est magicienne, si elle- même s'éprend de Hanaldo, c'est qu'elle a bu au Fleuve d'amour, si Ranaldo lui résiste, c'est qu'il a bu à la Fontaine d'oubli. L'infini du mystère, encastré dans le format de l'octave limpide et rapide, s'est réduit, allégé, clarifié. Nous sommes près de terre, dans une réalité concrète et brillante qui discipline la fantaisie, pondère l'illusion, fixe l'apparence. Le sens est immé- diat, parfois allégorique, jamais symbolique. Cela court, glisse, d'une cadence facile, dans la lumière et dans la certitude. Boïardo chante la gigantesque épopée française et la profonde âme bretonne sur une flûte d'argent.

VOriando innamorato n'est pas un roman de carac- tères, c'est un roman d'aventures, car seules les aven- tures distraient. Cependant quelques-uns de ses per- sonnages émergent de la foule et sont fixés dans leur silhouette mentale.

Si Boïardo, respectueux en cela de la tradition, a con- servé aux héros de l'épopée française la couleur que l'Italie leur avait prêtée, si son Carlomagno allonge de << grandes bâtonnades », si son Astolfo se montre l'adolescent hardi, vantard et pour rien désarçonné qu'on connaît, si son Ranaldo demeure l'antique che- valier à la vieille mode, haïssant la femme et ignorant qu'il est beau, l'imagination du poète s'est donné plus libre carrière dans le camp des Sarrasins, les types étaient moins consacrés par la sympathie italienne et naissent autant de créations originales.

C'est la figure exquise de Brandimarte, le chevalier

1. « ... Ed io faccio la sciisa

E credo, che un bel baccio a bocca aperta Per la dolcezza ogni anima converta. »

(III, VII, 29.)

380 LE QUATTROCENTO

accompli, et c'est celle du roi do Tarlarie Agricane, qui, laissant la doctrine au prêtre et au docteur, ne pense qu'à chasser, chevaucher et combattre. C'est Ruggero, le tendre amoureux, descendant d'Hector et d'Alexandre, et fondateur de la maison d'Esté, et c'est Marfisa, la guerrière robuste et belle, qui fait le coup de lance et ignore l'amour. C'est Sacripante, qui devien- dra notre Sacripant, haut et bien membru, merveil- leux de sa personne, avisé à la guerre, « mais tenant dans les périls la vie pour une chose chère », et c'est Rodomonte, roi de Sarza, qui deviendra notre Rodo- mont, lançant des poignées d'insolences aux rois et dieux qu'oseraient à peine défier les plus braves. Enfin, il faut parler d'Orlando et d'Angélique : Orlando, dont le poète altère complètement la nature, et Angélique qu'il invente de toutes pièces.

Orlando, tel qu'il parvenait à Boïardo, était une ligure chaste et rude, le chevalier sans peur et sans reproche, pure comme une Heur, sali de poussière et de sang, insensible à l'amour. L'amour est jeu de femmes et d'enfants; il est amusetle et faiblesse; il est folie et péché. Le brave ne s'agenouille pas devant un jupon, il s'agenouille devant son épée fichée en terre comme une croix. Il a autre chose à faire qu'use morfondre en des prostrations amoureuses ; il a à enfour- clier son cheval, à partir pour la sainte cause, à tuer des dragons et des diables, et à mourir la boucbe au cor au pas de Ronccvaux. Ainsi le Roland de la légende, ainsi, encore, le Roland de Pulci, qui, en dépit de ses velléités galantes, reste «un gros corbeaude clocher». Roïardo cl toute la Renaissance est dans ce dessein fait d'Orlando un amoureux. Seulement, et voici le talent, ce n'est qu'un clerc en amour. 11 n'a pas pu se transformer du jour au Icndc^main en damerel. Il se montre « amant grossier et rude ». Il a les sourcils broussailleux, loucbe d'un œil*, ronfle en dormanl, se 1. <i K (l'un (Jegli occhi ul(|uunlo utnilunava. » (II, III, o:i.)

LA RENAISSANCE A FERRARE 381

ronge l(;s ongles a avec les dents». 11 sent la sueur. Lorsqu'(^lant nu Angélique le lave de ses mains tines, il ne sait quoi dire, a honte et baisse les yeux'. Lors- qu'il tient Angélique dans ses bras, il n'ose en profiter de peur de la mettre en colère. Il est un peu simple, ne sait quoi répondre aux énigmes enfantines d'un géant, croit tout ce qu'on lui dit. Origilla lui ayantassuré que d'une roche on voit l'enfer et le paradis, il laisse son cheval, monte sur la roche, et Origilla s'enfuit sur son cheval. La passion qu'il nourrit pour Angélique est une passion brutale. Il est pris dans sa chair de mâle, tor- turé dans son désir de vierge; il lui faut cette femme; pour l'avoir, il se taille un chemin à travers les arbres et à travers les corps ; et quand il l'a, il demeure inex- pert, les bras ballants, n'osant plus, de telle sorte que Turpino l'estime expressément «un babouin" ».

Quant à Angélique, elle est la femme de la Renais- sance ou plutôt la femme tout simplement. Elle a dix- huit ans. Elle vient de naître à la littérature comme à la vie, et elle porte au front la double jeunesse de son âge et de son temps. Hier les hommes Tasservissaient encore aux besognes sorviles ; aujourd'hui, c'est elle qui commande aux hommes, les traîne à son char de triomphe, leur impose sa loi de caprice. Que lui im- portent les armures de fer et les poings qui s'abattent comme des masses? Elle sourit. Elle est exquise. Blonde, line, rose, à galoper dans la forêt des Ardennes, les tresses dénouées au. vent, «l'étoile matinale, lys <le jardin, rose de verger. » Elle a son idée et nous la communi(iue : elle ne veut (|ue d'un blond. Elle est coc^uette, câline, caressante, suivant (|i:i la fuit, fuyant qui

1. « Stavasi il conte quieto e vergo^Mioso Mentre la dama iatorno il maneggiava. »

(I, XXV, 39.)

2. « Cotanto amava lui quella dori/.ella Che di fada turbare avea paura; Turpiii che mai non mente, di ragione in cotai atto il cliiama un babbïone. »

(II, XIX, oO.)

382 LE QUATTROCENTO

la suit, s'amusant des adorations qu'elle soulève, égre- nant son rire dans le silence admiratif elle passe. Se& amoureux qui souffrent, qui pleurent, ne sont qu'un hochet à ses doigts cruels et malicieux; quand ils l'ont servie, elle les rejette, et pour se défaire d'Orlando, elle l'envoie chez la fée Morgana, c'est-à-dire à la mort. Et elle serait odieuse, si elle n'était, elle aussi, une vic- time de la loi damour. Ayant bu au Fleuve d'amour, elle a aperçu Ranaldo couché dans un pré et, aussitôt subjuguée, elle a effeuillé des lys et des roses d'épine sur le visage de l'endormi; mais Ranaldo, qui a bu à la Fontaine d'oubli, la repousse, et, en dépit de ses rebuf- fades, elle continue à l'aimer. « Le seul mal que tu puisses me faire, lui dit-elle, est de me mépriser, mais tu ne peux pas empocher que je t'aime. » Dédaignée autant qu'elle dédaigne, pleurant autant qu'elle fait pleurer, souffrant autant qu'elle fait souffrir, elle est notre pauvre sœur humaine en douleur et en passion. Boïardo qui avait trop pâti des femmes, n'aimait guère les femmes, « mobiles comme feuille au vent, enjô- leuses, simulatrices, ouvrières de fraudes et de men- songes», ressemblant à l'Origilla dont il nous a tracé la silhouette, « dame d'extrême beauté et remplie de caresses, qui tenait les larmes à son commandement, ainsi qu'une eau do fontaine et faisait voir aux hommes des violettes en plein hiver' ». Mais Boïardo avait connu Antonia Caprara, et si, pour tout le mal qu'elle lui avait fait, il pouvait dire comme Orlando : « Que mau- dit soit à jamais celui qui se he à quelque femme que ce soit! » en souvenir de la joie qu'elle lui avait donnée, il pouvait ajouter comme le paladin de France : « Pour

1. « Era la Dama d'estrenia beltate,

Maliziusa e di lusiii^lic piena, La lagrime teiieva apparecchiate Sempre a sua posla, conic acqua di vena. Pronicssa non fe mai con vcritale, Mostrnndo a cliiaschediin faccia sercna; E se in un ^'ioinii avcssc niilh* ainanti Tutti li bctla con dolci seiiibianli. »

(I, XXIX, 45.)

LA RENAISSANCE A FERRA RE 383

elle seule et pour sa bonté, les autres sont toutes dignes d'être aimées'. »

Pour lier sa gerbe, bariob-e comme une floraison de Ferrare,^ Boïardo a cueilli des (leurs de toute sorte. « .l'ai cueilli au verger, écrit-il dans un de ses exordes, diverses fleurs ; et bleues, et jaunes, et candides, et ver- meilles ; j'ai fait d'herbettes jolies une mixture; œillets et lys, violettes et roses; que celui qui se soucie de parfum s'avance et qu'il saisisse ce qui lui plaît le mieux-. » Et de fait, le roman de Boïardo est la mixture de matières infinies. Boïardo prend son bien il le trouve, dans la geste carolingienne, qui lui donne le tronc de son histoire, dans le cycle breton qui lui en donne le feuillage et les fleurs, dans l'antiquité du moyen âge français, dans l'antiquité de l'humanisme italien, dans les nouvelles de toute provenance et de toute date qui circulaient par la Pc-ninsule. Polyphème, Méduse, Narcisse, alternent leurs mythes avec les mythes du monde chevaleresque ; l'épisode de Manodante, père du beau Ziliante, enchaîné par Morgana et sauvé par Orlando, et se donnant pour Brandimarte, dérive direc- tement des Captifs de Plante; l'exquise nouvelle de Tisbina, d'iroldo et de Prasildo, que Fiordelisa raconte à Banaldo pour lui abréger le chemin, trouve son origine dans la nouvelle de Dianora et d'Ansaldo de Boccace; et à la vérité, ainsi qu'on l'a vu, les chante-histoires de Ferrare, les novelUcri de Ferrare, les comédiographes de Ferrare, n'agissaient pas diversement. Mais, taudis que chez eux le résultat était misérable, qu'ils aboutis- saient à une œuvre chaotique et décousue, la mixture

1. « Ghe per lei sola e per la sua bontale L'altre son degne d'esser lutte amate. »

(II, m, 47.)

2. « Colti ho divers! fiori a la venlura Azurri e gialli e candidi e veriuigli : Fatta ho di vaghe erbelte una uiistura, Garofani e viole e rose e gigli : Traggasi avanti chi d'odore na cura

E ciô che più gli place quel si pigli. »

(111. V, i.)

384

LE QUATTROCENTO

de Boïardo est si bien fondue qu'on n'en voit plus les jointures et les rapports. Jamais il ne copie. Il repense tont à nouveau, s'assimile tous ses emprunts, brise les matériaux qu'on lui livre, les déforme, les transforme, les reforme, les accommode à son goût et à son idée et <?n bâtit un monument battant neuf, d'ordre composite, mais de style harmonieux. Que lui importe de faire de 1 Méduse une magicienne et de rendre la fée Silvanetta éprise de Narcisse, lui qui a fait de Roland un amou- reux? Gentilhomme hardi, il n'a cure des exactitudes, bonnes pour les cuistres. Aucun livre, aucun texte, aucun auditoire n'est pour gêner, pour limiter son aisance heureuse et sa fierté un peu dédaigneuse de €omte de Scandiano, pas môme la matière française, pas même la matière bretonne.

Sans doute qu'il croit à la chevalerie, qu'il la signale-^ comme une vertu, qu'il la proclame comme un exemplCj^ cela ne l'empêche pas, dans sa bonne humeur et dans^ son bon sens, de sourire parfois et même de rire des chevaliers ses héros. Il plaisante, s'amuse, amuse; il égaie l'horreur d'une situation trop tendue par un mot] drôle, repose d'un sentiment trop sublime par une remarque terre à terre. Teodoro et Brandimarte ont épousé les deux belles dames Doristella et Fiordelisa: à tout prendre, il ne sait pas s'ils « les trouvèrent pucelles' ». Cn preux franchit un fleuve d'un seul saut: il est juste de dire qu'il se recula un peu pour prendre son élan. Marfisa donne à Orlando un coup de gantelet si terrible (jue le sang lui sort parla bouche et par les oreilles: cela lui semble exagéré. Orlando est si vigou- reux qu'il porte, d'Auglanle à Brava, une colonne sur l'épaule : c'est dans le livre deTurpin. Une baleine est longue de deux milhîs, un «'léphant a des jambes aussi grosses que le corps d'un homme à la ceinture : du

1. « Che Fionlelisa Bmmiiniarlo prese,

E Tcodor si prese Doristellii : .Non so s'alcun trovn lu snii pulcella. »

(II, XXVII, :i2.)

LA RENAISSANCE A FERRARE 385

moins Tiirpin l'assure; le poète n a pas mesuré. C'est ainsi que, ne se laissant dominer par rien, il domine toute chose et qu'à force d'indépendance, d'aisance, de joyeuse et gaillarde liberté, il maîtrise son sujet, le subordonne et le contraint à une môme couleur et à une môme tenue. Non pas qu'il soit artiste; outre qu'il écrit dans la langue de Ferrare, qui n'est pas mûre et que Florence n'a pas polie, il a la main rude; il ne sait rien accomplir et finir; on ne trouverait pas dans tout son poème un morceau de bravoure, un passage plus particulièrement soigné, qu'on puisse détacher et montrer au monde comme échantillon de son ouvrage; il est mieux qu'artiste, il est poète, le plus grand poète dont puisse se vanter le Quattrocento. Il a l'imagina- tion la plus jeune, la plus fraîche, la plus riche qui soit au monde. Sa fantaisie est tellement remplie d'aventures et de figures, qu'ayant tant de choses à dire, elle ne s'inquiète plus de la façon de les dire. Il entre dans son argument de tout son cœur, avec sa belle verve, sa belle fougue, sa bonhomie souveraine qui prend de haut les choses, qu'aucune puérilité n'intimide, qu'aucune difficulté ne rebute, et, comme un joyeux poulain, il s'ébroue sur l'herbe neuve sans s'inquiéter d'y piétiner les fleurs.

Son poème est le poème de la Renaissance signo- rile : il faudrait pour l'illustrer le Benozzo Gozzoli de la chapelle des Médicis, comme il faudra, tout à l'heure, le Véronèse pour illustrer l'Arioste. On sent que Boïardo a vécu dans une cour ducale, qu'il a chassé, festoyé, banqueté tout du long avec les Este. II a les yeux éblouis de cette existence seigneuriale et facile, dont il a recueilli les riches détails, les nobles atti- tudes, les groupements harmonieux dans un décor de luxe. Ses j)alais opulents ressemblent à ceux qu'Her- cule d'Esté faisait construire. Leurs murs sont déco- rés de belles mythologies, comme celles que le théâtre de la cour mettait en scène; on y voit peints Circé et

H. 25

386

LE QUATTROCENTO

les compagnons d'Ulysse, Ariane et Thésée, les entre- prises de quatre princes d'Esté. Dans les loggias ouvertes, des compagnies « fleuries » se récréent et dis- courent : v< Le roi Adriano et Grifone le Hardi sont dans la loggia à raisonner d'amour ; Aquilante et Chia- rïone chantent, l'un en soprano, l'autre en ténor; Bran- dimarte, fait la basse ; mais le roi Balano, rempli de valeur, reste avec Antifor di Albarosia, et ils conti- nuent à conter d'armes et de guerre'. » Le roi Agra- mante ouvre une chasse ; les dames s'y joignent à cheval, l'arc en main, si belles et si parées que les chasseurs tournent bride pour les voir. Ranaldo mange sous une treille de roses, près d'une fontaine, sur une nappe blanche et di^ drap d'or. Seule en ses jardins de Paradis, Falerina, vêtue de blanc et couronnée d'or, se mire au fil d'une épée. Morgana, dans une solitude enchantée, peigne le jeune Ziliante et le baise avec dou- ceur. Alcina pèche les poissons avec la seule amorce de ses paroles-. Une fée, pour habiller Mandricardo sortant du bain, nue elle-même, défait sa coiffure et l'emporte dans la forêt blonde de ses cheveux. Ranaldo est con- quis par les trois Grâces qui le frappent de lys, le lient de guirlandes, le traînent sur l'herbe, si bien que sa valeur indomptable se voit assujettie « par de lagentnue avec des lys et des roses et des feuilles de fleur>^ ».

On dirait que la laideur et la misère n'existent pas; nous sommes dans un monde de distinction et de

<f II re Adriano e l'ardito Grifone Stan nella loggia a ragionar di amore ; Aquilante canlava e Chiarïone, I/un dice sopra, l'altro di tenore, Hrandiniarte fa contra alla canzone, Ma il re Halano ch'è pien di valore, Stassi con Antifor di Albarossia : D'arme e di guerre dicon tutta via. »

« E non avea ne rete, altro ingegno Sol le parole clie a l'acqua gettava. »

« Da gente ignuda ù vinto il suo valore, Con giglie rose e con foglie di flore. »

(1, XIV, 42.)

(Il, XIII.)

(11, XV, 57.)

LA RENAISSANCE A FERRARE 387

richesse la magnificence des gestes répond à la magnificence du décor ; bals à la lumière des torches blanches, destriers recouverts de soie blanche, adoles- cents souples comme des lys, camps du drap d'or, rondachcs de guerre, rondaches de parement, belles armes, belles orfèvreries, belles étoffes, animaux de prix, brides chargées de pierreries, laisses délicates, cimiers splendides, enseignes éclatantes. Luigi Pulci décrivait d'un mot ces merveilles. Matteo Maria Boïardo s'y complaît et s'y arrête avec la connaissance du gen- tilhomme. Et tandis que Pulci se plaçait sous l'égide de la Vierge Marie, c'est la fée Morgana, regina délie cose adorne, qui triomphe dans l'inspiration de Boïardo.

Son poème de luxe répond à un sentiment de luxe. 11 est inutile et il est beau. Il ne donne pas h penser; il n'apprend rien et ne chagrine jamais. Il n'accueille aucune aventure trop tragique ; les dangers n'y durent jamais longtemps; les événements y finissent toujours bien; il n'y meurt que des géants et que des monstres. Il faut une imagination oisive et légère pour accepter ces récits de joie, si mal d'accord avec la gravité et le deuil éternel de la vie, si mal d'accord avec la réalité douloureuse et angoissante du moment. Il faut oublier. 11 faut être heureux. Il faut enfermer son souci dans une caisse et en perdre la clef, u Je demande que chacun pose son ennui dans une caisse, et qu'il ferme dedans tout chagrin et toute pensée lourde, et puis, qu'il en perde la clef. » L'art n'a plus qu'un but, non d'instruire, non d'élever, non de prolonger la vie, mais de distraire de la vie.

On ne sait quand, ni comment, l'idée de son Orlando vint à Boïardo. En 1 482, au moment éclata la guerre de Venise et de Ferrare, les deux premiers livres en

1. « Onde io chieggio a voi che siete intorno

Che ciascun ponga ogni sua nuja in cassa, Ed ogni affanno ed ogni pensier grave Dentro vi chiuda, e poi peida la chiave »

Ui, XXXI, 1.)

388 LE QUATTROCENTO

étaient achevés, et, sitôt la campagne terminée, le sol- dat reprit son récit interrompu, auquel il travailla jus- qu'à sa mort. Il lui fallait, pour produire, la joie d'une vie bien comprise et de facultés bien pon- dérées, la paix de Tâme et dos circonstances, le prin- temps des jardins, le sourire heureux de la nature et des hommes'.

Mais soudain les roules ont frémi d'un roulement de bombardes; le pillage et la ruine s'approchent; voici s'avancer les Français de Charles VIII, «déplorables, malhonnêtes et mal réglés ». Adieu, songe beau et doux qui berçait le rêve loin des tristesses de l'heure ! Adieu, courtoisies généreuses, noblesses chimériques, réelles seulement dans le pays des fées! Adieu, claires et brillantes fantaisies, qui naissaient au soleil parmi le parfum des fleurs! Adieu, belles contrées plantées de myrtes, de marbres et de songes! Et belles dames, et joutes charmantes, et gracieux propos, et grande bonté, et grande loyauté des cavaliers antiques ! La plume d'or tombe des mains du poète, qui meurt de chagrin, le 20 décembre 1494.

« Pendant que je chante, ù Dieu rédempteur, Je vois l'Italie toute en flamme et en feu, Par la grande valeur de ces Gaulois, Qui viennent changer je ne sais quel endroit en désert ^.. » Ainsi les dernières et si tristes paroles du. beau poème de joie.

Trois inconnus s'imaginèrent de terminer VOrlando Innamorato, resté en suspens au neuvième chant du troisième livre. Le Berni voulut le corriger. Un seul, Ludovico Ariosto, devait l'accomplir.

« Tra fresche erbette e tra suavi odori Deffli arboscelli a verde rivestiti Cantando componea gli antichi onori. »

« Mentre ch'io canto, o Dio redentore, Vedo rilalia lutta a fiamma e foco, Per quesli (ialli clic cnii graii valore Vengun pcr discrlar aun su chc loco.

(HI, m, 1.)

(III, IX, 26.

CHAPITRE VII

LA RENAISSANCE A NAPLES

I. Naples, monarchie absolue. Les Aragons, la regqia et la cour. La noblesse de la cour. La vie fastueuse et théâtrale. L'influence de la mégalomanie espagnole.

IL Les écrivains napolitains. Leur qualité et leur office de courti- sans — Le peuple n'existe pas. Pourquoi. il est la valetaille et il parle dialecte. Nécessité pour Naples d'employer l'italien. Employant lilalien, elle emploie une langue livresque et étrangère. Elle introduit dans l'italien la discipline de l'Immanisme.

III. Le mauvais goût. La nature et VArcadin de Sannazaro. Le pétrarquisme et la préciosité. Les concelti : Cariteo, Tebaldeo et Serafino dell'Aquila. L'éloquence : exemples chez Sannazaro, Cari- teo et Masuccio. Naples initie le seicentisme. Comment l'œuvre littéraire du Quattrocento est accomplie.

I

Dans l'histoire de la Renaissance quatlrocenliste, Naples arrive à l'extrômc fin : Sannazaro, qui la com- mande, meurt en 1530. En outre, Naples initie le mau- vais goût. Deux raisons qui permettront de nous arrêter chez elle moins qu'ailleurs.

Si Florence est une république bourgeoise et si Fer- rare est une cour féodale, Naples est une monarchie absolue '.

Depuis qu'Alphonse le Magnanime y a pénétré en triomphateur romain, par une brèche de quarante aunes faite au mur, ce sont les Aragons d'Espagne qui y régnent ~. Les Aragons chassés de Naples, d'autres

i. Sur la cour de Naples, voir : Cron'ua anonima (1434-1490), Naples, 1780. Diario anonimo (1193-1487), Naples, 1780. Diario ano- nimo (1-2661478), Muratori, Rerum, XXI, p. 1029. In.nocexzo Landulfo. Cronica (1434-1501), Naples, 1780. Leostello da Volterra, Effemeridi délie cose faite pel Duca di Calabria (1184-1491), Naples, 1883. Notar- GiACOMo, Cronica, Naples, 1845. Raimo junior et se.nior, Anniles, Muratori, Rerum, XXI II, p. 219.

2. Alphonse d'abord; puis le bâtard d'Alphonse, Ferrante ; puis le flls de Ferrante, Alphonse II; puis le fils d'Alphonse II, Ferrandino: puis l'oncle de Ferrandino, Federigo.

390 LE QUATTROCENTO

rois succéderont aux Aragons comme eux-mêmes avaient succédé à d'autres rois. Le sentiment monarchique est le sentiment orgueilleux et jaloux des consciences du Midi.

Il n'y a plus sur les roches de la campagne des cita- delles dressées comme des menaces, et dans ces cita- delles des barons casqués et bottés, maîtres de leurs tours, perchés sur leurs droits, ignares, bruts et sau- vages. Avec les barons par deux fois refoulés^, ligottés dans des cages de fer, ignominieusement exécutés sur la place publique, le principe féodal est mort. On a rabattu le hippo del superbo. On a crevé le gonfiate nasche de insolenti. 11 n'y a plus qu'une Reggia, temple de justice, centre de culture, « oii se lève l'éten- dard d'une seule foi comme fulgure la divinité d'un seul dieu ». Et dans ce palais royal, il n'y a plus que le roi.

Ferrante, qui gouverne maintenant, est roi absolu. C'est une sorte de roi-soleil. Crediamo, dit Maio, ti/i Dio in gloria, e un sol in ciel vidimo, e tm re sopra la terra nostra adoremo'^. Toute foi et toute loi, toute divinité, toute splendeur, toute existence procèdent du monarque. Lorsque le monarque revient d'exil, le peuple s'écrie : « Voici le Messie ! » Devant l'approbation du monarque, la critique tombe. Ce n'est pas, comme jadis, le poète qui donne l'immortalité au prince, c'est le prince qui donne l'immortalité au poète ^. Pontano écrit un traité sur le Prince; Pior-Jacopo Jennaro, un traité sur le Régime des princes ; Giijniano Maio, un traité sur la

1. En 1465 et en 1486, voir C. Porzio, La congiura de' baroni, Lucques, 1816.

2. D. Lojacono, L'Opéra inedita De Maiestate di Giuniano Maio e il concello del principe negli scrillori délia corle aragonese di Napoli, Naples, 1890.

3. Carileo chante ainsi :

« Ku'l canto mio di \\e d'alto intelletto. Ful^on nci versi miei lor nonii, ond'io Spero lai parte havcr di lor fulfçoro Crie sarà sempitcrno ii viver iiiio. »

Caritbo, Le fl'mc, pub. par E. Percopo, Naples, 1892, 2 vol.

LA RENAISSANCE A NAPLES 391

Majesté des princes; Diomede Carafa, un Mémorial sur le Devoir des princes.

Autour du monarque, pour l'encadrer et réverbérer sa lumière, s'incline une cour somptueuse. Dans les actes et les fastes de la vie napolitaine, nous ne rencon- trons que grands noms : Caracciolo, Sansevcrino, Ava- los, Carafa, Francavilla, Pescara, del Balzo. Ils sont princes de Tarente, princes de Salerne, princes de Bisi- gnano ; ils sont ducs de Sessa, d'Amalfi, d'Atri; mar- quis de Galena et de Cotrone, comtes de Fondi, de Palena, de Policastro. Les del Balzo prétendent des- cendre en ligne directe du mage Balthazar*; quand un d'Avalos meurt, les pleurs de Naples font la Méditer- ranée plus profonde ; la nature et le ciel se dérangent pour les servir. Ils sont grands dignitaires, grands maîtres, grands justiciers, grands sénéchaux, grands amiraux. Ils sont drapés, lustrés, brodés, chamarrés, dorés sur toutes les coutures. Naître à la vie, c est naître à la cour. Etre patriote, c'est être loyaliste. Exis- ter, c'est être courtisan.

Tout est plus grand, plus ample, plus sonore qu'autre part. Il faut relire les petits traités latins de Pontano, De Liheralitate, De Beneficentia^ De Magràficentia^ De Splendo/'fi, De Conviventia, pour savoir à quel diapason le ton est monté et quel idéal de faste est courant'^.

Les Aragons gardent leur vin dans des tonneaux d'ar-

1. Et l'honneur n'est pas pour les del Balzo, mais pour les rois mages, à qui Jésus dtjvoile qu'ils seront de la sorte apparentés aux Aragons de Naples par les femmes. Voir la l'asca de Gariteo.Ed. Percopo.

2. Selon Pontano, il convient dans les banquets de déployer un be apparat de domestiques, de charger d'or les bull'ets et les tables, de recouvrir le sol de tapis et de fleurs. Les jeunes filles, les valets, les maîtres de cérémonies, parés de bijoux et d'habits précieux, doivent se n)ouvoir au moindre signe, la quantité des mets rivaliser avec leur excellence, le plaisir de la bouche rivaliser avec celui des yeux ; que les vins généreux du pays alternent avec les vins étrangers et écument dans des vases d'or; qu'il y ait des défilés interminables de plats fumants, remplis d'aliments toujours nouveaux, toujours variés, appor- tés au son des (lûtes et des trompettes. Le luxe, l'apparat magnifique et opulent ne commande pas seulement le train du palais, l'équipage des écuries, la tenue des jardins, des viviers, des volières, des parcs d'ani- maux, mais les sentiments. La libéralité, la générosité, la charité elle- même, ne sont plus que de beaux gestes.

392

LE QUATTROCEiNTO

gent, habillent leurs milices de soie et d'or, s'agenouillent devant des tableaux de sainteté éblouissants comme des châsses. Ils donnent à banqueter à trente mille per- sonnes à la fois, consacrent deux cent mille ducats à une fête, dix-sept mille ducats aux funérailles d'une de leurs princesses ^ Coûte que coûte il faut éblouir, frapper l'imagination par le grandiose, surprendre ot prendre par le gigantesque et le colossal. L'énorme tient lieu de grandeur et la somptuosité de beauté. Ailleurs, des chevaux suffisent pour traîner un char de triomphe; à Naples, on y veut quatre éléphants'-. Les salles sont hautes comme des églises, les jardins vastes comme des forets, les sentiments continuellement juchés sur des échasses. Nulle intimité, aucune retraite, rien de ce qui repose, rien pour se reposer de l'apparat magni- fique, de la cérémonie continue, de la représentation et. de l'officialité perpétuelles. La vie s'accomplit face au public, en rythme et en pompe, dans le décor et pour le décor. Le geste est héroïque, le style auguste, l'âme naturellement dressée à l'attitude et à la pose. Chamar- rures et panaches, draperies solennelles, discours magniloques. Et partout, en tout, dans les architectures, les fêtes, les deuils, dans les idées comme dans les usages, dans les balustres et dans les mots, la façade, la parade, l'éloquence, la figuration, la mise en scène, ce qu'on appellera tout k l'heure la teatralità.

On sent l'influence de la vieille Espagne mégalo- mane.

Il

Dans une société ainsi comprise, il n'y a, comme littérature digne de ce nom, que celle des gens bien mis.

\. Il Lo serenissimo Hr- d'Arngone spese piii di (iurali ducmilo iiiilla pfT farli OMore pcr si faite» inodo, c.Ik! li Tedesclii davaiii) a iiian^'iare li confetti alli cavalli. » ([{aimo, <»/). c, p. 'j:iV!.)

2. Dari.s une pièce de Sanna/.ani, \i\ Ti-'uinfo délia fuma, représentée, en Wi'l, h l'occasion de la prise de (ircnade. Kllc a été fuibliée par F. Torraca, Studi di «toria lelteraria napolelana, Livourne, 188i, p. ii.'i.

LA RENAISSANCE A NAPLES 393

Et de fait, tous les écrivains de Naples sont de beaux personnages, depuis le tendr(i et doux Jacopo Sanna- zaro, gentilhomme pieux, platonicien suave, soldat fidèle, magistrat et officier de la maison du duc de Ca- labrie, jusqu'à l'humble conteur Masuccio qui s'inti- tule « nobile salernitano ». Gariteo, l'Espagnol arrivé de Barcelone en 1168, est « bon gentilhomme », en même temps qu' « esprit gracieux et rare », se délectant, nous dit Summonte, « de parler poétiquement et en courti- san, en lesquelles deux facultés il était comme chacun sait si éminent et singulier ^ ». Cola di Monforte porte le titre de comte de Campobasso. Pietro-Jacopo Jennaro porte le titre de seigneur délie Fratte. Gianantonio Petrucci, fils du grand secrétaire Antonello Petrucci, porte le titre de comte de Carinola et de comte de F^o- licastro. On ne trouverait point ici de bohèmes pitto- resques et dépenaillés comme un Luigi Piilci ou un Antonio Gammelli, ni de pauvre chante-histoires à de- meure, comme un Francesco Cieco. Dès qu'un esprit, témoignant de la qualité, sort de la rue, on l'introduit dans queh|ue grande maison. Masuccio entre aux gages du prince Uoberto Sanseverino. Serafino dell' Aquila fait son apprentissage de page chez le comte de Potenza ; du palais des Potenza, il passera à Rome, à Naples, à Urbin, à Mantoue, à Milan, et de nouveau à Rome, au service des Ascanio Sforza, des Ferran- dino d'Aragon, des Elisabeth Gonzague , des Isabelle d'Esté, des Béatrice d'Esté, des César Borgia-. La cour attire à elle et entraîne dans son orbite tous ceux qui, dans les lettres, valent ou comptent. Elle leur donne la lumière et le pain, les comble d'honneurs ou de charges, en fait des scribes ou des grands trésoriers.

1. « Si dilectava parlare poeticamente, o vero da Corlesano; in le quali doe facollà ipso era (come ciascuno sa) cosi eminente e singo- lare. »

2. Sur la plupart des écrivains de la cour de Naples, voir, dans y.irchiiùo sloricu napoletano, la série de très riches notices que leur a consacrées E. Percopo, an. 1893 et sq.

394 LE QUATTROCENTO

Elle les anime d'une vie en quelque sorte dynastique, les façonne selon les mêmes plis, met du galon à leur style et à leur habit, les introduit à l'Académie qui leur apprendra le latin, les initie aux belles manières et au beau langage. Tous, petits ou grands, sent courtisans, élèves en cet art délicat des Espagnols que Castiglione devait appeler maestri di cortiffianeriaK

Le peuple ne compte pas. Sans doute qu'il existe aussi bien qu'ailleurs, et même nous l'avons vu plus qu'ailleurs. Sans doute qu'il chante à perdre haleine dans toute la frénésie de sa folle gaieté ou de sa chaude passion-. Sans doute encore que le latin a pu s'inspi- rer de ses chansons, de ses histoires, de ses humbles et pauvres petits genres, que Pontano et Sannazaro ont été ramasser dans la rue. C'est que le latin est une pure élégance qui impartit la beauté à tout ce qu'il touche. 11 traduit, et en traduisant, il ennoblit. En dehors du latin, la littérature du peuple ne saurait compter.

Outre que le peuple est la valetaille, et qu'il ferait une figure au moins curieuse dans une salle du Cas- tello Capuana ou dans une allée du jardin de Poggio reale, le peuple parle dialecte; et le fait du dialecte lui dénie toute existence littéraire, comme le fait de la monarchie lui dénie toute existence sociale. Il parle dialecte, c'est-à-dire une langue débraillée, aux gestes canaille, à l'accent voyou, aux métaphores grotesques,

1. Le premier livre de Corligianeria que nous possédions est celui d'un Napolitain, Diomede Carafa. Voir les extraits qu'en a donnés M. IJarbi : Libro tlelli precelli o vero insiruzione delli Corlesani, Her- game, 1897 (pernozzc;. Cf. T. Persico, Viomede Carafa, Naples, 1899.

2. « Facean scupare innante innante

La casa de le amante inullo bene. Alla partenza, chêne le lassavano De fructe che costavniio dinare. Alcnno, che sparnn^^niare non volea, Aile volte spargea dr li conliclti. Quisti erano delictti inzoecherati ! Cantavano le calate a vuce sana, Li strainbotti gaytane con le pippe. »

(F. Torraca, Diacussioni e ncerche lellerarie, Livourne, 1888, p. li:!.)

LA RENAISSANCE A NAPLES 395

aux expressions, nous dit Ponlano, « sordides et ridi- cules'», sans orthographe reconnue comme sans gram- maire établie, sans dignité comme sans chef-d'œuvre, que n'a consacré aucune Divine Comédie et qui n'a acquis ses droits d'entrée dans nul salon. On la fuit et la prohibe comme une mauvaise odeur. Le moyen, pour des esprits bien nés, frottés de musc et portant des gants, de s'arrêter bien longuement à des chansons de cet ordre :

Lo to'coyro che ey spilato E usalo da sperume Tu sei tanto refutato Che non vale per stallone^?

L'opportunité, pour des hauts personnages galonnés et cousus d'or, de se commettre dans la crasse et la puanteur du Basso Porto, pour en rapporter au Palais, avec des locutions poissardes, delà vermine et un relent d'ail? Et quel contraste ferait cette langue et cet esprit de gargote avec les grandes salles à colon- nades et à dorures, parmi les nobles compagnies obéissant à l'étiquette, au sein des augustes assemblées règne l'éloquence, la tenue, la majesté? Gela ferait rire, et de fait si, en vertu de la bonhomie, de la faci- lité de relations du Quattrocento, Cariteo, Francesco Galeota, Pietro Jacopo di Jennaro imitent les Strani- ^o//^ populaires '^; si Pietro Antonio Caracciolo intro- duit à la cour des Farse Cavaioie^ daubant ceux de

1. « Plebeia verba sordida sunt et ridicula. » (Pontano.)

2. F. Torraca, Rimalori napolelani del secolo decimoquinto, Discus- sion! e ricerche letterarie, Livourne, 1888, p. 160.

3. Il est curieux de voir ce que devient le stramhotlo dans la cour napolitaine. Détourné de son sens, il est employé à résoudre, devant une société galante qui applaudit, des cas de métaphysique amoureuse. Francesco Galeota et le baron de la Favarotta disputent en strambotti de qui naquit le premier. Jalousie ou Amour. Francesco Galeota et Pier-Antonio Caracciolo s'informent par strambotli de l'état respectif de leur cœur. Cariteo introduit l'élégie dans le slrambotto Chez Seraflno deU'Aquila le strambotto devient la miette sucrée et jolie. Sur ces essais de poésie populaire, voir F. Torracca, Rimatori napolelani del secolo decimoquinlo, p. 119.

396 LE QUATTROCENTO

la Gava, « gens de grosse pâte », il met en scène des personnages et des saillies cueillies dans la réalité ^ ; si Jacopo Sannazaro compose ses Gliomnieyn^ il accu- mule pêle-mêle les propos, locutions, receltes, supers- titions, « sentences et sottises de l'antique parler napo- litain avec digressions très ridicules^ », Sannazaro et les autres s'amusent. Le peuple sert de divertissement burlesque; il remplit l'office de polichinelle et de bouf- fon de cour; il vaut comme intermède comique; mais une fois que, par ses grimaces ou ses calembredaines, il aura reposé du pompeux et du suave, son rôle sera terminé et son existence accomplie.

A Naples, on ne peut lui accorder d'aulre réalité. On ne peut partir de lui comme à Ferrare ou revenir à lui comme à Florence. On ne peut se retremper et se rafraîchir dans la source vive de la pratique et de l'usage. La terre, au contact de laquelle le vieil Antée prenait des forces neuves, salirait les genoux de ces beaux courtisans; la verve jaillissante de la rue, avaient bu à longs traits un Boiardo, un Pulci, un Poli- tien, est ici une eau fangeuse; le peuple sera ce qu'on voudra, le maître éternel, le poète immorlellemont jeune et véritable, celui dont les leçons sont les plus pures et les meilleures ; on ne peut y prendre garde : il parle patois.

Or, pour Naples comme pour le reste de l'Italie, c'est une nécessité inéluctable d'arborer l'italien.

Toutes les raisons qui militent en faveur de Titalien sont valables dans celte ville, où, après Ponluno, le latin a tout dit, comme après Polilien. H s'y ajoute l'in- térêt suprême de la dynastie, qui commande aux Ara-

\. Un iiiarii'-, une mariée, une vieille, un nol.-iire, le pi'ètre nvoc le diacre et un troisiéinf;. l'n uiuladf, trois iMédicins, un ^'iinon ol une sorcière. Ln paysan, doux Cavaioli et un Ksp.ijU'iud. !■'. Torrucn, Le farse cavuiule, Studi di storia letteraria napolelana, Livourne, 1884, p. 8:j.

Cf. l'A. Le f/irse riapolelrme del Quattrocento, p. 26.1. Voir ce que la ffirsfi (h'vicfit ilic/ Sannazaro.

2. K Torrai-a, /-/' lUitmiiiieri di J. San7iazaro, CAorn slor délia Iclt. jtul. Turin, I88i, p. 'iO'J.

1

LA RENAISSANCE A NAPLES 397

gons de se rallier à ritalien pour faire oublier leur origine étrangère et eiïaeer l'injure de leur usurpation. Enfin, Florence, la cité savante par excellence, celle qui brille entre toutes, celle qui possède la suprématie incontestée de la culture et de la poésie, a donné l'exemple de retourner à l'italien. Elle y est retournée à la suite do son prince, ce merveilleux et magnifique Laurent, qui, encore adolescent, disputait de poésie vul- gaire dans les rues de Pise avec l'infant don F'ederigo d'Aragon; qui lui envoyait, l'année suivante, un recueil de tous les vieux poètes toscans qu'il avait pu réimir * ; qui, venu lui-même h Naples, entretenait sans doute la cour de rimes et de sonnets, et lui montrait des échantillons de son savoir. Naples adopte donc l'ita- lien^; mais, adoptant l'italien, il faut noter le fait, elle adopte une langue étrangère.

Elle adopte une langue qui lui est aussi lointaine, aussi peu domestique, aussi peu familière que le latin, non recueillie comme un héritage, mais demandant d'être étudiée comme une leçon, qui ne chante point sur des lèvres, mais qui est enfermée dans des livres, qui s'impose de par l'autorité extérieure de textes qui font loi, qui ofTre des difficultés qu'il faut apprendre et des beautés qu'il faut atteindre et que le premier devoir est de ne jamais trahir. Aussi bien, en face de l'ita-

1. « Essencio nel passait) anno nell'antica pisana città, venisti a ragionar di (|U('lli clie nella loscana lingua poeticauierite avessino scritto; e non mi tenue punto la tua Signoria il tuo iodubile desiderio nascoso;cioeraclie per mia opra tutti questi scrittori si fussino insieme in un medesinio volume racculti. Per la quai cosa, essendo io corne in tutte le altre cose cosi in questo ancora desideroso... alla tua ones- tissima volontà, non sanza grandissima fatica fatti rittrovare gli antichi esemplari, e di quelli alcune cose nien rozze eleggendo, tutti in questo présente volumine ho raccolto : il quale mando alla tua Signoria, desi- deroso assai ch'essa la mia opra, quai ch'ella si sia, gradisca...» (Lâc- hent DE Méiiicis, Poésie, éd. Carducci, p. 28.)

2. C'est en italien que le roi Ferrante rédige ses très remarquables lettres diplomatiques, que Jonata compose son poème d'J?/ Giardeno, que Masuccio conte son Novellino, que fra Roberto prêche son Quare- shiuiie, que N'iccolo dcl Tuppo traduit Esope, et Albino, Plutarque, que P. A Caracciolo compose ses farse cavaiole, que Giuniano Maio com- pulse son traité De maiesfate, que Galateo écrit son Ësposizione del Pater nosler et que Diomede Garafa élabore ses Memoriaii.

398 LE QUATTROCETNO

lien les beaux esprits de Naples sont dans la môme posture que les humanistes en face du latin. Et ils introduisent dans l'italien la néfaste tradition de l'humanisme.

Ils ne disent pas, ils répètent. Ils ne créent pas, ils copient. Ils n'inventent pas, ils imitent ; et cela ils le font tous, depuis le grand Sannazaro qui se vante, comme d'un titre de gloire « de n'avoir jamais fait chose qu'il n'ait observée chez les bons auteurs ^ » jusqu'au pauvre Perleoni, scribe de la chancellerie royale, qui s'intitule « l'humble disciple et très dévot imitateur des poètes vulgaires-». Us imitent Dante comme on pourrait imiter Homère ; ils pastichent Boccace, comme d'autres ont pastiché Ovide; ils s'inspirent de Pétrarque comme tout à l'heure ils s'inspiraient de Cicéron. Tout ce que nous avons dit de l'humanisme, et de sa défor- mation livresque, et de sa discipline littéraire, se reproduit ici cruellement. Entre la vie et la représen- tation de cette vie, s'interpose toujours l'écriture. Pas un geste spontané, pas un cri jailli du cœur, pas un mot immédiat, original et sincère. On ne saurait rien voir, rien sentir, rien comprendre directement; il faut toujours le modèle. Modèles grecs, modèles latins, modèles toscans, modèles de toute sorte et de toute pro- venance, qu'on sert ensemble, qu'on respecte ensemble, qu'on accouple ensemble, en leur empruntant tout au monde, et avec le thème l'accent, et avec l'inspiration la forme, et avec la matière l'épithète ^. Sans doule que les plus grands esprits de la Renaissance n'agissaient pas différemment, et il serait facile de montrer combien VOrlando de Boïardo et la Giostra de Politien sont des œuvres d'emprunt, du moins Boïardo et Politien avaient, pour les animer, les vivifier et les empêcher

1. « Non credo aver Tatto cosa chc non l'nbbia osservata in buoni auteri. »

2. « lliiriiile (iiscinolo et imitutore ficvotissiino de vul/jnri poeti. »

3. Pou importe la source d'où l'on lire son inspiration. Cari emprunte ù Lucrèce les élo^^es nue celui-ci adressait à Kpicure, po célébrer la Vierge Marie. (Voir, E. Percopo, op. c, I, p. CIA'I.)

Cariteo ur

LA RENAISSANCE A NAPLES 399

de sombrer dans le style, le peuple, c'est-à-dire la nature et la vie. A Naples, monarchie et académie, la nature et la vie sont étouffées par la convention. Il ne s'agit pas de se prolonger, de se continuer, de se traduire : il s'agit d'obéir à des règles fixes et à des beautés patentées. Il ne s'agit pas d'être fidèle à soi-même ; il s'agit d'être fidèle à ïita/ianità, toute grâce, toute noblessii, toute pureté est contenue. Il ne s'agit pas de faire des choses sincères, il s'agit de faire des choses exquises; il s'agit d'aller ramasser dans tous les livres, tous les textes, toutes les leçons, que l'érudition italienne et latine accumula dans la bibliothèque royale, les inspirations les plus suaves, de les coordonner avec agrément et de les adapter à la vie conventionnelle de la cour, à la pompe des hautes salles, aux chamarrures des uniformes brodés, aux éventails de plume des dames du palais. Aussi bien que nous importent ces besognes de style, auxquelles San- narazo consacra de son aveu trente-huit ans de sa vie ? Toute cette vaine élucubratlon littéraire, œuvre de copie, sans racines dans la substance humaine, con- damnée à s'astreindre, faute de matière, aux purs ravaudages de la forme, n'offre d'intérêt que par le « seicentisnie » qu'elle initie et que par le geste monar- chique qu'elle inaugure.

III

Evidemment qu'il y a une nature à Naples, et laquelle ! Ischia, Procida, Gastellamare, Sorrente, Amalfi, la mer, le golfe et les îles, toutes les blancheurs et toutes les splendeurs! Mais, au lieu de descendre sur la plage et de se laisser éblouir par cette magie, Sanna- zaro s'enferme dans son cabinet et se bloque derrière les livres 1. Autour de lui, il a tous les livres, depuis

^. F. Torraca, La maleria delV Avcadia ciel Sannazaro, Gittà di Cas- tello, 1888.

400 LE QUATTROCENTO

les Idylles de Théocrite jusqu'à VAmeto de Boccace et depuis les Eglor/ues de Virgile jusqu'aux Eglogiies de Boiardo ; il a tous les livres qu'on peut avoir: il a Pon- tano comme il a Pétrarque; il a Homère comme il a Giusto deiConti, Ovide comme Luca Pulci, Nemesianus et Cal- purnius comme Jacopo Fiorino di Boninsegni; ilaSlace, Lucain, Anacréon, Catulle, Tibulle, Méléagre, Âusone, Longus, Séncque, Perse, Pline, Pausanias, Apulée, Claudien, Lactance; et il a les Evangiles. Et, avec tous ces livres, dont il est imbu, gorgé et saturé, Sannazaro élabore son Arcadia^, c'est-à-dire une nature léchée, soignée, pomponnée, émondée, sablée, sarclée et ràtis- séo comme un parc de jardin royal et propre à satisfaire le rêve champêtre d'un monde de cour-. Hélas ! oui, il trouve les haies de jasmins et de roses, les romarins et myrtes taillés en formes de tours, le lierre et l'osier qui s'entrelacent pour figurer un navire. Il trouve les bergers mélodieux et suaves, aux attitudes nobles et aux expressions choisies, qui chantent sur le luth, improvisent des vers, tirent de l'arc, joutent, boivent dans des coupes décorées parMantegna, soignent leurs façons, leur sourire et leur cave. Il trouve les bergères attifées en Nymphes. Il trouve les brebis qui ne font jamais de crottin. Il trouve le bosquet et le bocage. Et il trouve le langage doux, uni, melliflue, sans aspérités et saillies, tout sucre, tout lait et toutes (leurs. <( Aus- sitôt que la belle Aurore eut chassé les étoiles noc- turnes et que le coq crête eut salué de son chant le jour prochain, indiquant l'heure les bœufs accouplés ont coutume de retourner à la fatigue habituelle, un des pasteurs, s'étant levé avant tous les autres, alla réveiller la compagnie de son cor rau(|ue aux sons duquel chacun, laissant son lit paresseux, se prépara, avec l'aube blanchissante, à de nouveaux plaisirs; et

1. Sanxazaho, Àrcadia, con note ed introduzione di M. Schcrillo, Turin, 18«8.

2. Comparer VA'cntlia avec lu description du Popf^io renie diins le poème français contemporain du Vev<iier iChonneur.

LA RENAISSANCE A NAPLES 401

ayant chassé du bercail les troupeaux empressés, et nous étant mis en route avec eux, qui, pas à pas, réveil- laient de leurs clochettes les oiseaux somnolents par les forêts silencieuses, nous nous en allions pensifs, cherchant nous aurions pu tout le jour pâturer et demeurer pour le plaisir de chacun ^ »

Evidemment qu'on aime à Naples. On aime avec cette fougue passionnée, cette ardeur sombre, cette sen- sualité lourde et païenne que conseille l'astre qui brûle. La littérature ne s'en souvient pas. Elle imite Pétrarque, le poète élégant, aux sentiments bien appris, aux états d'âme bien portés, à la mélancolie de qualité patri- cienne. « Notre Pétrarque ! » dira Francesco Galeota, comme on disait jadis : «Notre Gicéron ! » Et nous avons le prétrarquisme qui vaut toutjustementle cicé- ronianisme. Oh! ces Garmosina, ces Cassandra, ces Virbia, ces Bianca, ces Diana, ces Béatrice, que tous exaltent à l'unisson, toutes divines, toutes blondes, toutes cruelles, toutes irréelles et toutes pareilles! Cheveux d'or et dents de nacre, seins de neige et lèvres de rose, teint de lys, cous d'ivoire ! Oh ! ces galants morfondus, qui continuellement se repaissent de vent et de fumée, tremblent, hésitent, supplient, geignent, plaignent, brûlent, meurent, ressuscitent, remeurent et chantent, sur le même ton, la même antienne de la main de leur Dame, du gant de leur Dame, du collier de leur Dame, du voile de leur Dame et du miracle qui unit chez leur Dame Cruauté et Amour. Et ce sont les sublimités platoniques, les extases célestes, les pâmoi- sons spirituelles, les langueurs mouillées, les proster-

1. « Ne più tostola bella Aurora caccio le notturne stelle, e'I cristato gallo col suo canto salutù il vicino giorno, significando l'ora che gli accoppiati buoi sogliono alla fatica usata ritornare, ch'un de' pastori prima di tutti levatosi ando col rauco corno tutta la brigata destando; al suono del quale ciascuno lasciando il pigro letto, si apparecchiù con la biancheggiante Alba alli novi piaceri, e cacciati dalle mandrt li volenterosi greggi, e postine con essi in via, li quali di passo con le loro campane per le tacite selve risvegliavano i sonacchiosi uccelli; anda- vamo pensosi itnniaginando ove con diletto di ciascuno avessimo como- damente potuto il giorno pascere e diuiorare. »

II. 26

402 LE QUATTROCENTO

nations, les agenouillements, les nostalgies, les rêves,. les émois, sans oublier les soliludes champêtres et les cheveux coupés en quatre du sentiment. Et ce sont les soupirs qui dévorent comme un vent. Et ce sont les larmes qui tombent comme une pluie. Et ce sont les fers, les chaînes, les cages, les rets, les filets, les ban- deaux, les (lambeaux, les glaces, tout l'attirail de Cupidon, tout le magasin de Gythère, tout l'arsenal de Paphos, auquel il faut ajouter les rayons, les étoiles et les soleils. Partout l'étrange maladie avait sévi; nous avons vu combien de princes, de beaux-esprits, de juris- consultes et de notaires en furent atteints, et que Lau- rent de Médicis lui-même, si clair, si joyeux, si heu- reusement équilibré pourtant, ne fut pas épargné; à Naples, elle fait d'effrayants ravages.

Tous pétrarquisent, le prince Ferrandino et le scribe Perleoni, le noble Sannazaro et l'Espagnol Gariteo, Petrucci, Galeota, Garacciolo, Tebaldeo de Ferrare, Serafmo dell' Aquila'. Tous imitent Pétrarque, àl'envi, à qui mieux mieux, à journée faite, et comme on n'imite jamais l'inimitable, ce qu'ils retiennent de Pétrarque, ce n'est pas son esprit, mais son bel-esprit, non son génie, mais sa manière, qui va devenir le manié- risme'.

Gariteo aime une Dame qu'il appelle Luna. Properce n'avait-il point baptisé sa maîtresse Gynthia? Et ce nom de Luna lui est occasion de calembours infinis. Luna n'est pas lune, mais soleil clair et vivant. Le visage de Luna est le soleil de sa lune. Si Luna venait

1. A côté du canzonière de Sannazaro, nous avons un canzonière de Gariteo (pub. par E. Fercopo, Naples, 1892), un canzonière de .lennaro (put), par N. Barone, Naples, 1883), un canzonière de Petrucci (pub. par J. Le Uoultre et V. Schultze, Uolo{,'ne, 1879), un canzonière de Serafino deirAf|uiia(pub. par M. Menf,'hini, Holo^^ne, 1894). Nous avons le canzo- nière de Perleoni, qui fut iuipriuié à iMilan en 1 192, et nous avons le recueil de [)oétes napolitains, que réunit, en 14(18, le comte de Popoli, (l. CanteliMo : lUtiutlori napolelani ciel Quattrocento, pub. par M. Man- dulari, Caserte, ISS'î.

2. A. lJ'Anc(»na. Del seirentismo nella poesin cortiginna delsecoloXV. Studi sullu pocsia popolare dei priini secoli, Milan, 1891, p. 151.

1

LA RENAISSANCE A NAPLES 403

à mourir, il y aurait au ciel deux soleils et deux lunes. Luna est partie pour l'Espagne : les yeux du poète appareillent à sa suite. Ils embarquent sur la nef de la Hardiesse et de l'Espérance. Ils ont pour voile le Désir, pour pilote l'Amour, pour vent les Soupirs qui poussent le bateau sur la mer de Souci. Un nuage de Dédain fond sur l'embarcation. L'Espérance et la Hardiesse meurent dans le naufrage. Seuls les yeux du poète cachés par le pilote Amour en réchappent et ils con- tinuent à brûler.

Tebaldeo, élève de Cariteo, renchérit sur son maître. Sa Dame, dansant dans un bal, se prend à saigner du nez : c'est Amour qui l'a frappée. Mais Amour, étant aveugle, s'est trompé; au lieu de frapper le cœur qu'il visait, il a touché le nez. Sa Dame se promène un jour qu'il neige ; chacun s'émerveille qu'en môme temps la neige tombe et le soleil luise. Cependant sa Dame est plus blanche que la neige ; alors, de jalousie, la neige se convertit en glace. La maison de sa Dame vient à brûler : le poète se garderait bien d'aller aider à éteindre l'incendie, car étant feu lui-même, il augmen- terait le désastre. C'est ainsi que les gens accourus au secours, enflammés par les yeux de sa Dame, com- mencent à prendre feu, tellement qu'ils doivent em- ployer l'eau à s'éteindre eux les premiers.

Serafino dell' Aquila, élève de Cariteo et de Tebaldeo, est comme une luciole, grâce au feu dont il brûle, et peut servir do fanal au pèlerin perdu. Il est soupir, et peut servir de vent au navire en panne. Il est larmes, et peut approvisionner d'eau une place assiégée. L'éventail de plumes de sa Dame est fait des ailes de Gupidon. La pierrerie que sa Dame porte au doigt est une fleur pétrifiée par son regard. La dent qui manque à sa Dame est une fenêtre ouverte par Amour : Amour, logé dans la bouche de sa Dame, arracha cette dent pour guetter l'ennemi par ce pertuis et lui décocher son trait à coup sûr. Serafino est tellement enflammé que

404 LE QUATTROCENTO

ses habits brûlent, que ses soupirs rôtissent les oiseaux du ciel, qu'il marche dans une enveloppe de fumée. Jetant bas ses habits, il se précipite nu dans la mer ; la mer s'enflamme et met le feu aux rochers qu'elle bat. Il avale de la neige ; cette neige elle-même se con- vertit en feu dans son ventre. Il garde dans son cœur, percé comme une pelote, trois choses, à savoir : de la braise, l'image de sa Dame, l'or des traits de Gupidon : tout l'essentiel pour frapper autant de médailles à l'effigie de sa Dame qu'il voudra

11 faut entendre ces grâces mignardes, ces joliesses prétentieuses, ces afféteries de salon : « Vos yeux, chante Serafino, crient à mon cœur : « Alerte, Alerte ! » Car ses défenses sont courtes, courtes. « Sus ! Sus ! Au pillage! Au pillage! Qu'il meure! Qu'il meure! Qu'il brûle! Qu'il brûle!... » Mais moi, doucement, douce- ment, je dis alors, alors : « 0 mort, ô mort, viens t'en, viens t'en, accours, accours ! » Tantôt bien haut, bien haut, tantôt muet, muet, je crie: « Au secours, au secours! De l'eau, de l'eau! Au feuM >/

Et avec la pastorale et la préciosité sévit l'éloquence.

Les poètes courtisans de Naples vont chercher dans le latin le style oratoire, le style togé, drapé, solennel, officiel, public, qu'appellent les cérémonies augustes et les salles U colonnes, et, dans la prose et la poésie italiennes, ils introduisent sa sonorité magniloque, son attitude de pompe, son bruit de buccin et de triompbe.

Sannazaro dédie à la noble dame Cassandra Mar- chese soncanzonnière en ces termes : « Non autrement qu'après grave tempête, le nocher pâle et travaillé, découvrant de loin la terre, s'efforce de tout son zèle

1, « Gridrin voslri occlii a inio cor: fora fora

Chè le (lifese sue son corte, corte. Su su, a sacco a sacco, inora niera, Arda arda, al freddo, al Treddo, forte forte ! lo pian pian dico dico allorii allora : Vieti viciii, accorri accorri, o morte n»orte. Or grido ^rido, alto alto, or niuto nmto, Acqua, acqua, al fuoco al fuocu, aiuto aiuto I »

LA RENAISSANCE A NAPLES 405

d'y aborder pour son salut et d'y recueillir le mieux qu'il peut les fragments de sa barque brisée, j'ai pensé ô rare et au-dessus de toute autre valeureuse Dame, après tant d'accidents grîTice au ciel esquivés, t'adresser à toi comme à un port très désiré, les épaves de mon naufrage, estimant ne pouvoir les garer en aucun lieu mieux à propos que dans ton très chaste giron, de tout temps les Muses sacrées avec la savante Pallas demeurent heureusement et avec plaisir ^ » Et l'humble conteur Masuccio, rivalisant avec Sannazaro, appor- tant à la cour son Novellino, comme le rustre offrait de l'eau à Xerxès, en initie la troisième partie comme suit : « Ayant fini mon voyage maritime accompagné de raisonnements aimables et caressants, et ma barque nautique étant conduite à terre, et ses voiles étant ployées, et les salutations étant recueillies, et les rames et le gouvernail étant mis en lieu sûr, et ayant rendu selon nos forces à Eole et à Neptune les grâces qui leur sont dues, et ayant abandonné complètement les délec- tables rivages, il me semble qu'il est grand temps désormais de mettre en partie à etfet ma longue délibé- ration, et cheminant par des sentiers âpres et ombreux, de continuer jusqu'à la fin cette troisième partie de mon Novellino avec un parler moins fier et acerbe que la première-. »

1. « Non altrimenti che dopo grave tempesta pallido e travagliato nocchiere da lunge scoprendo la terra, a nuella con ogni studio per suc scanipo si sforza di venire ; e, come inigliore puo, i frainmenti racco- gliere del rotto legno; ho pensato io, o rara, e sopra le aitre valorosa Donna, dopo tante fortune (mercè del Gielo) passate. a te, come a porto desideratissimo, le tavole indirizzare del luio naul'ragio ; stiniando in niun loco potere più comodaniente salvarle che ne! tuo castissimo grembo, nel quale d'ogni tempo le sacre Muse, con la dotta Pallade lelicemente, e con diletto dimorano. » (Sannazako, Le lUtne.)

2. « Finito il mio maritimo viaggio di vezzosi e piacevoli ragiona- menti accompagnato, el nautile legno a terra subdutto, e le sue vêle niegate, e i saluti raccolti, remi e temone riposti in assetto, e a Eolo e a Nettuno quelle débite grazie rendute che di esprimere mi sono state concasse, lasciati dal tutto H dileltevoli liti, mi pare ornai assai dovuta cosa la mia lunga deliberatione, in parle ad etl'etto mandare; e cammi- nando per aspri e ombrosi sentieri, questa terza parte del mio Novellino con meno fiero ed acerbo parlare che la prima insino a la fine conti- nuare. » (Masuccio, Novellino, p, 237.)

4C6

LE QUATTROCENTO

Pour célébrer la Nativité de laVicrge, Gariteo, ins- piré de Claudicn, adresse au Soleil cette prière: « Soleil, maintenant plus clair et rempli d'allégresse que jamais, illustre le monde, aujourd'hui que l'humanité fut si glorieusement ornée du bien divin, aujourd'hui que se célèbre l'anniversaire annuel de la Nativité de cette déesse de pudeur, qui était créée avant que le monde fût, âme immaculée, à qui le Seigneur qui régit l'uni- vers a dit : « Toi seule me plut sans seconde, épouse par moi élue, vierge éternelle ! » dans le corps intègre, intact et pur de laquelle fut jadis fondé le temple et la maison du Rédempteur du monde * ! >>

Le prince porte l'ordre de l'Ermellino sur son man- teau rouge. C'est l'argument d'un sonnet : « L'habit, Monseigneur, qui voile d'un feu sacré ton angélique et divine poitrine, et cette légère et candide hermine qui en- veloppe de son noble emblème ton beau cou, symbolisent les vertus de cette intacte plante sacrée, qui te montre au ciel son chemin, où, poursuivant ta royale destinée, tu n'as à craindre nulle oiïense mondaine des mortels '2. » Ferdinand le Catholique a pris Grenade aux Maures. Voici comme on félicite sa sœur Jeanne d'Aragon :

1. « Sol cliiaro or più che mai pien cli letizia Lustra il inondo ; or che fu con lantu gloria Del ben divino umanitade ornata;

Or che del di natale anriua inemoria

Si fa di quella Dea di pudicizia

Che, pria che '1 secol tusse, era creata :

Quell aima immaculata

A cui disse il Signer che il ciel governa :

Tu scia mi piacesti senza exemple,

Sposa eletta per me, vergine eterna!

Nel cui sincero corpo, intatto e nmndo,

Fu già fundato il templo,

Ë la naagion del redemptor del mundo. »

(OiuTEO, Le Rime.)

2, « La veste, signor mio, che'n foco accesa Vêla il tuo petto angclico, e divino,

Con quel leggiadro e candido prmcilino Ch'ai tuo bel cullo avvolge l'alla imi)n;sa.

Son le virtii <li (jnella sucra illcsa Planta ch'al cielo ti uioalra il suo cammino; Ncl quai seguendo il tuo real destiiio Non abbi a temer mai mondana ollesa. »

(San.nazaho, Le IHme.)

LA RENAISSANCE A NAPLES 407

« Mais lorsque tu entendras ton frère chanter, dis- moi, dis-moi, pourras-tu, haute reine, réfréner tellement ton âme divine et sacrée qu'elle ne répande alors ten- drement une ou deux petites larmes, et que, soupirant avec ferveur d'un amour fraternel, regardant joyeuse- ment vers Castille, elle u'indique point au loin de la main à ta chère fille ce pays il y eut d'âpres offenses, ■des fatigues, des efforts, et, à la faveur des étoiles amies, la belle victoire de Ion frère bien-aimé^. » Et comme les barons ourdissent contre le roi une de ces lointaines et sourdes conspirations qu'il faudra couper avec la hache du bourreau, Sannazaro s'imagine les arrêter par le moyen d'une similitude : « De môme que le juste et sublime moleur,qui voit tout et, de sa loi éternelle, tem- père les choses humaines et divines, régit là-haut et gouverne le soleil qui siège seul et supérieur parmi les âmes lumineuses et élevées, de môme il désigne ici- bas qui doit tenir les rênes en ses mains. Aussi d'une âme déchargée de soupçon et de mépris, d'un cœur rempli d'aménité et de douceur, retournez à votre pre- mière condition'! »

1. « Ma tu quando cantare l'udirai Dimi, diini, potrai, Alla Regina Frenar la tua divina e sacra mente, Che pur teneramente allor non H:ette Una o due lachryuiette, e cou lervore Gon un fruterno aaiore sospirando

E allegra niirando in ver Gastiglia Alla tua cara figiia con la uiano Non niostri da lontano quel paese Ove fur le aspre olFese e le fatiche E con le stelle amiche il vincer belle Del tuo amato fratello... »

(Sannazaro, Il trionfo délia fuma.)

2. « L'alto e giusto Motor che tutto vede E con eterna legge

Tempra le umane e le divine cose,

Siccome ei sol la su governa e regge

R solo in alto sede

Fra quelle anime elette e luminose,

Cosî qua giù propose

Chi de' mortali avesse in mano il freno :

Chè mal senza rettor si guida barca.

Perù con lalma scarca

408 LE QDATTROCENTO

C'est ainsi qu'en dépit de tant de choses charmantes et dignes d'intérêt, au moment même oii la Renaissance esta peine éclose et oii la Giostra de Politien garde dans ses vives arêtes je ne sais quel ressouvenir de la rude et robuste Commune, Naples, dont l'âme s'est liquéfiée au soleil de la monarchie, développe le germe de la décadence.

Désormais le cercle est bouclé, et l'œuvre du Quattro- cento est accomplie. Toutes les voies littéraires que suivra le siècle à venir sont ouvertes. A Machiavel, à Guichardin, au Castiglione, Leone-Battista Albert! a donné la prose, et les princes, les politiques, les cour- tisans ont donné la matière. A l'Arioste, Politien a donné la forme et Boïardo le fond. Au chevalier Marin, Naples a donné le mauvais goût.

Houlettes et pastorales, madrigaux et dithyrambes, festons et astragales ; ornements, préciosités, mièvre- ries, concetli; le geste grandiose et la miette mignarde, l'enjolivure et la boursoufflure,les afféteries maniérées, tortillées, chiffonnées, et les métaphores à panaches, les hyperboles dressées sur leur cothurne, la sonorité con- tinue; toutes ces efflorescences du vide qui s'enfle ou se brode, se tuméfie ou se ravaude, se pavane ou se pom- ponne ; toute cette littérature de monarchie qui va s'ac- croître, prospérer, infester les cours d'Espagne, d'An- gleterre, de France : tout cela est né.

Il faudra la Révolution pour le détruire.

Di sospetto e di sdegni, e col cor pieno D'un placer dolce ameno, Al voslro s ta to primo Ititurnate... »

(Sannazaho, Le Rime.)

LIVRE CINQUIÈME CONCLUSION

JÉRÔME SAVON AROLE ET l'eXPÉDITION DE CHARLES VIII

Si Ton compare la fin du Quattrocento à ses débuts, les progrès sont évidents.

La culture, jadis confisquée par l'Eglise, s'est faite laïque et mondaine ; l'antiquité s'est opposée à lascolas- tique ; Platon a été dressé à côté d'Aristote ; et le retour à l'italien marque, aussi bien que le déclin de l'Aca- démie platonicienne, le prochain abandon de toute disci- pline d'autorité 1.

La méthode critique, initiée par les humanistes, a jeté les bases du principe du libre examen qui, s'il n'est encore définitivement obéi, accomplit son chemin silen- cieux dans les intelligences. La méthode expérimentale est pour ainsi dire universellement proclamée. Et déjà, à côté de ces hommes de « discrezione » qui, durant tout le siècle l'appliquèrent constamment dans leur vie, d'excel- lents esprits sont nés qui vont lui soumettre leur raison-,

A l'école du modèle antique, l'art s'est épuré; il a pris des leçons de composition, de tenue et de théorie; il a conçu un nouvel idéal de beauté, exigeant la forme limpide, l'harmonie logique, la proportion divine; et cela, non seulement dans la poésie, mais dans les arts

1. «. Prends garde, dit Leone-Battista Alberti, que la Toi illimitée en un seul homme ne te mette et ne retienne dans Terreur. »

2. « L'expérience, dit Savonaroie, est la maîtresse de la vie. » « L'expé- rience, dit Giuniano Maio, est chose certainement plus utile que la science, car la science sait très bien dire, mais l'expérience sait beau- coup mieux faire. » « Fuis, dit Léonard de Vinci, les préceptes de ces spéculateurs, dontles raisons ne sont point confirmées par l'expérience. » Et encore : « La nature est remplie de raisons infinies qui ne furent jamais mises en expérience. »

410 LE QUATTROCENTO

du dessin, où, aux naïfs empiristes d'une fois, com- mencent à succéder des hommes, qui comme Bramante, Raphaël et Michel-Ange, savent se hausser jusqu'à la réalité de l'idée. Et Leone-Battista a pu enseigner à Léonard de Vinci « qu'il sied à une storia de mettre en scène peu de personnages, comme à la bouche d'un prince de prononcer peu de paroles. »

L'éducation, la condition de la femme, la législation pénale, l'assistance publique se voient renouvelées et améliorées. Des idées, neuves jusqu'à sembler des idées d'aujourd'hui, circulent dans l'air. L'imprimerie s'est répandue. Christophe Colomb a découvert l'Amérique.

Les sciences pures comptent des initiateurs hardis et puissants, comme le géomètre Luca Paccioli , l'astronome Paolo Toscanelli, le peintre Léonard de Vinci' ; elle les recrutent jusque dans les lettres, Pontano et Pic de la Mirandole, par exemple, pressentent quelques-unes des théories les plus modernes-. La science politique a été fondée expérimentalement par les princes. La science militaire a été fondée expérimentalement par les condottières. La Signorie, substituant à l'agglomé- rat de la commune médioévale l'unité de la tyrannie, a inauguré le fonctionnement de l'état moderne. Avant, jadis, nous nous sentions dans un régime dont la for- mation intellectuelle apparlenait au passé; aujourd'hui nous nous sentons dans un régime dont la formation intellectuelle est la nôtre. Et si l'on réfléchit que c'est l'Italie à elle seule, livrée à ses propres forces, sans influences étrangères et collaborations du dehors, qui a accompli ce pas décisif, on comprend de quelle lumière elle resplendit. Elle se dresse, au centre d'une

1 . L'art ne constitue qu'une étaije, la nreniière, du développement de Léonard de Vinci. (Lrojiakdo da Vinci, Frammenli letlerari e filosofici, pub. par K. Solini. Florence, 1899.

2. M. L^'on Dorez j)rctend que, dans son Adversi/s Aslroloqinm diviiia- Iricem, Pic de la .Viiranilole « s'est avancé jusqu'au bord de la science moderne ». (iiorn. stor. délia lett. it. Turin, 181>'J, p. ii'JS. Le pncuie des Mfiléoiea de Pontano lui assure, selon M. (i. lionito, une petite place parmi le» précurseurs de la géologie et de la paléontologie modernes. (G. liufflto, Un poeta délia tneleorologia, Naples, 18'J9.)

JÉRÔME SAVONAROLE ET i/eXPÉDITION DE CHARLES VIII 411

Europe encore barbare, comme un fanal. Elle est l'ini- tiatrice intellecluelle par excellence, la patrie de l'esprit et de la beauté, la roule de l'avenir et du progrès. On vient chez elle chercher des leçons et des exemples, se débrouiller le cerveau et s'affiner le goût, prendre con- tact et prendre langue. Un stage dans ses villes d'élé- gance et d'érudition s'impose désormais à l'honnête liomme.

Du même coup elle est frappée à mort. Elle est pro- fondément atteinte aux sources mêmes de la vie. Elle est déchue de la hauteur souveraine oij l'avait portée le rêve gigantesque et titanique de l'âge précédent. Elle s'est appauvrie dans la mesure môme elle s'est civilisée. Elle a perdu les rudes et solides vertus qui l'asseyaient sur une base de croyance, de civisme et d'amour. Jadis, héroïque, robuste et primitive, elle pouvait concevoir une Dwine comédie; aujourd'hui, courtisane, voluptueuse et trop savante, elle n'élucubre plus que les Stances d'un Politien. La foi le cède à la culture, la matière à la forme, le sentiment à l'art. Un univers entier s'est écroulé sans que rien de cohérent et de stable le substitue, ni qu'on puisse recueillir sur les ruines des certitudes et des institutions autre chose que des velléités disséminées et des égoïsmes supé- rieurs. La substance humaine raréfiée coule par toutes les fissures du temple ravagé. S'il est vrai qu'il faille plus d'existence véritable pour se commander que pour se satisfaire, l'âme était plus vaillante et mieux trempée, lorsque, courbée sous le joug du moyen âge, elle savait s'y soumettre, qu'aujourd'hui où, débarrassée de toute contrainte, elle court à son plaisir. 11 y a des intérêts : il n'y a plus de principes. Il y a des idées : il n'y a plus de convictions. Il y a des préoccupations de science, de pensée, de beauté, les plus fines, les plus délicates, les plus charmantes qui soient au monde; il n'y a plus de conscience. Aucune époque ne donne un exemple de désagrégation morale plus évident.

412 LE QUATTROCENTO

Un pape qui, dans le palais de Saint-Pierre, célèbre des priapées ; des prêtres qui tiennent des bouche- ries, des cabarets, des brelans et des lupanars * ; des religieuses qui lisent le Déca?né?'on et se livrent à des saturnales 2. Des couvents qui sont réduits, selon l'avis du contemporain Masuccio, à l'état de « cavernes de brigands 3 », et selon l'avis d'un autre contempo- rain, Burchard, à l'état de « mauvais lieux^ », el dans les égouts, comme relief des orgies, on recueille des ossements d'enfants^. Des églises oîj. l'on godaille et ripaille, et l'on accroche devant les images miraculeuses des ex-voto représentant les parties honteuses par elles guéries. Une Curie qui n'est plus que le siège de souillures, d'adultères, de viols, de débauches et de lascivités 6. A Manloue, la bonne marquise Isabelle, qui laisse ses demoiselles d'hon- neur écrire ouvertement des polissonneries à son jeune fils^; à Naples, la reine Ippolita qui laisse le conteur Masuccio lui raconter sur un ton dithyram- bique les entreprises galantes de son mari^; à Rome,

1. Pie 11 doit leur défendre de se livrer à de pareils abus et « de se faire pour de l'argent entremetteurs de prostituées». Mais ils continuent si bien que le pape Innocent VIII doit renouveler la bulle de Pie 11. fRinaldi, Annales ncclesiœ, t. XXX. p. 152). « Talis eiïecta est, écrit Tln- lessura, vila sacerdotium et curialium,utvix reperiatur qui concubinam non retinet vel saltem meretricem ad laudem Dei et fidei ohristianjc. »

2. Déjà, au début du siècle, le pieux Ambrogio Traversari écrit d'elles : « Onines feruie irépva; eî'vat. »

3. Più presto spelunche de' ladri che abitacoli di servi di Dio. »(M.\scc- cio, Noreilino, p. 14.)

4. « Monaslena nobis quasi omnia Jam facta sunt lupanaria, nemine contradicente. >(Jean Burchakd, Diarium, pub. parThuasne, Paris, 1884. 3 vol., 111, 79 )

o. Masitcio, nov. 6.

6. « Quis hurrenda libidinum raonstra enarrare non formidet, que aperte jaui in illius donio, et spreta dei atque hominuni reverentia, commitlunlur? Qiiot stupra, (|uot incestus, quot filiaruin et (ilioruni sordcs, r|notper l'etri palatiuui nieretricuin, quot lenonum grèges atque concursus, poslribula et lupanaria, inaiori ubique verecundiacontinen. » (BuitCHAhii, //j , III, p. 1S4.)

7. « Madunna Aida basa le niane a. V. S... La Nocencia e mi IJrogna baseino e tocbcino le coste e quelc parte che piii ne piaco... Prcgeu)ti V. S. vf)Iia tochar el corpo a la S. Ducbessa... » (Luzio-Uenier, Maulova e Ur/jino, Turin, 18'J.J, p. 20.1.;

8. L'entreprise est de cette sorte, que le prince Alphonse, ayant obtenu le rendez-vous qu'il souhaitait d'une femme mariée, cède le pre- mier tour 4 un de ses courtisans qui était amoureux de cette dame.

JÉRÔME SAVONAROLE ET l'eXPÉDITIOIV DE CHARLES VIII 413

la princesse Lucrèce Borgia, qui rit à regarder des étalons saillir des juments; à Ferrare, le duc Alphonse qui, de jour, se. promène nu dans la rue avec ses compagnons ; à Venise, le doge Mocenigo, vieillard de soixante-dix ans, qui soufTre d'hématurie à la suite d'excès libidineux^; à Milan, le prince Galeazzo Sforza qui réjouit ses repas de scènes de sodomie ^ ; à Rome, Alexandre Borgia, Lucrèce Borgia, César Borgia, qui réunissent cinquante courtisanes pour charmer leur veillée et les mettent nues'^. L'empire vend des titres chevaleresques propres à octroyer une réputation neuve à un homme « infâme^ ». L'Eglise vend des indul- gences; le mari, par acte notarié, la main sur les Evangiles, vend sa femme au souverain et lui aban- donne tous ses droits\ Une singulière déformation du

Pour une générosité pareille, que Masuccio raconte à la propre femme d'Alphonse, le conteur ne se contient pas d'admiration : « Quel prince! heureux les domestiques qui le voient, heureuses les créatures qui le servent, mais surtout, heureuse toi, immortelle déesse Ippolita, sa très digne épouse... 0 le beau ménage ! 01a glorieuse compagnie, ô la sainte union... Amen. » (Masuccio, Novellino .)

1. « Perché quando ritornù capitano délie armate el menô doe femine turche zoùine, et ut fertur assai belle, le quali per evitare la sollitudine, sidice,che moite voltetene tutte doe nellecto. » (L. Pastor., Sloria deipapi, op. c. 111, p. 80.)

2. « Si laceva stare dmanzi garzoni che alla scoperta usavano l'atto soddomitico. » (Alleghetti, Uiario, p. 777. Voir la farce d'une obscénité féroce qu'il joue à un de ses courtisans. Ib.)

3. « Primo in ve.stibus suis, deinde nude. Post cœnam, posita fue- runt candelabra communia niensa", in candelis ardentibus per terram, et projecta ante candelabra per terram castanetu quas meretrices ipsie super n)anibus etpedibus, nuda', candelabra pertranseuntes colligebant. Papa, duce et D. Lucretia sorore sua presentibus et aspicientibus. » (BuKCHAKi), op. c. 111, 167.

4. « Che possa legitlimare Bastardi di ogni ragione, fare Nodari, fare un Notaro falsario, et infamis, de buona fama, e redurre in primo stato. » Diario f'errurese, Muratori, Rerum, XXIV, 218.

ii. Le lundi 'J janvier 147.5, le duc Galeazzo Sforza se rend avec sa cour dans la maison de Lucia di Marliano et de son mari Ambrogio de' Raverti, et là, en leur présence et par-devant notaire, il passe un acte dûment instrumenté selon lequel il s'engage à donner à ladite Lucia une maison, un titre, une rente de douane, la souveraineté de Gorgonzola, le droit de figurer à la cour en face de la duchesse, à con- dition que ladite Lucia jure d'être toute au Seigneur duc, dummodo prae- dicta Lucia marito suo per carnalem cojnilam se non commiscal, sine speliali licentiain scriptis, nec cum alio viro rem habeat,nobis exceptis, si forte cum ea coire libuerit aliquando . » Voirie document dans Cantù, L'ubnle Variai, Milan, 1854, p. 123. Ceci confirme ce que nous apprend l'historien Corio qui dit qu'à Milan le « père vendait sa fille, le mari sa femme, le frère sa sœur ».

414 LE QUATTROCENTO

langage correspondant à cette étrange perversion des mœurs : la virtù ne signifiant plus qu'un mélange de scélératesse et de courage, Vonore voulant dire le train magnifique, la furberia devenant l'habileté. Les femmes publiques ennoblies-, et les honnêtes femmes s'cfforçant de ressembler aux femmes publiques^. Les filles qu'on doit arracher à leurs pères, dès qu'elles sont nubiles, et les sœurs qu'on doit arracher à leurs frères 3, Le poison et le poignard, l'assassinat, le stupre, l'inceste, et dans toute l'Italie, à Rome, à Florence, à Bologne, à Ferrare, suivant le chroni- queur anonyme de Venise, le « péché abominable », florissant au point qu'il faut encourager l'institution des courtisanes. Voilà ce qui se passe. « Les choses en sont arrivées à un tel excès, dit Vespasiano, que les vices scélérats et énormes, il n'y a plus personne qui y prenne garde ^... » « Nous pouvons dire et juger, écrit l'Infessura, que la miséricorde de notre Dieu s'est tournée en luxure et en œuvre diabolique et il n'y a plus personne qui s'en étonne^ « Oh.. Oh !... Oh!... prêche fra Bernardino, j'ai su des choses... pouah/* ! »

Il n'y aurait que la foi pour endiguer cette marée de pestilence qui monte et va tout engloutir. Mais cette foi s'est mitigée, atténuée, adoucie^. Si, ainsi qu'on l'a

1. « Cortigiana, hoc est merctrix honesta », dit Burchard.

2. « lo viJi già, dit Matteo Palmieri, portaliire di pubbiiche meretrici nella città. per disoneste e sfacciate riprese, che non dopo lungo lenino usate dal fiore deile nobili donne, furono nelie feste solenni e granat, gentili, giulive e leggiadre in pubblico reputate. » (M\tteo Palmibiu, Vita civile, op. c, p. 98.)

3. San Hernardino s'écrie : « Fa' che a pena al padre tu non la fidi, miando clla è grande dainarito, » et ailleurs : « Or sete voi che lassate (lormire le vostre (igliuole i-o'loro proprii fratelli? Eiinmé, voi non pen- sate a queilo che potrcbbe intervenire. »

i. < In tanto eccesso era venuto ogni cosa che gli scellerati ed enormi vizi non era pii'i che li stitnasse. *

S. « Dicere ac judicare po.sstiuins niisericordiam Dei nostri in hixu- riain et opus diabolicum conversam esse, et nullu.s est qui ex hoc non niiretur. »

0. « (> 0 o! lo ho saputo cose... Aou ! »

1. Telle qu'elle résulte <lcs laudes, des vnppresenlazioni sacre, des pré- dications populaire» qu'il nous a clé donné d'examiner, elle est h tout

JÉRÔME SAVONAROLE ET l'eXPÉDITION DE CHARLES VIII 415

VU, elle enveloppe encore la vie, elle ne la pénètre plus. Elle est parallèle à la vie. Il y a des âmes pieuses ; il n'y a plus un peuple pieux. Il y a du bien clairsemé ; il n'y a plus une tradition du bien. Saints enthou- siasmes d'un François d'Assise, d'un Jacopone da Todi, d'une Catherine de Sienne, nobles folies, élans éperdus, comme ces choses sont aujourd'hui Unies! Aujour- d'hui, le cœur le plus ému, San-Bernardino, ne veut plus se l'aire ermite pour des laiterons trop amers. Aujourd'hui, les chrétiens les meilleurs ressemblent aux bergers de la Nativitâ^ qui consentent bien à suivre l'étoile de Bethléem, mais non sans s'être garni l'esto- mac au préalable. Aujourd'hui une guerre, un fléau, une disette, pourront bien soulever un instant des foules éplorées ; mais, le danger passé, l'émotion terminée, chacun deviendra « plus grand ribaud qu'auparavant ». L'air du siècle a envahi le temple. Toute notion de justice, de vérité, de rectitude morale, semble irrépara- blement oblitérée. Le don de s'étonner et de s'indigner est perdu avec la notion exacte de ce qu'est le bien et de ce qu'est le mal. Une perversion, touchant l'aberra- tion et l'inconscience, règne comme en pays conquis. Le cri qui monte est un cri de plaisir. Plus de chaînes, plus de fausses hontes, plus d'imporlunes et misérables retenues! Gloire à la nature, à la raison et à la vie! Jouissons au soleil jusqu'au crime! Satisfaisons nos appétits et nos instincts ! Cultivons nos goûts et nos pas- sions ! Demeurons fidèles à la terre! Vautrons-nous dans la joie!

Alors un homme se lève.

Il n'est rien, ni riche, ni beau, ni éloquent. C'est <( un petit homme de trois sous », au manteau troué, au profil de bouc, aux yeux qui cependant lancent des flammes dans l'ombre du capuce baissé de sa tunique.

prendre en pleine décadence. La laude quattrocentiste n'est que la putré- faction du genre; \n. sdcra rappresentazione se iransforme à mesure Qu'elle avance en divertissement profane ; le frère prêcheur enlève la discipline des mains de la princesse de Milan.

416 LE QUATTROCENTO

Il est en 1452, à Ferrare ; mais, ne reconnaissant pas sa patrie dans cette ville de fête, il l'a quittée. Il a pris à Bologne la robe des Dominicains, portant le deuil éternel de son âme; il a prêché à Bologne, à Ferrare, à Florence, à San-Gimignano, à Brescia, à Gênes ; en 1494, il est venu se terrer pour toujours à Florence, dans le cloître de Saint-Marc.

Il semble qu'il assume à lui seul l'horreur de tout son siècle ; il se charge de la responsabilité écrasante de ses fautes ; il souffre en proportion du mal qu'on commet. Mieux qu'un dignitaire de l'Eglise, qu'un prince du monde, qu'un savant, qu'un platonicien, qu'un orateur, qu'un maître d'éloquence, c'est dans cette époque qui décline, s'affaisse et tombe, cette chose unique : une conscience. Les autres n'en avaient plus ou n'en avaient pas : il en a pour le compte de tous.

Dans l'ombre du cloître, dans le commerce quotidien de la Bible, dans ses voyages, dans ses méditations, dans ses prières, lentement, sourdement, une immense indignation s'est accumulée en lui, a grandi en lui, et elle anime son âme de solitaire ascétique d'un zèle farouche. Il a le cœur soulevé de dégoût, le palais frotté d'amertume, le fiel gonflé d'imprécations ; et devant les scélératesses, les ignominies, les abomina- tions qui s'accomplissent à journée faite, d'autant plus grand qu'on est plus misérable, d'autant plus pur qu'on est plus souillé, douloureux dans la mesure mémo l'on jouit, il se dresse, justicier formidable.

Seul et unique, il se carre en face de son époque et prétend l'arrêter sur la pente fatale il la voit préci- pitée. II ne rit plus, ne transige plus, ne temporise plu8 comme les autres Frères Prêcheurs. Le temps de rire est fini. Le moyen de distinguer et de signer des com- promis, quand c'est la descendance d'Adam qu'il s'agit de sauver du déluge, quand c'est Sodome et Goniorrhe qu'il s'agit de sauver du feu du Ciel! Il leur crie : « Vous êtes une race de cochons ! » II leur crie : « Vous

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êtes corrompus en tout, dans la parole et dans le silence, dans l'action et dans l'inaction, dans la croyance et dans la mécréance ! » Il leur crie : « Il n'en est pas resté un, un seulement qui veuille le bien; il nous faut retourner à l'école des enfants et des humbles femmes, les seuls chez qui demeure quelque ombre d'innocence. » Serviteur de Dieu, ambassadeur de Jésus, automate de sa conscience, il va, contraint à aller, sans savoir il va, instrument docile et passif aux mains d'une volonté supérieure qui l'oblige et le torture.

Il parle. 11 faut qu'il parle. « Un feu interne brûle mes os, avoue-l-il, et me contraint h parler. » Il parle contre tous et contre tout, contre les idées, contre les tendances, contre les forces qui déchirent ou emportent son pays misérable ; contre la richesse, contre la volupté, contre la gloire; contre les habitudes qui semblent les plus acquises, contre les institutions qui paraissent les mieux solides ; et à cette Italie épicu- rienne, raffinée, savante, aux Alexandre Borgia, aux César Borgia, aux Lucrèce Borgia, aux Ludovic le More, aux Pierre de Médicis, il prêche le Sermon sur la Montagne. « Tu dis : la bonne vie, l'heu- reuse vie, c'est le gain; et Christ dit: heureux les pauvres en esprit... Tu dis : l'heureuse vie, c'est le plaisir et la volupté; et Christ dit : heureux ceux qui pleurent... Tu dis: l'heureuse vie c'est la gloire; ei Christ dit : heureux quand les hommes vous auront persécutés et méprisés ! » Que lui importent les précautions, les ménagements, les colères qu'il sème et qui vont se déchaîner contre lui? Laurent de Médicis qui le flatte, et à qui il mande de prendre soin de son salut? Le Bentivoglio, dont il appelle la femme une diablesse? Le pape Alexandre VI, qu'il appelle un vieux fer? II n'a peur de rien, « Et si tout le monde, Père, se dressait contre toi? Je resterais solide parce que ma doctrine est la doctrine du bien

II. 27

418 LE QUATTROCENTO

vivre. » Rongé par les privations, par les macérations, par les jeûnes, nourri de ramcre substance des Pro- phètes, dévoré de visions d'Apocalypse, une flamme sombre l'illumine. Il brandit son crucifix comme une verge. Il lance sa voix comme un tonnerre. Il déverse son éloquence comme un torrent aux flots de lave sur les immondes écuries d'Augias. Absolu, tyrannique, despotique; dur aux autres et dur à lui; jour et nuit sur la brèche, il prêche, il prédit, il prophétise, il écrit, il organise, il travaille, il crie. Il crie tant qu'il s'enroue. Au-dessus des foules qui, au cloître de Saint-Marc, se prosternent devant le pied de roses, qui remplissent le Dôme, qui remplissent la place du Dôme, son cri passe au large dans la stupeur et dans Tefl'roi. Il retentit jus- qu'à Rome, jusqu'en Allemagne, jusqu'en Turquie. Il frappe, il ne se lasse de frapper à coups redoublés, à coups pressés, le scandale, la corruption, l'abjection générales ; et tous se croient visés, parce que tous se sentent atteints. Ce n'est pas seulement ceci ou cela qu'il faut détruire, c'est le système existant dans sa totalité effrontée, l'univers social, politique, moral, intellec- tuel, religieux : l'anarchie, l'apathie, la tyrannie, la lettre, le curialisme.il n'y a rien qui vaille, rien qui n'ap- pelle l'anathème et la colère de Dieu, L'Italie, en proie à la haine, à l'ambition, à la luxure, est peuplée de ruf- fians et de scélérats. Rome est devenue une étable de courtisanes : « Mille, c'est peu; dix mille, c'est peu; quatorze mille, c'est peu ; les hommes et les femmes se sont faits courtisanes. » L'Eglise, dont « la puanteur est montée jusqu'au ciel » et qui « a multiplié ses forni- cations par le monde », s'est transformée en lupanar. L'autel n'est plus que « la bouti(|ue du clergé ». Les prélats nourrissent des courtisanes, des chevaux, des chiens; leurs maisons sont remplies (h» tapis, de soies, de parfums cl d'esclaves ; leurs cloches ne sonnent que pour le pain, l'argent et les chandelles ; ils vendent les bénéfices, ils vendent les sacrements, ils vendent les

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messes du mariiige, ils vendent tout. Jadis le pape appelait ses enfants ses neveux ; aujourd'hui il les appelle ses fils. Les princes sont luxurieux, avares et superbes; yeux pourris, oreilles pourries, bouches pourries; ils corrompent les magistrats, dépouillent la veuve et l'orphelin, oppriment le peuple, de telle façon que le peuple est devenu pusillanime, que chaque vertu est morte, que chaque vice est exalté. Les cours sont les refuges de tous les animaux et monstres de la terre, le nid de tous les ribauds et scélérats ; ils y accourent parce qu'ils y trouvent façon et excitation à se passer leurs envies les plus elTrénées ; là, les mau- vais conseillers qui sucent le sang du peuple ; là, les philosophes et les poètes qui, grâce à mille fables et mensonges, font remonter aux dieux les généalogies des princes ; et là, ce qui est le pire, les religieux. Les savants sont emprisonnés dans l'antiquité comme dans une geôle; ils ne savent rien que courir après les Grecs et les Romains, veulent la môme forme et le môme mètre, évoquent les mômes dieux, ne savent pas employer d'autres mots ni d'autres noms que ceux employés par les antiques ; non seulement ils n'osent rien dire contre l'antiquité, mais ils n'osent rien dire que l'antiquité n'ait dit; avec Aristote, Platon, Virgile et Pétrarque, on sollicite les oreilles et on ne s'oc- cupe pas du salut des âmes. « 0 grand avantage des âmes, délecter les oreilles du peuple, s'attribuer des éloges divins, citer avec une bouche ronde les philo- sophes, chanter, moduler vainement les chants des poètes, et oublier l'Evangile ! » Ceux qui se le rappellent ne font guère un meilleur ouvrage. « L'exemple d'une pauvre ignorante qui, agenouillée, prie Dieu avec fer- veur, apporte aux Ames une utilité bien plus grande que le poète et le philosophe, qui célèbrent pompeuse- ment les louanges de Dieu. » Les peintres représentent la sainte Vierge comme on représente une courtisane. La religion ne consiste plus qu'en un étalage de belles

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mitres, de beaux surplis, de belles cérémonies; pier- reries, chandeliers d'or et d'argent, orgues, encens, musiques, chasubles de brocart, chapelles patriciennes, calices armoriés: « Va ici ; va là; baise saint Paul, baise saint Pierre, ce saint, cet autre. » La beauté n'est plus que dans les couleurs et les effigies, l'éloquence dans la lettre, la poésie dans hi quantité des syllabes et dans l'ornement des mots.

Sus à cet opprobre du monde ! Point de quartier, de trêve et de merci! CEil pour œil! Dent pour dent ! Guerre au mal, guerre au tyran! «Coupe-lui la tète, et quand môme il serait le plus grand de la maison, coupe-lui la tète « 0 Florence ! ta clémence est de la démence! » Sus aux courtisanes, « morceaux de viande avec des yeux » ! Sus aux joueurs, « maudits dans les champs et dans les cités, maudits dans le fruit de leur ventre et de leurs terres, maudits en allant et maudits en retournant ! » Sus aux sodomiles ! Sus aux livres inu- tiles! Sus à la fausse éloquence, à la fausse beauté, à la fausse science qui ne se repaît que d'orgueil ! Sus à Rome ! Sus à l'Kglise! Et sus à la joie, à tous ceux qui vivent dans la joie, à tous ceux qui vivent de la joie! « Suspendez les jeux, suspendez les bals, fermez les tavernes ! C'est temps de sanglots et non de fêtes ! » Dft grands fléaux se préparent. Les puissants du jour vont^ mourir. Charles VIII s'approche; Gaston de Foix s'ap- proche. Des chrétiens véritables, qui rougissent en Alle- magne et en France des péchés de l'Eglise, sont déjà debout ; Rome sera ceinte de fer, et l'Italie sera la proie de l'Etranger. Il y aura désordre sur désordre, guerre sur disette, pestilence sur guerre ; désordre ici, désordre Ik; on entendra un barbare à cette place et un autre barbare à cette autre place ; la loi des prêtres sera morte, et ils perdront leur dignité; les peuples seront écrasés de tribulations; fous les hommes perdront l'es- prit. « Croyez-en le frère, les gens ne suffiront pas à ensevelir leurs morts; et il n'y aura pas moyen de faire

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tant de sépultures. Il y aura tant de morts parmi les maisons que les hommes iront par les rues disant : sortez les morts! et ils les mettront sur des chars et sur des chevaux, et ils en feront des tas et ils les brûle- ront. Ils passeront par les routes, criant fort : Qui a des morts? Qui a des morts? Quelques-uns apparaîtront disant : Voici mon fils, voici mon frère, celui-ci est mon mari... Ils iront de nouveau par les routes, criant : Est-ce qu'il n'y en a plus un qui soit mort? Qui n'a plus de morts?... «Tous éclatent en sanglots et celui qui prêche pleure comme les autres.

A tout prix, par tous les moyens, il faut fermer la bouche à ce forcené : il résiste. Le pape le flatte : il résiste. Le pape le menace : il résiste. Le pape l'excom- munie : c'est lui qui excommunie le pape : « Et si jamais pape a dit quelque chose contre ce que je dis maintenant, qu'il soit excommunié ! » Plutôt qu'aux hommes, lui prétend obéir à Dieu. C'est Dieu qui Ta élu à cette mission terrible d'oracle et de vengeur, qui l'a arraché à sa famille et à sa patrie, qui l'a jeté dans cette mer de tempéle, qui l'oblige à ne pas pouvoir, à ne pas vouloir retourner en arrière, et qui le conduit à un supplice dont il porte la douloureuse certitude. II parle au nom de Dieu, prophétise au nom de Dieu, travaille sur la terre au triomphe de Dieu.

0 Dieii, à la place de cette Italie morcelée, factieuse, enroulée dans la fange, une Italie unie dans le bon vouloir, contrite et repentante, pleurant ses péchés et besognant en bon accord et en paix pour son salut ! 0 Dieu, à la place de cette Eglise aux calices d'or et aux prêtres de bois, une Eglise aux prêtres d'or et aux calices de bois, régénérée et purifiée, guérie de ses fautes, lavée de ses misères, ayant chassé du temple les vendeurs et les oripeaux, et prêchant dans des cathé- drales nues la simple parole de vérité et de vie! 0 Dieu, à la place de celte Florence putréfiée dans le palais des Médicis, une commune libre, n'ayant pour

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LE QUATTROCENTO

corps que le peuple universel, n'ayant pour roi que le Seigneur Jésus-Christ, rendant des ordonnances dans le style des versets de la Bible, brûlant ses mauvais instincts comme ses fausses images, et purifiant la Péninsule au cœur de laquelle Dieu l'a placée dans ce but ! Toute une humanité austère, sévère, hargneuse dans le bien et pour le bien ; les laudes dévotes rem- plaçant les chansons obcènes ; les processions pieuses remplaçant les mascarades du carnaval ; une science de vérité au lieu d'une science de mensonge; une beauté d'âme parlant à Fâme au lieu d'une beauté de forme parlant aux sens ; les tavernes fermées, les lupanars fermés ; les livres inutiles, les livres faux, les livres méchants, les livres du diable jetés au feu avec les peintures et les parures du monde ; des gens gardant au chevet de leurs lits des images de la mort, se rap- pelant à chaque heure « qu'ils n'ont été mis sur la terre que pour y apprendre à mourir » ; des femmes vierges d'ornements, marchant les yeux baissés dans la rue ; des marchands lisant la Bible sur leurs comptoirs; des enfants aux petites étoles blanches psalmodiant des litanies ; plus de crimes, plus de scandales ; rien que des privations agréables, des dépouillements joyeux, des vertus roides, frustes et rugueuses ; et au-dessus de cet édifice idéal, long comme la foi, large comme la charité, haut comme l'espérance, la croix de Dieu. Tel le rêve du Frère.

Il veut arrêter le siècle, supprimer l'histoire, recon- duire la Florence de Laurent de Médicis à la Florence de Cacciaguida. Alors Florence l'attacha h un poteau et mitle feu dessous. Selon un contemporain, «il pleu- vait du sang et des viscères ».

Savonarole mourut le 23 mai 1498. Avec son sup- plice, toute fin est accomplie, et l'Italie, qui a déjà été soumise à l'expédition de Charles VllI, vit son dernier moment.

Ce fut le 22 août 1494 que le roi de France se mit

JÉRÔME SAVONAROLE ET l'eXPÉDITION DE CHARLES VIII 423

en route pour franchir le mont Genièvre et descendre dans la Péninsule ouverte. 11 avait avec lui 3.600 lances, 6.000 archers bretons, autant d'arbalétriers, 8. OCO arque- busiers, 8.000 piquiers suisses, 140 canons et une multitude de pièces légères. Il avait plus et mieux, il avait cette mission vengeresse dont Savonarole l'avait investi, et il avait l'escorte de Dieu, qui selon son historiographe Commines, conduisait son armée. D'Asti il se rendit à Pavie, de Pavie à Pise, de Pise à Florence, de Florence à Rome et àNaples. Et lui, le petit roi barbare de vingt-deux ans, chétif, maladif et illettré, s'empara, sans coup férir*, de cette Italie esclave de l'intelligence, de la beauté et de la joie, qui pouvait l'éblouir par sa richesse, sa culture et ses fêtes, qui ne pouvait lui opposer aucune foi, aucune volonté et aucun peuple. Et après lui, qui a ouvert le chemin, c'est Louis Xll. Et après Louis XII, c'est François I'"'. Et après François I", c'est Charles-Quint. Et après Charles-Quint, ce sera le long sommeil de mort sous la domination étrangère.

Ainsi finit le Quattrocento et ainsi finit l'Italie.

Le Quattrocento, qui redonna à l'humanité confiance dans sa force et dans sa raison, qui produisit les exem- plaires (Ihumanité les plus complets, les plus harmo- nieux, les plus universels qui furent au monde, qui vit briller un Leone-Battista Alberti, régner un Laurent de Médicis, mourir un Pic de la Mirandole et naître un Léonard de Vinci, montra tout ce que l'homme pouvait. Et ce fut sa gloire.

Il montra aussi et c'est la leçon qu'il nous laisse que l'homme livré à ses propres forces, arraché de l'ensemble, n'appuyant que sur lui-môme et ne vivant que pour lui seul, ne peut pas tout.

\. « Les François, écrit Commines, y sont venus avec les espérons de bois, et la croye en la main de fourriers pour marquer leur logis, sans autre peine. »

FIN

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1. On ne trouvera ici que la Bibliographie des œuvres des Quattro- centistes italiens et les références des publications que nous avons pu uiettre à profit jusqu'à l'année 1900.

Les éditions antérieures au xvi° siècle n'ont point été citées, non plus que les traductions des textes grecs et latins, parce que, selon Dome- nico da Prato, la fama è delli mvenlori délie opère e non delli Iradut- tori.

Les Bibliofîraphies des autres sujets ont été indiquées au fur et à mesure des matières traitées dans le corps de l'ouvrage.

Parmi les ouvrages généraux, qui ont servi de guides à ce travail, il convient de rappeler à cette place la Storia delln lelleratura ilaliana de Tiraboschi, qui reste le fondement; celle de Ginguené, toujours pré- cieuse; celles de Settembrini et de De Sanctis ; celle de Gaspary; Gli scriltori d'Ilalia de Mazzuchelli, le Dissertazioni vossiane de Zeno, la Bibliol/ieca lalina de Fabricius ; les études désormais classiques de Burckhardt, de Voifrt, de Geiger, de Gregorovius, de Pastor; la belle introduction de Pasquale Villari à sa monoo^raphie de Machiavel, et le livre si précieusement informé que Vittorio Rossi a consacré au Quat- trocento dans la collection, éditée par la maison Vallardi, de la Storia letleraria d'Ilalia.

426 LE QUATTKOCENTG

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N. li. Parmi les (lueli)ues publications de l'année 1900 que nous n'avons pu mettre à prolit, il convient de citer les deux suivantes : C. Marchesi, Bartolomeo délia Fonte, Catane, 1900. 11. Fkittet.li, Gianntonio de'' Pandoni detto il Porcellio, Flo- rence, 1900.

TABLE DES MATIÈRES

DU SECOND VOLUME

LIVRE TROISIEME LE GREC

CHAPITRE I

DIFFUSION DU OBEC EN ITALIE

Pages.

I, i^e grec à Florence. Florence, Athènes de l'Italie.

Ignoraïue du grec au moyen âge. Manuel Chryso- loras, premier nuiître grec de l'Italie nouvelle.— Départ des Italiens pour la Grèce : Guarino, Aurispa, Filelfo.

Florence h l'œuvre. Le Concile d'union 1

11. Le grec en Italie. Progrés accomplis. Le grec s'ins- talle dans la ville des papes. Chaires, maîtres et livres. Nécessilé pour un esprit orné de connaître le

grec. L'Académie d'Aide Manuce 12

III. E.xode des Grecs en Italie. Les personnages illustres : Chrysoloras, Phléliion, .Vrgyropoulos, Lascaris, Bessa- rion. La loiile des subalternes. Leurs misères, leurs emplois et leurs services. Prise de Constanti- nople par le Turc. Ce que la Grèce, chassée de Byzance, trouva en Italie. Mépris des savants ita- liens pour les Grecs 16

CHAPITHE 11

I.A l.oi H l)K I.ALItK.M HK MKDICIS

I. Florence, capitiile de I hellénisme italien et centre d'un

nouveau moment de culture 2b

II. Laurent de Médicis. dit le Magnifique. (^-omplexité de

son caractère. Sa position et sa politique. Son

esprit. Sa volonté. Son charme 26

III. La Florence de Laurent. Les Médicis : le palais, la famille, les enfants. Familiers du palais. Charme et cordialité de la vie quotidienne : les soirées, les vil- légiatures, les jeux. Les éléments dramatiaues étouffés par la joie. Les fêtes : le carnaval, le dalen- (litnaf/fjiu, la San-Uiovanni: joutes, bals et entrées triomphales. Lart et la beauté. Les poètes et les savants. Désinvolture et grâce de la science. Florence, nouvelle Athènes 3fi

458 TABLE DES MATIÈRES

Pag.'S.

IV. La poésie contemporaine. En dehors de Florence Tito-Vespasiano Strozzi. Battista Spagnoli, Jacopo Sannazaro. —A Florence : Naldo Naldi, Cristoforo Lan- dino, Michel Marulle, Cantaiizio, Crinito, Brarcesi, Scala. Verino. Caractères de la poésie latine de la fin du Quatli'ocento : elle est lyrique et courtisane. La poésie de Politien. Comment et pourquoi le

moment n'est pas favorable à une véritable poésie H'i

V. L'érudition contemporaine. - A Florence : Politien, Lan- dino. Scala, F"onte, Rucellai. Crlnilo. Au dehors do Florence : Domizio Caldorini. Paohi Corteso. Girolaum Donato, Erraolao Barb.uo, Codni L rceo . Filippu Beroaido, Merula. Limprimerie et son intltience sur la science. Editions i)rinccps. Premiers monu- ments scientifiques (18

CHAPITHE m

L'aC.\I)ÉMIE PLArOMCIP,.\NE. LES HOMMES

I. L"Aristote du moyen àgc. Gémiste Pléthon et la dis- pute des Grecs sur la préexcellence de Platon et d'Aris- tote. Platon et l'opmion de IHalie éiudile. Platon est la beauté. Naissance de IWcadémie platoni- cienne "."i

II. L'Académie platonicienne. Son caractère. Son maître. Marsile Ficin : sa vie et son influence. Auditeurs, amis et familiers de Marsile Ficin. Chanoines, pré- lats, orateurs, savants, gramuiairiens et poètes. Patriciens. Girolamo Benivieni et Pic de la Miran-

dole si

III. La vie des platoniciens de Florence. Visites, cause- ries, dialectiques, correspondances, promenades, villé- giatures, fêtes et banquets. Politien. .Marsile Ficîn et Pic de la .Miramlole à Fieso'e. L'Amitié amou- reuse : échange de tleurs, de vers et «le madi'igau.v. Qualité platonique de cette tendresse. - La beauté ado- rable. — Le cliristianisme des platoniciens. Leur ••onversion à Dieu et leurs sympathies p(»ur Savona- role. Leurs préoccupations supérieures. Leur zèle, leur esprit et leur l)el-esprit '.12

CHAPITBE IV

LAC.MlKMie PLATONICIENNE. LA l'E.NSÉE

I. La pensée de IWcadémie platonicienne est la pensée de .Marsile Ficin déve'opi)ée |»ar Pic de la Mirandole. Qualité de celte pensée. Marsile Ficin, placé entre

la théologie et l'humanisuie H'I

II. Le De Chrislianu reli;/ione. La Theoloijifi pldtonica. Comment Marsile réconcilie Jésus et Platon. Platon.

serviteur de Dieu et prophélt! chrétifsn lOli

III. L'œuvre de Pic de la ^Iirand(d^^ - L'aristotélisme italien et l'arislotélisme île Pic. Pic reciuicilie Aristole avec le Pluton chrétien de .Marsile. - - Pic unit et accorde toutes les philosophies et toules les religions. Jésu.s «'chI révèle de tout temps 11'

TABLE DES JtfATIÈRES 459

Pages. IV. Méthode de TAcadémie platonicienne. La symbolique. Il libro delV A more de Marsiie. Les Disputationes

camaldulenses de Landino. UUeplaplus de Pic 122

V. L'œuvre de l'Académie platonicienne a échoué. Sa puérilité et son syncrétisme. Beauté de son efl'ort de pensée. L'équilibre des facultés mentales commence à se rompre. Idées nouvelles et généreuses. La science sacrée religion. Rapprochement de Dieu : l'Académie platonicienne et la Réforme i28

CHAPITRE V

l'hellénisme ITALIEN'

Ses œuvres : les lettres, les discours, les épigrammes. Les traductions. Les éditions : Aide Manuce. Déclin des études grecques au xvr siècle. Les grands hellénistes du xvr siècle ne sont plus Italiens. Iniluence de l'hellénisme italien sur l'Europe savante 132

LIVRE QUATRIÈME L'ITALIEN

CHAPITRE I

LE l'KUl'LE. SA POÉSIE

1. Le peuple. Sa langue, ses personnages, ses jeux.

Son caractère et son esprit 142

II. Ses chansons. Rôle des chansons dans la vie contem- poraine. — Diversité de ces chansons quant à leur provenance, leur sentiment, leur musique, leur coupe métrique et leur degré de culture. Chansons d'amour et de passion. Chansons obscènes. Conlrasli,

lamenti, cacce, canli carnasckdesclii et Imidi 146

III. Ses histoires. L'ociave et le chante-histoires. Matière îles histoires : l'histoire universelle, l'antiquité profane et sacrée, les cycles chevaleresiiues, la légende et la gazelle. Répertoire d'un chante-histoires. Histoires de la mulière de France : leurs succès en Italie. Orlando, (^arlone, Rinaldo, ceux de Chiara- monte et ceux de .Vlaganza. Intérêt supérieur des histoires : l'édification, les aventures et les coups. Sur la Piazza di San-Marlino. La fortune des his- toires. — Le succès, la culture et la condition des chante-histoires 153

CHAPITRE 11

LE PEUPLE. SON SENTIMENT RELIGIEUX

1. Le rôle de la religion dans la vie contemporaine. La religion, poésie, beauté et ornement de la vie. Eglises, tableaux, confréries, hospices, fêtes, pèlerinages

460 TABLE DES MATIÈRES

Pages.

et miracles. Princes pratiquants. Humanisme chrétien. Braves gens. Saints et Bienheureux. Le libraire Vespasiano et ses Vile. Mouvements de foi. Restes (Tascétisme. La crainte et la présence de Dieu dans les écritures domestiques. Que le peuple est resté le plus religieux de tous et comment la litté- rature religieuse quattrocentiste est de souche popu- laire IHS

U. Les laudes. Toutes les laudes qu'on sait. Laudes héroïques de 1260. .Vutres laudes. Laudes artiste- ment ouvrées du xv siècle. Quand on les chante.

Sur quel air on les chante 182

IIL Les Frères prêcheurs. Gomment ils sont les oracles, les célébrités et les savants du pauvre monde. Leurs miracles et leur sainteté. Leur existence nomade.

Leurs sermons en plein vent. Les réconciliations qu'ils opèrent et les « bruciamenti di vanità » qu'ils ordonnent. Le plus grand prêcheur du Quattrocento: San-Bernardino da Sieha. Gloire, éloquence, sagesse, morale et foi de Fra Bernardino 189

IV. Les « rappresentazioni sacre ». La scène, les acteurs et le « festaiuolo. » Intérêt des « rappresentazioni ». Trucs, intermèdes et supplices. Les histoires. Profit moral et profit savant de ces histoires. Com- ment elles font pleurer. Comuient elles font rire. Personnages contemporains : évéques. moines, men- diants, médecins, commères, nourrices hôteliers, pay- sans. — Les auteurs des « rappresentazioni », leur audi- toire et leur succès 203

V. La foi quattrocentiste telle (lu'eile résulte de la littéra- ture 211

CHAPITRE Ml

LK PKllM.K. SON SEiXTIMK.M AKTISTIQIK

I. Tempérament nrtiste du peuple italien. Développe- ment de ses facultés visuelles. Il pense par imagos.

Son langage naturel est l'allégorie. Le luxe, ta foi et les fêtes sont des plaisirs des yeux. La vie pittores(|ue. .Mtention du peuple pour les formes colorées. Ses qualités picturales. Son souci de la beauté. Ses véritables interprètes sont les maîtres- imagiers 2 lu

II. Les artisans quattrocentistes. Leur con<lition popu- laire. — Leur origine. Leur éducation em|>iri(pie. Fleurs besognes et leurs préoccupations Iccluiifiiies. Leur naie. Leurs prettntious a être bien nourris. Leur fantaisie i-t insouciance ilcs réalités de la vie. Leur vie à la boutique. Leur belle humeur. Leur

pauvreté 22;i

III. L'fi'uvre des artisans quattrocentistes. La langue de cette fiuivre est le vulgaire. (Comment elle s'inspire de l'antiquité. Comment elle copie la nature. Son réalisme et ses histoire». Sujet et styh; de ces liis- loireH. Leurs épinodcis. leurs anecdotes e| Iimu's facé- ties, — Leur dévotion. Leur soiudn; j)u|)Mlaire et leur corrélation avec la littérature populaire. L'art, témoignage du peuple. L'art, propriété du peuple.

I

TABLE DES MATIÈRES 461

Pages.

Intérêt passionné du peuple pour les arts du dessin.

Le peuple, client des artisans 233

CHAPITRE IV

LES BOURGEOIS ET LE IIETOLIR A L'iTALIKN

\, Les bourgeois. Leur position intermédiaire entre les doctes et le peuple. Leur caractère, leur doctrine et leur condition. Leur souci de la chose publique : les lumenti. Leur soin de la religion. Leur lidéiité à Dante. Leurs livres de raison. Leurs divertis- sements littéraires. Leur goût de l'histoire : les chro- niques. — Leur grâce. Leurs talents de société 246

11. L'œuvre littéraire des bourgeois. Comment ils con- tinuent, copient et galvaudent Dante, Pétrarque, Boc- cace et les petits genres du Trecento. Uurchiello et la poésie alla burchia. Putréfaction de la littéra- ture de l'âge précédent. Banqueroute de lidéal. Triomphe du gros rire. Protestation des bourgeois contre l'humanisme : invectives de Domenico da Prato et de Cino Rinuccini. L'usage vivant de la langue écrite maintenu par les bourgeois. Le latin a accompli son œuvre et l'italien risque de tomber au rang de langue alittéraire. Retour à l'italien •2u"î

III. Leone-Baltista Alberti. Son éiUication et son opuvre

d'humaniste. Son éducation par la vie : famille, amours, gymnastiques, maladies et pauvreté. Son excellence et sa curiosité infinies. Son goût de la beauté. Ses relations dans tous les mondes. S'adressant à tous, il écrit dans la langue de tous. Ses dialogues et leur morale. La défense de l'italien.

l^'Academut coronaria 267

IV. (Comment la tentative de Leone-Battista est assurée du

lendemain. - Raiscms qui militent en faveur du retour à l'italien. Les femmes et le rôle de l'amour. Premiers successeurs de Leone-Battista. Matteo Palmieri el sa Vita civile. Cristoioro Landino et ses leçons sur Pétrarque au Studio. Laurent de \ Médicis et son plaidoyer pour la langue toscane. V Fortune de Dante réhabilité dans ses charges par la Signorie de Florence. L'Académie platonicienne et le vulgaire. OEuvres latines contemporaines tra- duites en vulgaire. Le bel italien. idée qu'on s'en fait et modèles (|u'on lui propose. Le style de \'H>/p-

nerolomachia l'olip/iill 218

V. La Renaissance 286

CHAPITRE V

LA RENAISSANCE A FLORENCE

1. Florence et le retour de l'érudition à la poésie populaire.

Les Médicis et le milieu bourgeois. Lucrezia Tornabuoni. Matteo Franco, Bernardo CiambuUari, Alessandro Braccesi, Tommaso Baldinotti, Francesco Cei, Bernardo Bellincioni. Leur imagination gra- cieuse, dévotieuse ou boutl'onne. Laurent de Médi- cis se rallie à cette littérature 288

4Ô2 TABLE DES MATIÈRES

Pages.

II. La poésie de Laurent de Médicis. Ses laudes. Ses canli carnascialeschi. Sa Rappresentazione di San Giovanni e Paolo. Sa Caccia al falcone. Ses Beoni. Ses sonnets burchiellesques. Son can- zonière. Après la poésie écrite, Laurent retourne à la poésie orale 294

ni. L'influence populaire. Venise et les canzonette de Leonardo Giustinian. Laurent de Médicis et sa bande devant le peuple. La \encia di Barberino de Lau- rent. — La Beca di Dicomano de Luigi Pulci. Les rispetti de Lui^i Pulci, de Baccio Ugolino, d'Ange Poli- tien. Les bculate. de Laurent et de Politien 301

IV, Le Morgante de Luigi Pulci. Luigi Pulci : sa vie, sa culture et son humeur. Sa Storia. L'argument. Les situations. Les personnages. Morgante, Mar-

f;utte et Astarotte. Comment Luigi Pulci contrefait es chante-histoires. Comment il domine son sujet.

Gomment il rend l'esprit du peuple à la matière du peuple. Florentinismes, idiotismes, bisticci, crudité, pittoresque et langue du Morgante. Son comique.

Son émotion 312

V. La Renaissance florentine. Les mythologies du Carna- val. — L'Or/eo de Politien. Les poèmes antiques de Laurent : le Corinto. les Amori di Marte e Venere, les Silve. La Giostra de Politien 328

CHAPITRE VI

LA KEXAISSAXCE A KEIIHAKK

I. Les cours septentrionales italiennes : Mantoue, Urbin, Milan. Ferrare, possession des Kste, ducs et condot- tières. La chevalerie et les mti^urs chevaleresques.

Les femmes et leur influence. Fêtes, divertisse- ments et spectacles. Le luxe. La force physique.

La race campagnarde 344

II. L'humanisme à l-errare. La langue de Ferrare n'est

pas le latin, mais l'italien. Les poètes, nnvellieri et chante-histoires : Francesco Cieco, Niccolù da (^orregio. le Pistoia, Antonio Tebaldeo, .Nicoolù Leiio Cosmico, Antonio Cornazzano, Sabbadiiio degli .\rienli, .lacopo Caviceo, Pandulfo Collenuccio. La littérature dans les banquets, les spectacles et la vie. Valeur de cette

littérature. (Caractère de cette littérature 3.")4

ni. La Renaissance à Ferrare. Le comte Matteo-Maria Boïardo de Scandiano. Sa vie, sa culture et sa fonc- tion de gentilhoMune. Ses divertissements littéraires.

Son canzonière. Son Orlando innainnrnio. Dif- férences du Morgante de Pulci et de VOrlando de Boïardo. La matière de France et la matière de Hrc- tngne accouplées. L'amour. Argument du pctème.

Son allure et sa grâce. Ses personnages originaux.

Orlando et Angélique. Ses éléments divers. Sa couleur unique. L'Orlando innamoralo, poème de la belle vie seigneuriale 3ti('<

TABLE DES MATIÈRES 463

CHAPlTRi: VU

L\ RENAISSANCE A NAPLES

Pages.

1. Naples, monarchie absolue. Les Aragons, la reggia et la cour. La noblesse de la cour. La vie fastueuse et théâtrale. L'influence de la mégalomanie espa- gnole 389

11. Les écrivains napolitains. Leur qualité et leur office de courtisans. Le peuple n'existe pas. Pourquoi. Il est la valetaille ol il parle dialecte. Nécessité pour Naples d'employer l'italien. Employant l'ita- lien, elle emploie une langue livresque et étrangère. Klle introduit dans l'italien la discipline de l'huma- nisme .'Î92

III. Le mauvais goût. La nature et VArcadia de Sanna- zaro. Le pétrarquisme et la préciosité Les coti- cetli : Cariteo, Tebaldeo et Seralino delT Aquila. L'éloquence : e.\emples chez Sannazaro, Cariteo et Masuccio. Naples initie le aeicenlisme. Comment l'œuvre littéraire du Quattrocento est accomplie 399

LIVRE CINQUIÈME CONCLUSION

IliUOME SAVU.NAKULK ET I.'eXPÉIHTIO.N DE CHAIU.ES VIU. . 409

BIBLIOGRAPHIE DES AUTEURS 42*i

TOURS

IMPRIMERIE DESLIS FRÈRES

6, rue Gambetla, G

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